Jenna Black

FILLE D'AVALON – 2

La Chasse Infernale « Non contente d'être contrainte de me terrer

dans un bunker avec pour seule compagniemon garde du corps taciturne, j'ai été ravied'apprendre que l'Elferoi et sa horde deChasseurs terrifiants étaient susceptibles des'intéresser à ma petite personne. Doué d'uninstinct meurtrier et de pouvoirs immortels,cet être a toujours été le cauchemar d'Avalonet de la Faëry. Il est maintenant devenu lemien... »

Du même auteur aux Editions J'ai luFille d'Avalon - 1 Derrière le voile № 10225Traduit de l'anglais (États-Unis) par Paola

AppeliusTitre original : SHADOWSPELL

Éditeur original : St. Martin's Press All rightsreserved

© Jennifer Barlow, 2011Pour la traduction française © Éditions J'ai

lu, 2013

À Dan, mon mari, ma source d'inspirationdepuis toujours.

Merci à toute la merveilleuse équipe de St

Martin's qui a participé à la naissance de celivre, et notamment (mais pas seulement) àJenifer Weis, Anne Bensson et Hilary Teeman.Merci à mon agent, Miriam Kriss, pour sonaide et ses conseils, ainsi qu'aux DeadlineDames pour leur soutien sans faille. Merci,enfin, à ma fabuleuse partenaire de critiqueconstructive, Kelly Gay, dont les suggestionspour améliorer mes livres font mouche chaquefois.

Sortir avec un garçon accompagnée d'un

garde du corps qui vous suit comme un toutou,c'est vraiment nul à chier.

D'accord, techniquement, je ne sortais pasvraiment avec un garçon. C'est ce que je necessais de me répéter. Ethan n'était qu'un ami.Un ami super canon et foutre-ment sexy quifaisait danser la gigue à mes hormones, maisrien de plus qu'un ami. Et si je tenais àpréserver mes propres intérêts, je nechangerais rien à cette situation.

Après deux ou trois vilaines trahisons quim'avaient blessée plus que je ne voulaisl'admettre, Ethan avait risqué sa vie poursauver la mienne, et j'avais accepté de passerl'éponge et de remettre les compteurs à zéro.Seul problème : la confiance trahie n'est pas sisimple à restaurer, d'autant que les raisons dene pas me fier totalement à lui étaient légion.Trois semaines durant, après mon sauvetage, jem'étais efforcée de garder mes distances, maisça n'avait pas semblé le décourager. Il m'avait

ça n'avait pas semblé le décourager. Il m'avaitinondée de tant d'appels, de mails et demessages instantanés pour me demander desortir avec lui que j'avais fini par capituler. Ilvoulait m'emmener au restaurant et aucinéma. Ça sentait trop le rencard à mon goût,et j'avais marchandé à la baisse pour unesimple séance de cinéma.

Assise près de lui dans la salle obscure, jecompris que mes talents de négociatricelaissaient à désirer. Le restaurant aurait été unchoix plus sûr. Je vérifiai, l'air de rien, par-dessus mon épaule, que Finn, mon garde ducorps, était en vue.

À mon grand soulagement, je découvris qu'ilavait eu la courtoisie de s'installer trois rangsderrière - suffisamment loin pour m'octroyerune impression de liberté, mais suffisammentprès pour intervenir en cas de besoin.

Je constatai sans surprise qu'il meconsacrait toute son attention, malgré le film.En tant que Chevalier de la cour des Lumièresde Faëry, Finn prenait son boulot très, très ausérieux. Ce qui était une bonne chose, vu queles deux reines de Faëry en voulaient à ma vie.

Je me retournai vers l'écran. Ethan metendit le seau de pop-corn, dont je pris unepoignée, les doigts poisseux de sel et de beurrefondu.

— Serviette ! réclamai-je en tendant l'autre

— Serviette ! réclamai-je en tendant l'autremain.

— Désolé, s'excusa-t-il, mais le coin de sabouche était relevé pour former ce petit sourireironique qui était sa marque de fabrique. J'aioublié les serviettes.

Je lui décochai un regard noir de chez noir,ne gobant pas une seule seconde la minefaussement contrite qu'il me servait. Ça lebranchait peut-être de me voir me lécher lesdoigts, mais je ne lui ferais pas ce plaisir.J'étais prête à retourner dans le hall pourtrouver des serviettes, mais il m'aurait falludéranger trois personnes. Et le film étaitcommencé. Pour ce que j'en avais suivi. Jeplongeai la main dans le pop-corn avec ungrognement résigné et m'enfonçai plusprofondément dans mon siège.

Ethan s'était débrouillé, je ne sais comment,pour glisser son bras derrière mon dos. Jetentai de m'en débarrasser d'un coup d'épaule -même si une partie de moi aurait plutôt eutendance à se lover contre lui.

— On ne sort pas ensemble, tu te rappelles ?sifflai-je entre mes dents en faisant de monmieux pour paraître ennuyée plutôt quehaletante.

J'avais été très claire à ce sujet au téléphone,et Ethan avait accepté mes conditions.

et Ethan avait accepté mes conditions.Évidemment, ça ne voulait pas forcément direqu'il avait l'intention de les respecter.

Même dans l'obscurité de la salle de cinéma,le sourire d'Ethan était étincelant.

— Je me souviens. Mais tu n'as jamais ditque je n'avais pas le droit de tenter ma chance.

— Chut ! nous intima une voix depuis lerang de derrière sans me laisser le temps derépondre.

J'enrageai comme le bras d'Ethanm'enserrait plus étroitement les épaules. Ilaurait été bien plus facile de lui résister s'iln'était pas aussi... irrésistible. Il était vraimentbeau, même pour un faë, avec ses longscheveux blonds et ses yeux magnifiques, d'unbleu turquoise presque fluorescent. La légèrebosse sur son nez, sans doute le vestige d'uneancienne fracture, l'empêchait d'avoir l'air tropparfait... et ne l'en rendait que plus sexy.

Je me souvins qu'Ethan ne pouvait pas allerbeaucoup plus loin avec Finn et ses yeux defaucon braqués sur nous - mon garde du corpsayant une forte tendance à jouer les chaperons.Ethan avait beau être d'une impudenceincroyable, il avait toujours fait preuve d'ungrand respect pour le Chevalier.

Je tâchai de m'intéresser au film tout enmastiquant mon pop-corn. Ethan entreprit

mastiquant mon pop-corn. Ethan entrepritalors de me caresser négligemment l'épaule dubout des doigts, ce qui ne me facilita pas leschoses. Je savais que j'aurais dû lui intimerl'ordre d'arrêter, mais ce contact me procuraitdes frissons fort agréables. Il se rapprocha demoi et je perçus une bouffée épicée de sonaprès-rasage, mêlée à l'odeur du pop-corn et dubeurre. Sans avoir le temps de dire « ouf », matête se retrouva sur son épaule.

Si c'était de cette façon que j'espérais luifaire comprendre qu'on ne sortait pasensemble, je me débrouillais extrêmement mal.

Le pop-corn ne me disait plus rien et je neprotestai guère lorsque Ethan posa le seau àterre. Je n'avais pas le cran de m'essuyer lesmains sur mon jean, mais me sucer les doigtsme semblait trop... salace. Et j'avais décidé queje ne lui accorderais pas ce plaisir.

Ethan résolut mon dilemme en me prenantla main, qu'il guida vers sa bouche. Je neréalisai ce qu'il avait l'intention de faire quelorsque ses lèvres se refermèrent sur monindex. J'émis un son entre le hoquet et lecouinement.

Mon cerveau ordonna à ma main de seretirer fissa de la bouche d'Ethan. Ma main nevoulut rien entendre.

Ethan me suça délicatement le doigt, faisantglisser sa langue chaude et douce tout du long

glisser sa langue chaude et douce tout du longpour en retirer le sel et le beurre. J'avais labouche sèche et je respirai avec difficulté.Jusque-là, j'aurais trouvé ça dégoûtant qu'ungarçon avec qui je ne sortais même pasentreprenne de me lécher les doigts. C'est vousdire si je n'y connaissais rien.

Lorsque Ethan en eut terminé avec l'index, ilpassa au majeur. Je me sentais sur le point deconnaître une combustion spontanée. J'avaisle visage empourpré et le cœur qui me cognaitdans la gorge. Je n'étais plus du tout certainede trouver ça répugnant.

La vilaine partie soupçonneuse de moncerveau se mit en alerte rouge, et me soufflaque je ne pouvais plus me fier à Ethan depuisqu'il avait employé sur moi un équivalentmagique de la drogue du violeur. Je guettai lessignes qui m'indiqueraient que ma réactionétait due à un sort plutôt qu'à mes propresdésirs. Pourtant, même si les sensationsfourmillaient sur ma peau, il s'agissait bien defrissons de plaisir et non du picotementélectrique de la magie.

Ethan me lâcha la main et je levai malgrémoi la tête vers lui, dans l'espoir qu'ilm'embrasserait. Ses lèvres étaient luisantes debeurre, et je savais d'avancé que je me noieraisdans leur goût délicieux. Il entrouvrit la

dans leur goût délicieux. Il entrouvrit labouche et se pencha vers moi.

Mais avant que ses lèvres touchent lesmiennes, un grain de pop-corn rebondit sur lebout de son nez. Nous nous retournâmes deconcert.

Je n'avais pas remarqué que Finn avaitacheté du pop-corn - et quelque part, ça ne meparaissait pas coller avec l'image d'un Chevalierde la Faëry - mais le fait était qu'il brandissaitun second grain de maïs soufflé en noustoisant d'un air sévère. J'imagine qu'il n'avaitpas pu voir les manigances d'Ethan jusqu'àcette ébauche de baiser, ou nous aurions finisensevelis sous le pop-corn.

Le rouge me monta aux joues, mais Ethan secontenta d'un petit rire avant de s'adosser àson siège. Je pense que les grains de pop-cornne l'auraient pas empêché de m'embrasser s'ill'avait vraiment voulu, mais Finn avait enquelque sorte pourri l'ambiance.

Tant mieux, me rabrouai-je intérieurement.Dans le passé, je m'étais déjà laissé

déposséder de tout bon sens par Ethan, et jem'y étais brûlé les ailes. Il prétendait être attirépar moi, mais j'avais encore du mal à le croire.Un type comme lui n'avait aucun problèmepour séduire des filles plus jolies - et plusfaciles. Il n'y avait aucune raison qu'il ait jeté

faciles. Il n'y avait aucune raison qu'il ait jetéson dévolu sur moi, entre toutes les filles. Àmoins d'avoir une idée derrière la tête.

Fut un temps où je me trouvais trèsordinaire, même si l'alcoolisme de ma mèrem'avait empêchée de l'être autant que jel'aurais voulu. Un jour, j'en avais eu assez deson ivrognerie et j'avais fugué pour retrouvermon père elfique ici, en Avalon - le seul endroitsur terre où le royaume de Faëry et le mondedes mortels coexistent. Suite à quoi j'avaisdécouvert que j'étais une Passemonde, l'un deces rares individus capables de se mouvoirlibrement entre les deux mondes, et, cadeauBonux, doués du pouvoir d'apporter la magiedans le monde des mortels et la technologie enFaëry. Le dernier Passemonde en date s'étantéteint voilà soixante-quinze ans, je meretrouvais, impuissante, au beau milieu d'unepartie de tir à la corde dans l'arène politiquedes faës. Et je jouais le rôle de la corde, à unbout de laquelle se trouvaient Ethan et sonpère.

Il était donc très opportun que Finn joue leschaperons autant que les gardes du corps.Tomber amoureuse d'Ethan était bien ledernier truc dont j'avais besoin, si séduisantfût-il. Du moins tant que je ne saurais pas aveccertitude ce qu'il voulait de moi.

Je passai le reste de la séance à repousser les

Je passai le reste de la séance à repousser lessubtiles avances d'Ethan. Ses yeux étincelaientde malice chaque fois que je le foudroyais d'unregard noir, et je compris que c'était devenu unjeu pour lui. Qu'espérait-il donc faire à l'insu deFinn ? J'aurais pu m'offusquer de son refus deme laisser tranquille, si je n'avais été tellementconsciente des signaux confus que je luienvoyais. Certes, je finissais toujours par lerepousser, mais il voyait bien que je mettais uncertain temps à m'y résoudre.

— Tu es vraiment un sale type, lui dis-jealors que j'interceptais sa main sur ma cuisseen l'agrippant par le poignet.

Elle était tout en haut. Ma voix paraissaittrop fébrile pour être convaincante, et j'avaislaissé sa main monter beaucoup plus haut queje n'en avais eu l'intention.

Il m'enserra l'épaule de son bras - restéindéfectiblement à son poste sur le dossier demon siège.

— Je me conduis en parfait gentleman, mechuchota-t-il à l'oreille. Je ne ferai rien que tune désires pas.

Ouais, et c'était bien le problème. Je désiraisdes trucs que je n'avais aucun droit de vouloir.Ou qui n'étaient certainement pas bons pourmoi. Et tout ce que je laissais passer luidonnait une raison supplémentaire de retenter

donnait une raison supplémentaire de retentersa chance à la première occasion.

Quand arriva la fin du film, j'étais tellementchauffée que c'était un petit miracle si jen'avais pas commencé à me déshabiller devanttout le monde. Sans la présence de Finn, làderrière nous, je n'aurais eu que ma volontépour garde-fou, et qui pouvait savoir à quellesbêtises je me serais laissée aller. J'avais lesentiment d'être totalement dépassée avecEthan, et je ne savais pas trop comment yremédier.

Nous quittâmes le cinéma main dans lamain. Je suis sûre qu'Ethan n'aurait pasdemandé mieux que de me raccompagner chezmoi, mais j'habitais désormais un abrisouterrain sécurisé au cœur de la montagne surlaquelle était bâtie la cité d'Avalon. Ceux quiconnaissaient son emplacement se comptaientsur les doigts d'une main, et Ethan n'en faisaitpas partie.

À l'abri de l'auvent, il porta ma main à seslèvres et déposa un baiser sur mes doigts. Lecrachin faisait luire les pavés de la route, où sereflétait la lumière des lampadaires.

Il me lâcha la main pour m'aider à enfilermon manteau de pluie, et la chaleur de soncontact me manqua aussitôt. Ses yeux filèrentau-dessus de ma tête, sans doute en direction

au-dessus de ma tête, sans doute en directionde Finn, qui me suivait de près.

— Allez-vous me ratatiner si je l'embrassepour lui souhaiter bonne nuit ?

— Probable, répondit Finn, laconiquement.Il n'était pas du genre causant.J'aurais pu me débarrasser de lui. Après tout,

Finn n'était pas mon père, et le« chaperonnage » ne faisait pas partie de sesattributions officielles. Je crois qu'il n'aimaitpas beaucoup Ethan, mais je savais aussi qu'ilm'avait plutôt à la bonne, et un baiser debonne nuit n'était pas bien méchant.Cependant, j'avais déjà laissé Ethan aller troploin et il était plus que temps d'y mettre leholà.

— On ne sort pas ensemble, lui répétai-jepour la millionième fois. Je ne t'embrasseraipas, même si Finn décide finalement de ne paste ratatiner.

Ethan me gratifia d'un petit sourire contrit,quoique légèrement dubitatif.

— C'est vrai, répondit-il. J'ai tendance àl'oublier. On ne sort pas ensemble. Faut que çarentre.

Il releva la capuche de mon imperméable etses doigts frôlèrent « accidentellement » majoue quand il retira sa main. Je ne pus réprimerun frisson de plaisir.

— On peut arranger ça pour la prochaine

— On peut arranger ça pour la prochainefois, suggéra-t-il. Veux-tu être ma cavalière à lasoirée de Kimber ?

Kimber, la sœur d'Ethan, était ma meilleureamie. Elle donnait une fête pour sonanniversaire vendredi soir, et j'en trépignaisd'avance.

— Bien tenté, Roméo, répliquai-je d'une voixqui se voulait sophistiquée, même si je ne mefaisais guère d'illusion. Kimber sera le centred'attraction de cette soirée, pas toi.

Ethan leva les yeux au ciel.— On voit que tu ne connais pas encore les

soirées de la famille Leigh. Mais je vois ce quetu veux dire. Réserve-moi seulement unedanse, d'accord ?

Il me balança un autre de ses petits sourires.— Des amis ont bien le droit de danser

ensemble, non ?Je poussai un grognement intérieur. Cette

danse promettait une nouvelle bataille devolonté : l'ange contre le démon qui sedisputaient en moi.

— D'accord, acceptai-je. A condition que tugardes tes mains dans tes poches.

Il haussa un sourcil, et je me souvins quej'avais été très laxiste avec cette règle ce soir.Je crois bien que je rougis encore une fois,mais je soutins son regard de défi au mieux de

mes capacités.Les yeux brillants de malice, il me fit un clin

d'œil et me pinça le bout du nez comme sij’étais une petite fille, avant de s'élancer sousla pluie sans paraître se soucier le moins dumonde de n'avoir ni manteau ni parapluie. Jele regardai s'éloigner, incapable de détournerles yeux, jusqu'à ce qu'il disparaisse à l'angle dela rue.

Ethan était à coup sûr pour moi la promesse

d'ennuis à venir, mais si je n'avais eu que ceseul problème à gérer depuis mon arrivée enAvalon, je suis certaine que je m'en seraisaccommodée bien plus facilement.

J'étais venue ici en me berçant d'illusions,espérant que la vie avec mon père serait plusnormale que celle que je menais avec ma mère.Grossière erreur ! Au terme de quelquessemaines à peine, je me retournais déjà avecregret sur le bon vieux temps où j'étais sous lagarde de Maman. Que je trouvais pourtant àl'époque pourri de chez pourri.

J'avais eu une enfance solitaire, non parinclination naturelle, mais parce que ma mèrenous imposait un déménagement tous les deuxans pour empêcher mon père de retrouvernotre trace, et que je ne pouvais pas prendre lerisque de laisser mes camarades de classe etamis potentiels découvrir l'alcoolisme de magénitrice. Je l'avais appris à mes dépens dansl'école que je détestais le plus, celle où lesélèves n'avaient eu de cesse de me tourner en

élèves n'avaient eu de cesse de me tourner enridicule.

Je devais également jouer le rôle de l'adultede la famille, ma mère étant souvent trop àl'ouest pour se soucier de détails aussi triviauxque le règlement des factures ou les courses ausupermarché. Sans compter que je devais aussim'assurer qu'elle ne prenne pas le volant quandelle était ivre morte.

Jamais je n'aurais imaginé que je regretteraisun jour cette existence. Pourtant, aucunaspect de ma nouvelle vie en Avalon nerépondait aux espoirs que j'avais nourris endécidant de venir ici.

Au lieu de résider dans une jolie maison deville de la belle cité d'Avalon, j'occupais ce quin'était qu'une caverne améliorée, creusée àmême la montagne. Mon bunker offrait tout leconfort moderne : électricité, eau courante etune connexion Internet. L'endroit étaitjoliment décoré, et si l'on faisait abstraction del'absence totale de fenêtres, on aurait même pule qualifier de douillet. Mais pour moi cen'était qu'une prison, comportant même unposte de garde entre mes appartements etl'entrée principale.

Je crois que mon père aurait préféré que jereste dans ma cage dorée vingt-quatre heuressur vingt-quatre et sept jours sur sept, mais il

sur vingt-quatre et sept jours sur sept, mais ilsemblait comprendre - Dieu merci - que jedeviendrais folle s'il ne me laissait pas prendrel'air à intervalles réguliers. Je ne sortais jamaisseule, accompagnée en toutes circonstances demon père ou de Finn, mais au moins n’étais-jepas assignée à résidence. La réclusion merendait quand même dingue la moitié dutemps. Je comprenais la prudence de Papa, etje ne voulais pas risquer de me faire tuer, maisje détestais l'isolement dans lequel il me faisaitvivre. J'avais parfois du mal à ne pas haïr monpère de m'infliger ça, même si j'en comprenaisles raisons.

En dépit de mes sentiments mitigés, je fustellement heureuse lorsque mon père se pointasans prévenir un dimanche pour m'emmenerbruncher avec ma mère que je lui aurais sautéau cou. Je m'en abstins cependant. Il possédaitcette réserve glaciale typique des faës plusâgés, et une tape sur l'épaule représentait pourlui le summum du témoignage d'affection. Il nesaurait sans doute pas comment réagir si je mejetais dans ses bras.

Avec ma mère, c'était une tout autrehistoire. Dès qu'elle m'aperçut, elle me pritdans ses bras et me serra contre elle comme sion ne s'était pas vues depuis des années. Alorsque ça ne faisait que trois jours. Elle était

que ça ne faisait que trois jours. Elle étaitcomme moi prisonnière de mon père, qui avaitacheté ou manipulé les tribunaux d'Avalonpour obtenir son incapacité juridique. C'étaitun vrai coup bas qu'il lui avait joué là, mais il yavait un bon côté : tant que ma mère setrouvait sous la tutelle de mon père, il ne luiautorisait pas la moindre goutte d'alcool.D'aussi loin qu'il m'en souvienne, elle n'étaitjamais restée sobre sur une si longue période etje pouvais difficilement en vouloir à mon père.

Il nous conduisit dans l'un des meilleursrestaurants d'Avalon, où il avait réservé unetable en terrasse. Pour une fois, la journée étaitensoleillée, claire et dégagée, et nous jouissionsd'une vue splendide depuis notre table. Enfin,j'imagine que la vue aurait été splendide si jel'avais contemplée. Comme je suis unePassemonde, je vois une surimposition despaysages de la campagne anglaise et de la forêtde Faëry chaque fois que je porte mon regardau-delà des frontières d'Avalon. Un phénomènetroublant qui donne la nausée, et que l'onappelle la Moire. Je m'efforçai donc de garderles yeux sur la ville, qui offrait suffisammentd'attraits.

Le réseau des rues pittoresques d'Avalons'étalait à mes pieds. La grand-route quiserpentait depuis la base de la montagne etdéroulait ses lacets jusqu'à la cime était

déroulait ses lacets jusqu'à la cime étaitproprement goudronnée, mais toutes les ruesadjacentes étaient pavées. Les lampadairesimitaient les becs de gaz d'autrefois, et laplupart des bâtiments existaient sous leurforme actuelle depuis plusieurs siècles. Toutcela conférait à la ville un cachet désuet,malgré quelques enseignes commerciales degrandes chaînes.

La densité de population était trèsimportante sur la montagne. Les habitants yavaient entassé autant de maisons que possiblesur l'espace limité dont ils disposaient, mais,malgré cette concentration, la nature y étaitluxuriante. La plus petite fenêtre possédait sajardinière débordante de fleurs, et le lierreprofitait du moindre grain de terre pourprendre racine et gagner la façade de la maisonsuivante. Chaque centimètre carré de la citéétait une carte postale vivante.

La vue dégagée me permettait de contemplerjusqu'aux douves qui cerclaient Avalon,traversées par le pont menant à la Porte del'Ouest. Vues de là-haut, les douves étaienttout aussi pittoresques que le reste en dépit deleur couleur brunâtre. Et pourtant, quelquessemaines auparavant, ma tante Grâce m'y avaitprécipitée et j'avais découvert à mes dépensqu'elles étaient peuplées de Sorcières d'eau, des

qu'elles étaient peuplées de Sorcières d'eau, desmonstres aquatiques malfaisants. Je nepourrais plus jamais voir ces douves sans mesouvenir de la sensation de leurs mainsagrippées à mes jambes pour m'entraîner aufond de l'eau. Je ne crois pas que tante Grâceait réellement eu l'intention de me tuer en mejetant à la flotte. Elle avait ourdi un planmachiavélique dans le but d'utiliser mespouvoirs de Passemonde pour assassinerTitania, la reine de la cour des Lumières, et,lorsqu'il avait échoué, elle m'avait jetée à l'eaupour faire diversion le temps de s'enfuir enFaëry.

Mon père savait choisir les restaurants. Cequ'on nous servit était délicieux. L'ambiancebeaucoup moins. Je savais que mes parentsavaient été amoureux l'un de l'autre... dans unlointain passé. Même s'il comprenait lesraisons qui avaient poussé ma mère à luicacher mon existence, mon père ne semblaitpas près de lui pardonner. Et Maman lui faisaitgrief d'un certain nombre de choses, dont sasobriété forcée n'était pas la moindre. À cestade, ils étaient incapables de s'accorder sur lacouleur du ciel, et encore moins sur un sujetimportant comme celui dont ils débattaient ence moment.

Maman voulait que je retourne au lycée à la

Maman voulait que je retourne au lycée à larentrée, comme une fille normale. Papa décrétaque le lycée présentait un trop grand risquepour ma sécurité, et que je devais êtrescolarisée à domicile. Ni l'un ni l'autre nesemblait se soucier de mon avis sur la question- ils ne me l'avaient même pas demandé. Maisje savais qu'au bout du compte mon père auraitle dernier mot. C'était lui mon tuteur légal,après tout. Ce qui n'empêchait pas ma mère defaire valoir ses arguments.

Je les zappai tous les deux et m'efforçai deprofiter du repas, du beau temps et de la vue.Mon regard était irrésistiblement attiré par lesdouves et le pont qui les enjambait en dépitdes mauvais souvenirs que cela ranimait. Jem'obligeais à détourner les yeux, mais ils yrevenaient sans cesse.

Je matais les douves une fois de plus quandj'aperçus quelqu'un qui s'enfuyait du poste degarde à toutes jambes. C'était un faë, vêtud'une tunique et de collants verts comme lefigurant d'un film de Robin des Bois. Même àcette distance, je distinguais la terreur sur sonvisage, et le sang sur son front. Cette vision mecoupa le souffle. D'autres personnes autour demoi avaient dû suivre mon regard, car desmurmures commencèrent à s'élever parmi lesdîneurs.

dîneurs.Le faë avait parcouru un tiers de la longueur

du pont et courait toujours comme un dératéen bousculant au passage les piétons quand jecompris ce qu'il fuyait. Une haute portes'ouvrit à la volée dans le corps de garde,livrant passage à une créature de cauchemar.

L'homme était entièrement vêtu de noir, levisage dissimulé derrière un monstrueuxmasque noir pourvu d'une bouche grimaçantemunie de crocs, et d'andouillers acérés. Soncorps était couvert d'une armure noirebrillante hérissée de pointes. Il était monté surun énorme cheval noir, également habillé d'unearmure de plaques. C'était peut-être uneillusion d'optique, mais j'aurais juré avoir vudes flammes s'échapper des naseaux de la bête.

Autour de moi, les gens se levaient dans lecrissement des chaises sur le gravier, et lemurmure était devenu un brouhaha inquiet. Lecavalier tira une épée étincelante du fourreauqu'il portait en travers du dos, et lebourdonnement des conversations monta d'uncran.

— Oh, non, crus-je entendre dire mon père,mais difficile d'en être sûre avec le vacarme desvoix qui s'amplifiait.

A la suite de l'homme en noir, plusieursautres cavaliers franchirent la porte - dont jecompris après coup qu'il devait s'agir du

compris après coup qu'il devait s'agir dupassage vers le royaume de Faëry-, tous revêtusdes mêmes atours que leur chef, mais dans uneversion plus sobre. Ils se déployèrent en « V » ets'engagèrent à bride abattue sur le pont à lapoursuite du premier faë. Plusieurs voitures s'ytrouvaient, mais les cavaliers de Faërysemblaient n'en avoir cure. Leurs montures lesévitaient en galopant à une vitessesurnaturelle, ou sautaient par-dessus comme sic'était des jouets, dans les grincements defreins et un concert d'avertisseurs.

