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BALZAC JOURNALISTE

Articles et chroniques

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BALZACJOURNALISTE

Articles et chroniques

Choix de textes, présentation, notes,chronologie, bibliographie et index

parMarie-Ève THÉRENTY

GF Flammarion

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Marie-Ève Thérenty est actuellement professeur de littérature françaiseà l’université Paul-Valéry/Montpellier III. Elle est spécialiste des rap-ports entre presse et littérature. Elle a notamment publié Mosaïques,être écrivain entre presse et roman, 1829-1836 (Honoré Champion,2003), La Littérature au quotidien. Poétiques journalistiques auXIXe siècle (Seuil, 2007), et a dirigé des ouvrages collectifs tels quePresse et plumes. Journalisme et littérature au XIXe siècle (avec AlainVaillant, Éditions du Nouveau Monde, 2004) et La Civilisation du jour-nal. Histoire culturelle et littéraire de la presse française au XIXe siècle(Éditions du Nouveau Monde, 2012).

© Flammarion, Paris, 2014.ISBN : 978-2-0807-1277-6

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PRÉSENTATION

L’œuvre de Balzac romancier est farcie de diatribessévères contre la presse. Il fait dire, par exemple, au jour-naliste Félicien Vernou, dans Illusions perdues :

Mais nous sommes des marchands de phrases, et nousvivons de notre commerce. Quand vous voudrez faire unegrande et belle œuvre, un livre enfin, vous pourrez y jeter vospensées, votre âme, vous y attacher, le défendre ; mais desarticles lus aujourd’hui, oubliés demain, ça ne vaut à mesyeux que ce qu’on les paye. Si vous mettez de l’importanceà de semblables stupidités, vous ferez donc le signe de la croixet vous invoquerez l’Esprit saint pour écrire un prospectus 1.

S’il faut considérer avec précaution les paroles attri-buées à un personnage de fiction, il n’en reste pas moinsque la deuxième partie d’Illusions perdues, intitulée « Ungrand homme de province à Paris », dresse un tableaupessimiste du monde de la presse au XIXe siècle : le jeunepoète Lucien de Rubempré perd son âme en affrontant,sous la Restauration, les trois mondes vérolés de la librai-rie, des théâtres et des petits journaux.

Balzac surenchérit en 1843 avec sa Monographie de lapresse parisienne, qui contient une collection de typesjournalistiques sévèrement brossés, depuis le « critiqueblond » jusqu’au « ténor », en passant par le « faiseurd’articles de fond » ou le publiciste, cet « écrivassier qui

1. Balzac, Illusions perdues, in La Comédie humaine, éd. sous la direc-tion de Pierre-Georges Castex, Gallimard, « Bibliothèque de laPléiade », 1977-1981, t. V, p. 458.

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fait de la politique 1 ». Toutes les mystifications de lapresse s’y trouvent dénoncées : le canard, la nouvellefausse qui ne sert qu’à combler un vide dans le journal ;la réclame déguisée en un article rédactionnel ; la vulgari-sation assurée par le « rienologue », ce « dieu de la bour-geoisie actuelle » 2. Et Balzac de terminer par cettecondamnation provocatrice et sans appel : « Si la pressen’existait pas, il faudrait ne pas l’inventer 3. »

Pourtant, quand on lit la Monographie entre les lignes,on est amené à nuancer cette condamnation. L’auteur deLa Comédie humaine reconnaît le pouvoir d’invention desjournaux. Preuve en est l’enthousiasme avec lequel ildécrit le feuilleton hebdomadaire des journaux quoti-diens, en pensant sans doute à un Théophile Gautier,feuilletoniste virtuose de La Presse 4 :

Le feuilleton est une création qui n’appartient qu’à Paris,et qui ne peut exister que là. Dans aucun pays, on ne pour-rait trouver cette exubérance d’esprit, cette moquerie surtous les tons, ces trésors de raison dépensés follement, cesexistences qui se vouent à l’état de fusée, à une parade heb-domadaire incessamment oubliée, et qui doit avoir l’infailli-bilité de l’almanach, la légèreté de la dentelle, et parer d’unfalbala la robe du journal tous les lundis 5.

Balzac est également conscient que la presse, à sonépoque, constitue l’antichambre principale de la littéra-ture, et donc une forme de passage obligé pour se faireconnaître et avoir ensuite accès à la librairie. Le petitjournal 6 notamment est le premier atelier d’écriture dela monarchie de Juillet.

1. Balzac, Les Journalistes. Monographie de la presse parisienne,Arléa, 1998, p. 19.

2. Ibid., p. 60.3. Ibid., p. 142.4. Voir Gautier journaliste, éd. Patrick Berthier, GF-Flammarion,

2010.5. Balzac, Monographie de la presse parisienne, op. cit., p. 99.6. L’expression « petit journal » fait référence à la fois à un format et

à un contenu spécifiques : les journaux non politiques se caractérisaientdurant la première moitié du XIXe siècle par leur petit format. Toutefois,

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Presque tous les débutants, plus ou moins poètes,grouillent à Paris dans ces journaux en rêvant des positionsélevées, attirés à Paris comme les moucherons par le soleil,avec l’idée de vivre gratis dans un rayon d’or et de joie jetépar la librairie et par le journal 1.

Balzac se divertit dans cette monographie en produi-sant une série d’exercices de style : il se livre notammentavec une plume caustique à des pastiches des grandsjournalistes de son temps (Sainte-Beuve, GustavePlanche, Jules Janin) et invente des épigrammes et delongs articles dans un feu d’artifice d’esprit qui démontreen acte qu’il en est. La dénonciation de la presse, fondéesur l’épigramme et la caricature, à laquelle il se livre danssa Monographie, relève stylistiquement du petit journal.C’est bien là le paradoxe fondamental d’un écrivain quin’a cessé de vilipender la presse alors que non seulementcelle-ci l’a nourri pendant toute sa carrière, mais surtoutqu’elle a constitué pour lui une source continue d’inspi-ration et d’innovation. Balzac a contribué à créer, puisà incarner avec force la figure paradoxale de l’écrivain-journaliste, fasciné et écœuré à la fois par l’entrée duXIXe siècle et de la littérature dans l’ère médiatique.

Balzac et la presse :une collaboration durable et protéiforme

En fait, Balzac a été obsédé par la publication desjournaux et des revues, qui ont rythmé les momentsessentiels de sa carrière d’écrivain. Sa première participa-tion à un journal date de 1824 avec le Feuilleton littéraire,petite feuille libérale chargée de rendre compte des

leur apolititisme n’était souvent qu’apparent et, grâce au maniement del’ironie, ils intervenaient de manière oblique dans la vie publique.

1. Balzac, Monographie de la presse parisienne, op. cit., p. 108.

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nouveautés de la librairie et des spectacles, où il rédige,entre janvier et juillet, treize comptes rendus. Cette colla-boration intervient à un moment stratégique : Balzac,qui vient de publier huit romans sous pseudonyme, adécidé de renoncer à l’écriture romanesque, et est prêt àcritiquer sa propre production de jeunesse. Dans lecompte rendu sur Le Mulâtre 1 (Feuilleton littéraire,6 mars 1824), roman écrit sous le pseudonyme d’AuroreCloteaux par Auguste Lepoitevin Saint-Alme, il dénoncedes procédés romanesques dont lui-même a abusé (usagede la page blanche, longueurs, invraisemblances, détailsgrivois, voire scabreux, multiplication extravagante descrimes).

Mais c’est en 1830 et dans les premiers mois de 1831– le fameux « tournant de 1830 2 » – que son expériencejournalistique est la plus intéressante. La presse, libéréepour un temps de la censure et de l’autorisation préa-lable 3, amorce une révolution d’échelle (multiplication etdiversification des titres, augmentation des tirages).Balzac, convaincu de l’incapacité de la librairie à fairevivre les écrivains, se lance dans la littérature périodique,prépubliant ses nouvelles dans les revues et dans les jour-naux littéraires, et distribuant généreusement des voléesd’articles critiques et de petites études de mœurs, véri-tables embryons romanesques de La Comédie humaine. Ilcontribue notamment à plusieurs périodiques créés parÉmile de Girardin – qui commence alors seulement sa

1. Balzac, « Le Mulâtre, par Mme Aurore Cloteaux », Feuilleton lit-téraire, voir infra, p. 46.

2. Nous renvoyons à l’ouvrage magistral de Roland Chollet, Balzacjournaliste. Le tournant de 1830, Klincksieck, 1983.

3. L’autorisation préalable est une mesure gouvernementale de sur-veillance de la presse demeurée en vigueur pendant la plus grandepartie de la Restauration et pratiquement toute la durée du SecondEmpire. Les nouvelles publications, quelles qu’elles fussent, devaient,préalablement à leur parution, obtenir une autorisation du gouver-nement.

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Balzac par Gavarni

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carrière d’entrepreneur de presse 1 – et est souvent asso-cié financièrement à leur lancement.

