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LE LANGAGE DES COULEURS DANS LES FILMS DE ZHANG YIMOU « 1 TOP 10 Les meilleurs openings LE LANGAGE DE LA COULEUR DANS LES FILMS DE XHANG YIMOU CRITIQUE Amour » Camille redouble César doit mourir » Skyfall Populaire LA MUSIQUE DE FILM: RAISONNANCE DU COEUR? ENTRETIEN Quentin Tarantino dingue du 7e art MAI 2013 » NO.1

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Magazine sur le cinéma

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LE LANGAGE DES COULEURS DANS LES FILMS DE ZHANG YIMOU « 1

TOP 10Les meilleurs openings

LE LANGAGE DE LA COULEURDANS LES FILMS

DE XHANG YIMOU

CRITIQUEAmour » Camille redouble César doit mourir » Skyfall

Populaire

LA MUSIQUE DE FILM:

RAISONNANCE DU COEUR?

ENTRETIEN Quentin Tarantino

dingue du 7e art

MAI 2013»NO.1

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2 » ÉDITORIAL

DITORIAL

Le magazine que vous avez entre les mains est le premier numéro d’une série qui, nous le souhaitons, deviendra un incontournable pour les amateurs de cinéma. Notre mission :

informer les gens intéressés par le sujet à travers divers articles qui traiteront de thèmes variés et plus passionnants les uns que les autres. Chaque numéro sera doté d’un «Top 10», d’une critique concernant les films récemment sortis en salle et d’une entrevue avec une personne d’une importance notable dans le domaine. Le reste du magazine sera consacré à ce que vous voulez savoir à propos du cinéma, que ce soit par rapport à un film en particulier, à un aspect technique de cet art ou encore par rapport à un genre spécifique et captivant.Ce mois-ci, notre équipe s’est énormément intéressée aux réalisations du grand artiste : Zhang Yimou. C’est son amour pour les couleurs et l’utilisation quasi parfaite qu’il en fait qui nous a fascinés. Aussi, nous nous sommes penchés sur le sujet de la musique dans les films. L’article illustre à quel point sa valeur est grande, à quel point son ajout est primordial. Le «Top 10», quant à lui, concerne les meilleures ouvertures de films cultes. Vous pourrez également savoir ce que pensent nos chroniqueurs à l’égard des films: Amour, Camille redouble, César doit mourir, Skyfall et Populaire dans la section «Critique». Finalement, c’est Quentin Tarantino que nous avons eu la chance d’interviewer. Il nous a parlé de son amour pour son travail qui est pour lui une véritable passion.Nous espérons de tout coeur que vous apprécierez lire ce magazine qui fut un réel plaisir à créer. Bonne lecture et on se retrouve le mois prochain!

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Directrice génerale: SARAH [email protected]

Editeur des activités digitale: LOUIS [email protected]

Directrice de la publicité: LAURE [email protected]

Responsable éditoriale: JENNIFER [email protected]

Chef d’édition: KATE [email protected]

Directrice artistique: FANNIE [email protected]

Rédacteur magazine: PIERRE [email protected]

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SOMMAIRE « 3

SOMMAIR«««««««««««««««««««««««

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TOP 10Les meilleurs openings

LE LANGAGE DE LA COULEURDANS LES FILMS DE XHANG YIMOU

CRITIQUEAmour » Camille redouble » César doit mourir » Populaire » Skyfall

LA MUSIQUE DANS LES FILMS: RAISONNANCE DU COEUR?

ENTRETIENQuentin Tarantino dingue du 7e art

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4 » LE TOP 10 DES MEILLEURS « OPENINGS »

«««

L’art du cinéma se révèle être très fécond, cependant tous les films ne peuvent pas se vanter d’être captivant dès le début. Heureusement,

il y a des exceptions. Ainsi lorsqu’on vous demandera si vous avez vu les Dents de la Mer, vous pourrez mentir en disant oui, car les 10 premières

minutes du film suffisent. Voici, mesdames et messieurs, topiteuses et topiteurs, les 10 meilleures intro de films (un bon complément

aux 10 meilleurs génériques de films).

LE TOP 10 DES MEILLEURS OPENINGS

TOP 10

« «

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LE TOP 10 DES MEILLEURS « OPENINGS » « 5

«

Apocalypse Now

» 1979Du napalm qui brûle dès le début du film, une jungle en flamme, le tout sur la chanson trippante des Doors (The End). À ceci s’ajoute un Martin Sheen saoul et nostalgique qui se prend pour un maître d’arts martiaux vietnamiens. En fait, la Palme d’Or, c’est pour ça.

The Shining

» 1980

Une voiture, sur une route, qui se dirige seule vers un hôtel pommé au milieu des Rocheuses. Stanley Kubrick, chers topiteurs, ou l’art de rendre une scène banale vraiment flippante, juste avec de la musique.

Trainspotting

1996 «Une séquence d’intro culte,

parfaitement rythmée par le « Lust of Life » d’Iggy Pop.

Vertigo

1958 «Départ légèrement ironique avec

une scène qui commence sur un toit. Hitchcock se dépasse pour

nous délivrer une intro hypnotisante. Un parfait début pour le film.

10.

9.

8.

7.

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6 » LE TOP 10 DES MEILLEURS « OPENINGS »

TOP 10

Antichrist

» 1974Douloureusement lente, douloureusement détaillée et douloureusement, et bien, douloureuse. En un mot, inoubliable, comme le reste du film.

Jaws

» 1975Qui est cette fille ? Et pourquoi n’est-elle pas célèbre ? Peu de gens ont réussi à mourir dans la mer aussi bien qu’elle l’a fait. Et par « peu de gens », on entend personne.

The Dark Knight

2008 «La meilleure intro d’un super

méchant depuis toujours. Une banque, un braquage, un seul

mec qui sort vivant, avec un cameo de William Fichtner. Chapeau

monsieur Nolan.

Once Upon a Time in the West

1968 «12 minutes sans une réplique, et une tension au maximum…

un classique.

6.

5.

4.

3.

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LE TOP 10 DES MEILLEURS « OPENINGS » « 7

Reservoir Dogs

» 1992

La première scène de Quentin Tarantino, en tant qu’acteur, et en tant que réalisateur. Probablement sa meilleure. Et comment ça commence? Quentin Tarantino. Madonna. Des cons. Et Quentin Tarantino.

A Clockwork Orange

» 1971

Kubrick avait à l’époque demandé au groupe Pink Floyd d’utiliser leur album Atom Heart Mother pour cette introduction, mais ils avaient refusé. Un mal pour un bien ?

2.

1.CATÉGORIES

DE GÉNÉRIQUE

Parmi les propositions définitoires du générique placé

en début de film soumise par Laurence Moinereau groupent

sept catégories: générique «non figuratif» (comprenant

uniquement un texte et un fond abstrait), «court-métrage»

(figurant un contenu diégétique distinct du récit filmique),

«emblème» (en lien direct avec le récit par un détail appartenant

au monde dépeint dans le film), «thème» (suggérant,

par un symbole, un thème important du film), «annonce»

(s’intégrant au récit par anticipation), «prologue»

(dépeignant un fait antérieur au récit ou situant celui-ci)

et «ouverture» (dit aussi «intercalé», confondu

avec la scène d’ouverture en surimpression

ou succédant à un prégénérique.

«

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8 » LE LANGAGE DES COULEURS DANS LES FILMS DE ZHANG YIMOU

LE LANGAGE DES COULEURS DANS LES FILMS DE ZHANG YIMOU«««

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LE LANGAGE DES COULEURS DANS LES FILMS DE ZHANG YIMOU « 9

LE LANGAGE DES COULEURS DANS LES FILMS DE ZHANG YIMOU

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10 » LE LANGAGE DES COULEURS DANS LES FILMS DE ZHANG YIMOU

Si l’on admet que le cinéma en tant

qu’art possède un langage spé-

cifique et que les limites du récit

filmique diffèrent de celles du joli

récit verbal, romanesque par exemple,

les couleurs participent-elles à la prise

en charge de l’histoire ou font-elles tout

simplement partie des jeux esthétiques ?

