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Correspondance. Adresse e-mail : [email protected] (J.-R. Zahar). © 2013 SPLF. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Revue des Maladies Respiratoires Actualités (2013) 5, 42-46 SYNTHÈSE N°1 Bactéries multi-résistantes : ce que doit savoir le pneumologue Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com J.-R. Zahar Service de microbiologie-hygiène hospitalière, équipe mobile d’infectiologie, Université Paris Descartes, CHU Necker – Enfants Malades, 149, rue de Sèvres, 75015 Paris, France Introduction La dernière décennie a été marquée par la diffusion dans le monde des entérobactéries sécrétrices de beta-lactamase à spectre élargi (EBLSE). Cette situation est d’autant plus inquiétante en France qu’elle survient, et de façon paradoxale, au moment où nous récoltions les fruits d’une politique intensive d’amélioration des mesures d’hygiène ayant permis d’obtenir une diminution de l’incidence des infections à Staphylococcus aureus résistant à la méticilline (SARM). En effet, le début des années 2000 a couronné les efforts entrepris depuis plus d’une décennie, par les équipes médicales et paramédicales, dans la lutte contre les infections nosocomiales et particulièrement contre la diffusion intra- hospitalière des SARM [1]. Cette augmentation paradoxale caractérisée par la diffusion d’espèces digestives (entérobactéries résistantes, entérocoques, Pseudomonas aeruginosa…) pourrait s’expliquer par de nombreux facteurs que nous essaierons de détailler ci-dessous et à partir desquels nous proposerons à partir de notre expérience clinique et des données de la littérature, une stratégie de lutte contre la diffusion hospitalière des bactéries multi-résistantes. Il est important de souligner que le réservoir des bactéries multi-résistantes est essentiellement humain et la part environnementale est variable et dépend de l’espèce concernée. EnÀn le caractère commensal ou saprophyte des bactéries résistantes modi- Àe probablement le risque, individuel de portage, et collectif de diffusion. partir de l’exemple des EBLSE, nous énumérerons les éléments qui permettent de maitriser le risque. Les raisons « possibles » de cet échec Parmi les facteurs ayant permis la maîtrise de diffusion intra-hospitalière des SARM, il nous parait important de souligner l’amélioration globale de l’hygiène hospitalière et notamment de l’hygiène des mains. Cette dernière a été obtenue grâce à l’introduction des solutions

Bactéries multi-résistantes : ce que doit savoir le pneumologue

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Correspondance. Adresse e-mail : [email protected] (J.-R. Zahar).

© 2013 SPLF. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Revue des Maladies Respiratoires Actualités (2013) 5, 42-46

SYNTHÈSE N°1

Bactéries multi-résistantes : ce que doit savoir le pneumologue

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

J.-R. Zahar

Service de microbiologie-hygiène hospitalière, équipe mobile d’infectiologie, Université Paris Descartes, CHU Necker – Enfants Malades, 149, rue de Sèvres, 75015 Paris, France

Introduction

La dernière décennie a été marquée par la diffusion dans le monde des entérobactéries sécrétrices de beta-lactamase à spectre élargi (EBLSE). Cette situation est d’autant plus inquiétante en France qu’elle survient, et de façon paradoxale, au moment où nous récoltions les fruits d’une politique intensive d’amélioration des mesures d’hygiène ayant permis d’obtenir une diminution de l’incidence des infections à Staphylococcus aureus résistant à la méticilline (SARM). En effet, le début des années 2000 a couronné les efforts entrepris depuis plus d’une décennie, par les équipes médicales et paramédicales, dans la lutte contre les infections nosocomiales et particulièrement contre la diffusion intra-hospitalière des SARM [1].

Cette augmentation paradoxale caractérisée par la diffusion d’espèces digestives (entérobactéries résistantes, entérocoques, Pseudomonas aeruginosa…) pourrait s’expliquer par de nombreux facteurs que nous essaierons de détailler ci-dessous et à partir desquels nous proposerons à partir de notre expérience clinique et des données de la littérature, une stratégie de lutte contre la diffusion hospitalière des bactéries multi-résistantes.

Il est important de souligner que le réservoir des bactéries multi-résistantes est essentiellement humain et la part environnementale est variable et dépend de l’espèce concernée. En n le caractère commensal ou saprophyte des bactéries résistantes modi-e probablement le risque, individuel de portage, et collectif de diffusion. partir de

l’exemple des EBLSE, nous énumérerons les éléments qui permettent de maitriser le risque.

