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La barbe ne fait pas le philosophe... le décolleté, si ! Le Monde.fr | 20.05.2014 à 10h25 • Mis à jour le 20.05.2014 à 11h19 Abonnez-vous à partir de 1 € Réagir Classer Partager facebook twitter google + linkedin pinterest | AFP/RIZWAN TABASSUM « Je suis confus quand je vous regarde découvrant ainsi vos bras, montrant votre col et prostituant votre sein comme un poison de chasteté : votre sein qui sert d'allèchement à la concupiscence : votre sein qui est incessamment battu et rebattu par les regards lascifs des hommes sensuels, lesquels vous voyant dans cet impudique appareil, voudraient comme oiseaux de proie vous tirer à l'écart pour vous ravir ce qui doit tenir à vous plus fort que la vie. »Non, nous n'avons pas retrouvé la note secrète qui, selon « la rumeur ridicule »(formule de Ségolène Royal sur son compte Twitter ), interdirait aux employées du ministère 1

Barbe Ne Fait Pas Le Philosophe Mais Décolletéas

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La barbe ne fait pas le philosophe... le dcollet, si !Le Monde.fr|20.05.2014 10h25 Mis jour le20.05.2014 11h19Abonnez-vous partir de 1 RagirClasserPartagerfacebooktwittergoogle +linkedinpinterest| AFP/RIZWAN TABASSUM Je suis confus quand je vous regarde dcouvrant ainsi vos bras, montrant votre col et prostituant votre sein comme un poison de chastet : votre sein qui sert d'allchement la concupiscence : votre sein qui est incessamment battu et rebattu par les regards lascifs des hommes sensuels, lesquels vous voyant dans cet impudique appareil, voudraient comme oiseaux de proie voustirer l'cart pour vousravirce qui doittenirvousplus fort que la vie. Non, nous n'avons pas retrouv la note secrte qui, selon la rumeur ridicule (formule de Sgolne Royal sur son compteTwitter), interdirait aux employes du ministre de l'cologie d'arborerun dcollet. Ce texte qui vilipende les licencieuses chancrures date du XVIIesicle et s'intituleMiroir de la vanit des femmes mondaines. Ce que nous apprend un rapide retour sur l'histoire de cette pratique vestimentaire fminine, c'est qu'elle a toujours eusescontempteurs (d'ailleurs le motgourgandine,qui en est venu signifier fille facile et de mauvaise vie , dsignait l'origine un corset dcollet). Et il est bien intressant de sedemandersi la cause de cette rprobation est uniquement la vanit frivole des femmes...Dans le foisonnant ouvrageDcollets(2003), Franoise Cur et Jacqueline Cros-Vilalte s'attachent retracerles tribulations de ces brches vestimentaires qui dvoilent les seins sans toutefois lesmontrer cette gorge de miel dont latendrenaissance accomplissait le ciel (Paul Valry,La Jeune Parque). Etonnamment, l'Antiquit, qui ne boude pas l'exhibition de seins nus quand il s'agit de statues et qui connat ses priodes d'orgies, n'a pas, sauf rares exceptions, dvelopp cet usage : Le dcollet des tuniques ne s'chancre pas plus Rome qu'enGrce. L'ouverture des robes au niveau de la poitrine ne devient vritablement unemodequ'au Moyen Age.Des sicles d'toffe vague avaient noy le corps, gomm la poitrine. (...) L'ingnue romane dessine le volume de son buste en pinant la taille de son bliaud[longue robe] et en ouvrant son col..TACTIQUE DE SDUCTIONL'ide du dcollet s'invente au XIIIesicle. L'tymologie situe vers 1265 l'apparition du verbeescolleter.Dcouvriren laissantvoirle cou , le dfinit le pote Jean de Meung, qui recommandebienveillamment aux dames : Si tu as belle poitrine et beau cou, ne les couvre pas mais que ta robe soit dcollete pour que chacun les dsire en rve. Les tailleurs s'en donnent alors cur joie : ouverture carre, arrondie, en forme de trapze,jeuxde montr-cach avec des pices de tissus transparents (le gorgias ou la gorgerette), etc. Il