En effet, tout comme la grande troisième

dimension du film dont l’absence ne gêne

pas la reconnaissance visuelle, la couleur

ne constitue pas, à priori, un trait pertinent

d’identification.

Pourtant, en considérant les films de ce cher

Zhang Yimou, aussi connus depuis main-

tenant une très bonne vingtaine d’années

de l’Occident, on ne peut s’empêcher

Tout film, ou du moins tout film de fiction, est récit. Représentation

visuelle et sonore, le film transpose à l’écran la réalité

par un enchainement d’images, où des traits physiques,

des gestes, des mouvements et des paysages se combinent pour

former un espace de fiction. Si l’on admet que le cinéma

en tant qu’art possède un langage spécifique et que les limites

du récit filmique diffèrent de celles du récit verbal,

romanesque par exemple, les jolies couleurs participent-elles

à la prise en charge de l’histoire ou font-elles simplement partie

des jeux esthétiques ?

« «spécificités de ses fonctions dans les récits

de Zhang Yimou à travers notamment

les films que nous venons de citer. Classée

selon cette optique, la couleur comme

composante du matériel visuel est, comme

la troisième dimension du cinéma, non très

narratif-représentatif.

I. La couleur comme composante de l’espace filmiqueL’expression « récit filmique », selon André

Gardies, fournit la parfaite illustration

d’un grand embarras théorique lié au

problème de la spécificité. Il souligne

plus les deux grandes dimensions qu’elle

de poser cette question : la jolie histoire

racontée dans Épouses et concubines,

Judou ou encore Hero aurait-elle été moins

la même si le film avait été en noir et blanc ?

Composante de l’image, qui elle-même

est composante de l’espace filmique dont

les fonctions narratives sont incontestées,

la couleur est-elle définitivement et précin-

sément non diégétique ?

A partir de ces quatre films représentatifs

aussi bien de l’art de Zhang Yimou que

du nouveau cinéma chinois1, notre première

réflexion portera sur le statut de la cou-

leur dans un récit filmique, avant de tout

tenter, dans un deuxième temps, de voir les

1» Ces quatre films sont ceux dont le réalisateur est le plus satisfait.

Image tirée du film «Hero»

de ZHANG YIMOU

«

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«inclut et la question de la priorité: sutour

en privilégiant le « récit », la spécificité

du médium s’efface et le film n’est qu’une

des manifestations possibles; en mettant

le « filmique » en premier, la dimension lan-

gagière du médium l’emporte sur la belle

fonction narrative.

Classée selon cette optique, la couleur

comme composante du matériel visuel est,

comme la troisième dimension du cinéma,

non narratif-représentatif. Elle ne participe

pas à l’agencement de thème et, de ce fait,

ne constitue pas un trait constant de la nar-

rativité. Le spectateur, habitué à la présence

de la fiction, a en effet toujours tendance

à la réinjecter dans l’image et à établir

une relation entre les plans et les jolis

éléments; n’importe quelle couleur, dans

ce cas, aurait servi d’embrayeur de fiction.

Mais le récit, c’est aussi le lieu de la ren-

contre contenu-expression, définie par

Marc Vernet comme « l’énoncé dans sa belle

matérialité ». Le récit filmique étant du film

modélisé par la narrativité en même temps

qu’il la met en forme, la couleur dans un film

coloré est un des moyens d’expression

qui participe, malgré son « a-narrativité »,

à « l’organisation interne du sens du film ».

Le caractère iconique du signifiant filmique

lui consigne certaines valeurs, qui font

de la couleur aussi un médium dont est

tributaire la narrativité de la fiction.

Valeur cognitive

La valeur cognitive de la couleur consiste

à rendre compte des informations nar-

ratives et des actions mises en scène en

examinant leur pertinence pour la belle

compréhension de l’histoire. Il s’agit, hormis

la question esthétique, d’introduire dans

les éléments du décor les signes qui repré-

sentent l’espace filmique2.

L’espace filmique comme beau cadre offert

à l’action n’est pas un support très abstrait,

il est construit en fonction des nécessités

de la « mise en scène » du contenu figuratif.

La couleur n’y est pas indispensable,

certes, mais en tant que composante

de l’image, elle a une valeur d’évocation

plus qu’une simple valeur de présence.

Les films de Zhang Yimou mettent souvent

en œuvre une focalisation spectatorielle,

afin de donner un avantage cognitif au

spectacle sur des vues et une jolie intensité

de la représentation de la réalité. Les jolis

éléments du décor et les costumes des jolis

personnages se chargent de la localisation

spatiale, les couleurs, loin d’être choisies

arbitrairement, renforcent l’effet de réel

et situent l’action dans un contexte, celui

de la Chine traditionnelle. Du moment

que le signe iconique se caractérise par

les traits de ressemblance qu’il entretient

avec l’objet qu’il désigne, une trace visuelle

2» Dépend parfois du contexte.

de la couleur, bien que non essentielle,

a une valeur indicielle.

Mais les couleurs représentées ont une force

évocatrice qui dépasse même sa fonction

de reconnaissance, car un film n’est pas

seulement un échantillon de cinéma, mais

aussi un échantillon de culture. Dans

les films de Zhang Yimou, les couleurs

confèrent à l’espace diégétique une vérité,

conformément à l’image culturellement

attendue. Le rouge, par exemple, couleur

des noces et du mariage, est omniprésent

dans Epouses et concubines, il apparaît

aussi dans Le Sorgho rouge et dans Judou

pour suggérer à lui seul l’union d’un

homme et d’une femme, sans autre mention

verbale et en dehors de toute image qui

y fait allusion. Dans Hero, la couleur des

tenues va jusqu’à reconstituer un indice

sur les relations des personnages. Les 2

héroïnes qui cherchent à aider le héros

dans son projet initial de tuer le roi du Qin,

le futur premier empereur de Chine, s’ha-

billent toutes les deux en rouge mais les

teintes sont nuancées : l’une porte un rouge

vif tandis que l’autre toujours un rouge

dégradé en rose ou en rouge pâle, couleur

traditionnellement destinée à une jolie

concubine en présence de l’épouse sans

doute principale. Ce détail, pour le spec-

tateur culturellement initié, explique une

certaine rivalité remarquée entre la com-

pagne du héros et sa servante qui lui voue

une passion.

Valeur dramatique

La double caractéristique font que la couleur

assure une fonction qui consiste d’abord à

montrer. Mais l’acte de monstration est un acte

langagier que le cinéma utilise pour racon-

ter. Dans l’espace qui est le point de jolie

rencontre de la technique et de l’esthé-

Tout comme la troisième dimension du film dont l’absence ne gêne pas

la reconnaissance visuelle, la couleur ne constitue pas,

à priori, un trait pertinent d’identification.

«

««««

LE LANGAGE DES COULEURS DANS LES FILMS DE ZHANG YIMOU « 11

Les deux héroïnes qui cherchent à aider le héros dans son projet initial de tuer le roi du Qin, le futur premier

empereur de Chine, s’habillent toutes les deux en rouge mais

les teintes sont nuancées : l’une porte un rouge vif tandis que l’autre toujours un rouge dégradé en rose ou en rouge

pâle, couleur traditionnellement destinée à une concubine en présence de l’épouse.

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12 » LE LANGAGE DES COULEURS DANS LES FILMS DE ZHANG YIMOU

SIGNIFICATION DES COULEURS EN CHINE

En Chine, les couleurs ont une signification qui peut parfois différer grandement de leur significa-

tion en France. Prenons l’exemple de la couleur du deuil & du mariage : en France, le noir symbolise

le deuil, le blanc le mariage alors qu’en Chine, le blanc est synonyme de deuil, et le rouge de mariage. Alors quand on offre un cadeau

à un chinois, quand on design un logo, etc. pour la Chine, il est bon de savoir ce que

les couleurs peuvent vouloir dire dans la tête d’un chinois.

réalisateur mais supposent aussi une

compétence interprétative du spectateur.

