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1 AVANT D’ÊTRE CAPITAINE ... OU LES MÉMOIRES D’UN BRETON

Avant d'être capitaine TOME 1

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Quand j’ai entrepris des recherches sur la famille, j’aurais aimé trouver quelques mémoires des anciens, découvrant l’intimité de leur vie familiale. J’ai dû me contenter souvent d’actes publics : registres de délibération de conseils municipaux, actes d’état civil, minutes notariales... Dans 100 ans, 200 ans, il se trouvera peut-être un descendant curieux de connaître notre existence au XXème siècle. C’est a lui, c’est à elle, cet inconnu chercheur, que je dédie le présent ouvrage en souhaitant qu’il soit conservé dans son entier par ceux et celles qui l’auront en mains successivement.

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AVANT D’ÊTRE CAPITAINE ...

OU LES MÉMOIRES D’UN BRETON

PIERRE AMIOT

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Je tiens à remercier Caroline Amiot qui a pris le temps de recopier l’intégralité de ses mémoires il y a quelques années et qui l’a stockée sur CD. Sans son travail en amont, la mise en page et la création de ce livre auraient été impossibles.

Le temps ayant fait son œuvre, quelques données ont été égarées et une partie des photos et du texte ont disparu. Grâce à l’aide d’Angsoumailyne Te et de Louise Courtois j’ai pu recopier l’intégralité du texte manquant.Par contre certaines photos sont manquantes et irrécupérables.

Veuillez m’en excuser.

Vincent Amiot - Juillet 2014

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Fiche d’État Civil du rédacteur

Pour qu’il n’y ait, dans un avenir peut-être lointain, aucune ambiguïté sur sa personne.

Nom : Amiot

Prénoms : Pierre, Eugène, Louis

Né : le 03 décembre 1923

À : Saint Nazaire – 44, Loire Maritime

Baptisé : le 09 août 1925 en l’église de Plurien (22)

Fils de : Célestin Amiot né le 19 février 1898 à Plurien et de : Maria Tuloup son épouse

N° de Sécurité sociale : 1.23.12.44.184.201-60

Marié : le 11 novembre 1944 à Pléhérel (22)

À : Marie Cécile Gautier née le 31 mai 1924 à Pléhérel Fille de Charles Gautier et Marie Gesrel

Enfants : Jean-Pierre, Charles, Célestin né le 04 juin 1945 à Pléhérel (22) Claude, Marie-Pierre née le 03 juin 1948 à Toulon (83) Philippe, Jean-Pierre né le 14 juin 1954 à Toulon (83)

Frère : Célestin, Marie né le 03 août 1922 à Saint-Nazaire (44) Marié à Marguerite Le Callo

Sœurs : Madeleine née le 15 juillet 1925 à Plurien (22) Mariée à Charles GautierThérèse née le 30 juin 1930 à Plurien (22) Mariée à André Le Trionnaire

Née le 11 mars 1902 à PlurienFille de Pierre Tuloup et Cécile Galerne

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Extrait des registres de l’État-Civil - Marine de Saint Nazaire

Extrait du registre des baptêmes de Plurien

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PRÉFACE

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Me voilà arrivé à un âge où il est trop tard pour entreprendre des recherches et rédiger d’autres livres. Vais-je alors succomber à l’ennui ? Je ressens le fort désir de reprendre la plume.

Sur les conseils de Marie, ma chère et tendre épouse, je m’attelle à une autre tâche : écrire tout simplement ce que fut ma vie. Pour moi-même et peut-être pour mes descendants.

Oh ! elle n’a rien de particulier. J’ai roulé ma bosse dès l’âge de 18 ans où j’ai été largué dans le monde du travail. J’ai côtoyé beaucoup de gens, y compris même des Chefs d’État. J’ai frôlé la mort à plusieurs reprises.

Mon parcours a été assez zigzagant : tel un bouchon, j’ai été, comme bien d’autres, ballotté sur l’Océan de la vie. Vents et courants ont parfois été contraires. J’ai rencontré des gens peu sympathiques mais croisé aussi de bons camarades, des amis même.

Cette vie de saltimbanque, marquée par 24 déménagements, a été, en fin de compte très enrichissante sur le plan humain. Elle fut même passionnante.

Et cette vie, la voici !

Carrien – décembre 1999

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1_ MON ENFANCE

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Comme aurait dit Chateaubriand, Maman m’a infligé la vie à Saint-Nazaire où navigue Papa comme officier radio à la Marine Marchande.J’en ai toujours voulu à mes parents de me faire naître dans cette ville inconnue pour moi, pour laquelle je ne me sens aucune attache.J’aurais aimé, comme mes deux sœurs, naître dans le village de mon enfance : Plurien. Mais les faits sont là. N’en parlons plus.

De Saint-Nazaire, je n’ai absolument aucun souvenir d’enfance. Plus tard, Papa a été muté sur les lignes maritimes partant du Havre. La famille a donc fait mouvement vers cette ville alors que j’étais tout gosse.Mes souvenirs les plus lointains remontent à l’école maternelle de Graville, banlieue du Havre. Je revois les classes, la cour de récréation, les promenades en groupe dans le bois voisin. Pendu à l’épaule, un petit panier dans lequel Maman a glissé quelques biscuits. Je me souviens aussi des retours à la maison en compagnie de ma grand-mère paternelle : Marie Jules Briend.Elle séjourne de temps à autre chez nous, au 61 de la Route Nationale. Maman l’aime bien et s’entend avec elle.Nous habitons, au lieu ci-dessus cité, une grande bâtisse cernée par deux espaces verts. Sur le derrière : des arbres auxquels nous grimpons et aux branches desquelles Papa a accroché une balançoire et un trapèze volant. Sur le devant : une grande pelouse entourée d’une allée circulaire.A droite de l’entrée de la propriété il y a une petite maison – pièce unique – dans laquelle vit le ménage Vaillant, sans enfant, mais avec une petite chienne nommée “Mirette”. Ces gens disposent d’une chambre au rez-de-chaussée de la maison principale. Plus tard, ils sont remplacés par un autre ménage sans enfant : les Capendegui. Lui, petit navigant malingre, elle, chanteuse au théâtre. Elle fait, de temps en temps des vocalises et, si mes souvenirs sont bons, elle semble avoir du succès auprès des hommes.Toujours au rez-de-chaussée de la maison, mais en face, loge le ménage

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Jeannin que je vais revoir bien plus tard à Plurien et au Val André.

Un fait divers : il y a dans cette famille une grande et jeune demoiselle blonde. Un jour d’anniversaire, Maman me prie d’aller lui offrir une demi douzaine de mouchoirs, ce qui me vaut biens des quolibets de la part de mon frère Célestin et de ma sœur Madeleine.

Au tout début de notre séjour Route Nationale, le logement des Jeannin est occupé par un couple, les Marchadour.Leur séjour s’est terminé par un drame. Marchadour frappe souvent sa femme. Un beau jour, elle en a assez et revolvérise son époux.Incarcération, enquête de la police. Célestin, mon frère aîné a souvenance de ces faits et me les a rapportés. Jugement. Maman, citée comme témoin, explique le martyre de Madame Marchadour qui écope d’un ou deux ans de prison à Rennes. Célestin se souvient l’avoir vu revenir pimpante quelques temps après, sur les lieux de son crime.

Je crois me rappeler que Papa a loué toute la propriété à la Société des Tramways du Havre, dont l’entrepôt jouxte notre maison. Et Papa sous loue une partie de la maison pour en réduire le loyer.Nous avons comme voisins immédiats, côté Graville, une belle propriété qui appartient à la famille Delesque, négociants en vin. Leur entrepôt est à quelques centaines de mètres. On y voit des barriques venues de Bordeaux ou d’ailleurs et des employés qui transvasent ce vin en d’autres contenants.Entre les Delesque et nous, un grand mur de pierres (le parpaing n’est pas né). Et quand nous jouons au ballon, il arrive souvent que ce dernier passe par dessus le mur pour échouer chez les Delesque.Par crainte de les déranger, et peut-être d’être rabroués, nous jetons un coup d’œil dans le jardin avant de nous y glisser par le portail d’entrée. Notre cœur bat à tout rompre.

Autre souvenir de notre séjour Route Nationale. Le soir, quand nous arrivons de l’école, nous faisons nos devoirs dans la cuisine, la seule pièce chauffée par un fourneau alimenté au charbon.Dans le four de cet appareil s’entassent quelques vulgaires briques de maçonnerie. Et le soir, nous prenons chacun la nôtre enveloppée dans un vieux torchon tout roussi et la disposons dans notre lit. Quelques minutes à grelotter dans des draps très frais et, les petons biens chauds, nous sombrons vite dans un sommeil réparateur.Un jour, un drame manque de se produire devant le dit fourneau de la cuisine. Madeleine est assise devant, à se chauffer avec un baigneur en celluloïd dans les bras. Cette matière est très inflammable. Madeleine approche peut être trop son baigneur de la cuisinière. Il s’enflamme brutalement. Madeleine le

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lâche en poussant un cri de terreur.Il y a, ce jour là, un tapissier qui œuvre dans l’appartement. Il se précipite aussitôt et, muni de grosses chaussures, il piétine le baigneur en flammes. Le feu est aussitôt éteint. Mais, des années durant, la marque de l’incendie est restée sur le linoléum.

Nous sommes restés longtemps au 61 Route Nationale puisque de là je suis allé à l’école maternelle, puis à l’école communale de Graville. Ensuite à celle de l’Observatoire. Là j’ai gravi tous les échelons jusqu’au Certificat d’Études. Je travaille bien en classe mais je suis assez turbulent.Je cite un souvenir : la classe de 7ème confiée à Madame Grindel, couverte de rouge à lèvres, de poudre et de cosmétiques. Plusieurs fois elle m’invite à monter sur l’estrade pour avoir chahuté. “Montre tes mains.” Je les présente, paumes en haut et elle m’administre quelques coups de règle en bois. Que j’encaisse goguenard.. “Ah ! ça te fais rire. A genoux.” Et, à genoux sur l’estrade je reçois de nouveaux coups, cette fois sur le postérieur, à la grande hilarité de la classe.Quand je rentre à la maison, je me garde bien d’en parler à Maman car elle doublerait la punition. Nous vivons une époque où les enseignants sont respectés ! Et se font respecter !Tous les mois, quand mon carnet de notes est bon, et il y est souvent, Maman me donne 2F50 centimes et je vais chez le libraire face à l’école acheter un numéro de “Bibi Fricotin” ou des “Pieds Nickelés” (bandes dessinées)

En classe, il m’arrive d’écrire de petits poèmes. Deux sont restés gravés dans ma mémoire. L’un a trait à la salle de classe, l’autre aux inquiétudes politiques du moment causées par la montée du nazisme en Allemagne. Les voici :

Au plafond couvert de poussièreSont accrochés des lampadaires

Chaque élève est assis à son bureauEt regarde attentivement au tableau.

Alerte, aux armes citoyensArrêtez tous l’envahisseur

Arrêtez le par tous les moyensPar la volonté, par le labeur.

Les instituteurs de la 3ème République ne manquent pas de nous faire chanter régulièrement l’hymne à l’École Publique :

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Honneur et gloire à l’École LaïqueOù nous avons appris à penser librement

A défendre, à chérir, la grande RépubliqueQue nos pères, jadis, ont fait en combattant.

Autre chanson qui, à chaque fois, met mes nerfs de Breton en pelote :

“J’irais revoir ma NormandieC’est le pays qui m’a donné le jour.”

Papa a ramené des Antilles deux grands bambous qui, hissés sur la maison, nous permettent avec une grande antenne de capter la radio, en particulier la locale : Radio Normandie qui émet de Fécamp.Je me souviens des après-midi du Jeudi. On écoute religieusement l’émission enfantine dirigée par “l’oncle Rolland et tante Francine.”

Quand l’émission arrive à sa fin on entend le petit air :

“Notre émission est terminéeNous allons aller nous promener

A Jeudi, à JeudiA Radio Normandie.”

Durant toute ma jeunesse au Havre j’ai entendu la radio nasiller à longueurs de journées. Et de la réclame, il y en a. Tant et si bien que je fredonne encore quelquefois l’air de la Quintonine, qui donne bonne mine, ou celui des meubles Lévitan, garantis pour longtemps, sans oublier la brillantine du Docteur Roja. C’est la mode : ça fait briller les cheveux.

Un jour, rentrant de classe, Maman absente, je furète dans sa chambre quand j’aperçois un flacon de la fameuse brillantine.Et aussitôt de m’en asperger le cuir chevelu. Mais je constate que le niveau du flacon a baissé de quelques centimètres. Que faire ? Me vient l’idée saugrenue de compléter avec de l’eau. Las ! le mélange huile et eau ne se fait pas malgré d’énergiques secousses. J’ai droit à une paire de gifles le soir même quand Maman s’aperçoit du larcin.Car Maman a le “dévirsot” (gifle de revers) facile. Avec Papa, c’est la ceinture de cuir ou le manche à balai. Je me souviens d’une fois où je suis accroupi par terre, recevant force coups, avec l’injonction : “Vas-tu te taire où je te tue” et la réponse : “Non je ne me tairai pas”. Je me serai plutôt fait tuer que de céder.Maman est assez sévère avec nous. Il faut dire que les longues et fréquentes absences de Papa ne lui laissent guère le choix : ou l’ordre règne ou l’anarchie s’installe.

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Elle a coutume, lorsque l’un de nous s’est mal conduit, de l’envoyer coucher sans manger. “Ça t’apprendra à être obéissant. Tu mangeras mieux demain.”Cette sanction ne nous perturbe pas trop. Car nous savons que le repas familial terminé, grand-père, en cachette, beurre une ou deux tartines, les glisse dans sa grande poche de veste d’intérieur et, d’un air innocent, vient nous alimenter. Maman s’en aperçoit bien sûr, mais ne dit rien.

Je veux glisser ici un mot sur notre grand-père maternel, le père Tuloup. Veuf de bonne heure, il vit en permanence avec nous. Il est très gentil avec ses petits-enfants. De temps en temps, il nous emmène, l’un ou l’autre, le jeudi après-midi, à la “Transat” (Compagnie Fédérale Transatlantique) où, au terme de sa navigation, il exerce les fonctions de Chef Planton.Il a sous ses ordres quelques mousses qui servent d’agents de liaison entre les différents bureaux. A cette époque, le téléphone n’a pas le développement qu’il connaît aujourd’hui. Les ordres, les consignes se font par écrits confiés à des plantons.Plus tard, grand-père va quitter ce poste et aller guider les visiteurs du paquebot “Normandie”. C’est un homme très actif.Arrive la guerre. Grand-père qui, depuis un an, a quitté la maison suite à un différent avec Papa, se replie sur Erquy, sa commune natale.Et là, durant toute l’occupation allemande, on le voit, au bout du môle, dans un petit bureau, chargé de contrôler les mouvements et les prises de pêcheurs (restrictions obligent). Il se prend parfois le bec avec quelque mareyeuse au parler gras mais il ne s’en laisse pas conter et lui répond du tac au tac. Le grand âge venant, grand-père abandonne toute activité et se retire dans une maisonnette voisine de la demeure de sa fille aînée Cécile, ma tante et marraine.C’est là que de temps en temps, quand je suis en permission, je vais le voir. Et un jour j’apprends qu’il nous a quittés. C’était un bon grand-père.J’ai souvenir qu’à l’issue de quelque courte permission, quand je repartais par le petit train, vers les 7 heures du matin, je retrouvais grand-père à l’escale d’Erquy, venu m’embrasser malgré l’heure matinale et la grimpette pour atteindre la gare d’Erquy.Je suis depuis longtemps convaincu que les grands-parents sont utiles à l’éducation des enfants. Ils leur apportent un complément d’amour favorable à leur épanouissement.Restons encore avec grand-père pour narrer quelques faits divers.Tous les soirs il se fait un tilleul. Il “touille” les feuilles à bouillir avec le crochet du fourneau, dont Maman se sert pour nettoyer la grille. Réplique à toute objection : ce crochet qui passe régulièrement par le feu est très propre et exempt de tous microbes. C’est exact.En vacances avec nous à Plurien il s’évertue à nous distraire. Je me souviens de la fois où il m’a gréé toute la voilure d’un bateau jouet. Il coupe les voile et manie l’aiguille à coudre avec dextérité.

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Grand-père adore jouer aux cartes. Il se réunit parfois le dimanche après-midi avec Joseph Boishardy, une vieille connaissance de Plurien, navigant à la Transat et Joseph Besrest, alias “mistrau”, du Chalonge en Plurien également, et vieux marin. Maman fait la quatrième au jeu d’Aluette, ce jeu qui consiste à faire des signes discrets à son partenaire pour indiquer les cartes en sa possession.Joseph Boishardy se plaît à tricher pour mettre grand-père en “roupette (colère)” ce qui ne manque jamais de se produire.Le soir, après dîner, quand mes devoirs d’école sont terminés et mes leçons apprises, grand-père m’invite à faire une “bataille” avec lui. Puis vers 10 heures nous allons nous coucher. Nous partageons, grand-père, Célestin et moi, la même chambre, assez vaste.Un soir, il nous prend l’idée, à mon frère et moi, de faire peur à grand-père en simulant un cambriolage. Le bonhomme ronflant, nous voilà debout, “fourgottant” la serrure de l’armoire pour éveiller l’aïeul. Puis, nous nous penchons vers son oreiller et, simulant une voix grave, nous lui disons : “ Ton fric, et en vitesse. Sinon il va t’arriver malheur.”Dans notre idée grand-père, effrayé, va se fourrer sous les couvertures. Mais nous sommes déçus. Il se retourne, en grognant, sur sa couche. “Allez vous me foutre la paix, bande de petits cons.”L’attaque a lamentablement échoué.

Grand-père a un frère Paul, Capitaine au long cours et une sœur Marie, restée célibataire, retirée à Erquy après avoir été, toute sa vie, domestique à Paris. (Voir détails sur la famille Tuloup chapitre 8)De temps en temps nous allons l’été au marché d’Erquy le samedi matin. A plusieurs reprises il m’arrive de rester coucher chez ma tante Marie. Avec elle dans son lit, j’ai 6 ou 7 ans à l’époque. Lorsqu’elle estime que je prends trop de place sur sa couche elle me pince les fesses. Mais bien que d’aspect rébarbatif, c’est une brave femme.Quand elle décède vers les années 50, Cécile, la sœur de Maman, prend tous ses maigres biens : lit, armoire…sans nous en aviser alors que mes frère et sœurs et moi-même sommes, par Maman, parties de ses héritiers.Cécile est une femme de décision. C’est ainsi qu’à la mort de grand-père elle le fait inhumer à Erquy et y fait transférer, sans aviser personne de la famille, les restes de grand-mère, afin de n’avoir pas à se déplacer loin pour entretenir ses tombes.

Je n’ai pas connu le frère de grand-père, ni son épouse, disparus tôt. Ils ont eu trois filles, les cousines de Maman que nous fréquentions quand j’étais gamin. Trois jolies filles. L’aînée Paulette a épousé un gendarme nommé Desfossez. La seconde Renée et la troisième Thérèse ont épousé deux frères Coquelin. Le mari de Renée est peintre en bâtiment. Celui de Thérèse est tour à tour boucher, hôtelier puis chauffeur de taxi.

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J’ai gardé un excellent souvenir de ces trois cousines qui vivaient à Dinard et à saint v. Puis la guerre, mes activités Marine m’ont éloigné d’elles. J’ai appris avec tristesse la mort de Renée. Je sais qu’un de ses enfants, une fille, est mariée à un employé de Yves Rocher à la Gacilly. (Voir chapitre 8 : Généalogie Tuloup)Il y a quelques années je suis allé, seul, représenter la famille à l’enterrement du mari de Paulette. Un de ses enfants tient restaurant à Dinard. Après les obsèques Paulette m’a fait le doux reproche de ne jamais venir les voir. Effectivement la disparition de Maman et de sa sœur Cécile a, pour ainsi dire, coupé les ponts entre les descendants des frères Tuloup. On peut le regretter, mais ainsi vont les choses !

Un mot pour évoquer grand-mère Marie-Julie, la maman de Papa. Veuve, elle vit d’ordinaire à la Vieux Ville en Plurien, chez son fils Théodore.Mais il lui arrive de temps en temps de venir nous visiter au Havre. Ce qui nous enchante car elle est douce et gentille avec nous. Petite femme maigre, toute vêtue de noir, portant de gros verres correcteurs car elle est presque aveugle.Un de ses enfants, Eugène, a été tué durant le grande guerre et sa tombe a été pulvérisée par des obus si bien qu’on a jamais retrouvé rien de lui.Je me souviens de la remarque de grand-mère quand le tocsin, début septembre 1939, a annoncé la déclaration de guerre : “Est le trépas de maintiens (beaucoup) qui sonne là”. La pauvre femme pensait alors certainement à son fils disparu.

Au Havre il est fréquent qu’elle nous accompagne à l’école maternelle. Et nous sommes heureux de lui prendre la main tout en babillant avec elle.

Inspirés par ce qu’on nous enseignait en classe il est fréquent que Célestin ou moi-même nous nous livrons à ce que Maman appelle des “espériences”. Disons qu’elle n’aime guère cela.Un jour, ayant reçu consigne de faire bouillir le lait, à mon retour de classe, j’ai l’idée saugrenue d’en mesurer la température…avec le thermomètre médical familial.Le résultat ne se fait pas attendre. Éclatement du thermomètre. Voilà le mercure mélangé au lait. Là encore j’ai eu droit à une “taloche”.

Quand nous sommes en vacances à Plurien nous fréquentons un cousin germain de Papa : Jean Hervo cultivateur à Launay Congars en Hénansal. (Voir tome 8 : détails sur la parenté Hervo)Jean a acquis, durant la guerre, une voiture automobile. Il a passé son permis de conduire comme de bien entendu. On chuchote dans la famille qu’il y est allé avec un morceau de lard et une motte de beurre. J’ignore si cela est vrai mais je me souviens d’une confidence de Jean : “Je suis incapable de faire

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une marche arrière.” “ Mais alors comment fais-tu ?” “Je fais le tour du pâté de maisons !”Je passe un jour en me promenant voir sa femme. Elle est gentille et douce. “Comptes-tu faire ? ” “Un marin.” “Je n’aurais jamais voulu en épouser un.” “Pourquoi ?” “C’est tous des crassoux. Ils ont une femme dans chaque port.”Un jour, venue passer quelques jours au Havre, elle se fait réprimander par un sergent de ville qui la prie d’emprunter les passages cloutés. Elle lui rétorque : “Oh ! mais je n’avons point ella (cela) à Hénansal.”Son mari monte au grenier où je me retire d’habitude pour étudier dans le calme. Il me voit avec un livre de physique. “Tu fais de la physique”, s’exclame-t-il ! Pour beaucoup de gens de la campagne, la physique est une chose surnaturelle, pleine de mystères.

Mes relations avec Papa sont assez frigides. Il ne sourit guère et ne rit jamais. Il me fait un peu peur. A tel point qu’un jour, j’avais dans les 10-12 ans, j’ai failli me suicider. Voici pourquoi.De retour de voyage en Amérique Papa m’offre un beau stylo gravé à mon nom. Je le glisse dans ma poche et pars à l’École Primaire Supérieure où on m’a placé après mon Certificat d’Études.En rentrant de l’école avec nos copains, nous nous arrêtons en bordure du Quai du Commerce où des péniches sont venues livrer du sable pour les Travaux Publics.Et nous voilà à grimper sur les grands tas et nous faire glisser sur les fesses. Au moment de repartir : catastrophe. J’ai perdu le beau stylo. Et de fouiller, et de fouiller. Sans rien trouver.Je rentre tout contrit à la maison et avoue la perte. Colère de Papa. “Retourne le chercher. Inutile de revenir si tu ne le retrouves pas.”Et me voilà de nouveau sur les tas de sable. Cherche et cherche. La nuit tombe. Désespéré je regarde l’eau sombre du bassin et l’envie me prend d’y sauter. Trempé de sueur c’eut été l’immédiate congestion. Conclusion : il faut être ferme avec les enfants mais il y a une limite à ne pas franchir.

Au début de notre séjour à l’École de l’Observatoire, Papa décide de nous faire apprendre l’anglais. Ce en quoi il a parfaitement raison.Et le jeudi matin nous allons à l’école où le Directeur, Monsieur Salé, nous prodigue la connaissance de la langue de Shakespeare.Hélas nous ne sommes guère assidus et nous échangeons, Célestin et moi, des grimaces derrière le dos de ce brave homme.

Le Certificat d’Études Primaires obtenu, que vais-je faire ? Le père Salé, le Directeur de l’École, demande à Maman de venir le voir et lui conseille vivement de m’envoyer au Lycée, compte tenu de mes aptitudes.Refus de Maman qui cultive, disons-le, quelques complexes vis-à-vis des gens de la bourgeoisie. “Nous n’avons pas les moyens” est sa réponse alors que je

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bénéficie d’une bourse annuelle de 600 francs pour mon bon travail scolaire.Maman va commettre là une première erreur d’aiguillage, la deuxième se produira quelques années plus tard, à notre replis sur Paimpol. Ces deux erreurs ont totalement bouleversé ma vie. Prenant les options les plus basses, il me faudra cravacher dur pour m’en sortir. Mais n’anticipons pas.Donc direction l’École Primaire Supérieure de garçons, et non pas l’École Primaire de garçons supérieurs comme l’a baptisée un camarade de classe.Hélas on me trouve trop jeune pour entrer en première année. On me place dans un cours préparatoire où je végète un an durant sous la coupe d’un instituteur nommé Peau et quelque peu dérangé.Il s’amuse à passer verticalement sa main devant son visage. Main en bas, il est sérieux. Main en haut, il ricane. Ça amuse les élèves. Cet instituteur a un fils. Il n’a rien trouvé de mieux que de le prénommer Pierre. D’où les sarcasmes que doit endurer ce pauvre garçon.

Âgé de 10-12 ans j’ai un jour un grave accident de vélo. Un jeudi je quitte la maison et descend en bicyclette vers la voie ferrée Le Havre-Paris située en contrebas de la Route Nationale. J’aime à l’époque, et j’aime toujours voir passer les trains. C’est mon côté bovin.Dans la descente, je lâche mon guidon des deux mains. Quelques secondes plus tard, pour une raison inconnue : patage défectueux, caillou…la roue avant se met en travers et je fais un beau vol plané qui me fait atterrir, tête en avant sur le bord pavé du trottoir.Je perds aussitôt connaissance. Je reprends mes esprits quelques courts instants plus tard à l’instant où des gens me transportent à la maison. Puis c’est de nouveau l’oubli.Je me réveille, avec un fort mal de tête, couché à la maison, un médecin à mon chevet. Le lendemain je suis sur pied. Mais un examen radio n’eut pas été inutile. A l’époque on n’y pense pas. Seule une cicatrice porte trace de cette aventure.

J’avais entre 12 et 13 ans quand mes parents m’ont inscrit à la section nautique du “Havre Athlétique Club” pour apprendre à nager.Ce club possède une double structure faite de radeaux mouillés dans le Bassin du Commerce. Lequel est d’eau de mer bien sûr mais il ne communique avec le grand large que par d’autres bassins et quelques écluses. C’est dire que son eau ne se renouvelle guère. Par contre, elle doit petit à petit se polluer, ne serait-ce que par les eaux de ruissellement. Ça ne fait rien. A l’époque on n’est guère regardant et bien des gens fréquentent ce club nautique.Pendu à un cordage, une poulie et un contre-poids, j’effectue, une semaine durant, les mouvements propres à me maintenir sur l’eau.Puis un beau jour le moniteur me déclare : “Tu vas traverser le petit bassin en diagonale tout seul. Rappelle-toi bien les mouvements.” C’est parti. Tout se déroule correctement quand, tout à coup, à mi-course, je cesse de nager.

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Ça y est, je coule, je vois le ciel apparaître au-dessus de ma tête. J’en garde l’image jusqu’à ce jour. Le moniteur plonge et vient à mon secours. J’ai tout de même bu la tasse ce jour là. Tout a été pour le mieux par la suite. Mais l’eau de mer a un drôle de goût !

Lorsque je me rends à l’École Primaire Supérieure, je passe près des “marie-salope”. Ainsi nomme-t-on navires à cales ouvrantes qui, chaque jour, reçoivent les ordures de la ville et vont les jeter en mer. Il faut dire qu’il n’y a pas, à l’époque, tous ces emballages plastiques qu’on trouve aujourd’hui dans nos poubelles. Avant la guerre, tout était de carton ou de papier, donc biodégradable.

Au Havre, le tramway constitue le principal moyen de transport en commun. La ville est sillonnée par tout un réseau sur lequel circulent des motrices attelées d’une remorque.Nous prenons souvent ce moyen de transport. Quand nous allons voir notre cousin Robert il nous faut prendre un premier tramway qui passe devant la maison (le dépôt de ces engins jouxte notre gîte). Nous descendons devant la gare pour en prendre un autre (numéro 3 je m’en souviens). Il nous conduit au quartier de l’Eure.Nous aimons, Célestin et moi, quand nous empruntons ces véhicules brimbalant, nous tenir à côté du conducteur qu’on appelle un “Wattman”. Qui dit Watt dit puissance, donc c’est l’homme qui mène l’engin à l’aide d’un rhéostat, grande poignée à laquelle il imprime des mouvements autour d’un axe vertical. A sa portée : un frein et un système qui déclenche une trappe pour éviter d’écraser quelque personne, quelque animal ou quelque objet tombé sur la voie. A portée de main : une clochette qu’il actionne quand il y a nécessité.En sus du conducteur deux employés sont préposés au paiement des places : un dans la remorque, l’autre dans la voiture de traction.Ce dernier a un autre rôle : quand le tramway arrive à un aiguillage il descend avec un outil spécial, sorte de tige en fer, qui sert à mettre les aiguilles dans la bonne position.Cela fait, il lui faut ensuite s’occuper du trolley : petite roulette qui court sur le fil aérien d’alimentation. Il doit placer la roulette sur le fil suivant la nouvelle voie.Hormis ces arrêts aux aiguillages il arrive que la roulette saute et se sépare du fil d’alimentation non sans faire quelques étincelles. C’est à l’employé aux tickets de la remettre en place.Enfants, nous sommes en admiration devant le rôle du Wattman et nous avons, à la maison, un jeu qui l’imite.Campés devant une fenêtre ouverte nous tenons en main le crochet qui sert, le soir, à la fermeture des abat-vent. Le crochet, pivotant autour de son axe figure pour nous la commande de vitesse du tramway.

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Et on démarre doucement en imitant le bruit de la machine : gnian, gnian, gnian… On accélère, on franchit un aiguillage en clamant : “Cadan, cadan, ran, ran. Les Amiot sont dedans.”

A l’époque de mon enfance, il n’est absolument pas question de revenir en vacances à Plurien, à Noël et à Pâques. Les transports sont trop lents et trop onéreux. Aussi est-ce avec un certain déchirement que nous quittons le Bas Créhen la veille du 1er octobre. (les congés d’été scolaires s’étalent invariablement du 14 juillet au 1er octobre.)Au Havre nos parents fréquentent surtout des gens issus du terroir breton telles les familles Hourdin, Besrest, Balan, Brouté, Briend….et quelques célibataires : Joseph Boishardy, Louis Charles Couté… C’est le regroupement typique des exilés.Tous les dimanches après-midi, l’ordre tombe : “Les gars, allez vous habiller, on sort”. La pire des promenades consiste à suivre les rues commerçantes du Havre où se pratique la lèche des vitrines.Souvent aussi nous allons en promenade du côté du port et de ses environs en direction de la Basse Seine. Cela nous convient mieux car nous pouvons nous ébattre dans la nature.Il y a parfois le dimanche soir une incursion dans le quartier de Saint François où un gars de Plurien, Buchon, tient un bistrot. En ce lieu : un billard à trous et nous y jouons souvent. Un jour la bonne allume le fourneau sans se douter que le chat de la maison somnole dans le four. Peu de temps après la bonne perçoit un léger bruit. Un chat tout roussi sort du four et va mourir dans le caniveau voisin.Presque tous les dimanches les sorties se font en compagnie de grand-père et de ses deux filles : Maman et Cécile. Quand arrive la fin de l’année c’est le rituel : si Noël nous réuni chez Cécile, dans le quartier de l’Eure, Boulevard Amiral Mouchez, alors le jour de l’an se fête chez nous. Ou vice-versa.

Parmi les fréquentations des parents je citerai “la tante de Morlaix” et sa fille Pauline. Cette tante, effectivement originaire du Finistère, a épousé un cousin Briend de Papa. Il a dû décéder tôt car je n’ai aucune souvenance de lui.De temps à autre nous allons leur rendre visite dans un petit logement situé près du square Saint Roch. Une bise à ces dames en arrivant et nous ressortons aussitôt jouer dans le square au lieu de nous ennuyer à écouter les papotages.Quand arrive l’heure de rentrer, il est fréquent que notre visage soit sali par la sueur et la poussière. “Tu ne vas tout de même pas prendre le tramway dans cet état. Viens ici que je te nettoie.” Et Maman d’attraper son mouchoir dans son sac, de cracher dessus pour l’humidifier et nous frotter avec. Nous n’apprécions pas du tout cette façon de faire mais que dire quand on a 10 ans ?

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La fille de la tante de Morlaix, Pauline, est une jolie femme. Dactylo ou secrétaire de son état. Elle caresse le désir d’épouser Jean Lemercier, le fils du maire de Plurien. Mais la future belle-famille dresse deux objections : Pauline est pauvre, son amoureux est très aisé. On ne mélange pas les torchons avec les serviettes. Deuxième objection : on prétend que Pauline est quelque peu poitrinaire, entendez par là tuberculeuse, ce qui n’a rien d’évident.La tuberculose est alors un mal très répandu. Tous les ans les écoliers reçoivent un carnet de timbres antituberculeux qu’ils ont charge de vendre au bénéfice des sanatoriums.Donc le mariage ne s’est pas fait. Au grand dommage du futur qui a sombré dans l’alcoolisme.

La tâche de Maman pour entretenir sa maison et toute sa petite famille composée de 3 puis 4 enfants, plus son père, le tout sans aide extérieure, et sans toutes les machines modernes, est importante.Aussi nous sommes souvent mis à contribution. Deux fois par semaine Maman se rend au marché du Rond Point distant de près de 2 kilomètres. Chargée de nombreux colis, elle s’arrête au retour près de notre école de l’Observatoire et attend patiemment la sortie des classes. Et nous voilà Célestin et moi transformés en mulets.A tour de rôle nous sommes requis pour essuyer la vaisselle. Pour limiter la tâche Maman a conservé la méthode de nos ancêtres : une seule assiette par personne où se succèdent le potage et sa suite. Un conseil de Maman avant de distribuer le dessert : “Essuyez bien vos assiettes et retourner-les.” Et voilà un emplacement impeccable pour le fromage, les fruits ou la confiture.Les jeudis et dimanches matins nous sommes priés de concourir à l’entretien de la maison : essuyer la poussière (je ne brille guère dans cette activité), passer un coup de brosse sur les parquets…

Tous les lundis matins Maman descend à la buanderie, ou à la rivière du Bas-Créhen l’été, et s’attaque à la corvée de la lessive. Les machines à laver n’existent pas. Et frotte, et frotte…Pour limiter la quantité des lourds draps à laver Maman use d’un stratagème. Chaque lundi elle met, dans chaque lit, le drap de dessous à la lessive. Le drap de dessus le remplace, étant lui-même remplacé par un drap propre. Ce qui fait que nous ne sommes jamais dans un lit impeccable. L’épaisseur, le poids, les dimensions des draps expliquent cette économie de l’effort.Je ne veux pas quitter ce chapitre sur mon enfance sans évoquer nos séjours estivaux au Bas-Créhen.Nous y avons deux copains : Alfred et Arthur Balan, fils cadets du sabotier voisin, Joseph Balan. Le matin, à peine terminés nos devoirs de vacances imposés par Maman, nous courrons vers les copains, le plus souvent en train de garder leurs deux vaches dans une prairie des environs.

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Cette prairie est bordée d’un ruisseau dans lequel nous ne cessons de patauger. De grands châtaigniers bordent ce cours d’eau. Et de jolis petits écureuils, que les habitants appellent “chats d’écureuils”, fréquentent ce lieu.Dans le champ il y a quelques pommiers. Une de nos distractions consiste à couper une pomme en deux, la creuser et la bourrer de boue de vache avant de la refermer et de la placer devant une des vaches qui s’empresse de l’engouler et qui fait ensuite la grimace.Parfois les relations entre Célestin, les Balan et moi tournent au vinaigre.

Un matin je me souviens d’une réflexion de mon frère : “Ta gueule me reviens pas aujourd’hui.” De telles remarques se concluent souvent par un échange de coups de poings.Avec les Balan on en arrive parfois aux invectives : “Baluchon sur un bouchonBaluchette sur une fourchette.”Et de nous asséner des surnoms : “Thurau” (pour Arthur), “Fredau” (pour Alfred), “Célestinau bandit” (pour Célestin). Quant à moi, j’ai droit au qualificatif de “Pierre la margate” (os de seiche). On m’appelle aussi “le gros” car j’ai une large tête.Ce procédé est dit “s’appeler en nom” mais cette action verbale se termine parfois, là aussi, par un échange de coups de pieds et de poings.Un dimanche d’Août Arthur part tout seul se baigner aux Sables d’Or. Pas d’Arthur le soir. Le père Balan inquiet vient à la maison : “J’ai ouïe les corbins (corbeaux) ce matin. Ella est mauvais signe.”Effectivement le lendemain matin un estivant se promenant sur la plage trouve le cadavre d’Arthur dont on pense qu’il a succombé à une congestion. Le corps est déposé dans un local d’une entreprise voisine. Décédé sur Pléhérel, Arthur doit être transporté sur Plurien. Des formalités sont à accomplir. On me charge d’aller aviser du décès le Maire de Pléhérel : Charles Gautier, qui habite à Carrien. Et c’est ainsi que, pour la première fois de ma vie, je mets les pieds dans cette maison où je vais, plus tard, entrer en gendre.