Les raisons « possibles » de cet échec

Parmi les facteurs ayant permis la maîtrise de diffusion intra-hospitalière des SARM, il nous parait important de souligner l’amélioration globale de l’hygiène hospitalière et notamment de l’hygiène des mains. Cette dernière a été obtenue grâce à l’introduction des solutions

Synthèse n° 1 - Bactéries multi-résistantes : ce que doit savoir le pneumologue 43

hydro-alcooliques, qui ont permis une meilleure observance à l’hygiène des mains hors et en soins intensifs. De plus, notamment dans les services à risque, la mise en place d’une politique de dépistage et d’isolement (i.e. search and isolate) a permis de limiter la diffusion des SARM en milieu hospitalier. Depuis le milieu des années 1990, la majeure partie des unités de soins intensifs françaises a adopté la politique de l’isolement systématique des patients admis, la réalisation d’un dépistage systématique à l’admission et pendant le séjour et dans certaines situations la réalisation d’une décontamination nasale chez les patients porteurs de SARM [2]. Cette politique (intensive) associée à des campagnes de maitrise de l’antibiothérapie en ville comme à l’hôpital est probablement à l’origine du succès rencontré. En revanche et malgré tous les efforts entrepris nous assistons « impuissants » à la diffusion des EBLSE. Certaines différences épidémiologiques et microbiologiques peuvent selon nous expliquer ce phénomène.

Les EBLSE sont endémiques

Comparativement aux SARM où la diffusion semble limitée aux structures hospitalières, les EBLSE diffusent à l’hôpital et en communautaire. À l’instar des SARM, le réservoir des EBLSE (comme des autres bactéries) est essentiellement humain, mais contrairement à ces derniers, l’acquisition des EBLSE n’est pas limitée aux structures hospitalières mais peut survenir en ville à partir de réservoirs multiples que peuvent être l’eau et les aliments. Cette situation a des conséquences majeures sur le milieu hospitalier, puisque ce dernier est constamment « alimenté » par des patients colonisés ou infectés à EBLSE venant de la ville, rendant la maitrise contre la diffusion de ces BMR dif cile au quotidien [3].

Dépistage à l’admission

Le dépistage à l’admission semble être moins utile pour les EBLSE : à première vue, la diffusion en milieu communautaire des EBLSE impliquerait la nécessité de mettre en place au moins dans les secteurs à risque une politique de dépistage à l’admission et d’isolement, à l’instar de celle mise en place pour maitriser la diffusion des SARM. Toutefois, le succès de cette politique dépend de la sensibilité du dépistage et de la capacité de ce dernier à détecter la majeure partie des patients porteurs ou infectés à des BMR [4]. Or, si dans le cas des SARM, le dépistage permet de détecter la majeure partie des patients porteurs sains (sensibilité de l’ordre de 0 ), ce dernier semble moins ef cace pour les EBLSE et ce pour de multiples raisons : i) une sensibilité moindre de l’écouvillonnage comparativement au SARM ; ii) une sensibilité variable dans le temps, liée à la densité de colonisation dans les selles ; iii) l’existence d’un grand nombre de porteurs sains (moins de 20 % des porteurs d’EBLSE ont un prélèvement clinique positif) [5]. Ces éléments plaident contre une politique intensive basée sur le dépistage et l’isolement dans le cas particulier des EBLSE, dans la mesure où seule une partie « minime » du réservoir serait détectable.

En n, il est important de rappeler que le risque majeur lié à une politique de dépistage reste la surconsommation

d’antibiotiques et dans le cas présent de carbapénèmes. Dans un travail descriptif de cohorte, nous avons récemment souligné ce risque, les conséquences à moyen et long terme étant l’accentuation de la spirale de la résistance.

Mécanisme de résistance des EBLSE

Le mécanisme de résistance des EBLSE est plasmidique (donc transférable), contrairement au SARM dont le mécanisme de résistance est chromosomique (ce qui implique qu’en cas de transmission c’est la bactérie qui est transmise avec son mécanisme de résistance). Les épidémies de BLSE pourraient être dues à la fois à la diffusion des bactéries mais aussi à la diffusion du support génétique conférant la résistance, indépendamment de la bactérie en tant que telle [6]. Ce risque est à mettre en perspective avec le fait que nous (les humains) sommes tous porteurs d’entérobactéries dans les selles en quantité importante (109 à 1012 bactéries par gramme de selles) et donc tous susceptibles d’être porteurs d’EBLSE. Risque communément surnommé comme étant le « péril fécal ».