Balzac participe, par exemple, avec le même Émile deGirardin, à la création en société du Feuilleton des jour-naux politiques en février 1830. Le premier numéro de cejournal spécialement dédié « aux comptes rendusd’ouvrages et aux productions d’art » paraît le 3 mars1830 2. L’idée du périodique est de démasquer le mercan-tilisme de la librairie et de proposer les livres au prix réel,soit délestés de la commission des « libraires-commissionnaires ». Balzac y publie l’important article« De l’état actuel de la librairie 3 » et y éreinte le dramede Victor Hugo Hernani. Pour Roland Chollet, « leFeuilleton des journaux politiques délimite aussi dans levertige de 1830 comme un espace réservé, où l’écrivain-journaliste échappe à l’aliénation de l’improvisationquotidienne, s’interroge sur lui-même, sur son métier, surle sens de son activité 4 ». Balzac travaille également à LaSilhouette, premier essai de journal satirique où le textelittéraire s’allie à la lithographie. Il y donne quelquesétudes de mœurs flirtant avec la nouvelle comme « L’Épi-cier » (22 avril 1830) et « Le Charlatan » (6 mai 1830).Surtout, il y livre son éblouissante étude intitulée « Desartistes 5 », où il affirme la supériorité absolue de celuiqui se sacrifie pour l’art.

1. Émile de Girardin est notamment le créateur du Journal desconnaissances utiles, mais surtout, avec La Presse, l’inventeur de lapresse à quarante francs (prix de l’abonnement annuel), qui accueillele roman-feuilleton à partir de 1836. Voir Marie-Ève Thérenty et AlainVaillant, 1836. L’an I de l’ère médiatique, Éditions du NouveauMonde, 2001.

2. Le journal s’éteint le 12 mai 1830.3. Cet article n’a pas été repris dans cette anthologie.4. Roland Chollet, Balzac journaliste, op. cit., p. 169.5. Balzac, « Des artistes », La Silhouette, 25 février, 11 mars et

22 avril 1830, infra, p. 154.

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PRÉSENTATION 13

À la même époque, il contribue à La Mode. Ce pério-dique, fondé par Émile de Girardin et Charles Lautour-Mézeray en octobre 1829, vise explicitement à s’appro-prier le public élégant, jusqu’à présent généralementabonné à une petite feuille vieillotte, le Journal des dameset des modes. Le 20 octobre 1829, Girardin obtient pourson journal le parrainage de la duchesse de Berry, ce quiconfirme son ambition aristocratique. La Mode a pourobjectif de devenir un périodique de luxe, un bulletin desmodes, et aussi d’offrir « une galerie vive et pittoresquedes mœurs du monde où l’on passe en revue les anciensusages que le temps a laissés et les habitudes nouvellesqu’il a fait naître 1 » – objectif que Balzac, grâce à sesambitieuses études de mœurs, permettra au petit journalde réaliser. Il y prépublie des contes, le Traité de la vieélégante, ainsi qu’un ensemble particulièrement cohérentde brèves études où la précision de l’observation et lesexigences de taxinomie annoncent l’approche socio-logique : « Des mots à la mode 2 », « Nouvelle théorie dudéjeuner », « Le bois de Boulogne et le Luxembourg ».

Tout naturellement, Balzac passe de La Silhouette à LaCaricature, journal illustré fondé par Charles Philiponen novembre 1830. Il est même chargé d’en concevoir lenuméro modèle et d’en écrire le prospectus 3, où ilaffirme, avec la prescience qui le caractérise, la force dumédia caricature :

Aussi, depuis 1789, la caricature a été un besoin pournotre pays. Elle y est éminemment populaire ; et si, jusqu’àprésent, elle ne s’est pas rendue périodique comme la penséeou la plaisanterie, c’est que le prix de la caricature interdisait

1. Prospectus, La Mode, 3 octobre 1829.2. Balzac, « Des mots à la mode. De la conversation », La Mode,

22 mai 1830, infra, p. 89.3. Le prospectus d’un journal, texte inséré en tête du premier numéro

ou publié sur une feuille à part avant la première publication, indiquele programme du journal (son sujet, ses rubriques, son idéologie) etdonne les conditions de l’abonnement.

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cette spéculation. Ce n’étaient pas les rieurs qui manquaientaux estampes mais les estampes aux rieurs. Aujourd’hui lesprocédés de la lithographie ont permis de rendre presque vul-gaire cette jouissance exquise que les Parisiens seuls pou-vaient renouveler tous les jours dans les rues, ou çà et là surles boulevards 1.

Balzac entame, à travers une écriture physiologique 2

tout à fait neuve où les types s’insèrent souvent dans demicrohistoires, le catalogue railleur des ridicules de lamonarchie de Juillet : « Le Ministre » (1er octobre1830) 3, « L’Archevêque » (4 novembre 1830), « Les Voi-sins » (4 novembre 1830). Dès février 1831 pourtant, enraison sans doute de l’accentuation de la couleur républi-caine de La Caricature, il renonce à cette collaboration.

Il contribue également au Voleur, entreprise fondée enavril 1828 par Émile de Girardin. Comme son nom lesuggère, ce journal puisait une grande partie de soncontenu dans cent trente-six périodiques de Paris et deprovince, même s’il publiait aussi des textes originaux,comme le prouve précisément l’embauche de Balzac. Àla fin de l’année 1829, son tirage était de deux mille exem-plaires pour une parution tous les cinq jours. Dans LeVoleur, Balzac publie une quarantaine de nouvelles etd’articles entre le 31 décembre 1829 et le 20 juin 1831.Toute son inventivité critique y apparaît au fil d’articlesqui sont à la frontière entre fiction, écriture réaliste et

1. Prospectus, La Caricature morale, politique et littéraire,1er octobre 1830.

2. Dans les années 1820-1830, ont commencé à paraître des « physio-logies » de tout genre. Balzac lui-même a écrit une Physiologie dumariage en 1826-1829, inspirée de la célèbre Physiologie du goût deBrillat-Savarin (1825). Une écriture physiologique vise à décrire analyti-quement un fait en partant des données matérielles et concrètes pouren arriver à une étude morale. Cette mode donnera même lieu à unphénomène éditorial dans les années 1840 avec la célèbre collection des« Physiologies » chez Aubert.

3. Balzac, « Le Ministre », La Caricature, 1er octobre 1830, infra,p. 114.

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approche métadiscursive. Ainsi, en manière de discourscritique, Balzac invente une suite à L’Âne mort et lafemme guillotinée de Jules Janin 1. Il fait paraître, justeaprès la révolution de Juillet, du 26 septembre 1830 au29 mars 1831, une série de dix-neuf longs articles intitu-lés « Lettres sur Paris », ensemble remarquable aussi bienpar l’acuité de l’analyse politique (Balzac fait état d’unpremier désenchantement de la classe intellectuelle aprèsla révolution de Juillet) que par l’invention d’une écriturede chronique d’actualité qui diffère finalement fortementdu « tableau de Paris 2 » (pratiqué par exemple par unSébastien Mercier) que le titre semblait pourtant annon-cer. Balzac y mêle des réflexions approfondies et tech-niques sur l’actualité des hommes politiques avec descomptes rendus sur la politique jour après jour destinésau citoyen lambda – témoignant ainsi d’une maîtrise desdegrés multiples de description et de compréhensiond’une réalité complexe. Dans le même temps, il parvientà masquer les opinions propres du journaliste. Aussi cettesérie, conçue en partie pour soutenir les ambitions légis-latives de Balzac, n’aura-t-elle pas l’effet électoralescompté, bien au contraire 3. En revanche, ces écritsnourrissent le roman d’actualité que Balzac écrit parallè-lement, La Peau de chagrin 4 ; de fait, tout au long de sa

1. Balzac, « L’Âne mort et la femme guillotinée », Le Voleur, 5 février1830, infra, p. 55.

2. Sébastien Mercier, avec son Tableau de Paris publié en 1781, ainauguré un genre qui se caractérise par une description de la capitalesous la forme de scènes de mœurs, instantanés pittoresques et chosesvues.

3. Voir Pierre Barbéris, Balzac et le mal du siècle, Gallimard, 1970,et Roland Chollet, Balzac journaliste, op. cit., p. 493-495. À cetteépoque, Balzac tentera (en vain) de se faire élire député à Cambrai, ens’appuyant notamment sur les « Lettres sur Paris » qu’il considéraitcomme une manière de programme électoral. Voir la « Lettre à SamuelHenry Berthoud » du 13 mars 1831, in Balzac, Correspondance (1809-1835), éd. Roger Pierrot et Hervé Yon, Gallimard, 2006, p. 336-337.

4. Souvent étiqueté comme récit fantastique, La Peau de chagrin estaussi l’un des premiers romans d’actualité de la littérature française.Rédigé au même moment que les « Lettres sur Paris », il développela même philosophie du désenchantement. Comme l’article, le roman

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carrière, l’œuvre journalistique accompagnera l’œuvrelittéraire.