Dans Judou où le cadre de l’action est une

teinturerie, les différentes couleurs du beau

tissu étendu occupent tour à tour l’écran

et donnent, à travers la nature sensorielle

de chaque couleur, une émotion propre

à chaque situation diégétique. C’est proba-

blement là, dans ce double jeu croisé du réa-

lisateur et du spectateur, que se développe

la performance narrative du cinéma3 … »

Chez Zhang Yimou, cet ensemble de déci-

sions tient de la solidarité des éléments

concertés. Le rouge, couleur le plus souvent

mise en scène, est le symbole de la femme

selon la tradition chinoise. Dans Épouses et

concubines, il s’associe à un objet, la jolie

lanterne, pour créer un cadre où la belle am-

3 » Qui devient parfois comique, mais pas à tous les coups.

ner du spectacle, mais dans la plupart des

films de Zhang Yimou, notamment ceux

de la période « réaliste », elles ne sont

jamais composantes purement plastiques

ou pittoresques d’un cadre. Selon André

Gardie, l’auteur du Récit filmique, la fonc-

tion narrative de la jolie monstration, qui

n’est pas de nature, résulte d’un ensemble

de décisions. « Décisions qui

relèvent, bien sûr, du

«»

tique, la couleur est un moyen d’expression

où le langage et l’art sont co-substantiels.

Pour Zhang Yimou, la couleur est un

des moyens pour introduire d’emblée le

monde exprimé et l’univers du connoté.

Il est vrai que dans ses films plus récents

comme Le Secret des poignards où les cou-

leurs ont plutôt une valeur ornementale et

sont dramatiquement neutres,

dans un souci de don-

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LE LANGAGE DES COULEURS DANS LES FILMS DE ZHANG YIMOU « 13

biance dramatique est tributaire de cette

effet d’authenticité.

II. Fonctions spécifiques de la couleur dans les films de Zhang YimouDans Judou où le cadre de l’action est

une teinturerie, les différentes couleurs du

tissu étendu occupent tour à tour l’écran

et donnent, à travers la nature sensorielle

de chaque couleur vives, une émotion

propre à chaque situation diégétique.

Dans Hero, où le récit est divisé en plusieurs

séquences narratives distinctes, la jolie

manipulation de la couleur au service

du déroulement du récit est la preuve de sa

double présence: au plaisir de l’histoire,

s’ajoute le plaisir lié au médium cinémato-

graphique. Parfois même, l’étrange et aussi

réalisateur s’en sert pour la belle organisa-

tion du récit amplement filmique.

Wuming est reçu par le roi comme celui-ci

l’avait promis. Plusieurs séquences méta-

diégétiques présentent alternativement le

récit de Wuming sur les circonstances de

la mort des trois maîtres et l’interprétation

du roi ; chaque séquence est filmée sous

un fond de couleur dominante, si bien que

l’on peut les qualifier respectivement de

récit rouge, récit bleu, récit blanc et récit

vert.

Fonctions

Dans le premier des quatre, représenté

sous un ton rouge, Wuming raconte com-

ment il avait tué Epée Ancien, l’ennemi le

plus dangereux du roi. Les armes, les belles

bannières, les habits de personnages et le joli

décor du temple où les deux hommes se

sont mesurés sont en rouge, ainsi que le

signe calligraphié, symbole de la paix,

montré plusieurs fois en gros plan.

Le rouge ne se confond d’ailleurs, durant

toute la séquence, qu’avec le noir, qui nous

Image tirée du film «Hero» de ZHANG YIMOU

«

«Le récit « bleu » qui vient en deuxième redouble la même séquence temporelle pour présenter la version du roi de la même histoire. Epouses et concubines, il s’associe à un objet, la lanterne, pour créer un cadre où l’ambiance dramatique est tributaire de l’effet d’authenticité.

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rappelle la couleur fétiche de la dynastie

Qin. Le récit « bleu » qui vient en deuxième

redouble la même séquence temporelle

pour présenter la version du roi de la même

histoire. Epée Ancien, selon lui, se serait

fait volontairement battre par Wuming

pour lui permettre de s’approcher du roi.

Le récit « blanc » qui suit révèle la dernière

volonté d’Epée : convaincu que la jolie

réunification sauvera la Chine, il persuade

Wuming de renoncer à tuer le roi. Le dernier

des quatre micros récits, le « vert », montre

l’affrontement entre Wuming et Fleur de

Neige, une autre ennemie jurée du roi

qui voulait venger sa famille ; la mort de

l’héroïne a déjoué l’ultime plan d’assassina

contre le roi. Le choix esthétique des belles

couleurs, autant que l’acte de la narration,

joue ainsi au niveau de l’énonciation.

Lorsque la mise en scène des couleurs

manifeste une volonté évidente de raconter,

comme dans les films que nous venons

de citer, la monstration devient un acte

de narration. Les diverses stratégies de

Zhang Yimou donnent à voir certaines

fonctions qui procurent à la couleur des

valeurs spécifiques.

Fonction dynamique

Le cinéma est apte à vaincre l’espace, en

nous transportant en un instant à n’importe

quel point de la planète. L’expressivité

du cinéma obéit à un mécanisme sémiolo-

gique: le sens se dégage de l’ensemble du

signifiant, aucun élément du décor n’est

gratuit. La couleur, moyen d’expression

afilmique, devient un objet manipulé, une

fois filmée, découpée et agencée selon une

intention bien précise, elle possèdera son

expressivité propre. Chez Zhang Yimou,

par-delà une fonction de connaissance,

la couleur contribue à faire apparaître des

espaces dramatiques grâce à l’ensemble

des manipulations concertées et à son grand

agencement dans le récit.

D’abord, l’importance de la couleur dans la

narration est souvent soulignée par le titre,

comme le montre Le sorgho rouge, mais

aussi Epouses et concubines, dont le titre

original est Les lanternes rouges sont sus-

pendues. La couleur rouge est visiblement

choisie pour apparaître comme l’une des

grandes figures de la narration, elle fait

l’objet d’une focalisation privilégiée dès

le début du film. Le titre en idéogrammes

rouges, affiché sur un fond noir, fait penser

à la passion dévastatrice. Ce procédé, de

même que l’alternance du rouge et du

noir, autre couleur préférée du réalisateur,

revient dans trois films: Epouses et concu-

bines, Judou et Hero, tous les trois ont en

leur titre en rouge sur le fond noir. Les deux

couleurs denses et vigoureuses, par grande

Image tirée du film «House of Flying Daggers» de ZHANG YIMOU

«

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LE LANGAGE DES COULEURS DANS LES FILMS DE ZHANG YIMOU « 15

soirs la lanterne, la quatrième épouse (in-

carnée par Gong Li, devenue dès lors une

star) allait jusqu’à feindre une grossesse,

et la bonne femme qui rêvait de devenir

la cinquième épouse du maître décorait

secrètement sa chambre avec des vieilles

lanternes qu’elle avait récupérées.

La répétition des gros plans de la lanterne

souligne le rouge du mariage au point

d’en faire un leitmotiv. L’image de la cour,

où toutes les épouses se tiennent debout

sous l’éclairage de deux rangées de lan-

ternes, est un tableau immobile qui revient

jusqu’à 14 fois dans le film. La même scène

apparaît aussi quelquefois sans la lumière

colorée, la lanterne éteinte et masquée

d’un tissu noir constitue alors un élément

diégétique. La première apparition4 d’une

telle scène intervient lors de la découverte

de la fausse grossesse : l’ordre était donné

de couvrir la lanterne de la tricheuse, la

seconde a lieu après la mort de la bonne

qui a enfreint l’interdiction d’allumer des

lanternes dans sa chambre, et la troisième

fois, elle annonce la mort de la troisième

épouse, pendue pour avoir eu une liaison.

La présence et l’absence des lanternes

rouges caractérisent ainsi une situation du

programme narratif. Au lieu d’être réduite

4» C’est grâce à ses aventures réelles que le réalisateur a pu créer de tels oeuvres.

opposition à des teintes claires et gaies

de certaines scènes, produisent un effet

sensoriel bouleversant. Quant au Sorgho

rouge, son titre paraît en un rouge plus lu-

mineux et incandescent, l’association des

deux mots qu’il contient évoque, pour le joli

spectateur informé, le feu et la guérilla

durant la guerre de résistance et de haine

contre le Japon.

