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Sur le marché de Saint-Pierre en Martinique, en 2004.

Bananes

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Sur le marché de Saint-Pierre en Martinique, en 2004.

Bananes :batailles autour de l’or jaune

T out commence par un souf-fle d’air chaud et humide. Vous pénétrez dans les entrailles de Petite-Rivière. En-core quelques mètres à fouler sur ce sol martiniquais et vous parvenez au point de départ de mon histoire. Moi, la ba-nane martiniquaise. Il faut d’abord aller saluer ma famille d’adoption, car ce sont eux qui tiennent l’exploitation. Je vous présente Liliane Ely-Marius et son compagnon Taupin Edouard. C’est un couple de petits plan-teurs. Mon berceau s’étend sur 3,5 hecta-res, sur les flancs d’une « cuvette verte » de la commune du Lamentin, dans le centre de l’île. Liliane et Taupin me cultivent ici depuis une dizaine d’années, quand Lilia-

Je suis le fruit le plus produit et le plus exporté au monde. Je suis dégusté à raison de 8 kg par an et par Français. Entre les Antilles françaises, ma patrie de culture, et Dunkerque, mon port d’arrivée, je fais vivre 10 000 personnes. Je vous embarque dans une vie de banane. PAR YANN-OLIVIER BRICOMBERT (EN MARTINIQUE)

22-27 DE LA MARTINIQUE A DUNKERQUE 28-29 CHEZ LE GEANT CHIQUITA30-31 BATAILLE DOLLARS CONTRE EUROS32-33 LES BLOCAGES DE L’EQUITABLE

ne a repris l’exploitation familiale. « Mon père prenait sa retraite, j’ai dit oui tout de suite », se souvient-elle. Leur maison, un pavillon coiffé de feuilles de tôle rouges et blanches, est nichée sur un morne, où poussent choux, piments et laitues pour la consommation de la famille. Mais je ne suis pas jalouse.Dès son arrivée, le visiteur est alerté par un large écriteau qui trône au-dessus d’un hangar et qui rappelle qu’ici tout gravite autour de moi : « La banane de Martinique, rien ne peut la battre. » Nor-mal. Je suis le fruit le plus produit au monde, avec 115 millions de tonnes par an. Le plus exporté, aussi : 16 millions de tonnes. En Martinique et en Guadeloupe, 709 planteurs vivent de ma production et 10 000 emplois directs ou indirects dé-coulent de mon commerce. Un musée, et même une fête communale, une fois par an, au Lorrain, plein nord, me sont consacrés. Certains m’ont même affublé d’un surnom : « l’or jaune ». — je

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1/ Petit plant deviendra grandSi le marché où l’on m’échange est gigantesque, mon existence, en revanche, commence à l’état mi-croscopique. A mes premiers jours, je ne suis en effet qu’un tout petit plant : un « vitroplant » issu d’une semence fabriquée en laboratoire en métropole, dans l’Hérault. Je grimpe ensuite dans l’avion, cap sur les Antilles. Là-bas, à 8 000 km des éprouvettes, me voilà couvée sous serre, l’espace de trois mois. Ce n’est qu’à l’issue de ce court sevrage que, mesu-rant quelques centimètres, je suis réellement mise en terre, chez le producteur.A Petite Rivière, il n’y a pas besoin d’irrigation. Le taux d’humidité naturel est de 80 %. En revanche,

les 5 250 pieds de banane que compte l’exploita-tion sont nourris à l’engrais : 100 g par bananier tous les mois. Les producteurs ont réduit de 60 % l’utilisation des pesticides entre 1996 et 2006. Mais le « zéro phyto » n’est toujours pas d’actualité. Ici au Lamentin, 2,5 litres de désherbant dilués dans un fût de 200 litres sont épandus sur les parcelles. En moyenne, 7 kg de pesticides sont utilisés par ré-colte. « C’est dix fois plus au Costa Rica », se défend Eric de Lucy, président de l’Union des groupements de producteurs de banane de Guadeloupe et de Martinique (lire aussi pages 30-31). Une gouaille légendaire fait de lui le porte-voix des planteurs an-tillais, depuis la fusion des groupements des deux îles rivales, en 2003.Deux mois plus tard, me voici transformée en jeu-ne pousse. Au cinquième mois, les premières fleurs pointent leurs pétales. Je prends forme, une forme allongée. Je grossis, à l’ombre d’un film plastique bleu, pour éviter les échanges gazeux et les attaques diverses. Je suis encore verte. Puis vient, trois mois après la floraison, le moment de mon émancipa-tion, celui de la coupe.

