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L es jaunisses font partie des maladies qui affectent le plus le rendement de la betterave, particulièrement dans les zones de production situées en climat océanique. Il s’agit de maladies virales, souvent regroupées sous l’appellation générique de jaunisse, qui sont disséminées par des pucerons vecteurs, principalement le puceron vert du pêcher Myzus persicae . Les populations de pucerons étaient jusqu’en 2018 parfaitement maîtrisées grâce à l’enrobage des graines avec des insecticides systémiques de la famille des néonicotinoïdes, produits dont l’usage ne sera plus possible en France à partir de la campagne 2019. Dans ce contexte, l'ITB mène des projets de recherche sur l'évaluation et la prévision du risque jaunisse ainsi que sur des solutions alternatives aux néonicotinoïdes permettant de lutter efficacement contre cette maladie. Biologie et écologie des virus et des pucerons vecteurs Quatre virus pour deux maladies Il existe quatre principaux virus de la jaunisse affectant la betterave cultivée Beta vulgaris. Trois espèces virales appartiennent au genre des polérovirus et sont responsables des symptômes de la jaunisse modérée : le virus de la jaunisse modérée (BMYV), le virus de la jaunisse occidentale (BWYV) et le Beet chlorosis virus (BChV). Le virus de la jaunisse grave (BYV), responsable de la maladie du même nom, est une espèce plus éloignée qui appartient au genre des clostérovirus. Ils sont tous transmis par des pucerons vecteurs sur le mode non-propagatif, ce qui signifie que le virus ne peut être transmis à la descendance des pucerons virulifères 1 . En revanche, les beet-polerovirus sont transmis sur le mode persistant alors que le BYV est transmis sur le mode semi-persistant. Foyers de jaunisse sur parcelle standard (non traitée) à Vimy dans le Pas-de-Calais BMYV BWYV BChV BYV Nom anglais Beet mild yellowing virus Beet western yellows virus Beet chlorosis virus Beet yellows virus Nom français Virus de la jaunisse modérée Virus de la jaunisse occidentale - Virus de la jaunisse grave Genre Polérovirus Clostérovirus Vecteurs principaux Myzus persicae Myzus persicae, Aphis fabae Mode de transmission Persistant (phase d’acquisition virale de 12 à 72h – capacité infectieuse à vie) / Non propagatif Semi-persistant (phase d’acquisition virale de 24h – capacité infectieuse de 48h) / Non propagatif Gamme d'hôtes Restreinte (3 à 9 familles botaniques) Large (supérieure à 9 familles botaniques) Restreinte Restreinte (3 à 9 familles botaniques) Distribution géographique Europe/Asie Monde Europe (données à confirmer) Monde Prévalence en Europe Forte Faible Forte (données à confirmer) Forte Données principales sur les quatre espèces de virus de la jaunisse affectant la betterave. Source : ITB d'après la base de données VIBE (http://sdb.im.ac.cn/vide/refs.htm). Gestion intégrée des ravageurs Les jaunisses virales et leurs pucerons vecteurs Fiche technique Septembre 2018

Biologie et écologie des virus et des pucerons vecteurs · induit un second mode de reproduction sexué qui permet un brassage génétique au sein de l’espèce 1, et donne naissance

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L es jaunisses font partie des maladies qui affectent le plus le rendement de la betterave, particulièrement dans les zones de production

situées en climat océanique. Il s’agit de maladies virales, souvent regroupées sous l’appellation générique de jaunisse, qui sont disséminées par des pucerons vecteurs, principalement le puceron vert du pêcher Myzus persicae. Les populations de pucerons étaient jusqu’en 2018 parfaitement maîtrisées grâce à l’enrobage des graines avec des insecticides systémiques de la famille des néonicotinoïdes, produits dont l’usage ne sera plus possible en France à partir de la campagne 2019. Dans ce contexte, l'ITB mène des projets de recherche sur l'évaluation et la prévision du risque jaunisse ainsi que sur des solutions alternatives aux néonicotinoïdes permettant de lutter efficacement contre cette maladie.

