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RESPONSABILITÉ DES ADMINISTRATEURS ET DES TIERS : PARTICULARITÉS DES LOIS FISCALES M e Paul Ryan TABLE DES MATIÈRES I.– RESPONSABILITÉ DES ADMINISTRATEURS ...... 207 A. Introduction............................................................... 207 B. Sommes perçues ou à percevoir comme mandataire des autorités fiscales ............................. 207 1. Portée des dispositions ...................................... 208 2. Formalités préalables ......................................... 208 3. Prescription – limite de temps pour cotiser l’administrateur ................................................... 208 4. Enregistrement d’un administrateur auprès des autorités gouvernementales sans son consentement ..................................................... 213 5. Administrateur agissant comme prête-nom........ 214 6. Administrateur « de facto » ................................ 214 7. Responsabilité du personnel comptable et autres tiers.......................................................... 217 8. Responsabilité solidaire ..................................... 218 9. Possibilité de réclamer une perte au titre d’un placement d’entreprise ....................................... 219 10. Défense de diligence raisonnable ...................... 222 C. Responsabilité à l’égard des distributions de biens . 232 D. Imputation des paiements ........................................ 237 1. Prescription concernant le recours en vertu de l’article 14 LMR................................................... 238 E. Droit de l’administrateur de contester le bien-fondé de la cotisation de la compagnie .............................. 238 F. Responsabilité pénale de l’administrateur................ 240 Avocat chez Ravinsky Ryan.

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RESPONSABILITÉ DES ADMINISTRATEURS ET DES TIERS : PARTICULARITÉS DES LOIS FISCALES Me Paul Ryan∗

TABLE DES MATIÈRES

I.– RESPONSABILITÉ DES ADMINISTRATEURS ......207 A. Introduction...............................................................207 B. Sommes perçues ou à percevoir comme

mandataire des autorités fiscales.............................207 1. Portée des dispositions ......................................208 2. Formalités préalables .........................................208 3. Prescription – limite de temps pour cotiser

l’administrateur ...................................................208 4. Enregistrement d’un administrateur auprès des

autorités gouvernementales sans son consentement.....................................................213

5. Administrateur agissant comme prête-nom........214 6. Administrateur « de facto » ................................214 7. Responsabilité du personnel comptable et

autres tiers..........................................................217 8. Responsabilité solidaire .....................................218 9. Possibilité de réclamer une perte au titre d’un

placement d’entreprise .......................................219 10. Défense de diligence raisonnable ......................222

C. Responsabilité à l’égard des distributions de biens .232 D. Imputation des paiements ........................................237

1. Prescription concernant le recours en vertu de l’article 14 LMR...................................................238

E. Droit de l’administrateur de contester le bien-fondé de la cotisation de la compagnie ..............................238

F. Responsabilité pénale de l’administrateur................240 ∗ Avocat chez Ravinsky Ryan.

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II.– RESPONSABILITÉ DES TIERS..............................242 A. Introduction...............................................................242 B. Dispositions pertinentes ...........................................242 C. Limite de temps pour cotiser ....................................242 D. But des dispositions .................................................243 E. Cohabitation avec les règles de droit civil et de

faillite ........................................................................243 F. Conditions d’application ...........................................243 G. Exemple ...................................................................244 H. Possibilité de double imposition ...............................245 I. Responsabilité personnelle vs. droit de suite sur le

bien...........................................................................245 J. Pas de sursis de perception au Québec ..................245 K. Notions de « transfert » et de « contrepartie » .........246

1. Dépôt dans le compte de banque du bénéficiaire du transfert ......................................246

2. Paiement hypothécaire sur des biens appartenant au tiers ...........................................249

3. Dation en paiement faite par une personne liée.250 4. Héritage ou renonciation à une succession .......250 5. Dépôt dans un REER au bénéfice du conjoint ...251 6. Dividendes à un actionnaire ...............................252

L. Cohabitation de l’article 160 LIR avec les autres lois ............................................................................255

M. Article 160 LIR et patrimoine familial........................257 N. Séparation et divorce ...............................................257 O. Droit de contester la cotisation de l’auteur du

transfert ....................................................................258

ANNEXE A : QUESTIONNAIRE TYPE DU MINISTÈRE DU REVENU DU QUÉBEC (MRQ) SUR LA RESPONSABILITÉ DES ADMINISTRATEURS..................260

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I.– RESPONSABILITÉ DES ADMINISTRATEURS

A. Introduction 1 La responsabilité des administrateurs en matière fiscale

est un sujet dont on entend beaucoup parler et qui fait l’objet d’une jurisprudence abondante chaque année.

2 En plus de la responsabilité pénale potentielle des administrateurs, dont je traiterai brièvement à la fin de la présente section, il y a principalement deux types de recours des autorités fiscales contre les administrateurs.

3 Le premier est le plus connu, il s’agit de la responsa-bilité des administrateurs pour les sommes perçues par une compagnie à titre de mandataire des autorités fiscales, comme par exemple les déductions à la source et la TPS et la TVQ.

4 Le deuxième est beaucoup moins connu, il s’agit de la responsabilité des administrateurs en cas de « distribution » de biens par une compagnie. Comme nous en discuterons dans la section du cours portant sur ce deuxième type de responsa-bilité, cette situation se présente principalement au Québec et il faut se souvenir, dans ce cas, qu’un administrateur peut être tenu responsable non seulement des sommes perçues à titre de mandataire, mais également de l’impôt corporatif et de la taxe sur le capital, puisque la disposition pertinente vise toutes les obligations fiscales de la compagnie concernée.

B. Sommes perçues ou à percevoir comme mandataire des autorités fiscales

5 La responsabilité des administrateurs à l’égard des sommes perçues ou à percevoir par la compagnie à titre de mandataire des autorités fiscales ne fait plus aucun doute.

6 Cette responsabilité est notamment prévue à l’article 227.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu du Canada1 (« LIR »), à l’article 323 de la Loi sur la taxe d’accise2 (« LTA ») et aux articles 24.0.1 à 24.0.3 de la Loi sur le Ministère du Revenu du Québec3 (« LMR »).

1 L.R.C. 1985, ch. 1. 2 L.R. 1985, ch. E-15. 3 L.R.Q., c. M-31.

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1. Portée des dispositions 7 L’examen de ces dispositions montre que leur portée

est la suivante : ♦ elles s’appliquent non seulement aux sommes

effectivement perçues, mais aux sommes qui auraient dû être perçues et ne l’ont pas été;

♦ la responsabilité s’étend aussi aux contributions d’employeur, qui ne sont pas des déductions à la source comme telles, mais à l’égard desquelles le législateur a prévu que les administrateurs seront aussi responsables. On pense par exemple à la RAMQ, à la RRQ, aux Normes du travail et à la Formation de la main-d’œuvre.

2. Formalités préalables 8 Avant de s’attaquer à l’administrateur, les lois fiscales

prévoient que les autorités fiscales doivent s’être livrées à l’une ou l’autre des trois formalités préalables suivantes :

♦ un jugement doit avoir été obtenu contre la compa-gnie et les tentatives de recouvrer ce jugement doivent s’être avérées infructueuses;

♦ la compagnie doit avoir été liquidée ou dissoute et la créance doit avoir été établie dans les six mois du début des procédures de dissolution ou de la dissolution elle-même, le cas échéant;

♦ la compagnie doit avoir fait faillite et une preuve de réclamation doit avoir été produite dans les six mois de la date de la faillite.

9 En plus de 20 années de pratique, je n’ai relevé que deux ou trois situations où les autorités fiscales avaient omis de franchir ces étapes avant de faire une réclamation à l’admi-nistrateur. Bien qu’il vaille la peine de vérifier si ces formalités préalables ont été remplies, les cas où elles ne l’auront pas été seront probablement assez rares. 3. Prescription – limite de temps pour cotiser

l’administrateur 10 Beaucoup des décisions de jurisprudence concernant la

responsabilité des administrateurs portent sur la question de prescription.

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11 En effet, en rédigeant les dispositions concernant la responsabilité des administrateurs, le législateur a prévu une prescription en apparence très courte de deux ans qui, en pratique, s’est toutefois avérée, dans la plupart des cas, l’une des plus longues prescriptions qui existent dans le monde juridique !

12 En effet, les dispositions prévoient que les autorités fiscales disposent d’une limite de deux ans pour faire une réclamation d’administrateur, à compter du moment où il a cessé pour la dernière fois d’être un administrateur de la compagnie concernée.

13 Dès l’adoption des dispositions concernant la responsa-bilité des administrateurs, une question d’interprétation s’est soulevée entre les contribuables et les autorités fiscales con-cernant le moment à partir duquel l’administrateur « cesse pour la dernière fois d’être un administrateur de la compagnie ».

14 En effet, en général, lorsqu’une compagnie cesse ses activités ou qu’elle fait faillite, les administrateurs ne pensent pas à démissionner officiellement, puisqu’ils considèrent géné-ralement que la fin des activités de la compagnie ou la prise de contrôle de la compagnie par un syndic de faillite constitue la cessation de leurs responsabilités à titre d’administrateur.

15 Pour leur part, les autorités fiscales ont toujours prétendu que, d’un point de vue corporatif, un administrateur continue théoriquement à être un administrateur jusqu’à ce qu’il démissionne ou tant que la compagnie existe, puisque la cessation des activités commerciales ou la faillite ne mettent pas fin à sa responsabilité comme administrateur.

16 Après plusieurs décisions contradictoires, cette question a été réglée par la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Kalef4.

17 Malheureusement pour les contribuables, la Cour d’appel fédérale dans cette décision a donné raison aux autorités fiscales et a donc considéré que l’administrateur continue à être administrateur, tant et aussi longtemps qu’il n’a pas officiellement démissionné de ses fonctions.

18 Depuis que cette décision a été rendue, plusieurs praticiens conseillent donc à leurs clients, lorsqu’intervient une 4 96 DTC 6132.

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cessation d’activités ou une faillite, de ne pas oublier de remplir la formalité de démissionner officiellement comme administrateur.

19 À cet égard, de nouvelles questions ont commencé à se poser en jurisprudence, incluant principalement les deux suivantes :

♦ de manière générale, les lois corporatives exigent, lorsqu’un changement d’administrateur intervient, qu’un avis soit envoyé au gouvernement (au Québec, les avis sont envoyés à l’IGIF au moyen d’une déclaration modificative et un avis doit également être envoyé au fédéral, s’il s’agit d’une société fédérale). La première question qui s’est donc posée est celle de savoir si une démission est valide, si elle a été donnée à la compagnie et inscrite dans les registres corporatifs, mais si la compagnie a ensuite omis d’envoyer aux autorités gouvernementales les avis requis;

♦ l’autre question très intéressante qui s’est posée est celle de savoir si la théorie du « capitaine du bateau » s’applique ou, en d’autres mots, est-ce que le dernier administrateur peut démissionner ou, comme le capitaine du bateau, doit-il rester sur le bateau le dernier, jusqu’à ce que celui-ci coule ? Cette question est fort intéressante, puisque, dans le cas des compagnies qui comportent plus d’un administrateur, on pourrait imaginer une véritable course à la démission, s’il était déterminé que le dernier administrateur doit obligatoirement demeu-rer en poste et, donc, ne jamais bénéficier de la prescription de deux ans, puisque celle-ci ne débuterait jamais. i) Avis de démission non envoyé aux autorités

gouvernementales 20 À première vue, les lois applicables sont assez sévères,

lorsque des changements internes interviennent, sans que les autorités gouvernementales en aient été avisées.

21 Par exemple, au Québec, ce sont les articles 62 et 82 de la Loi sur la publicité légale des entreprises individuelles,

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des sociétés et des personnes morales5 (« LPL ») qui s’appliquent.

22 L’article 62 LPL précise que les informations relatives à chaque assujetti (la compagnie étant une assujettie) font preuve de leur contenu en faveur des tiers de bonne foi (on présume que les autorités fiscales sont de bonne foi) à compter de la date où elles sont inscrites à l’état des informations et que ces informations incluent notamment le nom et le domicile de chaque administrateur.

23 Pour sa part, l’article 82 LPL spécifie que les modifications apportées au Registre par un assujetti, sont opposables aux tiers seulement à compter de la date où elles sont inscrites à l’état des informations. Encore une fois, la liste des informations pertinentes inclut le nom et le domicile de chaque administrateur.

24 Nonobstant ces dispositions, la jurisprudence en est arrivée à une solution intermédiaire raisonnable pour les administrateurs impliqués.

25 Cette solution tient compte de divers facteurs, incluant notamment le fait que la responsabilité de transmettre l’avis aux autorités gouvernementales n’incombe pas à l’administra-teur démissionnaire, mais plutôt à la compagnie. Dans de telles circonstances, advenant une négligence de la compagnie de signaler une démission aux autorités gouvernementales, il aurait pu être injuste que l’administrateur se voit privé du bénéfice de la prescription (en théorie, l’administrateur aurait pu exercer un recours contre la compagnie ou envers les autorités gouvernementales pour faire remédier à la situation, mais c’est là en demander beaucoup à un administrateur démissionnaire en pratique).

26 L’autre problème est évidemment une question de crédibilité. En effet, il est fort difficile d’« anti-dater » un avis envoyé au gouvernement alors que, lorsque les administra-teurs prétendent qu’une démission a eu lieu dans le passé, sans qu’elle ait été signalée aux autorités gouvernementales, les autorités fiscales en viennent souvent à craindre qu’il s’agit plutôt d’une démission récente, qui a toutefois été « anti-datée » dans les registres de la compagnie concernée.