— La Chasse Infernale ! cria quelqu'un.— L'Elferoi... dit un autre, la voix glacée

d'effroi.Je me retrouvai debout, les mains agrippant

la rambarde de la terrasse, sans me souvenir dem'être levée. J'entendis mon père m'appeler,mais j'étais trop captivée par ce que je voyaispour lui répondre.

Le chef des cavaliers gagnait promptementdu terrain sur le faë en fuite. Les genss'écartaient devant eux, et je ne vis aucunsigne que la police des frontières fît mêmemine de lever le petit doigt pour l'arrêter, luiou les autres cavaliers. L'homme en noir arrivaà hauteur du faë. Il se dressa sur ses étriers, enparfait équilibre malgré l'allure phénoménalede sa monture. Quelqu'un cria quand l'épée

de sa monture. Quelqu'un cria quand l'épéeétincela dans le soleil et s'abattit entournoyant en direction du faë.

Je ne vis pas ce qui se passa ensuite, car mamère, arrivée par-derrière, me plaqua une mainsur les yeux. Mais les cris et les hoquetshorrifiés qui s'élevèrent m'en donnèrent uneassez bonne idée.

Maman me fit pivoter, dos à la rambarde.Papa jeta une poignée de billets sur la table,puis nous prit par le bras, Maman et moi, etnous entraîna vers la sortie.

— Nous devons partir, nous pressa-t-il, et jene saurais vous dire la terreur que m'inspira lapeur que je lus dans ses yeux.

Pour autant que je sache, mon père n'avaitpeur de rien, et, si c'était le cas, il était passémaître dans l'art de le dissimuler. Que signifiaitdonc l'épouvante qui l'habitait en cet instant ?

Les clients de la salle sortaient à présent surla terrasse pour voir ce qui se passait. Monpère se fraya un chemin dans la foule enmouvement, usant d'une magie quelconquepour nous ouvrir la voie. J'aurais pu lui faireremarquer qu'il me faisait mal mais, à la seulepensée du cavalier noir brandissant son épée,je n'avais qu'une envie, c'était de courir mecacher.

Mon père passa un million de coups de fil en

Mon père passa un million de coups de fil enme ramenant sans ménagement à mon abrisécurisé. Maman, qui marchait à ma hauteur,me tenait par les épaules. Elle était pâle commela mort, et ses pupilles un peu trop dilatées.

— Qu'est-ce qui se passe ? lui demandai-jealors que mon père était pendu au téléphone.Qui sont ces types ?

J'espérais vraiment qu'ils avaient fait demi-tour pour rentrer au triple galop en Faëry aprèsleur... Je tâchai de ne pas songer à ce quivenait de se produire.

Ma mère secoua la tête.— C'était la Chasse Infernale, répondit-elle

dans un souffle, comme si les nommer à hautevoix allait les faire apparaître.

J'attendis des explications, qui ne vinrentpas. Sans doute étais-je supposée savoir enclaquant des doigts ce qu'était la ChasseInfernale, mais il y avait tant de choses quej'ignorais à propos du royaume de Faëry.Maman était née et avait grandi en Avalon, etelle avait un peu tendance à oublier qu'Avalonétait un endroit très spécial.

— Qu'est-ce que la Chasse Infernale ?demandai-je.

Nous avions pénétré le réseau de galeries oùse trouvait mon bunker, et j'imagine que monpère n'avait plus de signal, car il rangea sontéléphone.

téléphone.— Le cauchemar de la Faëry, répondit-il

d'une voix sèche et tendue. Une horde decavaliers dont l'unique raison d'être est deChasser et de tuer, les faës comme leshumains. Leur chef, l'Elferoi, est le seulhomme dont on dit qu'il est redouté par lesdeux reines de Faëry.

— C'était le type avec l’épée ? demandai-jed'une voix blanche.

Mon père hocha brièvement la tête.— Oui, les Chasseurs sont dangereux, mais

aucun davantage que lui.Je fronçai les sourcils, comprenant les

implications de ce qu'avait dit mon père.— Attends une minute. Tu as dit qu'il était

craint des deux reines de Faëry. Mais ilappartient à la cour des Ténèbres, non ?

Le royaume de Faëry est divisé en deuxcours, sur chacune desquelles règne une reine.Les faës de la cour des Lumières ont laréputation d'être les gentils (mais vu que tanteGrâce appartient à la cour des Lumières, onpeut dire que leur réputation est surfaite). Lacour des Ténèbres est connue pour accueillirles monstres et les faës maléfiques, mais làaussi, c'est une généralité. Ethan et Kimberappartenaient à la cour des Ténèbres, et secomportaient plutôt correctement la plupart du

comportaient plutôt correctement la plupart dutemps. L'Elferoi, quant à lui, semblait enincarner tous les stéréotypes.

— Et dans ce cas, la reine de la cour desTénèbres ne devrait pas le craindre.

— Il n'est assujetti à aucune des deux cours,répondit mon père. Il est une puissance en lui-même. Il se considère comme un roi, bien qu'ilsoit sans royaume.

— Et il a le droit de charger à cheval surAvalon quand l'envie lui en prend pour allertrucider des gens en pleine journée ?

J'avais déjà eu l'occasion de me rendrecompte que la frontière entre Avalon et leroyaume de Faëry était dangereusementporeuse, mais j'espérais quand même qu'elleétait mieux gardée.

— Non. Il n'a pas le droit de Chasser enAvalon. Mais il est autorisé, quand il a débutéune Chasse dans la Faëry, à poursuivre sa proiede l'autre côté de la frontière si celle-ci vient àla traverser.

Nous avancions si vite que je commençais àêtre un peu essoufflée, et décidai de réservermes questions pour plus tard. Lorsque nousquittâmes la partie fréquentée des souterrainspour nous engager dans le labyrinthe obscurqui menait à ma chambre forte, mon père créamagiquement une boule de lumière, qui flottaau-dessus de nous pour nous indiquer le

au-dessus de nous pour nous indiquer lechemin. Les petits cheveux sur ma nuque sehérissaient toujours et je ne cessais de meretourner. Non pas que je m'attende réellementà voir l'Elferoi et son terrible cheval noirfondre sur moi là tout de suite, mais j'étaiscomplètement flippée. Je ne l'admettrais pourrien au monde, mais j'étais bien contente quema mère m'ait caché les yeux. J'avais déjà vuassez d'horreurs susceptibles de hanter monsommeil, et je n'avais pas besoin d'uncauchemar supplémentaire.

Quand nous arrivâmes enfin dans monbunker, Papa demanda à ma mère de nouspréparer du thé pendant que nous attendionsl'arrivée de Finn dans la salle de garde. C'étaitun ordre plus qu'une requête, mais ma mèren'y fit pas d'objection.

La salle de garde n'était pas aussi douilletteque le salon de ma suite, mais il y avait de quois'installer confortablement. Je me laissaitomber lourdement sur le canapé. Mon pèreétait trop agité pour s'asseoir.

— D'accord, me lançai-je. Que dois-je savoirsur l'Elferoi ? Pourquoi devons-nous filer nouscacher dans la montagne dès qu'on l'aperçoit ?Tu disais qu'il n'avait pas le droit de Chasser enAvalon.

— C'est compliqué.

— C'est compliqué.Je ricanai.— Comme si quoi que ce soit était simple,

ici. Allons, Papa. Raconte-moi ce qu'il en est.N'ai-je pas le droit de savoir ?

Il poussa un soupir de frustration qui parutalléger sa tension, puis il prit la parole, les yeuxrivés au plancher et la mâchoire crispée.

— Autrefois, l'Elferoi et sa Chasse Infernaleétaient le fléau de la Faëry. Je te parle d'untemps très ancien. L'Elferoi Chassait sansvergogne les sujets des deux cours, semant lamort selon son bon vouloir. Il arrivait que laChasse Infernale fasse une descente en Avalonet répande la terreur parmi les humains. Lesmortels enrôlés de force succombaient à coupsûr d'épuisement, exténués par le train de laChasse.

Ma mère entra dans la salle de garde, leplateau du thé dans les mains.Personnellement, je suis plutôt café, mais leshabitants d'Avalon ne peuvent apparemmentpas se passer de leur sacro-saint thé.J'apprenais à m'y faire pour les besoins de lapolitesse. Maman posa le plateau sur la tablebasse, et versa trois tasses pendant que monpère poursuivait son histoire.

— Au bout du compte, les reines de Faëryfinirent par conclure un pacte avec l'Elferoi, un

finirent par conclure un pacte avec l'Elferoi, unpacte scellé par la magie. L'Elferoi accepta dene plus Chasser leurs sujets sans l'autorisationde la reine de la cour concernée. Depuis cetemps, l'Elferoi et sa Chasse Infernale sontdevenus les assassins et le bras armé desreines. C'est toujours un cauchemar, mais uncauchemar sous contrôle.

Je fronçai les sourcils en réfléchissant à cequ'il venait de dire.

— Et qu'est-ce que l'Elferoi a gagné dans cepacte ?

Papa tourna la cuillère dans sa tasse de théavec une application étudiée.

— Le droit de Chasser les parias des deuxcours.

J'étais de plus en plus perplexe.— Mais il les Chassait déjà, non ?Mon père ne répondit pas.— Je crois que ce pacte implique autre

chose, intervint ma mère, me prenant parsurprise. L'Elferoi ne vit que pour Chasser. LaChasse fait partie de sa nature élémentaire.Pourtant, il a laissé les reines lui imposer unelimite. Il en a forcément retiré un avantage.Mais il semble que tous les faës en âge de s'enrappeler sont liés par une geis qui les empêched'en parler.

— Qu'est-ce qu'une geis ?— Un interdit magique. Une incantation qui

— Un interdit magique. Une incantation quia été prononcée par les deux reines et liechaque membre de leurs cours respectives. Lesfaës en âge de s'en souvenir ne peuventlittéralement pas en parler.

Papa continuait de tourner sa cuillère dansson thé, inlassablement. Mon regard fit lanavette entre Maman et lui.

— Es-tu en âge de t'en souvenir ? demandai-je à mon père.

Il acquiesça en silence.— Et tu ne peux pas en parler ?Il tourna la tête pour me regarder, toujours

sans dire un mot. Mais cette fois, il ne fitaucun signe de dénégation ni d'acquiescement.

— Ce doit être une geis très puissante, ditma mère. Ils ne peuvent même pas tournerautour du pot. Ils sont tout bonnementincapables d'aborder le sujet. Ils n'admettentmême pas l'existence d'une geis, alors que toutle monde sait pertinemment qu'il ne peut enêtre autrement.

— Et ils ne savent pas ce qu'ils protègentainsi ?

Maman secoua la tête.— Il existe de nombreuses théories à ce

sujet, aussi farfelues les unes que les autres àmon avis.

Je ruminai tout ça pendant un moment,frustrée de ne pas connaître le fin mot de

frustrée de ne pas connaître le fin mot del'histoire. J'en avais assez vu pour comprendreque l'Elferoi était un type redoutable. Mais jene saisissais toujours pas pourquoi mon pèreavait réagi comme s'il constituait une menacedirecte pour moi.

— Si l'Elferoi n'a pas le droit de Chasser enAvalon, lui demandai-je, qu'est-ce quit'inquiète tant ?

Papa but finalement une gorgée de son théparfaitement remué.

— Il n'a pas le droit de Chasser, en effet.Mais rien ne l'empêche de tuer. Ou pire encore.Il est lui-même lié par une geis qui lui interditd'attaquer quiconque à l'intérieur desfrontières de la ville - sauf dans le cadre d'uneChasse commencée dans la Faëry. Cet interditne l'empêche cependant pas de se défendre etde faire ce que bon lui semble de celui quiserait assez fou pour s'en prendre à lui ou auxmembres de sa Chasse.

— Je ne comprends toujours pas. Qui seraitassez stupide pour aller l'asticoter sachant queça lui donne le droit de tuer ?

Certainement pas moi, en tout cas, ce quidevait vouloir dire qu'il ne représentait pas unemenace personnelle.

— Et puis, ne va-t-il pas rentrer en Faërymaintenant que sa... euh... Chasse est finie ?

maintenant que sa... euh... Chasse est finie ?Une fois de plus, je dus repousser l'image du

cavalier noir sur son sinistre destrier, quilevait son épée contre un homme désarmé etsans défense.

— L'Elferoi n'a pas son pareil pour provoquerles gens et les pousser à agir à l'encontre deleurs intérêts. Et non, je ne crois pas qu'il varetourner tout de suite en Faëry. Chaque foisqu'il a pourchassé quelqu'un jusqu'en Avalon,il est ensuite resté au moins plusieurssemaines. Il entretient même une maisonnéeici.

Je secouai la tête. Il y avait beaucoup dechoses que j'aimais en Avalon (parfois en meforçant un peu), mais le détail de leurs traitésplus que bizarres avec le royaume de Faëryn'en faisait pas partie.

— Pourquoi l'avoir autorisé à venir en ville ?demandai-je. Vous interdisez aux spriggans etautres monstres de la cour des Ténèbres defranchir la frontière, et il a l'air mille fois plusdangereux que tous ceux-là réunis.

Le sourire de Papa se fit amer.— Il l'est, en effet. C'est pourquoi la ville a dû

conclure un accord avec lui. Nous avions lechoix entre déterminer les conditions de savenue en Avalon et entrer en guerre contre lui.On dit que les faës sont immortels, en ce sens

qu'ils ne meurent pas de mort naturelle. Maisl'Elferoi serait quant à lui réellement immortel.À l'époque lointaine où il était en guerreouverte contre les deux cours, un Chevalier dela cour des Lumières parvint à lui trancher latête au combat. L'Elferoi a ramassé sa tête, l'aremise sur ses épaules et a occis le Chevalier. Ilva de l'intérêt même d'Avalon de ne pas se faireun ennemi d'un homme qu'il est impossible detuer.

Je percevais la logique de mon père, mais jene pouvais pas franchement dire qu'elle meplaisait. J'avais l'impression qu'il devait existerune meilleure solution. Même si j'étaisincapable d'imaginer laquelle. Je suppose quecompte tenu de la puissance de l'Elferoi, ondevait déjà s'estimer heureux qu'il se soit laisséimposer une limitation quelconque.

Mais qu'avaient bien pu lui accorder lesreines de Faëry pour mettre leurs sujets à l'abride ses Chasses ? Ce devait être énorme. Et jedoutais fort que ce fût une bonne chose.

Papa reposa sa tasse et se tourna vers moi.Son visage n'était pas des plus expressifs, maisje saisis la gravité de ce qu'il allait dire avantqu'il ouvre la bouche. Ma main se crispa surma propre tasse et je retins mon souffle.

— Il n'est pas impossible que l'une ou lesdeux reines aient envoyé l'Elferoi en Avalon

deux reines aient envoyé l'Elferoi en Avalonpour te tuer, déclara mon père, et mon estomacpesa soudain cent tonnes.

OK, je savais déjà que les reines voulaientme voir morte. Enfin, disons que Titania, lareine de la cour des Lumières à laquelle j'étaistechniquement affiliée - je me refusais à direque je lui « appartenais » -, se serait satisfaiteque je quitte Avalon pour toujours. Maispuisque Mab, la reine des Ténèbres, mepourchasserait jusqu'à la fin de mes jours oùque je me trouve, mon père avait décrété quej'étais plus en sécurité ici. Les reinescraignaient que mes pouvoirs de Passemonde -ma capacité à transporter une arme à feu enétat de fonctionnement dans la Faëry, parexemple - ne représentent une menace pourleurs trônes respectifs. Le fait que ma tanteGrâce ait tenté de m'utiliser pour assassinerTitania et occuper son trône était la preuvequ'elles n'étaient pas seulement paranoïaques.

Pourtant, même en sachant que les reinesvoulaient me faire la peau, ça me fit un chocd'entendre qu'elles avaient peut-être envoyécette créature immortelle terrifiante et sahorde de Chasseurs à mes trousses. Je n'étaisencore qu'une enfant, pour l'amour du ciel !C'était comme d'employer un canon pour tuerune mouche.

une mouche.Malheureusement, Papa n'en avait pas

terminé.— Je suis conscient que ce sera un...

désagrément, mais je crois qu'il vaut mieuxpour tout le monde que tu ne quittes pas tonabri sécurisé pendant toute la durée du séjourde l'Elferoi en Avalon.

— Non !Le mot était sorti sans que je prenne le

temps de réfléchir ou de tempérer ma réaction.Je bondis sur mes pieds pour mettre unecertaine distance entre mon père et moi.

— Seamus, tenta timidement ma mère. Nousdevrions peut-être...

Sa voix mourut sous le regard glacial qu'il luilança. Je commençais à croire que c'était dansl'alcool qu'elle puisait son courage. En cetinstant précis, j'aurais aimé retrouver la femmesaoule et butée que je connaissais.

Je secouai la tête et croisai les bras sur mapoitrine.

— Il est hors de question que tu me gardesenfermée tout le temps qu'il plaira à l'Elferoi derester ici ! m'exclamai-je en réussissant toutjuste à m'empêcher de hurler.

— C'est pour ta propre sécurité, répondit-ilen tentant avec moi le coup du regard glacialqu'il venait d'employer sur ma mère.

J'avais toujours eu plus de volonté qu'elle, et

J'avais toujours eu plus de volonté qu'elle, etce n'était pas un regard qui me ferait reculer.

— Hors de question ! répétai-je. Tu as dit toi-même qu'il lui est interdit de s'en prendre auxgens à moins qu'ils ne l'aient attaqué. Si tucrois que je vais agresser ce type, tu es tombésur la tête. Il ne peut rien me faire, et tu n'aspas le droit de m'enfermer dans ces oubliettescomme une prisonnière.

Ses yeux brillaient de colère, mais c'estd'une voix mesurée qu'il me répondit.

— J'en ai le droit et je vais le faire.Il se leva, me dominant de toute sa hauteur.— Quand tu auras calmé tes ardeurs

juvéniles, tu comprendras que c'est lameilleure solution.

— Tu peux toujours courir pour que je mecalme !

D'habitude, je me maîtrise bien mieux queça en sa présence. Il est lui-même toujours sicalme. Et puis il a beaucoup trop d'autorité surmoi pour risquer de me le mettre à dos. Maislà, c'était trop.

— Tu as dit toi-même que tu n'aurais plusaucun contrôle juridique sur moi le jour demes dix-huit ans. Et tu veux que je reste icijusqu'à la fin de mes jours. Si tu m'enfermes, jejure que je quitterai Avalon à la seconde où jeserai majeure.

serai majeure.Je ne suis pas une grande pleureuse, mais je

ne reculais pas devant une légèremanipulation. Au lieu de refouler les larmesqui me brûlaient les yeux comme à monhabitude, j'en laissai couler quelques-unes surmes joues. Mon père avait fait tout ce qui étaiten son (considérable) pouvoir pour transformermon bunker en appartement douillet etaccueillant, mais c'était toujours une foutueprison, et toutes les déco du monde n'ypourraient rien changer.

Je n'avais certes pas envie de me fairedézinguer. Je ne suis pas une débile totale. Etje ne me plaignais pas - trop - de devoir vivreici. Je ne me plaignais pas - trop -non plus defaire l'objet d'une protection rapprochée. Enrevanche, je ne pensais honnêtement pas êtrecapable de supporter la détention forcéejusqu'à ce que l'Elferoi décide de rentrer chezlui, et je ne pensais pas non plus que l'Elferoireprésente une réelle menace pour moi.

Mon père n'est pas le type le plus facile enmatière de négociations. Il a des siècles - auminimum - d'entraînement, et une telleconfiance en lui et en ses décisions qu'iln'envisage pas de revenir dessus. Jamais.

Il me dévisagea un long moment, et c'étaitpresque comme si je pouvais voir ses pensées

s'agiter sous son crâne. Il cherchait peut-êtrel'argument parfait à m'opposer pour me fairechanger d'avis. Ou il se demandait si je pensaisce que j'avais dit.

Il finit par lâcher un soupir et ses épauless'affaissèrent.

— Très bien, capitula-t-il, comme si les motslui étaient arrachés sous la torture. Je net'obligerai pas à rester dans ton abri sécuriséindéfiniment. Mais tu ne quitteras jamais celieu sans être accompagnée d'au moins deuxpuissants gardes du corps, et sans m'en avoirpersonnellement demandé l'autorisation.

Je commençais à me décrisper, pensantavoir gagné la bataille, quand mon père lâchaune bombe.

— Cependant, étant donné les circonstances,je pense que tu devras faire une croix sur lasoirée d'anniversaire de ton amie. Le risqueserait beaucoup trop grand.

Je me mordis la langue pour ravaler lesprotestations qui jaillissaient de ma gorge. Jesavais que Papa n'avait jamais été très chaudpour que j'aille à la soirée de Kimber. Nonseulement Kimber était un sujet de la cour desTénèbres alors que mon père appartenait à lacour des Lumières, mais elle était également lafille d'Alistair Leigh, le principal adversairepolitique de Papa. La cité d'Avalon est dirigée

politique de Papa. La cité d'Avalon est dirigéepar un Conseil mixte composé de six humainset de six faës. Le treizième membre du Conseil,appelé le Consul, a le pouvoir de les départageren cas d'égalité des votes,, et se trouve ainsiêtre la personnalité la plus importanted'Avalon. Le Consulat change de main tous lesdix ans, passant alternativement des faës auxhumains et des humains aux faës. Mon père etcelui de Kimber étaient tous deux sur les rangspour obtenir ce titre. Mon père pensait que maprésence à son anniversaire aurait desimplications politiques et il m'avait clairementfait comprendre qu'il aurait préféré que jem'abstienne d'y aller. Je lui avais faitcomprendre tout aussi clairement que je nevoulais manquer cette fête pour rien aumonde. Et voilà que cette Chasse Infernale demes deux lui fournissait l'excuse parfaite pourm'en priver.

Il s'attendait à des protestations. Je le voyaisdans ses yeux, à la raideur de son maintien.Mon instinct me dit qu'il ne céderait pas unpouce de terrain supplémentaire, et que c'étaitdéjà pratiquement un miracle qu'il ait changéd'avis quant à ma détention.

Avec mon père, je devais choisir mescombats. Autant opter pour ceux que j'avaisune chance de gagner.

une chance de gagner.— Peut-être que la Chasse Infernale sera

repartie d'ici vendredi, dis-je, tâchant d'y croireun peu même si je ne m'attendais pas à unchemin de roses au vu des derniersévénements.

Remarquez au passage comment j'évitaisubtilement de me rendre explicitement à sesconditions...

Papa se détendit, et j'en déduisis qu'il n'avaitpas remarqué ma pirouette verbale.

— On peut toujours l'espérer, dit-il du tonqu'il emploierait pour signifier que l'espoirn'existait pas en enfer.

C'est à peine si je l'entendis, déjà occupée àme remuer les méninges pour trouver unmoyen d'assister à l'anniversaire de Kimbersans la permission de mon père.

Papa fila dès l'arrivée de Finn en expliquant

qu'il devait prendre des dispositionssupplémentaires pour ma sécurité. Je pensaisqu'il allait emmener ma mère avec lui, mais iln'en fit rien.

— Je reviendrai te chercher dans une heureou deux, lui annonça-t-il. Je me suis dit queDana et toi aimeriez passer un momentensemble sans m'avoir sur le dos.

Maman inclina la tête vers lui d'un airsoupçonneux.

— Ah oui ? Tu es sûr que ce n'est pas plutôtpour ne pas m'avoir dans les pattes ?

Papa sourit presque, mais si fugacement queje ne l'aurais pas remarqué si j'avais cligné lesyeux à ce moment-là.

— Aussi.Il nous gratifia chacune d'un hochement de

tête - sa façon de prendre congé - avant de faireapparaître sa petite boule de lumière et des'engouffrer dans les souterrains.

Je restai plantée au milieu de la salle degarde, soudain gênée de me retrouver avec

garde, soudain gênée de me retrouver avecMaman et Finn. D'un côté, ça me tentait biende passer un peu de temps avec ma mère. Papaétait généralement présent lorsque j'allais luirendre visite, et nous étions rarement seulestoutes les deux plus de quelques minutes. Maisje n'aimais pas l'idée de laisser Finn dans lasalle de garde. Oui, il était mon garde du corpset c'était son boulot, mais je ne possédais pasencore la capacité de mon père à le traitercomme un meuble.

Finn était l'incarnation même du grandmusculeux taciturne et on ne tapait pasvraiment la causette, mais après plusieurssemaines de cohabitation, je crois qu'ilcommençait à comprendre ma mentalité. Sansun, mot, il se laissa tomber dans son fauteuilpréféré et alluma la télé. Il arrêta son choix surun match de foot, et s'installa confortablement,nous faisant clairement comprendre qu'iln'avait pas besoin de nous.

Je lui adressai un sourire reconnaissant,rassemblai les reliefs de notre thé et guidai mamère le long du couloir fortifié qui menait à masuite. À mon humble avis, le nombre descouches de protection me séparant du mondeextérieur était presque ridicule. Quelqu'un quien avait après moi devait trouver son chemindans le dédale des souterrains obscurs, déjouer

dans le dédale des souterrains obscurs, déjouerles sorts de la porte d'entrée, et se battre avecFinn. S'il parvenait jusque-là, j'avais toujoursla possibilité de me réfugier dans ma chambreforte et d'appuyer sur un bouton d'urgence quiferait descendre trois portes blindéessuccessives pour condamner le couloir. J'étaismieux gardée que le trésor des États-Unis àFort Knox.

— Je vais faire du café, dis-je à ma mère,emportant le plateau dans ma mini-kitchenette. Tu en veux ?

— Non, mais si tu remets la bouilloire àchauffer, je prendrais bien une autre tasse dethé.

Je secouai la bouilloire électrique pourm'assurer qu'il restait assez d'eau, etenclenchai l'interrupteur avant de mettre àpasser un mélange de café français. Ma mèrepatienta au salon le temps que nos boissonssoient servies. Le café sentait divinement bonet son goût était encore meilleur. MerciStarbucks ! Le thé était si commun par ici qu'iltombait pratiquement du ciel, mais il était trèsdifficile de trouver du bon café.

Je rejoignis ma mère au salon. Commetoujours depuis que mon père l'avait mise aurégime sec, elle était parcourue de tics. Elle semordillait tellement les lèvres qu'elles étaient à

mordillait tellement les lèvres qu'elles étaient àvif, et elle tirait sur les bouloches de son pullde laine. Je ne suis même pas sûre qu'elle s'enrendait compte.

— Alors, lui dis-je en la regardant par-dessusma tasse. Comment vas-tu ? Sans boire, jeveux dire. Est-ce que tu... tiens le coup ?

— Je vais très bien, répondit-elle d'un tonpeu convaincant. Je ne vois pas pourquoi tonpère et toi en faites toute une histoire.

Elle avala une gorgée de son thé en évitantmon regard.

— Je buvais sans doute un peu trop, mais jene suis pas alcoolique. J'étais seulementsoumise à beaucoup de pression.

Ma main se crispa sur ma tasse et je memordis la langue pour retenir la répliquecinglante qui me montait aux lèvres. Jepensais qu'elle avait dépassé la phase de déni.Tout en sachant d'avance que c'était une causeperdue, je tâchai néanmoins de la raisonner.

— Maman, tu as eu une crise de deliriumtremens quand tu as été privée d'alcool. Si çane fait pas de toi une alcoolique, qu'est-ce qu'ilte faut ?

Elle balaya mon objection d'un geste.— Je viens de te dire que je sais que je

buvais trop, surtout depuis ton départ. Maismaintenant que je t'ai retrouvée, tout va bien.J'aimerais pouvoir prendre un verre à

J'aimerais pouvoir prendre un verre àl'occasion, et je n'apprécie pas d'être traitéecomme une enfant.

