Baratte - Observations Sur La Vaiselle d'Argent

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OBSERVATIONS SUR LA VAISSELLE D'ARGENT ET SES POSSESSEURS LA FIN DE L'ANTIQUIT.FRANOIS BARATTEDcouvert en 1847 Almendralejo pres de Badajoz, le grand plat d'argent traditionnellement connu sous le nom de missorium de Thodose est certainement l'un des objets les plus impressionnants que nous ait laisss la fin de l'Antiquit, une des pices d'argenterie les plus lourdes, plus de 15 kg, et une des plus grandes, 74 cm de dimetre' ; c'est aussi une des rares parmi celles qui comportent un dcor aussi labor dont la date soit fixe avec prcision. En effet, si l'on excepte une tentative malheureuse pour en attribuer l'excution au regne de Thodose 11^, tous s'accordent pour reconnaitre dans le personnage reprsent au centre Thodose I lui-mme, entour de ses deux co-empereurs, Valentinien II et Arcadius, son neveu et l'un de ses fils, ou bien Arcadius et Honorius, ses deux fils : les avis divergent sur ce point, mme si la premire proposition est la plus gnralement avance. Aucun element d'identification ne peut tre tir de l'image elle-mme : ses caracterstiques sont telles qu'il est vain, bien videmment, de tenter de reconnaitre l'ge rel des personnages et de les identifier de cette manire ; tout au plus peut-on souligner la hirarchie tres claire qui est institue entre eux, par les tailles respectives comme par les attitudes.

' Nous renverrons seulement ici R. Delbraeck, Die Consulardiptychen und venvandte Denkmler, Berln, 1929, n62, p. 235-242 ; J. Arce, El missorium de Teodosio I: precisiones y observaciones, Archivo Espanol de Arqueologia, 49, 1976, p. 119-139 ; Spatantikes undfrhes Christentum, Fiancfort, 1983, n228, p. 645-647. 2 J. Meischner, Das Portrat der theodosianischen Epoche II (400 bis 460 n. Chr), Jdl, 106,1991, p. 399.

63Annals de l'Institut d'Estudis Gironins. Vol. XXXVI, 1996 97 Girona MCMXCVI - MCMXCVII

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C'est en tout cas l'anniversaire du 19 janvier 388 qui est clbr ici. Les souverains y sont entours de leurs gardes du corps. Devant Thodose s'avance un dernier personnage, vtu d'une tunique courte brode et d'une longue chlamyde agrafe sur l'paule par une fibule, dans laquelle il reoit des mains de l'empereur les codicilles correspondant sa charge, sous la forme d'un diptyque. II s'agit sans nul doute, tous en sont d'accord, d'un tres haut fonctionnaire, que l'on a diversement identifi : le vicarius Hispaniarum ont pens certains en raison du lieu de trouvaille ; ou bien encore, puisque les dcennales ont t clbres Constantinople, le prfet du prtoireper Orientem, qui est cette date Cynegius, sans doute un espagnol, galement consul pour cette anne l^. On ne s'attardera pas ici sur ces identifications, entre lesquelles il est sans doute impossible de trancher, et qui peut-tre, ne correspondent pas une veritable question. Nous ignorons tout en effet des circonstances dans lequel le missorium est parvenu en Espagne, envoy par l'empereur son premier destinataire ou directement reu par lui la Cour, ou bien pass par plusieurs intermdiaires : dans ce cas, la prsence Almendralejo n'aurait plus rien voir avec celui auquel le plat aurait t offert. Mais on observera plutt le caractre tres particulier du missorium et de son dcor. II commmore en effet les dcennales de Thodose, l'inscription l'indique sans ambigut, ainsi que la reprsentation hiratique des trois empereurs sous une architecture symbolique. Mais se mle cette clbration une scne particulire : l'investiture d'un magistrat. Le plat n'est donc pas l'equivalent exact des missoria de Kertch" ou de Genve^ sur lesquels l'empereur est reprsent en dehors de toute action particulire, mais en triomphateur, cheval accompagn de la Victoire, ou debout entour de soldats; le souverain trne galement seul avec ses gardes du corps sur le plat de Gross Bodungen^, le plus proche pourtant de celui d'Almendralejo. Ce dernier combine en quel-

3 PLRE I, Matemus Cynegius 3. " A. Effenberger, B. Marsak, V. Zalesskaja, I. Zaseckaja, Spatantike und frUhbyzantinische Silbergefsse aus der Staatlichen Ermitage Leningrad, Berln, 1978, nl, p. 78-81. 5 W. Deonna, Notes d'archologie suisse. VI. Le missorium de Valentinien, Anzeiger fiir Schweizerische Geschichte undAltertumskunde, 22, 1920, p. 18-32 et 92-104 ; F. Baratte, K. S. Painter, Tresors d'orfvrerie gallo-romains, Paris-Lyon, 1989, n236, p. 271-272. ' W. Grnhagen, Der Schatz von Gross Bodungen, Berln, 1954, pi. 2-3.

