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Katia Peignois (ELICIT, MA2) Matricule : 000389427 1 UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES Faculté de Philosophie et Lettres CINE-B- 505 : AUTEURS ET CINEMAS NATIONAUX LES CINÉMAS DEUROPE DE LEST: DES NOUVELLES VAGUES AUX CINÉMAS CONTEMPORAINS Analyse du film Avé (2011) de Konstantin Bojanov Travail écrit réalisé par Katia Peignois dans le cadre du cours : CINE-B-505 : Auteurs et cinémas nationaux Les cinémas d’Europe de l’Est : Des nouvelles vagues aux cinémas contemporains Professeure : Mme D. Nasta ANNÉE ACADÉMIQUE 2014 2015

Avé (Bojanov, 2011)

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Analyse du long métrage "Avé" de Konstantin Bojanov (2011).

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    UNIVERSIT LIBRE DE BRUXELLES

    Facult de Philosophie et Lettres

    CINE-B- 505 : AUTEURS ET CINEMAS NATIONAUX

    LES CINMAS DEUROPE DE LEST: DES NOUVELLES VAGUES

    AUX CINMAS CONTEMPORAINS

    Analyse du film Av (2011) de Konstantin Bojanov

    Travail crit ralis par Katia Peignois dans le cadre du cours :

    CINE-B-505 : Auteurs et cinmas nationaux

    Les cinmas dEurope de lEst : Des nouvelles vagues aux cinmas contemporains

    Professeure : Mme D. Nasta

    ANNE ACADMIQUE 2014 2015

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    TABLE DES MATIRES

    I. Introduction.3

    II. Analyse...4 2.1.Lvolution de lhistoire du cinma bulgare....4

    2.2.Prsentation du ralisateur Konstantin Bojanov..5

    2.3.Prsentation du film Av (2011)...6

    2.4.Analyse thmatique dAv (2011) de Konstantin Bojanov..8

    2.4.1. Linfluence occidentale et amricaine8

    2.4.2. Une esthtique raliste et potique.9

    2.4.3. Fuir la ralit : une qute de libert et de renouveau ....12

    2.4.4. LIncommunicabilit, la question du langage et le rapport autrui.14

    III. Conclusion16

    IV. Bibliographie...17

    V. Fiche technique18

    VI. Annexes ...19

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    I. INTRODUCTION

    En lespace de trois mois, nous avons eu loccasion de dcouvrir et danalyser les cinmas

    dEurope de lEst depuis les nouvelles vagues jusquau cinma contemporain. Ce parcours nous a

    notamment permis de prendre conscience que ces cinmas ne peuvent sapprhender sans une

    familiarisation approfondie avec dune part, lvolution historique des pays concerns et dautre part,

    avec certaines thmatiques typiques de la culture et de lme slaves. Nous avons galement d tenir

    compte des bouleversements politiques principalement limpact du rgime communiste qui ont

    touch ces pays tout au long de leur volution respective. Une fois ces considrations acquises, nous

    avons alors pu entrer dans lunivers de ces cinmatographies avec une base de connaissances

    suffisante pour comprendre les grands axes des dmarches artistiques des ralisateurs de lEst.

    Lorsquil nous a fallu choisir un film porter lanalyse, notre choix sest rapidement orient vers

    le film bulgare Av (2011) de Konstantin Bojanov qui nous avait plu en raison de sa fracheur, de sa

    reprsentation de la jeunesse, de sa soif de libert et de sa rflexion sur le langage. Aussi, nous

    trouvions pertinent de travailler un film dun pays de lEst non abord au cours et dont lvolution de

    lhistoire du cinma soulve des problmatiques intressantes comme nous le verrons par la suite. De

    mme, le mtissage tant au niveau de la culture que des formes artistiques duquel se revendique le

    ralisateur nous parait particulirement propos pour envisager un cinma de lEst qui, lheure

    actuelle, ne demande qu dployer ses ailes et souvrir au reste du monde. Nous verrons ds lors

    comment un cinaste qui, depuis tout jeune, a connu diffrents pays et diffrentes cultures conserve

    des caractristiques propres au cinma slave, mais surtout, comment cela sarticule dans un film qui

    tend vers luniversalit.

    Notre approche respectera rigoureusement deux principes, nos yeux lmentaires, savoir

    lapplication des concepts et des thmatiques vus au cours au film Av (2011) afin dtablir des

    comparaisons et des diffrences avec les cinmatographies et les ralisateurs de lEst tudis, ainsi

    quun respect des propos tenus par le ralisateur, Konstantin Bojanov, sur son uvre afin de ne pas

    dnaturer sa dmarche avec notre regard occidental.

    Notre dmarche contiendra trois grandes tapes : une partie socio-historique, une partie

    prsentation et une partie analytique. Ainsi, pralablement, nous tablirons un tat des lieux de

    lvolution de lhistoire du cinma en Bulgarie afin, par la suite, de positionner Av (2011) dans le

    contexte du cinma contemporain. Puis, nous prsenterons Konstantin Bojanov et son film. Et enfin,

    nous procderons lanalyse esthtique du film Av (2011). Cette dernire se composera de quatre

    grandes articulations thmatiques : Linfluence occidentale et amricaine , Une esthtique raliste

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    et potique , Fuir la ralit : une qute de libert et de renouveau et Lincommunicabilit, la

    question du langage et le rapport autrui . videmment ces tapes feront merger des sous-

    thmatiques que nous ne manquerons pas de dvelopper et de mettre en lien avec les cinmas de lEst.

    II. ANALYSE

    2.1. Lvolution de lhistoire du cinma bulgare1

    Lhistoire du cinma bulgare remonte aux origines du septime art, en 1897, avec la premire

    projection des frres Lumire Rouss, sur les bords du Danube. Il faut attendre 1915 pour voir

    merger le premier film connu : Le Bulgare est un homme galant. Lanne 1933 est marque par

    lapparition du premier film sonore : La Rvolte des esclaves de Gendov.