Ma gorge se noua et je déglutis violemmentpour tenter de déloger la boule qui s'y étaitformée. Papa m'avait prévenue qu'on neguérirait pas l'alcoolisme de ma mère par laforce. Il pouvait l'enfermer à double tour et lapriver d'alcool, et elle resterait sobre. Mais çane suffirait pas à la guérir.

Je voulais croire qu'il se trompait. Mais sielle n'était toujours pas prête à admettre qu'elleavait un problème, je craignais fort qu'il n'eûtraison. Et si elle considérait que s'imbiberd'alcool depuis le moment où elle posait le piedpar terre jusqu'à celui où elle allait se coucher –ou plutôt s'écrouler - c'était « prendre un verreà l'occasion », c'est qu'elle était toujours enplein déni.

— Parlons d'autre chose, dit-elle avec unsourire crispé. Tu dois être contente deretourner au lycée à la rentrée prochaine.

Je ne demandais qu'à changer de sujet,même si je soupçonnais qu'elle refusaittoujours de voir la vérité en face.

— Je crois que Papa a été très clair à ce sujetet que je n'irai pas au lycée.

Mon cœur se serra à cette idée. Je n'avaisjamais été une fana de l'école ; j'étais toujours

jamais été une fana de l'école ; j'étais toujoursla nouvelle à cause de nos déménagements àrépétition, et tout le monde sait que ce n'estpas très marrant. Mais après tout ce qui m'étaitarrivé cet été, retrouver des jeunes de mon âgeet faire comme si je n'avais à m'inquiéter quedes interros surprises me semblait le paradissur terre.

— Si tu veux aller au lycée, tu iras, affirma-t-elle, et je fus agréablement surprise dedécouvrir qu'elle s'intéressait à mes désirs. Jene peux pas reprocher à ton père de vouloir teprotéger, mais il se trompe de méthode et ilfinira par s'en apercevoir.

J'aurais aimé partager sa confiance. Sans leconnaître encore très bien, je savais que monpère était remarquablement obstiné. Ettellement sûr de lui. S'il avait décidé que lelycée représentait une menace pour masécurité, je ne voyais sincèrement pascomment ma mère ou moi pourrions le fairechanger d'avis.

Bien sûr, il restait encore près de huitsemaines avant la rentrée. Il était égalementpossible que nous soyons toutes deux bien tropoptimistes en présumant que je serais encorede ce monde à ce moment-là.

Je heurtai le tapis avec un bruit mat.L'impact expulsa l'air de mes poumons et jedemeurai sur le dos tel un insecte mort à

demeurai sur le dos tel un insecte mort àchercher mon souffle. Keane me surplombaitde toute sa hauteur en secouant la tête, leslèvres tordues de mépris.

— C'était vraiment minable, me dit-il.J'adore les encouragements. J'étais encore

trop occupée à chercher ma respiration pourlui dire ce que je pensais de lui, mais je suissûre qu'il pouvait le lire dans mes yeux. Ilm'avait expliqué un jour que si je n'avais pasenvie de lui mettre mon poing dans la figurependant nos séances d'entraînement, c'est qu'ilne faisait pas bien son boulot. Eh bien, enl'occurrence, il n'avait rien à se reprocher.

— Si j'étais un de tes ennemis, tu seraismorte à l'heure qu'il est, continua-t-il.

C'est ça, retourne le couteau dans la plaie,songeai-je quand je pus enfin aspirer un filetd'air. Je détestais le bruit sifflant queproduisait ma respiration, mais pas moyen dele faire cesser, apparemment.

Pourquoi, mais pourquoi avais-je vouluprendre des cours d'autodéfense ? Mesmeilleures prises seraient de toute façonparfaitement inutiles face au genre d'ennemique les reines de Faëry enverraient à mestrousses. Mais après le passage à tabac de Finnpar deux Chevaliers sous mes yeuximpuissants, j'avais décidé que je voulais au

impuissants, j'avais décidé que je voulais aumoins avoir l'illusion de pouvoir faire quelquechose. C'est ainsi que j'avais commencé mesentraînements avec Keane, le fils de Finn, ceque je regrettais régulièrement.

Même après avoir finalement repris monsouffle, je restai allongée par terre, peudésireuse de reprendre l'exercice. Nous nousentraînions dans le salon de mon bunker, dontnous avions poussé les meubles contre lesmurs pour faire de la place aux tapis. Nousaurions eu davantage d'espace dans la salle degarde, mais également trouvé un public en lapersonne de Finn. Ce qui n'aurait pas dérangéKeane, mais moi oui.

Et pas uniquement parce que je ne voulaispas me ridiculiser sous les yeux de mon gardedu corps. J'avais aussi une énorme faveur àdemander à Keane, du genre dont je ne voulaispas qu'elle tombe dans des oreilles indiscrètes.Restait encore à trouver le cran de le faire...

— Tu comptes roupiller ou tu vas te remuerles fesses et revenir bosser ? demanda Keane.

Je lui jetai un regard noir. J'avais malpartout à force d'être projetée au sol, et mesmuscles tremblaient de fatigue. Keane étaitcensé y aller mollo avec moi, mais ce n'étaitpas l'effet que ça me faisait.

— Tu n'es jamais fatigué ? grommelai-je en

— Tu n'es jamais fatigué ? grommelai-je enme redressant péniblement en position assise.

Il renifla avec dédain.— Pas au bout d'un quart d'heure, non.Il n'y avait qu'un quart d'heure que nous

nous entraînions ? Moi, j'avais l'impressionque ça faisait au moins une heure.

— On va devoir travailler ton endurance, enplus de tout le reste.

Je savais qu'il ne faisait que le boulot pourlequel on l'avait engagé, mais son attitude metapait sur le système. Il me traitait comme sij'étais une sorte de débile parce que je nesavais pas me battre aussi bien qu'uncombattant entraîné. Ben, je suis désolée, maisavant de venir en Avalon je ne passais pas montemps à me bagarrer.

Une pointe de perfidie s'éveilla en moi. Pourune fois, rien qu'une fois, je voulais avoir ledessus sur ce détestable crétin qui me servaitde professeur. Et si je devais le prendre entraître pour arriver à mes fins, c'était de bonneguerre.

Je fis semblant de me relever en grognantostensiblement. Je ne pensais pas que Keanetomberait dans le panneau - il devinegénéralement ce que je vais faire avant que jele sache moi-même -, mais peut-être qu'aubout de plusieurs semaines il commencerait àbaisser la garde. Je vis dans son regard que son

baisser la garde. Je vis dans son regard que sonattention s'était relâchée, et j'en tirai parti. Aulieu de me mettre debout, je me projetai enavant de façon à lui balayer les jambes.

Il poussa un cri de surprise et j’éprouvail'espace d'une demi-seconde le frisson de lavictoire. Rétrospectivement, je compris quej'aurais mieux fait de le prendre de biais pourque mon élan me permette de me dégagerpendant sa chute. En l'occurrence, il s'écroulasur moi, et mon visage rencontra brutalementle tapis tandis que mes poumons se vidaientune nouvelle fois. Ses réflexes lui permirentd'amortir sa chute avec ses mains, mais illaissa tout son poids reposer sur moi,m'aplatissant comme une crêpe.

— Joli coup, lâcha-t-il, même pas essoufflé.Tu as vraiment amélioré ta situation.

Et pour bien enfoncer le clou, ilm'emprisonna les bras de ses jambespuissantes, puis les chevilles de ses mains.

J'eus beau me tortiller en tous sens aprèsavoir retrouvé mon souffle, je ne pouvais pasfaire grand-chose à plat ventre sur le tapis, braset jambes immobilisés. Je pouvais encorebouger la tête (Keane m'avait appris à l'utilisercomme une arme), mais il était hors de portée,et cela ne me servait donc à rien. J'avais bel etbien perdu ce round.

bien perdu ce round.— Tu peux me lâcher, grommelai-je. J'ai

compris la leçon.— Peut-être bien que je préfère attendre un

peu.Il avait l'air de beaucoup s'amuser. Ravie

qu'il prenne autant de bon temps à mesdépens.

Je laissai échapper un grognement sourd defrustration. Quelle idée d'espérer de l'aide d'untrou du cul pareil ? Ou quoi que ce soit,d'ailleurs. Pourtant, je ne voyais personned'autre susceptible de m'aider à me rendre à lafête de Kimber sans la permission de mon père.

Il me vint à l'esprit que, dans cette position,Keane devait avoir une vue rapprochée de monpostérieur. Je me tordis le cou pour vérifier, eten effet...

Je rougis malgré moi. Je vous accorde qu'iln'y avait pas grand-chose à voir : mes gènes defaë me conféraient une silhouette à peine plusféminine que celle d'un jeune garçon, maisc'était tout de même embarrassant. Pire, jecroisai son regard en me retournant, et il mesourit. Ce sourire ne me plut pas davantageque sa mauvaise humeur ou ses petits airssuffisants.

J'aurais voulu trouver quelque chose despirituel et de bien senti à balancer pour leremettre à sa place et lui faire ravaler ce

remettre à sa place et lui faire ravaler cesourire stupide. Mais tout ce qui me venait àl'esprit ne ferait qu'envenimer les choses. Jeme mordis les lèvres et fermai les yeux, décidéeà l'avoir à l'usure. J'en profiterais pourrécupérer, et quand il aurait fini de mereluquer les fesses, j'aurais un peu plusd'énergie à lui opposer.

Je suppose qu'il avait retrouvé ses talentstélépathiques, car il me relâcha et se laissarouler sur le côté à la seconde où mes musclesse détendirent. Et merde. Adieu le répitescompté. Avec un soupir de résignation, jem'obligeai à me relever une fois encore.

Nous poursuivîmes environ une demi-heurel'entraînement. Si l'on pouvait toutefois parlerd'« entraînement » quand l'exercice consistait àme faire cogner sans relâche. A la fin de notreséance, j'étais prête à lâcher l'affaire pour debon et à laisser le combat rapproché à ceuxdont c'était le métier. Qu'est-ce que je m'étaisimaginé, de toute façon ? Buffy la tueuse devampires maîtrisait peut-être l'art de distribuerdes baffes à l'âge de seize ans, mais ce n'étaitpas mon cas.

— Ne fais pas cette tête, me dit Keane enroulant les tapis.

J'aurais sans doute dû l'aider, mais j'étaistrop épuisée, et puis oui, je faisais la tête.

trop épuisée, et puis oui, je faisais la tête.— Tu te débrouilles très bien.Manifestement, nous n'avions pas la même

notion de ce que « très bien » voulait dire. Jem'affalai lourdement sur le canapé, quitte àescalader la table basse pour y accéder. Jeremettrais les meubles en place plus tard.

— Je suis sérieux, Dana, insista Keane en serelevant après avoir poussé les matelas dans uncoin.

Il déplaça la table basse et vint s'asseoir àcôté de moi sur le canapé.

Un peu trop près à mon goût, alors jem'écartais pour lui faire de la place. En tantque faë, il était hyper canon de naissance. Jen'arrivais pas à décider si son look pseudo-gothique de bad boy était un plus ou un moins.Je dis « pseudo-gothique » parce qu'il n'avaitpas le vrai bon look gothique. Il teignait sescheveux en noir corbeau, il avait l'oreillegauche percée d'innombrables anneaux, étaittoujours vêtu entièrement de noir et sepeignait parfois aussi les ongles en noir. Maismême avec tout ça, il dégageait bizarrementune impression de... propre sur lui. Si les JonasBrothers décidaient d'adopter le look gothique,c'est à ça qu'ils ressembleraient.

J'appréciais l'emballage malgré moi, maisl'individu à l'intérieur me tapait sur les nerfs

l'individu à l'intérieur me tapait sur les nerfsmême dans les meilleurs jours.

— Tu prends vraiment ton pied à m'humilier,pas vrai ? lui demandai-je, regrettant aussitôtde ne pas savoir fermer ma gueule.

J'aurais pu faire au moins l'effort de ne paslui montrer à quel point il m'exaspérait.

Je ne le regardais pas, mais l'entendishausser les épaules.

— Tu as besoin d'une motivationsupplémentaire pour donner tout ce que tu as,même à l'entraînement. Si tu étais un mec, jecognerais beaucoup plus fort. Tu préfères ça ?

Je me retournai pour lui lancer un regardnoir.

— Je t'ai déjà dit que tu étais un trou du culfini ?

Il éclata de rire.— Une ou deux fois, je crois, oui.Son sourire disparut et ses yeux émeraude

redevinrent sérieux.— Je pensais ce que j'ai dit. Tu te débrouilles

très bien. J'ai appris à me battre pratiquementdès que j'ai su marcher. Tu ne peux pas espérerprendre le dessus. Et si tu le pouvais, çavoudrait dire qu'il te faut un autre professeur.

Chaque fois que je me persuadais demépriser Keane pour de bon, il sortait un deces éclairs inespérés d'humanité qui mefaisaient dire qu'il n'était peut-être pas un si

faisaient dire qu'il n'était peut-être pas un simauvais bougre, après tout. Et je devais bienavouer que ça me plaisait qu'il ne me traite pascomme une cinglée ou une petite chose fragileparce que j'étais la seule et unique Passemondevenue au monde au cours du dernier siècle. Etil n'avait pas non plus l'intention dem'instrumentaliser pour les besoins de sastratégie politique. Ce qui faisait de luiquelqu'un de relativement facile à gérer, etc'était pour cette raison que j'avais décidé - enthéorie du moins - de lui demander son aide.

Je respirai un grand coup pour me donner ducourage, puis me tournai vers lui sur le canapé.

— J'ai un service à te demander, me lançai-jetout de go avant de me dégonfler.

Il eut l'air surpris, puis haussa les sourcils.— Tu as réussi à me prendre de court, pour

une fois.Je lui donnai une tape sur l'épaule du dos de

la main.J'eus de la chance qu'il ne la considère pas

comme une attaque et ne se jette pas sur moi.— Arrête ça. Si tu continues à jouer au con,

je ne te dirai pas de quoi il s'agit.— Et ce serait vraiment si terrible ?— Laisse tomber.Je poussai un grognement de frustration et

fis mine de me lever. Keane me prit par le braspour m'en empêcher.

pour m'en empêcher.— Je blague, dit-il, en me resservant son

sourire imbécile.Je levai le menton d'un air obstiné, mais me

rassis tout de même sur le canapé.— Je commence à en avoir plus qu'assez de

tes blagues. Ce n'est pas drôle.— Moi, je trouve ça poilant. C'est juste que

tu n'as pas beaucoup d'humour.— Tous ces gens qui veulent me tuer ne me

donnent pas vraiment envie de me rouler parterre, non. Quelle surprise !

L'expression du visage de Keane se durcit, lalueur d'amusement avait quitté ses yeux.

— Le danger sera toujours là, dit-il. Tu doisapprendre à vivre avec.

Je levai les yeux au ciel. Keane n'avait quedeux ans de plus que moi, ce qui ne luiconférait aucun droit à me donner des leçons.Même s'il avait raison. Le cours de ma vieavait changé pour toujours dès l'instant oùj'avais mis les pieds en Avalon. Et j'étais encoreen train de tenter d'en assimiler l'énormité desconséquences.

Je ravalai un commentaire acerbe, songeantque j'avais intérêt à éviter les disputes si jevoulais avoir une chance de demander de l'aideà Keane. Je ne pouvais m'empêcher derepenser à la déception dans la voix de Kimber

repenser à la déception dans la voix de Kimberquand je lui avais annoncé que mon père nem'autorisait pas à assister à sa fête. Elle avaitfait de son mieux pour le dissimuler, et jesavais qu'elle comprenait, mais...

— Disons que j'ai besoin de ton aide pourcontinuer à vivre malgré ma situation, dis-jeen espérant que Keane verrait les choses sousle même angle.

— Bon. Et si tu me disais de quoi il s'agit ?Je serrai mes mains sur mes genoux, et les

contemplai longuement. Si Keane décidait deparler à quelqu'un de cette conversation,j'aurais de gros, de très gros problèmes. Pas lesproblèmes de vie et de mort avec lesquels jedevais apprendre à composer, mais desproblèmes du genre « mes parents vont metuer » que j'avais naguère considérés comme lefin du fin de la normalité.

— Tu sais que Kimber Leigh est mon amie,n'est-ce pas ? lui demandai-je.

D'après ce que je savais, Keane n'avait jamaisété en contact avec Kimber ni son frère Ethan,mais j'étais sûre et certaine qu'il connaissaitleur existence.

— Ton amie de la cour des Ténèbres, dit-il,prouvant que je ne m'étais pas trompée.

J'acquiesçai.— Elle donne une fête vendredi pour ses dix-

sept ans.

sept ans.Keane sourit.— Et, laisse-moi deviner : ton père ne veut

pas que tu y ailles.Je me renfrognai.— Non. Il dit que c'est une menace trop

grande pour ma sécurité maintenant que laChasse Infernale est en ville.

Je croisai les bras sur ma poitrine et merenfonçai dans mon siège. J'en voulaistoujours à mon père. Je ne me souvenaismême pas de la dernière fois que j'avais eu uneamie assez proche pour qu'elle m'invite à sasoirée d'anniversaire. L'envie d'y aller était siforte que j'en sentais le goût dans ma bouche.

Keane fronça les sourcils.— Elle se passe où, cette fête ?— Dans une boîte qui s'appelle L'Abysse,

dans les souterrains.Kimber m'avait expliqué que son père avait

privatisé le club pour la soirée. Il avait en effetcontraint Kimber à inviter tous les rejetons deses partisans politiques potentiels, ce quirendait ma présence d'autant plus importantepour elle. Kimber méritait d'avoir au moinsune véritable amie à sa soirée.

Keane secoua la tête.— Je ne vois pas en quoi ce serait plus

risqué que tout ce que tu fais d'autre quand tu

quittes ta forteresse. Il te fait déjà accompagnerd'un second garde du corps quand tu sors,non ?

Je hochai la tête. Chaque fois que je voulaisaller quelque part ces derniers temps, il fallaitsortir le grand jeu. J'avais une escorteimpressionnante. Juste au cas où il resteraitencore quelqu'un en Avalon pour s'imaginerque je n'étais qu'une fille ordinaire.

— Je crois que le danger sert d'excuse à monpère, dis-je. Il pense que ma présence àl'anniversaire de Kimber serait interprétéecomme un acte politique, comme si je prenaisparti pour Alistair.

Keane haussa les épaules.— C'est la soirée de Kimber, pas d'Alistair.— Exactement ! Mais mon père a mis son

veto.— Et quel est ce service que tu veux me

demander ?L'éclat malicieux dans ses yeux me dit qu'il

avait déjà compris ce que j'attendais de lui.— Je ne sais pas pourquoi, mais mon petit

doigt me dit que tu es le genre de garçon qui asouvent fait le mur...

Je ne m'étais pas trompée sur les talents de

Keane pour filer en douce. Même si je ne suispas certaine que « filer en douce » soit le termeapproprié pour qualifier le plan que nous avonsfinalement élaboré.

Finn aurait forcément trouvé bizarre queKeane vienne m'entraîner un vendredi soir.Nos séances avaient généralement lieu lematin, car Keane insistait pour que jecombatte à jeun. La seule et unique fois oùj'avais réussi à subtiliser un petit déjeuneravant de commencer, j'avais compris trèsprécisément pourquoi il préférait l'optionestomac vide. Et laissez-moi vous dire que cemalheureux beignet n'avait pas si bon goût auretour.

Dans l'espoir que Finn ne se pose pas trop dequestions, nous l'avions donc informé que sonfils viendrait m'entraîner pour me distraire etm'empêcher de penser à cette soirée que j'étaisen train de rater. J'étais sûre et certaine qu'ilne goberait jamais un truc pareil, mais Finnétait moins soupçonneux que moi.

était moins soupçonneux que moi.Fidèle à lui-même dans le genre agaçant,

Keane avait refusé de me dire en quoiconsistait notre plan d'évasion. Il m'avaitseulement conseillé de ranger mes vêtementsde soirée dans un sac et de me tenir prête àtout moment.

Nous travaillâmes dans la salle de garde cettefois-ci, juste sous le nez de Finn. Keane avaitprétexté vouloir l'avis de son père pour corrigerles mauvaises positions qu'il ne pouvait pasrepérer dans le feu de l'action.

Finn s'avéra d'excellent conseil, mais plusnos combats duraient, plus j'avais l'impressiond'être le dindon de la farce dans cette affaire.Keane n'avait jamais eu l'intention de m'aider,il l'avait seulement prétendu pour m'empêcherde m'enfuir. Mes muscles me faisaient mal,j'étais en nage et physiquement épuisée - et mapatience déjà restreinte avait atteint seslimites -, lorsque Keane me mit au tapis d'unjeté spectaculaire particulièrement renversant,avant de plonger sur moi, la bouche toutcontre mon oreille.

— Tiens-toi prête à y aller d'une seconde àl'autre, murmura-t-il avant de se relever d'unbond en me gratifiant d'un de ses petitssourires suffisants.

Je ne voyais pas pourquoi et m'apprêtais à

Je ne voyais pas pourquoi et m'apprêtais àlui dire le fond de ma pensée quand je comprisfinalement ses intentions.

Ma petite forteresse souterraine possèdedeux pipi-rooms, dans ma chambre, et dans lasalle de garde. Même les faës doivent satisfaireaux besoins de la nature. Du coin de l'œil, je visFinn se diriger vers les toilettes et compris quec'était la fenêtre de lancement que Keaneattendait.

À peine Finn se fut-il enfermé que je filaidans ma chambre chercher mon sac à dos, quej'avais posé près de la porte. Ma robe de soiréeétait soigneusement pliée à l'intérieur, etj'espérais qu'elle ne serait pas trop froissée.J'enfilai les bretelles de mon sac et revins encourant dans la salle de garde, où je trouvaiKeane en train de coincer sans bruit unechaise sous la poignée de la porte des toilettes.

Je m'étais attendue à un stratagème faisantappel à la magie des faës, et pas au coup hyperclassique dé la poignée bloquée par une chaise.Quelque part, j'étais un peu déçue que ce soitsi facile.

— Dépêche-toi, siffla Keane en ouvrant laporte extérieure. Ça ne le retiendra paslongtemps.

Mue par une poussée d'adrénaline due àl'excitation tout autant qu'à la peur, je le suivis

l'excitation tout autant qu'à la peur, je le suivisdans l'immense labyrinthe des souterrainsd'Avalon. Nous nous engageâmes au pas decourse dans la première galerie, Keaneéclairant le chemin avec une lampe torche. Jecroisais les doigts pour qu'il sache ce qu'ilfaisait. Je m'étais déjà perdue une fois dans cessouterrains, et ça n'avait rien de drôle.

Nous bifurquâmes à la première intersection.J'entendis un son étouffé par la distance quipouvait être le tambourinement des poings deFinn contre la porte des toilettes, et un frissonglacé me parcourut l'échine. Jamais je n'avaisvu Finn en colère jusqu'ici, mais j'avais dansl'idée que ce ne serait plus le cas à la fin de lasoirée. Le plus tard serait le mieux.

Nous prîmes encore deux ou trois virages, etje commençai à ralentir l'allure, à court decarburant. Keane me tira par le bras pour quej'accélère.

— Ne t'arrête pas, me pressa-t-il. Si mon pèredevine où nous allons et qu'il suit notre piste,il nous rattrapera en un rien de temps.

Je manquais de souffle pour discuter, aussime contentai-je d'obliger mes jambes à semouvoir plus vite. Le martèlement de notrecourse me paraissait extrêmement bruyant,mais je savais que les parois des galeriescreusées dans la roche renvoyaient toutes untel écho qu'il était impossible de savoir d'où

tel écho qu'il était impossible de savoir d'oùprovenait un son.

Mon bunker est situé au cœur de lamontagne, loin des sentiers battus - plus facileà défendre, naturellement. Je ne savais pastrop d'où nous venaient l'électricité et l'eaucourante à cette profondeur, les souterrainseux-mêmes n'étant pas éclairés, mais je n'avaisjamais pris la peine de poser la question. J'étaissans doute parfaitement protégée, mais çafaisait aussi une sacrée trotte jusqu'à lasurface.L'Abysse en était assez proche, dans un

quartier marchand habituellement bondé levendredi soir. Mais l'arrivée de la ChasseInfernale avait incité un certain nombre degens à se barricader chez eux. Il régnait sur laville une atmosphère lugubre, et les bulletinsd'informations relayaient le départ de touristesécourtant leur séjour pour se réfugier dans larelative sécurité de l'Angleterre.

Keane et moi cessâmes de courir pouradopter une allure moins suspecte dès quenous posâmes le pied dans le premiersouterrain éclairé. Comme toujours, Keanesemblait frais et dispos, prêt à disputer un centmètres, alors que j'étais essoufflée et trempéede sueur, les muscles endoloris par l’effort queje venais de fournir. J'espérais que Kimber

je venais de fournir. J'espérais que Kimberapprécierait à sa juste valeur ce que j'avais dûfaire pour être là ce soir.

Nous fîmes une courte halte dans un salonde thé, où je filai aux toilettes mettre ma robede soirée, et me rafraîchir un peu. C'était lapremière fois que j'entendais parler d'une fêted'ado en tenue de soirée, mais Kimber n'avaitpas voulu en démordre : c'était sonanniversaire et c'était elle qui décidait (si l'onfaisait abstraction du fait que son père avaitparasité l'événement en invitant des tas degens qu'elle ne connaissait même pas.)

Je portais la robe que j'avais achetée avecKimber. C'était une pièce superbe en soie d'unbleu profond qui faisait ressortir celui de mesyeux, et je me sentis instantanément plusfemme et plus sophistiquée dès que je l'eusenfilée. Le décolleté était assez profond pourmettre en valeur les rondeurs féminines. Surma poitrine plate, on aurait dit que je prenaismes désirs pour la réalité.

Je complétai ma tenue par des pendantsd'oreilles et des mules compensées cloutées defaux diamants. Je m'étais laissé persuader parKimber de porter une robe pour son petitraout, mais pour les talons, pas question !

En sortant des toilettes, je me sentisbizarrement gauche et empruntée. Keane ne

bizarrement gauche et empruntée. Keane nem'avait jamais vue autrement qu'en tenued'entraînement, et même si je n'aurais jamaisimaginé me soucier un jour de son opinion, jeretins pourtant mon souffle quand il sedétourna des feuilles de thé qu'il était en trainde renifler pour me regarder.

Ses yeux s'écarquillèrent légèrement, tandisqu'il me détaillait de la tête aux pieds. Il inclinala tête.

— Jolie transformation.Je me souvins de respirer et résistai à l'envie

d'essuyer mes mains moites sur ma belle robede soie. Je compris qu'il ne fallait pasm'attendre à d'autres compliments de la part deKeane. Je fus pourtant désagréablementsurprise de découvrir que ça ne me suffisaitpas. J'étais en manque d'approbation à undegré pitoyable.

— Ce qui n'est pas le cas de tout le monde,marmonnai-je, et il éclata de rire.

Il n'avait même pas pris la peine de sechanger et portait toujours sa tenue de combatmais, vu qu'il n'avait pas eu à suer sang et eaupour me tabasser, il était présentable.

OK, il était plus que présentable. Ses yeuxvert émeraude restaient à couper le soufflequelle que soit sa tenue, surtout avec cetaccroche-cœur noir corbeau qui rebiquait surson sourcil. Sans parler de son corps musclé,

son sourcil. Sans parler de son corps musclé,qu'il aimait mettre en valeur dans des jeansmoulants et des tee-shirts minuscules. Jedoutais vraiment beaucoup que Kimber lui enveuille de ne pas avoir fait un effortvestimentaire.