Le plant de banane est issu d’une semence fabriquée en laboratoire dans l’Hérault.

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Jeunes pieds de banane en Martinique.

2/ La récolte, instant cléD’un geste ferme et précis, Taupin abat son cou-telas sur le haut du régime. D’un coup, 30 kg de bananes – 40 à 60 fruits – tombent sur l’épaule de Paul, un employé de l’exploitation, originaire de Sainte-Lucie, l’île anglophone voisine. C’est lui qui nous transporte jusqu’au hangar. Debout, mais à l’abri du soleil, Liliane nous lave, nous trie, nous découpe, et nous rince. « Cela fait dix ans que nous n’avons pas pris de va-cances, explique t-elle. La banane nous fait vivre. Mais il y a des hauts et des bas. Il y a des semaines

où sur 3 000 euros de bananes vendues, on ne touche que 1 500 euros. » Dans un grand bac d’eau salée, on nous passe au peigne fin : les plus jolies d’entre nous, celles qui ne comportent aucune tache noi-re, sont entreposées dans les cartons de la gamme « planteur », la plus prestigieuse. Les autres, dans les boîtes « premier prix ». Les cartons sont conçus pour accueillir 20 kg de ba-nanes. « Trop, c’est une perte pour le planteur, pas as-sez, et ce n’est pas réglementaire », poursuit Bernard Baratiny, responsable technique à Banamart.

A Saint-Joseph en Martinique, tri dans un bac d’eau salée.

3/ Cap sur la métropoleTous les mercredis, Liliane va livrer sa production dans l’une des trois plateformes « d’empotage » construites par les producteurs. Ce hangar, qui em-ploie trois personnes, est l’ultime étape avant le dé-part pour le port. Les cartons de bananes sont placés sur des palettes, elles-mêmes disposées au fond de conteneurs réfrigérés. « A l’intérieur de ces conte-neurs, et des cartons, la température est maintenue à 13°C, pour ralentir la maturation », explique David Dural, directeur du service agrotechnique de la pla-teforme d’empotage. La clé de la filière banane repose sur le principe de « juste mesure ». Un observateur fait cette remar-que : « Le calibre des bananes est arrêté pour convenir à des cartons types. La taille de ces cartons est conçue pour que ceux-ci soient empilés sur des palettes, qui sont elles-mêmes étudiées pour être stockées dans des conteneurs. Lesquels sont fabriqués à la taille des porte-conteneurs ! » Le moindre écart, et toute une chaîne déraille.C’est au port de la capitale, Fort-de-France, que l’on retrouve les bananes de Petite-Rivière. Chaque se-maine, les 250 cartons de Liliane et de Taupin débar-quent par conteneurs, avec ceux des autres planteurs martiniquais. Nous passons la nuit à la belle étoile, toujours à 13°C. Le lendemain matin, nos conte-neurs sont chargés, avec précaution, par des « cava-liers », en cale et sur le pont du bateau. Ce jeudi-là, le Fort Saint-Pierre, l’un des quatre porte-conteneurs de la Compagnie maritime d’affrètement CGM qui transportent les bananes antillaises jusqu’à la métro-pole, charge sa cargaison.

Avec ses 197 m de long, ce géant est taillé pour ac-cueillir 2 260 conteneurs de 10 à 20 tonnes chacun. Il quitte la Martinique le vendredi avec la produc-tion antillaise de bananes d’une semaine entière.