La diversité, voire l’incompatibilité politique des jour-naux auxquels participe Balzac (La Mode aristocratique,La Silhouette républicaine, Le Voleur libéral, le Feuilletondes journaux politiques qui développe dans certainsarticles des positions proches de celles de Buchez 1) peuttroubler, et a au demeurant longtemps laissé la critiquehésitante : tel ou tel article anonyme peut-il à bon droitêtre attribué à Balzac 2 ? Après le travail minutieux deRoland Chollet, il faut notamment admettre qu’un cer-tain nombre d’articles républicains parus dans La Cari-cature ne sont pas de la plume de Balzac. Mais en dépitde cet éclaircissement, les positions politiques de ce der-nier, telles qu’elles ressortent de ses participations à lapresse, dessinent un spectre encore large et souvent unpeu aléatoire. Dans cette époque particulièrement troublequi est la sienne, Balzac ne se refuse pas la contradiction,et ses articles s’apparentent à des descriptions ironiquesde réalités complexes, fluctuantes et fugaces plus qu’ilsne laissent entrevoir des positions idéologiques arrêtées.Certains thèmes sous-tendent, il est vrai, l’ensemble desarticles : le mépris des doctrinaires, l’opposition aux cote-ries hugoliennes, la moquerie du galimatias cousinien 3 ;

revendique son immédiate actualité, allant jusqu’à inscrire sa datede création au sein du récit (le roman débute à la fin du mois d’octobre1830) : celle de l’après-Juillet et des illusions trahies.

1. Philippe Buchez (1796-1865), fondateur de la charbonnerie fran-çaise en 1820, tente de soulever les départements de l’Est contre lesBourbons et passe aux assises. Libéré, il se rapproche des saint-simoniens, puis fonde au lendemain de la révolution de Juillet le Clubdes amis du peuple, rapidement interdit par Louis-Philippe. Plus tard,il fera du catholicisme, de ses dogmes et de ses doctrines le fondementde sa pensée politique.

2. Voir les nombreux articles de Bruce Tolley cités dans la bibliographie(p. 381) et l’ouvrage de Roland Chollet, Balzac journaliste, op. cit.

3. Victor Cousin (1792-1867), philosophe et homme politique, futnotamment l’initiateur de l’école éclectique, un syncrétisme dont leprojet était d’emprunter à toutes les doctrines ce qu’elles ont decommun et de vrai. Titulaire de la chaire d’histoire de la philosophiede la faculté de Paris depuis 1828, élu à l’Académie française en 1830,

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PRÉSENTATION 17

mais Balzac ne prend pas parti mécaniquement pourl’envers de ces opinions. S’il fustige le romantisme éche-velé, il ne soutient pas pour autant le classicisme. L’unitépolitique la plus pertinente de cet ensemble disparateréside dans le constat critique qu’il fait de la situationprécaire de l’artiste, de l’« intelligentiel 1 » – combat quile mobilise une grande partie de sa vie. Quelques articlesfondamentaux scandent cet engagement en faveur del’écrivain : « De l’état actuel de la librairie » (Feuilletondes journaux politiques), « Des artistes 2 » (La Silhouette,25 février, 11 mars et 22 avril 1830) et, un peu plus tard,la « Lettre adressée aux écrivains français duXIXe siècle 3 » (Revue de Paris, novembre 1834), qui tra-duit une prise de conscience aiguë des problèmes poséspar l’entrée de la littérature dans un univers capitaliste,notamment de la nécessaire reconnaissance d’une pro-priété intellectuelle comparable à la propriété matérielle.

En 1831, Balzac semble avoir réussi à définir une formede compromis dans son engagement journalistique. Ildélaisse un peu les petits journaux pour se tourner plusrésolument vers les grandes revues et y placer ses romanset nouvelles. Dans la Revue de Paris et dans la Revue desDeux Mondes, il prépublie des œuvres à caractère narratif(L’Auberge Rouge, Madame Firmiani, La Femme aban-donnée), souvent en plusieurs livraisons (Le Père Goriot).Mais, par-dessus tout, comme l’a montré Roland Chol-let, il tente, avant même l’invention du roman-feuilleton,de construire une littérature périodique. Le projet connu

il enseignait en Sorbonne et ses leçons, très suivies par la jeunesse intel-lectuelle et les dames du monde, étaient considérées par Balzac commeparticulièrement absconses. Voir infra, p. 100.

1. Ce néologisme balzacien apparaît pour la première fois le 11 août1835 dans une lettre à Mme Hanska ; voir Lettres à Mme Hanska,éd. Roger Pierrot, Robert Laffont, « Bouquins », 1990, t. I, p. 265.

2. Balzac, « Des artistes », art. cité, voir infra, p. 154.3. Balzac, « Lettre adressée aux écrivains français du XIXe siècle »,

Revue de Paris, 2 novembre 1834, infra, p. 171.

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sous le nom de « Société d’abonnement général 1 », qu’ilmet au point dès octobre 1830, est une tentative d’adap-tation du système de la presse périodique à la librairie 2.

Fin 1831 commence son rapprochement avec la presseroyaliste. C’est ce qu’on a appelé le virage légitimiste deBalzac, phénomène qui a longtemps fasciné et intriguéla critique balzacienne. L’étude des articles politiqueséclaire la profonde originalité d’un écrivain qui choisit lelégitimisme par défaut, faute de mieux. Le Rénovateur,organe dirigé par l’écrivain Pierre Laurentie, publie les26 mai et 2 juin 1832 un long texte de Balzac qui retracela généalogie des partis : l’« Essai sur la situation du partiroyaliste ». Un autre article écrit dans la foulée, « Dugouvernement moderne », manifeste les paradoxes de laposition balzacienne : le premier volet de ce texte dessineune opposition sans concession au gouvernement deLouis-Philippe ; le second reconnaît la bourgeoisiecomme classe sociale pivot du nouveau régime et stipen-die les masses populaires 3. Le Rénovateur refuse finale-ment ce très long article en septembre 1832. Un desgrands problèmes de Balzac est de n’avoir pas voulus’appliquer à lui-même cette règle du champ journalis-tique qu’il formule dans la Monographie de la presse pari-sienne : ne jamais chercher une position intermédiaireentre le moule de l’opposition et le moule ministériel. Ilavait pourtant compris que témoigner d’une réalité trèscomplexe en cherchant des positions médianes et subtilesne pouvait que faire fuir les lecteurs :

1. Il s’agit de rapprocher l’exploitation du roman de celle des pério-diques en adaptant à la librairie le principe de l’abonnement. Les abon-nés recevraient, pour cent vingt francs par an, vingt-quatre romans.

2. Sur cette aventure, voir « Pour une autre librairie : la Sociétéd’abonnement général », in Roland Chollet, Balzac journaliste, op. cit.,p. 513-535.

3. Voir Patricia Baudouin, Balzac, journaliste et penseur du politique(1830-1850), thèse de doctorat, université de Vincennes-Paris VIII,2006, p. 431 sq.

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Le génie, et si vous voulez ne vous en tenir qu’àl’esprit, l’esprit consiste à voir, en politique, toutes les facesd’un fait, la portée d’un événement, de prévoir l’événement,dans sa cause, et de conclure au profit d’une politique natio-nale ; or un écrivain qui jetterait ses premiers-Paris 1 dans cetroisième moule ferait fuir tous les abonnés d’un journal 2.

Or cette connaissance théorique du fonctionnement dela presse ne l’a pas empêché tout au long de sa carrièred’exprimer dans ses articles de fond des raisonnementscomplexes, voire absolument inaudibles pour les contem-porains, et donc subversifs à leur façon.

Véritablement fasciné par l’essor sans précédent de lapresse auquel assiste cette décennie 1830-1840, Balzacaspire à devenir directeur d’un journal, à pouvoir délivrerune parole libre, dégagée des contingences socio-économiques des quotidiens, de la censure des rédactionset du pouvoir des actionnaires. En décembre 1835, ilrachète La Chronique de Paris, hebdomadaire politiqueet littéraire fondé seize mois plus tôt par un hommed’affaires, William Duckett. Il annonce une rédaction derêve, comprenant notamment Victor Hugo et GeorgeSand. Participent finalement à la revue Auguste de Belloyet Ferdinand de Grammont, Charles de Bernard, JulesAmyntas David et Chaudes-Aigues, mais aussi GustavePlanche, Théophile Gautier et, de manière plus excep-tionnelle, Charles Nodier et Alphonse Karr.

La revue, composée dans un format in-quarto sur deuxcolonnes serrées, est austère. Balzac assure lui-même unepart considérable de la rédaction : œuvres de fiction (LaMesse de l’athée, L’Interdiction, le début du Cabinet desantiques), chronique de politique étrangère de février àjuillet 1836, articles critiques, articles de circonstance. Le

1. On appelle au XIXe siècle « premier-Paris » l’article de tête dujournal, celui qui donne la position politique de la rédaction. Dans lelangage moderne des rédactions d’aujourd’hui, c’est l’éditorial.