J’ai rencontré récemment Alfred Balan et autour d’un petit verre de vin blanc excellent nous avons évoqué bien des souvenirs du passé.Un jour d’été il nous prend idée à Célestin, Alfred et moi-même de nous baigner dans la rivière du Bas-Créhen. Pas de maillot. Nous y allons tout nus. Maman nous cherchant nous découvre à patauger. Elle s’empare de nos vêtements, cueille quelques orties et nous invite, sous menace, de rentrer immédiatement tout nus à la maison.L’affaire se corse. Dans le voisinage il y a une charmante et jeune voisine : Marie Méheust, de la ferme voisine de la forge. Elle assiste au spectacle, à son corps défendant. Nous filons au galop sans demander notre reste. (1)Autre distraction : nous nous plantons sur le talus qui domine la rivière et son douet près du four à pain aujourd’hui disparu et nous faisons un concours : celui qui urinera le plus loin.

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Maman, tous les matins, nous fait l’école en s’aidant des cahiers de l’année écoulée. Elle ne veut pas que nous perdions pied à la rentrée d’Octobre. On a droit à des opérations, des problèmes, des rédactions et des dictées.Ces dernières sont assez drôles car Maman insiste pour éviter que nous fassions des fautes. Ainsi la simple phrase : “Il faut aller aux courses.” se traduit dans la bouche de Maman par “Il fauttt allerrr auxxx coursesss.”Elle invite Alfred à venir à cette école du matin. Il refuse. Plus tard il m’a avoué qu’il a eu tort, que cela lui aurait bien servi dans sa vie professionnelle : il est entrepreneur en maçonnerie.

(1) Depuis la rédaction de ces mémoires, j’ai eu l’occasion de parler de cette baignade avec mon frère Célestin. Dans la rivière, nous pataugions dans la vase. L’eau s’en trouve troublée et arrive ainsi au «Doué» situé en aval. Colère des Lavandières. Maman présente sur les lieux se doute d’où vient le trouble de cette eau et part à notre recherche.

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QUELQUES PHOTOS

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Grand-père Tuloup avec ses deux jeunes filles :Cécile, l’aînée, à droiteMaria, ma mère, à gauche

Papa et Maman à l’époque de leur mariage

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Ma première photo en compagnie de mon frère aîné Célestin

Au Havre, Route Nationale Grand Père entouré de ses deux filles :

Cécile à droiteMaria, ma mère à gaucheDevant Maman : Célestin

Devant Grand Père : Madeleine et notre cousin Robert

Devant Cécile ma marraine : moi même la casquette bien enfoncée.

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Route Nationale :De droite à gauche :Célestin, Madeleine, Pierre

Quand j’étais tout jeune écolier

De gauche à droite :Pierre, Madeleine, Célestin

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Pierre, Madeleine, Thérèse, Célestin

Mon grand père maternelPierre Tuloup

Grand Père

Quand j’étais tout gosse je me glissais dans ton lit le Dimanche matin. Tu me prenais dans tes bras et me contais des histoires. Un jour tu m’as appris à lire l’heure sur ta montre à gousset.Et tu m’as dit : «Elle sera pour toi quand je serais mort.»

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Ma grand mère paternelleMarie-Julie Briend

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Le jour de notre première communion, Célestin et moi.On nous a envoyé chez le coiffeur faire de frisettes.

Madeleine, Thérèse

1933

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Le jour de la communion de Madeleine

Vers 1937

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Jean Hervofils

Marguerite

Chez Jean Hervo

1954

Jean Hervopère

Son épouseSuzanne H MichelFils de

Madeleine

Les trois filles de Célestin

Papa Maman

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De droite à gauche : le parrain de Madeleine (originaire de Dunkerque), Papa, Maman, Tante Renée Bronard et son mari René, Épouse Henri Hourdin, Henri Hourdin, Petit Louis Hourdin, Robert, Pierre, Célestin, l’épouse de Louis Conté, Louis Conté cousin de Maman, X..., Grand père

Tuloup, Madeleine, Thérèse, Cécile, Louis Dagorne

De droite à gauche et de haut en bas : Célestin, Pierre, Robert, Madeleine, la tante de Morlaix, Cécile, Grand père, Maman, Papa, Pauline

En promenade aux environs du Havre

Promenade sur les quais du Havre

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La famille Lemercier

De gauche à droite et de haut en bas : Jean (celui qu’on a pas voulu

marier à Pauline Briend), Maria, Mme Lemercier, Annie, Jean

Sortie dominicale au bourg de Plurien. Devant le café Gonédard

De droite à gauche : Célestin, la tante de Morlaix, Pierre, Pauline, Aimé Briend, Maman, la femme

d’Aimé, Madeleine, Papa, Thérèse

Vers 1932

En promenade dans la baie de la Fresnaye

De droite à gauche : Maman, Madeleine, Pierre, Robert, Thérèse,

Célestin, Louis Dagorne, mari de Cécile, Cécile, une nièce de Cécile

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2_ L’ADOLESCENCE

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Nous quittons la Route Nationale au moment où j’attaque le collège. C’est avec regret car l’appartement sis au 89 cours de la République, 4ème étage, n’a rien de comparable avec la maison et les jardins que nous venons de quitter.Un avantage toutefois : le nouveau domicile nous rapproche de l’école. Je m’y rends à pieds, 25 minutes, avec deux copains : Lecomte, dit Patoche, et le Mélinaire, issu du Pays de Morlaix. Départ de la maison à 7h30 le matin. Je n’attends jamais Célestin qui est toujours à la traîne.Les grilles de l’école ouvrent à 08 heures et, juste au moment de leur fermeture on voit surgir Célestin tout en sueur. C’est la même scène l’après-midi.J’ai un autre camarade nommé Lévy. Celui-là est assez moqueur. Son plaisir est de dépasser quelque dame d’âge mûr, au visage enduit de différentes crèmes et peintures puis de se retourner vers nous en criant ostensiblement : “Dites donc les gars, il n’est pas interdit de repeindre les vieilles devantures.” Cette ironie est inconvenante.J’ignore ce qu’est devenu Lévy mais étant donnée son origine Juive il a peut être fini sa vie, le malheureux, dans un des fours crématoires d’Hitler.L’école Primaire Supérieure est dirigée par un brave homme tout barbu : Monsieur Stouff. Une chanson est fredonnée :

Le BarbulaOn m’appelaPuis vint PeloEt enfin, oh !

Que je m’esbroufeCe fut le Stouff

Quand, le soir, nous rentrons de l’école je me mets aussitôt à faire mes

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devoirs. Célestin, lui, lit “Le Populaire”. A cette époque Papa est socialisant. Plus tard il devient un adepte de la droite.Vers 22 heures, tout terminé, rangé, je me mets au lit. Célestin, frisant ses cheveux, reste à la table de travail et se couche toujours tard.Nous avons une grande table pour travailler. Pour éviter les disputes nous l’avons partagée en deux parties égales par une ligne blanche. Il arrive que, de temps en temps, l’un de nous deux franchisse délibérément cette frontière. D’où algarade et, comme nous sommes fatigués et énervés, ça dégénère parfois en pugilat.Alors on voit surgir dans la chambre Papa avec une ceinture de cuir, ou Maman avec son balai et, en tapant dans le tas, la paix est vite rétablie.Au fur et à mesure que nous prenons de l’âge, Maman veille jalousement sur nous, son capital qui, dans quelques années, devrait lui rapporter intérêts. Pas question de flirter. Je ne puis m’empêcher de rapporter l’aventure survenue à Célestin.La famille fréquente les Brouté, originaires d’Erquy et de Dinard. Deux filles : Madeleine et Annick ma “Niquette” comme disait sa mère. Elles ont à peu près nos âges. On les voit régulièrement.Un jour, Maman rangeant nos affaires et ne se privant pas de faire nos poches, trouve un petit papier dans un des pantalons de Célestin. “Célestin je t’aime. Annick”.La foudre tombant aux pieds de Maman n’aurait pas causé plus de bruit. Le pauvre Célestin doit subir les reproches, les sarcasmes de Papa et Maman.A la suite de cette découverte il y a un certain relâchement dans les relations avec la famille Brouté. Vous vous rendez compte : une fille d’homme de peine, de matelot ! Pour qui nous prend-t-on ?Les Brouté habitent le vieux quartier Saint François. Pour les atteindre il faut passer sous un porche et on arrive dans un décor digne des “Mystères de Paris” : cours pavée où stationnent charrettes à bras, brouettes... Des latrines, communes à tous les habitants de l’endroit, en garnissent un côté. Les fenêtres des logements donnent sur cette cour d’un siècle précédent. Chez les Brouté la lampe électrique 25 Watts, à filament de carbone, brûle toute la journée.Parlons un peu de mes prouesses vélocipédiques. Nous habitons, Cours de la République, au-dessus d’un marchand de cycles : Monsieur Lefebvre. Nos parents décident de nous acheter un vélo à Célestin et à moi. Monsieur Lefebvre flatte sa marchandise : “C’est épatant, vous verrez Monsieur Amiot, c’est épatant !”Il a aussi deux filles. Mais pas touche. Maman Amiot veille au grain.

Le Jeudi et le Dimanche nous partons pédaler dans la campagne environnante. Un jour nous vient l’idée de faire Le Havre-Rouen aller et retour. Avec un copain nous voilà partis. Aller le long de la Seine. Mais nous avons présumé

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de nos forces. Au bout de 50 Km le copain renonce et fait demi-tour. Nous continuons et atteignons les faubourgs de Rouen vers deux trois heures de l’après-midi.Pas question d’aller plus loin. Retour par la nationale et Bolbec. La fatigue se fait de plus en plus sentir. La journée s’avance. Et voilà la pluie !Arrivés à Bolbec nous renonçons à notre tour. Direction la gare. Retour peu glorieux en autorail et sévère remontrance à l’arrivée.Une autre aventure a été beaucoup moins drôle et beaucoup plus coûteuse. La veille de rallier Plurien, début Juillet, Maman nous a habillé de neuf : pull-over tricoté, pantalon de golf (c’est la mode), socquettes neuves, chaussures cyclistes neuves.Ainsi équipé je pars en vélo faire un petit tour vers le port. A un moment je vois des ouvriers occupés à goudronner une rue. Idée saugrenue : je vais passer dans le goudron pour en imbiber mes pneus, ainsi ils s’useront moins vite. Et je m’engage sur la surface goudronnée. Ce ne fut pas long. Quelques secondes après, ayant glissé sur cette surface lisse, je m’allonge dans le goudron. Et je suis joli : les cheveux, le visage, les vêtements, les chaussures, le vélo, tout est enduit de goudron.Les ouvriers du chantier viennent à mon secours, m’essuyant à qui mieux mieux. Après remerciements je rentre à la maison. Maman est absente. J’entreprends aussitôt une toilette corporelle. Mon cousin Robert s’étant présenté me donne un coup de main. Mais je reste sale et les cheveux d’un noir ébène.Vous devinez ce que fut l’arrivée de la mère. Mais ce ne fut rien à côté de ce que je subis. “Déshabille toi, je vais te laver.” Et me voilà tout nu, 14 ans, aux mains d’une experte laveuse qui me fait récupérer tout mon teint.Quant aux vêtements ils sont perdus et il faut, dès le lendemain, avant de prendre le train, aller chez Devredon Sigrand en acheter d’autres. Le montant financier de cette aventure a été plus tard, à son retour de voyage, rapporté au Père qui m’a abreuvé de mille épithètes.

Le petit train des Côtes de Nord

Locomotive Corpet Louvet

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Le départ en vacances est une véritable expédition. Il n’y a pas les liaisons rapides d’aujourd’hui.J’ai souvenance d’un départ du Havre vers les 8 ou 9 heures du soir. Chacun a en charge un paquet. Arrêt à Rouen. Nuit dans la salle d’attente dont les banquettes sont en bois. Au petit matin grimpette dans un omnibus qui nous dépose à Serquigny.De là, par un autre train on gagne Caen. Changement. Direction Lison et enfin Lamballe que nous atteignons vers les 5 heures du soir. A temps pour sauter dans le petit train et, vers les 7 heures, c’est l’arrivée tant désirée à la gare de Sables d’Or où nous attend, avec sa voiture à cheval notre oncle Théodore Amiot.Et nous arrivons enfin au Bas-Créhen. Nous sommes si heureux d’y être, si turbulents et surtout si bruyants que Louis Plouas nous entend de sa ferme des Boissières distante d’environ 1 kilomètre à vol d’oiseau.Autre variante de parcours : via le bateau pour Honfleur tôt le matin. L’arrivée dans ce port se fait le long d’un quai en bois, juché sur poteaux couverts de moules, bernics et autres coquillages. Escalade de marches mouillées très glissantes puis direction la gare pour rejoindre le parcours ci-dessus évoqué. Cet itinéraire a l’avantage de nous épargner une nuit blanche.Dès le lendemain de notre arrivée nous sommes en culottes courtes et en sandales de caoutchouc (le plastique n’existe pas) à patauger dans la rivière.Mais tous les matins Maman nous contraint à faire quelques devoirs de classe. Elle y tient car elle veut voir ses gosses réussir ! J’ai déjà évoqué ce problème.Nous allons chaque jour visiter nos voisins Balan. Lui, Joseph, est sabotier et il aime raconter ses histoires de régiment et surtout de braconnage. Il se flatte d’avoir donné régulièrement de la viande à manger à ses neuf enfants (lièvre, lapin, perdrix...)Parmi ses souvenirs militaires je retiens son déplacement à Cherbourg où son unité est allée présenter les armes au Tsar de toutes les Russies en visite officielle.J’ai beaucoup puisé dans le souvenir de ces histoires pour écrire mon livre “Marie-Josèphe, Paysanne en Haute Bretagne”.

La femme de Joseph Balan que tout le monde appelle “La Bidonne”, c’est la coutume, se nomme Mathilde Bidon. Elle ne sait ni lire, ni écrire, mais elle sait compter ses sous. Elle n’en a d’ailleurs guère. La pile de draps de sa presse (armoire) sert de porte-monnaie.Je suis allé quelquefois le soir, après la tombée de la nuit, avec le père Balan, cueillir dans un vieux chêne, quelque essaim de mouches à miel. Ainsi appelle-t-il les abeilles.Il a, dans son jardin, quelques ruches faites d’osier et de bouse de vache. Quand un essaim a des velléités de partir le père Balan s’arme d’un marteau et d’un harpon sur lequel il frappe. Le bruit aigu qui en résulte a le don de stopper l’émigration des mouches à miel.

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Le père Balan, comme tous les gens du terroir fait son cidre lui-même et je vais souvent l’aider à piler et à faire la motte.Pour étancher la cuve du pressoir il utilise la bouse de vache, sur laquelle coule le jus de pommes. Je m’étonne de cette méthode et de son éventuelle nocivité pour la qualité du cidre. Réponse : “Nonfé (non) toute là va bouëte (va bouillir).”A peine sortis de l’enfance nos parents jugent bons de nous occuper utilement. C’est ainsi qu’adolescent je passe une grande partie de mes vacances chez mon oncle Théodore Amiot. Il a un valet de mon âge, Tugdual Carcaillet, avec qui je copine.Quand arrive la moisson il faut travailler dur à suivre la faucheuse : faire un “liant” (lien) et confectionner une gerbe de blé, d’orge ou d’avoine. Il y a souvent des chardons qui mettent les mains à mal. Avec les gerbes ont fait des tourelles et ce n’est qu’à la nuit tombée que je regagne la maison familiale. Un petit lavage : figure, pieds et mains dans une cuvette (il n’y a pas d’eau courante au Bas-Créhen) et aussitôt au lit. Le sommeil vient vite. Heureusement car il faut remettre ça le lendemain.Et ce jusqu’à la “batterie” où je suis, dans un premier temps préposé au lancement des gerbes vers l’engreneur.Puis, plus tard, ayant pris des forces, je suis affecté au transport du grain (50 kilogramme le sac) à monter dans le grenier de la maison. Il m’est arrivé aussi de porter la paille : lourde fourchée prise au cul de la secoueuse et à monter sur la derne ou maie de paille. Mais à ces exercices je deviens costaud. Une fois je suis blessé par une des femmes chargées de réceptionner la paille sortant de la secoueuse. Un trou dans la paume de la main ce qui m’oblige à voir un médecin et qui met fin à ma saison de battages.Il faut dire que l’entraide existe entre les petits exploitants. Théodore par exemple unit ses efforts avec les fermes des Boissières (Plouas) et de la Vallée Noire (Gouranton). C’est ainsi qu’il m’est arrivé d’œuvrer dans ces deux dernières exploitations tant pour la moisson que pour les battages.Ma satisfaction à la ferme est de me promener en charrette quand nous allons vers quelque champ, ou mieux à cheval quand il y a un attelage en flèche.Le soir j’aide à dételer, à soigner les chevaux et les mener aux champs où ils passent la nuit, empiquetés. Ce qui me vaut un jour de planter une belle culbute, ma monture au galop s’étant engagée, malgré moi, sous un pommier. Je suis vite précipité à terre par une basse branche. Nous montons à cul nu et sans étrier évidemment.Si nous parlions un peu de mes études à l’École Primaire Supérieure du Havre ? Là aussi, comme à l’école primaire j’ai quelques problèmes avec certains enseignants.Pour le français nous sommes instruits par un Monsieur Grout. Genre universitaire, maigre, sec, le nez chaussé de fines lunettes.Un jour, écoutant ses explications je lève deux fois la main pour solliciter des détails. Pour mon malheur la deuxième fois je lui dis : “Monsieur, vous vous

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êtes encore trompé.” “Monsieur Amiot, le “encore” est de trop. Veuillez, s’il vous plaît, quitter la classe.”Et me voilà au piquet dehors. Par malheur surgit le Directeur, Monsieur Stouff, petit homme à l’abondante barbe grisonnante qui me demande ce que je fais là. Explications. J’ai droit à un savon.Nous avons un professeur de physique qui parle en crachotant. Il répète souvent : “Ze veux z’entendre le zilence complet.”J’ai souvenance qu’un jour, voulant, quelques camarades et moi, nous venger d’une colle d’un Jeudi après-midi, nous aspergeons le dos de sa blouse grise avec nos plumes trempées dans les encriers.

Quelques formules mnémoniques

Il était courant, à l’époque, d’user des formules mnémoniques, propres à garder mémoire. En voici quelques unes :

Grammaire : conjonctions : Mais où est donc Ornicar ?

Géographie : Ah ! race d’avocats. Pour vous pas de cas laids !

Géométrie : Le carré de l’hypoténuse Est égal si je ne m’abuse

A la somme des carrés Des deux autres côtés

Le volume de la sphèreEst toujours, je l’espère Quatre tiers Pi R 3

Qu’elle soit en fer ou en bois

Le nombre Pi : Que j’aime à faire connaître Un nombre utile aux sages

Illustre Archimède Artiste IngénieurQui, de ton savoir-faire Prouva la valeur

Pour moi ce nombreEst un utile témoignage

(il suffit de compter le nombre de lettres de chaque mot : 3,1415926535...)

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Une autre fois l’un de nous se procure un hanneton. Subrepticement il le pose dans le dos du prof occupé à expliquer quelque chose à un élève.Et toute la classe de suivre attentivement la progression du coléoptère vers l’épaule. Le prof se réjouit de ce silence et de l’attention portée à sa personne, pensant que son exposé en est cause.Arrivé sur l’épaule le hanneton s’engage vers l’avant et chute d’un bloc dans le paquet de cigarettes placé dans une poche. Nous ignorons ce qu’il est advenu de la pauvre bête.Le professeur le plus curieux est surnommé “Séco” (de Sécotine, la bonne colle). Un jour un nouveau, croyant que c’est là son patronyme l’appelle par son surnom. Les épithètes de fuser : “petit crétin, tu vas voir ce qu’il va t’en coûter” etc...etc... Il crie volontiers.Un jour je l’interpelle sur je ne sais quel sujet. Le voilà en colère. Il dévale de son bureau dans l’intention de me tirer les oreilles. J’appareille aussitôt et voilà une course poursuite qui s’engage autour de la classe, à la grande hilarité des élèves.Après deux tours je décide de prendre la tangente et quitte la classe.Pas de chance ! Voilà le père Stouff qui sort de son bureau. Nouvelle algarade. “Dites à votre père de passer me voir.” “oui, Monsieur.” Je sais Papa du côté de San Francisco et je ne risque donc rien pour le moment. L’incident est vite oublié.Nous avons, pour nous enseigner l’Anglais une dame revêche, mère de famille, habitant la ville voisine de Montivilliers : Madame Lallemand.En début d’année scolaire elle inspecte les cahiers de l’an passé. Elle se dit effrayée des gribouillis, des taches, des ratures du mien. “Quel était votre classement en anglais ?” “Premier Madame.” “Cela m’étonnerait que ça se renouvelle.”Je suis piqué au vif par cette remarque et, à la première composition, je m’efforce d’être à la hauteur. Et j’obtiens la meilleure note.Il est un autre professeur avec lequel j’ai des démêlés : un nommé Joly qui prétend nous enseigner la musique. On le voit une fois la semaine débarquer en classe avec sa boite à musique, sorte de mini piano portatif.Il nous fait chanter des airs naïfs :

Je lui ai dit de mettre la table Mais il apporte un baquet

Ah riez de ce pauvre hommeQui me fait tout de travers

Je n’ai jamais aimé le solfège et la musique. Sur mes vieux jours, mes oreilles ayant été détruites par le bruit strident des réacteurs de l’aéronavale, la musique est devenue pour moi un bruit. Je n’assiste jamais à un concert. Ce qui ne m’empêche pas de fredonner des airs d’autrefois, tels ceux de Tino Rossi, que mon grand-père appelait Tino Rosky.

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Mais revenons à ce cher professeur des années 30. Chantant faux j’ai des reproches. Et des zéros sur mon bulletin de notes. Il m’a même un jour déclaré : “Monsieur Amiot vous êtes aussi bête que votre sœur.” Il voulait ainsi parler de Madeleine qui le subissait périodiquement dans sa classe.Malgré tous ces petits avatars je chemine doucement vers le Brevet Elémentaire où je suis reçu sans problème. Quelques jours après c’est le départ du Havre vers les congés bretons. Nous sommes en Juillet 1939. Deux mois après tout bascule. La guerre est déclarée.Profitons de ce retour au Bas-Créhen pour relater une affaire qui, durant la guerre, a défrayé la chronique locale, à la grande satisfaction des bavardes du coin.Le père Balan a une nombreuse famille dont un fils Francis qui navigue au commerce où ses compétences l’ont vite propulsé aux fonctions de maître d’équipage (bosco).Francis, avant la guerre, épouse une petite femme originaire d’Hénon, dans le sud de Lamballe. De santé fragile elle ne tarde pas à trépasser.Survient la guerre et un beau jour on voit arriver au Bas-Créhen une minette qui se dit l’épouse très officielle de Francis que celui-ci a jugé utile de mettre au vert chez ses parents.Tout va bien au début. Cette jeune femme a l’air déluré et n’est pas du tout farouche. Puis sa conduite laisse à désirer. Un beau jour la voilà partie à Lamballe. Petit à petit la vérité se fait jour. Francis l’a extraite d’une maison de tolérance et l’a effectivement épousée.Voilà qui ne plaît pas au père Balan de voir sa bru en dévergondage. Il prend sa canne et s’en va à pied à Lamballe la récupérer et la fait revenir de force à Plurien.Selon le père Balan, qui s’est rendu à la gendarmerie de Pléneuf déposer une plainte pour l’escapade de sa belle fille, le brigadier de l’endroit aurait profité de l’aubaine pour user de le belle toujours consentante. Que voulez-vous ? La chair est faible.Mais ce n’est que peine perdue. La nature reprend le dessus et Francis doit plus tard se résoudre à divorcer. Il épouse une troisième femme.Cette affaire fait les délices des commères locales. Quant à Maman, elle veille attentivement sur ses deux garçons, craignant peut-être les voir “déniaisés” par l’épouse de Francis, Thérèse Morlet à l’État Civil.Un jour je reçois la visite d’un garçon habitant Ploufragan qui se nomme Jean-Christophe Balan. Il a fait des recherches généalogiques qui lui ont appris qu’il était le petit-fils de Francis et de Thérèse Morlet (tout au moins aux yeux de la loi).Par lui j’apprends, preuves en mains, que le père Balan, notre voisin sabotier, est le cousin né de germain de Papa. Notre ancêtre commun, Louis Amiot, le Corsaire, a eu une fille Jeanne mariée à Louis Rabardel. D’où une fille, Jeanne également, épouse de Joseph Balan. Et c’est de cette union qu’est né notre voisin du Bas-Créhen.

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Personne n’en a jamais parlé à la maison. Ma cousine Denise, fille de Théodore, elle, le savait. Pourquoi ce silence familial. Peut-être, là aussi, n’a-t-on pas voulu mélanger les torchons et les serviettes. Ridicule !Pour en terminer avec nos “cousins” Balan je rapporte une partie d’une chansonnette astucieusement rédigée par ma sœur Madeleine :

J’ai acheté une vacheUne vache de 6.000 francs

Je l’ai emmener paître Auprès du père Balan

Elle a du sentiment la vache Elle a du sentiment

Elle releva sa robePour s’asseoir sur un banc

Et dit au tribunalQuel vieux salaud de Balan

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QUELQUES PHOTOS

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Le père Joseph Balan, sabotier et fabricant de Vieilles.Sa femme Mathilde Bidon, Maman

Deux petites filles de J. Balan : Francine et Ivonne Méhonnas

Ma sœur Madeleine portant la Vieille

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Au Bas-Créhen

avant la guerre 39/45

avec Louis Berest et Maria Briend

Maman et ses 4 gosses

Avec Madeleine

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Avec René Esnault

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Célestin

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3_ À l’école de navigation de Paimpol(Octobre 1939 - Juillet 1941)

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Nous voilà donc, en début Septembre 1939, en situation d’attente à Plurien. Papa est immobilisé sur son bateau, le paquebot “Normandie” à New York.Maman prend alors la sage décision de ne pas retourner au Havre où Célestin a terminé sa première année à l’École de Navigation.Il est décidé d’aller à Paimpol où il pourra poursuivre ses études de Capitaine au Long Cours.Quid de moi ? On me suggère de suivre la trace de mon aîné. Je suis d’accord quoique m’estimant pas assez préparé pour affronter l’examen d’entrée qui est du niveau Bac.Nous voilà donc à Paimpol où je passe cet examen. Ce qui devait arriver arrive. Je suis collé dès l’écrit. J’en conçois beaucoup de peine.Là encore j’ai été mal orienté. Il aurait fallu suivre une année de préparation dans une école de Paimpol. Maman livrée à elle-même, sans doute pressée de me voir achever mes études, préfère me voir attaquer derechef la Marine Marchande, fut-ce à un niveau moindre.C’est ainsi que, durant quelques semaines, je suis intégré au cours des officiers-radios, la spécialité de Papa. J’y apprends les rudiments du Code Morse (ti-ti-ta-ta), les procédures télégraphiques internationales. Mais cela ne me convient guère. J’ai le net sentiment d’être à côté de la plaque et de gaspiller mon temps.Sur ces entrefaites se crée à l’École de Navigation une section d’Elève Officier Mécanicien de 1ère classe. Ce sur l’investigation de Monsieur Pacé, le Directeur, qui veut valoriser son école.On cherche donc des candidats pour meubler cette nouvelle classe. On en trouve péniblement un dizaine, dont moi qui fuit la radio sans l’ombre d’une hésitation.Et me voilà parti pour faire une carrière dans la mécanique, sans aucune préparation antérieure. Bouchon ballotté sur l’océan de la vie !Ce fut un curieux séjour, sur le plan études.

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Il n’y a rien à dire pour ce qui concerne les cours scientifiques : Théorie du Navire, Mécanique, Electricité, etc... Nous avons les mêmes professeurs que les futurs capitaines au long cours.Mais sur le plan des connaissances pratiques de la machinerie des navires, on peut mettre un zéro.

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Notre moniteur est un nommé Corette, un brave type, ancien premier maître mécanicien de l’Aéro-Navale, qui ne connaît pas grand chose sur les machines marines, et encore moins sur leur théorie.Je m’instruis tout seul, à l’aide de quelques livres fournis par la librairie spécialisée de la Marine Marchande. Ce qui me permet de décrocher un brevet officiel d’ajusteur ! C’est toujours ça de gagné !C’est à la fin de la première année scolaire passée à Paimpol que survient l’offensive allemande et la débâcle de l’armée française.Peu de temps avant l’arrivée des Teutons un navire de pilotage havrais arrive à Paimpol. Ses gens parlent de rejoindre l’Angleterre. Je suis volontaire pour partir avec eux mais Maman est sur le quai à mes côtés et me fais comprendre que ce n’est pas là une aventure à tenter !En guise de consolation j’apprends, quelque temps après, que ce bateau a terminé son périple du côté de Morlaix.Maman, avec sa couvée, prend le train pour Saint Brieuc puis Plurien. J’ai souvenance de marins de l’État qui, au cours du trajet Paimpol-Jeannin Brieuc, se dévêtent, jettent leurs uniformes par les portières et adoptent une tenue civile. Ce qui leur vaut de ne pas être faits prisonniers à l’arrivée à Saint Brieuc où nous voyons les premiers soldats teutons.Quelques jours après, me trouvant près de Bellevue, sur la route de Lamballe à la côte, je vois arriver toute une troupe allemande qui chemine vers Sables d’Or les Pins. J’entends pour la première fois le fameux chant : “Alli, Allo, Allo...”Que dirai-je de plus sur cette calme période de 2 ans vécue à Paimpol ?Nous adoptons vite, Célestin et moi, la coutume candidate, à savoir le port de sabots. Il faut bien dire que cette chaussure est bien adaptée au climat breton et à la gadoue des chemins.Régulièrement, à Noël, à Pâques, Maman et les filles prennent tôt le train pour Saint Brieuc, attendant la fin d’après-midi pour sauter dans celui de Saint Cast et font à pied le trajet Erquy-Le Bas Créhen.Quant à nous, Célestin et moi, nous attendons la fin de nos classes et partons, soit ensemble, soit séparément, pour rejoindre le Bas Créhen en bicyclette, une trotte de 80 kilomètres absorbée en quatre heures, ce qui ne nous impressionne nullement.Parfois l’hiver nous avons les pieds, les doigts et le nez gelés mais nous roulons quand même allègrement, heureux de filer vers le Bas-Créhen où nous atterrissons souvent par nuit noire.Les retours, ensemble, sont beaucoup plus tristes.A l’issue des deux années de cours un Ingénieur Mécanicien de la Marine vient nous interroger. Je me débrouille assez bien sur un problème d’épure sinusoïdale que personne ne m’a enseigné mais que j’ai potassé dans un livre.A la session d’examens de Juin je suis le seul admis. Peut-être y a-t-il une session de rattrapage en Septembre ? Je l’ignore.

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Et je reçois plus tard un beau diplôme rouge d’Elève Officier Mécanicien, signé de l’Amiral Darlan.Bardé de ce diplôme je retourne avec la famille dans la maison du Bas-Créhen. En attendant un premier embarquement. Ce qui ne va pas tarder.Avant de quitter Paimpol il me faut relater une particularité du pays : le coup du canapé. Cela consiste, tout bonnement, pour les parents d’une jeune fille bonne à marier, à attirer chez eux un “candidat”, ainsi appelle-t-on les élèves de l’école de navigation.J’ai souvenance qu’un jour, nous étions alors hébergés chez une brave dame : madame Berroche à Ker Puns en Kérity, cette brave dame reçoit la visite d’une amie coiffeuse installée place du Martray. Elle a deux filles en âge de convoler.Pénétrant dans le jardin, elle s’exclame à très haute voix : “C’est ici qu’il y a deux candidats à marier ?” On ne peut être plus clair !Pas question de faire un écart. Maman Amiot veille sur son capital “garçons”.La deuxième année de notre séjour Paimpolais nous trouvons gîte à “Glizat Mor” la demeure, toujours à Ker Puns, d’un brave homme préparateur en pharmacie : Monsieur Le Béguec. Son épouse vit toujours sous sa coiffe. Ils ont une fille très brillante paraît-il, mais que je n’ai jamais vue.

Monsieur Le Béguec a deux caractéristiques : il déteste les Américains. Il faut dire que ceux-ci viennent de bombarder, en altitude, le viaduc de Morlaix, afin de couper la voie ferrée Paris-Brest.Résultats : viaduc intact. Plusieurs gosses tués dans une école voisine du viaduc.Le père Le Béguec est un ardent défenseur de Seznec, cet habitant du Nord Finistère, condamné au bagne, dans les années 20, pour l’assassinat de son copain Quéméneur disparu sans laisser de trace. Cette affaire a fait grand bruit à l’époque. Le Béguec a plusieurs livres la concernant et c’est, à la lecture de ces ouvrages, que je me suis initié au mystère Seznec.A côté de “Glizat Mor” habite un capitaine au long cours à la retraite, Monsieur Le Calvez. C’est chez lui que, plus tard, je vais résider quelques mois avec ma jeune épouse.Au moment de la guerre ce monsieur héberge la famille Carcaillet, originaire de Pléguien, près de Lanvollon. Le garçon, Alexis, est en classe avec Célestin. Je cite ce cas, car sa destinée a été particulière. Etudiant pour être marin, les circonstances de la vie le font bifurquer vers les chemins de fer où il termine sa carrière comme chef de gare !Continuons d’évoquer quelques camarades de Paimpol.Masson : du cours de mécanicien. Ch’timi originaire de Grand Fort Philippe, près de Dunkerque. Garçon d’aspect froid, renfermé, mais très gentil. Il a une vague parente qui habite Paimpol. Nous allons de temps en temps la voir. Elle a une fille de nos âges. Si Maman Amiot le savait !!!...Nos escapades entre deux cours ne se limitent pas à cette parente. De temps

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en temps nous retrouvons d’autres connaissances : les deux filles de François Marion, le maire de Paimpol, puis Germaine, la menue servante d’un petit bistrot où nous nous offrons, pour quelques sous, une bolée de cidre.L’auberge du Cheval Blanc et ses demoiselles ont aussi quelquefois notre visite. Un de mes copains des EOR Casablanca, Persac, va épouser l’une d’elles.

Blot : un brave garçon, natif d’Avallon, dans l’Yonne. Il a eu le courage, une nuit, de s’évader avec un bateau de pêche et a servi dans les Forces Navales Françaises libres.Je le retrouve un jour au Ministère de la Marine où il est détaché au Service Central Aéro. Il a, disons le, une grande gueule, n’hésitant pas à critiquer ouvertement ses chefs. Ce qui explique sa stagnation en grade. Il est à l’époque corvettard (quatre galons) et je crois qu’il a quitté la Marine assez vite.

Gourvil : originaire de Morlaix. Lui aussi a pris, je ne sais comment, la tangente anglaise. Je le retrouve, beaucoup plus tard, comme petit cadre civil à la Direction des Constructions Navales de Brest où je suis détaché pour suivre la finition du porte-avions “Clémenceau”.Flohic : a rejoint très tôt l’Angleterre. De toute la promotion c’est certainement lui qui a eu le plus beau destin. Dès le 4ème galon il est au cabinet du Général De Gaulle. Il le suit jusque son retrait, prend du galon et même des étoiles car il termine Amiral. Il est attaché militaire à Londres. Originaire des environs de Paimpol il se retire du côté de Sanary où il semble mener une vie calme et sereine.

Jan François : le seul mécanicien dont j’ai eu des nouvelles après le cours. Il a voyagé un jour en train avec Marie sur la ligne du PLM (Lyon-Marseille). Originaire d’Yvias, près de Paimpol. C’est un grand costaud, très aimable.Huby Pierre : originaire d’Erquy. A essayé de fuir vers l’Angleterre en Juin 1940. Échec. Il s’est retrouvé à Morlaix.

Un jour, le croisant dans une rue de Paimpol, il m’interpelle, goguenard : “Mécano, saluez à six pas”. Un peu grande gueule.Il embarque sur un navire commandé par le Capitaine au Long Cours Le Callo, futur beau- père de Célestin.Rébellion de deux matelots au passage de Gibraltar : ils veulent dérouter le navire chez les Anglais. Munis de pistolets, ils en font usage. Huby reçoit une balle dans sa coiffure.Ils sont finalement maîtrisés, jugés au retour en France, condamnés et exécutés.L’affaire, à la libération, fait grand bruit. Le pauvre Le Callo qui n’a rien fait de répréhensible, purge une peine d’éloignement durant un certain temps.

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Huby a fait le pilotage au Havre, et a épousé Paulette Lesage, une amie d’enfance à mon épouse. Je ne l’ai jamais revu depuis Paimpol.Ménage Georges (que de méchantes langues de la Marine ont surnommé : la femme de) : lui aussi a filé en Angleterre où il a servi sur les corvettes des forces françaises libres. A la libération il est enseigne de vaisseau de première classe (deux galons). Spécialité : fusillé – commando.Il quitte très tôt la Marine et entre chez Total, la Compagnie Pétrolière, où il accède à un poste de responsabilité dans le domaine sécurité. Nous nous retrouvons quand je préside à Carrien l’Association Cosinat. Il est collaborateur actif et loyal que j’apprécie beaucoup. Il se retire à Saint Brieuc avec son épouse Thérèse.Cinq enfants. Il œuvre à l’Université du troisième âge où je me rends à plusieurs reprises faire des conférences. Nous nous recevons à déjeuner ou à dîner de temps à autre.Un petit mot, un petit souvenir pour clore ce chapitre Paimpol.Au cours de nos séjours au Bas-Créhen je fais à Erquy la connaissance d’une charmante jeune fille : Raymonde Tanguy, au cours d’un bal sur la banche, l’orchestre venu de Dinan jouant des airs faciles tels que “Il y a de la mise en bouteilles au château”. Son père est capitaine au long cours. Ce sont des amours très sages. Promenades. Bécotages.Puis un jour je m’éloigne vers Marseille. Plus de nouvelles. La belle s’inquiète. Je me souviens de la réponse un peu brutale : “Je ne t’aime plus.”Curieuse circonstance: je suis invité sur un navire des Chargeurs Réunis par le Commandant Tanguy : mon ex futur beau-père. Homme charmant au demeurant, qui semble ignorer la rupture. Mais tout se passe bien.