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que sorte deux vnements, ventuellement concomitants, mais tout de mme distincts, les dcennales et la crmonie de nomination. Mais la seconde n'a peut-tre qu'un rle secondaire, celui de montrer l'empereur dans un acte essentiel pour la bonne marche de l'empire et de son administration. L'identit de celui qui est reprsent n'a en somme qu'une importance limite : il n'est pas l en tant qu'individu. Offert certes une personne prcise, le plat n'en donnait pas ncessairement l'image ; il n'est en aucune faon du mme ordre que, par exemple, le diptyque en ivoire qui, quelques annes plus tard, vers 400, prsente deux reprises l'image de Rufius Probianus, vicarius urbis Romae'. Toutefois la discussion sur le personnage reprsent sur le missorium, mme si elle ne peut aboutir une Identification assure, conduit indirectement s'interroger sur la personnait des possesseurs des grands services d'argenterie dont l'Antiquit tardive a livr des exemples spectaculaires, rcemment encore avec le tresor de Sevso. II est tentant en effet, en prsence d'ensembles dont on a peut-tre d'ailleurs tendance surestimer l'importance, de mener une enqute sur leurs propritaires, en les cherchant de prfrence, suivant un penchant maintes fois attest, parmi les personnages les plus en vue de la socit contemporaine. II suffit de rappeler, de manire presque caricaturale, comment certains ont suggr peu aprs la dcouverte d'attribuer les objets de Kaiseraugst l'empereur Julien lui-mme en arguant du thme trait sur l'un des plats, la vie d'Achille^, et de la richesse suppose de cet ensemble, 35 kg de vaisselle, auxquels s'ajoutent il est vrai 22 kg supplmentaires, rapparus rcemment alors qu'ils avaient t conservs pendant plus de 30 ans dans une collection prive' ; mais ce poids, 57 kg, est encore loin d'tre considerable : pour fixer un point de repre, le plus grand ensemble d'argenterie romaine dcouvert jusqu' present, celui trouv Treves au 17^ s., malheureusement fondu et connu seulement par une minutieuse description, reprsentait le double, 115 kg de mtal prcieux'".

' Delbraeck, op. cit., n65, p. 550-252 ; Gallien in der Sptantike, Mainz, 1980, n22, p. 40. PLRE II, Rufius Probianus 7. 8 M. A. Manacorda, La paideia diAchille, Rome, 1971. 9 Basler Zeitung, 31.8.1995. 10 W. Binsfeld, Der 1628 in Trier getundene rmische Silberschatz, Trierei- Zeitschrift, 42, 1979, p 113-127.

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On s'est donc souvent efforc de tirer parti des indications mme les plus tnues, en particulier des inscriptions qui figurent sur les objets, qu'il s'agisse de graffiti sommairement tracs au revers, qui n'taient pas destins tre vus par l'observateur ordinaire, ou de textes plus soigns dont la fonction tait prcisment d'attirer l'attention sur leurs possesseurs. Les exemples n'en sont pas tres nombreux : le coffret de Projecta et de Secundus du tresor de l'Esquilin" offre un rappel spectaculaire de la foi chrtienne du couple, dont l'appartenance l'une des grandes familles de Rome la fin du 4^ s., celle des Turcii^^, est assure par les elegants monogrammes niells qui reviennent sur plusieurs petits plateaux". L'inscription qui entoure le mdaillon central du plat de Sevso" (HEC SEVSO TIBI DVRENT PER SAECVLA MVLTA POSTERIS VT PROSINT VASCVLA DIGNA TVIS), mme si elle en nomme aussi le possesseur, par ailleurs inconnu, est d'une autre nature : elle voque en effet la prosprit de sa descendance, insistant par conseqent sur l'ide de la fiert familiale. Les rminiscences vergiliennes presentes dans le texte mettent en vidence la culture, relle ou suppose, de Sevso'l C'est la mme dignit familiale, celle des Eusebii, qui est tres explicitement clbre par le texte (EVSEBIORVM DIGNITAS) et par l'image sur les deux cuillers de la trouvaille de San Canziano d'Isonzo, aujourd'hui prdues'*, un des ensembles les plus significatifs de ce point de vue avec le

" K. J. Shelton, TheEsquiline Treasure, Londres, 1981, nl, p. 72-75, pl.4. 12 PLRE I, stemma 29 ; ibid., Projecta. 13 Shelton, op. cit., n5-12, pi, 26-27. " M. Mundell Mango, The Sevso Treasure Hunting Plate, Apollo, CXXXII, juillet 1990, p. 211, pi. II; A. Bennett, M. Mundell Mango, The Sevso Treasure I, Ann Arbor, 1994, p. 55-97. 15 Rminiscences vergiliennes que l'on retrouve notamment sur deux des cuillers du tresor de Lampsaque : F. Baratte, Vaisselle d'argent, souvenirs littraires et manires de table : l'exemple des cuillers de Lampsaque, Cahiers archologiques, 40, 1992, p. 5-20, en particulier p. 10 ; S. Hauser, Sptantike undfrhbyzantinischeSilberlffel, Jahrbuch fur Antike und Christentum, Erganzungsband 19, Mnster, 1992, p. 72-73. 1' R. Garrucc, Storia dell'arte cristiana, 6, Rome, 1880, p. 90, pi. 462. PLRE I, Eusebius 39, 40 (consuls en 347 et 359).

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missorium d'Aspar". Ce dernier, dcouvert Orbetello en Toscane, n'est pas seulement une clbration du consulat de 434 assum par FI. Ardabur Aspar, analogue par conseqent aux diptyques "consulaires" en ivoire. Mais c'est toute la famille qui est associe cette gloire, dans la personne du jeune prteur, Ardabur jnior, le fils du consul, mais aussi de son pre FI. Ardabur, consul en 427, et de son beau-pre Plinta, consul galement, en 419. Les inscriptions, puisque chacun des personnages est nomm, sont l pour viter toute hsitation sur les figures reprsentes, et donc sur leur importance. Mais on doit observer aussi que la plupart des noms que l'on voit apparaitre sur la vaisselle d'argent restent des inconnus : c'est le cas en particulier de tous ceux qui sont nomms, souvent sous la forme d'une inscription tres soigne, nielle, sur d'assez nombreuses cuillers ; un seul exemple peut suffire : celui de ce Pompeianus dont le nom revient en lettres nielles sur le manche des exemplaires de la trouvaille de Monbadon, pres de Libourne^^. Pas plus que Sevso nous ne pouvons l'identifier, et il en va de mme pour bien d'autres, notamment pour ces Cresconii qui apparaissent dans une inscription tres soigne sur l'une des coupes du tresor dcouvert vers 1840 Carthage^' : le nom est bien connu dans la prosopographie de l'Afrique romaine la fin de l'Antiquit, mais, comme l'a dj soulign A. Cameron^, il est prcisment trop rpandu ; tous ceux qui le portent n'ont pas un statut social brillant et rien ne permet d'affirmer, comme on l'a fait parfois, que les possesseurs de ce petit ensemble aient joui dans la socit contemporaine d'une place de choix, mais rien ne l'exclut non plus. A plus forte raison observera-t-on la plus grande prudence dans l'identification des noms qui reviennent seulement sous forme de graffiti plus ou moins rpides au revers de certains objets : il nous semble ainsi qu'Eutherios, le possesseur de quelques pices du tresor de Mildenhall, en