5 L.R.Q., c. P-45.

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27 S’agissant donc principalement d’une question de crédibilité, la solution de compromis retenue par les tribunaux a été que le fait qu’une démission n’ait pas été enregistrée auprès des autorités gouvernementales crée une présomption à l’effet que l’administrateur n’a pas démissionné, mais que cette présomption peut être repoussée par l’administrateur, en fournissant devant le tribunal une preuve à l’effet contraire, par tous les moyens de preuve recevables6.

ii) Possibilité ou non pour le dernier administrateur de démissionner

28 Encore une fois, cette question a fait l’objet de quelques décisions jurisprudentielles et il ne semble pas qu’elle soit définitivement réglée.

29 Toutefois, à ce stade-ci, en présence d’une décision défavorable aux contribuables7 et de deux décisions favorables aux contribuables8, il semble se dégager un consensus, qui réfère à la loi corporative en vertu de laquelle la compagnie a été incorporée.

30 Ainsi, les tribunaux suggèrent d’examiner le texte entier de ces lois, pour voir si à quelque endroit que ce soit dans ces lois, le législateur a prévu la possibilité qu’une compagnie n’ait, à un moment donné, aucun administrateur.

31 Il semble que la seule évocation dans la loi constituante de la compagnie à l’effet qu’il est possible, à un moment donné, même si c’est exceptionnel, que la compagnie n’ait aucun administrateur, fera en sorte que les tribunaux concluront qu’il est donc possible au dernier administrateur de démissionner.

32 Au fédéral, la Loi sur les sociétés par actions9 (la « LPSA ») contient une disposition semblable, puisque l’article 111(2) de la LPSA se lit comme suit :

6 Voir notamment Simeonidis C.Q. (ch. civile) REJB 98-11269 et SMRQ c.

Poulin, [2000] RDFQ 197. 7 Zwierschke c. MRN, 92 DTC 1003. 8 Brown c. Shearer, [1995] 6 WWR 68 et la décision récente Netupsky c. La

Reine, 2003 GSTC 15. 9 S.R.C. (1985), c. C-44.

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33 111(2) [Convocation d’une assemblée] Les administrateurs en fonction doivent convoquer, dans les meilleurs délais, une assemblée extraordinaire en vue de combler les vacances résultant de l’absence de quorum ou du défaut d’élire le nombre fixe ou minimal d’administrateurs prévu par les statuts; s’ils négligent de le faire ou s’il n’y a aucun administrateur en fonction, tout actionnaire peut convoquer cette assemblée. [les soulignés sont nôtres]

34 On voit donc, à l’avant-dernière ligne, que le législateur a prévu la possibilité qu’aucun administrateur ne soit en fonction.

35 La dernière question qui pourrait se poser concerne la manière dont un administrateur doit procéder, lorsqu’il est le dernier administrateur d’une compagnie et qu’il désire démissionner, surtout si cette compagnie n’est plus en opération et n’a plus de place d’affaires à laquelle envoyer l’avis.

36 À première vue, l’envoi de l’avis requis aux autorités gouvernementales est un excellent point de départ.

37 Pour le reste, il faut faire preuve d’imagination, surtout qu’une décision de jurisprudence récente semble se montrer assez sévère à cet égard10. 4. Enregistrement d’un administrateur auprès des

autorités gouvernementales sans son consen-tement

38 Dans le même esprit que nous avons examiné le cas d’un administrateur démissionnaire dont le nom apparaît toujours comme administrateur aux registres gouvernementaux suite au défaut de la compagnie de transmettre les avis requis aux autorités gouvernementales, il arrive, particulièrement au début d’une entreprise, qu’un avis soit envoyé trop rapidement par une compagnie ou par son professionnel, en indiquant le nom de certaines personnes comme administrateurs, alors que ces personnes n’ont pas encore signé les documents pour accepter le poste d’administrateur.

39 Au moins deux décisions ont été rendues sur cette question en 2003 et dans chaque cas, le contribuable a été

10 Birchard c. La Reine, [2003] DTC 285.

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exonéré. Il s’agit des affaires Lau c. La Reine11 (l’épouse a été exonérée puisqu’elle avait été inscrite dans les registres comme administratrice sans avoir accepté ce rôle.) et Colbran12 (un redresseur d’entreprises avait accepté de devenir administrateur pendant la période de redressement, à certaines conditions; l’avis a été envoyé au gouvernement avant que les conditions soient remplies). 5. Administrateur agissant comme prête-nom

40 Il arrive que certains se demandent si un administrateur pourrait faire exclure sa responsabilité, en prétendant qu’il se contentait d’agir à titre de prête-nom pour quelqu’un d’autre.

41 La notion de prête-nom est souvent utilisée dans le cadre de la détention d’un bien et il est généralement reconnu qu’une personne peut se servir d’un prête-nom pour enregistrer un bien au nom de ce prête-nom, alors que le véritable propriétaire du bien demeure l’autre personne.

42 Au plan légal, il est plus difficile de faire le même raisonnement concernant les administrateurs, puisqu’il ne s’agit pas ici de la détention d’un bien ou du droit de propriété d’un bien, mais bien de l’acceptation d’une charge et des responsabilités qui y sont associées.

43 Cette question n’a pas encore fait l’objet d’une discus-sion approfondie en jurisprudence, mais il y a tout de même l’affaire Bousquet et Tessier c. La Reine13 dans laquelle elle a été abordée et dans laquelle la Cour canadienne de l’impôt semble avoir manifesté une certaine ouverture pour exclure la responsabilité d’un administrateur, dans la mesure où il était un simple « prête-nom ». 6. Administrateur « de facto »

44 En terminant sur cette question, il faut aussi faire attention à la notion d’« administrateur de facto ». En résumé à cet égard, même si un administrateur n’est pas officiellement en poste, les tribunaux ont conclu qu’il était possible que cer-taines personnes soient considérées comme administrateurs

11 [2003] GSTC 1. 12 [2003] GSTC 59. 13 [2003] DTC 382.

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« de fait » si, dans les faits, elles exercent les prérogatives et les responsabilités normalement dévolues aux administrateurs.

45 Il est à noter que, dans certaines décisions, même si un administrateur avait démissionné validement, il a été considéré qu’il avait continué à agir comme administrateur « dans les faits ». Nous référons notamment à cet égard aux décisions Boivin c. La Reine14, Pearson c. La Reine15 et Parisien c. La Reine16.

46 Une question épineuse concernant les administrateurs « de facto » est comment ceux-ci peuvent s’y prendre pour démissionner et bénéficier du début de la prescription de deux ans, puisqu’ils ne sont pas officiellement en poste. À cet égard, la décision Pearson vient jeter un premier éclairage sur cette question en concluant que la fonction d’un administrateur « de facto » prend fin, dans ce cas spécifique, au moment où la compagnie cesse ses opérations. Examinons maintenant les décisions principales dans les-quelles les tribunaux ont reconnu que des individus peuvent effectivement être considérés comme administrateurs de facto et encourir leur responsabilité, même s’ils ne font pas officielle-ment partie du conseil d’administration.

47 La décision de base sur cette question au fédéral est la décision dans l’affaire R. c. Corsano17, alors qu’au Québec, les deux principales décisions sont les décisions Hébert c. SMRQ18 et Silcoff c. SMRQ19.

48 La décision Silcoff est intéressante en ce qui concerne ce qu’une personne doit faire ou ne pas faire pour être considérée comme un administrateur de facto.

49 Cette affaire concernait une petite compagnie familiale exploitant un commerce de location de vidéocassettes, madame Silcoff détenait 20 % des actions, ses enfants en détenaient 30 % et son mari, qui était aussi le président et le

14 2003 GTC 615. 15 2004 GTC 93. 16 2004 GTC 229. 17 [1999] DTC 5658. 18 [1993] RDFQ 18 (CQ). 19 [1998] RDFQ 159 (CQ).

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seul administrateur officiel de la compagnie, détenait l’autre 50 %.

50 Madame Silcoff s’occupait de la tenue de livres et des remises gouvernementales. Apparemment, elle s’était aussi identifiée à l’Inspecteur général des institutions financières comme vice-présidente et c’est elle qui avait signé comme administratrice le rapport de 1991 transmis aux autorités gou-vernementales. Toutefois, elle prétendait que, selon les regis-tres internes de la compagnie, elle n’était pas administratrice.

51 Dans ces circonstances, la Cour du Québec a considéré qu’elle n’était pas administratrice de facto. Les commentaires qui suivent sont intéressants :

52 L'article 24.0.1 de la Loi sur le ministère du Revenu mentionne « administrateur ». Par extension, l'admi-nistrateur de facto est inclus dans cette notion. Aussi, est-ce avec réserve que la Cour traite cette exception à la règle générale.

53 L'administrateur de facto doit être celui qui, par sa façon d'agir, influence le cours des événements et dirige effectivement le fonctionnement du commerce.

54 Dans le cas présent, la requérante a suggéré, un an avant la fermeture, d'abandonner le commerce. La réponse a été négative. Nulle part dans la preuve il y a indication de prise de décision de sa part.

55 Sa signature sur des rapports adressés aux autorités gouvernementales et l'usage du titre de vice-présidente peuvent être considérés comme des présomptions de sa qualité d'administrateur. La Cour croit cependant qu'il faut regarder au-delà de ces faits et considère la situation dans son ensemble. La signature de la requérante aux endroits réservés aux actionnaires n'a pas été une habitude et, comme l'a souligné Charlotte Silcoff, elle a agi sur la recomman-dation du vérificateur. L'usage du titre de vice-présidente ne porte pas non plus à conséquence. L'inflation verbale dans les titres hiérarchiques est telle que n'importe quel cadre intermédiaire peut se voir affubler d'une telle dénomination. Le tribunal ne considère pas la requérante comme administrateur.

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7. Responsabilité du personnel comptable et autres tiers

56 En plus des administrateurs de facto, il est important d’examiner si certains employés, comme par exemple ceux s’occupant de la comptabilité et des remises gouvernemen-tales, peuvent être tenus responsables, en cas de défaut de la compagnie.

i) Disposition provinciale 57 Au Québec, il existe une disposition relativement

inconnue, qui devrait pourtant faire frémir plusieurs personnes. 58 Il s’agit de l’article 24.0.3 LMR qui se lit comme suit : 59 Art. 24.0.3. [Responsabilité solidaire à l'égard des

retenues à la source] Quiconque a le pouvoir d'autoriser, pour une personne, le paiement d'un montant assujetti à une retenue à la source prévue à l'article 1015 de la Loi sur les impôts (L.R.Q., c. I-3) ou de faire en sorte qu'il soit effectué et qui consent ou fait en sorte que ce montant soit versé, alloué, conféré ou payé par cette personne ou pour son compte, est tenu, solidairement avec cette dernière, aux mêmes obligations que celle-ci relativement aux sommes devant être déduites ou retenues de ce montant en vertu de la Loi sur les impôts, de la Loi sur le régime de rentes du Québec (L.R.Q., c. R-9) et de la Loi sur l'assurance parentale (2001, chapitre 9).

60 Il faut d’abord noter que cette disposition s’applique strictement aux remises gouvernementales concernant le paiement des salaires.

61 Aux termes de cette disposition, toute personne qui a le pouvoir de décider si un salaire est payé ou non par une autre personne (la compagnie) devient solidairement responsable avec cette personne des obligations de cette personne à l’égard du versement des remises gouvernementales.

62 Ainsi, dans la mesure où le pouvoir de décider si un salaire est versé ou non est délégué au contrôleur d’une compagnie, le contrôleur de cette compagnie pourrait être trouvé responsable du défaut de la compagnie en vertu de l’article 24.0.3 LMR.

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ii) Dispositions fédérales 63 Au fédéral, il existe des dispositions semblables qui

sont même plus complètes. Elles sont contenues aux articles 227(5) et (5.1) LIR.

64 En résumé, l’impact de ces dispositions est le suivant : ♦ elles visent principalement les paiements de salaire

et d’autres montants spécifiques prévus par la LIR; ♦ elles rendent solidairement responsable avec le

payeur toute personne « qui a une influence directe ou indirecte » sur le paiement;

♦ le paragraphe 227(5.1) LIR contient une liste assez longue des personnes possiblement concernées, qui inclut notamment un fiduciaire, un liquidateur, un séquestre, un syndic, un exécuteur ou un créancier garanti de même que le tiers (le superviseur) nommé par le créancier pour contrôler les décaisse-ments ou pour fournir des conseils à leur égard et tous les mandataires nommés par l’une ou l’autre de ces personnes.

65 En pratique, nous notons toutefois que les cas où les autorités fiscales fédérales ont appliqué cette disposition sont relativement rares, ce qui est dommage dans un certain sens, puisque les créanciers et surveillants qui imposent à une compagnie le choix de ne pas verser au gouvernement les sommes que cette compagnie détenait pour le gouvernement à titre de mandataire pourraient en principe porter le fardeau d’une partie de cette responsabilité en vertu de ces dispositions. 8. Responsabilité solidaire

66 Il est à noter que la responsabilité des administrateurs est une responsabilité solidaire, en vertu des dispositions applicables, de sorte que les autorités fiscales peuvent s’adresser à l’administrateur de leur choix.

67 En pratique, c’est d’ailleurs la manière dont les autorités fiscales procèdent en s’adressant généralement à l’administra-teur le plus solvable.

68 En théorie, l’administrateur qui acquitte la dette dispose d’un recours contre la compagnie, puisque la loi prévoit que

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tous les droits du gouvernement contre la compagnie lui sont cédés à partir du moment où il paye la dette de la compagnie.