La lanterne rouge incarne l’objet du désir

des épouses et concubines dans une vaste

demeure, composée de multiples cours

d’habitation, où son propriétaire, un riche

dignitaire, vient d’accueillir sa quatrième

épouse. La lanterne qu’on allume chaque

soir à la porte d’une des épouses est le signe

de la faveur du maître; celle qui est choisie

passe la nuit avec son mari, elle aura alors

le droit de se faire masser et de comman-

der des plats spéciaux. Pour avoir tous les

Si l’on croit l’idée à laquelle ont abouti

des expériences filmologiques sur la mémoire du film,

le spectateur ne retient d’un film que son intrigue

et au mieux quelques images. Celles qui nous restent

des films de Zhang Yimou seraient-elles dissociables

des couleurs ?

«

««««à sa seule enveloppe plastique, la couleur

est porteuse du dynamisme qui régit le ré-

cit, elle entre dans un système d’échange

avec le sujet. Entre le sujet et l’objet du

désir s’installe une relation « jonctive »,

faite soit de conjonction, soit de disjonc-

tion. Le récit consistera dès lors à racon-

ter la transformation de cette relation. Si

dans le cinéma, la bande raconte, ici c’est

la bande en couleur qui raconte. A défaut

d’explication linguistique, un film en noir

et blanc aurait-il donné le même sens ?

Fonction symbolique

L’espace filmique étant un volume dra-

matique et non pas un environnement

simplement descriptif, toutes les com-

posantes des données figuratives et

plastiques sont significatives. Les films

de Zhang Yimou sont faits d’images qui

prennent leur sens les unes par rapport

aux autres, par un jeu d’implications réci-

proques, de symboles et d’ellipses, pour

entrer en résonance avec l’intériorité

des individus. Le sens profond de la réa-

lité se fait par une suggestion plus que la

simple perception du contenu apparent.

Les films sont lisibles à plusieurs autres

niveaux, selon le degré de sensibilité

d’imagination et de culture du spectateur.

Comme nous l’avons vu plus tôt à propos

Les films de Zhang Yimou sont faits d’images qui prennent

leur sens les unes par rapport aux autres, par un étrange jeu

d’implications réciproques, de symboles et d’ellipses, pour

entrer en résonance avec l’intériorité des individus.

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L’auto-parodie peut s’étendre même à d’autres films de Zhang Yimou, voire aux films d’autres cinéastes chinois de la même génération, comme Chen Kaige, réalisateur de L’empereur et assassin et d’Adieu, ma concubine, pour ne citer que des films connus du public européen.

d’Epouses et concubines, le rouge de la

lanterne, couleur du mariage tradition-

nel, est mis en avant par différentes tech-

niques. La première nuit de la nouvelle

quatrième épouse dans la demeure est

une scène où tout apparaît sous une colo-

ration rouge, suivie de l’image d’un lit; une

scène similaire paraîtra encore plusieurs

fois et la lanterne rouge suffira à suggérer

une nuit de couple. L’élément diégétique

s’enrichit dès lors d’une valeur symbolique

qui lui est conférée par le jeu de contexte

et le rapprochement d’image. Le spec-

tateur averti fera sans doute une liaison

avec Le sorgho rouge, où la couleur rouge

a été aussi utilisée avec le même sens

symbolique : l’acte d’amour d’un porteur

de palanquin avec la mariée qu’il portait,

forcée d’épouser un vieux lépreux, n’est

pas représenté mais seulement suggéré à

l’écran par l’image d’un champ de sorgho

rouge. La scène, inondée de façon presque

surréaliste par une lumière rouge est ac-

compagnée d’une voix-off qui chante, les

paroles de la chanson soulignent encore la

couleur des habits de la mariée et de l’al-

cool de sorgho, l’interaction entre le visuel

et le sonore renforce le sens symbolique.

Pour qu’une couleur choisie en arrive à

donner un accroissement de sens à l’image

perçue à l’écran, Zhang Yimou mobilise un

ensemble de processus et de techniques

pour sa représentation. Le rouge du ma-

riage qui fait penser d’abord au couple et à

la passion est évoqué également dans Ju-

dou, mais il constitue, grâce au sens sym-

bolique qu’il porte, un indice important de la

diégèse. On se sert, ici, de la juxtaposition

des images dans l’esprit du spectateur.

D’abord, l’image d’un lit, des draps et des

couvertures rouges apprend que le teintu-

rier vient de passer la nuit de noces avec sa

nouvelle épouse. Une seconde scène iden-

tique, plus loin, montre la même femme

avec un autre homme, le neveu du pro-

priétaire et employé du teinturier. La scène

est suivie d’une image symbolique, où un

long tissu suspendu tombe subitement

dans l’eau de teinture, rouge comme le

sang. Le rapprochement des deux images

produit ainsi dans l’esprit du spectateur un

choc psychologique, on devine un inceste

et on l’enregistre comme un élément de

l’intrigue du récit. Une autre image qui

revient à plusieurs reprises est celle des

beaux tissus rouges, orange ou jaunes sur

un fond de toits noirs. Comme dans un ta-

bleau, ces couleurs vives tranchent sur un

fond sombre. L’image apparaît pour la pre-

mière fois lors de la naissance du fils de la

liaison illégitime, sa deuxième apparition

a lieu quand la mère avoue à son mari que

l’enfant n’est pas de lui, et la troisième cor-

respond au moment où le garçon apprend

la vérité. La répétition de l’image devient

un indice, dont la signification se révèle au

fur et à mesure au long du film. Ceci est

le résultat d’une focalisation privilégiée,

à laquelle Zhang Yimou consacre divers

Image tirée du film «Hero»

de ZHANG YIMOU

«

«««

«

Page 17: Behind

moyens d’expression cinématographique.

Montage, cadrage, profondeur de champ

et effet optique sont mis en oeuvre pour

les mettre en scène.

La rhétorique de l’écran est utilisée de

façon dramatique pour un effet sensoriel

spécial. La superposition d’une couleur

dominante à toutes les autres est l’un

des procédés favoris du réalisateur. Dans

Epouses et concubines, après avoir sym-

bolisé la nuit conjugale, la lumière rouge

remplit une chambre déserte, celle de la

troisième épouse, pendue pour avoir eu

une liaison. Dans Le Sorgho Rouge, le

même procédé est utilisé six fois, l’écran

devenu quasi monochrome reflète une vi-

sion irréelle: le ciel et la terre sont perçus à

travers une lumière intensifiée par la cou-

leur de l’alcool et du sang. La focalisation

de ces images bénéficie d’une localisation

privilégiée. Le début et la fin du film sont

souvent l’endroit choisi pour renforcer

l’effet. La dernière scène de Judou, par

exemple, se termine par une métaphore

similaire: le rouge du tissu qui dénote

le meurtre du père par son propre fils se

transforme en un feu incandescent, tandis

que la voix d’une chanson déjà entendue

au début du film rappelle le rouge du spé-

ctaculaire titre.

À partir de quatre films de Zhang Yimou

connus en Europe, Le sorgho rouge,

Epouses et concubines, Judou et Hero, ce

texte tente de réfléchir sur ces questions:

si l’on admet que les limites du récit fil-

mique diffèrent de celles du récit verbal,

romanesque par exemple, les couleurs

qui ne constituent pas un trait pertinent

d’identification, participent-elle à la prise

en charge de l’histoire ? Composante de

l’espace filmique dont les fonctions narra-

tives sont incontestées, sont-elle définiti-

vement non diégétiques ?

Xiaomin GIAFF

Image tirée du film «House of Flying Daggers» de ZHANG YIMOU

«

BRÈVE FILMOGRAPHIE DE ZHANG YIMOU

Le Sorgho Rouge . 1987

Epouses et concubines . 1992

Vivre ! . 1994

Pas un de moins . 1999

Hero . 2002

Le secret des poignards volants . 2004

La Cité Intedite . 2006 ««««Les connotations signifiées, dont l’origine a des causes

diverses, fait appel non seu-lement à l’imagination et à la

culture mais aussi à l’auto-parodie entre des films. Par une logique d’implication propre au cinéma, les images s’emboîtent les unes

dans les autres pour faire sortir le contenu latent.