2. Balzac, Monographie de la presse parisienne, op. cit., p. 28.

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journal, en raison de son prix d’abonnement élevé– 60 francs 1 par an –, s’adresse à une élite. Politique-ment, il louvoie entre les droites, se positionnant entreles légitimistes les plus modérés et le centre droit. Enguerre avec les carlistes, les partisans du roi Charles Xdéchu en 1830, il semble faire le jeu de la droite orléa-niste : on a même accusé Balzac d’avoir été, dans cetteaffaire, à la solde de Guizot. Pourtant, il ne semble pasavoir son mot à dire dans les premiers-Paris qui donnentla ligne effective du journal ; en revanche, il tient laplume d’une chronique de politique étrangère ardue etun peu ingrate, très technique, titrée « La France etl’étranger ». Il y exprime des positions personnelles : unegrande attirance pour les puissances autoritaires de laSainte-Alliance et une hargne contre l’Angleterre libé-rale. Selon Isabelle Tournier, cependant, cette partie neserait pas complètement de son cru : « Même si onretrouve ici ou là quelques-unes de ses obsessions (laquestion d’Orient par exemple), la technicité diploma-tique du propos plaide pour des interventions limitées,à tout le moins préparées et sous influence précisément“extérieure” 2. » Patricia Baudouin, au terme d’uneremarquable étude sur ce journal 3, en conclut que, pourses contemporains, il dut être d’une illisibilité politiqueglobale. La Presse de Girardin et Le Siècle d’ArmandDutacq, créés en juillet 1836, avec leurs arguments forts(abonnement à 40 francs par an, roman-feuilleton, largeplace faite à la chronique) manifesteront l’entrée dans

1. Pour donner quelques éléments de comparaison, un professeur decinquième au collège Bourbon reçoit en 1829 un traitement de centcinquante francs par mois. Un ouvrier gagne en moyenne neuf centsfrancs par an.

2. Balzac, Nouvelles et contes II (1832-1850), Gallimard,« Quarto », 2006, p. 1646-1647.

3. Voir Patricia Baudouin, « Balzac directeur de La Chronique deParis. L’indépendance problématique du journal des “intelligentiels” »,L’Année balzacienne, vol. 1, no 7 (2006), p. 237-256.

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une nouvelle ère médiatique qui supplantera le modèleun peu vieillot du journal d’opinion austère et sérieuxauquel souscrit encore le directeur Balzac en 1836. Ladissolution effective de la société a lieu le 16 juillet, dateà partir de laquelle l’écrivain-journaliste ne participe plusà La Chronique de Paris que pour apurer ses dettes.Béthune, gérant du journal, le rachète dans des condi-tions très obscures pour en faire un organe plus claire-ment guizotiste. Balzac aura perdu au total près de46 000 francs dans cette opération.

À partir de 1836, les relations entre Balzac et la pressese font plus complexes en raison du développement duroman-feuilleton, qui concerne tout particulièrement leromancier. Traditionnellement, on date l’apparition duroman-feuilleton de la publication par Balzac de LaVieille Fille, paru en treize livraisons dans La Presse entrele 23 octobre et le 4 novembre 1836. À l’examen, cettegénéalogie se révèle discutable. Non seulement La VieilleFille paraît dans la rubrique « Variétés » et non dans cellequi est réservée au feuilleton 1, mais surtout d’autresromans dans La Presse ou encore dans Le Siècle pour-raient avec plus de légitimité prétendre au titre de pion-niers, car, en 1836, Balzac ne maîtrise pas la poétique dufeuilleton. La Vieille Fille est un roman politique chargéde longues descriptions, à l’ironie très subtile. En treizeannées de production feuilletonesque, Balzac publieratrente-trois romans, soit l’équivalent de deux romans etdemi par an, dans treize journaux différents. Paraîtrontpar exemple en feuilleton Le Cabinet des antiques (1838),Une fille d’Ève (1838-1839), Le Curé de village (1839),Béatrix (1839). Mais jusqu’en 1846 Balzac connaît desdemi-succès plutôt que de véritables réussites. Ce n’est

1. Le feuilleton est une case à part dans le journal, séparée de lapartie informative par un filet noir et située au bas du journal, qu’onappelle le rez-de-chaussée. L’article « Variétés » est une rubrique tradi-tionnelle située en page 3 ou 4.

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qu’à la fin de sa vie qu’il obtient, avec La Dernière Incar-nation de Vautrin (Splendeurs et misères des courtisanes)et La Cousine Bette, deux beaux succès feuilletonesques.Il reste cependant un romancier feuilletoniste atypique :ses plus longues publications (les trente-neuf livraisonsde La Cousine Bette) ne peuvent rivaliser avec les centquarante-huit livraisons des Mystères de Paris d’EugèneSue.

En 1839, Balzac subit une nouvelle déconvenue dansla presse lorsqu’il s’engage dans la défense de l’avouéPeytel, convaincu d’avoir commis un double meurtre sursa femme et sur son domestique 1. Dans Le Siècle des 27,28 et 29 septembre 1839, il rédige trois articles destiné àdisculper Peytel, qu’il connaît un peu 2. Chaque articleest d’une longueur inusitée puisqu’il forme à lui seul lamoitié du numéro. Soucieux d’assumer la position del’écrivain-justicier, à l’image du Voltaire de l’affaireCalas, Balzac utilise un système de défense mêlant fiction(roman noir, roman policier) et argumentation ration-nelle et psychologique. Malgré ses efforts, il ne sauverapas Peytel de la guillotine.

Les relations complexes, souvent de subordination,que Balzac entretient avec les directeurs de journaux lepoussent de nouveau à tenter l’aventure de la revue. Sansdoute des raisons politiques le motivent-elles aussi,notamment une féroce haine envers Thiers, que l’écrivainsoupçonne d’être impliqué dans l’interdiction de sa piècede théâtre, Vautrin. Avec l’aide d’Armand Dutacq, il créedonc la Revue parisienne, qu’il rédige quasiment intégra-lement pendant trois mois, de juin à août 1840. Elle se

1. Sur cette affaire, nous renvoyons à l’excellent article de PatriciaBaudouin, « Justice, presse et politique. L’engagement de Balzac dansl’affaire Peytel », Revue d’histoire du XIXe siècle, no 26-27 (2003),p. 331-348.

2. Balzac, « Lettre sur le procès de Peytel, notaire à Belley », LeSiècle, 27, 28, 29 septembre 1839, infra, p. 197.

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présente sous la forme d’un petit format très fin, l’équi-valent de nos calepins d’aujourd’hui. Elle permet d’asso-cier à de la fiction (Z. Marcas, Les Fantaisies deClaudine) de la critique politique (les « Lettres russes »)et littéraire (les « Lettres sur la littérature, le théâtre etles arts »). Ces dernières forment l’ensemble le plusimportant que Balzac ait écrit en matière de critique litté-raire. Il y insère notamment le magnifique et très longarticle sur La Chartreuse de Parme de Stendhal 1, où ilfait l’éloge d’une œuvre passée quasiment inaperçue aumoment de sa parution.

Après l’échec de la Revue parisienne 2, Balzac ne livreplus à la presse que des articles isolés (par exemple « LaChine et les Chinois », article paru dans La Législaturedu 14 au 18 octobre 1847) ou des droits de réponse(« Lettre à M. Hippolyte Castille », La Semaine,11 octobre 1846) 3. Un certain nombre de ses écrits,comme la « Lettre sur Kiew », qui date de 1847, ou la« Lettre sur le travail », écrite en 1848, ne connaîtrontqu’une parution posthume 4.

Poétique journalistique de Balzac

Définir la poétique des articles de Balzac se révèlecomplexe, tant sa pratique évolua et fut protéiforme.Rien de commun par exemple entre les petites saynètesde mœurs données à La Caricature et les longs articlespolitiques de 1832. On peut cependant proposer une

1. Balzac, « Études sur M. Beyle (Frédéric Stendalh) » [sic], Revueparisienne, 25 septembre 1840, infra, p. 276.

2. Le retrait financier d’Armand Dutacq entraîna l’arrêt d’une publi-cation dès l’origine déficitaire.

3. Balzac, « Lettre à M. Hippolyte Castille, l’un des rédacteurs deLa Semaine », La Semaine, 11 octobre 1846, infra, p. 345.

4. La « Lettre sur Kiew » a été publiée pour la première fois dansles Cahiers balzaciens en 1921, et la « Lettre sur le travail » le1er novembre 1906 dans la Revue des Deux Mondes.

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réflexion générique en distinguant la critique, les études« sociologiques » et les articles de fond.