69 Ce recours est cependant généralement purement théorique, puisque la raison même pour laquelle le gouver-nement s’est adressé à l’administrateur est que la compagnie est devenue insolvable.

70 L’administrateur dispose également d’un recours théorique contre ses coadministrateurs pour récupérer leur part, mais ce recours peut aussi être peu utile dans la mesure où les autres administrateurs sont insolvables. 9. Possibilité de réclamer une perte au titre d’un

placement d’entreprise 71 Une autre question qui est fréquemment soulevée en

matière de responsabilité des administrateurs est celle de savoir si un administrateur tenu de payer une dette corporative peut au moins réclamer, à cet égard, une perte au titre d’un placement d’entreprise dans sa déclaration d’impôt person-nelle. (Une perte au titre d’un placement d’entreprise est une perte déductible dans la même proportion qu’une perte en capital – actuellement 50 % – mais contre toutes les sources de revenus, alors qu’une perte en capital n’est déductible que contre les gains en capital.)

72 Avant d’examiner la théorie à cet égard, je dois malheureusement vous souligner que la jurisprudence fédérale et provinciale est présentement unanime à répondre à cette question de manière négative.

73 Je vous réfère à cet égard aux décisions Trottier c. SMRQ20 et Poirier c. La Reine21.

74 Cette question n’a toutefois pas encore été traitée par les tribunaux d’appel et il est donc possible qu’il y ait évolution en la matière dans l’avenir, d’autant plus que certaines des décisions concernées laissent des questions en suspens.

75 En principe, comme mentionné ci-haut, une perte au titre d’un placement d’entreprise doit d’abord et avant tout se qualifier comme « perte en capital », après quoi, si elle se qualifie également comme « perte au titre d’un placement 20 RDFQE 2003F-14. 21 [2000] 2463.

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d’entreprise », on lui donne l’attribut supplémentaire de pouvoir être déductible contre n’importe quelle forme de revenu.

76 Comme mentionné dans la section précédente, en payant la dette de la compagnie, l’administrateur devient le créancier de la compagnie. C’est donc comme s’il avait avancé cette somme à la compagnie et, si l’avance devient irrécupé-rable, il peut en théorie réclamer une perte en capital en vertu des dispositions de l’article 50 LIR qui prévoit qu’il y a disposi-tion présumée d’une créance au moment où celle-ci devient irrécupérable. Le problème se situe au niveau de l’application du paragraphe 40(2)g)ii) LIR et de son équivalent provincial, l’article 240 de la Loi sur les impôts. En effet, ces deux dispositions précisent que la perte en capital d’un contribuable sera nulle, s’il s’agit de la disposition réelle ou présumée d’une créance qui n’a pas été acquise « dans le but de gagner du revenu ».

77 En général, comme le paiement d’une dette fiscale corporative par l’administrateur intervient après la déconfiture de la compagnie et après que celle-ci n’exploite plus son entreprise, les autorités fiscales prétendent donc que la créance n’a pas été acquise dans le but de gagner du revenu, de telle sorte que la perte ne se qualifie pas à titre de « perte en capital » et que cette perte ne peut donc pas franchir l’étape suivante d’être également considérée comme une « perte au titre d’un placement d’entreprise ».

78 C’est cet argument qui a connu le succès dans les causes de jurisprudence mentionnées plus haut. Par contre, lorsque j’exprimais l’opinion que des questions continuent à se soulever, je faisais notamment référence à la décision provinciale Trottier, dans laquelle la Cour du Québec a conclu que le fait pour la créance de ne pas avoir été acquise dans le but de gagner du revenu fait en sorte que la perte ne se qualifie pas comme « perte au titre d’un placement d’entreprise », mais que la perte continuerait par ailleurs à se qualifier « perte en capital ».

79 Cette conclusion apparaît inappropriée, compte tenu que la question de savoir si la créance a été acquise « dans le but de gagner du revenu » concerne la qualification de la perte comme « perte en capital » et non comme « perte au titre d’un placement d’entreprise ».

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80 L’autre réserve qui peut être apportée à l’égard de ces décisions est que, d’une certaine manière, la situation de l’administrateur tenu de payer une dette de la compagnie en matière fiscale s’apparente à celle d’un administrateur ou actionnaire qui aurait cautionné les dettes de la compagnie. En effet, dans ce cas-là aussi, la réclamation est généralement faite à l’administrateur ou actionnaire après que la situation de la compagnie est devenue problématique et donc au moment où celle-ci n’a plus de pouvoir de gagner du revenu.

81 Pourtant, dans la situation où il s’agit d’une caution, les autorités fiscales ne semblent pas avoir de problème à reconnaître la présence d’une « perte en capital » et possible-ment d’une « perte au titre d’un placement d’entreprise », même si le paiement intervient seulement après que la compagnie est devenue insolvable.

82 Nous pensons notamment aux dispositions du bulletin d’interprétation IT-239R2 publié par l’Agence du revenu du Canada (« ARC »).

83 Dans le cas d’une caution, le raisonnement semble être que, pour déterminer si la créance a été obtenue dans le but de gagner du revenu, il faut se replacer non pas au moment du paiement, mais au moment où le contribuable a souscrit l’engagement de caution pour déterminer si, à ce moment, il agissait dans le but de gagner du revenu.

84 Dans la mesure où le financement bancaire des activités corporatives ne pouvait être obtenu sans sa caution, l’administrateur a généralement gain de cause, en démontrant qu’il a signé la caution dans le but de faire gagner du revenu à la compagnie et dans le but ultime de lui-même recevoir du revenu de biens par le biais des dividendes auquel il s’attendait, à même les revenus de la compagnie.

85 Il est permis de se demander en quoi la situation d’un administrateur est différente, puisque l’administrateur accepte généralement lui aussi la responsabilité d’être administrateur de la compagnie dans le but de faire gagner du revenu à la compagnie et dans le but ultime de recevoir du revenu de dividendes de la compagnie. Cette analyse ne semble pas avoir été faite de manière exhaustive à ce stade-ci.

86 Les tribunaux semblent aussi avoir à l’esprit des éléments de politique fiscale, en considérant qu’il ne serait

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peut-être pas approprié de permettre à un administrateur de bénéficier d’une déduction fiscale, alors que les sommes qu’il est appelé à remettre au gouvernement sont des sommes perçues ou qui auraient dû être perçues par la compagnie à titre de mandataire, ce qui laisse donc supposer, dans la mesure où l’administrateur a été trouvé responsable, qu’il a manqué à ses obligations. Même si cela n’est pas faux, il n’est pas clair qu’un tel argument devrait intervenir dans ce débat. 10. Défense de diligence raisonnable

87 À part la prescription de deux ans, le sujet qui fait sans aucun doute couler le plus d’encre en matière de responsabilité des administrateurs est la défense de « diligence raisonnable » qui est accordée à l’administrateur pour exclure sa responsabilité.

88 Le texte fédéral et le texte provincial étant légèrement différents, il est importe de les reproduire tous les deux ci-dessous.

89 Au fédéral, la disposition pertinente est le paragraphe 227.1(3) LIR qui se lit comme suit :

90 Un administrateur n'est pas responsable de l'omission visée au paragraphe (1) lorsqu'il a agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté pour prévenir le manquement qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables.

91 Au provincial, la disposition pertinente est le premier alinéa de l’article 24.0.2 LMR, qui se lit comme suit :

92 Art. 24.0.2. [Administrateur non visé] L'article 24.0.1 ne s'applique pas à un administrateur qui a agi avec un degré de soin, de diligence et d'habileté raisonna-ble dans les circonstances ou qui, dans ces mêmes circonstances, n'a pu avoir connaissance de l'omission visée par cet article.

93 Extinction du délai. — De plus, le ministre ne peut cotiser un administrateur à l'égard d'un montant visé à l'article 24.0.1 après l'expiration des deux ans qui suivent la date à laquelle celui-ci cesse pour la dernière fois d'être un administrateur de la société. (1997, c. 3, a. 104(6).)

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94 À l’examen rapide de ces deux dispositions, on remarque au point de départ deux différences importantes :

♦ en premier lieu, le texte fédéral précise que la diligence dont il est question est celle qui est démontrée « pour prévenir le manquement », semblant exiger de l’administrateur qu’il fasse la preuve des gestes qu’il a posés avant le manque-ment et non des gestes qu’il a posés pour tenter de corriger la situation, après que le manquement soit survenu;

♦ de son côté, la loi provinciale fait explicitement référence aux omissions dont l’administrateur n’a pas pu avoir connaissance, alors qu’il n’y a pas de mention semblable dans la loi fédérale.

95 Malgré ces différences et malgré que certains plaideurs habiles aient tenté de faire valoir que les lois étaient différentes, elles ont été interprétées de manière à peu près similaire en pratique. Nous vous référons notamment à la cause Jobin c. SMRQ22 pour une analyse exhaustive de cette question.

96 À l’égard des deux exemples soulevés ci-dessus, nous souhaitons notamment porter à votre attention ce qui suit :

♦ au niveau des omissions dont l’administrateur n’a pas pu avoir connaissance, il s’agit principalement du cas où l’administrateur a été trompé par ses col-lègues administrateurs, malgré qu’il ait fait preuve de diligence, notamment en s’informant des activités de la compagnie et en y participant en fonction de sa responsabilité. Même si ce moyen de défense n’est pas soulevé explicitement dans la loi fédérale, nous pouvons vous référer à plusieurs décisions fé-dérales qui ont reconnu qu’il s’agit là d’un argument généralement reconnu par les tribunaux fédéraux pour exclure la responsabilité d’un administrateur23;

♦ pour ce qui est de la question de « prévenir le manquement », il est vrai qu’il s’agit d’un argument

22 [2003] 5043. 23 Snow c. La Reine, 91 DTC 832, Edmonson c. La Reine, 88 DTC 1542, Bianco

c. La Reine, 91 DTC 1366, MacCormack c. La Reine, [1995] 2CTC 2410.

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souvent soulevé par les procureurs fédéraux, lorsque l’administrateur tente d’exclure sa responsa-bilité, en invoquant le grand nombre de gestes qu’il a posés, une fois le problème survenu, pour tenter de le rectifier. Il est aussi vrai que les tribunaux attachent généralement plus d’importance au com-portement de l’administrateur avant le manquement qu’à celui qu’il a démontré après le manquement. Cependant, il est toujours utile de faire la preuve du comportement de l’administrateur après le man-quement, surtout s’il s’agit d’un administrateur « externe » (voir commentaires qui suivent à cet égard), pour donner au tribunal un aperçu complet de la situation.

i) Acceptation de la fonction d’administrateur 97 Une première règle d’or en matière de responsabilité

des administrateurs est que les tribunaux sont unanimes à affirmer que l’acceptation de la fonction d’administrateur comporte l’acceptation des responsabilités qui vont avec cette fonction.

98 Par conséquent, les administrateurs qui tentent de s’en sortir et d’exclure leur responsabilité en prétendant qu’ils étaient des « administrateurs passifs » et que, dans les faits, ils ne participaient pas aux décisions de la compagnie, ont presque tous connu un échec cuisant devant les tribunaux.

99 Sur cette base, un administrateur qui cherche à démontrer sa diligence devra être en mesure de faire valoir qu’il s’est intéressé aux activités de la compagnie en fonction de son rôle spécifique et qu’il a fait ce qu’il pouvait faire dans les circonstances pour éviter le manquement.

ii) Jugement Soper24

100 Les règles fédérales en matière de responsabilité des administrateurs pour les sommes perçues à titre de mandataire des autorités fiscales ont été adoptées vers le début des années 1980 et il a fallu un certain temps pour que la jurispru-dence fasse un consensus autour des principaux arguments soulevés par les contribuables.

24 Soper c. La Reine, 97 DTC 5407.

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101 En matière de responsabilité des administrateurs et de défense de diligence, la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Soper est aujourd’hui reconnue comme la décision de base incontournable sur cette question.

102 En résumé, cette cause retient que la responsabilité de l’administrateur et la défense de diligence doivent être exami-nées à la lumière de facteurs à la fois subjectifs (par exemple, le niveau d’éducation et de connaissances de l’administrateur) et objectifs (par exemple, analyse du comportement de l’admi-nistrateur et du rôle spécifique qu’il jouait dans la compagnie).

103 Essentiellement, la Cour d’appel fédérale divise les administrateurs en deux catégories, soit les administrateurs internes et les administrateurs externes. Les administrateurs internes sont ceux qui, par leur fonction, participent activement à la vie quotidienne de la compagnie.

104 On pourrait par exemple penser, dans la mesure où ces personnes sont membres du conseil d’administration, au président-directeur général de la compagnie, à son secrétaire-trésorier et à son vice-président finances.

105 La Cour d’appel fédérale, dans la cause Soper, exprime l’opinion que ces personnes ont une responsabilité très grande et qui leur sera donc très difficile d’exclure leur responsabilité, en invoquant la défense de diligence raisonnable.

106 La seule question à l’égard de laquelle la jurisprudence n’est pas tout à fait fixée concernant ces personnes est jusqu’à quel point elles peuvent se fier sur le personnel comptable embauché par la compagnie, pour affirmer qu’elles se sont montrées diligentes en embauchant les ressources appropriées et qu’elles ne peuvent être tenues responsables des erreurs qui ont pu être commises par ce personnel.

107 En ce qui concerne les administrateurs externes, la Cour d’appel fédérale indique qu’ils peuvent se contenter de suivre la situation avec intérêt, en se fiant sur le personnel en place, tant et aussi longtemps qu’aucun indice ne se manifeste à eux, à l’effet que la compagnie est en difficulté ou qu’il existe des problèmes à l’égard de ses remises gouvernementales.