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QUELQUES PHOTOS

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L’école de navigation de Paimpol

Communion de Madeleine. Photo prise devant chez Mme Berroche

Mme Berroche Grand mère

Marie Julie

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Notre logeur : M. Le Béguec

Célestin et son amiAlexis Carcaillet

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A Ker Puns en Kérity

Madeleine, Maman, Mme Carcaillet, Mlle Carcaillet, Thérèse

Masson, au dos de cette photographie a écrit : «Espère te rencontrer à Tahiti ou à Saïgon pour, dans une vieille bringue, ranimer le feu de notre ancienne amitié.»

Mais ni a Tahiti, ni à Saïgon, ni ailleurs je n’ai revu Masson.

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4_ À BORD DU «KILISSI»(22 Octobre 1941 - 17 Décembre 1942)

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Le mardi 21 octobre 1941 a lieu l’éclatement de la famille Amiot. Célestin, mon frère, part vers La Rochelle embarquer sur un chalutier et moi je mets le cap sur Paris d’abord, puis Marseille.En effet, à peine acquis mon Brevet d’Elève Officier Mécanicien, je me mets à la recherche d’un embarquement. Un gars du pays, Edouard Chauvin, du Port à la Duc, officier mécanicien, navigue aux “Chargeurs Réunis”. Je descends le voir au Port. Discussion de quelques minutes. “C’est une bonne boite”, me dit-il. O.K pour les Chargeurs. Je leur écris en leur adressant une copie conforme de mon brevet (les photocopieuses ne sont pas encore inventées).Et me voilà convoqué au siège social de la Compagnie à Paris. Ce pour le 22 octobre au matin.Voilà donc toute la famille Amiot, sauf le père bloqué aux États-Unis, en route pour Lamballe. Hébergement habituel : chez Julien Gicquel, le palefrenier cousin de Papa.De toutes façons je prends, quant à moi, le soir même le train de nuit pour Paris. Départ vers 22 heures. Arrivée à Montparnasse vers 06 heures.Mais avant de nous quitter Maman emmène ses deux garçons et ses deux filles chez le photographe du coin. Nous avons tous l’air triste sur cette photo.Et le soir, après avoir embrassé tout le monde, je grimpe dans le train de Paris, 3ème classe non chauffée. Tapi sur une banquette de bois, je me pelotonne et arrive à trouver le sommeil malgré les nombreux arrêts, les montées, les descentes de voyageurs, les coups de sifflet du chef de gare et ceux, plus strident, de la locomotive, à vapeur bien sûr.A 6 heures le convoi stoppe dans un grincement de freins. C’est Paris. Je débarque avec mon baluchon et commence par aller au bistrot voisin absorber un ou deux croissants avec une tasse d’ersatz de café (orge sans doute). Ce n’est pas fameux mais c’est chaud, c’est là la principale qualité de ce breuvage.

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Je suis convoqué aux chargeurs, près de l’église de la Madeleine, pour 9 heures au plus tôt. Je décide de rejoindre le boulevard Malesherbes à pied, baluchon sur le dos. Il fait frais, mais il ne pleut pas.C’est la première fois que je foule le sol parisien. Mais j’ai vite fait de m’orienter à l’aide d’une carte et me voilà déambulant dans une capitale endormie et assez silencieuse. Nous sommes au cœur de l’occupation allemande et peu de voitures circulent.Et j’arrive aux Chargeurs Réunis avant l’heure. Ce qui me donne le temps de contempler la Madeleine au lever du jour. Temps brumeux et froid.Je tape la semelle jusque l’ouverture des bureaux. Mon cas est vite expédié. On me rembourse le train Lamballe-Paris et on me remet un billet, 3ème classe bien sûr, Paris- Marseille. Départ le soir même vers 7 ou 8 heures.Je reprend mon baluchon et me dirige tranquillement vers la gare de Lyon.Mêmes conditions de trajets que la veille : pelotonné dans un coin de compartiment toute la nuit.Et, au soleil levant, je découvre pour la première fois la Vallée du Rhône puis Marseille. Je m’informe de la rue de Grignan, parallèle, si je m’en souviens bien, à la Canebière. C’est là que je trouve l’agence des Chargeurs Réunis.Vérification de mon brevet, annotation sur mon livret matricule et me voilà prié de rejoindre le bananier “Kilissi” qui se trouve loin du centre, en direction de l’Estaque. On m’indique le numéro du tramway et la station où descendre.Vers 11 heures du matin je suis au pied de la coupée du “Kilissi”.“Kilissi” est le nom d’un lieudit d’Afrique Occidentale, contrée desservie par les Chargeurs Réunis. Autres noms donnés à des navires de la compagnie : “Kita”, “Kakoulima”...le “Kilissi” est un bâtiment qui a bonne allure. Tout de blanc vêtu car c’est un navire bananier appelé à naviguer sous les tropiques. Une étrave droite. Une longueur d’environ 100 mètres, une cheminée jaune avec un bandeau blanc portant les étoiles de la Compagnie des Chargeurs. Deux mâts de charge. Au milieu du navire quelques cabines pour passagers (une dizaine). Un salon, une salle à manger pour ces derniers et sur tribord le carré des officiers. Les logements sont au pont inférieur et sont éclairés par des hublots.Le pont est garni de bois pour des raisons d’isolation à la chaleur.Le tout a un aspect propre, agréable à l’œil.Je n’ai pas souvenance de qui m’a accueilli à bord mais je peux passer en revue l’État Major du bateau.

Le Commandant, Monsieur Flouriot, est originaire de Ploubazlanec, près de Paimpol. Assez sympathique. J’ai eu très peu affaire à lui durant mon séjour sur le “Kilissi”.Je l’ai vu un jour, en mer, descendre dans la machine avec des passagers. Il était revêtu d’un bel uniforme de toile blanche. Quand il est remonté en surface j’ai vu, dans son dos, une belle tache grasse issue de quelque tuyau. Son maître d’hôtel a dû pester après les mécanos.

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Le second capitaine, dont j’ai oublié le nom, était un petit homme sec et nerveux. A l’escale sa femme venait coucher à bord. Un soir il y eut forte discussion dans leur cabine. Puis on a entendu des cris : “Au secours”. C’était le second capitaine qui corrigeait son épouse.J’étais alors en visite chez le Chef Mécanicien. Entendant les cris j’ai pensé intervenir auprès de la malheureuse. Le Chef m’en dissuade : “Surtout ne vous mêlez pas des affaires de famille. Vous verrez demain ils iront bras dessus-bras dessous.” C’est effectivement ce que j’ai constaté le jour suivant.Le Chef Mécanicien, à mon embarquement, était nommé Vigouroux. Personnage sec, riant peu, avec petite moustache. Marié, 4 enfants. Sa famille vit au Havre, son port d’attache avant guerre.Cet homme a contribué beaucoup à mon choix ultérieur qui m’a fait fuir la marine marchande.Une des premières tâches qu’il m’a ordonné a été de piquer le sel du bouilleur avec lequel on obtient de l’eau douce à partir de l’eau de mer. Les serpentins de vapeur qui chauffent cette dernière se couvrent petit à petit d’une couche de sel qu’il faut, de temps à autre, faire sauter en le piquetant. Ce sont des heures accroupi dans un endroit chaud de la salle des machines.J’ai commencé là à me poser la question : “Ai-je décroché un diplôme d’Elève-Officier pour en être réduit à faire un travail de manœuvre ?”Mais il y a eu pire .Quand nous sommes en mer, le soir, le chef mécanicien descend faire un tour dans la machine où j’assume le quart de 7 heures à 11 heures (matin et soir) avec le second mécanicien : Monsieur Guégan, de Nantes.Et parfois le chef, qui me voit vêtu d’un bleu de chauffe propre, donne un ordre : “Envoyez donc le “gambi”, c’est ainsi qu’on surnomme les jeunes officiers, ramoner les chaudières.” C’est la pire corvée qui consiste à grimper par une échelle sur le dessus des chaudières où règne une très forte chaleur. De plus elles sont couvertes d’une épaisse couche de poussière car on est revenu, à cause de la guerre, à la chauffe au charbon.Le travail consiste à ouvrir, l’une après l’autre, des soupapes qui envoient de la vapeur sous pression sur les tuyaux des chaudières afin de les nettoyer. C’est là, normalement, le travail d’un aide-chauffeur ! Il faut rester 5 à 10 minutes auprès de chaque soupape, puis la refermer et passer à la suivante. Bref les 4 heures de quart passent dans la sueur et la poussière.En redescendant on est bon pour une douche et le bleu de chauffe pour une lessive.Cette dernière évocation m’amène à parler du second mécanicien. Qui m’a un jour traité purement et simplement de “con”.Voici comment.Nous sommes au mouillage à Marseille. Il a disposé sur une forge en plein air un seau dans lequel il a mis un bleu de chauffe à bouillir.Il doit s’absenter et je suis chargé de veiller à l’opération. Il me faut “touiller” de temps en temps, c’est-à-dire remuer le tissu et m’assurer du niveau de la

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lessive.Distrait par je ne sais quoi je relâche ma surveillance et quand le propriétaire du bleu de chauffe revient le niveau de l’eau a baissé et un morceau du vêtement est légèrement brûlé.D’où mon baptême.Deux autres officiers mécaniciens constituent l’état major du “Kilissi”.Un nommé Le Hégarat, garçon sympathique, me conte de temps en temps ses aventures amoureuses lorsqu’il faisait la ligne d’Indochine. La traversée Marseille-Saïgon durait environ un mois. Il paraît qu’à bord des navires certaines dames sont prises d’une fringale amoureuse causée par l’ambiance et les mouvements du navire.Le Hégarat avait, dans sa cabine du “Kilissi”, la photo d’une jolie dame, épouse de planteur je crois. Elle était tombée éperdument amoureuse de Le Hégarat. Et elle surgissait dans sa cabine vers les trois heures du matin, à la fin de son quart.Il est arrivé totalement épuisé à Saïgon.Un autre officier, Jeannotin, originaire de la région nantaise, est très sympathique. A l’escale, Alger ou Casablanca, il m’emmène souvent en promenade avec lui. Je me souviens de ce qu’il me disait : “Aujourd’hui vous dépensez en comptant vos sous un par un. Plus tard vous verrez les billets de mille francs défiler.” C’est bien ce qui est arrivé.Plus tard a embarqué à bord du “Kilissi” un autre mécanicien, de 3ème classe, un nommé Coat, petit, malingre, hargneux et offensif. Une nuit, lors d’un quart à la mer, une discussion sur je ne sais quel thème est devenue vive au point qu’il voulait me gifler !Quelque temps après mon embarquement mon tortionnaire, le chef mécanicien Vigouroux, débarque. Ouf ! Bon voyage.Son remplaçant, dont j’ai oublié le nom, est un personnage rondelet et sympathique. Célibataire.Je me souviens d’un fait qui m’a frappé. A la tête de sa couchette cet homme avait disposé une photographie : celle de la tombe de sa mère !Quittons l’état major “machines” pour faire connaissance des autres membres du carré.Un officier radio, assez ancien, parle souvent, lui aussi, de ses conquêtes féminines faites sur les paquebots, ou cargos mixtes qui desservaient la côte d’Afrique.Deux capitaines au long cours remplissent les fonctions de lieutenants à bord. Deux caractères très opposés.L’un, Georges, originaire de Dinard, est toujours souriant et aimable. Il est enseigne de vaisseau de réserve. Il m’a conté qu’un jour, surveillant une manœuvre d’accostage du bateau, un Ingénieur du Génie Maritime de la Compagnie, présent à la manœuvre, s’est étonné qu’on ne fasse pas des nœuds avec les aussières !

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Comme aime dire mon épouse : on peut être ingénieur sans être ingénieux !L’autre lieutenant, Bré, originaire de la région paimpolaise est assez hargneux et ne cesse de critiquer la marine militaire. Il avait échoué aux E.O.R et s’était retrouvé matelot !Cette agressivité vis-à-vis de la “Royale” je devais la retrouver plus tard chez d’autres officiers du Commerce qui n’avaient su, ou pu, se hisser parmi les Enseignes de Vaisseau de Réserve.Parmi l’équipage du “Kilissi” je me souviens d’un cambusier qui, lui aussi, détestait la Royale.

Un jour, nous étions à quai à Marseille, arrivent quelques navires de guerre de l’Escadre de Toulon. On voit bientôt défiler le long du bord, officiers, gradés et matelots qui se rendent en ville, tous en uniformes.Le cambusier ne cesse de proférer des insanités à leur encontre, le teint rouge, les yeux sortis des orbites. Celui-là n’a pas gardé un très bon souvenir de son passage sous les drapeaux !Parmi l’équipage je me rappelle d’un certain nombre de gens sympathiques : le bosco ou maître d’équipage : breton au teint basané. Que ce soit le Samedi, le Dimanche, jours fériés ou en semaine il est toujours vêtu d’une veste et d’un pantalon de toile bleue qu’il passe régulièrement à la lessive.Le patron des chauffeurs a la haute main sur une troupe d’Africains qui suent sang et eau devant les chaudières : des braves gens, toujours souriants qui amassent petit à petit un pécule aussitôt envoyé dans quelque village de Guinée, du Sénégal ou d’ailleurs.J’ai eu beaucoup moins de sympathie pour le personnel hôtelier du bateau. D’abord le Maître d’Hôtel, chargé des soins du Commandant et des passagers. Un monsieur toujours imbu de son importance et qui, comme beaucoup de valets, se persuade d’être investi de l’autorité du maître.Au carré des officiers nous étions servis par un Vietnamien coupé de son pays. Personnage assez renfermé. Je ne serais pas étonné qu’il ait fini, après la guerre en Europe, par rejoindre les rangs du Vietminh !Enfin je termine cette rubrique “personnel” par un graisseur marseillais, un peu Corse, très prolixe et sympathique. Sa seule raison de naviguer, et il ne s’en cache pas, est la contrebande.A chaque retour à Marseille nous avons la visite des douaniers qui fouillent tout le navire y compris la salle des machines. Certains, armés de pelles fouillent la soute à charbon. A plusieurs reprises ils y trouvent, dissimulées, des cartouches de cigarettes. Le propriétaire ne se fait pas connaître bien sûr mais de lourds soupçons pèsent sur notre graisseur.Parlons un peu de la propulsion du “Kilissi”. Elle est de conception ancienne : machine à vapeur alternative, verticale, à 3 cylindres : haute, moyenne et basse pression. J’aime voir cette machine fonctionner : ces bielles, ces manivelles, ces commandes de tiroirs qui s’agitent sans cesse comme font les organes d’une locomotive à vapeur.

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Mais attention : toutes ces lourdes pièces en mouvement sont dangereuses. Il faut les approcher avec précautions.Ce que ne fit pas un des graisseurs qui, au départ de Marseille, eut à tâter les excentriques de commande des tiroirs pour connaître leur échauffement. Il avait une alliance au doigt. Ce lui fut fatal. Il eut l’annulaire brutalement arraché par la machine.Le “Kilissi” dut faire aussitôt demi-tour pour le faire hospitaliser car nous n’avions pas de médecin à bord.J’ai eu, plus tard, l’occasion de descendre dans des machineries, plus modernes, à turbines. Là tout est clos. On entend un bruit continu. Tout paraît immobile.Dans la salle du “Kilissi” il y a d’autres machines à pistons :- L’entraînement de la frigo qui refroidit les cales où séjournent à 10°C les régimes debananes et les ananas.- Les dynamos : petites machines à vapeur rapides qui fournissent le courant du bord. Narrons maintenant l’activité du bateau. Quand je suis arrivé à bord se terminent lestravaux de modification de la chauffe qui, du mazant devenu très rare, passe au charbon. Les ingénieurs de la compagnie ont sacrifié nombre de locaux pour en faire des soutes à charbon.Et c’est en Janvier 1942 que nous faisons les premiers essais à la mer, au large de Marseille.Puis débutent les traversées de la Méditerranée Marseille-Alger : un voyage toutes les semaines avec le passage entre les Baléares à chaque voyage.Quelques passagers sont présents à bord dont, un jour, un Ingénieur Mécanicien Général de la Marine, qui nous fait l’honneur d’une visite dans la machine.On ramène fruits et légumes d’Algérie. Compte-tenu de la situation de non-hostilité de la France, chaque côté de la coque porte deux peintures du pavillon tricolore, éclairées abondamment la nuit. Plus d’un sous-marin a dû nous apercevoir.Au cours de nos séjour à Alger je profite de quelques loisirs pour me promener dans la ville et ses environs immédiats.C’est ainsi que j’ai l’occasion d’aller soutenir le moral d’un de mes cousins Briend hospitalisé dans la ville. Il devait décéder quelques temps après, de tuberculose.Durant les escales à Marseille je vais, de temps à autre, voir Madame Evrard, une amie ancienne de mes parents, qui habite dans le coin, son mari étant immobilisé sur un navire à Casablanca. Gros et gras cet homme du Nord exerce la fonction de maître commis, c’est-à- dire chargé de nourrir l’équipage, fonction très rémunératrice.Un soir Madame Evrard m’emmène chez des voisins : un Chef Mécanicien de la Marine Marchande, père de deux jeunes filles bonnes à marier. J’ai le droit

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à mille prévenances et aux petits gâteaux !Mais cette soirée demeure sans suite car, âgé de 18 ans, je n’éprouve nulle envie de me passer une corde au cou.La vie à bord est rythmée par les quarts. J’assume, avec le Second Mécanicien, celui de 7 à 11 heures le matin, puis de 19 à 23 heures le soir. Plus tard je suis mis au plus mauvais : 3 heures à 7 heures le matin (réveils douloureux à 3 heures moins le quart) et 15 heures à 19 heures le soir.Vers le mois d’Avril il est décidé d’envoyer le bateau à Conakry chercher des bananes.Première escale à Oran, sans débarquer. Je devais y revenir quelques années plus tard et même y trouver une bru.Deuxième escale à Dakar où une noria de dockers assument, sur rade, le ravitaillement en charbon, porté à dos d’homme dans des sacs et précipité par une écoutille dans la nouvelle soute à charbon. La poussière vole partout.Au cours de ce voyage nous avons, bien sûr, franchi le détroit de Gibraltar.Un navire de guerre britannique est venu nous reconnaître. J’ai été à deux doigts de sauter à l’eau avec une ceinture de sauvetage. Mais il fait froid et brumeux, la mer est glauque. J’ai craint de congestionner. J’ai regretté après de n’avoir pas sauté.Bien sûr, avant l’appareillage, on nous a fait jurer de ne pas déserter. Mais un serment pris sous la contrainte n’a aucune valeur, sur le plan moral. Toute ma vie aurait basculée si j’avais effectué le saut à la mer.

Peu de temps après Casablanca nous croisons un navire français. Je me trouve sur le pont, ayant effectué une ronde dans les cales, pour voir si la température était correcte, la machine frigo ayant été mise en action en vue du chargement à venir.C’est alors qu’est apparu mon tortionnaire, le Chef, qui, sans ménagement, m’a prié de descendre immédiatement dans la machine.Après Casablanca nous avons été escorté par un aviso colonial. Pour nous protéger, ou nous empêcher de partir ?A bord du “Kilissi” est embarquée une compagnie de soldats sénégalais, campée dans une des cales. Des latrines rudimentaires sont installées à l’arrière du bateau, en surplomb de la poupe.C’est avec grand intérêt que j’ai mis le pied à terre à Conakry. A Marseille on nous a fermement recommandé de nous doter d’un casque colonial pour protéger nos crânes du soleil des tropiques ! Il m’en a coûté 65 francs. Et c’est affublé de cette coiffure que j’erre dans les rues de la capitale de Guinée.Je ne l’ai jamais porté depuis.Au cours du séjour à Conakry une réception de l’État Major de notre convoyeur est organisée dans le salon du “Kilissi”. Un capitaine de corvette, deux ou trois lieutenants ou enseignes de vaisseau et quelques midship revêtus, bien sûr, de leurs uniformes, nous font ainsi visite. C’est mon premier contact avec ma future carrière.

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Et c’est là voyant la tenue impeccable de tous ces gens, leur courtoisie, que je me dis qu’il y a peut être mieux à faire que de rester dans la Marine Marchande (surtout après ma mésaventure du guindeau contée plus loin).Quant au cambusier du “Kilissi” il a dû s’étrangler ce jour là de voir monter à bord tous ces invités galonnés. De toutes façons il ne s’est pas manifesté, heureusement pour lui, car je doute que le Commandant eût apprécié quelque manquement au devoir de politesse dû à des hôtes.

Les planteurs de Conakry ont dû être ravis de notre venue. Nous sommes repartis, les cales bourrées à bloc de régimes de bananes et une partie du pont couvert d’ananas. Ça sentait bon !Pour conserver les bananes il est impératif de surveiller la température des cales : 10 degrés. Il nous faut nous méfier des petits serpents clandestins qui se glissent au cœur des régimes et que la basse température des cales incite à sortir.Enfin tout a été livré en bon état à Marseille et nous avons repris nos voyages sur Alger. Lors des voyages retour nous sommes envahis par les cageots de raisin.Avant d’en terminer avec nos voyages je vais conter une mésaventure. On annonce la prochaine arrivée à Conakry. Je reçois l’ordre d’aller huiler le guindeau. Est-ce là le rôle d’un jeune officier ? J’en doute. Mais passons.Me voilà parti, vers l’avant du bateau, le nez au vent, burette à la main. Hélas, trois fois hélas, le nez de la dite burette est dirigé vers le bas, sans que je m’en aperçoive et en tombe de temps en temps une goutte d’huile.Catastrophe : le beau pont de bois dont le bosco est si fier est garni de quelques taches. La sanction est vite tombée : à genoux à briquer le pont pour faire disparaître les taches. Le tout sous un soleil brûlant et sous l’œil narquois d’un camarade pilotin (jeune officier pont) qui, sur la passerelle, fait le joli cœur devant quelques passagères. Et moi, je frotte en me jurant, une fois de plus, de changer de métier si l’occasion s’en présente.J’ai retrouvé dans mes archives un petit carnet de notes de voyage ouvert le jour de mon départ de Plurien.La composition de mon trousseau figure en tête : 10 paires de chaussettes, 1 paire de sabots, 1 sac à repriser, 3 bleus de travail...Puis sont énumérées toutes mes dépenses, très parcimonieuses : eau de javel : 2F50, journal : 1F, lessive : 5F, carnet de tramway : 8F, etc...etc...Un relevé des salaires perçus mentionne une moyenne de 740 francs par mois plus parfois une prime pour navigation en zone de guerre. Exemple : 2.300 francs après le voyage à Conakry.Chaque mois je délègue 500 francs à ma mère et un mandat de 2.100 francs lui est expédié le 17 juillet 1942.

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Faut-il en conclure que je suis un bon fils ? Heureusement je suis logé et nourri à bord car il ne me reste guère d’argent dit de poche. Je note à la date du 16 novembre 1941 que ma fortune monte à 8F50. Fin mars 1942 pas un sou en poche, même faux. Inutile de dire que je ne fais guère la foire !J’utilise le peu d’argent qui me reste à faire des emplettes pour la maison. Ainsi à Conakry, le 20 Mars 1942, j’achète 6 litres d’huile, 9 kilogrammes de café et 4 kilogrammes de savon.Au retour des voyages sur Alger j’expédie à Maman des pâtes alimentaires, des dattes, des figues, etc... 9 colis partent ainsi de Marseille en 3 mois.En revenant de Conakry, lors de l’escale à Dakar un gars de Plurien : Jean Guillou, pilote de port, me confie un paquet de provisions à remettre à son frère, commandant à la compagnie de navigation et habitant Marseille. Dans ce colis : du sucre, des sardines, du thon, du corned beef... de quoi atténuer la pénurie alimentaire qui règne alors en métropole.Arrive le mois de septembre 1942.Voilà bientôt un an passé à bord sans aucun congé. L’occasion va se présenter de retourner humer l’air du Pays.Papa m’a écrit des États-Unis qu’il rentre par Marseille avec un convoi d’officiers français qui ont refusé l’aventure de la France libre (les évènements de Mers-El-Kébir ont profondément marqué le milieu marin).Je demande et obtiens de me joindre au convoi à son arrivée en France. J’ai souvenance de l’aspect américain des nouveaux arrivés, tous coiffés de chapeaux à larges bords. Ils ramènent avec eux de nombreuses et lourdes malles métalliques garnies de choses introuvables en France : tissus, savons, chaussures, café...Maman a jalousement veillé sur le contenu des malles de Papa et a su même en tirer quelque profit en faisant un peu de troc.Plus tard ces malles, d’un certain cachet, ont servies à nos descendants.Après un long voyage en train, un épineux passage de la ligne de démarcation, nous voilà arrivés à Lamballe puis de là à Erquy par le petit train des Côtes du Nord. Maman et les filles sont à la gare à nous attendre.Quant à moi je termine là mon odyssée “Kilissi” et, durant plusieurs mois, je vais subir un congé prolongé du fait de l’envahissement en Novembre 1942 de la zone dite libre par les troupes allemandes et l’interruption corrélative de toute navigation.Mais ne quittons pas ce chapitre sans mentionner le sort du “Kilissi”.

Il m’a été rapporté qu’il avait été armé par les allemands après l’invasion de la zone libre et coulé par l’aviation alliée à l’embouchure de l’Elbe sur la côte méditerranéenne espagnole.

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QUELQUES PHOTOS

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Lamballe, le 21 Octobre 1941

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La «Kilissi» à la Joliette (Marseille)

À Alger

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Escale à Alger

En mer, par mauvais temps(On voit une hélice de rechange)

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À quai à la Joliette (Marseille)

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5_ HIVER 1942 - 1943

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Je coule, au début de mon séjour, des jours heureux dans la campagne pluriennaise qui me rappelle bien des souvenirs d’enfance.Dès mon arrivée au Bas-Créhen j’écris au Ministère de la Marine pour connaître les conditions d’admission à l’École des Élèves Ingénieurs Mécaniciens. Je reçois le programme de l’examen d’entrée avec le détail des connaissances requises. C’est à me portée à condition de beaucoup travailler.Ma décision est alors prise. Je m’attelle à la préparation de cette épreuve. Je fais appel à l’École Universelle par Correspondance de Paris. Les premiers cours arrivent. Les études débutent.Mais tout s’écroule en Novembre quand nous apprenons successivement l’invasion de la zone libre par les troupes allemandes et le sabordage de la flotte à Toulon. Toute navigation est désormais interrompue à partir des ports français. C’en est fini aussi des écoles de la Marine.Me voilà condamner à rester au pays. Il va falloir s’occuper.De cette époque morose je garde le souvenir des corvées de bois que m’impose Papa.Nous partons à pied l’après-midi, chargés d’un harpon, d’une masse, d’une scie et de quelques coins. Nous allons, dans un de nos cinq champs, héritage familial, abattre et débiter quelque vieux chêne tout noueux. Et les sarcasmes de pleuvoir : “Mais tiens donc bien ton harpon, tire plus fort. Tes coins sont mal mis, tu n’arrivera jamais à faire des hâtels (morceaux prêts à brûler)”.J’échappas bientôt à la semi-activité et au courroux du père en m’intégrant à l’équipe “Transat” du Bois Ripault. Voilà qui mérite quelques explications figurant d’ailleurs dans mon livre “Histoire de mon village : Plurien”.Le Bois Ripault est une grande ferme, propriété de la famille Hamon, cousins lointains de ma future épouse.Un des fils, Jean Hamon, Capitaine au Long Cours, commande à la Compagnie Générale Transatlantique. La ferme se trouve libre en 1942. Jean se propose de la mettre à la disposition de la Transat, sa Compagnie, laquelle y détache

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une partie de ses navigants locaux rendus chômeurs par les évènements. Les récoltes de la ferme iront vers le personnel en difficulté de la Compagnie.Et c’est Monsieur Estève, de Lannion, Capitaine au Long Cours, qui assume la direction de l’exploitation, secondé par Papa.Cette louable organisation fait, bien sûr, jaser dans le pays. Et les gens de se gausser de ces marins, ils sont une quinzaine, devenus subitement des cultivateurs.Sur intervention de Papa je suis incorporé dans l’équipe bien que n’étant pas “Transat”. Et je suis amateloté à un brave garçon originaire de Tréguier : Marcel Tanguy, qui devait d’ailleurs trouver épouse à Plurien, en la personne d’une demoiselle Carcaillet, sœur de mon copain Tugdual dont j’entretiens le lecteur par ailleurs.De temps à autre j’accompagne mes parents chez les oncles, tantes, cousins et cousines du voisinage. C’est ainsi que je revois ces endroits que je n’aimait guère fréquenter étant gosse : souvenirs d’embrassades qui n’en finissent plus.Papa et Maman adorent ces rencontres et ces bavardages où toute la commune est passée en revue autour d’une tasse de café.Autre facteur désagréable de cette vie d’attente : la promiscuité de notre vie de famille. Nous vivons, nous dormons tous dans la même pièce, à la façon ancienne. Aucun confort sauf l’éclairage électrique.Ainsi s’écoule l’hiver 1942-1943. Cette situation d’attente me pèse. Elle va se terminer grâce à l’amabilité de Jean Hamon déjà cité. Je vais rejoindre l’Apprentissage Maritime.Avant de clore le récit de cette triste époque il me faut évoquer une demoiselle d’Erquy, Germaine Blouin, qui fut durant plusieurs années, élève du Collège de Lamballe.Fréquentant ma famille d’Erquy, et en particulier mon grand-père Tuloup, je fais la connaissance de cette demoiselle à “L’Abri des Flots” un bistrot de pêcheurs que tient sa mère, veuve.Nos relations sont très sages. Le Dimanche midi je prends mes beaux vêtements et saute sur ma bicyclette. Direction Erquy.“Au bout du quai les ballots” dit-on dans le pays. De là je pars à pied vers la belle du côté de Tu-es-Roc ou des Hôpitaux.Retour imposé avant la tombée de la nuit et je reprends le chemin du domicile familial.Je me lasse assez vite de ces mornes sorties et c’est avec plaisir que je file un jour vers le Trégorrais, libre de toute attache après avoir rompu avec ma belle.

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6_ L’APPRENTISSAGE MARITIME(26 Mars 1943 - 08 Juin 1944)

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Jean Hamon, un homme très entreprenant, a, au cours de sa carrière de Capitaine au Long Cours, constaté le manque de qualification de beaucoup de marins et conclu en la nécessité de les former dès leur plus jeune âge.Ainsi prennent naissance, durant l’occupation, les Ecoles d’Apprentissage Maritime gérées par une organisation spéciale : l’A.G.E.A.M (Association pour la Gérance des Ecoles d’Apprentissage Maritime) dirigée par un spécialiste de la gestion.Chaque école, il y en a une dizaine réparties sur les côtes, est dirigée par un officier de la Marine Marchande, en principe Capitaine au Long Cours, secondé par un officier, souvent mécanicien.Je demande donc à intégrer cette organisation et, aussitôt accepté, je saute sur ma bicyclette, seul moyen de transport “rapide” de l’époque et je fais route sur Tréguier où je serais l’adjoint du directeur du 26.03.43 au 01.07.43.Faute de mieux je loge, très modestement, dans un des hôtels de cette cité et y prends mes repas. Je ne fais guère d’économies durant les trois mois passés là-bas !L’école se trouve dans des locaux scolaires vacants, en bordure de la route du Minhy- Tréguier.Le directeur est un nommé Métayer, marié à une femme laide. Nos relations avec lui sont très correctes. Sauf une fois :Me trouvant un jour face à un élève très insolent je lui administre une paire de claques.Vexé le gosse sèche l’école. Le directeur s’en inquiète et m’invite à l’accompagner en vélo chez les parents, du côté de Pleubian. Je ne suis pas très fier, me doutant de ce qui va arriver... et qui arrive.La maman s’en prend vertement à moi qui ai osé corriger son petit. Le directeur, ignorant de l’événement, se confond bien sûr en excuses et promet que cela ne se reproduira plus.J’ai droit, sur le chemin du retour, à un bon savon.Malgré tout j’acquiers, en ce premier contact avec les mousses, une certaine

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expérience et les claques infligées incitent les élèves à un certain respect de la jeune autorité que j’incarne.Le printemps 1943 se déroule tranquillement et, en Juillet, je rallie le navire-école “De Grasse” mouillé à Blaye, en Gironde.Ce paquebot, inutilisé bien sûr, a été mis là, avec l’accord des autorités compétentes, par la Compagnie Générale Transatlantique pour y accueillir en session d’été 1943 les élèves de toutes les écoles d’apprentissage et les mettre en contact avec un bateau réel.Mon séjour sur le “De Grasse” dure du 1er Juillet 1943 au 25 Octobre de la même année.Dans la fonction d’encadrement des mousses nous sommes 6 élèves officiers : 3 du pont dont un nommé Gallon que nous surnommons “Avaricum” car originaire de Bourges. Il y a aussi un nommé Schrech (je ne répond pas de l’orthographe). Mon frère Célestin l’a connu au cours de sa carrière.Nous sommes trois mécaniciens: Brunetti qui, malgré son nom à la consonance méditerranéenne, se dit bon breton et Louis Hourdin, dit “petit Louis”, que je connais depuis ma tendre enfance car nos parents se fréquentaient au Havre. Son père est originaire de Plurien ou de Pléhérel.Les 6 élèves officiers tiennent table à part et sont logés en 2 cabines passagers à 3 lits.Je dois dire que je garde un bon souvenir de cette époque car nous nous entendions très bien.Toute la semaine nous sommes consignés à bord, ayant chacun en charge un groupe d’élèves. J’ai une vingtaine de Basques issus de l’école d’apprentissage de Saint-Jean-de- Luz. Nous les encadrons dans toutes leurs activités : cérémonies, classes, apprentissage,... etc...Les rassemblements ne manquent pas : deux à trois par jour. On nous y fait chanter “Maréchal nous voilà” ou “Nous voici à bord du De Grasse” (voir textes en fin de chapitre).Le dimanche matin nous allons à terre à Blaye. Nous y achetons d’ordinaire un bon gâteau à la crème et une bouteille de vin blanc du cru.Après le repas du midi nous nous retrouvons, les 3 mécaniciens, dans notre cabine pour y déguster notre gâteau. Puis c’est une bonne sieste (il fait chaud à Blaye l’été) quelquefois suivie d’un nouveau débarquement digestif.Dès 19 heures nous sommes de retour sur le “De Grasse”, parés à entamer la nouvelle semaine.A bord se trouve un Capitaine au Long Cours, Monsieur Dublineau, qui a en charge les écoles du Sud-Ouest.

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Vers la fin de l’embarquement il me propose d’aller à Saint-Jean-de-Luz, dans les fonctions d’Adjoint au Directeur. Il me confie que les jeunes basques sont assez difficiles à mener mais, qu’ayant apprécié la façon ferme dont je les encadre sur le “De Grasse”, il estime que ce serait bon que j’aille à Saint-Jean-de-Luz.J’accepte aussitôt, l’atmosphère triste de Tréguier ne m’ayant pas emballé.Et me voilà, après un séjour de quelques jours à l’école de Ploumanac’h, nanti de “l’Ausweiss” nécessaire (laissez passer allemand) et mis en route pour Saint-Jean-de-Luz dès le début novembre 1943.Je trouve vite à m’y loger, grâce à un des moniteurs ateliers, chez une veuve, Madame Altuma, petite, rabougrie mais charmante qui parfois m’offre un morceau de gâteau local fait de maïs.Quant aux élèves je m’aperçois vite qu’ils sont un peu rebelles, voire insolents. Je me souviens en particulier d’un grand que je convoque un jour dans mon bureau, après une conduite déplorable. Il est si insolent au cours de cette entrevue que je lui administre purement et simplement, à huis clos bien sûr, et sans en parler au Directeur, une bonne correction qui porte ses fruits.Je crois que j’ai, dans les veines, un peu de sang de mon grand-père Tuloup qui, bosco, menait ses équipages de cette façon, d’ailleurs assez courante à l’époque.Mon directeur est un Capitaine au Long Cours, ancien pilote du port du Havre, nommé Lesieutre. Sympathique mais un peu maniéré. De même son épouse qui m’a souvent reçu chez elle, dans le quartier résidentiel de l’époque, au milieu d’une zone boisée. Le couple a deux enfants, 10 et 12 ans un peu roux comme leur mère.Mes visites sont d’autant plus appréciées qu’à ma demande Maman, de temps en temps, leur adresse un petit colis de lard ou de beurre bretons.Ils ont comme voisin un médecin de Marine, le docteur Dieuleveut, originaire de Dinard et qui, plus tard siégera au conseil municipal de cette ville.Le commandant Dublineau dont j’ai déjà parlé habite Saint-Jean-de-Luz avec son épouse, une dame très douce, très simple, le contraire de Madame Lesieutre. Elle est mère de trois fillettes. Elle me reçoit de temps en temps chez elle. Très simplement. Nous devisons de choses et d’autres.Après mon escapade de Saint-Jean-de-Luz (voir plus loin) au moment du débarquement allié, je perds de vue tout ce beau monde de la Marine Marchande.Sauf le Commandant Dublineau que je rencontre quelques années plus tard, en 1950, lors d’une escale de la “Jeanne d’Arc” à Fort de France. Il se trouve là, commandant un navire de la Compagnie Générale Transatlantique sur lequel je suis aussitôt invité à dîner. J’y suis reçu très aimablement par le second capitaine, le commandant Dublineau ayant été, dans l’intervalle invité à la table du Pacha de l a“Jeanne”. Un chassé croisé en quelque sorte.Parmi mes tâches à l’école d’apprentissage une consiste à inviter les mousses à la “bouline” c’est-à-dire à la manœuvre des avirons et des voiles. Nous

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avons à notre disposition un canot de l’État gréé à Houari, c’est-à-dire une grande voile et un foc.J’ouvre une parenthèse pour évoquer les curiosités du langage marine. Je prends un exemple. Je monte dans un canot armé d’avirons. Je commande de les préparer, tous parallèles et bien en main : “Les pelles à plat et bien alignées”. Je donne l’ordre de les envoyer sur l’avant : “Les avirons sur l’avant.” Au cri “deux” les avirons plongent tous dans l’eau et je règle la cadence de nage en criant “deux” à chaque immersion vers l’avant. Pourquoi ce chiffre “deux” jamais précédé de “un”. Pour stopper l’embarcation : “lève rames”. Ainsi, à suivre, on donne trois noms différents aux avirons. Le terrien s’y perd !Il m’arrive le Dimanche d’armer le canot de l’école et d’effectuer seul une sortie en rade.Une de ces sorties, le Dimanche des Rameaux, a failli tourner au drame. Le vent souffle de la Rhune, donc du Sud vers le large. La sortie est aisée, je tire les bords facilement mais impossible de rentrer au port, le vent ayant forci. J’amène la toile pour limiter la dérive.Heureusement il y a, mouillé sur rade, un escorteur allemand qui apprécie vite le danger de ma situation et envoie une vedette me prendre en remorque et me ramener au port.Sinon je partais malgré moi vers le grand large et le Golfe de Gascogne.Dès le lendemain je rends compte de cet incident à mon directeur qui envoie une lettre de remerciements au commandant de l’escorteur.

