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Aux origines de l’alpinisme militaire Fondation des chasseurs alpins et rôle du général Arvers Colonel Cyrille Becker

Aux origines de l’alpinisme militaire · 2018-01-22 · 9 Introduction « L’histoire est la source à laquelle vous devez puiser sans cesse ; ne lisez pas l’histoire pour apprendre

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Aux originesde l’alpinisme militaire

Fondation des chasseurs alpinset rôle du général Arvers

Colonel Cyrille Becker

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« C’est de Lyon que nous partîmes, en 1879, pour créer l’alpinisme militaire français, que nous revendiquons hautement pour nôtre et dont nous ne laissons la paternité à personne. »

Paul Arvers

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Introduction

« L’histoire est la source à laquelle vous devez puiser sans cesse ; ne lisez pas l’histoire pour apprendre l’histoire, mais pour apprendre la guerre, la morale et la politique1. »

MarécHal de Belle-isle

L’alpinisme civil ne date pas de la fondation de l’Alpine club en 1857, ni de celle plus tardive du Club alpin français en 1874 à Paris. Il y a toujours eu, antérieurement à la création de ces sociétés, des précurseurs de la montagne qui chassaient le chamois, recueillaient des cristaux, effectuaient de courtes ascensions, voire trafiquaient le tabac et le sel, contrebandiers courageux et téméraires qui défiaient les douaniers. En 1741, les premiers touristes sont deux explorateurs anglais, Richard Pococke et William Windham qui viennent découvrir les glacières et le superbe panorama de la Mer de glace à partir du Montenvers. Puis les scientifiques s’y intéressent dès la publication, à Londres en 1744, du récit de l’excursion de l’ingénieur et opticien genevois Pierre Martel, « An account of the glacières or ice Alps in Savoy ». Le savant genevois Horace-Bénédict de Saussure promet une forte récompense à celui qui trouvera le chemin d’accès au mont Blanc pour lui permettre, par la suite, de vérifier qu’il est bien le point culminant de l’Europe à l’aide de la pression atmosphérique calculée à son sommet. Le défi est relevé par deux hommes de Chamouny, le doc-teur Gabriel-Michel Paccard et le cristallier Jacques Balmat qui l’atteignent le 8 août 1786, en fin d’après-midi, après quatorze heures de marche. Trente-cinq ans plus tard naîtra la Compagnie des Guides de Chamonix. L’âge d’or des conquêtes civiles des sommets alpins allait débuter.Dans le domaine de la montagne, les non-initiés confondent ordinairement la nais-sance de l’alpinisme militaire avec celle de l’alpinisme sportif (les alpinistes des pics), puis l’ont uniquement assimilé au ski, qui a été adopté beaucoup plus tardivement. Si de nombreux exemples historiques ou légendaires relatent aussi la montagne utilisée

1. Lettre adressée par le maréchal de Belle-Isle à son fils au moment où ce dernier, récemment promu colonel, prenait le commandement de son régiment. Elle fut publiée plus de cent ans après sa mort sous le titre  : Instruction du maréchal de Belle-Isle sur les devoirs du chef militaire, Paris, J. Dumaine, 1869, citation p. 18.Charles, Louis, Auguste Fouquet de Belle-Isle (1684-1761) est le petit-fils de Nicolas Fouquet. Nommé maréchal en 1741, il participa à la guerre de Succession d’Autriche. Élu à l’Académie française en 1749, il fut ministre de la Guerre de 1758 à 1760.

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Les officiers du 12e bataillon aux manœuvres alpines en 1893.Arrière-plan  : Rey, Perrin, Becker, Dunod, Monnet, Lambert, Mellier, Duc, Calvet, Grardel.Sur le banc : Boone, Rousson, Delacarte, Lecourbe, Quintran, Martin, Viard, Bernard.Premier rang : Privas, Granet, Godin, colonel d’Ivoley, Haugert, Nadal, Chamousset, de Montlebert.