Keane m'offrit son bras.— Prête ?Je haussai les sourcils. Quoi, il allait me

servir de cavalier ou de chaperon comme à unmariage ? Son geste était étrangementsuranné, surtout de la part d'un bad boyautoproclamé comme Keane.

Je glissai ma main dans le creux de soncoude sans l'avoir consciemment décidé. Lefeu me monta aux joues tandis qu'ilm'escortait dans l'escalier de L'Abysse. Malgréles craintes de mon père quant au risquesécuritaire que me faisait courir cette fête,deux videurs nous interceptèrent pour nousdemander nos invitations avant même quenous ayons atteint l'entrée du club. J'avaisheureusement la mienne mais, même aprèsl'avoir présentée (« pour Dana Hathaway,valable pour deux personnes »), les videursrefusèrent de nous laisser passer au motif quenous n'étions pas sur « la liste ».

Je poussai un grognement de frustration. Jesuppose que Kimber avait rayé mon nom de la

suppose que Kimber avait rayé mon nom de lafameuse « liste » quand je l'avais prévenue queje ne viendrais pas. Dieu merci, les videursn'étaient pas des abrutis complets. L'un d'euxresta avec nous dans le couloir, pendant quel'autre se faufilait à l'intérieur, mon invitationà la main, pour se renseigner auprès de Kimber.

Je me mâchouillai nerveusement les lèvresen attendant. Il était impossible que Finn n'aitpas compris où nous étions allés, ce qui voulaitdire qu'il ne serait pas long à se pointer à sontour. Si nous étions à l'intérieur, il pouvait êtreretenu un bon moment par les videurs, etdevrait ensuite nous retrouver avant depouvoir nous ramener. Mais si on restaitplantés là dans le couloir...

— Tu vas avoir des problèmes avec ton pèreà cause de ça ? demandai-je à Keane enm'efforçant de ne pas trépigner d'impatience.

— Je suis un adulte, déclara-t-il avec unpetit sourire insolent. Il ne peut plusm'envoyer dans ma chambre et me priver dedîner.

Il marquait un point, du moinstechniquement. Je n'étais jamais allée chez lui,mais je savais que Keane avait son proprelogement et subvenait à ses besoins grâce à sescours d'autodéfense. Malgré cela, et en dépit deses tentatives pour se faire respecter en tant

ses tentatives pour se faire respecter en tantque professeur, je le considérais plus volontierscomme un adolescent que comme un adulte.

Alors que je commençais à me dire que noschances d'entrer avant l'arrivée de Finn étaientréduites à néant, la porte du club s'ouvrit à lavolée et Kimber dévala le couloir en sautillantjoyeusement.

— Dana ! s'écria-t-elle, le visage rayonnant deplaisir. Je suis si contente que tu aies puvenir !

Elle me prit par surprise en se jetant sur moipour me serrer contre elle avec effusion. Si lesfaës sont réputés pour leur réserve, Kimber nese souciait visiblement pas de se conformeraux clichés. Je n'étais pas moi-même des plusdémonstratives, mais je répondis à sonétreinte.

— Quelle bonne surprise, dit-elle en sedégageant. Je croyais que tu étais privée desortie.

Je baissai le ton, craignant que les videursne me refoulent s'ils m'entendaient.

— Ben, on a plus ou moins fait le mur.Kimber cligna les yeux, et parut remarquer

Keane pour la première fois.— Oh !Elle était très expressive, et je vis tout de

suite qu'elle appréciait ce qu'elle voyait.— Tu dois être Keane, dit-elle. Dana m'a

— Tu dois être Keane, dit-elle. Dana m'abeaucoup parlé de toi.

Ses yeux brillèrent de malice quand je lafusillai du regard. Chaque fois ou presque queje lui avais parlé de Keane, c'était pour meplaindre de lui et de ses méthodesd'entraînement ô combien déplaisantes - pourne pas dire carrément pénibles. J'étais sansdoute rouge comme une pivoine, mais lecouloir était faiblement éclairé et j'espérais quepersonne ne s'en apercevrait.

— Bon, si on entrait ? proposai-je. Avant queFinn nous ait retrouvés ?

— Bien sûr ! Venez, suivez-moi.Je notai plusieurs choses en entrant dans le

club à la suite de Kimber. Un, la musique étaittellement forte que j'avais l'impression quemes tympans allaient exploser. Deux, il y avaitun monde fou, dont seuls un petit nombred'entre eux paraissaient être des adolescents.Trois, ça sentait la rose à plein nez.

Pour les faës, la rose rouge est le signe del'affiliation à la cour des Ténèbres, et la roseblanche à la cour des Lumières. Cette soiréeétait apparemment mixte, car on trouvait desroses rouges et blanches absolument partout.D'énormes centres de table. Des guirlandes. Desrosiers en pot alignés le long des murs, et deschapelets de roses qui tombaient du plafond.

chapelets de roses qui tombaient du plafond.Je lançai un regard interrogateur à Kimber,

qui haussa les épaules d'un air malheureux.— Devine qui a choisi la déco ? hurla-t-elle

pour se faire entendre par-dessus la musique.Inutile de demander. Ça me rendait dingue

qu'Alistair pourrisse la fête de sa fille en faisantde sa soirée un événement politique. Et jecompris que mon père avait raison de penserque ma présence aurait des répercussions sursa propre campagne.

Bon Dieu que je détestais la politique ! Je nevoulais rien avoir à faire de près ou de loinavec toutes ces magouilles dans la course auConsulat mais, en tant que fille de l'un descandidats, j'étais au cœur des choses, que je leveuille ou non.

— Venez, cria Kimber en me prenant par lamain pour me guider dans la foule. Allons vouschercher un verre.

Je me retournai pour m'assurer que Keanesuivait. Il était bien là, mais l'expression de sonvisage indiquait clairement que cette fêten'était pas à son goût. Il arborait une mouepresque moqueuse, et je compris pourquoi enregardant les invités autour de moi.

Presque tout le monde était en tenue desoirée, et l'on voyait d'un seul coup d'œil quec'était une fête de la haute. Il y avait beaucouptrop d'adultes pour ce genre de soirée, et la

trop d'adultes pour ce genre de soirée, et laplupart se pavanaient avec cette arroganceobscène des nantis. Les adolescents avaientl'air tout aussi dédaigneux que leurs aînés,comme s'ils sortaient tous d'un pensionnatanglais. Je savais qu'Ethan et Kimberappartenaient à une famille aisée mais, à ladifférence de ces gens, ils n'envoyaient pas demessage subliminal sur le mode « je suis tropbien pour vous ».

Keane n'était définitivement pas de leurmonde. Bien que les Chevaliers fissent partiedes sidhes - l'aristocratie faë -, les autres noblesles traitaient comme de glorieux serviteurs, etj'imagine qu'il en allait de même envers les filsde Chevaliers tels que Keane. Les sidhes, enparticulier ceux qui étaient nés dans la Faëry,considéraient toujours comme parfaitementacceptable la division de la société en races etclasses sociales. Je ne fus donc pas surprisequ'il ne se sente pas à sa place.

Et pour tout dire, je ne me sentais pas plus àl'aise que lui. Je ne pus m'empêcher deconstater que personne n'arrêta Kimber tandisque nous progressions vers le bar, et je medemandai combien de gens savaient - et sesouciaient - que c'était son anniversaire cesoir.

J'avais appris de mon père que l'âge légal

J'avais appris de mon père que l'âge légalpour boire de l'alcool en Avalon était de dix-huit ans, mais que la loi était rarementobservée. Le bar de L'Abysse en était la preuveéclatante. Une fille assise au bout du comptoir,et qui ne devait pas avoir plus de treize ouquatorze ans, s'enfilait une bière sous le nez dubarman.

— C'est un open bar, dit Kimber. Vouspouvez demander tout ce que vous voulez.

Elle-même se commanda un martini - lebarman ne cilla pas - et Keane une bière, maispour ma part j'en restai à un bon vieux Coca.

Vivre avec une mère alcoolique privaitl'alcool de beaucoup de ses charmes. Kimberétait la seule personne à qui j'avais jamais parléde ce que j'appelais mon secret honteux, et jepense qu'elle comprenait intuitivementpourquoi je ne buvais pas. Ce fut une autrehistoire avec Keane.

— Un Coca ? s’étonna-t-il, incrédule. Tu essérieuse ?

Je rougis de nouveau, mais il faisaitbeaucoup trop sombre pour que quiconque s'enaperçoive. D'un côté, je ne voulais pas passerpour un bébé. D'un autre côté, je n'étais pas unmouton. Ce n'est pas parce que tout le mondeautour de moi se mettait la tête à l'envers queje devais les imiter.

je devais les imiter.— Ça te dérange ? rétorquai-je en lui lançant

un regard noir.Je pratiquais souvent les regards noirs

quand Keane était dans les parages.— Fiche-lui la paix, dit Kimber en prenant

ma défense, à ma grande surprise. Elle a bien ledroit de boire ce qu'elle veut.

Le barman posa devant moi un verre plein deglaçons arrosés d'un trait de Coca. Je le pris eten bus une gorgée, comme si Keane n'était paslà.

— Super soirée, hurla Keane, et même à ceniveau de décibels je perçus le sarcasme danssa voix. Tu es sûre que ça ne les gêne pas derespirer le même air qu'un humble roturier telque moi ?

Je lui cognai l'épaule du dos de la main ensongeant que j'aurais été mieux inspirée defaire le mur toute seule comme une grande.J'aurais très bien pu me débrouiller pourbloquer la poignée avec une chaise.Évidemment, j'aurais dû me rendre à la soiréepar mes propres moyens, ce qui aurait été unetrès mauvaise idée parce que, a) avec mon sensde l'orientation pourri, je me serais perdue encinq minutes chrono, et b) eh bien, il y avaitquand même des gens qui voulaient me tuer.Keane n'était peut-être pas un garde du corpsprofessionnel comme Finn, mais je savais par

professionnel comme Finn, mais je savais parexpérience qu'il se battait bien et lui faisaisconfiance pour assurer ma protection. J'enétais venue à la conclusion que faire le muravec lui était peut-être la preuve que j'étaisirresponsable, mais quand même moinsirrécupérable que si je m'étais lancée danscette entreprise toute seule.

— Tu ne pourrais pas juste essayer de ne paste conduire comme un crétin pendant un petitquart d'heure ? le charriai-je tandis qu'ildescendait sa bière au goulot.

— C'est bon, Dana, dit Kimber en souriant.N'oublie pas que tu m'avais prévenue. Je nem'attendais pas à ce qu'il ait des manières degentleman.

Son sourire se mua en une moue narquoise,qui n'était pas sans rappeler la secondeexpression favorite de Keane.

— Waouh ! Tu sais casser les mecs, toi, dit-il.Je crois qu'il voulait avoir l'air blasé, mais ce

n'est pas évident quand on doit crier pour sefaire entendre. Les yeux de Kimberétincelèrent.

— C'est une de mes qualités, en effet, maislà, j'essaie d'être une charmante hôtesse.

Keane la déshabilla ostensiblement duregard. Elle était absolument fabuleuse dans sarobe de cocktail rouge moulante et ses sandales

robe de cocktail rouge moulante et ses sandalesà talons. Même s'il en faisait un jeudélibérément grossier, je ne pus m'empêcher devoir la lueur d'appréciation masculine dans lesyeux de Keane. J'en ressentis une pointe dejalousie. Il m'avait gratifiée d'un regardapprobateur en me découvrant dans ma robe desoirée, mais rien de comparable à la façon dontil contemplait Kimber.

J'étais complètement débile. Keane étaitcertainement canon, et il pouvait se montrersympa à l'occasion, mais il ne m'intéressaitpas, pas de cette façon. Et puis, Kimber étaitelfique à cent pour cent, et donc forcémentplus jolie que moi. Je n'avais aucune raisond'être jalouse.

— Tu as tous les charmes que l'argent peutprocurer, dit Keane à Kimber. Je parie que tarobe coûte davantage que ce que je gagne enune année.

J'ouvris la bouche pour lui dire de la fermeren espérant que Kimber me pardonneraitd'avoir amené ce trou du cul à sa fête, mais elleaussi s'y entend pour jouer les pétasses quandelle l'estime nécessaire. Et manifestement, ellepensait que ça valait le coup.

— Es-tu en train de me traiter de snob ?demanda-t-elle en haussant un sourcil.

Il lui lança un regard affirmatif qui ne parutpas la décontenancer le moins du monde.

pas la décontenancer le moins du monde.— L'un de nous joue les bêcheurs en ce

moment, et ce n'est pas moi.Je marchai « accidentellement » sur le pied

de Keane avant qu'il puisse dégoupiller uneautre grenade verbale.

— Reste donc au bar avec ton air distant etsupérieur, lui dis-je. Kimber et moi, on va auxtoilettes des filles.

C'était le seul endroit qui m'était venu àl'esprit où Keane et son comportement débilene pourraient pas nous suivre.

— On revient tout de suite. On y va,Kimber ?

Elle éclata de rire et termina son martini culsec.

— C'est parti ! Je te suis.Keane fit mine de protester, mais je me

détournai avant de lui en laisser l'occasion.Kimber prit la tête de notre expédition au boutde quelques mètres, car je n'avais pas lamoindre idée d'où se trouvaient les toilettes.La combinaison de la musique, de l'obscuritéet du parfum entêtant des roses me donnait lamigraine. J'aurais sans doute mieux fait derester chez moi, finalement.

La foule était compacte et j'étais bousculée àchaque pas ou presque. La plupart des convivesétaient des faës, ce qui voulait dire que

étaient des faës, ce qui voulait dire quepratiquement tout le monde était plus grandque moi et que je ne voyais rien d'autre que lepremier cercle des gens autour de moi. Tousces corps . irradiaient de la chaleur, surtout lesfaës dont la température corporelle est plusélevée que celle des humains, et je transpirais ànouveau à grosses gouttes, les cheveux colléssur la nuque. Je n'osai pas regarder si ma robede soie avait des auréoles, parce que j'avaisl'impression de connaître la réponse.

Kimber et moi parvînmes finalement àfendre la foule et à nous glisser dans lestoilettes des dames. J'allais pousser un soupirde soulagement, quand je me rendis compteque nous n'étions pas mieux loties. Les lieuxétaient presque aussi bondés que le reste duclub, et malgré la déco à base de roses commepartout ailleurs, ce n'est pas leur parfum quime frappa les narines. L'air était tellementimprégné de fumée qu'on aurait pu le couperau couteau.

Kimber émit un petit gémissement dedésarroi et s'adossa au mur en fermant lesyeux.

— Ce n'est pas exactement le genre de soiréeque j'avais en tête, murmura-t-elle, et je savaisqu'elle était sincère.

Les gosses de riches sont les mêmes partout- y compris chez les faës - et, bien que Kimber

- y compris chez les faës - et, bien que Kimbersoit assez friquée pour appartenir à cetteclique, ce n'était juste pas son style.

Résistant à l'envie de tousser à cause de lafumée (pas seulement de cigarette), je fis glissermon sac à dos de mon épaule pour en ouvrir lapoche avant.

— J'ai un cadeau pour toi, dis-je à Kimber enespérant lui remonter le moral.

Elle ouvrit de grands yeux et la bouche enmême temps.

— Vraiment ?— Évidemment.L'invitation spécifiait de ne pas apporter de

cadeau, mais je m'étais dit que ça neconcernait que les copains d'Alistair et leurprogéniture, pas les vrais amis de Kimber. Jetirai de mon sac un petit paquet proprementemballé que je lui tendis.

— J'espère que ça te plaira.— Je l'adore déjà, m'assura-t-elle.Elle avait les yeux brillants et sa lèvre

inférieure tremblait dangereusement.— Eh bien, ouvre-le, la pressai-je.Kimber se mordit les lèvres et défit le ruban,

déballant si soigneusement la petite boîtequ'elle aurait pu réutiliser le papier. Ellesouleva le couvercle, et retira le coussinet decoton duveteux pour découvrir son contenu.

coton duveteux pour découvrir son contenu.Quel cadeau offrir à votre meilleure amie faë

que vous ne connaissez que depuis quelquessemaines et qui est assez blindée pours'acheter pratiquement tout ce qu'elle veut ?La question m'avait taraudée pendantplusieurs jours, et j'avais fouiné sur eBay dansl'espoir de trouver un truc qui s'imposerait àmoi.

J'avais finalement jeté mon dévolu sur unpendentif de verre fait à la main. C'était unmagnifique dragon chinois bleu turquoisesuspendu à un cordon de satin noir. La couleurm'avait immédiatement fait penser à celle desyeux de Kimber, et le dragon à sontempérament de feu et à son courage.

Kimber souleva le pendentif, et sa lèvretrembla de nouveau. Cette fois, elle ne putretenir quelques larmes qui coulèrent sur sajoue. J'étais tellement contente de ne pas avoirsuivi les instructions de l'invitation.

— Il est trop beau, dit-elle entre deuxhoquets. Tiens-moi ça.

Elle me fourra la boîte et le papier dans lesmains pour ouvrir le fermoir, et mit lependentif. Elle se regarda ensuite dans lemiroir, en caressant les courbes lisses. Iln'allait pas du tout avec sa robe rouge, maiselle s'en moquait clairement.

Pour la seconde fois de la soirée, elle se jeta

Pour la seconde fois de la soirée, elle se jetadans mes bras et m'étreignit sur son cœur aveceffusion.

— Je te remercie infiniment ! s'exclama-t-elle.

Elle me lâcha pour essuyer ses larmes.— Cette soirée était un vrai cauchemar

avant que tu arrives. Et c'est le plus beaucadeau qu'on m'ait jamais fait.

Ma gorge se serra et les yeux me piquèrent.Probablement à cause de toute cette fumée.

— Joyeux anniversaire.Et devant son sourire radieux, je fus

heureuse d'être venue.

Nous restâmes dans les toilettes des dames

environ cinq minutes à tout casser avant quela fumée nous pousse à regagner la salle. De làoù nous étions, je ne voyais pas le bar, mais jesupposais que Keane nous y attendait toujours.Ça ne me disait trop rien de traverser denouveau la foule mais, tout crétin qu'il était, jetrouvais injuste de le laisser seul dans unendroit où il ne connaissait personne et sesentait visiblement mal à l'aise. Après tout,c'était quand même grâce à lui que j'étais là. Deplus, il était mon garde du corps le temps de lasoirée, et la moindre des choses était de laissermon corps suffisamment proche de lui pourqu'il puisse faire son boulot.

Kimber ouvrit la voie une fois encore, et je lasuivis. J'avais toujours des élancements dansle crâne, et la tête me tournait un peu par-dessus le marché, probablement à cause de lafumée. Je manquai de trébucher sur mespropres pieds, et je marquai une pause pourrespirer quelques bouffées d'air relativementfrais. C'est alors que ma soirée vira à l'aller

frais. C'est alors que ma soirée vira à l'allersimple pour l'enfer.

Les quelques secondes où je m'étais arrêtéeavaient suffi pour que la foule se referme surKimber, que je ne voyais plus. Je me dressaisur la pointe des pieds pour tâcher de larepérer. Une brèche s'ouvrit alors dans la fouleentre l'endroit où je me trouvais et la piste dedanse. Mon regard s'arrêta sur une chevelureblonde familière, à hauteur des épaules, commecelle de Kimber. Sauf que ce n'était pasKimber.

C'était Ethan en pleine action sur la piste dedanse, se déhanchant au rythme de la musique,tandis qu'une faë rousse absolument splendideondulait sensuellement autour de lui. Elleportait une robe de cocktail minuscule, noireet brillante, qui moulait sa silhouette tout encourbes - pour une faë - et il tiraitpratiquement la langue en la regardant. À safaçon de bouger, on aurait dit qu'elle étaitstrip-teaseuse à ses moments perdus, et tousles prétextes lui étaient bons pour se frottercontre le corps d'Ethan. Il la gratifia de ce queje ne peux pas décrire autrement qu'un sourirelubrique avant de la prendre par la taille.

Maintenant, soyons justes, je n'avais cesséde répéter à Ethan qu'on ne sortait pasensemble. Et si nous ne sortions pas ensemble,

ensemble. Et si nous ne sortions pas ensemble,il ne pouvait techniquement pas m'êtreinfidèle, et il avait parfaitement le droit dedanser lascivement avec une autre fille quemoi.

Mais toute la logique du monde ne putapaiser la douleur fulgurante qui me transperçacomme un coup de poignard en découvrantEthan sur la piste de danse avec une autre fille,une faë aussi belle que Kimber, etmanifestement plus proche en âge de lui quemoi. L'oie blanche en moi avait pointé encoreune fois sa vilaine tête. Je m'étais laissée allerà croire qu'Ethan se languissait chastement ense désespérant de pouvoir me conquérir unjour. Quelle pauvre idiote !

Les larmes me montèrent aux yeux commeje me détournai de cette vision de cauchemar,replongeant dans la foule en direction de ceque j'espérais être le bar. J'avais comprisqu'Ethan était un don Juan avant même desavoir exactement pourquoi il avait jeté sondévolu sur moi. Il semblait me trouver à songoût, il se montrait charmant et il étaitfabuleusement sexy, mais même sans avoirl'habitude que les garçons se jettent ainsi àmes pieds, je savais que j'avais tout intérêt àne pas tomber amoureuse d'un type comme lui.Enfin, en théorie.

Enfin, en théorie.Je refoulai farouchement mes larmes,

refusant de lui accorder un tel pouvoir sur moi.Je venais à peine de réussir à endiguer mesémotions - suffisamment au moins pourdonner le change - quand j'arrivai en vue dubar, où m'attendaient d'autres mauvaisesnouvelles.

J'avais parié un peu plus tôt que je devraisaffronter la colère de Finn avant la fin de lasoirée. Je ne m'étais pas trompée, et je m'enserais fort bien passée.

Il avait dû me voir arriver avant que jel'aperçoive, car mon garde du corps dardait surmoi un regard si acéré que je le ressentispresque physiquement. Son visagehabituellement impassible était déformé par larage, et il paraissait dépasser d'une tête tousceux qui l'entouraient, y compris Keane, quifaisait pourtant la même taille que lui.

Finn tenait son fils par le bras, et la grimacede ce dernier laissait entendre qu'il serraitassez fort pour lui faire mal. Keane baissait latête comme un gamin pris la main dans le sac,les yeux fixés sur le plancher. Je n'avais jamaisvu Keane se laisser intimider jusqu'ici, maisj'imagine qu'il faut un début à tout et quec'était la soirée des mauvaises surprises. À côtéd'eux, Kimber était recroquevillée contre le

bar, les yeux écarquillés, et se mordait leslèvres.

Je fus tentée de faire demi-tour et dereplonger dans la foule tant l'expression deFinn me terrifiait. J'aurais préféré, et debeaucoup, qu'il réserve cette tête-là à nosadversaires. Mais je savais que mon escapadene serait pas sans conséquences, et le momentétait venu de les affronter. Je déglutis un boncoup et parcourus les quelques mètres qui meséparaient de mon garde du corps en furie.

Je m'attendais à une grosse engueulade, aumoins un remontage de bretelles en règle. Aulieu de quoi il me lança un dernier regardfoudroyant avant de m'attraper par le bras et denous entraîner, Keane et moi, vers la sortie. Lavision qu'il offrait était suffisammentimpressionnante pour que la foule s'écartecomme par magie devant lui.

Je tournai la tête vers Kimber, songeant queje lui devais au moins un au revoir, mais à lavitesse où avançait Finn je serais sortie duclub avant que les mots puissent franchir meslèvres. Avec un sourire inquiet, elle soulevason pendentif en articulant silencieusement lemot : « Merci ». Malgré l'appréhension quicontinuait de m'étreindre quant à ce quim'attendait, le souvenir de la joie de Kimberm'empêchait d'éprouver le moindre regret. Oh,

m'empêchait d'éprouver le moindre regret. Oh,ça n'allait peut-être pas durer, tout dépendaitde la suite des événements.

Aucun de nous ne desserra les dents sur lechemin du retour jusqu'à ma forteresse. Unerencontre inopinée avec la Chasse Infernaleaurait été la cerise sur le gâteau pour clore unesoirée d'enfer, mais en dépit des craintes demon père que l'Elferoi n'en eût après moi, nousn'en vîmes pas la trace.

Finn ne nous lâcha pas le bras tant que nousnous trouvions dans la partie la plus animéedes souterrains. Je tentai d'ignorer les regardscurieux des passants. Une fois loin de la foule,Finn poussa Keane devant lui pour qu'il ouvrela marche et passa derrière moi. Je meretrouvai prise en sandwich entre le père et lefils pour le reste du trajet. Finn ne disaittoujours rien, et chaque seconde de silence memettait les nerfs un peu plus à vif.

Je m'attendais à une explosion dès que nousaurions regagné la sécurité de la salle de garde,mais Finn avait décidé de me surprendre, cesoir.

— Toi, dit-il en me transperçant d'un regardvert et glacé, tu t'assois.

Il me montra une chaise contre le mur. Iln'avait pas élevé la voix, mais avait employéun ton si dur que c'était tout comme.

un ton si dur que c'était tout comme.Courbant l'échine, je traînai des pieds

jusqu'au siège indiqué et m'y assis du bout desfesses. Je n'avais pas la plus petite idée de cequi allait se passer, mais je savais que ce neserait pas drôle.

Finn tourna ensuite son regard vers Keane.— Tu te crois peut-être assez fort pour

protéger une fille que les reines de Faëry ontcondamnée à mort ?

Il n'avait toujours pas élevé la voix, mais sesparoles tonnaient sourdement.

Une lueur ralluma les yeux de Keane. Ilredressa les épaules, ses lèvres s'incurvèrent, etil soutint le regard de son père. Le Keane que jeconnaissais et que je détestais le plus souventétait de retour.

— Je ne suis peut-être pas un Chevalier,répliqua-t-il, mais je suis parfaitement capablede défendre Dana en cas de besoin.

Je ressentis sur ma peau le picotementcaractéristique de la magie.

— Titania lui a déjà envoyé des Chevaliers,rappela Finn à son fils. Active tes sorts deprotection, et montre-moi ce que tu vauxcontre un Chevalier de la Faëry.

L'assurance de Kean vacilla.Finn serra les poings et gratifia son fils d'un

sourire animal.— Active tes sorts de protection ou ça va

— Active tes sorts de protection ou ça vafaire très mal.

Keane leva les yeux au ciel comme si tout çaétait d'un ridicule achevé, mais je gardais enmémoire son expression quand Finn s'étaitadressé à lui. Malgré toute son arrogance, iln'était pas du tout certain d'être de taillecontre son père. Et je suppose que cette idée lesecouait autant que moi. Je m'étais persuadéeque j'étais en sécurité avec Keane, mais cettecertitude commençait à vaciller.

Keane prit place sur les matelas qui étaientrestés au sol après notre séance de début desoirée, et Finn le rejoignit. D'après le ton deFinn, et le comportement de Keane, je nem'attendais pas à ce que ce dernier sortevainqueur de cet affrontement, mais j'espéraisqu'il serait capable de tenir son rang un certaintemps. J'avais tout faux.

Moi qui trouvais que Keane se servait demoi comme d'une serpillière pendant nosentraînements, je ne savais pas ce que çavoulait dire avant de voir Finn à l'ouvrage. Ilprojeta Keane au sol à tant de reprises qu'onaurait dit qu'il battait un tapis pour en enleverla poussière. Chaque fois que Keane se relevait,ses réflexes étaient un peu moins rapides.J'éprouvais les démangeaisons de la magiequand les deux hommes se bombardaient

quand les deux hommes se bombardaientmutuellement de sorts, et Keane tomba enpanne de carburant bien avant Finn.

