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François Baratte Recherches archéologiques à Haïdra. Miscellanea 1. Rome : École Française de Rome, 1974, 68 p. (Publications de l'École française de Rome, 17) Citer ce document / Cite this document : Baratte François. Recherches archéologiques à Haïdra. Miscellanea 1. Les mosaïques trouvées sous la basilique I. Mosaïque d'Ulysse - Mosaïque fleurie. Rome : École Française de Rome, 1974, 68 p. (Publications de l'École française de Rome, 17) http://www.persee.fr/web/ouvrages/home/prescript/monographie/efr_0000-0000_1974_arc_17_1

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François Baratte

Recherches archéologiques à Haïdra. Miscellanea 1.Rome : École Française de Rome, 1974, 68 p. (Publications de l'École française de Rome, 17)

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Baratte François. Recherches archéologiques à Haïdra. Miscellanea 1. Les mosaïques trouvées sous la basilique I. Mosaïqued'Ulysse - Mosaïque fleurie. Rome : École Française de Rome, 1974, 68 p. (Publications de l'École française de Rome, 17)

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COLLECTION DE L'ECOLE FRANÇAISE DE ROME

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BEOHERCHES D'ARCHÉOLOGIE AFRICAINE PUBLIÉES PAR L'INSTITUT NATIONAL D'ARCHÉOLOGIE ET D'ARTS DE TUNIS

ET L'ÉCOLE FRANÇAISE DE ROME

RECHERCHES ARCHEOLOGIQUES

À HAÏDRA

MISCELLANEA

1

LES MOSAÏQUES TROUVÉES SOUS LA BASILIQUE I Mosaïque d'Ulysse - Mosaïque fleurie

par

FRANÇOIS BARATTE Conservateur au Musée du Louvre

(Avant - propos de Noël Dtjval)

Ouvrage publié avec le concours du Centre National de la Recherche Scientifique et du Ministère Français des Affaires Etrangères

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Dépositaire en France: Editions E. de Boccard

11 Eue de Médicis 75006 PARIS

Dépositaire en Italie: «L'Erma» di Bretschneider

Via Cassiodoro, 19 00193 ROMA

TIPOGRAFIA S. ΡΙΟ Χ - VIA ETRUSCHI 7-9 — ROMA — 1974

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AVANT -PROPOS

Une série parallèle aux grandes monographies des « Becherches archéologiques à Haïdra » éditées en commun avec l'Institut d'archéologie de Tunis, comportera, sous le titre Miscellanea, des brochures consacrées à des études de détail qui auraient alourdi les volumes de la série principale. C'est le cas en particulier des publications de trouvailles variées faites à l'occasion des travaux entrepris sur les églises d'Haïdra mais qui n'ont pas de rapport direct avec l'archéologie chrétienne.

Le premier fascicule des Miscellanea est consacré à des mosaïques découvertes en 1967-1969 dans les sondages ouverts pour préciser la chronologie de la basilique I (x). Le principal de ces pavements avait été entrevu en 1967; il a été dégagé presque complètement en 1969 sous la direction personnelle de François Baratte qui a pu l'étudier attentivement après sa dépose en 1970 et effectuer un sondage de contrôle dans son soubassement en 1971. C'est à lui que revenait tout naturellement la publication de cette mosaïque intéressante à plus d'un titre par sa technique et son iconographie. Il y a joint une courte note sur un autre pavement à décor floral découvert dans un sondage assez éloigné du précédent et qui rappelle, par une étrange coïncidence, une mosaïque d'Utique que nous conservons au Louvre et que François Baratte avait donc étudiée dans le cadre de son Catalogue des mosaïques du Louvre. Mais cette seconde mosaïque recouverte par des tombes chrétiennes n'a pu être complètement dégagée.

(1) Voir sur cette église: N. Duval, Bapport préliminaire sur les travaux effectués à Haïdra en septembre-octobre 1967, Africa, (Tunis) III-IV, 1968-1969, [1972], p. 193-223; L'église de Vévêque Mel- leus à Haïdra: la campagne franco -tunisienne de 1967, Comptes rendus de V Académie des Inscriptions, 1968, p. 221-244; Les églises d'Haïdra, II: recherches franco-tunisiennes de 1969, ibid., 1969, p. 410-418. - La publication architecturale (vol. II des Becherches archéologiques à Haïdra) est en préparation.

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AVANT-PROPOS

Je remercie François Baratte d'avoir rédigé ces descriptions dans un délai rapide qui nous permet de les offrir aux lecteurs presque immédiatement après la découverte. Cette publication apporte une contribution notable à notre connaissance, encore bien embryonnaire, d'un quartier central de V Ammaedara romaine. Mais surtout elle montrera au public que ce grand site, qui a déjà fourni une série de beaux pavements au Musée du Bardo, (et même au siège de l'O.N.U. à New York), est aussi un centre important et de caractère original pour la mosaïque.

Je voudrais, en terminant cette courte préface du premier fascicule des Miscellanea, exprimer notre gratitude à la Direction et au personnel de l'Institut National d'archéologie, qui ont permis et aidé ces recherches à Haïdra, en particulier à Monsieur le Directeur Général H. Sebaï, à MM. A. Mahjoubi, H. Slim et A. Ennabli qui les ont organisées, à MM. Boulouednine et Allègue qui ont eu la responsabilité de la partie technique et enfin à M. Mabrouk Hamrouni qui, non content de diriger le chantier, a effectué lui-même, dans des conditions difficiles, toutes les opérations de nettoyage et d'enlèvement de la mosaïque principale — à qui nous devons donc de l'avoir sauvée. Il m'est agréable aussi de souligner la contribution importante que l'Ecole Française de Eome, grâce à son Directeur M. Georges Vallet, au responsable de la section antique M. Pierre Gros et à Yvon Thébert, membre de l'Ecole, prend à nos recherches en assumant la part française de la co-édition.

Noël Duval

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LA MOSAÏQUE D'ULYSSE

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LE CONTEXTE AECHÉOLOGIQUE

En 1967 un sondage exécuté le long du mur est de la salle IV de l'église (fig. 1) ί1) pour étudier les fondations de ce mur révélait l'existence au niveau -80 (2) d'une mosaïque (fig. 2).

Le dégagement de ce pavement, entrepris lors de la campagne suivante en 1969, n'a pu être entièrement réalisé: on a déblayé un rectangle de 10 m sur 6 m environ, mais la présence de structures complexes, qu'on ne pouvait détruire ou démonter sans une étude préalable attentive, a empêché d'atteindre partout les limites de la salle (fig. 3) (3).

La mosaïque déblayée en 1969 a été enlevée au printemps 1970 par une équipe de mosaïstes dirigée par M. Mabrouk Hamrouni et remontée sur des dalles de béton. Cette opération, qui assure d'autre part sa conservation, a permis une étude minutieuse du statumen et, après coup, des substructions. Elle a clarifié aussi certains problèmes d'interprétation iconographique que l'état de la mosaïque en place ne permettait pas de résoudre.

La salle.

La mosaïque était certainement beaucoup plus vaste que l'espace dégagé. Les murs qui la limitaient n'ont été mis au jour que partiellement au Sud et à l'Ouest. Au Sud, le mur est arasé à 30 cm au-dessus du sol et les fondations de l'église reposent sur lui; à l'Ouest, on n'a pu le déblayer complètement, mais on

0) N. Duval, op. cit., Africa, III-IV, p. 198 et fig. 14; CRAI, 1968, p. 243; CRAI, 1969, p. 414, fig. 4.

(2) Le niveau Ο correspond au sol des nefs de l'église. (3) N. Duval, op. cit., CRAI, 1969, p. 413-414.

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10 RECHERCHES ARCHÉOLOGIQUES À HAÏDRA

a constaté que sur ces deux côtés, la paroi, construite en petit appareil, mesure plus d'un mètre d'épaisseur. Le parement intérieur était enduit; sur le mur ouest en particulier, on distingue nettement trois couches d'enduit superposées: une première couche blanche de 6 à 7 m, puis deux couches peintes de même épaisseur. Les motifs de la couche externe ne sont guère distincts: on constate seulement l'emploi des couleurs rouge, noire, verte et jaune.

Le plan de la pièce (flg. 3) peut être complété grâce à l'examen de la bordure qui a été atteinte en plusieurs autres endroits: au Nord de l'espace dégagé et dans deux sondages réalisés l'un dans l'angle nord-est de la salle IV, l'autre dans l'espace VI (*). Un mur nord-sud, garni à l'extérieur d'une épaisse couche d'enduit hydraulique, qui a été repéré au cours d'un dernier sondage dans l'espace VI, pourrait constituer la limite est de la pièce. Le plan formerait schématiquement un rectangle de 15 m sur 7 environ, prolongé sur un côté par un petit couloir large d'lm20, dans l'axe de la pièce: ce couloir constitue pour l'instant le seul accès repéré. L'orientation de la salle est la même que celle de la basilique, qui s'est inscrite dans le réseau de rues existantes (2).

Contrairement à ce que nous avions pensé en 1967, les dimensions de la salle et l'épaisseur des murs semblent exclure une habitation privée. Le décor conviendrait évidemment à une salle thermale. La présence de béton hydraulique dans un des sondages constitue aussi un argument en faveur de cette hypothèse. Mais il faudra élargir la fouille pour pouvoir trancher.

Caractéristiques techniques de la mosaïque.

La mosaïque a été trouvée dans un état déplorable. Plusieurs murs, dont la chronologie relative est difficile à établir, avaient été bâtis immédiatement dessus.

(L) Ce sondage a été entrepris parallèlement au mur de la basilique (voir fig. 1). La mosaïque a été repérée au niveau — 80, dans un état de conservation très médiocre; au-dessus de la couche de terre jaune très dure, de 2 cm d'épaisseur environ, qui la recouvrait, reposait une strate de 5 cm d'épaisseur de terre noire grasse, riche en débris organiques, mêlée de cendres et de bois décomposé. Les lacunes du pavement sont importantes. Là où il subsiste, les cubes n'adhèrent plus au statum-en. Le mur de la pièce a aussi beaucoup souffert: l'enduit est très abîmé; aucune trace de peinture n'est plus visible. Sur ce mur, conservé sur une hauteur de 80 cm environ, repose un autre mur plus grossier. C'est le sommet de ce mur qui affleure en surface.

(2) Sur le quartier central d'Ammaedara on pourra se reporter aux remarques faites dans F. Baratte, N. Duval et .T. Cl. Golvin, Recherches à Haïdra V: le Capitole (?), la basilique V, CRAI, 1973, p. 167-168, et au plan d'ensemble (fig. 1) illustrant ce rapport.

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LA MOSAÏQUE D'ULYSSE 11

En outre la partie centrale, au-dessus de laquelle on a trouvé une couche de cendres compacte, a été détruite totalement, peut-être par un incendie. Par contre, la bordure, au moins dans la partie dégagée, et les secteurs est et ouest du pavement sont bien conservés.