Biologie et écologie des virus et des pucerons vecteurs

Quatre virus pour deux maladies

Il existe quatre principaux virus de la jaunisse affectant la betterave cultivée Beta vulgaris. Trois espèces virales appartiennent au genre des polérovirus et sont responsables des symptômes de la jaunisse modérée : le virus de la jaunisse modérée (BMYV), le virus de la jaunisse occidentale (BWYV) et le Beet chlorosis virus (BChV). Le virus de la jaunisse grave (BYV), responsable de la maladie du même nom, est une espèce plus éloignée qui appartient au genre des clostérovirus. Ils sont tous transmis par des pucerons vecteurs sur le mode non-propagatif, ce qui signifie que le virus ne peut être transmis à la descendance des pucerons virulifères1. En revanche, les beet-polerovirus sont transmis sur le mode persistant alors que le BYV est transmis sur le mode semi-persistant.

Foyers de jaunisse sur parcelle standard (non traitée)à Vimy dans le Pas-de-Calais

BMYV BWYV BChV BYV

Nom anglais Beet mild yellowing virus Beet western yellows virus Beet chlorosis virus Beet yellows virus

Nom français Virus de la jaunisse modérée Virus de la jaunisse occidentale - Virus de la jaunisse grave

Genre Polérovirus Clostérovirus

Vecteurs principaux Myzus persicae Myzus persicae, Aphis fabae

Mode de transmissionPersistant (phase d’acquisition virale de 12 à 72h –

capacité infectieuse à vie) / Non propagatif

Semi-persistant (phase d’acquisition virale de 24h – capacité infectieuse de 48h) / Non propagatif

Gamme d'hôtesRestreinte (3 à 9 familles botaniques)

Large (supérieure à 9 familles botaniques)

RestreinteRestreinte (3 à 9 familles botaniques)

Distribution géographique Europe/Asie Monde Europe (données à confirmer) Monde

Prévalence en Europe Forte Faible Forte (données à confirmer) Forte

Données principales sur les quatre espèces de virus de la jaunisse affectant la betterave.Source : ITB d'après la base de données VIBE (http://sdb.im.ac.cn/vide/refs.htm).

Gestion intégrée des ravageursLes jaunisses virales et

leurs pucerons vecteurs

Fiche technique

Septembre 2018

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Cycle infectieux de la jaunisse associé au cycle de développement de la betterave .Source : ITB - BetaGIA

Deux espèces principales de pucerons vecteurs

Les pucerons sont des insectes de la famille des Aphididae. Ils passent l’essentiel de l’année sous un mode de reproduction asexué. Les larves deviennent adultes en moins de 15 jours entre 15 et 20°C ce qui fait qu’une quinzaine de générations se succèdent entre le printemps et l’automne. Ce type de reproduction s’effectue sur les hôtes secondaires des pucerons, principalement des plantes herbacées dont les fabacées et les chénopodiacées. À l’automne, la baisse de la photopériode induit un second mode de reproduction sexué qui permet un brassage génétique au sein de l’espèce1, et donne naissance à des œufs capables de survivre tout l'hiver.

Les deux principales espèces vectrices de la jaunisse sur betterave sont le puceron vert du pêcher (Myzus persicae) et le puceron noir de la fève (Aphis fabae). D’autres espèces de pucerons tels Aulacorthum solani, Aphis craccivora, Aphis gossypii, Brevicoryne brassicae, Brachycaudus helichrysi, Macrosiphum euphorbiae, Myzus ascolonicus, Myzus certus, Myzus ornatus et Phorodon humuli sont des vecteurs secondaires.