108 Dès le moment où survient une telle manifestation, ces administrateurs externes se trouvent dans la même situation que les administrateurs internes, en ce sens qu’il faut s’attendre, pour pouvoir prétendre qu’ils ont agi avec diligence,

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qu’ils posent, à partir de ce moment, des gestes positifs pour remettre la situation en ordre.

iii) Prise de possession ou de contrôle par un tiers 109 Le sujet qui revient le plus souvent en matière de

défense de diligence est la prise de contrôle par un tiers, généralement l’institution financière qui finance les activités de la compagnie ou encore son représentant.

110 L’intervention d’une institution financière peut se faire en pratique de diverses manières :

♦ en situation de marge de crédit, l’institution bancaire peut tout simplement refuser, de manière plus ou moins imprévue, d’honorer le chèque de remises gouvernementales de la compagnie;

♦ l’institution financière peut envoyer à la compagnie un « surveillant », qui supervise les activités de la compagnie et décide quels chèques sont autorisés ou non (souvent, un tel surveillant autorise principa-lement le paiement des fournisseurs et des salaires, pour permettre la continuation des activités, et se montre récalcitrant à autoriser les remises gouver-nementales);

♦ finalement, en vertu des contrats de financement en place, l’institution financière peut tout simplement envoyer un tiers prendre possession et assumer les activités de la compagnie.

111 En examinant de telles situations, il faut tenir compte de divers facteurs.

112 En premier lieu, les lois fiscales imposent l’obligation de conserver les remises gouvernementales dans un compte distinct, une prescription qui, en pratique, est suivie par peu de mandataires. Du point de vue des autorités fiscales, ne pourraient-elles donc pas prétendre que l’administrateur est bien mal placé pour invoquer qu’il a fait diligence, dans la mesure où il a ignoré l’obligation légale de base de tenir les fonds dans un compte distinct ?

113 Heureusement pour les contribuables, ce seul manque-ment ne semble pas avoir été suffisant pour faire en sorte que les tribunaux excluent dès le départ la défense de diligence raisonnable.

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114 Dans la décision Soper, la Cour d’appel fédérale a d’ailleurs reconnu qu’il y avait connaissance judiciaire du fait que, en pratique, peu d’entreprises respectaient cette obligation.

115 Évidemment, toujours en se souvenant des mots « pour prévenir le manquement », les facteurs de base qui seront examinés incluront notamment :

♦ la présence d’un système comptable adéquat et le respect par la compagnie de ses obligations concer-nant le versement des remises gouvernementales dans le passé;

♦ le degré exact de contrôle que le créancier ou son mandataire exerce sur les affaires de la compagnie et, par ricochet, le degré auquel les administrateurs sont « dépossédés » de leurs pouvoirs;

♦ le caractère soudain et imprévu de l’intervention du créancier ou de son mandataire et, dans le même esprit, possiblement les engagements et les promesses que le créancier ou son mandataire ont pu faire à la compagnie et à ses administrateurs;

♦ le degré de contrôle que les administrateurs de la compagnie pouvaient exercer sur la décision de mettre fin aux affaires de la compagnie, plutôt que de les poursuivre sans espoir véritable sous la supervision du créancier ou de son mandataire (à ce titre, il ne faut pas ignorer que l’un des motifs pour lesquels la décision de continuer est souvent prise malgré des circonstances en apparence désespérées est que l’actionnaire / administrateur est souvent responsable personnellement des obligations de la compagnie envers l’institution financière).

116 À cet égard, le paragraphe 12 de la Circulaire d’information IC 89-2R publiée par l’ARC contient les recommandations des autorités fiscales fédérales aux administrateurs, à l’égard de la diligence à exercer :

117 12. Les administrateurs ne sont pas responsables s'ils font preuve de diligence raisonnable, c'est-à-dire la diligence qu'une personne raisonnablement prudente exercerait dans des circonstances semblables pour

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s'assurer que la société déduise, retienne, perçoive, verse ou paie les sommes dues. Le Ministère s'attend à ce qu'un administrateur prenne les mesures positi-ves suivantes :

118 a) maintenir un compte pour les sommes déduites des employés et le versement des retenues à la source, de même que pour le versement des sommes nettes de TPS,

119 b) demander aux agents financiers de la société de présenter des rapports réguliers sur le statut du compte,

120 c) obtenir régulièrement la confirmation que les retenues et les versements ont été faits durant toutes les périodes pertinentes.

121 En effet, dans un contexte d’insolvabilité, il n’est pas rare qu’une compagnie qui se dirige vers une faillite ne prendra pas la peine de s’engager dans une contestation fiscale coû-teuse, même si elle dispose par ailleurs de certains arguments pour contester tout au moins en partie la réclamation des autorités fiscales.

iv) Revue de jurisprudence 122 La meilleure manière de se faire une idée de l’attitude

des tribunaux à l’égard de la défense de diligence est d’examiner rapidement quelques décisions récentes rendues par la Cour d’appel fédérale en cette matière.

123 En premier lieu, la décision Smith c. La Reine25 contient une bonne synthèse de la jurisprudence de la question de diligence raisonnable.

124 La Cour d’appel fédérale souligne dans cette décision qu’il faut donner beaucoup d’importance à la décision prise de continuer ou non les affaires de la compagnie. En effet, la Cour d’appel fédérale mentionne que le but même de la disposition visant la responsabilité des administrateurs est d’empêcher une compagnie de poursuivre ses affaires, en se finançant sur le dos des autorités fiscales pour payer d’autres créanciers.

125 La Cour d’appel fédérale souligne toutefois qu’il s’agit d’une obligation de moyens et non une obligation de résultat.

25 , [2001] DTC 5226.

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126 Dans cette cause, monsieur Smith, qui était plutôt administrateur externe, avait consulté un professionnel pour délimiter ses obligations comme administrateur et, sur la recommandation de ce professionnel, avait forcé la discussion des problèmes des remises gouvernementales au conseil d’administration, en insistant même pour l’adoption d’une résolution contenant un engagement de garder les remises gouvernementales à jour.

127 Monsieur Smith a ensuite été trompé par les autres administrateurs, qui lui laissaient entendre que cette résolution avait été respectée.

128 Dans ces circonstances, il a été exonéré. 129 Dans l’affaire R. c. McKinnon, Lapointe & Worrell26, il

s’agissait de la prise de contrôle partielle par une institution financière, par l’envoi d’un simple « surveillant », qui décidait des chèques qui étaient autorisés ou non.

130 Dans une situation financière difficile, la Cour d’appel fédérale a indiqué qu’un administrateur doit prouver trois éléments :

♦ qu’il y a eu véritable prise de contrôle par le créancier;

♦ que la décision de poursuivre les affaires de la compagnie était raisonnable;

♦ que, malgré les circonstances difficiles, il avait pris des démarches pour prévenir le manquement pendant que la compagnie traversait cette phase.

131 Dans ce dossier, un redresseur d’entreprise reconnu avait été consulté et avait émis la recommandation favorable que la compagnie allait s’en sortir.

132 À un moment donné, le surveillant envoyé par l’institu-tion financière a décidé qu’il n’autoriserait pas le paiement des remises gouvernementales. Malgré cette décision, et malgré qu’ils savaient que le chèque serait probablement bloqué par l’institution financière, les administrateurs ont tout de même envoyé le chèque aux autorités gouvernementales, pour démontrer leur diligence et leur bonne foi.

26 [2000] DTC 6593.

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133 Dans ces circonstances, les administrateurs ont été exonérés de leur responsabilité par la Cour d’appel fédérale.

134 Il est intéressant de comparer cette décision à celle rendue par la même Cour dans l’affaire Veilleux c. La Reine27, où il y a également eu prise de contrôle partiel par un tiers.

135 En effet, dans cette cause, la prise de contrôle était également partielle et, à un moment donné, monsieur Veilleux était convaincu que l’institution financière refuserait d’honorer le chèque de remises gouvernementales, de telle sorte qu’il a pris lui-même la décision de ne pas perdre son temps en envoyant le chèque.

136 Cette décision lui a coûté beaucoup puisque, compara-tivement aux administrateurs dans l’affaire McKinnon, Lapointe & Worrell, il a été trouvé responsable des remises gouverne-mentales.

137 Deux décisions également rendues à la même époque, à savoir les décisions rendues dans les affaires Hanson c. La Reine28 et Stein c. La Reine29 ont reconnu la responsabilité de deux administrateurs qui ont tenté de s’en sortir en invoquant qu’ils avaient joué un rôle strictement passif, ce qui n’est pas une bonne idée!

138 Finalement, la décision dans Cameron c. La Reine30 s’apparente à celle de Smith. En effet, dans cette affaire, il s’agissait d’un administrateur externe, soit l’avocat de la compagnie, qui était devenu administrateur pour se charger du premier appel public à l’épargne de la compagnie. Quand il a constaté que des problèmes semblaient exister au niveau des remises gouvernementales, il a posé des questions pointues au conseil d’administration, il a exigé l’embauche d’un nouveau comptable et la mise de côté d’un montant de 225 000 $ à même le produit de l’émission publique, pour assurer que les remises gouvernementales seraient effectuées.

139 Ensuite, monsieur Cameron a été victime des fausses représentations des autres administrateurs et les mesures prises n’ont pas été respectées, à son insu. 27 [2001] DTC 5278. 28 [2000] DTC 6564. 29 CAF : A-579-99. 30 [2001] DTC 5405.

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140 Dans ces circonstances, il a été exonéré de sa responsabilité.

v) Régime patriarcal 141 Même si la règle de base est que l’acceptation d’un

poste d’administrateur emporte l’acceptation des responsabi-lités associées à ce poste et le devoir d’agir plutôt que de rester passif, il y a quelques exceptions dans la jurisprudence en matière familiale que nous souhaiterions porter à votre attention.

142 En effet, dans certaines familles, il arrive que le père ait une influence telle et inspire une telle crainte ou un tel respect au reste de la famille, qu’en pratique, les autres membres de la famille sont dépourvus de tout pouvoir, même s’ils acceptent en apparence des responsabilités, comme celle d’agir à titre d’administrateur.

143 Les tribunaux ont accepté d’exonérer les membres d’une famille « plus faibles » dans les causes suivantes : Fitzgerald c. La Reine31 et Taillefer c. La Reine32.

vi) Questionnaire 144 En pratique, c’est souvent avec le MRQ que nous

devons transiger en matière de responsabilité des adminis-trateurs puisque, en plus de s’occuper des retenues à la source provinciales, le MRQ s’occupe de la TPS et de la TVQ.

145 Dans la plupart des dossiers, le MRQ commence son intervention en envoyant à l’administrateur un questionnaire, dont vous trouverez un exemplaire de la version la plus récente à l’Annexe 1.

146 Au moment de remplir le questionnaire, il est évidem-ment bon d’avoir à l’esprit les principes dégagés par la juris-prudence en matière de diligence raisonnable. Notamment, à la lumière du texte qui précède, il n’est pas opportun pour un administrateur de tenter d’exclure sa responsabilité, comme plusieurs le font malheureusement, en répondant à ce ques-tionnaire en invoquant qu’il ne peut être tenu responsable parce qu’il a fait le choix de ne pas s’impliquer dans les affaires

31 92 DTC 1219. 32 95 DTC 462.

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de la compagnie et qu’il n’était donc pas au courant du manquement.

C. Responsabilité à l’égard des distributions de biens 147 Vous savez tous que les lois fiscales contiennent des

dispositions prévoyant que les personnes chargées d’adminis-trer des biens pour autrui doivent obtenir un certificat de décharge, avant de procéder à la distribution de ces biens.

148 Le meilleur exemple est le liquidateur d’une succession qui, s’il veut éviter sa responsabilité personnelle pour les dettes d’une personne décédée, doit obtenir ce certificat.

149 Les dispositions pertinentes sont l’article 159 LIR au fédéral et l’article 14 de la LMR au Québec.

150 Le problème résulte du fait que, au Québec, plusieurs amendements ont été apportés à l’article 14 LMR au fil des ans, pour exprimer aujourd’hui de manière extrêmement claire que cette disposition est applicable aux administrateurs d’une compagnie. Il est à noter que le texte des dispositions fédéra-les n’exclut également pas la responsabilité de l’administrateur d’une compagnie mais que, en pratique, cette disposition est très rarement utilisée par les autorités fiscales à cet égard.

151 C’est pourquoi les commentaires qui suivent porteront sur la disposition provinciale.

152 Avant de parler de la responsabilité des administra-teurs, il faut examiner le fonctionnement de l’article 14 LMR, qui est le suivant :

♦ la personne qui a la garde des biens d’autrui et qui souhaite procéder à une « distribution » doit d’abord demander aux autorités fiscales d’émettre un certificat, énonçant le montant des dettes fiscales de l’autre personne en ce moment et pour les 12 prochains mois;

♦ si le certificat est émis, la personne doit payer les dettes fiscales en question avant de procéder à la distribution;

♦ si le certificat indique qu’aucune dette fiscale n’existe ou encore si les dettes fiscales indiquées dans le certificat sont payées, la distribution peut avoir lieu;

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♦ finalement, si la distribution a lieu sans certificat, l’administrateur ou le liquidateur est responsable des dettes fiscales de la personne concernée qui auraient dû être visées par le certificat, jusqu’à concurrence de la « valeur des biens distribués ».

