Upload
shifon-skillift
View
24
Download
0
Embed Size (px)
Citation preview
5/17/2018 Benetto Croce, Essais d'esth tique - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/benetto-croce-essais-desthetique 1/11
Page 1Benetto Croce, Essais d'esthétique
14.06.2006 11:01:01http://www.musicologie.org/theses/croce_01.html
À propos du site
Statistiques du site
S'abonner au bulletin
Collaborations
éditoriales
Biographies musicales
Encyclopédie
musicaleDiscographies
IconographiesArticles et études
Textes de référence
Analyses musicales
Cours d'écriture en
ligne
Annonces &
annuaires
Forum
Téléchargements
Vu et lu sur la Toile
Logiciels
Presse internationale
Forums et listes
Colloques &
conférences
Universités françaises
Universités au mondeQuelques
bibliothèques
Quelques Institutions
Quelques éditeurs
Nouveaux livresPériodiques
Rechercher sur
rEm
proposser un texte s'abonner au bulletin retour à l'index par auteurs
Benedetto Croce(1866-1952)
La critique et l'historiographie artistique et littéraire
et L'Histoire de l'esthétiqueDans Benetto Croce «Essais d'esthétique
(textes choisis, traduite et présentés par Gilles A. Tiberghien)».
Tel / Gallimard, Paris 1991, p. 72-75 et 75-83
La critique et l'historiographieartistique et littéraire
Il est un autre ensemble de questions que l'on
trouve dans les traités d'esthétique, qui, bien
qu'elles y soient opportunément placées,
appartiennent de façon intrinsèque à la logique et
à la théorie de l'historiographie : ce sont cellesqui concernent le jugement esthétique et l'histoire
de la poésie et des arts. L'esthétique, en
démontrant que l'activité esthétique ou l'art est
une des formes de l'esprit, une valeur, une
catégorie, quelque nom que l'on veuille lui
donner et non (comme l'ont pensé les théoriciens
de diverses écoles) un concept empirique que l'on
peut rapporter à une certaine classe de faits
utilitaires ou mixtes, a donc, en établissant
l'autonomie de la valeur esthétique, démontré et
établi par là même qu'elle est l'objet d'un jugement spécial, le jugement esthétique et le
sujet d'une histoire, d'une histoire spéciale,
5/17/2018 Benetto Croce, Essais d'esth tique - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/benetto-croce-essais-desthetique 2/11
Page 2Benetto Croce, Essais d'esthétique
14.06.2006 11:01:01http://www.musicologie.org/theses/croce_01.html
Lancer
Exact10
Résultats/
page
l'histoire de la poésie et des arts, l'historiographie
artistique et littéraire.
Les questions qui ont été agitées autour du
jugement esthétique et de l'historiographie
artistique et littéraire se trouvent être au fond,
même en ce qui concerne le caractère propre de
l'art, les mêmes questions méthodologiquesrencontrées dans tous les domaines de
l'historiographie. On s'est demandé si le
jugement esthétique était absolu ou relatif; mais
tout jugement historique (et tel est le jugement
esthétique qui affirme la réalité et la qualité des
faits esthétiques) est toujours à la fois absolu et
relatif : absolu dans la mesure où la catégorie au
moyen de laquelle il se forme possède une vérité
universelle; relatif, dans la mesure où l'objet
construit par elle est historiquement déterminé;
c'est pourquoi, dans le jugement historique, la
catégorie s'individualise et l'individualité «
s'absolutise ». Ceux qui par le passé niaient le
caractère absolu du jugement esthétique
(esthéticiens sensualistes, hédonistes, utilitaires)
niaient en fait la qualité et la réalité de l'art, son
autonomie. On s'est demandé si la connaissance
d'une époque, de toute l'histoire d'une époque
donnée, est nécessaire au jugement esthétique; or
elle l'est certainement car, comme nous le
savons, la création poétique présuppose toutesles autres formes de l'esprit qui la transforment
en image lyrique et chaque création esthétique
présuppose toutes les autres créations à un
moment historique donné (passions, sentiments,
coutumes, etc.). A partir de là, on voit également
combien sont dans l'erreur tant les partisans d'un
pur jugement historique de l'art (les historicistes)
que ceux d'un pur jugement esthétique (les
esthétisants) ; car les premiers veulent voir dans
l'art tout le reste de l'histoire (conditions sociales,biographie de l'auteur, etc.) au lieu de voir, en