4/ L’arrivée à DunkerqueAprès dix jours de mer, le Fort Saint-Pierre et son commandant Didier Beuzit, un Morlaisien de 54 ans, aperçoivent enfin Dunkerque, port d’attache de la

Arrivage de bananes au port de Dunkerque, en octobre 2007.

banane antillaise. Chaque année, 400 000 tonnes de banane antillaise débarquent ici. A 10 heures, les doc-kers commencent le déchargement des conteneurs. Ce jour-là, des dizaines de palettes sont transportées jusqu’à l’entrepôt Banalliance, l’une des deux en-treprises spécialisées dans la banane, situé route des Caraïbes. A notre arrivée et avant de repartir, notre température (13° C) est vérifiée. A 6 000 km de Fort-de-France, le cahier des charges est identique. Nous sommes triées, palpées, scrutées. Trop molles ou trop jaunes ? Et nous sommes immédiatement mises à l’écart, pour ensuite être détruites.

Bras robotisésDans son entrepôt de 4 800m2, Banalliance accueille les bananes de 180 producteurs de Martinique, de Guadeloupe et du Surinam. 50 000 tonnes à l’an-née. A ce rythme, bien qu’inférieur à celui de Dun-fresh – le concurrent –, « tout est motorisé », précise Jérôme Dupont, responsable logistique. Les bana-nes prêtes à partir sont manipulées par des bras ro-botisés, « les mêmes que chez Renault ».Nous patientons sur des palettes de quelques heu-res à deux jours, en fonction de la destination et de la demande du client. C’est l’arrivée du camion 22 tonnes qui donne le top départ d’une autre partie du voyage. Le poids-lourd prend la direction du marché de Rungis, au sud de Paris. C’est là que je subis un traitement de choc.

5/ Le réveil à 18° CJe me réveille un lundi matin dans une chambre de l’entreprise Fruidor. Cette mûrisserie française, rachetée fin 2008 par les producteurs antillais pour 48 millions d’euros, s’anime dès 6 heures. De l’autre côté de l’Atlantique, la Martinique dort encore. Agents de maîtrise, ouvriers, techniciens : une qua-rantaine d’employés dorlote les 36 000 tonnes de ba-nanes qui débarquent de Martinique, Guadeloupe, Colombie ou République dominicaine. Fruidor se porte bien : avec six autres établissements en France, il réalise un chiffre d’affaires de 200 millions d’euros. Même si un employé lâche qu’avec le Cyclone Dean, en août 2007, qui avait mis à terre 70 % de la produc-tion de Guadeloupe et 100 % de celle de Martinique, il y a eu « des périodes difficiles ».

Un souffle de gazC’est dans cet entrepôt de 3 700 m2, que se joue une étape clé de mon existence. La température ambiante passe à 18° C. C’est la phase de « réveil ». De l’éthy-lène, un gaz naturel, est insufflé par des turbines. L’opération m’est indolore. Mais elle provoque une réaction biochimique qui transforme l’amidon en sucre : c’est l’hydrolyse. Je deviens toute jaune. « No-tre objectif est de maîtriser le temps », explique Yann Berrou, directeur du site. Au total, je vais rester mûrir pendant cinq à six jours. C’est ma couleur qui va dé-terminer le jour de mon départ.Enfin, on me donne un prix. La tendance du mar-ché est fixée par Aldi, hard-discounter allemand tel-lement puissant que son prix est devenu le mètre-étalon des professionnels. Au final, nous sommes passées entre les mains de 70 à 90 personnes : plan-teurs, ouvriers, techniciens qualité, dockers, mûris-seur. Au bout de ce voyage, au supermarché, nous sommes vendues 1,50 euro le kilo, en moyenne. Tandis qu’à 6 000 km de là, d’autres bananes pous-sent déjà sur les flancs de Petite Rivière. —ba

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Les producteurs de bananes de Guadeloupe et de Martinique :www.bananeguadeloupemartinique.com

Le Cirad, institut français de recherche agronomique :www.cirad.fr

Fruitrop, la revue du Cirad :http://passionfruit.cirad.fr

En Amérique latine, l’industrie de la banane a longtemps été liée aux pires régimes. Et la situation ne s’est pas vraiment amélio-rée. En mars 2007, Chiquita, géant mondial

de la banane, a reconnu avoir versé, entre 1997 et 2004, 1,7 million de dollars aux Autodéfenses unies de Colombie, une milice d’extrême droite. Souvent accusée d’être l’un des bras armés de la CIA sur le continent latino-américain, la multinationale nord-américaine a réussi à négocier une sortie en douceur avec le département américain de la Justice. Les six dirigeants de Chiquita incriminés s’en sont tirés avec

