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1
A000027982
8
ExLibris
C. K. OGDEN
N
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7‘" ’.=ü-ry__u m_.?.I‘.T f_L__ , , _. _
BIOGRAPHIE
DE
JEAN SEMPÉ
IMPR1MERIE D’ARGENTEUIL, F. LE NINDRE, RUE CARÉME-PRENANT
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BIOGRAPHIE
DE , : ;__:--_
A J "“l ‘
\ { C (3‘,
JEANCSEMPE
LE MAGNETISEUR MYSTIQUE 1
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7
A /
———w»——
VINCENNES
CHEZ JEAN SEMPE, 70, RUE DE FONTENAY
1889
Ëï..
2.-. .J-.I . ‘15..— |.
PRÉFACE
Les gens qui réfléchissent peu, les indit
férents, les profanes souriront de pitié ou
crieront à l’invraisemblance a la lecture de
cette véridique biographie de Jean Sempé.
Le temps des miracles est passé. disent
ils, cet homme nous donne les illusions de
son esprit pour des faits réels, il ne guérit
pas. le surnaturel n’existe pas.
A des affirmations si dénuées de preuves
et dites d’un ton si tranchant, nous pour
rions nous contenter de répondre par des
affirmations contraires.
Mais les faits sont là et rien de si brutal
que les faits.
Allez voir cet homme qui vit simplement
comme un anachorète des temps anciens.
Si vous êtes incrédules, incrédules vous
reviendrez,mais du moins vous aurez vu un
honnête homme, ce qui est assez rare par le
temps qui court.
1077016
_“Il—:1"zm—‘.nl
6 PRÉFACE
Si vous êtes dans la peine et le chagrin.
vous reviendrez consolés.
Si vous souffrez. vous reviendrez guéris.
Devant des résultats si pratiques, vos
objections pèsent bien peu, et c’est nous qui
sourions de la légèreté des môndains.
Ah! nous ne sommes plus au temps des '
miracles! Pour vous, le surnaturel n’existe
pas!
Pauvres gens, comme il vous est facile
de jeter bas d'un coup d’épaule ce que vous
ne comprenez pas ou [ce qui gène vos
petites combinaisons de pot—au-feu!
Le progrès moderne, les inventions mer—
veilleuses qui vont Chaque jour se multi
pliant, mais ce Sont là. des miracles quoti
diens. Et nous en verrons bien d’autres!
Sans doute, ils ont tous une explication
scientifique et a mesure que l‘Humanité
grandira, les derniers voiles se déchi
reront. '
Le miracle est fait des bornes de notre
esprit. Nos ténèbres sont éblouies par
l’éclat subit d'un fait nouveau, en appa—_
rente contradiction avec les idées reçues,
mais peu à peu les yeux s’accoutument
_m.'—_u.__._“.
PRÉFACE 7
à. la. lumière et la vision devient nette.
La science est loin d’avoir dit son dernier
mot.
Il en est de même du surnaturel. Il nous
enveloppe et nous ne le comprenons pas
encore. '
Un jour viendra où ces questions si ar
dues, dans lesquelles 1’Humanité se débat
depuis des siècles, sans pouvoir arracher
le bandeau qui pèse sur ses yeux, seront si
simplifiées. que nos successeurs auront;
peineà croire à notre ignorance profonde
ou à. nos étonnantes aberrations. '
En ce qui concerne la question spéciale
du magnétisme, que nous traitons dans ce
livre a un point de vue nouveau et qui,
longtemps encore, restera incomprise et
inexpliquée, nous avons cru utile et inté
ressant pour le lecteur de donner ici un
résumé historique de cette science.
Ce' rapide aperçu nous fera mieux com
prendre que le don surnaturel de Jean
Sempé n’est pas un fait isolé dans l’histoire.
Les infatigables chercheurs du moyen
âge fouillent au plus profond de leurs creu—
sets pour y découvrir la fameuse pierre
8 PRÉFACE
philosophale. c’est-à-dire la dernière raison
des êtres et des choses.
Ficin, né en 1433, disait que l’âme, affec—
tée de désirs passionnés,peut agir non seu
lement sur son propre corps, mais encore
sur un corps voisin, surtout si ce corps est
le plus faible. 7 ,
Pomponace, né en 1462, écrivait : « Il y
« des hommes qui ont des propriétés salu
taires et puissantes. Ces propriétés s’exha
lent par la force de l’imagination et du
désir. Poussées au dehors par l’évapora
_ti_on, elles produisent sur les corps qui les
reçoivent des effets remarquables. »
. Paracelse, né en 1493, fait descendre des
astres le principe conservateur et répara—
teur de tous les êtres sublunaires. Il appelle
magnale cette vertu secrète, semblable à
celle de l’aimant. que tout être animé tire
des astres. Magnale descendit ab astris et
cas nullo alio. '
C’est Paracelse qui enseigna la théorie des
pôles, c'est lui qui recommande les talis
mans comme les boîtes conservatrices des
infiüences célestes. Il a inventé, dit-on, l‘on.
guent vulnéraire et cet onguent des armes,
2a22‘2
u >.-..- , "Ï‘Ï‘..,p—«..«.À .. 1...... (mm—F__Æ-Nu —'an.ln.u&
PRÉFACE 9
qui guérissait à. distance et dont la recette
est malheureusement perdue.
Robert Fludd, né en 1574, distingue le.
magnétisme positif et le magnétisme néga
tif, le magnétisme corporel et le magnétisme
spirituel, lesquels s’exercent entre les ani
maux, les végétaux et même les minéraux.
' Le savant Kircher, né en 1602, voit dans
l’aimant une vertu curative qu’il appelle le
fluide vital. C’est lui qui, le premier, inventa
les mots magnétisme animal (zmmmimç).
'Il distingue le magnétisme des planètes.
celui du soleil, de la lune et de la mer, celui
des éléments, celui des corps mixtes, élec
triques, métalliques, celui des animaux et
des plantes. Il signale aussi le magnétisme
des médicaments, de la musique, de l’ima
gination et celui de l’amour qui est encore
un magnétisme animal, peut—être le plus
animal de tous. La nature entière est ma—
gnétique.
Wirding, médecin à Rostock, voit par—
tout. dans la nature, l’intelligence et la vie.
Il distingue deux classes d’esprits: 1° les
esprits purs: Dieu, les génies et les âmes ;
2° les esprits matériels ou les corps subtils
1.
10 PREFACE
qui sont dans un perpétuel combat de sym
pathie et d’antipathie, ce qui constitue
l’harmonie universelle.
Le magnétisme, selon Wirding. est le
consentement des esprits dans le rappro
chement des semblables ou l‘éloignement
des dissemblables. ' .
_ L’Ecossais Guillaume Maxwell résume à.
l'avance tous les éléments du mesmérisme.
Il distingue l'élément universel, dont le
soleil est le principal foyer et qui est la
source de l'esprit vital particulier, qui existe
en toutes choses. -
« Celui, dit—il, qui sait unir l’esprit univer
sel avec un corps qui lui convient. pos
sède un trésor préférable à toutes les
richesses et opèrera des choses éton—
nantes et merveilleuses. Or, on peut le
communiquera tous les corps. Il est la
lumière ellemème, ou du moins c‘est en
elle qu’il réside.
« Mais comment le saisir?
« Sur le sommet des plus hautes monta
« gnes, dit-il. »
En 1662, l'lrlandais Valentin Grestrack
apprit par une secrète révélation qu’il pos
.-.
A2î:222f‘.
PRÉFACE M
sédait le don de guérir les écrouelles. Ce
qui arriva, en effet. Plus tard, il guérit les
fièvres épidémiques. En 1665, il reçut le don
de guérir les plaies, les ulcères. l’hydropi
sic, les convulsions et toutes les maladies.
Ses succès lui attirèrent la jalousie du
clergé, mais sa réputation était'faite. Il
devint le plus grand thaumaturge du
xvu' siècle.
Pour guérir, il se contentait de toucher
les malades et il ne voulait jamais rien
recevoir. .
Jean Gassner, prêtre, né en 1727, opérait
d'étonnantes guérisons en ne se servant,
disait-il, que de ses pouvoirs ecclésiasti
ques. Revétu d’une étole rouge, il n'em
ployait que les formules ordinaires du
rituel. Par cet exorcisme, les malades qui
avaient la foi étaient guéris de suite de tous
les démons qui les hantaient. Si, dès les
premières prières, il reconnaissait que l‘es
prit maiin était étranger à la maladie, il
renvoyait aux médecins.
Quand il commença ses exorcismes,
Gassner était curé de Cloesterlé en Souabe.
lI dut quitter sa cure a cause de l’affluence
12 PRÉFACE
énorme des malades qui venaient lui de:
mander leurguérison.
Il se retira à. Ratisbonne et l’on vit à la
fois cinquante mille malades campés sous
des tentes aux environs de sa demeure.
L’empereur d’Autriche, inquiet d’un tel
concours, le fit enfermer dans un couvent
de prêtres, a Pandorf, où il mourut en 1779.
A titre de curiosité historique, nous don
nerons ici la façon de procéder de cet extra
ordinaire guérisseur. _
Il commençait par un exorcisme d'essai,
pour savoir si la maladie venait de la na—
ture ou du démon. Dans ce dernier cas, il
produisait une crise dansante, sautante ou
larmoyante.
Outre son étole rouge, il avait autour du
cou une chaîne d’argent, alaquelle était
attaché un morceau de la vraie croix. Il
s’asseyait'en face du malade, qu'il faisait
mettre a genoux. A sa gauche, se trouvait
un crucifix; a droite, une large fenêtre
éclairant toute la scène, écartait toute idée
de supercherie. Tout autour, la foule se
pressait et gardait un religieux silence. .
Gassner demandait au patient de, quel
PRÉFACE -13
pays il était, et quelle était sa maladie; puis,
après l’avoir exhorté a mettre toute sa con
fiance en Jésus—Christ, il touchait la partie
malade et ordonnait a la maladie de se ma
nifester. Quelquefois, il frottait ses mains à.
sa ceinture ou a son mouchoir, et secouait
la tête ou frottait la nuque des patients
d’une façon assez rude. Il procédait ensuite
à. l’eXorcisme véritable, à l’expulsion du
démon qui produit la maladie. Pour cela, il
lui fallait plusieurs heures, parfois même
plusieurs jours pour réussir.
Voici un curieux exemple recueilli par de
nombreux témoins oculaires.
Il s’agit de la guérison de la fille d'un
prince allemand.
Gassner lui parle en latin, et la jeune fille,
quoique ignorant cette langue, obéit avec
la plus parfaite exactitude à chacun des
ordres donnés (1). '
— «Comme miniStre de Jésus-Christ et
« de son Eglise, dit Gassner, je vous le
« commande, au nom de Jésus, que le
« mouvement des bras se renouvelle
(l) — « Prœcz‘pz‘o fibz‘, in nomine Jesu, ut
« minister Christi et Ecclesz’œ, venz'at 'agz‘tatz‘o
14 ' PRÉFACE
à
« comme autrefois dans votre maladie...
.--— « Que les bras se tordent jusqu’au
‘« paroxysme selon l‘ancienne habitude.....
-— « Que l'atta que cesse de se produire...
— «Que le phénomène se reproduise
« avec plus de force, comme autrefois, et
« dans le corps tout entier.....
— «Que la crise cesse à l’instant...
- « Que la maladie se montre sans dou—
leur, mais en agitant tout le corps...
—— « Qu’elle cesse."
—— « Qu’une attaque douloureuse se pro—
« duise... Au nom de Jésus, que le corps
« tout entier en soit ébranlé...
— « Soulèvement despieds...
â
braahz‘orum quam anlecedentæ2r habm‘sti.....
-— « Agitentur brachia taliparoæz‘smo qualem
antecedenter habuisti..-— « Cessetparoæi3mus.....
- « Paroæz‘smus veniaz_‘ iterùm vehementz‘ùa, ut
« ante fuit et quidem per totum corpus..... '
—— « Cesset paroæz‘smus in momento.....
— « Venz'as‘ morbus sine dolore, cum summâ
( agitatione par totum corpus.....
— ( Cesset.
n- « Veniat paroæz'smus cum doloribus..... In
« nomine Jesu, moveatur totum corpus.....
—— « Tollantur pedes...,. ‘
à
PRÉFACE us
.- « Arrêt...
.— « Tremblement excessif dans tous les
.1 membres et sans douleur... _
— « Tremblement des bras...
—- « Des pieds...
— « Que cette pauvre créature tremble
dans tout son corps...
— « Que son cœur soit saisi d‘angoisses...
— « Qu’elle revienne à. l’état naturel...
-.-— « Que la crise se manifeste dans la
bouche,... dans les yeux,... sur le front...
—— « Qu’elle soit comme à l’agonie...
— « Que les yeux s’ouvrent et restent
« fixes...
— « Quels pouls soitordinair6.... calme,. ..
intermittent,... sautillant...
— « Redeat ad se.....
— s Veniat maæimus tremor in totum camus
« sine dolorz‘bus..... ’
— cr Ad brachia.....
— ( Adpedes.....
— « Tremat z'sta ereatum in toto corpore,....
— c: Habeat angustiaa circà cor.....
— n: Redeat ad àtatum prz‘mum.....
—. «. Paroæz‘smus sz't in are..., in ooulz’s,... in
fronte.....
——- « Adsz‘t paroæz‘smus morientz‘s.....
=-. «i: Apertz‘ sint ocula‘ et fiæz'. _
—— « Pulsus adsz‘t ordinarz'us,... Zenis,... inter
mittens.... caprz‘cans...
f-'é
2
R
“
W,.ifffl;s .nnæä.<ä..
aro
..u
46 PREFACE
— « Que le muscle masseter se gonfle...
—— « Qu’elle se fâche contre moi jusqu’à
« me frapper...
— « Mets—toi en colère contre tous les
« assistants...
— « Qu’elle s’enfuie vers la porte...
— « Qu’elle ressente des douleurs au ven
« tre et à. l’estomac...
— « Qu’elle pleure,... qu'elle rie,... qu’elle
« n’entends personne,... qu’elle ne voie pas,
« même les yeux ouverts...
— « Au nom de Jésus, je te commande de
« perdre la parole...
— «Au nom deJésus. qu’elle perde l’usage
« de la raison... » V
Mesmer, né en 1734, est le véritable ini—
tiateur du magnétisme. Avant lui le charla
tan Cagliostro avait propagé en France les
mystères de l’illuminisme.
— « Infletur musculus masseter...
-— « Irascatur mz‘hz‘ etz'am me verberando...
v— « Fugiatperjanuam...
-— a Habeat dolores in ventre et stomacho...
— « Fleat,... rideat,... nihz'l audz‘at,... nihil vi
« deat, coulis aÿertis...
—— « Prœcz’pz’o, in nomine Jesu, ut non posais
« loquz‘...
—- « Perdat usum ratiom's, in nomine Jesu.....
PRÉFACE 17
Jusqu’en 1776, Mesmer, qui avait suivi les
leçons du P. Hell, n’employa que l’aimant
comme agent curatif. A partir de cette date,
il distingue le fluide magnétique, qui est
spécial à. lui-même et distinct du fluide
magnétique minéral ; il enseigne et pratique
l’art de saisir et de diriger l’esprit universel.
Il définit ainsi le magnétisme animal :
« La propriété d'un corps animé, qui le
rend susceptible de l’influence des corps
célestes et de l’action réciproque de ceux
qui l'environnent; propriété manifestée
par son analogie avec l’aimant. »
En 1784, le P. Hervier, Augustin, magné
tisa en pleine cathédrale de Bordeaux et
préna la nouvelle doctrine mesmérienne.
En 1785. le marquis de Puységur décou
vre le somnambulisme artificiel. Le moyen
de le produire, dit—il, est la volonté. Croyez
et veuillez: tel est le résumé de toute sa
doctrine.
En 1787, le docteur Petetin découvre la
catalepsie, l’insensibilité physique, la sug
gestion, la transposition des sens. la vue
intérieure et la vision à. distance.
L’abbé Faria fait consister le magnétisme
ngaâ
48 PRÉFACE
dans la volonté du sujet. Il l’appelle som
meil lucide.
En 1813. Deleuze écrit l’histoire du ma—
gnétisme. V
« Les qualités du magnétisme.dit-il.sant:
« 1° Volonté active vers le bien}
« 2° Confiance ferme en sa puissance;
« 3° Confiance entière en l’employant. »
Ce sont la les trois vertus théologales du
magnétisme animal.
Quoique la volonté soit l‘agent principal,
pour ne pas dire unique, les mag‘nétiseurs
soutiennent l’existence d’un fluide émanant
et dirigeable a volonté.
Il y a donc deux classes de magnétiseurs:
les fluidistes et les spiritualistes.
C’est a cette dernière école qu’appartient
Jean Sempé, dont nous racontons ici la vie
étonnante. Nous pouvons même dire qu’il
en est actuellement l’unique représentant.
et nous espérons qu’il n’en sera pas le der—
nier, mais qu’il laissera des disciples aussi
savants que lui dans la pratique des gué
risons merveilleuses.
C’est Barbarin, en 1774, qui, le premier
reconnut posséder un pouvoir toutspirituel.
PRÉFACE 49
Selon lui. son unique agent est l’âme, son
moyen, la prière. Il magnétise une personne
a son insu, sans être en rapport avec elle, a
la condition seulement de la connaitre et
de l’avoir vue.
En 1836. l’illustre Dupotet ou le baron du
Potet vint précher sa doctrine a Monipellier
et il y guérit beaucoup de malades. Il est le
chef de l'école magico—magnétique. Il n’ad
met pas l’influence des esprits et du diable,
il fait de la magie.
Le marquis de Mirville, au contraire, est
le chef reconnu des magnétiseurs spiritua‘
listes ou mystiques.
C‘est surtout dans le Midi que ceux-ci
ont existé en grand nombre. Ils commen—
cent leurs séances par des prières très ortho
doxes: Vem‘ Creator, les psaumes, etc:
puis ils invoquent le fluide créateur, la
Lumière.
C’est le spiritualisme illuminé.
Depuis longtemps. la théorie mesmé
rienne est abandonnée.
La donnée de l’imagination comme au-—
teur des phénomènes peut expliquer bien
des choses, mais ne les explique pas toutes.
90 PRÉFACE
L’existence d’un fluide quelconque est
fort douteuse et combattue par de sérieux
arguments. .
Reste donc l’hypothèse de la. fascination
du sujet obtenue par n’importe quel moyen
et c’est alors que se produit cet état singu—
lier, encore inexpliqué aujourd'hui, et qu’on
appelle le sommeil somnambulique, lucide
ou hypnotique.
L’école spiritualiste veut que le magné
tisme soit produit uniquement par l’inter—
vention des bons et surtout des mauvais
esprits.
L’école swedenborgienne va plus loin et
prétend que le somnambule est l’inspiré de
Dieu. L’imposition des mains qu’on y pra—
tique est renouvelé de la façon d’agir des
Apôtres. Comme eux, ses disciples gué
rissent les malades. '
Lavater, le pasteur de Zurich, soutient
que tout vrai chrétien doit faire et fait des
miracles.
Cette branche des magnétiseurs illu-,
minés passa de l’Allemagne en France,
en 1829, et ce fut à. Avignon qu’eurent lieu
les premières expériences. '
PRÉFACE 21
Les adeptes se servaient d’un tube de
verre pour conduire le fluide et l’esprit
céleste, et ils guérissaient a l’aide des
passes magnétiques et du Vent Creator,
A.Toulouse, M. Ricard écarte les nuages
et empêche la pluie de tomber sur sa
personne.
Un autre magnétiseur célèbre de cette
école est Cahagnet, ex-tourneur de chaises.
Il possédait un miroir magique dont le
secret lui fut révélé par Swedenborg lui
même.
« Vous faites placer, dit-il, devant ce
miroir la personne qui désire voir un
voleur, un esprit ou un lieu quelconque ;
vous vous mettez derrière elle, la fixant
fortement derrière la tête, vers le cer
velet, et vous appelez l'esprit à haute
voix, au nom de Dieu, de manière à
imposer au voyant. »
Cahagnet exige des cérémonies, des par—
fums, le magnétisme moral, etc. Il s'appelle
lui-même l’Homme de la nature, parce qu’il
n’a reçu aucune espèce d’instruction et
qu’il ignore l’art d’écrire. Il sait évoquer les
morts; il ne voit que par‘ les yeux de ses
222222Q
29 PREFACE
":--v *:-r:y‘ << . î: dit-:1}; «reps
lucides, particulièrement de Mlle Adèle
Maignot, la clairvoyante par excellence.
Sous la dictée de cette femme, Cahagnet
a écrit plusieurs volumes très curieux :
les Arcanes de la vie future dévoilée ;
le Sanctuaire du Spiritualisme; la La
mière des morts ; les Révélations d‘autre
tombe; la Magie mag» étique.
Dans le même ordre de faits, Eliphas Lévi
fait apparaître deVant lui le spectre d’Appol
lonius de Thyane.
Victor Hennequin converse avec l’dme
de la terre.
Gérard deCaudenberg parle avec les bons
esprits.
Guidenstubbé découvre l’écriture directe
des esprits de l’autre monde.
De Mirville et Gougenot des Mousseaux
ne voient partout que des démons et ne
veulent qu’exorcismes.
Après de Mirville, Allan Kardec devient
le chef du spiritisme et compose le Livre
des esprits, dicté et corrigé par les esprits
eux-mêmes.
Home, en 1857, fait à. Paris des prodiges
de prestidigitation.
PRÈFACE 23
En 1865, les frères Davenport sont con
f0ndus à Paris.
Les esprits frappeurs, les tables tour
nantes, les médiums ne sont pas encore
bien expliqués dans leurs causes. Sans
doute, il ys’est mêlé beaucoup de charla
taneries. Cependant, nous pouvons affirmer
que certains faits sont bien extraordinaires
et dignes de l'attention du penseur. Nous ne
connaissons pas toutes les lois de la nature.
Les magnétiseurs distinguent six degrés
dans la magnétisation de leurs sujets :
1° Le sujet participe aux relations exté—
rieures;
2° Le demi-sommeil ou crise imparfaite;
3° Lesommeil magnétique ou somnam
b-ulisme;
4° La crise parfaite ;
5° La clairvoyance ou prévision ;
6° La vision magnétique ou l'extase.
C’est le docteur Braid qui, en 1841, de—
couvrit et définit l’hypnotisme : Sommeil
nerveux dépendant de l'état du sujet.
En 1853, le docteur P_hilips (Durand de
Gros) trouve la suggestion mentale.
En 1879, les expériences du docteur Char
24 PRÉFACE
cot a la Salpétrière éclairent la question
d’un jour nouveau. Selon lui, l’hypnotisme
explique tous les mystères du magnétisme.
les extases, voire même tous les prodiges
anciens et modernes. ‘
Aujourd’hui. le magnétisme occupe tous
les esprits, et des personnes de talent
comme MM. Reybaud, Robert, Auffinger,
Moutin, Festa et combien d'autres nous
rendent témoins de phénomènes bien extra—
ordinaires.
Ils cherchent, donc ils trouveront.
' La science n’en est encore qu’aux balbu
tiements; elle nous réserve d'étranges et
prochaines surprises.
Quoiqu'il en soit de toutes ces questions
pleines d'actualité et qui s0nt plus que
jamais à l’ordre du jour, nous avons cru
qu’il était utile, pour éclairer d‘une lumière
plus vive et expliquer certains faits surpre
nants de la vie de Jean Sempé, de donner
auparavant un résumé succinct et impar—
tial de la question du magnétisme dans”
le passé et jusqu’à nos jours.
Aux lecteurs de conclure selon leurs
lumières. L’ABBÉ JULIO.
JEAN SEMPÉ
CHAPITRE PREMIER
Premières années. — Guérison miraculeuse. — Paul Barra
que. — Première communion. -— Comment il fut élevé
par ses parents. -— Haine d'un frère. — Fuite du toit
paternel. — Le menuisier Poiiey. - A deux doigts de la
mort. — Fuite à Pau et départ pour Bordeaux.
Qui ne connaît ce beau pays de la Na
varre, aux paysages à. la fois majestueux
et sauvages, sévères et gracieux, qui, par
leurs charmes imprévus et pittoresques,
rappellent les sites langoureux deyl’Italie ou
les sommets solennels de la Suisse?
C’est là, sur les bords du Gave de Pau, non
loin du château de Coarraze, où fut élevé le .
meilleur de nos rois, Henri IV, que se trouve
le petit village de Bénéjac, où naquit Jean
Sempé, celui dont nous, voulons raconter
l’histoire.
Jean Sempé est né le 8 décembre 1818. Il
2
‘26 > BIOGRAPHIE
est le quatrième fils de Jean Sempè et de
Marie Salette, honnêtes et fortunés cultiva—
teurs.
Dès ses premiers pas dans la vie, Jean
Sempé eut à souffrir. A peine âgé d‘un an,
il fut atteint d’une grave maladie, qui le
conduisit aux portes du tombeau. Comme les
médecins l’abandonnaient, sa pieuse mère
eut recours a la divine miséricorde : ce fut
_ au sanctuaire béni de Notre-Dame de Bé
tharram qu’elle alla porter son fils, ne dou
tant pas un seul instant, dans sa foi naïve,
que la bonne Dame des Pauvres ne rendit la
santé à. son enfant.
Elle fut exaucée.
Jean se rétablit promptement et sa mère le
consacra ale. Vierge Marie, enreconnais—
sance de l’insigne faveur qu’elle venait de
recevoir. -
Sa joie ne dura pas longtemps,car de nou—
velles et cruelles épreuves attendaient son
enfant.
Six mois s’étaient à. peine écoulés, qu’il
retombait plus malade encore que la pre
mière fois. Longtemps il souffrit et végéta,,
sans que M. Talamon, le médecin de la
famille, pût lui procurer le moindre soulagæ
ment.
DE JEAN SEMPE 27
A cette époque, vivait au village de Bor
dêres, distant d’un kilomètres de Bénéjac,
un vieillard vénérable, du nom de Paul
Barraque, qui, disait la renommée, avait
reçu de Dieu le don de guérir toutes malaw
elles. ,
A dix lieues a la ronde, on le connaissait
pour ses cures merveilleuses et surtout pour
"sa grande bonté et bien accueillir ceux qui
souffrent.
La mère de Jean, n’ayant pas le loisir de
retourner à Bétharram, porta son enfant
agonisant chez Paul Barraque.
Celui-ci, a la vue de ce pauvre petit être
qui n’avait plus que le souffle, se sent ému
de compassion.
Il le prend dans ses bras, le pose sur son
lit. puis, étendant les mains sur le front du
malade, il dit :
-— c' Enfant, au nom de Jésus, sois guéri ! 1.
Et tout aussitôt, ô prodige! l’enfant sou—
lève sa tête pâle et décharnée, tend ses
petits bras vers le vieillard, en bégayant :
—_ c Mama i... mamal... »
Il était guéri. >
Sa mère l’aime plus que les autres, parce
qu’il avait souffert davantage.
Il avait à. peine trois ans, qu’il savait déjà.
28 v BIOGRAPHIE
prier et remercier le bon Dieu de tout ce qu’il
avait fait pour lui.
C’est ainsi qu’il parvint jusqu’à l’âge de
douze ans, souffrant toujours quelque peu
et ne pouvant s’adonner à un travail suivi.
Le temps de sa première communion était
arrivé.
Grâce à. la piété de sa bonne mère, il savait
admirablement son catéchisme et pouvait
apprécier déjà les trésors de la bonté de
Dieu à. son égard.
Cette année 1830 fut pour lui l‘époque la
plus douce et la plus heureuse de sa vie. Son
cœur ressentit vivement cette infinie jouis
sance que donne une première communion
bien faite.
Comme s’il pressentait déjà le rôle que
Dieu lui réservait sur cette terre, l’enfant
VOIIüt sanctifier ce premier et grand acte de
sa tie d’une façon bien singulière pour son
âge. Au moment même où, pour la première
fois il recevait son Dieu, il fit vœu d’aller a
pied, une fois par an et pendant trois années
consécutives, jusqu’au Calvaire de Béthar
ram. -
Pour un enfant, l’engagement était grave,
car bien haute était la montagne et bien rude
le sentier à. gravir.
DE JEAN SEMPÉ 92
Dans son enthousiasme juvénil, Jean ne se
contenta pas de faire le pèlerinage 'pieds
nus, ce fut à. genoux qu’il fit le chemin de la
croix. Le pantalon s’use promptement, se
déchire, et les genoux, frottant contre les
cailloux pointus, furent bientôt ensanglan
tés.
Jean, rentra chez lui sans murmurer une
seule plainte. Il onctionna ses plaies d’huile
et elles ne tardèrent pas a se fermer.
Trois fois il renouvela son pèlerinage et
chaque fois avec la même piété, avec la
même ferveur. '
Jusqu’à l’âge de vingt—six ans, Jean resta
chétif et souffrant. Trois mois ne se pas
saient pas, sans qu’il lui fut nécessaire de
recourir à. la science médicale, qui, hélas ! ne
pouvait rien pour le guérir. Notre—Dame de
Bétharram, a qui ilétait consacré, ne l’aban
donna jamais et lui donna la force et le
courage de surmonter cesterribles épreuves,
nécessaires pour le préparer aux grandes
choses qu’il devait acc0mplir.
Cette santé toujours chancelante l’empê
cha de se livrer aux études sérieuses qui
forment l’esprit humain. Ce fut sa mère qui
lui donna quelques notions élémentaires de
lecture et d’écriture.
30 BIOGRAPHIE
Il aurait cependant voulu savoir davan
tage. Plus heureux que lui, ses quatre frères
et sa sœur reçurent une éducation complète,
soit au séminaire, soit au couvent.
Il a souffert et souffre encore de cette infés
riorité.
Aux souffrances de la maladie vinrent s’a.
jouter les querelles de famille.
Tout semblait se mettre contre ce pauvre
Jean.
En effet, son frère Marc, jaloux de l’amour
plus particulier que lui témoignait sa mère,
s’appliquait a lui rendre la_vie aussi dure
que possible, en lui suscitant mille tracasse
ries journalières. Son père lui-même parais
sait approuver Marc et envoyait Jean garder
les troupeaux.
Mais lui, loin de s’ennuyer au milieu des
champs avec ses moutons et ses vaches,
s’agenouillait pieusement, priait avec ferveur
et restait ainsi des heures entières à contem—
pler les cieux, à. invoquer Jésus et sa Mère.
Jeannou, le deuxième fils, que ses pa-:
rents entretenaient dans l’idée du sacerdoce,
était àl’égard de Jean l‘opposé de Marc. Il
aimait tendrement son jeune frère et cher-.
chait à le consoler des mauvais traitements
dont il était trop souvent victime.
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DE JEAN SEMPÉ 31
Comme la prêtrise lui souriait médiocre
ment, il obtint, a force d’instances, d’entrer
dans le commerce et devint commis dans un
magasin de nouveautés, ou il ne reste qu'une
année, car il partit pour l’Amérique, muni
des meilleures références.
Ce fut dans une des premières maisons de
commerce de la Martinique qu’il occupa un
emploi des plus lucratifs.
La veille de son départ, Jeannou, qui em
portait au fond de son cœur le regret d’aban
donner son frère bien-aimé, fit promettre a
son père qu'il enverrait Jean à. l’école muni
cipale et promit de son côté qu’il ferait par
venir six cents francs chaque année, pour '
pourvoir aux frais de cette instruction. Lorss
qu'elle serait terminée, il le ferait venir près
de lui pour lui procurer une position et lui
permettra de gagner. honorablement sa vie.
Les parents accédérent a toutes ses de
mandes; mais promettre et tenir sont deux,
dit le proverbe.
Apeine Jeannou était-il parti, qu’ils oublié
rent ces belles promesses et Jean continua à. '
garder les troupeaux paternels. il travaillait
aux champs, sans qu’on lui mit jamais un
livre‘à la main.
Pendant ce temps, ce bon frère, fidèle à la
.
3“2 BIOGRAPHIE
parole donnée, prélevait six cents francs sur
ses économies, et les envoyait religieuse—
ment a sa famille,qui les touchait non moins
soigneusement pour les employer aussitôtè
l’achat de nouveaux lopins de terre.
Le 2 juin 1835, pendant que toute la famille
travaillait à la récolte du mais, la mère arriva,
apportant une lettre de l'étranger. Elle la
donna à. lire au frère aîné. C’était le jeune
négociant de la Martinique qui envoyait une
nouvelle somme de six cents francs et qui
demandait que la réponSe fût faite par Jean
lui-même, afin qu'il pût se rendre compte
des progrès qu’il devait avoir faits.
Jean, qui avait alors dix-huit ans, enten
dit la lecture de cette lettre. Ce fut pour lui
toute une révélation. Il jette sa faucille, et
s’avançant vers son père :
-— « Comment! lui dit-il, c’est ainsi, mon
c père, que vous abusez de mes forces!
« Vous me savez faible et malade et vous me
« forcez à. travailler la terre! C’est ainsi que
« vous manquez à la promesse faite a mon
« frère, qui est si bon pour moi et qui veut
« pourvoir à mon instruction. Cet argent qui
« m’était destiné, qu’en avez—vous fait? Vous
« en avez acheté ces deux champs où je tra—
« vaille. Que vais-je répondre a mon frère,
DE JEAN SEMPÊ 33
« et comment m’y prendrai—je? Je lui ferai
« écrire ce que vous faites“ pour moi...
—- ( Tu ne diras rien, s’écria Marc, ou tu
( me le paierais cher... >
Et il levait déjà le manche de son aiguillon
pour frapper Jean, lorsque le père intervint.
— 4 Il a raison, dit—il, et ce n’est pas à toi
« étaire des observations à. ton frère. Con
« tinuez vos travaux tous deux et donnez
« nous la paix. J’aviserai. »
Jean, le cœur rempli d’angoisse, l’esprit
excité par les multiples injustices dont il était
victime chaquejour, ne voulut pas rester plus
longtemps dans cette maison, où l’on sem
blait lui reprocher tout. S’armant d’une réso
lution virile, il sortit du champ, revint à. la
maison où se trouvait seule et malade sa
grand’mère qu’il embrassa, saisit a la hâte
ses vêtements du dimanche et prit la route
de Nay.
On se figure aisément l’état d’esprit où se
trouvait le pauvre jeune homme. Il partait
sans argent et souffrant toujours de sa ma
ladie. Mais le moral souffrait plus encore
que le physique.
Lentement il marcha sur la route et finit
enfin par arriver au but. '
Son premier soin fut de trouver un emploi
34 BIOGRAPHIE
quelconque. De maison en maison il demanda
si l’onavaitbesoin d'un apprenti. Partout il
reçut des réponses négatives, partout il fut
rebuté.
Déjà la nuit se faisait et le pauvre_Jean dé
couragé suivait tristement et tête basse les
rues de la ville, lorsqu’il vint àpasser devant
la boutique d’un menuisier. Il s’arrête, il en
tre, etdemande en grâce un peu d’ouvrage.
Par bonheur, le patron était un des amis
de son père. Il fait asseoir le jeune homme et
lui demande comment etpourquoi il se trouve
aNay,
Jean, ne pouvant se contenir plus long—
temps, se met à. pleurer a chaudes larmes
et'r‘aconte toute son aventure, suppliant le
menuisier de le prendre en apprentissage.
Poüey (c’était le nom du menuisier), touché
de compassion, le garde a souper et lui prov
met de l‘occuper dès le lendemain.
Toutefois, ce brave homme, ne veulant pas
laisserla famille Sempé dans l'incertitude de
ce qu’était devenu leur enfant, partit le lende«
main pour Bénéjac.
La pauvre mère pleurait et demandait à
toutes les personnes qu’elle rencontrait siV l’on n’avait point vu son Jean bien-aimé.
Le père Sempé fut heureux d'apprendre
DE JEAN SEMPÉ 35
que son fils était retrouvé, qu’aucun acci—
dent fâcheux ne lui était arrivé. Il partit im
médiatement pour ramener au foyer le fugi
tif.
Arrivé à Nay, il trouva son fils en train de
raboter une planche avec toute la vigueur
dont il était capable. Il le réprimande sé-'
véremènt d’être ainsi parti sans prévenir
personne et lui intime l’ordre de réintégrer
de suite le domicile paternel. . -
.. — < Je vous obéirai, dit Jean, si vous in—
<< sistez; mais comprenez, mon père, qu’a
« près ce qui vient de se passer, il m’est
« difficile de vivre chez vous. Je jvous en
« SUpplie, faites-moi donner l’instruction suf
< fisante pour garantir mon avenir; ou, si
« vous ne le voulez pas, du moins faites-moi
< apprendre un-état. Ma faible santé, vous le
« savez, me rend impossible le travail des
« champs. Men père, avouez—le, vous avez
< été bien sévère pour moi...
-« c Il sera fait comme tu voudras, inter
( rompibil. >
Et prenant Poüeÿ à part, il lui fit ses condi
tions, l’engagea à détourner Jean de son
état par tous les moyens possibles etdit qu’il
reviendrait dans la huitaine... . .
Mais on eut beau dire et beau faire, repré
36 BIOGRAPHIE
senter à Jean combien le métier était pénible,
lui faire porter de lourds madriers, lui faire
raboter des bois noueux; rien n’y fit, il resta
inébranlable dans sa résolution.
Quand huit jours après revint le père, il ne
put rien sur cette jeune et ferme volonté. Il
se décida alors à payer trois ans d’appren
tissage. .
Pendant treize mois, Jean travailla sans
relâche, ne se plaignant jamais, se souve
nant dans les moments difficiles qu’il était
l’enfant de Notre—Dame de Bétharram.
On était en avril 1836, dans les premiers
jours de la Semaine Sainte. Jean devait ren—
trer au magasin d’énormes madriers. Vou
lant en soulever un de plus forte taille que
les autres, il fit un effort qui lui causa une
telle douleur, qu’il fut obligé de tout lâcher et
tomba a la renverse au risque de se faire
écraser sous la lourde planche. Il se releva
péniblement et comme il ne voulait se plain
dre a personne de l’horrible douleur qu’il
ressentait, il travailla plusieurs jours en
core.
Maisle mal, plus fort que sa volonté, le
força de s’a'liter et son patron le reconduisit
dans sa famille.
Une fièvre délirante s’était emparée du
DE JEAN SEMPE 37
jeune homme et une grosse tumeur s’était
formée dans le bas-ventre.
Le docteur, mandé en toute hâte, déclara
qu’il n’y avait pas de remède, que Jean
allait mourir.
Marc,loin de s’attrister de cette nouvelle,
ne sut pas même contenir sajoie.
— < Tant mieux, s’écria-Hi, qu’il crève
c donc, et qu’on n’en entende plus parler! »
Le 1°r mai 1836, on crut que tout était fini:
la respiration montait a peine jusqu’aux
lèvres, les ombres de la mort s’étendaient
sur le visage, les membres se raidissaient,
les battements du cœur devenaient imper
ceptibles.
La désolation règne à. la maison, la mère
est comme folle de chagrin‘ : son bien-aimé
Jean, le fils, qu’elle aimait tant, n’est plus;
il meurt, et dix-neuf ans, dans la' force de
l’âge. C'est trop pour son cœur. maternel et
la douleur le brise.
Pendant qu’elle pleure amèrement, le père
est parti pour Bordères, chez Paul Barra
que: "
-— « Mon fils se meurt, lui dit—il, sauvez
« le.
— « Son nom et son prénom? répond le« Ivieillard.
38 BIOGRAPHIE
-- c Jean Sempé. .
-— c C’est bien, va-t’en, ta confiance le
c sauvera. »
Et Paul Barraque se mit en prières, tan
dis que le père revenait au foyer désolé.
En revoyant son fils raide et froid, comme
tout le monde il le crut mort.
Il fait dresser une table sur laquelle on
pose le crucifix et deux flambeaux; les assis
tants récitent les prières mortuaires; le
cercueil est apporté et l’on procède à. la der
nière et funèbre toilette.
Au moment où l’on va placer le cadavre
dans son étroite demeure, Jean semble sor—
tir d’un lourd sommeil, il pousse un profond
soupir, soulève sa tête et sourit à. sa. mère
en pleurs.
Il était sauvé.
La prière du vieillard le faisait pour ainsi
dire sortir de la tombe.
La grosse tumeur avait entièrement dis
' paru et bientôt le jeune homme était debout
et se remettait peu a peu de cette terrible
secousse.
Aux approches de la Pentecôte, la santé
était a peu près revenue. Aussi, la veille de
ce jour, profitant de ce que tout le monde de
DE JEAN SEMPÉ 39
la maison était parti, il s’habille et s’en alla
avec deux francs dans sa poche.
