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1/09/10 1/8 Bistabilité magnétique : analyses microscopique et macroscopique de l'ouverture de cycles d'hystérèse dans les matériaux à transition de spin Vincent Robert 1 , Boris Le Guennic 1 , Mikael Kepenekian 1,2 1 Laboratoire de Chimie, Ecole normale supérieure de Lyon, 46 allée dʼItalie 69364 Lyon Cedex 07. 2 CEA-Grenoble, Institut de Nanotechnologies et Cryogénie, Service de Chimie Inorganique et Biologique (UMR-E3, CEA-UJF), 17 rue des Martyrs F38054 Grenoble Cedex 09. Introduction Un intérêt considérable a été porté au domaine de la bistabilité moléculaire [Kahn, O.; Launay, J.-P. Chemtronics 1988, 3, 140-151] du fait des nombreuses applications potentielles dans le domaine de lʼélectronique moléculaire ou du stockage dʼinformation. [a) Kahn, O. Current Opinion in Solid State & Materials Science 1996, 1, 547-554. B) Kahn, O.; Martinez, C. J. Science 1998, 279, 44-48] Lʼun des exemples les plus spectaculaires concerne le phénomène de transition de spin, mis en évidence pour la première fois en 1931 par L. Cambi et A. Gagnasso,[Cambi, L.; Gagnasso, A. Atti. Accad. Naz. Lincei, 1931, 13, 809] et qui, dans certaines conditions particulières, peut être à lʼorigine de lʼouverture dʼune boucle dʼhystérésis thermique. Cette dernière manifestation est primordiale, la différence entre les températures Tet Tpermettant de générer lʼeffet mémoire attendu.[König, E.; Ritter, G. Solid State Commun. 1976, 18, 279] De nombreuses études, tant expérimentales que théoriques, ont ainsi été conduites ces dernières années sur ces composés à transition de spin. Si le phénomène semble bien compris à lʼéchelle moléculaire, entre autre par lʼapplication du modèle simple mais performant du champ de ligands, la dimension collective de la transition de spin, i.e. la coopérativité, qui dirige la forme de la transition, reste quant à elle largement méconnue. La compréhension fine des mécanismes qui sous-tendent cette coopérativité représente pourtant un enjeu considérable, en particulier pour la synthèse de matériaux présentant un comportement hystérétique autour de la température ambiante. Dans ce chapitre, nous commençons par introduire les approches existantes de la coopérativité. Une inspection détaillée des complexes à transition de spin est ensuite présentée sur la base de calculs ab initio. Partant de ces conclusions microscopiques, une modélisation thermodynamique originale de la bistabilité magnétique est enfin proposée. Ce modèle macroscopique est finalement appliqué à des systèmes synthétiques caractérisés expérimentalement.

Bistabilité magnétique : analyses microscopique et ... · BS). δVα = Vα – vα signale la polarisation induite par le champ de Madelung sur la liaison Fe–N. Ce phénomène

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Bistabilité magnétique : analyses microscopique et macroscopique

de l'ouverture de cycles d'hystérèse dans les matériaux à transition de spin

Vincent Robert1, Boris Le Guennic1, Mikael Kepenekian1,2

1 Laboratoire de Chimie, Ecole normale supérieure de Lyon, 46 allée dʼItalie 69364 Lyon Cedex 07. 2 CEA-Grenoble, Institut de Nanotechnologies et Cryogénie, Service de Chimie Inorganique et

Biologique (UMR-E3, CEA-UJF), 17 rue des Martyrs F38054 Grenoble Cedex 09.

Introduction

Un intérêt considérable a été porté au domaine de la bistabilité moléculaire [Kahn, O.;

Launay, J.-P. Chemtronics 1988, 3, 140-151] du fait des nombreuses applications potentielles

dans le domaine de lʼélectronique moléculaire ou du stockage dʼinformation. [a) Kahn, O.

Current Opinion in Solid State & Materials Science 1996, 1, 547-554. B) Kahn, O.; Martinez, C.