Après la dépose du pavement, un sondage exécuté au centre de la pièce a permis d'examiner les substructions. On a trouvé le roc à 55 cm seulement sous la mosaïque. Sur ce socle naturel, qui a été aplani soigneusement, a été étalée un mince couche de terre marneuse blanchâtre; au-dessus on rencontre par endroits un remplissage régulier constitué de deux couches de blocs calcaires bien équarris, d'une hauteur totale de 40 cm environ (*). Là où ces blocs sont absents ils sont remplacés par un remplissage de terre argileuse comportant çà et là des traces de matières organiques; aucun matériel archéologique n'a été recueilli. Le support proprement dit de la mosaïque comprend trois couches: un mortier très compact (chaux, un peu de brique pilée, cailloutis de 2 à 3 cm de diamètre), de 10 cm d'épaisseur; puis une seconde couche de 5 cm de gravier et de chaux (gravillons de 4 à 5 mm de diamètre), dans laquelle les cailloux sont à peine liés entre eux; enfin le béton de pose, de 4 cm d'épaisseur, fin et très solide au centre de la pièce (chaux, brique pilée, fin gravier), blanc et plus friable à l'emplacement de la bordure. Ce béton était absolument intact. Son tamisage n'a livré aucun élément intéressant.

De cet examen des substructions, on peut retenir deux conclusions: la proximité du rocher et l'absence de traces d'habitat antérieur, constatation qui est confirmée par les autres sondages faits autour de la basilique. De façon assez surprenante au centre de la ville, on ne rencontre nulle part de vestiges importants d'occupations anciennes: la présence du roc à faible profondeur explique peut-être ce phénomène. A toute époque, sauf dans la période chrétienne où l'on a remblayé — faiblement d'ailleurs — , on a sans doute préféré raser les constructions antérieures pour appuyer les fondations directement sur le rocher (2).

(!) Il n'est pas facile d'expliquer l'ampleur de ces «fondations». Peut-être s'agit-il d'un système d'assainissement justifié par la présence du roc à faible profondeur.

(2) Le même phénomène a été constaté à Sbeitla où pourtant le sol naturel est constitué de sable et d'argile. Le remblayage des sites du centre de la Tunisie semble partout assez limité.

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12 RECHERCHES ARCHÉOLOGIQUES 1 HAÏDRA

DESCEIPTION ET INTEEPEÉTATION DE LA MOSAÏQUE

La mosaïque est décorée de sujets marins; elle est composée d'une bordure mi-géométrique mi-figurée et d'un tapis central où se mêlent, suivant un procédé fréquent, épisodes de la légende et scènes de la vie quotidienne.

I - La bordure (l) (fig. 4-5).

Au-delà d'une bande de raccord jaune le long du mur, large de 15 cm en moyenne, la bordure comprend deux parties: une grecque rouge sur fond noir (largeur 24 cm), puis une frise figurée (33 cm).

La grecque a été réalisée avec grand soin; le mosaïste a joué à la fois sur la dimension des cubes et sur leur densité: le filet noir qui la délimite est en effet constitué de cubes de même arête que ceux de la bande de raccord (12 à 15 mm de côté); les autres secteurs noirs et les bandes rouges, de cubes de taille moyenne (10 mm environ); les carrés blancs qui alternent avec les svastikas au sein de la grecque et le filet blanc qui sépare les motifs géométriques de la frise figurée, sont par contre faits de petits cubes (8 mm d'arête) jointifs alors que les cubes noirs et rouges sont placés de façon plus lâche (2).

On notera aussi que le choix des couleurs — rouge sur noir — peut aboutir à donner l'impression que l'élément noir est l'élément essentiel, et que le motif est en réalité une grecque interrompue noire sur fond rouge. Notre grecque est ainsi comparable, par exemple, à celle qui apparaît sur la mosaïque du triclinium de la « maison de l'atrium » à Antioche; les couleurs employés sont dans ce cas le noir et le blanc, mais le dessin, et l'illusion, sont les mêmes (3).

(x) La bordure commence à l'Est à l'aplomb du mur du couloir. La frise figurée part d'un motif en éventail rouge. Le premier carré blanc de la grecque est garni d'un fleuron quadri- pétale noir.

(2) A la limite est de la zone dégagée la grecque comporte une réparation antique, faite en mortier, de forme rectangulaire (35 χ 33 cm environ).

(3) D. Levi, Antioch mosaic pavements, Princeton, 1947, p. 15, fig. 2 et pi. I b. (Atrium House). Ce type de grecque est fréquent à Antioche.

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LA MOSAÏQUE D'ULYSSE 13

Un filet blanc (trois rangs de cubes) sépare la grecque de la frise, à la réalisation de laquelle a été apporté le même soin: les cubes du fond, disposés en sens variés suivant les motifs figurés, sont « arrêtés » à la partie supérieure par deux lignes de cubes horizontales, à la partie inférieure par trois ou quatre lignes horizontales.

Le décor est orienté de façon à être vu du tapis central. Sur un fond noir alternent poissons, mollusques et oiseaux séparés par divers éléments appartenant au monde marin: des anémones de mer probablement (fuseaux rouge brique à leur partie inférieure, beiges et cernés de blanc à leur partie supérieure, disposés en corbeille plus ou moins évasée); des coquillages turbines beiges (x); de curieux objets formés par une masse rouge brique et jaune en forme de fuseau, horizontale, reposant sur trois pieds de même couleur — un large pied central et deux pieds plus minces terminés en pointe — d'où sortent des branches noires et blanches; il est difficile d'en préciser la nature: plutôt qu'une sorte de mollusque ou de coquillage bivalve, on peut penser à un rocher sur lequel pousseraient des algues. Sur le fond, des coquillages turbines ou en éventail et des oursins, boules rouges à centre blanc, avec une couronne de pointes recourbées.

Si les poissons ne semblent pas appartenir à des espèces bien définies, on note un souci de variété dans le détail (coloration des flancs par exemple); mais la forme générale reste la même: un ovale assez renflé; nageoire caudale marquée, deux paires de nageoires ventrales, arête dorsale en dents de scie. Les ouïes sont nettement indiquées; l'œil est gros, rond, jaune, cerné de noir, avec une pupille noire. Le ventre est de teinte beige; les reflets du dos et des flancs sont rendus de façon conventionnelle par une disposition des cubes en damier. Une seiche se reconnaît sur le fragment mis au jour en 1971, grise avec deux gros yeux noirs; au-dessus d'elle une grosse crevette — ou une langouste — rouge écarlate.

Les oiseaux, eux, sont davantage différenciés: on peut ainsi reconnaître un faisan (en partie caché), une poule sultane, des canards, une perruche à collier, deux échassiers.

(x) Type ranella gigantea, Grand Apollon. En ce qui concerne la faune marine, on pourra consulter W. Luther-K. Fiedler, Guide de la faune sous-marine des côtes méditerranéennes, éd. française, Neuchâtel, 1965.

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14 RECHERCHES ARCHÉOLOGIQUES 1 HAÏDRA

Poule sultane {porphyrio porphyrio): plumage violet (l'aile est soulignée de noir), plaque frontale, bec et pattes rouges. C'est l'oiseau fréquemment représenté sur les mosaïques de Proconsulaire et plus communément désigné sous le nom de « poule de Carthage » (1).

Canards: leur espèce précise est difficile à déterminer. Plumage bleuté, ailes jaunes avec un liseré rouge, bec et pattes rouges.

Perruche: plumage bleuté, aile bordée de noir à reflets jaunes, large collerette rose, pattes et gros bec rouges. Les psittacidés apparaissent à plusieurs reprises sur les mosaïques africaines, dessinés de la même manière, avec une large bande rouge autour du cou; il s'agit bien là d'une particularité du plumage, non d'un ruban comme celui qui est noué au cou des « berriboned parrots » d'Antioche (2).

Echassiers: Le premier, bec noir, pattes noires et plumage blanc pourrai être une aigrette. Le second est plus difficile à identifier: plumage gris-bleu, aile bordée de rouge, plumes hérissées sur le croupion; pattes rouges; gros bec rouge recourbé.

Nous trouvons donc mélangés ici oiseaux aquatiques et oiseaux terrestres.

La mer est représentée par de petits traits formés de deux rangées de cubes blancs et gris-bleu disposés soit en bandes horizontales — rarement — soit en lignes chenillées (cubes posés sur leur pointe) terminées parfois en zigzag. Elle apparaît sur tout le fond, aussi bien derrière les oiseaux que derrière les poissons (3). Ce détail ajouté au fait que les oiseaux ne reposent pas sur un sol défini

(!) R.D. Etchecopar - F. Hue, Les oiseaux du Nord de V Afrique, Paris, 1964, p. 191 et pi. VI, 5. On notera que de tous les oiseaux représentés c'est le seul qui ait intéressé les ouvriers qui procédaient au dégagement de la mosaïque: c'est apparemment le seul qu'ils reconnaissaient.

(2) D. Levi, op. cit., p. 358. (3) On a essayé à plusieurs reprises de tirer des diverses façons de représenter la mer des

éléments de datation. Mais cette chronologie reste encore assez imprécise. D'ailleurs, s'il existe effectivement des modes variant avec les époques, il faut tenir compte aussi des habitudes des différents ateliers, qui peuvent aller parfois à contre-courant des tendances générales. Sur ce problème, cf. G.-C. Picard, Mosaïques africaines du IIIe s., dans Revue Archéologique, I960, II, p. 45-48; J. Lassus, Vénus marine, dans La mosaïque gréco-romaine, Paris, 1965, p. 186-188. Plus précisément, on rapprochera cette bordure de celle de la mosaïque de la toilette de Vénus do Djemila (cf. Y. Allais, Mosaïque du musée de Djemila (Cuicul), dans Actes du LXXIXe Congrès National des Sociétés Savantes (Alger, 1954), Paris, 195 7, p. 75, pi. III et p. 77, pi. IV.) que l'on tend à dater aujourd'hui du dernier quart du IVe s. (380 environ pour A. Carandini, La

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LA MOSAÏQUE D'ULYSSE 15

(quelques uns cependant sont posés sur la limite entre la bordure et le tapis central) montre bien que le mosaïste sans se soucier trop de réalisme a juxtaposé différents éléments puisés dans ses modèles dans un but essentiellement décoratif. L'harmonie de cette bordure est d'ailleurs assez remarquable; les proportions de chacune de ses parties sont heureuses, d'où un équilibre agréable entre bandes géométriques et frise figurée; le dessin est habile et l'exécution soignée; les tons pastels utilisés — bleu-gris, ocre, beige, vert émeraude, gris, rose et rouge brique — se marient fort bien avec le fond noir. Le choix de cette couleur apporte d'ailleurs beaucoup à l'ensemble.