Il était encore si faible qu’il mit deux jours
à franchir les dix—huit kilomètres qui le sé
paraient de Pan.
Là. il trouva de l’ouvrage, termina son
apprentissage de menuisier et resta dans
cette ville jusqu’à 1840.
Une fois sur de gagner sa vie parla con
naissance de son métier, Jean se mit en de
voir de réaliser le plus cher de ses désirs:
aller rejoindre son frère.
En conséquence, il partit pour Bordeaux
afin de s’embarquer a bord d’un navire en
partance pour l’Amérique.
Il se voyait déjà. dans les bras de ce frère
tendrement aimé. Comme il serait heureux
de le revoir, de vivre près de lui. de lui dire
que, grâce à des efforts constants, il était
capable de gagner sa vie honnêtement!
CHAPITRE Il
Attaque soudaine. — Nouvelle maladie. -— Séjour à Cante
rets. — Retour à Pau. —- Une jalousie terrible — Re
chute singulière. -—— Guéri par LaiIorgue. -—- Jean monte
un atelier. —- La tireuse de cartes — La femme au
rasoir. — Etudes avec Paul Barraque. — L’apparition de
Bayonne. — Un nouveau Gain. — Jean refuse d’être
prêtre. — Visite en commandant Laflorguc.
La Providence en jugea autrement.
Jean partait pour Bordeaux avec une
somme assez ronde, fruit de son travail per—
sévérant.
Le soir, la diligence arrive dans la grande
ville, Jean prend sa petite valise et se dirige
vers le port. Il passait rue Ségur, aujourd’hui
rue Cursolle, lorsqu’un homme, qu‘il ne con
naissait nullement, se précipite a sa'rencon
tre et lui tire à bout portant deux coups de
revolver.
Par un effet de la toute-puissance divine et
DE JEAN SEMPE 44
grâce a la prière que lui avait envoyée Paul
Barraque et que Jean portait toujours sur
lui, les balles ne l’atteignirent pas.
L’assassin avait pris la fuite, mais les
agents, qui avaient entendu les détonations,
voyant un homme se sauver dans le loin—
tain, se lancérent a sa poursuite, le saisirent
et ramenèrent le coupable au lieu de son
crime.
Jean avait eu le temps de se remettre de
son émotion. Reconnaissant la haute protec
tion de Dieu, qni l’avait gardé si miraculeu
sement de tout mal, il supplia les agents,
puis le commissaire de police chez lequel on
le conduisit, de relâcher cet homme qui, ne
le connaissant pas, ne pouvait avoir eu de
mauvaises intentions à. son égard; puis il
continua son chemin et s’en vint loger dans
un petit hôtel, dont les fenêtres avaient vue
sur le fleuve.
Le lendemain, il s’informa du prochain
départ d’un bateau pour la Martinique. Il lui
fallait attendre une dizaine de jours. Il soiré—
signa. Tout le jour, il allait sur le port, adni‘i
rant ce mouvement si animé des matelots de
toutes nations, cette forêt de mâts et ces
navires si nombreux qui couvrent les eaux
de la Garonne. Le soir, il rêvait à. safenétre,
42 BIOGRAPHIE
pensant uniquement à ce frère chéri, qu'il
allait rejoindre. .
Mais voici que tout à coup il est pris d'une
toux sèche et saisi par une fièvre violente. Il
faut qu‘il se mette au lit. C’est une belle et
bonne fluxion de poitrine qui vient de se
déclarer.
Jean resta ainsi onze mois, souffrant horri
blement, malgré les soins empressés que
lui prodiguèrent plusieurs. médecins, qui
maintes fois le crurent perdu. Enfin, un léger
mieux se produisant, ilsl'engagérent a aller
prendre les eaux de Cauterets, mais lui
défendirent expressément de passer la
mer. Il n'atteindrait jamais la Martinique.
Malgré le chagrin profond qu’il ressentit, il
obélt néanmoins et partit pour la mon
tagne.
Redire les douleurs cuisantes que tout le
long de la route Jean Sempé endura dans son
cœur et dans ses membres, est impossible.
Mais il n’ouvrait pas la bouche pour se plain
dre et il offrait toutes ses souffrances et
Notre-Dame.
Pendant deux mois, il suivit le régime des
eaux de Cauterets ordonné par les médecins.
Un mieux sensible se produisit; mais, comme
la bourse se dégarnissait rapidement, il re
v—WM—s——._m,
DE JEAN SEMPÉ 43
partit pour Pau et se remit courageusement
au travail.
Après sa journée faite, il allait passer régu
lièrement ses soirées dans la famille Cauvry,
composée des plus braves gens du monde:
le père, la mère et une jeune fille de dix—huit
ans. Tous les trois l’entouraient des soins les
plus tendres et le traitaient comme l’enfant
de la maison.
Un autre jeune homme d’assez bonne fa
mille faisait aussi “des visites assidues, qui
s’adressaient surtout a Mile Blanche Cauvry,
qu’il aimait, disait-il, éperdument. Un beau
jour il demanda sa main, mais le père Gau
vry, qui ne se souciait pas de marier sa fille,
lui répondit qu’elle était encore trop jeune et
que d’ailleurs elle était déjà. fiancée à un
autre.
Le jeune homme, désappointé et furieux,
s’imagine que, venant chaque jour à. la mai—
son, Jean était le rival préféré et résolut de se
venger cruellement.
Un soir que Jean venait comme à l’ordi
naire de passer quelques heures agréables
dans cette excellente famille et rentrait paisi
blement chez lui, il fut assailli subitement au
_ coin d’une rue sombre par le susdit jeune
homme, qui lui déchargea en pleine poitrine
T:”2"‘1‘t
44 BIOGRAPHIE
un coup de revolver. Le meurtrier, convaincu
que sa victime est bien morte ou du moins
blessée grièvement, prit aussitôt la fuite sans
regarder en arrière. '
Heureusement il n’en était rien. Jean, tou
jours protégé par Dieu et par la puissance
de la prière dont nous avons déjà parlé, sen
tit bien le choc de la balle, mais elle était
tombée à terre sans lui faire aucun mal. Il la
ramassa en souriant et rentra tranquillement
dans sa demeure, sans vouloir poursuivre le
jeune homme qu’il avait parfaitement recônnu
et auquel il pardonnait volontiers à cause de
sa malheureuse passion. Mais pour ne pas
être un obstacle et lui laisser le champ libre,
il résolut de partir pour Toulouse. Il y avait
déjà. un an qu’il séjournait à Pau. et il se
sentait a peu près guéri.
On. était alors en juin 1842, il faisait un
temps superbe et Jean, qui exécutait aussitôt
les projets conçus, alla retenir sa place dans
la diligence qui devait partir le lendemain
matin.
Le soir, il invita généreusement tous ses
camarades d’atelier, pour leur faire ses
adieux. Après un repas copieux, il revint
chez lui et se coucha, sans que son esprit fût
dérangé le moins du monde.
__.-.Læ. -._-u_..
DE JEAN SEMPÉ 45
Vers deux heures du matin il se réveilla
poussant un grand cri. Tout le côté droit était
paralysé et glace, tandis que le côté gauche
était un véritable brasier. A ce cri étrange, la
maîtresse d‘hôtel accourt, voit l’état du pau
vre Jean et vite fait appeler .un médecin. Le
docteur arrive, prescrit de nombreux remè
des et dit que jamais il n’a vu cas semblable.
, Jean resta ainsi toute une semaine, endu
rant des tortures affreuses.
Le mal empirait dejdur en jour, le méde—
cin inquiet fit appeler en consultation trois
autres de ses confrères, qui.déclarèrent le
malade perdu sans ressource, affirmant qu’il
succomberait inévitablement dans un laps
de temps déterminé.
Ils appelèrent la maîtresse d’hôtel:
— 4 Madame, lui dirent-ils, votre client n’a
' ( plus que quelques jours à vivre. S’il a une
« famille, prévenez—1a et qu’elle se dépêche,
(- si elle veut le voir encore vivant. >
‘Ce qui fut fait immédiatement et le frère aîné
ne tarda pas d’arriver, mais le malade était
si faible qu’il n’eut pas la force de lui répon—
dre un mot.
La maîtresse d'hôtel, comprenant que tout
était désespéré, alla trouver le commandant
Lafforgue, guérisseur aussi renommé que
,.r. ' ‘.A
J.. .
3.
46 _ BIOGRAPHIE
Paul Barraque et qui demeurait aux environs.
Elle lui raconta l’extraordinaire maladie de
Jean Sempé. Celui—ci aussitôt magnétisa de
l'huile et la remit a la femme en la priant d’en
frictionner le corps du patient.
Le lendemain, 12juin 1842, la bonne dame
suivit de point en point la recommandation.
A peine avait-elle achevé les onctions pres
crites, que Jean reprit connaissance et de
manda a boire.
D‘abord sa gorge rétrécie ne lui permit pas
d’avaler quoi que ce soit. Pourtant. peu à
peu, il parvint à prendre quelques cuillerées
de bouillon bien chaud, et tout aussitôt la
chaleur revint dans la partie droite du corps
qu’elle avait abandonnée.
Encore une fois, Jean était radicalement et
subitement guéri, sans qu’il partit aucune
trace de la terrible épreuve qu'il venait de‘
subir.
Il se lève de son lit, et les personnes qui
étaient venues le voir, p0ur lui donner un
dernier adieu, s‘en retournèrent stupéfaites
de le retrouver en bonne et parfaite santé.
Son père lui fit parvenir! une somme de
deux mille francs, avec laquelle il montaà
son compte personnel un atelier d’ébéniste
rie. Il embaucha six ouvriers, car il eut
î.=C': -
DE JEAN SEMPÉ 47
aussitôt d’importantes commandes de la part
de diverses familles, qui savaient le soin et
la délicatesse que Jean Sempé apportait
dans l‘exécution de ses moindres travaux.
Il travaillait depuis trois mois avec la plus
grande énergie, quand la maladie, sa fidèle
compagne, lui fit une nouvelle visite. Comme
il ne voulait pas fermer son atelier, il prit
son premier ouvrier en qualité de contre
maltre et le chargea non seulement de sur—
veiller tout le travail, mais encore de vérifier
les comptes et d’opérer toutes les rentrées. Il
fut servi avec zèle, parce que tous ses ou—
vriers l’aimaient comme un père.
Quelque temps après, Jean, profitant d’un
moment d’accalmie dans ses souffrances
quotidiennes, voulut faire une petite sortie.
"A peine était—il dans la rue, qu’il se sent
pris d’un mal de tète, d’un étourdissement
tellement violent, qu‘il ne sait plus où il se
trouve. Un de ses amis, qui passait à ce
moment, devine qu’il se passe en lui quelque
chose d'extraordinaire, il le saisit par le
bras et le fait entrer dans la première maison
qui se présente. Par un hasard singulier,
c’était chez une célèbre cartomancienne.
Jean ne croyait pas a toutes les fadaises
plus ou moins ridicules que ces créatures
48 BIOGRAPHIE
débitant à tout venant pour quelques sous.
Néanmoins celle-ci, après l’avoir soulagé
du malaise passager qu’il éprouvait, lui
dit: .
— c Monsieur, vous ne croyez pas a ma
«science de l’avenir, laissez—vous faire les
« cartes pourvous distraire. Vous m’inté
«z ressez etjc ne vous prendrai rien. »
Jean se mit à sourire et accepta la propo
sition, curieux de savoir ce qu’on lui dirait.
La femme prit un paquet de longues cartes:
—- < Coupez, dit-elle. il . " .
Jean obéit et la magicienne abattit lejeu.
— c C’est très grave, dit-elle d‘un air sé—
< rieux, vous commencez sous de mauvais
auspices. Coupez une seconde fois...
—— « Ah! reprit-elle, je ne me suis pas
trompée... voilà. qui annonce un épouvan—
table accident, si vous,ne prenez vos pré
cautions... Il existe une femme qui vous
en veut à mort... ce matin elle vous ajeté
un mauvais regard... elle est puissante et
votre esprit est troublé... dans trois jours
elle_ tentera de vous assassiner en vous
coupant la gorge avec un rasoir!... »
Jean haussa les épaules et dit qu’il ne con—
naissait aucune femme et qu’il n’avait pas
d’ennemis. .
A
A4\‘AAAAA‘
.......J
DE JEAN SEMPÈ 49
—— « Ce que vous venez de me dire, ajouta
t-il, confirme toutes mes idées sur la pré
tendue science de la cartomancie.
— « Prenez garde, répondit la tireuse de
cartes, prenez garde! Mercredi vous me
direz qui des deux s’est trompé. »
Jean s’en alla sans ajouter un mot. En tout
cas il avait gagné d’être soulagé de la vio
lente migraine dont il souffrait. Quant à. la
prédiction, il n’y pensa plus. Comme d’habi—,
tude il allait passer ses soirées chez ses
amis.
Arrive le mercredi soir; Jean rentre assez
tard chez lui sans aucun accident, il s’en
ferme soigneusement, il est déjà. à moitié .
déshabillé, lorsque tout a coup on frappe à
sa porte:
— « Qui est là? dit-il.
— « Une personne qui veut vous parler.
' « C’est pressé.» '
Jean entre-bâille la porte a moitié. Il aper
‘çoit une femme : "
— « Que me voulez—vous? dit-il.
A
A
A
A
— « J’ai à vous communiquer une grave
« affaire qui vous concerne. Ouvrez.
-- « Il est trop tard, revenez demain ma—
c: tin. )
50 BIOGRAPHIE ‘
Ne recevant aucune réponse, Jean se rap—
pelle aussitôt la prédiction de la tireuse de
cartes. Comme il est brave, il ouvre brusque—
ment sa porte et la lumière de sa lampe
éclaire en effet une femme dont le visage lui
est tout a fait inconnu. Elle tient à. la main un
rasoir tout ouvert; comme une furie, elle se
précipite en avant pour frapper; mais Jean
se détourne brusquement et décoche a la
mégère un si formidable coup de pied qu’il
l’envoie rouler à. cinq pas dans la rue, puis
il-s’enferme dans sa chambre a double tour
et va se coucher.
De la'nuit il ne ferme l’œil: il songe a ce qui
vient de se passer, il ne peut comprendre
cette tentative d’assassinat, il admire surtout
comment la cartomancienne a pu deviner si
juste etl’avertir de ce terrible danger. Il prend
la résolution d’aller le lendemain trouver
Paul Barraque. Peut-être aura—t-il un bon
conseil.
En effet dès quatre heures du matin, il loue
cheval et voiture et arrive a Bordères.
A peine est—il entré dans la maison du vieil—
lard, que celui-ci lui dit:
—— « Tu viens de l’échapper belle, on a
«E voulu t’assassiner, maisje veillais sur toi,
« car tu dois dans l’avenir accomplir de gran—
DE JEAN SEMPÊ‘ 51
« des choses. Oh! comme tu es pâle! es-tu
« malade? où souffres-tu?
— « Là, répondit Jean, en montrant sa poi
« trine et sa tête. »
Le vieillard mit sa main sur le front du
jeune homme:
— « Au nom de Jésus et de Marie, sois
a: guéri. » .
Et Jean à l’instant même fut soulagé.
—- 1: Maintenant, ajouta Paul Barraque,
« retiens bien ce que je vais te dire. Grâce a
« la prière queje t’ai donnée et que tu portes
« sans cesse sur toi, tu seras préservé de
« tout mal. Le fer et le feu ne pourront rien
< contre toi. Si tu tombes a l’eau, tu ne te
« noieras point. Tes ennemis n’auront aucun
« pouvoir'sur ta personne. > '
Jean, tout ému de ce qu’il vient'de‘voir et
d’entendre, quittele saint vieillard et revient
à.Pau. Sans plus tarder, il vend son établis
sement et arrive à. Bayonne, où deux de ses
amis lui font un accueil cordial.
Pour subvenir aux besoins de son exis—
tence, il reprend du travail, mais la maladie
le rejette de nouveau sur le flanc. Il passe
de longs jours à.l’hôpital du Saint-Esprit.
Enfin il sort, bien faible encore; c’est à.
peine s’il peut se traîner, appuyé sur deux
i"
52 BIOGRAPHIE
cannes. Il met un temps infini à traverser le
pont de l’Adour, lorsque, arrivé à l’extrémité,
il se trouve en face d’un vénérable vieillard
qui l’interpelle:
—— « Vous n’êtes pas encore guéri, jeune
« homme; cependant prenez confiance: vous
« serez plus heureux bientôt. Voulez—vous
« faire ce que je vais vous diref.2 .
—— « Oui, si c’est possible, répondit Sempé.
— « Votre maladie a épuisé aussi vos der
nières ressources; allez à. la poste: une
lettre a votre nom contenant un mandat de
32 francs vous attend. C’est assez pour
rejoindre Paul Barraque. Allez vite et qu’il
vous donne toute sa science. »
Jean leva les yeux pour remercier: il n’y
avait plus personne; le vieillard avait dis
paru comme par enchantement.
Respirant plus librement et ressentant dans
tout son être comme un immense soulagé
ment, Jean Sempé s’en alla a la poste. En
effet, il y avait une lettre pour lui et le man
dat annonéé s’y trouvait, venant de la part
d’un généreux inconnu.
La divine Providence veillait sur lui et lui
envoyait a point.nommé le viatique néces
saire.
Il prit la diligence de Pau, arriva à. Bor
*AAAA
DE JEAN SEMPÉ 53
dères‘ et le soir même était chez Paul Barraque,
qui, sur le pas de sa porte lui dit simple
ment:
— < Je t’attendais. »
Pendant quinze jours, Jean resta près du
vieillard, qui lui révéla des choses cachées
et merveilleuses. Tous deux vivaient de
repas frugals et passaient les jours dans
la prière ou dans des conversations célestes.
Au bout de ce temps, Jean retourna dans
sa famille. Ce fut une grande joie pour la
pauvre mère de revoir son enfant de pré
dilection. Mais Marc, son frère, n’avait pas
changé, il avait toujours les mêmes senti—
ments de haine et d’envie, que la présence
de Jean sous le toit paternel 'ne firent que
raviver et il se mit a chercher toutes les
occasions possibles de le dénigrer, de lui
nuire ou même de lui faire un mauvais
parti.
En effet, Jean Sempé se trouvant un jour
dans les écuries, Marc arriva tout à. coup
sur lui et voulut le frapper,mais Jean, recu
lant d’un pas, put éviter le coup qui le me
naçait. ‘
La Madone et son serviteur Paul Barra
que veillaient toujours sur lui.
Marc, qui croyait l’avoir atteint, fut bien
54 BIOGRAPHIE
étonné de ne pas voir tomber son frère et
restait là tout stupide devant lui, sans pro
noncer une seule parole; mais Jean, s’avan—
çant résolument vers lui, le força à reculer
contre la muraille et les yeux dans les yeux
lui dit:
— « Malheureux! est—ce que tu voudrais
c ressemblera Gain? Pourquoi m’en veux
« tu ? Que t’ai-je fait pour me haïr ainsi? Je
« me souviens que tu es mon frère, et je
c: pardonne ta mauvaise action; mais
cr sachebien que tu ne peux rien contre moi.
cr Si tu crains la justice de Dieu, va—t’en et
« disparais. 3:
Marc épouvanté prit la fuite et ne revint
que plus tard à. la maison paternelle, corrigé
pour toujours de sa basse jalousie.
Jean resta a Bénéjac deux ans encore et
chaque jour il allait à. Bordéres, pour acheç
ver l’initiation commencée par le saint vieil—
lard, qui lui enseignait les merveilles de la
puissance de Dieu, la vertu des prières qui
guérissent.
-— c Veux-tu, lui dit unjour Paul Barraque,
« veux-tu, mon fils, posséder enfin le don
« promis?
— « Oui, répondit Jean.
,-—- v: Prends ce psautier, Vois les endroits
DE JEAN SEMPÉ 55
marqués d’une croix rouge. Par eux, par
ta grande foi, par ton amour pour Jésus et
Marie, par la puissance de Dieu, tu gon—
i‘ondras les médisants et les calom_nia
teurs, tu vaincras toutes maladies, tu
seras fort contre l’adversité, tu écraseras
les méchants, tu dompteras les éléments
et les lois de la nature, tu délivreras les
possédés, tu conjureras les mauvais
esprits, en un mot, toi, pauvre ignorant,
tu feras tout ce que la science et la religion
réunies peuvent faire; bien plus, ce qu’elles
n’ontjamais fait.
c Reviens ici chaque jour, j’achèverai ton
instruction. Je te communiquerai tout ce
que j’ai reçu moi—même et Dieu te grati
fiera_ du don qui autrefois m’a été donné
en son nom par son serviteur. »
‘ En effet, a l’époque où éclata la terrible
révolution de 1793, Paul Barraque avait déjà
trente-deux ans. Il était domestique et ser
vant de messe d’un vénérable curé qui, pen
dant tout le temps de la tourmente révolu
tionnaire, resta caché aux environs de sa
paroisse. Il. aimait trop son beau pays de
France, il était trop adoré de ses bons parois
siens, pour qu’il put jamais se résoudre à. les
quitter.
AGAAAQAAAGAGÀ
GAGA
56 ' BIOGRAPHIE
Ce bon et saint prêtre avait reçu le don de
guérir les maladies. '
. D’où le tenait—il? de Dieu certainement,
mais était-ce a cause de ses extraordinaires
vertus, ou par un secret transmis fidèlement
a travers les siècles? Nous l’ignorons.
Pendant que la Révolution battait son
plein, alors que tout culte extérieur était
prohibé sous peine de mort, que la déesse
Raison (qui n’en avait guère) régnait sur nos
autels souillés, que la guillotine fonctionnait
chaque jour sur nos places publiques, que le
sang innocent coulait réellement à pleins
ruisseaux et que d’ignobles bourreaux dan
saient sur les cadavres, notre saint curé,
environné de quelques fidèles venus au péril
de leur vie, célébrait les saints mystères et
priait avec ferveur pour le salut de la France
opprimée. , .
Un jour sa pauvre tète, accablée sous le
poids des ans et du chagrin, se courba da
vantage, il sentit un froid mortel envahir ses
membres. Il appela son serviteur et lui dit:
—— « Paul, je sens que je vais mourir, mais
Dieu m’a révélé que c’est toi qu’il a choisi
pour recevoir le don qu’il m’a accordé pour
guérir. Ecoute, ô mon ami, et sois attentifä.
mes paroles... »
A
A
A
A
DE JEAN SEMPÊ 57
Le vieillard parla longuement et quand il
eut fini, il s’éteignit doucement dans le Sei
gneur.
Les fréquentes visites de Jean Sempé à.
Paul Barraque furent remarquées des gens
de la commune, et bientôt le bruit se répan
dit que lui aussi était devenu magicien.
Le curé de Bénéjac, qui aimait beaucoup le
jeune homme, le pria de venir au presbytère :
il avait une importante communication a lui
faire. Jean accepta l’invitation et se trouva
avec tous les prêtres du canton qui l’entou
rèrent curieusement.
M. Navarra, curé de Bordères, s’avança
vers lui en souriant :
—— « Est-ce avec Lucifer ou Béelzébuth,
« dit-il, que tu as fait un pacte ?
— « C’est avec Jésus, répondit Jean, avec
« mon Dieu, qui jusqu’à ce jour m’a gardé
« de tout mal; avec Marie, ma mère, qui me
« protège contre les embûches du démon. »
En prononçant ces paroles, la figure de
Jean semblait illuminée, son œil était arden
et son sourire comme empreint d’un infini
sentiment d’amour divin. .
Tous les prêtres présents, qui ne cher
chaient que 1’0ccasion de se moquer et de
rire a ses dépens, devinrent sérieux et ne
58 BIOGRAPHIE
purent s’empêcher d’admirer Jean Sempé.
A partir de ce jour, on essaya par tous les
moyens de le faire entrer dans le sacerdoce
ou tout au moins d’en faire un moine. Avoir
dans le sanctuaire un thaumaturge qui dé—
tournait les orages, arrêtait la grêle, guéris
sait les malades, ou du moins passait pour
tel aux yeux du vulgaire, quelle aubaine 'et
quelle enseigne pour la confrérie! Il fallait
tout tenter pour gagner une telle, recrue 1
Mais Jean déclina cet honneur avec la
plus grande énergie; il savait le chemin qu’il
avait à parcourir dans la vie; nul au monde
ne pouvait l’arrêter.
L’évêque de Bayonne lui garda rancune de
ce refus, comme nous le verrons plus tard.
Ce fut au mois de mars 1847 que Jean eut
la douleur de perdre son maître bien—aimé,
Paul Barraque. Le vieillard mourut entre
ses bras, lui donnant la même bénédiction
qu’autrefois lui«même avait reçue du saint
prêtre. '
En cette même année 1847, Jean vit pour la
première fois le commandant Lafforgue,
dont la réputation était répandue dans toute
l’Europe. Mais le proverbe qui dit que nul
n’est prophète en son pays est toujours vrai.
Ses compatriotes le traitaient de charlatan,
DE JEAN SEMPÉ 59
rI-rrmvrm ‘ - —>
de sorcier, malgré les guérisons nombreu—
ses qu’il opérait chaque jour.
Jean ne doutait pas de sa puissance, il en
avait déjà ressenti les heureux effets. Il dési—
rait lui témoigner toute sa reconnaissance
et son admiration; il voulait connaître, s’il
était possible, les moyens dont se servait le
commandant pour guérir.
Cet homme extraordinaire vivait en véri—
table anachorète, toujours enfermé dans sa
petite maison, dont il ne sortait que pour
aller à l’église. Il se nourrissait à. peine et
travaillait sans cesse.
Pendant toute la semaine, son humble
habitation, dès six heures du matin, était en
combrée par les nombreux malades, que l’on
amenait de tous les points de la France et
même de l’étranger. Un en trouvait partout,
et dans le corridor qui menait à sa chambre,
et jusqu’au fond de son petit jardinet. En
vérité, c’était un étonnant spectacle que cette
extraordinaire affluence.
Apeine le commandantparaissait—il, qu’aus
sitôt régnait le plus profond silence.
Assis sur son fauteuil, en milieu de ses
nombreux clients, il leur faisait faire la
chaîne magnétique; puis, son livre de prière
à: la main, il commençait une séance, qui
:m V
60 BIOGRAPHIE
durait environ deux heures. Il faisait ensuite
asseoir chaque malade a tour de rôle dans
son fauteuil, étous il imposait les mains en
prononçant quelques paroles. Il faisait un
signe de croix sur les uns, soufflait sur les
autres de la tête aux pieds, et ainsi de suite
jusqu’au dernier.
Laissons la parole à Jean lui-même pour
la narration de cette singulière visite, qui
devait compter dans sa vie.
< Ce fut mon ami le cordonnier Maumas
« qui me conduisit et me présenta.
« Il me semble voir encore ce beau vieil
« lard, a la chevelure de neige, a la figure
« si fraîche, à. la voix si douce.
« Il nous fit les honneurs de sa petite
maisonnette, et nous admirâmes a loisir
dans la salle des malades une étonnante
quantité de cannes et béquilles de toutes
grandeurs. Il y en avait plus de trois cents.
Chacune avait son numéro d’ordre, avec
le nom et le prénom de la personne gué
rie;
« A la muraille se trouvait pendu un grand
tableau, représentant Jésus guérissaut
« l’aveugle-né. _
« De la, Lafi'orgue nous fit passer dans sa
« chambre a coucher, ornée des nombreux
4\AAAAAA
A
DE JEAN SEMPÉ 61
FI!“ "‘
.AAA portraits de grands personnages de tous
pays. C’étaient autant de souvenirs de
reconnaissance pour les guérisons obte—
nues.
< Et comme il nous expliquait avec la plus
grande bonhomie qui étaient ces person
nages, je ne pus m’empêcher de lui dire :
— « En vérité, M. le commandant, quand
Dieu vous rappellera vers lui, ce sera
t grand dommage pour ceux qui resteront.
« Il parut réfléchir profondément pendant
<< une minute, puis me regardant fixement
AAAA‘.
A
(
(
(
«
et me frappant familièrement sur l’é-.
panic:
—- « Que diriez—vous, me répondit—il, si
c’était vous qui deviez me remplacer un
jour?.. Avant de mourir, je dois voir mon
successeur... Il me semble que bientôt je
quitterai cette vallée de larmes...
« Ces paroles, après ce que m’avait déjà
dit Paul Barraque, me causêrent une
impression profonde.
« Je crus a ma mission.
« Enfin, vint le moment de la séparation.
Jusqu’au dernier instant, le commandant
me témoigna l’affection la plus tendre et
m’invita chaleureusement à venir le voir
plus souvent.
62 BIOGRAPHIE
« Je le remerciai vivement et lui répon—
< dis:
— c: Oui, si Dieu le permet. -
< Dieu ne le permit pas, car jamais sur
c cette terre je ne revis le commandan
« Lafl‘orgue. »
CHAPITRE III
Ethnge vision au château Desparbasque. — Prédiction
sur Leui&Napoléom — L’abbé Lacroix et son livre de
magie.-m
Six mois après cette remarquable entrevue
avec le commandant Lail‘orgue, Jean se trou
vait au château de Mme Desparbasque. Il y
travaillait tout le jour de son état de menui
sier, et la journée terminée, la châtelaine,
qui l’estimait, le priait de passer la soirée
avec elle pour parler de choses et d'autres.
Or, un soir (c’était le 16 octobre 1847), la
châtelaine et l'ouvrier devisaient, lorsque la
porte du salon s’ouvrit tout a coup et une
belle demoiselle, que Jean Sempé n’avait
jamais vue, apparut.
Laissons encore la paroleà notre héros:
4 Je ne sais pourquoi je fus ébloui par
4. cette apparition, c’était moins a cause de
c la richesse des vêtements qu’à. cause de
q l’éclat et de la dignité de cette figure angé
9 lique.
64 BIOGRAPHIE
î
hAh
AAGAGAAAAAA
« Je crus que c’était une grande dame qui
venait visiter Mme Despàrbasque, etje me
levai aussitôt par discrétion pour laisser
la place libre.
( Mais la demoiselle, d’un geste impérieux,
me dit :
— c Restez, je n’ai rien de particulier à.
dire à. Madame et je suis bien aise de vous
voir et de vous parler. Restez, je vous en
prie, vous me ferez plaisir.
« J’obéis, et nous parlions à. peine depuis
cinq minutes de choses indifférentes, lors
que la demoiselle s’arrêta et devint immo
bile. Ses yeux fixes me regardaient d’une
façon si étrange, qu’un frisson subit me
pénétra de la tête aux pieds.
— < Jean, me dit Mme Desparbasque,ne
craignez rien, Mademoiselle se nomme
Julie Bambalaire; son père, conseiller a la
cour, l’avait mise en pension au couvent
d’Oloron; elle en est revenue très malade
et pour ainsi dire désespérée des méde
cins. Le commandant Lafi'orgue a entrepris
sa guérison et dans ce but la magnétise
même a distance. C’est sans doute une de
ses crises qui lui arrive et ce n’est pas la
première fois qu’elle tombe ainsi subite
ment en extase, n’importe où elle se
DE JEAN SEMPÉ 65
I.àà
trouve..... Ecoutez, elle va nous parler.
< J’avoue que je ne croyais pas encore
bien fermement à tous les faits extraordi
naires que produit le magnétisme etj’étais
heureux de trouver l’occasion de dissiper
mes doutes. C’est pourquoi je touchai légè
rement le bras de la jeune filie, la priant de'
nous adresser quelques paroles.
. c Aussitôt sa figure s’illumine, ses yeux
QIAAA«R
.RÀAI
deviennent brillants et regardent fixement
du côté de mon épaule droite, elle semble
pétrifiée, on dirait une sainte en extase.
— « Que voyez-vous? lui dis—je.
c Un ange du Seigneur.
c Que fait—il?
« Cet ange, me répond—elle avec un
inexprimable sentiment d’amour et de joie,
ce bel ange' est votre ange gardien : il me
dit le bien que vous ferez en ce monde avec
celle qui doit être votre épouse et que je
vois aussi. Elle vous sera entièrement dé
vouée.....
« Ces paroles me causèrent une pénible
impression, car je n’avais nullement l’in
tention de me marier. L’année précédente,
le 16 octobre 1846, j’avais même fait le vœu
de renoncer à toutes lesjouissances de ce
monde, pour me consacrer entièrement au
4.
66 ' BIOGRAPHIE
« soin des malades et à. la conservation des
c fruits de la terre.
«x L’extatique lut sans doute ma pensée,
< car elle me dit :
— « Ce vœu, que vous avez prononcé sans
consulter personne, n’est pas valable aux
yeux de Dieu et n’a été qu’une tentation du
démon pour vous perdre. Je vous en relève
au nom de Dieu et votre ange, que je vois,
m'approuve. Ecoutez encore, car il m‘or«
donne de vous prédire les principaux actes
de votre vie.
c- Vous aurez de terribles épreuves et vous
souffrirez beaucoup ; mais ayez courage,
ce sera pour la plus grande gloire de Dieu
et le salut de vos frères. Voyez vous-mé
me celle qui vous est destinée.....
c Pendant que Julie parlait, un grand trou
< ble s’empara de mon esprit et je tombai
aussi en extase.
c Je me trouvai transporté dans une pau
vre petite chambrette bien triste et bien
froide. Dans un coin, sur un lit de souf
france, gisait une jeune fille de vingt-deux
ans, malade depuis l’âge de six ans. '
—— « Voilà, me dit une voix que je ne re
connus pas, voilà. celle qui sera ton épousa.
c tout ce qui se passe ici bas est préconçu
.ÂOQGAA
QGGA.AAAQ
A
"u{__ ..
DE JEAN SEMPE 67
I
dans la divine pensée de la Providence, il
faut se conformer à cette volonté sainte et
lui obéir. Ton vœu de célibat est contraire
à ce dessein...
« A peine ces mots étaient-ils prononcés
cr que je revins à moi : j’étais toujours dans
«1 le salon de Mme Desparbasque et Julie
1 Bambalaire me regardait avec la même
s fixité.
— ut Avez-vous vu ? êtes-vous convaincu?
me dit—elle. Ce n’est pas tout :je vais vous
dire la route extraordinaire que vous aurez
à. suivre en ce bas monde. Je la vois qui
se déroule devant mes yeux comme un
vaste tableau.
« Voici d’abord une immense forêt remplie
d'animaux féroces et de bêtes venimeuses,
puis un grand lac aux eaux agitées..., au
loin des arbres chargés de fruits..., une
petite habitation..., un homme seul et sans
défense, entouré d’une bande de voleurs,
qui, après l’avoir dépouillé et mis dans une
nudité complète, le frappent et le déchirent
( avec leurs ongles... ils l‘abandonnent...,
( un seul reste pour savoir ce qu’il devien
c dra... Je vois aussi une énorme barrière
c difficile à franchir..., au—delà un lieu de
c repos et de bonheur... Autour du tableau,
I...
AAIA..Q.I.I
68 BIOGRAPHIE
c je‘ vois inscrit en grandes lettres de feu;
Akâlhûhh
GAàhARARaAR
A
c Celui qui croira et sera baptisé, sera
sauvé. Sa foi sera récompensée par d’éton—
nants prodiges : il chassera les démons
en mon nom; il parlera un langage nou
veau; il prendra les serpents à pleines
.mains et sans péril; s’il boit du poison,
il n’en éprouvera aucun mal ; à l’imposition
de sa droite les malades recouvrepront la
santé. (Marc, XVI, 18.) _ .
c Toutes ces choses merveilleuses que je
raconte me sont clairement expliquées...
« Jean Sempé, écoute: dans trois mois tu
auras en toi la puissance de commander
aux éléments de la nature, qui te sera son
mise. Tu dompteras les démons, tu vain
cras les maladies et les fléaux destruc—
teurs de l’humanité... Tu iras dans le
monde non pour jouir de ses plaisirs,
mais pour faire du bien à. ceux—mêmes qui
te persécuteront. Les prêtres te renieront,
tu éprouveras toutes sortes de calamités.
Après cette période de souffrances cruel:
les, tu feras des épousailles plus belles.
que celles des plus puissants rois de la
terre.
« Comme un vrai disciple de Jésus, n’aie
ni sac, ni argent; Dieu pourvoira a tes
7 , _ ‘.*..
DE JEAN SEMPE 69
lAA‘-’«‘ÀA
.AGk‘
besoins et te fournira le pain de chaque
jour. N’est-il pas écrit dans l’Evangile :
Ne vous inquiétez pas de votre vie? L’oiseau
du ciel ne sème, ni ne récolte, ni ne ra
masse, et le Père qui est dans les cieux le
nourrit; à plus forte raison nourrira—t-il
ceux qui sont plus que ces petits moineaux.
< La forêt remplie de ronces et d’épines,
les bêtes sauvages et les serpents veni—
meux qui la peuplent, te représentent les
hommes faux, méchants et jaloux qui te
poursuivront de leur haine et de leurs
calomnies jusque devant la justice, et qui
te traiteront de magicien, de sorcier et
d’escroc. Tu seras, comme Joseph, trahi
et vendu par tes frères; mais ceux-ci en
seront cruellement châtiés et dans leur
malheur, ils n’auront d’autre recours que
toi qui leur pardonneras volontiers.
« Le lac aux ondes bouillonnantes, c’est
la mer orageuse sur laquelle tu feras nau
« frage, mais tu ne périras pas, ni aucun de ‘
A
*ÂAk
ceux qui seront avec toi.
« Prends garde a cette maison solitaire,
elle est remplie de brigands qui veulent
attenter a ta vie; repousse ces fruits aux
apparences si trompeuses, ils renferment
le poison le plus violent. Mais ces entre
70 BIOGRAPHIE
< prises criminelles tentées contre toi ou les
« tiens ne réus‘siront pas. Une seconde fois
« tu seras traduit en justice, puis relâché,
« enfin on te dépouillera de tout ce que tu
< possèdes...
< Tes derniers jours seront heureux ttu
« mourras plein de jours et de bonnes ac
« tions...
« Ayant dit ces mots, Mile Julie Bamba
< laire se leva pâle et tremblante, et quitta
a: le salon sans dire un mot, sans jeter un
« seul regard sur les témoins de cette scène
< émouvante. :n
_ On peut deviner facilement combien Jean
Sempé dut être ému par cette étonnante
révélation et par cette vision surnaturelle de
l’avenir. Son âme était partagée entre un
sentiment d’infinie reconnaissance envers
Dieu pour tous ses dons et un sentiment bien
naturel d’épouvante, en prévision des maux
qui devaient l’accabler. Parfois même le
doute entrait dans son cœur et il ne savait
plus que penser. ' '
Mme Desparbasque, qui ne semblait pas
trop surprise de cette vision extraordinaire
et de ces paroles mystérieuses, chercha a
arracher Jean Sempé à. toutes ces pensées
contradictoires, qui se heurtaient dans son
DE JEAN SEMPÉ 71
esprit et qui pouvaient lui faire beaucoup
de mal. .
— < Mon ami, lui dit—elle, il est un moyen
« facile de contrôler la vérité de toutes ses
cr assertions. Qn s’occupe beaucoup en ce
cr moment de- Louis-Napoléon Bonaparte.
< Dites-moi donc ce qu’il fait et surtout ce
. « qu’il fera. ' _ '
—— « Vous avez raison, Madame, répondit
« Jean, demain vous saurez si je puis répon
« dre a votre demande. »
Puis il présenta ses civilités a la châtelaine
et se retira chez lui.
A peine entré dans sa chambre, il se jeta
a genoux et fit une longue prière, demandant _
à son ange de lui donner cette preuve de
mandée de sa mission. Après quoi, sans
s’inquiéter davantage, il se mit au lit et s’en
dormit paisiblement. '
Pendant son sommeil il se sentit transporté
(est-ce réellement ou en songe! il ne le sait
pas) en Angleterre, à l’endroit même ou rési«
dalt Louis-Napoléon.
Le prince rentrait dans son appartement
particulier, il était triste, il s’avançait vers la
muraille ou se trouvait appendue une grande
carte de France, il se demandait : Quand
donc reviendrai—je en ce beau pays?
7a _ BIOGRAPHIE
K_J.
Jean, qui voyait toutes les pensées du
prince comme a travers un pur cristal, en
tendit une voix mystérieuse qui répondait:
—— « Dans quatre mois il sera en France!...
« Et dans trois mois, toi—même auras une
« puissance plus grande et plus durable. a»
Le lendemain, il raconta à Mme Despar—
basque tout ce qu’il avait vu et entendu en
songe: Louis—Napoléon, échappé du fort du
Ham, était,maintenant en Angleterre, dans
quatre mois il serait de retour' en France,
Louis-Philippe déchu, la République procla
mée, le prince élu et dans quatre ans il serait
empereur.