Plus le combat durait, plus le visage deKeane s'empourprait, et ce n'était pasuniquement dû à l'effort si vous voulez monavis. Il me lançait des regards furtifs, et jecompris combien cette petite démonstrationen ma présence devait être humiliante pourlui. Bon sang, on s'entraînait justement ausalon parce que je ne voulais pas de témoinsquand Keane me rouait de coups, et je ne suispas un quart aussi arrogante que lui. Deux outrois fois, j'ouvris la bouche pour demander àFinn d'arrêter là, mais la refermai aussitôt,consciente que ça ne ferait qu'empirer leschoses.

Finalement, Keane heurta violemment le solet ne se releva pas. Il resta sur le dos, haletantbruyamment, le visage inondé de sueur, lesyeux plissés par la souffrance. Ses sorts deprotection l'empêchaient de prendre unmauvais coup, mais la douleur était bien là. Etje crois même qu'il manquait de jus pouractiver ses défenses sur la fin, parce que Finnretenait visiblement ses coups.

Finn s'approcha de son fils, les bras croiséssur la poitrine, semblant prêt à continuerencore une bonne demi-heure sans s'essouffler.

encore une bonne demi-heure sans s'essouffler.— Vois tes prouesses contre ton propre père,

qui ne lèverait pourtant jamais le petit doigtsur toi. Imagine que j'aie été un Chevalierhostile envoyé pour te tuer.

Sans même parler de la possibilité de croiserla route de l'Elferoi et de sa Chasse Infernale.Alors, ne viens plus me dire que tu te croiscapable de protéger Dana aussi bien qu'unprofessionnel. ,

Il nous regarda chacun notre tour pours'assurer que nous avions bien reçu le message.Reçu cinq sur cinq.

Finn laissa Keane retrouver son souffleallongé sur le sol et se tourna vers moi.

— Je ne parlerai pas à ton père de ta petiteescapade de ce soir, parce que je crois que tu asla tête sur les épaules et que tu ne prendrasplus de tels risques à l'avenir. Je me trompe ?

Je secouai faiblement la tête. Finn me faisaitune gigantesque faveur en s'abstenant de medénoncer. Si mon père apprenait ce que j'avaisfait, il me consignerait sans doute dans machambre forte jusqu'à la fin de mes jours.

— Merci, articulai-je timidement. Et je suisdésolée.

Finn ne fit pas mine d'accepter mes excuses.J'imagine qu'il était toujours furax.

— Et maintenant, va te coucher, fut tout cequ'il me répondit.

qu'il me répondit.Keane se releva sur les coudes en grognant.

J'avais comme l'impression que Finn n'avaitpas fini de lui faire payer mes bêtises. Si j'avaiscru pouvoir lui être utile, je seraiscertainement restée là et j'aurais fait tout monpossible pour l'aider. Mais je me sentais plusque minable, et c'est la tête basse que je lelaissai seul avec son père et me réfugiai dansma chambre.

Je me réveillai le samedi matin aussi abattue

que la veille au soir quand je m'étais mise au liten me cachant la tête sous les draps. C'étaitKeane qui avait tout pris pour moi hier soir, etje me sentais mal. Ce n'était pas tant à causede la douleur que Finn lui avait infligée. Vu laprofession qu'il exerçait, il devait y avoir unetolérance relativement élevée de toute façon.Mais je savais que sa fierté en avait pris uncoup, et je le connaissais suffisamment pourdeviner que la blessure était profonde.

Je ne peux pas dire que je regrettais d'êtreallée à cette fête, en dépit de ma mauvaiseconscience. Quand je m'y essayais, mon espritme renvoyait l'image du visage rayonnant deKimber lorsqu'elle avait ouvert mon cadeau, etje savais que ça en valait la peine. (Du moinsen ce qui me concernait. Keane était sansdoute d'un autre avis.)

Habituellement, en me levant le matin, je mepréparais du café et je faisais du thé pour Finn- qui semblait se contenter de trois ou quatre

- qui semblait se contenter de trois ou quatreheures de sommeil par nuit et était toujoursréveillé bien avant moi. Il disposait de sapropre kitchenette - encore plus minuscule quela mienne -dans la salle de garde, mais ilsemblait apprécier le geste.

Une partie de moi avait envie de zapper cerituel ce matin. Je n'avais aucun désird'affronter Finn après hier soir. Était-iltoujours furieux après moi ? Me sentirais-jecoupable chaque fois qu'il me regarderait ?

Au bout du compte, je décidai que ce seraitencore pire de rester bouder dans ma suite. Jepréparai donc thé et café, respirai un grandcoup et m'aventurai dans la salle de garde.

À mon grand soulagement, Finn se conduisitcomme s'il ne s'était rien passé. Le regard qu'ilposa sur moi -était dépourvu de colère ou dereproches, et je n'eus droit à aucun sermonpaternaliste. Je vous ai déjà dit qu'il n'était pasdu genre causant.

— J'ai besoin d'aller faire des courses, luiannonçai-je une fois qu'il eut bu son thé ettandis que je m'apprêtais à remporter le plateauà la cuisine.

Finn hocha la tête.— Dresse une liste de ce qu'il te faut, et je

demanderai à ton père de s'arrêter à lasupérette en venant dîner.

J'avais complètement oublié que mon père

J'avais complètement oublié que mon pèrevenait dîner ce soir, mais je n'allais pas lelaisser faire le livreur. Je me chargeais descommissions depuis l'âge de dix ans. Et puis,une petite balade au supermarché mepermettrait de sortir un moment de monbunker. Ce serait l'occasion de voir le soleil etde respirer un peu d'air frais.

— J'aimerais mieux y aller moi-même, dis-jeà Finn.

— Ce serait plus simple de laisser ça à tonpère, insista-t-il.

Je fis la grimace, consciente que touteexcursion officielle hors de ma forteresse étaitvraiment tout un bin's en ce moment.

— Mon père m'a accordé la permission desortir à condition d'avoir un second garde ducorps.

Finn sembla sur le point de tenter unenouvelle fois de m'en dissuader, et je mepréparai à nous embarrasser tous les deux enprétendant que j'avais besoin d'articles qu'unhomme ne pouvait pas choisir à ma place, maisil se ravisa avant que j'aie besoin de mentir.

— D'accord, capitula-t-il. Je vais passer uncoup de fil à Lachlan pour savoir s'il estdisponible.

Le choix de Lachlan comme second garde ducorps peut sembler étrange à certains. Il était le

corps peut sembler étrange à certains. Il était lepetit ami de ma tante Grâce, avant qu'elle pèteun plomb. Je savais qu'il l'aimait toujours, et illui arrivait à l'occasion d'essayer de meconvaincre qu'elle n'était pas une si mauvaisepersonne, juste incomprise. Il n'avait aucunechance, mais en voyant le chagrin dans sesyeux je ne pouvais pas lui en vouloir de tenterle coup. Je savais aussi qu'en dépit de sessentiments pour Grâce il ne laisserait personneme faire du mal, et, parce que c'était un trollsous le sort d'illusion qui lui donnait uneapparence humaine, c'était un défenseur depremier ordre.

Mon père avait, lui aussi, toute confiance enLachlan. Il avait cependant fait del'emplacement de ma chambre forte un secretsi farouchement gardé que Finn, Keane, mesparents et moi étions les seuls à le connaître.Personnellement, je pensais que si l'on pouvaitse fier à Lachlan pour ma protection, onpouvait aussi bien le mettre dans le secret,mais mon père s'était montré inflexible. Seulsceux qui avaient absolument besoin de savoiroù se trouvait mon bunker en seraientinformés. Ce qui voulait dire que Finn et moidevions retrouver Lachlan dans une partie plusfréquentée des souterrains.

Finn me demanda de rester en retrait aumoment de tourner le coin de la dernière rue,

moment de tourner le coin de la dernière rue,je l'entendis saluer Lachlan et il me fit ensuitesigne de les rejoindre. Qu'on soit obligés d'enpasser par tout ce cirque rien que pour allerfaire mes courses était une chose que jedétestais. Je m'efforçai de me persuader que cen'était que temporaire et qu'on finirait partrouver une meilleure solution pour que jepuisse vivre en sécurité en Avalon. Sans grandsuccès.

En me rapprochant de Finn et Lachlan, jesentis le picotement caractéristique de laprésence de magie dans l'air hérisser le duvetde mes bras. Je me demandais si mes effortsjusqu'ici vains de tenter d'apprendre à manierla magie ne commençaient pas à porter leursfruits. Je savais que Finn utilisait des sorts deprotection dès qu'il se rendait dans un lieupublic, et que Lachlan portait sa livréehumaine, mais je n'avais jamais senti cettemagie-là jusqu'à présent. J'aurais voulupouvoir leur poser la question, mais mescapacités à percevoir la magie étaient un autregrand secret. Lorsque j'en avais parlé à Ethan,il m'avait dit que les Passemondes nepossédaient habituellement pas d'autrespouvoirs magiques. Il m'avait avertie que mestalents potentiels de magicienne ne feraientque me désigner plus encore comme une cible

que me désigner plus encore comme une cibleà abattre, et conseillé de ne le dire à personne -pas même à mon père.

Il y avait moins de monde dans les rues qu'àl'accoutumée, preuve indéniable que la ChasseInfernale était toujours en ville. Finn n'étaitpas particulièrement détendu, mais Lachlanparaissait encore plus crispé et sur ladéfensive. Généralement amical et causant, ilétait aujourd'hui aussi taciturne que Finn. Cequi n'est pas peu dire.

Ils ne me filèrent pas le train dans les alléesde la supérette où j'avais l'habitude de fairemes courses, sans doute parce qu'il n'y avaitque deux ou trois autres clients. Je pris plus detemps que strictement nécessaire, mais cetteliberté de me promener dans les allées sans mesgardes du corps me paraissait relever de lanormalité la plus décadente, et je ne pusm'empêcher d'en profiter.

Cette prétendue normalité passa directementà la trappe quand je sortis du magasin, flanquéede Finn et de Lachlan. Le rugissementcaractéristique des motos déchira l'air, et mesdeux gardes du corps passèrent en mode alerterouge. Je sentis la magie s'accumuler autour demoi en un million de minuscules déchargesélectriques sur ma peau.

Les motos déboulèrent au coin de la rue et je

Les motos déboulèrent au coin de la rue et jeles reconnus au premier coup d'œil.

L'Elferoi précédait légèrement ses Chasseurs,qui suivaient deux par deux. Comme lapremière fois que je les avais vus, ils portaienttous des vêtements noirs, et les engins qu'ilschevauchaient étaient aussi noirs et massifsque leurs destriers.

L'Elferoi s'arrêta pile devant moi, malgré lestentatives de Finn de me faire passer derrièrelui, et ses Chasseurs se déployèrent autour denous. Ils formèrent un cercle parfait,franchissant les trottoirs sans effort. Leursmotos pétaradaient comme l'enfer malgré leurlente progression.

Finn me posa une main sur le bras, et lepicotement s'intensifia. À vue de nez, je diraisqu'il venait d'étendre son sort de protectionpour m'y inclure. Lachlan se tenait immobile àmon côté. Les rues et les trottoirs s'étaientvidés comme par magie.

L'Elferoi tourna les poignées de gaz de sonengin et le fit rugir férocement. Des flammess'échappèrent du pot d'échappement, et je mesouvins que j'avais cru voir son cheval cracherdu feu. Je ne pus m'empêcher d'avoir unmouvement de recul quand il fit gronder sonmoteur une seconde fois. Je me seraisvolontiers bouché les oreilles, quitte à passer

volontiers bouché les oreilles, quitte à passerpour une idiote, si la main de Finn n'avait pasmaintenu si fermement mon bras. J'entendis lerire de l'Elferoi à travers le rugissement desmotos.

Soudain, tous les Chasseurss'immobilisèrent au même instant, et le bruitdes moteurs décrut jusqu'à un faibleronronnement.

Le cœur au bord des lèvres, je contemplai lecauchemar de la Faëry. Chaque Chasseur étaitvêtu à l'identique d'une combinaison de motoen cuir noir sans aucun ornement. Un casqueintégral noir à la visière miroir leur cachait levisage, et des gants noirs - je devrais plutôtdire des gantelets - dissimulaient leurs mains,de sorte que pas un millimètre de peau ou decheveux n'était visible. Sans leur différence detaille et de corpulence, on aurait dit une hordede clones.

L'Elferoi se distinguait du lot. Sacombinaison noire était lourdement décorée declous et de pointes d'argent, et il portait devéritables éperons du même métal au talon deses bottes de motard. Détail qui aurait puprêter à rire, n'eût-il été si terrifiant.

S'il avait revêtu les mêmes gantelets que seshommes, les siens étaient munis de longuespointes d'argent jaillissant des jointurescomme des griffes. Mince, alors ! Son casque

comme des griffes. Mince, alors ! Son casqueavait une forme étrange, s'avançant devant sonvisage tel le heaume d'une armure, avec desandouillers d'argent peints de chaque côtérappelant le masque d'horreur qu'il portait lapremière fois. Plus effrayant encore, il arboraitle fourreau familier jeté en travers de son dos,dont il n'avait, au moins, pas tiré l'épée.

Même de loin, j'avais tout de suite remarquéqu'il était grand. À présent, vu de près, je letrouvais gigantesque. Il devait mesurer aumoins un mètre quatre-vingt-quinze, et mêmesi tout son corps était dissimulé sous levêtement de cuir noir, je pouvais dire à lafaçon dont il le remplissait qu'il avait unemusculature impressionnante. Comme s'ilavait besoin de ça pour être intimidant.

Je ne sais combien de temps dura notre face-à-face silencieux. Il me parut interminable,mais seulement quelques minutes avaient dûs'écouler. La peur m'avait séché la bouche, endépit de l'assurance qu'il ne pouvait rien mefaire, et si mon cœur continuait de s'emballer,je succomberais bientôt à une crise cardiaque.

Puis, l'Elferoi leva une main pour retirer soncasque.

J'eus l'impression que mon cœur avaitsoudain cessé de battre comme je le regardaisecouer ses cheveux et accrocher son casque

secouer ses cheveux et accrocher son casqueau guidon de sa moto.

Les faës sont toujours beaux. Du moinsparmi les sidhes, l'aristocratie de Faëry. Leursvisages sont toujours parfaitementsymétriques, leur peau exempte de défauts,taches de rousseur ou rides. Cependant, tousles faës n'étaient pas égaux devant la beauté.Jusqu'ici, Finn occupait la première place dansla liste des créatures les plus splendides qu'ilm'ait été donné de contempler. L'Elferoimettait la barre encore plus haut.

Les faës sont généralement blonds, parfoisroux pour changer un peu, mais la chevelure del'Elferoi, qui lui retombait jusqu'au milieu dudos, était noire et brillante. Ses yeux étaientd'un bleu profond, encadrés d'épais cils noirs,et sa bouche aurait pu servir d'illustration àl'adjectif « sensuel » dans le dictionnaire. Untatouage saisissant représentant un cerf enplein bond ornait un côté de son visage dusourcil à la pommette.

Comme tous les faës, l'Elferoi était sans âge.Il avait le visage d'un homme entre vingt ettrente ans, mais un je-ne-sais-quoi dans sesyeux lui conférait un air... antique. Laprofondeur du savoir qu'ils semblaient recelerme donnait l'impression de pouvoir m'y noyer.

Je m'obligeai à me souvenir de lui l’épée

Je m'obligeai à me souvenir de lui l’épéebrandie pour massacrer un homme désarméqui fuyait. Cette image ne lui ôta rien de sabeauté exceptionnelle, mais je cessai de leregarder avec ce que je soupçonnais être unmélange gênant de peur et d'admiration.

— Dana, fille de Seamus, dit l'Elferoi d'unevoix qui se fondit dans le ronronnement desmoteurs. Je suis heureux de faire taconnaissance.

Il mit une main sur son cœur et s'inclinadepuis la taille. Le geste aurait pu paraîtreemprunté alors qu'il était toujours assis sur samoto, mais non.

Je décidai que rester bouche close était ceque j'avais de mieux à faire devant lescréatures maléfiques de la Faëry. Les yeux del'Elferoi pétillèrent d'amusement quelquesinstants, puis il se tourna vers Finn.

— Et Finn, des sidhes Daoine.Il ne s'inclina pas cette fois-ci, mais lui

adressa un hochement de tête presquerespectueux.

— Un valeureux gardien pour le plusprécieux des joyaux d'Avalon.

Je ne fus pas surprise que Finn choisisse luiaussi le silence. Il restait fidèle à son genre degrand costaud taciturne.

Je m'attendais à ce que l'Elferoi salueLachlan d'une façon ou d'une autre, mais il

Lachlan d'une façon ou d'une autre, mais ilécarta le troll d'un regard hâtif et d'une mouedédaigneuse. Comme je l'avais découvert avecmon père, les sidhes étaient notoirementpartisans d'une société de classes, et les trollsconstituaient à leurs yeux des êtres inférieurs.Ça me foutait en rogne, mais ce n'était pas lemoment d'essayer d'inculquer les bonnesmanières à l'Elferoi.

Il me fixa d'un regard glacial qui semblapénétrer mon cœur. Mon souffle se figea dansmes poumons et mon instinct de survie mehurla de partir en courant. Tout mon corpstremblait de ce besoin impérieux de fuir ; monfront et mes aisselles se couvrirent de sueurtandis que mon sang se chargeait d'adrénaline.J'aspirai difficilement un filet d'air. Je croisque si Finn ne m'avait pas retenue par le bras,je n'aurais pas pu y résister. Pourtant, je neserais pas allée bien loin avec ses Chasseursdéployés autour de nous.

— Laissez-la tranquille ! aboya Finn.L'Elferoi sourit et détourna les yeux. Toute

pulsion de fuite disparut aussitôt, et je comprisqu'il venait d'employer sur moi une forme demagie qui avait transformé ma peur en terreurabsolue. Une magie que je n'avais pas sentie.

L'Elferoi me regarda de nouveau, cette foissans rien tenter.

sans rien tenter.— Il est rare qu'une personne de sang mortel

soit capable de soutenir mon regard. Même lesfaës de sang pur peuvent en éprouver les effets,sous certaines conditions. Tu es plus puissantequ'il n'y paraît.

Et voilà que M. Cauchemar me balance unclin d'œil, comme si lui et moi partagions unebonne blague. Je déglutis avec difficulté. Je nesais pas comment, mais j'étais sûre et certainequ'il percevait mon affinité avec la magie.C'était peut-être la magie qui m'avaitempêchée de céder à la panique. Il était assezdangereux comme ça sans connaître monsecret.

L'Elferoi me sourit. Sur le visage dequelqu'un d'autre, ce sourire aurait pu passerpour amical, mais avec lui on était loin ducompte.

— Je ne suis pas ton ennemi, Passemonde,reprit-il. En toute justice, je ne dirai pas nonplus que je suis ton ami. Je vais pourtantt'offrir un gage de ma...

Ses doigts pianotèrent sur son menton et ilfronça les sourcils comme s'il réfléchissait,mais j'eus la sensation que c'était une mise enscène.

— ... bonne volonté, acheva-t-il.Il me regarda comme s'il attendait une

réponse. Je pensais toujours que j'avais intérêt

réponse. Je pensais toujours que j'avais intérêtà ne pas l'ouvrir en présence de ce type, mais jene voulais pas lui donner l'impression que jetremblais de peur comme un petit lapin quiespère que le grand méchant loup ne va pas lemanger.

— Merci, répondis-je en parvenant àintroduire une touche de sarcasme dans mavoix, qui me parut pourtant effrayée. Mais nonmerci. Je ne sais pas pourquoi, mais mon petitdoigt me dit que d'accepter des gages de votrepart n'est pas une si brillante idée.

L'Elferoi éclata de rire, et ses Chasseursl'accompagnèrent de leur écho sinistre.L'Elferoi était certes terrifiant, mais sa Chassecarrément flippante.

Je ne savais pas en quoi ce que j'avais ditétait si drôle mais, en dépit de mes bonnesrésolutions pour ne pas en paraître affectée, jesentis le rouge me monter aux joues. J'aitoujours détesté qu'on se moque de moi.

Leurs rires cessèrent aussi brutalementqu'ils avaient commencé. L'Elferoi reprit soncasque. J'espérais que ça signifiait que sescopains et lui étaient sur le départ.

— Je vais néanmoins t'offrir ce gage, que tule veuilles ou non, annonça-t-il.

Pour la première fois, il concentra toute sonattention sur Lachlan, qui s'était tenu si

attention sur Lachlan, qui s'était tenu sitranquille que j'en avais presque oublié qu'ilétait là.

— Il faut se méfier des apparences, n'est-cepas ? demanda l'Elferoi à Lachlan en ledévisageant et en souriant.

À ma grande surprise, Lachlan blêmit etrecula d'un pas, comme pour se préparer à fuir.L'Elferoi avait pourtant laissé entendre que sonpouvoir d'épouvante ne fonctionnait pas sibien sur les faës dépourvus de sang mortel,dont j'étais bien certaine que Lachlan nepossédait pas la moindre goutte. Je n'étaismême pas sûre que les trolls puissent sereproduire avec les humains.

Finn jeta lui aussi à Lachlan un drôle deregard.

— Lachlan ? demanda-t-il. Qu'est-ce qui neva pas ?

Je faillis bondir quand l'Elferoi fit denouveau rugir sa machine. Ses Chasseursrompirent le cercle, nous rendant notre libertétandis qu'ils se replaçaient en formationderrière leur chef.

— Lève sa livrée humaine, Finn des sidhesDaoine, ordonna l'Elferoi. Et tu sauraspourquoi mon regard lui fait autant d'effet.

Dans un dernier éclat de rire, il recoiffa soncasque. Et la Chasse Infernale se retira dans letonnerre assourdissant de leurs motos.

tonnerre assourdissant de leurs motos.Je ne me sentais pas plus en sécurité

maintenant que la Chasse Infernale étaitpartie, mais je me sentais au moins capable deconsacrer mon attention à autre chose. Jeregardai Lachlan, qui reculait devant Finn ettendait les mains devant lui dans ce quisemblait être un geste de défense.

La magie se concentra dans l'air, émanant duChevalier par vagues, et l'expression de sonvisage ne me disait rien qui vaille. J'avais uneassez bonne idée de ce qui allait se passerquand Finn jetterait le sort qu'il préparait, etmon estomac se retourna.

Finn projeta sa magie, qui atteignit Lachlande plein fouet comme un choc physique. Celui-ci recula sous l'impact, et sa livrée vola enéclats. Sans le sort d'illusion, il aurait dûprésenter l'apparence d'un monstre : un trollénorme et répugnant avec des griffes et descrocs plein la gueule. La créature qui se tenaitdevant nous était un homme musculeux detaille moyenne qui avait les yeux en amandedes faës, et arborait une barbe broussailleuseattestant de la présence d'une bonne dose desang humain dans ses veines.

Je n'étais sûre que d'une seule chose : cen'était pas Lachlan.

Finn tendit la main vers moi - à tous les

Finn tendit la main vers moi - à tous lescoups pour me pousser derrière lui - etl'imposteur profita de cette demi-seconded'inattention pour faire volte-face et s'enfuiren courant.

— Arrêtez-le ! hurlai-je à Finn, mais je savaisavant même que les mots quittent ma boucheque cela lui était impossible.

Son boulot était de me protéger, pas decourser cet imposteur. Mais si ce salauds'échappait, nous ne saurions sans doutejamais qui l'avait envoyé ni ce qu'il étaitadvenu du vrai Lachlan.

Lorsque j'y repense, je me dis que ce que j'aifait ensuite était vraiment complètementdébile. En dépit de mes cours d'autodéfenseavec Keane, je n'étais, au mieux, qu'unedébutante. Je suis habituellement plutôtprudente, du genre à réfléchir avant d'agir.Mais le fait d'être en Avalon, d'apprendre à mebattre et de me trouver constamment endanger était en train de me changer de plusd'une façon.

Le faux Lachlan allait s'enfuir parce queFinn devait me protéger, et je ne voulais pas deça. Je lâchai donc mes sacs de provisions etm'élançai à sa poursuite.

Ma décision subite prit Finn complètementde court et il ne fut pas assez rapide lorsqu'il

de court et il ne fut pas assez rapide lorsqu'iltendit le bras pour tenter de me retenir. Jel'entendis hurler mon nom tandis que je mebaissais pour lui échapper, mais je l'ignorai etpoursuivis ma course. L'arrivée de la ChasseInfernale avait littéralement vidé les rues, sibien que l'imposteur comme moi-mêmepouvions courir en terrain dégagé. J'entendisle martèlement des pas de Finn sur les pavésderrière moi, et je m'autorisai un petit sourirede satisfaction. Je ne faisais peut-être pas lepoids contre cet imposteur, mais ce type neserait pas en train de détaler comme un dératés'il pensait pouvoir s'en sortir avec Finn.

Mon sourire s'effaça quand l'imposteurs'arrêta soudain et fit demi-tour devant moi. Jetentai de freiner, mais j'étais lancée à fond etfus emportée par mon élan.

Je le percutai de plein fouet, l'obligeant àreculer de quelques pas tandis que sespoumons se vidaient de leur air. Apparemment,il s'était préparé au choc, parce qu'il reprit sonéquilibre plus vite que moi et m'attrapa pourme plaquer le dos contre son torse. Un de sesbras emprisonna les miens le long de moncorps, et il plaça l'autre autour de mon cou.

— Ne t'approche pas ! cria-t-il à Finn. Un seulpas de plus, et je lui brise la nuque.

Finn stoppa sa course bien plusgracieusement que moi et bombarda mon

gracieusement que moi et bombarda monagresseur de regards plus que noirs.

Mais je n'avais pas pris tous ces cours avecKeane pour rien, et nous avions travailléplusieurs façons de se libérer de ce genre deprise, qui était manifestement un grandclassique chez les méchants. Sans hésiter uneseule seconde, j'enchaînai rapidement troisactions. Je lui écrasai le pied aussi fort que jepus, puis je baissai la tête pour lui mordrel'avant-bras. Il poussa un hurlement et desserrason étreinte, et c'est alors que je rejetai ma têteen arrière de toutes mes forces.

Qui que soit ce type, il n'était pas très grand,et mon crâne lui fracassa le nez. Le bruit des osqui craquent me tira une grimace, comme soncri de douleur. Mais il me lâchaprécipitamment. J'en étais encore à medemander si je devais me retourner et luidonner un bon coup de pied dans le genou afinde m'assurer qu'il ne puisse pas s'enfuir, quandFinn me repoussa sur le côté sans me laisser letemps de me décider et balança son poing dansla face de l'imposteur. Tous les muscles de soncorps se relâchèrent d'un seul coup et ils'écroula comme un tas de chiffons sur letrottoir.

J'ai beau me plaindre constamment que les

ressortissants de la Faëry ne sont pratiquementjamais inquiétés pour les meurtres commis enAvalon, la ville possède bel et bien un systèmejudiciaire et des forces de police. Au momentoù le faux Lachlan en prit pour son compte, laChasse Infernale était partie depuissuffisamment longtemps pour que les gensosent mettre le nez dehors. Quelqu'un avait dûêtre témoin de la scène car, avant que Finn aitpu se retourner pour me féliciter de mabrillante performance (on peut rêver !), nousentendîmes les sirènes des voitures de police.