    Toutefois, en comparaison avec les pays voisins, le cinma bulgare a connu des dbuts difficiles

    qui empchent ce jour de dgager des grandes tendances avant la Seconde Guerre Mondiale. Parmi

    la cinquantaine de films raliss avant 1948, une majorit semble avoir t des adaptations littraires

    ou des comdies bourgeoises, souvent lhumour potache. Ceci sexplique notamment par le fait qu

    lpoque, la production bulgare est submerge par les films trangers (allemands, amricains et

    franais).

    Ds avril 1948, une loi nationalise la production cinmatographique et fait du cinma bulgare un

    art rigoureusement contrl. Lourdement subventionn, le septime art est brid par ltat qui

    encourage le dveloppement de documentaires, duvres historiques et idologiques. Cette tendance

    sattnue aprs 1960, notamment grce la cration, pour la premire fois dans les Balkans, dun

    studio public de production en 1962. Aussi, partir de 1973, ce cinma de contrle donne loccasion

    des ralisateurs dacqurir des comptences professionnelles via les coles de films en Union

    Sovitique. Ainsi, aprs la guerre, pendant les annes 1970 et 1980, la Bulgarie produisait environ

    vingt-cinq films par an des documentaires, des films pour la tlvision ou encore des dessins anims

    - abordant de manire critique les problmatiques de lpoque.

    Si loccasion du mille trois-centime anniversaire de ltat bulgare, en 1981, ce dernier passe

    une commande de superproductions piques louant les grands vnements historiques du pays, le

    1 Cette partie a t ralise laide dinformations reprises ici :

    - WIKIPDIA, Cinma bulgare , [En ligne], URL :http://fr.wikipedia.org/wiki/Cin%C3%A9ma_bulgare, page consulte le 20/12/2014 15h12.

    - RAGARU Nadge, Vers une renaissance du cinma ? , Grande Europe, La Documentation Franaise, [En ligne], URL : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/pages-europe/d000591-bulgarie.-vers-une-renaissance-du-

    cinema-par-nadege-ragaru/article, page consulte le 20/12/2014 15h06.

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Cin%C3%A9ma_bulgarehttp://www.ladocumentationfrancaise.fr/pages-europe/d000591-bulgarie.-vers-une-renaissance-du-cinema-par-nadege-ragaru/articlehttp://www.ladocumentationfrancaise.fr/pages-europe/d000591-bulgarie.-vers-une-renaissance-du-cinema-par-nadege-ragaru/article

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    cinma bulgare aborde galement le prsent et lvolution de la socit sous leffet de linfluence des

    Nouvelles Vagues occidentales.

    Les dernires annes du rgime communiste voient merger des uvres cinmatographiques avec

    une esthtique et une porte diffrentes comme en tmoigne le film dIvan Nitchev, 1952 : Ivan et

    Alexandra sorti en 1988 et nomm la Berlinale. Ce dernier suit le parcours de deux jeunes, en 1952,

    qui cdant sous le poids de la terreur du communisme saccusent mutuellement et finissent par

    dnoncer leurs parents. Cette critique virulente lencontre du rgime a permis Ivan Nitchev de

    devenir lun des plus grands ralisateurs bulgares.

    Lanne 1990 sonne leffondrement du rgime totalitaire et le cinma bulgare redevient

    indpendant. Toutefois, au cours des annes nonante, les bouleversements politiques, le financement

    partiel de ltat, la dpendance aux conjonctures du march, la concurrence trangre (surtout celle du

    cinma amricain), ainsi que celle de la tlvision (comme partout ailleurs) ont provoqu une crise de

    la production, du rseau et de la frquentation des salles. Pourtant, la fin de la censure et la libert

    retrouve ont permis au cinma bulgare daborder des sujets autrefois considrs comme tabous et de

    dnoncer les crimes du rgime communiste.

    Depuis le milieu des annes 2000, linstallation de cinmas multiplexes dans les grandes villes

    aident diminuer lrosion de la frquentation des salles. Nanmoins, deux problmes persistent : la

    plupart de ces installations se trouvent Sofia, la capitale, et la programmation commerciale privilgie

    les films amricains au dtriment du cinma national bulgare. Depuis lentre de la Bulgarie dans

    lUnion Europenne, le 1er

    janvier 2007, les choses voluent favorablement : laide la cration

    europenne fait son uvre et beaucoup de coproductions voient le jour. Pour autant, de nos jours, la

    production nationale ne dpasse pas cinq films par an. Mais cette dernire affirmation est nuancer,

    car mme si le cinma bulgare ne jouit pas encore du mme rayonnement et de la mme rputation

    en Occident que son voisin le cinma roumain, il faut noter quune nouvelle vague de cinastes tels

    que Kamen Kalev ou Konstantin Bojanov fait son chemin dans les festivals internationaux (Cannes,

    Sundance) et donne une autre image de la Bulgarie.

    2.2. Prsentation du ralisateur Konstantin Bojanov

    N en Bulgarie en 1968, Konstantin Bojanov est devenu ralisateur de films de fiction sur le tard.

    Il sest dabord forg une rputation dans le milieu de lart contemporain en faisant des installations

    vido, de la photographie et de la sculpture.

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    Dans un premier temps, quatorze ans, il tudie les Beaux Arts Sofia et, ensuite, au Royal

    College of Art Londres jusquau niveau du Master. Il poursuit sa formation la New York

    University.