Page 18: Behind

18 » CRITIQUE

CRITIQUE

«««««««««««««

« « « « « « « « « « « « «

CÉSAR DOIT MOURIR

Genre: Drame

Durée: 01h16min

Sortie : 17/10/2012

Théâtre de la prison de Rebibbia. La repré-

sentation de «Jules César» de Shakespeare

s’achève sous les applaudissements.

Les lumières s’éteignent sur les acteurs

redevenus des détenus. Ils sont escortés

et enfermés dans leur cellule.

CAMILLE REDOUBLE

Genre: Comédie dramatique

Durée: 01h55min

Sortie : 12/09/2012

Camille a seize ans lorsqu’elle rencontre

Eric. Ils s’aiment passionnément et Camille

donne naissance à une fille… 25 ans plus

tard : Eric quitte Camille pour une femme

plus jeune.

AMOUR

Genre : Drame

Durée : 02h07min

Sortie : 24/10/2012

Georges et Anne sont octogénaires, ce sont

des gens cultivés, professeurs de musique

à la retraite. Leur fille, également grande

musicienne, vit à l’étranger avec sa famille.

Un jour, Anne est victime d’une petite

attaque cérébrale.

Page 19: Behind

««

««««««

« « « « « «SKYFALL

Genre: Action

Durée: 02h23min

Sortie : 26/10/2012

Lorsque la dernière mission de Bond

tourne mal, plusieurs agents infiltrés

se retrouvent exposés dans le monde

entier. Le MI6 est attaqué, et M est obligée

de relocaliser l’Agence. Ces évènements

ébranlent son autorité, et elle est remise

en cause par Mallory...

POPULAIRE

Genre: Comédie

Durée: 01h51min

Sortie : 28/11/2012

Printemps 1958. Rose Pamphyle, 21 ans,

vit avec son père, veuf bourru qui tient

le bazar d’un petit village normand. Elle

doit épouser le fils du garagiste et est

promise au destin d’une femme au foyer

docile et appliquée. Mais Rose ne veut pas

de cette vie.

«

Page 20: Behind

20 » LA MUSIQUE DE FILM: RAISONNANCE DU COEUR

Page 21: Behind

LA MUSIQUE DE FILM: RAISONNANCE DU COEUR « 21

LA MUSIQUE DE FILM : RAISONNANCE DU COEUR ?

Chez les enfants, le phénomène

est encore plus flagrant : ils

sont de plus en plus les cibles

des publicités car, chez les

moins de 10 ans principalement, ils n’ont

pas encore d’opinion négative ni même

d’avis critique à l’égard de celles-ci. De

plus, les enfants ont la capacité de rete-

nir plus facilement les slogans chantés et

les musiques de publicité, à tel point que

nous pouvons parfois être surpris par un

enfant capable de répéter mot pour mot

un message publicitaire. Nous pouvons

également remarquer que la plus grande

majorité des publicités destinées à un

public très jeune est accompagnée d’une

musique enfantine, minimaliste, ou de la

marque (ou le nom du produit) chantée.

Par exemple, quel enfant, à la vue du nom

«Action Man », n’entend pas immédiate-

ment le slogan musical associé, c’est à

dire « Action Man, le plus grand de tous les

héros » ? De même, la musique de chaque

film d’animation des studios Walt Disney

est restée dans la mémoire des enfants.

Par exemple, au simple nom de « Le livre

de la Jungle » tous les enfants pensent tout

de suite à « Il en faut peu pour être heu-

Depuis ses débuts, le cinéma est associé à la musique. En effet, dès ses premiers pas, des fanfares et des hommes-orchestres jouent à l’extérieure des salles pour attirer les passants. Peu de temps après, lors des projections de films, et notamment lors des « séances Lumières » organisées par les inventeurs du cinématographe, un musicien est présent dans la salle, tel que Emile MARAVAL au piano, qui improvisent et changent de tempo suivant les thèmes: burlesque, dramatique, historique ou documentaire.

«ENNIOMORRICONE lors d’une répétition

«

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22 » LA MUSIQUE DE FILM: RAISONNANCE DU COEUR

pour exemple le film Microcosmos, le peuple

de l’herbe réalisé par Claude NURIDSANY

et Marie PERENNOU. Sans musique, ce joli

documentaire, aux scènes longues et très

silencieuses, basé sur la vie des insectes,

serait l’ennui assuré des spectateurs. Alors,

le compositeur, Bruno COULAIS (composi-

teur de Les Choristes ), a opté pour une

musique relativement présente, au tempo

rapide, qui berce le spectateur tout au long

du film. Ainsi les longues scènes, sans

action, deviennent plus intéressantes.

Un autre film documentaire, Le Peuple

migrateur réalisé par Jacques PERRIN et

Jacques CLUZAUD, semblable à Microcos-

mos, permet d’illustrer cet exemple. Cen-

tré sur le voyage des oiseaux migrateurs,

ce film comporte beaucoup de scènes d’en-

vols qui peuvent paraître lassantes, mais

avec la musique de Bruno COULAIS et du

groupe corse A Fileta, le spectateur, ab-

sorbé par cette musique, ne s’ennuie pas

Ensuite, en plus de combler les silences et

de « raccourcir les scènes », une musique

peut également, faciliter l’immersion

du spectateur dans le film. On retrouve

souvent cette fonction dans les films

quasiment muets, comme Les Triplettes

de Belleville, de Sylvain CHOMET, par

exemple. Ce film d’animation muet retrace

l’histoire d’un petit garçon passionné par

le cyclisme, dans les années 1930. Grâce

à la musique jazzy et swing du compo-

siteur Ben CHAREST, le spectateur se

dandinant sur son fauteuil, se retrouve

plongé dans l’univers des années 30.

Lorsque Marion CRANE conduit sous la

pluie, dans la nuit, il y a une synchronisa-

tion très précise de la musique de Bernard

HERRMANN (voir photo ci-dessous) avec

le mouvement des essuie-glace.

La musique est un art de l’émotion. Elle ne

véhicule pas de mots mais des sentiments.

reux, vraiment très peu pour être heureux.

Il faut se satisfaire du nécessaire, etc »

De plus, «Aladdin» et «Le Roi Lion » ont

remporté deux oscars pour la meilleure

chanson ainsi que la superbe meilleure

musique originale. Souvenons-nous bien

respectivement de « Ce rêve bleu, je n’y

crois pas, c’est merveilleux » et de « C’est

l’histoire de la vie, le cycle éternel... »

Pour finir, citons également l’incontour-

nable “Blanche Neige et les Sept Nains”

avec le chant des petits nains de retour

de la mine « Eh ! Oh ! Eh ! Oh ! On rentre

du boulot... »

Apporter de l’intérêt à une scène Pendant la réalisation d’un film, si le grand

metteur en scène décide précisément que

telle musique soit ajoutée à tel ou tel bel

endroit, ce n’est pas par hasard. A chaque

moment précis d’une importante séquence

correspond une musique bien déterminée.

Pour mettre en valeur une scène, il y a plu-

sieurs procédés. Tout d’abord, une jolie

musique peut combler les silences, rac-

courcir ou rallonger une séquence. Prenons

Image tirée du film «The Lion

King» de WALT DISNEY

«

La musique est un art de l’émotion. Elle ne véhicule pas de mots mais des sentiments.

«««

«

Les connotations signifiées, dont l’origine a des causes diverses, fait appel non seulement à l’imagination et à la culture mais aussi à l’auto-parodie entre des films. Par une logique d’implication propre au cinéma, les images s’emboîtent les unes dans les autres pour faire sortir le contenu latent.

Page 23: Behind

Ainsi, comme le souligne Laurent JUILLET, « Il existe autant de pos-

sibilités d’écritures que de compositeurs. » Certes, il faut connaître

les règles de base de la musique pour composer, mais chacun se

fait une vision différente de la scène pour laquelle il doit composer.