En voyant la tête de Finn, je compris qu'ilsongeait à prendre la fuite, mais il y avaitmaintenant assez de témoins pour que les flicsretrouvent notre trace, ce qui ne nousapporterait rien de bon.

Finn agita un doigt sous mon nez.— Tu ne dois rien dire à la police, Dana,

m'avertit-il. Tu es mineure et ils n'ont pas ledroit de t'interroger sans le consentement deton tuteur légal, alors tu la boucles.

ton tuteur légal, alors tu la boucles.Je fronçai les sourcils en le regardant.— Pourquoi ? On n'a rien fait de mal. Enfin,

pas que je sache.Finn me lança un regard irrité.— Pour une fois, fais donc ce qu'on te dit

sans poser mille et une questions.— Oh, pardon de vouloir savoir pourquoi je

ne dois rien dire à la police.Avant qu'il ait pu me répondre, les forces de

l'ordre étaient devant nous.D'après ce qu'avait dit Finn, je m'attendais

plus ou moins à ce que les flics nous arrêtent,mais, une fois qu'il leur eut raconté ce quis'était passé, ils le crurent sur parole etpassèrent les menottes au faux Lachlan. Quandils me demandèrent si je voulais bien répondreà quelques questions, je me mordis les lèvres etprétextai que je préférais attendre mon père.Tout ça ne me plaisait pas beaucoup, maisFinn ne m'aurait pas ordonné de la bouclersans une bonne raison. Je craignais que lesflics ne s'agacent de ce délai, mais ça ne parutpas les gêner le moins du monde.

Ils étaient en train de nous demander de lesaccompagner au poste pour prendre nosdépositions - du moins, celle de Finn pendantqu'ils essayaient de contacter mon père -quand ce dernier fit une apparition surprise. Je

quand ce dernier fit une apparition surprise. Jesavais que Finn ne l'avait pas appelé, et lapolice n'en avait pas eu le temps, aussi meposai-je des questions sur la façon dont il avaitpu me localiser et deviner que j'avais besoin delui. Il était officier de liaison du Conseil. Jesavais juste que c'était une fonctiongouvernementale qui lui conférait un certainpouvoir.

Je ne saurais dire exactement ce qui se passaensuite, mais je crois bien que de l'argentchangea de main, ou que mon père tiraquelques ficelles. Quoi qu'il en soit, la policedécida qu'elle n'avait finalement pas besoin denos dépositions.

— Ramène Dana immédiatement chez elle,ordonna mon père à Finn pendant que les flicsfaisaient monter le faux Lachlan à l'arrière del'une des voitures. Je vous rejoindrai dès que jepourrai et je veux un rapport complet.

Finn accepta ses ordres d'un hochement detête solennel.

— Et Lachlan ? demandai-je. Il a peut-êtredes ennuis.

Mon père prit cette expression pincée quisignifiait que le sort d'un troll ne l'intéressaitpas.

— Nous ne pourrons rien faire pour Lachlantant qu'on n'aura pas pu questionnerl'imposteur. Il se peut qu'il soit son complice.

l'imposteur. Il se peut qu'il soit son complice.J'ouvris la bouche pour protester avec

indignation, mais mon père ne m'en laissa pasle temps.

— Nous allons tirer ça au clair, promit-il. Etsi Lachlan a des ennuis, je ferai tout ce qui esten mon pouvoir pour l'aider. Et maintenant,rentre vite chez toi. Tu as eu assez d'émotionspour la journée.

J'aurais pu continuer d'argumenter, mais ilétait déjà parti. Je détestais être congédiéecomme une sale gosse, mais je me consolai enme disant que si Finn devait faire à mon pèreun rapport détaillé des événements de lajournée, le plus tard serait le mieux. Mon petitdoigt me disait que mon père ne serait pas trèscontent d'apprendre que j'avais pourchassél'imposteur.

Je jetai un coup d'œil par-dessus mon épauletandis que Finn m'entraînait loin de la scènede crime, et je vis mon père s'installer à l'avantd'une des voitures de police. Quelque part, jene pensais pas que ce soit la place d'un civil.Personne ne parut pourtant s'en offusquer, etles deux voitures se mirent en route.

Ô miracle, mes sacs de provisionsm'attendaient sur le trottoir là où je les avaislâchés. Mieux encore, rien n'était renversé oucassé, même si les bananes que j'avais achetées

cassé, même si les bananes que j'avais achetéespour mon petit déjeuner seraient sans doutelégèrement gâtées. Grâce à mon action d'éclat,même si c'était stupide, l'imposteur étaitdésormais entre les mains de la police et je nepouvais m'empêcher d'en éprouver de la fierté.Depuis le temps que je jouais les damoiselles endétresse en Avalon, c'était bon de remporterune petite victoire personnelle. Quoi qu'enpense Finn, qui fronçait farouchement lessourcils en me ramenant à mon bunker.

— Si cet homme avait été armé, me dit-ildoucement une fois que nous eûmes regagnéles galeries plus sombres, tu serais peut-êtremorte à l'heure qu'il est.

Je réprimai un frisson superstitieux.— J'ai eu de la chance qu'il ne l'ait pas été,

alors, répondis-je avec tout l'aplomb que je pusrassembler.

Si je commençais à penser à tout ce quiaurait pu se passer, j'allais complètementflipper.

Du coin de l'œil, je vis Finn secouer la tête.— Ce n'est pas ce que je veux dire, et tu le

sais très bien. Tu ne peux pas continuer àprendre de tels risques. Je suis un bon garde ducorps, mais je ne suis pas invincible. Et toncomportement me complique beaucoup latâche.

Je courbai un peu les épaules sous le

Je courbai un peu les épaules sous lereproche. S'il m'avait crié dessus ou s'était misà m'aboyer des ordres, je serais montée sur mesgrands chevaux, mais son raisonnement calmeet posé était bien plus difficile à réfuter.

— Je suis désolée, murmurai-je. Je n'y ai paspensé sur le coup. J'ai seulement vu qu'ils'enfuyait, et je me suis lancée à sa poursuite.

Il soupira.— Et hier soir ? Tu as réfléchi avant de

partir à l'aventure en pleine nuit sans garde ducorps ?

Pan ! dans les dents, si je croyais que la nuitdernière était de l'histoire ancienne... Enréalité, lorsque j'avais décidé de faire le mur encompagnie de Keane, je croyais être en sécuritéavec lui. Oui, j'étais bien consciente de prendreun risque, mais il ne m'avait pas semblé trèsimportant. Maintenant que j'avais vu Finnmassacrer Keane, je savais que j'avais couru undanger bien plus grand que je ne l'avais cru. Netrouvant rien à dire pour ma défense, jedemeurai donc muette.

Une fois dans ma forteresse, Finn refusa deme laisser m'isoler dans ma suite et m'obligea àm'asseoir sur le canapé de la salle de garde. Ils'installa lui-même dans un fauteuil et sepencha vers moi, les coudes sur les genoux, enplongeant ses yeux si verts dans les miens.

plongeant ses yeux si verts dans les miens.— Ton père sera très en colère, me prévint-il.Sans blague ? Si mon père s'écoutait, il me

garderait enfermée dans cette stupide maisonde troglodyte vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, et je nem'attendais pas à ce qu'il saute de joie enapprenant que j'avais pris en chassel'imposteur. Encore moins quand il saurait quej'avais aussi rencontré l'Elferoi, mais là, je n'yétais pour rien.

— Toute sa longue vie, il a vécu dans lesarcanes du pouvoir, poursuivit Finn. En tantque garde du corps, je sais combien c'estdifficile de s'adapter pour quelqu'un qui n'a pasl'habitude du danger. Se protéger est uneseconde nature pour ton père, et il a du mal àcomprendre qu'il n'en aille pas de même pourtoi.

Je clignai les yeux, car je ne voyais pas oùFinn voulait en venir.

— Qu'est-ce que vous essayez de me dire ?lui demandai-je.

— J'essaie de te préparer à la réaction de tonpère et de m'assurer que tu saisis son point devue. Moi, je peux comprendre tes erreurs. J'aieu suffisamment de personnes différentes sousma protection durant assez d'années poursavoir à quoi m'attendre. Mais ton père ne

savoir à quoi m'attendre. Mais ton père necomprendra pas, du moins pas tout de suite.C'est pourquoi je ne lui parlerai pas del'expédition de cette nuit. Souviens-toi qu'ilessaie seulement d'assurer ta sécurité, même sises manières ne te plaisent pas.

Je ne crois pas avoir jamais entendu Finnaligner autant de phrases à la suite. J'en auraispresque eu envie de l'écouter et de donner unechance à mon père. Mais si ce dernierdébarquait ici en me hurlant dessus, je savaisqu'il ne me faudrait pas longtemps pour sortir ànouveau de mes gonds.

Ce ne fut que plusieurs heures plus tard quej'affrontai la colère de mon père. Il étaitapparemment dans les petits papiers de lapolice, et avait pu assister à l'interrogatoire del'imposteur.

Il s'avéra que le type en question était unmercenaire de la pègre, officiellement citoyend'Avalon, mais qui avait suffisamment de sangfaë dans les veines pour vivre le plus clair deson temps en Faëry. Ma tante Grâce l'avaitengagé pour m'enlever.

Elle lui avait remis une sorte d'amulettemagique qui lui permettrait de neutraliserFinn, et il attendait simplement le bonmoment pour s'en servir. Il devait alorsm'emmener de force dans la Faëry, et meremettre à Grâce. Ce qui était méga craignos,

remettre à Grâce. Ce qui était méga craignos,car cette chère tante Grâce voulait m'utiliserpour assassiner Titania et lui ravir le trône dela cour des Lumières. En plus de ça, elle nepouvait pas me saquer - et réciproquement.

Heureusement pour moi, le mercenaireredoutait Finn et n'avait pas encore trouvé lecourage de passer à l'attaque. J'avais égalementde la chance que l'Elferoi se soit trouvé là pourle démasquer. La raison pour laquelle il avaitfait ça demeurait un mystère, surtout s'il avaitété envoyé en Avalon pour me tuer. J'espéraisn'avoir jamais l'occasion d'entendre sesexplications.

Lachlan allait bien, Dieu merci. L'imposteuravait employé un autre sortilège de Grâce pourl'immobiliser, et il était enfermé chez lui,incapable de bouger. La police avait puinvoquer un contre-sort pour le libérer.

Je tentai d'inciter mon père à la clémence aunom du « tout est bien qui finit bien », mais ilne voulut rien entendre. Il me priva de sortiespour une semaine. Moi qui n'avais jamais étéconsignée de toute ma vie, c'était la secondefois que ça me tombait dessus depuis monarrivée en Avalon.

Une partie de moi avait envie de tirer sur lacorde, de le menacer une fois de plus de quitterAvalon dès que j'aurais dix-huit ans s'il

Avalon dès que j'aurais dix-huit ans s'ilpersistait dans cette voie. Je réussis à la fairetaire. Primo, si je recourais au chantage à tortet à travers, il perdrait toute son efficacité.Secundo, je devais admettre à contrecœur queje ne l'avais pas volé.

Même en m'y étant préparée, la semaine quisuivit ne fut pas des plus faciles. Papa m'avaitsoumise à un tel isolement que j'étais mêmeprivée de mes séances d'entraînement avecKeane. Jamais je n'aurais imaginé que cesséances me manqueraient, mais c'étaitpourtant le cas. Ne serait-ce que parce qu'ellesm'aidaient à passer le temps.

Bon, d'accord, pour d'autres raisons aussi. Leplus souvent, Keane me tapait grave sur lesnerfs, mais c'était quand même agréable depouvoir fréquenter quelqu'un de mon âge. OK,techniquement parlant, il avait deux ans deplus que moi. Il était cependant beaucoup plusproche de moi en âge que, disons, Finn, quiresta ma seule compagnie durant toute macaptivité. Mon père lui-même joua lesArlésiennes, et je trouvais qu'il poussait lebouchon un peu loin.

Je me débrouillai pour parler chaque jour autéléphone avec Kimber, et je crois que c'est laseule chose qui m'empêchait de devenirdingue. Nous décidâmes de nous offrir une

dingue. Nous décidâmes de nous offrir unemanucure en institut dès que je serais libre dequitter mon bunker. Je ne m'étais jamais faitfaire de manucure de toute ma vie. Quand jevivais avec ma mère, on courait toujours aprèsl'argent et je n'avais pas les moyens de m'offrirce genre de luxe. Sans oublier que je n'avaispas d'amies avec qui partager ce moment. Cen'était pas grand-chose, mais ce projet m'aida àsupporter ma punition.

Je n'appréciai pas autant les appels d'Ethan.Après l'avoir surpris en compagnie de cetterousse incendiaire à la soirée, je n'avais plusaucune envie de lui parler, et je ne répondaispas quand son numéro s'affichait. Lespremières fois, il raccrocha sans laisser demessage. Puis il me demanda de le rappeler. Jem'emparai même de mon téléphone une fois oudeux, mais renonçai à composer son numéro.Qu'est-ce que j'aurais eu à lui dire ? Jecraignais de me comporter comme une petiteamie jalouse alors qu'on ne sortait même pasensemble. Et je serais certainement morted'humiliation si je m'étais mise à pleurer.

Mais Ethan n'était pas le genre de garçon àse laisser démonter. Quand le téléphone sonnamercredi et que le numéro de Kimber s'afficha,je décrochai sans l'ombre d'une hésitation.J'avais juste oublié que cela ne signifiait pas

J'avais juste oublié que cela ne signifiait pasforcément que Kimber était au bout du fil.

— Tu ne m'as pas rappelé, me reprocha lavoix d'Ethan.

Je me mordis la langue pour ne pas pousserun grognement. Si j'avais eu le moindre grainde bon sens, je lui aurais raccroché au nez etj'aurais débranché mon téléphone. Mais nousavons déjà établi que le bon sens n'était pasmon point fort.

— Flash info, répliquai-je. Si je ne te rappellepas, ça veut dire que je n'ai pas envie de teparler.

Raccroche, Dana, m'enjoignis-je à moi-même. Mais je fis la sourde oreille. Jel'entendis presque hausser les sourcils.

— Et pourquoi tu ne veux pas me parler ?Ma colère se réveilla. Il savait forcément que

j'étais venue à la soirée de Kimber. Il pouvaitcertainement deviner pourquoi je ne voulaispas lui parler. Qu'il joue les innocents décuplaencore ma rage.

— Mince, je ne sais pas, Ethan, grommelai-jeentre mes dents. C'est peut-être parce que jet'ai vu avec cette rousse à la fête de Kimber.Oui, ça doit être ça.

Je retins mon souffle dans l'espoir insenséqu'il aurait une explication parfaitementinnocente au fait que la rouquine se frottaitcontre lui. Au diable si je pouvais imaginer

contre lui. Au diable si je pouvais imaginerlaquelle, mais ça ne m'empêchait pas d'y croire.

L'hésitation que marqua Ethan réduisit ànéant mes espérances, fragiles j'en conviens.

— Trouduc, marmonnai-je à mi-voix, et jem'ordonnai encore une fois de raccrocher.

Dommage que j'aie un gros problème pourobéir aux ordres, même venant de moi-même.Ethan retrouva enfin sa voix.

— Ça ne signifie rien. On était juste... onprenait du bon temps à la soirée. De plus, tum'avais fait clairement comprendre qu'on nesortait pas ensemble, et je n'y ai vu aucun mal.

D'un côté, il n'avait pas tort. J'avais étéverbalement très claire sur le fait que nous nesortions pas ensemble. D'un autre, il m'avaitfait entendre tout aussi clairement qu'ilespérait me faire changer d'avis, ce quisignifiait implicitement qu'il ne devait pasbatifoler avec d'autres filles en même temps.

— Tu as raison, dis-je d'une voix blanche.Nous ne sortons pas ensemble.

Je trouvai enfin la volonté de raccrocher, etdus me retenir de lancer le téléphone à l'autrebout de la pièce. Des larmes de rage mebrûlaient les yeux, que je me refusais à laissercouler.

Je pris une profonde inspiration pouressayer de me calmer. Toutes les cellules de

mon corps qui avaient encore un peu delogique me criaient qu'Ethan ne valait rien. Ilétait plus âgé que moi, c'était un séducteur etun menteur. Exactement le genre de garçonavec qui je ne voulais rien avoir à faire. Etpourtant, pauvre idiote que j'étais, j'avais enviequ'il me courtise, et me fasse éprouver lesentiment d'être une femme et non plus uneenfant. La seule idée qu'un mec aussi canonqu'Ethan m'ait choisie entre toutes les fillesplus belles et plus sophistiquées qu'ilconnaissait me faisait chavirer.

Allô la Terre ! il ne m'avait justement paschoisie entre toutes ces filles. Et je devais biencomprendre, s'il restait fidèle à lui-même, qu'ilne le ferait jamais.

J'avais pris une claque en le voyant aveccette fille à la fête de Kimber, mais c'était sansdoute salutaire. Ce souvenir m'aiderait à garderla tête froide, à voir Ethan tel qu'il étaitvraiment et non comme je voulais qu'il soit.

Le téléphone sonna de nouveau, mais jelaissai se déclencher le répondeur.

— Allons, Dana, dit la voix d'Ethan après le« bip ». Parle-moi.

Je croisai les bras et résistai à l'envie dedécrocher. Ethan poussa un énorme soupir.

— Tu te montes la tête, dit-il. Je n'ai fait quedanser avec elle. La belle affaire !

danser avec elle. La belle affaire !Si j'avais été moins méfiante, ces mots

auraient pu me faire croire que je me faisaisdes mélos comme une idiote. Évidemmentqu'Ethan avait le droit de danser avec d'autresfilles que moi à une soirée, surtout quand ilpensait que je ne viendrais pas. J'aurais mêmepu me laisser convaincre que j'avais malinterprété ce que j'avais vu.

Mais je suis du genre méfiant, et je merappelai son hésitation quand j'avaismentionné cette fille pour la première fois. S'ilpensait réellement que sa conduite avec elleétait si innocente, il n'aurait pas eu cetteréaction.

Faisant de nouveau appel à mes souvenirsdes moments les moins glorieux d'Ethan - celuioù il avait essayé de me séduire en recourant àla magie, ou quand il avait ourdi une attaquepour pouvoir jouer les chevaliers blancs -, jetrouvai la volonté de ne plus écouter sa voixsur mon répondeur.

Il finit par abandonner. Ou du moins, lecroyais-je.

J'étais de mauvaise humeur et je broyais du

noir après ma conversation avec Ethan. Pourme changer les idées, j'allai faire un tour surInternet. Je tentai ensuite de regarder la télé,mais je n'ai jamais été une grande fan desprogrammes de l'après-midi. J'essayai alors debouquiner.

Mais rien ne semblait pouvoir me détournerde mes sombres pensées. Mes coursd'autodéfense avec Keane me manquaient plusque jamais. Quand je m'entraînais avec lui, iln'y avait plus de place pour rien d'autre que lasurvie dans mon cerveau.

Comprenant qu'il me fallait une activitécapable d'absorber davantage de mon énergiementale que tout ce que je venais de faire, jedécidai de reprendre mes efforts pourdévelopper mes talents de magicienne. Je fistaire la petite voix dans ma tête qui me disaitque je perdais mon temps. J'avais commencé àm'entraîner la première fois que mon pèrem'avait consignée et j'étais désormais capable

m'avait consignée et j'étais désormais capabled'invoquer la magie avec une relative facilité,mais je ne savais toujours pas comment enfaire quoi que ce soit.

J'aurais vraiment aimé pouvoir demanderconseil à quelqu'un, mais je crois qu'Ethanavait raison et qu'il était dans mon intérêt dene pas ébruiter mon affinité avec la magie.Selon Kimber, qui m'en avait expliqué lesrudiments quand je n'imaginais pas encorepouvoir m'en servir moi-même un jour, lamagie est une force quasi vivante - une idéequi me faisait toujours froid dans le dos -native de la Faëry. De mémoire de faë, la magieavait toujours considéré les Passemondescomme des humains, qui ne pouvaient doncpas la « sentir » et encore moins l'utiliser. Pourune raison que j'ignorais, la magie semblaitavoir un faible pour moi. Quelque chose dansma voix si caractéristique - avec sa puretéelfique relevée d'un vibrato humain - paraissaitl'attirer.

Je faisais déjà peur à beaucoup de gens.Enfin, pas moi exactement, mais plutôt mespouvoirs. J'avais non seulement la capacité deme déplacer librement entre le royaume deFaëry et le monde des mortels, mais égalementd'apporter la magie dans le second et latechnologie dans le premier - ainsi que ceuxqui demeuraient à l'intérieur de mon champ

qui demeuraient à l'intérieur de mon champd'influence. Ma tante Grâce comptait ainsim'utiliser pour assassiner la reine de la courdes Lumières, en introduisant grâce à moi unearme en Faëry.

S'il venait à se savoir que je pouvais aussiinvoquer la magie, ceux qui ne cherchaientqu'à m'utiliser pourraient changer d'avis et seranger aux côtés de ceux qui voulaient mamort. Ce qui signifiait que je ne devais dire àpersonne - pas même à mon père - que j'étaiscapable de sentir la présence de la magie dansl'air. Mon ventre se noua en songeant qu'Ethanconnaissait mon secret, car je ne pouvais paslui faire entièrement confiance. Et l'idée quel'Elferoi ait pu le deviner...

Je m'efforçai d'écarter ces pensées etm'enfermai dans ma chambre, aussi loin deFinn que possible. Je ne savais pas à quelledistance il pouvait percevoir uneconcentration de magie, mais il n'avait pasdébarqué en courant la dernière fois que j'avaisessayé, et j'espérais que ça voulait dire que machambre était suffisamment éloignée.

Je pratiquai quelques respirations profondespour me détendre - la seule idée d'invoquer lamagie faisait battre mon cœur à cent à l'heure -et me lançai dans la série de vocalises qui meservaient à me chauffer la voix avant de

servaient à me chauffer la voix avant dechanter. (Ne me demandez pas pourquoi jefaisais toujours mes exercices alors que jen'avais plus de prof de chant lyrique ici, enAvalon.)

Les premières fois que j'avais essayéd'appeler la magie, il m'avait fallu un momentavant d'y parvenir. J'avais dû terminer toutesmes vocalises et même chanter un ou deux airsavant de commencer à ressentir le picotementsur ma peau. Aujourd'hui, tout alla bien plusvite. J'avais à peine fini mes premièresgammes que je sentais déjà une présence...étrangère dans ma chambre.

Je ne fus d'abord pas certaine de ce quec'était, craignant que ce ne fût le fruit de monimagination. Mais quand je passai des gammesaux arpèges, la sensation s'intensifia, et lespetits cheveux sur ma nuque se rappelèrent àmoi. Ma voix faiblit, et je ne pus pas produireles notes les plus aiguës, mais le picotementétait toujours là. Apparemment, une faussenote à l'occasion n'était pas rédhibitoire.

Dopée par ce premier succès, je zappai lereste de mes échauffements et attaquaidirectement « La Berceuse de Brahms », un despremiers airs que j'avais appris dans mes coursde chant lyrique. C'était une mélodie beaucoupplus simple que toutes les chansons que je

plus simple que toutes les chansons que jetravaillais avant de fuguer, mais sa simplicitéet sa familiarité m'aidaient à rester juste quandla magie faisait vaciller ma concentration.

L'air s'épaississait autour de moi, devenaitplus difficile à respirer, et j'avais envie de memasser les bras pour dissiper lesfourmillements qui couraient partout sur mapeau, telles de petites souris aux pattes griffuesde plus en plus rapides. Malgré mon oreilleabsolue, je pataugeais à présent péniblement,multipliant les fausses notes tandis que jeluttais pour garder le contrôle.

Je faisais des progrès, je le savais. La magiequi s'était rassemblée autour de moi était plusdense que jamais, et avait répondu plus vite àmon appel. Si seulement je trouvais le moyende l'utiliser. Au lieu d'avoir l'impression d'êtreune malade mentale qui souffred'hallucinations, j'entends.

J'avais le souffle plus court dans cet airvisqueux, et n'étais plus capable de tenir lesnotes longues. La tête me tournait et je merendis compte que j'allais entrer enhyperventilation et faire une syncope si jen'agissais pas très vite.

Je me concentrai sur la porte de machambre. Kimber m'avait dit que presque tousles faës étaient capables de jeter des sorts

simples, comme verrouiller et déverrouiller uneporte. La mienne n'offrait qu'une petitepoignée ronde à bouton-poussoir, que jevisualisai enfoncé par une main invisible.

La fin de la berceuse approchait, et je devaisreprendre mon souffle entre chaque note oupresque. Je ne veux même pas savoir à quoi çaressemblait, ce n'était sûrement pas beau àentendre, entre les fausses notes et lesaspirations. Je chantais maintenant assez malpour que même la magie se détourne de moi.Je la sentis refluer, l'air se fluidifia et lasensation de picotement commença às'estomper.

Malgré tout, je gardai les yeux rivés sur laporte, espérant qu'elle allait se verrouiller grâceà l'énergie magique qui subsistait encore. Maisrien ne se produisit, et lorsque j'achevai lesdernières notes de la berceuse, quelquesinstants plus tard, j'étais à nouveau seule dansma chambre.

Je tentai encore à deux reprises d'invoquerla magie pendant la fin de ma captivité, avec lemême résultat. De la magie, il y en avait àgogo, mais je ne pouvais rien en faire. C'étaittellement frustrant que j'en aurais hurlé.

Quand le lundi arriva enfin, j'étais siimpatiente de quitter mon bunker que j'auraisvoulu que notre rendez-vous au spa avec

voulu que notre rendez-vous au spa avecKimber soit fixé à la première heure.Malheureusement pour moi, il n'était qu'à 13heures, et je fus bonne pour la matinée la pluslongue de toute l'histoire de l'univers.

L'Elferoi étant toujours en Avalon, je devaisme faire accompagner de deux gardes du corpspour quitter ma forteresse. J'avais supposé quemon second cerbère pour cette expéditionserait Lachlan - après que Finn lui aurait jetéquelques sorts de contrôle pour s'assurer quec'était bien lui - mais je m'étais trompée.

Mon père fit son apparition à midi pile avecun sac de nourriture à emporter quiembaumait. Il sourit de ma surprise.

— J'ai toute confiance en Lachlan pour teservir de second garde du corps, mais j'ai leluxe de disposer de quelques heures de libertépour une fois, et j'ai eu envie de prendre saplace. Ça ne t'ennuie pas, j'espère ?

Il avait posé cette question d'un air dégagé,mais son attitude était presque... timide.Craignait-il que je ne lui en veuille de m'avoirpunie ? C'est vrai qu'avec ma mère, je n'avaispratiquement aucune expérience d'une réelleautorité parentale. Mais même si je n'avais pasapprécié d'être privée de sortie, ça me semblaitune punition tellement normale et ordinaireque j'aurais eu du mal à lui en vouloir. Pas

que j'aurais eu du mal à lui en vouloir. Paspour ça, en tout cas.

Je haussai les épaules, songeant que jedevais avoir l'air aussi désinvolte que lui.

— Pas de problème. Qu'est-ce que tu asapporté ?

Papa souleva le sac pour me le montrer.— Un déjeuner qui vient de la boulangerie de

Lachlan. Je ne savais pas trop ce que tu aimais,alors j'ai pris un assortiment.

Nous étions dans la salle de garde, et Finn setrouvait à l'autre bout de la pièce - le plus loinpossible pour nous laisser une illusiond'intimité. Mon père ne lui jeta pas même unregard en me faisant signe de le précéder dansma suite.