Les articles de critique, notamment de critique litté-raire, forment un ensemble intéressant car régulièrementnourri par Balzac tout au long de sa carrière et ce, alorsmême que celui-ci, dans la Monographie de la presse pari-sienne, se montre sévère envers cet exercice. Pour lui, « ilexiste dans tout critique un auteur impuissant 1 » – ce quiest du reste un des topoï attachés à la figure du journa-liste, souvent dépeint comme un eunuque 2 – quand cen’est pas une prostituée.

Balzac a souvent la plume féroce et procède à quelqueséreintements pleins d’esprit. Figurent au palmarès desauteurs les plus critiqués quelques gloires ou demi-gloiresdu XIXe siècle comme Eugène Sue, Henri de Latouche etsurtout Sainte-Beuve. L’article critique, toutefois, n’estpas seulement un texte à charge ; c’est aussi pour Balzacun espace de réflexion sur sa propre pratique littéraire.Dans sa jeunesse, c’est essentiellement le roman histo-rique qui est un déclencheur et qui le pousse à structurerun art poétique très précis. Balzac porte ainsi au pinacleses modèles et ses références, au premier rang desquelsWalter Scott. Il établit les règles de son propre systèmeromanesque : haro sur l’invraisemblance et sur l’ana-chronisme, importance des personnages secondaires,invisibilité de l’auteur. À l’époque de la Revue parisienne,le romancier ne résiste pas au plaisir de développer demanière extrêmement autoritaire les principes constitu-tifs du grand œuvre sous forme d’un catalogue prescriptifet épuré de maximes poétiques. Il livre, au fil des pages,un recueil de recettes qui se distingue fortement de la

1. Voir Balzac, Monographie de la presse parisienne, op. cit., p. 75.2. Voir notre article « “Le docteur vaut peut-être mieux que le jour-

naliste, mais il me plaît moins.” La représentation du journaliste chezBalzac », in Balzac et la crise des identités, éd. sous la directiond’Emmanuelle Cullmann, José-Luis Diaz et Boris Lyon-Caen, ÉditionsChristian Pirot, 2005, p. 125-138.

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réflexion thématique ou idéologique de ses préfaces,davantage consacrées à défendre la moralité de l’œuvreet la nécessité de ne juger La Comédie humaine qu’unefois l’entreprise achevée. Ses articles critiques contiennentun condensé de la poétique balzacienne, au sujet du type,du personnage, de l’intrigue, du vraisemblable, du rire,du dialogue, de la péripétie. Ce catalogue de maximesnarratologiques ne se trouve nulle part ailleurs dans sonœuvre sous cette forme ramassée, prescriptive et dépour-vue de nuances.

Les exceptions ne doivent jamais jouer dans l’action d’unroman qu’un rôle accessoire. Les héros doivent être des géné-ralités 1.

L’art du romancier consiste à être vrai dans tous les détailsquand son personnage est fictif 2.

La note est le coup d’épingle qui désenfle le ballon duromancier 3.

Quel que soit le nombre des accessoires et la multiplicitédes figures, un romancier moderne doit, comme WalterScott, l’Homère du genre, les grouper d’après leur impor-tance, les subordonner au soleil de son système, un intérêtou un héros, et les conduire comme une constellationbrillante dans un certain ordre 4.

Une critique autoritaire fait ainsi son apparition dansla Revue parisienne, où toutes les œuvres sont jugées àl’aune de La Comédie humaine, et c’est, semble-t-il, exac-tement et curieusement, leur capacité d’intégration augrand œuvre qui est évaluée avec systématisme.

Curieusement, la critique balzacienne, notammentdans le cas d’œuvres admirées, passe toujours par un

1. Balzac, « Lettres sur la littérature, le théâtre et les arts », Revueparisienne, juillet 1840, infra, p. 245, voir aussi le fac-similé Revue pari-sienne, Genève, Slatkine, 1968, p. 62.

2. Revue parisienne, éd. citée, p. 85.3. Ibid., p. 86.4. Balzac, « Lettres sur la littérature, le théâtre et les arts », art. cité,

infra, p. 258 ; voir aussi Revue parisienne, éd. citée, p. 59.

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moment de récriture, conscient ou inconscient.Vers 1830, cette pratique d’innutrition se dissimule sousla forme de pastiches : suite donnée à L’Âne mort et lafemme guillotinée 1, confirmation du pseudonyme etinvention d’une fiction autour de l’auteur supposé qu’estle bibliophile Jacob 2…

Au moment de la Revue parisienne, le travail de récri-ture se fait en deux temps au sein de chaque article :un premier essai de résumé hésite déjà entre parodie etappropriation, puis, dans un second temps, le journaliste-romancier opère une reprise totale de l’œuvre critiquée,qu’il reconstruit proprement, récupérant le synopsis dansune optique à peine dissimulée d’intégration fantasma-tique au grand projet de La Comédie humaine. Dans latradition de la critique de petit journal, il est permis dedonner des œuvres sur la sellette un résumé parodiquequi déstabilise le système narratif en disloquant les liensde causalité, en accélérant le tempo narratif, en introdui-sant de multiples commentaires ironiques dans le résumé.La critique de petit journal n’est pas sérieuse, et Balzacjoue quelquefois ce jeu parodique simplement pour fairesourire son lecteur. Aussi commence-t-il le résumé de Léoen dénaturant le roman de Latouche :

Une jeune personne s’échappe un matin d’une rue voisinede Mousseaux, dans l’intention de se préparer un éternelsujet de pleurs et d’augmenter la grande nation françaised’un garde national de plus 3.

1. Balzac, « L’Âne mort et la femme guillotinée », art. cité, infra,p. 55.

2. Paul Lacroix s’était doté, à partir de 1829, pour aider au succèsde ses romans historiques, d’une identité imaginaire : Jacob le Biblio-phile. Né en 1740, ce dernier aurait rencontré un certain nombre depersonnages historiques (Voltaire, la Pompadour, Louis XVI,Robespierre, Bonaparte). Par jeu, Balzac atteste personnellement danssa critique avoir rencontré le vieux bibliophile. Voir « Portrait deP.-L. Jacob, bibliophile, éditeur des Deux Fous », Le Voleur, 5 mai 1830,infra, p. 64.

3. Balzac, « Lettre sur la littérature, le théâtre et les arts », art. cité,infra, p. 249 ; voir aussi Revue parisienne, éd. citée, p. 50.

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Mais ce ton ironique laisse rapidement place à unerécriture balzacienne : le récit est articulé à des types età des situations topiques, chaque intrigue devenant unminiscénario balzacien, comme en témoigne cette phrase,caractéristique de Balzac par son côté définitif qui suc-cède au paragraphe parodique : « À Paris, les jeunes genssont toujours à l’affût des intentions secrètes des jeunesfilles qui trottent seules dans les rues 1. » Seul le verbe« trotter » rappelle l’intention parodique première : lerécit a pris une couleur balzacienne. De plus, dans cesecond temps, Balzac récrit littéralement certaines scènesdu roman de Latouche (comme celle de l’aveu de l’adul-tère) et s’approprie certains personnages (comme la mèrede l’héroïne), en les décrivant à sa manière sans tenircompte du texte original.

La Chartreuse de Parme constitue le meilleur exempled’appropriation par Balzac d’un roman qu’il n’a pasécrit. Devant ce qu’il qualifie de chef-d’œuvre, il nechange pas sa manière : à la jubilation du résumé succèdele geste de récriture et de recomposition de l’œuvre. Surle résumé même, notons rapidement les différences detempo entre La Chartreuse et sa restitution : pour certainspassages de ce long roman, notamment la description dela cour de Parme, le résumé se déploie sur autant depages que dans le roman, alors qu’a contrario l’articleocculte presque entièrement des épisodes évidemmentessentiels pour Stendhal, comme le séjour de Fabrice àla citadelle. De même, le traitement balzacien de la findu roman de Stendhal produit un effet comique tant ilest manifeste que la fin de La Chartreuse importe peu àBalzac, voire l’horripile :

Suivent les amours de Clélia et de l’archevêque Fabrice,qui finissent par la mort de Clélia, par celle d’un enfantchéri, et par la retraite de l’archevêque démissionnaire, qui

1. Ibid., infra, p. 249 ; voir aussi Revue parisienne, éd. citée, p. 51.

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meurt, sans doute après un long supplice, à la chartreusede Parme.

Je vous explique cette fin en deux mots, car, malgré debeaux détails, elle est plutôt esquissée que finie. S’il avaitfallu développer le roman de la fin comme celui du commen-cement, il eût été difficile de savoir où se serait arrêtéel’œuvre 1.