    Sa carrire dans les arts plastiques dbute donc dans les annes 90 Londres. Ses uvres sont

    connues et exposes dans le monde entier. Lanne 2001 marque ses premiers pas en tant que

    ralisateur avec un court mtrage documentaire intitul Lemon is Lemon (2001). Sen suivent deux

    autres courts exprimentaux : 3001 (2002) et Un Peu Moins (2004) qui le conduiront raliser un

    long mtrage documentaire intitul Invisible (2005) sur six adolescents toxicomanes au dbut des

    annes 2000, une poque durant laquelle lhrone faisait des ravages en Bulgarie. Nous verrons dans

    lanalyse du film Av (2011) que cette problmatique continue dintresser le cinaste2. Entre 2007 et

    2009, Konstantin Bojanov sest illustr dans les installations vido : Quintet without boarders (2007),

    Burninght Ghats (2008) et Crash (2008). Enfin, en 2011, son premier long mtrage de fiction, Av

    (2011) voit le jour. Si les uvres de Bojanov demeurent encore peu connues en France et en Belgique,

    elles reoivent pourtant de nombreux prix et sont diffuses dans les festivals du monde entier. Artiste

    globe-trotter, Bojanov vit actuellement entre New York et Sofia3.

    Et mme si Bojanov a mis du temps se tourner vers la ralisation de fictions, le besoin de

    partager des rcits a toujours t prsent chez lui. ce sujet, il confiait dailleurs Tlrama :

    La plupart de mes uvres sont minimales, et manquent, mes yeux, de rcit. Voil pourquoi je voulais me

    diriger vers le cinma traditionnel, jaime raconter des histoires. []. Au fond, jai toujours voulu faire du cinma : je

    supporterais dtre priv de la proximit duvres dart, mais ne plus voir de film, je ne pourrais pas ! 4.

    2.3. Prsentation du film Av (2011)

    En 2011, aprs plus de quatre ans de recherches de financement et de problmes de production,

    Av (2011) prend enfin forme grce un fonds daide la cration bulgare, linvestissement

    personnel du ralisateur et lintervention de la socit franaise Le Pacte qui la achet et vendu

    linternational.

    2 MALAUSA Vincent, avril 2012, Un gars, une fille , Cahiers du cinma, Chantilly, France, n677, pp. 30-31.

    3SEMAINE DE LA CRITIQUE (CANNES), Av, [PDF], [En ligne], URL :

    http://www.semainedelacritique.com/films/2011/ave/Av%C3%A9%20FR.pdf, page consulte le 20/12/2014 14h38. 4FERENCZI Aurlien, a sent la relve , Tlrama, [En ligne], URL : http://www.telerama.fr/cinema/a-sent-la-releve-6-

    konstantin-bojinov,68992.php, dernire mise jour le 20/05/2011, page consulte le 20/12/2014 14h52.

    http://www.semainedelacritique.com/films/2011/ave/Av%C3%A9%20FR.pdfhttp://www.telerama.fr/cinema/a-sent-la-releve-6-konstantin-bojinov,68992.phphttp://www.telerama.fr/cinema/a-sent-la-releve-6-konstantin-bojinov,68992.php

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    Prsent la Semaine de la Critique au Festival de Cannes la mme anne, Av (2011), le premier

    long mtrage de fiction de Bojanov se prsente comme un road-movie initiatique travers la Bulgarie

    contemporaine. Son pitch peut se rsumer comme suit :

    Parti de Sofia, Kamen se rend en stop Rouss, dans le nord de la Bulgarie. Sur la route, il rencontre Av, une jeune

    fugueuse de 17 ans, qui lui impose sa compagnie. chaque nouvelle rencontre, Av leur invente des vies imaginaires et y

    embarque Kamen contre son gr. Dabord excd par Av et ses mensonges, Kamen se laisse troubler peu peu 5.

    Sur base de ce scnario lapparence somme toute banale, nous verrons comment le ralisateur

    bulgare traite de problmatiques difficiles avec ralisme, posie et humour. Nous serons galement

    trs attentive la manire dont il arrive imprgner consciemment ou inconsciemment - luvre de

    caractristiques typiques de lme slave dans un film dont la vise principale est de tendre vers

    luniversel pour sadresser un plus grand nombre de personnes. Autrement dit, nous analyserons la

    manire dont le cheminement et les preuves dune jeunesse en marge dans un pays dEurope de lEst

    deviennent, sous lil dun ralisateur ouvert sur le monde, le symbole du passage lge adulte de

    tout un chacun quelque soit son origine, son pass et sa culture. ce propos, Bojanov dcrit ses

    intentions de la manire suivante :

    Jai une grande affinit avec les histoires bases sur des lments communs un grand nombre ainsi que pour les

    personnages qui se trouvent laube de grands changements. Je voulais vraiment retourner en Bulgarie et faire un film qui

    tait dun ct universel, parlait des relations humaines communes et qui, dun autre ct, porte naturellement en lui la

    spcificit dun pays. [], je ne souscris aucune forme de nationalisme, cest quelque chose que je mprise plutt, en

    ralit. 6.

    Aussi, travers ltude dAv (2011), nous envisagerons la manire dont Bojanov a russi

    concilier son besoin de rcit avec sa formation de documentariste et dartiste duvres

    contemporaines, tout en insufflant son film des rfrences aux cinmas quil aime, savoir le

    cinma amricain des annes septante et le cinma dauteur europen avec des artistes comme Buuel,

    Pasolini ou encore Antonioni7.

    5 Cf. SEMAINE DE LA CRITIQUE (CANNES), Av.

    6 ESNAULT Camille, Av Konstantin Bojanov : Jaimerais que le spectateur emporte avec lui une petite part dAv ,

    Tout le cin, [En ligne], URL : http://toutlecine.challenges.fr/cinema/l-actu-cinema/0002/00022623-ave-konstantin-

    bojanov-j-aimerais-que-le-spectateur-emporte-avec-lui-une-petite-part-d-ave.html, dernire mise jour le 25/04/2012,

    page consulte le 20/12/2014 14h59.