même temps et surtout, l'histoire propre à l'art, et
les seconds veulent juger l'oeuvre d'art en dehors
de l'histoire, c'est-à-dire en la privant de son
authenticité et en lui donnant une signification
imaginaire ou en la comparant avec des modèles
arbitraires. Finalement une sorte de scepticisme
s'est manifesté quant à la possibilité d'entrer dans
un rapport de compréhension avec l'art du passé :
scepticisme qui, en ce cas, devrait s'étendre à
tous les autres domaines de l'histoire (celui de la
pensée, de la politique, de la religion, de la
moralité) et qui se réfute lui-même par une
réduction à l'absurde parce que l'art et l'histoire
5/17/2018 Benetto Croce, Essais d'esth tique - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/benetto-croce-essais-desthetique 3/11
Page 3Benetto Croce, Essais d'esthétique
14.06.2006 11:01:01http://www.musicologie.org/theses/croce_01.html
que l'on dit modernes ou du présent sont « passés
» au même titre que l'art et l'histoire des époques
les plus reculées, comme eux, redeviennent
présents mais seulement dans l'âme qui les
ressent et dans l'intelligence qui les comprend.
Qu'il y ait par ailleurs des oeuvres et des époques
artistiques qui nous restent obscures, signifie
seulement qu'actuellement les conditions pour lesrevivre de l'intérieur et pour les comprendre nous
font défaut de même que les idées, les coutumes
et les actions de tant de peuples et de périodes.
L'humanité comme l'individu se souvient de
certaines choses et en oublie beaucoup d'autres
sauf en en réactivant le souvenir quand le cours
de son développement spirituel l'y amène.
Une dernière question se pose qui concerne la
forme convenant à l'histoire artistique et
littéraire; celle-ci, à travers le type
principalement constitué à l'époque romantique
et qui prévaut encore aujourd'hui, expose
l'histoire des oeuvres d'art en fonction des
concepts et des besoins sociaux des différentes
époques, comme étant leur expression esthétique
en les reliant étroitement à l'histoire civile : ce
qui conduit à négliger et presque à étouffer le
caractère propre et individuel des oeuvres d'art,
celui qui les fait oeuvres d'art et interdit de les
confondre l'une avec l'autre et de les traitercomme documents de la vie sociale. Il est vrai
que, dans la pratique, cette méthode est corrigée
par cette autre que l'on pourrait dire «
individualisante » et qui met en évidence le
caractère propre de chaque oeuvre ; mais ce
correctif a le défaut de tout ce qui ressortit à
l'éclectisme. Pour en sortir, il n'y a pas d'autre
parti que de développer d'une manière
conséquente l'histoire individualisante et de
traiter les oeuvres d'art non pas en relation avecl'histoire sociale mais chacune comme un monde
en soi dans lequel, de temps à autres, se
concentre l'histoire tout entière, transfigurée et
transcendée, grâce à la fantaisie, dans
l'individualité de l'oeuvre poétique qui est une
création et non une réflexion, un monument et
non un document. L'oeuvre de Dante n'est pas
seulement un document sur le Moyen Age ni
celle de Shakespeare un document sur l'époque
élisabéthaine; pour cette fonction il existe
beaucoup d'autres sources d'informations tout
aussi abondantes sinon plus chez les mauvais
poètes et les non-poètes. On a objecté que, par
cette méthode, l'histoire artistique et littéraire
5/17/2018 Benetto Croce, Essais d'esth tique - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/benetto-croce-essais-desthetique 4/11
Page 4Benetto Croce, Essais d'esthétique
14.06.2006 11:01:01http://www.musicologie.org/theses/croce_01.html
prend la forme d'une suite d'essais et de
monographies sans lien entre eux; mais il est
clair que le lien est fourni par toute l'histoire
humaine constituant un tout dont les
personnalités poétiques forment une part très
importante (l'avènement de la poésie
shakespearienne n'est pas moins importante
quel'avènement de la Réforme ou de laRévolution française) et c'est justement parce
qu'elles en font partie qu'elles ne doivent pas se
plonger et se perdre dans cette histoire, c'est-à-
dire dans les autres parties de cette histoire, mais
maintenir leur importance et leurs caractères
propres et originaux.