Mme Desparbasque, étonnée de la préci
sion de certains détails de cette prophétie, »
détails que Jean ne pouvait connaître par lui
mème, ne douta pas un seul instant de sa
réalisation future, et en écrivit directement a
Louis-Napoléon Bonaparte, qui répondit par
une lettre de remerciements et de belles pro—
messes. ' ,
LOrsque tous ces faits prédits furent ac—'
complis a la lettre, le prétendant devenu son
verain oublia son obscur prophète.
L’épreuve imposée à Jean par Mme Des-î
perbasque avait entièrement réussi a sa sa
tisfactiôn, aussi n’hésita-t-elle pas à confier
‘ DE JEAN SEMPÊ 73
a son ami un grand secret, qui disait-elle,
devait la rendre extraordinairement riche.
Un certain abbé Lacroix, prêtre interdit du
diocèse de Bayonne, se livrait aux pratiques
occultes de la magie et avait promis à
Mme Desparbasque de lui faire. trouver un
trésor magnifique, si elle pouvait lui procu
rer un livre écrit par un magnétiseur du
xr= siècle et presque impossible a trouver,
et qui existait 'néanmoins, disait-il, il en
avait la conviction, mais le temps et les
moyens suffisants lui faisaient défaut.
Mme Desparbasque demanda et chercha
partout ce précieux volume, sans pouvoir le
trouver. __
‘ Or, l’abbé Lacroix, qui n’était qu’un faiseur
de dupes, possédait le volume. Il s’entendit
avec un colporteur du nom de Dupont et lui
expliqua comment il fallait s’y prendre. Ce
lui—ci, aussi peu scrupuleux que l’abbé, se
rendit au château, et le fameux manuscrit
qui ne valait pas deux sous, fut vendu
trois cents francs l - .
Jean Sempé devina l’escroquerie et se mit
a la recherche de l’abbé Lacroix. Il ne l’avait
jamais vu et cependant il le reconnut se pro
menant dans une des rues de Pan.
Jean l’arrête et l’interpelle.
74 BIOGRAPHIE
— « Pourquoi ne venez—vous, plus chez
,, Mme Desparbasque?
— « J’ai tant d’affaires, réponditdl, mais
( demain j’irai sans faute. »
Là dessus les deux hommes se séparèrent,
mais Jean n’avait pas fait dix pas, qu’éclairé
subitement par une lumière surnaturelle, il
vit que les projets de l’abbé Lacroix étaient
bien différents des paroles qu’il venait de
prononcer. Il devait partir dès le soir même
et prendre la fuite pour cacher toutes ses
escroqueries et fuir la justice.
Alors Jean invoque son ange et condamne
l’abbé a ne pas sortir de sa chambre jus
qu’au lendemain matin. Ce qui arriva, en
effet, quoi que fit le voleur pour partir.
Le lendemain à la première heure, Jean
arrivait, disait à l’abbé tout ce qu’il pensait
de lui et le forçait, sous peine d’être arrêté
al’instant même, a remettre les trois cents
francs volés. Le prêtre, qui avait passé la nuit
dans des transes épouvantables, ne scie fit
pas répéter et paya. '
Alors, il put aller où bon lui semblait et
c’est ainsi que Mme Desparbasque recouvra
son argent et accorda toute sa confiance a
son ami, Jean Sempé, qui la défendait si bien
des voleurs.
1—‘-— '—-a
CHAPITRE [V
Pouvoir de vaincre les tentations les plus délicates. ——
Manière de procéder. — Laflorgue veut l’imiter. — Les
sujets de Jean Sempé. — Michel Carreau. — Guérisons
nombreuses. — Les revenanls du château de Navaille.
—- Trésor perdu. — Ricard le magnétiseur. — Séancrs
publiques.
Comme les saints des premiers jours,
Jean Sempéa été en butte attentes les Vexa
tions,.à toutes les persécutions, mon seule—
ment de la part des hommes, mais encore
des puissances de ce' monde, qui sont les
démons. .
.Il a été soumis aux tentations les plus
terribles et les plus délicates, et par la grâce
de Dieu toujours il en a triomphé. .
Pour le récompenser, Dieu lui a fait le de
spécial de vaincre dans les autres ces ten
tations presque irrésistibles, auxquelles tout
le monde sans exception est soumis et qd
76 BIOGRAPHIE
chaque jour font tant de victimes et causent
tant de malheurs irréparables!
Combien de personnes seraient heureuses
de savoir avec quelle facilité Jean Sempé
peut délivrer un jeune homme, par exem
ple, des poursuites honteuses d’indignes
créatures, ou bien une jeune fille de ces
séductions machiavéliques, parfois si diffi
ciles à empêcher et qui déshonorent le
foyer. Qu’on s’adresse a lui en toute con
fiance et sûreté : les secrets seront bien
gardés et toute personne sera délivrée in
failliblement et malgré elle, s’il le faut, de
ces occasions fâcheuses, de ces rencontres
fatales qui causent tant de désespoirs dans
les familles. C’est ainsi que le 21 novembre
1847, il sauva une jeune fille d’une des plus
honorables maisons de Pau, des obsessions
et des intrigues d’un comte espagnol.
Le 1er décembre de cette même année, Jean
abandonne son état pour aller à Pau conti
,nuer ses mystérieuses, guérisons. Nous di—
sons mystérieuses parce qu’il se cachait
lui-même : il ne voulait pas être connu de
ses malades et cherchait auparavant à. bien
se rendre compte de l’étendue de ses pou
voirs.
Voici quelle était sa façon de procéder:
DE JEAN SEMPÉ 77
p.5.— ---.--5_.- . — . .r- 7'
il se faisait donner le nom et le prénom des
personnes malades qui recouraient a lui et
mettaient leur confiance en Dieu. Après
avoir lu ces noms, il tombait a genoux et
restait de longues heures en prières.
Le lendeînain au plus tard, les malades
se trouvaient beaucoup mieux et entraient
en convalescence. C’est ainsi que jusqu’au
mois de mai 1848, il en guérit plus de mille.
Pour se soustraire à la reconnaissance
de tous ces braves gens qu’il avait soulagés
' de leurs maux, Jean alla demeurer à. Arudy,
a 25 kilomètres de Pan, sur la route d’Eaux
Bonnes. Il y guérit aussi grand nombre de ‘
malades.
Le commandant Lafl‘orgue, a la nouvelle
de ces étonnants prodiges, voulut savoir
comment il opérait et s’adressa en consé
quence à son sujet, Julie Bambalaire, qui
répondit sans hésiter que Jean Sempé bénis
sait tout simplement de l’huile et du sel. Le
commandant en fit l’expérience et fut telle
ment Satisfait des résultats, qu’il ne voulut
plus employer d’autres moyens. ,
De plus, le bon commandant fit offrir à
Jean Sempé d’achever son éducation magné—
tique et de le mettre a l’abri de toutes les
malveillances, en l’envoyant a ses frais dans
78 BIOGRAPHIE
la ville de Paris, près du baron du Potet, qui
était dans tout l’éclat de sa renommée et que
l’on appelait le roi des magnétiseurs. Jean
répondit qu’il devait accomplir, non sa v0-.
lonté, mais celle de Dieu dont il n’était que
l’humble serviteur, qu’il avait une mission
dont rien ne pouvait le détourner. Quant aux
persécutions auxquelles il se savait voué,
il les attendait de pied ferme, sachant par
avance qu’il sortirait vainqueur-de toute
épreuve, loin d’en être accablé. >
Quiconque a bien souffert ne compatit que
mieux aux souffrances d’autrui. La douleur
est le creuset où l’or de la charité s’épure.
Parmi les nombreux malades qui s’adres—
sèrent a lui; Jean distingua quatre jeunes
personnes, que leur tempérament rendait
sensibles au fluide magnétique et a l’extase;
il en fit ses quatre sujets qu’il forma avec
le plus grand soin. Il y en avait deux sur—
tout qui étaient rémarquables par leur finesse
de perception et leur lucidité extraordinai
res. La première jeune fille se nommait Marie
Lasserre, alors ,âgée de vingt-deux ans et
qui plus tard devait devenir l’épouse de Jean
Sempé; la seconde s’appelait Marie Bur—
guet. -
Au commencement de chaque séance qu’il
DE JEAN SEMPÈ 79
donnait, Jean endormait ses quatre sujets,
puis, au moyen de la suggestion mentale,
il leur donnait l’ordre et la puissance de
guérir telles ou telles personnes qu’il indi
quait. Alors celles-ci se levaient a tour de
rôle, allaient près du malade désigné, lui
faisaient sur la tète l’imposition des mains
et se retiraient précipitamment en secouant
leurs mains, comme pour se dégager elles-’
mêmes du_mal dont elles avaient débarrassé
V le patient. '
Un soir que Jean, assis devant sa porte,
se reposaient des fatigues d’une laborieuse
journée, quatre jeunes gens vinrent à. pas
ser. Ils allaient à Pau contracter un engage—
ment militaire. .
Jean ne les connaissait ni les uns ni les
autres, mais éclairé par son ange fidèle, il
interpelle l’un d’entre eux : .
-—— 4 Eh! Lacoste, s’écrie-Hi, où allez—vous?
« Venez ici,je vous prie,j’ai une confidence
« à. vous faire. » ‘
Le jeune homme étonné, fasciné par le
regard de Jean, le suit docilement. Jean lui
expliquela sottise immense qu’il va commet
tre, lui fait comprendre qu’il n’a nullement
la vocation de soldat et que son départ va
faire mourir sa mère de chagrin.
80 BIOGRAPHIE
— « Au nom de Jésus, ajoute-HI, je te
« défends de t’engager. »
A ces mots, le jeune homme tombe en ex
tase et dit :
— 'c Jean Sempé, n’oubliez pas ce que l’on
« vous a dit il y a un an... Maintenant lais.—
« sez—moi rejoindre mes camarades, qui
« s’inquiètent de mon absence. n
Jean se rappela en effet que c’était dans
troisjours que la prédiction qu’on lui avait
faite serait accomplie : Le 16 janvier 1848, il
devait devenir grand magnétiseur ou plutôt
grand guérisseur. ‘ V
Il réveilla Lacoste qui ne se souvenait
plus de ce qu’il avait dit, il écrivit au père
Lacoste qui acheva de convaincre son fils,
le ramena a la maison et ainsi l’empêcha de
partir pour le régiment par suited’un coup
de tête irréfiéchie.
Ce même jour, Jean devait recevoir un
nouvel avertissement.
Un jeune homme du nom de Michel Car—
reau, né à Auch et demeurant à. Pau, fau—
bourg de Jurançon, amena à Jean Sempé,
afin qu’il le guérit, un de ses amis, Arthur
Lebon, atteint de phtisie pulmonaire.
Jean fait asseoir devant lui le pauvre
’ .‘...»’Η‘..n....—... Mu.-n————— ‘ —“4
DE JEAN SEMPÉ 81
'““"‘“'
apprenti boulanger et prononce tout bas ces
paroles : -
— « ‘Au nom de Jésus, sois guéri! »
Le jeune homme, comme mû par un res—
sort, se lève, d’un seul bond gagne la porte
et se sauve a travers champs.
Michel Carreau se met à rire et 'dit d’un
air narquois :
« - < Je ne crois pas à. toutes ces baliver
« nes. Tiens, Jean Sempé, endors-moi, si tu
Ë peux, et guéris—moi d’une grosse maladie
« que j’ai, la maladie de... la pauvreté. »
—- « Tu veux te moquer de moi, répondit
« Jean en le prenant pas la main, et le re
« gardant fixement. »
Aussitôt Michel tombe dans une crise épou—
vantable : le mal d’Arthur Lebon l’avait
saisi alla gorge et dans tous ses membres.
Il se roulait sur le plancher, se tordait les
bras en poussant des cris affreux ; sa figure
livide et ses yeux d’une fixité effrayante lui
donnaient un aspect terrible.
Maumas, l’ami de Jean, entra au moment
de cette scène. Il venait consulter à. cause
de son enfant qui était très malade. Il aida
Jean à relever Michel Carreau et ils l’étendi
rent sur un lit. '
‘ Jean Sempé fit dans son cœur une courte
5.
82 BIOGRAPHIE
prière et se mit en devoir de conjurer l’es—
prit maudit et de rendre Michel a son état
naturel, lorsque celui-ci lui adressa ces
étranges paroles : ‘
— « Mon esprit n’est plus de ce monde...
« Jean, Sois heureux, je t’annonce qu’au—
« jourd’hui même s’accomplit la prédiction
« qui t’a été faite. Désormais tu es un puis
« sant magnétiseur, tu commandes à. la na
« ture entière et rien ne sauraitte résister...
« Et vous, Maumas, allez chercher votre en
« fant qui souffre,je le veux...»
Maumas ne se fit pas répéter l’ordre, il
revint en courant, sa petite fille dans ses
bras, et la déposa, grelottante de fièvre et
prête a rendre le dernier" soupir, sur le lit
Où reposait Michel. Il avait=pleine confiance,
car il savait que Michel ignorait la maladie
de son enfant. '
— « Ecoute, Jean Sempé, dit le, voyant, je
« vais t’apprendre la manière d’imposer les
« mains. Etends la main gauche en l’ap
« puyant légèrement sur la tête du patient;
« de la main droite fais un signe de croix sur
« le front et dis mentalement : Au nom de
« Jésus, sois guéri! »
Jean fit comme on lui disait et la petite
fille, âgée de trois ans, et qui depuis un
DE JEAN SEMPÉ ' 83
.«‘.-*' 0
an s’étiolait se trouva 'entièrement guérie- '
Impossible de dépeindre lajoie et la recon
naissance de Maumas, en voyant son pauvre
enfant lui sourire et l’embrasser. Il était
comme fou, il partit sans fermer les portes,
pour rendre son précieux fardeau à la mère,
qui pleurait et croyait sa fille morte.
—— « C’est ainsi, continua Michel Carreau
« toujours en extase, que tu devras agir à
« l'égard de tous les malades qui viendront
« te trouver et tu les guériras... »
Jean réveilla son nouveau sujet et tous les
soirs de cette semaine, qui se trouvait être
la semaine sainte, il le plongeait dans une
nouvelle extase et Michel racontait la Pas
sion du Divin Sauveur, et Jean écrivait sous
sa dictée.
Ce curieux travail, que Jean conservait
précieusement dansl’intention de le publier,
lui fut unjour dérobé par le baron de Gaza—
mayrac. Malgré toutes ses réclamations et
ses recherches, il n’a pu le retrouver. Ce
fut pour lui une perte fort sensible, car ce
petit opuscule renfermait des choses inté—
ressantes au point de vue évangélique et qui
ne sont racontées nulle part.
Quelques jours après ces événements,
Jean sortait de chez son voisin Maumas,
84 BIOGRAPHIE
(.nn.___-__..«»»v
quand vint à passer, courant dans la rue et
poussant de grands cris, une pauvre vieille»
folle depuis longues années. A la vue de
Jean, la folle se précipite vers lui et lui prend
les deux mains pour les poser sur sa tête.
Jean comprend et dit:
— « Au nom de Jésus, sois guérie! »
Tout aussitôt la femme pousse un profond
_ soupir,jette un grand cri et reste un instant
étendue sans mouvement, mais bientôt elle
se relève et dit :
— « Merci, je suis sauvée! »
Et souriante, elle s’en retourne en chan
tant les louanges du Seigneur, qui l’a déli-.
vrée du démon. . .
Maumas avait une autre fille, âgée de. neuf
ans, d’une beauté et d’une intelligence re
marquables. Jean devine en elle“ quelque
chose de surnaturel, il la magnétisè et,,,l’en
faut lui indique avec une étonnante précis“r‘0n_
les remèdes et les moyens à. employer peur
la guérison des malades. Elle même guérit.
et instinctivement elle met la main a l’endroit
même où souffre le patient, y fait un signe
de croix et au nom de Jésus et de Marie elle
conjure le mal.
La baronne de Mesplée, entendant parler
des cures merveilleuses, que Jean opérait
DE JEAN SEMPÉ 85
dans les campagnes, en fut émerveillée.
Comme elle—même, depuis deux mois souf
frait horriblement d’un rhumatisme articu
laire, compliqué d’une fièvre chronique,
qu’aucun médecin n’avait pu guérir, elle eut
l’idée de faire venir Jean Sempé et envoya
sa servante le chercher. Jean consentit a la
suivre et en entrant dans la chambre de la
baronne, il vit sur la table une grosse somme
d’argent.
— « Prenez cet argent, lui dit la baronne,
« ce sont les honoraires du médecin qui
« vient ici trois fois par jour, prenez—les,
« mais guérissez-moi.
—- « Madame, répondit Jean Sempé,je ne
« veux rien pour moi, donnez plutôt à cette
a: enfant qui m’accompagne; ses parents
« sont pauvres. )
-Et Mélanie Maumas, sur un signe de la
baronne, prit l’argent et, courut joyeuse le
porter à sa mère. _‘
Alors Jeanse tourna vers la baronne et
lui dit : '
— « Votre aumône vous a sauvée. Au
« nom de Jésus, levez—vous! »
La baronne se lève et s’écrie :
— et Je ne souffre plus; merci, cher ami,
« quelle récompense voulez—vous?
86 BIOGRAPHIE
—— « Je vous le répète, Madame, vous ne
« me devez rien; je ne suis qu’un pauvre
« instrument. Remerciez Jésus et sa divine
« Mère, et n’oubliez jamais ce qu’ils vien
« ment de faire pour vous. » ‘
Pour le remercier, la baronne,_quelques
temps après, l’invite à venir, avec Maumas
et sa fille, passer quelques jours à son châ
teau de Navailles, situé a 14 kilomètres de'
Pan. ' _
Ce château est un vieux manoir historique,
comme on n’en voit plus guère aujourd’hui.
Il fut autrefois la demeure des princes de
Béarn. Construit sur le haut d’une colline,
il est abandonné depuis longues années et
ses murs en ruine sont,recouverts d’une
mousse épaisse de lierre tout’i‘u, où les cor—
beaux et les hiboux viennent bâtir leurs
nids.
Au dire des paysans, tous les samedis à
minuit, les fenêtres du vieux manoir s’illu—
minent et l’on entend des cris, des chants,
des cliquetis de chaînes. Nul au monde
n’ose s’en approcher, et malheur a l’impru
dent qui resterait, il ne reviendrait plus.
Jean, qui demeurait dans la maison de
campagne située au bas de la colline, en—
tendit raconter l’ef’frayante légende, il Visita,
DE JEAN SEMPÊ 87
n‘aime-w: r:'-w-v v ' * - '
les ruines pendant la journée et dit tout sim—
plement que, le lendemain samedi, il couche
rait dans la chambre rouge, celle où l’on
voyait les lumières nocturnes. ‘
l En effet, a minuit, Jean, avec son ami Mau
mas, visitait les sous-sols, lorsqu’ils entenë
dirent aux étages supérieurs un grand bruit
de chaînes, accompagné de chants funè
bres. Ils montent vivement et aperçoivent de
grandes ombres qui passent. Ce ne sont pas
des êtres vivants, mais Jean ne tremble pas
parce qu’il invoque le saint nom de Dieu.
Jusqu’à deux heures du matin, les deux
amis assistent à un étrange spectacle: les
mauvais esprits les auteurent et les menaa
cent, mais ne peuvent leur nuire. Enfin tout
disparaît et l’on n’entend plus dans la nuit
que le cri lugubre du hibou et le murmure
du torrent dont l’eau remplit les fossés du
vieux castel.
. Le lendemain soir, Jean retourna aux rui—
nes avec son sujet, la jeune Mélanie, le cha
pelain et la baronne. Il endort la jeune fille
qui demande au prêtre de bénir de l’eau.
Elle prend ensuite une branche de laurier
et s’en va, a travers toutes lespièces, jus
qu’au sommet de la tour, les aspergeant
d’eau bénite.
88 ' . BIOGRAPHIE
-—— « Attendez un peu, dit—elle, minuit va
« sonner et ne vous effrayez pas de ce que
a vous allez voir et entendre. »
En effet, un bruit épouvantable de cris et
de hurlements affreux s’abat sur le châ
teau, qui semble trembler jusque dans ses
fondements; les domestiques, qui portent
les torches, sont renversés à. terre; on voit
d’énormes lames de feujaillir dans les airs ;
une insupportable odeur de soufre et de
chair brûlée empeste l’atmosphère.
Mais Jean a prononcé le nom de Jésus et
tout se tait.
— ( Allons dormir maintenant, dit-il, les
< esprits infernaux ne viendront plus trou—
« hier cette demeure. »
Puis, prenant la baronneà part, il lui dit:
—--,1« Madame, le souterrain cache dans
ses profondeurs un riche trésor, je puis
le faire apparaître, si vous le voulez, mais
a la condition que je sois seul ici demain
à pareille_ heure. » .
Il est facile de comprendre que la baronne
insista vivement auprès de Jean pour qu’il
découvrit ce trésor et elle promit tout ce
qu’il voulut.
Jean, à. l’heure dite, revint au souterrain
avec Mélanie. Il avait quatre petites fioles
A
A
’4‘:
DE JEAN SEMPÉ 89
où se trouvaient renfermés, disait—il, quatre
esprits qui auparavant hantaient le château.
Il traça sur le sol un grand carré et a cha—
que coin déposa l’une des fioles, et, chose
merveilleuse, la terre, qui semblait dure
comme le roc, s’émietta en poussière fine et
déjà l’on voyait émerger le couvercle d’un
lourd coffre, lorsqu’un choc formidable se
produisit et le trésor rentra sous terre.
-— c Mme la baronne est la, disait Mé
« lanie, elle nous guette et 'elle veut notre
« perte. » '
En effet, cédant au désir cupide de pose-‘
der seule le fameux trésor, elle était venue
doucement, accompagnée de plusieurs do
mestiques, avec l’intention, lorsque le trésor
serait découvert, de faire chasser Jean
Sempé commelun vulgaire sorcier ou comme
un voleur pris sur le fait.
Jean sortit aussitôt et allant droit a la
baronne :’
— ( Madame, lui dit—il, votre avarice est
punie, et vous n’aurez rien. Je m’en vais,
mais prenez garde, si vous conservez les
{aux amis qui vous entourent, bientôt la
ruine tombera sur vous. Adieu! »
Quelques années après, en effet, .cette pré
diction s’accomplit a la lettre, car les pro
RflA
à
90 BIOGRAPHIE
priétés de la baronne furent vendues par
autorité de justice.
En 1848, Jean Sempé vint a Pau pour assis
ter aux fameuses séances du célèbre magné
tiseur Ricard. Toute la ville accourut pour
voir ces étranges nouveautés. Jean et son
sujet Michel Carreau allèrent donc au théâ
tre pour être témoins des merveilleuses opé
rations annoncées.
Après quelques expériences remarqua
bles, Ricard demande le concours d’un jeune
homme qui serait d’une faible constitu
tien.
-— « Allez donc, dit Michel Carreau à Jean
« Sempé, et l’on verra s’il peut vous endor
« mir. ) l -
Jean se lève et monte sur la scène.
— « Messieurs, dit Ricard, vous voyez ce
« jeune homme, il va dormir, nousdécrire
4 sa maladie et indiquer les remèdes qui doi—
« vent le sauver. ,» 1
Puis, se tournant vers Jean, il le regarde
‘ fixement dans les yeux et, au bout d’une mi
nute, ce n’était pas Sempé, mais Ricard qui
dormait profondément.
Le magnétiseur était magnétisé.
La foule se met à crier :
DE JEAN SEMPÊ 91
— « Il dort, Ricard 1... c’est un farceur l... »
Jean dégage ce sujet d’un nouveau genre,
puis descend tranquillement de l’estrade pour
regagner sa place. On l’applaudit a outrance.
Maître Ricard, tout confus, balbutie quelques
excuses devant le public et déclare la séance
terminée.
Le lendemain, Ricard fit prendre des rens
seigpements sur cet étrange jeune homme
qui. l’avait vaincu, et ses élèves lui apprirent
les choses étonnantes que faisait Jean Sempé
dans tout le pays. Il envoie aussitôt vers lui
airec prière de venir assister a une . séance
particulière dans sa maison du Pont—Neuf.
Jean n’y fait faute et aussitôt arrivé, les
douze élèves de Ricard, tous jeunes gens des
meilleures familles de Pan, l’entourent et
l’interrogent. Il s’assied de nouveau devant
le magnétise’ur‘ qui, c‘onstatant sa constitu
tion chétive, pense qu’il finira bien par le
dominer. C’est‘.pourqfioi il déploie toute la
puissance de sa volonté et... le voilà encore
endormi une deuxième fois. ,
.- Alors, Jean se lève et commande a Ricard
de ne pas bouger de l’endroit où il se trouve.
Pendant deux heures; en effet, le magnéti
seur reste immobile, ilne peut remuer ni
bras ni jambes; les élèves stupéfaits veulent
l
9‘2 BIOGRAPHIE
le faire avancer, il est plus pesant qu’un
rocher, plus immobile que la borne du grand
chemin. _
Les jeunes gens inquiets suppliant Jean de
le réveiller.
-‘— « Levez—vous, dit Jean Sempé. »
Et Ricard se réveille à l’instant, et l’on peut
juger de son ahurissement lorsqu’il apprit
la durée de son sommeil de plomb.
Professeur et 'disciples entourent Jean
Sempé et le prient de leur enseigner sa
science et de devenir leur maître.
— c Messieurs, dit—il, je n’agis pas par le
« magnétisme, quoique je le connaisse dans
« ses plus infimes ramifications. Ma puis
c sauce vient de plus haut et je ne dois pour
l’instant la communiquer et personne. Ma
mission ne fait que commencer. »
A
Quelques jours après, Michel Carreau dit
à Sempé :
—— ( Magnétisez—rhoi aussi animalement,
« comme vous l’avez fait pour Ricard, et
« donnons quelques séances publiques. 1.
Jean consentit, Ioua une salle et magnéti—
sait chaque soir son sujet, qui obéissait
d’une façon absolue à la moindre pensée de
Jean, et faisait tout ce qu’on voulait.
Les séances étaient gratuites et l’on venait
"-‘1rm A
DE JEAN SEMPÉ 93
en foule admirer des prodiges qu’on n’avait
jamais vus, que l’on ne soupçonnait même
pas.
Un des faits les plus remarquables était
l’extase religieuse. Le sujet prenait la phy—
sionomie du Christ, sa pose sur la croix,
prononçait des paroles enhébreu, que seuls
les savants pouvaient comprendre. Bien en
tendu, le sujet ignorait cette langue, et dans
le sommeil _extatique la parlait avec pu
reté. '
Depuis deux mois duraient ces séances
journalières, lorsqu’un soir le sujet endormi
s’exprima ainsi devant tout l’auditoire :
— « Jean Sempé, au nom de Jésus, fils de
« Dieu, je t’ordonne de cesser ces représen—
« tations qui ne servent qu’à amuser la foule.
c Ton pouvoir est maintenant indiscutable
« et tu as une autre mission à remplir, mis—
« sion divine, qui est le service de ceux qui
« souffrent. Renonce au magnétisme animal
« et par l’imposition des mains guéris ceux
« qui ont foi en Jésus! »
Jean obéit et commença dès le soir même
à calmer les souffrances du corps et celles
de l’âme.
CHAPITRE V
Guérison d'une épileptique. - Colères sacerdotales. —
Ricard veut se venger. — Un moqueur puni. -—- Une
borne infranchissable. — Musicien improvisé. —— L’abbé
Laporte. — Un désespéré. — Guérisons à distance.
Nous voici arrivés au commencement de
la mission extraordinaire, que Dieu a confiée
a Jean Sempé pour le bien de ses semblables.
Nous ne pouvons tout raconter, _car il fau
drait plusieurs volumes; nous choisissons
les faits les plus marquants, les plus authen
tiques, puisque l’on peut s’adresser encore
aux personnes qui ont été l’objet de ces
faveurs singulières ou témoins de ces gué
risons miraculeuses. _ '
Il en est beaucoup qui, a la lecture d’ac
tions si merveilleuses, crieront au men
songe, au charlatanisme. . ‘
Des miracles! qu’est-ce que c’est que ça?
il n’y en a plus. C’était bon du temps du.
t..t..i;;,à‘__r
DE JEAN SEMP ' . 95
Christ! Et encore! C’est'une concurrence à.
Lourdes, une nouvelle entreprise mercantile,
une folie ! '
Qu’importent ces calomnies à Jean Sempé?
Depuis longtemps elles passent sans l’attein
dre. C’est aux gens de foi qu’il s’adresse
seulement, à. ceux qui souffrent et qui vien—
dront le trouver quand même.
Il n’a pas dit son dernier mot et doit
accomplir des choses plus grandes encore,
plus invraisemblables. S’il souffre' qu’on
parle de lui dans la présente Biographie et
qu’on redise les faits du passé, c’est qu’il a
une raison supérieure, qui est l’ordre de
Dieu et le salut de ses frères. .
Après cela qu’on l’appelle insensé tant
qu’on voudra; les plus fous sont les aveu
gles volontaires. _ '
' Le don de Dieu pour lui ne serajamais une
source de fortune, puisqu’il refuse constam—
ment d’accepter quoi que ce soit pour les
guérisons obtenues par son entremise. Pau
vre il avécu, pauVre il mourra.
Souventes fois, soit par nécessité, soit par
volonté, il a passé des jours entiers sans
prendre aucune nourriture, il n’en ajamais
éprouvé nimal ni faiblesse. La grâce de Dieu
l’a toujours sentenu. ‘
96 BIOGRAPHIE
Sa famille était très vexée de le voir ainsi
refuser l’argent qu’on lui offrait de tous
côtés. ’
C’était cependant la une belle occasion de
se faire des rentes et il fallait être bien set
de ne pas en profiter.
C’est ainsi que s’exprimait le père Sempé
dans une visite qu’il avait faite a son fils.
—— « Si ce n’est pour toi, ajoutait-t-il,reçois
4: du moins pour moi et tes frères.
— « Mon père, répondit Jean,vos repro—
ches et votre colère ne s’expliquent pas.
N’ètes-vous pas assez riche et que inan
que-t-il a votre bonheur? Cet argent qu’on
me propose est mieux entre les mains des
pauvres. Pour moi, j’ai le strict nécessaire
et cela me suffit. Enfin, mon père, oubliez
« vous qu’on ne vend pas les dons de Dieu?
c Répétez ces choses a mes frères, à. toute '
« la famille et que je n’entende plus parler
( de si honteuses propositions. Adieu, mon
« cher père, embrassez votre fils et bénis—
« sez—le, car peut—être ne nous reverrons
« nous plus ici—bas. » ' '
Semblable a son maître, Jean n’a plus pour
famille que 1’Humanité. _ .
_ Après cet entretien décisif, Jean Sempé
venait de se retirer en sa chambrette, lors
AGAAAA
DE JEAN SEMPÉ _ 97
qu’on frappa à. sa porte. C’étaient deux jeu
nes filles. . _
— « Monsieur, lui dit l’aînée, nous avons
« entendu parler de votre bonté, je vous
« amène ma sœur Louise Praderas, elle est
« épileptique, guérissez-la, je vous prie. »
Jean appelle la maîtresse d’hôtel et lui dit
de préparer une chambre pour ces jeunes
personnes. Puis Jean achève une lettre qu’il
avait commencée pour Michel Carreau et la
pose sur le front de la jeune malade en
disant:
-— « Que ta guérison me soit un signe de
« réponse favorable a cette lettre. »
Louise tombe aussitôt en extaSe.
— «-Jean,'dit—elle, tu seras exaucé, car
cr a dix heuresje serai guérie. »
Et elle tombe a la renverse, en proie à une
crise violente.
Il était six heures du soir.
On la transporte dans la chambre prépa
rée.Jusqu’à dix heures, Jean reste en priè
res, demandant à la toute-puissance de Dieu
et a la bonté de Marie, d’avoir pitié de cette
pauvre enfant.
Dix heures sonnent et Jean s’entend appe
ler par son nom. Il tourne la tête et quel est
son étonnement! Louise, a genoux sur' son
6
98 ' BIOGRAPHIE
lit, pleurait de bonheur de se voir guérie.
Inutile de dépeindre la joie de ces deux
enfants qui baisaient les mains de leur bien
faiteur et ne savaient comment le remer
cier. .
De retour chez elles, le curé de la paroisse
apprend la nouvelle et fait mander au con—
fessionnal celle qui était coupable... de se
bien porter.
' —' « Comment! petite sorcière, lui dit—il en
'« colère, tu es allée consulter un magicien,
« tu as fait un péché mortel, tu es maudite,
« tu es damnée!
-— « Mais, mon père, il m’a guérie au nom
c: de Jésus, ce n’est pas avec ce nom qu’on
« fait œuvre de Satan.
— « Va—t’en, coquine, tu n’auras jamais
« l’absolution. »
Louise, tout en larmes, va tout dire a sa
mère qui l’envoie vers un missionnaire de
Bétharrafn.Celui—ci, plus libéral ou plus ins
truit, lui dit de ne pas s’inquiéter et que la
meilleure des raisons a donner c’est de coud
tinueràvivre en bonne santé, même malgré
M. le curé.
Jean n’en était qu’aux débuts de la perse—
cution sacerdotale et de la cabale jésuitique
dirigées contre lui. S’il se fut fait prêtre ou
-_L» ' . ÂÊiuæ.æ ' .LJŒ-"" _-“'3 In" "fiW-Ï’: ;’»'-Ë'»‘;‘Æ_
DE JEAN. SEMPÉ 99
moine, c’eut été un peu différent et toute la
gent dévote n’aurait eu qu’une voix pour dire
avec un touchant ensemble:
— « Oh! le saint homme! >>
Comme pour dom Bosco débarquant à
Saint-Sulpice, les femmes. auraient baise à.
deux genoux les franges de sa robe; mais
c’est un laïque qui ne travaille que pour le
bien de l‘Église, donc c’est un charlatan, un
maudit, un démon de l’enfer! Donc il faut
l’excommunier, le arder, le pendre, si faire
se peut! _
Ainsi, pour endormir Mélanie Maumas, il
employait un singulier moyen. L’enfant por
tait au cou une médaille de la Vierge.
Médaille et cordon étaient-ils magnétisés?
Nous Vignerons. T0ujours est-il que, dès que
Jean Sempé avait dit:
— « Fais ton devoir, Mélanie. »
Celle—ci prenait sa médaille en disant:
— « Je vous salue, Marie! »
Et aussitôt Mélanie tombait en extase. ,
Elle avait douze ans et sa mère l’avait
envoyée chez les sœurs pour apprendre son
catéchisme et se préparer à la première
communion. Mais les bonnes' sœurs, qui
savent tout, apprirent ce que faisait Mé
lanie.
100 BIOGRAPHIE
— _« C’est une petite possédée, dirent-elles,
« il l’autla guérir. >
La supérieure de l’établissement, accom
gnée du curé du lieu, s’en va chez la mère
de Mélanie.
— « Vous êtes bien imprudente, lui dit-elle
« de son air onctueux, vous, mère de famille,
« vous laissez votre fille aller seule et tous
« les jours chez un charlatan, un sorcier, un
« ami du diable!
—— «, Mais ma fille est un modèle d’o‘béis- _
« sance et si vous voyiez comme elle prie
« avec ferveur! Et puis, je connais Jean
« Sempé. C’est un saint.
—. « C’est le démon qui vous aveugle!
Vous et votre fille irez en enfer, si vous
ne la retirez promptement de la perdition.
Où est-elle maintenant? Chez lui, n’est—ce
ms? .
—9 « Oui, répond la mère.
—.- « Allez la chercher ou nous la chassons
« du catéchisme. »
La mère épouvantée accourut tout essou—
fiée chez Jean Sempé. ‘
— « Il parait que vous avez consacré l’âme
« de ma fille au démon, c’est du moins ce
« que m’a dit M. le curé. Elle ne viendra plus
« chez vous. »
AAAA
.>«:«L>_.«,z _.,,.,.,.
DE JEAN SEMPÉ 401
‘:‘ —-‘.. H..
Et en disant ces mots, elle s’approche de
' sa fille et lui arrache avec colère sa médaille
qu’elle jette dans le feu. Mélanie tombe en
extase et dit doucement à sa mère:
— « Chère maman, c’est bien mal ce que
« vous venez de faire. Vous étiez pauvre, et
<,< depuis huit mois, par la bonté decet homme,
je vous apporte toutes sortes de présents,
que me donnent les malades guéris et qui
vous procurent l’aisance. Ne soyez pas
ingrate et n’écoutez ni M. le curé ni la
supérieure que je vois chez nous, ou sinon,
pour vous punir, vous retomberez dans la
plus noire misère, mes soeurs se livreront
au vice et vous meurrez al’hôpital, aban«
donnée de tous et désespérée. Bien plus,
rien au monde ne pourra me tirer de mon
sommeil, si vous ne promettez a l’instant
même de me laisser venir ici comme par
le passé, et vous savez, mère, que je n’ai
jamais trompé dans l’état où je suis.»
La mère justement effrayée promit tout et
Mélanie fit sa communion comme les autres.
D’un autre côté, Ricard le magnéti seur‘gar
dait à Jean Sempé quelque rancune de sa
déconvenue et cherchait un moyen quelcon
que de se venger. Lui souffler son sujet,
Michel carreau, lui parut une idée de génie.
A
A
AAARAAflA
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«P
6.
402 BIOGRAPHIE
En conséquence, il fit proposer à. ce dernier
de lui donner cinquante francs, s’il voulait
se laisser magnétiser. Michel, qui n’avait
jamais en pareille somme a sa disposition,
y consent tout de suite et sans rien dire à.
Jean s’en va au rendez-vous assigné.
En ce moment Jean Sempé était chez lui
avec Mélanie, qui tout à. coup s’endort et
s’écrie: A
— « Tiens, Ricard qui cherche a endor—
« mir Michel. Il veut vous le prendre et prou
« ver atout le monde qu’il est plus fort
« que vous. Ce ne sera pas... Michel, viens
« ici! »
Ricard en ce moment faisait des passes
magnétiques. Quel n’est pas son étonnement
de voir Michel se lever et lui dire:
— « On m’appelle, il faut que je m’en aille
« à l’instant. »
On eut beau vouloir le retenir par tous les
moyens, il renversa tous les obstacles et
arriva en courant chez Jean Sempé:
—- « Pourquoi, petite sotte, m’as-tu empê
< ché de gagner cinquante francs‘.2 s’écria—t-il
« en colère. >
Mais Mélanie réveillée ne pouvait com
prendre.
C’est ainsi que cette petite fille commandait
DE JEAN SEMPÉ 403
tous les autres sujets, et ceux—ci, bon gré,
mal gré, ne pouvaient faire autrement que
d’obéir.
Un jour, Jean avait réuni une trentaine de
personnes pour vérifier des expériences
nouvelles. Mélanie debout, près d’un guéri
don, dit à Jean: A ‘
—— « On se moque de nous deux. C’est
« M. Ossons, votre ami, assis sur la
« deuxième chaise au troisième rang. Pour
le punir, il ne pourra de toute la séance
quitter sa place. » .
En effet, toute l’assistance vit le'susdit mon—
sieur remuer, faire de vains efforts; impos'
sible de se lever; enfin il part, mais sa
chaise part avec lui et le suit fidèlement;
tout le monde aussi part d’un immense éclat
de rire. Le moqueur moqué se tapit dans un
coin et s’enfuit, honteux et confus, à. la fin
de la soirée.
Une autre fois, Mélanie dans son état exta—
tique commanda a Joséphine Doubrère de
venir sur le champ, de s’asseoir sur les mar—
ches de l’escalier et d’empêcher toutes les
personnes présentes de sortir. '
Notez que'cette Joséphine Doubrère était
absente et demeurait a un kilomètre de là.
Elle était alors tranquillement assise, en train
à
A
’I 04 BIOGRAPHIE
de coudre une robe. Ses parents la voient se
lever et lui demandent où elle va, elle ne
répond pas. On la suit. Elle arrive chez Jean
Sempé, s’assied sur la dernière marché de
l’escalier. Quiconque voulut passer et sortir -
n’y put réussir, les hommes les plus robus—
tes furent renversés comme des enfants ; on
voulut l’enlever, elle était trop lourde. Quand
Jean Sempé l’eut réveillée, elle fut extrême
ment surprise de se trouver la avec tant de
monde. _ ‘
C’est]à une des plus curieuses expérien
ces d’un sujet dominateur sur un sujet plus
faible.
En voici une autre aussi inexplicable que
la précédente.