1' L. Musso, Manifatura suntuaria e committenza pagana nella Roma del IVsecoIo. Indagine sulla lanx di Parabiago, Rome, 1983, p. 19-20. PLRE II, Aidabur iunior 1, FI. Ardabur 3, FI. Ardabur Aspar, Plinta, 1 Tresors d'orfvrerie gallo-romains, n244-245. 8 ' 0. M. Dalton, Catalogue ofEarly ChristianAntiquiies and Objects from the Christian East, British Museum, Londres, 1920, n358 ; K. S. Painter, J. P. C. Kent, Wealth of the Roman World, Londres, 1977, n100. Nous prparons avec M^"^ C. Metzger une publication d'ensemble sur ce tresor. 2 A. Cameron, Observations on the distribution and ownership of late Roman silver plate, Journal of Roman Archaeology, 5,1992, p. 178-185, en particulier p. 180, n.22.

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dpit de la proposition sduisante faite par K. Painter d'y reconnatre lepraepositus sacri cubiculi de Julien en Gaule^' de 355 361, reste pour nous un inconnu, cette place prminente et cette identification n'tant confirmes par aucun indice ; il en va de mme pour Romulus et Marcellianus, nomms sur plusieurs objets de Kaiseraugst, peu nombreux et parmi les plus modestes. L'hypothse selon laquelle il s'agirait du commandant en chef des troupes de Magnence la bataille de Mursa et de son magister peditum^^ se heurte en fait de srieux obstacles, de chronologie dans les carrires ou tout simplement de nom, puisqu'on ne saurait sans hsitation assimiler Marcellianus, le personnage nomm sur les graffiti, et Marcellinus l'officier suprieur que mentionnent les textes^'. Pour apprcier leur plus juste valeur les informations que foumissent les objets, on examinera avec attention les tmoignages littraires. Ceux-ci en effet montrent, de toutes les manires possibles, quel point le got pour la vaisselle prcieuse a pntr la socit la fin de l'Antiquit, depuis longtemps d'ailleurs, c'est--dire depuis la fin de la Rpublique ; l'Antiquit tardive, de ce point de vue en tout cas, n'a pas modifi fondamentalement la situation, mme si les attestations de l'usage d'objets d'or et d'argent sur la table, mais aussi dans bien d'autres contextes, comme mobilier notamment, sont particulirement nombreuses pour cette priode. Quelques exemples peuvent illustrer cette diversit : Jean Lydus mentionne ainsi (de magistratibus I, 14) les ustensiles en argent, cratre, canthare, trpied et encrier employs par le prfet du prtoire dans son rle de juge ; on rapprochera ce texte et le matriel qu'il mentionne des quatre statuettes en argent personnifiant autant de cits, Rome, Constantinople, Antioche et Alexandrie, appartenant au tresor de l'Esquilin, dont on a suppos qu'elles dcoraient le sige de fonction d'un magistrat^" Mais en dehors mme du Digeste et des Codes qui fixent le cadre juridique de la discussion, la liste est longue des textes qui font mentien de manire plus ou moins explicite de l'argenterie et qui tmoignent ainsi de sa21 K. S. Painter, The Mildenhall Treasure, lx)ndres, 1977, p. 22. 22 H. Wrede, H . A . Cahn, dans H. A . Cahn, A . Kaufmann-Heinimann, Der Silberschatz von Kaiseraugst, Derendingen, 1984, p. 408-409. 23 Cameron, op. cit., p. 184-185. 2' Shelton, op. cit., n30-33. spatrmische

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large diffusion. Quelques allusions de la part de Libanius, peu nombreuses d'ailleurs, ou de Thodoret montrent que la vaisselle d'argent est une chose banale, qu'il s'agisse de l'orfvre dont le statut social est rapproch de celui du cordonnier^^, ou du jeune curiale qui offre sa matresse des vases prcieux pour s'attacher ses faveurs^*. Les crivains chrtiens, Basile de Csare^^, Jrme^*, Astrius d'Amase^^, Grgoire de Nysse^" et tout particulirement Jean Chrysostome^', pour prendre quelques exemples, multiplient les condamnations portes sur une richesse gaspille qui s'tale insolement aux yeux des pauvres, qu'il s'agisse de vases de toutes sortes ou du mobilier lui-mme : lorsque l'ennemi ser aux portes de la ville, ou que la maladie vous atteindra, quoi servira-t-il d'avoir un lit d'argent pour dormir ? Le comble de la vanit et de la futilit, aux yeux des moralistes, est reprsent par les pots de chambre en argent'^. La rptition de ces thmes s'explique coup sr par la banalit de l'usage du mtal prcieux. Mais elle montre en mme temps la prudence qui s'impose face ces mentions littraires : on y trouve coup sr un reflet des usages de la socit contemporaine, mais aussi bien des lieux communs. La richesse dtourne de Dieu, tout simplement elle corrompt ; il faut donc la proscrire. Mais on trouvera sans peine chez les poetes du haut empire, chez Juvnal ou chez d'autres, la mme condamnation dans des termes equivalents. C'est un dveloppement commun aux paens et aux chrtiens que de dplorer la dcadence d'une socit qui vit dans un luxe dmesur ; s'y ajou-