J. Science 1998, 279, 44-48] Lʼun des exemples les plus spectaculaires concerne le

phénomène de transition de spin, mis en évidence pour la première fois en 1931 par L. Cambi

et A. Gagnasso,[Cambi, L.; Gagnasso, A. Atti. Accad. Naz. Lincei, 1931, 13, 809] et qui, dans

certaines conditions particulières, peut être à lʼorigine de lʼouverture dʼune boucle dʼhystérésis

thermique. Cette dernière manifestation est primordiale, la différence entre les températures

T↑ et T↓ permettant de générer lʼeffet mémoire attendu.[König, E.; Ritter, G. Solid State

Commun. 1976, 18, 279] De nombreuses études, tant expérimentales que théoriques, ont

ainsi été conduites ces dernières années sur ces composés à transition de spin. Si le

phénomène semble bien compris à lʼéchelle moléculaire, entre autre par lʼapplication du

modèle simple mais performant du champ de ligands, la dimension collective de la transition

de spin, i.e. la coopérativité, qui dirige la forme de la transition, reste quant à elle largement

méconnue. La compréhension fine des mécanismes qui sous-tendent cette coopérativité

représente pourtant un enjeu considérable, en particulier pour la synthèse de matériaux

présentant un comportement hystérétique autour de la température ambiante.

Dans ce chapitre, nous commençons par introduire les approches existantes de la

coopérativité. Une inspection détaillée des complexes à transition de spin est ensuite

présentée sur la base de calculs ab initio. Partant de ces conclusions microscopiques, une

modélisation thermodynamique originale de la bistabilité magnétique est enfin proposée. Ce

modèle macroscopique est finalement appliqué à des systèmes synthétiques caractérisés

expérimentalement.

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Description de la coopérativité : point de vue historique

La présence nécessaire de coopérativité entre les centres qui transitent pour espérer une

applicabilité des matériaux à transition de spin, a engendré une intense activité expérimentale

afin de contrôler, au travers de stratégies dʼingénierie chimique, les interactions faibles

(liaisons hydrogène, recouvrement π, forces de van der Waals) entre ces entités moléculaires.

Dans le même temps, le besoin dʼinterprétation a été à lʼorigine dʼintenses développements

théoriques donnant lieu à lʼélaboration de plusieurs modèles thermodynamiques. [a)

Wajnflasz, J. Phys. Stat. Solidi 1970, 40, 537 ; b) Bari, R. A.; Sivardière, J. Phys. Rev. B 1972,

5, 4466-4471 ; c) Zimmermann, R.; König, E. J. Phys. Chem. Solids 1977, 38, 779 ; d)

Nishino, M.; Boukheddaden, K.; Konishi, Y.; Miyashita, S. Phys. Rev. Lett.,2007, 98, 247203 ;

e) Sasaki, N.; Kambara, T. J. Phys. Soc. Jap. 1987, 56, 3956 ; f) Slichter, C. P.; Drickamer, H.

G. J. Chem. Phys. 1972, 56, 2142-2160] Pour chacun de ces modèles, le but est de décrire au

mieux les interactions existant entre les sites transitant et de remonter ainsi à la forme de la

transition observée expérimentalement. Cette description passe par lʼinsertion de paramètres

dont la valeur est déterminée par confrontation avec lʼexpérience mais qui ne sont pas, en soi,

porteurs dʼune physique qui donnerait une origine aux mécanismes coopératifs. [Bolvin, H. &

Kahn, O. Chem. Phys., 1995, 192, 295-305]

Lʼexplication la plus aboutie de lʼorigine de la coopérativité a été, principalement,

développée par H. Spiering et coll. [a) Spiering, H.; Meissner, E.; Köppen, H.; Müller, E. W.;

Gütlich, P. Chem. Phys. 1982, 68, 65-71 ; b) Spiering, H. Top. Curr. Chem. 2004, 235, 171-