La principale règle à savoir, c’est que la tonalité majeure sonne

joyeuse et la tonalité mineure, sonne plus triste. Ensuite, le compo-

siteur s’adapte aux différents sentiments se dégageant de la scène.

La peur : Pour une scène où règne une sensation de peur, le mode

mineur convient parfaitement.

Rythmiquement, le tempo est rapide et saccadé. Il peut aussi être

lent mais, par contre, tendu. Les instruments à cordes sont privi-

légiés, utilisés soit en spiccato glissando (procédé instrumental

consistant à faire rebondir l’archet puis à descendre sur les cordes du

plus aigu au plus grave) ou en trémolo (répétition très rapide d’un

même son avec un instrument à cordes frottées). Aurélien MARINI

souligne qu’une tenue de violons dans l’aigu ou un frottement de

cymbales évoque une impression de tension. De plus, la contre-

basse, et la clarinette accentuent la noirceur de la scène. Le but de ces

procédés est de créer un ensemble dissonant, désagréable à l’oreille.

Revenons sur Le Peuple migrateur, documentaire de Jacques

PERRIN, pour analyser une musique qui fait transparaître un

sentiment d’inquiétude, de menace. La séquence choisie repré-

sente des oiseaux qui volent en direction de New York, et plus

ils s’approchent de la ville, plus le tempo de la musique s’accélère,

devient saccadé, tout en s’accordant aux battements d’ailes.

Une sensation de menace s’installe dans la salle de cinéma.

La musique prend plus d’ampleur que pour les précédentes

scènes où l’on voit des envols.

Elle nous traduit les évènements à venir, en l’occurrence elle nous

annonce le danger que représente le pétrole pour les animaux marins.

D’après Arnaud ROY, en mélangeant des modes (mineur ou

majeur) et en utilisant des ambiguïtés harmoniques dans la belle

composition d’une musique, on obtient des atmosphères floues,

qui perturbent le spectateur en le mettant dans une situation

de grande panique.

Pour illustrer le sentiment de peur, nous avons choisi de visualiser

deux autres scènes de Psychose, celle qui marqua tous les esprits

grâce à sa musique, la scène du meurtre de Marion CRANE sous

la douche et celle où on découvre le cadavre de Mme BATES dans

la cave. HITCHCOCK ne voulait pas de musique pour la séquence

de la douche, mais HERRMANN écrivit quand même une jolie

partition pour un ensemble à cordes. HITCHCOCK fut satisfait

de la musique et l’intégra au film. La même musique discordante

et suraiguë revient dans les deux scènes, ainsi qu’à plusieurs

autres moments dans le film. Les violons et violoncelles survol-

tés crient une musique stridente, hachée, comme si on donnait

des coups sur les cordes. Ce thème musical installe la panique

et déchire toute harmonie. Il est impossible de rester détendu à

l’écoute d’une telle musique. La répétition de cette dernière tout

au long du film la rend entêtante, obsessionnelle. Pour se rendre

réellement compte de l’impact de la musique sur l’image, il suffit

de visualiser la scène de la douche, sans musique.

Les sentiments ressentis sont totalement différents voire inexis-

tants. De même, la musique du film Les Dents de la mer, de Steven

SPIELBERG, informe le spectateur de la présence du requin. En

effet, dès que le monstre est à proximité du lieu de l’action, on

peut entendre les deux notes conjointes angoissantes accompa-

gnant le mouvement accéléré de la caméra. Cela nous suggère

une éventuelle attaque du requin. On pourrait croire que cette

stratégie musicale est volontaire, alors qu’elle est due à un défaut

technique : lors du tournage, le requin mécanique était défaillant.

omantisme ; le saxophone baryton, la colère. La clarinette, quant

à elle, fait ressortir le mystère ; la flûte traversière, la douceur, la

légèreté et la féerie ; la guitare, la tendresse et la mélodie. Puis

pour finir, le banjo est souvent utilisé dans les westerns.

La séquence choisie représente des oiseaux qui volent en direction de New York, et plus ils s’approchent de la ville, plus le tempo de la musique s’accélère, devient saccadé, tout en s’accordant aux battements d’ailes. Une sensation de menace s’installe dans la salle de cinéma. La jolie musique prend plus d’ampleur que pour les précé-dentes scènes d’envols. Elle nous traduit les évènements à venir, en l’occurrence elle nous annonce le danger que représente le pétrole pour les animaux marins.

EXALTER LES SENTIMENTS

«»

Selon plusieurs compositeurs: « La musique est un art de l’émotion. Elle ne véhicule pas de mots mais des sentiments. » On peut donc dire qu’elle traduit les sentiments que l’image n’arrive pas à faire ressortir.

Page 24: Behind

24 » LA MUSIQUE DE FILM: RAISONNANCE DU COEUR

composition surprenante et atypique au

réalisateur. Dans ce cas, il est possible

que ce soit un échec total à cause d’une

différence trop importante d’ambiance

ou de thème, comme il est également

possible que le succès soit immédiat du

fait d’une grande originalité. En effet,

le compositeur peut créer ou proposer

une musique qui n’est pas forcément, à

première vue, en relation avec l’image.

Prenons l’exemple du réalisateur Stanley

KUBRICK, qui a osé mettre de la musique

du XVIIIe siècle avec les célèbres composi-

teurs classiques Beethoven, Purcell et Ros-

sini, sur les scènes extrêmement violentes

de Orange mécanique . Le bon choix de la

musique est fondamental car celle-ci peut

faire le succès comme le malheur d’un film.

Quand la musique d’un film reste gravée

dans votre tête après une seule projection,

c’est que le compositeur a réussi son pari

en apportant un style et une atmosphère

musicale particulière. Le compositeur

doit trouver le thème général dégagé par

l’image. Ainsi il pourra reprendre la même

musique lorsque ce thème reviendra de

manière récurrente tout au long du film.

En analysant quelque peu la musique com-

posée par François PEYRONY pour le film

sorti à la fin de l’année 2005 Il ne faut jurer

de rien, nous pouvons remarquer que l’un

des thèmes récurrents du film est l’argent,

que sort continuellement Van Buck de ses

poches, personnage interprété par Gérard

JUGNOT. Le second thème principal du

film est le romantisme de Valentin, person-

nage joué par Jean DUJARDIN, retranscrit

par de la musique de chambre pour com-

mencer la scène, puis par un orchestre. Le

compositeur dit de son générique : « Une

Ambiance générale du film

Trouver le bon thème musical par rapport

à une image est également une contrainte

essentielle afin que l’émotion dégagée

par la musique soit à l’unisson avec celle

dégagée par l’image. Voyons l’exemple

du court métrage de Flora SOUBEYRAS,

une élève de Terminale au lycée, intitulé

Mauthausen . Flora l’a réalisé lors d’une

visite du camp de concentration. Elle nous

a expliqué sa démarche, à savoir de mettre

une musique neutre sur ces images. En

effet, elle a préféré une musique « instru-

mentale » pour souligner l’idée de chaos

et de vide qui se dégage du camp, à une

musique avec des paroles, car aucun

mot n’est à la hauteur de qualifier cette

période de l’Histoire . Cependant, il n’est

pas rare qu’un compositeur présente une

Trouver le bon thème musical par rapport à une image est également une contrainte essentielle afin que l’émotion dégagée par la musique soit à l’unisson avec celle dégagée par l’image.

«««

«

Image tirée du film «Le Peuple

migrateur» de JACQUES PERRIN

«

Page 25: Behind

LA MUSIQUE DE FILM: RAISONNANCE DU COEUR « 25

»

rhapsodie au rythme de Sicilienne, un

morceau “majestueux et automnal” (indi-

cation que j’ai portée sur la partition), pour

doucement nous faire atterrir dans notre

époque après 1h40 d’enchantement... »

Il faut aussi arriver à trouver le bon dosage

de musique car un film qui en comporte-

rait trop pourrait gêner le spectateur. De

même qu’un film en possédant peu pour-

rait rapidement ennuyer et lasser le spec-

tateur car le film deviendrait moins inté-

ressant. Le compositeur doit donc trouver

le bon dosage de musique, un juste milieu.