Michel Carreau ne connaissait aucun ins—
trument de musique et ne savait pas ce que
c’était qu’une note. Or, à cette époque, le
général Cavaignac donna un grand dîner de
gala en l’honneur de son successeur à la
présidence, Louis-Napoléon Bonaparte. Il
devait y avoir musique et chants par les
meilleurs artistes de la capitale. Ce même
soir, Jean endormit Michel Carreau. qui
prit aussitôt un violon et pendant quatre
heures de suite exécute les morceaux
les plus ravissants. La petite assemblée,
——-v———a——'—v-—:v .. , Nv
W»...’-v-— »« . - -, , y..v.2,.,.w .._.(':w »- _fi_ y.;
DE JEAN SEMPÉ 405
qui l’écoutait, était dans le ravissement.
C’était la répétition exacte de tout ce qui se
jouait dans les salons de la présidence.
Revenu de son extase, Michel ne put tirer
deux notes de son violon.
Michel devait se marier, mais un beaujoum
dans son sommeil, il aperçoit sa fiancée en
train de le tromper. Il entre en fureur et veut
partir de suite pour la tuer.
— « Michel, reste calme, lui dit Jean Sempé,
il n’entre pas dans les desseins de la Provi
dence que tu épouses cette femme. Je vais
t‘éveiller avec le souvenir de ce que tu viens
«' de voir, afin que tu la méprises. Que vois
« tu maintenant?
—— << Ah ! ce n’est plus elle, c’est une jeune
fille de seize a dix-sept ans, je la connais,
je l’ai vue bien des fois à Auch, mon pays,
elle veut bien m’épouser et m’apportera
quatre mille francs en mariage. »
Quelque temps après tout cela-arriva en
effet. -
Parmi les prêtres du pays, Jean avait un
bon ami, l’abbé Laporte. Ils se voyaient fré
quemment. Les dévotes jalouses commencè
rent a jaser et a débiter sur le compte des
deux amis les plus noires calomnies. Ce
n‘était pas assez, il fallait perdre ce bon prê
AA
A
A
A
AA
106 BIOGRAPHIE
tre dans l’esprit de son évêque; La crédule
Grandeur mande l’abbé et le menace de toutes
les foudres épiscopales, s’il ne rompt immé—
diatement avec ce dangereux sorcier, ce fau—
teur de magie noire. L’abbé Laporte courbe
la tête et revient tout triste, mais Jean Sempé
relève son courage et par Mélanie lui nomme
toutes les instigatrices du complot, avec
ordre de faire amende honorable. Le lende
main les saintes femmes venaient, à la queue
leu leu et l’oreille basse, au confessionnal
du bon abbé et reconnaissaient par écrit
l’avoir méchamment calomnié.
Ce n’est pas tout: une pétition, signée par
plus de quatre cents habitants des plus nota—
bles de la paroisse, est adressée a Monsei—
gneur pour protester contre les insinuations
de ces pieuses pestes. Seule la signature du
pasteur fait défaut, tant est grande la charité
d’un curé pour son vicaire l Bien entendu, je
ne parle pas d’esprit'de justice; cette caste,
qui la prêche si bien en, méconnaît dans
la pratique les notions les plus élémen
taires. ' _
C’est Jean Sempé, qui est chargé de porter
cette réhabilitation entre les mains de Mgr
Lacroix, évêque de Bayonne. Celui-ci a peur
de voir le prétendu sorcier et c’est au vicaire
_, NL__:‘
DE JEAN SEMPÉ 407
général que Jean remet le document en ques
tion. ‘
Dans ces parages, on reçoit aVec avidité
les accusations, avec une faveur marquée
les accusateurs; on semble furieux, si des
preuves indiscutables d’innocence viennent
à se produire. . .
Un évêque ne se'croit tel, que lorsqu’il ful
mine, brise on change.
En rentrant à son hôtel des Pyrénées, à
Bayonne, Jean fit une singulière rencontre.
Un homme de trente ans environ, aux che—
veux en désordre, à la barbe inculte, aux
vêtements poudreux, s’approche de lui et
demande si par hasard il pouvait lui indi
quer un coiffeur qui, pour 10 centimes, pour
rait lui faire sa toilette.
— < Je n’en connais pas, répondit Jean.
— « Tant pis, dit‘l’étranger, car je n’ai pas
davantage.
-— 4: Voulez—vous que je vous donne 50 cen
« times? '
—— « Merci, Monsieur, je ne demande pas
< l’aumône. .
Jean, par une inspiration subite, lui dit:
— « Alors, Monsieur, venez chez moi, je
suis garçon coiffeur et je ne vous prendrai
que 10 centimes. '
fè
.,.
A
108 BIOGRAPHIE
— < Allons, marché fait. »
Et Jean se met a tailler, a bavarder en
vrai Figaro.
53
AAâAAAAA**AQ*AAâ'k
— ( Vous êtes bien triste, Monsieur, et
vous souffrez?
— « Vous voulez savoir quije suis, soyez
satisfait. Je me nomme Maurice Fourcade
etj’ai vingt-huit ans. J’avais a Paris une
belle position etj’étais sur le point de me
marier, lorsque ma sœur apprend que son
oncle vient de mourir à.Madrid et lui laisse
une grande fortune. Aussitôt-je pars avec
elle et son enfant pour recueillir la succes
sion. J’emportais en outre quarante mille
francs, tout ce que nous possédions. A peine
arrivés,nous apprenons que les jésuites du
lieu ont produit un testament in extremis du
mourant et qu’ils se sont emparés de l’héri—
tage. Nous faisons un procès, naturelle—
ment nous le perdons et les frais mangent
tout notre avoir. Sur les instances de
Mme Lescure (c’est le nom de ma sœur) je
pars avec le peu d’argent qui me reste
pour aller trouver des amis et faire un
emprunt. J’ai fait la route a pied et j’arrive
ici épuisé avec dix centimes dans ma poche.
Je suis décidé d’en finir avec la vie et vous
faites lateiletté du condamné.
f.i‘ ! ! x
DE JEAN SEMPÊ 409
—— « Votre vie ne vous appartient pas,.Dieu
« seul a le droit de vous la prendre.
— ci Allez, mon brave, et faites Votre
« lflétiGP...
— « Au nom de Jésus, je vous ordonne de
« vivre, Vos malheurs vont cesser. Avez—
« vous des amis?
— « Oui, a Marseille, si je pouvais y
« aller.
— ci Ce sont de faux amis qui vous trahi—
_ « raient. Allez a Bordeaux chez un lithogra
« phe que vous connaissez, il vous donnera
« une place de dessinateur, et vous referez
« votre fortune. »
L’étranger regarda Jean Sempé d’un air
étonné.
— « Comment connais_sez-vo’us cet ami? lui« dit-il. ' ÿ
« — Dieu m’éclaire pour vous sauver. Prenez
« ce peu d’argent, vous me le rendrez. Adieu! »
L’homme suivit le conseil, et tout arriva
comme Jean l’avait dit. '
A quelque temps de 121, Jean, revenu a Pau,
traversait la Grande-Rue, lorsqu’il s'entendit
appeler._C’était Mme -Rémy, maîtresse d’hôtel.
‘ — « Ne pourriez—vous faire quelque Chose,
« dit-elle, pour une de mes malheureuses
« amies, qui vient de m’écrire. »
7
110 BIOGRAPHIE
’Et elle lui montre une longue lettre, préciæ
sément de Mme Lescure, la sœur de Four
cade. '
Impatiente de rejoindre son frère, Mine Les-V
cure était partie de Madrid avec son enfant,
laissant quelques dettes qu’elle ne pouvait
payer. A Pampelune, on l’avait arrêtée et
jetée en prison. Ne sachant a qui s’adresser,
elle écrivait a la vieille amie de sa mère.
Jean_ reconnaît dans cette rencontre la
inain de la Providence, son cœur est touché .
du malheur de cette famille, il tombe a genoux
et prie avec ferveur. v
Tout a coup ravi en extase, il dit à
Mme Rémy:
— « Chère Madame, soyez rassurée sur le
« sort de votre protégée, Dieu veille sur les
« pauvres abandonnées et va faire un mira
« Clé pour les sauver. »
Que_ se passa-t-il alors? Est—ce par la pen
sée, ou réellement qu’il fut transporté? Il ne
le sait pas lui-même. Toujours est-il qu’il vit
Mme Lescure dans sa prison et qu’il la co‘n«
duisit hors de la ville, comme autrefois l’ange
sauva Saint Pierre.
Puis revenantùlui, il dit simplement a la
maîtresse d’hôtel:
—- « Votre amie est sauvée! »
.....v. -—â—-......r . -.Iwhl
DE JEAN SEMPÉ 411
Et il rentra chez lui.
Quelques jours après, Mine Lescure arri—
vait a Bordeaux près de son frère et appre
nait de son amie, qu"elle rencontrait par
hasard, ce qui s’était passé chez elle.
Tout s’expliquait et s’accordait avec le jour
et l’heure de sa délivrance. ‘
Mme Lescure, rentrée a Paris, épousa un
M. Laurent. Elle écrivit à. Jean Sempé, en qui
elle avait une confiance absolue, de venir
dans la capitale pour guérir un riche étran
ger, qui depuis longues années demandait
en vain du soulagement aux sommités médi
_cales de tous les pays. Elle envoyait 500 fr.
pour frais de voyage et, en cas de guérison,
une récompense_princière l’attendait.
Jean lui répondit;
« Madame Laurent,
c Bénissons Dieu de votre nouvelle position.
« Vos malheurs sont finis.
« Quant au malade que vous me recOm—
« mande2, je n’ai pas besoin d’aller a Paris.
< Il me suffit d’avoir son nom et son prénom.
« S’il a la foi, il sera guéri.
« Jésus ne disait—il pas a ceux qui venaient
« l’implorcr: Allez, et qu’il vous soit fait
« selon votre foi! '
112 BIOGRAPHIE
'“13m
« En conséquence, je vous retourne les
« 500 francs. Que votre malade les donne aux
c pauvres, ainsi que tout ce qu’il me destine.
«C’est de cette manière qu’il prouvera sa
c foi.
« Jésus aimait les pauvres et je suis son
« disciple.
1 Tout a vous en Jésus et Marie.
« JEAN SEMPÊ. »
Mme Laurent obéit et, au lieu d’un seul
ném, lui en envoya douze.
Pendant douze jours, Jean ne cessa de
supplier la divine miséricorde de manifester
sa toute—puissance et durant tout ce temps il
ne prit aucune nourriture. Le douzième jour,
se sentant épuisé, il demanda du pain. Une
lettre était venue, elle disait la guérison com—
plète des douze malades. .
Bien des fois encore on le supplia de venir
a Paris. Il s’y refusa constamment, les temps
n’étaient pas venus.
Jean fit mentir une fois le proverbe qui dit
que nul n’est prophète en son pays.
Un habitant de Bénéjac avait un enfant de
trois ans bien malade. Le docteur Talamon
qui vivait encore, l’avait abandonné. La mère
au désespoir dit a son mari;,
. .u u....._ _
DE JEAN SEMPÉ M3
— < Il faut porter notre enfant chez Jean
« Sempé. '
— « Comment n’y ai-je pas pensé plus tôt,
_ « dit le père, il serait déjà guéri.»
Il part aussitôt et arrive à Pau. ,
— « Jean Sempé, dit-il, mon enfant' se
« meurt, aie pitié de moi et de la mère._
— « Pierre Marcou, dit Jean, ta foi l’a« sauvé, va-t’en. » V
Le père revient a la hâte : son fils était guéri!
Il retourna à Pau pour remercier et offrir
une gratification qui fut refusée, comme
toujours. ' -
Un fait qui mérite d’être signalé, c’est que '
les enfants guéris n’avaient de repos qu’ils
n’eussent vu leur bienfaiteur. Mais a peine
étaient-ils en sa présence qu’ils tombaient en
état cataleptique. Jean leur touchait le front
et la guérison était parfaite. C’était pour ainsi
dire le dernier acte nécessaire, la consécra
tion officielle du rétablissement définitif.
C’est ainsi que de 1846 a 1850, époque du
mariage de Jean Sempé, trois cents enfants
environ vinrent lui témoigner leur recon
naissance.
CHAPITRE VI
Marie Lasserre quitte sa famille. — Poursuite de son frère.
— Vision extatiqne. —- Enfer et Ciel. — Voyage à Bnsy
et ce qu’il en advint. —— Un clerc de notaire. — Opposi
tion épiscopale. —— Visite au procureur de la Républi
que. -— Comment parfois il est difficile à un bon chrétien
de se marier à l’église.
Nous allons parler dans'ce chapitre du
mariage de Jean Sempé et des circonstances
extraordinaires qui ont accompagné cet acte
important de sa vie.
Marie Lasserre demeurait chez ses parents
a Busy. Ceux-ci la pressaient d’épouser un
jeune homme du pays; mais Marie évinçait
tous les prétendants, parce que, par une
sorte d’int_uition ou d’avertissement céleste,
elle savait que son futur époux serait
Jean Sempé, qui, malgré tous les obstacles,
arriverait a l’heure marquée par la divine
Providence.
DE JEAN SEMPÉ 445
l‘a—1L
Un des riches propriétaires de Busy,
»M. Manescou, voulant témoigner a la famille
Lasserre sa reconnaissance pour quelques
services rendus, entreprit de marier Marie
Lasserre avec l’un de ses bons amis, et, pour
vaincre toute résistance, il donnait cent mille
francs de dot a lajeune fille. .
Marie ne se laissa pas tenter un seul instant
par cette fortune; mais, comme elle était
majeure, et qu’elle prévoyait que sa résis
tance lui causerait beaucoup d’ennuis, elle
résolut de les éviter en quittant le toit pater
nel. '
Elle s’en va droit a Pau trouver Jean Sempé.
— « Protégez—moi , lui dit—elle , Dieu le
c veut ! »
Jean la confie aux bons soins de la mai
tresse d’hôtel, qui lui donne une petite cham
bre, en attendant qu’on lui trouve une place
convenable.
Le lendemain, le frère de Marie, accompa—
gné de quatre jeunes gens, arrive l’air fu
rieux, la menace à la bouche. Coûte que coûte,
il veut ramener sa sœur et la maison ; il em—
ploiera la force, s’il en est besoin.
En effet, il frappe a la chambre occupée par
Marie et, comme celle—ci ne veut pas ouvrir,
il enfonce la porte et se précipite.
4‘16 BIOGRAPHIE
Mais Marie Lasserre est tombée en état de vcatalepsie : son frère veut la prendre et l’em—porter, il lui est impossible de la soulever deterre. i
Furieux de cette résistance inexplicable :
— u( C’est ce maudit Jean, s’écrie-t-il, qui a
< ensorcelé ma sœur, il faut en finir! »'
Jean ne savait rien de ce qui se passait et
vaquait chez lui a ses occupations habituelles
—— « Qui est la? dit-il, en entendant heurter. »
—— « Jean-Pierre Lasserre. »
Il ouvre et reçoit en pleine poitrine deux
violents coups de couteau. v
Les habits sont transpercés, mais le cou
teau n’a pas même entamé les chairs, tant est
visible la protection de Dieu sur son humble
serviteur.
Le meurtrier,stupéfait de ne pas vois tom
ber sa victime, reste la, bouche béante.
—— « Va-t’en, dit . Jean Sempé, je te par
« donneà cause de ta famille ; mais queje
« n’entende plus parler de toi, ou ilt’arriverait
« malheur! » '
Jean-Pierre Lassérre et ses amis se retiré
rent sans ajouter un mot. Ils étaient domptés.
Jean court vers la chambre de Marie et
apprend ce qui vient d’arriver. Il remet la
jeune fille dans son état naturel et tous deux
DE JEAN SEMPÉ m
u
tombent a genoux pour remercier Dieu.
C’est alors que se passe une chose extraor
dinaire. '
Tous deux a la fois sont ravis en extase et
transportés, plus rapides que la pensée, sur
les ailes des anges, aux pieds de l’Eternel.
Deux Séraphins aux ailes d’or et d’azur
gardent l’entrée du céleste séjour. Ils tien
nent tous les deux dans leur main le grand
livre de vie, sur lequel sont inscrits en
caractères lumineux les bonnes et mauvaises
actions de tous les hommes.
Tout a coup, devant leurs yeux éblouis,
apparaît l’archange Saint Michel,fqui leur dit:
—- « Avant que vous eontempliez l’infinie
majesté de notre Grand Dieu, il faut que
vous l’admiriez dans ses Œuvres, que vous
sachiez sa Justice et sa Bonté, que vous
descendiez aux abîmes avant de monter
« jusqu’aux cieux. » ’
Aucun langage humain ne saurait expri
mer, même par a peu près, ce qui fut révélé à
ces deux âmes simples et naïves.
Laissons parler Jean Sempé et tâchons de
nous rappeler ce qu’il nous a confié de cette
sublime vision. '
— < Il est des choses, dit-il, qu’il m’est
« impossible d’exprimer comme je le vou—
;'-1
3
fi
k
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7,
'..:...—..__._
us BIOGRAPHIE
k
drais, d’autres qu’il m’est défendu de répé
ter... . -
« Toujours la main dans la main de ma
compagne, je me sentis rouler vers des
abîmes sans fond, a travers des nuées opa
ques, plus sombres' que la nuit la plus
noire, que je fendais comme une épaisseur
cotonneuse et qui se refermaient après
mon passage. Comme la vitesse de ma
chute allait s’accélérant, il me semblait que
tout mon être se rétrécissait ; je me sem
tais, je me voyais plus petit que le plus
petit grain de sable enlevé par l’ouragan,
mais plus lourd que toute la terre entière. _
Combien de temps roulai-je ainsi avec la
vitesse de l’éclair?Je ne sais. Le temps
n’existait plus, j’étais au delà de l‘espace.
< Un formidable rugissement composé de
toutes les haines, de toutes les douleurs,
me rendit la sensation de l’existence. Les
planètes des cieux que j’apercevais toutes
devant moi, pour ainsi dire à la portée de
ma main, en furent ébranlées jusque dans
leurs fondements.
« Démons et damnés étaient sous mes
yeux dans un pèle-mêle indescriptible,
dans un épouvantable grouillement. Ils
formaient une grosse boule, comme:des
' """W
DE JEAN SEMPÉ m
naa
vipères entrelacées, et de cette masse
informe suintait une odeur a faire mourir.
Tous ces êtres vomissaient leurs entrailles
et ces entrailles étaient d’horribles ' blas—
phémes.
« Une voix me dit:
—— « Cet amas impur est la scorie de l’hu
manité, il n’est composé que de ceux qui
sont impénitents; ils ne sont damnés que
parce qu’ils ont voulu l’être et qu’ils ne
veulent pas être autrement ; ils ne forment
qu’un nombre infime dans l’échelle des
êtres et jamais l’empire du mal ne sera
qu’un imperceptible atome dans l’univers
des intelligences.
« Les âmes faibles, pusillanimes, impar‘
faites, se fortifient et se perfectionnent a
travers les mondes. Les justes et les forts
montent toujours plus haut..... »
« Viens!
« Et sans transition,je me trouvaidansla
pure lumière. Mon cœur se goùfia et éclata
en millions d’étincelles qui jaillissent tou
« j0urs plus vives. Ce sont les chants de
notre amour. Mon âme se dilata et mon.
intelligence embrassait l’infini des mondes,
« Je vis ainsi clairement en moi et je ne
désirais plus rien. \
4‘20 BIOGRAPHIE
2
RR
(
« Je jetai un regard au dehors et je. vis
l’Œuvre de Dieu se dérouler à travers tous
les temps et tous les espaces. J’aperçus
toute l’économie providentielle et les obs
curités n’étaient plus.
« Je fis une excursion dans lémonde des
esprits, plus sublime mille fois que les
mondes matériels. '
« Je ne savais comment exprimer majoie,4
mon ravissement, mon amour. Mais j’en
tendis un hosannah universel, cent milliards
de fois plus formidable que le rugissement
d’en bas ; il traduisait ma pensée, et c’était
le Bonheur parce que c’était la Science.
« Mes yeux s’ouvrirent plus grands etje vis
l’homme parfait.
« Les justes, les saints, les martyrs, les
pénitents, les laborieux, les petits et les
humbles grandissaient toujours dans les
rayonnements du Savoir.
4 Avec eux je montais toujours et l’homme
se divinisait.
«r Marie, Reine du ciel, était la.
« Et 1’Homme était Dieu 1 car Jésus et la tri
ple Unité était l’Infini. '
«r Je n’étais plus dans Moi etj’étais en Lui l...
« Il m’a semblé que pour voir ce commen
« cement des Choses, il m’a fallu une Eternité. ..
DE JEAN SEMPÉ 191
« Revenu à. moi-même, j’ai vu ma compa
gne dans les mêmes ravissements et la
Grande Voix, plus douce que le baiser d’une
mère, nous disait :
— « Retournez pourun temps aux douleurs
de l’épreuve... A bientôt Je vous unis et
je vous bénis.
« Et nos deux âmes se confondirent et
s’unirent dans un lien si fort, que la mort
même ne les a pas séparées.
« Mon humble et douce compagne est tou
jours à mes côtés, non seulement dans ma
pensée, mais réellement présente.
« Elle m’attend...
( Comment sommes-nous revenus sur la
terre ? Etait-ce une simple vision ?
c Ce n’était pas illusion, car ma pensée n’a
pu concevoir par elle-même ces sublimi
tés.
« Marie me raconta sa vision. C’était la
même chose et dans les mêmes termes.
c Je ne pouvais plus douter.
— « Marie, lui dis—je, bénissons Dieu, sa
' volonté pour nous s’est manifestée. Voulez
vous être la compagne bien-aimée des
jours de mon pèlerinage ?
« Marie pour toute réponse me donna sa
main. Nous étions fiancés pour toujours. »
’19? BIOGRAPHIE
Ce ne fut pas sans de nouveaux obstacles
de la part de la famille.
Jean écrivit aussitôt et la mère de sa future,
afin d’obtenir son consentement et.fixer la
date de célébration du mariage. La réponse
fut favorable, mais a la condition qu’il ramè
neraitMarie Lasserre. ' '
Jean Sempé, fort de cette-promesse, achète
tout le trousseau de mariage, se munit de
tous les papiers nécessaires et part pour
Busy avec Marie et son ami Maumas. Ils ar
rivent pleins de confiance, embrassent la
'll’lèI‘6 de Marie; mais la vieille emmène sa
fille dans sa chambre, la saisità brasle corps
et appelle la servante :
— « Claire, apporte la corde, elle ne s’é—'
« chappera plus, la coquine ! »
Jean surpris de cette brusque attaque, a
laquelle il s’attendait si peu, reprend vite son
sang-froid,délivre sa fiancée, d’un seul geste
cloue au plancher les deux harpies:
-— «a: Viens, Marie, dit-il, et quittons pour
« toujours cette maison indigne. »
Ils ,s’en vont à l’hôtel voisin, et bientôt
les jeunes gens du pays, ameutés par la
mégère, arrivent armés de gourdins; mais
pas un seul ne peut franchir la porte, une
puissance invisible les arrête; Jean Sempé
_.-hä.inL.
DE JEAN SEMPÉ 493
. .__, . . —. .,—,m_ . .h =,,=_ > -—*-,
Læsäfl.;ä«; ,1;’-: . L: .a' ma.m',—/Ùak‘i—Jàgw’iw‘MM—H‘.v‘wl
. ,,: .
et sa fiancée reprennent tranquillement le
chemin de Pan. _
Tout 'n’était pas fini cependant. Ces jeunes
gens, ne comprenantpas qu’un pouvoir su
périeur s’opposait a leurs vains efforts de
vengeance, s’en vent a la hâte, par un che
min de traverse, se poster sur le pont de '
Rebenac où devaient nécessairement passer
la voiture des fugitifs. Ils étaient décidésà
faire un mauvais parti a celui qu’ils appe
laient le raviSseur, ils ne reculeraient pas
même devant l’assassinat.
La nuit était déjà profonde, lorsque la voi
ture de Jean arrive au pont de Rebenac. Les
jeunes gens l’entourent, sautent a la bride du
cheval et proférentI des menaces de mort.
Marie, effrayée, perd connaissance, mais Jean
étend la main.
-— « Au nom de Jésus, dit-il, je vous défends
.« de bouger d’ici, jusqu’à queje sois passé. »
Et ces jeunes gens, si bruyants tout a
l’heure, deviennent silencieux et immobiles
comme des statues.
A minuit les trois amis rentraient, sans
autre incident, dans la ville de Pau.
Dés le lendemain, Jean va trouver un '
notaire et lui fait rédiger un acte respec
tueux pour la mère de Marie. Il faut avoir
124 BIOGRAPHIE
raison par la loi de l’opposition injuste et
irraisonnée des parents; d’ailleurs sa fiancée
est majeure et libre de son choix. '
Quinze jours se passent: aucune nouvelle
de Busy, aucune réponse à l’acte légal. Jean
étonné et inquiet de ce silence ne sait que
faire. Il interroge Marie, qui tombe en extase
et lui révèle que le clerc du notaire a sous—
trait la pièce et l’a cachée dans un tiroirà
secret. ‘ -
Jean aussitôt va raconter la chose au no
taire, qui, indigné d’un pareil soupçon contre
son employé de confiance, appelle son clerc
et lui redit l’accusation absurde dont il est
l’objet. M. le clerc renchérit sur son maître et
s’écrie d’un ton furieux que c’est une ignoble
calomnie, qu’il en va poursuivre‘_les auteurs.._.
—« Soyez plus calme, Monsieur, dit Jean
cl Sempé, et veuillez ouvrir votre tiroir. »
Les tiroirs sont ouverts et vidés jusqu’au
fond : la pièce cherchée ne s’y trouve pas.
Déjà. le_notaire regarde Jean de travers,
lorsque celui-ci dit :
— « Mais faites-nous voir le fonds secret.
— « Il n’y en a pas, répond le clerc tout
« troublé. >
Jean s’avance vivement, écarte le clerc d’un
coup de main, appuie sur un ressort et dé
iDE JEAN SEMPÉ 425
couvre aux yeux stupéfaits du- notaire un
double fond, où se trouvait la pièce détournée
avec plusieurs autres très importantes dont
la disparition avait occasionné de grandes
pertes d’argent.
Le clerc infidèle fut chassé sur le champ
et l’acte envoyé a destination.
La vieille mère ne se déclare pas battue. Sur
le conseil du curé, elle porte une plainte au
Procureur de la République, sous prévention
de détournement et d’enlèvement.
Après une enquête sommaire, le Procureur
de la République haussa les épaules. et dit
a la bonne femme de ne plus s’exposer à
déranger la Justice inutilement et qu’elle
ferait mieux de donner son consentement de
suite et de bon gré, vu que sa fille, étant ma
jeure, pouvait s’en passer et se marier quand
même. . .
La vieille obéit et les bans furent publiés
Trois semaines après, Jean va chercher à
Busy le certificat de publication. Le curé, qui
lui gardait une sourde rancune, lui répond
que, par ordre de Mgr l’évêque, il n’a fait au
cune publication à l’église et qu’il ne fera pas
le mariage. ‘
— c C’est ce que nous verrons, dit Jean. »
A peine sortait-il du presbytère, que toute
196 BIOGRAPHIE
la bande des jeunes gens dont nous avons
déjà parlé, excitée par le curé, et désirant une
bonne revanche de leur premier insuccès,
se précipite avec des fourches sur leur en
nemi, bien décidée a lui faire un mauvais
parti. Mais, comme la première.fois, Jean
les arrête et les immobilise. Il s’en va a 010
ron pour parler a son tour au Procureur-de
la République. - , .
Dans la rue, il rencontre un ami, l’abbé
Taillefer. .
— < Comment! malheureux, lui dit celui-ci,
oses-tu sortir? tu as débauché une jeune
fille 1 Mgr Lacroix et les parents ont porté
plainte, les gendarmes te recherchent; tu
ferais mieux de fuir.
—« Sois tranquille, répondit Jean, je ne
crains ni gendarme, ni évêque ; et, ce der—
nier surtout, nous saurons lémettre a la
raison et lui apprendre a êtrqmoins prompt
dans ses jugements. » V
L’abbé aperçoit un livre dans la poche de
Jean : - 4 .
,— « C’est la ton livre de magie? demande
« t-il en riant.
—- « Oui, dit Sempé, regarde et lis.
.—« Mais ce sont les psaumes de David!
( Est—ce avec cela que tu fais tant de merveil
AAAÀ
AAAA
DE JEAN SEMPÉ' m
« les? Et nous qui croyions que c’était par
« le démon ! ' .
- « Mon ami, sache—le bien, je n’ai rien de
'« commun avec l’esprit des ténèbres. Tout ce
« que j’ai, tout ce que je fais, je le tiens de
« de Jésus, mon Maître._C’est lui qui m’a tout
« donné : que son saint nom soit béni ! C’est
« parla vertu de ce nom que je domptg au
« contraire les enfers et que je guéris les
« maux de l’humaine nature .. Comment,
« vous, prêtres du Christ, vous qui faites des—
« cendre Dieu sur la terre, qui- vous nourris
« sez de la chair et du sang divins, vous ne
« savez pas mieux combattre l’œuvre du dé
« mon, vous êtes incapables d’établir solide
« ment le règne de Dieu !- Pourquoi“.2 Parce'
« que la plupart d’entre vous ne cherchez
,« que votre bien-être, quand vous ne vous -
«livrez pas aux vices les plushonteux.
« C’est vous qui dans la société maintenez le
c génie du mal, au lieu de l’écraser, selon
« votre mission. A quoi servez-vous donc sur
« la terre ? Prenez garde que Jésus ne vous
« dise comme a Judas : Mieux vaudrait que
« vous ne fussiézjamais nés ! _
« Voilà ce que je dirai et bien d’autres cho
ses encore a votre Mgr Lacroix. »
Sur ce, Jean quitta l’abbé Taillefer et
128 BIOGRAPHIE
marcha vers la maison du Procureur de la
République. u
Un homme en sortait qui lui dit d’un ton
sec :
—— « Que voulez-vous? ,
— « Parler aVM. le Procureur de la Ré
« publique.
—. « C’est moi. » _
Alors Jean raconta toutes les injustices
dont il était victime.
— < Ah! c’est vous qui êtes Jean Sempé.
cr Qu’avez-vous donc fait à l’évêque Lacroix,
« qu’il vous en veuille a mort? Ne voulait-il
c pas que je vous arrête et vous mette en
« prison? Mais je connais votre affaire et
« vous êtes dans votre droit. Votre future
« est majeure? est-elle enceinte? Non, n’est-ce
« pas? Et vous, êtes-vous marié, veuf ou
« libre?
-— « Libre, dit Jean.
— « Parfait, je vais donner des ordres au
« maire de Busy. Comptez sur moi. »
Trois jours après, le 28 avril 1850, Jean se
mariait civilement par devant M. le maire.
Restait le mariage religieux, auquel, d’après
ses convictions, il tenait essentiellement.
C’était plus difficile, eu égard aux circons
tances. ‘
DE JEAN SEMPÊ 129
Mgr Lacroix, persévérant dans un entête
ment inexplicable, avait fait défendre, aussi
bien à Pau qu’à Busy, de procéder à cette
célébration. Mais Jean résolut de triompher
quand même et de vaincre cette étrange obs
tination.
Il y réussit entièrement, car il alla raconter
ses ennuis et ces indignes tracasseries a un
vénérable vieillard, M. Darbelu, archiprêtre
de Pan.
— « Mon pauvre enfant, lui répondit celui
'« ci, on vous a fait beaucoup souffrir et je sais
en effet que l’évêque m’a défendu de vous
marier. Mais comme cette défense est ab
< surde, je vais vous unir quand même et
je ne vous prendrai pas un centime, car,
vous aussi, vous ne faites pas payer le
bien que vous faites en guérissant tant de
malades. ,
Le lendemain, 11 mai, Jean Sempé s’unis—
sait religieusement à Marie Lasserre, dans
l’église de Laroin, par léministère de M. Bru
net, prêtre, délégué acet effet par M. l’archi
prêtre de Pan, qui, après la cérémonie, les
reçut a sa table et leur témoigna mille amitiés.
Enfin tout nuage était dissipé, Jean était
heureux et la prédiction, que jadis on lui
avait faite, avait reçu son accomplissement.
2
A
à
A
A
R
CHAPITRE VII
Une possédée. — Jalousie des médecins. — Condamnation
injuste. —— Jean guérit son avocat. — Acquittement en
cour d'appel. — Lord Smith.
Après les cérémonies de s‘en mariage,
Jean reprit sa vie tranquille et continua Sans
ostentation de faire du bien autour de lui,
‘ tant qu’il pouvait. Il étaient deux désormais
à se comprendre et a compatir a toutes les
. misères qui accablent la pauvre humanité.
C’était un grand so‘ulagement, une grande
force pour Jean Sempé, qui jusqu’ici avait
marché seul et isolé dans la vie, que de
sentir près de lui une âme tendre et compa
tissaiite, a laquelle il pouvait confier toutes
ses peines et qui lui était d’un si grand
secours en toute occasion. ‘ ' ' '
Aussi remercie-t-il Dieu chaque jour de
lui avoir confié cette âme privilégiée; dont
' DE JEAN SEMPÉ 434
...
lui seul a connu tous les trésors, pendant
trop peu de temps, hélas l ‘
Une épidémie de fièvres pernicieuses ayant
éclaté à Pau, il se dévoua entièrement au
soin des malades. On peut dire que tous
ceux dont il approcha furent guéris. C’est
ainsi qu’à. l’hôlel Lacazette, où il logeait,
deux cents malades environ recouvrèrent la
santé.
Il guérissait aussi les possédés du démon,
plus nombreux qu’on ne le croit à. notre_
époque d’incrédulité.
D’où viennent en effet ces actes extraor
dinaires de subite folie, ces crimes épou
vantables et inexpliqués, ces suicides qui
se multiplient d’une .manière effrayante? La
médecine, la science et la philosophie don
nent des raisons plus ou moins spécieuses,
mais elles ne veulent pas avouer que cer
tains faits sortent du domaine des causes
naturelles.
-Rosine Leblanc, jeune fille de vingt-deux
ans, souffrait depuis lôngtemps des douleurs
intolérables. Les médecins ne pouvaient
définir sa maladie ni lui procurer aucun
soulagement. Ils la regardaient comme une
folle dangereuse. '
Les parents de Rosine désespérés eurent
-1'."
432 ‘ ‘ BIOGRAPHIE
recours 21 Jean Sempé q1ii consentit a voir
lajeune fille. Quand il arriva, Rosine se tor—
dait dans d’afl‘reuses convulsions,_elle écu
mait, elle hurlait d’une façon épouvantable.
Quoiqu’elle fut attachée solidement, personne
n’osait l’approcher de trop près.
Jean s’en vint tout simplement s’agenouiller
au pied du lit et se mit à prier avec ferveur
pour le salut de cette pauvre enfant.
Quelques minutes se passent dans un
silence profond, les assistants espèrent déjà
un succès favorable, lorsque brusquement
la malade brise d’un seul coup tous ses liens
et se sauve, nue et échevelée, jusque dans le
recoin le plus sombre du grenier de la mai
son. On se précipite à sa suite; on cherche
a la ramener par la persuasion : elle grince
des dents. On veut s’approcher d’elle et la
prendre : elle arrache comme un fétu de paille
un énorme morceau de bois de la charpente
et va le lancer à. la figure de ses agresseurs
qui, épouvantés, prennent la fuite. Elle
pousse des cris effroyables, on dirait une
bête féroce déchaînée. _
Jean Sempé, au milieu de ce désarroigéné
ra], n’a pas perdu son calme. Il étend le bras
et ordonne,â la possédée de descendre et de
revenir au salon. Celle-ci obéit et s’approche
DE JEAN SEMPE 133
d’un air soumis de Jean Sempé, qui lui jette
aussitôt son manteau sur ses épaules nues.
La jeune fille pousse un cri de rage et d’un
coup déchire lemanteau par le milieu.
—- « Je t’ordonne de t’asseoir et de ne plus
« remuer qu’avec ma permission, dit Jean
« Sempé. »
R0sine obéit aussitôt.
—— « Comment t’appelles-tu?
— « Je ne te le dirai pas, répond la jeune
« fille.
— « Ton nom?je le veux, au nom deJésus,
« fils du Dieu vivant!
— « Beelzébuth!
— « Que fais-tu dans le corps de cettejeune
« fille et pourquoi la poursuis-tu de tahaine?
— « Que t’importe?... Laisse-moitranquille,
« je t’en prie et je te donnerai de grands tré
< sors, et je te ferai goûter des jouissances
« inconnues...
— « Arrière, Satan! reprit Jean, je ne veux
« rien de toi. Va-t’en et quitte ce corps que
< tu tourmentes. Je te l’ordonne au nom de
« Jésus et Marie! »
A ces mots, la jeune fille pousse un grand
cri et tombe a la renverse; mais elle était déli
v'rée pour toujours. Elle n’avait plus qu’à rece
voir les soins des médecins et de sa famille.
a
4—34 BIOGRAPHIÉ
C'est ainsi que dans la même semaine Jean
Sempé délivra cinq autres possédés, en pré—
sence de plusieurs prêtres et de nombreux
laïques, qui en étaient tout stupéfaits et 'ce—
pendant étaient bien forcés de croire a la À
réalité de ces. guérisons extraordinaires qui
se faisaient sous leurs yeux.
Malgré sa prudence et sa discrétion, Jean
Sempé étendait chaque jour sa renommée,
mais aussi excitait la jalousie de certains
personnages, surtout des médecins, qui
voyaient avec inquiétude diminuer le nombre
de leurs clients.
Nous sommes en 1852 et Jean demeurait
alors dans une vieille maison de Pan, 1, rue
des Halles, Près de lui, logeait un brave ou;
vrier saboticr du nom de Gouaillard. Pen
dant que le mari creusait les blocs de hêtre
ou de bouleau, la femme, pour augmenter le
petit pécule du modeste ménage, montait
l’eau aux divers locataires de la maiSon.
Un jour, Mme Gouaillard vient chez Jean
Sempé avec son petit enfant sur les
bras.
— « Mon mari est absent, dit-elle, permet—
« tez-1noi de déposer un instant mon enfant
« sur ce fauteuil, pendant que je vais faire le
<< service de la maison. » » '
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DE JEAN SEMPÉ 435
J..L - ..
Jean consent volontiers et la mère s‘en va
tranquille. , '
Poussé par la curiosité, peut-être par un
secret pressentiment, il s’approche du pauvre
petit dont la tête est couverte. Il soulève le
voile et recule d’horreur._ L’œil n’était qu’une
plaie et l’orbite pendait prêt a se détacher.
Quand la mère fut revenue, Jean lui dit:
-— « Mais votre enfant est bien malade.
-—' « Hélas! Monsieur, il y 'a trois ans que
« le pauvre petit ne fait que pleurer et souffrir.
« Il va perdre la vue et je suis désolée, car
« les médecins l’ont condamné. J’en ai con
« sulté quatre: aucun n’a pu le guérir et tous
« disent qu’ils n’y connaissent rien.
- ( Croyez-vous en Jésus, ma bonne
« dame?
— « Ah! Sainte Vierge! si j’y crois, que ine
« demandez-vous la?
— « Femme, que votre foi sauve votre en—
« faut! Au nom de Jésus, je veux qu’il gué
« risse! » .
Et pendant trois jours, Jean Sempé fit sur
l’enfant l’imposition des mains et le troisième
jour l’enfant était complètement guéri.
Quelques jours après, le docteur Roussel
vint pour voir le petit malade et fut bien sur
pris de le trouver en parfaite santé.
136 BIOGRAPHIE
Il apprend ce qui s’est passé et entre, dans
une violente colère.
-— « Montrez-moi votre enfant, dit-il, que je
« l’examine... >
Il le regarde pendant une minute :
— « Mais il est perdu votre enfant, s’écrie
« t-il, quel est le maladroit qui l’a tué?... Jean
« Sempé atouchè a cet enfant!.. Quels re
« mèdes lui a-t-il donnés?... .
— < Il ne lui en adonné aucun queje sache,
« répond la femme, et vous voyez qu’il est
« guéri.
— « Ce n’est pas vrai, Madame, cet enfant
« va mourir. L’avez-vous laissé seul avec
« Jean Sempé!
—- c Une fois seulement et un instant, pen
« dant que je montais.
— « Quand donc?
— < Il y a quatre jours.
— « C’est bien cela, dit le médecin d’un air
< sentencieux. C’est tout ce que je voulais '
« savoir. Envoyez-moi votre mari ce soir, je
t l’attendrai et nous arrangerons l’affaire. >
Le soir en effet, le mari se rendit chez
M. Roussel qui lui dit :
—« Gouaillard, voulez-vous gagner deux
« mille francs?
DE JEAN SEMPÉ 137
— « Ce n’est pas de refus, Monsieurle doc
« teur, mais cela dépend...