La focalisation sur d’autres personnages que Fabrice,notamment sur la duchesse et le comte Mosca, l’intro-duction de remarques digressives proprement balza-ciennes, l’occultation d’éléments fondamentaux duroman (la filiation de Fabrice), sans compter les effets deretour en arrière, d’anticipation et d’ellipse propres aurésumé, tout cela fait de cet article une œuvre nouvelle.De plus, le recopiage quasiment jubilatoire de longuescitations du texte, pratique courante à l’époque maisfinalement peu affirmée dans la Revue parisienne, est bienle signe que Balzac désire devenir littéralement l’auteurdu roman. Ces citations sont d’ailleurs souvent approxi-matives : Balzac raccourcit, modifie, fond plusieurs pas-sages d’un texte que, dans le détail comme dansl’ensemble, il récrit. La fusion s’opère même définitive-ment avec l’œuvre balzacienne par l’intermédiaire du per-sonnage de Ferrante Palla, qui devient sous la plume deBalzac, par une inversion curieuse et significative, PallaFerrante, puis explicitement un autre Michel Chrestien 2,ce qui permet au critique-romancier de relier, par la fic-tion d’un personnage récurrent, SA Chartreuse de Parmeà La Comédie humaine. Dans un second temps, Balzac

1. Balzac, « Études sur M. Beyle (Frédéric Stendalh) », art. cité,infra, p. 333 ; voir aussi Revue parisienne, éd. citée, p. 333.

2. « Je loue avec d’autant plus d’enthousiasme cette création de PallaFerrante que j’ai caressé la même figure. […] Mon Michel Chrestien,amoureux de la duchesse de Maufrigneuse, ne saurait avoir le relief dePalla Ferrante, amant à la Pétrarque de la duchesse de Sanseverina »(ibid., infra, p. 318). Michel Chrestien est un héros républicain de LaComédie humaine.

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récrit tout. Une fois de plus interviennent les ombres bal-zaciennes – ces « habiles conseillers » ou « amis doués dusimple bon sens » 1 – qui sont chargés de tout rebâtir,notamment de faire commencer le roman à la bataille deWaterloo et de supprimer la fin. Le lecteur, plus particu-lièrement le lecteur politique de la revue satirique annon-cée, paraît un peu délaissé dans cet exercice qui passionnesurtout le constructeur de La Comédie humaine.

Un deuxième volet d’articles peut être circonscrit plusnettement autour de 1830 : il s’agit d’une série d’articlesphysiologiques qui prennent la forme du traité, de la say-nète ou du croquis, et qui tous ont une ambition socio-logique. Précisons d’emblée que Balzac ne délaissera pascette veine après 1830, mais qu’il l’exportera versd’autres supports que la presse, notamment vers lalittérature panoramique 2 avec Les Français peints pareux-mêmes 3, les Scènes de la vie privée et publique desanimaux 4 et Le Diable à Paris 5. Mais c’est surtout dans

1. Ibid., p. 335.2. Le terme « panoramique » a été utilisé par Walter Benjamin pour

décrire le système de construction des tableaux de mœurs sériels commeLes Français peints par eux-mêmes, Les Étrangers à Paris, Les Enfantspeints par eux-mêmes… Benjamin compare les « types » ou les« scènes » traités dans les ouvrages au premier plan du panorama, lasociété ou le monde dans son ensemble étant l’équivalent du tableau defond. Dans chacune de ces entreprises éditoriales se retrouve le mêmeprocessus : définition d’une société, d’une communauté la plus ambi-tieuse possible, et description énumérative sous forme de types.

3. Voir les articles de Balzac dans Les Français peints par eux-mêmes : « L’Épicier » (1839), reprise de « L’Épicier » de La Silhouette,« La Femme comme il faut » (1840), « Le Notaire » (1840), « La Mono-graphie du rentier » (1840), « La Femme de province » (1840).

4. Voir, dans les Scènes de la vie privée et publique des animaux (1841-1842), « Peines de cœur d’une chatte anglaise », « Guide-âne à l’usagedes animaux qui veulent parvenir aux honneurs », « Le Voyage d’unlion d’Afrique à Paris », « Voyage d’un moineau de Paris à la recherchedu meilleur des mondes » (signé George Sand, mais en fait de Balzac),« Les Amours de deux bêtes ».

5. « Ce qui disparaît de Paris » et « Histoire et physiologie des boule-vards », in Le Diable à Paris, Hetzel, 1845-1846.

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La Comédie humaine que Balzac se donnera pour tâched’explorer les espèces sociales, comme Buffon, dans sonHistoire naturelle (1749-1789), l’avait fait des espèces ani-males. Les petites esquisses sociologiques publiées dansLa Caricature constituent en quelque sorte l’archéologiede cette entreprise, Balzac faisant concurrence à lascience sociale naissante 1. Ces textes veulent rendrelisibles les lois sociales, cristallisent les fonctions en types(« Le Petit Mercier 2 », « Le Ministre 3 »), les lieux enespaces symboliques (« Le Bois de Boulogne et leLuxembourg 4 ») et les relations humaines en scènes(« La Consultation 5 »). L’auteur propose ainsi unegrammaire du monde et montre sa volonté de clarifier lefonctionnement de la société.

Maurice Bardèche date de 1823 l’intérêt des écrivainspour les tableaux et les études de mœurs 6. La Pandoreest l’un des premiers périodiques à ouvrir ses colonnes àce genre d’exercices ; La Silhouette puis La Caricatures’en feront un domaine de spécialité. L’étude de mœursfonctionne d’abord sur un mode descriptif selon une rhé-torique de la liste et de l’expansion, par série d’assimila-tions et d’équivalences, comme on peut le voir avecl’exemple du « Petit Mercier », « prince des cumulards,irréprochable cumulard, cumulard intéressant, honte desoisifs 7 ». Le descripteur, spécialiste, corrige les erreurs etles a priori, décrypte les signes cachés. Ce genre témoigne

1. Voir Wolf Lepenies, Les Trois Cultures. Entre science et littérature,l’avènement de la sociologie, Éditions de la Maison des sciences del’homme, 1997, p. 4.

2. Balzac, « Le Petit Mercier », La Caricature, 16 décembre 1830,infra, p. 127.

3. Balzac, « Le Ministre », art. cité, infra, p. 114.4. Paru dans La Mode, 12 juin 1830.5. Paru dans La Caricature, 11 novembre 1830.6. Maurice Bardèche, Balzac romancier. La formation de l’art du

roman chez Balzac depuis la publication du Père Goriot (1820-1835),Plon, 1940, p. 197.

7. « Le Petit Mercier », art. cité, infra, p. 128.

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d’une croyance en la stabilité du monde et en la capacitéde l’écriture à cerner les types. L’énoncé est catégorique,souvent caricatural (« C’est un homme qui résume tout :histoire, littérature, politique, gouvernement, religion, artmilitaire 1 ! »), car un peu d’exagération sied à la créationdu type. À cette formule simple de l’étude de mœurs,Balzac préfère souvent l’insertion du type dans une petitescène (« Le Ministre 2 »), voire dans un récit-anecdote(« Les Litanies romantiques », « La Reconnaissance dugamin 3 »). Le texte quitte alors la sphère de l’étude demœurs pour s’avancer résolument sur le territoire de lanouvelle. L’œuvre balzacienne manifeste par là la tensionqui est à sa source même, entre deux tentations qu’elles’emploie à concilier et à fondre : la fiction et le réel typi-fié, catégorisé selon le modèle des sciences naturelles.L’étude de mœurs constitue une scène exiguë où se fric-tionnent avant de s’accorder la tentative d’une écritureréaliste et une aspiration à l’imaginaire. Les fragmentsque donne Balzac à La Caricature constituent notam-ment des textes matriciels de La Comédie humaine et desContes drolatiques. L’enjeu éphémère d’une entreprise decaricature, souligné par Balzac dans le prospectus de LaCaricature, est contredit par la circulation de ces textesdans l’œuvre entière.

Les apports de La Mode à La Comédie humaine sontnettement moins localisables. L’écriture balzacienne dansce journal, visant à la généralité et à la théorie, est unpeu dissertative. En témoignent les titres des articles,marqués par la formule « de » traditionnellement réser-vée aux réflexions philosophiques et politiques : « Desmots à la mode », « De la mode en littérature ». Destinée

1. Ibid., p. 130.2. Balzac, « Le Ministre », art. cité, infra, p. 114.3. Balzac, « La Reconnaissance du gamin », La Caricature,

11 novembre 1830, infra, p. 117.

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à alimenter la Pathologie de la vie sociale 1, cette écrituredu traité ne dérive pas vers la fiction, mais on remarqueradans la conclusion des « Complaintes satiriques sur lesmœurs du temps présent », article sous-titré « Exorde »,un énoncé programme pour La Mode, qui pourrait toutaussi bien expliquer le rôle didactique et préfiguratif quejoue le journal de mœurs pour La Comédie humaine :

Cette histoire naturelle toute neuve, cette nomenclature destatistique servira de point de départ aux observations quenous annonçons ; et, après avoir, en quelque sorte, classé lesfigures, le lecteur les reconnaîtra plus facilement, quand,dans nos recherches morales, nous les mettrons en scène 2.