Durant mon séjour à Saint-Jean-de-Luz je prends mes repas dans un petit restaurant pas cher, partageant table avec des gars du pays, dont un gendarme et là j’entends souvent parler du rugby, un sport dont j’ignorais tout.L’école d’apprentissage occupe la maison de l’Infante où, dit-on, Louis XIV a passé sa nuit de noces. Il y a de très beau parquets et nous prenons soin de ne pas les abîmer. Les mousses œuvrant surtout dans les ateliers du rez-de-chaussée.Au cours de mon séjour à Saint-Jean-de-Luz, je me rends plusieurs fois à Hendaye et, contemplant la côte espagnole voisine d’Irun, je pense à une évasion. Mais des sentinelles allemandes veillent qui font vite passer de vie à trépas les personnes qui tentent l’échappée.Arrive le débarquement en Normandie. On s’interroge sur la suite des évènements et la survie de l’école née durant l’occupation. Le directeur me paraît pessimiste. Il parle de mettre la clé sous la porte et m’incite à partir si je le désire.Ma décision est prise. Je pars, ayant bouclé ma malle confiée à ma logeuse.Le voyage de retour en train s’effectue sans difficulté jusque Auray. Là, pour des raisons que j’ignore, le train stoppe. Que faire ? Je consulte une carte : Plurien est à environ 125 kilomètres. C’est faisable à pied. Sac au dos je sors de la gare dès la pointe du jour et prend la route de Pontivy. Il fait beau. Il

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fait frais. Je marche d’un bon pas. J’ai pris soin d’emmener plusieurs paires de chaussures. J’en change régulièrement, toutes les heures environ, pour éviter d’avoir mal aux pieds.Dans la matinée je suis dépassé par une camionnette. Le chauffeur me propose de me prendre à son bord. J’avale ainsi rapidement une vingtaine de kilomètres. C’est toujours cela de fait !Le soir, fourbu, je m’arrête à la sortie de Loudéac. Je trouve chambre chez l’habitant. Aussitôt logé, aussitôt couché, aussitôt endormi. Et, en pleine nuit je me réveille, reposé. Debout, toilette et en route non sans avoir remercié l’hôtesse de son hospitalité. Réveillée, elle est étonnée de me voir partir si vite. Je lui ai réglé le prix de la chambre la veille.A peine sorti de Loudéac, passage à niveau franchi, surgit une voiture allemande qui stoppe. “Verboten” (interdit) me crie un officier. En effet j’ai oublié qu’il est interdit de circuler la nuit. “Papiers” (papiers). Heureusement j’ai sur moi un ordre de mission, couvert de tampons, que m’a délivré Lesieutre à tout hasard, et, surtout, un “ausweiss” autorisation allemande de circuler en zone interdite.Mon sac est fouillé tandis que je m’explique. Finalement je suis relâché mais invité à trouver gîte pour la fin de la nuit.Ça tombe bien : voilà une ferme à proximité. On refuse de m’ouvrir. Qu’à cela ne tienne je vais dans la grange voisine où je me lote dans la paille et me rendors en attendant de pouvoir circuler de nouveau.Le lendemain, dans la matinée, je fais mes ablutions dans un ruisseau avant Plouguenast. Entre Moncontour et Lamballe je bénéficie d’un deuxième transport gratuit sur quelques kilomètres.En fin d’après-midi je frappe à la porte de mon oncle, Julien Gicquel, palefrenier au haras.Je casse une petite croûte, avale un verre de cidre, et saute sur le vélo que la tante, Marie Coupé, me prête pour rallier Plurien où j’arrive en moins d’une heure.Ainsi se termine mon voyage de retour au pays et mon premier séjour dans l’Apprentissage Maritime.Mais je ne veux pas clore ce chapitre sans rapporter les deux informations qui suivent :- les chants à bord du “De Grasse”- ce qu’il advint de ce bateau.

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Les chants à bord du “De Grasse”

Chant des couleurs :Prenons patience

Car un jour viendraLe drapeau de FranceOh ! douce espérance

Dans le clair soleilRemontera

Nous sommes ici pour reconstruireAu pays nous nous consacrerons

En conservant notre sourireJusqu’au bout nous servirons

Nous voici à bord du “De Grasse” :Nous voici à bord du “De Grasse”

Oh France ! Applaudis nos ardeursJamais le travail ne nous lasse

Et nous chantons tous “Haut les cœurs”

Un jour viendra où notre CommandantDira “Partons, quittons ce cimetière”Et le “De Grasse”, machines en avant

A 30 nœuds s’éloignera de terre.

Maréchal nous voilà :Maréchal nous voilà

Tu nous a redonné l’espéranceLa patrie renaîtra

Maréchal, Maréchal, nous voilà

Tu as lutté sans cessePour le salut commun

On parle avec tendresseDu héros de Verdun.

} Bis

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Ce qu’il advint du “De Grasse”

Il a eu, hélas, une triste fin qui nous est contée par la revue “Marine” d’Avril 2000.Ce bâtiment de 19.900 tonnes, long de 174 mètres, a coulé à la libération. Renfloué et remis en état en Juillet 1947 il assure le service sur la ligne Le Havre-New York jusqu’en 1953 date à laquelle il est vendu aux Canadiens et rebaptisé “Empress of Scotland”.Il passe ensuite à l’armement italien Grimaldi qui le baptise “Venezuela” et l’affecte à la ligne d’Amérique du Sud, avec escale à Cannes.Dans la nuit du 21 au 22 mars 1962, par très mauvais temps, il neige, venant de Gênes le “Venezuela” ex “De Grasse” déchire sa coque sur les récifs entourant le sud de l’île Saint Honorat.Le commandant décide alors d’échouer son bateau devant Cannes. Il y reste deux mois avant d’être renfloué et démoli à Le Spezia après une carrière de 38 ans dont 29 sous pavillon français.

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QUELQUES PHOTOS

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Été 1943, Le «De Grasse» au mouillage à Blaye

École de nage Séance d’hébertisme

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Rassemblement sur le pontJe suis devant mes 15 mousses basques

Les mousses à l’instruction dans la salle des machines

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Avant les couleurs

Le maître d’équipage

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3 copains mécaniciens

De gauche à droite : Louis Hourdin, Brunetti, Pierre Amiot

À Saint Jean de Luz

Décembre 1943

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7_ LA RÉSISTANCE ET MON MARIAGE(Juin 1944 - Avril 1945)

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On comprendra peut-être mon désir de quitter Saint-Jean-de-Luz et de rallier le pays quand j’aurai révélé qu’au cours de la courte permission qui a suivi mon débarquement du “De Grasse”, j’ai fait la connaissance d’une charmante et jeune personne, prénommée Marie, qui allait devenir mon épouse et la mère de mes enfants.Je me souviens de notre première rencontre. Louis Hourdin m’a accompagné à Plurien où demeurent mes parents.Un soir nous revenons tous deux d’une promenade à bicyclette quand nous rencontrons, sur le chemin des “Courtillons” ma sœur Madeleine et Marie, dont le frère Charles fréquente ma dite sœur. Ce qui explique la présence chez nous, au Bas-Créhen, de cette jeune personne à qui je trouve un certain charme.Nous nous sommes revus, bécottés et écrits lors de mon séjour à Saint-Jean-de-Luz.A Pâques 1942, profitant des vacances scolaires je suis revenu passer une semaine à la maison et revoir ma Dulcinée.Ce qui a fait dire à Maman, me voyant partir vers Pléhérel, donc vers l’Est : “Tiens, tu as changé de cap !”Après le débarquement et mon retour au Bas-Créhen, je mets à profit cette courte période de repos pour filer le parfait amour avec Marie.Je vais la voir le soir à Carrien où je veille tard au coin du feu, avec ses parents, puis avec elle seule. Et c’est vers les 1 ou 2 heures du matin que je rallie le Bas-Créhen en bicyclette. Je roule sans aucune lumière, par nuit noire, en empruntant un circuit le plus éloigné possible de la côte et des patrouilles allemandes. A chaque croisement je m’arrête et écoute attentivement s’il n’y a pas quelques soldats dans les environs. Je passe par le Papeu, les Caillibotières, la Ville Neuve... Chaque matin j’ai droit à une réprimande : “Tu vas te faire tuer par les Boches.”L’après-midi je reçois quelquefois la visite de Marie qui, en short, abat à la course les quatre kilomètres qui nous séparent. C’est le grand amour !

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Cet exploit sportif s’explique par le fait que Marie a concouru dans les championnats de course à pied.Mais me voilà retombé dans l’inactivité de l’hiver 1942-1943. pas pour longtemps. Car un oncle de Marie, René Durand, bien connu dans le pays pour ses frasques amoureuses, me propose de prendre le commandement des F.F.I (Forces Françaises de l’Intérieur), section de Pléhérel, soit une soixantaine de gaillards.Je tombe des nues, n’ayant jamais comploté contre l’occupant et je m’étonne de cette proposition. René Durand, qui sévit à l’État-major F.F.I de Jugon, dont dépend Pléhérel, m’explique qu’il a proposé le poste à des gens de l’armée active (officiers, sous-officier) en situation de demi-solde. Tous ont décliné l’offre, ne voulant prendre aucun risque.“Tu est dynamique. Tu as le sens du commandement” est l’explication de la proposition que me fait René Durand.J’accepte donc le poste et deviens le “lieutenant Amiot”, sans galon, avec pour collaborateur mon camarade Raymond Brisebarre dont les parents tiennent commerce et garage au bourg de Pléhérel.Mon premier travail va consister à mettre un peu d’ordre et de discipline dans cette armée de “Bourbaki”. J’y suis grandement aidé par un ancien maître canonnier Rolland Rollier qui répartit les gens en bordées, comme sur un navire, avec rôles de plats, de gardes et de corvées !Je n’entre pas dans l’histoire détaillée de la Résistance, car elle a été écrite dans “L’histoire du Pays de Fréhel”, parue en 1981 sous ma plume.Et je me contente de parler de ma petite personne puisque c’est le but du présent écrit.Ce séjour parmi les F.F.I est marqué par de fortes émotions le 3 Août, jour de notre mobilisation effective face à l’ennemi.Avant la pointe du jour tout le monde est rassemblé dans la cuisine de Carrien, dont j’ai fait mon quartier général. La pièce est pleine de monde quand, tout à coup, un imprudent, Jean Labbé, manipulant son arme, fait partir une balle qui traverse la pièce en diagonale et vient se ficher dans le mur, entre porte et fenêtre, à un mètre du sol. Aucun blessé. C’est miracle.Nous voilà partis à pied pour Hénanbihen où nous devons protéger les convois américains montant sur Brest après la percée d’Avranches.Après environ une heure de marche, arrivés presque sur les hauts de Saint Jean, nous recevons, par estafette, l’ordre de faire demi-tour vers notre point de départ et d’y bloquer les routes, afin d’immobiliser sur place les troupes allemandes d’occupation.En repassant à la Croix de la Ville Neuve la fermière du coin, Madeleine Lemonnier, nous apporte un solide casse-croûte que nous apprécions car nous nous sommes tous très tôt levés et à jeun.Arrivés au camps de munitions, dans un bois au-dessus de Papeu, je répartis les 3 groupes : l’un va se mettre en position sur la route de Pléhérel au Vieux Bourg, l’autre sur la route de Plurien et le troisième sur la route de Matignon,

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à Saint Aide.Les groupes partis je reste au camps pour régler quelques problèmes logistiques avec les vétérans gardiens du camps.Arrive un jeune garçon, Louis David, de Lamballe, envoyé par Hénaf le charcutier de Plurien. Il veut servir dans nos rangs. Je lui remets une arme et lui indique le chemin de Sainte Aide.Hélas, à peine arrivé dans ce hameau le groupe F.F.I a accroché des Allemands et s’est replié conformément aux ordres reçus : harceler l’ennemi mais ne pas l’affronter.David arrive là, sans méfiance, et est immédiatement abattu et achevé de balles au cœur.C’est miracle que je ne subisse pas le même sort car je suis le même itinéraire un quart d’heure après David.Arrivé à 50 mètres de Sainte Aide j’entends un sifflement au-dessus de ma tête et je vois tomber quelques feuilles d’un arbre voisin. Un deuxième sifflement et des cailloux du chemin qui sautent.Levant le nez j’aperçois, sur le perron d’Hélène Andouard un soldat allemand qui me vise. Heureusement qu’il est maladroit ! De toutes façons je ne reste pas à le contempler ou essayer à mon tour de le tuer.Je saute la haie voisine, j’y perds mon revolver passé à la ceinture, et, en courant, je vais me mettre au bas du champ, à l’abri du couvert végétal. Je prends alors le temps de réfléchir, extraordinairement lucide face à un grand danger.

Je vais plus tard, à plusieurs reprises, en particulier en Indochine, me trouver en situation aussi critique. A chaque fois je constate en moi une très grande lucidité excluant, sur le moment, toute idée de peur. Elle n’apparaît qu’après coup.Devant moi j’aperçois des soldats allemands debout dans un fossé, face à la route. Ils me tournent le dos. Derrière un soldat qui me cherche.J’ai vite fait de mettre quelque distance entre les Teutons et moi. Un accrochage a, de toute évidence, eu lieu. Peut-être un des nôtres a-t-il été fait prisonnier ?Sous la torture il peut parler et indiquer l’emplacement du camp de munitions où sont restés tranquillement une dizaine de vétérans. Il faut les alerter.Je cache ma carabine sous un buisson de façon à passer pour un paisible promeneur si un Teuton m’interpelle et je pars aussitôt vers le camp qui est évacué illico-presto, chacun restant aux aguets sous les couverts voisins.Mais la journée s’achève sans autres heurts.A la suite de cette opération la population craint des représailles de l’occupant. Comme il fait très beau temps tout le monde se disperse dans la campagne pour y passer la nuit.Quant à nos troupes, il est jugé prudent de les replier vers les vestiges

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templiers de la Caillibotière, un coin perdu où l’ennemi ne se risquera guère. De là, chaque soir, partent des patrouilles propres à chatouiller l’ennemi.Les F.F.I de Plévenon, ne se sentant pas à l’aise chez eux avec la présence de 300 Allemands au Cap Fréhel nous ont rejoints, ce qui porte à une centaine le nombre de combattants.Mais il faut nourrir tous ces gens. C’est simple et vite fait. On procède par réquisitions. J’envoie quelques vétérans chez les commerçants connus pour avoir travaillé avec l’occupant. Ils sont munis d’un simple papier ainsi libellé : “J’ordonne Mr ......... de remettre aux porteurs ......... denrées qui lui seront remboursées ultérieurement par les pouvoirs publics.” Signé : Pierre Amiot, Commandant de la Compagnie F.F.I de Pléhérel. Et ça marche !Parmi les démarcheurs il y a un brave homme : Jules Morin, de la Ville Allain qui lui a le don de trouver des barriques de cidre. Car nos gens ne se contentent pas d’eau !Les Allemands se replient tous sur la Cap Fréhel où ils se terrent.Nous sortons alors de notre campement et nous décidons d’occuper le bourg de Pléhérel interdisant ainsi tout passage à l’ennemi.Le drapeau tricolore est hissé sur la mairie. On sent que la délivrance du Boche approche.Puis vient l’ordre d’investir le Cap Fréhel avec l’aide de nombreux résistants venus d’ailleurs. Une tentative d’approche sur la lande, ordonnée par le Commandement de l’Inter Secteur de Jugon se solde par une réplique musclée de l’allemand. Pas de blessé. Nous nous replions.René Durand, déjà nommé, décide de mettre en batterie un canon pris je ne sais où et de tirer sur le Cap. Il est vite repéré par l’ennemi et René Durand, grièvement blessé, est évacué sur l’hôpital de Saint Brieuc.Puis arrivent les Américains qui ont vite fait de cerner le Cap et le 15 Août les Allemands se rendent. Ils traversent en camion le bourg de Plévenon. La population les insulte, leur crie sa haine : “Maudits salauds, vavez pris mes poëres.”... Les soldats allemands sont blêmes. La guerre est finie pour eux.Je reçois de Jugon l’ordre d’occuper le Cap Fréhel avec mes gens. Me voilà Commandant de la place... pour 15 jours. On s’organise. La camionnette du garage Perroquin, réquisitionnée depuis le début de cette aventure, assume le ravitaillement complété par du poisson provenant des eaux du Cap où quelques F.F.I jettent des grenades.Nous avons récupéré une dizaine de prisonniers, d’origines allemande, polonaise ou russe et nous les mettons au déminage. Le sol étant truffé de mines anti-tanks et anti-personnel. Autant que ce soit eux qui sautent que les Français !Puis arrive la dissolution du mouvement F.F.I. Quelques uns partent pour le front de Lorient. La plupart rendent leurs armes et reprennent leurs activités civiles.Quant à moi je me consacre à ma “bonne amie” que j’épouse le 11 novembre suivant, au grand dam de mes parents. Réaction curieuse de Maman quand

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je lui annonce ma future paternité : “Et dire que nous parlions de faire construire une maison !” Je suis abasourdi par cette réponse. Rappelons que, pour Maman, ses fils représentent un capital qui doit porter intérêt.Quant à mon beau-père il me fait comprendre qu’il n’apprécie guère la situation dans laquelle j’ai placé sa fille. Il suggère même que j’aille me marier ailleurs !A l’époque c’est une tache, une flétrissure pour une jeune femme de se marier enceinte.Je suis bien décidé à remplir mon devoir, faire face à mes obligations et le 11 Novembre 1944 en présence d’une assistance très réduite : parents, beaux-parents, grand-père et mon cousin Robert, j’épouse Marie. Il y de cela aujourd’hui 57 ans. Ce ne fut pas une union malheureuse !Ouvrons ici une parenthèse pour parler un peu de mon mariage.Marie est, à vingt ans, une jolie fille. Toujours souriante. Je devine en elle des qualités qui en feront une bonne épouse et une bonne mère de famille : qualités du cœur et de l’esprit.Elle s’est, de fait, beaucoup attachée à l’éducation de ses enfants. Je la revois encore, vers 10 ou 11 heures du soir, passer dans la chambre de Jean-Pierre, alors en classe de maths-sups ou maths-spé, le soutenant moralement, l’encourageant dans ses études.Sur le plan de l’esprit j’ai apprécié son attitude vis-à-vis de mes collègues de la Marine puis, plus tard, de mes amis retraités. Elle sait accueillir les gens, les mettre à l’aise.Elle est aussi assez coquette. Mais je lui en sais gré car je n’aurai pas aimé une femme de tenue négligée. Comme disait notre amie Germaine Chiché : “Vous êtes atteintes de fièvre acheteuse.” Ce trait d’esprit m’a beaucoup plu et, le mot étant répété, Marie se fait souvent taquiner par son mari et nos amis.Sur le plan du cœur j’ai souvenance d’avoir vu Marie se pencher sur la souffrance de certaines personnes, de la médisance desquelles elle avait pourtant souffert.Marie a le culte de la famille. Elle pense souvent à ses parents disparus et ne manque jamais un anniversaire ou une fête pour aller fleurir leurs tombes. Elle est aux petits soins avec une cousine handicapée physique et pratiquement seule dans la vie.Mais à l’inverse Marie a la rancune tenace envers les personnes qui ont critiqué les siens.Cela dit il me faut subvenir aux frais de mon jeune ménage. Ne voulant pas rester à la charge de mes beaux-parents qui m’ont accordé l’hospitalité, je prends un nouveau contact avec Monsieur Hamon, un des patrons de l’Apprentissage Maritime.

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Il se trouve que ce dernier qui craignait, à la libération, d’être soupçonné de pétainisme, a su, avec plaisir que j’avais agi dans la Résistance ce qui donnait aux Ecoles d’Apprentissage une image différente de la collaboration avec l’occupant.C’est à l’enterrement, à Erquy, des martyrs de la couture que la mère de Monsieur Hamon et sa sœur Rosalie m’ont aperçu à la tête de la délégation de Pléhérel.Et, dès le début Janvier 1945, je rejoins avec ma jeune femme Paimpol et son école d’apprentissage où je seconde Monsieur Lidou, directeur, capitaine au long cours.Mais je ne vais y rester que 4 mois car le 18 avril j’abandonne l’école, l’apprentissage, la Marine Marchande pour répondre à un ordre de mobilisation de la classe 23.J’ai sollicité et obtenu mon admission au cours des élèves Officiers de réserve et, ce jour là, je quitte Marie avec beaucoup de peine, pour rejoindre Toulon et Casablanca.Maman, avisée de mon départ, vient le jour même à Paimpol pour convoyer mon épouse qui s’arrondit petit à petit.A Paimpol nous étions logés chez Monsieur et Madame Le Calvez, à Ker Puns, commune de Kérity. Logement correct pour l’époque. Pas de salle d’eau. L’évier sert de lavabo. La pièce de séjour est très bien meublée. Elle nous sert de chambre. Les toilettes, comme à l’accoutumée sont dans le fond du jardin.Les propriétaires sont braves. Elle, marseillaise de naissance, a un accent pointu. Lui, capitaine au long cours retraité, est un peu maniaque. Il vient, tous les lundis matins, remonter la pendule du salon. Ces gens ont une fille unique qui va entrer dans les ordres à Albi. Je me suis laissé dire que, pour lui éviter des corvées, ses parents ont testé en faveur de son ordre religieux.Nous menions à Paimpol, Marie et moi, une vie des plus tranquilles. Nous nous promenions bras dessus, bras dessous, faute de moyen de locomotion, telle une bicyclette. Nous faisions de longues promenades le Dimanche vers Loguivy de la Mer et autres lieux.Nous allions chercher, dans une gamelle allemande, notre pitance du midi dans un restaurant voisin qui nourrissait les mousses. Je n’ai jamais tant mangé de tripes de ma vie. A en être dégoûté à tout jamais. Mais ce n’était pas cher et notre budget était bien maigre.

Nous avons été heureux durant ces 4 mois paimpolais.Avant de clore ce chapitre de la Résistance, je précise qu’en la circonstance je ne suis pas du tout considéré comme un foudre de guerre, bien qu’ayant failli être tué par une sentinelle allemande au village de Saint Aide.Mon séjour dans cette organisation a été de très courte durée et je n’en ai tiré aucun avantage pécunier, décoratif ou de carrière marine.

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QUELQUES PHOTOS

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Les F.F.I de Pléhérel en route pour le Cap Fréhel

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Marie à 20ans

Sur le dos de cette photo, on peut lire :«À mon Pierrot chéri avec tous mes plus tendres baisers.»

MarieCarrien le 16 Mars 1944

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8_ AUX E.O.R CASABLANCA(01 Mai 1945 - 01 Novembre 1945)

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C’est le cœur gros que je quitte Marie. Je sais que mon absence va durer au moins 6 mois.Le matin du 20 Avril je débarque en gare de Toulon avec d’autres recrues et un camion nous emmène au Dépôt des Équipages, vaste ensemble où chacun de nous devient un numéro.J’apprends que le contingent des E.O.R est parti la veille pour Casablanca. Reste à attendre une occasion qui se présentera sous la forme d’un aviso colonial.En attendant le départ je suis déguisé en matelot et en subis le rythme de vie.Je rencontre, par hasard, un garçon de Pléhérel, un nommé Lemoigne, dont la sœur est une amie de Marie. Il me propose de faire le mur un soir. Refus. Je ne tiens pas à compromettre mon départ pour Casa. Qui tarde d’ailleurs. Ce qui nous amène, un candidat E.O.R Pont attardé et moi à aller trouver le Lieutenant de vaisseau responsable des passages.Nous avons droit à une bonne engueulade. “De quoi vous mêlez-vous. Je connais mon travail.” Mais cette intervention aboutit tout de même à un prompt départ.Arrivée à Casa, puis à l’école. Contact avec le “bidel” : capitaine d’armes chargé de la discipline, puis avec le Capitaine de Compagnie et me voilà intégré dans la dernière fournée des E.O.R Casablanca.Nous sommes 36 dans cette promotion. De diverses provenances : Marine Marchande, Génie Maritime, Arts et Métiers, École Violet, Travaux Publics, École Supérieure de Fonderie, École Supérieure d’Electricité...Nous avons un premier maître chargé de veiller sur nous et nous encadrer.Une salle de classe est à notre entière disposition. Ainsi qu’un dortoir garni de hamacs, rangés dans la journée et tendus à l’heure du coucher.Je me souviens que les têtes de ces “bois de lits” (ainsi nomme-t-on les hamacs dans la Marine) recelaient de petites bêtes qu’on appelle des punaises. Nous en faisons la chasse mais en évitant de les écraser car cela sent mauvais ! Si on ne lutte pas contre la présence de ces bêtes, on passe la nuit à se gratter

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car elles se nourrissent de notre sang.De temps en temps les hamacs vont à la désinfection.C’est l’ensemble des bâtiments qui est désinfecté quand nous attrapons la gale.Cela débute par de petites cloques entre les doigts. On les fait éclater et on essuie. Puis lamal se répand en certains endroits du corps : sous les avant-bras, sur l’intérieur des cuisses...

On nous distribue une sorte de pommade soufrée dont il faut enduire tout le corps. Ça brûle. Ça démange. Quel plaisir !Les premiers samedis de notre arrivée on nous administre quelques piqûres avec des seringues aux aiguilles plus ou moins émoussées. Ces injections sont souvent suivies de lassitude, voire de fièvre. D’où le choix du samedi. Le T.A.B, le choléra et autres ingrédients nous sont ainsi administrés.Notre tenue, sur ordre, nous distingue des autres marins : nous mettons la vareuse dans la pantalon.Les journées sont calmes et studieuses. Branle bas. Toilette. Petit déjeuner au réfectoire. Classe avec différents professeurs, tous de la Royale.Souvent, vers 11 heures, nous partons, en colonnes par trois, sous les ordres d’un second maître soit vers la piscine voisine, soit vers un terrain de sport distant d’un ou deux kilomètres. Cette marche, au pas cadencé, s’accompagne de chants.Un jour, après nous avoir rabroués, le second maître nous donne l’ordre de chanter, “et du cul les gars” précise-t-il. Il entame une chanson. Refus de tous de reprendre en cœur. Vexé, au retour, il se plaint au Commandant de l’école. Il y a là un refus net d’obéissance.Le soir même rassemblement exceptionnel dans la cour : le Commandant va nous parler. Nous nous attendons à quelque sanction. Mais non, ce n’est qu’un simple shampoing !Nous pouvons “aller à terre” le Samedi après-midi et le Dimanche. Personnellement je ne sors guère étant démuni d’argent. La grosse partie de ma très maigre solde est déléguée à Marie.Le soir, après le dîner qui est servi tôt, vers 5 ou 6 heures, au lieu de travailler en salle de classe où règne toujours du bruit, je m’isole sur le toit plat de l’école, recouvert de dallage rouge. J’apporte avec moi une couverture et je reste là, à étudier jusque la nuit tombante. Ce qui me permet de voir, à plusieurs reprises, le fameux rayon vert qui apparaît furtivement dès que le soleil disparaît sous l’horizon marin.Je fais exception à ma règle de solitude durant un week-end. J’ai appris la présence à Casablanca d’un gars de Plurien très sympathique que je connais bien : Eugène Lemercier, de la Ville Paie, ferme voisine du Bas-Créhen.Il sert dans la gendarmerie, est marié à une autochtone et est caserné aux environs de Casablanca.

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Il vient me chercher en side-car un samedi et m’emmène dans son casernement où je passe la soirée à parler du pays.Ce garçon, de par son mariage, s’est éloigné du Pays. Plus tard il a été contraint d’y revenir, à cause des évènements. Il a installé sa famille dans la région briochine.Un jour, étant en retraite, j’ai appris son décès et je me suis rendu à la cérémonie religieuse qui s’est déroulée en l’église de Plurien.Une fin de semaine nous embarquons tous sur le navire auxiliaire “Président Théodore Tissier” pour un voyage jusque Fédala où nous passons le week-end à quai.Une autre excursion, en camion cette fois, nous fait découvrir Rabat et ses merveilles.De temps à autre nous nous rendons sur un contre torpilleur “l’Alcyon”, rescapé de la bataille de Casablanca lors du débarquement allié de 1942. Nous plongeons dans les entrailles avec mission d’en dessiner la tuyauterie.Nous allons aussi visiter quelque bâtiment de passage, tel le croiseur “Georges Leygues”, à bord duquel je rencontre un nommé Havy de Plurien, ceint d’un uniforme de maître principal. Ce garçon a, par la suite intégré le corps des Officiers des Équipages et a achevé sa carrière à 5 galons panachés.L’atmosphère qui règne au sein de notre groupe est excellente. C’est sans doute en souvenir de cela que, beaucoup plus tard, se constitue un groupe des anciens de Casa.Groupe que je rejoins après quelques années d’hésitations. L’explication en est simple. Je garde personnellement un mauvais souvenir de mon séjour aux E.O.R, non pas dû à mon entourage, je viens de dire qu’il était excellent, mais à la souffrance morale que j’endure à vivre, des mois durant, loin de ma petite famille puisque un bébé est arrivé, comme prévu, au mois de Juin.Puis, finalement, sur la poussée de mon ami Glémot, de Paimpol, j’intègre ce groupe souvenir et Marie et moi nous y plaisons beaucoup. Revenons à Casa.

Les repas se prennent au réfectoire. Nous sommes dotés chacun d’un gobelet, d’une assiette, d’une cuillère, d’un couteau et d’une fourchette, tout cet équipement est en métal.Après chaque repas l’ensemble est vaguement lavé à l’eau courante froide avant de regagner un tiroir de nos bureaux. Seul le gobelet échappe au nettoyage. A force de recevoir notre faible ration de vin il se couvre, intérieurement, petit à petit, de tanin et prend une couleur rouge foncée. Il se culotte comme une pipe. Tous ces ustensiles nous ont été délivrés au dépôt de Toulon lors de notre incorporation. Ils sont tous marqués de notre numéro de matricule, 7008B45, pour ce qui me concerne. Ceci afin de prévenir des vols. B est mon centre de recrutement: Brest. 45 l’année de mon incorporation et 7008 mon rang d’incorporation dans l’année.La nourriture est assez abondante, je ne me souviens pas avoir eu faim. Mais elle n’est guère variée : souvent, très souvent de la “chi chi” verte, purée faite

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de certains légumes. Mais quand on a 20 ans la quantité peut suppléer à la qualité.Sur le plan des études je dois dire qu’elles sont menées sérieusement. Les professeurs sont de qualité. C’est bien à Casablanca que je me suis le plus instruit dans certains domaines tels que la thermodynamique, la théorie du navire, la résistance des matériaux.Je travaille dur mes cours pour réussir car je ne veux pas retourner à la Marine Marchande.Mes efforts sont couronnés de succès car, à l’examen de sortie, je suis classé 2ème de la promotion.Je me souviens de l’épreuve de résistance des matériaux passée devant un ingénieur du Génie Maritime. Il me faut calculer la résistance à la rupture de deux tôles assemblées par des rivets.J’ai étudié cette question la veille. Mes explications m’attirent les félicitations de l’examinateur.Un mot sur quelques uns de nos professeurs :- Chapelle : je devais le retrouver deux ans plus tard sur le “Colossus”. Garçon très sympathique. A vite quitté la Marine pour les “Brasseries et Glacières d’Indochine” à Saïgon. Décédé jeune. Il a laissé une très bonne impression dans cette société qui, plus tard, a voulu me confier la direction de son usine de Yaoundé.- François : il encadrait les jeunes officiers ingénieurs sur la “Jeanne d’Arc” quand j’ai fait mon stage à bord. Il a terminé aux étoiles.- Bertrand : fusilier bien qu’issu de Polytechnique. Pas trop méchant. On raconte qu’un jour, attablé dans un café de Casa avec son épouse, se présente le garçon qui demande ce que ces messieurs dames désirent. Bertrand questionne son épouse : “Annie, Annie ?” Et le garçon de clamer, en direction du comptoir : “Deux assiettes, deux.”Notre classe est décorée d’un drapeau bleu blanc rouge, chipé je ne sais où, et garni d’un dessin exécuté par un des E.O.R de notre promotion. Qui est la dernière de Casablanca. La métropole prend le relais en rade de Brest.Il est décidé de mettre le drapeau au tirage au sort. J’en suis désigné détenteur. Curieusement je serai le seul de la promotion à faire carrière dans la Marine Nationale.Longtemps cette emblème est restée dans une malle de Carrien, un peu la proie des mites.Quand le groupe des “anciens de Casa” s’est constitué je lui est adressé le drapeau ce qui a causé grand plaisir car nul ne se souvenait ce qu’il était devenu.Depuis il circule entre les membres et je le revois chaque année quand il est transmis, au cours d’une petite cérémonie, de l’organisateur de la rencontre

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passée à celui de la rencontre à venir.Ce qu’il est advenu du drapeau :La veille de notre séparation à Cannes, en septembre 2002, j’ai proposé que le drapeau de la promotion reste en fin de compte aux mains de celui qui a été l’auteur de toutes nos rencontres : Raymond Degiovanni. Cette proposition a été acceptée à l’unanimité.En fin de séjour, après la proclamation des résultats, il y a un seul collé : Martin. On nous invite à passer chez le maître tailleur de l’Arsenal pour y prendre nos mensurations et, quelques jours après, recevoir notre premier uniforme d’officier.Mélange ou confusion je suis affublé d’un costume un peu serré. Le départ approche. Pas question d’attendre un autre habit. Tant pis je garde celui là.Je dois avouer que, lors de ma première sortie en ville en tenue d’Aspirant, je suis fier et satisfait.Je pars sur un aviso vers la France mais cette fois en prenant nos repas au carré des officiers. Escale à Lisbonne. Arrivée à Brest. Un télégramme à Marie. Le train jusque Saint Brieuc. Où, durant plusieurs heures, j’attends le départ du petit train. Visite à Thérèse en pension au lycée.Arrivée de nuit à la gare du Vieux Bourg où m’attend Marie, venue en bicyclette. Retour à pieds vers Carrien où je fais la connaissance de Jean-Pierre.

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QUELQUES PHOTOS

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Excursion à Rabat La promo sur le toit de l’école

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La tour Hassan

Dans les rues de Casa

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Discussion avec l’ami Dupont

1945

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Départ pour le défilé en ville

Retour du défilé(entrée de l’école)

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Pendant ce temps, à Carrien est arrivé un gros poupon prénommé Jean-Pierre

Dans les bras de Maman juste après sa naissance

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Drapeau de la promo

Tableau de fin de promo

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À Plurien, Décembre 1945Je fais la connaissance de Jean-Pierre

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1 BOITEL 10 LAGOUTTE 19 RICOUARD 28 LE TINNIER

2 CLOUAIRE 11 TRIBOULIN 20 AMIOT 29 FEBVRE

3 CASTAINGS 12 LOISON 21 GAVEND 30 MAGNIER

4 GRIMALDI 13 LEMOIGNE 22 BURDET 31 POIRIER

5 DE BILBAO 14 CHARPENTIER 23 GOUIN 32 LEVANT

6 DAVENAS 15 BONNET 24 RIEGEL 33 RENAULT

7 PERSAC 16 DELAUNAY 25 SUEUR 34 GLEMOT

8 DEGIOVANNI 17 CATALA 26 DUPON 35 DUGUE

9 MAHEO 18 MOULIN 27 LOGNONE 36 BAILLET A

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Quelques anciens de Casablanca à CarrienRéunion de mai 1997 à Sable-d’Or-les-Pins

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9_ À L’ÉCOLE DE ROCHEFORT(01 Novembre 1945 - 15 Juillet 1946)

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Je garde de mon séjour à Rochefort un souvenir assez terne.Rentré de Casablanca à l’automne 1945 je suis, quelques jours après, prié de rallier le cuirassé “Paris” à Brest. Je me souviens de mon premier contact avec cette ville toute détruite, des baraquements provisoires et la Préfecture Maritime repliée à l’actuel hôpital Morvan.Sur le cuirassé je retrouve quelques camarades de Casablanca. Mon séjour y est de courte durée. Direction : Rochefort car j’ai opté pour l’Aéronautique Navale. Je vois là s’entrouvrir une porte, une possibilité d’échapper à la Marine Marchande. Les vexations subies sur le “Kilissi” m’ont marqué.A Rochefort nous comptons une dizaine anciens de Casa. Logés par deux, je partage ma chambre avec Dupon, un centralien que je devais revoir 50 ans plus tard, à Sables d’Or les Pins lors de la rencontre annuelle des anciens de Casa.Bien qu’aspirants, déjeunant au carré des officiers, nous sommes astreints à nous déplacer en colonne par trois, au pas cadencé, et assister aux divers rassemblements de l’équipage, y compris l’envoi des couleurs le matin.Le commandement de cette petite troupe a été confié à un nommé Castaings, ancien de Casa, qui totalise le plus de service sous les drapeaux.Plus tard j’ai appris que Castaings a fait carrière à l’étranger et est décédé alors qu’il exerçait la fonction de Consul de France en une ville Sud Américaine.Notre instruction se partage entre les cours théoriques et des exercices pratiques en atelier ou sous hangar. Je découvre la complexité des avions et de leurs moteurs. Me voilà loin de la machine alternative à vapeur du “Kilissi”.Je n’ai pas souvenance que nos professeurs, Ingénieurs Mécaniciens, aient été de grande qualité. Je crois qu’ils n’avaient guère d’aptitudes pédagogiques.Le soir, et en week-end, quand nous ne sommes pas de service nous pouvons “aller à terre”. La ville elle-même, avec ses rues à angles droits, n’offre guère de distractions.

