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MISE AU POINT / UPDATE DOSSIER Besoins énergétiques de la personne âgée Energy requirements in the elderly M. Bonnefoy © Springer-Verlag France 2013 Résumé Les besoins énergétiques représentent lapport ali- mentaire nécessaire pour équilibrer la dépense énergétique, maintenir les réserves énergétiques et la masse corporelle, et assurer un fonctionnement physiologique optimal afin de prévenir les situations pathologiques. La dépense énergé- tique totale (DET) diminue progressivement avec lâge en raison du déclin de la dépense énergétique de repos (DER) et de la dépense énergétique liée à lactivité physique (NAP). La DER est la composante majeure de la DET, son déclin avec lâge est proportionnel au déclin de la masse maigre. Le niveau dactivité physique (NAP) est défini par le ratio DET/DER ; il sétablit à environ 1,4 pour un sujet âgé ayant un mode de vie très sédentaire. Dans ce contexte, les besoins minimaux sont denviron 30 kcal/kg/jour ; les apports doivent être de 35 kcal/kg/jour pour les sujets ayant un niveau dactivité physique modéré. Les données de la littérature ne montrent pas daugmentation de la DER chez le sujet âgé hospitalisé, celle-ci est environ de 20 kcal/kg, ce qui correspond à des besoins minimaux denviron 28 à 30 kcal/kg et par jour pour des patients ayant un IMC supérieur à 21 et nayant aucune activité. Pour les patients ayant un IMC inférieur à 21, les besoins sont aug- mentés avec une DER de 23 à 28 kcal/kg par jour, ce qui correspond à des besoins énergétiques minimaux de 32 à 39 kcal/kg et par jour. Les besoins énergétiques peuvent être estimés à partir déquations déterminant la DER qui permet à son tour de déduire la DET en fonction de lactivité phy- sique ; il existe cependant une mauvaise corrélation entre la DER estimée et mesurée chez les sujets âgés, ce qui limite leur utilisation en pratique clinique pour la prise en charge nutritionnelle. Mots clés Dépense énergétique · Besoins énergétiques · Sujet âgé · Détermination des besoins énergétiques Abstract Energy requirements should be considered as amount of food intake necessary to maintain energy balance, body weight and body composition and to prevent the risk of developing chronic diseases. Total energy expenditure (TEE) declines with age due to the reduction of RMR and activity energy expenditure (AEE). Resting metabolic rate (RMR) that is the major component of TEE is altered by loss of fat-free mass with ageing; AEE or physical activity level (PAL) is defined as the TEE/RMR ratio and decrease with increasing age. PAL should be considered as nearly 1.4 in the elderly with low levels for physical activity. Thus energy requirement should be at least 30 kcal/kg day -1 for older individuals with lower levels of physical activity and 35 kcal/kg day-1 for older individuals with moderate or higher levels of physical activity. In hospitalised and sick elderly, generally TEE and RMR are not increased according to literature data, and energy requirements should be at least 28 to 30 kcal/kg day -1 for patients with very low PAL and BMI above 21. For patients with BMI lower than 21 it has been shown that RMR is nearly 23 to 28 kcal/kg day -1 and consequently energy requirements are increased to 32 to 39 kcal/kg day -1 . Accurate determination of energy require- ments is of utmost importance in elderly and more especially in frail or sick elderly, however estimated and measured RMR show generally poor correlations that is an important limitation for the use of predictive equations in clinical practice. Keywords Energy expenditure · Energy requirements · Elderly · Determination of energy needs Les besoins énergétiques Les apports alimentaires doivent représenter une quantité suffisante dénergie à partir des différents macronutriments (protéines, glucides, lipides) afin de permettre la couverture M. Bonnefoy (*) Hospices civils de Lyon, groupement hospitalier sud, centre hospitalier Lyon sud, 135 chemin du Grand Revoyet, F-69495 Pierre-Bénite cedex e-mail : [email protected] Groupe nutrition en gériatrie (GEGN) de la Société française de gériatrie Unité INSERM 1060, Université Claude Bernard Lyon 1 Cah. Année Gérontol. (2013) 5:303-307 DOI 10.1007/s12612-013-0361-7

Besoins énergétiques de la personne âgée; Energy requirements in the elderly;

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MISE AU POINT / UPDATE DOSSIER