L'Histoire de l'esthétique
L'histoire de l'esthétique, en raison de soncaractère de science philosophique que nous
avons déjà souligné, ne peut être séparée de
l'histoire de toute la philosophie qui l'éclaire et en
est éclairée. Elle permet par exemple de voir
comment l'orientation dite subjectiviste que la
pensée philosophique a prise avec Descartes,
favorisant la recherche autour de la puissance
créatrice de l'esprit, a favorisé aussi
indirectement la recherche concernant la
puissance esthétique; et, d'autre part, pour ce qui
concerne l'influence exercée par l'esthétique sur
le reste de la philosophie, il suffit de rappeler
combien la conscience avancée de la fantaisie
créatrice et de la logique poétique contribuèrent à
libérer la logique philosophique du formalisme et
de l'intellectualisme traditionnel et, rapprochant
le mouvement de la pensée du mouvement de la
poésie, à l'élever à la logique spéculative ou
dialectique dans la philosophie de Schelling et de
Hegel. Mais si l'histoire de l'esthétique doit être
intégrée dans l'ensemble de l'histoire de laphilosophie, celle-là doit être, à d'autres égards,
étendue au-delà des limites à l'intérieur
desquelles elle est maintenue d'ordinaire et où il
est d'usage de la faire coïncider avec la série des
oeuvres des philosophes dits de métier et des
traités dialectiques que l'on appelle « systèmes de
philosophie ». On retrouve souvent les pensées
philosophiques nouvelles ou leurs germes vivants
et dynamiques dans les livres qui ne sont pas le
fait de philosophes professionnels ni d'apparencesystématiques; pour l'éthique, dans les livres
d'ascètes ou de religieux, pour la politique dans
les livres d'historiens, ou pour l'esthétique, dans
ceux des critiques d'art et ainsi de suite. En outre,
5/17/2018 Benetto Croce, Essais d'esth tique - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/benetto-croce-essais-desthetique 5/11
Page 5Benetto Croce, Essais d'esthétique
14.06.2006 11:01:01http://www.musicologie.org/theses/croce_01.html
on se souvient que, rigoureusement parlant, le
sujet de l'histoire de l'esthétique n'est pas
uniquement le problème de la définition de l'art,
résolu par cette définition quand elle a été ou sera
trouvée, mais les problèmes infinis qui surgissent
toujours à propos de l'art et parmi lesquels ce
seul problème de la définition de l'art est identifié
et concrétisé et seul compte véritablement. Cesremarques qu'il faut garder présentes à l'esprit
permettent de tracer le cadre général d'une
histoire de l'esthétique qui puisse servir
d'orientation préliminaire sans courir le risque
qu'elle soit comprise d'une façon rigide et
simpliste.
Dans ce cadre général, et parce que cela
correspond non seulement aux besoins de
l'exposition mais aussi à la vérité historique, il
convient d'accepter la proposition commune
selon laquelle l'esthétique est une science
moderne. L'antiquité gréco-romaine ne spécula
pas, ou très peu, sur l'art mais s'employa surtout à
en créer la didactique : non pas la « philosophie
», pourrait-on dire, mais la « science empirique »
de l'art. Tels sont ses traités de « grammaire », de
« rhétorique », de « procédés oratoires », d«<
architecture », de « musique », de « peinture » et
de « sculpture » ; ils ont posé les fondements de
toutes les didactiques ultérieures et de la nôtrequi a simplifié et interprété ces traités cum grano
salis, mais ne les a pas abandonnés, parce qu'ils
sont pratiquement indispensables. La philosophie
de l'art ne trouvait pas de conditions favorables et
stimulantes dans la philosophie antique qui était
avant tout « physique » et « métaphysique » et
seulement de manière secondaire et
épisodiquement, « psychologie » ou, comme on
devrait dire plus exactement, « philosophie de
l'esprit ». Quelques allusions furent faites auxproblèmes philosophiques de l'esthétique, sur un
mode négatif avec la négation platonicienne de la
valeur de la poésie et, sur un mode positif, avec