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Personnellement je préfère m’évader vers les pourtours du terrain d’aviation, vers la boueuse Charente et son pont transbordeur.C’est au cours d’une de ces sorties avec mon ami Riégel que ce dernier m’a initié à l’intérêt de l’Organisation Scientifique du Travail et m’a communiqué l’adresse d’une école spécialisée à laquelle je me suis plus tard inscrit et dont j’ai suivi les cours par correspondance.Je crois que cet enseignement a eu un effet bénéfique sur le déroulement de ma carrière car il m’a appris à bien analyser les problèmes et à mieux les résoudre.Nous avons droit à une courte permission tous les deux mois. Je saute de train en train à Bordeaux, Nantes, Rennes, Lamballe. Un seul voyage prend la journée. Le séjour à Carrien n’excède guère 48 heures.C’est au cours d’un de ces séjours que j’ai la peine d’assister à la naissance et au décès d’une petite fille née avant terme.Je ne souffle mot de ce drame à personne à mon retour à Rochefort, ne voulant pas extérioriser mon trouble.Quand vient en juin la fin de mon stage à Rochefort nous devons formuler nos préférences d’affectations. J’opte pour la base d’hydravions d’Hourtin, au nord d’Arcachon, espérant y couler des jours tranquilles en famille.Peine perdue. Mon classement de sortie est excellent je suis désigné pour aller en Angleterre armer le porte-avions “Colossus” prêté puis plus tard cédé à la France. C’est là une belle affectation. Mais je dois me résigner à poursuivre mon célibat géographique.Suivant les ordres reçus je rallie le Cercle Naval de Cherbourg où je fais connaissance de quelques officiers désignés pour l’armement du “Colossus”. Nous devons rallier Portsmouth par le cuirassé “Richelieu”.Un léger contre-temps me vaut une petite permission à Carrien.Puis, un beau jour, c’est l’appareillage pour l’Angleterre. En quelques heures nous sommes à Portsmouth, amarrés près de notre futur navire.Avant de clore ce court chapitre je tiens à conter la rencontre faite un jour dans le hall de la gare de Rennes. Je me rends à Rochefort, revêtu de mon uniforme, comme cela était de rigueur à l’époque. Je rencontre Alfred Balan, du Bas-Créhen, qui part en Normandie, aider à la reconstruction.Il lance, en me voyant, à travers le hall, un tonitruant : “Ah merde, c’est Pierre Amiot.” Je rougis sous ma casquette de midship.

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10_ SUR LE PORTE-AVIONS «COLOSSUS»(15 Juillet 1946 - 01 Novembre 1948)

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Me voilà donc embarqué sur le porte-avions “Colossus” (qui, un an plus tard sera baptisé “Arromanches”) en qualité de midship (un galon plein) à dater du 15 juillet 1946.Je vais rester à bord plus de deux ans et quitter le bateau, doté d’un deuxième galon, le 1er Novembre 1948 à la veille de son appareillage pour l’Indochine.Disons de suite que ce séjour en Indochine a été de courte durée : un mois, mais qu’un terrible accident est survenu à bord : explosion de la soute à décorations.Tous les pilotes sont revenus, bardés de médailles ce qui a fait grogner bien des militaires qui, depuis des années, se battent en rizières et ne sont guère décorés.Cette affaire a fait, à l’époque, grand bruit dans la Marine.A peine arrivé à bord je suis dirigé vers la “soute à midships” située à l’extrême arrière, sans hublot, à la verticale des hélices.Nous sommes six jeunes officiers logés dans cette soute. Je garde quelques souvenirs de mes camarades de l’époque.- Pessiot : fils d’un boucher de Nevers. Lunettes d’intellectuel. Très discret. Très croyant. Tous les soirs il s’agenouille près de sa couchette pour faire sa prière.- Roodt : un gars de Lorraine. Né et élevé près des hauts fourneaux. Ingénieur des Arts et Métiers. Après le “Colossus” il passe sur le “Dixmude” puis est libéré.Retourné à Pompey, son pays natal, il comprend vite qu’il n’est pas fait pour la vie des corons. Je le revois bien plus tard lors de mon séjour à Dakar. Il représente alors une firme industrielle dans l’Afrique de l’Ouest. Nous échangeons quelques repas. Puis il disparaît de mon orbite.- Delalande : c’est l’aristocrate de la soute. D’origine normande. Très croyant. Il sert la messe. C’est pourquoi nous le surnommons “Jojo les burettes”.Après son débarquement je garde quelques contacts avec lui dont une visite dans un superbe appartement qui jouxte le Bois de Boulogne. L’allant

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visiter nous nous trompons, Marie et moi, d’escalier, empruntons celui des domestiques et aboutissons dans la cuisine.

- Sciard : Normand. Fils d’instituteur. J’ai continué à le voir longtemps, en particulier lors de mon séjour ultérieur à Cherbourg. Il vient souvent déjeuner à la maison. Très grand, il est doux comme un agneau.Je le revois plus tard à Sainte Adresse. Il œuvre alors à la raffinerie de Basse Seine. La retraite venue il fait une courte apparition avec sa femme et son camion camping-car chez son ami Gérard Lévêque de Saint Géran chez qui nous dînons ensemble.Puis il est parti s’installer à La Rochelle. Plus aucune nouvelle depuis.A mon arrivée à bord je me présente à mon Chef de service : l’Ingénieur Mécanicien de 1ère classe (3 galons) Aimé Archimbaud. Un garçon très gentil, avec lequel je me suis très bien entendu. Originaire de Suze-la-Rousse dans la Drôme. Issu de l’école des Arts et Métiers d’Aix-en-Provence.Etant le plus ancien des midships de son service, je suis promu à la fonction d’Adjoint et, en cette qualité, je prends la direction du Service Entretien Avions du bord. J’en profite pour parfaire les modestes connaissances acquises à Rochefort.Durant trois semaines le bateau reste sous pavillon britannique. C’est-à-dire : copieux déjeuner le matin, pommes de terre bouillies le midi avec de l’eau en guise de boisson, thé vers 16 heures, assez copieux, maigre repas le soir.Autant dire que le petit-déjeuner du matin et le thé de seize heures sont beaucoup plus appréciés que les repas du midi et du soir.Puis un beau jour d’Août le bateau passe sous le commandement français du Capitaine de Vaisseau Caron (que j’ai moins estimé que son successeur le Capitaine de Vaisseau Sap, un très brave homme).La cérémonie se déroule sur le pont d’envol en présence des deux équipages anglais et français.Le premier ministre britannique, le major Atlee préside la cérémonie.Et le repas du midi, au carré des officiers, sous présidence française désormais, nous paraît très sympathique. Le cambusard, c’est-à-dire le vin rouge de l’intendance, étant sur les tables. Nos amis anglais se mettent vite à le goûter. Et pourtant il n’a rien d’un grand cru.Peu de temps après quelques appontages français en Manche le “Colossus” quitte l’Angleterre. Nous sommes revenus, de passage, à Portsmouth, un ou deux ans après.Nous recevons nos avions : chasseurs Seafire anglais, et bombardiers SBD (Sea Bomber Douglas), vieux avions américains rescapés de la guerre du Pacifique.Après une courte escale à Cherbourg nous faisons route sur Brest. Grosse tempête au large. Une lourde embarcation, posée sur son chariot, rompt ses amarres dans le hangar et se déplace d’un bord à l’autre, au gré des mouvements du navire, cassant tout sur son passage et ce dans un vacarme

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épouvantable.Il est trois heures du matin. Je saute de ma couchette pour prêter main forte aux équipes de sécurité alertées. Arrive mon chef, Archimbaud, qui me félicite d’être là. C’est le début d’une longue confiance dominicale.A Brest, au mouillage sur rade, nous procédons au largage d’avions Seafire avec JATOG (Jet Assistance Take Off Gear) c’est-à-dire fusées de décollage assisté, placées à l’emplanture des ailes, près du fuselage. Ça marche, c’est impressionnant de voir un avion prendre son envol en quelques mètres sur un pont immobile. Mais c’est dangereux.L’enseigne de vaisseau Cavaillé, dont le Seafire tousse au décollage, peut en témoigner. Au bout du pont d’envol son avion, faute d’une vitesse suffisante, plonge vers la mer.In extremis le moteur reprend son régime, l’avion se redresse à quelques décimètres des flots. Ouf !Plus tard Cavaillé, en combat tournoyant au-dessus de la plaine d’Hyères est percuté par un autre avion. Il passe sur le dos et se jette en parachute. Il atterrit parmi les vergers de la Crau.Enfin un jour, quittant le parking d’Hyères pour gagner la piste d’envol son avion est, par mégarde, découpé en morceaux par l’hélice de l’avion qui le suit. En effet le Seafire, avec roulette de queue, a très mauvaise visibilité sur l’avant lors du roulage au sol.Après ces trois aventures Cavaillé, sans doute sur la pression de sa femme qui craint d’être jeune veuve, quitte l’aéro pour la spécialité de radariste moins dangereuse.Je rencontre Cavaillé plus tard à Rennes où, après avoir quitté la Marine, il exerce les fonctions d’Inspecteur des Sites à la Direction des Antiquités de Bretagne.Invité au mariage de la fille aînée de Daniel de la Motte Rouge où nous sommes également conviés Marie et moi, il vient prendre un pot à Carrien. Depuis je l’ai perdu de vue.Revenons à bord du “Colossus”.Le “chef de gamelle” c’est-à-dire l’officier en charge du budget du carré des officiers est, à l’époque un monsieur qui porte mal son nom : c’est l’officier canonnier, le lieutenant de vaisseau de la Taille, haut comme trois pommes. Un peu roublard sur les bords.Il a pris soin, en Grande Bretagne, de garnir la soute de Whisky et de cigarettes, denrées très rares à l’époque sur le continent.Quand nous arrivons à Toulon, de la Taille prend langue avec la coopérative des Douanes pour lui céder, amicalement, quelques cartouches et quelques bouteilles de Whisky.Ce qui fait que, dans le mois suivant, nous trouvons des douaniers très “cools”, pas hargneux du tout, ce qui nous permet, aux uns et aux autres, de débarquer tous les jours le contingent généreusement accordé pour la totalité du séjour à Toulon.

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De temps à autre, inopinément, de la Taille organise une cession onéreuse de ces denrées. Malheur aux absents ! Ne fumant pas j’achète quelques cartouches des précieuses cigarettes que, plus tard, je revends aux Sablettes à une vieille comtesse, ce afin d’arrondir quelque peu ma maigre solde.Dans le service Technique Aéronautique dirigé par Aimé Archimbaud il y a un tout jeune officier des équipages, c’est-à-dire sorti du rang, à qui est confié le ravitaillement aéronautique.C’est un très brave homme originaire de Brest. Il s’appelle Lannuzel. Issu d’une famille “bien” : un de ses cousins termine sa carrière marine comme Amiral, un autre que j’ai connu plus tard à la Préfecture de Saint Brieuc, est Ingénieur des Ponts et Chaussées.Lannuzel est pieux et droit. Il s’offusque vite quand quelque chose ne va pas à son gré. Et, soupe au lait, il sort vite de ses gonds.Ce travers est vite perçu au carré des officiers et, quand au cours d’une discussion, il s’emballe, tout le carré entonne en cœur : “Lannuzel, Lannuzel, Lannuzel”. C’est comique de le voir outré de cette ovation.Mais, je l’ai dit, c’est un très brave homme, marié, trois enfants, avec qui je partage une cabine quand je suis promu à deux galons.Je le revois bien plus tard, lors d’une promenade à Brest et un déjeuner au Cercle Naval. Il n’a guère changé, un peu vieilli seulement. Je me souviens du simple éloge qu’il a fait de moi à son interlocuteur de table : “Je te présente Monsieur Amiot avec qui j’étais sur le Colossus. La Marine a désiré le garder en l’activant. Il a fait certes un bon choix en restant sous les drapeaux mais la Marine aussi en le gardant.”Plus tard, dans notre service, embarque un ingénieur à deux galons : Lafitte, un très curieux personnage que je devais plus tard remplacer à l’Etat Major du Préfet Maritime de Brest.Garçon très décontracté, négligé, toujours mal rasé. Il lui arrive le soir de s’étendre tout habillé sur sa couchette et de s’endormir pour la nuit. Le matin, à peine éveillé, il se rend aussitôt au carré, prendre son petit-déjeuner, la barbe noire, la chevelure en désordre, les vêtements tout fripés. Je crois que sa carrière s’est interrompue à quatre galons.Le pont d’envol est sous la haute direction d’un lieutenant de vaisseau pilote : Condroyer. D’aucuns à bord, parlant de cet officier au contact rude l’appelle “Chosedroyer”. Sans commentaire.J’ai la cote auprès de cet officier pour la raison suivante :Un jour où nous sommes en manœuvre d’escadre en Méditerranée tous les avions sont sur le pont, imbriqués, prêts à décoller. Ordre de l’Amiral : “Faites décoller les avions”. “En route les moteurs” commande le Capitaine de Corvette Ortolan, Chef du service Aviation.Les moteurs démarrent. Sauf un qui refuse obstinément de partir. Cet avion risque d’obstruer le pont d’envol, étant en tête des partants.Énervement à la passerelle.Je me rue vers l’avion. J’ai appris à Hyères à lancer ce type de moteur.

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J’escalade l’appareil, vérifie toutes les manettes, embraye le démarreur. Le moteur part.Félicitations de Condroyer.Je vois mon chef Archimbaud et lui avoue n’avoir eu que de la chance. Il me répond : “La même chose m’est arrivée en escadre, sur un croiseur Amiral. J’étais midship responsable de la drôme (ensemble des embarcations). La vedette de l’Amiral refuse de démarrer, Amiral à bord. Énervements. Je descends, tripote toutes les commandes. Ça part du premier coup. Je n’y ai rien compris mais j’ai été félicité par l’Amiral.Le pauvre Condroyer devient veuf. Sa femme, circulant à bicyclette à Toulon, engage sa roue avant dans un rail de tramway. Elle chute lourdement, néglige d’aller à l’hôpital et meurt 48 heures après. J’ai appris par la suite que Condroyer s’est remarié avec une copine de classe d’une de ses filles.Il y a, dans la flottille des “Seafire” un officier très particulier. Il s’appelle Sanguinetti, d’origine corse, et qui a fait parler de lui plus tard en se présentant aux élections dans le Midi sous les couleurs socialistes. Ce qui lui a valu une belle veste.Sanguinetti, dans les débuts français du “Colossus”, apponte un jour avec un cor de chasse dans son cockpit. A peine posé, il entonne un air de chasse à courre au grand amusement de tout le monde.J’ai un accrochage avec lui un jour où il circule dans le hangar. Il me fait une réflexion désagréable sur le travail de mes gens. Je lui réponds aussitôt : “Si vous n’êtes pas content, allez vous plaindre à mon chef et fichez moi la paix.” Je suis midship et un peu insolent !Sanguinetti a eu, dit-on, longtemps le vent en poupe. Jeune officier brillant il est rapidement Amiral et Major Général de la Marine. C’est lui qui lance l’idée des Super Étendards.Il a, paraît-il, la cote du Président Pompidou. On parle de lui, vu son jeune âge, comme du futur Chef d’État Major des Armées.Mais le Président décède. Finies les espérances. Avec son franc parler Sanguinetti s’est fait beaucoup d’ennemis.Ainsi, étant jeune Amiral en poste à Rochefort, il parle avec mépris des “ploutocrates” de La Rochelle qui arment des bateaux de plaisance toujours à quai.Eliminé des hautes sphères militaires il opte pour la politique et choisit le parti de la gauche. On le voit dans maintes manifestations. Il finit par disparaître de la scène nationale.Autre personnage caractéristique du “Colossus” : le Capitaine de Frégate Le Nabec, Commandant en second. Il a un goût immodéré pour la boisson.Au cours de ma carrière j’ai, à plusieurs reprises côtoyé des buveurs. Et je n’ai toujours pas compris l’indulgence des hautes autorités à leur encontre. J’ai connu au moins deux de ces buveurs qui ont accédé aux étoiles !Un capitaine de l’Armée de l’Air est détaché auprès de l’Etat Major des Porte Avions. Il s’appelle Lansois et son copain Sanguinetti l’appelle Quoiqui.

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Pourquoi ? Parce que : quoi qu’il en soit.Le service photo du “Colossus” est confié à un lieutenant de vaisseau nommé Déïdon. Je n’ai jamais connu dans ma carrière marine d’autres officiers aussi paresseux que ce garçon.Il arrive très tard à bord au mouillage, quitte la bateau dans les tous premiers et n’est guère actif. Je l’ai perdu tôt de vue mais je pense qu’il a dû plafonner à quatre galons.La direction du Service Machines du Colossus est confiée à un “six pieds à quatre”, ainsi appelle-t-on, dans notre jargon, un Ingénieur Mécanicien Principal arborant quatre galons.Ce monsieur, nommé Leloup (dit “The Wolff”), au moment de l’armement du bateau a émis la prétention de prendre sous sa coupe tous les Ingénieurs du bord y compris ceux du Service Aéronautique et de les faire participer aux quarts dans les machines.Protestations véhémentes des intéressés. On ne peut être à la fois au four et au moulin. Faire le quart dans une machine et veiller au bon fonctionnement de la trentaine d’avions présents à bord, ce n’est pas sérieux.L’Amiral tranche. Les aéros restent sur le pont. La seule partie aéronautique qui demeure attachée à la machine comprend les installations propres du bord: brins et vérins d’appontage, catapulte à vapeur, le tout groupé sous le vocable : installations d’aviation, confiées à un ingénieur du Service Général.L’Ingénieur Mécanicien Principal de l’Etat Major Amiral se nomme Kervarec. D’origine bretonne il est d’un tempérament très hargneux. Et, je ne sais pourquoi, il s’acharne sur Archimbaud qui pâtit certainement de cette haine.En sus de la hargne dont il abreuve tout le monde il a un certain penchant pour la bouteille. Ce qui ne l’empêche pas de finir aux étoiles. Après son départ de la Marine il a, m’a-t-on dit, dirigé une usine de fabrication de bouteilles de bière.J’ai souvenance de l’avoir revu plus tard lorsque j’ai servi en Afrique du Nord. Au cours d’un dîner offert à Mers-El-kébir par l’Amiral Lainé je suis assis en face de Kervarec et, imprudemment je le félicite, d’une façon, un peu narquoise je le reconnais, pour le mérite agricole qu’il a obtenu lorsqu’il dirigeait un organisme appelé SAMAN (Service d’Approvisionnement en Matériel de l’Aéronautique Navale). Il a fait arranger de beaux parterres de fleurs par son jardinier !!Toute autre personne aurait pris cette petite moquerie en plaisanterie. Ce ne fut pas le cas. La réplique fut sévère du genre : “Vous n’avez pas à juger vos supérieurs. Taisez-vous !”Bref ce soir là je me suis fait un ennemi de Kervarec.Cet individu a réussi à convaincre le Haut Etat Major de la Marine d’installer à Guengat, son village natal, à mi-chemin de Landivisiau et de Lann-Bihoué, à quelques kilomètres au nord de Quimper, un entrepôt de matériel aéronautique, solution aberrante et coûteuse, supprimée quand le budget de la Marine s’est rétréci.

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J’ai épousé une blonde

Un soir d’escale à Toulon je file vers les Sablettes retrouver ma petite famille.Et là, je tombe des nues : Marie, sur les conseils d’une coiffeuse s’est fait

décolorer les cheveux. “Ça plaira à votre mari.”Ce fut tout le contraire. Je couvrais Marie de reproches. “J’ai épousé une

brune, je ne veux pas d’une blonde.”Quelques pleurs, des regrets, un pardon. Et durant les 6 mois suivants Marie exhibe une coiffure bicolore, de plus en plus brune au fur et à mesure de la

poussée de ses cheveux.

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Parmi les officiers du “Colossus” il y a un enseigne de vaisseau radariste nommé Dubedout. Ce garçon quitte assez vite la Marine pour la vie civile et se retrouve à Grenoble.Son vieil ami Bodhuin m’a conté qu’un jour, las de voir la mauvaise distribution d’eau dans la ville, il se porte aux élections, sur une liste socialiste et c’est ainsi qu’on le voit des années durant présider à la destinée de la cité grenobloise. Il disparaît lors d’une excursion en montagne emporté je crois par une avalanche.Un autre enseigne du bord a laissé trace dans ma mémoire. Il s’agit d’un nommé Le Dû, breton d’origine. Cet officier a servi dans la France Libre et, au cours de son séjour en Angleterre, il a fréquenté une jeune fille de bonne famille campagnarde.Cette demoiselle, devenue son épouse, avait un seul frère qui a été tué durant la guerre.Le Dû quitte alors la Marine pour devenir gentleman farmer. J’ignore s’il a réussi dans ce nouveau rôle.Par ces exemples on voit que la Marine mène à tout, à condition d’en sortir. Mais pas à la manière qui suit :Un officier des équipages à deux galons, dont j’ai oublié le nom, se présente en pleine mer, en tenue civile, avec sa valise, sur le pont d’envol, affirmant qu’il va de ce pas à la gare prendre le train. Le pôvre a perdu la raison. Il est emmené à l’infirmerie du bord. J’ignore ce qu’il est devenu.

Je reviens sur le cas Archimbaud. Nous nous entendons fort bien. C’est à lui, le premier, qu’un soir du 3 Juin 1948, nous sommes en plein Atlantique, j’annonce l’arrivée dans mon foyer d’une petite fille, Claude, nouvelle connue par un télégramme.Quelques jours plus tard je m’entretiens avec lui de la difficulté d’élever une petite famille avec une maigre solde. Il en parle à Condroyer, puis à Ortolan le Commandant Aviation. Lequel en touche deux mots au Pacha. L’affaire va jusqu’à l’Amiral Jozan qui a la haute main sur l’Aéronautique Navale embarquée.On décide de me faire accéder à la qualification de Personnel Volant, ce qui entraîne une augmentation de 50% de la solde de base.Un cours de volant est dispensé à Tafaroui, à la base aéronavale de Lartigue, près d’Oran.Mais on ne veut pas me larguer. On décide tout simplement d’organiser un cours à bord du “Colossus”. Dont profitent quelques midships contrôleurs d’aéronautique. Paris entérine et me voilà à jongler avec les problèmes de navigation, de repérage de silhouettes d’avions... etc...Quelques mois après je reçois mon macaron de volant que je garde toute ma carrière. Ce qui fait jaser les non aéro qui ne bénéficient pas de ces avantages pécuniers.Ils nous baptisent du terme de “monte en l’air” auquel nous répliquons par

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celui, plus grossier de “chient dans l’eau”.Je reste reconnaissant à Aimé Archimbaud de cette aide. Nous débarquons le même jour. Je le perds un peu de vue. Il a quitté la Marine, pour des raisons de santé et œuvre au Ministère de l’Air. J’apprends, non sans peine, son décès en pleine maturité.Il laisse derrière lui une veuve et trois enfants : deux filles et un garçon.Quelques années plus tard, étant à l’Etat Major du Préfet Maritime de Brest, je reçois un coup de fil d’un camarade ingénieur plus ancien que moi qui m’annonce l’arrivée du fils Archimbaud, prénommé Alain, au Collège Naval de Brest. Il me demande de m’en occuper, ce que j’accepte de bon cœur.Et Alain vient souvent à la maison. Je l’emmène sur mon voilier en rade de Brest et tous les dimanches soirs je le rapatrie au Collège Naval.

Sa mère et sa jeune sœur Jacqueline décident un jour de venir le voir. Je les convie à venir déjeuner. Coup de théâtre : un accident de voiture du côté de Saint Pol de Léon. Me voilà avec la famille Archimbaud sur le dos. Tout s’arrange finalement.J’ai perdu de vue Alain durant près de 50 ans. Un jour de Printemps 2000, me rendant avec Marie sur la côte d’azur, je décide de faire un crochet par Suze-la-Rousse, pensant que le père d’Alain y est enterré, ainsi que sa mère décédée ultérieurement. Visite du cimetière. Pas d’Aimé Archimbaud. J’en conclue qu’il est enterré ailleurs.De retour au pays je demande à mon petit-fils Éric de me retrouver la trace d’Alain. Je sais qu’il est orienté vers une carrière médicale et qu’il doit œuvrer dans le Sud-Ouest.Par internet Éric retrouve vite mon gaillard, effectivement installé dans les Pyrénées Atlantiques, près de Pau. Je lui écris et quelques semaines après arrive une réponse qui nous a fait bien plaisir, à Marie et à moi.Il est marié à une institutrice et père de trois enfants dont l’aîné a 21 ans. Il évoque le temps de son séjour au Collège Naval et de ses nombreuses visites à la maison. Il avoue avoir été amoureux de Claude !Pour faire médecin il a été surveillant dans un lycée afin de financer ses propres études. Sa mère, qui le voulait officier de marine, est décédée peu de temps après son installation dans le Sud-Ouest. Elle est, ainsi que son époux, enterrée à Suze-la-Rousse sous le nom de “Prunier”, nom de famille de la grand-mère paternelle.La sœur d’Alain, la rescapée de l’accident automobile, est professeur agrégée d’anglais à Aix en Provence et a deux enfants.L’aînée des deux sœurs d’Alain est mariée à un pharmacien biologiste (une bête à concours disait Madame Archimbaud), 2 enfants, installée à Blois.La lettre d’Alain est très affectueuse et Marie et moi promettons de l’aller visiter un jour.Mais revenons aux faits divers qui ont meublé la vie à bord du “Colossus”. De Brest nous descendons sur Toulon et nous voilà invités au festival du film

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à Cannes. Le bateau mouille sur rade, les réceptions et dîners se succèdent dans les palaces de la ville.La veille de l’appareillage nous rendons les invitations en organisant un pot d’adieu à bord. C’est rituel.

Ce qui l’est moins c’est l’attitude d’une Dame Anglaise qui ne s’est pas méfiée du punch servi par les maîtres d’hôtel.Elle quitte le bord bien gaie. Elle est saluée par l’officier de quart qui annonce la phrase coutumière “sur le bord” et le gabier de service embouche son sifflet. C’est, dans la plupart des marines militaires, la façon de saluer les officiers ou les hôtes de marque.La dame descend la coupée avec quelques hésitations. Arrivée sur le plateau du bas, elle s’arrête au lieu de monter dans la vedette qui l’attend, elle s’assoit à même le plateau et, ayant ôté ses chaussures, laisse tremper ses pieds dans la mer, tout en riant aux éclats.Durant les deux années passées à bord j’ai eu le loisir de voir du pays : escales à Naples, à Malte, à Bizerte, à Alger, à Dakar, à Portsmouth, à Marseille, à Brest et en biens d’autres endroits sortis aujourd’hui de ma mémoire.Partout c’est le rituel. Nous recevons beaucoup d’invitations auxquelles il faut répondre. Le Président de carré répartit les corvées. C’est ainsi, par exemple, qu’un soir à Portsmouth je suis chargé d’encadrer un détachement

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de l’équipage invité à un bal chez les WRENS (marinettes anglaises).Dans l’autocar qui nous emmène vers un château de la banlieue de Portsmouth j’explique aux hommes que je ne tolérerai aucun écart de conduite et aucun excès de boisson.Le bal se déroule sans anicroche.Une escale à Alger a laissé en moi le souvenir d’une mésaventure.Quand nous arrivons dans un port il est fréquent que j’aille à terre avec ma bicyclette acquise au début de l’embarquement et qui me sert à Toulon à rallier le bord sans m’obliger à prendre des cars toujours bondés.Or donc je mets pied à terre, vélo sur l’épaule, mais en empruntant toujours la coupée avant, celle réservée aux sous-officiers, à l’équipage et aux corvées. Il est impensable de prendre avec une bicyclette la coupée arrière, réservée aux officiers et hôtes de marque.Me voilà à Alger où je fais l’acquisition d’une touque de vin d’environ 20 litres de capacité. Je l’amène sur mon porte-bagages et la monte à bord, content de mon achat car en cet après-guerre tout est encore rationné et le vin du midi n’est guère apprécié.Arrivé dans ma cabine je hisse la touque sur une étagère. Je l’y pose un peu brutalement. J’entends un léger bruit. Inquiet, j’observe la touque. Tout paraît normal.

Extrait de la Revue Marine n°189Octobre 2000

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Las ! A l’arrivée à Toulon quand je veux prendre la touque tout son contenu se vide dans la cabine et la coursive : le cul s’était brisé en la posant !Et me voilà à éponger. Ça sent la vinasse dans tout l’arrière du pont principal. Pour comble de malheur le Commandant Adjoint passe par là. J’ai droit à un compliment.Longtemps l’odeur du vin subsiste car le liquide est infiltré partout.Lors d’une autre escale à Alger l’officier de garde à la coupée me fait demander. Il me présente un monsieur et une dame, d’un âge mûr, appartenant à la famille Bréguet, les constructeurs d’avions.L’officier me demande de bien vouloir faire visiter le bateau à ce couple. Satisfait de cette promenade à travers le bord, le monsieur m’invite à prendre un pot en ville. D’accord.Au cours de l’entretien qui suit j’apprends que ces gens sont en vacances chez des enfants à Alger et qu’ils résident normalement à Saint Auban dans les Basses Alpes où le monsieur dirige une usine de fabrication d’aluminium.Connaissant ma situation précaire de réserviste, il me propose de venir faire un tour dans son usine à ses frais et se déclare prêt à m’embaucher. Nous convenons d’un jour de rendez- vous.Quelques temps après. Malgré une nuit d’insomnie passée à essayer de réparer un réveil qui s’obstine à tomber en panne, me voilà dans le train, direction Saint Auban. Accueilli par le grand patron qui me fait les honneurs de son usine. J’en garde un souvenir effrayant. Trois groupes de bâtiments : un rouge où arrive la bauxite, un noir où on manipule du charbon, un blanc d’où sort l’aluminium.Thé familial chez mon hôte, dans la citée érigée pour le personnel de l’usine. Puis je reprends le train promettant de réfléchir et de répondre rapidement.A dire vrai je n’ai pas besoin de réfléchir trop longtemps. Je me vois mal enfermé toute l’année dans ce coin perdu de Saint Auban. Vaquant entre les murs crasseux de l’usine. J’en frémis encore. Non, autant rester sur le “Colossus”. Une réponse polie mais négative est adressée au Directeur.

Au cours d’une escale à Dakar, des camarades de l’Aéro-Navale, basés à Ouakam, m’invitent à les accompagner dans une mission de ravitaillement d’un poste militaire situé en plein Sahara, au nord de la boucle du Sénégal.J’accepte d’emblée et me voilà à bord d’un antique trimoteur Ju52, d’origine allemande et qui a la caractéristique d’être fait de tôle ondulée.Nous survolons Saint Louis et, après avoir suivi quelques temps le fleuve, nous nous engageons résolument vers le Nord.Le vol se fait à basse altitude ce qui nous donne le loisir de voir le paysage. Le bruit des moteurs dérange la maigre faune : de temps en temps nous apercevons une gazelle qui fuit devant ce bruit. On se demande comment ces animaux peuvent survivre dans un milieu si aride où ne poussent, ici ou là, que quelques touffes d’herbes.Vers la fin de la matinée apparaît Boutilimit, une colline coiffée d’un fort au

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pied duquel on aperçoit quelques tentes et habitations.L’avion se pose sur un ancien lac salé. Nous sommes accueilli par un lieutenant méhariste des affaires indigènes, qui règne sur l’endroit.Il nous convie à monter au fort. Et pour cela, il nous faut nous hisser sur des dromadaires sellés, mais couchés. La mise sur pied des bêtes est périlleuse pour nous mais finalement nous partons. Curieuse impression de mal de mer. Mais la distance est courte.Au fort le lieutenant nous présente sa jeune femme. Ils sont trois européens en tout et pour tout parmi ces touareg : le lieutenant (25/30 ans), son épouse et leur bébé qui dort dans un berceau fait de pierres et de ciment.Nous passons un agréable moment avec nos hôtes mais il faut repartir assez vite et prendre congé.On peut se rappeler que lorsque la France régnait sur certains territoires d’Afrique, la paix et la justice y régnaient grâce à ce corps magnifique des Officiers des Affaires Indigènes.Je retrouve Ouakam puis le Colossus, satisfait de cette intéressante mission.Entr’autres escales nous sommes allés en Tunisie. Nos pas d’excursionnistes nous conduisent vers Carthage et ses ruines où des petits arabes s’efforcent de nous vendre de très vieilles pièces de monnaie, d’origine romaine, très patinées par le temps, mais fabriquées la veille !A Tunis j’ai beaucoup aimé les souks. L’obligeance des autorités nous permet de faire une virée, dans le Sud, vers les ruines de Teboursouk. Un bon pique nique, arrosé d’un excellent vin à 13 degrés nous rend très gais. Je me souviens d’avoir essayé de chevaucher un petit âne, mais à l’envers, c’est-à-dire tourné vers le postérieur de l’animal, qui ne bronche d’ailleurs pas.Le lendemain nous quittons le Golfe de Tunis pour aller faire une visite de courtoisie à la base aéro-navale de Karouba. Le canal d’accès traverse la ville où grouille la vie indigène. A Karouba je rencontre un gars de Plévenon, René Charles, perdu de vue depuis longtemps, aujourd’hui officier marinier. Il a été un de mes compagnons de la Résistance.Je clos ici la rubrique des escales et de leur charme. Ce fut là un des côtés agréables de la profession : voir d’autres gens, visiter d’autres lieux.Je n’aurai jamais voulu faire carrière dans les sous-marins atomiques comme Daniel Dechavanne, amiral, époux de Chantal Amiot, ma nièce. Aucune escale. Vie continuelle au fond de l’eau, retour avec un teint de cachet d’aspirine.L’activité aérienne, durant mon séjour sur le “Colossus” est très grande. C’est le redémarrage de l’Aéronautique Navale embarquée.Malheureusement elle se traduit par de nombreux accidents mortels. Je cite quelques noms.Le lieutenant de vaisseau X... (j’ai oublié son nom), originaire de Lamballe. Panne de moteur au large de la côte tunisienne. Il tente de rallier la plage, pour sauver son avion (un S.B.D). lequel décroche et tombe à la mer.L’enseigne de vaisseau Thierry d’Argenlieu, neveu de l’amiral ancien moine et ancien gouverneur d’Indochine. Son “Seafire” a une panne de moteur.

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Il essaie de passer sur le dos pour se parachuter. L’avion percute la mer. D’Argenlieu repose au fond de l’Atlantique à 200 nautiques au large de Brest.L’enseigne de vaisseau Roux, issu d’une préparation américaine, à Pepsa Colas. Son “Seafire” s’écrase et prend feu à l’atterrissage.

L’enseigne de vaisseau Gay disparaît en Indochine lors d’une attaque au sol. Il est fiancé à la marinette, secrétaire de l’amiral. Laquelle fréquentait autrefois un aviateur américain tué en vol. J’ignore si elle a trouvé un troisième prétendant.Quant aux accidents d’appontage sans suite mortelle ils sont très nombreux. A cause de la méthode à pont droit. Deux barrières en câbles d’acier protègent les avions parqués à l’avant. Si un appareil manque les brins d’appontage il fait front dans la barrière au grand dam de l’hélice et du moteur.Un soir, au large de Marseille, un “Seafire”, piloté par le lieutenant de vaisseau Pradel de la Tour Dejean, saute les barrières et vient s’écraser sur l’avant, prenant feu aussitôt. Son pilote s’en tire indemne. Je le rencontre de nouveau plus tard sur le “Clémenceau” où, frégaton, il dirige le service opérations. Il est alors aigri, pestant après le service de santé qui l’a rayé du personnel volant. A juste raison, semble-t-il, puisque ultérieurement il décède brutalement en plein Sahara, à Reggane, centre d’essais nucléaires où l’amène ses fonction à la DIRCEN (Direction des Centres d’Essais Nucléaires).Autre accident spectaculaire : celui du Commandant Aviation, le capitaine de corvette Ortolan. Son “Seafire”, s’étant déporté vers le bâbord de l’appontage, plonge par-dessus bord et, le nez en bas, va se coincer sur une plateforme de DCA.Ortolan, tête en bas, heureusement brêlé, voit la mort de près. C’est un garçon un peu casse cou. Il est bardé de décorations et il termine sa carrière avec les étoiles d’Amiral. Je l’estime beaucoup.J’ai appris, début 2000, son décès à l’âge de 92 ans. Il a, à son crédit, 5 500 heures de vol et 200 appontages. Il a joué un grand rôle dans le redémarrage de l’Aéronautique Navale après la guerre. De 1959 à 1961 il a commandé “l’Arromanches” (ex “Colossus”). Il repose dans le caveau familial au cimetière de Saint Raphaël, sa ville natale.Durant mon embarquement sur le “Colossus” ma petite famille occupe successivement trois logements. Tous aux Sablettes : les logements à Toulon sont rares et chers.Le premier, sis à La Vergne, est dans une maison isolée, perdue dans les pins, loin de tout commerce et de l’arrêt des cars. Marie s’y est plue. Elle est toute à son jeune enfant. Et la plage, malheureusement encombrée de déchets végétaux, n’est pas loin.Nous nous rapprochons des commerces en louant un modeste deux pièces à une dame peu aimable. Pas de toilettes. Un simple évier. WC dans la cour. Mais nous pouvons jouir d’un jardin à l’abandon où poussent quelques

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eucalyptus.C’est durant ce séjour que nous faisons l’achat de bicyclettes. Sur la mienne j’installe un panier fixé sur le porte-bagages, à l’intention du petit, et nous faisons alors de longues promenades dans les environs. Cela dure un an environ.Un souvenir : rentrant seul de congé à Carrien j’aperçois une procession de centaines de petites fourmis, dites d’Argentine, qui pénètrent dans la maison.Cette procession escalade le buffet de notre salle à manger et descend dans un grand récipient où Marie a entreposé du sucre en poudre. Ces petites bêtes ont déjà creusé un véritable entonnoir. A l’aide d’une poudre spéciale j’ai vite fait de stopper ce prélèvement.Nous quittons ce logement pour une villa aux Sabblettes dont les locataires sont assez folkloriques : Monsieur et Madame Dehafringue. Lui travaille à l’entretien des machines outils des Chantiers Navals de la Seyne. Il part très tôt le matin. Régulièrement il oublie d’éteindre le gaz qui brûle ainsi durant une ou deux heures. Je l’éteins quand je descends enfourcher ma bicyclette.Nous sommes en sous-location avec un collègue du “Colossus” : Jacques Bodhuin et sa toute récente épouse Geneviève. C’est là qu’est née notre amitié qui dure toujours.Des bouts de papier punaisés sur les portes indiquent les noms des occupants. Un beau jour ils disparaissent tous. Explication : le propriétaire vient visiter ses locataires et ceux-ci se gardent bien de lui dire qu’il y a des sous-locations.Au pied de la maison un jardin s’étend vers la plage. Marie qui couve alors son œuf, elle est enceinte de Claude, passe des après-midi entiers à la plage en compagnie de Geneviève Bodhuin.Quand arrive l’accouchement, je suis en mer, Marie se fait transporter à l’hôpital maritime de Toulon et c’est Geneviève qui, durant cette absence, s’occupe du petit Jean Pierre.Nous quittons l’Ensoleillée, c’est le nom de la villa, quand je débarque d’Arromanches le 31 octobre 1948.