un chèque-amende de 25 millions de dollars et ont été exemptés de toute poursuite.Mais l’affaire n’est pas pour autant enterrée : 393 familles de victimes des paramilitaires dans les régions productrices de bananes ont déposé plainte aux Etats-Unis contre Chiquita. Leurs avocats récla-ment une indemnisation de 7,8 milliards de dollars pour « terrorisme, crimes de guerre, crimes contre l’humanité, exécutions sommaires et torture ». Du lourd. D’autant que la multinationale ne s’est peut-être pas contentée d’argent. En novembre 2001, 3 000 fusils AK-47 – les fameuses kalachnikov – et

Chiquita ou le régime de ferPour s’imposer en Amérique latine, le leader mondial n’a pas hésité à soutenir des mouvements armés. Et dans ses plantations, les bananes se ramassent à la chaîne. PAR CLOTILDE WARIN (AU COSTA RICA)

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1,7 million de dollars, la somme que Chiquita a reconnu avoir versée à une milice d’extrême droite.

70 % des salariés sont des immigrés venus du Nicaragua voisin.

La plantation reçoit 17 cycles d’engrais par an et des antifongiques chaque semaine par avion.

CREATION : 1899. NOM : Chiquita Brands International depuis 1990. EMPLOYES : 26 000 dont 14 000 en Amérique latine. CHIFFRE D’AFFAIRES : 4,7 milliards de dollars (2007). PARTS DE MARCHÉ : Chiquita (22 %), Dole Food Company (21 %), Fresh Del Monte Produce (16 %), Noboa (7 %), Fyffes (7 %).

2,5 millions de cartouches destinées à la même mi-lice ont été découverts à bord d’un des bateaux de la compagnie. Rattrapée par ses vieux démons, la multinationale tente depuis deux décennies de soigner son image. Pour cela, rien ne vaut un lifting radical. En 1990, la United Fruit Company abandonne son nom de bap-tème pour celui de Chiquita, sa mascotte, une jolie créole. Puis elle met un peu de vert dans ses fruits. Objectif : développement durable. Dès 1992, elle se rapproche intelligemment de l’ONG Rainforest Al-liance, pionnière de la certification « verte » des forêts et des produits agricoles. Huit ans plus tard, toutes les bananes d’Amérique latine de Chiquita portent le label – une grenouille – de Rainforest. Et les critères de l’ONG, comme le rappelle Ana Lucia Corrales, sa représentante au Costa Rica, sont rigoureux : « arbres plantés sur 10 % de la plantation, égalité de salaires en-tre les femmes et les hommes, pas de travail des enfants, liberté d’association… »

Empaquetés d’insecticideSur le terrain, dans la plantation Chiquita de Guaya-can, certifiée depuis 1995, la réalité est toutefois un peu différente. Certifiée ou non, la banane reste une culture industrielle. Les bananiers sont alignés sur des kilomètres le long d’allées numérotées. Du matin au soir, les ouvriers y accrochent les régimes à des câ-bles puis les poussent jusqu’à l’usine où ils sont lavés, étiquetés, puis emballés.Dans ce Germinal tropical, rien d’autre que la ba-nane ne doit vivre. Selon son responsable Oscar Bo-nilla, la plantation est bombardée « d’antifongiques chaque semaine par avion, d’herbicides toutes les huit semaines et d’engrais 17 cycles par an ». Sur chaque arbre, les bananes sont enveloppées dans des sacs en plastique bleu imprégnés d’insecticides, ce qui vaut à leur « empaqueteur » un contrôle sanguin tous les trois mois. En cas de contamination, cer-tification oblige, l’employé est muté sur un autre poste. Mais les remplaçants ne manquent pas : ici, plus de 70 % des employés sont des « Nicas », des immigrés venus du Nicaragua, pays voisin et beau-

coup moins riche. « C’est un travail très difficile, la chaleur est terrible et les cadences sont élevées », af-firme Melvin Chinchilla qui est, à 34 ans, l’un des plus vieux salariés de la plantation. Certes il y a eu des changements : « Avant si je m’étais syndiqué, ils m’auraient renvoyé dans l’après-midi. Plus mainte-nant. » Mais, si Chiquita affirme rémunérer ses sa-lariés au-dessus du salaire minimum légal au Costa Rica (160 euros), les employés, eux, confient être rétribués au nombre de régimes de bananes cueillis. « J’ai plus de travail sans changement de salaire », constate amèrement Melvin.