Besoins énergétiques de la personne âgée

Energy requirements in the elderly

M. Bonnefoy

© Springer-Verlag France 2013

Résumé Les besoins énergétiques représentent l’apport ali-mentaire nécessaire pour équilibrer la dépense énergétique,maintenir les réserves énergétiques et la masse corporelle, etassurer un fonctionnement physiologique optimal afin deprévenir les situations pathologiques. La dépense énergé-tique totale (DET) diminue progressivement avec l’âge enraison du déclin de la dépense énergétique de repos (DER)et de la dépense énergétique liée à l’activité physique (NAP).La DER est la composante majeure de la DET, son déclinavec l’âge est proportionnel au déclin de la masse maigre.Le niveau d’activité physique (NAP) est défini par le ratioDET/DER ; il s’établit à environ 1,4 pour un sujet âgéayant un mode de vie très sédentaire. Dans ce contexte, lesbesoins minimaux sont d’environ 30 kcal/kg/jour ; lesapports doivent être de 35 kcal/kg/jour pour les sujetsayant un niveau d’activité physique modéré. Les donnéesde la littérature ne montrent pas d’augmentation de laDER chez le sujet âgé hospitalisé, celle-ci est environ de20 kcal/kg, ce qui correspond à des besoins minimauxd’environ 28 à 30 kcal/kg et par jour pour des patients ayantun IMC supérieur à 21 et n’ayant aucune activité. Pour lespatients ayant un IMC inférieur à 21, les besoins sont aug-mentés avec une DER de 23 à 28 kcal/kg par jour, ce quicorrespond à des besoins énergétiques minimaux de 32 à39 kcal/kg et par jour. Les besoins énergétiques peuvent êtreestimés à partir d’équations déterminant la DER qui permet àson tour de déduire la DET en fonction de l’activité phy-sique ; il existe cependant une mauvaise corrélation entrela DER estimée et mesurée chez les sujets âgés, ce qui limiteleur utilisation en pratique clinique pour la prise en chargenutritionnelle.

Mots clés Dépense énergétique · Besoins énergétiques ·Sujet âgé · Détermination des besoins énergétiques

Abstract Energy requirements should be considered asamount of food intake necessary to maintain energy balance,body weight and body composition and to prevent the risk ofdeveloping chronic diseases. Total energy expenditure(TEE) declines with age due to the reduction of RMR andactivity energy expenditure (AEE). Resting metabolic rate(RMR) that is the major component of TEE is altered by lossof fat-free mass with ageing; AEE or physical activity level(PAL) is defined as the TEE/RMR ratio and decrease withincreasing age. PAL should be considered as nearly 1.4 inthe elderly with low levels for physical activity. Thus energyrequirement should be at least 30 kcal/kg day-1 for olderindividuals with lower levels of physical activity and35 kcal/kg day-1 for older individuals with moderate orhigher levels of physical activity. In hospitalised and sickelderly, generally TEE and RMR are not increased accordingto literature data, and energy requirements should be at least28 to 30 kcal/kg day-1 for patients with very low PAL andBMI above 21. For patients with BMI lower than 21 it hasbeen shown that RMR is nearly 23 to 28 kcal/kg day-1 andconsequently energy requirements are increased to 32 to39 kcal/kg day-1. Accurate determination of energy require-ments is of utmost importance in elderly and more especiallyin frail or sick elderly, however estimated and measuredRMR show generally poor correlations that is an importantlimitation for the use of predictive equations in clinicalpractice.

Keywords Energy expenditure · Energy requirements ·Elderly · Determination of energy needs

Les besoins énergétiques

Les apports alimentaires doivent représenter une quantitésuffisante d’énergie à partir des différents macronutriments(protéines, glucides, lipides) afin de permettre la couverture

M. Bonnefoy (*)Hospices civils de Lyon, groupement hospitalier sud,centre hospitalier Lyon sud, 135 chemin du Grand Revoyet,F-69495 Pierre-Bénite cedexe-mail : [email protected]

Groupe nutrition en gériatrie (GEGN) de la Société françaisede gériatrie

Unité INSERM 1060, Université Claude Bernard Lyon 1

Cah. Année Gérontol. (2013) 5:303-307DOI 10.1007/s12612-013-0361-7

des besoins de l’organisme et maintenir le poids constant [1].Les macronutriments représentent la seule source énergé-tique de l’organisme, ils sont fournis par l’alimentation, ouà partir des réserves endogènes.