153 En appliquant ces principes généraux en matière corporative, il en résulte donc que, lorsqu’une compagnie fait une « distribution », l’administrateur doit demander le certificat au MRQ, à défaut de quoi il peut être tenu responsable de ces dettes fiscales corporatives au moment de la distribution et pour les 12 mois suivant la distribution, jusqu’à concurrence de la « valeur des biens distribués ».

154 Le principal problème d’interprétation qui a entouré cette disposition est l’interprétation à donner au mot « distribution », et ce, à deux égards.

155 En premier lieu, au sens très large, le mot « distribution » pourrait inclure n’importe quel dividende versé par une compagnie, ce qui serait assez incroyable, quand on pense aux délais de traitement par les autorités fiscales des demandes de certificat.

156 En d’autres mots, si cette disposition était applicable aux dividendes, il faudrait comprendre qu’une compagnie ne peut payer un dividende, à moins d’avoir obtenu au préalable un certificat du MRQ.

157 Même le MRQ reconnaît que ce n’est pas là le type de « distribution » qui est visé. Les « distributions » visées par l’article 14 LMR sont plutôt les dispositions à caractère final, par lesquelles la compagnie se départit de la totalité des actifs qui lui restent.

158 On entend donc « distribution » dans le sens d’une « distribution » au moment de la « liquidation » des affaires de la compagnie.

159 Il ne semble donc pas y avoir de conflit d’interprétation entre le MRQ et les contribuables à cet égard.

160 La deuxième difficulté concerne le bénéficiaire de la « distribution ».

161 Par exemple, dans le cas d’une succession, lorsqu’on parle d’une « distribution », on parle bien entendu d’une

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distribution aux héritiers et légataires qui sont les bénéficiaires de cette succession.

162 De même, lorsqu’on parle d’une fiducie, on parle sans aucun doute d’une « distribution » aux bénéficiaires de la fiducie.

163 Dans ce même esprit, au niveau d’une compagnie, les contribuables comprenaient dans le passé que la « distribu-tion » visée était la distribution par la compagnie de ses biens aux bénéficiaires ultimes de la compagnie, à savoir ses actionnaires.

164 Dans ce contexte, avant d’avantager les actionnaires, il était normal que le MRQ se protège en s’assurant que les dettes fiscales soient payées au préalable.

165 La surprise est venue du fait que le MRQ a interprété d’une manière beaucoup plus large le sens du mot « distri-bution », toujours en acceptant par ailleurs qu’il s’agissait d’une distribution à caractère final, par exemple dans le cas d’une liquidation.

166 L’interprétation proposée par le MRQ est qu’une « distribution » intervient dès lors qu’une compagnie dispose de l’ensemble de ses actifs de quelque manière que ce soit et se départit du produit de disposition de quelque manière que ce soit, par exemple en payant certains créanciers.

167 Ainsi, par exemple, si la compagnie a des inventaires et des équipements d’une valeur de 500 000 $ et que ces équipements et inventaires sont donnés en garantie à la banque et que la compagnie décide de disposer de ces actifs, de mettre fin à ses activités et de remettre le produit de la vente à la banque qui est le créancier garanti, le MRQ considère qu’une distribution a eu lieu.

168 Dans la mesure où un certificat n’a pas été demandé, ce qui est généralement la pratique en cette matière, le MRQ considère donc que l’administrateur a encouru sa responsa-bilité pour l’ensemble des dettes fiscales de la compagnie qui existaient au moment de la distribution et pour les 12 prochains mois, jusqu’à concurrence de la « valeur des biens distribués », comme le prescrit l’article 14 LMR.

169 Dans un cas semblable, même si l’administrateur ou l’actionnaire n’aurait reçu aucun bénéfice, les administrateurs

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Responsabilité des administrateurs et des tiers… 235

auraient donc encouru leur responsabilité pour les dettes fiscales de la compagnie jusqu’à concurrence de 500 000 $ !

170 Malheureusement pour les contribuables, l’interpréta-tion proposée par le MRQ a été retenue par les tribunaux supérieurs, dans deux décisions rendues au début de 1997 par la Cour d’appel du Québec, dans les affaires L’Écuyer c. SMRQ33 et SMRQ c. Morganti34.

171 La décision Morganti va d’ailleurs très loin, puisque la banque détenait un nantissement commercial sur les biens de la compagnie et qu’elle avait déjà saisi les biens. Dans cette affaire, plutôt que de laisser la vente en justice procéder, la compagnie a simplement offert à la banque de l’aider à dispo-ser des biens, puisqu’elle pensait être en mesure de réaliser un produit de vente supérieur à celui qui aurait été réalisé dans le cadre d’une vente en justice.

172 Malgré ces circonstances, la Cour d’appel a conclu qu’il s’agissait d’une distribution et que l’administrateur était devenu responsable jusqu’à concurrence de la valeur des biens concernés.

173 En pratique, il est permis de penser que ces décisions pourraient avoir un impact assez large.

174 Pensons notamment au fait que les contribuables ont souvent la pratique d’incorporer une compagnie lorsqu’ils acquièrent un bien immobilier important.

175 Dans la mesure où le bien immobilier concerné est le seul bien de la compagnie, il est permis de penser que le MRQ considérera qu’il y a « distribution » lorsque ce bien est vendu.

176 Dans la question 6.6 posée à la Table ronde provinciale du Congrès 1997 de l’Association de Planification Fiscale et Financière (« APFF »), le scénario suivant avait été envisagé :

♦ une compagnie détient un immeuble d’une valeur de 1 million de dollars;

♦ la première hypothèque est de 900 000 $;

33 [1997] RDFQ 110 (CA). 34 [1997] RJQ 348.

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♦ des sommes considérables sont dues aux deux autorités fiscales, par exemple 1 million au MRQ et 1 million à l’ARC;

♦ la compagnie désire mettre fin à ses activités et vendre l’immeuble;

♦ la compagnie vend l’immeuble pour 1 million de dollars;

♦ le premier créancier hypothécaire empoche le premier 900 000 $ et la compagnie remet 50 000 $ chacun au MRQ et à l’ARC.

177 Dans ce contexte, sur la base des décisions L’Écuyer et Morganti, il a été demandé au MRQ de préciser quel était le montant de la responsabilité de l’administrateur en vertu de l’article 14 LMR.

178 Dans sa réponse, le MRQ indique que l’administrateur aurait pu être tenu responsable pour le plein montant de la dette fiscale de la compagnie, jusqu’à concurrence de 950 000 $, puisque la valeur du bien distribué était de 1 million de dollars et que la compagnie n’a remis que 50 000 $ au MRQ.

179 Cependant, le MRQ annonçait un assouplissement administratif, en indiquant qu’il ne réclamerait pas à l’adminis-trateur, en pratique, un montant supérieur à ce que le MRQ aurait pu récupérer, en fonction de l’équité véritable de la compagnie dans le bien, en tenant compte des priorités de rang auxquels le MRQ est assujetti.

180 Dans cet exemple, comme l’équité était de 100 000 $, le MRQ indique que le montant maximum que le MRQ aurait pu obtenir était de 100 000 $. Le MRQ indique donc que l’administrateur pourrait se faire réclamer 50 000 $, puisque la compagnie n’a remis que 50 000 $ au MRQ. Le MRQ ne tient donc même pas compte, dans cette analyse, du fait que l’autre 50 000 $ a été versé au fédéral.

181 Également, s’il s’était agi de biens mobiliers plutôt que d’un bien immobilier, il faut aussi se souvenir qu’en vertu de l’article 2651(4e) du Code civil du Québec, le MRQ a une priorité sur les biens mobiliers qui prend rang avant les hypothèques conventionnelles.

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182 Par conséquent, dans un tel cas, le MRQ n’aurait pas tenu compte de l’équité et aurait fait une réclamation à l’administrateur sur la pleine valeur des biens distribués.

183 Les administrateurs et les tiers professionnels qui les entourent doivent donc redoubler de prudence, lorsqu’arrive le temps de mettre fin aux activités d’une compagnie. En premier lieu, il est généralement assez facile pour le MRQ de faire la preuve que des biens ont été « distribués ». En effet, dans la mesure où, en tentant de recouvrer une dette corporative, le MRQ constate que la compagnie n’a plus aucun bien, il est facile au MRQ de poser des questions sur ce qui est advenu des biens concernés, en s’appuyant sur le bilan de la compa-gnie pour une année antérieure (qui devait en principe être produit au MRQ avec la déclaration fiscale de la compagnie), qui indiquait les biens dont elle était propriétaire.

184 Quant aux professionnels impliqués, comme par exem-ple les avocats et leurs comptes en fidéicommis, ils doivent être prudents si des sommes ont transité dans leur compte lors de la distribution, pour ne pas être considérés avoir été impliqués dans cette distribution et faire l’objet d’une récla-mation potentielle par le MRQ.

D. Imputation des paiements 185 Un autre aspect avec lequel il faut être vigilant est la

question de l’imputation des paiements. 186 Prenons l’exemple d’une compagnie qui est au bord du

gouffre, qui doit 100 000 $ de DAS et 100 000 $ de taxe sur le capital et qui dispose d’une somme de 40 000 $ pour effectuer un dernier paiement.

187 Dans un tel cas, n’est-il pas dans l’intérêt de l’adminis-trateur, qui contrôle cette décision, de demander, au nom de la compagnie, comme tout débiteur a le droit de le faire en vertu du Code civil, que le paiement soit imputé aux DAS et non à la taxe sur le capital, ce qui réduira d’autant sa responsabilité personnelle ?

188 À défaut de procéder ainsi, les paiements seront imputés selon les dispositions du Code civil, ce qui pourrait être dans l’intérêt de l’administrateur ou non, selon les circonstances.

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189 Une autre question intéressante à cet égard concerne les paiements forcés, c’est-à-dire les paiements qui résultent de saisies ou d’interventions du genre.

190 Même si cela n’est pas prévu spécifiquement dans le Code civil, une compagnie qui fait l’objet d’une telle intervention ne pourrait-elle pas écrire aux autorités fiscales et demander que les paiements reçus en vertu de telle procédure soient imputés à telle dette plutôt qu’à telle autre ? Cette question demeure ouverte, mais cela vaut sans doute la peine de tout au moins essayer ! 1. Prescription concernant le recours en vertu de

l’article 14 LMR 191 Auparavant, il n’y avait aucune prescription de quelque

nature que ce soit concernant ce recours et, en théorie, le MRQ pouvait le commencer à tout moment.

192 En 2002, le législateur québécois a adopté le nouvel article 14.0.0.1, qui spécifie qu’il y a dorénavant une prescrip-tion qui est de quatre ans suivant le jour de la distribution de biens sauf que, comme cela est le cas en matière d’imposition normale, il est prévu que cette prescription ne sera pas applicable si le contribuable a fait une fausse représentation des faits par omission volontaire, a commis une fraude ou a transmis au MRQ une renonciation à la prescription.

E. Droit de l’administrateur de contester le bien-fondé de la cotisation de la compagnie

193 En plus des moyens de défense spécifiques à l’admi-nistrateur (prescription de deux ans, diligence raisonnable, absence de « distribution », etc.), il est permis de se demander si l’administrateur cotisé pour les dettes fiscales d’une compa-gnie peut aussi soulever les moyens de contestation que cette compagnie aurait elle-même pu soulever à l’encontre des cotisations émises contre elle, même si la compagnie n’a pas contesté la réclamation du fisc et même si les délais de contestation sont expirés au niveau corporatif.

194 En pratique, dans un contexte d’insolvabilité, il n’est pas rare qu’une compagnie qui se dirige vers une faillite ne prendra pas la peine de s’engager dans une contestation fiscale coûteuse, même si elle dispose par ailleurs de certains arguments pour contester tout au moins en partie la

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réclamation des autorités fiscales. Les administrateurs doivent-ils être pénalisés en raison du fait que la compagnie ne s’est pas engagée dans la voie de la contestation ?

195 En 2000, la Cour d’appel fédérale a rendu une décision favorable au contribuable, dans un dossier où la disposition en cause était l’article 160 LIR, une autre disposition par laquelle le fisc peut s’adresser à un contribuable pour récupérer des dettes fiscales d’un autre contribuable35. En principe, le même raisonnement devrait s’appliquer à l’administrateur d’une compagnie et c’est ce qu’a conclu le juge en chef-adjoint Bowman, de la Cour canadienne de l’impôt, dans l’affaire Elias c. La Reine36 :

196 [11] It is of course open to the appellant to challenge the assessments of Gold Corp, in light of Gaucher v. R., [2001] 1 C.T.C. 125, and that is what he has done.

197 Au moins deux autres décisions du juge en chef-adjoint Bowman sont au même effet37. Les juges Archambault38 et Lamarre39, également de la Cour canadienne de l’impôt, partagent l’opinion du juge Bowman.

198 Le juge Archambault va même plus loin, dans l’affaire Simon c. La Reine40 dans laquelle il rappelle que les dossiers d’une compagnie n’appartiennent pas à ses administrateurs et que non seulement les administrateurs ont le droit de s’attaquer à la réclamation de la compagnie, mais en plus le fisc est tenu à un certain fardeau de preuve d’établir devant le tribunal le montant de la dette fiscale de la compagnie, lorsqu’un administrateur est cotisé.

199 Cependant, il faut signaler que le juge en chef Garon a exprimé l’opinion contraire dans Schuster c. La Reine41. Cette opinion a été exprimée en juillet 2001, peu après la décision de la Cour d’appel fédérale dans Gaucher.

