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Scepticisme alimentaire

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Le cancer est-il vraiment dans notre assiette ?

Chaque annesont conduites et publies des milliers d'tudes dans le domaine de la nutrition, qui font les choux gras de la presse magazine : part peut-tre les francs-maons, rien ne constitue dsormais un meilleur marronnier que ces aliments qui font du "bien" (ou du "mal") et ces rgimes fantastiques grce auxquels vous vivrez cent cinquante ans. On en arrive mme, c'est dire, trouver des bons cts au surpoids,statistiquement corrl une plus grande longvit, sans qu'on nous prcise cependant la nature vritable de cette relation... Et, bien sr, ce gros contingent d'tudes inclut de nombreux travaux sur le lien entre le cancer et tel ou tel aliment, qui augmente ou diminue vos chances d'attraper le crabe dans votre assiette. Avec, parfois, des aliments qui, selon les recherches, se retrouvent classs dans les deux catgories. Parmi de nombreux exemples, citons le lait et les produits laitiers, souvent accuss de favoriser le cancer de la prostate,comme dans cet article paru dansEpidemiologic Reviews.Publie quelques annes aprsdans l'American Journal of Epidemiology, une analyse portant sur une cohorte de plus de 80000hommes suivis pendant une dcennie, n'a trouv aucune association entre la consommation de ces aliments et ce cancer...Pour certains mdias, ces polmiques entre chercheurs sont pain bnit. Au lieu de s'interroger sur les raisons profondes de ces contradictions scientifiques, ils appliquent le merveilleux adage journalistique selon lequel"une info et son contraire, a fait deux papiers, coco". Pourtant, il y a des questions poser : ces contradictions trahissent-elles des fraudes, des protocoles exprimentaux suspects, des faux positifs,la slection de rsultats allant dans le sens souhait? Il arrive en effet souvent que, quand l'exprience n'a pas donn le rsultat attendu ce qui est pourtant aussi, en soi, un rsultat scientifique , les chercheurs oublient opportunment certains jeux de donnes afin de ne conserver que les plus "parlants". C'est--dire ceux qui ont le plus de chances d'tre retenus par les revues, lesquelles prfrent les articles contenant des "dcouvertes". On appelle celale biais de publication.Quelle est la part relle de tous ces phnomnesdans les tudes disant que tel aliment augmente ou diminue le risque de dvelopper un cancer ? Cette question figure au centre d'un article parudans le numro de janvier de l'American Journal of Clinical Nutrition, crit par deux chercheurs amricains, Jonathan Schoenfeld et John Ioannidis. Ces deux auteurs y ont pass au crible quelque trois cents tudes rcentes associant cancer et alimentation, afin d'valuer leur mthodologie ainsi que leur honntet intellectuelle. Pour ce faire, ils ont pioch 50 aliments au hasard dans un bon vieux livre de recettes de cuisine,leBoston Cooking-School Cook Book,un pav de plus de 700 pages paru pour la premire fois en 1896. Ils ont ensuite effectu une recherche documentaire dans la base de donnes PubMed, spcialise dans les recherches biologiques et mdicales, afin de dnicher des tudes rcentes associant ces 50 ingrdients au cancer, dans quelque sens que ce soit. A chaque article, ils ont extrait toutes les donnes ainsi que les conclusions sur le risque (accru, diminu, ni l'un ni l'autre, marginal). Puis, ils ont vrifi que les rsultats taient interprts selon les prconisations standard de la science.Et c'est l que le bta commenc blesser. Dans 80 % des tudes, la base statistique des effets constats a en effet t juge"faible voire non significative".En clair, le lien entre aliment et cancer se rvle le plus souvent tnu, quand il n'est pas imaginaire.La prsentation des rsultats flirte frquemment avec la limite de la malhonntet intellectuelle car, sept fois sur dix, les chercheurs oublient opportunment de signaler les rsultats non-significatifs (c'est--dire ceux qui ne vont pas dans le sens de l'hypothse de travail) dans le rsum de leur tude, ledit rsum tant ce que lisent en premier leurs collgues chercheurs ou les mdecins qui parcourent les revues. Traquant les biais sans la moindre piti, Jonathan Schoenfeld et John Ioannidis notent que l'ampleur des effets est souvent exagre dans les tudes et qu'il n'existe pas de protocole standardis pour ces recherches aliments-cancer. Ce n'est pas sans ironie qu'un de leurs graphiques montre que, pour quelques aliments comme, par exemple, le vin, le lait, les ufs, le mas ou le caf, certaines tudes concluent une aggravation du risque de cancer li leur consommation et d'autres aboutissent... au rsultat contraire. Cela ne signifie videmment pas que tout est jeter la poubelle et qu'il n'y a aucun risque surconsommer tel ou tel aliment mais retenons surtout qu'il faut regarder les donnes des tudes deux fois avant de se lancer dans des manchettes claquantes et des slogans dfinitifs. En conclusion, les deux chercheurs soulignent que quand leurs collgues bidouillent les chiffres ou les surinterprtent, le risque est grand de conduire la recherche biomdicale vers de fausses pistes et le public vers de mauvais conseils en dittique.Ce n'est pas la premire foisque l'on retrouve le nom de John Ioannidis dans une tude dcapante de ce genre. Cet pidmiologiste de l'universit Stanford (il dirige notamment son Centre de recherche sur la prvention) s'est spcialis dans le dcorticage des bases statistiques qui sous-tendent les recherches biomdicales. Son plus clatant fait d'armes date de 2005, lorsqu'il a publi, dans la revuePLoS Medicine, un essai au titre provocateur :"Pourquoi la plupart des dcouvertes publies sont fausses". Cet article, tlcharg prs de 700 000 fois, ce qui est norme, a montr qu'il y avait quelque chose de pourri au royaume des publications en biomdecine car les bases statistiques sur lesquelles s'appuyaient bon nombre d'tudes n'taient pas suffisamment rigoureuses pour que les rsultats obtenus aient une vritable valeur. Les biais taient lgion dans la conception d'essais cliniques censs dcider de la mise sur le march de mdicaments. Il ne s'agissait pas que de purs problmes statistiques : l'article disait notamment que"plus importants sont les intrts financiers et autres ainsi que les prjugs dans un domaine scientifique, moins il est probable que les dcouvertes y seront vraies"...On trouvait aussi quantitde biais dans les travaux en gntique associant tel gne tel risque de dvelopper une maladie. Comme John Ioannidis l'expliquedans un portrait de lui qu'a publi en 2012 le magazine de Stanford,"jusqu' il y a cinq ou six ans, le paradigme tait qu'on avait 10 000 papiers par an parlant d'un ou plusieurs gnes que quelqu'un trouvait importants dans le cas de maladies gntiques. Les chercheurs prtendaient qu'ils avaient trouv le gne de la schizophrnie ou de l'alcoolisme ou de je ne sais pas quoi, mais ils insistaient trs peu sur le fait qu'il fallait reproduire [leurs dcouvertes]. Ds que nous essayions de les reproduire, cela n'y survivait pas la plupart du temps. Quelque chose comme 99 % de la littrature n'tait pas fiable."Pierre Barthlmy (Le Monde, avril 2013)

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