Le mode persistant (polérovirus)

Le mode persistant repose sur une phase d’acquisition virale de 12 à 72 heures lors de l’alimentation sur une plante infectieuse. Ce délai est dû à la circulation des particules virales dans le corps du puceron : celles-ci doivent en effet passer dans la lumière du tube digestif, traverser la barrière épithéliale pour accéder à l’hémolymphe puis enfin migrer vers les cellules épithéliales des glandes salivaires du puceron. Les pucerons virulifères (porteurs du virus) ne deviennent infectieux que lorsque les particules virales ont atteint la lumière des glandes salivaires. Il est à noter que les polérovirus n’infectent que les vaisseaux du phloème au sein des feuilles, que le puceron doit donc atteindre pour acquérir le virus. La persistance correspond au fait que les pucerons demeurent infectieux jusqu’à épuisement du stock de particules virales, généralement durant toute leur vie1. Dans le cas de la jaunisse modérée, les premiers symptômes apparaissent six semaines en moyenne après inoculation en conditions contrôlées 2.

Le mode semi-persistant (BYV)

Le mode semi-persistant repose sur une phase d’acquisition virale de 24 heures. Le virus se conserve environ 48 heures au niveau des pièces buccales de l’insecte. Il peut être retransmis dès l’acquisition mais il est en revanche perdu avec la mue du puceron. Les clostérovirus peuvent infecter tous les tissus de la feuille et pas seulement les vaisseaux du phloème. Dans le cas de la jaunisse grave, les premiers symptômes apparaissent environ 10 jours après inoculation en conditions contrôlées2.

PRIN

TEM

PS

AU

TO

MN

E

É TÉ

HIVER

Semis

Récolte

Transmission aux pucerons lorsqu'ils se nourrissent sur les plantes hôtes réservoirs.

Plantes hôtes réservoirs.

3

Le puceron vert du pêcher (Myzus persicae)

Les œufs d’hiver sont pondus à l’aisselle des écailles de bourgeons de pêchers et de divers Prunus. Dans les climats tempérés comme en France, les adultes et les larves peuvent survivre en hiver sur leurs hôtes secondaires : crucifères, épinards d’hivers, diverses adventices, ainsi que dans les silos de betteraves fourragères et sucrières, sur les betteraves potagères conservées avec leurs repousses, ou sur des repousses de betteraves abandonnées à la récolte. Ils colonisent la face inférieure des feuilles en produisant de manière clonale plusieurs générations successives d’individus aptères au printemps puis ailés en été lors de la dissémination entre parcelles. Les individus sexués ailés n’apparaissent qu’à l’automne lors des vols de réémigration vers les hôtes primaires 2.

Le puceron noir de la fève (Aphis fabae)

Les œufs d’hiver sont pondus à l’aisselle des écailles de bourgeons du fusain d’Europe ou de la viorne obier. Les femelles fondatrices issues des œufs d’hiver produisent une génération de femelles aptères qui engendrent une génération de femelles ailées, le tout de manière asexuée. Les femelles fondatrices colonisent les parcelles contenant leurs hôtes secondaires et produisent des colonies d’aptères sur la face inférieure des feuilles. Une nouvelle génération d’individus sexués apparaît à l’automne et retourne sur les hôtes primaires afin d’y pondre les œufs qui passeront l’hiver2.

Myzus persicae Aphis fabae

Nom vernaculaire Puceron vert du pêcher Puceron noir de la fève

Virus véhiculés Polérovirus (BMYV, BWYV, BChV) et BYV BYV, polérovirus (données à confirmer)

Reproduction Reproduction clonale sur hôtes secondaires et reproduction sexuée sur hôtes primaires

Hôtes primaires Pêcher et divers Prunus Fusain d’Europe, viorne obier, seringat

Hôtes secondaires Fabacées, chénopodiacées, astéracées, brassicacées, solanacées

Plantes cultivées colonisées Betterave, pomme de terre, colza, pois protéagineux Betterave, pomme de terre, féverole

Distribution en France

Majoritairement dans le nord-est où l’on trouve d’importantes surfaces de pommes de terre et de betteraves sur lesquelles les populations clonales peuvent se maintenir. Également dans le sud où l’on trouve des vergers de pêchers, hôtes primaires des populations sexuées.