L'utilisation du fond noir est en effet assez rare. Quelques pavements mis à part, comme le magnifique tapis végétal encadrant l'un des triomphes de Vénus de Timgad (x), il se retrouve surtout dans des bordures à caractère décoratif occupées souvent par des rinceaux. Un motif figuré est peu fréquent en Afrique: citons en dehors de la mosaïque ici présentée la bordure du triomphe de Vénus de Dj emila sur laquelle se mêlent scènes mythologiques et scènes réelles. Dans l'aire géographique à laquelle appartient notre mosaïque et pour la période à laquelle on peut raisonnablement la placer, ce sont d'ailleurs les ateliers de Proconsulaire qui adoptent de préférence ce procédé.

Quant au motif, il ne peut guère être rapproché en Afrique du Nord que de la mosaïque des Néréides de Dougga, plus ancienne d'ailleurs, conservée au musée du Bardo à Tunis (2). La bordure du tableau est constituée par une frise d'oiseaux disposés au milieu d'herbes et de petits buissons. Le souci de réalisme est là

villa di Piazza Armerina e la circolazione della cultura figurativa africana nel tardo impero ed altre 'precisazioni, dans Dialoghi di Archeologia, I, 1967, p. 92, n. 27; sur un fond noir on retrouve les mêmes procédés qu'à Haïdra où dominent cependant les traits chenilles disposés assez régulièrement). On songera encore au bassin semi-circulaire de la maison de la Cascade à Utique, dont la mosaïque use des mêmes conventions et qui date de la phase tardive du décor de la maison: G.-C. Picard, Note sur les mosaïques de la maison de la Cascade à Utique, dans Karthago, 1954, V, p. 167.

(*) S. Germain, Les mosaïques de Timgad, Paris, 1969, n° 56, p. 48-50; voir en particulier, p. 50, remarques sur le fond noir.

(2) P. Gauckler, Inventaire des mosaïques, II, Afrique Proconsulaire, Paris, 1910, n° 537; P. Gauckler - Du Coudray de la Blanchère, Catalogue du musée Alaoui, Paris 1897. A. 384; M. Yacoub, Le musée du Bardo, Tunis, 1970, p. 66. La mosaïque est datée de la fin du IIe s. Cf. G.-C. Picard, La mosaïque romaine en Afrique du Nord, dans Gazette des Beaux-Arts, 1958, 2, p. 195. Signalons aussi la bordure de la mosaïque des amours de Jupiter des Ouled Agla (Alger, musée des Antiquités), plus ancienne et qui combine le rinceau à des putti: F. -G. de Pachtère, Inventaire des mosaïques, III, Algérie, Paris, 1911, n° 319, p. 75-76.

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16 EECHERCHES ARCH-ÉOLOGIQUES 1 HAÏDRA

beaucoup plus grand qu'à Haïdra. L'environnement est très net, les oiseaux dessinés avec beaucoup de précision mais aussi beaucoup de sécheresse. La frise, d'un développement moins important qu'à Ammaedara, reste un peu figée, sans grande vie. Le caractère décoratif, si sensible dans notre mosaïque, est absent, comme le procédé consistant à juxtaposer poissons et oiseaux.

Ce sont les mêmes remarques que l'on peut faire sur trois autres exemples, trois bordures retrouvées à Antioche i1): la première dans la «Maison du tapis vert » observe une rigoureuse symétrie dans la disposition des oiseaux affrontés de part et d'autre d'une plante; la composition de la seconde, dans la « Maison de Gé et des Saisons » est analogue; quant à la troisième, dans la même maison, beaucoup moins rigide, elle se rapproche davantage du pavement d'Haïdra; mais là encore on ne retrouve pas l'alternance oiseaux-poissons.

Le caractère décoratif de la frise d' Ammaedara, que nous avons souligné plusieurs fois déjà, la rapproche en même temps, toutes proportions gardées, de certaines réalisations exceptionnelles, tel l'ensemble d'opus sedile en pâte de verre récemment découvert à Kenchrai, près de Corinthe (2). Là, des fragments d'une frise présentent sur un fond noir, au milieu d'une végétation dense, une faune d'échas- siers. La composition, empruntée directement aux représentations nilotiques, plus libre qu'à Haïdra n'est certes pas la même; mais là aussi l'aspect décoratif est essentiel.

C'est en définitive avec certaines pièces de toreutique du IVe s. que la comparaison est la plus frappante, objets de luxe en bronze ou en argent, tel ce plat conservé au British Museum (fig. 6) dont le marli offre un programme iconographique proche de celui que nous présentons (3).

(*) D. Levi, op. cit., p. 315 (House of green carpet), pi. LXXI (l'ensemble des pavements de la maison est daté « not later than beginning of 5th century »); p. 347-348 (House of Gé and the Seasons), pi. CLXXXI et LXXXII; (la fouille de la maison a amené la découverte de deux niveaux de mosaïque superposés. Le plus récent est daté de la seconde moitié du Ve s.).

(2) Sur cette découverte et les conditions dans lesquelles elle s'est effectuée, cf. J. G. Hawthorne, Genchrae, port of Corinth, dans Archaelogy, 1965, p. 191-200; R. L. Scranton, Glass pictures from the sea, ibidem, 1967, p. 163-173; R. L. Scranton - E. S. Ramage, Investigations at Corinthian Kenchreai, dans Hesperia, XXXVI, 1967, p. 138-147. Les panneaux, destinés à un revêtement mural, étaient emballés dans des caisses en bois datées par le carbone 14 des années 320 ap. J.-C. Sur leur origine, alexandrine, et leur date, cf. G. Becatti, Edificio con opus sectile fuori Porta Marina, Rome, 1969 (Scavi di Ostia, VI), p. 125-127.

(3) Walters, Catalogue of Bronzes..., British Museum, Londres, 1899, n° 884, p. 163-164. Trouvé à Porto d'Anzio en 1782. Au centre deux Amours en barque devant un bâtiment à

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LA MOSAÏQUE D'ULYSSE 17

II - Le tapis central.

Le tapis central, dont la partie dégagée mesure 3m 50 de large sur plus de 10 m de long, succède immédiatement à la bordure i1). Les différents tableaux, mythologiques ou réalistes, sont disposés de façon à être vus depuis celle-ci. Par contre, dans la moitié est de la salle, des personnages — des putti montés sur des dauphins — placés sur l'axe longitudinal de la pièce, doivent être vus depuis l'entrée. L'organisation d'ensemble est soigneusement étudiée: après avoir franchi le corridor d'accès, orné d'un personnage orienté est-ouest, on se trouve en présence de deux grandes scènes mythologiques qu'on ne peut regarder qu'en passant sur les côtés nord et sud de la pièce; d'autres tableaux se poursuivent le long de la bordure, mais le spectateur est invité à revenir au centre de la salle pour regarder les putti, comme si le mosaïste avait voulu souligner cet axe longitudinal, peut- être pour attirer l'attention sur un motif important à regarder depuis le centre de la pièce, situé dans la partie non dégagée.

Comme on l'a déjà indiqué, nous sommes en présence de scènes marines. Huit ensembles peuvent être définis; cinq seulement sont bien ou assez bien conservés. Dans un premier temps nous étudierons chacun d'entre eux séparément avant d'examiner l'ensemble de ce tapis central (flg. 7-8).

1 - L'entrée.

Le seuil est marqué par une tresse polychrome sur fond noir; l'ensemble mesure 12 cm de large. Les brins de la tresse, au nombre de deux, comportent trois lignes de cubes: une blanche, une orange, une rouge.

La bordure décrite précédemment n'existe pas ici, pour des raisons d'encombrement probablement; elle est remplacée par trois bandes noires: près du mur

arcades; à Γ arrière-plan, deux pins-parasols. Puis une grande scène de pêche, au milieu d'un grouillement de poissons divers, de dauphins, de poulpes et de canards: chaque espace libre a été soigneusement rempli. Enfin, sur le rebord, une frise de poissons, de poulpes, de palmipèdes et de dauphins; dans les espaces laissés libres, des coquillages.

(*) Le côté Est est le seul sur lequel on n'ait pas atteint la bordure. Un mur postérieur a gêné le dégagement. Si l'extrémité de la pièce se trouve bien là où le sondage réalisé dans la salle VI nous l'a fait placer il manquerait donc environ 3m 50 du tapis central.

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18 RECHERCHES ARCHÉOLOGIQUES 1 HAÏDRA

la bande de raccord jaune à gros cubes; puis un filet blanc de trois lignes de cubes qui vient rejoindre le filet de séparation entre la grecque et la frise figurée de la bordure principale; un filet noir enfin, de trois lignes de cubes également, qui disparaît dans le fond de la frise figurée. Ici encore on notera le soin apporté par le mosaïste à la réalisation de détails d'importance secondaire.

Un personnage garnissait le sol de ce corridor. Seule la partie supérieure du corps (fig. 9) est conservée. Les détails du visage, légèrement tourné vers la gauche, sont dessinés à grands traits: des arcades sourcilières proéminentes surmontées d'épais sourcils noirs obliques, un nez large simplement esquissé, un fort menton arrondi; mais c'est le regard et la chevelure qui donnent son caractère à cette tête: les cheveux, très abondants, sont répartis en grandes mèches broussailleuses d'un bleu outremer, cernées de noir; ils enveloppent toute la tête, garnissant la nuque et les épaules. Les yeux également cernés de noir, d'un blanc pur, sans 'pupilles, brillent avec intensité dans l'ombre des arcades sourcilières et donnent au visage une présence remarquable.

Le personnage, dont il est difficile de déterminer le sexe, brandit à deux mains au-dessus de sa tête un objet dont il ne reste que le manche, sans doute une rame-gouvernail: en effet la chevelure bleue le fait reconnaître comme une divinité marine (x). On notera que les bras sont très maladroitement dessinés, contrastant avec la vigueur de la tête. Le reste du corps a disparu; on peut toutefois apercevoir à l'extrémité du couloir, s'engageant sous le mur de la salle IV, une queue semblable à une queue de dauphin qui, de par sa disposition, ne peut appartenir qu'au personnage qui devait donc se terminer par plusieurs enroulements de cette sorte.

On peut, me semble-t-il, préciser davantage son identité. La chevelure broussailleuse, le corps mi-humain, mi-animal peuvent en effet appartenir à un Triton: nous trouvons un exemple assez proche dans le frigidarium des thermes de Neptune à Ostie (2). Mais l'attitude oriente les recherches vers un autre personnage. Le geste des deux bras correspond à un schéma utilisé depuis longtemps pour les

(*) Les exemples sont très nombreux; citons seulement à titre d'exemple la mosaïque du triomphe de Neptune de Constantine, conservée au musée du Louvre (A. Héron de Villefosse, Catalogue sommaire des marmbres antiques, Paris, 1896, n° 1880 = F. G. de Pachtère, Inventaire des mosaïques, III, n° 226). Sur cette mosaïque voir mon article dans MEFBA, 1973, p. 313 seq.