25 Thodoret, de providentia 6 (PG 83, 660) ^ Libanios, Or. 28,17. 27 Hom. 7, 4 {PG 3 1 , 2 9 2 ) ; 14, 6 {PG 3 1 , 456) 28 Ep. 66, 8. 2 Hom. 1, 5 (d. C. Datema, p. 10); Hom. 3, 12,13 (d. Datema, p. 35) 30 De oratione dominica 4 {PG 44, 1 1 7 2 ) ; PG 4 6 , 4 6 8 .

31 De Lazaro 1, 8 et 2, 3 ; le capto Eutropio 3 {PG 52, 399) ; In Psalmum XLVIII, 2, 2 {PG 55, 515); In Matthaeum 20, 2 ; 20, 4 ; 83, 4 {PG 57, 2 9 1 ; 58, 750); In Johannem 53, 3 {PG 59, 296); In Ep. ad Romanos 11, 6 (PG 60,492); In Ep. ad Corinthios I, 21, 6 {PG 61,179); In Ep. ad Ephesios 13, 4 {PG 62, 97). 32 Jean Chrysostome, In Ep. ad Colosseos 7 , 4 {PG 62, 349); Nil d'Ancyre, Peristeria 79, 876, texte a p o c r y p h e ) ; Vie de Thodore de Sykon 4 2 , d. J. Festugire, p. 36-37. 9, 7 {PG

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te encore, pour la fin de l'antiquit, partir du 4^ s., un got affirm dans une partie de l'aristocrtic pour une forme d'ascetisme'^ : les dnonciations vigoureuses qui insistent longuement sur les aspects les plus futiles et les plus scandaleux de l'usage de l'argenterie pour mieux inciter leur auditeur changer son comportement sont donc considrer avec prudence. Elles ont un aspect rhtorique evident, et ne doivent pas tre prises au pied de la lettre. Mais en mme temps elles n'ont Heu d'tre, sous une forme aussi prcise, que parce que chacun parmi les contemporains sait bien que la vaisselle d'argent est tres rpandue et qu'elle est, chez certains, un element essentiel du luxe. On s'en persuadera un peu plus si l'on considre les prcautions qui sont prises, par exemple, pour viter que ne soient vendus les tresors des glises (des mesures anlogues existaient dj pour protger les tresors des temples). Un seul motif est lgitime, les textes le rptent l'envi, le rachat des captifs'*. Cela signifie, de toute vidence, que les occasions ne manquaient pas pour les vques peu scrupuleux de confondre l'argenterie de leurs glises et la leur, puisqu' plusieurs reprises certains ont t mis en accusation pour ce motif: ainsi en 449 l'vque Ibas est-il condamn par un synode runi Edesse ("Robber-council")^'. A l'inverse peut-on considrer le tmoignage de Possidius sur saint Augustin ; pour louer la simplicit de son mode de vie, son biographe souligne que l'vque n'utilise sa table, en fait d'argenterie, que des cuillers, l'exclusion de coupes ou de plats'*. La mme prcision est donne pour Csaire d'Arles, lou, lui aussi, pour n'avoir possd que des cuillers d'argent''. Ce sont l des ancdotes qui appartiennent videmment pour une large part la lgende dore, mais elles montrent bien par la mme quel point il tait dsormais banal, mme pour un dignitaire de l'glise, d'avoir

33 P. Brown, Aspects of the Christianization of the Roman Aristocraty, JRS, 51, 1961, p. 1-11. 3" Cod. lustinianus I, 2, 21 ; Nov. lust. 7, 8 ; Ambroise, de offics 2, 28, 136 ; Possidius, VUa Augusdni 24 ; Vie de Csaire d'Arles I, 32 (d. W. Klingshim, p. 25). 35 E. Schwartz, Acta concilorum oecumenicorum II, 1, 3, 24 (II, 3, 3, p. 29); pour la version syriaque : i. Flemmng, Akten des ephesischen Synode vom Jahre 449, Abhandl. der konigl. Gesellschaft der Wiss. zu Gttingen, Phil.-Hist. Kl. 15,1917, p. 18 et p. 58. Voir galement Actes du synode du Chne (Photius, Bibliothque 59, Sources chrtiennes 342, p. 102-103).36 Vie de saint Augustin, 37 Vie de Csaire d'Arles XXII, 5 (ed. M . Pellegrino, 1955, p . 122). I, 3 2 (d. Klingshim, p . 25)