Absolution verteGrâce à Rainforest Alliance, la multinationale s’af-fiche pourtant en protecteur de la nature. Juste à côté de Guayacan, 100 hectares ont été transfor-més en réserve naturelle, financée par Chiquita et les supermarchés suisses Migros. La zone choisie, régulièrement inondée, n’était pas très intéressante pour les bananes. Mais c’est tout ce qui reste des centaines d’hectares de jungle défrichée en 1992. Il n’aura fallu que trois ans à Chiquita pour recevoir l’absolution de Rainforest Alliance. —

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Traitement phytosanitaire au Cameroun.

A ma gauche, la « banane dollar » part favorite. Sur le marché mon-dial, c’est un poids lourd. On-

ze pays producteurs d’Amérique latine (Equateur, Colombie, Costa Rica…) qui concentrent 67 % du marché européen. Ses points forts : le soutien des multina-tionales américaines (Chiquita Brands

Dollar/euro : le fruit de la discordeDans la guerre commerciale qui se joue autour de la banane, les coups pleuvent. Aucun des deux blocs, euro et dollar, ne veut lâcher ce magot de plus de 6 milliards de dollars. PAR YANN-OLIVIER BRICOMBERT

International Inc., Del Monte et Dole Food Company) qui, grâce à des coûts réduits, des techniques agricoles intensi-ves et de bas salaires, affichent sur la ba-lance un prix cassé : autour d’1,20 euro le kilo.A ma droite : le challenger. La « banane euro » des producteurs communautaires

(Canaries, Portugal, Guadeloupe, Mar-tinique) et des pays dits ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique), tels que le Came-roun, la Côte-d’Ivoire, la République dominicaine. Elle ne représente que 16 % de l’approvisionnement du marché européen. La banane euro ACP s’échan-ge entre 1,50 et 2,50 euro le kilo. st

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En Chine, en 2006.

La banane sans pesticides est-elle pour demain ?Soyons clairs. Aujourd’hui, on ne sait pas produire de bananes sans uti-liser de pesticides. Cependant, nous avons la banane la plus « propre » de toutes les bananes, car nous utilisons 6 à 10 fois moins de produits phytosanitaires que les gros pays producteurs. Nous souhaitons encore en réduire l’usage de 50 % d’ici à 2013. C’est tout le sens du plan « banane durable », signé en décembre avec Michel Barnier, le ministre de l’Agri-culture. Il faut savoir que les bananes « bio » produites ailleurs ont été traitées avec des engrais et des pesticides. En effet, le cahier des charges de l’organisme certificateur, qui délivre ce label, est propre à chaque pays (lire aussi pages 32-33).

Vous dites souvent que la banane antillaise est une « banane des droitsde l’homme ». Pourquoi ?Parce que nous respectons les réglementations européenne et française en matière de droit du travail et d’hygiène. Dans les plantations, tous nos sa-lariés sont déclarés. Ils ont des mutuelles, ils cotisent pour la retraite…Ce qui nous place bien au-dessus des conditions de travail dans les multi-nationales, et même des entreprises certifiées « fair trade » (commerce équitable). C’est une échelle de salaires qui va du Smic chez nous à une fourchette de 4 à 7 dollars par jour chez eux. Produire différemment des autres, ce n’est certes pas suffisant mais c’est nécessaire.

Craignez-vous l’arrivée sur le marché européen de nouvelles bananes, issues de pays émergents comme l’Inde, la Chine ou le Brésil, et moins chères ?C’est difficilement envisageable pour ces pays, tout simplement parce que le temps et le coût d’acheminement seraient trop importants. Faire ve-nir un bateau de Chine jusqu’en France, cela coûte de l’argent. Beaucoup d’argent. Quant à l’Inde qui est en effet le premier producteur mondial, sa banane est essentiellement destinée au marché local. —

« Produire avec moins de pesticides d’ici à 2013 »

ERIC DE LUCY, président de l’Union des groupements de producteurs de bananes de Guadeloupe et de Martinique (UGPBAN).