Les besoins énergétiques représentent ainsi l’apport ali-mentaire nécessaire pour équilibrer la dépense énergétique,maintenir les réserves énergétiques et la masse corporelle, etassurer un fonctionnement physiologique optimal, afin deprévenir les situations pathologiques [2].

Il est important de considérer que les besoins énergéti-ques sont individuels, et dépendent de paramètres multiplestels que l’âge, le genre, la composition corporelle, l’activitéphysique, la présence de pathologies aiguës ou chroni-ques, les situations physiologiques hétérogènes… Cepen-dant, la détermination précise des besoins énergétiquespour chaque personne âgée n’est en pratique pas réalisableet il ne peut qu’être proposé des valeurs d’apports énergé-tiques afin de couvrir au mieux les besoins des sujets âgésdans différentes situations (sujets âgés en bonne santé, fra-giles, malades…) [2].

En France, les recommandations sont fondées sur lesapports nutritionnels conseillés (ANC). Ceux-ci sont définispour couvrir les besoins de 97,5 % des individus. Ils neconstituent pas des normes, mais des références visant àlimiter les déséquilibres et à couvrir les besoins de la plusgrande partie de la population. Les valeurs des ANC consti-tuent des repères « susceptibles d’évoluer », ils ne reflètentcependant pas de façon spécifique les besoins des sujets trèsâgés ou hospitalisés.

Les apports énergétiques conseillés sont estimés à partirde la dépense énergétique de repos (DER) et du niveaud’activité physique (NAP). La NAP s’établit de 1,4 DERpour un mode de vie sédentaire comportant un faible niveaud’activité physique à 1,8 pour des sujets ayant un niveaud’activité physique élevé. Pour un NAP faible, les apportsénergétiques conseillés pour un homme de 70 kg sont de2200 kcal par jour et pour une femme de 60 kg de 1800 kcalpar jour, ce qui représente en moyenne 30 kcal/kg et par jour,et 35 kcal/kg et par jour chez un adulte ayant un niveaud’activité modéré [3].

Une révision des repères de consommation est prévuedans le prochain programme national Nutrition Santé(PNNS3) incessamment.

La dépense énergétique

La dépense énergétique d’une journée est répartie entretrois déterminants d’importance inégale et susceptibles devariation avec l’âge : la dépense énergétique de repos, ladépense énergétique liée à l’effet thermique des aliments etla dépense énergétique liée aux activités physiques.

Variation des éléments déterminant les besoinsénergétiques en fonction de l’âge

La dépense énergétique de repos (DER) est la plus grandecomposante de la dépense énergétique totale et il est habi-tuellement admis qu’elle représente 50 à 70 % de la dépenseénergétique totale. La dépense énergétique de repos estreprésentée principalement par le métabolisme de base quicorrespondant au métabolisme oxydatif incompressible etnécessaire à la vie des cellules.

Le métabolisme de base décline d’environ 1 à 2 % pardécennie d’après les études longitudinales disponibles [4].Il est considéré que ce déclin est principalement lié auxmodifications de la composition corporelle avec l’âge etqui se traduit par une diminution de la masse maigre et uneaugmentation du tissu graisseux qui a une activité métabo-lique plus faible.

Le métabolisme de base ajusté aux variations de massemaigre semble varier peu, la plupart des études montrecependant que le métabolisme de base ajusté est d’environ5 % moindre chez le sujet âgé par rapport au sujet jeune [4] ;et sans qu’une explication claire puisse être fournie.

Modifications de la dépense énergétique liée à l’effetthermique des aliments

La dépense énergétique liée à l’effet thermique des alimentsreprésente classiquement 10 % de la dépense énergétiquetotale, et il ne semble pas exister de variation avec l’âge.Cependant, une diminution des apports entraîne en retourune diminution de cette fraction de la dépense énergétique [4].