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Buste du général Arvers, commandant la 10e brigade d’infanterie à Caen, réalisé par Monteil, pour la mairie de Caen. Il a certainement été détruit par les violents bombardements alliés de 1944 qui ont ravagé l’hôtel de ville.

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ont pour objet dès lors de leur faire connaître « tous les chemins et sentiers que l’en-nemi pourrait suivre ainsi que la manière de les défendre ». Le ministre propose qu’on exécute d’abord une marche de trente jours par compagnie, puis une marche de dix jours par bataillon, avec l’artillerie, enfin une marche de compagnie de trois à quatre jours pour chacun des mois pendant lesquels il n’aura pas été exécuté de grande marche.Dans l’immédiat, la mesure appliquée au 12e bataillon est étendue aux autres batail-lons vite renforcés par l’apport d’artillerie et d’un détachement permanent du génie pour former un groupe alpin. La frontière du sud-est prend enfin une dimension stratégique mais qui se révèle encore insuffisante. D’ailleurs, même si «  les grands chefs, inquiets de l’importance qu’ils voyaient prendre au théâtre alpin étaient una-nimes de penser avec le général Saussier (vice-président du Conseil supérieur de la Guerre) qu’il n’y avait qu’un seul champ de bataille à envisager, le nord-est, et qu’il était essentiel de ne pas en distraire un seul homme. En résumé : “être vainqueur en Allemagne, se laisser battre en Italie.” […] Bientôt les mesures prises en 1882 pour faire face aux “compagnies alpines” s’étaient montrées insuffisantes. Dès 1884 leur nombre était passé sur notre frontière de vingt et une à quarante-deux. Pour rétablir un peu l’équilibre le ministre avait décidé le 8 mars 1886 sur proposition du général Ferron d’attribuer à chacune des deux régions deux nouveaux bataillons de chasseurs ainsi que deux batteries de montagne d’Algérie. Cela ne faisait encore que neuf bataillons de chasseurs, soit trente-six compagnies, contre soixante-douze compagnies alpines59. »Ainsi en 1886, 1887 et 1888, sept nouveaux bataillons de chasseurs, à leur retour d’outre-mer, complètent les expériences. En 1886, quatre nouveaux bataillons de chasseurs (les 6e et 23e qui doivent prochainement rentrer d’Algérie, le 22e stationné à Morlaix et le 28e provenant de Bayonne et récemment affecté comme bataillon alpin) s’ajoutent à ceux déjà échelonnés sur la frontière. Ce nombre est arrêté à sept par la suite, portant à douze le nombre des groupes, chacun désigné par son numéro et par son théâtre d’opération. Les autres bataillons sont successivement le 11e qui rentre du Tonkin en 1888, le 27e de Tunisie et le 30e d’Algérie. Chacun des quatre ba-taillons se voit adjoindre d’office une batterie d’artillerie et sont renforcés en effectifs d’hommes et d’animaux.En 1884, on fait mettre à l’étude dans ces bataillons de chasseurs les moyens de trans-port reconnus indispensables et qui se composent d’un certain nombre de mulets et de quelques voitures légères. L’expérience acquise en Afrique par le 12e bataillon s’avère très utile. Le bataillon avait alors, en Algérie, inauguré une nouvelle espèce de cavalerie avec la colonne de Sonis60, une compagnie montée sur des chameaux qui

59. Revue historique de l’Armée, La Défense des Alpes 1860-1914, op. cit., p. 64.60. Du nom du lieutenant-colonel Gaston de Sonis (1825-1887) qui eut en Algérie le 12e bataillon de chasseurs à pied sous ses ordres.

