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Avec l’Incarnation · Rome, le 8 décembre 2015 Solennité de l’Immaculée Conception Et ouverture de la Porte sainte Fraternellement, Frère Michael A. Perry, OFM Ministre général

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À tous les Frères de l’Ordre

Très chers frères,Que le Seigneur vous donne sa paix!Tandis que je vous écris cette lettre, le

Jubilé de la Miséricorde est sur le point de s’ouvrir, ce Jubilé qui, comme l’a écrit le Pape François dans sa Bulle d’Indic-tion, est un moment au cours duquel « avec plus de force encore nous sommes appelés à garder notre regard fixé sur la miséricorde pour devenir nous-mêmes des signes efficaces de l’agir du Père » (Misericordiæ vultus, n. 3).

Pourrons–nous supporter le regard de cette miséricorde alors que tant de vio-lence aveugle, de très nombreux signes de terreur et de mort nous heurtent, s’in-filtrent par nos yeux dans l’imagination, dans les émotions, dans l’intelligence ? Il est certain que tout cela ne nous aide pas à faire mûrir un regard propice à la com-passion. Nous avons besoin d’un coup au cœur pour arriver à voir autrement et à reconnaître les signes d’une miséricorde qui vient à notre encontre de nombreuses manières, et précisément en ces temps-ci et dans ce monde qui leur semble appa-remment tellement étranger et, en même temps, en a tellement soif.

Dans la sainte nuit de Noël nous chan-terons la Miséricorde du Père qui est ap-parue parmi nous et s’est révélée dans la chair de notre fragilité, celle que le Sei-gneur Jésus a reçu de la Vierge Marie, qui l’a fait notre frère et nous a obtenu la miséricorde (cf. LégM 9,3).

Cette chair fragile de gosse est la même qui arpentera les chemins de la Palestine, caressera les pauvres et les malades, se

penchera sur les pécheurs, n’aura pas peur de se laisser toucher avec tendresse par les enfants et par les femmes. Cette chair qui « a traversé toutes les afflic-tions des hommes » (St Basile le Grand, Homélie sur l’humilité, 6), jusqu’à la mort de la croix. C’est vrai, à Noël nous allons célébrer la vraie « Pâque de l’In-carnation » (Paul Evdokimov) !

La chair fragile de tout homme, de toute femme, de tout enfant, de tout vieillard et de chaque jeune a été touchée et modelée par le contact avec la miséri-corde, qui porte les traits du visage de Jé-sus de Nazareth, lui qui est né pour nous tous. Et, donc, le mystère d’un amour est déjà inscrit dans notre chair, un amour qui donne tout, qui pardonne, qui ouvre toujours, et va jusqu’à ouvrir une porte de miséricorde sans limites pour celui qui l’accueille.

Nous n’avons pas le choix, mes frères! La miséricorde est le DNA de la personne humaine et, de même, du croyant. Elle n’est pas exclusive des chrétiens, parce qu’elle n’est pas seulement une vertu parmi d’autres ou une quelconque atti-tude humaine. Elle est plutôt le cœur de ce qui est tout simplement humain. Nous pourrions dire que l’image que le Créa-teur a imprimée en nous dès le principe est marquée par la miséricorde, parce que nous avons été créés par amour et dans l’amour, comme toute cette « mai-son commune » qu’est la création, dont la garde nous a été confiée.

C’est ainsi que suivre la voie de la mi-séricorde signifie vivre selon la raison, c’est-à-dire selon le sens profond de notre être au monde comme frères, les uns par rapport aux autres, et en com-munion avec toutes les créatures.

Avec l’Incarnation la miséricorde s’est donnée un visage

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Si la miséricorde a tant à voir avec notre humanité en chemin, elle constitue alors par l’Incarnation le lieu fécond de toute recherche humaine du Mystère. En effet là où la grâce de l’Incarnation ex-plose dans notre réalité de créatures, elle nous fait devenir vraiment humains ! Et ce n’est pas rien! Ici s’accomplit la vo-cation unique de l’homme (cf. GS 19) : « être participants de la nature divine » (2Pt 1,4), reconnaître que « par l’Incar-nation le fils de Dieu s’est uni d’une cer-taine manière à tout homme » (GS 22).

Et c’est de là que nous pouvons re-connaître le mouvement incessant qui anime le chemin de tant d’hommes et de femmes et de peuples appelés à devenir une unique famille : la miséricorde en constitue l’âme profonde, âme qui se traduit par tant de langues, de cultures et de recherches religieuses. Les forces obs-cures du mal, qui semblent se déchaîner avec une force inhabituelle à notre époque jusqu’à nous paralyser, et qui touchent aussi avec force « notre mère terre », semblent dominer par leur rumeur ce bien qui croît dans les sillons les plus profonds de l’humanité. Et ils nous font peur! Bien que nous puis-sions dire qu’ils ne sont pas la réalité définitive car : « le mal n’existe pas pour toujours » (Ap. 12,12b).

