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 Page 1 Benetto Croce, Essais d'esthétique 14.06.2006 11:01:01 http://www.musicologie.org/theses/croce_01.html À propos du site Statistiques du site S'abon ner au bulletin Collaborations éditoriales Biographies musicales Encyclopédie musicale Discographies Iconographies Articles et études Textes de référence Analyses musicales Cours d'écriture en ligne Annonc es & annuaires Forum Téléchargements Vu et lu sur la Toile Logiciels Presse internationale Forums et listes Colloqu es & conférences Universités françaises Universités au monde Quelques bibliothèques Quelques Institutions Quelques éditeurs Nouveaux livres Périodiques Recherc her sur rEm  proposser un texte s'abonner au bulletin  retour à l'index par auteurs Benedetto Croce (1866-1952)   La critique et l'historiographie artistique et littéraire et  L'Histoire de l'esthétique Dans Benetto Croce «Essais d'esthétique (textes choisis, traduite et présentés par Gilles A. Tiberghien) ». Tel / Gallimard, Paris 1991, p. 72-75 et 75-83 La critique et l'historiographie artistique et littéraire Il est un autre ensemble de questions que l'on trouve dans les tra ité s d'e sthéti que, qui, bie n qu'elles y so ie nt op po rt unéme nt pl acées, appartiennent de fa çon intrinsèque à la logique et à la théorie de l'historiographie : ce sont celles qui concerne nt le jugement esthétique et l'histoire de la poés ie et de s arts. L'est ti qu e, en démontrant que l'activité esthétique ou l'art est une des fo rmes de l'espri t, un e va leur, une ca gori e, quel que nom que l'on ve ui lle lui donner et non (comme l'ont pensé les théoriciens de diverses écoles) un concept empirique que l'on  peut rapporter à une certaine classe de faits utilitaires ou mi xt es, a donc , en ét ablis sant l'autonomie de la valeur esthétique, démontré et établi pa r me qu 'ell e est l'obj et d' un  jugement spécial, le jugement esthétique et le sujet d' une hi st oi re, d' une hi sto ire spéc iale,

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Benedetto Croce(1866-1952)

 

 La critique et l'historiographie artistique et littéraire

et L'Histoire de l'esthétiqueDans Benetto Croce «Essais d'esthétique

(textes choisis, traduite et présentés par Gilles A. Tiberghien)».

Tel / Gallimard, Paris 1991, p. 72-75 et 75-83

La critique et l'historiographieartistique et littéraire

Il est un autre ensemble de questions que l'on

trouve dans les traités d'esthétique, qui, bien

qu'elles y soient opportunément placées,

appartiennent de façon intrinsèque à la logique et

à la théorie de l'historiographie : ce sont cellesqui concernent le jugement esthétique et l'histoire

de la poésie et des arts. L'esthétique, en

démontrant que l'activité esthétique ou l'art est

une des formes de l'esprit, une valeur, une

catégorie, quelque nom que l'on veuille lui

donner et non (comme l'ont pensé les théoriciens

de diverses écoles) un concept empirique que l'on

peut rapporter à une certaine classe de faits

utilitaires ou mixtes, a donc, en établissant

l'autonomie de la valeur esthétique, démontré et

établi par là même qu'elle est l'objet d'un jugement spécial, le jugement esthétique et le

sujet d'une histoire, d'une histoire spéciale,

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l'histoire de la poésie et des arts, l'historiographie

artistique et littéraire.