— « Affirmez carrément que Jean Sempé a
« tué votre enfant, car bientôt il sera mort! »
Deux mois après, l’enfant mourait dans des
convulsions atroces. .
' Le parquet fut saisi del’afl‘aire. Quatre mé
decins furent délégués pour examiner le
petit cadavre. Trois d’entre eux accuséœnt
nettement Jean Sempé d’avoir, par son im
prudence, en administrant des remèdes
étranges, occasionné la mort de l’enfant.
Seul, le quatrième, M. Terrier, refusa de s’as
socier a ce jugement qu’il disait plus que
téméraire, parce que pour lui il n’avait dé
couvert aucune preuve de la culpabilité de
Jean Sempé.
Néanmoins le commissaire de police,
M. Blampin, chargé de l’enquête par le Pro
cureur impérial, arrive chez Jean Sempé et
fouille dans tous les coins et recoins, pour
trouver les fameux remèdes dont, selon l’opi
nion publique, la maison était remplie. Il ne
trouvaqu’un livre de prières, vieux et usé.
C’était toute la pharmacie de Jean! _
Le lendemain, sans instruction prélimi
naire, sans interrogatoire quelconque, Jean
Sempé était assigné a comparaître, comme
8.
' 138 ' BIOGRAPHIE
accusé, en police correctionnelle. Il se rendit
a la hâte au commissariat de police pour
avoir quelques explications. A peine avait-il
franchi le seuil, qu’il rencontra M. Estrabeau,
chef du premier bureau : .
— « Comment, vous ici, lui dit—il, je vous
( croyais en prison préventive! Quel est
« votre avocat? '
— c Mais je n’en ai pas et je n’ai pas le
« temps d’en trouver. Voici la lettre .qui me
« convoque au tribunal. -
« -+ C’est a n’y rien comprendre en Vérité,
« mais mon pauvre Sempé, si vous n’avez
pas d’avocat, vous en avez pour trois ans.
-— « Je me passerai d’avocat, parce que je
n’ai rien fait de contraire, aux lois. D’ailleurs
tout cela m’est prédit depuis le 16 octo—
bre 1847. La justice des hommes est sujette ‘
a erreur, mais la Justice de Dieu finit par
triompher. Jésus, quoique innocent, n’a-t
il pas été aussi condamné et même pendu
au gibet? ' .
— « Oui, oui, répond M. Estrabeau, tout
c cela est vrai, mais Jésus aussi s’est défendu.
« Suivez mon conseil et venez avec moi chez
« mon avocat, M. Lamaignère. »
Jean consentit et tous deux allèrent chez
l’avocat, qui vint aussitôt au tribunal.
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‘DE JEAN SEMPÉ 439
‘ ,.1 >..'- ‘-.--'f'.' r" ="-' ".--a - "—. - --. --«- m--— "r .
Le Procureur impérial l’aperçoit et vient a
lui :
— a C’est vous qui allez défendre Jean
« Sempé; eh bien! ne vous fatiguez pas trop, .
« il est condamné d’avance.
-— « Merci, Monsieur le Procureur, de votre
bienveillance, dit Jean Sempé qui se trou
vait tout près, je le vois, il faut que la pro
phétie s’accompllsse ; mais sachez queje ne
vous crains pas et que vous en serez pour
« votre honte. »
Le Procureur, qui ne s’attendait pas a cette
réplique, ne répondit pas un mot et s’es
quiva.
Bientôt la cause est appelée et lecture est
donnée du procès-verbal, où Jean est accusé
d’escroquerie, de magie et d’assassinat d’un
enfant, sur le témoignage des quatre méde
cins qui l’ont soigné. Mais M. Terrier, con
sciencieux jusqu’à. la fin, témoigne qu’il a des
doutes sérieux sur les causes de la mort de
.cet enfant et qu’il lui semble que Jean Sempé
ne peut de ce chef encourir aucune respon
sabilité. ’
Avait-il découvert la vérité ou ne voulut-il
rien dire? C’est ce qu’on ne saura jamais.
Toujours est-il que cette déposition rendit
les juges perplexes et Jean allait être acquitté
à*2
fi
140 BIOGRAPHIE
lorsque M. Barthe, l’avocat de la partie ad
verse, réclama un supplément d’enquête, se
faisant fort d’amener tôus les témoins voulus
et réclamant des dommages-intérêts consi
dérables pour ses clients, lésés dans leur
affection la plus chère, par la faute d’un im—
prudent guérisseur. L’afi’aire fut remise a
quinzaine.
A cette époque, Jean Sempé avait en journée
chez lui une jeune ouvrière, pour aider sa
femme dans les travaux d’aiguilleet les soins
du ménage. Les ennemis de Jean surent si
bien la circonvenir, qu’ils la gagnèrent entiè
rement a leur cause et ils la payèrent gras
sement, pour qu’elle déposét contre JeanV Sempé. '
On lui fit dire en effet qu’elle avait vu Jean
Sempé préparant des remèdes et qu’il les avait
adminiStrés au petit Gouaillard. De la exer
cice illégal de la médecine et condamnation
certaine pour homicide par imprudence.
A peine avait-elle fait cette déposition men:
songère, qu’elle fut frappée d’un mal subit et
tomba en criant :
—— « J’ai trompé,j’ai menti, Jean n‘est pas
« coupable. » ,
On la ramena évanouie chez elle.
Malgré cette protestation publique, Jean
DE JEAN SEMPÉ Ml
n’en fut pas moins condamné par le tribunal
a six mois de prison, onze francs d’amende
et trois cents francs de dommages-intérêts *
. envers la famille de l’enfant décédé.
Voilà. la justice des hommes!
A peine était-il rentré chez lui, qu’il apprit
que la jeune ouvrière le suppliait en grâce de
venir lui parler. Jean, accompagné de sa
femme, se rendit a sa prière.
-— « Ah! mon cher Monsieur, s’écrie-t-elle,
pardonnez-moi! Je souffre horriblement et
je vais mourir; c’est le juste châtiment de
mon-crime. Appelez des témoins pour que
« je me rétracte. Comme Judas, j’ai vendu
« mon Maître et je suis damnée, si vous ne
« me pardonnez pas. Priez pour moi! »
La femme deSempé, émue de ces larmes,
se jette au cou de la jeune fille et lui promet
que son mari lui pardonnera :
— « Mon ami, dit-elle, pardonne et guéris.
—— < Bien volontiers, répond-il; son repen
« tir l’a sauvée. Que Jésus la délivre de tout
« mal! Maintenant lève-toi, ma fille, et re
« tourne a tes occupations. >
C’est ainsi que Jean se vengeait de ceux
qui voulaient le perdre.
Malgré les instances de son avocat, Jean
Sempé ne voulait pas faire appel du jugement.
A
A
A
41.2 BIOGRAPHIE
— « A quoi bon, pensait-il, faire des dépen- .
« ses inutiles pour être condamné une se
« conde fois? » ' -
Mais sa femme tombant en extase lui dit:
-— « Le moment n’est pas encore venu où la
« prédiction s’accomplira tout entière. Tu ne
«. seras pas condamné cette fois. Appelle.»
Jean obéit et pendant cinq mois, il y eut
enquêtes, contre—enquêtes : les juges ne-sa
vaient a quoi se décider et renvoyaient tou
_ jours l’affaire a quinzaine.
L’avocat de Jean Sempé était atteint depuis
plusieurs années d'une grave affection de
l’estomac, dont il souffrait beaucoup et qui
l’obligeait d’aller chaque année passer une
saison dans une ville d’eaux.
Un jour que Jean se trouvait chezlui pour
le règlement de ses affaires particulières,
l’avocat, qui se sentait plus souffrant que
d’habitude, lui dit en souriant :
« Mon cher client, vous avez un moyen
facile de me témoigner votre reconnais—
« sance. Vous qui êtes si habile dans l’art de
« guérir, vous devriez bien calmer mes
« grandes souffrances et c’est moi qui serais
« votre obligé.
— « Commentlepourrais—je, réponditSempé,
< puisque vous ne croyez pas en mon pou- '
à
DE JEAN SEMPE - 443
« voir ? Ne m’avez-vous pas plaisanté a ce
« sujet, lors de notre première entrevue?
— < Oui, je l’avoue, mais alors-je ne croyais
« pas. Depuis j’ai écouté, examiné, pesé le
« pour et le contre. Si je ne suis pas entière
< ment convaincu, je crois au moins que tout
« est possible a la puissance de Dieu et je
« vous sais trop honnête homme pour vou
« loir tromper. Faites donc pour moi ce que
< vous pourrez, je vous en supplie. »
Jean, touché de cette demande, se mit en
prières et prononça sa formule ordinaire :
—- « Au nom de Jésus, sois guéri! »
A l’instant même, l’avocat ressentit dans
tout son corps un grand tremblement ner—
veux, puis il poussa un soupir de soulage—
ment. La respiration était libre, toute oppres—
sion avait disparu.
L’avocat, enchanté d’un‘tel résultat, voulut, ‘
au lieu de recevoir des honoraires, faire ac
cepter attentes forces à.Jean Sempé tout l’ar
gent qu’il avait sur lui, mais Jean le remercia
de sa bonne volonté et se retira. L’homme de
loi ne se tint pas pour battu : il alla de ce pas
trouver tous les juges et leur raconta ce qui
venait de se passer, les suppliant de ne pas
condamner Un innocent. . . Ï
Ceux-ci se mirent a rire de ce qu’ils appe
__ÿ__A ,_______________
144 . BIOGRAPHIE
laient la naïveté de M. l’avocat et dirent qu’ils
savaient a quoi s’en tenir sur la prétendue
puissance du sorcier.
Enfin, pour la sixième fois, la cour d’appel
évoqua l’affaire pour la juger définitive—
ment. '
L’avocat prévint son client que son procès,
ayant fait quelque bruit, il y aurait foule
nombreuse de curieux.
— c Il n’y aura personne, lui dit Jean,»
Aujour dit, il y avait tant de monde a la
porte du tribunal, que Jean eut beaucoup de
peine à entrer.
Les portes s’ouvrent etla foule se précipite.
A peine l’huissier, a-t-il prononcé les pa—
roles sacramentelles : '
— « La cour, Messieurs ! »
que Jean Sempé murmure a son tour et
tout bas ces quelques mots :
— « Par Jésus, foule importune, pars sur le
champ! » .
L’assistance tout entière se lève avec en—
semble et chacun se précipite a la porte
comme si le feu venait d’éclater dans la salle.
En un clin d’œil, les bancs furent déserts.
Juges et avocats étaient stupéfaits, ne peu—
vant s’expliquer la cause de cette subite pa
nique. ' ' '
DE JEAN SEM PIE 445
Néanmoins les débats commencèrent et
malgré les dépositions haineuses des méde
cins, malgré la partialité évidente du Procu
reur impérial, en dépit même de la mau
vaise volonté des juges, la vérité fut plus
forte et Jean Sempé fut acquitté haut la
main.
Si Jean Sempé n’eût été qu’un charlatan
vulgaire, un amateur de vaine gloriole et de
réclame tapageuse, il ne pouvait être mieux
servi que par ce procès injuste, suscité par
l’envie. Son nom dépassa bien vite les limites
étroites de son département, il recevait des
lettres de tous les coins de la France, de l’é
tranger même, les unes pour demander une
guérison, d’autres un conseil, voire même
un talisman contre les mauvaises chances
de la vie. Mais Jean n'en était pas plus fier
' pour cela, il vivait modeste et caché dans son
humble retraite, faisant le bien autour de lui
avec le moins de bruit possible.
Un riche Anglais, lord Smith, qui depuis
seize ans souffrait d’intolérables douleurs,
sans pouvoir être soulagé par aucun méde
cin, lui écrivit plusieurs fois et ne recevant
pas de réponse vint le relancer jusque dans
sa demeure. ‘
Jean le pria d’amener avec lui des méde—
HÀ».—A—" .. . --,.. =,_
9
446 BIOGRAPHIE
cins, et devant eux il magnétisa femme
qui dit aussitôt:
—— « Ce n’est rien. . .
—- c Comment, Madame, interrompt l’An
c glais en fureur, ce n’est rien de souffrir
« sans cesse depuis seize ans! Je prends de '
« l’opium a haute dose pour dormir et calmer
« mon mal; aussitôt réveillé, je souffre plus
< encore. Ah! ce n’est rien l...
-—- « Ma femme ne vous entend pas, dit
« Jean Sempé, laissez-moi l’interroger...
— « Ce n’est rien pour toi à guérir, continue
« Marie Sempé. En quelques minutes il le
« sera, s’il veut se laisser magnétiser ;'mais
« il faut y mettre une grande douceur. )‘
L’Anglais se laisse faire et Jean lui dit:
— « Levez-vous.
Lord Smith commence a marcher tout dou
cement, et sous l’influence du fluide le mou—
vement s’accélère : il se met à sauter et
danser en criant:
-— < Goddam! Goddam! .
Jean le réveille et l’insulaire déclare qu’il
éprouve un grand bien être.
— « Moâ payer à. vous, dit-il.
—— « Merci, répond Sempé, je ne veux rien,
« mais j’irai vous voir chaque jour jusqu’à
« votre guérison prochaine. »
DE JEAN SEMPÉ 447
Grand étonnement des médecins qui
avaient suivi toutes les expériences et qui ne
croyaient pas que le magnétisme put pro
duire de tels résultats. Ils en félicitèrent vi
vement Jean Sempé.
_« Ce n’est pas moi, dit-il, qui produis
<< ces effets qui vous surprennent, je ne suis
« que l’instrument du Maître Suprême de
‘ toutes choses. C’est a lui que doivent s’a
« dresser vos remerciements. » .
En vain lord Smith voulut-il forcer son
sauveur d’accepter une fortune, Jean refusa.
L’heure du repos n’était pas venue, sa mis
sion n’était pas terminée.
CHAPITRE VIII
Lord Delson. — La baronne de Mesplée. -— Un serviteur
faussement accusé. — Comment l’argent volé Iut re
trouvé. -— Ordre de départ pour Paris.
En quittant notre pays, lord Smith avait
recommandé d’une façon toute spéciale à.
Jean Sempé l’un de ses meilleurs amis, lord
Delson, qui, lui aussi, avait grand besoin du
secours de la Providence.
Or, notre guérisseur ne savait rien refuser
quand il s’agissait de soulager une souf—
france. Il se rendit à. l’hôtel Larrieu, où se
trouvait ce nouveau patient.
Lord Delson était arrivé a la dernière
période d’une cruelle maladie de poitrine. Il
avait consulté les plus hautes sommités mé
dicales del’Europe, sans résultat aucun. En
ce moment il cherchait a réparer ses forces
...«ÂLJ-.. .,,...ww_.. .
DE JEAN SEMPÉ 449
faiblissantes sous le climat de Pau, si favo
rable aux poitrines délabrées, et il se faisait
soigner par cinq docteurs et par un magné
tiseur, le comte de Laborde. Celui-ci avait
tout tenté, mais sans pouvoir réussir a
endormir son sujet, quels que fussent les
moyens employés.
Jean Sempé, introduit près du malade, agit
tout simplement a son égard comme il l’avait
fait avec lord Smith, et, dès la première
journée, son nouveau client, qui, depuis long—
temps ne connaissait plus le sommeil, put
goûter une nuit de repos complet.
Le lendemain, le comte de Laborde apprend
ce qui vient de se passer, attend la venue de
Jean et, dès qu’il l’aperçoit, il court à sa ren
contre et lui dit vivement :
—-« Mon brave homme, vous avez donc la
prétention de guérir lord Delson, quand
vous savez que tous les médecins de la
( ville ont échoué. Il est irrévocablement
« perdu, sachez-le bien, et je vous avertis pru
« demment de ne pas continuer vos soins,
« car, si, ce qui est plus que probable, il vient
« à.mourir pendant ce temps, il pourrait en
« résulter pour votre personne et votre répu
« tation de grands inconvénients.
— « N’ayez aucune crainte pour moi, Mon
.A
150 BIOGRAPHIE
« sieur le ceinte, répondit Jean, notre ma
« lade se guérira; et, tenez, vous avez vu
« deux beaux chiens couchés au pied de son
« lit : avant huit jours, lord Delson pourra
« faire des courses avec eux en pleine cam
« pagne et peut-être arrivera-t-il le premier
« au but. '
-— «. Vous êtes fou, en vérité !
— 1( Soit ; mais dans huit jours je vous
« donne rendez-vous ici etàpareille heure à._
« vous et vos confrères. Vous ausculterez a
« loisir lord Deslon et vous me direz s’ilne
< respire pas aussi bien et mieux que vous et
« moi. in
Huit jours se passent et les médecins, à
leur grande stupéfaction, furent forcés de
constater une réaction complète, un état
excellent de la poitrine et des poumons. Il
respirait régulièrement, touss_ait a peine et ne
crachait presque plus.
—— « Vous êtes un grand homme, dit l’un des
« docteurs, et nous nous inclinons devant
c votre science que nous ne pouvons nous
« BXpliquer, mais dont nous admirons sin
« cèrement les résultats indiscutables, Quel
« est donc votre étonnant secret de guérir ?
« Pouvez-vous nous le révéler ?
—— « Rien de plus facile, Messieurs. Cette
M._;mlr-JW
DE JEAN SEMPÉ 454
« puissance que j’ai et que vous admirez
« vient de Celui qui a dit : Demandez et vous
« recevrez, frappez et l’on vous ouvrira. J’ai
« demandé cette guérison, et, comme vous
< le voyez, je l’ai obtenue. Le moyen est
«t simple et je n’en ai pas d’autre. »
Quelquesjours après, lord Delson, après
avoir témoigné toute sa reconnaissance et
celui qui lui avait Irendu la santé, se rendit
a Bagnères-de-Bigorre pour achever de re
prendre des forces dans l’exercice des cour
ses a travers la montagne.
Mais Jean Sempé que ces longues veilles,
ces trop grandes fatigues et ces jeûnes fré
quents épuisaient, résolut de s‘arrêter pour
un temps et de prendre un repos qui lui
était bien nécessaire. On ne l’aurait jamais
laissé tranquille à. Pau, il s’en allaàBor
deaux où il s’établit comme tourneur, pour
subvenir aux besoins de son existence.
Comme on le voit, ses nombreuses guéri
sons ne l’avaient guère enrichi.
Uujour il rencontra dans la rue une des
grandes amies de la baronne de Mesplée,
dont nous avons parlé précédemment. Cette
dame lui témoigna mille amitiés et lui raconta
comment l’homme d’affaires de la baronne,
M° Doupla, après l’avoirindignement trom
452 BIOGRAPHIE
b
pée, audacieusement volée, avait couronné
son œuvre en faisant vendre le château de
Navailles avec tous ses meubles, en sorte
que la pauvre femme, entièrement ruinée,
était venue cacher sa honte et sa misère à.
Bordeaux. Bien souvent elle parlait de Jean
Sempé et regrettait amèrement de n’avoir
pas suivi ses conseils. 4
Jean, que le récit d’une infortune quelcon
que avait le don d’émouvoir singulièrement,
fut extrêmement touché de ce dénuement où
vivait l’ex-châtelaine autrefois si fière et
résolut d’y apporter, s’il était possible, quel
que adoucissement. Il demanda l’adresse de
la baronne et dès le lendemain se rendit chez
elle accompagné de sa femme. A leur vue,
Mme de Mesplée se mit a pleurer de joie et
faillit se trouver mal.
Dieu! que] changement chez cette femme
aùtrefois si belle et si riche ? A la place des
lits à colonnes torses, des tentures des Go
belins, des lambris dorés, on n’apercevait
dans la pauvre mansarde qu’un méchant
lit de fer, une chaise de paille et une table de
bois blanc. Sur ce visage si noble et si régu
lier les traits s’étaient étirés, un cercle noir
entourait les yeux et des rides profondes sil
lonnaient ce large front.
DE JEAN SEMPÉ 153
Jub- i‘:«. 1 ‘.c
Remise un peu de son émotion, la baronne
embrassa cordialement la femme de Sempé
et raconta d’une voix faible ses malheurs et
ses souffrances. Elle avoua qu’elle n’avait
pas mangé un morceau de pain depuis deux
jours !
Jean, confondu par tant de misère, l’em
mène aussitôt chez lui et tous ensemble
font un solide déjeuner pour réparer les
forces épuisées de la baronne, qui remercia
en pleurant.
(
((
Ê
à
AAk
— 4: Mes bons amis, dit-elle, si je vous
avais écoutés ! Tout ce que vous m’avez
prédit s’est accompli. Queje suis coupable !
Comment vous remercier de votre bonté?
—- « Ne nous remerciez pas, Madame, son‘
geons plutôt a votre avenir et, puisque
vous avez confiance, sachez que tout n’est
pas perdu. Il faut que vous redeveniez
l’amie de vos sœurs qui vous aiment et
vous accueilleront affectueusement. Le pré
sident de la société des secoursmutuels, qui
est notre ami commun et auquel vous avez
eu tort de ne pas vous adresser, leur écrira
et tout s’arrangera. Je vais allerle trouver_
En attendant une réponse qui ne peut être
que favorable, vous resterez avec nous. >
Jean partit aussitôt et raconta au directeur
' 9.
454 BIOGRAPHIE
la situation lamentable de Mme de Mes
plée. Celui-ci donna immédiatement cin
quante francs pour les besoins urgents et
écrivit à. la famille une lettre si pressante,
que bientôt arrivaitt out l’argent nécessaire,
. pour retirer les bijoux du Mont-dc—Piété
et payer les frais du voyage de retour.
Quelque temps après, le château de Na
vailles était racheté par la famille et‘la ba—
ronne de Mesplée y put rentrer ety vivre en
paix;
_Sur ces entrefaites, Jean Sempé reçut une
lettre de son avocat, M° Lamaignière,,qui
le suppliait de venir à Pau, pour lui parler
d’une affaire singulière et mystérieuse, qu’il
avait grandement à cœur d’eclaircir. Par lui—
mème il n’y pouvait parvenir, il avait besoin
des lumières surnaturelles de Jean et de
sa femme.
Jean, qui pour le moment avait aban
donné toutes sortes d’affaires, hésita long
temps a se rendre a cette invitation. Cepen
dant il finit par céder, parce qu’il se souve—
naitdes bons services que lui avait rendus
son avocat. Il partit donc avec Marie.
Ils descendirent à. leur hôtel ordinaire et
Jean se rendit seul chez M. Lamaignière.
— « Cher Monsieur Sempé, lui dit l’avocat,
DE JEAN SEMPÉ 455
AàRA
((
je suischargé d’une affaire qui doit venir
demain en cour d’assises et je voudrais
avoir des reseigneménts précis au sujet
d’un accusé. Il jure ses grands dieux qu’il
est innocent du vol dont on l’accuse, et son
air est si sincère que je voudrais avoir
ma conviétion faite, pour pouvoir le ;déli
vrer, Voyezsi vous ou votre femme pou
vez m’aider en cette affaire.
— « Volontiers, répliqua Jean, je serais
heureux de sauver un innocent, et je ne se—
rai pas fâché en même temps de vous dé
montrer quels services on peut attendre du
magnétisme honnêtement pratiqué. Quand
voulez—vous que ma femme vienne ici?
— 1 Tout de suite, si vous le pouvez.
— « Eh bien ! je vais lui ordonner par
la pensée de partir a l’instant même et
dans cinq minutes elle frappera a votre
porte. »
Cinq minutes s’étaient a peine écoulées
que Marie Sempé se présentait.chez M°
Lamaignière. Jean la fait asseoir sur un
fauteuil et l’endort. Aussitôt une crise ex
traordinaire se produit:
—- « J’étouffe, s’écrie-elle, délivrez-moi. »
Jean la dégage et lui demande où elle me
trouve.
156 BIOGRAPHiE
.— < Au fond d’un trou noir, a côté d’un
1 trésor volé.
-— ( Ah ! très bien, dit l’avocat, demandez-'
lui donc des éclaircissements sur l’affaire
du comte de Grandmont.
-— < Le comte de Grandmont ? répond
« la voyante, je l’apérçois dans sa chambre
c avec sa maîtresse, il luidonne cent francs,
« il part précipitamment, la femme est seule,
« la clé est restée sur le secrétaire... »
Ayant dit ces mots, Marie s’arrêta et Jean,
comprenant qu’elle n’avait plus rien a rêvé
ler, la remit dans son état normal.
Voici en effet ce qui s’était passé :
Le comte de Grandmont, quelques instants
avant son dîner, avait reçu, en effet, chez
lui, sa maîtresse en secret et sur sa de
mande lui avait remis une petite somme
d’argent. Comme le dîner venait de sonner
et qu’il craignait d’être surpris, il avait dit
vivement à cette femme:
—- « Je pars, car on m’attend. Tu sortiras
« tout a l’heure par la petite porte du parc,
< dès que tu verras les lumières dans la
« salle a manger. »
Puis, après avoir embrassé sa maîtresse,
il s’était esquivé précipitamment, sans pen
ser a retirer la clé de son secrétaire, qui
à
2
4.«..
DE JEAN SEMPÉ 457
contenait une assez forte somme en or.
La femme, cédant a un mouvement de
convoitise, avait ouvert le tiroir du secré
taire, pris le sac d’or et s’était enfuie. En
arrivant dans le jardin, elle eut peur, fut
prise de remords et se sauva a toutes jam
bes, en jetant l’or au fond du puits devant
lequel elle passait.
Le lendemain matin, le comte, ayant besoin
d’argent, s’aperçut du vol. 11 ne pensa pas
un instant à sa maîtresse qu’il avait vue et
n’eut même pas l’idée de la soupçonner; il
accusa le seul domestique qui eut ses en
trées libres dans sa chambre et porta sa
plainte au commissaire Blampin.
Celui-ci vint faire une perquisition dans
les chambres des serviteurs du château, et
ne trouvant aucun indice fit subir à tout le
personnel un intrrogatoire sévère.
Le pauvre valet de chambre, fortement
ému d’être soupçonné, s’embarrasse telle
ment dans ses réponses, que le commis
saire, trompé par les apparences, l’arrêta et
le livra à la justice.
Depuis trois mois, ce pauvre homme sup
portait les injustes rigueurs d’une prison
préventive et sa condamnation était probable.
M0 Lamaignière, après avoir entendu
458 ' BIOGRAPHIE
les paroles de Marie Sempé, découvrit
quelle était la vérité et demanda sur les
révélations qu’il venait d’entendre le secret
le plus absolu.
Il mande à. la hâte le comte de Grandmont
et lui pose toutes les questions nécessaires.
Ses réponses affirmatives éclairent et confir
ment le récit de Marie. Sa conviction est faite.
— < Vousle voyez, Monsieur le comte, votre
« garçon est innocent et il faut le sauver; mais
« en même temps il faut éviter le scandale.
« Arrangez-vous avec votre maîtresse. Ce
« sont la des choses où la justice ne doit
« intervenir que sur votre demande formelle,
« ce dont vous vous garderez bien pour
« l’honneur de votre nom et la tranquillité de
« votre famille. N’en parlonsdonc pas. Allez
« prévenir en secret les jurés que vous con
« naissez, ainsi que les’juges et l’avocat
a général. Dites-leur la vérité tout entière.
« Pour moi, dans ma plaidoirie je m’arran
« gerai de manière a ce que votre domesti
« que soit acquitté. un
Le comte remercia chaleureusement et
suivit le conseil.
Le lendemain, le valet de chambre était
acquitté à l’unanimité.
Mais Ce qui inquiètaltle comte plus par—
DE JEAN SEMPÉ 459
ticuliêrement, c’était de savoir ce que sa maî
tresse était devenue.
N’osant pas reparaître de peur d’être com
promise ou arrêtée, cette femme avait disparu '
et quitté le pays pour toujours.
Mais qu’avait—elle fait de la somme volée?
Un des amis de M. le comte de Grandmont,
le comte de Laborde; qui l’entendait exprimer
ses inquiétudes a ce sujet, lui dit :
—— « Récompenseriez-vous la personne qui
cr pourrait vous indiquer l’endroit précis où
« se trouve l’argent ?’ -
—« Vous n’en doutez pas, répondit le
« comte de Grandmont.
-— « Alors soyez tranquille, je vous amé—
« nerai cette personne. »
On se rappelle sans doute que le comte de
Laborde s’occupait de magnétisme en ama
teur, il avait fait la connaissance de Jean
Sempé, a propos de la guérison de lord
Delson. ‘
Il savait que Jean Sempé était de passage
à Pau ; il va le trouver et lui demande de re—
chercher cet argent perdu. Jean réfléchit un
instant et répond :
— «Je vous le dirai demain chez M. le
« comte de Grandmont, prévenez-1e que je
« serai chez lui a une heure de l’après-midi.
160 BIOGRAPHIE
Le lendemain, Jean se présenta avec sa
femme. A peine celle-ci avait-elle franchi la
porte du salon, qu’elle tombait dans le som
meil magnétique et disait :
— « Le trésor est dans le jardin au fond du
« puits. » ‘
Le comte vivement interessé par cette
séance magnétique, se rend avec Jean à l’en
droit indiqué. En quelques coups de pompes,
on vide le puits peu profond, on y descend
et l’on découvre, enfoui dans la vase, le sac
qui contenait la somme entière disparue.
Le comte de Grandmont, enchanté de la
trouvaille, mit de force dans les mains de
Jean Sempé une somme de trois cents francs.
En rentrant au salon, ils trouvèrent Marie
toujours endormie.
— c Jean, dit-elle, accepte cet or qu’on
« vient de t’offrir. Il faut que tu partes pour
c Paris, où depuis longtemps on désire te
44 voir. Laisse ton état de tourneur, confie
< tes meubles aun ami et va dans la capitale.
-« Qui donc désire me voir? demande
« Jean Sempé.
—— « La femme que tu as délivrée de pri
« son, Mme Lescure... Et puis il faut que tu
c ailles a Paris. L’heure est arrivée. Demain
c nous partirons ensemble. »
-.*.._Ï.u. ,M.__4
CHAPITRE IX
Poursuites indignes. — Fuite de Paris. — Visite au vieux
père. — En route pour la Martinique. -— Horrible tem
pê.e. —_ Punition du capitaine. — Jean sauve le navire
par ses prières. — Rentrée au port.
C’était au commencement de septembre
1854 que Jean Sempé et sa femme arrivèrent
aParis pour la première fois. Au débarca
dère du chemin de fer, ils trouvèrent leur
amie, Madame Laurent, l’ancienne dame
Lescure, qui ne voulut a aucun prix les lais
ser aller a l‘hôtel, mais les emmena chez
elle, 30, rue Bourbon-Villeneuve, actuelle
ment rue d’Aboukir, et mit a leur disposition
une petite chambre.
Jean ne savait trop comment s’occuper et
trouver une place dans cette grande ville
qu’il ne connaissait pas, lorsqu’il reçut la
visite d’un compatriote, M. de Cazamagnac,
qui depuis son départ le cherchait et avait
demandé a toutes ses connaissances la nou
velle adresse de Jean Sempé.
Comme il connaissait admirablement Paris
4 62 . BIOGRAPHIE
et qu’il y avait de bonnes relations, il offrit
à Jean Sempé d’user de son influence et de
lui trouver une situation convenable. Jean,
qui n’avait aucune raison de se défier de ce
nouvel ami, accepta avec joie et reconnais
sance cette proposition et tous deux fai
saient ensemble de nombreuses sorties,
allant de côté et d’autre a la recherche d’une
position sociale. ' _
Un jour que Jean était parti seul, M. de
Cazamagnac, qui guettaitl’occasion, arriva
chez Marie Sempé et lui dit a brûle-pour
point:
_ « Madame, je vous aime,jc’est pour vous
« que j‘ai quitté mon pays, et pour vous que
«je Suis prêt a tout sacrifier. Depuis que
« vous êtes mariée,je vousai partout suivie et
«lorsque vous avez quitté Pan, je ne savais
« plus ce que vous étiez devenue. Enfinje vous
« retrouve et je vous veux. Soyez à. moide
« bonne volonté, et pour votre marije trou
« verai une bonne place, pour vous ma for
«tune et mon coeur.
— « Sortez, Monsieur, vous m’offensez.
« répond Marie indignée, je dirai à Jean
« S empé qui vous êtes. '
— « Vous ne lui direz rien, pour vous pos—
« séder, je le tuerai plutôt... » '
DE JEAN SEMPÉ 463
Et comme elle faisait un mouvement d’hor—
reur : ,
—— « Car voyez-vous, Marie, je vous adore,
« je ne vis que par vous. Depuis cinq ans
«je vous aime de toute mon âme... Marie,
«je t’aime! »
Comme il s’approchait pour la saisir,
Marie d’un bond se précipita vers la fenêtre
. et l’ouvrit:
— «N’approchez pas, ou j’appelle...
-— « Je m’en vais, répondit-il furieux,
« une autre fois tu seras plus raisonnable
«ou je serai plus habile. Mais souviens
«toi bien de ma parole :- si tu dis un mot
4: a ton mari de ce qui vient de se passer, je
« le tue. » ,
Et il partit aussitôt, laissant Marie dans un
état de surexcitation facile acomprendre.
Néanmoins quand Jean Sempé rentra, elle
ne lui dit rien de cette scène, tant elle était
effrayée des menaces de ce terrible ennemi,
qui avait la sotte prétention de devenir son
amant.
Pendant deux jours elle resta plongée dansses réfleXions, indécise sur le parti qu’eile-v
devait prendre, lorsque son mari lui apprit
que M. de Cazamagnac devait venir dans
l’après-midi le chercher pour de nouvelles
._,‘-.‘_,’a«ur-\.. _ ‘._h___.
164‘ BIOGRAPHIE
courses à travers la capitale. Craignant a
bon droit que, sous un prétexte quelconque,
il ne laissét Sempé en chemin pour venir la
tourmenter de nouveau, elle dit a son mari.
—-— « Mon ami, je t’en prie, ne sors pas avec
«lui aujourd’hui, qu’il aille seul te chercher
« une place.
—— cr Pourquoi ne veux-tu pas que je l’ac
« compagne? répondit Jean d’un air étonné,
c ma présence est pourtant nécessaire.
-—-« Qu’importe la cause? je ne puis te la
« dire. Mais, je t’en supplie, ne sors pas
« avec cet homme. »
Jean fut surpris de cette insistance et sur
tout du ton qu’on y mettait. Il ne dit rien,
mais quand vint M. de Cazamaghac :
— « Je vous prie de m’amuser, Monsieur,
« lui dit-il, il vient de me survenir une affaire
« urgente qui m’empêche de sortir avec vous
« aujourd’hui. Dès que je serai libre, je vous
« préviendrai quand nous pourrons recom
« mencer nos courses quotidiennes. »
M. de Cazamagnac n’eut pas l’air contrarié
et s’en alla en disant:
—- << A bientôt! »
. Quand il fut. parti, Marie se jeta au cou de
Jean Sempé et lui dit en pleurant:
— « Merci, mon ami; maintenant il faut
DE JEAN SEMPÉ 465
« que nous quittions Paris dès ce soir.
—— « Mais qu’as-tu donc, ma chère femme,
« et pourquoi ce brusque départ qui n’a pas
« de motif. Dis-le, je le veux, je t’en prie.
« D’ailleurs, tu le sais, nous ne le pouvons
« pas, l’argent nous manque pour faire des
« voyages de plaisir et dans quelques jours
« je vais avoir un emploi lucratif. Il faut que
« nous restions àParis.
— < Non, non, il faut partir et tout de suite.
« Dieu le veut. Va chez M. Bosquin, l’agent
« de ton frère Jeannou qui est en Amérique
« il te donnera tout l’argent qui nous est né
« cessaire. »
Jean ne savait pas résister aux prières de
son excellente femme : il part .et va chez
M.Bosquin. Celui-ci lui remet unelettre de son
cher frère, qui l’invitait a venir le retrouver à
la Martinique, lui assurant qu’il se chargeait
de tout son avenir.
— « Je vais vous donner tout l’argent dont
«vous avez besoin, lui dit l’homme d’af—
« faires. » '
Jean accepta deux cents francs et dès le
soir même, avec son épouse, il quittait Paris
pour aller à. Bordeaux.
Ils étaient décidés tous deux à. prendre le
premier paquebot en partance pour aller
166 BIOGRAPHIE
retrouver ce frère bien—aimé, qui désirait tant
les avoir près de lui.
Au déjeuner Marie dit à Jean:
—— « Je puis et je dois te dire maintenant le
« motif de notre départ. »
Et elle lui raconta la ridicule scène d’amour
que lui avait jouée M. de Cazamagnac et les
terribles menaces qu’il avait proférées contre
lui.
—— « J’approuve tout ce que tu as fait, dit Jean
« Sempé, et j’admire ta sage prévoyance. Ne
«crains rien, va, et n’oublie pas la parole
« sainte: Les désirs des méchants périrent
« avec eux et ils tomberont eux-mêmes dans
« les pièges qu’ils tendent à l’homme juste.
« Tu pouVais tout me révéler dès le premier
« instant, car ne sais-tu pas que j’ai la puis
« sanCe de le punir de sa lâcheté. Tu en as
« jugé autrement, soit; mais je veux que dé
« sormais il ne puisse plus nous revoir. En
« vain nous recherchera-HI partout, il ne
« pourrajamais ni nous rencontrer ni nous
« parler. Ce sera sa seule punition. >>
Le lendemain, Jean se mit a la recherche
d’un navire qui pourrait les transporter et la
Martinique. Le hasard, ou plutôt la Provi—
dence, lui fit rencontrer un M. Flauguergue,
capitaine de navire, précisément au service
.;.r;-.-:‘ l4\. .
DE JEAN SEMPÉ “167
de Jeannou Sempé pour le commerce des
sucres et cafés. Jean se fit connaître et le
capitaine se chargea de transporter gratui
tementie frère de son armateur et sa femme
Le navire reprenait la mer dans quinzejours.
C’était une occasion inespérée dont il fallait
profiter. ’
Jean écrivit immédiatement a son père,
pour lui annoncer son départ et lui deman
der l’envoi de tous les papiers nécessaires
pour prouver son identité et son honnêteté.
Le père Sempé lui répondit qu’il valait mieux
venir les chercher lui—même, pour leur plus
rapide expédition, et que d’ailleurs il serait
très heureux de revoir son fils.
Jean obéit de suite a cette aimable invita
tion et arriva à Pau à. l’hôtel de Mme Pujo],
qui fut bien étonnée de le revoir. Elle le
croyait toujours à. Paris. -
—— « Je vais a Bénéjac, dit Jean, chercher
« mes papiers et je rejoins mon frère a la
« Martinique.
« On est venu vous demander il y a deux
« jours, dit l’hôtesse.
‘- « Qui d0nc ?
— « M. de Cazamagnac.
-— « Ah! ce Monsieur!... si vous le revoyez,
« vous lui direz que revenu au pays pour
168 BIOGRAPHIE
« affaires de famille,je repars pour Paris.
—- 4: Bien, je ferai la commission. »
A Bénéjac, Jean fut reçu à bras ouverts
par toute sa famille, heureuse de le posséder
après une si longue absence et qui voulut
lui faire oublier les ennuis d’autrefois. Le
\père tua le veau gras en l’honneur de son
fils et les jeunes frères, qui n’étaient pas en
core mariés, cherchèrent de toutes manières
a lui prouver leur affection Après trois jours
de repos au milieu des joies de la famille,
Jean repartit emportant la bénédiction pater
nelle et mille protestations d’amitiés pour le
frère Jeannou. Bientôt il rentrait à Bordeaux
'; près de sa femme chérie, qui avait tout pré
‘\
paré pour ce voyage lointain. ‘ _
Enfiq,‘ytoute affaire réglée et les adieux
faits aux quelques personnes amies qu’ils
avaient à Bordeaux, ils s’embarquèrent a
bord des Deux Edouards, le navire de com
merce que commandait le capitaine Flan
guergue.
Ce navire était un joli trois-mâts, aux for
mes élancées et hardies ; sa belle mature, sa
coque solide en même temps qu’élégante, son
peut si propre et son armement si coquet
faisait l’admiration de tous les connaisseurs.
Dans le port on le regardait comme un des
DE JEAN SEMPÉ 169
meilleurs marcheurs connus et léplus capa
ble de résister aux coups de vent et aux plus
dures tempêtes.
Hélas! comme on se trompait!
Le 16 février 1855, le gentil navire descen
dit gracieusement et entra en mer par un
temps magnifique. La vague était douce et
pas un nuage n’apparaissait au ciel. Une tra
versée commencée sous«des auspices si favo
rables promettait d’être heureuse.