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cependant aussi bien parmi les habitants de la plaine que parmi ceux des montagnes. […] Nos montagnards de Savoie, malgré leur aspect rude et grossier sont généralement assez intelligents, excellents tireurs, marcheurs intrépides, connaissent leurs montagnes, les principes de l’hygiène et les signes du temps, en un mot ont, à mes yeux, toutes les qualités pour faire des soldats Alpins de premier ordre. […] Ce n’est pas en quelques mois qu’on peut acquérir la pratique de la montagne  ; les Italiens le savent si bien que le recrutement de leurs Alpins se fait dans le pays même, en Piémont. Leur prin-cipe est qu’il faut laisser l’Alpin sur son rocher104. » En effet, le recrutement des alpini est essentiellement régional afin de constituer des corps de montagne parfaitement aptes au rude service auquel on les destine. On peut lire dans les livres transalpins des aphorismes tel que Les Alpes aux alpins. Cependant, si la densité des régions transalpines permet de favoriser ce type de recrutement local en Italie, tel n’est pas systématiquement le cas sur l’autre versant des Alpes. À ses débuts le 12e bataillon

de chasseurs, hivernant à Lyon, bénéficie d’un recrute-ment régional mais les bases du recrutement des batail-lons et batteries alpins fran-çais sont élargies avec des recrues auvergnates, corses et cévenoles. Parfois, au besoin, certaines recrues viennent de la plaine ou des villes à la condition qu’elles soient ins-crites au Club alpin français.En arrivant à son corps, le jeune alpin débute dans le métier militaire par un ser-

vice dont la durée et les obligations évolueront en fonction des lois en vigueur. Initialement, les recrues alpines du nouveau contingent sont incorporées, immatri-culées, habillées, armées et équipées au sein de leur bataillon. Il lui faut apprendre les principes des exercices à rangs serrés, du maniement d’armes et du tir mais très vite l’instruction est donnée, ce qui est nouveau, sur des terrains montagneux. Elle est d’office poussée plus rapidement que dans les régiments d’infanterie car l’ins-truction sur les marches, sur le service extérieur et sur celui des places est simplifiée autant que possible. En revanche, les efforts sont portés sur les exercices physiques (exercices d’assouplissement, agrès de gymnastique, portiques, montée de corde et

104. BUTTET (capitaine) Marc de, Les Alpins – Etude militaire sur les troupes cantonnées dans les Alpes et chargées de les défendre, op. cit., pp. 6-7.G

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escalade de mur avec béret alpin, armes et sac) et sur des marches extérieures plus fréquentes et plus longues quelles que soient les conditions. La neige n’est pas consi-dérée comme un obstacle aux exercices, bien au contraire, c’est l’élément propre aux alpins. Après leur incorporation, les chasseurs reçoivent une instruction complète sur le tir et la marche avant d’être engagés en montagne : « Vers la fin de mai, lorsque l’instruction des recrues est terminée, que les tirs individuels ont été exécutés, le batail-lon part pour les Alpes. […] À leur arrivée dans leur secteur, les compagnies occupent des cantonnements à l’entrée des vallées, à la défense desquelles le bataillon est affecté. Cette première période est employée à l’exécution de certains tirs spéciaux et à des marches d’entraînement qui ont pour objet d’initier les jeunes et de remettre les anciens soldats à la montagne105. »Les chasseurs à pied bénéficient depuis leur création d’un armement perfectionné. Lors de la défaite de 1871, ils sont équipés du modèle 1866, dit Chassepot, et font face aux Prussiens équipés du fusil Dreyse, fusil beaucoup moins performant. Le Chassepot est vite remplacé par le fusil modèle 1874, dit fusil Gras, puis par le fusil Lebel, nouveau fusil à répétition mis au point par le colonel Lebel106 et adopté en 1887. Dès son adoption, cette arme permet aux chasseurs à pied, toujours jaloux de leur ancienne réputation d’adroits tireurs, de justifier leur renommée et d’affirmer une fois de plus les progrès faits par l’infanterie française dans la pratique du tir. Ils se perfectionnent au tir en montagne et dans les marches. Les marches-manœuvres en montagne ont une finalité, celle d’apprendre à se déplacer, à stationner et à tirer en terrain difficile. Des bases solides d’instruction sont inculquées aux troupes al-pines sur le tir qui revêt en montagne une forme particulière car on peut être amené à tirer d’une position escarpée dans le fond des vallées, puis, au contraire, du fond des vallées sur des positions escarpées. Il faut que le chasseur alpin soit un bon tireur car le front est réduit au minimum, l’ennemi peut surgir à tout moment et le tireur doit être en mesure de tirer sur la neige ou dans les prés, face ou contre le soleil, et d’apprécier ainsi toutes les distances. Ces positions de tir demandent des observa-tions spéciales et un entrainement régulier. Pour avoir instauré la généralisation des tirs en site et avoir mis en place des moyens d’instruction pédagogiques inédits, Paul Arvers reçoit en 1881 les Félicitations au sujet des feux de guerre : « Le Ministre de la Guerre a examiné avec intérêt le rapport établi par le 12e bataillon de chasseurs sur les tirs de bas en haut et de haut en bas exécutés au Chenaillet au mois d’août 1880 et a constaté avec satisfaction les résultats obtenus ainsi que ceux qui ont été donnés dans la construction d’un matériel spécial de cibles légères et la manière judicieuse dont les lignes de tir ont été choisies. » Avec le printemps, l’instruction au tir s’intensifie, ainsi