Les questions qui ont été agitées autour du

 jugement esthétique et de l'historiographie

artistique et littéraire se trouvent être au fond,

même en ce qui concerne le caractère propre de

l'art, les mêmes questions méthodologiquesrencontrées dans tous les domaines de

l'historiographie. On s'est demandé si le

 jugement esthétique était absolu ou relatif; mais

tout jugement historique (et tel est le jugement

esthétique qui affirme la réalité et la qualité des

faits esthétiques) est toujours à la fois absolu et

relatif : absolu dans la mesure où la catégorie au

moyen de laquelle il se forme possède une vérité

universelle; relatif, dans la mesure où l'objet

construit par elle est historiquement déterminé;

c'est pourquoi, dans le jugement historique, la

catégorie s'individualise et l'individualité «

s'absolutise ». Ceux qui par le passé niaient le

caractère absolu du jugement esthétique

(esthéticiens sensualistes, hédonistes, utilitaires)

niaient en fait la qualité et la réalité de l'art, son

autonomie. On s'est demandé si la connaissance

d'une époque, de toute l'histoire d'une époque

donnée, est nécessaire au jugement esthétique; or

elle l'est certainement car, comme nous le

savons, la création poétique présuppose toutesles autres formes de l'esprit qui la transforment

en image lyrique et chaque création esthétique

présuppose toutes les autres créations à un

moment historique donné (passions, sentiments,

coutumes, etc.). A partir de là, on voit également

combien sont dans l'erreur tant les partisans d'un

pur jugement historique de l'art (les historicistes)

que ceux d'un pur jugement esthétique (les

esthétisants) ; car les premiers veulent voir dans

l'art tout le reste de l'histoire (conditions sociales,biographie de l'auteur, etc.) au lieu de voir, en

même temps et surtout, l'histoire propre à l'art, et

les seconds veulent juger l'oeuvre d'art en dehors

de l'histoire, c'est-à-dire en la privant de son

authenticité et en lui donnant une signification

imaginaire ou en la comparant avec des modèles

arbitraires. Finalement une sorte de scepticisme

s'est manifesté quant à la possibilité d'entrer dans

un rapport de compréhension avec l'art du passé :

scepticisme qui, en ce cas, devrait s'étendre à

tous les autres domaines de l'histoire (celui de la

pensée, de la politique, de la religion, de la

moralité) et qui se réfute lui-même par une

réduction à l'absurde parce que l'art et l'histoire

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que l'on dit modernes ou du présent sont « passés

» au même titre que l'art et l'histoire des époques

les plus reculées, comme eux, redeviennent

présents mais seulement dans l'âme qui les

ressent et dans l'intelligence qui les comprend.

Qu'il y ait par ailleurs des oeuvres et des époques

artistiques qui nous restent obscures, signifie

seulement qu'actuellement les conditions pour lesrevivre de l'intérieur et pour les comprendre nous

font défaut de même que les idées, les coutumes

et les actions de tant de peuples et de périodes.

L'humanité comme l'individu se souvient de

certaines choses et en oublie beaucoup d'autres

sauf en en réactivant le souvenir quand le cours

de son développement spirituel l'y amène.

Une dernière question se pose qui concerne la

forme convenant à l'histoire artistique et

littéraire; celle-ci, à travers le type

principalement constitué à l'époque romantique

et qui prévaut encore aujourd'hui, expose

l'histoire des oeuvres d'art en fonction des

concepts et des besoins sociaux des différentes

époques, comme étant leur expression esthétique

en les reliant étroitement à l'histoire civile : ce

qui conduit à négliger et presque à étouffer le

caractère propre et individuel des oeuvres d'art,

celui qui les fait oeuvres d'art et interdit de les

confondre l'une avec l'autre et de les traitercomme documents de la vie sociale. Il est vrai

que, dans la pratique, cette méthode est corrigée

par cette autre que l'on pourrait dire «

individualisante » et qui met en évidence le

caractère propre de chaque oeuvre ; mais ce

correctif a le défaut de tout ce qui ressortit à

l'éclectisme. Pour en sortir, il n'y a pas d'autre

parti que de développer d'une manière

conséquente l'histoire individualisante et de

traiter les oeuvres d'art non pas en relation avecl'histoire sociale mais chacune comme un monde