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QUELQUES PHOTOS

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Groupe d’officiers

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Jeune officier à bord

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La cérémonie de transfert (Août 1946)

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Le Contre Amiral Nomy Commandant l’Aéronautique NavaleLe Capitaine de Vaisseau Caron Commandant du Colossus

Le Contre Amiral Jozan Commandant Le groupe des porte-avions

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Un «Seafire» vient d’accrocher un brin

L’officier d’appontage (le «battman»)

Un S.B.D apponte

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S.B.D (Sea Bomber Douglas) de l’aviation embarquée

Escale à Aspretto (Corse)

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Scènes du pont d’envol

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Défilé de l’équipage lors de la prise de commandement du Contre Amiral Jozan

Le «Colossus» à Toulon

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Un des canons «Beaufort» de D.C.A

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Seafire rangés sur l’arrière près à décoller

Un S.B.D est monté sur le pont

Décollage d’un S.B.D

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Marie et Jean-Pierre en promenade à bord

lors d’une escale à Toulon

Promenade à la Verne

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Printemps 1963Alain Archimbaud sur N’GOR en rade de Brest

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Monument à Napoléon

Mouillage devant Aspretto (Corse)

Dans le port de Casablanca

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La baie de Tunis vue de Carthage

Carthage

Casse-croûte dans les ruines romaines de Dougga

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Dougga (Sud Tunisie)Le Théâtre

Dans les jardins de la résidence du contrôleur civil Téboursouk

(Tunisie)

Alger

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Le fort de Boutilimit

Nos montures

Départ du Fort Targhi en croupe

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À la ferme des Pères Blancsprès de Téboursouk

Carthage :Le Théâtre

Carthage :L’Abbaye

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Initiation à la cavalerie

Sous les Tropiques

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Les Gendarmes

Le Rasage

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Après le rasage : le bain

L’homme d’amiante intervient si un avion prend feu

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Crash du Seafire de Pradel de la Tour Dejean

Crash d’un S.B.D dans les barrières

Crash d’un Seafiredans les barrières

Crash du Capitaine de Corvette Ortolan

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Crash dans une baignoire Tribord

Amiral Ortolan

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Marivivo, Villa EremiaVue du jardin

Villa EremiaAoût 1947

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Promenade au col du Corps de Garde (400m)

Sur le bateau des Sablettes en rade de Toulon après la naissance de Claude

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Sur la plage des Sablettes le 9 mai 1948juste avant la naissance de Claude

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11_ EN TROISIÈME RÉGION MARITIME(01 Novembre 1948 - 01 Novembre 1949)

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Fin octobre 1948 je fais mes adieux au “Colossus” rebaptisé “Arromanches”. La raison de ce débarquement est simple. Mon statut est sur le point d’évoluer. Celui d’officier de réserve, servant par contrats successifs de deux ans n’est guère enviable. On s’est même aperçu un jour que je servais sans aucun contrat ! C’est là une situation aléatoire qui ne convient pas à mon état de père de famille.J’ai essayé, à deux reprises, de tâter du civil. Une fois chez Marc Cormik, fabricant américain de machines agricoles. Une autre fois dans une industrie productrice d’aluminium à Saint Auban, dans les Alpes de Haute Provence (j’en ai parlé au chapitre précédent).Quelques temps plus tard la Marine, qui manque cruellement de cadres techniques, publie une circulaire proposant aux jeunes Ingénieurs de Réserve d’entrer dans le cadre actif. Je souscris d’emblée à cette offre. Finies les inquiétudes du lendemain. Le pain de mon petit monde est assuré. Et... la route de la Marine Marchande est définitivement coupée.Les conditions d’intégration sont les suivantes :1) suivre durant quelques mois un stage dans une base et produire trois mémoires sur des sujets qui me seront imposés.2) embarquer sur le navire école “Jeanne d’Arc” pour une croisière d’instruction de six mois.3) à l’issue de cette croisière suivre plusieurs stages en diverses écoles de spécialités : canon, arme sous marine, détection...4) enfin satisfaire sur la “Jeanne d’Arc” à un examen de fin d’études.“L’Arromanches” appareillant pour l’Indochine je suis donc débarqué et, sur ma demande, affecté provisoirement sur la base Aéro-Navale d’Hyères. Où on me confie les fonctions de chef du Service Electricité, Garage, Ateliers Industriels.Mon chef hiérarchique est l’Ingénieur Mécanicien Principal Marsais, un homme très courtois, avec lequel j’ai d’excellentes relations. Mais elles sont de courte durée car Paris a choisi de m’affecter à la base voisine de Cuers

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pour ma préparation à l’activation.Là, durant les 9 mois qui précèdent le départ sur la “Jeanne d’Arc” j’ai un semblant d’occupation, près des ateliers généraux. En fait, dès mon arrivée, le Chef des Services Techniques, l’Ingénieur Mécanicien Principal Gombert, très sympa, me prend en main et m’inflige une étude technique sophistiquée sur un régulateur de moteur Merlin, monté sur les avions “Seafire”.Ayant œuvré deux ans durant sur ce type d’avions, je me tire facilement d’affaire avec ce premier pensum, ainsi d’ailleurs qu’avec les deux autres à caractère plus administratif.Avant de relater les migrations familiales, je précise que j’ai profité de mon séjour dans le Midi pour passer mon permis moto militaire. Ce qui va bigrement faciliter mes déplacements vers Hyères où niche ma famille. A l’aide d’un engin déniché au fond d’un garage de Cuers.Quid de la famille ?Marie a quitté les lointaines Sablettes pour venir gîter provisoirement à Toulon, rue Colbert, dans un appartement propriété d’un ancien ingénieur mécanicien.Ce court séjour est marqué par deux incidents.Marie, véhiculant de la vaisselle sur une table roulante, trouve le moyen de tout briser. Heureusement que les assiettes ne sont pas de qualité !Puis, le 30 du mois, surgit la propriétaire qui vient toucher son loyer. Malheureusement le versement de ma solde a pris quelque retard et comme nous n’avons aucun fond d’avance, la brave dame s’en retourne, dépitée.Notons qu’à l’époque les salaires sont perçus en liquide. Les comptes en banques, les virements et les chèques n’entreront en service que plus tard.De Toulon la famille fait mouvement sur Hyères dans un appartement, sis rue Pierre Brossolette, appartenant à un homme charmant : Mr Régnier, dont le fils est célèbre dans le milieu radiophonique.Marie m’a récemment rappelé que j’étais très nerveux lors de ces séjours en appartements. J’avoue que je n’aime guère être cloîtré.Rue Brossolette deux incidents ont, là aussi, marqué notre séjour.La bicyclette de Marie, cadenassée au pied de l’escalier est volée. Je crois connaître les auteurs de ce vol, de jeunes voyous, mais je n’ai aucune preuve à exhiber.Une nuit la petite Claude pleure à chaudes larmes. Branle-bas pour essayer de la consoler. Tout cela fait du bruit. On perçoit alors des coups de balais donnés au plafond par deux vieilles filles, ou veuves, qui habitent à l’étage en-dessous. Ce qui me met en colère et, étant nerveux, dixit Marie, je leur réponds vivement en élevant la voix.C’est à cette époque que le petit Jean Pierre est envoyé en classe pour la première fois de sa vie. A la Villa Mansart, une école privée située juste en face de notre logement. La pauvre Marie verse des larmes en se séparant de son enfant.Marie fait la connaissance de Madame Le Bouété, dont le mari est lieutenant de vaisseau en service à Hyères.

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Ouvrons une parenthèse pour évoquer ce garçon. Écologiste avant la lettre il a préconisé d’introduire dans le marais d’Hyères de petits poissons spéciaux qui se nourrissent en surface et sont, en particulier, friands d’œufs ou de larves de moustique. Car c’est une plaie d’Hyères : les moustiques. La solution Le Bouété n’a guère eu d’échos et on a préféré vaporiser du DDT à outrance sur le marais.Autre trait particulier. Quand Le Bouété voyage en train, il s’installe en première classe (quart de place) avec les gosses en bas âge qui ne paient pas et confine son épouse et le reste de la couvée en troisième classe moins onéreuse.Le Bouété quitte la base d’Hyères et sa femme indique un logement vacant à Marie : dans une belle villa, avenue Gambetta. Marie, très opérationnelle, change aussitôt de mouillage et va jeter l’ancre chez Monsieur Brun, brave homme, veuf, à barbichette, originaire de Guéret dans la Creuse où, des années durant, il a géré une coopérative dont il nous parle souvent. Un jour il m’offre même une bonne et vieille bouteille de vin venue sans doute de la coopérative. Hélas le vin, blanc, avait trop vieilli et était devenu sirop.Venu sur la côte pour des raisons de santé, Monsieur Brun vit retiré avec sa fille infirmière célibataire, gentille mais d’un physique peu agréable, ce qui peut expliquer son célibat.Avenue Gambetta nous disposons à l’étage d’une cuisine, d’une belle salle à manger et de deux chambres. La salle de bain est réservée à la famille du propriétaire ! Pas de chauffage mais Marie fera une fois ou deux du feu dans les cheminées. Le temps est clément et nous sommes jeunes.Monsieur Brun est, un jour, offusqué quand Jean Pierre, alors tout gosse, lui dit : “Vous avez du poil aux pattes, Monsieur Brun.” L’enfant essuie une juste réprimande.C’est lors de mon séjour en 3ème Région Maritime que je fais l’acquisition de ma première voiture : une petite Rosengart décapotable, qui a tellement laissé de souvenirs dans notre mémoire que je lui consacre un chapitre dans le présent recueil.

Monsieur Brun met son garage vide à ma disposition pour loger l’engin. La voiture restera à m’attendre sagement durant mes 6 mois d’absence sur la “Jeanne d’Arc”.Six mois durant lesquels Marie ira maintes fois promener ses deux enfants dans le très beau jardin public “Olbius Riquier” situé à un kilomètre environ de la villa.

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12_ LA ROSENGART

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Un jour, revenant de Toulon vers Hyères, j’aperçois, dans un garage de Lavalette, une belle petite voiture décapotable, couleur vert foncé, à vendre. Marque Rosengart.Je viens de toucher un rappel de solde de 800 francs. J’ai le coup de cœur pour cette voiture. Accord avec le garagiste. Je lui remets mes 800 francs et signe quelques traites.Il me donne les papiers de la voiture. Mais, plus tard, quand je demande en Préfecture une carte grise en mon nom j’ai le désagrément d’apprendre que la voiture est hypothéquée.Vite chez le garagiste pour demander des explications. Il vient de se tuer sur la route ! Il était célibataire. Je m’enquiers de l’adresse de ses parents à La Crau près de Toulon. Ces pauvres gens, désolés du comportement de leur fils, me signent un papier attestant que toute hypothèque doit être levée, les dettes étant acquittées. J’obtiens finalement ma carte grise.Mais les ennuis ne font que commencer. Je procède à une vidange du moteur. Il s’écoule un épais mélange d’huile et de cambouis. Je remets de l’huile neuve. Le moteur fait un affreux tintamarre.Explication donnée par un ouvrier spécialiste de Cuers : il n’y a pas de circuit de graissage dans ce moteur. La lubrification se fait par barbotage dans l’huile du carter. L’arbre du moteur est monté sur des roulements à bille qui sont usés et font du bruit. C’est pourquoi, pour cacher ce défaut, le garagiste a ajouté de la sciure de bois à l’huile ! Un véritable maquignonnage !Le brave ouvrier, voyant ma déconvenue, me propose de prendre la voiture chez lui et de procéder, à ses heures creuses, à sa remise en état. Ce qui est fait.Mais pour autant les déconvenues continuent. Ainsi le démarreur a du jeu dans les axes et n’accepte que de faire un ou deux tours quand on met le contact. Qu’à cela ne tienne, je prends l’habitude de démarrer à la manivelle. Deux ou trois tours pour brasser le moteur. Contact. Un coup franc pour démarrer. Attention au retour de manivelle. Le poignet peut être endolori.

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Ce démarrage à la manivelle me vaut un jour une remarque acerbe d’un camarade : Nifenecker chef du poste 2 (mon poste) sur la “Jeanne d’Arc”.Nous sommes en fin de période d’activation. Après la “Jeanne” nous suivons plusieurs stages. Ce jour nous sommes en instruction “canons” sur un croiseur à quai à Toulon.Le soir je propose à Nifenecker qui, comme moi habite Hyères, de l’emmener en voiture, au lieu de prendre le car. C’est un brave garçon, grand, portant bien, très cultivé, mais un peu guindé.Il est étonné et choqué de me voir prendre la manivelle. Je lui fais aussitôt remarquer qui, si cela ne lui plaît pas, il y a une excellente ligne de cars.La Rosengart est une voiture simplette. Ainsi il n’y a pas de pompe de refroidissement du moteur. Ce qui me vaut, un jour d’été où nous faisons route vers Carrien, de voir le moteur chauffer lors de l’ascension du Col de la République entre la Vallée du Rhône et Saint Etienne.Le refroidissement se fait normalement par thermosiphon. Mais il manque un peu d’eau dans le circuit et, à la grimpette, le faisceau du radiateur ne reçoit plus d’eau.Nous voilà arrêtés en pleine montagne. Pas de fontaine aux environs. Aucune maison. Il y a heureusement une bouteille d’un litre de bière à bord. Je complète le circuit avec de la bière. Et tout va pour le mieux.Pas longtemps car à la descente sur Saint Etienne un des pneus, ils sont tout usés et lisses, rend l’âme. J’en trouve un, usagé, chez un garagiste.Et quelques kilomètres après Saint Etienne nous faisons halte auprès d’une rivière. Cric, démonte pneu, rustines, pompe à air sont mis en action et, une heure après, nous sommes prêts à poursuivre le voyage. Je fais auparavant une bonne trempette dans la rivière, à la suite des enfants. Histoire de me débarbouiller après ce travail salissant.En route libre nous faisons du 40/50 kilomètres à l’heure. Une fois, revenant de Brest, je réussis dans une descente à lancer la voiture à la vitesse incroyable de 90 kilomètres. Tout tremble à bord y compris le rétroviseur. Il faut nous retourner pour voir si nous sommes suivis !

Quand nous escaladons des montagnes la vitesse tombe entre 10 et 20 kilomètres heure. C’est tellement lent que Marie, n’y tenant plus, demande sur la route d’Annonay à descendre et à continuer à pieds. Je précise qu’il fait très beau. Elle est vite distancée par la voiture, car chacun sait qu’un piéton normal se propulse à 4 kilomètres heure.Une année, faisant route de Carrien sur Hyères je m’aperçois que mon klaxon ne fonctionne plus, ni mes phares. Il y a tout juste un peu de courant pour alimenter les bougies.En cours de route je consulte un dépanneur, lequel me déclare avec assurance que ma batterie est morte. Je repars avec une nouvelle mais vite le phénomène se reproduit. C’est tout simplement la génératrice qui a rendu l’âme.

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Arrêt de nuit au bourg d’Argental, batterie en charge chez le garagiste du coin. Et le lendemain cap sur Hyères en économisant mon précieux capital électrique.Autant vous dire que ces pannes à répétition m’ont vacciné contre l’achat d’une future voiture d’occasion.La Rosengart est un cabriolet à deux places. Marie qui, à l’époque, ne sait pas conduire, est assise à mes côtés à ma gauche, car cette voiture a le volant à droite. Elle a, en permanence, la petite Claude sur ses genoux. A l’époque il est nullement question de ceintures de sécurité.Jean Pierre est tant bien que mal assis derrière le siège. A l’arrivée à Carrien je lui aménage quelque chose de plus confortable à l’aide d’un vieux siège de voiture à cheval.Les bagages sont fourrés dans le fond de la voiture. Il n’y a pas de coffre ouvrant sur l’extérieur. La roue de secours est fixée sur l’arrière.Je fais aménager, en porte à faux, un porte-bagages qui reçoit une lourde valise de cuir vert, achetée lors d’un passage à Casablanca.Le tout pèse si lourd qu’un jour, faisant route sur Carrien par les Pyrénées, l’attache se rompt et voilà la lourde valise sur la route. Elle trouve place près de Jean Pierre. Heureusement qu’il fait beau et que nous roulons en décapotable.C’est au cours de ce même voyage que s’est produit l’incident suivant : deux heures de l’après-midi. Il fait chaud. Nous traversons Béziers. Beaucoup de voitures. A un carrefour encombré un agent de police me siffle et m’ordonne de me ranger. J’obtempère, me demandant quelle faute j’ai commise.L’agent arrive, me salue et me tient les propos suivants : “Ma belle sœur veut acheter une voiture comme la vôtre. Je voudrais savoir si vous en êtes content”.Et le voilà parti à discourir pendant que s’organise un bel embouteillage. Pas de soucis à se faire pour repartir dans cette pagaïe. Sifflet en bouche l’agent m’ouvre la voie comme si je pilotais une ambulance.Ces gens du Midi quand même... !La voiture n’a aucun chauffage. Quand nous arrivons à Cherbourg j’en installe un, sommaire : un entonnoir placé derrière le radiateur capte l’air réchauffé lequel, par un tuyau ou boa, arrive à un orifice percé devant le passager. Le réglage de la température se fait avec un bouchon d’étoupe qui ferme l’orifice à la demande. C’est du tout ou rien, mais qui ne tombe pas en panne !Cette voiture n’a pas d’amortisseurs hydrauliques. Deux bras de friction en tiennent lieu. Quand je la sens danser sur la route je me couche sous la voiture pour serrer les deux disques de friction. Il faut être mécanicien pour mener un tel engin !Je vous dirais aussi que les vitesses ne sont pas synchronisées et qu’on ne peut passer de l’une à l’autre qu’en pratiquant le double embrayage, opération inconnue des conducteurs d’aujourd’hui.

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Et pourtant Marie a passé avec succès son permis sur cette voiture, à Cherbourg. Non sans mal d’ailleurs.Avec obstination je lui enseigne la conduite. Plusieurs fois, découragée par la difficulté des embrayages, elle parle d’abandonner. Pas question !Par contre je ne m’occupe pas du code, lui laissant le soin de l’apprendre.Le jour de l’examen elle passe avec brio l’épreuve de conduite. Interrogée sur le code, à la dernière question, au lieu de répondre positivement (une chance sur deux de dire vrai) elle rétorque :“Je ne sais pas.” “Vous repasserez madame.” Inutile de vous décrire ma colère.Trois semaines passent. Nous faisons route sur Carrien ; l’épreuve de rattrapage est prévue à 14 heures à Coutances. Arrêt en cette ville. Au restaurant Marie voit son examinateur. Appétit coupé. Mais l’épreuve du code, cette fois, est passée avec succès.Le professeur de conduite n’a pas été trop mauvais puisque Marie a toujours bien conduit depuis.Un jour, à la base aéro-navale de Querqueville, un samedi matin pour être précis, je nettoie le moteur de la Rosengart quand le feu s’y déclare. Le réservoir d’essence est situé juste au- dessus du moteur, devant les occupants.Un coup d’extincteur, le feu s’éteint mais le capot est grillé sur une large surface. Je le fais repeindre pour que la voiture retrouve son aspect coquet.Peine perdue. Quelques semaines plus tard elle est stationnée sous le château d’eau de la base. Ce jour là des ouvriers œuvrent sur le faîte de l’édifice. Et voilà quelques gouttes de goudron sur la capote !Cette capote qui, petit à petit, perd son étanchéité. Une année Papa, en escale au Havre sur un paquebot, nous invite à passer la soirée et la nuit à bord.En route vers Le Havre. Arrivée sous une pluie battante. Il pleut presqu’autant dans la voiture que dehors.Le seul essuie-glace ne marche pas souvent. Heureusement qu’il y a une commande manuelle. C’est le rôle du passager de l’actionner.Les deux phares de la voitures éclairent à peine la route. Je décide de parfaire cet éclairage par un phare antibrouillard.Mais hélas le débit de la dynamo est trop faible pour alimenter tout le système d’éclairage et, doucement la batterie se vide. C’est ce qui m’arrive une nuit où je me rends à Lamballe, au train de 4 heures du matin, chercher Papa. La fin du voyage s’effectue pratiquement sans éclairage.Un jour, étant de service à Cherbourg, nous allons déjeuner chez les parents de mon ami Siard, à Condé sur Vire.Au moment de rentrer, à la nuit tombante je m’aperçois que le feu rouge arrière ne fonctionne plus :mauvaise masse. Or un épais brouillard est annoncé. Qu’à cela ne tienne : un fil de fer relie le feu rouge à la masse du moteur en passant par dessus la capote. Et le voyage se termine sans problème.Mais qu’on ne s’y trompe pas : la petite Rosengart, à 40 kilomètres/heure a fait nombre de kilomètres. Il ne faut pas être pressé : 6 heures pour aller de

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Carrien à Cherbourg, 3 à 4 jours pour rejoindre Toulon.Nous avons ainsi, en marche normale : faible vitesse et capote abaissée, tout le loisir de contempler le paysage. Le voyage devient promenade.Alors qu’aujourd’hui, à 130 kilomètres/heure sur autoroute, l’œil rivé sur la chaussée, on traverse la France sans rien voir. Est-ce un progrès ?Il m’arrive parfois, quand la voiture peine, de sortir la main pour apprécier la force du vent. Nous arrivons à vaincre le Mistral en Vallée du Rhône mais c’est une lente progression au prix d’un gros effort de notre minuscule moteur.Car c’est un petit engin, de 4 cylindres avec soupapes latérales, qui se cache sous le capot. Un jour j’emmène mon beau-père à Scaër. Il s’extasie : “C’est ce petit moteur qui va nous emmener jusque là-bas !”La voiture est 5 mois à l’arrêt dans le garage de Monsieur Brun, à Hyères, durant mon stage sur la “Jeanne d’Arc”.Le temps passe. Quand je quitte Cherbourg pour le Midi de la France je mets la voiture sur Wagon. Le Commissariat de la Marine, dans son habituelle générosité rembourse ce transport.

Las de faire des réparations je me sépare, non sans quelque regret, du petit cabriolet. Pour acquérir une voiture neuve : une Aronde qui a le gros défaut d’avoir des sièges non réglables. J’y attrape de sérieux tours de reins lors des grands périples.Mais avec cette voiture nous traversons la France d’une seule traite : 20 heures de route sans grands arrêts.Je termine cette narration en disant combien nous avons innové en arrivant en voiture au pays. Rares sont les gens qui en possèdent une à l’époque.Je me souviens d’une remarque de la mère Dubois d’Erquy, ancienne cabaretière au Havre, quand elle nous voit passer rue Foch. Elle s’exclame : “Ah, Pierrot qu’a une auto !”Bien des fois j’ai regretté d’avoir vendu la petite Rosengart. Nous aurions eu du succès dans les défilés de vieilles voitures.Mais disons qu’à l’époque nous n’étions pas très riches et que le produit de la vente de la Rosengart a aidé à l’achat de la Simca.Avant de clore ce chapitre je veux rapporter une histoire qui se contait avant guerre.Monsieur Citroën, le constructeur de voitures, se rend en province pour inaugurer une des installations de sa marque.A l’arrivée du train, sur le quai, il est accueilli par quelques personnages précédés d’une fillette qui remet un bouquet de roses à Mr Citroën.Lequel se fâche, ou fait la mine de se fâcher, en s’exclamant :“Je n’apprécie pas qu’on m’offre des Roses en gare.”

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13_ SUR LE CROISEUR-ÉCOLE «JEANNE D’ARC»

(01 Novembre 1949 - 01 Octobre 1950)

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Un officier général m’a demandé un jour : “Que pensez-vous de votre séjour sur la “Jeanne d’Arc” ?” La réponse a fusé :“une belle croisière qu’on s’efforce de vous gâcher par tous les moyens possibles et imaginables.”Et de citer un exemple : “Nous arrivons à New York. Mon poste n’étant pas de service nous aspirons à connaître cette grande ville..”Survient notre chef de poste, le lieutenant de Vaisseau Pignal:“Cet après-midi interrogation écrite sur les moteurs de la grue du bord.” Je pense que ce pensum aurait pu nous être infligé en mer.Donc le 1er novembre 1949 je rejoins le “Jeanne” amarrée dans le Penfeld. Je suis affecté au poste 2. Les officiers élèves sont répartis par postes d’une dizaine.Chaque poste, d’environ une vingtaine de mètres carré, ouvre par baies vitrées sur les passavants. Des caissons tapissent une des cloisons. Chacun d’entre nous a son caisson.Une desserte contient toute la vaisselle et l’argenterie propres au poste. Au milieu une grande table sert pour les repas et les travaux d’étude.Un local jouxtant le poste comporte une demi douzaine de lavabos garnis de robinets “coup de poings” dont le but est d’économiser l’eau. Douches et WC sont communs à l’extérieur.Un matelot maître d’hôtel est affecté à chaque poste. Il l’entretient, dresse les couverts et nous sert à table.Des crocs disposés de part et d’autre permettent le soir de tendre nos hamacs.Tous les occupants du même poste prennent le service ensemble. Il y a les jours de service, les jours de corvées (le lendemain) et les jours de liberté (au port).Les jours de service nous participons à la conduite du bâtiment avec le lieutenant de vaisseau chef de poste : quart de 4 heures le jour, quart de 4 heures la nuit.Nous sommes répartis par roulement en diverses fonctions : passerelle, P.C.Sécurité, Machine Avant, Machine Arrière, transmissions, veille radar...

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Je fais connaissance de mes camarades de poste :- celui qui en est le responsable est Nifnecker, dont j’ai déjà parlé. Issu de l’Aéronavale.A vite quitté la Marine pour entrer dans le nucléaire à Saclay.- Beauchard, originaire de Port Louis, a baroudé en Indochine puis est entré dans l’aéronavale. Fervent de nautisme. Tendance à boire : à son levé il absorbe une gorgée de rhum. Il serait mort noyé en 1985.- Leliepvre, dit “lapin”, alter ego de Beauchard son grand copain. Lui aussi a séjourné en Indochine.- Gonasdon, un gars de Quimper, un peu gouailleur, parle souvent de sa vieille nourrice. En fait je crois qu’il s’agit de sa fiancée. Décédé en 1990.- Guigue, garçon raffiné, pilote des hydravions amphibies “Catalina”, a épousé la noblesse. Longtemps porte pèlerine de Monsieur Messmer, Ministre des Armées, ce qui lui a valu un avancement assez rapide.- Ducros, un baroudeur qui nous conte souvent ses aventures de guerre indochinoise. Un très brave garçon qui est décédé en 1982.- Québriac un des quatre mécaniciens du poste. Venu, comme moi, de l’Aéronavale. A terminé Capitaine de Vaisseau et s’est retiré au Pellerin d’où il m’a téléphoné récemment suite à un article concernant la marée noire de l’“Erika” paru sous ma signature dans Ouest-France.- Even, garçon calme issu de la presqu’île de Sarzeau. Retiré dans le midi selon un camarade. Un des quatre mécaniciens.- Rolland, le dernier mécano, affable et souriant, disparu en 1993, à la suite d’une longue maladie (cancer).- Beaufort le beau gosse du poste, toujours tiré à quatre épingles, aspect un peu efféminé.A peine sommes nous installés dans le poste que nous sommes piégés par la farce traditionnelle. Le téléphone sonne. “Poste 2 j’écoute.” “ Avez-vous mis la pompe en route ?” “Quelle pompe ?” “La pompe à merde” et ça raccroche.Avant d’appareiller nous passons en revue quelques uns des cadres du bord :D’abord Pignal, notre chef de poste, froid, sec, guère sympathique. Ayant appris ( ?) qu’il y a parmi nous des têtes dures, il s’est flatté, avant notre embarquement, de les mâter.En fait il n’y a jamais eu friction véritable mais nous ne l’aimons pas, c’est tout.

Les jours de non quart à la mer il vient nous lire et nous commenter le règlement sur la vie et la discipline à bord des navires de guerre. C’est rasoir au possible !C’est avec un plaisir à peine dissimulé que j’assiste un jour à sa déconvenue.Nous venons d’accoster à Québec. Je suis de quart à la coupée (fonction 1) en compagnie de Pignal qui m’avise :“A 16 heures nous aurons la visite du Premier Ministre du Québec. Faites rassembler la garde d’honneur.”Aussitôt dit, aussitôt fait.

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A 16 heures arrive sur le quai une rutilante voiture américaine, avec chauffeur en tenue. En descend un personnage bien habillé.“C’est lui” me dit Pignal. “Faites rendre les honneurs”. Je lance le cri de rigueur :“Sur le bord”. La garde présente les armes. Le sifflet du gabier de service entre en fonction.Le monsieur monte à bord, apparemment tout étonné. Pignal s’avance vers lui pour le saluer quand l’autre se présente :“Un tel, je suis blanchisseur à Québec et je viens vous faire mes offres de service.”Le brave homme en rentrant chez lui a du dire son étonnement de l’accueil reçu chez les Français. Pignal s’est bien gardé de conter cette mésaventure au Pacha.François, l’ingénieur principal, chargé de l’encadrement des mécaniciens, est une vieille connaissance. Il a été professeur à Casablanca.Un peu maniéré, tortillant des fesses. Quand il nous parle il nous qualifie toujours du titre “Monsieur”, ce qui est parfaitement réglementaire.Mais ce cochon a failli un jour m’épingler et me faire punir au retour de la croisière. Arrivés à Toulon nous avons quitté le bord pour suivre différents cours : armes sous marines avec plongée au large de Toulon, transmissions, canon, etc...A l’issue de ces stages nous devons rallier Brest pour l’examen de fin de croisière. Avec arrêt à Donzère Mondragon où les travaux de canalisation du Rhône sont à visiter.Je demande, et obtiens, de suivre ce mouvement avec ma voiture personnelle, la petite Rosengart décapotable. Et nous voilà lancés sur la route à 40 kilomètres/heure.Après la visite du chantier je file sur la Bretagne avec arrêt prévu à Carrien. Las ! J’arrive là-bas avec de la fièvre.Contraint et forcé je reste couché 24 heures et ne reprends la route que le lendemain.Me voilà convoqué chez François qui veut m’infliger une sanction : quelques jours d’arrêt. Je me débats, arguant de ma bonne foi. “Avez-vous une attestation médicale ?” Je lui réponds :“Je n’ai pas crû faire venir un médecin pour si peu.” Finalement je suis blanchi, mais je n’ai guère apprécié.Comme je n’ai pas apprécié la remarque du Capitaine de Corvette Daille Directeur des Études : nous venons d’accoster à Toulon. Je ne suis pas de service. Seulement du tour de corvée.Je me présente à Daille pour solliciter la faveur d’aller dès ce jour embrasser ma femme et mes enfants perdus de vue depuis six mois. Il rechigne puis m’accorde la faveur en me prévenant : “Ça va pour une fois mais n’y revenez pas.” Je suis outré. J’ai passé 6 mois sur ce bateau sans aucun problème. Je n’ai jamais séjourné dans la prison des élèves malgré quoi on semble aujourd’hui m’accorder une faveur extraordinaire.Daille devait finir sa carrière Marine comme commandant l’Escadre de la Méditerranée quand survint un grave accident :collision de l’escorteur

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Surcouf avec un pétrolier russe. Il y eut des morts. Daille et son chef d’état major Vercken furent accusés de n’avoir pas assez vite fait manœuvrer la flotte.Nous sommes soignés à bord par le Médecin Principal Buisson. Il semble tellement compétent que nous le surnommons “tétrafoirus”.Il est secondé par un chirurgien, le docteur Deletraz qui exerce ses talents la première nuit qui suit l’appareillage de Brest.Très forte mer. Un des officiers élèves fait une brusque crise d’appendicite. Trop tard pour retourner à Brest. Il faut opérer d’urgence. Le bateau se met à la cape et le chirurgien opère et réussit son intervention.Une figure de l’Etat Major est le Lieutenant de Vaisseau Pichot de Champfleury. Il a en charge le cabinet du Commandant, le Capitaine de Vaisseau Beaussant. Issu de la vieille Noblesse de France cet officier est tout à fait à son aise dans cette importante fonction.Car si tout navire français est ambassadeur de France, que dire de la “Jeanne d’Arc” qui, chaque année, montre notre pavillon en de nombreux pays.Il s’ensuit de nombreuses visites protocolaires qui obéissent toutes à de strictes règles internationales.D’ailleurs, à l’arrivée à bord, on nous a remis un petit livre où sont résumés différents conseils :honneurs à rendre à telle personnalité civile, militaire ou religieuse, appellations à utiliser, formules de courtoisie dans la correspondance, préséances...Ce dernier point est à respecter scrupuleusement en particulier lors des dîners. Un exemple :un sous préfet passe avant un Capitaine de Vaisseau mais après un Général de Brigade.On devine le casse-tête quand le Commandant reçoit à sa table des personnages aussi variés que le Nonce apostolique, l’Ambassadeur en tel pays, le Commandant en Chef, etc...J’ai connu ce dilemme, dont je parlerai plus loin, en recevant à bord du Clémenceau la maison civile et militaire du Président de la République, le Général De Gaulle. Un vrai panier de crabes !Officiers-élèves en instruction nous passons chacun à notre tour au Cabinet. Ce qui m’arrive à l’escale de Carthagène en Colombie.Je suis choisi ce jour là car, à l’époque, je parle à peu près couramment l’espagnol. Je passe 4 heures au téléphone à appeler des personnalités ou à répondre à des demandes. Puis, à la coupée, à réceptionner quelque dignitaire de l’endroit.L’officier de détail du bord est le lieutenant de vaisseau Quinchez qui fait la chasse à tout ce qui trouble l’ordre du bord, en particulier les chaises que nous laissons dans les passavants. D’où son surnom :“le Requin Chaises” (l’heureux Quinchez).Le lieutenant de vaisseau Bourdais, officier de transmissions, a en charge un poste d’officiers élèves. Ce garçon est originaire de Binic ou d’Étables. Célestin mon frère, midship pendant la guerre, a navigué avec lui sur le

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“Terrible”.En retraite il a continué à le voir. Bourdais a terminé sa carrière aux étoiles et a fait acte de candidature au Conseil Général des Côtes d’Armor. Défaite cinglante. Les paysans n’aiment guère les militaires. Petit à petit l’état de santé de Bourdais se dégrade et il décède après avoir longtemps végété.Tout à l’heure j’ai mentionné l’existence à bord d’une prison pour officiers-élèves :simple local intérieur, sans hublot. Tout élève sanctionné vit sa journée normale avec son poste :service, corvée, études, mais le soir le maître d’hôtel va crocher son hamac dans la prison. Ce n’est pas terrible et cette prison ne sert guère qu’à punir les permissionnaires “attardés”. Je m’explique.La majorité des élèves a une vingtaine d’années, 25 ans au plus, célibataires pour la plupart.Quand nous arrivons à l’escale il y a très souvent des invitations à quelque dîner, ou à quelque bal. Mais une heure stricte de retour à bord est prescrite par le Directeur des Études. Il arrive parfois que quelque élève fasse une galante rencontre qui se prolonge jusqu’au matin.Au lever, accoudés au bastingage nous assistons, goguenards, à l’arrivée du retardataire. A peine gravie la coupée il est prié de se présenter au Directeur des Études. Explications. Sanctions :quelques jours de prison et surtout pas de sortie à terre à la prochaine escale. J’estime stupide cette dernière sanction.Nous sommes là pour découvrir le monde et on consigne à bord (voir au début de ce chapitre mon opinion sur la croisière “Jeanne d’Arc”).Après cette présentation des acteurs du bord, voyons ce que fut cette croisière 1949-1950.De Brest nous faisons route sur Saint Pierre et Miquelon, un petit territoire dont les habitants ont bien souffert, surtout au 18ème siècle, de la méchanceté anglaise qui les a déportés à 3 reprises.Pays triste, froid et humide, nous sommes en automne. Il a peu de chances de vivre un jour du tourisme.De Saint Pierre nous voilà parti vers l’embouchure du fleuve Saint Laurent. Remontée du fleuve, passage de neige garni ça et là de maisons aux toits peints rouges ou verts, ce qui apporte quelque couleur à la monotonie blanche.Arrivée à Québec où se déroule l’incident du blanchisseur déjà relaté.L’accueil de la population est très cordial. Quelques uns de notre poste sont invités à une réception. Nous recevons la visite d’une plantureuse québécoise qui vient nous “chauffer” c’est-à-dire nous conduire. Et de nous expliquer, en cours de route, que son père a “chauffé” madame De Gaulle lors de la visite de notre Président.Le Dimanche la “Jeanne d’Arc” accueille une foule de visiteurs. Lesquels, sans doute à la recherche de leurs ancêtres, ou de quelque parent, questionnent sans arrêt les gens du bord :“De quelle région de France êtes-vous ?”