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sur sa table de la vaisselle prcieuse, puisque c'est faire preuve d'un ascetisme digne d'loges que renoncer un service complet. A l'inverse, d'autres vques s'enorgueillissaient de pouvoir garnir leur table d'une masse imposante d'argenterie : citons seulement ici le cas rapport dans la vie de Jean l'Aumnier de l'vque gyptien Trolos qui vient Alexandrie, lors d'une assemble synodale, avec 30 livres d'or, une somme importante, pour acheter un service d'argenterie son usage personnel. Seules les remontrances de ses confrres le dtourneront de ce projet et l'entraineront consacrer cette somme aux pauvres'*. On pourrait ainsi multiplier les tmoignages, positifs ou ngatifs, qui montrent sans ambigut que la vaisselle prcieuse est indissociable du mode de vie des categories sociales les plus favorises. C'est un des elements dont Paulin de Pella dplore la perte lorsqu'il voque, dans VEucharisticos (v. 209), les revers de fortune de sa famille ruine par les invasions, et l'agrment de la vie qui tait la sienne avant ces vnements. Mais il suffit encore d'observer les nombreuses allusions des cadeaux en argenterie reus ou offerts notamment l'occasion d'une magistrature : elles nous introduisent de nouveau dans le cadre relativement troit des famlies les plus aises de la socit de la fin de l'Antiquit. Le tmoignage bien connu de Symmaque, s'il n'est pas isol, est particulirement prcis : on le voit envoyer ses amis des tablettes d'ivoire et des corbeilles en argent l'occasion de la questure et de la prture de son fils'' ; de mme Libanios remercie-t-il Tatianos de l'envoi de vaisselle d'argent pour son consulat en 391*. Dj au milieu du 4^ s. Julien, nomm Csar, recevait-il en cadeau de l'impratrice Eusebia 20 bassins en argent''^ II ne fait pas de doutes que ce systme de cadeaux recproques tait aussi largement rpandu dans l'antiquit tardive qu'il l'tait au debut de l'empire : pour cette priode ancienne, le tmoignage de Martial foumit des informations nombreuses et precises compte tenu de l'exagera's Vie de Jean l'Aumnier 27, Analecta Bollandiana 45,1927, p. 19-73. 3 Ep. II, 81 ; V, 56 ; VII, 76. "o Ep. 1021."1 Or. 2, 23d. Cf. galement Ep. 40. Sur la question des cadeaux et des distributions d'argenterie on consultera, outre l'tude d'A. Cameron cite plus haut, R. Delmaire, Les largesses impriales et l'mission d'argenterie du IVe au Vie s., dans F. Baratte (d.), Argenterie romaine et byzantine, Paris, 1988, p. 113-121; id., Largesses sacres et res privata. i 'aerarium imperial et son administration du IVe au Vie s.. Roma, 1989, p. 471-494.

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tion potique : il concerne un large milieu, sous des formes tres diverses, parfois modestes"^. On s'en tonnera d'autant moins qu'il existe bien des raisons pour possder de la vaisselle d'argent, certaines parfois inattendues, comme le montre un exemple 11 est vrai plus ancien (11 date du haut empire), mais tres significatif: le testament de Dasumius, consul en 103, est connu par une inscription trouve dans la Vigna Ammendola sur la Voie Appienne"^. Dans ce texte rdig en 108, rendu clebre par la qualit de certains lgataires, il est beaucoup question de mtal prcieux : Dasumius dispose notamment de ses effigies, imagines, en or et en argent (1. 74). Mais il lgue plus particulirement sa nourrice tout ce qu'elle choisira dans sa vaisselle boire et manger, argenti escari et potori (1. 38). La formule est intressante : au del de l'allusion un veritable service de vaisselle complet, dsign par une formule que l'on retrouve ailleurs pour le haut empire, on retiendra ce legs fait une personne de confiance, mais de condition sans doute modeste ; don gnreux qui permet la nourrice de constituer pour elle-mme son propre service (ministerium) en mtal prcieux, mais qui apporte par l un clairage inattendu sur la diffusion tres complexe de l'orfvrerie. Nous ne possdons aucune Information sur la nature et le nombre des objets choisis par la nourrice ; mais si par l'effet du hasard ce petit ensemble tait parvenu jusqu' nous quel moyen aurions-nous de reconstituer son histoire et de connaitre la qualit de ses possesseurs successifs ? Comment pourrait-on, mises part d'ventuelles inscriptions, les attribuer Dasumius ou sa nourrice, et savoir qu'ils ont appartenu l'un et l'autre ? On peut donc affirmer que la possession d'argenterie est un phnomne qui concerne bien d'autres milieux que les plus riches, mme si, bien souvent, ce n'est sans doute que sous une forme tout fait rduite, quelques cuillers par exemple. L'examen du mobilier retrouve dans les tombes du nord de la France pour la seconde moiti du 4^ s. et le debut du 5^ s. est rvlateur cet gard, puisqu'il comporte plusieurs reprises une unique cuiller en argent (que remplace le plus souvent un exemplaire en bronze, ou bien en mtal argent ou tam), ce qui est significatif galement de l'importance qui s'attache la vaisselle d'argent (ou ce qui lui ressemble)

Martial II, 76 ; V, 59 ; X, 57 ; XI, 105, par exemple. CIL VI10129

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comme signe d'opulence et d'importance sociale'"'. Les achats peuvent tre faits en fonction de la mode, des gots personnels, mais aussi du dsir de paraitre : il conviendrait ainsi de rflchir au rle de la vaisselle de bronze argente, tres frquente dans la Gaule du 3*^ s. et souvent tres proche par ses formes et son dcor de l'argenterie. EUe en constitue un substitut, sans doute meilleur march, mais veut souvent se confondre avec elle, comme le montre le fait qu'elle est frquemment prsente dans les mmes tresors, dans celui de Lyon-Vaise entre autres*'. Curieusement, et le phnomne mrite rflexion, elle semble avoir perdu de son importance par la suite. Mais on ne doit pas mconnatre non plus, pour expliquer la diffusion de la vaisselle d'argent, qu'elle assume une fonction conomique non ngligeable : c'est un capital investi dans une masse de mtal prcieux, et elle entre dans un systme d'changes dont on ne saurait surestimer l'importance la fin de l'antiquit. Or dans ce domaine encore l'examen des attitudes telles que nous les dcouvrons travers les textes nous renseigne aussi sur ceux qui possdent ces objets. Nous avons dj mentionn les cadeaux, qui reposent sur le principe de la rciprocit l'intrieur d'un mme groupe social, ou qui peuvent correspondre une dpendance verticale dans la socit (c'est le cas du legs de Dasumius sa nourrice). Mais la vaisselle d'argent intervient encore dans les dons faits aux temples, encore la fin du 4^ s. comme le montrent les cuillers ddies Faunus du tresor de Thetford"*, et aux glises, qui succdent sans transformations fondamentales aux precedents"^, et dans les oeuvres de charit. Si le luxe de la table est si vigoureusement condamn, c'est aussi pour inciter les plus riches en utiliser les elements pour soulager les pauvres ; les exemples que donnent les textes sont nombreux : dans la vie de Mlanie comme dans celle de Porphyre de Gaza, par exemple, de pieuses personnes vendent leur argenterie ou la