en soi dans lequel, de temps à autres, se

concentre l'histoire tout entière, transfigurée et

transcendée, grâce à la fantaisie, dans

l'individualité de l'oeuvre poétique qui est une

création et non une réflexion, un monument et

non un document. L'oeuvre de Dante n'est pas

seulement un document sur le Moyen Age ni

celle de Shakespeare un document sur l'époque

élisabéthaine; pour cette fonction il existe

beaucoup d'autres sources d'informations tout

aussi abondantes sinon plus chez les mauvais

poètes et les non-poètes. On a objecté que, par

cette méthode, l'histoire artistique et littéraire

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prend la forme d'une suite d'essais et de

monographies sans lien entre eux; mais il est

clair que le lien est fourni par toute l'histoire

humaine constituant un tout dont les

personnalités poétiques forment une part très

importante (l'avènement de la poésie

shakespearienne n'est pas moins importante

quel'avènement de la Réforme ou de laRévolution française) et c'est justement parce

qu'elles en font partie qu'elles ne doivent pas se

plonger et se perdre dans cette histoire, c'est-à-

dire dans les autres parties de cette histoire, mais

maintenir leur importance et leurs caractères

propres et originaux.

L'Histoire de l'esthétique

L'histoire de l'esthétique, en raison de soncaractère de science philosophique que nous

avons déjà souligné, ne peut être séparée de

l'histoire de toute la philosophie qui l'éclaire et en

est éclairée. Elle permet par exemple de voir

comment l'orientation dite subjectiviste que la

pensée philosophique a prise avec Descartes,

favorisant la recherche autour de la puissance

créatrice de l'esprit, a favorisé aussi

indirectement la recherche concernant la

puissance esthétique; et, d'autre part, pour ce qui

concerne l'influence exercée par l'esthétique sur

le reste de la philosophie, il suffit de rappeler

combien la conscience avancée de la fantaisie

créatrice et de la logique poétique contribuèrent à

libérer la logique philosophique du formalisme et

de l'intellectualisme traditionnel et, rapprochant

le mouvement de la pensée du mouvement de la

poésie, à l'élever à la logique spéculative ou

dialectique dans la philosophie de Schelling et de

Hegel. Mais si l'histoire de l'esthétique doit être

intégrée dans l'ensemble de l'histoire de laphilosophie, celle-là doit être, à d'autres égards,

étendue au-delà des limites à l'intérieur

desquelles elle est maintenue d'ordinaire et où il

est d'usage de la faire coïncider avec la série des

oeuvres des philosophes dits de métier et des

traités dialectiques que l'on appelle « systèmes de

philosophie ». On retrouve souvent les pensées

philosophiques nouvelles ou leurs germes vivants

et dynamiques dans les livres qui ne sont pas le

fait de philosophes professionnels ni d'apparencesystématiques; pour l'éthique, dans les livres

d'ascètes ou de religieux, pour la politique dans

les livres d'historiens, ou pour l'esthétique, dans

ceux des critiques d'art et ainsi de suite. En outre,

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on se souvient que, rigoureusement parlant, le

sujet de l'histoire de l'esthétique n'est pas

uniquement le problème de la définition de l'art,

résolu par cette définition quand elle a été ou sera

trouvée, mais les problèmes infinis qui surgissent

toujours à propos de l'art et parmi lesquels ce

seul problème de la définition de l'art est identifié

et concrétisé et seul compte véritablement. Cesremarques qu'il faut garder présentes à l'esprit

permettent de tracer le cadre général d'une

histoire de l'esthétique qui puisse servir

d'orientation préliminaire sans courir le risque

qu'elle soit comprise d'une façon rigide et

simpliste.

Dans ce cadre général, et parce que cela

correspond non seulement aux besoins de

l'exposition mais aussi à la vérité historique, il

convient d'accepter la proposition commune

selon laquelle l'esthétique est une science

moderne. L'antiquité gréco-romaine ne spécula

pas, ou très peu, sur l'art mais s'employa surtout à

en créer la didactique : non pas la « philosophie

», pourrait-on dire, mais la « science empirique »

de l'art. Tels sont ses traités de « grammaire », de

« rhétorique », de « procédés oratoires », d«<

architecture », de « musique », de « peinture » et

de « sculpture » ; ils ont posé les fondements de

toutes les didactiques ultérieures et de la nôtrequi a simplifié et interprété ces traités cum grano