Modifications de la dépense énergétique totale

La dépense énergétique totale (DET) diminue avec l’âged’environ 150 kcal/jour par décennie, à partir de la 5e décen-nie. Les résultats des études transversales suggèrent en effetune relative stabilité jusqu’à la 5e décennie avec un déclinrapide ensuite [4,5]. La dépense énergétique totale est direc-tement reliée aux activités physiques qui représentent envi-ron 30 % des dépenses totales. Cette part est très variableentre les individus et diminue progressivement au fur et àmesure du vieillissement. Il existe cependant peu d’étudesapportant des données précises sur l’évolution de la DET.En effet, la plupart des études sont fondées sur des équationsprédictives dont la précision chez les sujets âgés ou très âgésest aléatoire [5]. Les études ayant utilisé la technique de réfé-rence à l’eau doublement marquée confirment un déclin dela dépense énergétique totale entre les 7e et 8e décennies.Rothenberg [6,7] a montré une réduction majeure de ladépense énergétique liée à l’activité physique chez les nona-génaires, celle-ci ne représentant plus que 10 % de la dépenseénergétique totale chez les femmes et 26 % chez les hommes.Cooper [5] dans une étude longitudinale dérivée de la Health

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ABC Study avec un suivi de sept ans chez des sujets âgés enmoyenne de 82 ans au début de l’étude, et en utilisant latechnique à l’eau doublement marquée, a mis en évidenceune diminution significative de la DET entre la 8e et la 9e

décennie chez les hommes. En effet, celle-ci s’établit à2208 kcal/jour ± 176 kcal contre 2482 ± 476 kcal/jour initia-lement. Une telle différence n’a pas été retrouvée chez lesfemmes où la DET reste stable à environ 1800 kcal /jour.La diminution de la dépense énergétique liée à l’activité phy-sique explique la plus grande partie de la diminution de laDETchez les hommes, soit 177 ± 301 kcal /jour ; alors que ledéclin de la DER n’explique que 25 % de celui de la DET.Ces résultats indiquent clairement la nécessité de promou-voir une activité physique adaptée, y compris chez le sujettrès âgé. L’absence d’écart observée chez les femmes danscette étude était liée à une hypersédentarité dès le début, etces résultats ne peuvent donc pas être généralisés.

Les besoins énergétiques du sujet âgé malade

La présence de situations pathologiques est susceptible demodifier les besoins énergétiques. Un état d’hypermétabo-lisme est observé lors de situations médicales aiguës ou chi-rurgicales, d’une hyperthermie, qui tendent à augmenter ladépense énergétique. Il a pu être montré qu’une augmenta-tion d’un degré de température corporelle augmentait laDER de 11 % [8]. D’autres facteurs tels que la sécrétion decatécholamines et de cortisol peuvent aussi être responsablesd’une augmentation de la dépense énergétique en situationaiguë [9]. Au contraire, l’anorexie, la diminution de la massemaigre, la diminution de l’activité physique, observées dansde nombreuses situations pathologiques, tendent à diminuerla dépense énergétique. Les études disponibles concernentgénéralement des populations de faible effectif, des situa-tions pathologiques diverses, et le plus souvent seul le méta-bolisme de repos est disponible ; de plus les résultats sontparfois contradictoires. Ainsi, dans la revue de Miles et al.[10] qui a porté sur 1256 patients inclus dans 19 études, il n’apas été retrouvé d’augmentation de la DER pour les étudesoù le sepsis était bien documenté. De même, il n’a pu êtremis en évidence de relation entre l’intensité des signes clini-ques et la DER. Une autre revue de la littérature [11] a portésur 2450 patients âgés dont 248 présentaient une situationpathologique (1970 étaient en bonne santé, 183 en situationde dénutrition). La dépense énergétique de repos a été retrou-vée en moyenne à 19,4 kcal/kg/jour dans la population âgéeen bonne santé. Dans la population de sujets âgés malades, ladépense énergétique de repos était en moyenne de 20,4 kcal/kg/jour. Toutefois, il existait une hétérogénéité entre les dif-férentes situations puisque la DER moyenne était à 18,5kcal/kg/jour dans la population hospitalisée alors qu’elleétait de 22,2 kcal/kg/jour dans le groupe de sujets âgés pré-