    7 Cf. SEMAINE DE LA CRITIQUE (CANNES), Av.

    http://toutlecine.challenges.fr/cinema/l-actu-cinema/0002/00022623-ave-konstantin-bojanov-j-aimerais-que-le-spectateur-emporte-avec-lui-une-petite-part-d-ave.htmlhttp://toutlecine.challenges.fr/cinema/l-actu-cinema/0002/00022623-ave-konstantin-bojanov-j-aimerais-que-le-spectateur-emporte-avec-lui-une-petite-part-d-ave.html

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    2.4. Analyse thmatique dAv (2011) de Konstantin Bojanov

    Comme mentionn en introduction ce travail, la partie analytique contiendra quatre grandes

    tapes qui verront merger des sous-thmatiques afin de crer des ramifications entre le film, son

    cinaste et les autres cinmas dEurope de lEst.

    2.4.1. Linfluence occidentale et amricaine

    De ses annes de jeunesse passes Sofia, Bojanov garde le souvenir des rtrospectives de

    classiques du cinma dauteur qui ont nourri sa culture filmique. Et lorsquil voque ses inspirations

    principales pour Av (2011), deux rfrences reviennent constamment dans ses propos.

    La premire, finalement logique au vue de la vie de nomade de Bojanov, concerne laspect

    gnrique du road-movie amricain dont lapoge a t atteint dans les annes septante avec des films

    comme Easy Rider (1968) de Dennis Hopper ou Scarecrow (1973) de Jerry Schatzberg. Bojanov

    confesse stre narrativement beaucoup inspir du film de Schatzberg avec Al Pacino et Gene

    Hackman en reprenant la structure du film et la dynamique entre les personnages. Au-del mme du

    genre du road-movie, ce qui rapproche le film de Bojanov de Scarecrow (1973) rside dans la volont

    de faire un petit film sur une relation qui dmarre de manire conflictuelle et qui voluera, en mme

    temps que le voyage, pour aboutir, en fin de route, une rencontre humaine o les personnages

    acceptent lempreinte laisse par lautre lorsquils sont spars8.

    La seconde source dinspiration de Bojanov vient dun cinaste quil admire normment, savoir

    Michelangelo Antonioni et, plus particulirement, son film Profession : Reporter (1975). Si la

    filiation entre les deux cinastes nest pas vidente de prime abord, nous verrons plus tard que le

    rapport au langage de Bojanov rappelle sur certains aspects la dmarche antonionienne.

    Sinon, le ralisateur distille dans son rcit des petites rfrences amricaines qui lui sont

    personnelles comme la scne du bateau pour aller rejoindre la famille endeuille de Viktor lami de

    Katem qui sest suicid qui renvoie celle o Jack Nicholson prend le ferry pour quitter lle dans

    Cinq pices faciles (1970) de Bob Rafelson ou encore la montre casse de Viktor qui fait un subtile

    clin dil au roman Le Bruit et la Fureur (1929) de lAmricain William Faulkner.

    Comme le souligne Stphane Delorme dans les Cahiers du cinma, le couple atypique form par

    Av et Katem, les deux protagonistes du film, et les situations cocasses dans lesquelles ils se

    8 Cf. ESNAULT Camille.

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    retrouvent cause de la personnalit dAv ne sont pas sans rappeler la screwball comedy ou

    comdie loufoque un sous-genre de la comdie hollywoodienne9.

    La composante occidentale, principalement amricaine, se retrouve galement dans la musique du

    film Av (2011), puisque Bojanov na travaill quavec des artistes amricains ou des figures

    emblmatiques de la scne musicale newyorkaise : Tom Paul (un solo de piano), Marc Ribot (un

    morceau acoustique), Susan Jacob et Jackie Mulhearn.

    Enfin, de manire moins directe, Bojanov se dit influenc par deux autres films trangers

    contemporains pour Av (2011) : La Vie rve des anges du ralisateur franais Erick Zonca et Y tu

    mama tambin (2001) du Mexicain Alfonso Cuarn. Autant duvres qui clbrent le voyage, la

    libert, la rencontre, la recherche du bonheur et la dcouverte de soi et des autres.

    Ce mtissage Est-Ouest rappelle la dmarche des cinastes tchques tels que Milos Forman ou

    encore Vera Chytilova. Nous verrons plus tard que le lien entre Bojanov et Forman ne se limite leur

    immersion dans lunivers cinmatographique amricain. De mme, des grands cinastes roumains

    comme Cristi Puiu et Christian Mungiu, reconnaissent galement linfluence amricaine sur leur

    jeunesse cinphile et la tentative dintgration des gens de lEst dans la culture amricaine,

    phnomne que Bojanov interroge et ironise dans la fin dAv (2011)10

    .

    2.4.2. Une esthtique raliste et potique

    Nous avons eu loccasion de constater pralablement que Bojanov est un artiste multiple qui sest

    illustr tant dans le domaine du documentaire que dans celui de la vido ou des arts plastiques. Il nest

    ds lors pas tonnant de retrouver dans son premier film de fiction une veine raliste et une veine

    potique, mtaphorique et symbolique qui coexistent pour donner naissance un film subtile la fois

    personnel et universel.

    a. Av (2011) : un film raliste et personnel

    Plusieurs choix cinmatographiques de Konstantin Bojanov concordent faire dAv (2011) une

    uvre minemment raliste et intime. Dabord, le film est entirement tourn en dcors naturels au

    cur dune Bulgarie des faubourgs, des petites villes oublies, des stations-essences, des motels, des

    bars dautoroute et du bitume, loin du dveloppement conomique de la capitale. Le grand

    9DELORME Stphane, avril 2012, Je veux que rien ne soit appuy , Cahiers du cinma, Chantilly, France, n677, pp.

    32-33. 10

    CIEUTAT Michel & TOBIN Yann, Entretien avec Christian Mingiu Une faon franche de filmer , Positif, n559,

    Septembre 2007 ; FERRARI Jean-Christophe & GARBARZ Franck, Entretien avec Cristi Puiu Copier lacte de la

    cration initiale , Positif, n 539, Janvier 2006.