salis, mais ne les a pas abandonnés, parce qu'ils

sont pratiquement indispensables. La philosophie

de l'art ne trouvait pas de conditions favorables et

stimulantes dans la philosophie antique qui était

avant tout « physique » et « métaphysique » et

seulement de manière secondaire et

épisodiquement, « psychologie » ou, comme on

devrait dire plus exactement, « philosophie de

l'esprit ». Quelques allusions furent faites auxproblèmes philosophiques de l'esthétique, sur un

mode négatif avec la négation platonicienne de la

valeur de la poésie et, sur un mode positif, avec

la défense aristotélicienne qui voulut assurer à la

poésie son propre domaine entre celui de

l'histoire et celui de la philosophie et, d'autre

part, avec les spéculations de Plotin qui pour la

première fois joignit et unifia les deux concepts

qui erraient séparément, celui de 1«< art » et

celui du « Beau ». Les autres conceptions

importantes des anciens furent celles qui

ratachaient le « mythos » et non le « logos » à la

poésie et qui distinguaient parmi les propositions

les expressions purement « sémantiques »,

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rhétoriques et virtuellement poétiques, des

expressions « apophantiques » ou logiques. Il a

été récemment question d'un nouveau courant de

l'esthétique grecque à travers la doctrine

épicurienne exposée par Philodème qui semblait

donner à la fantaisie un caractère quasi

romantique. En tout cas ces ébauches

demeurèrent peu fécondes et le jugement solideet assuré des Anciens sur les problèmes de l'art

n'a pas été approfondi et n'a jamais constitué une

véritable science philosophique en raison de la

limite inhérente au caractère général, objectiviste

ou naturaliste de la philosophie antique ; seul le

christianisme en élevant les problèmes de l'âme

et en les plaçant au centre de son intérêt a

commencé à les bouleverser ou à préparer les

forces qui opérèrent ce bouleversement.

Cependant, la philosophie chrétienne elle-même,

tant en raison de la prééminence accordée à la

transcendance, au mysticisme et à l'ascétisme que

de la forme scolastique héritée de la philosophie

antique sur laquelle elle se reposa, si elle a rendu

aigus les problèmes moraux et délicat leur

traitement, n'a pas perçu ni approfondi ceux de la

fantaisie et du goût, de même qu'elle a reculé

devant ceux (qui sont leur équivalent dans le

domaine pratique) de la passion, des intérêts, de

l'utilité, de la politique et de l'économie. Demême que la politique et l'économie furent

pensés d'un point de vue moral, de même l'art fut

soumis à l'allégorie morale et religieuse; et les

concepts répandus parmi les écrivains gréco-

romains restèrent oubliés ou traités

superficiellement. La philosophie de la

Renaissance, qui fut à sa manière naturaliste,

restaura, interpréta et remit à jour les anciennes

poétiques et les anciennes rhétoriques ; mais

quoi-que fort préoccupée par la « vraisemblance» et le « vrai », 1«( idée », le « beau » et la

mystique du beau et de l'amour, par la « catharsis

» ou purgation des passions, par les apories des

nouveaux genres traditionnels et des nouveaux

genres littéraires, elle ne parvint pas à mettre en

place un principe proprement esthétique. A la

poésie et à l'art fit alors défaut un penseur qui

réalisât ce que réalisa Machiavel pour la poli-

tique, c'est-à-dire qui, vigoureusement et non

seulement par des propositions incidentes ou des

remarques occasionnelles, en affirmât et en

définît la nature originale et l'autonomie.

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Dans ce domaine, la pensée de la Renaissance

tardive qu'en Italie on appelle « secentismo », «

baroquismo » ou décadence littéraire et

artistique, quoique longtemps négligée par les

historiens, fut d'une beaucoup plus grande

importance ; car c'est alors que l'on commença à

distinguer avec insistance à côté de 1«intellect »,

une « faculté » dite « ingegno a », ingenium ou «génie », proprement productrice de l'art et, lui

correspondant, une faculté de jugement qui

n'était pas la raison ou le jugement logique parce

qu'elle jugeait « sans discours », c'est-à-dire «

sans concept », et qui prit le nom de « goût ».