Je faisais de mon mieux pour accepter le faitque mon père était un snob. Les faës sont trèsattachés à leur système de castes, et bien queles Chevaliers soient le bras armé de la Faëry,ils sont traités comme des quasi-serviteurs. Jedoutais de mes chances de faire entrer monpère dans le xxie siècle - les faës portaient lanotion de traditionalisme à de nouveauxsommets - mais rien ne m'empêchait d'essayer.

— Tu as pris quelque chose pour Finn ? luidemandai-je, sans bouger d'un centimètre.

Mon père haussa un sourcil à mon intentionavant de se tourner vers mon garde du corps.

— Tu as déjeuné ?

— Tu as déjeuné ?Finn cligna les yeux de surprise, et pour

vous dire la vérité, j'étais moi-mêmeestomaquée. J'étais certaine que mon pèreallait prendre son air pincé. Peut-être bien queson cas n'était pas si désespéré, finalement.

— J'ai déjà mangé, répondit Finn en sebalançant gauchement d'un pied sur l'autre.

Le rouge qui avait empourpré son visage mehurlait qu'il mentait.

— Ce n'est pas vrai ! affirmai-je. Je suis sûreque Papa a apporté suffisamment de nourriturepour trois.

Je glissai un regard en biais à mon géniteur,dont le visage restait de marbre.

— Et peut-être même quatre à en juger par lataille de ce sac.

Le visage de Finn devint violet et il inclinalégèrement la tête.

— Va déjeuner tranquille, Dana. Je n'ai pasfaim.

Je secouai la tête, ne comprenant vraimentpas où était le problème. Je regardai mon pèreentre mes yeux mi-clos.

Il haussa vaguement une épaule.— Je ne suis pas le seul.Il m'indiqua de nouveau la porte menant à

ma suite. Je ne compris pas immédiatement.— Tu n'es pas le seul quoi ? l'interrogeai-je

— Tu n'es pas le seul quoi ? l'interrogeai-jeen me dirigeant vers la porte.

Mon père ne répondit rien, et je commençaià comprendre en m'engageant dans le couloirfortifié qui menait à mes appartements.

— Tu veux dire que votre truc d'une sociétéde castes, à vous les faës, est valable des deuxcôtés.

Il acquiesça.— Finn est un Chevalier, et même s'il

accepte des missions en Avalon, ce qui luiarrive souvent, il est né et a grandi en Faëry. Ilne sera jamais à l'aise à l'idée de s'asseoir à lamême table que moi et de partager mon repascomme un égal.

Mon père fit comme chez lui dans ma petitecuisine. Il déballa ce qu'il avait apporté etfarfouilla dans les placards pour trouver desassiettes. Je comprenais ce qu'il m'avait dit,mais ça ne me plaisait pas pour autant.

— Je trouve toujours que c'est une façondégueulasse de traiter quelqu'un qui est prêt àse prendre une balle pour moi.

Papa se tourna vers moi.— Peut-être bien, mais c'est comme ça, dit-il

en souriant. Et ce n'est pas parce que leprotocole nous interdit, à Finn et à moi, denouer des liens d'amitié que cela s'applique àtoi.

Je me retins de lui faire remarquer que je me

Je me retins de lui faire remarquer que je memoquais pas mal de son fichu protocole. Je netraiterais jamais Finn comme un meuble àl'instar de mon père, un point c'est tout.

Papa interrompit les préparatifs de notredéjeuner, et me regarda de nouveau de cet airpresque vulnérable.

— Je ne peux pas changer ce que je suis,déclara-t-il. Je sais que je te parais terriblementrétrograde, mais c'est dans la nature des faës.Le comportement que nous attendons les unsdes autres est profondément enraciné en nous.Je suis vraiment navré que ça te mette mal àl'aise.

Mon père avait beau être encore un quasiétranger pour moi, je le crus cependant sincère.Il ne m'avait jamais dit son âge, mais je savaisqu'il était très, très vieux. Ce n'était pas justede ma part d'espérer le faire changer, surtoutdu jour au lendemain. Quand j'étais arrivée enAvalon pour faire sa connaissance, je ne savaispas du tout à quoi m'attendre à son sujet. Lamoitié du temps ma mère le décrivait commele mal incarné, et le reste du temps il avait toutd'un saint. La vérité se situait sans doutequelque part entre les deux.

— Je sais, Papa, répondis-je. Et je fais demon mieux pour essayer de comprendre.Sérieux.

Sérieux.Il me sourit, et je vis clairement l'affection

paternelle qui brillait dans ses yeux. En tantque faë d'un autre temps, il n'était peut-êtrepas aussi démonstratif que je l'aurais souhaité,mais je savais qu'il m'aimait, alors qu'il meconnaissait depuis si peu de temps. L'un dansl'autre, je n'avais pas à me plaindre de lui entant que père. Hormis deux ou trois petiteschoses à changer.

Je retrouvai Kimber à la réception del'institut. J'avais déjà l'air d'une dingoparanoïaque à déambuler dans les rues avecmon père et Finn dans le rôle des gardes ducorps. Ce fut encore pire dans le spa.

La déco de la réception était féminine àsouhait. Les murs, le mobilier et le tapisétaient tout en teintes pastel et tonalitésclaires, et une fontaine murale emplissait lapièce du doux murmure des cascades. Desbougies brûlaient dans des appliques sur lesmurs, et de petits bols de pot-pourriparfumaient l'atmosphère.

Mon père et Finn étaient parfaitementdéplacés dans ce décor, et la femme derrière lecomptoir les dévisagea avec de grands yeuxétonnés. Ils n'étaient sûrement pas lespremiers hommes à pénétrer dans ces lieux,mais c'est l'effet que ça faisait à cet instantprécis.

précis.Kimber était arrivée avant moi, et bondit sur

ses pieds dès qu'elle me vit, laissant tomber lemagazine qu'elle était en train de lire.

— Pile à l'heure ! s'écria-t-elle, aussi excitéequ'une gamine de cinq ans le matin de Noël.

Kimber venait de fêter ses dix-sept ans, maiselle entrait en deuxième année de fac à larentrée. On n'en avait jamais réellement parlé,mais elle devait avoir à peu près autantd'expérience que moi pour ce qui était de sefaire des amies de son âge. C'est-à-dire zéro.Pas étonnant qu'on s'entende si bien.

Je souris de la voir si joyeuse, et m'efforçaide faire abstraction de mon escorte. Je fusinfiniment soulagée quand ils acceptèrent dem'attendre à la réception sans insister pourrester près de moi pendant qu'on me ferait lesongles.

Une femme faë très belle (pléonasme, je sais)nous escorta, Kimber et moi, dans lesprofondeurs du spa jusqu'à un petit salon privééquipé de deux tables.

— Allez-y, choisissez vos vernis, nous invita-t-elle. Sharon et Emily seront à vous dans uninstant.

Je jetai un coup d'œil sur l'immense étagèreoù étaient empilés les flacons, complètementperdue. L'embarras du choix au sens propre !

perdue. L'embarras du choix au sens propre !Je ne m'étais jamais fait manucurer

auparavant, mais je me peignais parfois lesongles. Mon principal critère pour choisir monvernis était alors le prix, ce qui ne m'était pasd'un grand secours ici. Je secouai la tête.

— Il va falloir que tu m'aides, dis-je à Kimberen espérant ne pas avoir l'air aussi empotéeque je me sentais soudain.

Peut-être bien que je n'étais pas plus à maplace dans un institut de beauté de luxe queFinn ou que mon père.

Elle me sourit, une lueur malicieuse pétillantau coin des yeux.

— Ça va être dur, mais je crois que je devraisy arriver.

J'éclatai de rire, ce qui évacua une partie dela tension de mes épaules.

— Oui, j'ai remarqué que tu détestes dire auxautres quoi faire.

Kimber fit semblant de me regarder d'un œiltorve.

— Voilà la couleur qu'il te faut, dit-elle enattrapant un flacon tout en haut de l'étagèrepour me le brandir sous le nez.

C'était la teinte caca d'oie la plus hideusequ'il m'ait été donné de contempler. On sedemandait même pourquoi ils faisaient desvernis de cette couleur.

— Ha, ha, répondis-je en m'emparant d'un

— Ha, ha, répondis-je en m'emparant d'unflacon orange fluo. Et toi, il ne te plaît pascelui-là ?

Nous poursuivîmes notre petit jeu unmoment, choisissant chacune à notre tour lescouleurs les plus laides que nous puissionstrouver - et croyez-moi, ce n'est pas ça quimanquait - avant de jeter notre dévolu sur unrose perlé pour Kimber et un cuivré miroirpour moi. Les esthéticiennes fondirent alorssur nous avec leurs coupe-ongles, limes,repousse-cuticules et tout le reste de leurattirail.

Je pensais qu'elles allaient simplement melimer les ongles et les vernir. Tout le reste durituel me prit par surprise. Je n'étais pas trèsfan du soin des cuticules, aussi me tournai-jevers Kimber.

— Pourquoi as-tu laissé Ethan utiliser tontéléphone pour m'appeler ? lui demandai-je debut en blanc.

Je regrettai aussitôt que ma main soitoccupée ou je me serais donné une claque. Jen'avais absolument pas l'intention d'avoir l'aird'accuser Kimber de quoi que ce soit, mais jelui en voulais tout de même un peu d'avoiraidé Ethan à me tendre un piège. J'auraissurtout mieux fait de lui en parler au téléphoneplutôt qu'ici devant deux étrangères.

plutôt qu'ici devant deux étrangères.Kimber ne trouva pourtant rien à redire à

mon timing. Elle fronça le nez et me regardad'un air désolé.

— Pardon. Il me l'a piqué pendant que jefaisais du thé à la cuisine. Quand je l'aientendu te parler, il était déjà trop tard.

Kimber avait tenté de me mettre en gardecontre son frère depuis le début. Elle nepouvait pas avoir aidé Ethan à me piégervolontairement, bien sûr.

— Il n'a pas voulu me dire ce qu'il a fait pourque tu sois si furieuse contre lui, poursuivitKimber.

Évidemment que non. Je regardai les deuxfemmes qui s'affairaient autour de nosmenottes en regrettant de ne pas avoir abordéce sujet avec Kimber lorsque nous étionsseules, puisqu'il fallait en passer par là.

— Allez, me pressa Kimber avec impatience.Raconte. À contrecœur, je lui expliquai quej'avais vu Ethan avec la rousse à sa soirée. Lerouge me montait aux joues au fur et à mesureque je parlais. Je me sentais vraiment idiote deme mettre dans tous mes états pour un trucpareil alors que je ne sortais même pas avec lui.

Kimber poussa un soupir exaspéré ensecouant la tête.

— J'adore mon frère - en général - mais jedois bien avouer qu'il a souvent la tête dans le

dois bien avouer qu'il a souvent la tête dans lecul.

Je m'étranglai de rire.La femme qui s'occupait des ongles de

Kimber réprima un léger sourire avant de seressaisir. Je me rappelai que le personnel desinstituts de beauté entendait des secrets defilles à longueur de journée. Ce qui ne memettait pas plus à l'aise pour parler des miens.

— Ouais, voilà pourquoi je ne veux pas luiparler, dis-je.

Kimber se rembrunit légèrement.— Mais il n'abandonne pas facilement.— Oui, c'est ce que j'ai cru comprendre,

grommelai-je.Il faisait le mort en ce moment, mais j'étais

sûre que ça ne durerait pas. J'essayais juste dene pas trop penser à la façon dont il occupaitsans doute son temps pendant que je le battaisfroid, car ce n'était pas mes affaires a priori.

— Pour ce que ça vaut, ajouta Kimber enbaissant le ton, même si ça n'empêchait pas lesesthéticiennes de nous entendre, je crois qu'ila vraiment des sentiments pour toi.

Je levai les yeux au ciel.— Ouais, c'est flagrant d'après la façon dont

il faisait pratiquement l'amour à cette fille surla piste de danse.

— Ethan sera toujours un dragueur, mais je

— Ethan sera toujours un dragueur, mais jecrois aussi qu'il ne déploierait pas autantd'efforts pour te parler si tu ne signifiais rienpour lui.

Je me mordis la langue pour ne rienrépondre de stupide. D'après ce que Kimberm'avait dit sur lui, je savais qu'Ethan avaitl'intention de suivre la voie de son père. Bonsang, il était déjà le chef du mouvementétudiant Underground d'Avalon, un soi-disantgroupe d'activistes politiques qui militait pourfaire bouger les lignes. Je dis « soi-disant »parce que la seule fois où j'avais rencontré desmembres de ce fameux mouvement, leurréunion n'était rien d'autre qu'une vulgairesoirée bière.

J'ignorais ce que faisait réellement lemouvement Underground, mais je savaisqu'Ethan avait des... ambitions. Des ambitionsque la présence d'une Passemonde à ses côtésne pouvait que servir. Voilà pourquoi la courassidue qu'il me faisait me paraissait pour lemoins suspecte.

— Je crois que je préférais quand tu medisais qu'Ethan se servait de moi et qu'il seraitplus sage de rester loin de lui, soupirai-je,légèrement amère.

Le coin de la bouche de Kimber se releva enun sourire ironique.

— En d'autres termes, tu es en train de me

— En d'autres termes, tu es en train de meprier de me mêler de ce qui me regarde ?

— Mais non, répliquai-je, lui rendant sonsourire. C'est cool d'avoir quelqu'un à quiparler de ça. Même si tes conseils ne font quem'embrouiller.

Kimber contempla sa main parfaitementmanucurée que l'esthéticienne venait delibérer.

— Je t'aurais bien donné une taloche, maisje ne voudrais pas m'abîmer les ongles.

— Tu m'ôtes les mots de la bouche.

Kimber voulait faire un tour dans une

boutique de thé au coin de la rue de l'institut,et je ne tenais pas à rentrer dans mon bunker.Je dus demander la permission à mon père,puisqu'il m'accompagnait comme garde ducorps. Je n'ai pas le souvenir d'avoir demandé àma mère la permission de faire quoi que ce soitdepuis l'âge de huit ans. Elle étaitgénéralement trop saoule pour se soucier demes agissements, et même si je préférais queson cerveau ne soit plus imbibé d'alcool, unepartie de moi regrettait cette liberté que jem'étais cru acquise.

Heureusement, Papa répondit qu'il avait sonaprès-midi et qu'il ne voyait pas de raison dene pas continuer à me servir un peu pluslongtemps de garde du corps.

La fameuse boutique de thé étaitl'équivalent d'un Starbucks ou d'un CaribouCoffee aux États-Unis, et proposait des tonnesde variétés de thés différents vendus en vrac,et un bar de dégustation où l'on pouvaitcommander le breuvage de son choix. Sur la

commander le breuvage de son choix. Sur ladroite, une sorte de patio offrait quelquestables rondes d'extérieur et des parasols. AuxÉtats-Unis, ces parasols auraient protégé lesclients du soleil. En Avalon, ils étaient plusprobablement destinés à vous abriter de lapluie.

Kimber, qui était partie en croisade pour meconvertir à la religion du thé, voulutabsolument que je goûte une variété nommée« Rose de Faëry ».

— On lui donne ce nom parce que les pétalesde rose qu'il contient proviennent de Faëry,m'expliqua-t-elle.

— Beurk, dis-je en plissant le nez. Qui aenvie de boire des roses ?

Elle me darda d'un regard condescendant.— Fais-moi confiance, ça n'a le pas goût de

rose.S'ils avaient servi du café, je serais restée sur

mes positions, mais ils n'en avaient pas et jeme laissai forcer la main par Kimber. Sonfameux thé avait la couleur incarnat du vin, etlorsque je le humai, la puissance de l'arôme derose manqua de me faire éternuer.

— Fais-moi confiance, répéta Kimber tandisque nous nous dirigions vers une des tablesabritées.

Il ne pleuvait pas encore, mais des nuages

Il ne pleuvait pas encore, mais des nuagessombres et serrés plombaient le ciel, et l'airétait chargé d'humidité. Une journée en Avalonsans au moins une petite averse serait sansdoute un signe annonciateur de l'Apocalypse.

Ni mon père ni Finn ne commandèrent dethé - j'imagine que ce n'était pas prévu au codedes gardes du corps - et lorsque nous nousinstallâmes dans le patio, ils se tinrent justeassez loin pour que nous puissions discuter entoute intimité, à condition de ne pas parlertrop fort.

Pendant que je soufflais sur mon thé,davantage pour retarder le moment de le goûterque pour le refroidir, Kimber jeta un coup d'œilà Finn et se tourna vers moi en souriant.

Finn était en mode « Services secrets »aujourd'hui, portant un strict costume noir etdes lunettes de soleil qui dissimulaient sesincroyables yeux. Mais Kimber l'avait déjà vudans une tenue plus décontractée, et ne secachait pas d'avoir apprécié le spectacle.

Elle se pencha vers moi et son sourire se fitmutin.

— Si je n'avais pas vu Finn sans ses lunettes,je me serais demandé si Keane n'avait pas étéadopté.

Je réprimai un rire. Il était exact que Keaneet Finn avaient des styles parfaitementopposés. Surtout quand Finn était en service

opposés. Surtout quand Finn était en servicedans sa tenue ultra stricte. Je ne pusm'empêcher de penser que c'était paropposition à son père que Keane s'était créé celook de bad boy, ce qui ne semblait absolumentpas déranger Finn.

— Ils se ressemblent plus qu'il n'y paraît, dis-je en me décidant enfin à boire une gorgée demon thé et à affronter son mauvais goût.

Bizarrement, malgré l'odeur de rose toujoursaussi prégnante, le thé avait un goût d'épiceset de miel. Je ne reconnus aucune épice,entendons-nous bien, mais il n'avaitabsolument pas le goût de rose. Je pris uneseconde gorgée, que je gardai en bouche.

— Alors ? me demanda Kimber avec unsourire suffisant.

J'avalai le liquide en haussant les épaules.— Tu avais raison : on ne sent pas le goût de

rose.Je n'étais toujours pas certaine d'aimer ça,

mais je pouvais le boire sans craindre les haut-le-cœur.

— Évidemment que j'avais raison. C'est maspécialité, dit-elle en prenant une gorgée deson propre breuvage avant de tourner denouveau ses regards vers Finn. Tu disais qu'il yavait plus de ressemblances entre eux qu'il n'yparaît... ?

paraît... ?Je hochai la tête.— Quand tu les vois l'un à côté de l'autre et

que tu fais abstraction des cheveux teints ennoir de Keane, ça saute aux yeux.

Elle ne parut guère convaincue.— Je les ai vus côte à côte à la soirée, me

rappela-t-elle.Je grimaçai malgré moi à ce souvenir. Je

n'avais pas revu Keane depuis. J'espérais quesa fierté blessée avait eu le temps de cicatriser.

— Tu les as vus dans une boîte sombre, etFinn était tellement remonté qu'il faisait peur.Et je ne crois pas que tu avais la tête à faire descomparaisons. Oh, et d'ailleurs, je suis désoléeque Keane se soit comporté comme un crétinavec toi. Si j'avais su...

Je laissai ma phrase en suspens car je nesavais pas ce que j'aurais fait si j'avais su. Mesoptions à ce moment-là étaient de venir avecKeane ou de zapper la soirée. Je remarquai queKimber portait le pendentif que je lui avaisoffert, ce qui me rappela pourquoi j'avais pris lerisque de me rendre à sa fête.

Kimber s'humecta les lèvres, et une pointede rose colora ses joues pâles.

— Pas besoin de t'excuser. En fait, hum, jecrois qu'il me plaît bien.

J'ouvris de grands yeux et restai bouche bée.Je fis mine de me déboucher l'oreille avec mon

Je fis mine de me déboucher l'oreille avec monpetit doigt.

— Excuse-moi, mais je crois que j'ai malentendu. Tu viens de dire qu'il te plaisaitbien ?

Le rose de ses joues s'accentua.— J'ai l'habitude de faire peur aux garçons,

m'avoua-t-elle. À cause de mon père, ou demon intelligence. J'ai bien aimé qu'il n'ait paspeur de moi.

Revoilà cette vilaine petite pique de jalousiequi pointait son nez. Je la combattisfarouchement.

— Et ce type qui était avec toi la premièrefois que je t'ai vue ?

C'était à l'occasion de ma seule et uniquerencontre avec le mouvement Underground, etKimber traînait alors avec un type que j'avaispris pour son petit ami. Mais maintenant quej'y songeais, elle m'en aurait déjà parlé depuislongtemps si ça avait été le cas. Et ils n'étaientpas non plus à se bécoter sans arrêt.

Kimber se pencha par-dessus la table enbaissant encore la voix.

— Je suppose que tu parles d'Owain. C'est unami, mais...

Ses yeux plongèrent au fond de sa tassetandis qu'elle faisait tournoyer son thé.

— Tous les membres du mouvement

— Tous les membres du mouvementUnderground savent que je suis plus jeunequ'eux et me traitent comme un bébé. Owainflirte un peu avec moi, mais je sais que ce n'estpas sérieux.

— Et tu voudrais que ça le devienne ?Elle fronça les sourcils tout en réfléchissant.— Non, répondit-elle finalement avec un

soupir résigné. C'est un mec sympa, mais cen'est pas... mon genre, si tu vois ce que je veuxdire.

Je voyais parfaitement.— Et Keane, c'est ton genre ? la relançai-je

en espérant garder ma jalousie parfaitementdéplacée bien enfouie au fond de moi.

Son sourire devint malicieux.— Je n'en suis pas encore certaine, mais ça

se pourrait.— Tu es cinglée, lui dis-je d'un air

autoritaire. Ou bien maso.— Si je ne devais traîner qu'avec des gens

bien, qu'est-ce que je ferais ici avec toi ?Je lui balançai à la figure le bâtonnet de bois

qui me servait à remuer mon thé. Elle baissa latête en riant. Ce n'était pas la peine, car jevisais comme un manche et ces trucs toutlégers ne volaient pas bien loin. Je tentai uneimitation de la mine renfrognée de Keane, maisce n'était pas facile en ayant envie de rire.

Kimber se redressa, gloussant toujours. Mais

Kimber se redressa, gloussant toujours. Maisses yeux s'arrêtèrent sur un point derrière moiet son rire mourut sur ses lèvres.

— Merdum, jura-t-elle.Je me retournai pour voir ce qui l'ennuyait.

C'est alors que je reconnus Ethan qui se frayaitun chemin entre les tables dans notredirection.

Mon cœur papillonna étrangement dans mapoitrine et ma respiration se bloqua dans magorge quand je le vis. La première fois que jel'avais rencontré, je l'avais trouvé beau àtomber, mais j'étais désormais en Avalondepuis assez longtemps pour ne plus me laisserimpressionner par la beauté surnaturelle desfaës. Et ce n'était donc pas son apparence quifaisait faire des claquettes à mon estomac.

Je passai la langue sur mes lèvres, encoreparfumées de l'arôme de Rose de Faëry, etreposai ma tasse.

Je savais qu'il n'en avait pas fini avec moi etm'étais faite à l'idée que je devrais affronterEthan tôt ou tard, mais je n'étais certainementpas prête à le faire maintenant. Peut-êtremême que je me mentais à moi-même et ne leserais jamais.

Du coin de l'œil, je zieutai du côté de monpère et de Finn. Mon père tolérait Kimber, bienqu'elle soit un sujet de la cour des Ténèbres etla fille d'Alistair. Il avait plus de mal avec

la fille d'Alistair. Il avait plus de mal avecEthan, pour des raisons politiques sans doute,ou bien juste parce que c'était un garçon. Jem'attendais plus ou moins à ce qu'il le chasse -ou le fasse chasser par Finn - mais les deuxhommes ne bronchèrent pas.

Génial. Rien à espérer de ce côté-là. Je metournai vers Kimber dans l'espoir d'un coup demain pour faire déguerpir son frère, mais latraîtresse me sourit tristement, puis recula sachaise et se dirigea vers le comptoir en clamanthaut et fort qu'elle désirait un autre thé. Jefusillai son dos d'un regard sombre tandisqu'elle se défilait.

J'entendis le crissement du métal sur lapierre quand Ethan tira une chaise pours'asseoir, mais je refusai de le regarder. Je prisma tasse de thé, que je sirotai à petites gorgéespour me donner une contenance.

Ethan poussa un long soupir.— Tiffany - la fille que tu as vue avec moi à

la soirée - est une ex. Très ex.— Oui, ça se voyait à la façon dont elle se

frottait contre toi, grognai-je.Je plongeai les yeux dans mon joli thé tout

rose, mais ne pus me résoudre à en absorberune gorgée de plus. J'aurais dû pour celadesserrer les mâchoires, ce qui était hors dequestion.

question.Ethan soupira de nouveau.— Elle avait trop bu. Elle s'est frottée aussi

contre les trois autres garçons avec qui elle adansé après.

Je trouvai finalement le courage de lui faireface. Ses yeux d'un bleu turquoise presquefluorescent paraissaient hagards et j'euspresque pitié de lui. Je n'en avais peut-être pasvu assez pour justifier ma jalousie maladive. Etpuis je me souvins du regard dont Ethan avaitdéshabillé la rouquine - Tiffany, donc - et je susque je ne me faisais pas des idées.

Il dut voir ce que je pensais de lui, car ilparut gêné et finit par baisser les yeux.

— J'avais sans doute moi-même un peu tropbu, reconnut-il. Je n'ai jamais dit que j'étais unsaint, mais tu peux me croire sur parole quandje te dis que deux mois avec Tiffany commepetite amie, c'était un mois de trop.

Je lui fis les gros yeux.— Oui, tu avais l'air de détester chaque

seconde où tu as dansé avec elle. Si tu n'as pasmieux que ça, tu peux t'en aller tout de suite.

A mon grand étonnement, Ethan rougitlégèrement.

— Je ne peux pas m'empêcher de remarquerquand une fille est sexy. Au début de marelation avec Tiffany, je ne voyais même queça. Mais je suis resté assez longtemps avec elle

ça. Mais je suis resté assez longtemps avec ellepour découvrir ce qu'elle est sous ses beauxappas, et ce n'est pas si joli joli. Elle me plaîtphysiquement et je n'y peux rien, mais elle nem'intéresse pas. Si j'avais su que tu allais venirce soir-là...

Sa voix faiblit, certainement sous l'effet demes regards noirs assez féroces pourl'intimider. Si Ethan croyait qu'il pouvaitflirter avec d'autres filles en mon absence, cen'était qu'une preuve de plus que je seraismieux loin de lui. Mais voilà, encore eût-il falluque je réussisse à m'en convaincre moi-même...

Ethan se rassit au fond de sa chaise et croisales bras. Il laissa tomber son air de chien battu,et releva la tête pour me regarder dans les yeuxavec une sorte de défi.

— Et Keane ? attaqua-t-il.Je battis des paupières, déstabilisée par ce

brusque changement de sujet.— Eh bien quoi, Keane ? répétai-je.Il me regarda d'un air entendu, mais je ne

voyais toujours pas de quoi il parlait.Ethan secoua la tête, et un muscle de sa

mâchoire fut agité d'un tic.— Je suppose que tu n'as jamais remarqué

qu'il était beau gosse ?— Quoi ? m'écriai-je, interloquée.

— Quoi ? m'écriai-je, interloquée.Ethan prit l'air exaspéré.— Ne joue pas les ingénues. C'est un beau

mec des Lumières qui a l'approbation de tonpère. Et je sais que les filles craquent pour cesairs de bad boy qu'il se donne. Tu veux mefaire croire qu'il n'y a rien entre vous deux ?

Honnêtement, je ne savais que dire. Il nem'était jamais venu à l'esprit qu'Ethan pourraitêtre jaloux. J'étais trop focalisée sur ma proprejalousie pour en considérer l'éventualité. Etpour être honnête, avant de venir en Avalon, jetraînais toute seule dans mon coin et je n'étaispas habituée à ce que les garçons s'intéressentà moi. Je naviguais en territoire inconnu.