Dans le nord et en Champagne-Ardenne majoritairement où ses hôtes primaires et secondaires sont présents.

Caractéristiques des deux principaux pucerons vecteurs de jaunisses virales sur betterave. Source : "Les pucerons des grandes cultures", ACTA/INRA, 20111.

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Ne pas confondre !Le jaunissement des feuilles peut être également dû à d'autres facteurs dont une déficience physiologique (excès ou une carence en manganèse, carence en magnésium, carence en bore), un stress hydrique, une mauvaise structure du sol, l’attaque d’autres bioagresseurs, etc. La jaunisse se diagnostique par l’épaississement des feuilles atteintes et leur teinte jaune orangée, ainsi que par l’apparition de foyers primaires irrégulièrement répartis au sein d’une parcelle. En revanche, il peut y avoir confusion entre les différents virus de la jaunisse car ceux-ci coexistent souvent au champ et parfois au sein d’une même plante. L’identification visuelle n’est donc pas toujours suffisante. Un diagnostic au laboratoire est alors requis.

Foyers de jaunisse sur une parcelle

Les jaunisses virales, comme leur nom l’indique, se caractérisent par un jaunissement (couleur jaune orangée) plus ou moins précoce des feuilles des plantes malades à partir de fin juin et jusqu’à la récolte. Vu des airs, la maladie se manifeste par le développement de foyers parfois diffus, comme le montre l'image ci-contre d'une parcelle semée sans traitement de semences (TS), où la pression en 2017 a été particulièrement forte.

Foyers de jaunisse sur parcelle sans traitement de semences en Normandie (2017) – Photos drone

Symptômes foliaires de jaunisse grave, présentant de nombreuses taches rouges coalescentes.

Symptôme foliaire de jaunisse modérée

Identifier la maladie

Symptômes de la jaunisse modérée

Le premier symptôme qui apparaît est un jaunissement diffus envahissant progressivement la feuille à partir de son sommet, mais laissant les nervures vertes. La feuille s’épaissit et prend une teinte orangée très caractéristique. Plus tardivement, lorsque la maladie est bien développée, des attaques du champignon Alternaria tenuis peuvent se produire, provoquant une nécrose s’étendant à partir des bords de la feuille3.

Symptômes de la jaunisse grave

Les premiers symptômes sont l’apparition de minuscules points clairs sur le limbe, puis d’un éclaircissement des nervures secondaires (ou gravure des feuilles, qui a donné son nom à la maladie) et enfin le développement de taches jaune-citron2. A un stade plus avancé, ces taches virent au rouge-brun et peuvent se rejoindre de sorte que la teinte rougeâtre peut devenir dominante3.

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Identifier les vecteurs

Le puceron vert du pêcher (Myzus persicae)

Il est très rare que le puceron vert occasionne des dégâts directs sur betterave. Il est en revanche très dangereux en tant que vecteur efficace des différents virus de la jaunisse4. Le puceron aptère est de couleur vert-jaunâtre alors que les ailés sont de couleur vert foncé à noir. Les parcelles sont colonisées par les ailés fin avril ou début mai. Dans la mesure où de nombreux individus passent l’hiver sur des hôtes secondaires réservoirs de virus, et colonisent les parcelles tôt au printemps, on dit classiquement que Myzus persicae "apporte la jaunisse" dans les champs de betterave.