CREATION : 2003. MEMBRES : les trois groupements de producteurs que sont Banamart et Banalliance en Martinique, et les producteurs de Guadeloupe, soit 709 planteurs sur les deux îles. CHIFFRE D’AFFAIRES : 125 millions d’euros (2006).

Les producteurs communautaires ont d’abord cru bénéficier d’un coup de pouce de l’Organisation commune du marché de la banane (OCMB). Cette institution, créée en 1993, a en effet mis en place depuis le 1er janvier 2006 une taxe douanière de 176 euros la tonne, payée par les producteurs de la « ba-nane dollar ». Mais les Etats-Unis ont crié au match truqué et ont saisi à plu-sieurs reprises l’Organisation mondiale du commerce (OMC) contre cette taxe. Ils ont fini par remporter un round en juillet 2008. L’Union européenne a dû lâcher du lest en abaissant la taxe de 176 à 114 euros d’ici à 2015. « Depuis des an-nées, on a détricoté la préférence commu-nautaire et ACP au profit de la “ banane dollar ”, en ouvrant considérablement le marché », résume Denis Loeillet, écono-miste au Centre de coopération interna-tionale en recherche agronomique pour le développement (Cirad).

Soixante ans de prises de têteCette décision a été ressentie comme un coup dur côté des Antilles, d’autant que depuis le 1er janvier 2008, les pays de la zone ACP peuvent exporter tous leurs produits – sucre et riz exceptés – sans droit de douane vers le marché euro-péen. En échange, ils se sont engagés à ouvrir progressivement 80 % de leur marché aux produits de l’UE. Cet ac-cord fait tousser Eric de Lucy, président de l’Union des groupements de produc-teurs de bananes de Guadeloupe et de Martinique pour qui « [nos] intérêts ne sont pas défendus à Bruxelles ». Les désaccords autour de la banane ne datent d’ailleurs pas d’hier. En 1957, la signature du traité de Rome avait été re-poussée d’une semaine en raison d’un li-tige autour de la banane. La fin du match banane euro/dollar n’est donc pas pour demain. « Il faut voir la banane comme la pomme de discorde principale des re-lations commerciales entre l’Europe et les Etats-Unis », poursuit Denis Loeillet. C’est dire si les premiers mots de l’ad-ministration Obama sur le sujet sont attendus. —st

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Que recouvre ce label ?La clé, c’est le label. Et pour pouvoir décrocher ce sésame délivré par FLO, l’organisme international de certification du commerce équitable, les petits producteurs de bananes et l’importateur établis-sent un contrat. Ce bout de papier stipule un prix plancher par caisse de bananes (18,14 kg). La règle est simple. Le tarif est fixé selon les conditions de production et de vie du pays. Il garantit au moins le prix du marché. Pour chaque caisse, 1 dollar supplé-mentaire doit financer des projets communautaires environnementaux ou sociaux. L’objectif : permet-tre aux petits producteurs d’accéder aux marchés internationaux. C’est le réseau des Biocoop qui, dès 2001, a tiré le premier dans l’Hexagone.

En France, la banane équitable reste un mets rare. 7 189 tonnes ont été distribuées l’année dernière. Une augmentation certes spectaculaire de 60 % par rapport à 2006, mais qui représente tout juste 1 % de la consommation nationale de bananes. Chez nous, 99 % des bananes certifiées équitables sont aussi bio, ce qui explique, en partie, leur prix élevé. Début 2009, dans un supermarché parisien, la banane bio de République dominicaine, labellisée Max Have-

laar, coûtait 2,50 euros le kilo quand, de l’autre côté du présentoir, la Cavendish venue du Cameroun ou de la Martinique se vendait à 1,75 euro le kilo.