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    dpouillement de la mise en scne vise une fluidit et une efficacit qui se calquent sur la narration,

    cest--dire sur les tapes du voyage. Bojanov explique son travail de montage :

    Av comporte au final 247 plans, ce qui correspond une squence de dix minutes dans un film daction. Je voulais

    quAv sinscrive dans la tradition du road-movie et que lintrigue progresse avec fluidit. Jai limin tout ce qui

    encombrait ou freinait la narration. 11

    .

    Ici, Bojanov dlaisse donc lexprimentation au profit de la narration et de lmotion et lon

    retrouve galement cette volont dans le travail de limage et du cadrage. Pour ce faire, le ralisateur

    privilgie des cadres larges ou moyens-paules pour insrer ses personnages dans les lieux qui

    scandent leur priple physique et/ ou psychologique -, la camra suit les regards - dont la fonction

    est dterminante -, capte laction et les motions en faisant lconomie de tous les mouvements de

    camra qui pourraient venir distraire le spectateur. Cest pourquoi, la plupart du temps, le film est

    tourn en plan-squences et en plans fixes. Comme le cinma minimaliste roumain, Bojanov fournit

    normment dinformations dans un mme plan de manire discrte et simple. Au niveau des

    couleurs, nous retrouvons le travail de plasticien de Bojanov, car au fur et mesure que le rcit

    avance, les couleurs passent dune gamme de couleurs froides des tons chauds, lgrement

    dsaturs12

    . La structure narrative tlologique se calque sur litinraire du road-movie, de mme que

    la temporalit reprend les grandes tapes du voyage. La gestion de lespace, quant elle, joue sur la

    dialectique entre grands espaces (urbains) et cloisonnement dans les espaces confins comme les

    voitures, le bus abandonn ou le ferry. Ces lieux sont particulirement intressants, car, dune part, ils

    servent reprsenter les oppositions entre lenfermement dans lhritage du pass et le besoin de

    libert du prsent et dautre part, ils contiennent tous des vitres qui jouent le rle dun cran entre le

    regard des protagonistes et celui des spectateurs [Annexe 1]. De mme que, dans plusieurs scnes, la

    dynamique visuelle entre les deux protagonistes cre des configurations proches des regards-camras

    caractristiques de la pratique documentaire. [Annexe 2].

    En plus dune narration rduite lessentiel, le jeu des comdiens, Anjela Nedyalkova et Ovanes

    Torosyan, privilgie le naturel et la spontanit. Bojanov avoue stre beaucoup nourri des

    personnalits de ses comdiens pour construire ses personnages. En captant la dsinvolture et la

    douceur dAnjela Nedyalkova, jeune tudiante en arts plastiques qui interprte Av, et la mlancolie

    dOvanes Torosyan, Bojanov a russi insuffler son uvre toute la fragilit de deux novices que la

    camra na pas encore pu modeler. Ce choix de casting rappelle la volont de Milos Forman de

    tourner avec des acteurs non-professionnels, des gens reprsentatifs dune socit et dune poque.

    11

    Cf. SEMAINE DE LA CRITIQUE (CANNES), Av. 12

    Cf. SEMAINE DE LA CRITIQUE (CANNES), Av.

  • Katia Peignois (ELICIT, MA2)

    Matricule : 000389427

    11

    Un autre parti pris dterminant de lesthtique raliste dAv (2011) rside dans son utilisation de

    la musique de fosse, implicative et minimaliste qui ne [souligne] pas les motions, mais [qui] existe

    de manire parallle la narration et au jeu des comdiens 13

    . Av (2011) comme beaucoup de films

    de lEst contemporains refusent le pathtique dans une dmarche mille lieux des drames de

    Tchkhov. Lhumour situationnel et une camra pudique nous y reviendrons - permettent au

    ralisateur bulgare de porter un regard bienveillant et sans complaisance sur la jeunesse actuelle de

    son pays.

    Aussi, si le film traite de thmatiques graves, telles que la mort, le suicide, le deuil et la drogue

    avec tant de justesse, cest parce que cette histoire est personnelle au ralisateur et quelle renvoie

    des vnements autobiographiques. Comme Katem, Bojanov a perdu son meilleur ami alors quil tait

    tudiant aux Beaux-Arts. Comme lui, il a d se rendre lenterrement de son ami qui sest suicid le

    jour aprs quils aient vus ensemble Easy Rider (1968) et, comme lui galement, il est arriv en retard

    lenterrement et a partag la souffrance de la famille de son camarade. La squence du film chez la

    famille de Viktor a dailleurs t tourne quelques mtres de la maison de son ami dcd. Et

    linstar de Katem, Bojanov a lui aussi rencontr une jeune fugueuse charismatique dont il est tomb

    amoureux.

    b. Av (2011) : la mtaphore du passage lge adulte

    Si Av (2011) repose essentiellement sur une esthtique raliste, il nen reste pas moins que le

    voyage initiatique des deux protagonistes se construit comme une mtaphore du passage de lenfance

    lge adulte. Sur la route, contre leur volont, ils se heurtent des vnements dramatiques et

    diffrentes reprsentations de la vie adulte travers les automobilistes quils rencontrent. Nous

    retrouvons donc chez Bojanov cette ncessit dexprimer le passage lge adulte typique des

    cinmas dEurope de lEst, lment notamment rencontr chez Wajda dans Le Bois de bouleaux

    (1970) avec le personnage de la petite Ola.