105. Lieutenant-colonel ARVERS, L’alpinisme militaire dans la XIVme Région, op. cit., p. 9.106. Rappelons que Nicolas Lebel appartient à la promotion de l’École impériale spéciale militaire de Saint-Cyr, Du Prince Impérial, celle de Paul Arvers.

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Dunod, qui souhaitent améliorer les capacités de renseignement du bataillon. Les petites unités de reconnaissance entrent dans le domaine propre de la tactique des groupes qu’il n’est pas rare d’employer dans la lutte de partisans que peuvent soutenir les troupes de première ligne. Les montagnes sont un terrain qui se prête tactique-ment à la ruse et à la surprise. Les escouades franches sont ainsi organisées au sein des unités alpines, au début des expérimentations, en remplacement de la cavalerie très peu utilisée en altitude. Or, pour combattre le plus avantageusement possible, il faut bien connaître la nature et la valeur du terrain sur lequel l’action va s’engager, ne négliger aucun moyen de se renseigner, soit par des reconnaissances, des patrouilles et des gens du pays, soit par des escouades composées d’éclaireurs de montagne spé-cialement conçues à cet effet. Elles peuvent devenir, pense le lieutenant Dunod, « un instrument de combat d’une puissance remarquable127 ».L’escouade franche est à ses débuts à effectif réduit. En 1886, les premières escouades mises sur pied sont commandées par un sergent et se composent d’un caporal et d’une quinzaine de chasseurs endurants, résistants physiquement et très bons alpi-nistes. Le sous-lieutenant Dunod a toujours souligné que les gros effectifs en mon-tagne – et plus encore en haute montagne – sont souvent encombrants. Il a prôné très vite la création d’une section d’éclaireurs qui opèrerait isolément avec des mis-sions de sûreté qui, en plaine, incombent alors à la cavalerie. Cette section peut donc renseigner sur les mouvements et la force de l’ennemi. Ses effectifs s’étoffent et sont choisis parmi les meilleurs officiers, sous-officiers et chasseurs du bataillon qui re-çoivent une instruction et des équipements de pointe. Sur sa proposition, tous sont sévèrement sélectionnés car on n’y trouve pas d’individus « mous et endormis » et à l’inverse « on ne devra pas s’effrayer des fortes têtes ». Avec son bataillon, il met en place des équipes légères déployées en montagne avant les marches des compagnies et chargées de faciliter leur passage dans les endroits délicats. L’effectif de l’escouade est alors porté à un lieutenant et un second officier désigné pour faire partie de la section en temps de guerre, un adjudant, deux sergents, trois clairons, avec un capo-ral et six chasseurs par compagnie. Elle est entraînée spécialement, surtout pour les officiers qui doivent parcourir la haute montagne, et un accent tout particulier est mis sur l’instruction morale des éclaireurs qui doit être soignée car ils porteront les messages à pied. Les escouades franches deviennent vite des petits corps mixtes des-tinés à agir isolément. Elles éclairent toute colonne en marche, soit en avant-garde soit sur les flancs-gardes. En définitive, ces escouades franches renseignent par des reconnaissances qui permettent de délimiter le contour des positions de l’ennemi et qu’Henri Dunod distingue en reconnaissances spéciales à but déterminé (tactique, topographique ou statistique) ou en reconnaissances générales appelées service d’ex-ploration. Il est même de temps en temps question, dans les exercices tactiques, de