Ces expressions étaient renforcées par une autre

qui semblait mettre l'accent sur quelque chose

d'impossible à déterminer en termes logiques et

apparemment mystérieux, le nescio quid ou le «

 je ne sais quoi » : expression qui revenaitparticulièrement dans le langage des Italiens et

donnait à réfléchir aux étrangers. Alors aussi on

célébra la « fantaisie », magicienne

enchanteresse et le « sensible » ou « sensuel »

[sensuoso] qui réside dans les images de la poésie

et, dans la peinture, le miracle de la couleur qui,

en comparaison du dessin, semblait conserver

quelque chose de froid et de logique.

Quelquefois, ces tendances spirituelles, quelque

peu troubles, se purifiaient, s'élevant au niveau

des théories rationnelles, comme ce fut le cas deZuccolo b (1623) qui critiqua la métrique eten

remplaça les critères par le « jugement du sens »

qui était pour lui non pas l'oeil ou l'oreille, mais «

une puissance supérieure, unie aux sens » ; de

Mascardi ° (1636) qui niait les divisions

objectives et rhétoriques des styles réduisant le

style à la manière particulière et individuelle due

au talent [ingegno] de chacun et affirmait qu'il y

a autant de styles que d'écrivains ; de Pallavicino

b (1644) qui cri-tiqua la vraisemblance etreconnut comme domaine propre de la poésie les

« appréhensions premières » ou fantaisies, « ni

vraies ni fausses » ; de Tesauro ` (1654) qui

chercha à développer une logique rhétorique

distincte de la logique dialectique et étendit les

formes rhétoriques, au-delà des formes verbales,

aux expressions picturales et plastiques.

La nouvelle philosophie de Descartes, si elle se

montra chez lui comme chez ses successeurs

immédiats hostile à la poésie et à la fantaisie,

d'autre part, comme on l'a dit, avec l'enquête qu'il

entreprit sur le sujet ou sur l'esprit, permit à ces

éléments épars de se constituer en système et

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ouvrit la recherche à un principe auquel les arts

pourraient être réduits. Là aussi, les Italiens

conservant la méthode mais non

l'intellectualisme rigide de Descartes ni son

dédain pour la poésie, les arts et la fantaisie,

comme Calopresod (1691), Gravina ` (1692,

1708), Muratorif (1704) et les autres établirent la

première poétique dans laquelle domina, ou pritune part importante le concept de fantaisie; et

leur influence ne fut pas des moindres sur

Bodmer et sur l'école suisse et à travers eux sur

la critique et l'esthétique allemande et

européenne en général : si bien que l'on a pu

parler ces dernières années (Robertson) de «

l'origine italienne de l'esthétique romantique ».

Le penseur auquel tous ces théoriciens mineurs

aboutirent fut G. B. Vico qui, dans la Scienza

nuova (1725-1730), proposa une « logique

poétique » en la distinguant de la logique

intellectuelle; il considéra la poésie comme un

mode de connaissance ou une forme théorétique

précédant la forme rationalisante et

philosophique; il fonda son unique principe sur

la fantaisie qui est d'autant plus forte qu'elle est

plus libérée de la raison son ennemi et son

principe dissolvant : il sacra père et prince de

tous les vrais poètes le barbare Homère et plaça

près de lui, bien qu'il fût troublé par la culturethéologique et scolastique, le semi-barbare Dante

et porta son regard, sans réussir à bien la voir,

sur la tragédie anglaise, sur Shakespeare qu'il

ignora et qui aurait certainement été, s'il avait pu

le connaître mieux, son troisième barbare et

grand poète. Mais Vico, avec cette théorie

esthétique comme avec ses autres théories, ne fit

pas école parce qu'il était trop en avance sur son

temps mais aussi parce que sa pensée

philosophique était enveloppée dans une sorte desymbolique historique. La « logique poétique »

fit son chemin quand elle réapparut, bien moins

profonde, mais dans un climat plus propice, avec

celui qui systématisa l'esthétique leibnizienne

quelque peu hybride, Baumgarten (Meditationes,

1735; Aesthetica, 1750-1758) à qui elle doit des

noms divers parmi lesquels ars analogi rationis,

scientia cognitionis sensitivae, gnoseologia

inferior et, celui qui devait lui rester, Aesthetica.