Participation des antibiotiques à la diffusion des EBLSE

Les antibiotiques participent activement à la diffusion des EBLSE : contrairement à la diffusion des SARM, où les antibiotiques (à l’exception des uoroquinolones) ne semblent pas avoir de rôle majeur dans la diffusion intra-hospitalière, le rôle de la pression antibiotique (à titre individuel et collectif) semble majeur dans le cas des EBLSE. Plusieurs arguments directs et indirects plaident quant au risque lié aux antibiotiques. En premier lieu, toutes les classes antibiotiques (ou presque) ont été associées au risque d’infection à EBLSE. Certaines classes [7] semblent plus fréquemment associées a ce risque comme les uoroquinolones, les céphalosporines, mais des études récentes mettent en évidence que toutes les beta-lactamines y compris les carbapénèmes [8] sont associées au risque de colonisation à EBLSE, ce qui corrobore les données fondamentales déjà publiées. De plus, la fréquence des co-résistances aux antibiotiques au sein des souches d’EBLSE suggère que le risque ne peut être limité à certains antibiotiques mais qu’il concerne bien l’ensemble des classes existantes. En effet, l’antibiothérapie participe à la diffusion des EBLSE par plusieurs aspects :

Chez les patients porteurs d’EBLSE

L’augmentation de la densité de colonisation à EBLSE dans la ore intestinale des porteurs, et donc l’augmentation du risque de dissémination.

La prolongation de l’excrétion et de la durée de portage.

Chez les patients non porteurs d’EBLSE

Par la modi cation de la ore dite de « barrière » qui facilite la colonisation [9].

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Toutes ces constatations soulignent l’importance de la maitrise de la prescription antibiotique (quelle que soit la classe antibiotique) dans la maitrise et le contrôle de la diffusion des EBLSE.

Nombreux facteurs de risque de portage

Si les facteurs de risque d’acquisition de SARM semblent bien identi és, il n’en est pas de même pour les EBLSE. Ainsi dans la mesure où, à ce jour, il n’existe pas de critères épidémiologiques ou cliniques permettant d’identi er les patients potentiellement porteurs d’EBLSE en communautaire [10], la mise en place d’une politique ciblée de dépistage est illusoire.

Comment pouvons-nous maitriser le risque hospitalier ?

Quelles sont les recommandations nationales ?

La maitrise de la transmission croisée des BMR repose avant tout sur le respect des précautions standard (PS) en particulier de l’hygiène des mains. Nombreuses recommandations ont été publiées en France ces cinq dernières années [11]. En résumé, celles-ci ont élargi le champ des PS pour les BMR au dépend des précautions complémentaires, mais ont aussi cherché à renforcer le niveau de précautions pour les bactéries hautement résistantes (BHR) (i.e. entérocoque résistant à la vancomycine, entérobactéries sécrétrices de carbapénémases et Acinetobacter baumannii résistant aux carbapénèmes). En pratique, en cas d’infection ou de colonisation à EBLSE il est recommandé d’hospitaliser le patient en chambre individuelle (lorsqu’elle est disponible), de signaler son statut dans son dossier clinique ainsi qu’à l’entrée de la chambre, et de respecter les précautions standard (à savoir l’hygiène des mains au plus proche du patient, le port de gants au contact des liquides biologiques, et la protection de la tenue lors des soins potentiellement contaminants). La politique de dépistage systématique ou ciblée est laissée au choix du comité de lutte contre les infections nosocomiales (CLIN) local de l’établissement. Toutefois, dans le cadre de la maitrise des BHR, il est recommandé de mettre en place un isolement géographique, un dépistage à l’admission et des mesures complémentaires autour des patients venant des hôpitaux étrangers [12].

Comment choisir une politique de maitrise du risque ?

L’activité, les moyens et les données épidémiologiques de chaque hôpital sont différentes rendant un tel choix dif cile.

Il est dif cilement imaginable d’appliquer une politique standardisée sans prendre en compte les spéci cités de chaque structure. Les éléments permettant de choisir au mieux une politique de maitrise sont listés ci-dessous (Fig. 1).

Les données épidémiologiques

Dans le cas où un hôpital ou un service qui serait resté indemne de la diffusion d’une BMR (malgré son caractère endémique national ou régional), une politique de maitrise « agressive » pourrait se justi er. En revanche, le caractère endémique d’une situation suggère que la mise en place de mesures telles que le screening à l’admission, l’isolement géographique des patients colonisés ou infectés et l’utilisation de précautions standard risque de se heurter à des contraintes nancières, géographiques (chambres individuelles) et humaines. Dans ce cas, il semble indispensable d’axer la politique de maitrise sur une amélioration du respect des précautions standard et d’une meilleure observance et compliance à l’hygiène des mains [13].