    Un autre aspect potique et mtaphorique du film apparait dans la symbolique des objets comme,

    par exemple, la montre casse de Viktor porte prsent par Katem ou les photographies denfance de

    Viktor qui viennent tablir une dialectique dabsence-prsence lcran. Ces objets symbolisent la

    fois le passage du temps, la fixation et la mortification. Mais ils entretiennent aussi un rapport

    mtonymique avec Viktor, celui qui a t et ne sera jamais plus, car les objets matrialisent son

    absence. Prcisons que ce rapport aux symboles suit la logique du film et se dtache de tout

    pathtisme, car, les photos ne sont jamais montres lcran. La seule fois o le spectateur entrevoit

    13

    Cf. Ibidem.

  • Katia Peignois (ELICIT, MA2)

    Matricule : 000389427

    12

    furtivement le visage de Viktor, cest en arrire-plan trs discret dans sa chambre lorsquAv y loge.

    Un autre symbolique du film rside dans la logique des quatre lments, thmatique chre aux

    cinmas de lEst. Dans Av (2011), llment principal porteur de sens est leau travers la pluie, mais

    surtout via limage du fleuve, du Danube, quil faut traverser pour rejoindre le village o habite la

    famille de Viktor. Le fleuve, comme trs souvent, symbolise ici le droulement de la vie, lcoulement

    du temps et la traverse des tapes de lexistence. Au mme titre, litinraire des protagonistes se

    scande sur environ trois jours que nous pouvons interprter comme lquivalent des trois grandes

    tapes de lexistence humaine : lenfance, lge adulte et la mort. Aussi, llment aquatique permet

    une confrontation avec la terre dans une scne synesthtique o Katem atterrit dans la boue aprs sa

    course pour chapper la violence dun automobiliste rvolt par les mensonges dAv [Annexe 3].

    Enfin, Jacques Mandelbaum, dans sa critique pour Le Monde, soulve un lment intressant de la

    porte mtaphorique du film, savoir celle du conte. Il voit en Av une Shrazade bulgare dont les

    rcits invents au cours de ses pripties avec Katem sont autant de rcits consolateurs dont la force

    vitale [est celle] de la fiction qui se nourrit elle-mme 14

    .

    2.4.3. Fuir la ralit 15 : une qute de libert et de renouveau

    Le genre canonique du road-movie permet Bojanov de dvelopper la thmatique de la libert.

    Katem et Av reprsentent deux tres qui refusent de correspondre avec la socit de leur poque, car

    la jeunesse bulgare volue dans un climat de consumrisme et de matrialisme dans lequel les deux

    protagonistes ne se reconnaissent pas. Cest pourquoi ils mnent une rbellion intriorise et

    personnelle la recherche dautre chose.

    Leur qute, cette errance moderniste, correspond donc la nouvelle gnration qui vit dans le

    prsent, qui veut se librer des carcans du pass, de la socit et qui veut sexprimer par elle-mme et

    pour elle-mme. Ces problmatiques se trouvent au cur du film de Bojanov et elles renvoient tout

    un pan du cinma de lEst : du cinma polonais avec Train de nuit (1959) de Kawalerowicz en passant

    par Wajda ou par le cinma tchque de Forman. Mais cest aussi une jeunesse en perdition, qui fait

    des mauvais choix (par exemple, Katem a couch avec la fille dont Viktor tait amoureux) et qui se

    leurre dans des envies dailleurs que le film ironise (par exemple, lenvie un peu grotesque de

    Katem daller en Inde pour les femmes ou celle dAv de vivre son rve amricain Hollywood). Et,

    comme le cinma tchque, Av (2011) conjugue la notion dimmdiatet avec celle de la libert

    14

    MANDELBAUM Jacques, Av : Shrazade sur les routes bulgares , Le Monde, [En ligne], URL :

    http://www.lemonde.fr/cinema/article/2012/04/24/sheherazade-sur-les-routes-bulgares_1690493_3476.html, dernire mise

    jour le 25/04/2012, page consulte le 20/12/2014 14h55. 15

    Cf. Univers Cin.

    http://www.lemonde.fr/cinema/article/2012/04/24/sheherazade-sur-les-routes-bulgares_1690493_3476.html

  • Katia Peignois (ELICIT, MA2)

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    13

    retrouve en toute lgret. Toutefois, lhumour convoqu chez Bojanov se fait moins agressif et

    moins dsespr que celui de son collgue roumain, Puiu avec La Mort de Dante Lazarescu (2005).

    Si dans la production cinmatographique tchque de Forman, nous avions une radiographique de

    la socit dans toute sa diversit et dans une vise collective, Bojanov, quant lui, offre au spectateur

    un chantillonnage de situations et de personnages via les gens rencontrs par Av et Katem sur la

    route -, mais dont la caractristique commune est de reprsenter une forme de vie adulte et un type de

    marginalit : le couple libertaire, le routier pdophile ou lancien soldat nationaliste violent. De mme,

    les autres jeunes que le film dpeints vivent en dcalage avec la socit : ils sont sans domicile fixe,

    drogus et sans repres. Ces rencontres ainsi que la thmatique de la drogue flau socital auquel le

    ralisateur-documentariste est sensible - dressent ds lors le portrait dune gnration qui ne sidentifie

    pas la socit qui est la sienne, mais dun point de vue beaucoup plus individuel que chez Forman.

    Toutefois, les deux ralisateurs - Bojanov et Forman - ont en commun cette capacit transcender un

    scnario en apparence banal en lassociant la notion de rupture, de transgression de la norme tablie,

    avec, notamment, le personnage fminin qui est une fugueuse la recherche de libert. Cette figure de

    la fugueuse tait dailleurs dj prsente chez Forman dans Taking Off (1971). Ceci nous permet de

    constater que Bojanov, linstar toujours de Forman, reste sensible son hritage de lEst quand bien

    mme sa production se veut influence par la culture dEurope occidentale.