la défense aristotélicienne qui voulut assurer à la
poésie son propre domaine entre celui de
l'histoire et celui de la philosophie et, d'autre
part, avec les spéculations de Plotin qui pour la
première fois joignit et unifia les deux concepts
qui erraient séparément, celui de 1«< art » et
celui du « Beau ». Les autres conceptions
importantes des anciens furent celles qui
ratachaient le « mythos » et non le « logos » à la
poésie et qui distinguaient parmi les propositions
les expressions purement « sémantiques »,
5/17/2018 Benetto Croce, Essais d'esth tique - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/benetto-croce-essais-desthetique 6/11
Page 6Benetto Croce, Essais d'esthétique
14.06.2006 11:01:01http://www.musicologie.org/theses/croce_01.html
rhétoriques et virtuellement poétiques, des
expressions « apophantiques » ou logiques. Il a
été récemment question d'un nouveau courant de
l'esthétique grecque à travers la doctrine
épicurienne exposée par Philodème qui semblait
donner à la fantaisie un caractère quasi
romantique. En tout cas ces ébauches
demeurèrent peu fécondes et le jugement solideet assuré des Anciens sur les problèmes de l'art
n'a pas été approfondi et n'a jamais constitué une
véritable science philosophique en raison de la
limite inhérente au caractère général, objectiviste
ou naturaliste de la philosophie antique ; seul le
christianisme en élevant les problèmes de l'âme
et en les plaçant au centre de son intérêt a
commencé à les bouleverser ou à préparer les
forces qui opérèrent ce bouleversement.
Cependant, la philosophie chrétienne elle-même,
tant en raison de la prééminence accordée à la
transcendance, au mysticisme et à l'ascétisme que
de la forme scolastique héritée de la philosophie
antique sur laquelle elle se reposa, si elle a rendu
aigus les problèmes moraux et délicat leur
traitement, n'a pas perçu ni approfondi ceux de la
fantaisie et du goût, de même qu'elle a reculé
devant ceux (qui sont leur équivalent dans le
domaine pratique) de la passion, des intérêts, de
l'utilité, de la politique et de l'économie. Demême que la politique et l'économie furent
pensés d'un point de vue moral, de même l'art fut
soumis à l'allégorie morale et religieuse; et les
concepts répandus parmi les écrivains gréco-
romains restèrent oubliés ou traités
superficiellement. La philosophie de la
Renaissance, qui fut à sa manière naturaliste,
restaura, interpréta et remit à jour les anciennes
poétiques et les anciennes rhétoriques ; mais
quoi-que fort préoccupée par la « vraisemblance» et le « vrai », 1«( idée », le « beau » et la
mystique du beau et de l'amour, par la « catharsis
» ou purgation des passions, par les apories des
nouveaux genres traditionnels et des nouveaux
genres littéraires, elle ne parvint pas à mettre en
place un principe proprement esthétique. A la
poésie et à l'art fit alors défaut un penseur qui
réalisât ce que réalisa Machiavel pour la poli-
tique, c'est-à-dire qui, vigoureusement et non
seulement par des propositions incidentes ou des
remarques occasionnelles, en affirmât et en
définît la nature originale et l'autonomie.
5/17/2018 Benetto Croce, Essais d'esth tique - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/benetto-croce-essais-desthetique 7/11
Page 7Benetto Croce, Essais d'esthétique
14.06.2006 11:01:01http://www.musicologie.org/theses/croce_01.html
Dans ce domaine, la pensée de la Renaissance
tardive qu'en Italie on appelle « secentismo », «
baroquismo » ou décadence littéraire et
artistique, quoique longtemps négligée par les
historiens, fut d'une beaucoup plus grande
importance ; car c'est alors que l'on commença à
distinguer avec insistance à côté de 1«intellect »,
une « faculté » dite « ingegno a », ingenium ou «génie », proprement productrice de l'art et, lui
correspondant, une faculté de jugement qui
n'était pas la raison ou le jugement logique parce
qu'elle jugeait « sans discours », c'est-à-dire «
sans concept », et qui prit le nom de « goût ».