127. DUNOD (lieutenant de chasseurs alpins) Henri, Des éclaireurs de montagne, op. cit., p. 9.

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faire explorer les hauteurs latérales par ces détachements spéciaux pour renseigner le commandement, fixer, mais surtout retarder l’ennemi et l’empêcher de tomber inopinément sur les flancs. Les escouades franches de flanc-garde mènent des com-bats retardateurs en utilisant tous les obstacles que présente le terrain, en en créant au besoin, tendant des embuscades, attirant l’ennemi sur de fausses pistes.L’utilisation des escouades franches n’est que tardivement adoptée à un niveau d’em-ploi supérieur. Il suffit qu’en juillet 1900, aux Chapieux (au-dessus de Bourg-Saint-Maurice), le général Arvers, en manœuvre à la tête de la 28e division d’infanterie, poursuive ces innovations dans le domaine tactique pour mettre en œuvre à l’éche-lon de la division des modes d’action et d’emploi spécifiques aux escouades franches : « Le service de reconnaissance dont le général Arvers veut faire l’essai a commencé, hier soir, par la mise en route d’une expédition composée d’un officier et seize hommes par groupe alpin. Ces petits détachements avaient pour mission d’explorer tout le massif montagneux et de faire connaître les résultats des recherches par tous les moyens en leur pouvoir  : courriers rapides, bicyclistes, si l’on dispose de routes  ; télégraphie op-tique. Un moment, on a craint que ce dernier procédé fût impraticable tant les nuages s’accumulaient mais, après une courte pluie, le ciel s’est rasséréné et les signaux ont pu

Extrait du Carnet-Guide du quatrièm

e groupe alpin, 4

e secteur, 12e bataillon de 12

e bataillon de chasseurs alpins.

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Tenue des chasseurs alpins du 12e bataillon pour la reconnaissance dans le Pelvoux en 1895.

Photo de Julien Lemercier.

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« Elle est vraiment légitime, la ferveur populaire qu’ont su rapidement conquérir nos troupes alpines, et si beaucoup d’entre nous ne voient, dans ces admirables soldats, qu’un uniforme pittoresque, une allure dégagée,

un je ne sais quoi qui captive et qui charme, il en est d’autres aussi qui savent combien est pénible, même en temps de paix, la vie dans la montagne, et à quels dangers presque constants et inévitables on s’y trouve exposé140. »

capitaine Marc de Buttet

Avec l’institution de l’armée nationale en 1872, la vie militaire devient une expé-rience commune à tous les jeunes Français. Les liens entre l’armée et la nation se resserrent. Les récits des permissionnaires prennent place dans le panorama fami-lier, avec une perception profondément idéalisée et des liens très affectifs pour les troupes alpines. S’ajoutent à cela un roman nationaliste qui structure les livres d’his-toire et une presse qui fait par ses récits d’ascensions et d’exploits une part considé-rable au mythe militaire dans lequel va s’inscrire le chasseur alpin, conquérant des sommets. Le prestige et la légende des chasseurs alpins naissent timidement à partir de 1879. D’abord peu connus dans les hautes vallées, puis, en s’implantant durable-ment dans les montagnes, rempart face à la menace italienne, les « braves chasseurs alpins141 » développent par leur spécificité montagnarde, leur tenue et leur uniforme, une imagerie populaire hagiographique croissante. Ce sont effectivement les recon-