Néanmoins Jean Sempé se sentit fortement
ému, en voyant peu a peu le rivage s’éloi
gner et se fondre, en quittant pour la première
fois cette France bien aimée, où il avait souf—
fert sans doute, mais où il avait aussi goûté
de si douces consolations. La reverrait-il ja
mais ‘? C’était le secret de Dieu. Mais il emme
nait avec lui toutes ses aflections. Que lui
importait le reste?
Bientôt son émotion changea de nature.
Malgré la douceur du roulis , Jean et sa
femme payèrent leur tribut à la mer et furent
soufl‘rants pendant quelques jours. Mais le_
temps était si beau, l’Océan si calme que
bientôt ils se remirent, purent se promener
sur le pont et admirer à. loisir ce grand spec
tacle dont on ne peut se rassasier, cet Océan
sans bornes qui ne ressemble jamais à lui
10
170 BIOGRAPHIE
même et nous donne quelque idée de l’im
mensité divine.
Il y avait dix jours environ que le navire
naviguait sous une petite brise fraîche, quand
le temps devint tout a coup d’un calme ex—
cessif. Les voiles pendaient molles le long
des vergues et pas une ride ne troublait la
surface de l’onde. ,_
On le sait, les grands calmes présagent les
terribles tempêtes. Aussi les marins du bord
se regardaient-ils les bras croisés,l’air cons
terné, en redisant entre eux ce mot lugubre:
Mauvais signe! A l’horizon un petit point
jaunâtre montait lentement, mais montait
toujours en s’étendant comme une tache li
vide. -
Le capitaine, un vieux loup de mer, ne se
préoccupait guère de tous ces présages. Il en
avait vu bien d’autres et sôn navire était so
lide. Selon son habitude, il se promenait en
siffiotant, les mains derrière le dos, de long
en large à travers le navire, en attendant le
premier coup d’épe‘ron du vent pour lancer
son coursier ailé et fuir la tempête.
On était au dimanche et Jean Sempé et sa
femme, assis dans un coin sur des cordages,
récitaient tranquillement leur office de vépres,
quand le capitaine les aperçut et se mit à rire
A.v‘ > !"’ J'
DE JEAN SEMPÉ . m
'w-—..-z‘æ_*æv‘
et se moquer de leur simplicité. Ce fut bien
pis, lorsque sans honte et sans vergogne ils
se mirent à genoux pour terminer leurs
prières. Les mauvaises plaisanteries dites
d’un ton gouailleur, les moqueries de la re
ligion et de ceux qui la pratiquent pleuvaient
drus comme grêle, mais ne trouvaient pas
d’écho parmi les autres marins, qui parfois,
il est vrai, ne se gênent pas pour lancer
d’épouvantables jurons ou des paroles ob
scènes, mais aiment leur religion et veulent
qu’on la respecte.
A la fin, Jean impatienté d’entendre débiter
tant de sottises, regarda le capitaine bien en
face, et lui dit très carrément :
— « Monsieur, je ne dérange point vos ma
« nœuvres, veuillez me laissez aux miennes
« et ne pas tourner en dérision des choses
« que vous ne connaissez pas ou que vous
« faites semblant de méconnaître. Avant vingt
« quatre heures vous invoquerez Celui que
« vous traitez maintenant avec tant de mé
« pris. Occupez-vous de votre navire et pre
« nez garde. »
Au même instant, comme pour donner rai
son aux paroles de Jean Sempé, une brusque
rafale secoua les voiles et fit vibrer-les mâts,
les vagues moutonnèrent, se creusérent et
472 ‘ BIOGRAPHIE
devinrent bientôt des montagnes, le navire
comme affolé se mit a danser dans tous les
sens, le grand nuage de cuivre envahissait
tout le ciel, couvrait le soleil et faisait la nuit
profonde qu’éclairaient de courts et rapides
éclairs suivis d’un grondement sourd. Ce
n’était pas l’orage, mais quelque chose de
plus angoissant, l’horreur de la'nature avant
d’être bouleversée.
Déjà le capitaine avait sauté a son poste et
le gouvernail en main, donnait des ordres
brefs. Il était là. depuis a peine dix minutes
lorsqu’un coup de vent formidable, auquel
personne ne s’attendait coucha le navire et
renversa tout le monde pèle-mêle. Le capi
taine tomba si malheureusement qu’il eut
toute la peau du des emportée, comme si on
l’eût écorché vif. Il appelle son second, le
met a la barre et rentre dans sa cabine. Sur
son passage il rencontre Jean Sempé et lui
dit :
« -——Allons, mon brave,me voilà déjà. puni,
« oubliez mes plaisanteries de mauvais goût
« et venez me soigner, car je souflre horri
«pblement. Tenez, voici la clé des médica
« ments, prenez de l’arnica et cautérisez a
« Vif. » '
Jean déshabilla le capitaine et avec la che
DE JEAN SEMPÉ 473
mise il amenait la peau : ce n’était depuis le
cou jusqu’aux reins qu’une plaie sanglante.
Il la lava et la pansa soigneusement, pen
dant que le rude marin grognait comme un
vieux lion blessé et parfois, sous le coup de
la souffrance plus vive, parcourait la gamme
des jurons de tous les mondes connus.
Pendant ce temps, la tempête faisait rage,
la foudre éclatait en fracas, la pluie tombait
a torrents et le second commandait la ma
nœuvre tant bien que mal, plutôt mal que
bien, car il était a moitié ivre, ayant pour
fêter son dimanche, absorbé une notable
quantité d’alcool.
-— « Barre au vent! s’écrie-Hi d’une voix
« avinée. » V
Au même moment, une_ énorme masse
d’eau tombe sur le navire et manque de le
faire couler à. pic. Une grosse chaîne de
sonde en fer, de 52 brasses, tombe avec fra
cas et dans sa chute enfonce le mur de gau
che de la cambuse, l’eau se précipite à. gros
bouillons dans l’intérieur, tout est perdu.
Le capitaine entendant ce tapage infernal
devine le danger. Oubliant ses douleurs, il
se précipite a peine vêtu, reprend le gouver
nail, faitjouer la pompe et aveeugle autant
que possible la voie d’eau.
. 10.
174 BIOGRAPHIE
Jean, de son côté, court vers sa femme
qu’il trouve couchée et toute tremblante,
n’ayant pas même la force de se lever. Elle
pense que c’est la fin du mondep‘; mais tou
jours douce et soumise, elle est toute rési
gnée à mourir. Jean la prie de s’habiller a
la hâte, l’emmène sur le pont, en lui recom
mandant de'se cramponner solidement pour
ne pas être enlevée par dessus bord.
La haut, le tapage redouble et le vent dè
chire et brise tout. Le commandant ne sait
plus où il est ni quelle direction il faut
prendre, la roue du gouvernail lui échappe.
un coup violent lui brise la jambe gauche.
Malgré cela il n’abandonne pas son poste, il
reprend la barre et crie à. ses matelots :
— « J’ai lajambe cassée, mes enfants, mais
«ce n’est rien. Courage, tenez ferme, en
« avant et a la grâce de Dieu! »
Jean Sempé, au milieu de ce formidable
déchaînement des grandes eaux dont il
n’avait jamais été témoin, éprouva un mou
vement de trouble bien compréhensible. Il
croyait sa dernière heure venue et faisait le
sacrifice de sa vie, quand tout a coup il
tombe en extase et voit devant lui Mlle Julie
Bombalaire qui lui disait doucement :
-— < As-tu donc oublié déjà la prédiction
DE JEAN SEMPÊ 175
qui t’a été faite le 16 octobre 1847? Sou
viens-toi que ta mission n’est pas accom
plie et que tu ne périras pas par les flots,
ni aucun de ceux qui sont avec toi. Cou
rage et prie. n
A ces mots, Jean revint à. lui et toute crainte
fut bannie de son esprit. Il communiqua sa
confiance à. son épouse et tous deux remer
ciérent Dieu qui daignait les sauver, puis il
se glissa près du vaillant capitaine ;
— c Eh bien, capitaine, ne fait—il pas bon
invoquer Dieu quand on va mourir?
—— I Diable! répondit-il, je ne fais que cela
depuis un moment, car nous sommes bien
flambés! , ‘
— I Nous sommes sauvés au contraire, la
tempête va s’apaiser et nous serons bien
tôt de retour a Bordeaux, car au lieu
d’avancer, nous sommes revenus en
arrière. _
l — Ça, je ne pourrai vous le dire, vu qu'on
« n’y voit goutte; mais Dieu vous entende et
A
deux s’agenouillant
je commence écroire que vous avez des
intelligences la haut. »
Jean Sempé revint près de Marie et tous
prièrent avec fer
V6UI‘ 2
—« Jésus, fils de Dieu, sauvez-nous!
7.—“..«t
176 BIOGRAPHIE
« Sainte-Vierge, étoile de la mer, secourèz
cr nous! >
Alors, comme dans un dernier accès de
colère, la tempête brisa par le ras le grand
mât et le mat d’artimon. Dès la première
heure de l’orage, le mât de misaine avait dis
paru. Puis un grand calme se fit, les nuages
s’enfuyaientà tire d’ailes et les rayons du
soleil levant annonçaient un beau jour.
Sans mats, sans voile, tout désemparé, le
navire allait à. l’aventure sans direction;
c’est agrand’peine qu’on empêchait l’eau de
pénétrer, et il fallait sans cesse se relayer
aux pompes. L’équipage n'en pouvait plus,
mais il avait bon espoir, car il se sentait
sauvé. Vint à. passer un vapeur, auquel on
fit les signaux de détresse. Deux jours
après, rapidement remorqué, le gentil navire
rentrait dans un état bien pitoyable au port
d’embarquement.
Capitaine, matelots et passagers débarqué -
rent et leur premier soin fut d’aller en groupe
à. Notre-Dame de Bordeaux, pour remercier
Dieu de les avoir tirés d’un si grand péril.
Le capitaine s’était fait‘transporter sur un
brancard. Pendant quarante jours, il resta
étendu et soufl‘rit beaucoup, mais il finit par
guérir et repartit sur son navire réparé.
DE JEAN SEMPÉ 477
Jean et sa femme allèrent lui serrer la
main, mais ils ne voulurent pas reprendre
la mer. Pour eux, la volonté de Dieu s’était
manifestée. Il fallait rester en France.
D’ailleurs, la santé de Marie, ébranlée par
cette rude épreuve, n’aurait pu supporter
un second voyage.
Ils allèrent s’établir à Bayonne.
CHAPITRE X
Séjour à Bayonne. -— Visite à Maumas. — L’abbé Gaze—
neuve. — Typhus et choléra. — Misère extrême.—
Ingratitude humaine. — Mme Silva. — Complot avorté.
La situation était grave. Marie Sempé, lan—
guissante, avait besoin de soins particuliers;
mais malheureusement la bourse était presque
vide, tant peu songeait le bon guérisseur à tirer
finances du clou singulier que Dieu lui avait
déparli. Avant tout il fallait vivre, et dans ce
but chercher de suite une occupation quel—
conque. '
Il reprit son premier état d’ébéniste chez un
patron du nom de Vacarès qui, outre le travail
assuré, lui olfrit en même temps à des condi—
tions acceptables une petite chambre garnie,
à côté de l’atelier, afin qu’il fût {plus près de
sa femme en cas d’accident. Il fut convenu avec
le maître qu’il toucherait un'_’franc par jour,
pour subvenir aux frais les plus pressants du
'mènage et que le reste lui serait soldé au jour
DE JEAN SEMPÉ 179
m
de paie ordinaire. A la fin de la quinzaine, Jean
demanda ce qui lui était dû, mais le patron ré—
pondit qu’il ne le paierait qu’à la fin du mois.
Jean Sempé, surpris de cette manière d’agirs
en exprima son étonnement aux_ autres ou
vriers, qui lui dirent que ce patron était mau
vais payeur et que souvent il fallait recourir à
la justice pour avoir son salaire, et encore ne
gagnait—on pas toujours.
Jean, qui avait horreur desjuges, quitta tout
simplement cet indigne exploiteur de l’ouvrier,
loua une chambre et se mit à la recherche
d'un autre emploi.
Maumas, que fl101Œ‘ÛOl]R&ÎBSOÏJS déjà, demeu—
rait aus'si à Bayonne.‘ Jean, qui ne l’avait pas
vu depuis 10Ægtemps, songea à lui rendre visite, '
.«_ peut—être lui indiquerait—il des personnes qui
‘pourraient l’occuper; Comme il montait l’esca—
lier qui conduisait â la demeure du bottier,
Jean rencontra un médecin qui sortait préci—
sèment de la maison. Y avait-il donc des ma—
lades chez son ami? Il frappe .â la porte plein
d’anxiété. C’est Maumas qui vient ouvrir et
qui, à la vue de Jean Sempé, pousse un cri de
joie, se précipite dans ses bras et l'embrasse
eñ pleurant :
—— « Ah! mon cher ami, lui dit—il, c’est Dieu
« qui vous envoie. Le prêtre et le médecin
180 BIOGRAPHIE
« sortent d‘ici. Ma femme et mes trois enfants
« sont a la mort, ils ont la fièvre typhoïde.
« Mais vous voilà, ils sont sauvés!... Venez
« vite! »
Et il le conduit près de Mélanie, sa petite
amie d'autrefois, qui n’avait plus que le
souffle. .
Jean, touché de compassion, se met à pleurer
et, plaçant sa main sur le front de l’enfant, il
crie:
— « Jésus! sauvez-la! »
Et celle qui tout à l’heure était en délire, qui
agonisait prête à rendre le dernier soupir, se
lève sur son séant et regarde autour d’elle
tout étonnée de voir tant de monde. Elle vient
de reconnaître Jean Sempé, lui sourit et de- -
mande a manger. _ '
Jean se rend auprès du lit des autres et fait
la même prière. Tous quatre guérirent, mais
ce fut Mélanie qui revint le plus promptement
à la santé.
Jean s’en alla, emportant les larmes de re—
connaissance d’une mère, qui songeait moins
à elle qu’à ses enfants, et les protestations
d’amitié du père, qui devait bientôt les démen
tir ontrageusement. '
Aux âmes vulgaires la reconnaissance est
lourde. '
DF JEAN SFMPÉ 481
A peine Jean était-il descendu dans la rue,
qu’il fut accosté par le domestique de l’abbé
Cazeneuve, un prêtre fort estimé de tout le
monde et que Jean vénérait tout particulière
ment.
— « Ah! c’est vous, monsieur Sempé; que je
« suis aise de vous rencontrer : c’est la divine
« Providence qui vous a mis sur mon chemin.
« Le malheur est chez nous: M. l’abbé a la
« typhoïde, et depuis deux jours il est sans
« connaissance. Vous qui l’aimez, vous n’allez
« pas le laisser mourir. C’est une épidémie
dans toute la ville que cette maladie...
-— « C’est bien, c’est bien, répondit Jean,
conduisez-moi tout de suite chez M. l’abbé,
je veux le voir sans tarder. »
Ils arrivent: Jean secoue fortement la main
du prêtre qui ouvre les yeux et le reconnaît:
— « Comment c’est vous, lui dit—il, vous
« l’homme fort par excellence, qui vous laissez
« abattre par la souffrance, qui vous laissez
« vaincre par l’ennemi. Ce n’est pas possible!
« Allons, levez-vous ; au nom de Jésus,je vous
« l’ordodne. ».
‘o\
A
A
Il lui touèhe le front du doigt, lui souffle
sur le visage, et la fièvre s’envole.
L’abbé Cazeneuve semble s’éveiller d’un long
sommeil, se lève et s’habille.
‘.- wa- *'
11
182 BIOGRAPHIE
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A "'‘ X
,. | i aux personnes V6112.ÎGHÎ le consulter.
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-— « Puisque vous avez tant fait, dit—il âJean,
« chassez, je vous en conjure, l’épidémie de
« toute la ville.
-— « Je veux bien essayer, dit Jean tout
« simplement. »
Et en efiet il se met en prières, suppliant le
Dieu de bonté d’éteindre le fléau de sa justice,
puis il ouvre la fenêtre et dit d’une voix forte,
avec un visage rayonnant: _
— « Démons, qui peuplez et tourmentez cette
« ville, je vous l’ordonne au nom de Jésus, Fils
« du Dieu vivant, retirez—vous! »
Trois jours après, il ne restait plus trace
d’épidémie dans toute la ville, au grand éton
nement des médecins et à la stupéfaction des
bons bourgeois, qui ne savaient a quoi attri
buer toutes ces guérisons subites dont ils
étaient témoins. Cependant ils eurent le bon
esprit d’en aller remercier Dieu à la cathé
drale.
Une autre épidémie plus grave encore, le
choléra, venant d’Espagne, vint ravager
’\Bayonne quelque temps après. Jean Sempé en
' treprit de combattre le redoutable fléau et dans'ce but remit quelques grains de sel rmagnétisé
Pour n’en citer qu’un exemple, le fils d’un
pharmacien, M. Silva, frappé tout à coup par
DE JFAE SEMPÉ 183
l’horrible maladie, tomba dans d’épouvantables
convulsions. Sa bouche écumait, il devenait
verdâtre et la clééomposition se faisail rapide.
La domestique de la maison, qui déjà avait
été guérie par Jean Sempé, dit a sa maîtresse
désespérée : '
——. « Voulez-vous, Madame, quej'essaie un
« remède qui m’a bien réussi ?
— « Faites vite, répond la pauvre mère. »
Alors la bonne prend quelques grains du
sel que Jean lui avait donné et les laisse se
fondre dans la bouche du malade. A mesure
que le sel pénètre, le malade se soulève et res
pire plus librement ; puis il pousse un grand
soupir de soulagement, redevient calme et
s’endort, à la grande surprise des assistants et
_ a la grande joie de Mme Silva.
Cette deuxième épidémie, grâce aux remèdes
deJean Sempé, dura à peine un mois et ne fit
qu’un très petit nombre de victimes.
Mais pendant le temps que Jean était occupé
' à rendre service aux autres, il s’oubliait trop
lui-même et, le travail manquant, le néces
saire aussi manquait au logis, d’autant que sa
femme était toujours souffrante et maladive,
par défaut de soins et de bonne nourriture.
Pourquoi, s’il guérissait avec tant de facilité
les personnes qui lui étaient indifférentes, ne
184 BIOGRA PHIE
songeait-il pas à user de ce don extraordi
naire pour empêcher de souffrir celle qu’il
aimait si tendrement?C’est que Jean Sempé
n’obéissait qu’aux inspirations de l’esprit inté
rieur qui le dirigeait ; c’est que, pour mieux
compatir aux souffrances de ses frères, il fal—‘
lait que lui—même endurât toutes les douleurs
dans sa personne, dans sa vie matérielle, dans
ses affections les plus chères.
Cependant un jour que sa pauvre Marie, pâle
et anémique, épuisée par le mal et les priva—
tions, était restée étendue sur son lit sans force
et presque sans souffle, Jean Sempé frémit et
magnétisa sa femme avec une telle puissance,
qu’en moins de dix minutes, Marie était debout,
entièrement guérie.
— << J’ai faim, dit—elle. » -
Or, il ne restait pas un morceau de pain à la
maison.
La femme de Jean tombe en extase, prend
son mari par le bras et le mène tout droit dans
un restaurant. Elle donne des ordres brefs aux
garçons, se fait servir un bon repas et tous
deux mangent de bon appétit. Marie est tous
jours endormie, ce qui surprend tout le monde.
— « Jean, dit-elle à son mari a la fin du
« repas, tu iras rue Orbes, n° 8 ; tu y loueras
« pour seize francs par mois unepeti‘te chambre
.. "7.“..-— a.
DE JEAN SEMPÉ 185
'.-.. -.
garnie. Tu n’auras rien à payer d’avance. Tu
“ feras prendre nos effets et nous irons nous
installer demain dans notre nouvelle de
meure. Maintenant allons-nous en et paie,
je me réveillerai en passant. sur le pont. »
Jean, qui avait une confiance illimitée dans
sa femme et lui obéissait en tout, lorsqu’elle
était plongée dans l’état extatique, ne l’avait
pas cependant suivie sans inquiétude au res
taurant, parce qu’il croyait bien que ni lui ni
elle ne possédaient plus un sou vaillant.
Il se fouille, et avec étonnement trouve au
fond de l'une de ses poches une pièce de cinq
francs. Il paie et reste riche de un franc cin—
quante.
En traversant le pont, Marie revient à son
état naturel et s’écrie toute surprise :
— « Tiens, mais je n’ai plus faim ! comment
c: cela se fait-il? » ,
Elle n’avait conservé aucune mémoire de ce
qui venait de se passer.
Jean ne lui dit rien, mais alla chercher ses
outils et fit les malles. Le lendemain, il loua en
effet pour seize francs la chambre que Marie lui
avait indiquée et tous deux s’y rendirent.
— « Vends mes habits au premier marchand
« qui passera, lui dit sa femme d’un air pro
« phétique. » '
A
A
A
A
486 BIOGRAPHIE
Jean obéit sans murmurer et avec le produit
de cette vente ils vécurent quinzejours, pen—
dant lesquels Sempé chercha de l'ouvrage
partout, sans pouvoir en trouver nulle part.
Il ne restait plus à Marie qu’un petit corsage
et unjupon de laine, en sorte que, s’il surve—
naitune visite, elle se mettait au lit, parce
qu’elle n’était pas présentable et ainsi on la
croyait malade. '
Un matin, un homme se présente àla porte :
— « C’est vous qui êtes Jean Sempé _?
— « Oui, Monsieur. .
— « Suivez-moi, le commissaire de police
« vous attend. »
Jean arrive au commissariat. Qu’y trouve
t-il ? Son épicier, flanqué de Maumas et d’un
autre témoin. .
Le marchand de chandelles réclamait une
petite dette de comestibles non encore ac—
quittée. *
— « Pourquoi, lui dit d’un ton rogue l’homme
de police, ne payez-vous pas, les quatorze
francs que vous devez à votre fournisseur?
pourquoi avez-vous abandonné le travail qui
« vous faisait vivre? pourquoi faites—vous le
« charlatan?» '- ' '
Jean raconta tout simplement par quel con—
cours de circonstances malheureuses il se
f-‘»«
à
A
DE JEAN SEMPE 187
"|l
trouvait dans cette pénible situation: il venait
de faire naufrage, sa femme était tombée gra
vement malade et son patron n’avait pas voulu
le payer.
— « Quant à cette petite dette qui est de
date récente, Monsieur mon épicier aurait
« pu montrer plus de patience et attendre
« que je reçoive l’argent, que j’ai demandé à
« ma famille et qui ne saurait tarder.
« Pour les malades, Monsieur le commis
« saire,je ne l‘ais ni médecine, ni charlata
« nerie ;je prie le bon Dieu pour tous et son—
« haite que tout le monde se porte bien, vous
« même, Monsieur, tout le premier. Je ne pense
« pas que ce soit un mal? » '
Le commissaire le renvoya, en lui-disant de
ne rien craindre à l’avenir et l’engagea, puis
qu’il était naufragé, de demander un secours
aux sociétés transatlantiques.
Jean, rentrant chez lui, trouva sa femme en
extase qui lui dit:
-— « Mon ami, je sais tout ce ce qui vient de
« se passer chez le commissaire et tu as bien
répondu. Tes ennemis (car Maumas aussi est
« ton ennemi)ont été confondus et ils sont sor—
tis l'oreille basse. Ils sont maintenant au
« cabaret où tous les trois discutent les moyens
« de te nuire. Défie-toi. »
(
A
à
.M"“‘""4 ,, ,, .
488 BIOGRAPHIE
En effet, Maumas, à qui Jean Sempé n’avait
fait que du bien, s’était pris d’une haine féroce
pour son bienfaiteur et avait entrepris de lui
faire tout le mal possible par le dénigrement
et la calomnie. La raison de cette haine était
que Jean, ayant reconnu en Maumas une âme
basse et oupide, avait refusé de le magnétiser
et par là même l’empêchait de gagner de l’ar
gent. Le but de Sempé n’était pas de s’enrichir
ou d’amuser le public, mais de faire le bien,
quelques périls qui dussent en résulter pour
lui. Or, cette droiture ne faisait pas le compte
de Maumas, et c’est ainsi que nous avons le
secret de sa conduite indigne.
Pendant que Maumas tramait, avec ses deux
acolytes, un complot contre son bienfaiteur,
Mme Silva et sa domestique vinrent à passer
devant la taverne et entendirent prononcer,
avec colère, le nom de Jean Sempé. Elles s’ar—
rêtèrent surprises, et comme Mme Silva tenait
beaucoup à remercier le sauveur de son fils et
que, de plus, elle avait à demander pour elle—
même, elle envoya sa bonne pour connaître
l’adresse de Jean.
— « Où demeure cet escroc, ce charlatan?
« s’écria Maumas d’un air furieux. Rue Orbes,8.
« Mais vous savez, c’est un imbécile, un far—
« ceur, un voleur qui dépouille ses amis, à plus
DE JEAN SEMPÉ 439
« forte raison les gogos qui s’adressent à
« lui... »
Il aurait ainsi continué pendant longtemps,
si la bonne, satisfaite de posséder son rensei—
gnement, ne se fût esquivée pour rejoindre sa
maîtresse. '
Les deux femmes se rendent immédiatement
au domicile indiqué et trouvent Jean qui les
reçoit avec bienveillance.
— «n Cette bonne dame, dit Marie endormie,
« a besoin de toi, elle souffre d’une grosse
« tumeur au con, tu la guériras en trentejours
« en touchant le mal une fois par jour. »
Mme Silva fut si contente d’entendre ces
paroles, qu’elle laissa vingt francs sur le lit où
reposait Marie, pour les raisons que l'on sait.
Elle raconta à ses amis ce qui venait de se
passer et la promesse qu’on lui avait faite.
— «Mme Sempé, quand elle vous a parlé,
était—elle endormie ’!
— « Oui.
— < Oh! alors vous êtes sûre de guérir.
— « Mais elle est malade elle—même, cette
brave femme? .
— « Non, répondit une personne qui les con—
naissait bien, c’est la misère et le manque
de vêtements. »
Dès le soir même, Mme Silva envoyait cent
‘k
k
A
A
11.
490 ' BIOGRAPHIE
francs par sa domestique, qui se sauvait aussi
tôt sans attendre de réponse.
C’est ainsi que la Providence, au moment le
plus critique, quand tout semblait désespéré,
veillait aux besoins de son serviteur[
Jean paya sa dette, acheta pour sa femme
quelques vêtements convenables et tous deux
purent se‘réconforter par une nourriture sub
stantielle, ce qui leur était grandement né—
cessaire. >
La confiance de Mme Silva ne fut pas trom
pée. Trente jours après, la tumeur avait entiè
rement disparu. '
Il va sans dire que cette dame veilla à ce
que Jean et sa femme ne manquassent jamais
de rien. Elle voulait même les combler de
cadeaux, leur offrir de grosses sommes, mais
Jean ne voulut accepter que le strict nécessaire:
gîte et nourriture. Qu’importaitle reste?
La famille,enchantée de cette guérison ines-‘
pérée voulut savoir par quels moyens elle avait
été obtenue ; entre autres un médecin, que la
chose intéressait au plus haut point, M. le doc
teur Frédéric Silva, demanda à être présenté
au thaumaturge, qui avait fait preuve d’une
puissance si extraordinaire.
Jean reçut ce dernier avec une bonté et une
afi‘abilité particulières, et le médecin fut telle—
DE JEAN SEMPÉ 491
ment charmé de cet accueil et de toutes les
réponses données à ses nombreuses questions,
qu’il se prit pour lui d’une solide amitié, qui ne
s'éteignit qu’avec sa vie. Chaque fois qu’il
rencontrait chez un malade un cas difficile,
auquel la science ne pouvait rien, il l’envoyait
à Jean Sempé qui réussissait presque tou—‘
jours.
C’est ainsi que furent guéris deux domesti
ques de M. Silva, dont l’un avait des glandes
ou humeurs froides au cou et sous le menton,
et l’autre une tumeur au ventre, que tous les
remèdes employés n’avaient pu faire dispa
raitre.
Quand Maumas apprit, que Jean Sempé non
seulement ne mourait pas de faim, mais com
mençait a faire honneur à ses affaires, il man—
qua périr de rage et résolut de tenter contre
lui un dernier coup d’audace.
Aux environs de Bayonne se trouvait un
vieux château en ruines. Les quelques pans de
murailles qui restaient menaçaient à chaque
instant de s‘écrouler sur les audacieux, qui
osaient se risquer à travers les ronces, les
broussailles et les trous béants que l’on ren
contrait partout. Non seulement les touristes
. venaient le visiter par curiosité, mais des
bandes de travailleurs y creusaient des exca
192 BIOGRAPIIIE
vations profondes pour y découvrir le fameux
trésor.
Car le château avait une légende, que les
vieux se redisaient de père en fils. Du temps
que les Anglais tenaient toute la France, ils
avaient fait de ce château une place forte. Un
beau jour, les Français redevenus vainqueurs
les avaient assiégés longuement et réduits par
la famine à se rendre. Mais avant de quitter le
château, ils avaient caché quelque part, on ne
sait où, d’immenses richesses, produits de
leurs exactions sur tout le pays environnant.
Ils espéraient bien revenir et les reprendre,
mais ils se trompaient. Toujours est—il que le
secret fut bien gardé et qu’on ne put jamais
rien trouver malgré les fouilles faites a di—
verses époques.
La tradition de ce trésor, faux ou vrai, s’était
transmise d’âge en âge jusqu’à nos jours, et
quelques entêtés persistaient à creuser encore
dans ce sol, remué en tous sens depuis des
siècles.
Maumas, avide comme il l’était, devait faire
partie de ces piocheurs intrépides, et comme
personne d’entre eux n’avait déniché la plus
petite pièce de cuivre, il résolut de placer Jean
Sempé dans une terrible alternative: ou de
satisfaire les chercheurs d’or en leur faisant
DE JEAN SEMPÉ 493
découvrir le magot ou, en cas, de refus lui
imputer la cause de leur insuccés et les pousser
aux dernières extrémités de la colère.
Excités par Maumas, ils vinrent le trouver et
le supplier de leur venir en aide pour la dé—
couverte de l’introuvable trésor. Jean leur
répondit que leurs intentions n'étant pas pures,
il n’avait même pas à répondre à leur demande
et que d'ailleurs le trésor n’existait pas. Ils
menacêrent, Jean leur montra la porte.
— « Votre ami Maumas, qui vous, connait
bien, s’écrièrent—ils, nous a dit que vous
vouliez le prendre pour vous seul. Ce ne sera
pas et nous veillerons. Prenez garde, sorcier
du diable, nous nous vengerons! »
Et pour commencer de suite, l’un d’entre eux
s’établit en sentinelle dans la rue, à la porte
de la maison où demeurait Jean Sempé, et a
chaque personne qui se présentait pour faire
visite, ce gardien d'un nouveau genre répon—
dait que Jean n’y était pas. C’était un vrai
siège pour prendre Sempé par la famine et
le forcerâ obéir à leurs convoitises insen
sées. .
Pendant ce temps, l’indigne Maumasmettait
le comble à son hypocrisie en venant faire
amende honorable devantJean Sempé, qui était
trop confiant pour soupçonner une telle per
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_-_____——.o—————._.__ fi.g‘n, ‘ ,
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' 194 BIOGRAPHIE
versité. Mais il ne singeait l’amitié la plus vive
que pour mieux la trahir.
Un soir que tous trois étaient réunis autour
du feu, causant de choses et d’autres, Jean dit
à sa femme :
—— « Marie, nous ne pouvons rester ici plus
longtemps, exposés à la fureur de nos en—
nemis acharnés. Va trouver ta mère, de—
mande—lui deux mille francs, elle ne les
refusera pas. Avec cette somme, nous aurons
« plus qu'il ne faut pour payer nos dettes et nous
quittei‘ons ce pays ingrat pour toujours. »
Maumas, furieux d’apprendre que sa victime
allait lui échapper réunit ses amis, et tous
ensemble tiennent conseil pour trouver un
moyen d’empêcher ce départ.
— « Dans notre intérêt et pour notre fortune,
« dit Maumas, il ne faut pas que Jean Sempé
« quitte le pays.
—« Non, répondirent—ils tous ensemble, il
« nous faut le maudit sorcier, de gré ou de
« force; sans lui nous ne pouvons rien.
— « Mais comment faire Tenez, mes amis,
Je crois que, dans ma petite cervelle, j’ai
< trouvé le bon moyen... Le colporteur, que
j’ai vu tantôt, est-il encore ici 3
—- « Le père Jouaillard? dit l'un des hommes.
—— « OUI.
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2
DE JEAN SEMPÉ 495
— « Il est chez moi et doit y passer la
nuit.
-— « C’est bien... Voici donc ce que je pro—
pose : le père Jouaillard aime à boire, gri
sons—le rudement, puis nous lui ferons
«' signer contre Jean Sempé une plainte d’un
« vol de soixante francs et nous enverrons la
plainte au parquet.
—« Parfait! merveilleux! adopté âl’una—
nimité! répondit l’assemblée de ces hon—
nêtes gens. » V
On fit comme on l’avait dit. Deux heures‘
après, le colporteur était rond comme un Polo—
nais et incapable de distinguer sa gauche de
la droite. Ses bons amis lui ‘volèrent tranquil
lement soixante francs et lui firent signer la
plainte préparée d'avance et que Maumas s’em
pressa de jeter à la poste.
Le lendemain, Jean revenait du bureau de
la diligence, où il avait retenu une place pour
sa femme, lorsqu’en rentrant Marie lui remit
une lettre qui les mandait tous cieux immédia—
tement devant le commissaire.
— « Encore une nouvelle affaire qu’on nous
1 suscite, dit Jean Sempé, nos ennemis ne se
« lassent pas. Tu ne pourras partir demain,
« comme nous l’avions projeté. -
— c( Pourquoi donc? '
sa
52
1è
196 BIOGRAPHIE
— « Il faut que nous allions chez le commis
saire.
— « Que nous reproche-t-on?
. — « Je n’en sais rien, puisque nous ne
« voyons personne. Nous le saurons bientôt. »
Au même instant, arrivait une assignation
pour paraître au tribunal sous l’accusation
d’un vol de soixante francs, au préjudice d’un
homme auquel Jean Sempé n’avait fait que du
bien
— « Une calomnie nouvelle! Courage! nous
« nous tirerons de celle-là comme des autres. »
Le perfide Maumas, qui voulait juger de
l’effet produit, arriva sur ces entrefaites et Jean
lui communiqua ces étranges pièces.
Lui, Jean Sempé, accusé d‘avoir dépouillé un
plus malheureux que lui! Ce n’était pas pos
sible! Maumas fit l’étonné, cria bien haut que
c’était une infamie, que celui qui osait si impu
demment attaquer l’honneur de son cher ami
Sempé était un coquin digne de la corde et que
lui, Maumas, saurait bien le venger.
Sur ces belles paroles, le bon apôtre s’en alla
et Jean Sempé ne le revit jamais plus. Il devait
apprendre bientôt son horrible trahison.
Quant au colporteur, une fois dégrisé, il
chercha partout son argent et, quand il apprit
qu’il avait dénoncé comme voleur Jean Sempé
lW...“ \.__,,, .<p.__ _, _,,Jn_v_-.
DE JEAN SEMPÉ 197
cg.‘.æ r.. . _c
il fut surpris plus que personne ; mais les con
jurés lui firent tellement peur des consé—
quences de sa dénonciation, s’il ne la soutenait
pas jusqu’au bout, qu’il prit la fuite et disparut.
sans qu’on pût le retrouver.
Un des amis de Jean Sempé, M. Hoursole,
ayant appris les poursuites intentées en vertu
de cette sotte accusation, résolut de s’inter—
poser et pria M. le comte du Roule, dont l’in
fluence était toute puissante auprès du Procu—
reur impérial, de vouloir bien arranger cette
affaire. '
M. le comte, en effet, reprocha a M. de
Laralde, le Procureur, de s’être trop hâté de
poursuivre, avant d’avoir fait une enquête
sérieuse.
—- « Je puis vous affirmer, dit-il, que Jean
« Sempé est un parfait honnête homme, inca
« pable de faire du tort à qui que ce soit. Et
quel est l’accusateur? Un vagabond, un
ivrogne, qui n’ose pas soutenir l’odieuse
calomnie qu’il a lancée, et qui prend la fuite
pour se dérober à la juste condamnation qui
l’attend.
« Quant au reproche, que l’on fait sans cesse
àJean Sempé, d’exercer la médecine, je sou—
« tiens que ce n’est pas vrai, car je le connais
« et j’ai été témoin de la façon dont il a guéri
4}ARAA
A
-19e‘ BIOGRAPHIE
« mon ami lord Delson. Il l’a seulement
« magnétisé et je ne sache pas que ce soit
« défendu. »
Grâce à ce chaud plaidoyer et à la haute
influence de M. le comte du Roule et des per—
sonnes de marque qui, toutes, témoignèrent en
faveur du guérisseur si modeste et si désinté—
ressé, la poursuite fut regardée comme non
avenue etles juges eux-mêmes l'encouragèrent
a faire tout le bien qu’il pourrait, en faisant,
toutefois, autant que possible, un c110ixjudi—
cieux des personnes qu’il soignerait, pour évi
ter toute accusation injuste ou simplement
même un odieux soupçon.
Jean se retira en remerciant et disant:
—— « L’homme s’agite et Dieu le mène. Lui
« seul permet l’épreuve et délivre le juste,
« quand il lui plaît. Que sa sainte volonté soit
« faite en tout et partout ! »
CHAPITRE XI
Mme Bordanave.—- Une mauvaise cuisinière. — Mlle Baque
—- Tentative d'assassinat. — Triste fin de Lescurd.
Fort de l’approbation des juges, fort surtout
de sa conscience et de son pouvoir, Jean Sempé
résolut de ne plus se tenir modestement à
l’écart, comme il l’avait fait jusqu’ici, ce qui
lui attirait la défiance et toutes sortes de désa—
gréments; mais de se montrer au grand jour et
de s’adresser directement au grand public ,
certain que le succès l’absoudrait de son
audace. ' '
Il fallait s’affirmer hautement et rendre ainsi
gloire Dieu, ou bien fuir honteusement
comme un vulgaire escroc. Le choix de Jean
Sempé ne pouvait être douteux.
En conséquence, il fit insérer dans les jour
naux de Bayonne un avis, par lequel il préve
nait que Jean Sempé, le magnétiseur mystique ,
donnait des consultations chaque jour pour la
guérison de toutes les maladies, et des conseils
900 BIOGRAPHIE
pour la marche a suivre dans les affaires les
plus délicates et les plus épineuses.
Cette extraordinaire réclame produisit immé
diatement son effet. Les personnes les plus
considérables et les plus intelligentes vinrent
trouverle guérisseur, par curiosité d’abord, par
conviction ensuite; car quelques guérisons
éclatantes, obtenues par son intervention, lui
firent une telle réputation, que la renommée
de son savoir et de sa puissance se répandirent
bien au delà de la ville et du département.
Grâce à ces visites nombreuses et aux dons
qu’il accepta, Jean rétablit promptement son
budget, paya toutes ses dettes, à la grande
fureur de ses ennemis qui avaient tenté par
leurs infâmes manœuvres de le faire mourir
de faim et de misère.
Maumas, l’instigateur le plus acharné de ces
obscurs complots, alla quelque temps après
périr misérablement sur un grabat d’hôpital,
rongé plus encore par le remords que par une
maladie honteuse.
Mais avec lui ne disparurent.pas les sourdes
inimitiés, les jalousies féroces.Elles grandirent
au contraire avec la situation, comme nous le
verrons bientôt.
Le venin de l’envie ne meurt jamais.
Parmi les cas difficiles dont Jean Sempé
DE JEAN SEMPÉ 201
triompha à cette époque et qui établirent défi
nitivement sa réputation, nous pouvons citer
celui de Mme Bordanave qui, par suite sans
doute d’une maladie hydropique, était arrivée
à un tel état d'enflure, qu’elle ne pouvait plus
marcher, ni même lever le bras sans d’indici—
bles souffrances. Les médecins de France et de
Navarre avaient en vain épuisé leur science
pour soulager cette pauvre dame. On avait
épuisé tousles remèdes, usé de tous lesmoyens;
on avait eu recours aux empiriques, aux som
nambules, aux guérisseurs patentés ou non.
Rien n’y avait fait.
Mme Bordanave désespérée se résignait à
mourir, lorsqu’elle apprit par le bruit public
les guérisons merveilleuses opérées par Jean
Sempé. Un instinct secret l’avertit que la pour
elle était le salut.
Elle écrit : pas de réponse. Elle envoie à
Bayonne l’un de ses fils, âgé de vingt—quatre
ans, avec mission de ramener coûte que coûte
le thaumaturge en son château de Saint-Pé
de-Lèren.