Il suffirait de remplacer « recherches morales » par« recherches fictionnelles » pour voir apparaître le chemi-nement accompli par Balzac entre le journal et La Comé-die humaine.

Venons-en enfin à la catégorie de l’article de fond, ouarticle argumentatif long – appellation qui inclut desarticles à la thématique diverse comme les « Lettres surParis », les articles sur la situation des écrivains et mêmel’article pour la défense de Peytel. On sait que, dans laMonographie de la presse parisienne, l’article de fondéchappe à l’ire balzacienne. Balzac regrette simplementque le genre soit en voie de disparition : « L’article defond manque dans les journaux qui commencent à êtrepleins de vide 3. » Avec l’article d’idées, la presse retrouvesa pleine légitimité, comme le suggère cet axiome tiré deLouis Lambert et attribué au personnage éponyme, donton connaît la forte résonance autobiographique :

1. Ce projet, que Balzac nourrit depuis 1820 et dont on trouve men-tion dans sa correspondance en 1838, visait à analyser la vie sociale.Finalement, en 1839, un ouvrage paraîtra sous ce titre réunissant leTraité de la vie élégante, le Traité de la démarche et le Traité des exci-tants modernes.

2. Balzac, « Complainte satirique sur les mœurs du temps présent »,La Mode, 20 février 1830, infra, p. 88.

3. Balzac, Monographie de la presse parisienne, op. cit., p. 37.

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Mes idées ne pouvaient donc passer que sous la protectiond’un homme assez hardi pour monter sur les tréteaux de lapresse et parler d’une voix haute aux niais qu’il méprise 1.

Tous ces articles de fond mettent en scène une voixsupérieure qui s’affirme comme marginale et surplom-bante et qui tire sa légitimité d’elle-même.

Cette position et cette supériorité de la voix de l’écri-vain sont légitimées dans les articles sur les artistes : « Unhomme qui dispose de la pensée est un souverain 2. »Balzac souligne combien l’artiste est incompris desmasses et des grands alors même qu’il leur est supérieur.Dans la Revue de Paris, il qualifie lui-même son articlede « manifeste » : il ne s’agit pas ici d’écrire un manifestelittéraire définissant une école, mais plutôt de se faire lechef de file d’un combat économique et politique quiopposerait les écrivains et le monde. La plupart desarticles de fond de Balzac sont d’ailleurs fondés sur uneopposition latente entre l’artiste et la société : un schismeplus ou moins explicite structure les prises de position del’auteur, de plus un peu brouillées par la position excen-trée et surplombante qu’il se donne. On le sent très biendans la première des « Lettres sur Paris 3, où il adopteune position de franc-tireur de la politique, en marge detous les partis :

Aussi, je vous assure que je me considère comme unhomme très courageux d’avouer que je voyageais sur lesbords de l’Indre pendant nos glorieuses journées 4.

Les articles politiques sont donc souvent à la limite dupamphlet contre la société de la monarchie de Juillet, leurcaractère anarchisant et protéiforme rendant souventparticulièrement complexe, on l’a vu, leur décryptage.

1. Balzac, Louis Lambert, in La Comédie humaine, éd. citée, t. XI,p. 664.

2. Balzac,« Des artistes », art. cité, infra, p. 155.3. Balzac, Le Voleur, 30 septembre 1830, infra, p. 131.4. Ibid., p. 138.

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Dans ce cadre, l’engagement au côté de Peytel et lamise en cause violente de la justice et des institutionsbourgeoises par ce journaliste soucieux d’indépendanceprennent tout leur sens. Peytel, avant d’être notaire, a étél’auteur de la Physiologie de la poire 1, et Balzac, en lapersonne de ce bohème qui s’est rangé, semble se recon-naître quelque peu. Le procès faussé et mal bâti, commele montre Balzac, s’attaque autant au notaire parisienqu’au publiciste mal embourgeoisé. La plaidoirie del’auteur – puisqu’il s’improvise avocat de la défense – estconstruite selon un plan cohérent, mais Balzac est tou-jours au bord de la fiction devant ces personnagesmédiocres de médecins et d’avocats qui constituentd’habitude le personnel de ses romans de province. Il estproche du pamphlet contre une bourgeoisie de provin-ciaux obtus. Patricia Baudouin résume bien la situation,lorsqu’elle écrit : « Voix sans lieu, en marge du systèmeet du discours dominant et en même temps partie pre-nante de ceux-ci, il prétend exercer face aux appareils depouvoir une autorité symbolique qui n’est pas dénuéede contradictions 2. » La Quotidienne, journal légitimiste,dénoncera l’« ambition universelle » de ce « grand sei-gneur » qui « veut être un personnage politique » et a vudans l’affaire Peytel « l’occasion d’un manifeste qui visaitsans doute à l’éclat des factums de Voltaire en faveur deCalas », mais « n’a pas sauvé le malheureux dont cettedémonstration imprudente eût plutôt empiré la situationsi la chose avait été possible » 3. Nous avons choisi dereproduire ce long article mal connu écrit pour la défense

1. Louis Benoît, jardinier (pseud.), Physiologie de la poire, Librairesde la place de la Bourse, 1832.

2. Patricia Baudouin, « Justice, presse et politique. L’engagement deBalzac dans l’affaire Peytel », art. cité, p. 341.

3. Théodore Muret, La Quotidienne, 10 décembre, cité par PatriciaBaudouin dans son article mentionné à la note précédente surl’affaire Peytel.

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de Peytel et paru dans Le Siècle, car il cristallise toute lacontradiction d’un Balzac penseur qui se voudrait unacteur central du débat alors même qu’il s’autolégitimepar une forme de marginalisation surplombante.

La Comédie humaine et le journal

Une grande partie de l’œuvre balzacienne s’est inven-tée dans la presse, qui a constitué par bien des aspects lecreuset de La Comédie humaine, notamment à partir dutournant de 1830. Passons rapidement sur les prépublica-tions de romans et de nouvelles en journal ou en revue,phénomène déjà largement évoqué et connu 1.

L’invention de la revue, une publication périodiquedestinée à servir de tribune d’idée aux intellectuels et àpublier de la littérature (Revue des Deux Mondes, Revuede Paris), coïncide avec l’émergence du « Balzac de la vieprivée », qui s’intéresse à la fois à l’intimité de l’individubourgeois et à l’actualité. Dans la revue, Balzac aban-donne l’évocation du passé historique lointain dans latradition de Walter Scott pour produire des œuvres de lacontemporanéité. Le déplacement du centre d’intérêt duromancier, notamment dans les Scènes de la vie privée oudans La Peau de chagrin, vers la société contemporaines’explique sans doute par cette contiguïté avec l’écritureréférentielle du périodique 2.

Les articles physiologiques destinés aux journaux decaricature et la caricature de mœurs, notamment, ont

1. Voir Stéphane Vachon, Les Travaux et les jours d’Honoré deBalzac. Chronologie de la création balzacienne, Vincennes, Paris etMontréal, Presses universitaires de Vincennes, Presses du CNRS etPresses de l’université de Montréal, 1992. Voir aussi Isabelle Tournier(dans son édition des Nouvelles et contes I [1820-1850], Gallimard,« Quarto », 2005-2006, 2 vol.), qui présente de manière détaillée lagénéalogie journalistique de chaque nouvelle et de chaque conte.

2. Voir Marie-Ève Thérenty, Mosaïques. Être écrivain entre presse etroman (1829-1836), Honoré Champion, 2003.

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permis à Balzac d’amorcer très tôt une réflexion sur letype. Il découvre un comique social résidant non plusdans les caractères, mais dans les professions et les habi-tudes. Quelques silhouettes, comme celle du « Petit Mer-cier », sont nées dans La Caricature avant d’êtreréinsérées quasiment telles quelles dans l’œuvre – pource cas précis dans La Fille aux yeux d’or.

Gloire à toi, roi du mouvement ! souverain du temps etmaître de l’espace ! Salut, être courageux, créature composéede salpêtre et de gaz carbonique… qui donnes des enfants àla France pendant tes nuits laborieuses et qui remultiplies,pendant le jour, ton individu, pour le service, la gloire et leplaisir de tes concitoyens !… Salut, toi qui as résolu le pro-blème de suffire, à la fois, à une femme aimable, à tonménage, au Constitutionnel, à ton bureau, à la garde natio-nale, à l’opéra, à Dieu, à tout… et qui tires parti de tout,transformant en écus Le Constitutionnel, ton bureau, l’opéra,la garde nationale, ta femme et Dieu !… Salut, prince descumulards, irréprochable cumulard, cumulard intéressant,honte des oisifs ! Image vivante de l’utile dulci 1 !