faudraattendrele XVesicle pour que la forme en V , la plus ose, s'impose l'invention en revient aux Bourguignons.Evidemment, le dcollet est une tactique de sduction fminine, d'autant plus efficace qu'elle laissedevinersans toutmontrer. Mais on aurait tort de n'yvoirque l'expression d'un dsir deplaire, d'un dsir desusciterle dsir. La sduction est en effet peut-tre moins l'expression d'une coquetterie galante qu'une arme subversive permettant decontrerles logiques dominantes dupouvoiret d'empcherla rduction du corps sa naturalit (car quel artifice !) en somme, une ironie de la fminit selon la formule de Jean Baudrillard dans son ouvrage intitulDe la sduction(1979). Selon ce dernier,sduire, c'est avant toutmanipulerdes signes, des apparences et des symboles et doncmettreen chec la logique dupouvoir, sa vise productive et raliste au sens o tout doittredonn immdiatement, dans le rel, sans dtour et sans rversibilit possible.Aussi Baudrillard considre-t-il que les femmes ont bien tort d'abandonnercette stratgie qu'est la sduction en prfrantjouer armes gales avec les hommes (l'ide est certes crispante du point de vue fministe). Qu'opposent les femmes la structure phallocratique dans leur mouvement de contestation? Une autonomie, une diffrence, une spcificit de dsir et de jouissance, un autre usage de leur corps, une parole, une criture jamais la sduction. Elles en ont honte comme d'une mise en scne artificielle de leurs corps, comme d'un destin de vassalit et deprostitution. Elles ne comprennent pas que la sduction reprsente la matrise de l'univers symbolique, alors que lepouvoirne reprsente que la matrise de l'univers rel. La souverainet de la sduction est sans commune mesure avec la dtention dupouvoirpolitiqueou sexuel. Aussi n'est-il pas si ridicule que la rumeur ait prcisment situ l'interdiction d'une pratique de sduction qui menace les stratgies dominantes dupouvoirdans un lieu depouvoir...Sophie ChassatLa barbe ne fait pas le philosophe...L'expression, devenue proverbiale, est l'quivalent de l'habit ne fait pas le moine . Dans une interprtation toute personnelle de l'expression, j'y vois une manire de dire que la philosophie ne se trouve pas forcment l o on le croit souvent, savoir dans les choses importantes, austres et srieuses, et qu'elle n'est pas rserve qu'aux mines graves qui se grattent la barbe d'un air inspir et svre. Des talons aiguilles, un bton de rouge lvres, l'apparence d'une star, un vtement la mode, tout cela peut donner naissance d'tonnants philosophmes !L'expression est drive d'un passage du Trait d'Isis et d'Osiris, de Plutarque (vers 46-125 apr. J.-C.) : Car ce qui fait les philosophes, Cla, ce n'est ni l'habitude d'entretenir une longue barbe ni le manteau. On la retrouve chez Aulu-Gelle (vers 130-180 apr. J.-C.) dans Les Nuits attiques : Hrode Atticus, consulaire clbre par les charmes de son esprit et par son loquence dans les lettres grecques, fut un jour accost en ma prsence par un personnage recouvert d'un manteau : cet homme portait une longue chevelure et une barbe qui descendait au-dessous de la ceinture : il lui demanda de l'argent pour acheter du pain. Hrode lui demande qui il est. Celui-ci, d'un air et d'un ton de grandeur, dit qu'il est philosophe, et il s'tonne, ajoute-t-il, qu'on lui fasse cette question, puisqu'on sait bien qui il est. Je vois, dit Atticus, une barbe et un manteau, mais je ne vois pas encore un philosophe. Dis-moi, sans te fcher, quelle marque veux-tu que nous le reconnaissions selon toi ? Pour aller plus loin :Franoise Cur, Jacqueline Cros-Vilalte,Dcollets, Paris, ditions de la Martinire, 2003.Jean Baudrillard,De la sduction, Paris, Editions Galile, 1979.

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