Hardy Bordanave, qui en avait assez de la
kyrielle de médecins et de somnambules, qui
se succédaient au château dans l’unique but de
soutirer de l’argent à sa mère, partit pour
Bayonne pour ne pas contrarier la malade,
202 BIOGRAPHIE
mais se garda bien de chercher et de ramener
le magnétiseur. Il revint, désolé en apparence,
disant qu’il n’avait rien trouvé, que le nom
de Jean Sempé n’était pas même connu à
Bayonne, que l’annonce était un canard de
journaliste. _
MaisMme Bordanave, en revoyant la réclame
inscrite dans le numéro suivant du journal,
devina que son fils avait voulu la tromper. Elle
se fait transporter dans sa voiture malgré les
vives souffrances qu’elle endure et ordonne à
son cocher de prendre la route de Bayonne et .
de ne s’arrêter qu’à telle rue, tel numéro.
Elle arrive épuisée, presque mourante. Sur
son ordre, ses serviteurs la hissent avec un
mal infinijusque dans l’appartement de Sempé,
où elle s’évanouit vaincue par la douleur. Jean,
touché de tant de foi, la fait revenir à elle et
commence immédiatement ses passes magné
tiques, qui la calment et lui permettent de goû
ter enfin quelque repos.
Le lendemain, Jean endort sa femme, qui tou
‘che par trois fois le front de Mme Bordanave.
La séance terminée, cette dame, qu’on avait en
tant de peine à monter, descendit l’escalier
presque seule, s’appuyant sur les épaules de
ses deux valets de chambre. Sa taille énorme
avait diminué d’environ dix centimètres.
DE JEAN SEMPÉ 203
Ennerveillée de ce résultat inespéré et ne
voulant pas s’arrêter en si bonne voie, Mme
Bordanave qui ne pouvait recevoir à Bayonne,
aussi bien que chez elle, tous les soins que
nécessitait son état, supplia Jean Sempé de la
ramener au château de Saint-Pé de Leren etfit
tant et si bien, que celui-ci accepta d’y venir
séjourner pendant une quinzaine. Ils partirent
donc ensemble et ce voyage, qui, troisjours
auparavant, avait été pour Mme Bordanave si
douloureux, fut presque joyeux, tant était
grande sa confiance dans sa prochaine gué
ri'son.
Le dixième jour, en effet, au grand ébahisse
ment de tous et a la grande joie de ses fils et
des amis de la maison, Mme Bordanave,
non seulement voyait sa taille ramenée à des
proportions convenables, mais avait recouvré
son ancienne beauté et son élégance première.
Ce résultat obtenu, Jean songea a partir,
mais la dame le retint a toutes forces une quin—
zaine encore et ils allèrent ensemble remercier
Notre-Dame de Bétharram des grandes grâces,
qu’on avait obtenues par son intercession.
Enfin lejour du départ étant fixé définitive—
ment, la châtelaine réunit autour d’elle,
dans un grand banquet, ses parents et amis,afin
que tous pussent constater sa réelle et com
204 BIOGRAPHIE
plète guérison, et connaître en même temps son
illustre guérisseur. Pour tous les deux cette
journée ne fut qu’un concert de louanges et de
félicitations sincères, car le résultat était pa
tent, indéniable, pour ceux qui avaient connu
l’état lamentable auquel, peu de temps aupa
ravant, se trouvait réduit Mme Bordanave.
Le soir venu, Jean repartit pour Bayonne et
Mme Bordanave, voulant lui témoigner sa re
connaissancejusqu’aubout, tint à le reconduire
ellè-mème jusque chez lui.
Là, on l’attendait depuis longtemps avec im—
patience, et pour satisfaire tout le monde et la
foule d’étrangers qui se pressait chaque jour
à sa porte, il donna deux séances quotidiennes,
la première à une heure de l’après—midi et la
seconde à cinq heures du soir.
On ne saurait rapporter ici toutes les souf
frances qu’il calma, et les affaires difficiles qu’il
éclaircit et mena à bonne fin.
Mme Bordanave, qui n’avait pas voulu quitter
Bayonne, afin d’assister à ces séances merveil
leuses qui lui plaisaient tant, offrit à Jean
Sempé et a sa femme de leur acheter une jolie
propriété avec jardin. Elle leur servirait en
même temps une rente convenable, qui les
mettrait pour toujours à l’abri des soucis maté
riels. Jean remercia, mais refusa ces belles
DE JEAN SEMPE 205
propositions. Il avait une mission à remplir
sur cette terre et rien ne devait l’en détourner.
Le bien-être, les richesses pourraient ramollir
son âme et lui faire oublier ses frères. Pour
tous, la fortune est un dangereux piège où
beaucoup se perdent ; pour lui, envoyé de
Dieu, l’accepter serait une mauvaise action.
Mme Bordanave,peinée de ce refus rentra en
son château. Peu de temps après, surprise par
un froid et chaud à la suite d’un orage, elle
tomba malade et éprouva de grandes douleurs
dans les jambes, Elle manda à la hâte Jean
Sempé qui se rendit à son invitation et la gué
rit en dix minutes, en lui recommandant à
l’avenir d’être plus prudente. Malheureu—
sement elle ne suivit pas ces bons conseils et
mourut quinze mois après.
Ses deux fils, Hardy et Armand, continuè
rentâ Jean Sempé la confiance que lui avait
témoignée leur mère, et eurent recours à ses
umières en toute occasion, soit pour leur
santé, soit pour la direction de leurs affaires,
qui, grâce à ces avis, réussirent parfaitement.
Mais Jean, malgré les offres les plus brillantes
de fortune que lui firent ces deuxjeunes gens,
garda toujours le même désintéressement.
Pauvre il était venu, pauvre il mourrait.
On était alors en 1859. Jean avait accompli
12
2206 BIOGRAPHIE
une partie de sa carrière ; il lui restait à subir
les épreuves les plus dures. épreuves d’autant
plus pénibles qu’elles allaient mettre en doute
ce qu’il y a de plus sacré dans l’homme : son
honneur et sa probité.
Avec le succès grandissaient les inimitiés.
Les médecins auxquels il enlevait tant de ma
lades, les avocats à qui il faisait perdre leur
clientèle avaient juré sa perte et, pour se
défaire de lui, étaient décidés à user de tous
les moyens, même les plus violents. En voici
une preuve convaincante. '
Quelques-uns d’entre eux, dont nous ne vou—
lons pas citer les noms, parvinrent, à prix d’ar
gent, a corrompre la cuisinière de Jean Sempé
et lui persuadèrent d’empoisonner son maître ,
l’assurant de l’impunité. En conséquence, celle
ci commença de mélanger, dans la boisson et
les aliments, des bouts d’allumettes chimiques,
tellement que la femme de Jean faillit en mon
rir. Mais Jean la sauvait chaque fois en conju—
rant le poison et en rompait ainsi les funestes
effets. Pour lui-même, il ne craignait rien, car
il savait que les éléments de la nature ne pou—
vaient lui nuire. Le poison, l’eau, le fer et le
Ëu n'avaient aucune prise sur sa personne.
Néanmoins, après la seconde tentative de ce
genre, il eut quelque soupçon de la trahison
DE JEAN SEMPÉ 207
r——A—v—.
n_'--..
de sa domestique et alla trouver M. Balmadex
commissaire de police, pour savoir ce qu’il
devait faire en pareille occurrence.
—_ « Ne faites semblant de rien, lui répon—
« dit—on, surtout n’accusez personne, mais
« observez attentivement et saisissez une
« preuve à conviction. »
Quelques jours se passent et Jean rentre
chez lui, vers la fin du déjeuner de sa femmeæ
au moment où elle allait prendre son café. Il
s’assied en face d’elle et demande que l’on
serve la bouillante liqueur. A peine.Maric
Sempé l’a-t-elle avalée, qu’elle est prise d’af
freux vomissements, son estomac est en feu,
elle croit qu’elle va mourir. Jean se lève,court
à la cuisine, saisitle marc de café et l’enferme
dans une armoire dont il prend la clé, puis il
revient vivement vers sa femme et, en quelques
minutes, détruit tout l‘effet du poison.
m— « Eh bien! Marie, lui dit—il, il n’y a plus
« de doute maintenant, nous tenonsl’empoison—
« neuse et nous allons la livrerâla justice. »
La cuisinière, qui a tout entendu, accourt, se
jette tout en larmes aux pieds de sa maîtresse,
elle se roule par terre en proie au plus vio
lent désespoir, elle demande grâce et avoué
son crime, en nommant ceux qui l’ont DOHSeé6
à le commettre. '
*:ezr_- .'”1”""“’”ÿ-ÿ“**"flW“ ’
208 BIOGRAPHIE
Marie, dont le coeur sensible ne sait pas résis
ter à une prière, supplie à son tour son mari de
pardonner, de ne pas poursuivre et, pour lui
en ôter toute possibilité, elle saisit la preuve
du crime et la jette au feu. Jean cède aux sup
plications de sa femme, mais congédie sur le
champ sa domestique, en la priant d’aller se
faire pendre ailleurs.
Celle-ci, heureuse d’en être quitte à si bon
compte, s’en va trouver ceux qui l’ont sou
doyée, leur raconte ce qui vient de se passer,
l’affreuse peur qu’elle a éprouvée, jurant bien
de ne plus s’exposer à pareille aventure. Mais
les coquins, furieux de leur échec, l’éblouis
sent par de nouvelles promesses, excitent sa
rancune de ce renvoi subit, qui va lui porter un
tort considérable, et lui font signer une plainte
contre Jean Sempé, sous prétexte de mauvais
traitements et d’injures grossières.
Le Procureur impérial fait demander sur
cette étrange dénonciation des explications à
Jean Sempé, qui n’a pas de peine à démontrer
son innocence et à donner des preuves. Il
raconte la démarche confidentielle qu’il a faite
quelques jours auparavant près de M. Bal
made, qui confirme son dire.
On ne donne aucune suite à l’affaire et l’on
promet de surveiller attentivement les faits et
DE JEAN SEMPÉ ‘20‘J
gestes de l'infidèle cuisinière. Mais celle-ci,
dont la conscience n’était pas tranquille sur
les suites de sa double équipée, avait déjà
quitté la ville et, depuis lors, on n’en entendit
plus jamais parler, malgré les recherches de
la justice. Elle avait passé, sans doute, en Es
pagne.
Jean reprit le cours de ses opérations ma
gnétiques et fit, à cette époque, une guérison
extraordinaire qui causa quelque sensation.
Mlle Baque, attirée par la réputation du gué
risseur vint de Madrid à Bayonne. Elle souf
frait affreusement d’un mal intérieur.
Dès la première séance, Jean endort sa
femme et lui demande la marche à suivre
pour la guérison de ce mal.
— « Pendant quinze jours. lui répond-elle,
« tu la magnétiseras et tu conjureras l’Esprit
« Mauvais qui la dévore. Ne lui donne aucun
« remède, le regard et la parole suffisent.»
Quinzejours après, cette femme, condamnée
par la science à être, pour ainsi dire, mangée
vivante, ne voyait plus trace de son mal et
reprenait, alerte et joyeuse, le chemin de sa
patrie.
Pendant ce temps, les ennemis de Jean,
battus une première fois, ourdissaient contre
lui de nouveaux complots et avaient inventé
' ,:::‘Ëî =:x...__»»=n.‘...ç,_'
12.
210 BIOGRAPHIE.
un stratagème qui, cette fois, devait le perdre
infailliblement, parce que le nouvel exécuteur
était capable de ne reculer devant rien, comme
il le prouva, en effet.
C’était un nommé Lescurd, né à Dax. Sa
femme l'ayant quitté, a cause de son incon—
duite notoire, il avait été forcé, sous le mépris
public, de fuir son pays et il était venu cher
cher fortune à Bayonne. Par ses manières
prèvenantes et obséquieuses, il avait su capter
la confiance de Jean Sempé, qui ignorait tous
ces détails.
Un jour, il arrive chez le magnétiseur, lui dit
' qu’il vient de faire un long voyage et le prie
' de garder sa malle,jusqu’â ce qu’il ait trouvé
uniogément. Jean, qui est la bienveillance et
.la complaisance mêmes, le garde à dîner,
puis le conduit a travers les rues de la ville,
partout où il peut espérer un logement com
mode et à bon marché. Lesourd, qui a son
projet, ne trouve rien à sa convenance et 0b—
tient de la bonté de Jean qu’il lui cède une
petite chambrette, au quatrième et qui servait
de débarras. Jean accepte, et voici dans la
place un ennemi inconnu, qui va surveiller et
rendre compte de tout ce qui se passe.
Ce n’est pas tout: il réussit à attendrir Jean
Sempé en sa faveur, en lui racontant à sa façon
DE JEAN SEMPÊ 211
les malheurs dont il est victime : C’est sa
femme qui est une misérable créature, elle se
conduit indignement et il a été forcé de la
quitter et de vendre toutes les propriétés qu’il
possède, mais dans deux mois il touchera
beaucoup d’argent. Actuellement il est à court
et demande un petit emprunt pour vivre.
Jean, qui ne voit pas qu’on se moque de lui
et qu’on veut le dépouiller, croit à la bonne
foi de son hôte et lui donne ce qu’il désire.
Quand une fois l’on est dans la voie du prêt
amical, on ne s’arrête pas pour un peu et l’on
donne jusqu’à épuisement, par générosité na
ture‘le d’abord, ensuite par espoir de rembour
sement plus certain. C’est là-dessus que tablait
Lescurd, et chaque mois il faisait une saignée
plus large à la bourse modeste de son ami,
qui se lassa bientôt et finit par réclamer ce
qui lui étaitdû.
Lescurd avait été photographe et possédait,
disait—il, à Dax tous les appareils et le maté—
riel nécessaires. Pour se libérer, il proposa à
Jean Sempé de lui vendre à bon prix tout son
établissement, dont il deviendrait ainsi l’uni—
que propriétaire. Lui, Les0urd, reprendrait le
travail de la photographie, partagerait avec
lui tous les bénéfices et lui enseignerait son
art, ce qui serait entre les mains de Jean
—/.-.wm—wc;gm:————
242 ' BIOGRAPHIE
Sempé une ressource assurée en cas de mal
heur, ce qu’il faut toujours prévoir.
Jean accepte, va à Dax et, moyennant une
somme minime, retire le matériel photogra—
phique, puis tous deux s’en vont à Pau pour
gagner leur vie en exerçant un métier hono
rable.
' Nous avons oublié de dire que, devant les
démarches influentes de ses ennemis acharnés,
'la police lui avait fait défendre, sous les mena
ces les plus sévères, de guérir ou même de
recevoir qui que ce soit. Si, par hasard, quelque
personne, bravant la colère des policiers, se
glissait nuitamment dans sa maison, il était
dénoncé de suite et l’on faisait irruption chez
lui. On devine aisément quelle était la vigilante
sentinelle, mais Jean n’avait aucun soupçon de
l’odieuse machination montée contre lui.
Dans de pareilles conditions, le séjour à
Bayonne devenait impossible et comme, grâce
aux bons soins de cet excellent ami, les res—
sources étaient quasi épuisées, Jean, donnant
tête baissée dans le piège tendu à sa naïveté,
avait saisi comme une faveur inespérée de la
Providence cette occasion de gagner honnête
ment sa vie.
Donc, à Pau ils s’installent tous les deux chez
un restaurateur de la rue des Arts. Là, pour la
DE JEAN SEMPÉ 243
première fois, Jean eut quelque soupçon de la
trahison dont il était victime , parce que
Lesourd, dans le but d’extorquer les derniers
sous de Jean Sempé, parlait avec trop d'insis
tance des grosses sommes d’argent qu’il devait
toucher et qui n'arrivaient jamais. ‘
Le moyen était usé, Jean refusa de prêter et
consentit, devant le prétendu dénument de son
compagnon, a lui payer sa pension pour un
mois seulement, se promettant bien in petto de
tout examiner par lui—même, avant de porter
un jugement définitif.
Or, quelques jours après, il fut servi à sou-'
hait. Mme Boupat, la maîtresse de pension, qui
connaissait bien Lesourd, ayant besoin de deux
cent cinquante francs pour une échéance,
demanda à son client de lui rendre ce service.
Lesourd, qui tenait à ses bonnes grâces, les lui
accorda en lui recommandant le secret. Mais
demandez donc à une femme de garder un
secret. Jean l’apprend et va trouver la dame :
— « Ce n’est pas possible, s'écrie—t-il, Lesourd
« n’a pas le son! tu
Mme Boupat se trouble et nie maladroitement.
Jean va chez un avoué, M. Hour, qui lui dit
que Lesourd possède une somme assez ronde—
lette. Sempé alors comprend tout et raconte ce
qui s’est passé. '
214 BIOGRAPHIE
— ( Faites-vous rembourser, lui dit l’avoué,
« et s’il ne paie pas , poursuivez-le sans
« pitié. »
Pendantce temps, Lescurd, qu’on avait averti.
comprenant que tout son plan de campagne, si
laborieusement échafaudé , allait s’écrouler
d'une façon piteuse et que de plus il en paie—
rait les,frais; furieux surtout de se voir hon-.
teusement démasqué et exposé à la risée
publique, résolut de se venger d’une façon
terrible et d’en finir une bonne fois avec ce
maudit charlatan, comme il l’appelait.
Jean était rentré au restaurant et s’était mis
à table, à côté d’un autre pensionnaire du nom
de Lespérou. 11 mangeait tranquillement'en
lisant sen journal, lorsque Lescurd s’approche
doucement derrière lui, lève le bras et lui
plante dans le dos un formidable coup de cou—
teau. Mais, ô prodige, la lame se brise et vole
en éclats à travers la salle, comme si elle avait
frappé un roc de granit. Jean n’avait pas même
relevé la tête, il n’avait rien senti._
—— 1« Que faites—vous, malheureux? s’écrie
« Lespérou qui avait vu toute la scène. »
_ En entendant parler ainsi son voisin de table,
Jean se détourne et aperçoit Lescurd qui sor
tait â reculons, pâle comme un mort, la main
crispée sur le manche de son couteau;
—n.:-...«.. ‘ 4 l
DE JEAN SEMPÉ Q‘Iîi
—« Laissez aller ce misérable, dit Jean à
« Lespérou, et ne dites rien de ce qui vient de
« se passer. Me le promettez-vous?
—— « Parfaitement, réponditLespérou, puisque
« vous le voulez; mais...
-— << Soyez tranquille, Dieu me protège et la
« justice de Dieu saura l’atteindre. »
Une fois dehors, Lesourd attribua son in
succès à la sorcellerie, et sa haine grandit
encore de son impuissance ala satisfaire. Dans
sa rage il trouva un autre moyen de nuire et
réussit à faire signer à Mme Boupat une plainte,
accusant Jean Sempé de lui avoir escroqué ,un
mois de pension. C’était le comble» de l’audace.
7 Jean, de son côté, après avoir consulté sa
femme, résolut de quitter l’hôtel au plus vite.
C’était, d’ailleurs, la fin du mois. Il faisait sa
malle et s’apprêtait à descendre pour payer sa
note, lorsqu’un sergent de ville frappe à sa
porte et l’invite à passer chez le connuissairc,
qui lui dit sans préambule :
—— << Je reçois une plainte contre vous, vous
« devez un mois de pension à Mme Boupat et
« vous refusez de la solder.
— « Comment? répond Sempé, mon mois ne
« finit que ce soir, et quand votre agent est
« venu je me préparais à payer pour sortir au,
<<' plus vite de cette maison. .
216 BIOGRAPHIE
—— « Que signifie alors i... et il sonna.
— « Qu’on aille prévenir Mme Boupat de
venir ici de suite, dit—il à un agent. »
Quand elle fut arrivée :
- < De quoi vous plaignez-vous, Madame, on
ne vous doit que ce soir et Sempé n'a jamais
refusé de vous payer.
—- < Mais, dit celle-ci fortement troublée, on
m’a dit que Monsieur n’avait plus d’argent,
et ma foi !...
— « Ce n’est pas une raison, Madame. Mén
« sieur va vous payer de suite, signez ce dé
« sistement et souvenez-vous à l’avenir de ne
pas traiter ainsi les personnes qui vous font
l’honneur de descendre chez vous. Allez. »
Après son départ, Jean raconta confidentiel
lement au commissaire comment il avait été
victime de vols de confiance et comment Le
sourd avait tenté de l’assassiner.
Le commissaire envoya immédiatement à la
recherche de Lesourd, afin qu’on le lui rmenât;
mais il avait déjà décampè sans laisser son
adresse. ’
Jean se préparait a retourner à Bayonne,
muni d’une lettre de recommandation pour le
commissaire de cette ville, afin qu’on cessât
toute persécution à son égard, lorsqu’il apprit
une nouvelle stupéfiante. Dieu s’était chargé,
A
A
à
A
A
A‘
à
DE JEAN SEMPÉ ' 217
comme il l’avait dit, de le venger, plus vite
qu’il ne le pensait._ ‘
Lescurd n’était pas allé loin : il s’était rendu
à Bayonne pour prendre sa malle et les objets
précieux qu’elle contenait, puis il passerait en
Espagne.
Sa femme, dont nous avons dit qu’il était
séparé depuis longtemps, vivait dans l’un des
faubourgs de Bayonne. Jeune encore, aban—
donnée lâchement pour d’autres femmes indi—
gnes par son protecteur légal, ne pouvant sub
venir par elle seule a ses besoins matériels,
_elle avait cru avoir le droit d’user de réci—
procité. .
Faut—il la blâmer outre mesure? Toujours
est—il que Lescurd, avant de quitter la France,
veut se venger de ce qu’il appelle son déshon—
neur. La pauvre femme venait d’accoucher
quelques jours auparavant, le petit bébé était
pendu à son sein, lorsque le mari entre, furieux
et ivre de colère. Il arrache l’enfant, le jette à
terre, puis, reculant d’un pas, brandit un poi—
gnard qu’il va plonger dans la poitrine de sa vic
time, lorsque le protecteur de la pauvre femme
survient tout à coup, bondit et arrête le bras de
l’assassin. Lescurd, furieux, tourne sa colère
contre son rival et d’un coup de couteau dans
le cœur l’étend mort à ses pieds.
13
213 BIOGRAPHIE
. , _,- pur-r"—
Pendant ce temps, sa femme épouvantée a
pu fuir jusque dans la rue. Aux cris déchi—
rants qu’elle pousse, les voisins accourent,
enfoncent la porte et reculent d’horreur devant
l’affreux fspectac_le qui se présente à leurs
regards.
Le sang coulait partout et la bête fauve,
courbée en deux sur le cadavre, frappait tou—
jours avec une furie‘nouvelle.
On arrête l’assassin: il était comme fou et
avait l’écume aux lèvres. On eut beaucoup de
peine à le mener en prison et à l’arracher aux
mains de la foule, qui voulait l’écharper sur
place.
Durant toute l’enquête il ne déragea pas : il
insultait les juges et maudissait Dieu. C’était
un vrai possédé du démon.
Au jour du jugement, il s’enferma dans un
silence que rien ne put briser; ni les menaces,
ni les promesses ne vinrent à bout de lui faire
pNn0ncer une seule parole. Il était là, debout,
les bras croisés, la bouche écumante, les na
rines gonflées, l’œil fixe, la tête en arrière, A
pâte, défait et semblant braver la main qui le
châtiait.
Après une longue délibération, le jury lui
accorda les circonstances atténuantes et le tri—
maiflW‘i :
DE JEAN SEMPÉ 249
bunal le condamna a cinq ans de travaux
forcés!
Il ne les fit pas : deux mois après il mourait
de rage et se brisait la tête contre les murs de
sa prison.
CHAPITRE .Xll
Guérison d’une jeune fille espagnole. -—— Arrestation. —
Condamnation. — Séjour en prison. — Délivrance. —
Exploitation d‘une carrière dans la montagne. 7— Persé—
cutions contre Marie Sempé.
Jean revint demeurer à Bayonne, croyant y
vivre en paix. Il se trompait étrangement, car
il allait subir l’épreuve la plus douloureuse de
_sa vie.
Sur le même carré que lui logeait une dame
espagnole, dont la fille était gravement ma
lade depuis deux ans. Condamnée par les
médecins de Madrid, la jeune fille avait été
amenée par sa mère devant les médecins fran
çais qui, eux aussi, n’avaient pas été plus
habiles. Ils avaient conseillé l’air des monta
gnes ou de la mer. Moyen facile de se débar—
rasser d’un malade qu’on ne peut guérir.
Dès qu’elles apprirent la présence de Jean
Sempé dans leur voisinage, elles n’hésitèrent
pas à le consulter et a lui confier toutes leurs
DE JEAN SEMPÉ 224
t
peines. La pauvre enfant avait une maladie
délicate jugée incurable.
Jean les consola et leur dit que, si Dieu le ,
voulait, lajeu ne fille serait guérie et qu’on allait
le savoir a l’instant. Sur ce, il consulté son
oracle ordinaire,
— << Cette jeune personne, dit Marie Sempé
« endormie, ne doit pas aller aux eaux, comme
« les médécins le lui conseillent; c’est absolu
ment inutile. Elle n’a que ceci à faire ; prendre
des racines de buis hachées très fin et bouil—
lies dans l’huile d’olive, en faire des cata
plasmes que l’on appliquera matin et soir
< pendant quinze jours sur la partie malade.
« Elle sera radicalement guérie. »
Le remède était d’une simplicité primitive.
La mère fit exactement ce qu’on lui avait pres
crit et le seizième jour le,mal avait disparu.
Un matin, Marie Sempé tombe en extase et
les larmes aux yeux s’écrie :
—— « Mon pauvre Jean, arme—toi de courage,
l’heure fatale qu’on t’a prédite a sonné : tu
vas être jeté dans une noire prison. En‘cc
moment même oùje te parle les ordres sont
donnés et l’on vient. Tes ennemis l’em
portent, mais Dieu ne nous abandonnera
pas... »
A peine avait—elle fini de parler qu’on frap
kgA‘
A
AA
A
AAA
92‘) BIOGRAPHIE
paità la porte,un agent de la sûreté se présente:
— « Monsieur, dit-il, j'ai charge de vous
« conduire devant le juge d’instruction, sui
« v_ez—moi. » .
-— « Que la volonté de Dieu soit faite! ré—
« pond Jean Sempé. »
Il embrasse sa femme et sort.
Au lieu de le conduire au parquet, comme
on le lui avait dit, on le mena droit à la prison
et on l'ent‘erma dans un sombre cachot.
Quel était le crime nouveau dont on l'accu—
sait? Il n’en savait rien et cela ne l’inquiétait
guère.
Comme il priait Dieu avec ferveur de lui
donner force et courage, pour supporter cette
croix plus lourde que les autres, c’est-à—dire la
séparation pour un temps plus ou moins long
de sa femme bien aimée, il tomba en extase et
vit dans un songe comme une meute de chiens
aboyant après lui,le déchirant si belles dents et
prêts à dévorer sa chair. Ce qui le urprenait
fort, c’est qu‘ils avaient le visage de personnes
amies. de parents même. Ils allaient le mettre
en lambeaux, il allait périr d’une mort af
reuse, lorsqu’une épée flamboyante, tenue par
la main d’un ange, les frappe avec la rapidité
de la foudre et tous restent étendus par terre
sans vie et sans mouvement.
ski—u— _Î _ _ . .;__J_ç"‘ _ÎW
DE JEAN SEMPE 2213
‘* 4ËËË_ËT:‘i‘
La vision disparaît. Jean s’étend sur sa dure
couchette et s’endort tranquillement. N’avait—il
pas le plus deux des oreillers? son entière
confiance en l'aimable Providence.
Un grincement sinistre l’éveille brusque—
ment: c’était la porte de sa cellule qui s’ou
vrait.
-—- ex Debout, suivez—moi, lui dit—on. »
Jean traverse de longs corridors, où se pro
menaient mélancoliquement quelques senti
nelles. Le voici dans le cabinet dujuge d’ins
truction :
—— ( Votre nom?
-— « Jean Sempé. »
Puis il décline son âge et son lieu de nais
sance.
Le juge sonne et une femme se présente.
On peut juger de la surprise de Jean, lors—
qu’il reconnaît dans cette femme une dame
Miramon qu’il avait aidée autrefois et dont il
avait guéri le mari et le fils.
2 —— « C’est bien cet homme, lui demande le
« juge, qui"vous a extorqué cent francs, en
« vous promettant de vous faire découvrir un
« trésor'?... Répondez.
Elle répondit, un peu hésitante :
-— « Oui, Monsieur. »
Jean se lève :
BIOGRAPHIE
AAAhAAA
«
A
A
AARAAA
— « Moi,Madame,je vous ai pris cent francs l
Vous devriez être la dernière à m’accuser,
vous que j’ai nourrie pour ainsi dire pendant
deux années entières, vous à quij'ai donné
des vêtements, vous àqui j’ai rendu la santé,
vous dont j’ai sauvé le mari et l’enfant !
Commentosez-vous si impudemment mentir?
« Ah! Madame, ajouta-t—ilen pleurant, c’est
bien mal de faire tant de peine a celui qui
vous a causé tant de joie.
Puis, se tournant vers le juge d’instruction :
— < Monsieur, voici ce qui s’est passé entre
nous. Vous n’ignorez pas que je traite les
malades au moyen du magnétisme ; je le fais
sans donner aucun remède et je ne demande
jamais d’argent. J’agis au nom de Dieu et
pour la gloire de son nom. Or, cette femme,
pour me témoigner sa reconnaissance pour
les services rendus, est venue m’offrir un
jour cent francs. A cette époque, j’étais
malheureux. J’acceptai a titre de prêt et
cela est si vrai que je lui ai fait un billet, par
lequel je me reconnais débiteur de cette,
somme, avec la clause que je m’éngageais a
les rembourser dans les vingt-quatre heures
sur simple présentation du billet. Jusqu’ici,
elle ne me les a jamais réclamés, etje suis
toujours prêt a la payer.
DE JEAN SEMPÉ 225
c Monsieur le juge, si c’est là toute l’ac
cusation, je m’étonne que, sur la plainte
d'une femme, vous attentiez à ma liberté.
.— < Taisez-vous, dit le juge, nous savons à
quoi nous en tenir. N’est—ce pas, Madame,
que vous maintenez votre accusation?
— « Oui, répondit-elle avec un soupir de
regret.
—- « Bien; on reconduira cet homme en
< prison. .»
o“«’AAA
R
Jean, en entendant cet ordre, comprit qu’il
.était condamné d’avance et perdu sans retour.
-— < Madame, s’écriey—t—il, puisque vous ac—
cusez un innocent en trahissant ainsi la
vérité,prenez garde. Si lajustice des hommes
m’abahdonne, la Justice de Dieu me vengera:
Comme Judas, vous avez trahi votre ami;
comme lui, vous mourrez pauvre et délais
sée. Jésus a dit :‘ Il eût mieux valu pour ce
traître qu’il ne fût jamais né. Souvenez—vous
de ces paroles, Madame...
La femme,devant ce discours de l’innocence
indignée, ne savait plus quelle contenance
tenir, mais le juge s’écria d’un ton narquois : _
(
(
—— « Avez—vous bientôt fini ! vous m’ennuyez
avec vos jérémiades. Parole d’honneur, vous
auriez fait un bon curé. Mais, mon bon
< homme, si vous persistez dans vos dénéga—
l‘c‘.
226 BIOGRAPHIE
c tions, vous en attraperez pour trois ans.
il Tenez-vous pour averti...
— c Condamnez-mei pour vingt ans si vous
« voulez. J'ai Dieu pour moi et, avec lui, la
« plus longue captivité passera comme un
« jour.
— « Allons vous êtes fou, positivement!
« qu’on le mène en prison et qu’on le tienne
en au secret le plus rigoureux_ >
Dans son rapport au Procureur impérial, le
juge insinua que l’inculpé l’avait insulté et
conclut en disant que Sempé était un escroc,
atteint de menemanie religieuse.
Le Procureur, M. Dàralde, actuellement
maire de Biarritz, lut ce rapport et dit au
juge :
-- « Faites comme vous l’entendrez ; je me
«l désintéresse entièrement de cette affaire. »
Devant le tribunal, Jean raconta simplement
les choses, renouvelé son offre de payer capi
tal et intérêts du prêt qu’il avait contracté,
mais l'aecusatrice nia l’existence du billet et
maintint l’escroquerie. Les juges, influencés
par de hauts personnages civils et ecclésias—
tiques, ennemis dela renommée de Jean Sempé,
ne voulurent pas entendre les témoins à dé
charge, et condamnèrent le prétendu coupable
à un an de prison et aux frais.
DE JEAN SEMPÉ 227
Belle justice, en vérité! Soyez riches et
puissants, et vous pourrez vous permettre
impunément tous les crimes, pourvu qu’il n’y
ait pas trop de scandale; mais qu’un pauvre
diable, crevant de faim, vole un petit pain
pour se nourrir, la prison, les galères, la mort
même ne sauraient punir assez un tel forfait.
Jean fit appel de cette injuste condamna
tion; elle fut purement et simplement con
firmée.
Jean resta donc en prison et ne perdit pas
un instant le calme de son âme ; il savait que
l’épreuve devait le purifier de plus en plus, en
le rapprochant de son divin modèle. Jusqu’ici,
il avait été tout entier aux œuvres extérieures ;
cette retraite forcée ne pouvait que lui faire
du bien. Sa prière montait plus ardente vers
le ciel. Aussi Dieu, touché de tant de foi, lui
accorda-HI une grâce extraordinaire : la pré
sence visible de son ange gardien, qui le con
solait par de célestes entretiens. De plus, deux
fois _'par semaine, il recevait la visite de sa
femme, ce second ange de consolation.
Aussi pour Jean Sempé, les instants étaient—
ils trop courts; la prison était pour lui un lieu
de délices, et les gardiens ne s'eXpliquaient
pas cette joie ineffable qui rayonnait sans
cesse sur son visage, »
2‘28 BIOGRAPHIE
Grâce à sa douceur, àson excellente conduite
et à l’amitié que lui témoignaient tous les em—
ployés de la prison et particulièrement le direc
teur, Jean fut portésur le tableau des grâces, a
l’occ asion du 15 août, fête de l’Empereur.
Cette grâce arriva en effet, mais l’avocat
général, qui avait soutenu l’accusation, ne
voulut pas la communiquer et la garda dans
ses cartons. <
Jean, éclairé par son ange, découvrit cette
injustice au directeur, qui lui témoignait so n
étonnement de ce que l'on n’eut pas répondu
à la demande formelle de grâce qu’il avait
adressée en faveur de son protégé. Le direc
teur voulait insister, mais Jean le détourna de
ce projet et purgea entièrement sa condamna
tion. C’est alors qu’on lui remit cette pièce
dont il n’avait plus besoin, mais qui prouvait
la haine persévérante de ses détracteurs. ‘
Jean, en partant, remercia chaudement le
directeur et jeta un regard de regret sur cette
cellule où il avait passé de si douces heures.
On était alors au 15 février 1861, et il y avait
quatorze mois que Jean n’était sorti librement
dans la rue. Son premier soin fut d’aller em—
brasser sa femme qui l’attendait avec impa—
tience, et tous deux allèrent à l’église remer
cier Dieu. '
DE JEAN SEMPE 229
Ce devoir accompli, ils se réjouirent avec
tous les amis et connaissances, qui vinrent
serrer la main du prisonnier et lui dire qu’il
n’avait rien perdu de leur estime.
Dès le lendemain, Jean trouva du travail et
alla dans la montagne découvrir et exploiter
de nouvelles carrières de marbre. Il partit
seul, muni d’un engagement du patron, quilui
assurait la moitié des bénéfices, et d’une auto—
risation communale qui lui permettait d’ex
ploiter toute carrière nouvelle découverte
dansl’espace de six mois.
Dès la première semaine, il trouva ce qu’il
fallait et se mit à piocher courageusement. Il
avait déjà extrait une centaine de mètres
cubes, lorsqu’un jour, au moment de rentrer
au village après sa journée de travail, un
nuage enveloppa subitement la montagne et
la neige se mit à tomber en flocons pressés.
Il enfeurche sa mule pour parcourir les quel
ques kilomètres qui le séparent de sa maison—
nette, mais la pauvre bête marche difficile
ment et ne sait plus trouver le chemin, caché
sous une épaisse couche de neige. Le brouillard
devient plus intense et l’obscurité plus pro—
..fonde. Tout a coup, la mule se heurte contre
un rocher et tombe.Jean roule à quelques pas,
se relève difficilement. Ne pouvant parvenir a
230 BIOGRAPHI E
remettre debout sa monture, il va au hasard
devant lui, ayant de la neige jusqu’aux ge
noux. Le froid le saisit; il va peut-être tomber
dans un précipice. Il est perdu. Mais Jean
invoque le secours de son bon ange et le nuage
se dissipe; la neige cesse de tomber. Sempé a
retrouvé toutes ses forces et son courage; il
reconnaît son chemin et arrive enfin au vil
lage sain et sauf. Tout le monde le croyait
perdu dans cette affreuse tourmente.
Quelque temps après, ses travaux prélimi
naires terminés au gré de son patron, Jean
’ revenait à Pau où une mauvaise nouvelle l’at
tendait.
—— « Ah! mon pauvre M. Sempé, lui dit son
«hôte, votre femme est devenue folle, elle
« vous croyait mort et on l’a enfermée a la
« maison de santé. »
Voici ce qui était arrivé.
Le jour même où Jean_ avait failli périr
enseveli dans les neiges, Marie était tombée
en extase et avait suivi avec angoisse toutes
les péripéties du drame. Prise d’une inquié—
tude mortelle à la vue des.dangers que courait,
son mari, elle s’était élancée hors de sa cham«
bre en criant :
— « Mon mari est mort! )
Des agents, qui ne comprenaient rien à ses
DE JEAN SEMPÉ 234
cris, l'arrêtèrent, la prirent pour une folle et .
l’emmenèrent dans une maison de santé. Marie
revenue à elle-même avait beau leur dire :
— « Laissez-moi, je ne suis pas folle. »
On ne l’écouta pas et on l’enferma dans un
étroit cabanon.
Lorsque Jean fut revenu, son premier soin
fut d’aller la réclamer. Ce ne fut qu’au bout de
trois jours qu'il put parvenir prés d’elle et lui
donner l’espoir que bientôt il la délivrerait.
Enfin, après un mois de démarches de toutes
sortes, il obtint sa sortie et l’emmena chez lui.
‘ Leurs nombreux amis, qui connaissaient le
mérite de Jean et de son sujet, vinrent les féli—
citer et leur ofi'rirent un repas somptueux pour
fêter leur liberté recouvrée, espérant bien, que
désormais pour eux l’ère des persécutions était
fermée et que pour faire le bien ils ne rencon '
treraient plus d’obstacles.
Ce souhait, qui provenait de leur bon cœur,
prouvait qu‘ils connaissaient peu les hommes.
CHAPITRE Xlll
Guérisons nouvelles et plus nombreuses. — A Biarritz. -—-—
Mort de Marie Sempé. —- A Bordeaux. — Les moines de
Toulouse.
Un des vieux amis de Jean Sempé, M. Bar
doux, ancien capitaine d’escadron en re
traite, désolé de le voir en butte aux ava
nies, au lieu de recevoir les témoignages de
reconnaissance qui lui étaient dus pour tant
de bienfaits, vint lui proposer sérieusement
de lui faire, pour toujours, quitter,la France,
lui assurant qu’avec une telle science, un tel
pouvoir, sa fortune était assurée.
, Jean ne pouvait se laisser tenter par l’appât
du gain, et la certitude de nouvelles persécu
tions, plus cruelles encore, n’était pas capable
de le détourner un instant d’accomplir sa
mission essentiellement française.
Loin de sa pensée cependant de rejeter les
étrangers qui souffrent et veulent s’adresser
à. lui. Tous les hommes ne sont—ils pas ses'
frères ? Mais, comme la plante fidèle, il aime
DE JEAN SEMPE 233
-vw-rI---- |v - r
le sol natal et savait qu’un jour Paris serait le
lieu désigné pour l’achèvement de son œuvre;
En attendant, aussitôt libre, il se mit à
guérir comme d’autres respirent. Lui deman
der de s’arrêter, c’eût été le condamner à
mourir. Opérant toujours par ces moyens
d’une simplicité extrême, nous n’en rappor
‘ terons ici que quelques exemples se rappor
tant a cette époque, pour éviter la monotonie
des répétitions. ,
Marguerite Erval était servante chez des
Anglais habitantPau depuis plusieurs années.