Le puceron noir de la fève (Aphis fabae)

Les colonies de puceron noir qui se développent sur les feuilles de betterave peuvent occasionner des dégâts directs en prélevant la sève. Ces pucerons produisent également du miellat à l’origine du développement de la fumagine, c’est-à-dire de moisissures noires sur la face inférieure des feuilles. Les pucerons aptères sont de couleur noire mate et présentent des traînées blanches longitudinales sur la face supérieure de l’abdomen.Dans la mesure où les individus ailés colonisent les parcelles cultivées en début d’été et proviennent d’hôtes primaires indemnes de virus, Aphis fabae doit d’abord se nourrir des plantes infectées par Myzus persicae pour acquérir le virus et le disséminer ensuite dans les parcelles.

Utiliser des outils de déterminationDifférents outils de détermination sont disponibles sur le site www.itbfr.org :

• "BetaGIA" est le guide ITB de gestion intégrée des bioagresseurs de la betterave. Il donne des informations pratiques et synthétiques sur les bioagresseurs, leurs impacts sur la culture et sur les moyens de lutte disponibles.

• "DIAGBET maladies et ravageurs" est une application qui permet d’identifier les bioagresseurs de la betterave à différents stades de la culture.

L'identification des espèces vectrices n'est pas aisée à l’œil nu. Une identification précise au laboratoire par un spécialiste peut être requise. Le statut virulifère (présence du virus) des pucerons peut également être déterminé par une analyse sérologique (ELISA) ou moléculaire (RT-PCR) au laboratoire.

Aptère vert Ailé vert

Ailé noirColonie d'aptères noirs

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Analyser le risque pucerons et jaunisse

Source : ITB - Vigibet

Résultats pluriannuels de l'observatoire Vigibet

Ces résultats ont été obtenus entre 2010 et 2017 grâce à l'observatoire Vigibet mis en place par l'ITB, en partenariat avec l’Union Française des Semenciers (UFS), Bayer et Syngenta. Chaque année, 30 à 50 parcelles sont suivies par les délégations régionales de l’ITB, du semis à la récolte. Dans chaque parcelle, une zone est semée sans aucun traitement insecticide (ni des semences ni en végétation). Des notations visuelles sur la pression des pucerons et de la jaunisse y sont effectuées chaque semaine.En moyenne, entre 2010 et 2017, 36 % des sites ont été touchés par la jaunisse (fréquence). Sur ces sites, 4 % de la surface parcellaire présentait des symptômes (gravité).

36 % des sites touchés par

la jaunisse dans le réseau Vigibet entre

2010 et 2017.

Surveiller les vols de vecteurs

Le Bulletin de Santé du Végétal vous permet d'appréhender le risque pucerons. Un peu plus de 200 parcelles du réseau de surveillance biologique sont suivies du semis à la récolte dans toutes les zones betteravières. Les animateurs de chaque filière réalisent ensuite l’analyse de risque à partir des observations effectuées, et la mettent en ligne dans les bulletins.Cette analyse de risque est complétée par des conseils de gestion dans les notes d'informations régionales qui sont communiquées aux planteurs de manière hebdomadaire sur le site internet de l'ITB (rubrique publications / notes d'informations) et par mail pour les abonnés.

Période d'infestation par les pucerons

La période à risque commence dès l’apparition des premiers pucerons dans les parcelles (au plus tôt fin avril début mai), soit à partir du stade 2 feuilles jusqu’à la couverture du sol (fin juin). Sur des plantes non protégées, la dissémination du virus et des symptômes associés peut continuer jusqu’à la récolte, mais les plantes adultes multiplient moins le virus que les jeunes plantules.

Semis

20 mars 1er avril 15 avril 5 juin

Stadecotylédon

Stade deux feuilles

Couverture solPériode

d'infestation pucerons

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Gravité moyenne pluriannuelle (2010-2017) pour la jaunisse.Source : ITB - Vigibet

La gravité moyenne pluriannuelle par site est globalement faible sur les zones observées (inférieure à 5 % par site) à l’exception d’un arc maritime allant de la Normandie au Nord-Pas-de-Calais où elle peut monter localement jusqu’à 25 %. Il est indiqué dans la littérature scientifique que la gravité des symptômes de jaunisse est corrélée positivement à la température moyenne hivernale, qui est plus douce dans les régions maritimes4.