    Av (2011) porte galement en son sein une thmatique essentielle du cinma de lEst, savoir le

    conflit intergnrationnel. Nous retrouvons cette problmatique dans le film lors des confrontations

    tlphoniques entre Av et sa famille. Entre un frre toxicomane, un pre effac et une mre

    dominatrice, la seule solution pour Av est de schapper de la ralit tout prix, de sen inventer une

    autre. Mais le dcalage entre les diffrentes gnrations se concrtise fondamentalement lcran lors

    du repas chez la famille en deuil de Viktor. L, dans un village de la campagne bulgare profonde -

    oublie de la mondialisation-, le paradigme familial montre que la religion (cf. la tante voile), ses

    tabous et les traditions se font encore sentir travers la peur du regard des autres, du pch et le tabou

    du suicide. Bojanov illustre aussi cette scission en remplaant la musique minimaliste moderne

    occidentalise -, par de la musique dcran - traditionnelle laccordon (cf. repas, cimetire). Lors

    de ce repas, la jeunesse, incarne par Av et Katem, ralise limpact de la mort, mais, plus encore, elle

    soppose une existence ancre dans le pass (cf. le grand-pre qui dessine les morts et ressasse

    lancien temps) et elle veut se librer des valeurs acquises. Et cest finalement de la bouche du discret

    Katem que le message actuel de lEst qui tait dj celui de Forman sortira lorsqu table, pendant

    une conversation sur le suicide de son ami, il dira : En quoi cest hroque de vivre comme a ?

    Daller dun point A un point B ? (cf. 50 minutes et 54 secondes). La jeunesse est, en termes de

  • Katia Peignois (ELICIT, MA2)

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    14

    buts et dexistence, plus ambitieuse que les parents, elle veut se dsolidariser des lieux communs et ne

    plus se contenter du minimum.

    nouveau les objets prsents lcran incarnent le besoin dmancipation et de libert : les

    cigarettes et lalcool (vodka, bires) signent la fin dune culpabilit impose par la socit (le cancer,

    par exemple, est souvent voqu et ironis dans le film) et prnent lhdonisme, tandis que le style

    vestimentaire dAv et Katem traduit une forme de modernit, de marginalit, de simplicit et de refus

    du luxe qui cadre bien avec ce besoin de vivre linstant prsent et rien dautre.

    Enfin, Av (2011) se rclame dune forme de libert absolue, celle de rcrire son histoire et de

    rinventer la ralit, et ce, par le biais du mensonge, comme nous allons le voir dans le point suivant.

    2.4.4. LIncommunicabilit, la question du langage et le rapport autrui

    Le monde dans lequel voluent Av et Katem est celui de lincommunicabilit thmatique chre

    Antonioni - dun rapport conflictuel au langage et lchange. Face cette ralit difficile, les deux

    protagonistes adoptent une attitude diffrente, ils reprsentent deux manires de se confronter au rel

    et de compenser les manques dun langage qui ne suffit plus sexprimer et se comprendre : Katem

    intriorise tout, se mue dans le silence (par exemple, il ne parle personne du suicide de son ami et

    prend la route seul) et affirme un besoin de vrit absolue, tandis quAv, digne reprsentante dune

    fminit mancipe, sexprime librement et se situe dans la surreprsentation. Av ment, fabule,

    invente, fait du monde un espace thtral et elle se fait comdienne de sa propre existence pour se

    protger, pour dissimuler ses failles et une ralit qui ne lui pargne rien. ce titre, la scne finale est

    un parfait exemple : elle prtend un automobiliste quelle doit rejoindre son frre aux USA alors que

    ce dernier est mort dune overdose. Cet ultime mensonge illustre la fois la manire dont elle se sert

    du langage pour cacher sa vulnrabilit et tend ironiser le rve dAmrique des pays de lEst. Cette

    envie dailleurs, au mme titre que laffabulation, nest rien dautre quune porte de sortie vers un

    futur quon espre plus rjouissant que le pass. Bojanov nest pas le seul sintresser la

    communication biaise du monde actuel, son collgue roumain Cristi Puiu dans La Mort de Dante

    Lazarescu (2005) souligne galement cette problmatique lorsquil reprsente lindiffrence gnrale

    vis--vis de Lazarescu ou les changes des mdecins bass sur des phrases toutes faites16

    .

    La dualit qui caractrise Av et Katem se retrouve galement dans leffet que provoque leur

    rapport respectif au langage. Bojanov montre que contrairement aux ides reues, les mensonges

    16

    FERRARI Jean-Christophe & GARBARZ Franck, Entretien avec Cristi Puiu Copier lacte de la cration initiale ,

    Positif, n 539, Janvier 2006.

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    Matricule : 000389427

    15

    dAv ont une fonction consolatrice (cf. les scnes dans la famille en souffrance de Viktor), alors que

    le besoin de vrit de Katem blesse de manire involontaire. Cette technique dcriture est efficace,

    car, la fin, lorsque les deux protagonistes sont spars, le spectateur ralise lempreinte laisse par la

    jeune fille sur Katem quand celui-ci ment un voyageur dans le train. Ce moment constitue lune des

    deux seules scnes o le jeune homme sourit. Notons galement que la dualit est dj bien prsente

    au niveau de lhabillement et des couleurs associes aux personnages : le bleu pour Katem et le rouge

    pour Av, sauf la fin o il y a un inversement, au moment de la nuit damour.