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“Comment vous appelez-vous ?”La neige tombe sur Québec quand nous reprenons le fleuve d’abord, puis la mer. Direction New York. Accueil traditionnel par quelques bateaux pompes. Accostage à un des piers des paquebots d’autrefois.A New York je rends visite à une dame âgée, amie de mes parents : Madame Faure, une Américaine dont le mari, officier de la marine marchande, est français.Elle m’invite, avec quelques camarades de notre poste, à une grande réception de l’Etat Major de la “Jeanne” au Waldorf Astoria, hôtel de luxe donnant sur Central Park. Nous la remercions en lui offrant un écusson et un foulard de soie “Jeanne d’Arc”, cadeaux toujours appréciés par les gens que nous visitons.De New York cap sur les Antilles, nous mouillons pour un mois devant le petit port de Gustavia dans l’île de Saint Barthélemy. Nous allons, là, nous livrer à des travaux d’hydrographie : sondages, relevés de côtes, dessins de cartes... sous la direction d’un Ingénieur Hydrographe de l’Etat Major du bateau.J’ouvre d’ailleurs une parenthèse pour signaler la qualité des officiers élèves :officiers de marine, ingénieurs mécaniciens, ingénieurs du Génie Maritime, commissaires, ingénieurs hydrographes (3) et administrateurs de l’inscription Maritime (court séjour). Il n’y a pas d’élève officier étranger cette année là.A l’époque Gustavia n’a pas l’aspect démentiel pris aujourd’hui avec le développement du tourisme américain.Le Dimanche est consacré à des promenades en short sur les sentiers de l’île. J’ai souvenance d’avoir rencontré une très vieille dame, coiffée d’une capote comme en avaient nos ancêtres. Discussion. Je m’étonne de son savoir. Réponse de la Dame :“Qui a beaucoup lu peut avoir beaucoup retenu.”Précisons qu’à l’époque l’île de St Barthélemy est peuplée en majorité de personnes de race blanche :descendants européens, bretons et normands en particulier.Parallèlement à l’enseignement de l’hydrographie, nous nous initions à la plongée sous- marine avec scaphandre autonome, sous la conduite de moniteurs.

Nous sommes, je le rappelle, au tout début des années 50 et la plongée sous marine n’a pas atteint le degré de perfection qu’elle a aujourd’hui.L’air pour gonfler les bouteilles est fourni par un vieux compresseur “Pescara” d’origine italienne.Mais cela ne nous empêche pas de découvrir, par des fonds de 10 à 20 mètres le magnifique spectacle de la faune sous marine des Antilles :poissons de toutes formes, de toutes tailles et de toutes couleurs.L’hydrographie achevée nous visitons successivement le République Dominicaine (Ciudad Trujillo redevenu St Domingue), Haïti et la Martinique. Nous passons Noël à Fort de France.

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De là nous remontons vers les Saintes et la Guadeloupe où nous entreprenons l’ascension de la Soufrière. Malheureusement le brouillard nous prive de la vue de l’île au sommet.Cap sur l’Amérique du Sud.. Escale en Colombie.Puis nous longeons les côtes américaines pour venir jeter l’ancre aux îles du Salut, situées au large de la Guyane Française.Nous mettons pied à terre pour aller visiter les anciennes installations du bagne. La végétation envahit petit à petit les bâtiments. En voyant les geôles des bagnards nous nous imaginons quelle fut la dureté de leur vie, loin de leur famille, dans un climat malsain, chaud et humide.Nous ne manquons pas d’évoquer le calvaire de notre compatriote Seznec qui, 20 ans durant, resta sur cette île pour un crime dont il reste à prouver qu’il en fut l’auteur !Un ancien bagnard, resté là, faute d’être accueilli ailleurs, nous raconte que, lorsqu’il y avait un décès parmi les bagnards, la cloche tintait dans le campanile de la petite chapelle et alors on voyait les requins se rassembler au pied de l’endroit d’où le corps, enveloppé d’une simple toile, était jeté à la mer, après la cérémonie religieuse. A peine à l’eau le corps était déchiqueté par les squales.Avant la guerre le transport des convicts était fait par un bateau spécialisé :la “Martinière”. Papa a effectué quelques voyages sur ce navire, comme radio détaché de la “Transat”.Il a rapporté à la maison un petit tube, en 2 parties vissables, aux deux extrémités arrondies. Il était utilisé par les bagnards pour cacher de l’argent en prévision d’une hypothétique évasion. Ils l’introduisait dans leur anus pour qu’il échappe aux fréquentes fouilles des gardiens.Quand les bagnards payaient leur tribu quotidien à Dame Nature, ils adoptaient une pose particulière qui empêchait le tube de sortir.A l’arrivée de la “Martinière” devant les îles du Salut, le transit des convicts se faisait par un petit bâtiment :“La Quille”.Arrivés à la fin de leur peine, les bagnards attendaient avec impatience “La Quille” pour retourner vers la liberté.L’expression “vivement la Quille” a été reprise par les militaires achevant leur temps sous les drapeaux. Et on a confondu le nom du bateau avec le jeu de quilles.Après un court séjour en ce lieu maudit nous mettons cap sur l’Afrique.Nous embouquons la rivière Congo pour mouiller en un endroit où il fait très chaud, Matadi, qui, à l’époque est encore sous pavillon belge.Nous quittons Matadi et son “trou de l’enfer” après quelques jours d’escale.Arrivée à Dakar où nous retrouvons quelques amis de l’aéronavale basés à Ouakam et à Bel Air.Puis route sur le détroit de Gibraltar et sur Arzew, près d’Oran. C’est là que sont basés et s’entraînent les commandos Marine. Nous participons avec eux à un exercice de débarquement précédé et suivi de conférences.

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Puis nous filons sur Naples. Là j’achète quelques jouets pour les enfants. Car le retour est proche.Mais petite déconvenue à l’arrivée. Mes enfants ne sont plus habitués à voir leur père. J’offre une belle poupée à Claude qui la brise aussitôt sous mes yeux.Jean Pierre, lui, accepte sans problème sa belle locomotive.Ainsi se termine l’épopée “Jeanne d’Arc” qui fut tout de même très utile à ma formation d’officier.

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QUELQUES PHOTOS

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Le Poste 2

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En tenue de sortie

Les locataires du Poste 2

De gauche à droite : Beavehard, Leliepvre, Guigue, Ducrot, Québriac, Nifenecker, Beaufort, Even, Gouadon, Rolland, Amiot

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L’État Major de la «Jeanne» ou les «Affreux»

Premier rang de gauche à droite : ?, IM. Trousselle, LV. Massicot, CC. Daille, Med Pal Buissou, CF. Witrand, CV. Beaussant, Aumônier, IMP

Salon, IGP Baron, IMP François, LV Pignal, ?

Deuxième rang de gauche à droite : Docteur Delatraz, Ing Méc 1écl. Claeyosin, Ing Méc 1écl. Paban, Ing Méc 1écl. Faure, Lieut de Vais.

Quinchez, Cap de Corv Lefeuvre, Lieut de Vaisseau Suchard, LV De Champfleury, LV Kernéïs, Commandant Descombes, LV Chastolier, LV Brettner, LV Bourdais, LV Braud, LV Bonnet, Docteur Cayre (Dentiste)

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En route pour les Amériques par mauvais temps

Fête de la Sainte Barbe

Saint Pierre

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Saint Pierre

Québec, la Citadelle

Québec, le Château Frontenac

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Sur les bord du Saint Laurent

Arrivée à New YorkLa statue de la Liberté

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L’Hudson vu de l’Empire State Building

L’Empire State Building

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Repos sur les bord de la rade Gustavia

Les «taxis» de Gustavia

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Requin pêché en rade de Gustavia

MartiniqueJolie Brochette de Doudous

Promenade dans Ciudad Trujillo

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À Carthagène

Les Saintes

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Haïti

Aux îles du Salut

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La remontée du Congo

Promenade à Matadi

Exercice en mer avec le «Commandant Delage»

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14_ L’ESCADRILLE 31S(01 Octobre 1950 - 01 Mars 1951)

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Ayant passé avec succès mon examen de sortie de la “Jeanne d’Arc” je gagne Carrien pour un repos bien mérité. Il fait un temps très correct pour la saison.Malheureusement ce mois de septembre 1950 est endeuillé par la catastrophe de la frégate “Laplace” qui saute sur une mine en baie de la Fresnaye.Tout le monde en parle. Je ne pensais pas que quarante ans plus tard je m’informerai sur ce drame conté dans un de mes livres : “Histoire de Saint Cast Le Guildo”.Cela dit, je suis prié de rallier l’escadrille 31S à Orly. C’est une formation chargée des liaisons aériennes de la Marine. Elle est armée de gros appareils quadrimoteurs de transport “Languedoc” ou “MB161”.Cette affectation en région parisienne ne me convient pas du tout. J’ai horreur des foules. Je vais sans doute rencontrer des difficultés pour trouver un logement familial.Je rallie Orly avec ma petite Rosengart. Marie reste à Carrien avec Jean Pierre et Claude. A l’époque Orly n’a pas du tout l’importance d’aujourd’hui. Il n’y a qu’une seule piste et quelques hangars que se partagent l’Armée de l’Air et l’Aéronautique Navale. Le trafic civil se passe au Bourget.Arrivé à la base :déconvenue. Pas de logement possible pour ma propre personne. Et pourtant un pavillon situé de l’autre côté de la Route Nationale nous sert de carré. Il y a des chambres. Mais pas pour moi.J’obtiens du service compétent de la Marine une chambre conventionnée dans une petite rue étroite du côté de la Madeleine. Une chambre à avoir le cafard :tentures grises, murs sales. Bref mon séjour parisien démarre mal.L’état major de la 31S se compose d’un corvettard assez âgé :Chatel qui aurait pu m’aider davantage lors de mon accostage. Mais lui et son état major vivent dans la région parisienne, s’y trouve bien et n’ont pas compris mon désarroi.Le second :Leclerc Aubreton, un ancien de la France Libre, lieutenant de vaisseau, petite moustache style Royal Air Force. Sympathique mais un peu faucheton.

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Je devais le rencontrer quelques années plus tard, un soir à Orly alors que je partais en mission dans le Pacifique. Leclerc Aubreton avait quitté la Marine et partait œuvrer dans le Nord.

Le patron des volants :un officier de première classe des équipages :Duclos. Assez jovial. C’est au cours d’un vol d’essai avec lui que j’ai vécu mon premier accident grave où j’ai frôlé la mort de près. J’en parlerai dans le chapitre “Querqueville” qui suit.Le “Languedoc”, avion de conception ancienne, est un appareil délicat à mettre en œuvre. Ses moteurs, Gnôme et Rhône, nécessitent de fréquents travaux d’entretien.Peu de temps après mon arrivée à Orly, le Service Central Aéronautique du Ministère de la Marine décide de monter un centre d’entretien des “Languedoc” à Querqueville, près de Cherbourg, sur une base datant de l’avant guerre.Les “Languedoc” basés à Orly y passeront à tour de rôle pour leurs visites. On me demande s’il me convient d’être détaché là-bas pour y diriger les travaux d’entretien.J’accepte avec joie et quelques jours après mon arrivée à Orly je tourne la manivelle de la petite Rosengart et prend avec elle la route du Cotentin.Je me souviens encore de cet heureux voyage. Je roule en décapotable, vêtu de mon uniforme, la casquette vissée sur la crâne pour éviter que la vitesse de la voiture, 40 Km/heure, plus celle du vent d’Ouest (idem) ne fassent s’envoler ma coiffure.Il ne faut pas moins de la journée pour rallier Cherbourg où je m’installe pour plusieurs mois dans une chambre tristounette du Cercle Naval.Peu importe. J’ai échappé à l’agglomération parisienne et la quiétude des rues cherbourgeoises me convient beaucoup mieux.

Quadrimoteurs de transport «Languedoc»

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15_ À LA BASE AÉRONAVALE DE QUERQUEVILLE

(01 Mars 1951 - 01 Avril 1953)

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A Querqueville je découvre une piste en herbe recouverte d’une grille américaine, deux grands hangars et quelques appentis. Le tout situé à proximité immédiate d’un ancien fort plus ou moins bien adapté à l’hébergement des gens.Quelques matelots veillent sur l’ensemble sous la surveillance d’un officier de 2ème classe des équipages, Monsieur Cotrès, pilote d’aéronef qui disparaît après mon arrivée pour être remplacé par une figure de l’Aéronautique Navale, le Capitaine de Corvette Cambon qui prend le titre de Chef de Base.Je m’attarde sur ce pittoresque personnage, fils d’Amiral, pilote lui aussi, un monsieur très affable, très discret, agréable de fréquentation mais qui a un terrible défaut :il boit.Le matin il fait surface vers 10 heures, la casquette posée légèrement de travers. C’est l’heure du courrier et de son journal :“Le Monde”. Il s’assoit tranquillement dans le petit local qui lui sert de bureau et, en quelques minutes, fait les mots croisés, ce qui dénote une certaine culture et une finesse d’esprit.Au début, nous prenons nos repas du midi à l’école voisine des électriciens puis, l’état major de la base s’étoffant par l’arrivée d’un officier principal des équipages, Monsieur Hadan, un petit carré est installé dans le fort.Monsieur Hadan est un garçon fort sympathique avec qui je me suis très bien entendu. C’est un ancien pilote d’hydravion qui a commis l’erreur un jour, sur le plan d’eau de St Raphaël de se poser, par distraction, sur le dos d’un autre appareil au mouillage. Il a été rayé du pilotage à la suite de cette faute et converti en mécanicien, sans avoir suivi aucun cours dans cette spécialité !A Querqueville il s’occupe des services généraux :casernement, nourriture, couchages, etc...Hadan est natif de Bayonne, sa femme d’Angoulême et, pour ne pas faire de jaloux, ils ont acquis une villa à mi-chemin de ces deux villes à Arcachon où, plus tard, alors qu’il est en retraite, nous lui avons rendu visite.Longtemps nous avons échangé correspondance. Puis plus rien. Décès ?

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Quant au Commandant, qui me fiche une paix royale concernant mon activité, il est marié et père d’une famille nombreuse. Je soupçonne sa femme d’une certaine légèreté.Un de ses gosses, le petit dernier, 10 ans environ, passe parfois, après le repas, dans le poste des officiers-mariniers, terminer les verres et les tasses. Curieux atavisme peut-être !

Après l’Aéronavale Cambon, mis à la retraite, suit son épouse à Genève où elle œuvre à l’Ambassade de France. Lui, écrit des romans.Je les ai revu une fois, en région parisienne quand, par la presse, j’apprends le décès d’une de leurs filles (suicide par le feu). Depuis j’ai perdu tout contact.Au début de notre séjour nous sommes conviés à déjeuner, un Dimanche, avec les Hadan, chez le Commandant Cambon. Il y a du champagne en guise de boisson.Marie qui n’a pas l’habitude de boire de l’alcool ne se méfie pas et elle est “pompette” à la fin du repas. Elle doit s’allonger en rentrant à la maison. C’est la seule fois, en un long mariage, où j’ai vu ma moitié noyée dans les vapeurs d’alcool.Or donc à Querqueville je prends la direction des Services Techniques :environ 120 officiers mariniers et marins spécialistes, un agent technique et quelques ouvriers détachés de l’Arsenal.Mission :entretenir les “Languedoc” de l’aéronavale, tous rassemblés à Querqueville et effectuer les visites périodiques pour ceux en service.Le “Languedoc” est un avion à problèmes. Je cite quelques exemples.Un jour, après travaux par des spécialistes du constructeur, l’avion est convoyé sur Orly. Je suis à bord. A l’atterrissage le pilote, un officier des équipages chevronné, Mr Duclos, réalise que ses freins sont bloqués. Il tire à fond sur le manche pour asseoir au mieux l’avion qui, comme les modèles anciens, a roulette de queue. Hélas, en fin de course, l’avion pique du nez, les quatre hélices rabotent la piste, le fuselage se plie au droit de la cabine pilotage.Une fois l’avion stoppé tout le monde se précipite vers la sortie, à l’arrière. L’avion bascule et se plie, une seconde fois, au droit des gouvernes. Nous sautons à terre. Ce jour-là nous avons échappé à la mort. Chargé d’essence l’avion aurait pu prendre feu et exploser. L’enquête qui a suivi a montré la responsabilité des travaux du constructeur.Autre exemple :je pars un jour faire la tournée de Dakar. Arrivé à Casablanca :des problèmes moteurs. Il faut procéder à d’importants démontages. Heureusement il y a à bord deux bons spécialistes :un détaché par le fabricant, la SNECMA et l’autre un mécanicien de bord hors pair qui a d’ailleurs par la suite fait carrière à Air France comme mécanicien volant.Un peu titi parisien sur les bords, il en a la gouaille et quand il parle de ses moteurs il dit :“c’est de la guimauve !”

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Je mets à profit cet arrêt prolongé à Casa pour faire visite à mon frère Célestin et sa petite famille.

Un jour je suis grippé, couché à la maison, mon adjoint, un Maître Principal, fait le vol d’essai après les travaux à ma place. Panne de freins à l’atterrissage. Piste trop courte. Voilà l’avion dans la nature. Nous avons toutes les peines du monde à l’en sortir.Ces problèmes techniques qui se multiplient, nous mettent sur le dos les Inspecteurs Techniques de Paris, de qui j’ai gardé un mauvais souvenir.Je m’ouvre un jour au sieur Ropars, Ingénieur à 5 galons panachés, sévissant à l’Inspection Technique de mes problèmes familiaux :logé avec épouse et deux enfants dans une chambre sans confort au Cercle Naval de Cherbourg.Sa réponse fuse :“la famille ça ne compte pas. Ce qui compte c’est le service de l’Etat.” J’ai beau lui faire remarquer qu’un être satisfait du sort des siens a un meilleur rendement au travail, cela ne sert à rien. J’ai affaire là à un supérieur borné, vindicatif, ne supportant pas la contradiction. Un de plus !L’autre inspecteur, Nicolas, 3 galons est petit, méchant et hargneux comme une teigne. Contestant toutes mes décisions. Je devais le retrouver plus tard à Hyères.A cette époque de tensions paraît une circulaire qui suggère à de jeunes officiers, de tous les corps, de toutes les armes de servir dans la gendarmerie.Je suis à deux doigts de demander mon transfert dans cette arme.Puis, réflexion faite, je décide de rester marin. Il me suffit d’attendre une affectation plus passionnante.C’est un des avantages de cette profession. Par le jeu des changements d’affectation on n’est pas condamné à subir, sa vie durant, le joug de la bêtise d’un supérieur.

Venons-en aux affaires familiales. A peine arrivé à Cherbourg je fais venir Marie et les deux enfants. Faute de logement immédiatement disponible nous campons au Cercle Naval, durant plusieurs mois, dans une seule chambre avec un seul lavabo.Le soir des souris sortent de quelque trou et se promènent dans la pièce. Quand c’est possible je leur lance une chaussure pour les faire s’enfuir.La cuisine se fait sur un petit réchaud à alcool. Le grand confort ! De plus cette chambre donne sur les toits. Les belles chambres en façade, sur les quais sont réservées à d’augustes officiers supérieurs.Puis arrive enfin le moment où nous quittons le Cercle Naval pour nous installer à Proteau, loin de la ville dans des casernes. Je déniche quelques meubles marine. Là au moins nous avons de la place et les enfants ont où s’ébattre. Chauffage :une seule cuisinière à charbon.A Proteau nous avons comme voisins de palier un Commissaire de la Marine, Monsieur Beauséjour, sa charmante épouse et leurs enfants.Beauséjour, d’un beau noir, est originaire de l’Océan Indien. Etudiant

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à l’École Centrale des Arts et Manufactures il se place, durant les congés scolaires, comme enseignant ou précepteur dans une famille aisée française.La jeune fille de la maison tombe amoureuse de son professeur. D’où leur mariage.Certains de leurs enfants, plus ou moins teintés, sont chahutés par leurs camarades de classe qui fredonnent :“Une négresse qui buvait du lait...” La jeunesse est impitoyable. Son état d’esprit a beaucoup évolué depuis.Quant à Beauséjour il aime les bonnes manières. Rencontrant mon épouse il lui fait des baise-mains. Y compris un certain matin, dans l’escalier, alors que Marie, seau à la main, en robe de chambre, descend chercher du charbon à la cave. Les jours suivants elle met des gants.Cela dit Beauséjour est d’un commerce très agréable et, à ma connaissance, a fait une belle carrière dans la Marine.

Au-dessus de notre appartement vit le ménage Andony, un ménage d’intellectuels plus portés sur la lecture que sur le rangement matériel de leur gîte.Andony est conservateur des Archives Marines de Cherbourg. C’est un ménage très sympathique. Ils sont tous les deux originaires de le presqu’île de Quiberon. Plusieurs enfants.Malheureusement ils ont vite quitté Cherbourg pour Paris où nous sommes allés un jour leur faire visite dans leur logement sur l’île de la Cité.Plus tard nous avons appris le décès d’Andony. Depuis plus de nouvelles.Autre voisin de Proteau : le capitaine de frégate Bellet qui commande l’école des électriciens-sécurité située à Querqueville, à l’entrée du terrain d’aviation.Bellet est un voisin agréable mais il est doté d’une force de caractère qui ne le fait pas apprécier de tous.En 1942 Bellet est Lieutenant de Vaisseau et second du sous-marin “Casabianca” commandé par le Capitaine de Frégate L’Herminier. C’est la seule unité qui s’échappe de Toulon au moment de l’investissement de la base navale par les forces du Reich.Il est marié à une femme très agréable mais qui décède jeune laissant deux garçons orphelins. Bellet quitte prématurément la Marine et un jour j’ai de ses nouvelles par la télévision lors d’un reportage sur les Indes où j’apprends qu’il dirige un chantier.Nous avons un autre voisin :l’Ingénieur en Chef Delalande, qui sert à l’Etat Major du Préfet Maritime. Nous sommes en excellente relation avec ce monsieur et son épouse.Une anecdote :thé chez eux un après-midi, en semaine. Marie y participe ainsi que Madame Cambon. Nous devons, son mari et moi, les y rejoindre, la journée terminée. Ce qui se fait. Passant devant ma porte j’invite le Commandant à entrer et prendre un pot. Ce qu’il accepte avec plaisir, vu son travers.

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Soudainement, alors que nous discutons tranquillement tous les deux, la porte de l’appartement s’ouvre, sans qu’on ait frappé. Madame Cambon surgit, sans dire bonjour, et se précipite sur son mari en le traitant de salaud. Je suis gêné. Puis la furie s’en va. Placidement Cambon termine son verre de vin blanc, sa boisson préférée, et me dit :“Alors on y va à ce thé.”Un jour je me rends au carré des officiers avant l’heure du repas et je surprends Cambon dans l’office à boire du vin blanc au goulot. Il a d’ailleurs un concurrent :Guivarch, quartier maître chef cuisinier qui opère de même manière. De quoi mettre la gamelle à cul !Autre voisin :Tessereing, capitaine de frégate, en service à l’école des électriciens. Il n’a qu’un désir :quitter dès qu’il le pourra la Marine pour aller cultiver des huîtres du côté de Belon. Brave type qui aura, je l’espère, trouvé satisfaction de son souhait.Au rez-de-chaussée, sous notre logement, gîtent les Péron, lui officier des équipages à trois galons, madame et leur fille. Madame se plaint de temps à autre du bruit que je fais quand, le soir ou le dimanche, je joue avec les enfants :souvent des poursuites dans l’appartement. Dès le début j’ai classé cette dame dans la catégorie des emmerdeuses et je continue à jouer avec les gosses, étant entendu que, tôt le soir, tout ce petit monde est au lit, donc silencieux.Il arrive parfois que Claude, découverte, se réveille la nuit et pleurniche. Si sa mère se lève et la borde, elle se rendort vite. Si je vais à son chevet elle touche mes mains, s’aperçoit que ce ne sont pas celles de sa mère et hurle de plus bel !C’est durant notre séjour à Cherbourg que Claude est opérée de la mastoïdite à l’Hôpital Maritime. Je me souviens encore de son réveil. Elle crie, ne nous reconnaît pas. Je pense alors :“notre petite fille est devenue folle.” Puis tout se calme mais la peur a été grande.A Cherbourg nous ne menons pas une vie mondaine. Nous sommes tout à nos enfants, avec une solde peu élevée. Surtout un certain Noël, le premier passé à Querqueville.Nous sommes à l’époque administrés par la Base Aéronavale des Mureaux. Je reçois un chèque chaque fin de mois. Ce mois de Décembre 1950 la solde est insignifiante. Téléphone au commissaire. Trop perçu les mois précédents. Le Noël qui suit et Janvier sont très maigres.

Les enfants fréquentent durant notre séjour les écoles de Cherbourg :collège de jeunes filles, école du sacré-cœur.Le dimanche est consacré à des promenades à la campagne, souvent en compagnie d’amis :les Andony, Hadan, Delalande...C’est une ambiance conviviale qui compense la tristesse de la vie à Cherbourg où la “vache” ou corne à brume se fait souvent entendre.Une promenade du côté Est du Cotentin, pointe de Barfleur, Quétéhon nous permet d’y rencontrer deux vieilles connaissances de Plurien :Joseph Le

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Coquen et sa jeune épouse Madeleine Lemercier. J’ai connu Joseph quand il participait aux courses cyclistes communales avant la guerre. A la fin des hostilités il a désiré servir dans la gendarmerie puis il a finalement opté pour la Douane.Madeleine est la benjamine de la famille Lemercier de la Ville Paie (11 enfants) où tous les matins d’été nous nous rendions chercher du lait.Plus tard le couple a quitté la Normandie pour la région parisienne, Joseph ayant pris service à Orly.C’est au cours du séjour à Querqueville que je suis promu au grade d’Ingénieur Mécanicien de 1ère classe (3 galons).Nous allons à Carrien dès que l’occasion s’en présente mais, comme je l’écris ailleurs (voir chapitre Rosengart) il faut 6 heures, soit, avec l’arrêt casse-croûte, la journée entière pour rallier Pléhérel. Il n’est pas question de se risquer de nuit sur la route.Une année nous avons la visite de l’Amiral, Chef du Service Central Aéronautique. Lequel s’étonne du temps nécessaire à la visite des avions (Mes copains Inspecteurs Techniques sont passés par là).Chiffres à l’appui j’expose à l’Amiral qu’il faut tant d’hommes-heures en moyenne pour réviser un avion. Et qu’au regard de ce chiffre, je ne dispose que d’un nombre insuffisant d’hommes-heures. A cause des servitudes inhérentes au métier militaire, en particulier les corvées de toutes sortes et les factions.Ce raisonnement porte car dans les semaines qui suivent l’effectif technicien s’accroît et les fusiliers marins assurent la surveillance des installations.Durant notre séjour à Cherbourg nous assistons régulièrement à l’arrivée des cargos venus des États-Unis, chargés d’armement :chars d’assaut, camions, canons, munitions, etc... à destination des forces françaises. C’est la période de la guerre froide, de tension entre l’Occident et la Russie.On voit fleurir au coin des rues des affiches :“U.S go home” posées par des sympathisants communistes.Dire que quelques années auparavant, à une centaines de kilomètres de Cherbourg, de jeunes Américains sont morts sur nos plages pour nous libérer du joug nazi !Ceux-là ne retourneront pas chez eux. Mais quelle ingratitude, quelle sottise de la part de ces afficheurs et de leurs complices.Pour nos liaisons nous avons à Querqueville un petit monoplan Fisler Storch, d’origine allemande, piloté par un officier marinier.Je me suis rendu une ou deux fois à Paris avec cet engin. Survol très agréable de la campagne. On suit les routes ou la côte pour ne pas s’égarer. Il est arrivé, par fort vent debout, que l’avion fasse du surplace et même, en réduisant les gaz, de la marche arrière.Un jour je me suis payé un voyage en rases vagues tout le long de la côte du Cotentin jusqu’au Mont Saint Michel. Passionnant ! Je ne pensais pas que, près de un demi-siècle plus tard, je reviendrai dans ce Cotentin marier un

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de mes petits-enfants ! Avant de quitter Querqueville je veux rapporter une anecdote. Nous avons comme bidel, ou Capitaine d’armes chargé de la discipline, un brave premier maître originaire de la Pointe du Raz. Parlant plus breton que français.Un jour il est dans mon bureau. On vient me signaler la disparition dans un magasin d’une pièce importante. “Elle a dû être prise par inadvertance” me dit-on.Remarque du bidel :“Qui c’est celui là Inadvertance, il ne figure pas sur le rôle de plats.”

Autre anecdote :Parmi mon personnel il y a un quartier maître chef marié, père de famille. Le voilà désigné pour l’Indochine. Une absence de deux ans en perspective !Un lundi matin, en arrivant à la base, il se rend directement à l’atelier chaudronnerie, place son index droit sur le tranchant de la grosse cisaille et le coupe net.Il est aussitôt évacué sur l’hôpital. Enquête de gendarmerie. Un accident prétend-il. Il avoue ensuite qu’il s’est mutilé sur un coup de cafard pour ne pas aller en Indochine.Il comparaît devant le tribunal des Armées qui lui inflige quelques jours de prison et rompt son lien avec la Marine.Le journaliste local mentionne dans “Ouest-France” :“A deux doigts du départ, X... s’en coupe un.”J’ai appris par la suite que l’ex quartier maître a été embauché comme ouvrier à la DCAN de Cherbourg.La Marine n’est pas rancunière...C’est à Querqueville que je fais la connaissance d’un jeune matelot qui, à l’occasion nous sert de conducteur. Il s’agit de Paul Beaumont. Il est gentil, serviable, un peu naïf ce qui le fait moquer par quelques grandes gueules de l’équipage.Je le prends en amitié et le revois plus tard dans des circonstances mentionnées dans un des chapitres de la présente relation.Puis le temps passe et j’apprends ma désignation pour la base de Cuers-Pierrefeu dans le midi cher à mon épouse.Pas question cette fois de traverser la France avec la Rosengart, d’autant que j’apprends à l’époque qu’on a droit au transport gratuit de la voiture sur wagon. Ce qui est fait.Et je rallie Cuers par train aux environs du 1er Avril 1953. Pas fâché de fuir Cherbourg, sa fraîcheur et sa grisaille.

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QUELQUES PHOTOS

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Le Capitaine de Corvette discrètement mélangé aux invités lors d’une fête de Noël

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Au fond du terrainle village de Querqueville

Arrivée du Père Noël en avion

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Un atelier de Querqueville

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Un appareil «Languedoc» en visite dans un des hangars de Querqueville

Avion accidenté en bout de piste à Querqueville

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Enquête sur le terrain civil de Maupertuis après le crash d’un appareil S.B.D de l’aviation embarquée

Arrêt à Casablanca lors d’un voyage vers DakarAvec 2 des filles de Célestin :Hélène et Chantal

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À Proteau

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Claude à l’hôpital(furoncle à l’aisselle)

À la plage avec Alain Delalande

Mardi gras avec les petits Tessereing, Delalande, Beauséjour et Andony

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À Proteau : Claude et les petits Cabon (des voisins)

À Proteau : Madeleine Beauséjour, Philippe Tessereing,

Jean-Pierre Amiot

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Sur la plage d’Urville avec les petits Cabon et les petites Andony

Claude et Michel Delalande

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En promenade avec la famille Delalande

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En promenade dans le Val de Serreavec les Hadan

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Promenade sur la «Vire» avec Michel Siard (un ancien de «l’Arromanche»

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16_ À LA BASE AÉRONAVALE DE CUERS-PIERREFEU

(01 Avril 1953 - 01 Janvier 1955)

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Et me voilà à la Base Atelier de Cuers-Pierrefeu, dans le Var, à 20 kilomètres au Nord d’Hyères.Disons le de suite :si le retour dans le Midi enchante mon épouse qui a toujours eu un faible pour le soleil, par contre je n’ai guère apprécié les 20 mois passés à Cuers.C’est une base atelier qui ronronne toute la journée et s’endort le soir. La vie s’y déroule dans une monotonie bien différente de l’agitation que j’ai connue et que je devais connaître sur les bases opérationnelles et sur les porte-avions.Affecté aux Services Techniques j’ai en charge plusieurs ateliers :mécanique (ajustage, tour, soudure, forge, etc...), moteurs d’avions. L’atelier régional automobile et le Service Entretien Avions.En fait ces ateliers et services sont, pour la plupart armés par des ouvriers civils compétents, dirigés par des chefs d’équipe et des agents techniques qui connaissent bien leur travail.D’où, pour moi, un certain ennui, coupé de temps en temps par des tours de garde où on supplée le Commandant absent de la base.Mais il ne se passe pas grand chose dans la calme cuvette de Cuers. Un soir cependant j’envoie une équipe de pompiers en intervention à l’extérieur sur un sinistre civil privé.Un tel déplacement ne doit être ordonné que s’il y a danger pour la vie humaine. Ce qui est le cas ce soir là.Beaucoup moins routinière est l’aventure survenue à un jeune camarade, officier de garde un dimanche de printemps.Le téléphone sonne :“Ne quittez pas, ici l’Élysée, le président Auriol vous parle.” L’officier a cru d’abord à une plaisanterie mais, à l’accent bien prononcé de son terroir, il a vite reconnu la voix du Président de la République. Lequel s’inquiète de l’arrivée à l’étape de sa belle fille Jacqueline, bien connue pour ses activités aéronautiques.

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Aucun message n’a annoncé cette arrivée impromptue. L’officier prévient aussitôt à son domicile le Commandant de la Base qui accourt. On sort de derrière un buffet le portrait officiel du Président et on l’accroche au mur du carré des officiers supérieurs, après l’avoir épousseté.Et la Jacqueline arrive, escortée, comme à son accoutumée de quelques officiers aviateurs. Le Commandant de la Base est là qui lui souhaite la bienvenue. Tout se passe bien.Notre monotone vie est ponctuée, de temps en temps, le samedi matin, par une cérémonie militaire :inspection du Pacha, défilé des Compagnies.Un jour il m’arrive un petit incident qui en a fait sourire plus d’un. Je vais défiler sabre clair à la tête de ma compagnie. Musique. C’est parti. Tout à coup je réalise que j’ai omis de mettre la jugulaire de ma casquette au menton :c’est réglementaire. Énervé je tire sur la jugulaire, embarrassé par mon sabre. Un de mes boutons lâche et me voilà affublé d’une jugulaire qui pend et se balance le long de mon visage. Tant pis. Je passe en saluant du sabre devant les officiels qui ne bronchent pas. Mais quelques sourires narquois et discrets se devinent. L’incident est commenté, lors du pot qui suit, au carré des officiers.Les Services Techniques de Cuers sont dirigés par l’Ingénieur Mécanicien Principal Berguit, un brave type, marié, père de famille, originaire des Pyrénées Orientales. Il me parle sans cesse d’un village de là-bas :Prats de Moyo.Son épouse a la gentillesse de faire une visite à Marie, à la maternité de l’hôpital Sainte Anne, de Toulon, après la naissance de Philippe.J’apprends plus tard que Berguit a quitté son épouse pour se mettre en ménage avec une jeune secrétaire de Cuers !Mon séjour là-bas est ponctué par deux évènements familiaux :la naissance de Philippe et la mort de Maman.La naissance de l’enfant, le 14 Juin 1954, a été en fait retardée de quelques jours par rapport à la date initialement prévue. Marie, souffrant de troubles cutanés a consulté, à la garnison d’Hyères, un jeune médecin du contingent qui commet l’erreur de lui prescrire je ne sais quelle pommade calmante mais dont l’effet secondaire est d’endormir le corps et d’arrêter le processus d’accouchement.Après l’hospitalisation de Marie je partage mon temps entre le travail à la Base et l’encadrement des enfants :Jean Pierre et Claude.

Aussi c’est avec un retard de près de 24 heures que je fais la connaissance de mon troisième héritier.Tout est bien qui finit bien et la naissance est fêtée par un pot à la Base.Marie vient de perdre sa mère. Elle n’a pas pu, à son grand regret, assister à ses obsèques, vu l’état avancé de sa grossesse. Il est alors décidé que le sacrement du baptême sera administré à l’enfant dans la plus stricte intimité. A l’hôpital maritime, par l’aumônier de cet établissement, Jean Pierre et

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Claude assument la charge de parrain et marraine de leur petit frère.Quelques mois après c’est la disparition brutale de Maman sur laquelle je ne veux pas m’étendre. En mission à la Base d’Hyères je passe, au retour, par la maison pour apprendre l’arrivée d’un télégramme :“Mère décédée”.Le soir même je prends le train à Toulon et arrive le lendemain vers 17 heures à Lamballe où m’attends Joseph Haguet mandaté par Papa.La vision de Maman, sur son lit de mort, est pour moi un choc et je perds connaissance quelques instants.Après l’enterrement je retourne à Cuers, le cœur très meurtri. Maman avait certes ses petits travers, comme tout un chacun. Elle n’a pas été très habile au moment de mon mariage. Mais enfin c’est ma mère. Je suis sorti de son sein. Et des années après sa disparition je continue à penser à elle en évoquant, dans ma mémoire tous les évènements de mon enfance.Dès les premiers temps de mon séjour à Cuers, je me mets en quête d’un logement pour la famille. Compte tenu du bon souvenir qu’a Marie de son premier séjour à Hyères, c’est dans cette petite ville que je cherche un gîte.L’opération est laborieuse et j’opte finalement pour un logement de piètre qualité au sous- sol d’une villa baptisée “Marie Louise”. Ce n’est pas très reluisant mais ma solde ne me permets pas de m’installer dans un appartement cossu.Il a, par contre deux avantages :il est situé en pleine ville, à deux pas de l’avenue centrale Gambetta et il y a un jardin où peuvent s’ébattre les enfants.Marie le quittera plus tard, après mon départ pour l’Indochine pour loger dans un immeuble tout neuf, chez une dame Zévio, rue Pasteur.A Cuers j’ai trouvé une moto de marque “Terrot” de 250 centimètres cubes de cylindrée que je me fais attribuer pour mes déplacements personnels. J’ai autrefois, pendant les escales à Toulon du “Colossus”, passé avec succès mon permis militaire moto, avec une grosse machine américaine Harley Davidson.Je fais matin et soir la route Hyères-Cuers et retour en motocyclette par la route pittoresque de la vallée de Sauvebonne. Une petite demi-heure suffit pour faire le trajet. Mais l’hiver, bien que bardé de cuir, j’arrive transi à destination.Plus tard j’échange cette “Terrot250” par une petite moto culbutée de 150 centimètres cubes, donc moins puissante. Ça va moins vite mais je me sens plus maître de ma machine.Deux accidents ponctuent mon séjour à Cuers. Un beau matin, circulant en moto sur la base, je suis percuté par une jeep, dont le conducteur est aveuglé par le soleil. Vol plané, pantalon déchiré, je me récupère intact sur le gazon.Un soir, rentrant à Hyères, j’arrive en plein virage sur un cageot de raisins tombé d’un camion et répandu sur la route. Je ne peux l’éviter et je prends un bon billet de parterre.Je précise que je suis coiffé d’un casque de cuir d’aviateur. Les casques modernes n’existent pas à l’époque et le port d’une coiffure de protection n’est nullement obligatoire.