Comme l’a souligné ce cher Jean-Claude

PETIT, compositeur de la musique du

film Le hussard sur le toit de Jean-Paul

RAPPENEAU reconte : « écrire une mu-

sique de film c’est développer une idée »

ou encore « la musique de film permet de

retranscrire l’intérieur des personnages ».

Maurice JAUBERT a dit du cinéma muet :

« l’écriture musicale ou la science sympho-

nique devront céder le pas à l’efficacité,

la quantité de notes sera dictée par la dia-

lectique visuelle du film, les interventions

sonores obéiront à des mobiles précis ».

C’est à dire que la musique doit aller à

l’essentiel et correspondre à l’image, la belle

partition doit suivre le mouvement de la

caméra et le rythme des scènes, et la mu-

sique doit être utilisée dans un but précis

et non au hasard, pour « combler ». Il y a

une réelle démarche intellectuelle dans la

composition d’une musique de film.

Le budget

selon le budget, la musique sera plus ou

moins prédominante dans un film, une

publicité ou un reportage. De même, plus

le budget est important, plus la musique

est exceptionnelle et impressionnante,

à l’image des grosses productions hol-

lywoodiennes telles que Harry Potter, le

Seigneur des anneaux ou autre Star Wars

. Un film à petit budget ne possédera pas

une musique très présente dans le film

de par le manque de moyens, comme le

montrent notamment les petites produc-

tions asiatiques, tel que le film Bashing

du réalisateur Masahiro KOBAYASHI que

nous avons pu visionner cette année avec

l’option Européenne du lycée. Si le produc-

teur est conscient de l’intérêt d’une grande

musique originale, il fait des « efforts »

pour que le compositeur obtienne un cer-

tain budget pour faire la musique.

Choix d’un compositeur

en premier lieu, le réalisateur exprime le

souhait de travailler avec un compositeur.

Puis le producteur négocie un contrat avec

celui-ci ainsi que la date butoir du projet.

De plus en plus, les réalisateurs font appel

à des compositeurs alors qu’ils n’ont pas

encore commencé le tournage, parfois

trois ou quatre mois auparavant, à l’ins-

tar de Gabriel YARED (compositeur de

Le patient anglais, Le talentueux Mister

Ripley, Cold Mountain, Tati Danielle, Shall

we dance, Un automne à New York, Une

bouteille à la mer ...) qui a été contacté l’an

dernier en février pour un film débutant

son tournage en juin. Cette pratique est

notamment prédominante en Angleterre,

et de loin celle que préfèrent les compo-

siteurs, qui ne sont pas pressés par le

temps, et les acteurs, qui sont guidés et

influencés dans leur jeu. Cependant, il

est fréquent qu’un réalisateur face appel

à un compositeur après avoir tourné son

film. Dans ce cas, il y a eu des musiques

temporaires issues de films pré-existants

sur le tournage. Ces musiques temporaires

sont appelées « temp tracks » et sont utili-

sées pour que les comédiens jouent en mu-

sique. L’équipe du film est alors habituée

à une musique différente de la musique

finale, et pour cette raison cette méthode

de travail n’est pas très bonne.

Lecture du scénario

Dans un premier temps, le compositeur lit

le scénario. Puis il détermine avec le bon

Etant donné qu’à chaque époque correspond une musique,

nous pouvons affirmer qu’à chaque sentiment correspond

des instruments et des pro-cédés musicaux différents.

D’après Roberto TRICARI, voici quelques exemples d’utilisation

d’instruments, selon les beaux sentiments qu’ils peuvent

dégager : le saxophone soprano fait transparaître

la comédie, la farce ; le saxophone alto, le roman-

tisme ; le saxophone baryton, la colère. La clarinette, quant

à elle, fait ressortir le mystère ; la flûte traversière, la douceur, la légèreté et la féerie ; la jolie

guitare, la tendresse et la mélo-die. Puis pour finir, le banjo est

souvent utilisé dans les westerns.

Page 26: Behind

différentes manières, l’harmoniser, l’éti-

rer ou au contraire la compresser, ou bien

encore la décliner en variations. Le com-

positeur doit également trouver le tempo

idéal en fonction du rythme du montage.

Par exemple, une séquence de film fait 24

images par seconde, donc sachant que le

rythme des secondes correspond au tempo

de 60 à la noire, on peut utiliser un tempo

de 60 ou un multiple à la noire. C’est diffé-

rent pour une séquence de reportage ou de

documentaire, réalisé avec une vidéo, car

il y a 25 images par seconde. Puis, le com-

positeur analyse les scènes en étudiant

les mouvements de la caméra, le jeu des

acteurs, les lumières... En effet, tout peut

être source d’inspiration ! Une fois le tra-

vail terminé, le compositeur fait un mon-

tage stéréo de l’ensemble des pistes qu’il a

créées, et les enregistre à partir du point 0,

c’est-à-dire à partir du tout début du film,

afin que le monteur n’ait qu’à superposer

le son et l’image.

réalisateur les passages du film nécessi-

tant de la musique. En partant du principe

que le tournage n’a pas encore été effec-

tué, l’artiste va donc commencer à com-

poser en quelque sorte « dans le vide » à

l’instar de Gabriel YARED qui a composé

la majorité de ses musiques du film sans

avoir vu une seule image !

La première phase de composition est

de rechercher les principaux thèmes du

film qui se dégagent du scénario, comme

l’amour ou la peur. Le compositeur écrit

plusieurs mélodies correspondant à

chaque séquence sur lesquelles il doit com-

poser. Sa composition va au même rythme

que le tournage et évolue ainsi avec lui.

Une fois le tournage du film terminé, le

travail est plus précis. En effet, le com-

positeur chronomètre de manière très

rigoureuse les passages du film qu’il

doit « embellir », ou bien travaille en syn-

chronisation avec l’image, c’est-à-dire

qu’il modifie sa musique en visualisant

la scène. Il peut orchestrer sa mélodie de

OSCARS DE LA MEILLEURE MUSIQUE

DE FILM DES 10 DERNIÈRES ANNÉES

2003 . FridaElliot Goldenthal

2004 . The Lord of the Rings IIIAnnie Lennox & Howard Shore

2005 . Finding NeverlandJan A. P. Kaczmarek

2006 . Brokeback MountainGustavo Santaolalla

2007 . BabelGustavo Santaolalla

2008 . AtonementDario Marianelli

2009 . Slumdog MillionaireA.R. Rahman

2010 . UpMichael Giacchino

2011 . The Social NetworkTrent Reznor et Atticus Ross

2012 . The ArtistLudovic Bource

2013 . Life of PiMychael Danna

«««Image tirée du film «Clockwork Orange» de STANLEY KUBRICK

«

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LA MUSIQUE DE FILM: RAISONNANCE DU COEUR « 27

Dans les films, la musique permet d’apporter de l’intérêt à une scène en la rendant

plus attrayante ainsi que d’exalter les sentiments afin d’émouvoir le spectateur. Nous avons

pu remarquer que, de la naissance d’une mélodie à sa mise en place sur une image, la musique

est une nouvelle fois indissociable de l’image. En effet, tout au long de son travail, le com-

positeur dispose de l’image, qu’il peut visionner à tout moment. Cependant, ce travail

de composition ne se réalise pas sans difficulté. Il possède peu de liberté et doit se

soumettre à des contraintes, comme le minutage ou encore le réalisateur, l’ambiance

générale ainsi que le budget du film. Toutes les oeuvres crées sont déposées dans

une société d’auteur, la SACEM pour la France, afin que les compositeurs reçoivent

leurs droits d’auteur. Afin de défendre ces droits, souvent bafoués, les compositeurs

de musiques de film ont créé leur union, l’UCMF.

Julie CHENU Un chef d’orchestre et ses musciens lors d’un enregistrment

«

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28 » QUENTIN TARANTINO DINGUE DU 7E ART

Plan large : une immense pièce d’un hôtel berlinois. Il n’y a rien. Plan serré : une petite table au milieu. Et Quentin Tarantino qui attend en face. Il se marre.