Niveau d’observance des précautions standard

Cet élément est fondamental pour ré échir et mettre en uvre une politique de maitrise ef cace. Deux situations

opposées peuvent se présenter. La première correspond à celle d’un service où l’observance des précautions standard et à l’hygiène des mains est élevée, la seconde correspondant quant à elle à une unité où l’observance des PS est faible (c’est à dire inférieure à 60 %). Dans la première situation, nous pouvons penser, qu’en cas d’endémie, le niveau d’observance est suf sant pour maitriser le risque. Dans la

Situation endémique

OUI NON

Politique d’isolement, intérêt du dépistage, mise en place des PCC

Maîtrise de la prescription antibiotique

Prévalence à l’admission

Élevée Faible

Améliorer l’observance à l’HDM Contrôle de la prescription antibiotique

Niveau de compliance aux PS et HDM

Élevée Faible

Maîtrise de la prescription antibiotique Amélioration de l’observance aux PS

Améliorer l’observance à l’hygiène des mains Maîtrise de l’antibiothérapie

Maintenir les précautions complémentaires

Figure 1. Proposition de politique de maitrise du risque en fonction des données épidémiologiques et locales.

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seconde, il nous semble important de mettre en œuvre une politique d’amélioration des précautions standard et, en attendant l’obtention d’un « haut niveau d’observance, de maintenir une politique d’isolement au moins des patients connus comme étant anciennement porteurs d’EBLSE et ré- hospitalisés ainsi que des patients connus ayant un prélèvement clinique positif à EBLSE [14].

Moyens humains et géographiques

Qu’elle que soit la politique choisie, celle-ci doit être adaptée aux moyens locaux. De nombreux travaux ont montré qu’il existait une corrélation entre le risque d’infections nosocomiales, la charge en soin et le manque de personnel [15]. Toute politique de maitrise nécessite de disposer des moyens en personnel suf samment quali é et formé, capable d’assurer des soins de qualité tout en respectant les recommandations d’hygiène hospitalière. D’autre part, les recommandations nationales soulignent la nécessité de placer les patients colonisés ou infectés par une BMR en chambre individuelle [16] ou d’organiser leur regroupement dans une même chambre ou un même secteur de soin. Ces recommandations reposent essentiellement sur l’observation d’un meilleur respect des précautions complémentaires en cas d’isolement. Malheureusement, cette politique peut rapidement se heurter au manque de chambre individuelle et à la charge de travail engendrée par les multiples déménagements.

Consommation antibiotique

Comme souligné précédemment, la consommation antibiotique participe de façon importante à la modi cation du réservoir individuel et collectif d’EBLSE. De nombreux travaux ont suggéré l’existence d’une association entre consommation antibiotique et diffusion intra-hospitalière des EBLSE. Si certains antibiotiques semblent plus fréquemment associés au risque d’infection, toutes les classes semblent exposer au risque de colonisation.En effet, dans la mesure où les mécanismes de résistance associés aux EBLSE sont nombreux, il parait probable que de nombreux antibiotiques seront associés à la sélection de souches résistantes d’EBLSE dans le tube digestif des patients porteurs. La seule amélioration des précautions d’hygiène semble ainsi insuf sante pour maitriser le risque épidémique, comme suggéré par de nombreux travaux de modélisation [17].

Quelle politique et dans quel délai

Dans un premier temps, il est urgent de mettre en place une politique immédiate d’amélioration des précautions standard et notamment de l’hygiène des mains. En effet, notre incapacité à identi er les patients à risque, les limites liées à la sensibilité du dépistage et au caractère évolutif du réservoir, font que toute politique basée sur le dépistage (systématique ou ciblé) des patients, risque de se solder par un échec. Seule l’amélioration de l’observance de l’hygiène

des mains et le respect des précautions standard permettra de limiter la diffusion des BLSE en milieu hospitalier.

Il est indispensable d’associer à cette politique d’amé-lioration des précautions standard une politique de maitrise de la prescription antibiotique. De plus celle ci ne doit pas se limiter à certains antibiotiques en particulier mais doit couvrir l’ensemble des molécules existantes. L’objectif principal devra être ici non pas une « meilleure » prescription mais une « moindre » prescription antibiotique.