" Par exemple dans les ncropoles de Vermand et de Saint-Quentin (Aisne): Th. Eck, Les deux cimetires gallo-romains de Vermand el Saint-Quentin, Saint-Quentin, 1891, p. 40, 48, 49, 59, 63, 114, 205, 217. s J. P. Lascoux et alii, Le tresor de Vaise (Lyon, Rhne), Lyon, 1994, p. 13. C. Johns, T. Potter, The Thetford Treasure, Londres, 1983. w " F. Baratte, Les tresors de temple dans le monde romain. Une expression particulire de la pit, dans S. Boyd, M. Mundell Mango (d.), Ecclesistical Silver Plate in Sixht-Century Byzantium, Washington, 1993, p. 111-121.

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mettent en pices et en distribuent le produit aux ncessiteux**. On retiendra ainsi deux ancdotes significatives : la premire est rapporte par Grgoire de Tours propos de Sidoine Apollinaire'" ; elle raconte comment ce dernier avait distribu aux pauvres son argenterie l'insu de sa femme ; en butte aux reproches de celle-ci, il la racheta ceux auxquels il r avait offerte et la rapporta chez lui. On ne saurait mieux faire apparaitre le rle social des vases prcieux, signes indispensables du rang que l'on occupe dans la socit -d'o la colre de la femme de Sidoine Apollinaire en constatant qu'elle en tait prive- et leur valeur matrielle qui en fait un instrument privilgi de la charit. La seconde anecdote avait t recueillie par Jean d'Ephse^"; elle concerne le legs que fait l'glise une certaine dame Sosiana aprs son veuvage : de l'argent monnay qu'ils ont reu les clercs font des vases, des plats et des cuillers qu'ils distribuent ensuite d'autres tablissements religieux. C'est l un comportement sans doute assez rpandu, puisque Porphyre de Gaza, nous l'avons vu, transforme lui aussi de la mme manire l'argent de son hritage ; il vise accrotre le prestige du tresor des glises concerns, sous une forme particulirement favorable. Si les possesseurs de vaisselle d'argent sont donc nombreux la fin de l'antiquit, les comportements son gard sont donc d'autant plus varis. La formule utilise au milieu du 5^ s. par Paulin de Pella est caractristique : voquant la vie confortable qu'il menait avant que la tourmente de 406 n'emporte la fortune de sa famille, il souligne qu'il possdait de l'argenterie magispretio quantponderepraestans, "qui l'emportait davantage par le prix que par le poids"^^: c'est dir qu'il existait au moins deux attitudes, celle des raffins qui prfraient la qualit des formes et des dcors et, l'inverse, celle qui s'attachait plutt au nombre et au poids des objets possd (dj au 1^' s. Trimalcion prend-il soin de faire graver sur le rebord d'un grand sur-

ts Palladius, Histoire Lausiaque, 10, l;Vie de Mlanie, 19 ; Marc le Diacre, V. Porph. Gaza, 9 (d. H. Grgoire, 1930) "5 Grgoire de Tours II, 22.50 Jean d'Eplise, Vies des Saints Orientaux, 5 5 (d. E. W. Broolcs, Jolin of Epliesus, Lives of

the Eastern Saints, Patr. orient. 17-19). 51 Eucharisticos, 209.

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tout en mtal son nom et le poids de la pice^^). De la mme manire Sidoine ApoUinaire, dcrivant les banquets la cour de Thodoric II, roi des Wisigoths, signale que l'argenterie, des grands plats, fercula, se distingait par son clat, non par son poids". Un thme repris par le mme Sidoine ApoUinaire dans son pome 17 (Jsqqf^, ddi Ommatius, qui dveloppe en outre une autre image, celle des vases prcieux noircis par les ans (une question qui a suscit rcemment de vives polmiques propos de l'orfvrerie grecque)" : il introdut ainsi l'ide, nous semble-t-il, que certains, en evitant de nettoyer leur argenterie, souhaitaient suggrer qu'elle appartenait leur famille depuis de nombreuses gnrations, rendant ainsi leur table encore plus honorable. Si l'interprtation propose n'outrepasse pas le sens du texte, il s'agit l d'un thme important parce qu'il s'accorde bien avec l'une des tendances de la fin de l'antiquit, qui consiste chez beaucoup manifester leur appartenance, relle ou suppose, des familles anciennes, et leurs liens avec la tradition romaine. Cette attitude que l'on retrouve en filigrane au moins ou quelquefois plus clairement affirme, dans l'oeuvre de saint Jrme par exemple'*, ou chez Ammien Marcellin^' est claire de faon plaisante mais significative dans l'pigramme 45 d'Ausone, qui brocarde un nouveau riche : celui prtendait en effet descendre de Mars, de Romulus et de Rmus ; il fait donc reprsenter leurs images sur un voile en soie, mais aussi en relief sur ses plats. Une anecdote similaire figure dans VHistoireAuguste, qui voque une famille (les noms cits, il s'agit des Pisons, sont d'ailleurs ici de pur fantaisie)

52 Ptrone, Satiricon 53 Ep. I, 2, sqq.

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5'' Ces veis sont en partia repris tels quels, en partie paraphrass dans un pome de l'vque Martin de Braga (mort en 580) (Knogel, Schriftquellen zur Kunstgeschichte der Merowingerzeit n878, p. 187 = MG, A.A. VI, 2, p. 195), ce qui souligne le caractre fonnel et rhtorique de nombre de ces textes, et doit inciter une grande pradence dans leur commentaire et sur les conclusions que l'on peut en tirer. 55 Autour des idees avances par M. Vickers ; cf. en demier lieu M. Vickers-D. Gili, Artful Crafts, Oxford, 1994, et les compte-rendus que cet ouvrage a suscits. 55 In Jonam, IV, 6 (d. Y.-M. Duval, Sources chrtiennes 323, p. 297 et 419). 1 5' XXVIII, 7.