195] Dans ce modèle, les entités moléculaires qui transitent sont traitées comme des sphères

dures intégrées dans un milieu élastique. Le changement de volume qui accompagne la

transition induit un champ de contraintes dont la propagation à lʼensemble du réseau dépend

de son élasticité. Par la suite, ce modèle a été complété en considérant, non plus des sphères

dures, mais des objets dont la forme évolue au cours de la transition. Les paramètres de

coopérativité ainsi calculés à partir de ces modèles élastiques fournissent le bon ordre de

grandeur, mais restent inférieurs aux constantes dʼinteraction extraites à partir de lʼexpérience

selon le modèle phénoménologique de Slichter et Drickamer. [Slichter, C. P.; Drickamer, H. G.

J. Chem. Phys. 1972, 56, 2142-2160] Par conséquent, une autre source de coopérativité dans

les matériaux à transition de spin peut potentiellement être envisagée.

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Description microscopique

La redistribution électronique au sein dʼun complexe lors de la transition de spin peut

être anticipée facilement en tenant compte du champ de ligand. En effet, dans un complexe

ML6 en symétrie pseudo-octaédrique, les orbitales antiliantes eg sont plus développées sur les

ligands que les orbitales non-liantes t2g. Le peuplement des orbitales eg lors de la transition

BS→HS conduit à une diminution de la densité de charge sur le métal. Au moyen de calculs

corrélés basés sur la fonction dʼonde (interaction de configurations, IC) et en tirant partie dʼune

procédure de localisation des orbitales moléculaires, cet effet a été calculé de lʼordre de 0,5

électron sur le complexe modèle [Fe(NCH)6]2+.[Kepenekian, M.; Robert, V.; Le Guennic, B.;

de Graaf, C. J. Comput. Chem. 2009, 30, 2327-2333] Le caractère assez général de cette

valeur a été vérifié au travers dʼétudes similaires sur plusieurs complexes de cœur FeN6 tels

que [Fe(phen)2(NCS)2],[Gallois, B.; Real, J. A.; Hauw, C.; Zarembowitch, J. Inorg. Chem.

1990, 29, 1152-1158] [Fe(PM-PEA)2(NCS)2],[Létard, J.-F.; Guionneau, P.; Codjovi, E.;

Lavastre, O.; Bravic, G.; Chasseau, D.; Kahn, O. J. Am. Chem. Soc. 1997, 119, 10861-10862]

[Fe(3-MeO,5-NO2-sal-N(1,4,7,10))],[Salmon, L.; Bousseksou, A.; Donnadieu, B.; Tuchagues,

J.-P. Inorg. Chem. 2005, 44, 1763-1773] ainsi que lʼanalogue du bleu de Prusse

CsFe[Cr(CN)6].[Kosaka, W.; Nomura, K.; Hashimoto, K.; Ohkoshi, S. J. Am. Chem. Soc. 2005,

127, 8590-8591] Ces valeurs sont également en accord avec dʼautres constatations

expérimentales [Legrand, V.; Pillet, S.; Souhassou, M.; Lugan, N.; Lecomte, C. J. Am. Chem.

Soc. 2006, 128, 13921-13931] et théoriques.[a) Lebègue, S.; Pillet, S.; Angyan, J. G. Phys.

Rev. B 2008, 78, 024433; b) Le Guennic, B.; Borshch, S.; Robert, V. Inorg. Chem. 2007, 46,

11106-11111] En particulier, les études de cartographie par rayons-X de densité électronique

ont souligné ce phénomène dont lʼamplitude a été chiffrée à 0,3 electron.[Legrand, V.; Pillet,

S.; Souhassou, M.; Lugan, N.; Lecomte, C. J. Am. Chem. Soc. 2006, 128, 13921-13931]

La transition de spin sʼaccompagne donc (i) dʼune réorganisation géométrique

moléculaire, (ii) dʼune variation de la maille cristalline et (iii) dʼune réorganisation électronique

intramoléculaire significative. Tous ces éléments sont susceptibles de modifier le champ de