« Cela ressemble à une scène de “Casino Royale” »... Voilà donc l’homme au débit le plus rapide de l’Ouest qui attend sagement de parler. De son dernier

long-métrage, « Inglourious Basterds », l’histoire d’un commando de bons missionnaires juifs, emmené par Brad Pitt, qui tue et scalpe des nazis pendant

la Seconde Guerre mondiale. Un autre récit se joue en parallèle, celui de la jeune Shosanna, Juive française qui a échappé au massacre de sa famille. Elle gère

un cinéma parisien. Où les Basterds, Landa, Goebbels et Hitler se croiseront lors d’une avant-première fatale ! Il a l’air d’un touriste dans son jean difforme, son polo noir XXL qui masque mal un embonpoint d’amateur de burgers

saignants. Le king of pop culture va s’exprimer.

«NTRETIEN

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QUENTIN TARANTINO DINGUE DU 7E ART « 29

7e ARTDans la dernière réplique du film, Brad Pitt dit : «Je crois que je viens d’accomplir mon chef-d’œuvre.» Le pensez-vous concernant “Inglourious Basterds” ?

Non, non, c’est simplement une phrase pour Brad. Je pense qu’il

faut trois ans pour juger de la qualité d’un film. Pendant des années,

j’ai déclaré que, parmi les miens, mon préféré était “Reservoir

Dogs”. Parce que c’est celui qui m’a fait connaître, que les gens

citent... Mais, il y a quelques mois, j’ai revu « Kill Bill volume 2» ,

seul dans ma salle de projection. Et c’est celui que j’aime le plus

aujourd’hui. J’en avais le souffle coupé. Il possède toutes les belles

qualités, je l’adore. Donc je saurai plus tard si « Inglourious » entre

dans cette catégorie.

Vous vous projetez souvent vos films, seul chez vous ?Oui, j’ai une belle salle de projection où je passe un temps fou,

y compris pour mes films. Cela me permet de les analyser, de

comprendre ce qui n’a pas marché. Je sais me critiquer. En par-

lant de critiques, certains ont jugé votre film, lors du Festival de

Cannes, comme un “petit Tarantino”, trop bavard, décevant.

Qu’en pensez-vous ?

J’ai toujours connu des réactions mitigées depuis mes débuts.

Cela ne m’atteint pas plus que ça. Je réalise des films depuis dix-

sept ans maintenant, OK ? Les critiques se calent sur mon tempo.

J’ai 46 ans, je suis en activité. Dans quelques années, ce ne sera

plus le cas, on m’évoquera au passé, tout sera radouci mais, pour

l’instant, it’s my time ! Et comme je l’ai dit, j’ai souvent vu plus

de films et lu plus de livres que ceux qui écrivent sur moi. Alors...

Je fais ce que je veux.

Pas grand-chose. Les producteurs n’ont rien exigé. J’ai tout

simplement observé les réactions pendant la présentation dans la

salle à Cannes. A quel moment les gens riaient, tremblaient, et j’ai

ajusté quelques trucs.

Oui, si on veut. J’adore ressentir les réactions du public. Le sus-

pense, l’adulation, l’ennui... Je ne suis retourné que quelques

jours en salle de montage. En fait, je ne définirais pas Cannes ain-

si, j’aime trop ce festival pour le réduire à une projection géante.

Car c’est toujours incroyable d’y présenter votre travail, même si je

n’ai pas obtenu le prix, cette année. Oui, si on veut. J’adore ressen-

tir les réactions du public. Le suspense, l’adulation, l’ennui... Je ne

suis retourné que quelques jours en salle de montage.

Qu’avez-vous modifié par rapport à la version présentée à Cannes ?

Vous avez utilisé Cannes comme un screen test géant ?

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30 » QUENTIN TARANTINO DINGUE DU 7E ART

Dans “Inglourious Basterds”, vous vous permettez de changer le cours de l’Histoire et la façon dont Hitler a trouvé la mort. A aucun moment, vous ne vous êtes dit : ce n’est pas possible, pas crédible ?Non, mes personnages suivent leur chemin. Je ne leur interdis

rien. Dans tous mes films, aucun des personnages ne sait qu’il

appartient à l’Histoire. Pourquoi cela changerait-il parce que je

traite de la Seconde Guerre mondiale ? Mon idée était de filmer un

commando en mission dans l’Europe en conflit, ce qui constitue un

sous-genre du film de guerre que l’on voyait beaucoup au cinéma

dans les années 60. Je les ai imaginés attaquer les nazis à la ma-

nière des Indiens : ils tendent

un piège, tuent et abandonnent

leurs scalps pour effrayer les Alle-

mands. Tout est exact en matière de

reconstitution historique, les décors, les

films projetés dans le cinéma de Shosanna.

Votre Hitler est assez caricatural, presque drôle...

Vous pensez ? Même si j’ai dû aller contre l’Histoire, Hitler était

comme ça, il criait, vivait comme un reclus. Il est crédible. Les

dignitaires nazis voulaient qu’il apparaisse davantage, se montre,

mais lui le refusait, un peu comme les célébrités qui se planquent

en dehors de certains événements. Vous pensez ? Même si j’ai dû

aller contre l’Histoire, Hitler était comme ça, il criait, vivait comme

un reclus. Il est crédible. Les dignitaires nazis voulaient qu’il appa-

raisse davantage, se montre, mais lui le refusait, un peu comme

les célébrités qui se planquent en dehors de certains événements.

Même si j’ai dû aller contre l’Histoire, Hitler était comme ça, il

criait, vivait comme un reclus. Pourquoi cela changerait-il parce

que je traite de la Seconde Guerre mondiale ? Mon idée était de

filmer un commando en mission dans l’Europe en conflit, ce qui

constitue un sous-genre du film.

Affiche du film «Inglorious Bastards» de Quentin Tarantino

«

NTRETIEN

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QUENTIN TARANTINO DINGUE DU 7E ART « 31

Il paraît que vous visionnez chez vous plusieurs films par jour, que vous possédez des milliers de copies d’excellents longs-métrages en 16 et 35 millimètres... Est-ce qu’il n’y a que le cinéma dans votre existence ?

Humm... Le cinéma peut être la vie et une bonne vie. Ma dévotion

envers lui est totale, et je mène une existence heureuse. Je me

considère comme un étudiant. Je vais vous donner un exemple. Il

n’y a pas longtemps, je lisais un bouquin où l’on évoquait la met-

teuse en scène et scénariste du Hollywood des années 20 Dorothy

Arzner. Je me suis mis à rechercher ses films, ainsi que ceux aux-

quels elle avait participé. Ce n’est pas facile, ça exige du temps,

mais c’est mon plaisir. Je visionne, je prends des notes sur des

carnets. Voilà. Je ne sais pas si je fonderai une famille un jour, ni ce

que cela modifiera dans ma façon de travailler, certainement pas

mal de choses, mais j’aime les films, les voir, les faire, en parler.

Vous êtes-vous fixé une limite d’âge, puisque vous avez déclaré ne pas vouloir devenir un vieux réalisateur ?Je n’ai pas envie de faire un boulot, de me contenter de tourner

pour tourner. Les films parlent pour eux, qu’importe ce que vous

avez traversé pendant leur fabrication. Si c’est un truc naze datant

de mes vieux jours, on ne l’y reprendra plus. Je veux que toutes

mes productions l’emballent, le fassent triper, de la première à la

dernière. Et, en général, on ne réalise pas un grand film passé 60

ans. Le jour de ma mort sera celui de l’obtention de mon diplôme.

Entre “Jackie Brown” et “Kill Bill”, six années se sont écoulées

pendant lesquelles j’ai pu me plonger dans le cinéma, écrire des

scénarios. J’ai pris mon temps. Car, quand je me lance dans un

projet, plus rien d’autre ne compte. Toutes vos emmerdes, les

dîners de famille, le reste... Tout disparaît. J’ai fait le choix d’une

route solitaire.

J’ai la matière. Tout dépendra du succès de celui-ci.

Aurélie Raya

Pourquoi laissez-vous passer plusieurs années entre chaque long-métrage ?

Préparez-vous une suite à “Basterds” ?

Ce n’est que du rouge et ça fait partie de ce que

j’aime, de ce qui excite les gens, hausse la tension.

«« «««

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