Ces expressions étaient renforcées par une autre
qui semblait mettre l'accent sur quelque chose
d'impossible à déterminer en termes logiques et
apparemment mystérieux, le nescio quid ou le «
je ne sais quoi » : expression qui revenaitparticulièrement dans le langage des Italiens et
donnait à réfléchir aux étrangers. Alors aussi on
célébra la « fantaisie », magicienne
enchanteresse et le « sensible » ou « sensuel »
[sensuoso] qui réside dans les images de la poésie
et, dans la peinture, le miracle de la couleur qui,
en comparaison du dessin, semblait conserver
quelque chose de froid et de logique.
Quelquefois, ces tendances spirituelles, quelque
peu troubles, se purifiaient, s'élevant au niveau
des théories rationnelles, comme ce fut le cas deZuccolo b (1623) qui critiqua la métrique eten
remplaça les critères par le « jugement du sens »
qui était pour lui non pas l'oeil ou l'oreille, mais «
une puissance supérieure, unie aux sens » ; de
Mascardi ° (1636) qui niait les divisions
objectives et rhétoriques des styles réduisant le
style à la manière particulière et individuelle due
au talent [ingegno] de chacun et affirmait qu'il y
a autant de styles que d'écrivains ; de Pallavicino
b (1644) qui cri-tiqua la vraisemblance etreconnut comme domaine propre de la poésie les
« appréhensions premières » ou fantaisies, « ni
vraies ni fausses » ; de Tesauro ` (1654) qui
chercha à développer une logique rhétorique
distincte de la logique dialectique et étendit les
formes rhétoriques, au-delà des formes verbales,
aux expressions picturales et plastiques.
La nouvelle philosophie de Descartes, si elle se
montra chez lui comme chez ses successeurs
immédiats hostile à la poésie et à la fantaisie,
d'autre part, comme on l'a dit, avec l'enquête qu'il
entreprit sur le sujet ou sur l'esprit, permit à ces
éléments épars de se constituer en système et
5/17/2018 Benetto Croce, Essais d'esth tique - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/benetto-croce-essais-desthetique 8/11
Page 8Benetto Croce, Essais d'esthétique
14.06.2006 11:01:01http://www.musicologie.org/theses/croce_01.html
ouvrit la recherche à un principe auquel les arts
pourraient être réduits. Là aussi, les Italiens
conservant la méthode mais non
l'intellectualisme rigide de Descartes ni son
dédain pour la poésie, les arts et la fantaisie,
comme Calopresod (1691), Gravina ` (1692,
1708), Muratorif (1704) et les autres établirent la
première poétique dans laquelle domina, ou pritune part importante le concept de fantaisie; et
leur influence ne fut pas des moindres sur
Bodmer et sur l'école suisse et à travers eux sur
la critique et l'esthétique allemande et
européenne en général : si bien que l'on a pu
parler ces dernières années (Robertson) de «
l'origine italienne de l'esthétique romantique ».
Le penseur auquel tous ces théoriciens mineurs
aboutirent fut G. B. Vico qui, dans la Scienza
nuova (1725-1730), proposa une « logique
poétique » en la distinguant de la logique
intellectuelle; il considéra la poésie comme un
mode de connaissance ou une forme théorétique
précédant la forme rationalisante et
philosophique; il fonda son unique principe sur
la fantaisie qui est d'autant plus forte qu'elle est
plus libérée de la raison son ennemi et son
principe dissolvant : il sacra père et prince de
tous les vrais poètes le barbare Homère et plaça
près de lui, bien qu'il fût troublé par la culturethéologique et scolastique, le semi-barbare Dante
et porta son regard, sans réussir à bien la voir,
sur la tragédie anglaise, sur Shakespeare qu'il
ignora et qui aurait certainement été, s'il avait pu
le connaître mieux, son troisième barbare et
grand poète. Mais Vico, avec cette théorie
esthétique comme avec ses autres théories, ne fit
pas école parce qu'il était trop en avance sur son
temps mais aussi parce que sa pensée
philosophique était enveloppée dans une sorte desymbolique historique. La « logique poétique »
fit son chemin quand elle réapparut, bien moins
profonde, mais dans un climat plus propice, avec
celui qui systématisa l'esthétique leibnizienne
quelque peu hybride, Baumgarten (Meditationes,
1735; Aesthetica, 1750-1758) à qui elle doit des
noms divers parmi lesquels ars analogi rationis,
scientia cognitionis sensitivae, gnoseologia
inferior et, celui qui devait lui rester, Aesthetica.