Madelung au cours de la transition. Afin dʼappréhender ces variations et leurs effets sur la

spectroscopie dʼun complexe, le complexe modèle [Fe(NCH)6]2+ a été plongé dans un

environnement cubique composé de charges ponctuelles simulant la présence dʼunités qui

transitent voisines (Fig. 1).[Kepenekian, M.; Le Guennic, B. ; Robert, V. Phys. Rev. B 2009,

79, 094428]

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Figure 1. (a) Représentation tridimensionnelle de lʼenvironnement cristallin. Les boules roses,

bleues et vertes marquent respectivement la position des charges correspondant aux ions

métalliques, aux atomes dʼazote et aux contre-ions. Les charges ponctuelles sont tirées des

calculs ab initio de type CASSCF. (b) Courbes dʼénergie potentielle des états BS 1A1g (bleu) et

HS 5T2g (rouge) de [Fe(NCH)6]2+ en phase gaz (lignes continues) et avec lʼenvironnement

(lignes discontinues).

Les courbes dʼénergie potentielle des états 1A1g (BS) et 5T2g (HS) sont tracées au

niveau CASPT2 le long de la déformation totalement symétrique (Fig. 1). Ces courbes révèlent

une modification profonde des positionnements relatifs des courbes BS et HS. Le gap

adiabatique ∆Eadia varie ainsi de près de 4000 cm−1 conduisant à la modification de lʼétat

fondamental de HS à BS en présence du champ de Madelung. Il est à noter que la position

des minima ainsi que les courbures ne varient quasiment pas avec le champ de Madelung.

Ces grandeurs étant liées à la contribution vibrationnelle à lʼentropie, on peut estimer que cette

dernière est peu affectée par le champ macroscopique. En revanche, ce champ de charges

introduit des différences de potentiel entre les positions du fer et celles des atomes dʼazote de

δVBS = 3170 cm−1 pour lʼenvironnement BS et δVHS = 4530 cm−1 pour lʼenvironnement HS.

Lʼimpact des fluctuations du champ de Madelung sur le comportement hystérétique des

matériaux de spin fait lʼobjet dʼun modèle macroscopique décrit ensuite.

Modèle macroscopique

Les potentiels Vα et vα (α = HS, BS) générés sur les positions des atomes de fer et

dʼazote porteurs des charges Qα et qα apportent une contribution à lʼénergie dʼune unité FeNη

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plongée dans un champ moyen de x molécules HS et 1-x molécules BS. Partant des énergies

en phase gaz, lʼénergie libre F dʼun tel système sʼécrit alors :

F = x [ EHS + x (QHSVHS + ηqHSvHS) + (1–x) (QHSVBS + ηqHSvBS) ] + (1–x)[ EBS + x

(QBSVHS + ηqBSvHS) + (1–x) (QBSVBS + ηqBSvBS) ] + RT [ x ln(x) + (1–x) ln(1–x) ] – RT

[ x SHS + (1–x) SBS ]

Regroupant les termes quadratiques responsables de lʼhystérèse et écrivant ΔQ = QHS –

QBS = – η(qHS – qBS), il vient

F = Fidéal + Fmix + Fpol

avec Fpol = Γx2 et

Γ = ΔQ(δVHS – δVBS).

δVα = Vα – vα signale la polarisation induite par le champ de Madelung sur la liaison Fe–N.

Ce phénomène de polarisation, ici identifié, suggère lʼinterprétation suivante. Partant de

la situation basse température, δVBS négatif précipite le transfert dʼélectron depuis le métal

vers sa sphère de coordination. Ainsi, lʼétat HS est atteint prématurément pour la température

T↑ sous lʼeffet de ce champ additionnel. La transition passée, lʼensemble des complexes sont

dans lʼétat HS et les liaisons Fe–N subissent la différence de potentiels |δVHS| > |δVBS| (Fig. 2

b)). La densité électronique se trouve par conséquent piégée sur la sphère de coordination et

son retour vers le site métallique (transition HS → BS) est rejetée vers une plus basse

température T↓. Un cycle dʼhystérèse est ainsi ouvert, dont la largeur est proportionnelle aux

fluctuations de la polarisation des liaisons Fe–N (Fig. 2 a)).