La jaunisse est donc présente chaque année dans un peu plus d’un tiers des sites suivis et la gravité des infections est élevée dans les régions au climat océanique. Malheureusement, compte-tenu de la complexité des dynamiques épidémiques virales, il est à l’heure actuelle difficile de prédire l’incidence régionale avant chaque campagne. En effet, cela dépend en premier lieu du climat hivernal, mais également du statut virulifère (porteur ou non de virus) des pucerons présents, de leurs dynamiques de vol, des espèces virales impliquées, etc.

Des pertes de rendement variables

En 2017, l'ITB a estimé les pertes de rendements sur 5 sites conduits sans traitement de semences insecticides dans le Pas-de-Calais et en Normandie, dont les symptômes étaient causés par 2 virus de type jaunisse modérée (BChV et BMYV).Ces pertes allaient de 1 à 11 %, selon l’étendue de la surface touchée par parcelle (de 5 à 32 %), mais aussi selon la date d’apparition des premiers symptômes (qui reflète la date d’infection : plus celle-ci est précoce plus les dégâts seront importants) et l’utilisation ou non de traitements en végétation. Sur 3 des 5 sites, des pulvérisations de pyréthrinoïdes ont eu l’effet inverse de celui escompté, à savoir des pertes plus importantes avec un nombre élevé d’applications. Ceci peut s'expliquer par la résistance avérée des pucerons à ces molécules, associée à la destruction de la faune auxiliaire. Les 2 autres sites, faisant partie de l’observatoire VIGIBET, avaient été conduits sans aucun traitement insecticide.

Parcelles Pas-de-Calais Parcelles Normandie

Nombre de traitements en végétation 0 0 2 3 4

Date d’apparition des premiers symptômes Juillet Début août Mi-août Fin juin Mi-juillet

Perte de rendement dans les zones infectées 20 % 19 % 27 % 36 % 35 %

Surface zones infectées / surface totale 5 % 25 % 10 % 25 % 32 %

Perte de rendement moyenne sur la parcelle 1 % 5 % 3 % 9 % 11 %

Pertes de rendement établies en 2017 sur la base de prélèvements effectués sur 5 sites semés sans traitement de semences insecticides

1 à 11 % de pertes de rendement observées

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Les solutions de biocontrôle

Il existe à l’heure actuelle très peu de produits de biocontrôle homologués sur betterave, et aucun en usage sur les pucerons vecteurs de jaunisses. L’ITB teste depuis 2017, dans des essais en conditions contrôlées et en plein champ, l’efficacité sur pucerons verts et noirs d’une dizaine de produits non encore homologués sur betterave en France. Ces produits sont principalement des substances naturelles (huiles minérales ou végétales) et des champignons entomopathogènes. Les premiers résultats sont attendus en 2019.

La résistance génétique, une solution prometteuse à moyen terme

La résistance génétique constitue l’alternative la plus prometteuse pour contrôler les pucerons et les jaunisses virales. Cependant, les programmes de sélection sont longs et les premières variétés résistantes ne seront pas commercialisées avant plusieurs années. Différentes formes de résistances seraient intéressantes, seules ou mieux en combinaison, pour contrôler les jaunisses virales :• La résistance aux vecteurs : elle se traduit par une

moins bonne colonisation et/ou multiplication des pucerons sur les plantes.

Ceci pourrait être lié notamment à différentes caractéristiques des plantes : port foliaire dressé, couleur plus sombre, épaisseur du limbe, production de composés répulsifs, etc.

• La résistance aux virus : il s’agit d’une caractéristique transmissible des plantes à échapper à l’infection virale lorsqu’elles sont inoculées par des pucerons virulifères.

• La tolérance aux virus : les plantes peuvent multiplier le virus, mais celui-ci n’affecte pas la physiologie de la plante qui ne subit donc pas de pertes de rendement malgré l’infection.