Et, d’abord, saluez ce roi du mouvement parisien, qui s’estsoumis le temps et l’espace. Oui, saluez cette créature compo-sée de salpêtre et de gaz qui donne des enfants à la Francependant ses nuits laborieuses, et remultiplie pendant le jourson individu pour le service, la gloire et le plaisir de ses conci-toyens. Cet homme résout le problème de suffire, à la fois, àune femme aimable, à son ménage, au Constitutionnel, à sonbureau, à la garde nationale, à l’opéra, à Dieu ; mais pourtransformer en écus Le Constitutionnel, le bureau, l’opéra, lagarde nationale, la femme et Dieu. Enfin, saluez un irrépro-chable cumulard 2.

Un deuxième grand moment de transformation del’œuvre romanesque sous l’influence du journal coïncide

1. Balzac, « Le Petit Mercier », art. cité, infra, p. 127-128.2. Balzac, La Fille aux yeux d’or, in La Comédie humaine, éd. citée,

t. V, p. 1042.

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avec le développement du roman-feuilleton. Le phéno-mène feuilletonesque a entraîné une modification de lapoétique romanesque sensible dans les œuvres tardivesde Balzac comme La Cousine Bette ou Splendeurs etmisères des courtisanes. Balzac assimile les règles duroman-feuilleton populaire et accepte de céder auxinjonctions de redondance et de répétition, aux phéno-mènes de suspens. Il modifie également son schéma nar-ratif (scène d’entrée en matière, retour en arrièreexplicatif sur le passé des personnages, crise, dénoue-ment) dans des romans épais où la crise unique devientpéripéties multiples, où le dénouement lui-même sedéroule en plusieurs étapes. Cependant, à la différencedu commun de la production feuilletonesque, il introduitdans ses romans une ironie qu’il dirige contre cette méca-nique industrielle au moment même où il semble s’yconformer. Cette distance est sensible dans certains titresde chapitres qui ne se contentent pas de dramatiser et derythmer l’action mais mettent aussi en scène un auteurqui se décrit en tireur de ficelles facétieux et spirituel. Onen trouve de beaux exemples dans La Cousine Bette :« Aventure d’une araignée qui trouve dans sa toile unebelle mouche trop grosse pour elle » (chap. XVIII), « Bilande la Société Bette et Valérie : compte Marneffe »(chap. XV), « Un revenant à revenus » (chap. XLV),« Sommation sans frais et avec dépens » (chap. XXVI),« Son, recoupe et recoupette » (chap. LXXXI).

Il existe en fait un double tropisme dans l’œuvre balza-cienne. D’un côté l’œuvre journalistique est satellisée parl’œuvre-monde en constitution ; de l’autre La Comédiehumaine se construit sur le modèle du journal qui necesse de séduire si bien son auteur qu’il en fait le décorde plusieurs de ses romans : Illusions perdues évidem-ment, mais aussi Une fille d’Ève, La Muse du départe-ment, Splendeurs et misères des courtisanes. D’autrestextes, plus nombreux encore, évoquent le journalisme

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de manière périphérique : La Maison Nucingen, Béatrix,Albert Savarus, Z. Marcas, Les Comédiens sans lesavoir…

Revenons sur la satellisation de l’œuvre journalistiquepar La Comédie humaine. Elle devient patente aumoment de la rédaction de la Revue parisienne. LorsqueBalzac crée celle-ci, en 1840, il sait que c’est aux dépensdes Scènes de la vie politique et des Scènes de la vie mili-taire, qui restent encore à écrire pour terminer lemonument de La Comédie humaine. Ces « scènes » res-surgissent donc à la moindre occasion comme unremords ou comme un mémento. Ainsi, dans la Revueparisienne, se dégage une réflexion récurrente sur labataille, motif lié en réalité à la préparation d’un romanintitulé La Bataille, qui ne vit jamais le jour mais queBalzac décrit dans sa correspondance comme « un livreimpossible 1 » qui « le tracasse beaucoup 2 ». C’est par leprisme de cette fiction fantôme que Balzac critique leroman Jean Cavalier de Sue – « il est impossible à l’artlittéraire de peindre les faits militaires, au-delà d’une cer-taine étendue 3 » – et salue au contraire le coup de maîtrede la bataille de Waterloo rendue par Stendhal 4. Cetexemple illustre bien comment l’écriture de la Revue pari-sienne est orientée vers l’œuvre à terminer, délaisséepresque à regret par le romancier qui réamorce saréflexion romanesque autour de micromotifs. De même,hanté par les Scènes de la vie politique, Balzac critiquevertement les invraisemblances d’un Latouche républi-cain et s’incline à nouveau devant La Chartreuse deParme, à ses yeux plus politique encore que militaire :

1. En janvier 1833, in Lettres à Mme Hanska, éd. citée, t. I, p. 22.Voir Stéphane Vachon, Les Travaux et les jours d’Honoré de Balzac,op. cit., p. 136.

2. En février 1833, in Correspondance, éd. Roger Pierrot, Garnier,« Classiques Garnier », 1960-1969, t. II, p. 252.

3. Revue parisienne, éd. citée, p. 80.4. Balzac, « Études sur M. Beyle (Frédéric Stendalh) », art. cité,

infra, p. 286.

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Emporté par l’enthousiasme nécessaire à qui manie laglaise et l’ébauchoir, la brosse et la couleur, la plume et lestrésors de la nature morale, M. Beyle, parti pour peindre unepetite cour d’Italie et un diplomate, a fini par le type duPRINCE et par le type des Premiers ministres 1.

A contrario, la structure même de La Comédie humainedoit beaucoup au phénomène de la presse, qui n’a cesséde fasciner le romancier. Tient notamment de la rubriquele classement des études de mœurs : « scènes de la vieprivée », « scènes de la vie parisienne », « scènes de lavie paysanne », « scènes de la vie de province », « scènesde la vie militaire », « scènes de la vie politique ». Il seraitassez facile de trouver des équivalents entre certainesrubriques du journal et la division du monde proposéepar Balzac : le journal a ses rubriques consacrées à la viepolitique (le premier-Paris), la vie militaire (les corres-pondances de guerre), la vie de province (les bulletins desdépartements), les scènes de la vie privée et la vie pari-sienne (la chronique parisienne)… Il ne s’agit certes pasde proposer une équivalence terme à terme, qui seraitabsurde, mais de constater que la série romanesque par-tage le caractère flou et élastique de la rubrique journalis-tique. Balzac, refondant constamment La Comédiehumaine, agit exactement comme un rédacteur en chef :il raccourcit certains textes, en déplace d’autres, changeles titres, en supprime plusieurs pour équilibrer sa com-position. Ce système de rubriques, choisi pour La Comé-die humaine, permet enfin une lecture séquentielle del’œuvre, semblable à celle qu’opère un lecteur unique-ment intéressé par une entrée spécifique du journal.Balzac rappelle néanmoins constamment, dans ses pré-faces, que la lecture adéquate est la lecture intégrale, lalecture de la somme.

Car Balzac a conscience que l’article de presse, écrituresans recul, est par nature voué à l’oubli. Pour imprimer

1. Ibid., p. 290 ; voir aussi Revue parisienne, éd. citée, p. 287.

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sa marque à l’histoire, il faut arracher l’article à sonactualité. Ce qu’il fait par deux procédés, constants toutau long de sa carrière journalistique : l’ironie, qui décaleen permanence ses analyses, et l’intégration de l’œuvrejournalistique à La Comédie humaine. Cette hybridationentre l’œuvre journalistique et littéraire est la caractéris-tique la mieux partagée des écrivains du XIXe siècle – c’estune découverte récente de l’histoire littéraire. Balzac nonseulement est le premier à l’avoir pratiquée avec ce systé-matisme et cette ampleur mais surtout, loin de se conten-ter, comme beaucoup, de reprises citationnelles, il ainventé entre les deux supports des dispositifs de renvois,de réflexions et de miroitements d’une grande complexitéqui le placent, comme George Sand, Théophile Gautier,Stéphane Mallarmé, Guy de Maupassant et OctaveMirbeau, au panthéon des écrivains-journalistes.

Marie-Ève THÉRENTY

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TABLE 399

BALZAC ET LE FAIT DIVERS

Le Siècle, 27, 28 et 29 septembre 1839Lettre sur le procès de Peytel, notaire à Belley ........ 197

BALZAC, CRÉATEUR DE REVUES

Revue parisienne, juillet 1840Lettres sur la littérature, le théâtre et les arts........... 245

Revue parisienne, 25 septembre 1840Études sur M. Beyle (Frédéric Stendalh) ................. 276

BALZAC COMMENTATEUR DELA COMÉDIE HUMAINE

La Caricature, 11 août 1831La Peau de chagrin ................................................... 343

La Semaine, 11 octobre 1846Lettre à M. Hippolyte Castille ................................. 345

Chronologie............................................................... 359Bibliographie ............................................................. 377Index des noms ......................................................... 383Index des titres.......................................................... 391

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N° d’édition : L.01EHPNFG1277.N001Dépôt légal : janvier 2014