L'école de Baumgarten qui distinguait sans

vraiment la distinguer la forme « fantastique » de

la forme intellective la considérant comme

cognito confusa, dotée par ailleurs de sa propre

perfectio, les spéculations et analyses des

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esthéticiens anglais (Schaftesbury, Hutcheson,

Hume, Home, Gerard, Burke, Alison) et en

général les si nombreux « essais » sur le beau et

sur le goût qui se multiplièrent à cette époque

ainsi que les théories et les traités historiques de

Lessing et de Winckelmann, contribuèrent

comme stimulant tantôt positif, tantôt négatif, à

la formation de l'autre grande oeuvre esthétiquedu XVIIIe siècle, la Critique du jugement (1790)

d'Emmanuel Kant, où l'auteur (après en avoir

douté dans la première critique) découvrit que le

beau et l'art donnaient matière à une science

philosophique particulière : il découvrit, en

d'autres termes, l'autonomie de l'activité

esthétique. Contre les utilitaristes il démontra que

le Beau plaît «sans intérêt» (sans intérêt

utilitaire), contre les intellectualistes qu'il plaît

«sans concept»; de nouveau contre les uns et lesautres qu'il a «la forme de la finalité sans la

représentation de la fin» ; contre les hédonistes

qu'il est «objet d'un plaisir universel». Kant en

fait n'alla pas au-delà de cette formulation

négative et générale du concept de beau ; de

même que dans la Critique de la Raison pratique

la loi morale une fois sauvegardée, il ne dépassa

pas la forme générale du devoir. Mais ce qu'il

établit resta établi pour toujours; et après la

Critique du jugement les retours aux explications

hédonistes et utilitaristes de l'art et du beau sontbien entendu possibles, et ils n'ont pas manqué

mais seulement parce que les démonstrations

kantiennes étaient ignorées de leurs auteurs. Pas

même les retours du leibnizianisme et du

baumgarténianisme, c'est-à-dire de la doctrine de

l'art comme concept confus et contaminé par

l'image [«immaginoso»], n'auraient plus dû se

produire si Kant avait réussi à rattacher sa théorie

du beau plaisant sans concept et qui est une

finalité sans représentation de fin à la théorievichienne, pleine d'imperfections et d'hésitations

mais puissante, pour ce qui concerne la logique

de la fantaisie, théorie qui alors en Allemagne

était dans une certaine mesure représentée par

Hamann et Herder. Mais lui-même rouvrait les

portes au « concept confus » quans il attribuait au

génie la vertu de combiner l'intellect et

l'imagination et distinguait l'art, qu'il définissait

comme « beauté adhérente », de la « beauté pure

».

On assiste justement dans la philosophie post-

kantienne à la reprise de la tradition

baumgarténienne, la poésie et l'art étant de

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nouveau considérés comme une forme de

connaissance de l'absolu ou de l'Idée, tantôt égale

à celle de la philosophie, tantôt inférieure ou

préparatoire, tantôt supérieure comme dans la

philosophie de Schelling (1800) où elle devient

l'organe de l'absolu. Dans l'oeuvre la plus riche et

la plus importante de cette école, dans les Leçons

d'esthétique de Hegel (1818 et suivantes), l'art,avec la religion et la philosophie, est transféré