Faut-il abandonner le dépistage à l’admission ?

Il est important de rappeler que l’ef cience d’une politique de dépistage dépend de la capacité du test à détecter le plus grand nombre de patients porteurs et que cette dernière est encore plus ef cace en cas de situation épidémique, c’est-à-dire quand seul un petit nombre de patients admis est potentiellement porteur (ie réservoir faible et sporadique). Dans le cas des EBLSE, et au vu de la sensibilité du dépistage, le « screening » systématique des patients ne semble pas apporter d’élément supplémentaire dans la politique de lutte contre la diffusion de ces agents pathogènes. Toutefois, cette politique de dépistage pourrait être proposée de façon systématique dans deux situations : i) en réanimation (à l’admission et de façon hebdomadaire ou au moins à la sortie), dans le cadre d’une démarche de qualité visant à identi er les cas d’acquisition dans le service ; et ii) chez les patients admis de l’étranger (particulièrement chez ceux transférés de structures hospitalières) à la recherche de BHR, à condition que cela soit d’emblée accompagné d’une politique d’isolement ne pouvant être levée qu’en cas de négativité des résultats. Certains patients porteurs d’EBLSE peuvent ne pas être détectés (dépistage faussement négatif) à l’admission du fait d’un faible inoculum, raison pour laquelle nous suggérons, dans ces populations à risque, de réitérer le dépistage en cours d’hospitalisation.

Faut-il adapter notre politique en fonction des incidences des différentes espèces ?

Cette question délicate reste débattue actuellement. En effet, nous restons partagés entre une réalité qui s’impose progressivement (suggérant que le risque de diffusion intra-hospitalière dépend de différents facteurs dont l’espèce microbienne), et la nécessité d’uniformiser le message a n que celui-ci soit plus audible et compréhensible. Des études effectuées dans les services de réanimation suggèrent que les épidémies intra-hospitalières sont essentiellement liées à la diffusion de l’espèce Klebsiella pneumoniae productrices de BLSE alors que l’espèce Escherichia coli productrice de BLSE semble moins fréquemment impliquée. En effet, alors que la comparaison génotypique des souches de K. pneumoniae productrices de BLSE suggère que leur diffusion est clonale [18], celle des souches d’E. coli productrices de BLSE suggère quant à elle leur caractère polyclonal. La diffusion de souches d’E. coli productrices de BLSE en milieu hospitalier serait le re et de la prévalence de cette espèce dans le milieu communautaire et le résultat de la pression de sélection antibiotique, plutôt que la conséquence de la transmission croisée nosocomiale.

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Malgré ces données, et les observations de terrain suggérant l’inef cacité des mesures d’isolement pour la maitrise de la diffusion des souches d’E. coli productrices de BLSE [19], il nous parait actuellement déraisonnable de faire une différence dans les moyens de lutte selon les espèces sans prendre en compte les différents éléments cités préalablement.

Toutefois, en cas d’épidémie, cette donnée importante devra être prise en compte. Selon nous, une épidémie de K. pneumoniae productrices de BLSE devra nécessiter la mise en place de mesures exceptionnelles (pouvant aller jusqu’au regroupement (cohorting) à la fois des patients et des soignants), alors qu’une épidémie de souches d’E coli productrices de BLSE nous semble maitrisable par le respect des précautions complémentaires.

Conclusion

La diffusion des EBLSE en communautaire et ses conséquences en milieu intra hospitalier nous ont amenés à modi er notre ré exion sur l’ef cacité des recommandations nationales de lutte contre les BMR. En effet, il nous parait urgent, quelle que soit la situation, d’œuvrer pour une nette amélioration du respect des précautions standard associée à une politique ef cace de maitrise de la prescription antibiotique. ne telle politique nécessiterait une observance des précautions standards dans plus de 80 % des situations, seuil qui permettrait de maitriser la diffusion intra-hospitalière malgré l’endémie inquiétante que nous vivons actuellement. En revanche, en cas de situation épidémique, la mise en place de mesures exceptionnelles telle la création d’unités d’isolement serait nécessaire. Toutefois cette politique ne sera JAMAIS ef cace sans maitrise (réelle) de toute prescription antibiotique.

En n quelle que soit la politique choisie, celle-ci ne peut être basée que sur les données épidémiologiques locales et en accord avec une qualité de soins.

Déclaration d’intérêts

Intérêts en lien avec le manuscrit : aucun.

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