(2) G. Becatti, (Scavi di Ostia, IV) Mosaici e pavimenti marmorei, Rome, 1961, n° 71, p. 50- 51, pi. CXXXV1.

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anguipèdes; on songera par exemple à la célèbre mosaïque de Lambiridi (x): les quatre géants qui soutiennent le cercle central, bras levés, ont un physique proche de celui du personnage décrit; la chevelure, conçue dans le même esprit, est toutefois moins abondante; le style, plus réaliste, est moins vigoureux. Parmi les exemples plus anciens de cette composition, citons seulement un document de la peinture étrusque, frappant de ressemblance me semble-t-il: les deux Typhons de la tombe du Typhon à Tarquinia (2), datée du Ier s. av. J.-C: attitude proche de celle du personnage d'Haïdra, même chevelure bleue en grandes mèches, même regard, même corps musculeux.

Mais l'attitude exacte, gouvernail brandi à deux mains au-dessus de la tête, caractérise plus spécialement Scylla, telle qu'elle apparaît dans les différents documents sur lesquels elle figure, en particulier les mosaïques (3).

Cinq pavements peuvent être cités ici, qui présentent, parfois à plusieurs reprises, le thème du monstre marin: dans le frigidarium des thermes de Neptune à Ostie, Scylla est vue de trois quarts, les cheveux noués sur la nuque, le bas du corps terminé par deux avant-trains de chiens et trois enroulements serpenti-

(x) J. Carcopino, Le tombeau de Lambiridi et V hermétisme africain, dans Revue Archéologique, 1922, p. 211-301. Interprétation corrigée par F. Chamoux, Perdiccas, dans Mélanges Grenier (collection Latomus, LVIII), I, Bruxelles, 1962, p. 388-394.

(2) R. Bartoccini, Les peintures étrusques de Tarquinia, Milan, 1964, pi. XXIV. (3) Le monstre, très en faveur dans la sculpture funéraire étrusque, apparaît dans l'art romain

sur des documents très variés: sarcophages, où sa place est réduite (A. Rumpf, Die Meerwesen auf die antiken Sarkophagreliefs, Berlin, 1939, p. 107-108 en particulier), monnaies (frappes de Sextus Pompée), des gemmes (A. Furtwängler, Die antiken Gemmen..., Leipzig -Β erlin, 1900, pi. XXXIII, 4-5), médaillons d'applique (P. Wuilleumier-A. Audin, Les médaillons d'applique gallo-romains de la vallée du Rhône, Paris, 1952, n° 58, p. 48), groupes de ronde-bosse (p. ex. S. Aurigemma, Lavori nel Canopo di villa Adriana, III, dans Boll, d'arte, 1956, p. 57-71) . . . L'influence de l'art hellénistique a été déterminante, aussi bien aux débuts de l'Empire (trouvailles de la grotte de Tibère à Sperlonga) qu'au Bas-Empire (installation de la Scylla de bronze sur la spina de l'hippodrome à Constantinople, cf. G. Q. Giglioli, La Scilla di bronzo e le altre statue della spina dell'ippodromo di Costantinopoli, dans Arch. Class., VI, 1954, p. 100-112) où le monstre connaît une grande faveur dont témoignent les contorniates — mais sur lesquels on constate aussi que le graveur ne comprend plus le modèle — (A. Alföldi, Die Kontorniaten . . . , Budapest-Leipzig, 1943, p. 112 n° 77, pi. XXVII, 7-10). L'article du Röscher, Lexikon..., s.v. 8kylla, col. 1024-1064, et l'étude ancienne de O. Waser, Skylla und Charybdis in Literatur und Kunst der Griechen und Römer, Zürich, 1894, devraient être repris à la lumière des découvertes nouvelles. Mais il s'agit d'une très vaste recherche dépassant le cadre de la présente étude qui n'a pris en considération que les mosaïques.

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20 RECHERCHES ARCHÉOLOGIQUES À HAÏDRA

formes, sous une «jupe» de trois grandes feuilles; le monstre, menaçant, brandit à deux mains une grande rame, mais les compagnons d'Ulysse ne sont pas représentés i1). C'est là l'image la plus réaliste et la plus terrifiante des cinq mosaïques.

Le grand ensemble fouillé au début du XIXe s. près des catacombes de Domi- tille, à Tor Marancia, a livré plusieurs pavements noir et blanc, conservés dans les musées du Vatican: sur l'un d'eux figure Scylla (fig. 10), de face, la rame brandie; une seule queue sort de dessous la jupe de feuillage, accompagnée il est vrai de trois têtes monstrueuses qui dévorent les compagnons d'Ulysse (2): document fort intéressant liant directement cet épisode odysséen à celui des Sirènes.

Les trois autres mosaïques sont africaines: le grand frigidarium circulaire des des thermes de Thaenae (3), malheureusement mutilé (fig. 11), présente deux images identiques de Scylla: le monstre est de face comme à Tor Marancia, la rame brandie avec vigueur derrière la tête; là encore, deux queues et trois avant-trains de chiens, mais pas de Grecs. Sur ce pavement aussi, parmi les nombreuses scènes représentées, figure l'épisode des Sirènes. Le dessin est le même sur la quatrième mosaïque, celle des têtes d'Océan à Hippone (4). Mais Scylla est ici présentée isolée, dans les quatre écoinçons, au-dessus des têtes d'Océan. Un dernier pavement peut être cité, d'un style très différent, fort schématique, trouvé à Bordj el-Ksar en Algérie (Sila): le monstre qui occupe le centre d'une mosaïque carrée, est entourée de quatre Néréides (5). Il répond parfaitement au schéma général que nous pouvons dégager de cet examen, chevelure abondante, buste féminin, jupe de feuillage, de une à trois queues de serpent marin, de un à trois avant-trains de chiens, le montre brandissant toujours sa rame à deux mains. Ces images sont d'ailleurs conformes à la tradition littéraire illustrée par Virgile (6); elles peuvent aussi correspondre à notre personnage d'Haïdra: je proposerais donc d'y voir Scylla.

(*) G. Becatti, op. cit., n° 71, p. 50-51, pi. CXXXV. L'auteur étudie brièvement le thème de Scylla et cite une abondante bibliographie.

(2) Musée du Vatican. Cf. B. Nogara, I mosaici antichi del Vaticano e del Laterano, Milan, 1910, p. 13, pi. XXI; Heibig, Führer..., 4* éd. I, 1963, n° 462, p. 352.

(3) P. Gauckler, Inventaire des mosaïques, II, n° 18; R. Massigli, Musée de Sfax, Paris, 1912, n°" 2 (pi. II, 1), 5 (pi. III, 2), 7 (pi. IV, 2).

(4) E. Maree, Trois mosaïques d'Hippone à sujets marins, dans Libyca, VI, 1958, p. 114-, 115 sur Scylla.

(5) La mosaïque se trouve dans la cour du musée des Antiquités à Alger. F. -G. de Pachtère Inventaire des mosaïques, III, n° 246; S. Gsell, Mosaïque romaine de Sila dans Recueil de Constantine, XXXIX, 1905, p. 1-7 et pi. I.

(β) Virgile, Enéide, III, 426 sq.

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Certes la partie inférieure du corps est très abîmée, mais les fragments subsistants permettent de penser qu'il y avait bien deux queues de monstre marin. Bien ne témoigne de la présence de la jupe de feuillage, ni des chiens; l'espace disponible est cependant suffisant. Par ailleurs, les avant-trains de chiens, présents sur la plupart des documents, ne sont pas obligatoires (x).

Aussi, sans dissimuler qu'il ne s'agit là que d'une hypothèse, nous proposons cette interprétation, renforcée par l'examen du pavement de Tor Marancia déjà cité: sur cette mosaïque en effet le groupe voisin de Scylla représente Ulysse et les Sirènes; or, à Haïdra, suivant le même schéma de composition qu'à Tor Marancia, nous retrouvons la juxtaposition des deux épisodes odysséens (2).

2 -Ulysse et les Sirènes.

En effet, le premier tableau sur le côté Sud de la pièce représente Ulysse et les Sirènes (fig. 12), suivant une composition analogue à celle de la mosaïque de Dougga (fig. 13) (3). Ulysse est dans son navire, attaché au mât — jambes jointes, mains derrière le dos — , vêtu d'une exomide blanche serrée à la taille, décorée de deux bandes verticales bleues (une seule est conservée). Le haut du corps a disparu, mais on peut penser qu'il répondait à l'image traditionnelle: visage barbu, tête coiffée du pilos (4). A sa gauche est placé un de ses compagnons, dont seul

(!) Les mufles de chiens en effet ne sont pas toujours représentés: sur un sarcophage de Tarquinia par exemple, Scylla, qui brandit une rame comme sur la mosaïque d' Haïdra, voit son corps se terminer simplement par la « jupe » de feuillage et deux grands enroulements. Cf. R. Herbig, Die jungetruskische Steinsarkophage, Berlin, 1952, n° 109, p. 58, pi. 46 b. Mentionnons aussi une mosaïque de Sparte dont le tableau central présente un personnage masculin dont le corps se termine par trois feuilles dentelées et deux enroulements serpentif ormes ; il brandit au-dessus de sa tête une rame. Il s'agit bien ici, semble-t-il, d'un simple Triton, Cf. la belle photographie de Ionian and Popular Bank of Greece, calendrier 1968, septembre-octobre.

(2) A Thaenae également ils figurent sur la même mosaïque. Cette association se rencontre déjà sur une coupe de Calés conservée au British Museum. Cf. A. G-reifenhagen, Beitrag zur antiken Belief keramik. Hellenistischen Reliefbecher aus Rhodos im süddeutschen Privatbesitz, dans Jdl, XXI. Ergänzungsheft, Berlin, 1963, p. 52-65, fig. 59.

(3) Cl. Poinssot, La maison de Dionysos et d' Ulysse à Dougga, dans La mosaïque gréco-romaine, Paris, 1965, p. 219-232.

(4) Sur le costume d'Ulysse cf. J. W. Salomonson, La mosaïque aux chevaux de Vantiquarium de Carthage, La Haye, 1965, p. 70, n. 2; H. Lavagne, Le nymphée au Polyphème de la Domus Aurea, dans MEFR, 82, 1970, p. 692, n. 1.