Figure 2. a) Représentation schématique dʼune transition de spin avec hystérèse attribuée

aux fluctuations de la différence des potentiels aux positions du métal et du ligand

∆(δV) = δVHS − δVBS. b) Représentation de la polarisation induite par le champ de Madelung

sur les positions du fer et des ligands. Comme ∆(δV) < 0, le retour de lʼélectron lors du

refroidissement est retardé.

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Confrontation à des systèmes synthétiques

La recherche de matériaux à transition de spin présentant de larges hystérésis a motivé

la synthèse de complexes susceptibles de présenter un réseau développé de forces faibles.

Les composés [Fe(pm-pea)(NCS)2] (1, pm-pea = N-2ʼ-pyridylmethylene-4-

(phenylethynyl)aniline), [Fe(pm-bia)(NCS)2] (2, pm-bia = N-2ʼ-pyridylmethylene-aminobiphenyl)

et [Fe(pm-aza)(NCS)2] (3, pm-aza = N-2ʼ-pyridylmethylene-4-(phenylazo)aniline) bien que ne

différant que par une partie du ligand située à distance raisonnable du centre métallique,

engendrent des transitions thermiques extrêmement différentes (Fig. 3).[a) Létard, J.-F.;

Guionneau, P.; Codjovi, E.; Lavastre, O.; Bravic, G.; Chasseau, D.; Kahn, O. J. Am. Chem.

Soc. 1997, 119, 10861-10862; b) Létard, J.-F.; Guionneau, P.; Rabardel, L.; Howard, J. A. K.;

Goeta, A. E.; Chasseau, D.; Kahn, O. Inorg. Chem. 1998, 37, 4432-4441; c) Guionneau, P.;

Létard, J.-F.; Yufit, D. S.; Chasseau, D.; Bravic, G.; Goeta, A. E.; Howard, J. A. K.; Kahn, O. J.

Mater. Chem. 1999, 9, 985-994; d) Guionneau, P.; Le Gac, F.; Lakhoufi, S.; Kaiba, A.;

Chasseau, D.; Létard, J.-F.; Négrier, P.; Mondieig, D.; Howard, J. A. K.; Léger, J.-M. J. Phys.:

Condens. Matter 2007, 19, 326211] 1 présente une hystérèse très large (∆T = 40 K), tandis

que 2 montre un cycle réduit à ∆T = 5 K et 3 une quasi-absence dʼhystérésis. A priori, la

présence dans ces composés de systèmes π importants pointe du doigt les forces de

dispersion comme responsables de la coopérativité dans ces matériaux.

Figure 3. Composés 1, 2 et 3 présentant des transitions thermiques très différentes.

Lʼévaluation de cette contribution peut se faire en partant des équations de C. P. Slichter

et H. G. Drickamer.[Slichter, C. P.; Drickamer, H. G. J. Chem. Phys. 1972, 56, 2142-2160] En

considérant les paires de même spin (BS,BS) et (HS,HS) ainsi que la paire mixte (BS,HS), Γ

sʼécrit Γ = 2EBS,HS − EBS,BS − EHS,HS. De plus, lʼénergie dʼinteraction entre systèmes π a été

récemment étudiée par des approches ab initio de type CCSD(T) sous lʼeffet de plusieurs

paramètres tels la distance ou le décalage entre systèmes π.[Sinnokrot, M. O.; Sherrill, C. D. J.