L'école de Baumgarten qui distinguait sans
vraiment la distinguer la forme « fantastique » de
la forme intellective la considérant comme
cognito confusa, dotée par ailleurs de sa propre
perfectio, les spéculations et analyses des
5/17/2018 Benetto Croce, Essais d'esth tique - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/benetto-croce-essais-desthetique 9/11
Page 9Benetto Croce, Essais d'esthétique
14.06.2006 11:01:01http://www.musicologie.org/theses/croce_01.html
esthéticiens anglais (Schaftesbury, Hutcheson,
Hume, Home, Gerard, Burke, Alison) et en
général les si nombreux « essais » sur le beau et
sur le goût qui se multiplièrent à cette époque
ainsi que les théories et les traités historiques de
Lessing et de Winckelmann, contribuèrent
comme stimulant tantôt positif, tantôt négatif, à
la formation de l'autre grande oeuvre esthétiquedu XVIIIe siècle, la Critique du jugement (1790)
d'Emmanuel Kant, où l'auteur (après en avoir
douté dans la première critique) découvrit que le
beau et l'art donnaient matière à une science
philosophique particulière : il découvrit, en
d'autres termes, l'autonomie de l'activité
esthétique. Contre les utilitaristes il démontra que
le Beau plaît «sans intérêt» (sans intérêt
utilitaire), contre les intellectualistes qu'il plaît
«sans concept»; de nouveau contre les uns et lesautres qu'il a «la forme de la finalité sans la
représentation de la fin» ; contre les hédonistes
qu'il est «objet d'un plaisir universel». Kant en
fait n'alla pas au-delà de cette formulation
négative et générale du concept de beau ; de
même que dans la Critique de la Raison pratique
la loi morale une fois sauvegardée, il ne dépassa
pas la forme générale du devoir. Mais ce qu'il
établit resta établi pour toujours; et après la
Critique du jugement les retours aux explications
hédonistes et utilitaristes de l'art et du beau sontbien entendu possibles, et ils n'ont pas manqué
mais seulement parce que les démonstrations
kantiennes étaient ignorées de leurs auteurs. Pas
même les retours du leibnizianisme et du
baumgarténianisme, c'est-à-dire de la doctrine de
l'art comme concept confus et contaminé par
l'image [«immaginoso»], n'auraient plus dû se
produire si Kant avait réussi à rattacher sa théorie
du beau plaisant sans concept et qui est une
finalité sans représentation de fin à la théorievichienne, pleine d'imperfections et d'hésitations
mais puissante, pour ce qui concerne la logique
de la fantaisie, théorie qui alors en Allemagne
était dans une certaine mesure représentée par
Hamann et Herder. Mais lui-même rouvrait les
portes au « concept confus » quans il attribuait au
génie la vertu de combiner l'intellect et
l'imagination et distinguait l'art, qu'il définissait
comme « beauté adhérente », de la « beauté pure
».
On assiste justement dans la philosophie post-
kantienne à la reprise de la tradition
baumgarténienne, la poésie et l'art étant de
5/17/2018 Benetto Croce, Essais d'esth tique - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/benetto-croce-essais-desthetique 10/11
Page 10Benetto Croce, Essais d'esthétique
14.06.2006 11:01:01http://www.musicologie.org/theses/croce_01.html
nouveau considérés comme une forme de
connaissance de l'absolu ou de l'Idée, tantôt égale
à celle de la philosophie, tantôt inférieure ou
préparatoire, tantôt supérieure comme dans la
philosophie de Schelling (1800) où elle devient
l'organe de l'absolu. Dans l'oeuvre la plus riche et
la plus importante de cette école, dans les Leçons
d'esthétique de Hegel (1818 et suivantes), l'art,avec la religion et la philosophie, est transféré
dans «la sphère de l'esprit absolu» où l'esprit
s'affranchit du savoir empirique et du faire
pratique et atteint la béatitude dans la pensée de
Dieu ou de l'Idée. Dans la triade ainsi constituée
il reste douteux que le premier moment soit l'art
ou la religion parce que sur ce point il y a des
variantes dans les exposés qu'a fait Hegel de sa
doctrine; mais il est certain que l'un et l'autre,
l'art et la religion, sont dépassés et intégrés danscette synthèse finale qui est la philosophie : ce
qui signifie que l'art y est traité comme une
philosophie inférieure ou imparfaite, une
philosophie contaminée par l'image; une
contradiction entre contenu et forme inadéquate
que seule la philosophie résout. Hegel qui tendait
à faire coïncider le système de la philosophie et
la dialectique des catégories avec l'histoire réelle
parvint de la sorte à son fameux paradoxe de la
mortalité de l'art, forme qui ne correspond plus
aux intérêts spirituels les plus élevés des tempsnouveaux.