Elle souffrait d’une grosse tumeur et
s’adresse à. Jean Sempé, qui lui prescrit des
frictions d’huile _r;1,‘gpétisée. La tumeur dis
paraît en quelques jours. Or, la fille de sa
maîtresse, Hélène Estuard, qu’elle aimait
beaùcoup. souffrait d’une phtisie pulmo
naire et n’attendait que la chute des feuilles
pour mourir. C’était l’arrêt sans appel de la
médecine. La jeune servante, sans rien dire,
s’en va porter une petite fiole d’huile fine et
son sauveur Jean Sempé et le prie de la
bénir pour une autre petite malade. Quatre
jours après, la petite mignonne avait repris
une vie nouvelle et courait. dans le jardin
Soigner ses fleurs préférées.
Le médecin Tant-Pis, qui vint la voir, n’en
‘\/(
.\
234 BIOGRAPHIE
pouvait croire ses yeux ; il tâtait, il auscultait
l’enfant, sa science était en déroute. Mais la
jeune bonne savait a quoi s’en tenir et vint
raconter à Jean le merveilleux résultat de
son remède.
—— < Vous qui êtes si bon, lui dit-elle, vous
« devriez bien guérir un brave homme que
«r je connais. Il s’appelle Desnos, est estropié
« depuis quinze ans et ne vit que dela charité
« publique. Chaque année, on l’envoie aux
c Eaux-Bonnes pour calmer ses atroces
« douleurs. Ah! si vous guérissez celui—là,
« vous êtes un fameux homme et votre répu
c tation est faite.
— « Ma chère enfant, lui dit Sempé, ne
« songeons qu‘à glorifier Dieu et voyons
« votre protégé. »
Jean fut effrayé a la vue de ce cadavre
ambulant : un vrai squelette n’ayant que la
peau et les 015. Il invoque son ange, con
jure le mal, souffle sur le malade et lui
impose les mains. Le dixième jour, Desnos,
qui ne pouvait supporter aucun aliment,
mangeait avec appétit et renaissait à. vue
d‘oeil.
Un riche Parisien, qui le protégeait depuis
longtemps, constate par lui-même cet éton
nant changement et va trouver Jean Sempé.
DE JEAN SEMPE 235
— c Monsieur, lui dit-il, je souffre d'une
maladie interne pour laquelle je me soigne
sans succès. Vous avez guéri Desnos, gué
rissez-moi, je vous prie. Je suis célibataire,
vous et votre femme logerez chez moi, a
Paris, et je vous donne le quart de ma for—
tune, soit deux cent mille francs. Je pars
ce soir et reviendrai vous prendre.
—_ « Merci de vos offres généreuses, répon
dit Jean, occupons-nous d’abord de votre
( santé. )
La femme de Désnos ne fut pas du tout
satisfaite de la guérison de son mari, elle
craignait de perdre les secours que les
âmes charitables lui accordaient a raison de
son infirmité. Aussi était-elle furieuse contre
Jean, qui, vainement, voulut la calmer en lui
promettant une bonne part de la somme qui
lui serait versée par le Parisien après sa
guérison. Elle ne voulut rien entendre et
n’hésita pas à. verser de l’émétique dans la
boisson de son mari,afin de le faire vomir et,
quand il fut bien malade, elle fit un scandale
épouvantable, menaçant Sempé de la justice,
de la prison, ce qui aurait pu arriver, en
effet, une seconde fois, sans l’intervention dé
Mme Estuard, qui savait blcn la vérité.
Mais le Parisien, de retour de son voyage,
.
à
AAAAA'A
A
“236 BIOGRAPHIE
fut surpris de cette chute nouvelle de Desnos,
sur laquelle il ne comptait guère et qu’on
attribuait entièrement la faute de Jean
Sempé. Le pauvre homme, désespéré, repar—
tit sans revoir personne et perdit ainsi cette
occasion unique de recouvrer la Santé.
Depuis sortie de prison, c’est-à-dire de
1861 à. 1864, Jean resta à Pau travaillant pour
gagner sa vie. Il faisait des cannes et des
parapluies. ‘
Un jour, M. Marcère vint le trouver de la '
part de son frère Cyrille, qui demeurait a
' Biarritz, et qui le suppliait de s’adresser a
Sempé, pour soulager sa femme gravement
malade et même à l’agonie depuis’trois ou
quatre jours. '
Marie Sempé, qui, en extase, la voyait,
s’écrie tout a coup :
—— « Arrête la mort! il est grand temps. Dans
' « dix, minutes, elle sera sauvée, mais qu’on
« ne lui apprenne pas qui l’a guérie, car elle
< n’a pas la foi. »
Jean obéit a sa femme et conjure le mal a
distance. Mme Marcère se réveille comme
d‘un long sommeil. Elle échappait aux griffes
de la mort.
Pour achever cette guérison, on alla cher—
cher Jean Sempé, on l’amena a Biarritz, mais
DE JEAN SÉMPE . 237
si
A
la difficulté était d’approcher de la malade,'
sans être connu d’elle. Mme Marcére. apprit,
on ne sait comment, la présence de Sempé
à. Biarritz, elle entra dans une violente colère
et dit qu’elle ne le recevrait pas, parce qu’elle
ne croyait nullement à toutes ses mômeries.
Elle fut guérie, néanmoins, malgré elle, mais
à. cause de la foi de son mari, qui parvint à.
faire venir Sempé prés de sa femme, pendant
qu’elle dormait.
Jean se fixa à Biarritz et y demeura depuis
1864 jusqu’en 1876. Il reprit son premier mé-'
tier d’ébéniste ety trouva une bonne client
téle. .
La guérison de M. Cambon, maître d’un
des principaux hôtels de Biarritz, mérite
d’être rapportée.
Le hasard le conduisit dans cet hôtel pour
y vendre une petite table élégamment faite,
lorsque Mme Cambon lui dit: .
;— « Est-ce vous vraiment qui êtes ce Jea
Sempé, qui guérissiez tant de malades à.
Pau et y avez en un procès retentissant
contre plusieurs médecins“?
— « Oui, Madame.
— « Une dépêche m’apprend a l’instant
même que mon mari, depuis longtemps aux
Eaux-Bonnes, est mourant. Je pars... Ah!
à
A
k
938 BIOGRAPHIE
« Monsieur Sempé, si vous vouliez le sauver!
< ajouta—t—olle en pleurant. Il y a quatre ans
« queje vous fais chercher partout.
—- « Restez, Madame... allez chercher du
« sel fin. ;
Mme Cambon obéit. Jean le magnétisa et
tombe en extase. Il est transporté près du
malade. Tout à coup, sa gorge se serre. le
sang lui monte à la tête, il devient noir, il
V sufioque, on dirait qu’il va mourir. Mme Cam—
bon effrayée appelle, mais Jean se dégage
lui—même et dit :
— < Soyez tranquille, Madame, votre mari
« est sauvé. Dans un instant, vous recevrez
« une dépêche, qui confirmera cette nouvelle.»
En effet, trois jours après, M. Cambon ren—
trait à Biarritz en bonne santé.
De la même manlère, Jean guérit la belle
sœur de Mme Cambon, qui demeurait à Bor
deaux et cette dame, venant trois mois après
demeurer à Biarritz, ne put jamais croire
qu’elle avait été ainsi guérie à distance ; mais
Mme Cambon, qui avait supplié Jean en sa
faveur, ne pouvait ignorer d’où provenait
cette grâce insigne et chercha tous les
moyens possibles de prouver reconnais—
sance à cet ami fidèle. Pendant sa vie tout
entière, elle a eu en lui la plus absolue com
7 Î ‘_ f.z’ä}k‘Ï‘ä“êälÛ_. ,
DE JEAN SEMPÉ 239
fiance et nulle affaire importante ne s’est
accomplie chez elle, sans avoir demandé à ce
protecteur de sa famille son conseil ou sa
bénédiction. .
Au mois de mars 1873, Jean éprouva la plus
grande douleur de sa vie ; il perdit 'sa femme
bien—aimée. Depuis longtemps, elle s’éteignait
graduellement, mais elle ne se plaignait pas.
Elle offrait ses souffrances à Dieu dans une
prière continuelle; dans ses plus grandes
' douleurs, son courage ne sedémentit jamais
et son amour trouvait encore un sourire
pour son mari. Un soir, dans une dernière
étreinte, sa belle âme s’envola vers son Créa
teur. .
On comprend, sans pouvoir l’exprimer, le
chagrin de Jean Sempé qui perdait la fidèle
compagne de toutes ses épreuves. Il la pieu:
rera toujours et n’aspire qu’à la rejoindre.
Du séjour céleste où elle goûte le repos tant
désiré, elle veille sur son époux et l’aide plus
puissamment encore à accomplir sa. mission
ici-bas.
De Biarritz, Jean Sempé se rendit à. Bor
deaux où il séjourna pendant deux ans chez
‘ un patron qui lui avait procuré du travail.
Il lui fallut supporter toutes sortes d’ava
nies de la part des ouvriers, ses compagnons,
240 BIOGRAPHIE
' qui ne l’aimaient pas, parce que Jean ne veu—
lait pas les accompagner au cabaret et sur
tout parce qu’il n’allait pas avec eux dans
les réunions publiques. On était alors au
moment des élections municipales et les
passions électorales étaient déchaînées. Or,
pour Jean Sempé, la politique était le moindre
des Soucis ; il avait assez de s’occuper de son '
travail et d’ailleurs, il avait toujours le cœur
en deuil de la perte récente de son épouse
‘ adorée.
Cela ne faisait pas le compte des bruyants
compagnons qui, non seulement le taqui
naient, mais encore le persécutaient jusqu’à.
en venir aux voies de fait.
L’un d’entre eux, saisi sans doute d’un
esprit diabolique, se mit à. frapper de grands
coups de maillet sur son établi, disant qu’il
voulait briser la tête de Jean. '
Curieux effet produit! Chaque coup, effec
tivement, résonnait douloureusement dans le
cerveau de Sempé et y causait des douleurs
tellement intolérablos, qu’il fut forcé de quit
ter l’atelier et d'aller dans sa chambre, qui se
trouvait de l‘autre côté de la rue.
Là, il revintà lui, et, ipspir_é par son ange,
il se mit en prières. Les coups de maillet ces—
sérent instantanément. L’ouvrier mauvais
DE JEAN SEMPE 241
était tombé sans connaissnnce et ses cama
rades 1'emportaient chez lui.
A partir de ce moment, les compagnons lui
jurèrent une haine féroce et le menacérent,
à. la prochaine occasion qui se présenterait,
de lui faire un mauvais parti. Jean, sa jour—
née finie, ne sortait plus, car il savait qu‘on
l’attendait au dehors.
Un soir, son ange l’avertit qu’on en voulait
âsa vie et qu’il fallait partir de suite pour
échapper à cette situation intenable. Jean
obéit et, dans la.rue, passa invisible au mi—
lieu d_e ses ennemis, quiÎë' ÿü’e‘ttäiént, armés
de couteaux ou de leurs instruments de tra=
vai], alla a la gare et se rendit à Toulouse.
Jean resta cinq ans alToulouse, de 1878 à
1883, et, sans délaisser son travail, y fit quel
ques guérisons remarquables.
Dans la maison qu’habitait Sempé,rue Côte
Pavée, 2, demeurait un épicier, M. Jaurand,
avec lequel il. s’était lié d’amitié. Celui—ci.
ayant un neveu malade d’une fièvre perni
cieuse, pria Jean d‘aller le voir. '
Jean se présente chez le malade et, sans
vouloir le toucher, demande le nom et le pré-—
nom.
—- « Paul Audouy, lui dit sa fortune.
«- « Cela suffit. Madame, je reviendrai
FIL-n. ‘.*-!.
14
242 BIOGRAPHIE
< demain matin. J’espère que votre mari pas
« sera une nuit meilleure. )
Le lendemain Mme Audouy accourt au
devant de Jean Sempé : '
—-—- c Ah ! Monsieur, lui dit—elle. vous n'étiez
« pas surl’escaller que la fièvre cessait subl
« tement. Il adorml toute la nuit d’un bon
« sommeil et maintenant il est gal comme un
( pinson. .
Jean entre dans la chambre du malade, qui
était assis sur son lit et qui lui tend la main
en disant :
-— « Merci, Monsieur, de votre bonne visite,
« Vous m’avez rendu la vie. Je voudrais pou
« Voir me lever, mais j’attends le docteur.
—- « Pourquoi ne vous lèverlez-vous pas à
« présent?
-- < Il me l’a défendu.
-— « Mais puisque vous n’avez plus de fiè
‘ vre, vous le recev‘rez debout. D
Il obéit.
Le docteur frappe à la porte, le malade va
ouvrir lui—même. Qui fut surpris ?
' —- < Comment, malheureux, s'écrie le mé
‘ decin, Vous Vous levez avec une pareille
« fièvre !
— « Mais, docieur,je suis guéri,je mange
« et je bois comme à l’ordinaire.
... . _.
'na..æ=d_
DE JEAN SEMPÉ 243
o-- . Vous avez le délire ! .
Et le médecin lui tâte le pouls, lui examine
les yeux, lui fait tirer la langue :
—- « En vérité, vous n’avez plus rien 1 )
Et il s’en va tout abasourdi, ne pouvant
s’expliquer un tel changement à. vue.
Aquelque temps de la, ce fut le tour de
' l'oncle Jaurand. Une fièvre cérébrale le saisit
pendant la nuit. L’attaque est si violente qu’il
mord ses draps, se déchire les mains en
poussant des cris terribles. Jean se trouvait
dans son premier sommeil, des coups frap
pés dans le plancher le réveillent en sursaut.
Il comprend que les voisins de dessous l’ap—
pellent, il descend au plus vite et voit dans
quel triste état se trouve son ami. Sa femme
et son fils pouvaient a peine le retenir.
Jean lui pose la main sur la tête, brise le
mal et ramène le calme et le sommeil.
Le lendemain matin M. Jaurand était calme,
le plus fort de la fièvre avait disparu; après
quelques jours il était rétabli.
C’est vers cette époque que Jean entra en
relations avec Alphonse Càhagnet, l’illus
tre magnétiseur bien connu et dont la vie
extraordinaire atant de rapports avec celle
de Jean Sempé.
De la correspondance épistolaire qu’ils
244 BIOGRAPHIE
échangérent, nous avons conservé deux let—
'tres que nos lecteurs liront sans doute avec
intérêt :
« Argenteuil, 2 septembre 1880.
« MONSIEUR SEMPÉ,
V « J’ai lu avec le même plaisir que la
première votre dernière lettre. Les faits
qu’elle contient sont très curieux; aussi les
ai—je commüniqués au petit groupe de
mes amis, les étudiants Swedenborgiens, qui,
comme moi, les ont trouvés intéressants.
Ils donnent penser que votre existence
renferme des phases non ordinaires. Vous
« êtes protégé dans votre action magnétique
1 par une force qui ne se manifeste pas ton
« jours ainsi. Que Dieu vous la continue en
« vue du bon usage que vous en faites l
« Le journal dont vous me parlez est épuisé
.« o«tfut continué par celui ayant pour titre
« Encyclopédie magnétique spiritualisle. Cette
«publication exista onze années et forme
« sept volumes.
« Je ne connais d’autres journaux traitant
« de magnétisme a Paris, que la Revue spirite
« et la Chaîne magnétique, sous l’inspiration du
« baron Dupotet, homme. qui, loin d’être mort,
vient de se remarier, âgé de plus de quatre
5“AAA
5"\Aà
A
‘
_ -. .
m«; JEAN ennui 245
Q
4.\
Â
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«
vingts ans. Je ne connais pas les lettres de
notre ami Lafforgues, je ne peux vous ren
- seigner sur elles.
« M, I)urville ne s’empresse pas de faire
reparaître son journal, je ne sais s’il réus—
sira a le faire. ' V -
«. Je vous dirai, cher Mons1eur, que mes
moyens ne me permettent pas d’avoir un
secrétaire et mon service {ce qui serait
d’un grand secours, étant épuisé par les
travaux de bureau. " '
« Je vous ai expédié par la poste la Magie
magnétique dontje n‘ai plus que deux exem
plaires.
<< Je vous enverrai sitôt parue la Cosmogonie
et l’Anth*opologùz. Je pense_ l’avoir dans une
dizaine dejours. 7
-.< Je vous serre’ fraternellement la main.
« Alph. CAHAGNEI‘.
« 90, rue Saint-Germain à Argenteuil.
« Argenteuil, 16 janvier 1881.
CHER MONSIEUR ET FRÈRE EN ÉTUDES,
« Je viens vous remercier de l’envoi de
' votre photographie, qu’il m’a été très agré
able de recevoir comme marque d’estime
et en trouvant en elle une figure qui est très
' 14.
‘2 46 BIOGRAPHIE
sympathique. Les quelques pages d’his
toire de votre existence que vous avez eu la
confiance de me faire connaître, répondent
bien aux traits de bonté de votre visage.
Ils annoncent en plus que vous n’êtes pas
arrivé à votre âge sans souffrance ni (lé
ception. Mes amis etfrères, au courant de
votre correspondance, paraissent décidés
de vous offrir de faire partie de notre petit
groupe d’étudiants Swedenborgiens, si cela
peut vous être agréable. Je vous enver
rai alors nos statuts que vous étudieœz et
que vous accepteriez ou refuseriez selon
qu’ils répondraient à votre manière de pen—
ser. Il n’y a aucune dépense imposée.
« Recevez, cher Monsieur et frère en études,
« ma fraternelle poignée de main.
« . Alph. CAHAGNET. .
flâ*AAAâh.AÀAAÂ
Pour en revenir aux affaires de Toulouse,
les capucins, qui demeuraient en face de la
maison de Sempé, apprenant par M. Jaurand
les guérisons étonnantes qu’il avait opérées,
voulurent voir le guérisseur et l’interroger
sur les moyens dont il se servait:
-— « Père Marie—Antoine, dit Jean au supé
< rieur, si vous Voulez bien me connaître,
« adressez—vous à M. Mingoulet, vicaire gé—
DE JEAN SEMPÊ 247
néral de l’évêque de Bayonne; il vous ren
« seignera sur mon passé. Quant au présent,
« demandez aux malades que j’ai vus s’ils
( ont éprouvé quelque soulagement. »
L’enquête fut sans doute favorable, car
' quelque temps après Jean recevait l’épître
suivante:
A
« Monsmnn SEMPÊ,
« Je vous envoie un brave homme qui de
« puis longtemps est tourmenté d‘une ma
< niére extraordinaire et pour lequel vous
« pouvez agir d’une manière efficace, le bon
« Dieu vous aidant. Il est propriétaire d’une
« petite maison à Lhourmette, au sommet
« de la Côte-Pavée, il s’appelle Jean Jameau.
« Pour l’amour de Notre-Seigneur Jésus
« Christ et de sa très sainte Mère ImmaCulée,
« daignez, s’il vous plaît, le soulager et le
< guérir, si c’est la volonté du bon Dieu.' '
c Votre tout affectueusement dévoué,
c Frère Rnrrm. .
Jean Sempé obéit à cette prière, et le succès
fut prompt et complet. La paralysie de Jean
Jameau disparut entièrement. ‘
Quelques jours après, sur la recoinman:
dation des rèvéren‘ds pères capucins, on sup«
9248 ‘ Bl()GBAPIIlE
plia Jean Sempé de guérir une jeune religieuse
atteinte d’un mal mystérieux et incompréhen—
sible. '
‘Son frère Jean Malcure lui annonçait les
heureux résultats obtenus, dans la lettre
suivante :
« MONSIEUR SÈMPÊ,
« Les nouvelles sont on ne peut meilleures,
« ma bien-aimée sœur va de mieux en mieux,
« je pourrais même dire qu’elle estgriérie.
« Comme nous sommes heureux! Quel
« énorme fardeau disparu! quelle tranquillité
<< règne chez nous! On se croit délivré d’un
« poids immense qui nous alourdissait et
« nous courbait jusqu’à terre.
_« Si vous avez l’occasion de voir le frère
« Ruffin, lui qui est si bon pour nous, vous
« pouvez hardiment lui annoncer cette bonne
« nouvelle. V
- « Jean MALGURE. » .
Ce mal étrange dçnt parle Jean Malcure,
en termes vagues et mystérieux, était un cas
extraordinaire de possession. La sœur de
Malcure était devenue, disait-on, folie au
couvent, et il fallait la surveiller nuit et jour.
Elle faisait des choses si extraordinaires que
l’archevêque de Toulouse, averti, ne put con—
DE JEAN.SEMPË 949
server aucun doute sur la nature de cette
maladie. Tous les moines's’occupèrent de
cette affaire : jésuites, carmes, trappistes
et capucins essayèrent de leurs exorcismes
pendant des mois entiers, mais inutile
ment. -
C’est alors que les capucins voulurent
éprouver la puissance de Jean Sempé, pen
sant bien qu’il échouerait comme eux.
Jean, devinant leur malice, exigea leur pré
sence; ce qui fut accepté.
La religieuse est placée dans une voiture
par son frère, accompagnée du frère Ruffin,
et on part pour le couvent. Mais la possédée
se démène et ne veut pas partir.
— « Je n’irai pas, crie-t—elle, car il y a là—bas
. « un homme qui nous commande. »
Comme on veut partir quand même, la folle
furieuse enlève comme une plume son. frère
et le moine et les jette tous deux par dessus
la voiture, puis elle se sauve chez sa mère, à.
douze kilomètres plus loin. ' ,
Jean, aVerti, voulut s’y rendre et pria le
père Marie-Antoine de l’accompagner; mais
celui-ci s’y refusa obstinément de peur de se
(:OIH]JI‘OIÏ16ÈÈPB.
— « Puisque Sempé a tant de pouvoir,
« ajouta-Ml, il n‘a pas besoin d’aller chez
950 BIOGRAPHIE
cr elle; qu’il la guérisse a distance, et nous
« croirons en lui. s
Jean accepte sarde-champ cette mise en
demeure et se fait apporter une livre de se],
qu’il magnétisa devant plusieurs témoins et
le donne au frère de la possédée, avec ordre
d’en jeter un peu partout dans la maison où
elle se trouvait. .
Maleure suit fidèlement la prescription.
A peine a-t-il jeté un grain sur le lit où dor
mait la religieuse, que celle-ci se lève d’un
bond et, furieuse, saute sur son frère pour
lui arracher les yeux et lui tordre le cou. Il
parvient a s’échapper et enferme la folle,
guettent parla fenêtre ce qui allait se passer.
Elle proféralt d’horribles menaces. d’affreux
blasphèmeS et brisait tout ce qui lui tombait
sous la main. Enfin, a minuit sonnant, elle se
calme subitement et se met a genoux pieuse
ment devant une statuette deyla Vierge. Son
frère se risque à. entrer, elle l’embrasse en
pleurant.
— « Mon pauvre frère, dit-elle, pardonnez
« moi de vous avoir causé tant de chagrin
« depuis tant d’années. Je suis guérie! Jésus
« et Marie viennent de me délivrer. »
Elle appelle sa mère et son frère, et tous
pleurent ensemble dejoie et de reconaissance.
DE JEAN SEMPÉ 251
‘v.“_l',' “—.5; ' ' - ‘- -‘,ï'nl - -—np_._ :31, . 7.-.-— -,-E 527 .«In - g:|Jt A -rhrs;.Ï _ "‘, '-«' ,-. .,.
Les révérends pères, surpris d’un tel ré
sultat qu’ils ne pouvaient mettre en doute,
puisque eux-mêmes avaient désigné la per
sonne, voulurent de nouveaux éclaircisse
ments. et le père Ruffin, par ordre de son
supérieur, envoya à. Jean Sempé ce billet
d’invitation : .
«i Si vous désirez avoir avec un de nos
« Pères un petit entretien sérieux, veuillez
« venir ce soir vers les cinq heures. »
« C’est pour votre bien et intérêt spirituel
que le bon Dieu vous prépare cette entre
vue lumineuse ‘et bien claire sur votre
situation, a laquelle je m’intéresse bien
vivementettoutfraternellementen N.-S. J.-C.
< Frère RUFFIN. .
Jean se rendit au couvent a l’heure dite et,
quel fut son étonnement, lorsque le frère vint
lui dire: i .
-— c‘ Je n’y comprends plus rien, on m’a dit
c de Vous faire venir et, maintenant que vous
« êtes ici, on ne veut plus vous entendre,
« sous prétexte que c‘est le démon qui vous
« fait agir. Or, je sais le contraire et je suis
« désolé, mon cher Monsieur...
ii N’ayez crainte répond Jeunet donnez-moi
une plume. » _
Et Sempé écrivit '2’ '
A
AA“
252 BIOGRAPHIE
ÂARAAAAâ4&
,
â&ââA
àQA&&AA
« RÉVÊREND PÈRE MARIE ANTOINE,
« 0 vous, qui êtes enfant de lumière et plus
près de Dieu, pourquoi me traitez-vous si
cruellement ? Vous prétendez que non seu
lementje n’ai guéri personne, mais encore
que je suis possédé du démon. C’est une
affimation bien risquée de votre part, mon
Révérend Père, car vous savez le contraire,
et vous avez un moyen de contrôle facile.
On connaît l’arbre aux fruits qu’il rapporte.
Vous n’avez qu’à. vérifier et juger les faits
qui vous sont soumis et'vous pourrez con"
clure ; mais vous assumez une lourde res
ponsahilité. puisque c’est sur votre prière
même que j’ai agi. Vous n’avez pas le droit
de me mépriser ainsi, vous avez le devoir
de vous éclairer.
4 Et puis, mon Père, vous qui êtes instruit.
vous savez que Dieu n’a pas besoin du
prince des ténèbres, pour établir sa doc—
trine ou opérer de grandes oeuvres et, en
vérité, il serait étrange que celui qui guérit
au nom de Jésus ne pût réussir que par
l’entremise du Père du mensonge. Il me
semble qu’en m’attaquant vous comproniet
tez gravement les intérêts du Seigneur.
« Quant ma personne, il m’importe peu
DE JEAN SEMPÉ 953
«(<
«
(
ÀÀÀÀÀAAÀA
5
de souffrir de vos allégations, il y a long- '
temps que la souffrance m’est familière.
N’ai—je pas une consolation assurée dans
le cœur de mon divin Maître?
« Mais, admettons que je sois dans l‘er
reur. Veuillez alors, mon Père, m’instruire
et dissiper cette erreur dans laquelle je suis
plongé. Ma bonne foi est entière et mes
intentions pures. J’accepte d’avance les
conditions qu’il vous plaira de m’imposer.
Que trois prêtres éclairés m’interrogent et
examinent, je me soumets a leur décision,
quelle qu’elle soit. Je n’ai en vue que la '
gloire de Dieu et le salut des âmes.
< Préférez—vous entendre vous-même la
confession de toute ma vie? Je suis prêt et
« je pense que vous ne pouvez pas me '
refuser.
« Veuillez vous éclairer, je vous en supplie.
au nom du Seigneur Jésus et agréez, mon
Révérend Père, l’expression de ma recon—
naissance anticipée.
< Jean SEMPÉ. »
Le père Marie—Antoine, forcé dans ses der
niers retranchements, répondit par la lettre
suivante : —
15
“.î‘ ’+ BIOGRAPHIE
Toulouse, le 7 octobre 1881.
« MON BIEN CHER MONSIEUR,
« Vous me dites que vous désirez être
«z éclairé sur ce que vous pouvez faire en
« conscience, en exerçant un pouvoir extra—
« ordinaire, que vous croyez vous être donné
« par Dieu pour guérir les malades ou déli
« vrer les possédés du malin esprit.
- « Les Evêques seuls sont établis par Dieu
« pour donnerla lumière et tout pouvoir dans
« l’ordre surnaturel. ‘ . v
« Ayez donc recours a notre Evêque et faites
« ce qu’il vous dira. Vous aurez alors la
« lumière parfaite et la parfaite paix dueœur.
«Votre tout dévoué en N. S. J. C.
« P. MARÎE-ANTOINE. »
Comme on le voit, le bon moine n’était pas
fort en dialectique et ne cherchait qu’un
moyen honnête d’échapperpar la tangente.
Jean Sempé guérit encore une autre per
sonne que le Père lui désigne et le religieux
ne pouvant plus'conserver aucun doute le
reçut avec plus d’amitié.
—« Est-ce que je ne pourrais pas guérir
« comme vous les malades? lui demanda-Hi
< un jour. 1
DE JEAN SEMPÉ
2
AAA
—« Certainement, mon révérend Père, et
mieux que moi, répondit Jean,Sempé. N’êtes
vous pas ministre de Jésus-Christ? Vous
avez reçu de lui des pouvoirs dont vous ne
savez pas user, parce que la foi vous
manque. Avez-vous oublié ces belles
paroles ? ' _
« Demandez et vous recevrez, frappez et
l’onvous ouvrira, cherchez _'et .vous trou—
verez. >
CHAPITRE XIV
Paris. —— Jean Sempé va achever sa mission. —— Appel à
tous ceux qui souffrent. — Les prières de Jean Sempé.
Jean Sempé quitta Toulouse en 1883 et alla
pendant quelque temps demeurer à. Madrid.
Un docteur, qui sut l’apprécier, lui recom
manda plusieurs de ses clients, parmi les—
quels nous pouvons citer un jeune musicien
de la garde royale, atteint de cette maladie
terrible qui ne pardonne guère : la phtisie.
Au mois de septembre 1883, Jean se fixa
définitivement à Paris et jusqu’en 1888 il a
vécu dans son humble retraite de Vincennes,
se préparant, par la méditation et la prière, à
remplir la mission que Dieu lui a conférée ici
bas : qui est de guérir tous ceux qui souffrent,
de consoler tous ceux qui pleurent, de retrou
ver le fil conducteur dans les affaires les
plus épineuses et les plus embrouillées, de
découvrir les choses les plus cachées, de
_._AJ—__ mmv“__—lflll
DE JEAN SEMPÉ "25.’
_ r:;.:
vaincre partout et chez tous l’Esprit du Mai
et d’élever les grandes âmes à la Jouissance
suprême qui est la possession de l’1nfini, au
tant qu‘une âme humaine est capable de
l’embrasser; ' '
Venez donc avec confiance, 6 vous tous qui
gémissez et vous courbez sous la lourde croix
que Dieu a plantée survos épaules,vous trou—
verez auprès de ce nouveau Cyrénéen aide et
protection. Comme Jésus, dont il est le fidèle
disciple et au nom duquel il opère, il vous
enlèvera le fardeau tout entier, afin que vous
releviez la tête vers le ciel avec plus de cou,—
rage.
Que vous faut—il pour cela? Bien peu de
chose: de la foi, gros comme un grain de
senevé.
' Et quand même cette foi nécessaire man
querait à quelques-uns, que ceux qui les
amènent l’aient pour eux et ne disent pas a
cet incrédule devant qui ils se trouvent.
A cause de ces personnes croyantes, qui ont
prié pour lui, l’effet sera produit néanmoins.
Que ceux qui liront ce livre essaient pour
eux—mêmes, ou engagent leurs amis à. essayer
de cet extraordinaire pouvoir accordé à son
serviteur. C’est une eXpérience qui ne sau—
rait leur coûter cher, puisque Jean Sempé est
. -Aauml:
15.
258 BIOGRAPHIE
la bonté même et le désintéressement en
personne. ,
On peut'lui amener en confiance tous les
malades,'quel que soit le genre de leur mala—
die, mais il préfère ceux qui sont abandon
nés des médecins, les possédés que l’on croit
fous seulement et qui ne le sont réellement
pas,_et tous ceux qui ont de grandes afflic
tions morales.
Guérir ces maladies, ce n’est pas faire
concurrence aux médecins, puisque ce sont
des cas désespérés. D’ailleurs, ne donnant
jamais ancun remède, il est àl’abri de toutes
poursuites. Ses moyens sont : la prière, les
exorcismes, la magnétisation de l’eau, de
l’huile ou du sel dans certains cas. Par
exemple, si la personne affligée demeure au
loin et se trouve dans l’impossibilité de venir
auprès du guérisseur, elle n’a qu’à envoyer
son nom et son prénom, Jean lui retournera
: la matière nécessaire, dûment magnétisée
‘ et bénite. Il n’y aura plus qu‘à convenir de
l’heure à laquelle on devra causer, réciter
les prières appropriées, faire les signes de
croix convenus sur toutes les jointures et
principalement sur la partie malade, alors
le thaumaturge prononcera la formule sacra—
mentelle:
DE JEAN SEMËÉ 959
< Au nom “de Jésus, soit guéri! » .
Et malgré la distance,tout mal s’évanouira. >
Nous ne sachons pas encore qu’il soit dé—
fendu de guérir au nom du Maître, à moins
que l’on ne se mette à crucifier de nouveau
les Disciples ce qui nous surprendrait beau—
coup dans ce siècle d’incrédùlité l
NOUS terminons notre livre, en insérant
quelques—unes des prières dont se sert Jean
Sempé. Elles témoigneront de l’orthodoxie de
sa doctrine et de la pureté de ses intentions.
" {Il en donnera“prochainemeht un recueil com—
plet à. l’usage des croyants.
-l- —- Dieu tout puissant, Dieu bon qui rem—
plissez et gouvernez l’immensité des mondes
que vous avez créés, que votre saint nom soit
loué, que votre volonté ssit— faite, que tout ce
qui a reçu votre s ouffie immortel res
pecte et suivre votre sainte loi. Conservez
moi la santé de l’esprit, afin que je ne cesse
de vous glorifier ; celle du corps pour tra—
vailler, secourirles miens, aidermon prochain
et servir ma patrie. Je suis homme et faible,
donnez—moi la force d’éviter le mal ; si je
succombe, donnez—moi le repentir ;ne punis—
sez point à cause de moi mes ennemis aux—
260 BIOGRAPHIE
quels je pardonne ; enfin, quand j’aurai dé
pouillé cette enveloppe corruptible, rappro
chez-moi de vous de plus en plus afin que
je vous connnaisse et vous aime davan
tage. '
-j- Ange de lumière, Vierge céleste, Esprits
immortels, Ministres des -volontés de mon
Dieu, venezà moi, je Vous implore. Secourez— ‘
moi, guid_ez mon inexpérienée et préservez—
moi des pièges tendus par les méchants sur ‘
la route ténébreuse. Et toi, que le ciel a com
mis plus spécialement a ma garde. Ange
tutélaire, mon ami, mon guide fidèle, con
(luis—moi dans ce pénible voyage a travers le
désert.
-j- 0 toi, par qui tout a été fait et par qui
tout sera transformé pour retourner a la
source première, Principe émané du sein de
l’Éternel, Ame de l’Univers, Divine Lumière,
je t’invoque a mon aide. Oui, viens, Fluide '
créateur, pénétrer mes sens amortis. Et vous,
augustes Messagers du Très-Haut, Anges de
lumière, Esprits célestes, vous tous ministres
des volontés de mon Dieu, venez à. moi, j’im
_plore votre assistance. Hâtez-vous, venez
m’éclairer et me guider, portez à Dieu ma
DE JEAN SEMPÉ 964
=1 -M:Z." .-r«r:;* ;l;«-.
prière : il connaît mes désirs. Je veux sou—
lager mes frères, les fortifier, les maintenir
ou les rendrejustes devant Lui. Je vous im
plore par le Fils unique égal au Père qui
règne avec le Saint-Esprit en l’Unité d’un seul
Dieu.
Ainsi soitcil !
- Quant on est grièvement malade, il faut
réciter pendant-douzejours les psaumes xv,
xvx et XXXIV et, après la guérison, aussi pen—
dant douze jours, le psaume xvm.
Si l’on se trouve dans un grand désespoir,
réciter pendant sept jours le psaume xxr.
Si l’on est tourmenté du démon, réciter sept
fois de suite le psaume XXXVII.
Après avoir récité les psaumes susdits,
ajoutez chaque fois cette courte prière :
Jésus, Dieu du salut, je vous prie, par la
vertu de votre saint Nom et celle de ce
psaume, guérissez-moi ou guérissez telle ou
telle personne de telle maladie, de ce déses—
poir, de ce tourment... ’
Car, ne l’oublions pas, celui quia la cons—
cience pure ou qui, par une bonne contrition,
a demandé à Dieu la rémission de ses fautes,
-'v '_.'j:.;;.l; ::_- ._"q-‘-: .. .- -_-r --.w.
262 BIOGRAPHIE -
peut obtenir la puissance de guérir et, s‘il a
la foi, la maladie, quelle que grave qu’elle
soit, disparaîtra. C’est une vérité incontes
table. Jésus a dit a ses disciplss :
« Demandez et vous recevrez, cherchez et
« vous trouverez, frappez et on vous ouvrira.
« Le ciel et la terre passeront, et mes pa
« roles ne passeront pas qu’elles ne soient A
« accomplies. »
FIN
TABLE DES MATIÈRES
PRÉFACE... ..4 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
CHAPITRE PREMIER. —— Premières années. -— Guérison
miraèuleuse. — Paul Barraque. — Première com
munion. — Comment il fut élevé par ses parents.
— Haine d’un frère. -— Fuite du toit paternel. —
Le menuisier Poiley. — A deux doigts de la mort.
— Fuite à l’au et départ pour Bordeaux . . . . . . . . . ..
CHAPITRE II — Attaque soudaine. — Nouvelle maladie.
-—- Séjour à Cauterets. — Retour 3 Peu. — -Unc
jalousie terrible — Rechute singulière.— Guéri
par Laflorgue. — Jean monté un atelier. — La
tireuse de cartes —La femme au rasoir. — Etudes
avec Paul Barraque. — L’apparition de Bayonne. —
Un nouveau Gain. — Jean refuse d'être prêtre. —
Visite au commandant Lafl'orgue . . . . . . . . . . . . . . . . ..
CHAPITRE III. — Étrange vision au château Desper
basque. -—Prédietion sur Louis-Napoleon — L’abbé
Lacroix et son livre de magie. . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
CHAPITRE IV -— Pouvoir de vaincre les tentations
les plus délicates. — Manière de procéder. —
Laliorgue veut l’imitcr. -—— Les sujets de Jean
Sempé. —- Michel Carreau. — Guérisons nombreu
ses. — Les revenanls du château de Navaille.
— Trésor perdu. — Ricard le magnétiseur. —
Séances publiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
CHAPITRE V — Guéri=on d’une épileptique. — Colères
sacerdotales. —- Ricard veut se venger. — Un
moqueur puni. — Une borne infranchissable. —
Musicien improvisé. -— L’abbé Laporte. — Un déses
péré — Guérisons à distance. . . . . . . . . . . ., . . . . . . ..
40
63
94
964 TABLE DES MATIÈRES
_CHAPITRE VI — Marie _Lasserre . quitte sa famille. —
Poursuiteflde son frere.- — Vision ex_tatique. —
Enfer et L1el. — Voyage à Busy et ce qu'tl en advint.
— Un clerc de notaire. — Opposition épiscopale.
— Visite au procureur de la République. — Com
ment parfois il est difficile a un bon chrétien de se
marier a l’eglise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
CHAPITRE Vil —Une possédée. — Jalousie des méde
cins. — Condamnation Injuste. -—Jean guérit son
avocat. — Acquittement en cour d’appel. — Lord
Smith . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
CHAPITRE \'III — Lord Delson. — La baronne de
Mesplée. — [‘n serviteur faussement accusé. —
Comment l’argent voie fut retrouvé. — Ordre de
départ pour Paris . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
CHAPITRE IX— Poursuites indignes. — Fuite de
Paris. — Visite au vieux pere. — En route pour
la Martinique. — Horrible tempête. — Punitiop du
capitaine. — Jean sauve le navire par ses prieres.
— Rentrée au port. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
130
418
ltil
CHAPITRE X — Séjour à Bayonne. — Visite à Maumas.
— L’abbé Cazeneuve. — Typhus et chelem. —
Misère extrême. — Ingt‘atîtude humaine. — Mme
Silva. -— Complot avorte. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
CHAPITRE XI — Mme Bordanave. -— Une mauvaise
cuisiniere. — Mlle Baque — Tentative d'assassinat.
— Triste fin de Lesourd. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .CHAPITRE XlI - Guérison d’unejeune fille espagnole.
— Arrestation. — Condamnation. — Se;our en
prison. -— Délivrance—Exploitation d’une Carrière
dans la montagne. — Preseeut10ns contre Marie
Scmpe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
CHAI‘iTRE Xlll — Guérisons nouvelles et plus noms
brruses. — A Biarritz. — Mort de Marie Sempé. —
A Bordeaux. — Les moines de Toulouse . . . . . . . . . ..
CHAPITRE XlV — Paris. — Jean Sempé va achever sa
missi0n. — Appel à tous ceux qui souffrent. —
Les prietcs de Jean Sempé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
lnprimeüe d’Argcnteuil, F. La NINDRE, 17, rue Carême—Prenant.
lWIÎ\ÎfiflüÏüîlfiÎfiflñflfllfliüfiÎli!üflÎlflWlll000 027 982 8