sentant une insuffisance cardiaque. D’autre part, les écartsobservés n’étaient pas significatifs entre sujets âgés en bonnesanté et sujets âgés malades. La dépense énergétique totale aété mesurée seulement dans quatre études. Elle n’était pasnon plus significativement différente entre le groupe dessujets âgés en bonne santé : 2224 ± 120 kcal/jour ; et patho-logiques : 2326 ± 250 kcal/jour. Après ajustement sur lepoids, la dépense énergétique totale était même diminuéede façon significative chez les sujets âgés malades (27 ±1,8 versus 32,4 ± 2,5 kcal/kg/jour). Cette différence était liéede façon logique à une diminution de la dépense énergétiqueliée à l’activité physique chez le sujet âgé hospitalisé (NAP1,36) mais sans tenir compte de l’effet thermique des ali-ments. Il peut donc être conclu que les besoins énergétiquesdoivent être au minimum de 1,36 x DER chez les sujets âgésmalades, c’est-à-dire environ 27 kcal/kg/jour pour les sujetsâgés hospitalisés. Ces résultats doivent cependant tenircompte du statut nutritionnel et de la masse corporelle dupatient car il existe une relation négative très significativeentre la masse corporelle et la dépense énergétique de repos,indiquant que la dépense énergétique de repos ramenée aukilo de masse corporelle est plus élevée chez les sujets pré-sentant un BMI inférieur à 21, les besoins sont augmentésavec une DER de 23 à 28 kcal/kg par jour, ce qui correspondà des besoins énergétiques minimaux de 32 à 39 kcal/kg etpar jour [11]. Les besoins énergétiques apparaissent doncclairement plus importants pour les patients dénutris.

Certaines situations fréquemment observées en gériatriedoivent être considérées de façon plus spécifique. Chez lespatients porteurs d’escarres, la méta-analyse de Cereda [12],qui a porté sur 92 patients comparés à 101 témoins dans cinqétudes, retrouve une augmentation significative de la DERchez les patients porteurs d’escarres d’environ 10 % à24 kcal/kg par jour et des besoins énergétiques calculés à30 kcal/kg par jour alors que les apports énergétiques étaientlargement inférieurs à 22 kcal/kg par jour montrant bien queles besoins ne sont pas couverts pour ces patients.

Il n’a pas été mis en évidence de modifications du métabo-lisme énergétique au cours de la maladie d’Alzheimer et cettehypothèse ne peut être retenue pour expliquer la perte depoids fréquemment observée chez ces patients [13]. Pour lespatients porteurs d’une fracture de l’extrémité du fémur, plu-sieurs études retrouvent des valeurs comparables pour la DERmesurée à environ 1300 kcal/jour [14], ce qui représente desbesoins énergétiques d’environ 30 kcal/kg par jour qui sontrarement couverts en période périopératoire dans cette popu-lation nécessitant une prise en charge nutritionnelle [15].

Estimation des besoins énergétiques

La dépense énergétique de repos peut être déterminée à par-tir de méthodes fondées sur le principe de l’équivalence

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entre l’énergie utilisée par l’organisme et l’énergie transfor-mée à partir de l’oxydation des différents nutriments. Laconsommation d’oxygène apparaît donc comme un témoinde la dépense d’énergie. La mesure des échanges gazeuxpeut être réalisée simplement par calorimétrie indirecte, maiscette technique non invasive nécessite l’utilisation d’unappareil spécifique, ce qui constitue un facteur limitant. Laméthode à l’eau doublement marquée permet de déterminerla dépense énergétique totale dans les conditions de la viecourante. Elle consiste à faire ingérer une eau marquée surl’hydrogène et l’oxygène. La différence d’élimination entreles deux isotopes (18 O et deutérium) dans les urines, permetle calcul de la production de CO2 et de la dépense énergé-tique. Cette méthode très simple et non invasive nécessitecependant des techniques complexes d’analyse et l’utilisa-tion de traceurs très coûteux, ce qui limite son emploi auxactivités de recherche et à des centres spécialisés [16].

Les méthodes indirectes sont souvent destinées auxétudes épidémiologiques. Les questionnaires d’activitéphysique utilisent une méthode factorielle, permettant deconnaître les différents types d’activité classés par intensité.Il est tenu compte de la durée des activités, et de leur fré-quence. Des questionnaires d’activité [17] ont été validéschez le sujet âgé, cependant leur utilisation chez les sujetstrès âgés et sédentaires paraît peu adaptée pour la mesure dela dépense énergétique, compte tenu d’une modificationprofonde des comportements dans cette population.