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le buste dépasse du bordage du navire. Il est blond, frisé: l'air rêveur du visage, bien dessiné, est tout à fait remarquable (fig. jaquette). Il porte une tunique bleue attachée sur l'épaule gauche et qui laisse le côté droit à découvert. On aperçoit à l'arrière du navire un deuxième personnage, dont ne subsiste qu'une partie du visage: cheveux bruns (cubes rouges et noirs) coiffés avec une frange sur le front, et une partie du côté droit: tunique blanche avec daims rouge. A la droite d'Ulysse n'est conservée que la jambe de son troisième compagnon. Les dimensions du navire laissent penser que — comme à Dougga — il se trouvait un autre compagnon vers l'avant. On notera que les Grecs sont représentés sans leurs armes, sans même leurs boucliers qui figurent à Dougga.

Du navire lui-même il reste peu de choses: la coque a été détruite par l'installation des murs des salles IV et V. La poupe, à droite, forme une courbe très prononcée au-dessus des Grecs; ses trois pointes terminales sont reliées entre elles par des tenons (*). La voilure est mieux conservée: au sommet du grand mât, bordé de noir, flotte une oriflamme rouge (fig. 15). La vergue, très large, jaune et blanche, est maintenue par des balancines de même couleur dont les attaches sont visibles le long du mât. La voile, blanche, est renforcée d'un quadrillage de bandes rouges; elle était probablement orientée comme sur la mosaïque de Dougga, puisqu'elle n'apparaît pas derrière les passagers. Par contre sont visibles derrière eux les cargues jaunes munies d'agrès de forme ovale, rouges et noirs sur leur pourtour, gris à l'intérieur, noirs au centre, destinés sans doute à les tendre (2). L'extrémité de la voile, à gauche, est très confuse; il n'est même pas exclu qu'il y ait eu là une voile de beaupré.

Les Sirènes ont presque entièrement disparu (fig. 14). Il reste cependant suffisamment de traces pour affirmer qu'elles devaient se présenter comme à Dougga. On distingue juste à droite du navire le bras de la première, tenant sa flûte; elle est vêtue d'une écharpe rouge qui lui ceint la poitrine et retombe sur le côté. La deuxième a été totalement détruite. De la troisième subsiste une patte, à trois

(*) Acrostolium analogue sur le voilier de la mosaïque de Fortuna Redux à Tébessa: F. G-. de Ρ achtere, Inventaire des mosaïques, III, n° 3; S. Gsell, Musée de Tébessa, Paris, 1902, p. 67-70 et pi. IX.

(2) Le même détail se retrouve sur les navires de la « Grande Chasse » de Piazza Armerina (G. V. Gentili, La villa erculia di Piazza Armerina. I mosaici figurati, Milan, 1959, pi. XXV), ainsi que sur le relief Torlonia (bonne reproduction dans R. Bianchi-Bandinelli, Rome, le centre du pouvoir (« Univers des Formes »), Paris, 1969, fig. 376).

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serres, colorée conventionnellement avec des cubes gris, noirs et rouges disposés en damier; elle est posée sur un sol brun.

Nous ne reviendrons pas ici sur le thème d'Ulysse et des Sirènes; en étudiant la mosaïque de Dougga, Cl. Poinssot a dressé un inventaire de ses représentations dans la mosaïque et a examiné de façon très précise les problèmes qu'il posait (x). Mais il convient d'insister de nouveau sur la très grande parenté entre le pavement d'Haïdra et celui de Dougga. Les quelques fragments conservés à Ammae- dara suffisent pour constater une similitude évidente entre les deux cartons: même disposition des personnages dans le navire, même situation et probablement même ordonnance des Sirènes. Le seul buste intégralement conservé n'est même pas très éloigné stylistiquement du Grec placé à la droite d'Ulysse à Dougga, avec cependant un peu plus de schématisme dans la mise en place des zones claires et des zones sombres sur les bras et les jambes. Quelques détails seulement semblent distinguer iconographiquement ces deux pavements: voilure pourpre, décor du bor- dage, absence apparente des boucliers, ... Il n'est donc peut-être pas impossible de songer à une influence de la mosaïque de Dougga — datée du milieu du IIIe s. — sur celle d'Haïdra.

3 -Seconde scène mythologique (fig. 15).

La scène qui se trouve de l'autre côté de la salle, au Nord, a subi elle aussi de graves dommages; mais l'installation postérieure, à cet emplacement, d'un dallage reposant sur une épaisse couche de remblai l'a protégée en partie. Son iconographie reste énigmatique.

Les personnages sont à bord d'un navire, presque entièrement détruit. Subsiste un mince fragment du bordage, décoré d'une tresse jaune sur fond noir, sous lequel on aperçoit des lignes parallèles jaunes, sans doute des rames. Le décor de tresse, sans être le plus fréquent, n'est pas rare (2). La poupe est décorée de plages

(*) Sur la signification éventuelle du thème, cf. plus récemment Th. Klauser, Studien zur Entstehungsgeschichte der christlichen Kunst, VI, 15. Das Sirenenabendteuer des Odysseus — Ein Motiv der christlichen Grabkunsti, dans Jahrb. für Antike und Christentum, VII, 1964, p. 67-77.

(2) Quelques exemples sont cités dans One mosaïque retrouvée: V embarquement de V 'éléphant, de Veies, dans MEFB, 82, 1970, p. 801.

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triangulaires emboîtées les unes dans les autres, noires, vertes et rouges. Elle se termine en se recourbant légèrement, sans ornement. On ne voit ni mât ni voiles. A l'arrière est dressée une cabine brun-gris, dont les parois, disposées en rangées alternées, doivent être en bois.

Sous cette cabine se tient, assise, une jeune femme entièrement voilée dans un ample vêtement de couleur safran. Sa main gauche s'appuie sur le bastingage tandis que la droite repose sur son menton dans un ges|:e d'attente et de réflexion; l'expression de son visage correspond d'ailleurs à cette attitude.

Devant elle, un homme debout, tourné vers l'avant. Ce second personnage est richement vêtu: il porte une tunique jaune flottante, à manches longues (tunica manicata), qui comporte aux coudes une sorte de brassard, une bande rouge entre deux bandes vertes (x); par dessus, un grand manteau rouge maintenu par devant par une fibule circulaire à deux pendentifs. Le visage a disparu, mais la coiffure apparaît nettement; il s'agit d'un bonnet phrygien brodé.

Devant lui, une troisième personne, un homme, très mutilé, au curieux costume: par dessus une tunique courte rouge décorée d'un clavus noir, qui couvre en partie un collant blanc, il porte sur l'abdomen une sorte de corset fait de bandes blanches enroulées. Les différents éléments de ce vêtement peuvent être retrouvés ailleurs: le corset sur l'un des personnages d'une mosaïque de Sousse (2) occupé à peser des marchandises que deux serviteurs déchargent d'un navire, par dessus une tunique analogue, ou bien sur un autre personnage d'une mosaïque d'Utique représentant un domaine agricole (3); le collant blanc (il s'agit bien d'un collant qui enveloppe tout le pied, non d'un pantalon) sur la mosaïque de Fortuna Eedux déjà citée, porté sous une ample tunique par celui qui semble être l'ordonnateur des jeux. Le personnage énigmatique de la mosaïque d'Haïdra a basculé presque complètement par dessus bord; le jeune homme en costume oriental l'a saisi par la cuisse droite (le pouce et l'index de la main gauche, l'extrémité des doigts de la main droite sont visibles), pour le retenir, ou au contraire le précipiter à la mer. Le schéma iconographique est exactement le même pour certaines représentations de Jonas,

(1) Sur le bras droit, par un effet de perspective manqué, le brassard est placé beaucoup trop liaut sur l'avant-bras.

(2) M. Yacoub, op. cit., p. 53; J. W. Salomonson, Mosaïques de Tunisie (Catalogue d'exposition Leyden-Bruxelles, 1964), n° 11 et flg. 23.

(3) Ibidem, p. 121.

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par exemple sur le pavement de la basilique théodorienne d'Aquilée ou sur les sarcophages (x).

Enfin, tout à fait à gauche, apparaissent quelques fragments d'un putto ailé qui trouvait aussi sa place dans le bateau.

L'interprétation de cette scène est difficile. Quelques éléments cependant sont clairs: le costume de la jeune femme tout d'abord est celui d'une épousée, tel qu'il apparaît par exemple sur les Noces Aldobrandines (2) ou, en mosaïque, sur un pavement de Ziama-Mansouriah en Algérie (3) qui présente les noces de Thétis et de Pelée. Pour l'homme debout, ses vêtements le désignent comme un oriental. La tunica manicata richement colorée, le manteau pourpre et le bonnet phrygien sont portés par exemple par Orphée (4). Quant au troisième personnage, son costume est, semble-t-il, celui d'un subalterne.

Toutes ces données font songer bien évidemment à un enlèvement légendaire, le costume phrygien évoquant Paris. Mais aucun document figuré, ni aucun texte ne viennent confirmer cette explication (5). Les urnes cinéraires étrusques, qui reprennent fréquemment le thème de l'enlèvement d'Hélène (6), n'ont adopté que l'épisode du départ, où l'on voit la jeune femme, voilée, embarquer à bord du vaisseau troyen en présence du prince et de ses compagnons. C'est le même moment du drame que pouvait représenter une mosaïque de Lambèse, aujourd'hui perdue, sur laquelle on voyait « la fuite de trois personnages » auprès d'un bateau, l'un portant un bonnet phrygien (7). Enlèvement d'Ariane par Thésée pour P. Gauckler, mais

(x) Mosaïque d'Aquilée: G.-C. Mens, I mosaici cristiani di Aquileia, Udine, 1965, pi. 49-50. (2) Heibig, Führer, I, n° 466, p. 360-366. (3) A. Ballu, Mosaïque de Ziama-Mansouriah {Algérie), dans Bull, archéologie du Comité

des Travaux historiques, 1913, p. 346-348, pi. XXI. A ce document on peut ajouter une mosaïque de Pompéi (Musée national de Naples), désignée comme un cortège de Neptune et d'Amphitrite, mais qui pourrait aussi être considérée comme une représentation des noces de Thétis et de Pelée. Cf. A. Stenico, La peinture romaine, Paris, 1962, pi. 147.

(4) Cf. par exemple l'Orphée de Tarse: photographie en couleurs dans L. Budde, Antike Mosaiken in Kilikien, II, Recklinghausen, 1972, pi. 158.

(5) Cf. L. G. Kahil, Les enlèvements et le retour d'Hélène dans les textes et les documents figurés, Paris, 1955.

(6) E. Brunn, I rilievi delle urne etrusche. Il ciclo troico, Rome, 1870, pi. XVIII-XXV. (7) De Pachtère, op. cit., n° 189; S. Gsell, Monuments antiques, II, p. 107, n° 3; P. Gauckler,

art. Musivum opus du Dictionnaire des Antiquités, III, p. 2101, n. 19. Cette mosaïque a malheureusement été détruite sans qu'aucun dessin soit publié. Il est donc difficile de l'utiliser; on peut retenir cependant qu'il existait une représentation mettant en scène trois personnages dont l'un portait un bonnet phrygien, l'action se situant auprès d'un bateau (mais non dedans). On songera encore au relief fragmentaire des collections du Latran sur lequel Paris fait embarquer Hélène: Benndorf -Schöne, Die antiken Bildiverke des lateranischen Museums, Leipzig, 1867, p. 4, η» 8.