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qui dcrit l'histoire de ses anctres sur son argenterie'*. La vaisselle d'argent (la constatation a t faite depuis la Rpublique) est en effet un support de choix, en raison de la richesse de son matriau, pour les formes les plus diverses de propagande, discretes ou plus ouvertes, par le texte et par l'image : le missorium de Thodose en est videmment un exemple de choix, auquel s'ajoutent tous les plats impriaux, qu'il s'agisse d'une image labore comme Kertch, Gross Bodungen ou Genve, ou d'une simple effigie comme Cervenbreg^' ou dans le tresor de Munich'". Les simples particuliers savaient aussi l'utiliser comme le montrent, sur le mode humoristique le pome d'Ausone, mais aussi le missorium d'Aspar, le plat de Sevso et le coffret de Projecta, dont le dcor est la fois une allusion la beaut de la jeune femme et une mise en vidence magistrale du couple d'poux (proche la fois de certains clipei de sarcophages et, davantage encore, des verres dors*'). Si on comprend facilement que la vaisselle prcieuse serve de support des images destines clbrer les possesseurs des objets, on doit souligner que le mme rle peut tre dvolu, plus simplement, des textes, c'est--dire des inscriptions qui figurent sur les vases euxmmes. En 466 Sidoine Apollinaire crit ainsi Evhodius qui lui avait rclam un pome qui puisse convenir " un grand vase en forme de coquille", dont les flancs qui portent les anses sont creuss de rainures depuis la circonfrence du fond jusqu'au sommet arrondi du rebord*^ : une coquille en argent d'un type analogue soit aux bassins que l'on rencontre dans plusieurs tresors du 3^ s., Graincourt-ls-Havrincourt*^ et Retliel*"*, qui ont veritablement l'allure de grandes conques, soit ceux qui appartiennent aux trouvai-

58 SHA, Trig. Tyr. XXXII, 6. 5' F. Baratte, Les ateliers d'argenterie au Bas-Empire, Journal des Savants, 1975, p. 193-212, fig. 2-3. * En dernier lieu B. Overbeck, dans J. Garbsch, B. Overbeck, Sptantike zwischen Heidentum und Christentum, Munich, 1989, p. 47-68. '1 Par exemple Glas ofthe Caesars, Corning, Londres, Cologne, 1978, n155-157. ^2 Ep. rv, 8, 4-5. Hoc poposcisti ut epigramma transmitterem duodecim versibus quod posse aptari conchae capaci. *3 Tresors d'orfvrerie gallo-romains, n95. Ibid. n115-116. terminatwn

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lles du 4^ s., le tresor de Traprain Law, ceux de Mildenhall ou de l'Esquilin, dent le profil est moins naturaliste, mais qui possdent chacun deux poignes*^. Evhodius souhaitait offrir cet objet la reine Ragnahilde pour qu'elle y lave son visage: Sidoine avait donc rdig l un pome de circonstance qui dveloppait l'ide qu'elle tait heureuse l'eau qui baignait un aussi noble visage que celui de la reine. Si l'on n'a pas conserv d'objet qui soit l'equivalent exact de celui sur lequel tait intervenu Sidoine Apollinaire, on invoquera au moins un parallle, dans un tout autre ordre il est vrai, qui fait d'un texte r element capital qui donne son sens un monument: l'glise de SaintPolyeucte Constantinople, construite au debut du 6^ s par Anicia Juliana, * dont les mrites sont celebrs par une longue inscription sculpte en relief sur les murs, qui n'est autre qu'une citation d'un des poemes de VAnthologie palatine^^. Si la coupe d'Evhodius tait sans doute exceptionnelle par la qualit de celle laquelle elle tait destine, elle s'inscrivait aussi, puisqu'elle tirait tout son prix du texte qui y tait grav, dans l'ensemble bien plus vaste des objets sur lesquels une inscription jouait un rle determinant : simple voeu de bon usage, comme sur une coupe dcouverte Mlaga -accipe me sitiens et forte placebo tibi- "Prends-moi quand tu as soif, et peut-tre te plairaije"*^, mais aussi parfois des formules plus recherches comme sur le plat de Sevso, ou bien comme sur la srie des cuillers de Lampsaque**. Dcouvertes en 1847 au bord de Bosphore avec d'autres objets dans un tresor qui n'a jamais t tudi dans son intgralit, plusieurs d'entre elles portent dans leur cuilleron une incription nielle : une citation de Virgile pour deux d'entre elles, ou bien une des mximes attribues l'un des Sept Sages de la Grce, toutes compltes par un commentaire bref, mais piquant; manifestation de culture qui ne pouvait s'adresser l'origine qu' un cercle restreint.