dans «la sphère de l'esprit absolu» où l'esprit

s'affranchit du savoir empirique et du faire

pratique et atteint la béatitude dans la pensée de

Dieu ou de l'Idée. Dans la triade ainsi constituée

il reste douteux que le premier moment soit l'art

ou la religion parce que sur ce point il y a des

variantes dans les exposés qu'a fait Hegel de sa

doctrine; mais il est certain que l'un et l'autre,

l'art et la religion, sont dépassés et intégrés danscette synthèse finale qui est la philosophie : ce

qui signifie que l'art y est traité comme une

philosophie inférieure ou imparfaite, une

philosophie contaminée par l'image; une

contradiction entre contenu et forme inadéquate

que seule la philosophie résout. Hegel qui tendait

à faire coïncider le système de la philosophie et

la dialectique des catégories avec l'histoire réelle

parvint de la sorte à son fameux paradoxe de la

mortalité de l'art, forme qui ne correspond plus

aux intérêts spirituels les plus élevés des tempsnouveaux.

Cette conception de l'art comme philosophie ou

philosophie intuitive ou symbole de la

philosophie et autres choses semblables se

retrouve dans toute l'esthétique idéaliste de la

première moitié du XIXe siècle à quelques rares

exceptions près telle que celle de Schleiermacher

dans ses Leçons d'esthétique (1825, 1832-1833)

qui nous ont été transmises dans une forme assezpeu élaborée. Et malgré leur élévation et leur

vibrant enthousiasme pour la poésie et l'art, le

principe artificiel qui gouvernait ces traités ne fut

pas la moindre cause de la réaction contre cette

esthétique, réaction qui, dans la seconde moitié

du siècle, accompagna la réaction générale

contre la philosophie idéaliste des grands

systèmes post-kantiens. Ce mouvement

antiphilosophique eut certainement sa

signification en tant que manifestation de

mécontentement et besoin de chercher une

nouvelle voie mais ne produisit aucune théorie

esthétique corrigeant les erreurs de la précédente

et la portant plus avant. Ce fut en partie une

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solution de continuité dans la tradition de la

pensée ; en partie aussi un effort désespérépour

résoudre les problèmes de l'esthétique qui sont

des problèmes spéculatifs selon la méthode des

sciences empiriques (par exemple chez Fechner) ;

en partie enfin, une reprise de l'esthétique

hédoniste et utilitaire d'un utilitarisme qui

devenait associationisme, évolutionnisme etbiologisme de l'hérédité (comme par exemple

chez Spencer). De leur côté, les épigones de

l'idéalisme n'apportèrent rien qui ait une véritable

valeur (Vischer, Schaslerh, Carrière, Lotze, etc.)

et pas davantage les tenants des autres écoles de

la première moitié du siècle comme celle dite

«forma-liste» de l'herbartisme (Zimmermann), ni

les éclectiques et les psychologues qui, comme

tous les autres, travaillaient sur deux

abstractions, le «contenu» et la « forme » (lespartisans du contenu et les formalistes) et

quelquefois prétendaient les souder l'une et

l'autre sans s'apercevoir que, de deux irréalités,

ils en faisaient une troisième. Ce qui s'est pensé

de mieux sur l'art à cette époque, ce n'est pas

chez les philosophes et les historiens de

profession qu'il faut le chercher mais chez les

critiques de la poésie et de l'art comme De

Sanctisg en Italie, Baudelaire et Flaubert en

France, Pater en Angleterre et Hanslick et

Fiedler en Allemagne, Julius Langes enHollande, etc. Eux seuls nous consolent vraiment

de la trivialité esthétique des philosophes

positivistes et de la pénible vacuité de ceux que

l'on appelle idéalistes.

L'esthétique a connu un meilleur sort dans les

premières décennies du xx e siècle grâce au

réveil général de la pensée spéculative. Il faut

noter en particulier l'union qui est en train de se

faire entre l'esthétique et la philosophie dulangage encouragée par la crise dans laquelle est

entrée la linguistique «naturaliste» et

«positiviste» des lois phonétiques et autres

abstractions. Mais la plus récente production

esthétique, justement parce que récente et en voie

d'élaboration, ne peut encore être située

historiquement ni jugée.

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