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d'Hélène par Paris pour Gsell. Mais si l'on peut à la rigueur admettre un hapax, sans précédent iconographique connu, on ne voit pas comment justifier la chute à la mer du troisième personnage: rien dans la tradition littéraire ne vient expliquer cet épisode. Aucun document, aucun texte non plus ne permet, à ma connaissance, de rattacher cette scène à un cycle connu: Orphée, Enée. . . puisqu'il faut chercher un personnage vêtu de ce même costume oriental. L'incertitude sur la signification de cette scène ne paraît donc pour l'instant pouvoir être levée.

4 - Fragments.

Deux autres fragments, tous deux du côté nord, qui ne formaient peut-être qu'une seule scène, sont trop endommagés pour qu'on puisse les identifier; la nature de leur sujet, profane ou mythologique, ne peut être précisée.

Sur le premier (fig. 16), immédiatement à la gauche du bateau du jeune oriental, dont on aperçoit la proue, on distingue une surface de terre ferme, de couleur sable, avec une plante et des excroissances en forme de champignons réparties en deux rangées parallèles (éléments rocheux?). A l'extérieur, reposant semble- t-il sur cette bande de terre, un pied nu; en arrière une masse sombre indistincte.

Encore plus à gauche se trouve le second fragment: la poupe d'un bateau d'assez grandes dimensions. Le fond de la coque est noir; le bordage, blanc, est décoré d'une bande en damier. La poupe proprement dite est formée de triangles emboîtés. On distingue enfin une rame-gouvernail.

Β - 8 e èn e s de pêche.

Dans l'angle nord-ouest de l'espace dégagé figure un grand pêcheur, debout sur un sol jaune que l'on voit derrière lui (fig. 17). Dans l'état actuel, il est coupé en dessous des genoux (un mur de petit appareil repose directement sur cette partie de la mosaïque et l'a, semble-t-il, détruite). L'homme est de haute stature, avec une calvitie prononcée sur le sommet du crâne. Il porte pour tout vêtement un linge jaune noué autour des reins, dont un pan retombe entre ses cuisses. Autour de son cou, un lacet qui retombe sur sa poitrine (un rang de cubes blancs entre deux rangs de cubes rouges). Solidement planté sur ses jambes, il s'apprête à lancer un filet — un épervier — au milieu des poissons. Le câble noir et blanc est enroulé dans sa main et autour de son avant-bras. Le filet est lesté de plomb.

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De l'autre côté de la pièce, au Sud, immédiatement à côté des Sirènes, sur la même bande de terre, sont apparus les restes d'un second pêcheur (?), équipé, lui, d'un trident (manche jaune et rouge, dents vertes et marron). Vêtu comme le premier d'un linge blanc noué autour des reins, il s'avance vers la droite à grandes enjambées et brandit son arme pour frapper un poisson. Trois fragments sont conservés: le pied droit, le bassin et la cuisse droite (fig. 14), la main droite et le trident.

Dans l'angle sud-ouest est placée une barque montée par deux jeunes garçons (fig. 18). L'embarcation n'est pas pontée, mais munie de bancs. La proue est décorée de triangles emboîtés et le bordage d'un motif géométrique présentant une succession de caissons. Le premier personnage, blond, est assis à l'arrière; il est vêtu d'une tunique de couleur rouge serrée à la ceinture (x). Il tient de part et d'autre du bastingage deux rames-gouvernail. Le second, brun, est debout à l'avant. Il porte une courte tunique blanche flottante, bordée de rouge au col et décorée de davi de même couleur et, sur l'épaule droite, d'une svastika rouge. Le jeune homme s'appuie sur une sorte de gaffe, dont on voit un morceau à hauteur de son visage et un autre le long de la coque.

6 - Les putti (fig. 19-20).

Ils sont répartis dans la partie centrale de la mosaïque, dans la seconde moitié de l'espace dégagé. Cinq sont conservés, en tout ou partie. Tous sont debout sur des dauphins, orientés suivant l'axe longitudinal de la pièce.

Le premier, à droite du pêcheur au trident, est presque intact; seul le museau du dauphin est détruit. Ce qui frappe avant tout, c'est la disproportion et la différence de qualité entre la tête et le reste du corps de l'Amour (2). La tête, ronde, aux cheveux blonds séparés par une raie médiane, est bien dessinée. Le corps, au contraire, au tronc difforme, aux jambes schématiques, est caricatural et donne au putto l'aspect d'un nain. Il est vêtu d'une longue écharpe rose flottant sur ses épaules; de la main droite, il brandit un fouet; de la gauche il tient les

(x) Les détails de la scène sont parfois difficiles à déchiffrer: le pavement est noirci par le feu: dans l'angle formé par les murs des annexes de la basilique reposait une masse de cendres et de charbon de bois particulièrement épaisse.

(2) La tête occupe la quart de la hauteur totale (17 cm sur 65 cm).

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28 RECHERCHES ARCHÉOLOGIQUES À HAÏDRA

rênes de sa monture. Il porte un collier, des bracelets aux chevilles et aux avant- bras (un rang de cubes blancs entre un rang de cubes rouges et un rang de cubes jaunes). Deux ailes sont attachées aux épaules; de la seconde, à l'arrière-plan, on ne voit que la pointe supérieure; le reste disparaît de façon bizarre dans la mer; la première est formée de plumes jaunes, à l'extrémité noire. Le dauphin, comme les autres dauphins de la mosaïque, est d'un dessin assez maladroit: sa queue semble trop longue par rapport à son corps. Elle se termine en outre de façon stylisée, par un croissant accolé à une volute. La teinte générale est gris ardoise; la nageoire dorsale est noire, la nageoire ventrale rose, comme le museau.

Le second Amour, placé juste au-dessus du premier, est blond lui aussi, mais coiffé avec une frange. Très abîmé, il n'en reste plus que la partie supérieure du visage et le bras gauche. L'aile visible est d'un ton plus soutenu que celle du premier putto. Le jeune garçon porte un bracelet au poignet, et semble avoir une écharpe rouge sur l'épaule. De sa main droite, il tenait une palme dont l'extrémité est encore visible; certains des Amours participaient donc à une course, et la couleur de leur écharpe, comme il arrive souvent (x) correspondait probablement à l'une des couleurs des quatre factions du cirque.

Les deux derniers Amours sont placés entre le pêcheur à l'épervier et la barque des deux jeunes garçons. Ils sont vis-à-vis, très abîmés par le mur qui clôt à l'Est l'espace dégagé. De l'un ne subsiste plus qu'un pan d'une écharpe blanche et la partie inférieure de son corps; il porte un bracelet aux chevilles. De l'autre est visible un bras qui brandit un fouet (le putto porte deux bracelets, l'un au bras, l'autre à l'avant-bras), ainsi qu'une moitié du visage, les pieds et un pan d 'écharpe verte.

7 - L e fond.

Reste à examiner maintenant un élément essentiel, le fond, c'est-à-dire la mer et les poissons.

(*) Par exemple sur une mosaïque de Sousse conservée au musée du Louvre, représentant une course d'Amours desultores. Charbonneaux, La sculpture grecque et romaine au musée du Louvre, Paris, 1964, p. 190; L. Foucher, Inventaire des mosaïques. Sousse, Tunis, 1960, n° (57) 124.

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LA MOSAÏQUE D'ULYSSE 29

Ces derniers sont extrêmement nombreux: ils apparaissent partout, non seulement dans les intervalles entre les personnages, mais aussi jusque derrière les cargues de la voile du bateau d'Ulysse, par exemple. On ne voit qu'un dauphin en dehors des montures des Amours, placé au-dessus de la cabine où se tient la jeune femme voilée. Il diffère un peu des autres: l'extrémité de sa queue, stylisée en flamme double, est accolée non à un enroulement, mais à une boule; le front, plus bombé, surmonte un museau moins allongé. L'ensemble de l'animal est plus ramassé. On remarquera que le mosaïste, dans le souci de donner épaisseur et vie à la bête, fait tourner la queue, et présente aussi sa face interne.

Les poissons sont de deux types; les uns — les plus nombreux — sont dessinés comme ceux de la bordure; les autres — en particulier le très gros poisson placé dans l'angle nord-ouest de la mosaïque — sont plus ronds, sans nageoire dorsale hérissée. Ici encore, ils sont peu différenciés, mises à part quelques espèces à la forme particulière: un poisson serpentiforme (murène ou congre), des seiches, roses avec de gros yeux marrons et quatre tentacules visibles. Ce sont les raies qui sont le mieux caractérisées; de couleur brun clair, avec deux petits yeux noirs (un cube chacun), une nageoire caudale et des nageoires dorsales bien visibles, ainsi que des nageoires pectorales; leur cinq taches bordées de noir les désignent comme des torpilles ocellées (x).

Des coquillages apparaissent également, turbines pour la plupart, semblables à ceux de la bordure, ou bien en ailes de papillon.

La mer, représentée par des traits continus ondulés (une ligne de cubes blancs, une ligne de cubes bleu foncé, une ligne de cubes gris-bleu), envahit tout le fond. C'est là un procédé courant, normal à partir du moment où la scène marine n'est plus complètement soumise à la perspective traditionnelle; mais en général ce sont de petits traits, chenilles ou non, symbole de l'eau, qui sont répétés sur le fond, plus ou moins denses (2): c'est le cas sur de très nombreux pavements; citons seulement, à titre d'exemple, la mosaïque du triomphe de Neptune de Constantine. Sur d'autres mosaïques, pour mieux suggérer encore la présence de la mer, le fond proprement dit est coloré en bleu ou en vert d'eau: c'est le cas sur deux pavements que l'on peut dater du début du IVe siècle, le catalogue des vaisseaux

(x) Torpedo torpedo. Cf. Luther-Fiedler, op. cit., p. 147. (2) Cf. les remarques de J. Lassus, Vénus marine..., p. 186-188. Le mosaïste choisit quel

quefois de ne pas représenter du tout la mer et laisse le fond entièrement blanc.