35 Gaucher c. La Reine, [2000] DTC 6678. Voir aussi section O du Chapitre II. 36 [2002] DTC 1293. 37 Lau c. La Reine, [2003] GTC 525 et Wiens c. La Reine, [2003] GTC 899-38. 38 Bourque c. La Reine, [2004] DTC 2944. 39 Parisien c. La Reine, [2004] DTC 229. 40 [2002] DTC 1795. 41 [2001] GTC 510.

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200 À ce jour, seul le juge Tardif semble s’être rangé derrière l’opinion du juge Garon, dans Maillé c. La Reine42.

201 Toutefois, dans l’affaire Maillé, le contribuable se représentait seul et il ne semble pas que les décisions à l’effet contraire, rendues de manière plus récentes par les juges Bowman et Archambault, aient été portées à l’attention du juge Tardif par le procureur qui représentait le MRQ dans l’affaire Maillé et il est donc permis de se demander si sa décision aurait été différente, s’il avait eu la possibilité de consulter ces décisions.

F. Responsabilité pénale de l’administrateur 202 En plus des règles contenues dans le Code criminel

relativement à l’aide pour commettre une infraction, au complot ou à la conspiration, les lois fiscales contiennent des règles spécifiques pour rendre les administrateurs responsables des infractions aux lois fiscales commises par les compagnies.

203 Au fédéral, la disposition applicable est l’article 242 LIR, qui prévoit que les dirigeants ou administrateurs qui ont ordonné, autorisé, consenti ou participé à une infraction sont considérés comme des coauteurs de cette infraction et encourent la peine prévue, peu importe que la compagnie ait été ou non poursuivie ou déclarée coupable.

204 La disposition similaire au Québec est l’article 68 LMR (voir aussi l’article 68.0.1 LMR concernant l’aide à la perpétration d’une infraction).

205 En terminant, puisqu’il a été question dans le présent texte du défaut d’une compagnie d’effectuer au gouvernement la remise des sommes que la compagnie a perçues à titre de mandataire du gouvernement, je souhaiterais porter à votre attention une disposition adoptée au cours des dernières années par le législateur québécois, afin de créer une infraction pénale à cet égard, lorsqu’une compagnie décide sciemment de ne pas remettre les taxes ou déductions qu’elle a perçues, en ne produisant pas les déclarations requises.

206 En effet, le MRQ avait toujours considéré ce compor-tement comme justifiant une intervention de nature pénale,

42 [2003] GTC 820.

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mais le MRQ n’avait pas connu le succès devant les tribunaux à l’égard de cette approche.

207 Je vous réfère notamment aux affaires Béton St-Pierre c. SMRQ43, Létourneau c. SMRQ44 et Services Acier inoxydable Couture c. SMRQ45.

208 Je vous souligne toutefois que le paragraphe 62d) LMR a fait l’objet de modifications suite à ces décisions et qu’il reste à déterminer si la version actuelle pourrait être utilisée à cette fin.

209 Pour le moment, de manière générale, les tribunaux ont refusé de donner une interprétation littérale à la disposition qui prévoit que le contribuable commet une infraction s’il élude « le paiement, la remise ou le versement d’un droit établi » en vertu des lois fiscales.

210 Selon les tribunaux, puisque cette disposition est continue dans l’article qui porte sur l’évasion fiscale, il doit y avoir non seulement absence de paiement, mais présence d’un stratagème ou d’artifices visant à éluder l’impôt, pour que l’article 62 LMR dans son ensemble puisse être applicable.

211 C’est pour remédier à cette difficulté rencontrée devant les tribunaux que le législateur québécois a adopté en 2001 l’article 62.0.1 LMR.

212 Cet article vient maintenant prévoir spécifiquement qu’un contribuable qui omet à la fois « de payer, de déduire, de retenir, de percevoir, de remettre ou de verser un droit établi en vertu d’une loi fiscale » ET « de faire une déclaration ou un rapport en la manière et à l’époque prescrite par une loi fiscale » commet une infraction et s’expose à une amende de base d’un montant minimum de 1000 $ et d’un montant maximum de 25 000 $.

213 De plus, et c’est là l’aspect le plus important, l’article 63 LMR a été amendé à la même occasion pour inclure l’article 62.0.1 LMR à la liste des infractions visées par l’article 63 LMR, à l’égard desquelles le contribuable encourt donc l’amende

43 [1998] RDFQ 13. 44 [1998] RDFQ 55. 45 [1999] RDFQ 21.

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additionnelle équivalente à un minimum de 125 % et à un maximum de 200 % des droits en cause.

214 Finalement, une disposition spécifique a été prévue au paragraphe 62.0.1b) pour rendre coupables de l’infraction les personnes qui conspirent avec le contribuable ou le mandataire en cause. Il est permis de se demander si les personnes visées à cet égard ne sont justement pas les professionnels qui ont à conseiller les contribuables et mandataires qui traversent des périodes économiques difficiles.

II.– RESPONSABILITÉ DES TIERS

A. Introduction 215 Les règles regroupées sous la rubrique « Responsa-

bilité des tiers » sont les règles en vertu desquelles les autorités fiscales peuvent tenter de récupérer entre les mains d’un autre contribuable les dettes fiscales d’un contribuable donné.

B. Dispositions pertinentes 216 Ces règles sont comprises à l’article 160 LIR, à l’article

325 de la Loi sur la taxe d’accise46 (« LTA ») et aux articles 14.4 et suivants LMR.

C. Limite de temps pour cotiser 217 Au fédéral, il n’y a pas de limite de prescription de

spécifiquement prévue dans la loi, les dispositions se contentant de dire que l’ARC peut cotiser en tout temps.

218 Au Québec, il y a une nouvelle prescription depuis 2002, prévue au paragraphe 14.5 LMR, qui prévoit que le MRQ peut cotiser dans les quatre ans suivant le jour où il a eu connaissance d’un transfert de biens.

219 La date à laquelle le MRQ a eu connaissance d’un transfert de biens pourrait toutefois être difficile à établir, à moins qu’il s’agisse d’un transfert que l’auteur du transfert a déclaré dans sa déclaration fiscale (en déclarant le gain ou la perte en capital résultant du transfert) ou encore un transfert

46 L.R. 1985, ch. E-15.

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qui devait faire l’objet d’une dénonciation spéciale en matière de TPS et TVQ, comme par exemple le transfert d’une entreprise.

D. But des dispositions 220 Le but de ces dispositions est d’éviter qu’un contribua-

ble qui a une dette fiscale transfère ses biens pour moins que leur valeur marchande à son entourage, pour ensuite déclarer faillite ou encore éviter de payer ses dettes fiscales, en indiquant aux autorités fiscales qu’il est devenu insolvable ou qu’il n’a pas de biens.

E. Cohabitation avec les règles de droit civil et de faillite

221 Les règles spéciales contenues dans les lois fiscales cohabitent avec d’autres règles qui existent dans le domaine légal pour empêcher ce genre de transactions, incluant les transactions révisables en matière de faillite et l’action en inopposabilité dans le Code civil du Québec.

222 D’ailleurs, il appert de la jurisprudence actuelle, comme nous le verrons plus loin, que tous ces recours pourraient être cumulés pour le bénéfice des créanciers.

F. Conditions d’application 223 En général, pour que l’article 160 s’applique, les

conditions suivantes doivent être présentes : ♦ l’auteur du transfert doit avoir une dette fiscale.

Dans le passé, une question se posait à savoir si la dette fiscale prend naissance au moment où le contribuable reçoit un avis de cotisation ou plutôt au fur et à mesure que l’année s’écoule et que le contribuable gagne des revenus et encourt des obligations fiscales. Même si la jurisprudence pré-pondérante reconnaissait la deuxième hypothèse, les lois ont été amendées au début des années 1980 pour dissiper toute équivoque. Aujourd’hui, l’article 160 et les autres dispositions semblables traitent des montants que l’auteur du transfert doit payer durant l’année d’imposition du transfert ou pour cette année d’imposition ou toute année antérieure. En d’autres mots, si un transfert survient

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en 2005, le bénéficiaire du transfert pourrait devenir responsable des dettes fiscales de l’auteur du transfert pour l’année 2005 et pour toute année antérieure, peu importe le moment durant l’année 2005 où le transfert a été fait et peu importe le moment auquel ces dettes fiscales pourront être cotisées dans l’avenir ;

♦ le bénéficiaire du transfert doit être le conjoint du contribuable, toute personne âgée de moins de 18 ans (et pas seulement les enfants du contribuable) ou toute autre personne avec laquelle l’auteur du transfert a un lien de dépendance (il ne faut pas oublier que les lois fiscales prévoient la notion de lien de dépendance de droit, mais également la notion de lien de dépendance de fait) ;

♦ la contrepartie convenue lors du transfert doit être inférieure à la juste valeur marchande du bien (il faut noter qu’il est question de la contrepartie convenue au moment du transfert et non de la contrepartie payée au moment du transfert, puisqu’il est tout à fait possible qu’il existe un solde de prix de vente. Toutefois, dans la mesure où l’auteur du transfert ne payerait pas ses dettes fiscales, un tel solde de prix de vente pourrait facilement faire l’objet d’une saisie en mains tierces).

G. Exemple 224 L’exemple simple qui suit permet d’illustrer l’application

de l’article 160 : ♦ un mari et son épouse sont copropriétaires indivis

d’un immeuble d’une valeur de 500 000 $, avec un solde hypothécaire de 200 000 $, de telle sorte que leur équité totale s’élève à 300 000$ ;

♦ le mari a des obligations fiscales importantes, puisqu’il doit 500 000$ au MRQ et 500 000$ à l’ARC ;

♦ le mari transfère son intérêt indivis dans la propriété à son épouse, en contrepartie de l’assumation par l’épouse de son intérêt indivis dans l’hypothèque ;

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♦ suite à ce transfert, l’épouse a été « avantagée » d’un montant de 150 000 $ représentant l’équité du mari et c’est là le montant maximum de sa respon-sabilité en vertu de l’article 160, l’autre montant à considérer étant le montant des obligations fiscales du mari qui, dans cet exemple, est plus élevé, de telle sorte que c’est la limite de 150 000 $ qui s’applique.

H. Possibilité de double imposition 225 L’un des problèmes relativement à l’article 160 est que,

à part dans la LTA, il n’y a pas de disposition permettant de faire le lien entre les montants que le bénéficiaire d’un transfert peut être appelé à payer en vertu de plusieurs lois fiscales et la valeur de l’avantage total que ce contribuable a reçu.

226 Ainsi, dans notre exemple, même si elle n’a reçu qu’un avantage de 150 000 $, l’épouse pourrait théoriquement recevoir une cotisation de 150 000 $ en vertu de la LIR et une autre cotisation de 150 000 $ en vertu de la LMR, ce qui entraînerait une double imposition accablante.

I. Responsabilité personnelle vs. droit de suite sur le bien

227 Il faut aussi noter que le recours des autorités fiscales en vertu de l’article 160 et des autres dispositions n’est pas un droit de suite sur le bien, qui permettrait simplement d’attaquer le transfert, mais plutôt un recours dans lequel le bénéficiaire du transfert encourt sa responsabilité personnelle.

228 Par conséquent, lorsque ces dispositions sont applica-bles, les autorités fiscales ont droit d’émettre au nom du tiers du transfert un avis de cotisation, comme s’il s’agissait de ses propres obligations fiscales, et cet avis de cotisation a alors les mêmes effets qu’un avis de cotisation normal.

J. Pas de sursis de perception au Québec 229 De plus, au Québec, il faut noter que les avis de

cotisation émis en vertu des articles 14.4 et suivants de la LMR ne bénéficient pas du sursis de perception habituellement applicable aux contribuables qui logent un avis d’opposition. Par conséquent, un contribuable cotisé en vertu des articles

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Responsabilité des administrateurs et des tiers… 246

14.4 et suivants de la LMR, fera également face à des mesures de perception immédiate.

K. Notions de « transfert » et de « contrepartie » 230 Les notions de « transfert » et de « contrepartie

convenue au moment du transfert » sont celles qui ont le plus attiré l’attention des tribunaux en cette matière.

231 Dans l’affaire Succession Fasken c. MRN47, il a été déterminé qu’un transfert est une transaction par laquelle l’auteur se départit de quelque chose et le bénéficiaire acquiert quelque chose. Dans Hamel c. MRN48, il a été précisé qu’il doit y avoir appauvrissement de l’auteur du transfert et enrichisse-ment du bénéficiaire du transfert.

232 Ces notions sont assez faciles à appliquer lorsqu’il y a vente pour une contrepartie inférieure à la juste valeur marchande ou encore donation.

233 Par contre, d’autres transactions plus complexes appel-lent une analyse plus approfondie et nous en examinerons ci-dessous quelques-unes. 1. Dépôt dans le compte de banque du bénéficiaire du

transfert 234 En situation d’insolvabilité, il s’agit d’une situation qui

survient fréquemment, surtout dans un couple, compte tenu des saisies de comptes de banque qui peuvent frapper le contribuable insolvable.

235 Prenons l’exemple d’un mari insolvable dont le compte de banque serait saisi et qui ferait des arrangements pour que son salaire soit déposé dans le compte de son épouse.

236 À première vue, le transfert de ce salaire à l’épouse, au moyen du dépôt du salaire dans le compte de banque de l’épouse, constituerait très certainement un transfert de bien en vertu de l’article 160, susceptible d’entraîner la responsabilité de l’épouse.

47 49 DTC 491. 48 [1996] 2 CTC 2046.

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Responsabilité des administrateurs et des tiers… 247

237 Toutefois, selon la jurisprudence, deux arguments pourraient être envisagés par l’épouse pour faire échec à une réclamation en vertu de l’article 160.