140. BUTTET (capitaine) Marc de, Les Alpins – Étude militaire sur les troupes cantonnées dans les Alpes et chargées de les défendre, op. cit., p. 1.141. Le qualificatif brave est évidemment issu de l’expression que l’on trouve dans le chant de la Sidi-Brahim : « En avant, braves bataillons ! », l’hymne de tous les chasseurs à pied écrit dans la seconde moitié du xixe siècle. Il est très souvent repris avec les (ou nos) petits chasseurs  : Le Petit Parisien illustré du 4 mai 1890 : « Avec de tels soldats, la France peut être tranquille ; sa frontière des Alpes est bien gardée car nos petits chasseurs sont là pour arrêter ceux qui voudraient en forcer le passage. »

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Il garde incessamment notre France chérie,Sans se lasser, ni s’endormir jamais ;

Par le rude hiver qui l’assiège,Plus d’un, sous l’avalanche, y laissera sa peau :Le rouge de son sang sur le blanc de la neige,

Avec l’azur du ciel bleu, c’est encor le drapeau ! RefrainHenri Second

Le chasseur alpin incarne de fait localement la défense de la Nation allant jusqu’au sacrifice de sa vie. Emblème indissociable des montagnes, soldat d’élite, son image est en peu de temps propagée dans tout le pays grâce à la peinture, les cartes postales et la littérature.

2.2 Le chasseur alpin, figure iconographique

La peinture et les illustrations permettent vraiment de diffuser leur image et ainsi de populariser davantage les troupes alpines lesquelles, regrette Paul Arvers en 1885, n’ont pas encore « le pittoresque, dans la tenue, des Alpins au-delà des monts, […] ; leur recrutement, leur outillage, répondent à leurs besoins spéciaux et sont l’objet de

soins qui, pour n’être pas connus du public, n’en sont pas moins vigilants ». L’adoption définitive de leur tenue singulière, de leur équipement, et leurs prouesses en mon-tagne vont devenir des sources d’inspiration abondantes pour les peintres dont les œuvres alpines seront accueillies instantanément et chaleureusement par un public

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bienveillant. Les peintres s’emparent donc très vite du thème, inspirés par les repré-sentations des unités de chasseurs alpins dans un cadre idyllique. La peinture de paysage reflète certaines nouveautés picturales de l’époque où l’artiste peint ce qu’il voit. Témoin privilégié de ce temps, le Niçois Pierre Comba (fils), peintre du Dépôt qui fut aussi un peintre paysagiste, suit les troupes alpines en montagne et dans leur vie quotidienne. Il « dessine leur vie, leurs manœuvres, leurs longues marches, leurs escalades158 ». Dès 1888, on lui doit « la quasi-totalité des représentations des troupes alpines dans la production officielle, Annuaire militaire, ou la presse, Le Figaro, L’Il-lustration », et L’Annuaire illustré de l’Armée française dont il dessine la couverture entre 1891 et 1907. Ses aquarelles sont même utilisées sur les couvertures de bro-chures touristiques de Grenoble et du Dauphiné. J. Saqui écrit sur une note que l’on trouve à la bibliothèque de Nice : « Toute son œuvre est un poème de foi en l’honneur du soldat alpin. » D’autres peintres accompagnent ce mouvement : Louis Bombled, Edmond Lajoux, Pierre-Albert Leroux, Louis Rambaud, Maurice Toussaint et même Edouard Detaille. Ils dessinent la vie des chasseurs alpins, leurs manœuvres, leurs longues marches, leurs escalades, sans oublier pour autant, dans leurs croquis ou leurs aquarelles, les autres soldats de montagne. Ces œuvres atteignent aujourd’hui de fortes sommes sur le marché spécialisé.Outre la peinture, la carte postale ou carte-correspondance, devient vite un support

privilégié et un outil de diffusion patriotique pour traiter de la représentation du sol-dat même si les illustrations photographiques ne se développent que vers la fin des

158. BEXON Alain, Un peintre chez les chasseurs alpins, de la Côte d’Azur aux champs de bataille de 1914-1918, P. Comba 1859-1934, Annecy-le-Vieux, Édition Itinera Alpina, 2006, p. 8.