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30 RECHERCHES ARCHÉOLOGIQUES À HAÏDRA

d'Althiburos i1) et une grande mosaïque marine de Carthage conservée au musée du Bardo (2); c'est également un fond vert semé de traits chenilles noirs et blancs qui constitue le fond du Triomphe de Vénus trouvé à Kasserine en Tunisie et* datable de la même époque (3). Sur la mosaïque des Noces de Thétis et Pelée de Cherchel, récemment étudiée par M. J. Lassus (4) la mer, placée dans tous les vides entre les personnages, forme « un fond vert rendu vibrant par des traînées blanches et noires ». Signalons enfin un second pavement provenant d'Althiburos (5) sur lequel le fond bleu foncé est garni de neuf lignes horizontales continues formées chacune d'une ligne de cubes noirs et d'une ligne de cubes blancs séparés par une ligne bleue. Ce procédé particulier — fond coloré plus symbole de l'eau — est donc assez courant, mais surtout en vogue à basse époque.

Il est beaucoup plus rare de voir, comme ici, des traits continus disposés en ondulations pour suggérer le mouvement des eaux et utilisés pour couvrir la totalité du fond. Seules deux autres mosaïques africaines présentent quelque analogie sur ce point, toutes deux retrouvées à Thuburbo Majus, où elles décoraient des parois de fontaine (fig. 21) (6). Le schéma est le même qu'à Haïdra: lignes ondulées, trois lignes de cubes pour chaque ondulation; à Thuburbo Majus cependant la teinte générale est brune, non bleue. Deux autres documents peuvent aussi être mentionnés: les mosaïques du cirque de Barcelone (7) et de Piazza Armerina (8); l'eau des bassins de la spina y est représentée de la même façon. Eappelons que ces deux pavements sont datés du début du IVe siècle. Mais la surface ainsi couverte est trop réduite pour que le rapprochement soit tout à fait significatif.

On notera enfin que tous les éléments du décor, poissons, barques, personnages, sont posés sur le fond sans que le mosaïste ait cherché par quelque procédé que ce soit à suggérer qu'ils sont plongés dans l'eau: par exemple aucune ligne de flottaison n'apparaît.

i1) P. Gauckler, Un catalogue figuré de la batellerie gréco-romaine, dans Mon. Piot, XII, Paris, 1905, p. 113-154; Cat. Musée Alaoui, n° A 166; Yacoub, op. cit., p. 64.

(2) Cat. Musée Alaoui, n° A 392; Yacoub, op. cit., p. 67. (3) Yacoub, op. cit., p. 97. (4) J. Lassus, Cherchel. La mosaïque de Thétis et Pelée, dans Bull. d'Archéologie algérienne,

I, 1962-1965, p. 75-105. (5) Yacoub, op. cit., p. 83. (6) Elles sont conservées au musée du Bardo, l'une dans le couloir de la salle de Thuburbo

Majus (Yacoub, op. cit., p. 34), l'autre dans la salle d'Ulysse (Yacoub, p. 95). (7) Α. Β alii, Mosaicos cir censes de Barcelona y Gerona, dans Boletin de la real Academia

de la Historia, CLI, 1962, p. 257-351, en particulier pi. 40. (8) C. V. Gentili, La villa erculia di Piazza Armerina. L mosaici figurati, Milan, 1959, pi. IX.

En dernier lieu: C. Ampolo, A. Carandini ed altri, ]m villa del Casale a Piazza Armerina, dans MEFEA, 83, 1971, p. 141-281. Une datation entre 310 et 320 est proposée par A. Carandini.

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LA MOSAÏQUE D'ULYSSE 31

CONCLUSION

La mosaïque n'a pu être entièrement dégagée. On ne peut donc porter de jugement définitif sur sa composition; elle semble pourtant, comme on l'a déjà indiqué, assez élaborée. Il est aussi possible de présenter quelques remarques d'ensemble d'ordre stylistique. Deux traits sont particulièrement frappants à l'examen: les disparités d'abord qui existent dans la facture soit entre les différents personnages, soit même entre les visages, de qualité le plus souvent, et les corps, au modelé souvent approximatif ou aux proportions surprenantes: le Grec à la gauche d'Ulysse offre à la fois une tête expressive, classique d'allure, et un corps de qualité égale; le pêcheur à l'épervier, à la tête très typée, possède déjà une musculature plus molle. Mais c'est pour les Amours que le phénomène est le plus net: il crée même une impression désagréable, en raison à la fois de la disproportion du corps et de son dessin malhabile. Les huit visages conservés sont bâtis sur un schéma identique: contours assez pleins, sourcils à peine arqués marqués par une ligne noire comme les cils, regard dirigé de côté, en général vers la gauche, bouche indiquée par un trait peu épais; l'arrondi du menton n'est rendu sensible que par le modelé ou par une ligne très légère sous la bouche; le nez, lui, est assez large.

Le second point à mettre en lumière est la qualité décorative dont a fait preuve le mosaïste (x), qualité sensible avant tout dans la bordure, mais aussi dans

Du point de vue technique, on peut dresser le tableau suivant:

Motif

Motif géométrique (grecque) Canard Poule sultane Mer (tapis central) Poissons Personnages: — pêcheur à l'épervier — compagnon d'Ulysse

Dimensions des cubes

10 mm 7-8 mm 7-8 mm 7-8 mm

8 mm en moyenne

6-7 mm 6 mm

Densité des cubes

80/dm2 155/dm2 205/dm2 100/dm2 160/dm2 en moyenne

170/dm2 205/dm2

II permet de mettre en relief les différences existant dans le traitement des motifs suivant leur catégorie, mais aussi suivant l'effet que 4e mosaïste veut obtenir; ce dernier peut jouer à la fois sur la dimension des cubes et sur leur densité. Le résultat est sensible, me semble-t-il, si l'on compare la poule sultane et le canard: le modelé de ce dernier, réalisé avec des cubes de mêmes dimensions que pour la poule, mais moins serrés, est beaucoup moins souple, moins naturaliste.

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32 RECHERCHES ARCHÉOLOGIQUES À HAÏDRA

certains détails de la partie centrale du pavement: la tête de Scylla par exemple, dont l'intérêt est dû non à un modelé habile mais au contraire à des traits volontairement schématiques, et à quelques « trouvailles », chevelure luxuriante disposée dans un désordre savamment calculé, yeux sans pupilles.

Le pavement est caractérisé encore par une surchage évidente, accentuée par la façon de représenter la mer, au point qu'il est difficile de comprendre au premier coup d'œil tous les détails de la mosaïque. Cette tendance, poussée ici très loin, se retrouve sur un nombre important de mosaïques marines tardives.

Si l'on aborde justement le problème de la datation, on se trouve, comme souvent, devant de graves difficultés. Malgré la fouille attentive, les éléments archéologiques manquent. Les monnaies, trouvées en assez grand nombre au-dessus du pavement, ne peuvent fournir que des indications très vagues; ces pièces, souvent en très mauvais état, appartiennent en outre aux séries du IVe siècle dont la durée d'utilisation a été très longue i1). L'examen de la céramique est tout aussi décevant: fragments de sigillée claire ou imitation que l'on trouve partout sous les constructions chrétiennes.

Quant aux sondages effectués sous la mosaïque, ils n'ont rien livré qui puisse être utilisé et apporter quelques précisions chronologiques.

On pourrait envisager de tirer quelques conclusions de l'ensemble de la fouille, en rappelant le nombre important .de constructions qui se sont élevées au-dessus de la mosaïque, dont deux au moins sont antérieures, semble-t-il, à l'église. Un laps de temps assez large a donc dû séparer la pose du pavement de la fondation de la basilique, période que l'on pourrait avec vraisemblance évaluer à une génération au moins. Mais la date de la basilique de Melleus ne peut être fixée de façon suffisamment précise pour que cette chronologie relative nous soit bien utile.

L'iconographie fournit peut-être une indication précise: la tunique de l'un des jeunes pêcheurs comporte en effet sur l'épaule droite une broderie en forme de svastika. A. Carandini, étudiant les particularités vestimentaires des personnages des mosaïques de Piazza Armerina (2), a pensé pouvoir fixer à la période post-tétrarchique la mode du segmentum à svastika. Mais il ne s'agit pas à proprement parler ici d'un

(x) Cf. les remarques de N. Duval, dans Rapport préliminaire sur les travaux effectués à Haïdra en sept.-oct. 1967, Africa, III-IV, 1969-1970, p. 205-206.

(2) A. Carandini, Ricerche sullo stile e la cronologia dei mosaici della villa di Piazza Armerina, dans Studi Miscellanei, 7, Rome, 1964, p. 13, n. 54, et p. 16, n. 80; Id., La villa di Piazza Armerina. .., dans Dialoghi di Archeologia, I, 1967, p. 93-120; cf. p. 120.

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LA MOSAÏQUE D'ULYSSE 33

segmentum: la broderie semble faite directement sur le tissu, et non rapportée. Elle se retrouve cependant identique au bas de la tunique du joueur de trompette qui accompagne Ulysse sur la mosaïque d'Achille de Tipasa, datée aujourd'hui des années 300 (*).

Eeste enfin le style du pavement; c'est en définitive le seul argument qui demeure, malgré les incertitudes qu'il comporte, pour tenter une datation. La composition chargée, le style, encore classicisant comme le montre le compagnon d'Ulysse le mieux conservé, mais tempéré par la tendance — qui est peut être due en propre au mosaïste — au schématisme, ou plutôt à une certaine raideur (sensible dans les attitudes des personnages, dans les draperies — les voiles de la jeune femme par exemple — , dans le modelé des corps) renvoient au IVe siècle. C'est cette datation que suggéraient déjà les rapprochements que nous avons pu faire dans le cours de notre développement. La bordure, de même, fait songer aux productions de certains ateliers de Proconsulaire actifs pendant cette période. Ajoutons encore que la mosaïque d'Haïdra se place certainement après le pavement de Dougga souvent cité. Il convient donc d'envisager ici une datation au IVe siècle, sans que l'on puisse vraiment préciser davantage; peut-être le milieu du siècle, compte tenu des comparaisons proposées, constitue-t-il une date vraisemblable.

(*) Cf. p. ex. I. Lavin, The Hunting mosaics of Antioch and their sources. A Study of Corri' positional Principles in the Development of early medieval Style, dans Dumbarton Oaks Papers, XVII, 1963, p. 226-227 et fig. 66. La mosaïque avait été publiée en premier lieu par L. Leschi, Une mosaïque achilléenne de Tipasa de Maurétanie, dans MEFR, LIV, 1937, p. 25-41 (en particulier p. 39-40 à propos de svastikas). On comparera ce type de broderie au segmentum qui apparaît sur l'épaule du vêtement d'un des danseurs de la salle 20 de Piazza Armerina.

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II

mosaïque florale

au sud de la basilique

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LE CONTEXTE AECHÉOLOGIQUE

Comme au Nord, des sondages ont été exécutés au Sud à l'extérieur de la basilique, pour compléter l'étude de ses fondations; dans l'un d'entre eux, à la hauteur de la septième travée de la nef (\roir flg. 1), a été retrouvé le pavement iei présenté.