238 Le premier argument, qui a connu du succès dans l’affaire Leblanc c. La Reine49, est à l’effet qu’il ne s’agissait pas d’un véritable transfert du droit de propriété sur l’argent, puisque l’épouse n’avait aucune discrétion sur la manière d’utiliser l’argent et devait continuer à débourser cet argent selon les instructions du mari. Dans un tel cas, l’épouse était devenue, en quelque sorte, un prête-nom, qui n’était pas le véritable propriétaire de l’argent.

239 L’autre argument qu’il est possible de soulever, dans la mesure où les sommes ont par la suite été utilisées pour pourvoir aux dépenses du ménage, est à l’effet qu’il y avait transfert mais qu’il y avait également une contrepartie au transfert, puisque l’époux, en effectuant un transfert des fonds, s’acquittait de ses obligations de mariage, en vertu de la législation civile applicable ou en vertu du contrat de mariage.

240 À ce stade-ci, la jurisprudence est très divisée sur cette question. Je vous réfère notamment aux décisions suivantes, dans laquelle la décision a été favorable au contribuable : Machtinger c. La Reine50, Dupuis c. La Reine51, Lavoie c. La Reine52 et Michaud c. La Reine53.

241 Par contre, les causes suivantes en sont arrivées à une conclusion défavorable : Elash c. La Reine54, Goldberg c. La Reine55 et Tétrault c. La Reine56.

242 Il faut toutefois souligner que les décisions fédérales rendues au Québec semblent être plus favorables au contribuable que celles rendues dans les autres provinces,

49 99 DTC 410. 50 2001 DTC 5054. 51 93 DTC 723. 52 98 DTC 1966. 53 99 DTC 43. 54 2003 DTC 1063. 55 2003 DTC 190. 56 2004 DTC 2763.

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probablement en raison des règles matrimoniales applicables au Québec.

243 Il faut aussi noter que la signature d’une entente claire entre les conjoints, au moment où commence une stratégie d’utiliser le compte de banque du conjoint solvable, pourrait permettre d’éviter l’application de l’article 160.

Transfert résultant d’un contrat de mariage antérieur 244 En matière matrimoniale, une question intéressante se

posait également dans l’affaire Siconolfi c. MRN57. En effet, dans cette affaire, le contribuable avait consenti une donation à son épouse dans son contrat de mariage, conclu bien avant qu’il encoure des dettes fiscales. Après que le contribuable ait encouru des dettes fiscales, le contribuable a effectué le paiement à son épouse de la donation qui avait été convenue dans le contrat de mariage.

245 Il fallait donc déterminer la « date du transfert », puisque l’épouse ne pouvait devenir responsable des dettes de l’époux en vertu de l’article 160 si la date du transfert était la date du contrat de mariage, alors qu’elle devenait clairement responsable des dettes de l’époux, si la date du transfert était la date du paiement.

246 En vertu des règles applicables en droit civil, l’épouse a obtenu gain de cause. Il a donc été considéré qu’il y avait eu transfert véritable par le seul consentement des volontés, au moment de la signature du contrat de mariage. Par consé-quent, le paiement intervenu plus tard n’était pas un nouveau transfert, mais simplement la réalisation d’un transfert déjà effectif au plan légal, de telle sorte que la contribuable a été exonérée en vertu de l’article 160.

247 Cette décision illustre combien il est important d’être prudent dans de telles circonstances et combien une rédaction simple des documents et un peu de planification peuvent faire échec à l’application potentielle de l’article 160.

248 En comparaison, dans une autre affaire, un contribua-ble endetté envers le fisc a transféré un bien à sa conjointe par acte de donation. Lorsque les contribuables se sont par la suite rendu compte que l’auteur du transfert était déjà endetté envers la bénéficiaire en vertu de leur contrat de mariage et 57 90 DTC 6237.

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qu’il aurait été facile de spécifier que le nouveau transfert n’était en fait que la réalisation de la donation originale, ils ont tenté de corriger la situation rétroactivement, en stipulant que la donation récente n’était en fait que la réalisation de la donation contenue dans le contrat de mariage. L’honorable juge Dussault de la Cour canadienne de l’impôt, dans cette affaire Leclerc c. La Reine58, en est arrivée à la conclusion que cette transaction, faite par acte notarié ne pouvait être modifiée rétroactivement de la sorte pour faire échec à l’application de l’article 160, après l’intervention des autorités fiscales.

249 Dans le même esprit, lorsqu’il devient nécessaire pour un conjoint de déposer son salaire ou d’autres montants dont il dispose dans le compte de banque de son épouse, mais que les conjoints ont convenu qu’il serait disposé de ces sommes selon les instructions de l’auteur du transfert comme si elles avaient été déposées dans son propre compte, la rédaction d’une simple entente à cet effet, dès le point de départ du nouvel arrangement, aurait pu permettre de faire échec à l’application potentielle de l’article 160. 2. Paiement hypothécaire sur des biens appartenant

au tiers

Il s’agit ici du cas, par exemple, où un époux endetté envers les autorités fiscales aurait acquitté le paiement d’hypothèque sur un bien appartenant en totalité ou en partie à sa conjointe.

250 Au niveau du capital, il semble maintenant accepté qu’il s’agit effectivement d’un transfert de bien, auquel l’article 160 pourrait être applicable, puisque l’époux s’appauvrit en effec-tuant le paiement et que la conjointe s’enrichit du fait que son équité dans la propriété augmente au fur et à mesure des versements de capital59.

251 Au niveau des intérêts, il y a encore des tiraillements dans la jurisprudence. En effet, certains prétendent que l’époux peut faire valoir qu’il s’agit encore du paiement de ses obliga-tions matrimoniales ou encore de la considération versée par 58 2001 DTC 714. 59 Voir notamment Medland c. La Reine, 98 DTC 6358.

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lui en contrepartie de l’occupation par lui de la résidence qui appartient à l’épouse, surtout lorsque la résidence appartient à l’épouse au complet. 3. Dation en paiement faite par une personne liée

252 Pour bien comprendre cette situation, prenons l’exemple suivant :

♦ un père a prêté 100 000 $ à son fils et a obtenu une garantie hypothécaire de premier rang sur l’immeu-ble de son fils qui vaut 300 000 $ ;

♦ le fils doit 2 millions de dollars au fisc ; ♦ le fils veut essayer de sauver son immeuble ; ♦ le fils et le père font un arrangement par lequel le fils

fait défaut sur son prêt hypothécaire, le père prend une poursuite hypothécaire contre le fils et le fils le laisse procéder à une dation en paiement ;

♦ même si le fils s’est appauvrit de 200 000 $ et si le père s’est enrichi de 200 000 $, les parties font valoir qu’il n’y a pas eu transfert aux fins de l’article 160, puisqu’il s’agit plutôt d’une ordonnance du tribunal.

253 Cette argumentation n’est pas acceptée et la Cour canadienne de l’impôt a conclu qu’il y avait un transfert donnant lieu à l’application de l’article 160 dans l’affaire Riverin c. La Reine60. 4. Héritage ou renonciation à une succession

254 Il est clair qu’un héritage ou un transfert résultant d’un décès peut donner lieu à l’application de l’article 160 LIR, sans oublier que le Code civil contient également généralement des dispositions prévoyant des responsabilités des héritiers et des légataires pour les dettes de la personne décédée.

255 L’affaire Biderman c. La Reine61 a cependant analysé une situation intéressante.

256 Dans ce dossier, les contribuables avaient bien planifié leurs affaires, puisque les biens étaient tous enregistrés au 60 99 DTC 5356. 61 98 DTC 2188.

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nom de l’épouse, alors que c’est l’époux qui exploitait une entreprise et était à risque.

257 À un moment donné, l’époux est devenu endetté envers le fisc, mais le fisc ne pouvait réaliser sa créance, compte tenu que l’époux ne possédait pas de biens suffisants.

258 Malheureusement pour les contribuables, leur planifica-tion a fait face à un imprévu important, lorsque l’épouse est décédée prématurément, en laissant un testament à l’effet qu’elle léguait tous ses biens à son mari.

259 Compte tenu que le testament prévoyait une clause à l’effet que les biens de l’épouse étaient légués aux enfants si le mari décédait avant elle ou s’il renonçait à la succession, le mari a décidé de renoncer à la succession.

260 Le gouvernement fédéral a conclu que cette renoncia-tion était un transfert de biens du père à ses enfants et, compte tenu que le père avait des dettes fiscales, le fisc a considéré que les enfants étaient devenus responsables de ses dettes fiscales, par l’application de l’article 160.

261 Pour sa part, le père prétendait que, ayant renoncé à la succession, il n’en avait jamais été le bénéficiaire et qu’il ne pouvait donc pas avoir transféré ce qui ne lui appartenait pas, de telle sorte que l’héritage des enfants était un transfert provenant de leur mère qui, elle, n’avait pas de dettes fiscales.

262 Malheureusement pour monsieur Biderman, il avait posé certains gestes qui ont fait en sorte qu’il était présumé avoir accepté la succession. Dans la mesure où il l’avait d’abord acceptée, le fait pour lui d’y renoncer ensuite pour le bénéfice de ses enfants a été considéré comme constituant un transfert de lui à ses enfants. Par contre, l’effet de cette décision est que, dans les cas où il n’y a pas acceptation ou acceptation présumée, la simple renonciation à une succession ne constituerait pas un transfert auquel l’article 160 peut être applicable. 5. Dépôt dans un REER au bénéfice du conjoint

263 La cause de Caplan c. MNR62 a confirmé qu’il s’agissait-là d’un transfert auquel l’article 160 LIR peut être applicable. Il s’agit donc d’une question à garder à l’esprit, si un

62 [1995] TCJ 862. Voir aussi Wannan c. La Reine, [2003] DTC 76).

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contribuable qui contribue au REER de sa conjointe a des dettes fiscales.

264 De plus, il serait aussi utile de penser à ce problème en matière de REER insaisissable, puisque les tribunaux exigent généralement, pour conclure qu’un REER est insaisissable, qu’il y ait dévolution irrévocable du REER en faveur d’une autre personne, qui est généralement le conjoint. Dans cette mesure, même si le REER lui-même pourrait être insaisissable, il pourrait être considéré que le transfert initial des fonds dans le REER a constitué un transfert auquel l’article 160 pourrait être applicable contre le bénéficiaire du transfert, si l’auteur du transfert avait des dettes fiscales pour l’année du transfert ou toute année antérieure. 6. Dividendes à un actionnaire

265 Depuis un certain nombre d’années, les autorités fiscales ont adopté la position que le paiement par une compagnie à son actionnaire d’un dividende constitue un transfert sans contrepartie valable, auquel l’article 160 serait donc applicable pour rendre l’actionnaire responsable des dettes de la compagnie, s’il existe un lien de dépendance entre l’actionnaire et la compagnie.

266 Jusqu’à maintenant, les tribunaux ont donné raison au fisc, comme l’indique particulièrement le jugement de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Algoa Trust c. La Reine63.

267 Cependant, certains juges ont commencé à émettre des doutes à cet égard, comme l’a fait le juge Archambault de la Cour canadienne de l’impôt dans l’affaire Gestion Yvan Drouin c. La Reine64.

268 À cet égard, prenons l’exemple très simple qui suit : ♦ le contribuable investit 1 $ pour incorporer une

compagnie opérante en 1960 ; ♦ la compagnie connaît beaucoup de succès et

l’entreprise est vendue par la compagnie pour 1 million de dollars après impôt en 2003 ;

63 C.F. : A-201-93. 64 [2001] DTC 72.

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♦ le contribuable se verse un dividende de 900 000 $ en 2003 et laisse un solde de 100 000 $ dans la compagnie ;

♦ en 2005, la compagnie reçoit un avis de cotisation imprévu de 300 000$ pour 2003, à l’égard d’ajuste-ments techniques au calcul qu’elle a effectué sur son gain lors de la transaction ;

♦ la compagnie remet aux autorités fiscales le montant de 100 000 $ qu’elle avait conservé et elle leur indique qu’elle est incapable de payer le reste compte tenu qu’elle n’a plus d’argent.

269 La question est de savoir si, en raison du dividende de 900 000 $ qui lui a été versé, l’actionnaire peut être tenu responsable du reste de la dette, en prétendant que le dividende serait un transfert sans contrepartie.

270 En présumant que le contribuable détenait 1000 actions ordinaires dans la compagnie concernée, cette question suggère l’analyse fort simple qui suit :

♦ immédiatement avant le transfert, comme la compagnie détenait 1 million de dollars dans son compte de banque et le contribuable détenait 1000 actions qui valaient donc 1000 $ chacune ;

♦ immédiatement après le dividende de 100 000 $, le contribuable détenait toujours 1000 actions, mais elles ne valaient plus que 100 $ chacune, compte tenu que le seul actif de la compagnie était dorénavant le solde de 100 000 $ qui restait dans son compte ;

♦ il y a donc eu appauvrissement de la compagnie, dans le sens où son actif est passé de 1 million de dollars à 100 000 $ ;

♦ cependant, il n’y a pas eu enrichissement corres-pondant de l’actionnaire, puisque la contrepartie de l’encaisse de 900 000 $ qu’il a réalisé grâce au dividende est compensée par la baisse correspon-dante de 900 000 $ de la valeur de ses actions ;

♦ c’est cet argument qui ne semble pas avoir été élaboré avec précision jusqu’à maintenant dans les

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décisions jurisprudentielles qui ont considéré cette question ;

♦ à titre comparatif, on pourrait également considérer le scénario ou, plutôt que de verser un dividende de 900 000 $, la compagnie aurait plutôt procédé au rachat de 900 des 1000 actions détenues par le contribuable ;

♦ le résultat ultime aurait été le même, c’est-à-dire que le contribuable se serait retrouvé avec 900 000 $ d’encaisse et des actions d’une valeur totale de 100 000 $, sauf qu’il aurait eu 100 actions au lieu de 1000 actions ;

♦ pourtant, dans un tel scénario, les autorités fiscales auraient sans doute été obligées de concéder que le contribuable aurait versé une contrepartie suffi-sante pour le transfert, puisqu’il aurait cédé 900 de ses actions valant 900 000 $ en contrepartie du paiement de 900 000$.