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La base de Cuers est dotée d’une escadrille de servitude, la 3S, commandée par le Lieutenant de Vaisseau de Fornel, un garçon très gentil, bien qu’un peu maniéré, noblesse oblige. Il périra en 1961 lors d’un accident aérien au Niokolokoba (Sénégal) peu de temps avant mon arrivée dans ce pays.Une des missions de la 3S consiste à tracter des cibles volantes utilisées pour l’entraînement DCA de l’escadre.Pour leur distraction et leur entraînement les pilotes de cette formation disposent de quelques planeurs. J’ai eu l’occasion de voler sur un de ces engins. Dès le largage de l’avion remorqueur on n’entend plus que le sifflement du vent autour des ailes et du fuselage. C’est merveilleux. On se sent devenir un véritable oiseau.

La base de Cuers-Pierrefeu a été créée après la grande guerre pour y recevoir des ballons dirigeables d’origine allemande.Pour loger ces engins volumineux il faut des hangars particuliers. C’est ainsi que ceux de Cuers, récupérés en Allemagne au titre des dommages de guerre, font près d’une centaine de mètres de long, une vingtaine de mètres de large et sont d’une très grande hauteur.A l’époque où j’ai connu Cuers ils sont toujours en service, les dirigeables ayant disparus depuis longtemps. Les Services Techniques de la Base, l’escadrille 3S et la Direction des Constructions et Armes Navales (DCAN) Section Aéro, se partagent ces deux édifices et leurs appentis.Autant dire de suite que les dimensions de ces hangars, surtout leur hauteur, ne sont guère favorables à leur utilisation rationnelle.La section aéronautique de la DCAN se consacre aux révisions générales de certains avions de l’aéronavale.Les vols d’essais de ces appareils, après refonte, sont confiés à un officier des équipages pilote, un nommé Debrun. Un individu sans doute compétent sur le plan travail mais méprisable sur le plan tenue. Il se tient mal à table, dit des insanités, le type même d’officier qui fait honte à son corps. Un matin je l’ai entendu répondre à quelqu’un qui s’inquiétait de la santé de son épouse :“elle n’est pas encore crevée.” !Sa carrière de pilote a été suspendue quand, lors d’un vol d’essai, il a crashé un avion par sa faute et a menti sciemment à la commission d’enquête, mettant l’accident sur le compte des équipages au vol. Ce mensonge ne lui a pas été pardonné.Le voisinage de la DCAN nous met en contact avec des Ingénieurs du Génie Maritime. On les voit arriver à Cuers, tout frais émoulu de leur école, avec déjà 3 galons sur les manches.Deux ans après ils disparaissent du carré des officiers subalternes, dont ils partagent le repas du midi, pour filer au carré voisin des officiers supérieurs car déjà nantis d’un 4ème galon.Beaucoup d’entre eux restent quelques temps au service de l’état pour se faire la main (leur statut de polytechnicien les y oblige d’ailleurs) puis ils

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partent vite dans la vie civile, ce qui facilite l’accession rapide aux hauts grades des jeunes recrues.

Je retrouve parmi ces G.M (Génie Maritime) un garçon originaire de la région de Plancoët, un nommé Rochefort, connu jadis sur la “Jeanne d’Arc”.Dans le dernier trimestre 1954 je suis prié de me rendre en mission auprès de l’Armée de l’Air pour y étudier les visites périodiques qu’y subissent les avions de transport MD312 dont l’aéronavale possède quelques exemplaires. Je dois organiser une aire de visite de ce type d’avions à Cuers.Et me voilà parti pour la base d’Avord puis pour celle de Tours. J’y suis très bien accueilli et documenté par les aviateurs et je reviens à Cuers nanti de renseignements propres à l’exécution d’un bon travail.Las !A peine rentré j’apprends ma désignation pour la base de Cat-Laï en Indochine !Je dois rallier vers la mi-décembre. Je fais retarder mon départ pour me permettre :primo de transmettre mon savoir à quelqu’un d’autre, secundo pour prendre un petit repos.Nous partons passer quelques jours à Carrien. Nous avons vendu la “Rosengart” et acquis une “Aronde”. Ce furent de tristes vacances et je me souviens encore du 31 Décembre passé dans un hôtel de Blaye, sur le chemin du retour vers Hyères.

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QUELQUES PHOTOS

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L’écusson de la base de Cuers-Pierrefeu

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De gauche à droite : Cdt Aéro III Toulon, CF Combe, CF Ortolan BAN Hyères, CF Périé Cdt partant, Off. des équipages Cdt entrepôt Cuers

Le Secrétariat des Services Techniques : Huguette Gauvin que je devais plus tard retrouver à Dakar

Arrivée du Père Noëlen Alouette

Prise de CommandementCapitaine de Frégate Combe

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Entrée du Secrétariat des Services Techniques

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Le petit Philippe est arrivé

Jean-Pierre et Claude«Villa Marie Louise»

1954

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Un des deux hangars de CuersDans les appentis : la révision des moteurs d’avion

Un hangar inondé

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Les ateliers «Sablage» et «électronique»

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17_ EN INDOCHINE(Cat Laï - Tan Son Nhut)

(01 Janvier 1955 - 09 Juin 1956)

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Mon séjour en Indochine de Janvier 1955 à Juin 1956 a certainement été la plus dure épreuve de ma carrière. Tant au point de vue moral que physique (je suis revenu maigre comme un cent de clous).Un soir de Janvier, vers les 9 heures j’embrasse une dernière fois ma femme et mes trois enfants avant de sauter dans la voiture militaire qui m’emmène à la gare de Toulon.Je quitte la maison très ému. Ayant refoulé ma peine pour ne pas accroître celle des miens. Je pense, une fois dehors, que le plus dur est passé. Je me trompe car au cours de mon séjour en Extrême-Orient j’ai quelques solides crises de cafard que j’essaie d’étouffer dans le travail ou les randonnées.Arrivé à Paris je reçois tous les papiers et les instructions pour rallier Saïgon, via Toulouse. Et l’après-midi même je prends le train, en pensant qu’on aurait pu me conseiller de rejoindre cette ville directement à partir de Toulon.Le soir, à l’aérodrome, je prends un appareil de transport quadrimoteurs “Armagnac” fabriqué par la “SNCASO” (intégrée plus tard dans la société “Airbus”).Cet appareil ne vole guère car, comme le “Languedoc”, il est plein de défauts et ne convient pas à la régularité d’une ligne civile. C’est pourquoi il est affecté aux liaisons d’État sur l’Indochine.Escale à Beyrouth le lendemain matin. La mer bleue d’un côté. Les montagnes couvertes de neige à l’horizon. Un climat idéal où les hommes ont tout pour être heureux. Hélas la guerre civile va s’y installer.Deuxième arrêt à Karachi. J’ai eu plus tard l’occasion de fréquenter ces territoires du Sud Asiatique. A chaque escale, monte dans l’avion, moteurs à peine stoppés, un employé qui, à l’aide d’une bombe, nous asperge de D.D.T comme si nous étions des pouilleux. En fait ceux- là sont dans la ville...Avant l’arrivée à Saïgon il faut ouvrir la porte arrière de l’appareil car il y a des ennuis d’aération. Du coup nous sommes gelés sur la fin du trajet. Mais nous arrivons sains et saufs à Tan-Son-Nhut, l’aérodrome de Saïgon où m’attend mon camarade Pinson, que je viens relever.

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Et aussitôt en route pour la base de Cat-Laï au bord du fleuve Dong Naï qui, en aval, rejoint la rivière de Saïgon.La base arme une flottille d’hydravions amphibies américains “Gruman Goose”. C’est une base bien organisée :hangars en bordure du fleuve, où descendent les hydravions.Des bâtiments séparés, d’un seul étage, bien disposés, bien entretenus, bien aérés abritent les différents services de la base :Commandement, Services Opérations, Services Généraux, Infirmerie, Services Techniques, Service Entretien...etc...De nombreux ateliers, placés sous ma coupe, armés par du personnel civil français et vietnamien permettent tous les travaux d’entretien et de réparation des avions et de tout le matériel en général.Un puit avec motopompe alimente la base en eau douce. Une centrale électrique (2 gros Diesels) fournit le courant.Le personnel équipage, les officiers mariniers sont très bien logés.Des pavillons réservés aux officiers accueillaient avant la guerre les intéressés et leurs familles.Des pince-sans-rire les ont baptisés. Il y a :les “Cénobites tranquilles”, les “Aubépines fleuries”, etc... C’est dans cette dernière villa que je loge. Grande pièce de séjour en bas, grande chambre avec toilette à l’étage. C’est dire que j’ai de la place !Une vieille boyesse, léguée par mon prédécesseur, et rétribuée par mes soins, passe chaque matin faire le ménage, prend le linge sale et le rend impeccablement lavé et repassé.Mes vêtements et mes chaussures sont rangés dans un placard où brûle une ampoule électrique en permanence afin de lutter contre l’humidité ambiante. Si la lampe s’éteint les chaussures se couvrent vite de moisissure.Le lit est entouré d’une grande moustiquaire et, le soir, en la disposant, il faut veiller à ne pas laisser entrer quelques moustiques. Car ces bestioles ont vite fait de troubler mon sommeil.Je dors la fenêtre grande ouverte à cause de la chaleur. Toutes les nuits on a droit à un concert des crapauds buffles mais on s’y habitue à la longue.Il fait si chaud sous la moustiquaire que j’y transpire en abondance. De temps à autre je me lève pour prendre une douche rafraîchissante. Je descends souvent aussi au réfrigérateur du rez-de-chaussée pour y ingurgiter quelques lampées de bière glacée, bière faite localement avec du fiel de bœuf. On chante sur la base :“La bière Larue, la bière qui tue.” Il est de fait que ces rasades de liquide froid ne sont pas fameuses pour le foie. Mais d’autres succombent à l’attrait d’un alcool plus fort, tel le pastis.Ces suées diurnes et nocturnes peuvent expliquer la perte d’une dizaine de kilos lors de mon séjour.Après le déjeuner de midi il est indispensable de faire une petite sieste réparatrice. Je m’étends alors au rez-de-chaussée sur un divan. Le nez au plafond j’observe le jeu des margouillats, sorte de petits lézards qui vivent la

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tête en bas, accrochés au plafond.Quand passe un moustique ou une mouche à leur portée ils sautent dessus et, bien sûr, se retrouvent, en chute libre, au sol. Il m’est arriver d’en recevoir sur le divan. Mais ce sont des bêtes utiles et non dangereuses et on se garde bien de les éliminer.L’ensemble des bâtiments de la base est entouré de grands murs et surveillé par des tourelles disposées en différents endroits.Le village de pêcheurs de Cat-Laï est à proximité de la base. Une partie de notre personnel autochtone y vit, en particulier le “Bep” c’est-à-dire le cuisinier du carré des officiers.Nous vivons pratiquement toute la semaine sur la Base. On y mange très souvent du poulet venu sans doute du pays du Tonkin, tellement il est maigre. Nous dégustons aussi les omelettes aux œufs de canard sans oublier l’inévitable soupe chinoise.Las de cette nourriture peu renouvelée je me suis offert un soir un petit extra. Déambulant rue Catinat à Saïgon, je vois, dans la vitrine d’un épicier un magnifique camembert bien frais et bien au point. Prix :700 francs de l’époque ce qui est tout de même un peu excessif. Mais la faim l’emporte et je me régale le soir même avec ce fromage.A la Direction de Services Techniques, mon chef de secrétariat est un martiniquais très gentil, Ferdinand, originaire de Lamentin. Si un jour je vais par là, j’essaierai de le retrouver.

Et ma petite secrétaire se nomme Thy Faï. Il faut savoir qu’au Vietnam les filles portent souvent un numéro d’ordre d’arrivée au monde :Thy Ba, Thy Faï, Thy Sao...Thy Faï est mariée et mère d’un enfant. Son mari l’a quittée pour servir dans le Viet Minh.C’est dire le degré de méfiance que nous sommes tenus d’avoir vis à vis du personnel autochtone.Une mésaventure est arrivée à un premier maître de mon service. De connivence avec un employé vietnamien de la base il fait le trafic de cigarettes. Un beau jour accoste à Saïgon le porte-avions français “Bois Belleau” en provenance de Hong Kong. Le gradé se rend à bord et débarque une importante quantité de cigarettes américaines. C’est même un gros paquet.Il confie le tout à son comparse vietnamien qui doit se charger de l’écoulement dans les tripots de Saïgon.De ce jour on n’a jamais revu notre employé vietnamien qui a déserté à jamais son poste de travail et s’est volatilisé avec la marchandise. Le premier maître, ainsi lésé, vient se plaindre à moi, arguant de l’importance du vol commis.Je le tance durement de s’être livré à un tel trafic et lui conseille de ne pas se risquer en ville chinoise à la recherche de son acolyte.Un jour je découvre une autre manigance dont les auteurs sont, cette fois,

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tous corses. Voici comment cela se passe.A Marseille des trafiquants corses chargent des denrées illicites sur un paquebot en partance pour Saïgon. La marchandise est confiée à des marins corses et embarque avec la bénédiction des douaniers corses.Quand est signalée l’arrivée du bateau à Saïgon deux de mes ouvriers, les frères corses Lanfranchi, vont voir le jeune dentiste corse de la base qui leur signe un billet de consultation en ville chez un spécialiste dentaire.En fait ils prennent le volant d’un camion et, avec la complicité des douaniers corses de Saïgon, prennent livraison de la marchandise qu’ils partent livrer dans la péninsule indochinoise.

Dès que je découvre ce manège je convoque immédiatement les acteurs ouvriers de la base en les priant de cesser immédiatement leur trafic, sous peine d’un rapatriement anticipé.L’escadrille 8S basée à Cat Laï effectue des missions de liaison, de reconnaissance et d’assistance auprès de postes militaires parfois éloignés comme celui de Réam aux confins de la Cochinchine, près de la frontière de la Thaïlande (à l’époque ce pays s’appelait le Siam).L’appareil se pose en mer et à l’approche de la côte il sort ses roues et se hisse sur la terre ferme par une cale aménagée.La 8S est commandée par un lieutenant de vaisseau, un nommé Turc, avec qui j’ai eu de bonnes relations, sans plus. J’ai souvent volé avec lui.Il a réussi à faire venir son épouse avec un emploi fictif de secrétaire. Le couple, sans enfant, vit dans une villa voisine de la mienne.La base de Cat Laï, à mon arrivée est commandée par un corvettard :Mr Després de la Morlaix, issu d’une vieille famille noble de la Mayenne. Je m’entends très bien avec lui. C’est un bon vivant qui, à la différence de son successeur, puritain, accepte la venue à la base de temps à autre d’un BMC (bordel militaire colonial) composé de filles annamites vraiment peu attirantes. “Mais c’est bon pour le moral de la troupe” dit le Pacha qui, lui, a solutionné le problème du célibat forcé en accueillant tous les soirs dans son lit une Marinette de Marine Saïgon.Un beau jour arrive par avion l’épouse légitime. Le Pacha de me faire une confidence :“ma femme arrive, je vais dire à la petite de rester sagement à Saïgon.”L’épouse reste un mois. De la Morlaix la raccompagne à l’avion et le soir même on voit revenir la marinette.Durant le séjour de l’épouse le Pacha souhaite l’emmener à Dalat, sur les hauts plateaux de la chaîne annamitique, à plusieurs centaines de kilomètres de Saïgon. Il m’invite à l’accompagner, ainsi qu’un midship, craignant sans doute de tomber en panne. Ce qui me permet de faire, une première fois la route des hauts plateaux.J’aime assez le franc parler de la Morlaix qui, par ailleurs, a un comportement un peu théâtral, inspiré peut être par le comportement jadis du roi Louis

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XIV.Ainsi, il y a de temps à autre une séance récréative de cinéma. Alors de la Morlaix donne ses consignes au gradé de service :“Quand la salle est pleine vous m’en avisez. J’arrive. Vous annoncez :“Le Commandant”. Tout le monde se lève. Je gagne ma place au devant de l’assemblée. Les lumières s’éteignent. La séance commence.”Son séjour en Indochine terminé, de la Morlaix est remplacé par un homme très différent :le Capitaine de Corvette Landois, connu jadis à Cuers. Originaire de la région cherbourgeoise où il a épousé la fille d’un déménageur connu, c’est un brave type, peu entreprenant et dont la carrière militaire a dû vite s’achever.Au milieu de mon séjour je reprends la route de Dalat pour y aller au repos. C’est là une recommandation du corps médical car l’atmosphère chaude et humide de Saïgon met les organismes à rude épreuve.Me voilà donc parti avec d’autres officiers pour un séjour d’une semaine sur les hauts plateaux de Dalat où règne une relative fraîcheur.Passé le village de Djiring dont je reparlerais tout à l’heure nous attaquons la montée du col. Arrivés en haut nous apercevons une pancarte :“Auberge de la Saint Hubert”. Décision : arrêt pour nous désaltérer. Assis autour d’une table nous voyons arriver une dame bien en chair avec qui nous engageons conversation. A son accent nous devinons une origine russe.M’entendant parler elle me toise :“Vous, même accent que mon mari français”. “Ah !et d’où est-il votre mari ?” “D’un petit village breton, nommé Erquy”. Ainsi à 15 000 kilomètres de la métropole je fais connaissance d’un nommé Besrest dont j’ai connu, en Résistance, le cousin instituteur.Besrest me conte son odyssée. Jeune il s’engage dans les pompiers de Paris. Il y passe quelques années. La concession internationale de Shangaï réclame des pompiers. Et voilà Besrest parti pour la Chine, par le transsibérien où il se fait une copine (le voyage est long...).

A Shangaï il fait la connaissance de sa femme, fille de russe blanc émigré. Puis le voilà chef des pompiers où il a, à la libération maille à partir avec le Commandement anglais.Il abandonne alors les pompiers et s’installe à la Saint Hubert. Sur ma question il m’informe qu’il va quitter le Vietnam où l’atmosphère ne lui semble pas bonne et va partir à Perth en Australie, où il rejoint un copain. C’est ce qu’on appelle un “roule-ta-bosse”.Après une semaine de farniente à Dalat nous reprenons la route de Saïgon et à Djiring nous nous déroutons pour visiter une léproserie dirigée par une sœur française, originaire de Montpellier.La lèpre est une maladie affreuse qui mutile les malades. Elle est aujourd’hui combattue avec un certain succès en administrant des sulfones aux souffrants.Elle démarre doucement par une insensibilité locale de la peau puis elle gagne les extrémités du corps qu’elle ronge :le nez, les oreilles, les doigts, les

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mains, les pieds...On comprend que l’aspect repoussant des lépreux ait conduit nos ancêtres à les isoler.Ici à Djiring ils vivent en famille. Curieusement les enfants nouveaux-nés ne sont pas atteints de la maladie de la mère. Mais il faut alors prendre force précautions pour leur éviter la contagion.Nous avons félicité la religieuse de son dévouement tout en lui remettant une petite somme pour le soulagement de ses malades.Durant mon séjour en Indochine j’ai frôlé la mort à trois reprises.Un jour je pars avec mon ami le Lieutenant de Vaisseau Vedel, officier en second de la 8S, pour faire un vol d’essai sur un “Gruman Goose” sortant de visite et réparations.Essais généraux sur le parking avant de descendre à l’eau. La radio VHF qui sert de liaison avec la tour ne marche pas. Intervention d’un radio qui change un élément du poste, dans le nez de l’avion. Il ne fait pas attention et un câble de jonction qui aurait dû être fixé reste en pendant, à proximité immédiate des gouvernes.Décollage. Vol d’essai. Tout se passe bien. Un piqué pour finir et, au moment de redresser l’avion, la gouverne de profondeur n’obéit pas. Vedel tire sur le manche à balai. Le sol approche. Nous piquons sur le “Dong Naï”. Nous allons nous y crasher.

Effort désespéré du pilote. Cette fois la gouverne répond. L’avion se rétablit de justesse au ras de l’eau. Retour à terre. Examen :le câble radio qui a coincé la gouverne a été finalement arraché. Mais on a eu chaud. Quant au radio il a été “félicité” pour sa négligence.Deuxième alerte. Un dimanche matin je fais de la voile sur le fleuve avec mon ami Fournier, un jeune ingénieur, qui s’est fabriqué un petit voilier durant ses loisirs.Tout à coup, nous essuyons de la rive une rafale d’armes automatiques. A plat ventre dans le bateau pour offrir le moins de prise aux balles. Puis ça se calme. Il y a, dans les rizières qui bordent le Dong Naï et la rivière de Saïgon des sectes qui se font la guerre :les Bing Xuyen et les Caodaïstes. Des gens qui ont la détente facile.Troisième alerte :sur la route Bien Hoa-Cap Saint Jacques. Rafale d’arme automatique en direction de la voiture qui me conduit en mission au Cap. Refuge dans une palmeraie en attendant là aussi que les sectes se calment.Pour tenir le moral des troupes il y a deux moyens :les distractions et le travail.Le samedi après-midi ou le dimanche j’organise des sorties sur le fleuve en Wizards :petites embarcations rapides, munies d’un puissant moteur hors-bord. Environ 6 personnes peuvent prendre passage à bord. J’explore les arroyos qui bordent le fleuve. On se croirait en Amazonie.Un jour, avec le plein accord de Després de la Morlaix j’organise une longue

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sortie vers Bien Hoa et les chutes en amont. Départ le samedi après déjeuner avec deux Wizards. Retour le dimanche soir.Je me souviens du mouillage le soir, au milieu de la rivière, au pied des rapides que nous ne pouvions pas franchir. Chacun sommeille comme il peut, sur les bancs ou au fond des bateaux. Une garde est assurée. J’ai prévu quelques armes de défense. Mais la nuit est calme hormis quelques cris d’animaux sauvages dans la forêt qui borde le fleuve de chaque côté.

Pour ce qui est du travail, compte tenu de la nécessité d’avoir le maximum d’appareils disponibles, je fais travailler davantage mes gens. De 8 heures le matin à midi. Sieste et de nouveau au travail l’après-midi à partir de 15 heures.Ainsi au dégagé du soir mes gens n’ont plus qu’une envie :aller se coucher au lieu d’aller traîner dans les rues et les tripots de Saïgon.Durant mon séjour à Cat Laï je dois me rendre à Hong-Kong en mission à la Compagnie “Air Craft Engineering Corporation”, une société anglaise qui, sur les nouveaux territoires de Kowlun, fait la révision générale de nos moteurs d’avions. Un gradé, le maître principal Raguénès, originaire de Camaret, est détaché là-bas en permanence pour assurer la liaison entre la Direction de l’usine et la base de Cat Laï.Mon voyage à Hong Kong se fait en tenue civile, par avion Air-France. Le Commandant de l’Aéronautique Navale en Indochine, le Capitaine de Vaisseau Yoyotte Husson, d’origine antillaise, m’informe qu’il m’accompagne dans cette mission.J’en suis très étonné, me demandant ce qu’il pourra bien faire dans cette visite à caractère essentiellement technique.Je le vois au départ de Saïgon. Il disparaît dès l’arrivée à Hong Kong. Je le revois au retour. Il semble avoir fait quelques emplettes et il s’éclipse à l’arrivée à Tan-Son-Nhut, franchissant la douane sans aucune difficulté ni contrôle.Ce qui n’est pas mon cas. J’ai acheté une caméra de 8 millimètres et j’ai failli me la faire confisquer par une douanier vietnamien. L’intervention d’un douanier français me permet de récupérer mon bien.De méchantes langues m’ont appris depuis que Yoyotte Husson vend de temps à autre des caméras au cercle militaire de Saïgon. Ce qui peut expliquer ce voyage (et d’autres) à Hong Kong sans aucune nécessité officielle, mais aux frais de l’Etat !!Ce monsieur a d’ailleurs un bel exemple sous les yeux. Un jour je vois partir de Tan Son Nhut l’avion de transports passagers DC3 de la Marine avec, à son bord l’Amiral Jozan, Commandant des forces navales en Extrême Orient, sa famille, quelques officiers de son état major et quelques dames (épouses ou maîtresses ?). tous ces braves gens vont faire des emplettes à Hong Kong aux frais de la Princesse !!

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Un curieux personnage vit à Cat-Laï. Il s’agit de Monsieur Vittu de Kerraoul. Capitaine de Corvette un peu vieilli, chef des Services Généraux.Vieille noblesse bretonne. Il est le seul officier supérieur de la base avec le Commandant. Mais il a préféré ne pas troubler l’intimité du Pacha, qui dîne soit avec sa femme, soit avec sa maîtresse, et il s’est invité en permanence au carré des officiers subalternes.Déjà assez âgé il ne semble pas avoir bénéficié d’un bel avancement. Son apparence n’est guère reluisante. Mal fagoté sur le plan vestimentaire. Les cheveux hirsutes et toujours trop longs. Toujours pieds nus dans des sandales. Il doit lui être difficile de réprimander quelque matelot sur sa tenue.Bien qu’originaire de la région briochine, il fuit toute conversation sur le pays. Ce qui fait que je ne sais rien de sa famille.Sur le plan professionnel il semble n’avoir aucune spécialité, ni service général, ni aéronavale. Je n’ai jamais osé en savoir plus. Seul fait certain :il a longtemps séjourné outre- mer sans sa famille. En résumé :un ours.J’ai déjà raconté qu’au cours de mon séjour en Indochine j’organise, pour tuer l’ennui et le cafard, quelques excursions, voire expéditions dans les contrées environnantes :Nha Trang qui, plus tard, deviendra une grande base américaine, les trois frontières (Laos, Cambodge, Vietnam), Ban-Me-Thuot où étaient les chasses de Bao Daï, l’ancien empereur déchu que nous avons eu tort de maintenir au pouvoir à la libération car ce n’était pas un personnage intéressant.Au cours d’une de ces expéditions je me prends de bec avec un jeune commissaire de la Marine, deux galons, affecté à Cat Laï. Je le prie d’effectuer une corvée. Refus. Je lui fait comprendre que lorsqu’on s’intègre à un groupe c’est pour en récolter des avantages mais aussi subir quelques inconvénients.La campagne indochinoise est parfois ravissante. Je me souviens qu’un matin, le soleil encore bas sur l’horizon, nous voyons dans la brume matinale, un troupeau de faisans traverser la piste.La plus belle expédition a lieu aux ruines des temples d’Angkor. Avec deux voitures. Plusieurs rivières à franchir en bac. Beaucoup de spectacles avec les autocars archi-bondés.Une halte à Pnom Penh pour en admirer les pagodes. Le chef d’État Major de la Marine Kmère, que nous saluons au passage, est un ancien officier de l’aéronavale française qui a, en particulier, servi à la base de Ouakam, voisine de Bel Air au Sénégal.Route sur Siem Réap où nous logeons dans un hôtel tenu par un français. Dès le repas du soir, mon ami Fournier trouve moyen de séduire une belle chinoise de la table voisine.Trois jours durant nous arpentons les ruines d’Angkor. Le deuxième jour un brave premier maître mécanicien qui nous accompagne se plaint :encore et toujours des ruines !Le retour se fait sans problème à travers des villages et des petites villes qui seront plus tard mentionnées comme théâtres de combats !Le Cambodge est

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un pays magnifique. Les Cambodgiens sont des gens un peu lymphatiques, ce qui explique les invasions qu’ils ont subi au fil des siècles.En octobre 1955 il nous faut quitter Cat-Laï laissée à l’armée vietnamienne et nous installer dans les locaux de l’Aéronavale à Tan-Son-Nhut.On m’affecte, ainsi qu’à beaucoup d’officiers, une chambre en ville, les repas sont pris à la Base. Changement d’atmosphère !La base est commandée par le capitaine de frégate Béhic, connu jadis à l’Etat Major de l’Amiral Porte-avions. C’est un homme de bureau qui trace sa carrière à Paris et s’en échappe juste ce qu’il faut pour satisfaire aux conditions de promotion.C’est ainsi qu’il apparaît tout juste un an en Cochinchine. Séjour d’ailleurs coupé d’une mission à Paris !C’est un homme généralement très courtois mais qui a eu à mon encontre un geste manquant d’élégance. Quand arrive l’époque des feuilles de notes pour les officiers il est partout , de coutume, que le Chef de Service transmette au Commandant son avis sur les 72 critères (sic) propres à juger chacun de ses officiers. Monsieur Béhic ne m’a jamais questionné et a noté tous mes gens sans me demander mon avis. C’est vexant car je ne pense pas avoir démérité.J’ai conservé de ce fait une solide rancune au nommé Béhic dont j’ai eu par la suite des nouvelles par mon frère, Célestin qui, à Casablanca, a eu à piloter le “Clémenceau” alors commandé par cet officier.

A Tan-Son-Nhut j’ai une petite secrétaire très charmante qui se lève quand j’arrive le matin au bureau. Elle se penche en avant, la main sur l’estomac et me souhaite ainsi le bonjour.J’ai trouvé ce geste tellement sympathique, et bien asiatique, que j’ai essayé, de retour en France, de le faire accomplir par mon épouse. Mon orgueil de mâle eut été ainsi flatté. Peine perdue. Ça n’a pas marché.Le Thu Hoa, c’est le nom de cette charmante enfant, m’a, le jour de mon départ offert deux tasses de thé et une photo d’elle devant l’autel de ses ancêtres. Au dos une inscription reproduite sous la photo.Ce voyant Marie a eu des soupçons sur la nature de mes relations avec cette jeune asiatique. Mais craché, juré qu’il n’y a rien eu de frivole. Ce n’était chez cette enfant que l’expression d’une naïve sympathie.A un de mes collaborateurs, un Ingénieur Quimpérois, nommé Vaillant, n’a-t-elle pas offert, tout aussi ingénument une paire de taies brodées !Qu’a pu penser la fiancée au retour du dit Vaillant ?Il y a, en Indochine, un curieux personnage :le Lieutenant de Vaisseau Langlais que nous retrouverons plus tard en Afrique du Nord.Quand je l’ai connu il en était à sa dixième année de séjour sous les tropiques et je crois que le soleil l’avait un peu marqué.Tiré à quatre épingles, avec une grande barbe fleurie, il affecte le genre extrême-oriental en laissant pousser démesurément ses ongles qui atteignent à peu près deux centimètres de longueur.

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Jeune enseigne de vaisseau il a, un jour, été désigné comme chef d’une petite base située en Baie d’Halong, sur l’île de Kébao.Quand il reçoit des hôtes de passage il donne la consigne à son maître d’hôtel. Tu annonceras :“Monsieur le Gouverneur est servi”. Étonnement des hôtes auxquels Langlais explique qu’il a fondé “l’ordre de Kébao”. Il les décore d’ailleurs de cet ordre à la fin du repas.

Cette excentricité amuse les voyageurs et c’est ainsi que Langlais acquiert en Indochine une certaine renommée.Il a fait confectionner une planchette de bois vernis sur laquelle sont fixées des lettres de laiton :“Snoc Xua Trom”. Cette planchette que j’ai eu l’occasion de voir en Afrique du Nord, étonne tous les visiteurs qui croient en une formule annamite. Ils en demandent la signification à Langlais. La réponse fuse, quel que soit le grade de l’interlocuteur :“Vous êtes aussi cons que les autres”. En fait c’est “Mort aux cons” écrit à l’envers.La fin de mon séjour en Indochine est marqué par un accident mortel qui me touche beaucoup.Le quartier maître Claude Le Naour, originaire de Melgven dans le Finistère est tué en stockant un groupe Diesel qui doit être rapatrié.Son chef direct, l’officier des équipages Leliepvre, néglige sans doute de le conseiller. Par une fausse manœuvre le moteur s’emballe soudain au point de faire éclater le lourd volant de stabilisation. Un éclat frappe Le Naour à l’épaule droite. Hémorragie. Le médecin arrive, mais il est trop tard.Etant son chef de service je déclare à la Commission d’enquête que j’assume toute la responsabilité de cet accident ne m’étant pas assuré des connaissances exactes de mes collaborateurs.Cet accident me vaut un blâme officiel inscrit à mon dossier. Ce qui va, à coup sûr, retarder mon avancement et compromettre mon avenir. Mais je ne regrette rien bien que j’aie appris par la suite que l’officier des équipages que j’ai couvert ne s’est pas fait faute de me critiquer après mon départ pour la France.Dès que j’arrive en Bretagne je file avec mon épouse sur Melgven et vais rendre visite aux parents de Claude Le Naour. Puis je vais sur sa tombe y déposer quelques fleurs. Geste que je renouvelle plusieurs années de suite, ce qui me vaut la gratitude de la sœur du disparu qui me remercie par une gentille lettre, les parents de Claude Le Naour étant décédés.Le jour de retour en France arrive. Avion Super Constellation d’Air France, plus agréable que l’Armagnac pris à l’aller.Escales au Pakistan, puis au Caire, survol des Alpes dont nous apercevons les profondes vallées transversales. Puis atterrissage à Orly. Temps froid, brumeux, triste en ce dimanche après-midi. Si je n’avais pas eu de famille je crois que j’aurais demandé une nouvelle affectation en Indochine.Le lendemain matin j’ai rendez-vous au Ministère de la Marine. Un des grands chefs, l’Ingénieur en Chef Hazard, veut me faire affecter à Paris, pour

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travailler avec lui sur l’organisation du travail dans les bases aéronavales.Je décline l’offre car j’ai toujours eu en horreur la capitale et surtout sa foule toujours pressée. Finalement on m’affecte à la base d’Hyères où habitent toujours Marie et les enfants.Un télégramme :“j’arrive ce soir à Toulon à 22 heures.” Je grimpe à 14 heures dans le Mistral, le train le plus rapide de l’époque.A 19 heures je me rends au wagon restaurant. A ma table un monsieur à qui je me présente. Lui est médecin. M’écoutant parler il me dit :“Vous êtes Breton. De la région de Dinan.” J’ai aussitôt pensé à la Russe de la Saint Hubert. Décidément les gens du terroir doivent avoir un certain accent.A Toulon je retrouve, non sans émotion, tout mon petit monde. Et non sans problème car je m’aperçois vite que les aînés, habitués à la conciliante tendresse maternelle ne savent guère obéir et il me faut vite corriger le tir.Je citerai un exemple. Revenant de classe Jean Pierre me tape sur le dos “Alors le vieux, ça va !” La réponse immédiate est une paire de claques.A la fin des classes nous partons en voiture pour Carrien, via les Alpes. Ma permission a déjà été troublée par une convocation de la Préfecture Maritime, à une conférence à Saint Mandrier, relative au rapatriement des appareils “Gruman Goose.A peine arrivé en Bretagne je reçois l’ordre de rallier la base d’Hyères. J’ai droit à 3 mois de permission après campagne. 2 mois sautent sans aucune compensation budgétaire ou autre.Par contre je retrouve à la base quelques officiers mariniers d’Indochine à qui j’ai accordé là-bas une permission réglementaire de 3 mois + 2 mois de disponibilité. Je les revois bien reposés après 5 mois de détente alors que je viens à peine d’achever mon maigre mois de congé ! Le métier de cadre, que ce soit dans le civil ou dans le militaire, n’est vraiment pas fait de tout repos.

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QUELQUES PHOTOS

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À la capte

Communion privée de Claude

Rue Ernest Millet

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Rue Ernest Millet

Dans le square Olbius Riquier

La Base de Cat Laï

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Entrée de la Base

Le village de Cat Laï

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Les Aubépines fleuries

Pot de départ de Pinson

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Le carré des Officiers vu du Dong-Naï

Mon Bureau

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Appareil amphibie Gruman Goose

Excursion à Dabat avec le Commandant

Després de la morlaix

Rencontre avec les Moïs(paysans des Hauts Plateaux)

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Village Moï

Pnom PenhEntrée du musée d’art Kmer

En repos à Dabat

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CC de Kerraoul OE Robin OE Delphr

Pnom PenhEntrée du temple du Pnom

Chutes de GombourRoute de Dakar

Avril 1955

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Sœur Marie Louise de la CongrégationSaint Vincent de Paul parmi ses lépreux

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En visites sanitaires dans les villages autour de Djiring

Arrêt sur une plage pour le repas du midi

Arrêt sur berge(coucou c’est moi)

Je me baigne près de Bien Hoa

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Promenade en Wizard

Pot au carré de Cat Laï

De gauche à droite : Amiral Jozan, CV Yoyotte Husson, Amiral Cabanie, CC de la Morlaix

Cat Laï - Mai 1955

Inspection du Capitaine de Vaisseau Yoyotte Husson

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Ban Me ThuotOctobre 1955

Cap Saint JacquesMars 1955

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Les ruines d’AngkorLe Temple d’Angkor Vat

Image U.T.A

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P2V7 Type d’avion de surveillance maritime basé à Tan Son Nhut

Au revers de cette photo :

«Tout passe avec le tempsTout s’effrite sans cesse!

Mais le souvenir reste et restera pour toujours

En souvenirde votre petite secrétaire

V.N Le Thu Hoaqui avait une grande estime

pour votre personne»

Tan Son Nhut le 6 juin 1956Signature

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À la suite de cet article j’ai écrit à Ouest-France pour lui donner d’autres informations sur Langlet

Remerciements du journal

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Mars 1956

De gauche à droite : OE Hilly, OE Leliepvre, Ing. Méc. Vaillant, Docteur, Pierre Amiot

AT Revertegat OE Delphin

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Magnifique bronze offert par mes gens à mon départ d’Indochine

Obsèques religieuses d’un de mes hommes

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Écussons de Tan Son Nhut Cat Laï et des 2 flottilles y affectées

L’écusson de Cat Laï

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Quand j’ai entrepris des recherches sur la famille, j’aurais aimé trouver quelques mémoires des anciens, découvrant l’intimité de leur vie familiale.

J’ai dû me contenter souvent d’actes publics : registres de délibération de conseils municipaux, actes d’état civil, minutes notariales...

Dans 100 ans, 200 ans, il se trouvera peut-être un descendant curieux de connaître notre existence au XXème siècle.

C’est a lui, c’est à elle, cet inconnu chercheur, que je dédie le présent ouvrage en souhaitant qu’il soit conservé dans son entier par ceux et celles qui l’auront en mains successivement.

Aux futurs chercheurs de l’an 2100 ou 2200

Pierre Amiot – Juin 2001