Cette fouille très limitée a mis en évidence trois sortes de vestiges. Les deux derniers peuvent appartenir au même monument:

— au niveau - 35 (le niveau de référence est le niveau du sol de la nef principale) trois tombes grossières.

— ces tombes reposaient sur une colonne renversée de 46 cm de diamètre, en pierre calcaire, lisse, sans aucune moulure à son extrémité visible.

— sous la colonne, dont elle était séparée par une couche de terre brûlée et de cendres contenant quelques fragments de céramique, au niveau - 180, un sol de mosaïque.

La partie dégagée du pavement est très réduite: elle se présentait comme un triangle grossier de lm50 de hauteur et de 75 cm de largeur (flg. 22). Ce spécimen suffit cependant pour qu'on puisse restituer le dessin d'ensemble et apprécier son style (i).

DESCEIPTION ET COMMENTAIEE

La bordure.

Par chance, le sondage avait abouti sur la bordure de la mosaïque (2), d'une largeur de 31 cm, encadrée de deux filets noirs (deux rangs de cubes chacun). Entre

I}) Le sondage a été comblé à la fin de la campagne. (2) Du point de vue technique, les cubes sont en marbre blanc ou en pierre calcaire de

7 mm de côté en moyenne pour la partie centrale du pavement, de 8 mm pour la bordure. La densité moyenne des cubes est respectivement de 150/dm2 et de 130/dm2.

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38 RECHEKCHES ARCHÉOLOGIQUES 1 HAÏDRA

deux filets blancs de 6 cm de large (quatre rangs de cubes chacun) est disposé le motif géométrique: des « fourches » à deux dents emboîtées les unes dans les autres; il s'agit du schéma de la grecque fractionnée répété deux fois par rapport à un axe de symétrie longitudinal. Les denticules qui provoquent habituellement les décrochements du ruban sont remplacés ici par des triangles noirs dont l'un des côtés est disposé en escalier.

Le motif, délimité de part et d'autre par une ligne de cubes noirs, est polychrome; les couleurs sont disposées suivant un dégradé sommaire: deux rangs blancs à l'intérieur, un rang de coloris clair, un rang plus vif. Dans la partie dégagée du pavement trois jeux de couleurs sont utilisés successivement: bleu, jaune, rouge.

Le champ.

De façon simplifiée, le schéma peut être défini de la façon suivante: juxtaposition de grandes rosaces quadripétales définissant dans leur intervalle des carrés curvilignes garnis de médaillons; c'est là un dessin fréquent, mais plus rare est sa réalisation avec les éléments réunis ici. La base véritable de la mosaïque est une rosace végétale dont le cœur est un cercle: cube noir au centre, cubes blancs, puis jaunes. Une ligne noire le cerne. De ce cercle sortent huit plantes, par groupes de deux divergentes. Chaque tige, noire, est terminée par une fleur stylisée (« tulipe »: large calice très évasé, trois larges pétales pointus); le pistil et les sépales sont noirs, les pétales colorés en dégradé, suivant la gamme de rouges déjà rencontrée dans la bordure. De part et d'autre de chaque tige, quatre boutons verts. Chacune de ces fleurs est réunie à sa voisine du groupe suivant par une portion de cercle (cubes blancs, roses et rouges) d'où naît une nouvelle fleur, effilée et sans tige (« iris »): quatre longs sépales noirs, à l'extrémité verte, emboîtés les uns dans les autres par groupe de deux, renferment la fleur proprement dite, colorée de façon assez complexe: depuis la base, zones successivement blanche, rose, blanche, rose et bordeaux. Chaque rosace comporte ainsi quatre « iris » et huit « tulipes ». Les rosaces sont juxtaposées, les fleurs s'opposant par leur extrémité; les iris sont séparés par une sorte de double flèche: hampe noire, pointe colorée en dégradé (même jeu de couleurs que pour la bordure), extrémité noire. C'est cette juxtaposition qui crée l'impression de grandes rosaces quadripétales.

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MOSAÏQUE FLORALE AU SUD DE LA BASILIQUE 39

Dans les intervalles sont insérés des médaillons en formes de carrés curvilignes dont les contours sont dessinés par trois lignes de cubes posés sur la pointe (une ligne noire, une ligne claire, une ligne sombre). Les couleurs sont réparties en huit sections successives; deux carrés sont visibles sur la partie dégagée du pavement; pour le premier alternent bleu et rouge, pour le second bleu et jaune.

Dans chaque carré est placé un fleuron à pétales lancéolés issus d'un petit anneau central noir; à l'extrémité de chacun de ces pétales, un petit triangle noir posé sur son sommet; entre ces pétales, la pointe tournée vers le centre, quatre feuilles cordiformes d'où sortent deux rubans ondulés jaunes. Pétales, feuilles et triangles sont colorés de la même façon: base (ou sommet pour les triangles) noire, couleurs disposées en dégradé. Dans le premier carré les pétales sont bleus, les feuilles et les triangles rouges; dans le second la disposition des couleurs est inversée. A l'extérieur des carrés, dans le prolongement des pétales, quatre autres feuilles cordiformes; elles sont toutes colorées en jaune, la base restant noire.

Commentaire.

Ce dessin, simple dans sa conception, mais assez riche dans son détail, n'est pas très fréquent; parmi les mosaïques que l'on peut rapprocher, l'une d'entre elles est très voisine. Il s'agit d'une mosaïque trouvée à Utique en 1881, aujourd'hui conservée au musée du Louvre (fig. 23) (*). L'idée directrice de la composition est la même, les tiges et les fleurs sont presque semblables, peut-être un peu plus grêles; les médaillons cependant, circulaires, sont plus strictement géométriques.

La datation des deux pavements est malheureusement difficile; le contexte archéologique de la mosaïque d'Utique est inconnu; quant au sondage d'Haïdra, il n'a pas livré d'éléments décisifs. Les deux mosaïques sont bien évidemment de bons exemples du « style fleuri » de l'école africaine défini par M. G.-C. Picard (2).

(*) Héron de Villefosse, Catalogue sommaire des marbres antiques, Paris, 1896, nos 1813-1815. P. Gauckler, Inventaire des mosaïques, II, n° 920. Sur les circonstances de la découverte, cf. F. Baratte, Une curieuse expédition « archéologique » en Tunisie, dans Bévue du Louvre, 1971, p. 335-346.

(2) G.-C. Picard, Un thème du style fleuri dans la mosaïque africaine, dans La mosaïque gréco- romaine, Paris, 1965, p. 125-134.

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40 KECHEECHES ARCHÉOLOGIQUES À HAÏDRA

Nous avons daté ailleurs (*) le panneau d'Utique du début du IIIe siècle. Le spécimen d'Haïdra est certes trop réduit pour que l'on puisse apprécier pleinement son style. Les éléments végétaux (les « iris » en particulier) me semblent néanmoins plus lourds et plus luxuriants; le décor des médaillons par contre est moins chargé qu'à Utique. Il paraît donc peu probable qu'il y ait une grande différence chronologique entre des deux pavements, et je proposerais de placer le fragment d'Haïdra dans la première moitié du IIIe siècle.

Venant compléter les constatations faites au Nord de l'église, la découverte de ce sol est venue confirmer l'implantation de la basilique sur des constructions antérieures, maisons privées ou édifices publics au riche décor, appartenant au quartier central d'Ammaedara.

Catalogue des mosaïques africaines du musée du Louvre, à paraître.

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Fig. 1 - Croquis de situation des sondages.

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42

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(Cliché Ν. D.) Fig. 2 - La bordure de la mosaïque d'Ulysse en place dans un sondage.

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43

I ^ MUR DE LA SALLE MOSAÏQUÊE (TRACE PROBABLE) murdelaI

MOSAÏQUES: PARTIES CONSERVÉES Fig. 3 - Le plan schématique de la fouille au nord

DE LA BASILIQUE.

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(Cliché Réveillac, Mission d'Haïdra) Fig. 4 - Bordure sud de la mosaïque d'Ulysse.

(Cliché Réveillac, Mission d'Haïdra)

Fig. 5 - Bordure sud, détail.

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CMS. (Dessin de Miss Ο. Miller, British Museum)

Fig. 6 - DÉTAIL DU MARLI DU PLAT DE BRONZE DE PORTO D'ANZIO.

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(Clichés Réveillac, Mission d'Haïdra) Fig. 7 - Partie ouest de la mosaïque d'Ulysse. Montage photographique.

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(Clichés Réveillac, Mission d'Haïdra) Fig. 8 - Partie est de la mosaïque d'Ulysse. Montage photographique.

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Fig. 9 - Scylla. (Cliché F. Β.)

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(Cliché Musées du Vatican) Fig. 10 - Mosaïque de Tor Marancia au Musée du Vatican.

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(Cliché G. Ville) Fig. 11 - Mosaïque des Thermes de Thin a, détail.

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(Cliché F. B.) Fig. 12 - Ulysse et ses compagnons.

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(Cliché O. Ville) Fig. 13 - Ulysse et les Sirènes. Dougga (Musée du Bardo).

(Cliché Réveillac, Mission d'Haïdra) Fig. 14 - Fragment avec les pattes de la Sirène et le pêcheur au trident.

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(Clichés F.B.) Fig. 15 - La scène m

ythologique de la partie occidentale (après dépose et remontage sur béton). CO

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54

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55

(Cliché Réveillac, Mission d'Haîdra) Fig. 17 - Le pêcheur à l'épervier

(en place)

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(Cliché F. B.) Fig. 18 - Les deux jeunes gens sur la barque

(après dépose)

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(Cliché F. B.)

Fig. 19 - Putto sur un dauphin {après dépose)

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(Cliché F. B.) Fig. 20 - Autre fragment avec des putti montés sur des dauphins

(après dépose).

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(Glicht J\ Β.) Fig. 21 - Nebeides et Tritons: mosaïque de Thuburbo Majus. (Musée du Bardo)

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Fig. 22 - Sondage au sud de la basilique.

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61

(Cliché Chuzeville, Musée äu Louvre) Fig. 23 - Mosaïque fleurie d'Utique au Musée du Louvre.

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TABLE DES MATIÈRES

AVANT-PEOPOS 5

I - LA MOSAÏQUE D'ULYSSE

Le contexte archéologique 9 La salle 9 Caractéristiques techniques de la mosaïque 10

Description et interprétation de la mosaïque 12

I - La bordure 12 II - Le tapis central 17

1 - L'entrée 17 2 - Ulysse et les Sirènes 21 3 - Seconde scène mythologique 23 4 - Fragments 26 5 - Scènes de pêche 26 6 - Les putti 27 7 - Le fond 28

Conclusion 31

II - MOSAÏQUE FLOEALE AU SUD DE LA BASILIQUE

Le contexte archéologique 37

Description et commentaire 37 La bordure 37 Le champ 38 Commentaire 39

Figures 41-61

Table des matières 63