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Phys. Chem. A 2006, 110, 10656-10668] La contribution des contacts π à la coopérativité

(notée ΓvdW) peut donc être évaluée en considérant les énergies des différentes

paires.[Kepenekian, M.; Le Guennic, B.; Robert, V. J. Am. Chem. Soc. 2009, 131, 11498-

11502] Ces calculs conduits sur le composé 1 mènent à ΓvdW ∼ 115 K. Or, pour ce composé,

2T1/2 vaut 425 K. ΓvdW, seul, ne permet donc pas de recouvrir les interactions responsables

dʼun cycle dʼhystérèse caractérisé par ∆T = 40 K. Pour chacun des composés 1, 2 et 3 les

structures cristallographiques à haute et basse températures étant disponibles, il est possible

(i) de calculer la redistribution de charges au cours de la transition, et (ii) dʼévaluer les

potentiels générés par le champ de Madelung aux positions des atomes de fer et dʼazote. La

contribution à la coopérativité issue de ces effets de polarisation (notée Γpol) peut être tirée de

ces différentes informations. Les modulations de charges sur les autres atomes sont

négligeables et nʼapportent donc rien à lʼexpression de Γpol. De part la nature différente des

ligands, deux charges sont calculées pour les atomes dʼazote, i.e. qα la charge de N

appartenant au ligand NCS- et qʼα la charge de N pour le ligand pm-pea (Tableau 1).

Tableau 1. Charges atomiques du fer et des atomes dʼazote calculées au niveau CASSCF à

partir dʼorbitales locales pour 1 et différences de potentiel moyennes 〈Vα - vα〉 (en unités

atomiques). α = HS ou BS.

Qα qα q’α 〈Vα - vα〉

BS 1,45 -0,36 -0,18 6,32 10-5

HS 1,92 -0,48 -0,24 -2,14 10-3

Ces calculs conduisent alors à un paramètre Γpol = 329 K. Cette valeur reste inférieure à

la valeur expérimentale 2T1/2 = 425 K mais en représente une part conséquente. En supposant

une additivité des effets, la prise en compte simultanée des contributions de polarisation et

des systèmes π donne Γ = Γpol + ΓvdW = 444K, valeur compatible avec la présence dʼun cycle

dʼhystérésis dans la transition thermique du composé 1 (Tableau 2).

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Tableau 2. Valeurs expérimentales 2T1/2 et ΔT, ainsi que Γ = Γpol + ΓvdW pour 1, 2 et 3.

1 2 3

2T1/2 (K) 425 340 380

ΔT (K) 40 5 ∼ 0

Γ (K) 444 220 ∼ 0

La même approche a été appliquée aux composés 2 et 3. La tendance résultant de ces

calculs est en bon accord avec les constatations expérimentales soulignant lʼextinction de

lʼhystérèse en passant de 1 à 3.

Conclusions

Le modèle thermodynamique construit sur une quantification ab initio dʼeffets

microscopiques permet de rendre compte de lʼexistence dʼun comportement hystérétique dans

les composés à transition de spin. Le paramètre de coopérativité Γ issu de ce modèle trouve

une origine physique et sʼavère calculable à partir de structures cristallographiques et des

informations ab initio. Cette évaluation maîtrisée révèle une origine de la coopérativité

complémentaire des contributions élastiques et en fournit un mécanisme intelligible mettant en

lumière le rôle majeur des contributions électrostatiques (champ de Madelung) dans la

croissance de boucles dʼhystérésis. Le mécanisme identifié sʼapparente à un piégeage

électronique sur la sphère de coordination du métal résultant de la modulation du champ de

Madelung. Les forces faibles traditionnellement porteuses de la coopérativité jouent à présent

un double rôle dans lʼouverture des cycles. En plus de leur contribution élastique, une part non

négligeable de leur action passe par lʼorganisation tridimensionnelle du matériau qui autorise

lʼémergence des effets électrostatiques mis en évidence. Un tel contrôle doit permettre non

seulement de mieux appréhender ce délicat problème mais aussi de délivrer des stratégies

veillant à surligner le phénomène dʼhystérèse dans les matériaux.