La méthode d’enregistrement de la fréquence cardiaquerepose sur l’utilisation d’un accéléromètre permettant d’enre-gistrer et quantifier les mouvements selon un ou trois axes etde les convertir en dépense énergétique [18]. Cette méthodeest fondée sur l’hypothèse d’une relation entre la fréquencecardiaque et la dépense énergétique, et en fonction de l’inten-sité de l’activité.

Estimation de la dépense énergétique de repos

L’estimation de la dépense énergétique de repos peut êtreréalisée à partir de données anthropométriques (masse cor-porelle et taille), de l’âge des patients et du genre, qui sont leséléments explicatifs principaux de la dépense énergétique derepos [19,20]. Les équations établies (Harris & Benedict,Black, OMS…) ne tiennent cependant pas compte de lacomposition corporelle (pourcentage de masse maigre), etleur validation chez le sujet âgé pose problème.

Équations de Black et al. [21]

Femmes DER = 0,963 . P0.48 . T 0.50 . A -0.13

Hommes DER = 1,083 . P 0.48 . T 0.50 . A -0.13

Équations de Harris et Benedict [22]

Femmes DER = 2,741 + 0,0402 P + 0,711 T -0,0197 A

Hommes DER = 0,276 + 0,0573 P + 2,073 T -0,0285 A

P = poids en kg ; T = taille en m ; A = âge en année

La dépense énergétique totale peut à son tour être déduitede la dépense énergétique de repos en multipliant la dépenseénergétique de repos par un facteur traduisant le niveaud’activité physique (NAP). Ce facteur est au minimum de1,3 à 1,36 chez le sujet hospitalisé et ne réalisant pas d’acti-vité physique, autre que les activités de base de la viecourante [11]. Ce facteur augmente en fonction du niveaud’activité physique. Il existe toutefois peu d’études disponi-bles ayant mesuré de façon précise à la fois la dépense éner-gétique de repos et la dépense énergétique totale. Black et al.[21] ont retrouvé un niveau d’activité physique de 1,62 pourles femmes âgées de 65 à 74 ans, et de 1,48 pour celles âgéesde plus de 75 ans, et chez les hommes de 1,61 et de 1,54respectivement pour les mêmes tranches d’âge [21].

Blanc et al. [23] ont retrouvé des résultats relativementsimilaires avec une NAP de 1,65 ± 0,21 chez les femmeset de 1,74 ± 0,22 chez les hommes à partir de la cohorteHealth Aging and Body Composition Study (Health ABCStudy) pour une moyenne d’âge d’environ 75 ans. L’écartobservé entre les hommes et les femmes n’étant pas signifi-catif. Bien que la majeure partie (+ 30 % des sujets) ait unNAP compris entre 1,51 et 1,68, il est important de noter unegrande hétérogénéité dans cette population. Ainsi, 20 % ontun NAP inférieur à 1,51, et environ 50 % supérieure à 1,68.Cette hétérogénéité rend difficile la prédiction de la dépenseénergétique totale à partir de la dépense énergétique de reposà l’échelle individuelle.

Concernant l’estimation de la dépense énergétique derepos, Blanc et al. [23] ont montré une surestimation d’envi-ron 15 % (p < 0,0001 de la DER calculé par les équations del’OMS). La surestimation est majorée chez les obèses de18 %, et chez les personnes en surpoids de 14 % de façontrès significative.

Dans une étude dérivée de la Women’s Health and AgingStudy, sur 77 femmes âgées de 83 à 93 ans (âge moyen :86,9), une surestimation majeure a été constatée chez toutesles participantes allant de 50 à 300 % [20]. Chez les maladeshospitalisés, la dépense énergétique estimée était sous- ousurestimée dans environ 40 % des cas [24].

Conclusion

Les modifications de la composition corporelle et la séden-tarité croissante entraînent une modification des besoinsénergétiques chez les sujets très âgés. Les situations patho-logiques fréquemment observées au cours du vieillissementne semblent pas modifier la dépense énergétique quand ellessurviennent chez des sujets non dénutris. Les besoins éner-gétiques sont augmentés en cas d’IMC inférieur à 21. Lesapports énergétiques minimaux peuvent être proposés dansces différentes situations d’après les données de la littérature.L’estimation de la dépense énergétique à partir d’équations

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établissant la dépense énergétique de repos est généralementmal corrélée aux données mesurées, ce qui limite leur utili-sation en pratique clinique.

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