    Aussi, chez Bojanov le conflit gnrationnel, le dcrochage dune jeunesse par rapport la socit,

    lincommunicabilit et la vacuit du langage qui atteint son paroxysme dans la scne du repas chez

    Viktor lorsque la famille se demande sil aura son diplme titre posthume se rsout (en partie) via

    la rencontre autrui. Cette apprhension de lautre passe par le silence, les regards, la confrontation, la

    violence pour aboutir en une connexion charnelle. Av, en plus de recrer la ralit par ses

    affabulations, embellit et refaonne les espaces quelle occupe comme, par exemple, le bus abandonn

    o Katem lembrasse pour la premire fois. Bojanov, contrairement aux cinmas tchques, dveloppe

    les scnes intimes de manire pudique au niveau de la musique, des jeux de regards, de loscillation

    entre montrer et cacher et de la palette de couleurs et dambiances pour montrer leur fragilit et leur

    veil la vie dadulte. Ces scnes tout en sensualit contrastent avec la crudit langagire dont faisait

    preuve Av lorsquelle abordait la sexualit avec le camionneur pdophile. Une fois encore, le

    message de Bojanov est clair : les mots ne suffisent plus transcrire la complexit de la jeunesse et de

    la socit contemporaines. Pour lui, la vrit est ailleurs, mdie et la rencontre se fait sur un autre

    mode, plus sensible.

    Dans un prolongement propre la sensibilit des cinastes de lEst, Bojanov traite lveil la vie

    et la mort de manire similaire, dans un lan pudique qui refuse le pathtisme. Aprs sa nuit damour

    avec Katem, Av appelle ses parents et apprend la mort de son frre toxicomane. Dans un premier

    temps, nous partageons, par le biais de la frontalit [Annexe 4], le vcu dAv. Puis, lorsquelle

    apprend la terrible nouvelle et se laisse submerger par lmotion, elle apparait en plan dorsal [Annexe

    5] ce qui cre une empathie mais qui refuse le pathos, comme cest aussi le cas dans le cinma

    roumain contemporain (cf. les nombreux plans dOtilia dans 4 mois, 3 semaines, 2 jours de Christian

    Mungiu). Cette position dorsale, qui prcde la fuite dAv, rappelle galement Antonioni et

    LAvventura (1960) o un plan similaire annonait dj la disparition dAnna.

    Enfin, et nous clturerons notre analyse par ce point, la rencontre dAv et Katem se fait sur le

    mode du concours : celui de pouces, dautostop. Si lhypothse du concours renvoie la thmatique

  • Katia Peignois (ELICIT, MA2)

    Matricule : 000389427

    16

    rcurrente du cinma de Forman, dans Av (2011) elle na pas pour finalit de rvler la collectivit,

    mais bien les caractres individuels des personnages. Ici, les deux forces en action, Av et Katem,

    vont se croiser, sentrechoquer, sopposer pour finalement rellement se rencontrer et sinfluencer. Par

    consquent, chez Bojanov, le concours qui est aussi le choc de deux modes de fonctionnement et

    dexpression rvle les failles des individus et universalise la rencontre.

    III. CONCLUSION

    Au terme de ce parcours, nous esprons avoir pu mettre en exergue les grandes articulations de la

    dmarche cinmatographique dun auteur qui, grce ses voyages et ses nombreuses formations,

    refuse la tentation sociologique pour raconter des histoires qui touchent lintime, au personnel et

    luniversel tout en y investissant la sensibilit slave qui est la sienne. En inscrivant son premier film

    dans sa Bulgarie natale, Konstantin Bojanov semble porter sur la socit actuelle, le regard dun

    homme qui a russi souvrir au monde, vivre lexprience du prsent sans jamais renier les

    spcificits artistiques et humaines de sa culture. En bon citoyen du monde, il sait que la rencontre

    autrui limage de celle dpeinte dans Av (2011) se fait notamment partir dun retour soi,

    ses propres failles et ses tiraillements. Nous comprenons ds lors mieux pourquoi Bojanov se sent

    proche dHenry Miller et le cite en interview disant : Il ma fallu vivre dix ans Paris pour

    comprendre que je ne serai plus jamais Amricain, en mme temps jai compris aussi que je ne serai

    jamais Franais non plus. .

    Pour conclure, nous escomptons avoir pu montrer quel point la nouvelle gnration de cinastes

    bulgares, quelle vive sur place ou quelle voyage dans le monde, est dsireuse doffrir un cinma qui

    parle au plus grand nombre et qui fait de ses spcificits slaves une force et non une frontire

    culturelle. Car, malgr le manque de financement au niveau national comme ce fut le cas de

    Bojanov , la quantit restreinte de films qui voit le jour et la difficult datteindre les publics

    europens, le cinma bulgare actuel espre bien, un jour, atteindre le niveau de reconnaissance et

    dexposition de son plus proche voisin - le cinma roumain - et faire attendre sa voix singulire.

  • Katia Peignois (ELICIT, MA2)

    Matricule : 000389427

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    BIBLIOGRAPHIE

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    IV. FICHE TECHNIQUE DU FILM

    AV (2011)

    Ralisateur : Konstantin Bojanov Scnariste : Konstantin Bojanov & Arnold Barkus Directeurs

    de la photographie (couleur) : Nenad Boroevich & Radoslav Gotchev Producteurs : Methodius

    Petrikov, Dimitar Gotchev, Geoffroy Grison & Konstantin Bojanov Chef oprateur : Nikolay

    Karamfilov Directeur artistique : Samuil Ganev Monteuse : Stela Georgieva Son : Momchil

    Bozhkov, Chris David, Tom Paul Musique originale : Tom Paul Costumire : Marina Yaneva

    Casting : Vanja Bajdarova - Co-producteur : Boryana Puncheva.

    Casting : Anjela Nedyalkova (Av), Ovanes Torosyan (Kamen), Martin Brambach (le chauffeur

    de camion), Svetlana Yancheva (La mre de Viktor), Elena Rainova (la tante de Viktor), Krasimir

    Dokov (loncre de Viktor), Iossif Sarchadzhiev (le pre de Viktor) et Bruno S. (le grand-pre de

    Viktor).

  • Katia Peignois (ELICIT, MA2)

    Matricule : 000389427

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    V. ANNEXES

    - Annexe 1 :

    - Annexe 2 :

    - Annexe 3:

  • Katia Peignois (ELICIT, MA2)

    Matricule : 000389427

    20

    - Annexe 4 :

    - Annexe 5 :