Shelton, op. cil. n4, pi. 22, 23 (Traprain Law), 24 (Mildenhall). ^ M. Harrison, A Tempel for Byzantium, Londres, 1989, p. 81-88; C. Mango, I. Sevcenko, Remains of the church of St. Polyeuktos at Constantinople, D.O.P., 15, 1961, p. 243-247. Anihologie Palatine 1,10. *' E. Serrano Ramos, R. Atencia Paez, Inscriptiones latinas del Museo de Mlaga, Madrid, 1981, n43, p. 45, pi. LVIII-LXIX. La premire partie de la formule (Accipe me sitiens) se retrouve sur un Firmnisbecher conserv Mayence (et se poursuit: et trade sodali). 68 Cf. n. 15 : F. Baratte, op. cit., Cahiers archologiques, 1992, p. 5-20.

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les textes qui apparaissent ainsi avaient leur rle jouer dans le bon droulement du banquet en suscitant la discussion entre les convives. C'est d'ailleurs l une des fonctions majeures de la vaisselle d'argent. Elle assume ainsi un rle qui va bien au del de sa seule importance comme produit de luxe. Indispensable la table des riches, que le Pseudo-Chrysostome dcrit servis dans des plats d'or et d'argent, tandis que les serviteurs apportent des bassins d'argent et des serviettes pour qu'ils se lavent les doigts*', l'argent est donc aussi ncessaire parce que ses qualits matrielles en font le meilleurs support pour toutes sortes d'images, les plus sduisantes comme les plus charges de sens, qui refltent ainsi non seulement la place qu'occupent leurs possesseurs dans la socit, mais aussi leurs convictions. En effet, sans passer en revue le rpertoire figur de l'argenterie, on peut au moins rappeler la place qu'y tiennent les images bachiques, vocation directe dans la plupart des cas, des plaisirs de la table et du vin, mais aussi rappel plus subtil, parfois, de la puissance striologique du dieu. Nombreuses sont aussi celles qui refltent directement la culture classique, Adonis, Mlagre et surtout Achille, le hros par excellence de la fin de l'Antiquit. La culture philosophique est aussi prsente, parfois de faon quelque peu dtourne, comme le montrent les cuillers de Lampsaque, ou plus srieuse : c'est le cas de la grande oenocho du Muse historique de Moscou sur laquelle apparaissent les neuf Muses. Certaines images paennes correspondent donc aux croyances profondes de ceux qui avaient acquis ces objets. Ainsi l'argenterie ne se distingue-t-elle gure en ce domaine de bien d'au tres categories d'objets aussi prestigieux comme les ivoires ou la verrerie, ni mme des supports d'image par excellence que sont la peinture et la mosaique. La vaisselle d'argent ne fait alors que s'inserir dans le contexte plus general de l'Antiquit tardive^^ Mais on soulignera aussi que se dveloppent volontiers quelques thmes qui, tout en illustrant directement les ralits quotidiennes, ont une valeur fortement symbolique : celui du ban-

69 Pseudo-Chiysostome, PG 64, 437. E. Cruikshank Dodd, Byzantine Silver Stamps, Washington, 1961, n 84, p. 236 ; A. Bank, L'art byzantin, Paris, 1986, fig. 3-4. '1 Cette communuat de fonction a t illustre de manire tres significative en particulier par l'exposition Age of Spirituality, New York, 1977.

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quet en plein air tout d'abord^^; depuis longtemps on a rapproch le mdaillon central du plat de Cesena de la mosaque de la Petite Chasse de Piazza Armerina ou de la scne de banquet de la villa de Patti Marina ; le plat de Sevso est rcemment venu ajouter un exemple supplmentaire, sous une forme il est vrai assez particulire, qui pose bien des qestions, commencer par le sexe des personnages represents : plusieurs portent en effet des coiffures qui semblent bien fminines. II s'agit l d'une vocation de la chasse, ou tout au moins de la vie sur les grands domaines ruraux ( Cesena, la chasse n'est pas prsente sur le mdaillon), c'est--dire d'une activit aristocratique par excellence. Quant aux thermes de Sidi Ghrib, l'une des mosaques, celle de la maitresse de maison sa toilette, offre la contrepartie fminine de l'image des reps en plein air^^. Entoure d'objets en argent, la femme se coiffe, aide par ses servantes. Mais c'est un thme que l'on retrouve la fois sur le coffret de Projecta et, sous une forme tres maladroite, sur une grande pyxide du tresor de Sevso. Ainsi se trouvent reunies, dans ce dernier ensemble, les deux images emblemtiques d'un certain mode de vie, c'est--dire de l'appartenance un groupe social particulier. On pourrait en tirer la conclusion que la vaisselle d'argent est bel et bien d'abord l'apanage d'un certain milieu, et que ses possesseurs sont rechercher exclusivement dans un cercle troit. Uensemble des tmoignages suggre cependant une image plus nuance. De la mme manire qu'au 1^' s. un affranchi qui cherche parvenir, Trimalcion, collectionne l'argenterie et en tire gloire, de mme la fin de l'antiquit ceux qui possdent de la vaisselle prcieuse, en quantit parfois modeste, peuvent n'avoir qu'une fortune mediocre, et une place dans la socit l'avenant. L'argenterie peut, certes, reflter l'tat des fortunes (mme si la recherche d'ascetisme telle qu'elle se dveloppe dans l'antiquit tardive conduit certains s'en dbarrasser); mais elle illustre galement les gots, les proccupations et les croyances des contemporains, d'une manire sans doute plus large qu'on ne l'a souvent pens.

'^ Cf. par exemple M. Mundell Mango, op. cit.,Apollo, 1990. '3 A. Eimabli, Les thermes du thiase marin de Sidi Ghrib (Tunisie), Monuments Piot, 68,1986, p. 42-44, pi. 14. Sur ces diffrents thmes, F. Baratte, La vaisselle d'argent en Gaule dans l'Antiquit tardive. Paris, 1993, p.87, n.376 et p. 187-188.

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