Cette conception de l'art comme philosophie ou
philosophie intuitive ou symbole de la
philosophie et autres choses semblables se
retrouve dans toute l'esthétique idéaliste de la
première moitié du XIXe siècle à quelques rares
exceptions près telle que celle de Schleiermacher
dans ses Leçons d'esthétique (1825, 1832-1833)
qui nous ont été transmises dans une forme assezpeu élaborée. Et malgré leur élévation et leur
vibrant enthousiasme pour la poésie et l'art, le
principe artificiel qui gouvernait ces traités ne fut
pas la moindre cause de la réaction contre cette
esthétique, réaction qui, dans la seconde moitié
du siècle, accompagna la réaction générale
contre la philosophie idéaliste des grands
systèmes post-kantiens. Ce mouvement
antiphilosophique eut certainement sa
signification en tant que manifestation de
mécontentement et besoin de chercher une
nouvelle voie mais ne produisit aucune théorie
esthétique corrigeant les erreurs de la précédente
et la portant plus avant. Ce fut en partie une
5/17/2018 Benetto Croce, Essais d'esth tique - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/benetto-croce-essais-desthetique 11/11
Page 11Benetto Croce, Essais d'esthétique
14.06.2006 11:01:01http://www.musicologie.org/theses/croce 01.html
solution de continuité dans la tradition de la
pensée ; en partie aussi un effort désespérépour
résoudre les problèmes de l'esthétique qui sont
des problèmes spéculatifs selon la méthode des
sciences empiriques (par exemple chez Fechner) ;
en partie enfin, une reprise de l'esthétique
hédoniste et utilitaire d'un utilitarisme qui
devenait associationisme, évolutionnisme etbiologisme de l'hérédité (comme par exemple
chez Spencer). De leur côté, les épigones de
l'idéalisme n'apportèrent rien qui ait une véritable
valeur (Vischer, Schaslerh, Carrière, Lotze, etc.)
et pas davantage les tenants des autres écoles de
la première moitié du siècle comme celle dite
«forma-liste» de l'herbartisme (Zimmermann), ni
les éclectiques et les psychologues qui, comme
tous les autres, travaillaient sur deux
abstractions, le «contenu» et la « forme » (lespartisans du contenu et les formalistes) et
quelquefois prétendaient les souder l'une et
l'autre sans s'apercevoir que, de deux irréalités,
ils en faisaient une troisième. Ce qui s'est pensé
de mieux sur l'art à cette époque, ce n'est pas
chez les philosophes et les historiens de
profession qu'il faut le chercher mais chez les
critiques de la poésie et de l'art comme De
Sanctisg en Italie, Baudelaire et Flaubert en
France, Pater en Angleterre et Hanslick et
Fiedler en Allemagne, Julius Langes enHollande, etc. Eux seuls nous consolent vraiment
de la trivialité esthétique des philosophes
positivistes et de la pénible vacuité de ceux que
l'on appelle idéalistes.
L'esthétique a connu un meilleur sort dans les
premières décennies du xx e siècle grâce au
réveil général de la pensée spéculative. Il faut
noter en particulier l'union qui est en train de se
faire entre l'esthétique et la philosophie dulangage encouragée par la crise dans laquelle est
entrée la linguistique «naturaliste» et
«positiviste» des lois phonétiques et autres
abstractions. Mais la plus récente production
esthétique, justement parce que récente et en voie
d'élaboration, ne peut encore être située
historiquement ni jugée.
Références / Musicologie.org 2005
site conçu et administré par
jean-Marc Warszawski