L’ITB teste dès cette année une dizaine de génotypes présélectionnés par les semenciers afin d’étudier leur comportement vis-à-vis des pucerons et du virus de la jaunisse modérée (BMYV) dans des essais sous serre et en plein champ.

Les solutions génétiques et de biocontrôle sont également à l'étude dans le cadre d'un projet Ecophyto (ABCD de la protection contre les viroses transmises par pucerons) mené en partenariat avec Arvalis-Institut du Végétal, Terres Inovia et l'INRA. D'autres collaborations avec nos partenaires européens sont également en cours de construction.

Les projets de recherche menés par l'ITB

Les néonicotinoïdes désormais interdits d'utilisation

L’imidaclopride et le thiaméthoxame, les deux substances actives qui étaient homologuées en traitement des semences de betteraves, et efficaces contre les mouches (pégomyies, altises), les ravageurs souterrains (blaniules, tipules, taupins, atomaires) et les pucerons vecteurs de virus, sont interdites d'utilisation depuis le 1er septembre 2018 (Décret n° 2018-675 du 30 juillet 2018 paru au journal officiel du 1er août 2018). La campagne 2019 devra donc s'effectuer sans la protection de cette classe d'insecticide. Les semences seront néanmoins toujours enrobées avec de la téfluthrine (pyréthrinoïde), afin de les protéger contre les attaques des ravageurs souterrains.

Les alternatives chimiques

Les alternatives chimiques aux néonicotinoïdes sont actuellement uniquement des applications foliaires à base de pyréthrinoïdes et de carbamates. Ces traitements en végétation sont plus difficiles à positionner dans le temps et donc plus aléatoires en termes d’efficacité. Plus grave encore, d’après une étude réalisée sur colza par l’ANSES en 2014, les populations de Myzus persicae (même espèce que sur betterave) analysées étaient résistantes à ces 2 familles de molécules5. Leur utilisation en remplacement des néonicotinoïdes semble donc peu indiquée, ces traitements étant peu efficaces et nuisibles pour la faune auxiliaire. D'autres molécules issues de familles chimiques avec des modes d'action différents sont en cours d'instruction pour une homologation. L'ITB a testé en 2018 un produit à base de flonicamide qui a obtenu de très bons résultats. L'homologation de ce produit sur betterave est attendue dans les prochains mois.

Les méthodes de lutte

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Références

1. Brault, V., Uzest, M., Monsion, B., Jacquot, E. & Blanc, S. Aphids as transport devices for plant viruses. Comptes Rendus - Biol. 333, 524–538 (2010).

2. Cariolle, M. Les Pucerons de la betterave. in Les pucerons des cultures - ACTA (collectif ) 215–219 (1981).

3. Turpeau-Aït Ighil, E., Dedryver, C.-A., Chaubet, B. & Hullé, M. Les pucerons des grandes cultures - Cycles biologiques et activités de vol. ACTA/INRA - Editions Quae (2011).

4. IRBAB/KBIVB. Agents nuisibles et agents auxiliaires à la culture de la betterave sucrière. in Mémento (1992).

5. Jadot, R. Aspects des épidémies de jaunisse et de mosaïque de la betterave. Rev. l’Agriculture 3, 62 p. (1976).

6. Qi, A., Dewar, A. M. & Harrington, R. Decision making in controlling virus yellows of sugar beet in the UK. Pest Manag. Sci. 60, 727–732 (2004).

7. Caddoux, L., Micoud, A. & Barrès, B. Résistance des populations de puceron vert du pêcher (Myzus persicae ) sur colza en 2014 vis-à-vis des pyréthrinoïdes , des néonicotinoïdes et des carbamates. Lab. Anses-Lyon. Unité Résistances aux Prod. Phytosanit. 1–12 (2014).

Coordination : Frédéric Boyer