La Noël, alors, n’est pas une douce fête qui nous anesthésie du drame qui se consomme à travers l’his-toire. C’est exactement la présence en elle de l’En-fant, faible et pauvre, des-tiné à la mort sur la croix, qui nous révèle que « le mystère de l’im-piété est déjà à l’œuvre; il suffit que soit écarté celui qui le retient à présent » (2Ts 2,7). L’identité de celui qui le retient reste mystérieuse, mais nous pouvons penser que chaque délai, chaque frein opposé à la miséricorde sera complice du retard de la venue du Seigneur, parce qu’il réduit

l’espace de la vie et donc du salut que le Christ nous a donné.

Si avec la Noël « est apparue la grâce de Dieu qui porte le salut à tous les hommes » (Tt 2,11), la miséricorde qui est la saveur, la lumière, la chaleur de cette grâce, est la réalité qui manifeste la nou-veauté de la vie nouvelle en Jésus-Christ, le trait décisif du disciple de Jésus.

« L’architrave qui soutient la vie de l’Église est la miséricorde. L’ensemble de son action pastorale devrait être im-prégnée de la tendresse avec laquelle elle s’adresse aux croyants ; rien dans son annonce et dans son témoignage pour le monde ne doit être privé de miséricorde. La crédibilité de l’Église passe à travers la voie de l’amour miséricordieux et com-patissant » (Misericordiæ vultus, n.10).

Saint François nous dit que la misé-ricorde est le cœur de la suite de

Jésus chez les frères : « qu’il n’y ait au monde aucun frère qui ait péché autant qu’il aura pu pécher et qui, après avoir vu tes yeux, ne s’en aille ja-

mais sans ton pardon, s’il le demande ; et s’il ne demandait pas miséri-corde, demande-lui s’il veut être pardonné » (Lmin 9-11).

Tandis que le mal qui existe dans le monde nous préoccupe, ne dé-

tournons pas la tête de celui qui est en nous et

parmi nous ! Nous deve-nons des frères mineurs

dans la mesure où la miséri-corde grandit et guérit nos trop

nombreuses divisions et blessures, nos péchés et fermetures à l’amour du Père, les manques d’estime et de bien réci-proque, la tiédeur à répondre au don de la vocation reçue, la commodité et l’ap-propriation de biens qui nous défigurent.

Cheminons comme des frères et des

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mineurs en ce temps qui est le nôtre sous le signe de la miséricorde. C’est en suivant cette voie que nous rencontrerons Celui « qui est né pour nous en chemin et fut posé dans une crèche car il n’y avait pas de place à l’auberge » (OffPass, Ps 15,7), étranger et pèlerin, refusé et marginali-sé comme les nombreux rejetés de l’his-toire qui envahissent aujourd’hui encore tant de terres, de plages et de mers, qui sautent les murs et les barrières, deve-nus à nouveau esclaves et fugitifs, prêts à mourir sans espoir d’un possible avenir.

C’est sur cette voie que nous pourrons recevoir la nouvelle impulsion, que beau-coup de frères parmi nous cherchent et désirent, afin de redonner force et lu-mière à notre vie évangélique de frères mineurs.

C’est sur cette voie que notre humani-té pourra grandir et se faire capable de tendresse et de larmes, de proximité des plus petits et de conversion dans la cha-rité.

C’est sur cette voie que la joie de l’Évan-gile pourra devenir contagieuse grâce au

témoignage qui nait de la vie, sans litiges ni disputes, en étant soumis à toute créa-ture humaine pour l’amour de Dieu (cf. Rnb 16, 6).

C’est sur cette voie, parcours de la mi-séricorde de Dieu, que je vous souhaite à tous un Noël dérangeant parce que riche de cette miséricorde qui bouleverse nos habitudes, imprime sa force sur nos pas pour aller à la rencontre des autres, et réanime nos temps de fatigue et de mé-fiance.

C’est sur cette voie de miséricorde que nous voulons cheminer avec les hommes et les femmes, les petits et les grands, les pauvres et les riches, les jeunes et les per-sonnes âgées, et avec toutes les familles de notre temps.

Avec saint François, chantons avec joie à la face du monde « qu’en ce jour, le Seigneur a envoyé sa miséricorde et dans la nuit a retenti son cantique » (OffPass Ps 15, 5).

Bon Noël à tous et à chacun d’entre vous!

Rome, le 8 décembre 2015Solennité de l’Immaculée ConceptionEt ouverture de la Porte sainte

Fraternellement,

Frère Michael A. Perry, OFMMinistre général et serviteur

www.ofm.orgImmagine: Carlo Bertagnin, OFM (Convento San Francesco, Palestrina, Roma)Prot. 106137