Qui se cache derrière la banane équitable ?Douze organisations de producteurs certifiés dans cinq pays (République dominicaine, Ghana, Co-lombie, Pérou et Equateur) vendent sur le marché français. De l’autre côté, chez les importateurs, on trouve de tout. Le plus gros – la moitié des bananes équitables commercialisées en France – se nomme AgroFair. La société distribue sous sa propre mar-que, Oke, dans les supermarchés Casino, Carrefour et Leclerc. Créée aux Pays-Bas en 1997, cette struc-ture appartient pour moitié aux producteurs eux-mêmes qui sont coactionnaires via une coopérative internationale. « En cas d’ouragan en République dominicaine, d’inondations en Equateur ou au Pé-rou, explique Gilles Deprelle, représentant d’Agro-Fair en France, nous restons forts. En travaillant en-semble, nous mutualisons les risques. »Mais d’autres sociétés, à l’origine très éloignées des principes du commerce équitable, sont présentes dans les circuits, comme le géant des fruits et lé-

L’équitable ? Difficile à éplucherElle est jaune, oblongue et mangeable en banana split. Son signe de reconnaissance : le logo Max Havelaar, seul organisme en France qui garantit que ce fruit n’est pas passé par une filière conventionnelle. Vraiment équitable ? PAR CECILE CAZENAVE

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aMax Havelaar :www.maxhavelaarfrance.org

Petits producteurs de bananes équatoriens El Guabo :www.asoguabo.com.ec

AgroFair :www.agrofair.nl

gumes Pomona ou la multinationale du fruit Dole. Cette dernière fait, avec d’autres, la pluie et le beau temps sur le marché de la banane « classique ». Sa branche française a développé, depuis 2005, une petite filière équitable : 1 000 tonnes distribuées cette année, soit 1 % du volume bananes de Dole France.

Quel profit pour le petit producteur ? C’est la question qui fait mal. La filière est en ef-fet plutôt opaque. Solveig Roquigny, doctorante à l’UMR MOISA du Centre de coopération in-ternationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), finalise actuellement une étude de terrain de plusieurs mois en République dominicaine puis en Europe (1). Elle a passé au scanner les filières conventionnelle, bio, équitable et bioéquitable. Ses résultats sont plus nuancés que l’image attendue. Certes, le producteur gagne mieux sa vie. Une fois les coûts de production dé-duits, sa caisse de bananes équitables lui rapporte deux fois plus que s’il l’avait vendue sur la filière conventionnelle. Mais s’il cultive en bioéquitable, sa marge n’est que de 16 % supérieure. Quant à

savoir où vont les sous déboursés par la ménagère française, c’est une autre histoire.

La chercheuse a suivi la piste de la banane domini-caine jusqu’à la caisse du supermarché. A l’arrivée, 13,2 % du prix d’une caisse revient au producteur dans la filière équitable, contre 12,9 % dans la fi-lière conventionnelle et seulement 11,7 % dans la filière bioéquitable celle que l’on trouve commu-nément en France ! Maigre différence. « Ce sont les supermarchés qui continuent de mener la danse, les producteurs demeurent très dépendants des ac-teurs de l’aval », explique Solveig Roquigny. Ainsi, dans la filière bio-équitable, 48 % du prix de détail va dans les poches de la grande surface qui com-mercialise le banane, contre 42 % dans la filière conventionnelle et, plus raisonnablement, 28 % dans la filière équitable !

Plus préoccupant aux yeux de la chercheuse, ce sont les mêmes acteurs (exportateurs, impor-tateurs, mûrisseurs, distributeurs) qui opèrent sur les filières alternatives et conventionnelle. En d’autres termes, les filières de la banane équitable sont soumises à une très forte concurrence, bien loin des idéaux d’une équité dans le commerce. En République dominicaine, la plus grande plan-tation du pays a également reçu une certification FLO et commercialise des bananes équitables. Or, elle appartient au plus gros exportateur de bana-nes de République dominicaine, qui se charge du remplissage des bateaux et par qui doivent égale-ment passer les petits producteurs pour exporter leurs propres bananes équitables. « Les mêmes lo-giques guident les deux filières. Un jour, si les petits producteurs ne sont pas assez compétitifs, on pourra s’en passer », s’inquiète la chercheuse. —(1) Enquête menée sur 38 producteurs dominicains, entre 2006 et 2007.pa

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« Ce sont les supermarchés qui continuent de mener la danse. Les producteurs demeurent très dépendants. »

La banane équitable est

empaquetée pour ne pas

être mélangée avec sa

version « classique ».