271 Cet exemple alternatif montre encore comment une bonne planification aurait pu permettre de faire échec à l’application potentielle de l’article 160.

272 En matière de planification, il faut aussi souligner que certains contribuables qui se retrouvent avec une compagnie rendue à la fin de son entreprise, mais qui dispose de certaines liquidités, envisagent de sortir ces liquidités de la compagnie au moyen de salaires ou de bonis, plutôt qu’au moyen de dividendes. Dans un tel cas, il serait plus difficile aux autorités fiscales d’envisager l’application de l’article 160, compte tenu que la contrepartie pour un salaire ou des bonis est évidem-ment la prestation de services correspondants.

273 Concernant les dividendes, l’autre aspect qu’il ne faut pas oublier est que, pour que l’article 160 soit applicable, il faut qu’il y ait un lien de dépendance entre l’auteur du transfert (la compagnie) et le bénéficiaire du transfert (l’actionnaire). Ce lien de dépendance ne fait évidemment aucun doute lorsque l’actionnaire seul ou avec des personnes liées détient plus de 50 % des actions de la compagnie et contrôle la compagnie, puisque l’article 251 LIR spécifie clairement qu’il y a un lien de dépendance entre une compagnie et son ou ses actionnaires,

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dès lors que l’actionnaire ou un groupe lié contrôle la compagnie. 274 Cependant, qu’en est-il, par exemple, lorsque

deux actionnaires non liés détiennent chacun 50 % des actions de la compagnie, qu’ils sont tous les deux administrateurs et qu’ils se votent un dividende ?

275 À cet égard, les autorités fiscales semblent avoir adopté la position relativement agressive qu’il y a lien de dépendance « dans les faits », pour le motif que les deux actionnaires agissent de concert. En effet, selon cette théorie des autorités fiscales, dans une compagnie où deux personnes détiennent 50 % chacun, ils doivent absolument agir de concert pour qu’une décision comme le paiement de dividendes puisse être prise, à défaut de quoi il ne peut y avoir de paiement de dividendes.

276 Avec respect, cela semble être une extension un peu exagérée de la notion d’« agir de concert », qui est requise pour qu’il soit déterminé qu’il existe un lien de dépendance dans les faits.

277 À ce stade-ci, sur la base de la décision rendue dans l’affaire Gestion Yvan Drouin c. La Reine65, les autorités fiscales n’ont pas connu de succès avec cette approche. Cette décision contient aussi une excellente revue de la jurisprudence concernant le « lien de dépendance de fait ».

L. Cohabitation de l’article 160 LIR avec les autres lois 278 Comme nous l’avons mentionné plus haut, l’article 160

cohabite avec d’autres lois, ce qui peut également entraîner des problèmes de recours multiples.

279 Par exemple, dans l’affaire Marcoux-Neveu c. SMRQ66, un contribuable insolvable avait transféré un bien à son épouse pour moins que la juste valeur marchande. Dans le cadre des procédures de faillite, le syndic a menacé d’entreprendre des procédures pour faire annuler ce transfert et faire retourner le bien dans le patrimoine du failli. Pour éviter ces procédures, le contribuable, avec l’aide de sa conjointe, a proposé de payer

65 [2001] DTC 72. 66 [1993] SMRQ 106.

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un montant pour « acheter la paix » et, le MRQ, qui était le principal créancier, a accepté cette offre.

280 Une fois le dossier de faillite réglé, le MRQ s’est retourné contre l’épouse du contribuable pour lui faire une réclamation en vertu de la disposition provinciale semblable à l’article 14.4 LIR qui était applicable à cette époque.

281 Même si, techniquement, cette disposition était claire-ment applicable, l’épouse a fait valoir que le recours du MRQ était injuste, compte tenu que, en réalité, c’est elle qui avait effectué le paiement de règlement dans le dossier de faillite et que le MRQ était parfaitement au courant de la situation.

282 Dans ces circonstances exceptionnelles, en rendant par ailleurs un jugement plus inspiré de l’équité que du droit, la Cour du Québec a donné raison à la contribuable et déclaré que la cotisation subséquente devait être annulée.

283 Les contribuables n’ont pas eu autant de chance dans l’affaire Bergeron67, puisque c’est la situation inverse qui s’est présentée. En effet, le contribuable bénéficiaire du transfert a d’abord été cotisé en vertu de la disposition d’alors qui corres-pondait à l’article 14.4 LMR d’aujourd’hui. Le bénéficiaire du transfert a accepté de payer cette cotisation.

284 Ensuite, le syndic de faillite est arrivé pour demander l’annulation du transfert en vertu des dispositions applicables de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité68 et le contribuable s’est présenté devant le tribunal en disant qu’il ne pouvait être pénalisé une seconde fois, puisqu’il avait payé au MRQ la différence entre le prix payé par lui pour le bien et la juste valeur marchande du bien, de telle sorte qu’il pouvait maintenant être considéré comme ayant payé la juste valeur marchande pour le bien.

285 Malheureusement pour lui, la Cour a rejeté son argument, en indiquant que les deux recours étaient cumulatifs. Cependant, dans son jugement, tout en ne pouvant pas intervenir au plan légal, la Cour a exprimé le vœu que le MRQ fasse preuve d’équité et trouve un arrangement pour tenir compte de la situation.

67 C.S. St-François, no 450-11-000251-979. 68 L.R.C. 1985, ch. B-3.

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M. Article 160 LIR et patrimoine familial 286 Comme vous le savez, les règles concernant le patri-

moine familial au Québec prévoient que, lors de la dissolution d’un mariage, les conjoints ont droit à 50 % de certains biens, comme par exemple les régimes de retraite et la résidence familiale, peu importe au nom de quel conjoint ces biens sont enregistrés.

287 Dans l’affaire récente Richard c. La Reine69, un conjoint qui était endetté envers les autorités fiscales, a eu la bonne idée de transférer 50 % de certains biens à son épouse, en prétendant qu’il y avait contrepartie, puisque les parties ont stipulé qu’il s’agissait du partage du patrimoine familial et de la remise à l’épouse de la quote-part à laquelle elle avait droit.

288 Malheureusement pour les contribuables, leur argument a été refusé par la Cour canadienne de l’impôt. En effet, la Cour a conclu que les dispositions du Code civil du Québec traitant du patrimoine familial n’entraient en jeu qu’au moment de la dissolution du mariage et qu’il n’y avait aucune obligation juridique de transférer quoi que ce soit pendant le mariage. Par conséquent, les parties ne pouvaient stipuler qu’un transfert effectué durant le mariage avait pour contrepartie l’obligation éventuelle existant en vertu des dispositions sur le patrimoine familial.

N. Séparation et divorce 289 Puisqu’il est question de séparation et divorce, il faut

aussi spécifier que les législateurs ont prévu, tant dans les règles fédérales que dans les règles provinciales, une exception lorsqu’il s’agit d’un transfert effectué entre ex-conjoints de droit ou de fait, dans le cadre d’une séparation ou d’un divorce.

290 Ainsi, l’article 160 LIR, l’article 323 LTA et les articles 14.4 et suivants LMR ne seront pas applicables lorsque les conditions suivantes sont remplies :

♦ le transfert se fait en vertu d’une ordonnance d’un tribunal ou d’un accord écrit de séparation ;

♦ les conjoints vivent séparés ;

69 [2004] DTC 2203.

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♦ il y a rupture véritable du mariage (la législation québécoise utilise le terme « échec »).

291 Il est évident que les deux dernières conditions ont pour objet d’éviter des planifications par lesquelles les conjoints effectueraient des transferts entre eux pour échapper à leurs obligations fiscales, en prétendant divorcer alors que, dans les faits, ils continuent de vivre ensemble ou, même s’ils ont fait le sacrifice de se séparer pendant une certaine période, il n’y a pas rupture véritable de leur mariage.

292 Ce dernier test laisse donc aux autorités fiscales la possibilité de faire enquête sur la question factuelle de savoir s’il y a véritablement eu rupture ou échec du mariage.

293 Par contre, si toutes les conditions sont remplies et s’il y a ensuite réconciliation, on pourrait se demander si cette réconciliation pourrait faire renaître les obligations du conjoint qui a bénéficié du transfert.

294 À première vue, il semble que la réponse est affirma-tive, puisque l’article 160 est applicable à un transfert à toute personne qui est l’époux ou le conjoint de fait de l’auteur du transfert ou à toute personne qui devient son époux ou son conjoint de fait après le transfert.

O. Droit de contester la cotisation de l’auteur du transfert

295 Une autre question qui s’est posée en jurisprudence est celle de savoir si un contribuable bénéficiaire d’un transfert qui se fait cotiser pour les dettes de l’auteur d’un transfert est limité, dans sa contestation, à soulever les arguments qui touchent directement l’application de l’article 160 ou non ou s’il peut également soulever les arguments qui auraient pu être soulevés par l’auteur du transfert, à l’encontre des avis de cotisation émis contre l’auteur du transfert.

296 En effet, compte tenu que ces dispositions sont princi-palement appliquées lorsque l’auteur du transfert est insolva-ble, il arrive souvent que l’auteur du transfert n’ait pas pris soin de contester ses propres cotisations, puisqu’il s’apprêtait à faire faillite ou ne disposait pas de biens suffisants pour payer la cotisation de toute manière.

297 Après certaines hésitations, la jurisprudence a conclu que, effectivement, le bénéficiaire d’un transfert cotisé en vertu

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de l’article 160 peut soulever tous les arguments de contestation qui appartenaient à l’auteur du transfert, même si les délais de contestation de l’auteur du transfert sont expirés.

298 La décision d’importance sur ce sujet est une décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Gaucher c. La Reine70.

70 [2000] DTC 6678.

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ANNEXE A

QUESTIONNAIRE TYPE DU MINISTÈRE DU REVENU DU QUÉBEC (MRQ) SUR LA RESPONSABILITÉ DES ADMINISTRATEURS

Nom de la société : Numéro de la société : Nom de l’administrateur : Est-ce que la société susmentionnée exploite encore une entreprise ? Si non, indiquez la date de la cessation : Êtes-vous présentement un administrateur de la société ? Dans la négative, indiquez la date à laquelle vous avez cessé d'être un administrateur. Veuillez fournir des pièces justificatives. Êtes-vous le seul administrateur de la société ? Dans la négative, mentionnez le nom des autres administrateurs et leur adresse. Receviez-vous une rémunération de la société ? Dans l’affirmative, veuillez préciser à quel titre vous receviez cette rémunération : Quelles sont vos principales fonctions dans la société ? Participiez-vous aux réunions des administrateurs ? Dans la négative, veuillez en donner la raison. Dans l’affirmative, veuillez préciser quel était votre rôle lors de ces réunions. Receviez-vous pour examen les états financiers de la société et des rapports concernant ses activités?

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Responsabilité des administrateurs et des tiers… 261

Dans la négative, veuillez préciser qui les examinait (si aucun document n'était produit, veuillez l'indiquer). Dans l'affirmative, indiquez la fréquence à laquelle vous examiniez ces documents. La société tenait-elle un compte distinct dans un établissement financier relativement aux montants dont elle est actuellement redevable ? Dans l'affirmative, indiquez le numéro de compte de la société et le nom de l'établissement financier en question. Avez-vous pris des mesures concrètes pour vous assurer que la taxe était perçue et les retenues à la source effectuées par la société, et pour prévenir le manquement de celle-ci à ses obligations concernant leur paiement au ministre du Revenu du Québec ? Dans l’affirmative, veuillez préciser. Y a-t-il des facteurs qui, à votre avis, ont empêché la société de remettre son paiement de taxes (incluant la TPS) ou de retenues à la source au ministre du Revenu du Québec ? Étiez-vous fondé de pouvoir pour signer les chèques de la société ? Dans l'affirmative, indiquez si les chèques de la société devaient porter plus d'une signature. Qui étaient les signataires, le cas échéant ? Avez-vous signé, à titre de garant ou de cosignataire, un emprunt au nom de la société ? Dans l'affirmative, inscrivez les noms et adresses des créanciers. Des transactions commerciales entre vous (ou une société que vous possédiez ou contrôliez) et la société ont-elles eu lieu ? Dans l'affirmative, veuillez préciser la nature et le montant des transactions. À titre d'administrateur, détenez-vous une assurance responsabilité afin de garantir le paiement des taxes et des retenues à la source dont la société est redevable ?

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Responsabilité des administrateurs et des tiers… 262

Dans l'affirmative, veuillez nous indiquer le nom de la compagnie d'assurance. Par qui et à quel endroit les procès-verbaux, les registres des administrateurs et ceux des actionnaires de la société sont-ils tenus ou conservés ? Nom : Adresse : Téléphone : Veuillez indiquer ce qui est survenu aux biens de la société pour laquelle vous étiez un administrateur. Signature Date Tél. (domicile) Tél. (bureau) NOTE : Nous vous prions de joindre à ce questionnaire tout document pertinent attestant vos réponses.