— C'est mon prof d'autodéfense, protestai-je,mais ça sentait l'excuse bidon même à mespropres oreilles.

— Hum hum. Songe maintenant au nombred'heures que tu passes avec lui par rapport àcelles que tu passes avec moi.

Le rouge me monta aux joues. Il étaitindéniable que je passais beaucoup de tempsavec Keane, mais Ethan ne pouvait pas me lereprocher. Malheureusement, je ne pouvais pasnon plus nier que j'avais remarqué plus d'unefois que Keane était un canon. Je n'étais peut-être pas en position de lui lancer la premièrepierre, après tout. Mais il était hors dequestion que je le reconnaisse.

question que je le reconnaisse.— Je passe encore plus de temps avec Finn,

rétorquai-je. Tu vas être jaloux de lui aussi ?La bouffée de culpabilité que ses mots

avaient éveillée en moi se dissipait.— Tu es en train de me dire que tu as flirté

avec cette Tiffany parce que tu étais jaloux deKeane ? Que tu as voulu me rendre la monnaiede ma pièce ? Alors même que tu pensais queje ne viendrais pas à cette soirée ?

Je n'eus pas l'occasion d'entendre saréponse, car l'air se mit à vibrer soudain dugrondement assourdissant des motos.

L'Elferoi avait dû faire usage de la magie

pour étouffer le bruit des moteurs, car lesmotos étaient pratiquement sur nous quand jeles entendis. Des cris de terreur s'élevèrentautour de nous tandis que la Chasse Infernalese glissait sans effort dans la foule en directiondu patio, les gens fuyant en tous sens à leurapproche. Ethan et moi renversâmes noschaises en nous levant d'un bond.

— Dana ! hurla mon père, et je les vis piquerun sprint, Finn et lui, pour couvrir la faibledistance qui nous séparait.

C'étaient des faës et ils étaient rapides, maispas autant que des motos. Avant qu'ils aient pume rejoindre, la Chasse Infernale avait encercléma table. Leurs engins, à quelques centimètresles uns des autres, formaient un murimpénétrable entre mes gardes du corps et moi.Mon père criait quelque chose, mais le bruitdes moteurs couvrait sa voix.

La magie se mit à fourmiller sur ma peau, etj'étais presque sûre que ça venait d'Ethan. Ilavait beau être un petit prodige de la magie,

avait beau être un petit prodige de la magie,capable de jeter des sorts qu'un garçon de sonâge ne devrait pas pouvoir maîtriser, je doutaissérieusement qu'il soit de taille contre laChasse Infernale.

Deux des motos s'écartèrent légèrement pourlaisser passer l'Elferoi. Il portait la même tenueeffrayante de cuir noir que la dernière fois,mais avait retiré son casque. Il me sourit, sansla moindre chaleur.

Ma bouche était subitement sèche, et jecrois même que je tremblais légèrement. Parpur réflexe, je cherchai la main d'Ethan.L'Elferoi remarqua mon geste et haussa unsourcil sans faire de commentaires.

Je m'obligeai à me rappeler que, toutredoutable qu'il était, l'Elferoi ne pouvait pasme faire de mal. Ce qui n'était pas totalementrassurant alors que j'étais acculée par sesChasseurs et qu'il se tenait devant moi,immense et menaçant. Je serrai la maind'Ethan un peu plus fort.

L'Elferoi inclina le buste sans me quitter desyeux.

— On se retrouve, Passemonde, me salua-t-il.— Dois-je vous faire la révérence quand vous

faites ça ? demandai-je, le tremblement de mavoix gâchant tout le sarcasme que je voulais ymettre.

mettre.Ethan me donna un coup de coude dans les

côtes, mais l'Elferoi partit d'un grand rirecomme si je venais de dire quelque chosed'hilarant. Cette fois, le rire gagna même sesyeux d'un bleu glacé.

— Tu peux me faire la révérence si tu lesouhaites, dit-il, les lèvres encore agitées parl'amusement. Mais rien ne t'y oblige.

Je louchai désespérément au-delà du murdes motos et entraperçus Finn et mon père,impuissants à l'extérieur du cercle. Ils nepouvaient m'atteindre sans bousculer lesmotards, et j'imagine que ce serait suffisantpour briser la geis qui les empêchaitd'attaquer.

— Que voulez-vous ? demandai-je à l'Elferoi.— Ne discute pas avec lui, Dana, m'avertit

Ethan.Je n'avais pas exactement envie de discuter,

mais si ça le faisait déguerpir plus vite, j'étaisprête à donner de ma personne.

— Que voulez-vous ? répétai-je sans mepréoccuper du grognement de consternationd'Ethan.

L'Elferoi se pourlécha les lèvres, tel un chienprêt à dévorer un os.

— Je veux retrouver la liberté de Chasserdont je jouissais autrefois, dit-il. Les faës sontun gibier satisfaisant, mais que les reines ne

un gibier satisfaisant, mais que les reines nem'accordent que trop rarement. QuelquesChasses par an tout au plus. Et puis, j'ai enviede variété.

Le sourire qui étirait ses lèvres étaitpurement maléfique.

— Avant qu'Avalon ne fasse sécession d'avecle royaume de Faëry, je pouvais Chasser lesmortels ici quand j'en avais assez des faës queles reines voulaient bien me laisser. Je n'ai pasChassé de mortel depuis cent ans.

Oh, merde. Je n'aimais pas du tout latournure que prenait cette conversation.

— Vous êtes en train de dire que vous voulezutiliser mon fluide de Passemonde ? Que jevous emmène dans le monde des mortels etvous laisse tuer des tas de gens ?

Il inclina la tête sur le côté, l'air étonné.— Si par « fluide » tu veux dire ta magie, la

réponse est oui.— Hum, laissez-moi réfléchir une minute,

dis-je en me tapotant le menton.Je ne sais pas où je trouvais l'aplomb de faire

la maline avec lui, surtout quand mes genouxétaient tellement flageolants que c'était unmiracle que je tienne encore debout.

Je secouai la tête.— Non. Je crois que ce ne sera pas possible.

Désolée.

Désolée.Je pensais qu'il serait furieux de voir sa

requête rejetée, mais il me prit de court en mesouriant encore une fois. Lorsque son sourireatteignait ses yeux, il était d'une beautésidérante. D'une beauté terrifiante, mais tout àfait réelle.

— Tant pis. Ça ne coûtait rien de demander.Je doutais pourtant qu'il eût l'intention de

lâcher l'affaire aussi facilement.— Je crois que nous n'avons plus rien à nous

dire, alors, balançai-je d'un air qui se voulaitassuré.

Le sourire de l'Elferoi s'élargit, et il medétailla de la tête aux pieds. Un frissonremonta le long de ma colonne vertébrale. Il medéshabillait carrément du regard, et je baissailes yeux pour m'assurer qu'il n'avait pas utiliséun sortilège pour le faire pour de bon. Le visageme brûlait d'embarras comme si je me tenaisvraiment nue devant lui.

— Arrêtez ça ! dit Ethan en lâchant ma mainpour s'interposer entre l'Elferoi et moi.

Je ressentis de nouveau le picotement de samagie. Je n'aimais pas que l'Elferoi me reluqued'un air concupiscent, mais je ne voulais pasqu'Ethan se mette en tête de me défendre ets'attire des ennuis. Les garçons faës ont lesmêmes problèmes de testostérone que lesgarçons humains.

garçons humains.Je posai une main sur le bras d'Ethan et le

tirai en arrière pour le ramener à ma hauteur. Ilme regarda d'un air surpris, mais ne protestapas.

— Tu es sûre de ne pas vouloir faire un touravec moi ? demanda l'Elferoi, la voix soudainchangée, plus grave et plus rauque.

Séduisante, même, d'une façon qui me fitfrissonner.

— Tu pourrais trouver ça plus agréable quetu ne crois.

Il haussa un sourcil de façon suggestive.À côté de moi, Ethan se raidit et ses muscles

se tendirent sous mes doigts. Je comprissoudain exactement ce que l'Elferoi était entrain de faire, et ce fut presque un soulagementde le percer à jour.

— Ne mords pas à l'hameçon, Ethan, lui dis-je sans quitter l'Elferoi des yeux. Il veut tepousser à faire quelque chose de stupide pourpouvoir t'attaquer.

L'Elferoi secoua la tête, un air de regretexagéré sur le visage.

— Hélas, tu as vu clair dans mon jeu,Passemonde. Mes ruses sont impuissantescontre toi.

Il exhala un dernier long soupir. Puis,l'expression de son visage changea, de nouveau

froide et cruelle.— Il est fort dommage que nous ne puissions

arriver à un accord, reprit-il.Sous mes yeux horrifiés, il passa la main par-

dessus son épaule et saisit la poignée de sonépée.

— Il naît si peu de Passemondes que c'estune honte de gaspiller leur vie.

L'épée jaillit de son fourreau avec unchuintement sinistre. Le métal brillait commes'il possédait une lumière intérieure et la lameétait aussi longue que ma jambe. Elle avait l'airde peser une tonne, mais l'Elferoi la tenaitd'une seule main comme si elle était aussilégère qu'un couteau à beurre.

Je secouai la tête, tâchant de conserver moncourage.

— Vous ne pouvez pas me faire de mal,affirmai-je, espérant y mettre plus d'assuranceque je n'en ressentais. La geis qui vous lie vousen empêchera.

Il me gratifia d'un autre de ses souriresglacials, de ceux qui n'incluaient pas les yeux.

— En es-tu certaine ? demanda-t-il.Et il abattit son épée en direction de mon

cou.Je me baissai instinctivement en hurlant. À

côté de moi, Ethan poussa un cri de rage plusque de peur. Au lieu de se baisser pour éviter la

que de peur. Au lieu de se baisser pour éviter lalame comme le ferait toute personne sensée, ilse jeta en avant. Je hurlai une seconde fois envoyant le poignard d'argent dans sa main.Kimber et lui portaient toujours sur eux desarmes de contact. Kimber disait que c'était àcause du danger qu'ils couraient en tant quemembres du mouvement Underground. Jevoulus intercepter le bras d'Ethan pourl'arrêter, mais je fus trop lente.

Un coin de la bouche de l'Elferoi se releva enun sourire triomphal tandis que son épéepassait au-dessus de ma tête. Et ce n'était pasparce que je m'étais baissée - il m'avait manquévolontairement et n'avait jamais eu l'intentionde toucher à un seul de mes cheveux. MaisEthan l'ignorait.

L'Elferoi m'adressa un clin d'œil avant delever le bras pour parer à l'attaque d'Ethan. Ilne fit même pas la grimace quand le poignardd'argent pénétra le cuir de sa veste et que lesang coula sur son avant-bras.

Je crois qu'à la dernière seconde, Ethan serendit compte qu'il s'était fait piéger, mais ilétait trop tard pour qu'il puisse s'arrêter dansson élan.

— Trop facile, dit l'Elferoi, qui ne semblaitpourtant pas mécontent.

Remettant son épée au fourreau d'une main,

il souffleta négligemment Ethan du revers del'autre.

Du sang jaillit de la joue d'Ethan, et le couple fit reculer. Il vacilla quelques secondes, puisses jambes cédèrent sous lui. Je me précipitai àson côté, tandis que l'Elferoi examinait lespointes ensanglantées de son gantelet.

Je m'agenouillai près d'Ethan, soulagée deconstater que sa poitrine se soulevait toujoursau rythme de sa respiration. Pour combien detemps, je n'en savais rien. Mon espritbouillonnait furieusement, cherchant unmoyen de le sauver sans permettre à l'Elferoide m'attaquer. Mais je ne trouvai rien.

Pourtant, quand l'Elferoi s'accroupit en facede moi, il ne fit aucun geste hostile. Sasuffisance l'avait quitté, et lorsque son regardcroisa le mien au-dessus du corps d'Ethan, jecrus y discerner une sorte de tristesse. Sa voixétait étonnamment douce quand il prit laparole, et tellement sourde que je fus la seule àl'entendre.

— Il est mien à présent, Passemonde.Il tendit une main pour écarter une mèche

blonde du sang qui maculait le visage d'Ethan.— Sa blessure guérira dans l'heure, mais il ne

sera plus jamais l'homme que tu connaissais.Des larmes coulèrent sur mes joues quand il

prit dans ses bras le corps inanimé d'Ethan et

prit dans ses bras le corps inanimé d'Ethan etse releva avec lui. Je fis un geste pour leretenir, mais ne savais comment m'y prendre.

Sur un signe de tête de l'Elferoi, la ChasseInfernale rompit le cercle, permettant à monpère de se glisser entre eux.

J'avais envie de me jeter dans ses bras et depleurer, mais je n'osai bouger ou quitterl'Elferoi des yeux, de crainte qu'il nedisparaisse avec Ethan.

L'Elferoi demeura debout, le corpsdésarticulé d'Ethan dans les bras, laissant monpère arriver jusqu'à moi. Dans un de sesmoments de grande extraversion, Papam'entoura les épaules d'un bras et me serracontre lui. L'espace d'un instant, je medemandai même s'il n'était pas satisfait quel'Elferoi retire Ethan du jeu. Je vous ai déjà ditqu'il ne le portait pas dans son cœur. Mais cefut très furtif.

Alertée par le tremblement du bras de monpère contre mes épaules, je détournai enfin lesyeux de l'Elferoi pour les lever sur lui.

Il serrait si fort les mâchoires que ses os sedessinaient sous la peau, et je n'avais jamais vuautant de fureur dans ses yeux. Ses joues enétaient écarlates, et j'étais à deux doigts decroire que le regard qui tue existait bel et bien.

Mon père n'est généralement pas ce que

Mon père n'est généralement pas ce quej'appellerais quelqu'un d'expressif, mais il étaittellement secoué par ce qui venait de se passerqu'il avait baissé sa garde. Sous la colèremeurtrière, je perçus une chape si lourde desouffrance et de chagrin que ma proprepoitrine me fit mal. Je ne savais pas de quoi ils'agissait, mais ça allait bien au-delà de lacause d'Ethan.

L'Elferoi gratifia mon père d'un de cessourires glacés qui ne touchaient pas ses yeux.

— Vas-tu te battre pour celui-ci, Seamus ?demanda-t-il. Ma Chasse serait en vérité trèshonorée de compter un membre tel que toidans ses rangs.

Le bras de mon père glissa de mes épaules etses mains formèrent des poings le long de soncorps.

— Laisse ma fille tranquille, Arawn,répondit-il sans desserrer les dents.

L'Elferoi - Arawn, donc - fronça les sourcils,feignant l’étonnement.

— Je n'ai fait aucun mal à ta fille. Quant àcelui-ci (il souleva le corps d'Ethan), il n'est pasde ton sang.

Papa déglutit, et j'aperçus avec horreurl'éclat des larmes dans ses yeux.

Sans que l'Elferoi ait paru faire un signe, l'unde ses Chasseurs abaissa la béquille de sa motoet en descendit. Il se présenta de dos, à mon

et en descendit. Il se présenta de dos, à monpère et à moi, le temps de déboucler soncasque, qu'il retira et posa sur sa selle. De longscheveux blonds tombèrent en cascade, et il seretourna.

Mon père émit un gargouillis terrible commes'il s'étouffait, et je lui pris le bras de craintequ'il ne s'écroule.

Les bottes du Chasseur résonnèrent d'unclaquement métallique sur le trottoir lorsqu'ilvint prendre position au côté de l'Elferoi. LeChasseur regardait fixement mon père avecune telle intensité qu'on aurait dit qu'ilsétaient seuls au monde.

Mon cœur cognait comme un fou dans macage thoracique, et j'en oubliai de respirer endévisageant le Chasseur à visage découvert. Ilétait un peu plus petit que mon père, etbeaucoup plus large de poitrine. Mais ses yeuxétaient la copie conforme de ceux de mon père,et la forme de leur visage assez proche pourque la ressemblance saute aux yeux. Uneversion réduite du tatouage de l'Elferois'enroulait sur sa tempe et jusque sous son œil.

L'Elferoi lui confia le corps d'Ethan, qu'ilreçut sans quitter mon père des yeux. Levisage du Chasseur était de marbre, mais sonregard était hanté.

— Connor, dit mon père d'une voix éraillée

— Connor, dit mon père d'une voix érailléepar la douleur.

L'Elferoi sourit à pleines dents, puis donnade petites tapes sur la tête de Connor comme àun bon chien.

— Je suis sûr que ton fils ne demanderaitqu'à te saluer, dit-il, mais je suis certain que tusais aussi que mes Chasseurs ne parlent pas.

Même si j'avais commencé à deviner ce quise passait exactement, je ne pus retenir unpetit cri.

J'avais un frère. Un demi-frère, du moins.Connor n'avait sûrement pas de sang humain.Il ressemblait beaucoup trop à un faë.

L'Elferoi se tourna vers Connor, qui inclinala tête et lança un long regard nostalgique àmon père avant d'emporter le corps d'Ethanvers sa propre moto. Je ne savais pas commentConnor allait s'y prendre pour piloter son engintout en transportant un homme inconscient,mais je ne doutais pas qu'il y parvienne.

L'Elferoi reporta une nouvelle fois sonattention sur moi.

— Tu devrais rappeler à ton père qu'il aencore une fille à protéger, Passemonde, melança-t-il. Je l'accueillerais avec un plaisir nondissimulé au sein de ma Chasse, mais ce neserait pas très fair-play de ma part de le prendreaujourd'hui.

Je m'agrippai au bras de mon père juste au

Je m'agrippai au bras de mon père juste aumoment où il allait faire un pas en avant. Iltremblait de rage, et ses yeux étaient siinhumains qu'une partie de moi eut envie delâcher prise et de fuir en courant.

— Ne fais pas ça, Papa, l'implorai-je. Je t'enprie. J'ai besoin de toi.

Je sentis les larmes couler sur mes joues, etje ne savais même pas pour qui je les versais :pour Ethan, pour Connor, pour mon père oupour moi-même. Peut-être pour nous tous à lafois.

Mon père hésita, mais je sentais son désir des'arracher à moi dans la crispation de sesmuscles. Il me jeta un rapide coup d'œil, etrevint à l'Elferoi. Toutes les cellules de moncorps surent qu'il était sur le point de toutabandonner pour une attaque futile, et je fis laseule chose qui me vint à l'esprit pour l'enempêcher.

Je jetai mes bras autour de sa taille, enfouismon visage dans son torse et laissai libre coursà mes sanglots.

Pendant un long et terrible moment, il ne fitpas un geste - au moins, ne me repoussa-t-ilpas. Puis, doucement, timidement, ses bras serefermèrent sur moi.

Je ne levai pas la tête quand le rugissementdes moteurs m'apprit que l'Elferoi et sa Chasse

des moteurs m'apprit que l'Elferoi et sa Chassese retiraient.

Ce fut le branle-bas de combat dès que la

Chasse Infernale eut disparu, mais j'étais dansune sorte d'état de choc et je ne me souvienspas de grand-chose. Kimber était hystérique -Ethan et elle étaient comme chien et chat,mais c'était tout de même son frère. Je n'étaispas en état de la réconforter, et je doute qu'elleait voulu de mes consolations. C'était à causede moi que l'Elferoi avait pris Ethan, et uneculpabilité accablante prenait presque le passur mon chagrin.

Papa m'emmena finalement chez lui pendantque Finn raccompagnait Kimber à sonappartement. Mon père me déposa sur lecanapé du salon, puis monta à l'étage libérerma mère de sa chambre prison et l'informer desderniers événements.

Je n'avais plus de larmes, et une sorte detorpeur s'était emparée de moi. Unengourdissement qui n'empêchaitmalheureusement pas la culpabilité de meronger. L'Elferoi s'était servi de moi pour

ronger. L'Elferoi s'était servi de moi pourprovoquer Ethan. Tout était ma faute. Pire, jene pouvais me sortir de la tête que c'étaituniquement à cause de moi que l'Elferoi s'étaitintéressé à Ethan.

J'entendis mes parents descendre l'escalier,mais j'étais trop mal en point pour lever la tête.Papa vint me rejoindre au salon, et j'entendisdes bruits de casseroles dans la cuisine, ce quivoulait dire que Maman préparait du thé. Argh.Je ne voulais plus revoir une autre tasse de théjusqu'à la fin de ma vie au moins.

Personne ne dit rien pendant un longmoment. Je retirai mes chaussures pour posermes pieds sur le canapé, et enserrai mesgenoux dans mes bras. Papa s'assit sur lacauseuse en contemplant ses mains. Ma mèreapporta le plateau du thé et en versa troistasses sans prononcer un mot. J'ignorai lamienne.

— Parle-moi de Connor, demandai-je à monpère quand le silence devint trop lourd.

Je n'avais pas encore vraiment réalisé quej'avais un frère dont je n'avais jamais entenduparler, et c'était peut-être aussi bien.

Papa soupira profondément en secouant latête. Je crus d'abord que ça signifiait qu'il nevoulait pas en parler, mais il me surprit.

— Mon premier-né, dit-il, les yeux rivés surle ruban de vapeur s'échappant de sa tasse.

le ruban de vapeur s'échappant de sa tasse.Il avait la voix éraillée. Il se racla la gorge et

but une gorgée de thé, mais rien n'avait changélorsqu'il poursuivit :

— Il y a bien longtemps, quand l'ElferoiChassait encore à sa guise en Faëry, j'étaisl'époux de Titania.

Je retins mon souffle. Avant de le connaître,on m'avait décrit mon père comme « l'un desplus hauts dignitaires de la cour desLumières ». J'avais compris que ça signifiaitqu'il était un personnage important de la courde Titania - même si, techniquement, en tantque citoyen d'Avalon, il n'était pas censé faireallégeance à une cour -, mais il ne m'étaitjamais venu à l'esprit qu'il pouvait être leprince consort de la reine.

— Elle garde rarement un époux plus d'unsiècle, mais ceux qui lui donnent desdescendants ont tendance à durer pluslongtemps. Je sais qu'elle s'était lassée de moisur la fin et cherchait à me remplacer. C'estalors qu'elle donna naissance à Connor, et jeremontai dans son estime.

» La naissance de mon fils me valut un sièclesupplémentaire au côté de la reine. C'est à cemoment-là qu'elle décida de mettre un termeaux maraudages de l'Elferoi. Elle envoya à sarecherche un contingent de Chevaliers

recherche un contingent de Chevalierscommandé par Connor avec pour mission de letuer. Seulement, comme je te l'ai dit, c'est unechose impossible. Lui et ses Chasseurs ontliquidé tous les Chevaliers de l'armée deConnor, mais l'Elferoi décida d'envoyer unmessage plus... fort à Titania, en contraignantConnor à rejoindre sa Chasse Infernale. Ce futle rapt de Connor qui convainquit finalementles deux reines de conclure un marché.

— Un marché excluant le sort de Connor ?m'étonnai-je, ma voix s'élevant malgré matorpeur.

J'aurais cru que la motivation première deTitania en passant un marché avec l'Elferoiaurait été la libération de son fils.

Mais, encore une fois, les faës ne sont pasdes humains, et ceux qui vivent en Faëry nefont même pas semblant.

Papa ferma les yeux, ma question réveillantune douleur évidente.

— Je sais qu'elle a tenté de le faire relâcher,dit-il. Mais l'Elferoi n'a rien voulu entendre.

Il rouvrit les yeux et les plongea dans lesmiens. En plus de la douleur, j'y lus aussi de lasympathie.

— Il se fait un point d'honneur de ne jamaisrendre de prisonniers.

Ma gorge se noua et les larmes memontèrent aux yeux, preuve qu'il m'en restait

montèrent aux yeux, preuve qu'il m'en restaitencore, finalement.

— Il y a forcément un moyen... commençai-je avant que les mots ne s'étranglent dans magorge.

— Titania elle-même a échoué, répondit monpère en secouant la tête. Il a pris Ethanaujourd'hui, et rien ne pourra le sauver.

Je ravalai les protestations qui memontaient aux lèvres. Peut-être que la reinedes Lumières ne disposait pas du même typed'arguments que moi. Après tout, elle n'étaitpas une Passemonde, et ne pouvait pas luioffrir un accès au monde des mortels.

Mes pensées s'arrêtèrent tout net. Oui, jepossédais quelque chose que l'Elferoi désirait.Mais j'avais déjà décidé que c'était une choseque je ne lui donnerais jamais. Pas même poursauver Ethan.

— Je sais ce qu'il veut de toi, Dana, ajoutamon père, et j'imagine que ce n'était passorcier à deviner en sachant que tu étais unePassemonde. Tu ne dois pas le lui donner.

La colère gronda dans ma poitrine, et j'auraissûrement prononcé des mots que j'auraisregrettés si ma mère ne m'avait pas prise dansses bras à l'improviste pour me serrer contreelle.

— Fais un peu plus confiance à notre fille,

— Fais un peu plus confiance à notre fille,Seamus, le rabroua-t-elle, et elle paraissaitaussi furieuse que moi. Je ne peux pas croireque tu envisages même la possibilité qu'ellepuisse aider la Chasse Infernale à pénétrer dansle monde des mortels.

Je sentis la main de mon père m'effleurer lehaut de la tête alors que je ne l'avais pasentendu se déplacer de la causeuse au canapé.

— L'Elferoi est un esprit malin très ancien,lui répondit-il, et je pense qu'il parlait aussipour moi. C'est un maître dans l'art d'obtenirce qu'il veut, et une jeune fille de seize ans - siraisonnable soit-elle - n'est pas de taille à luttercontre lui.

Je me dégageai des bras de ma mère pour lefoudroyer du regard.

— Arrête ça, d'accord ? Je n'ai aucune envied'être raisonnable en ce moment ! Tu ne peuxpas attendre demain avant d'essayer de meconvaincre que tu as toujours raison ?

Je savais que je l'accusais à tort, mais en cetinstant précis je n'en avais rien à cirer. Je nevoulais pas de sa logique, de sa réalité et de samoralité. Je voulais juste qu'on me réconforte,qu'on me dise que tout allait s'arranger, mêmesi ce n'était pas vrai.

Les faës sont de nature introvertie, et la vuede Connor avait suffisamment bouleversé mon

père pour qu'il me laisse entrevoir un momentses sentiments. Mais ça ne suffisait pas. Jevoulais le père dont j'avais toujours rêvé, unpère qui me protégerait, serait présent à mescôtés et m'aimerait. Je ne voulais pas d'un pèrequi ne trouvait rien de mieux à faire, le pirejour de ma vie, que de m'expliquer que c'étaitmal de laisser un dangereux psychopathe enliberté dans le monde des mortels.

Soudain, sa présence me fut insupportable.Je bondis du canapé, repoussant le bras demon père qui tentait de m'arrêter. La chambredu deuxième étage n'était plus la mienne, mamère l'occupait désormais, mais c'était le seulendroit où je pouvais me réfugier pour mesoustraire à sa présence.

Alors qu'une nouvelle marée de larmes memontait aux yeux, j'ouvris brutalement la porteet filai dans l'escalier dont je montai lesmarches deux à deux.

Il me fallut un moment pour retrouver moncalme. Chaque fois que je croyais avoir fini depleurer, je trouvais de nouvelles raisons decroire que c'était de ma faute si tout allait detravers. Si seulement j'avais trouvé la force deprendre en main ma mère et son problèmed'alcool, je ne serais jamais venue en Avalon etEthan n'aurait pas été capturé par l'Elferoi.

La seule chose qui mit finalement un terme

La seule chose qui mit finalement un termeà ma séance d'autoflagellation fut madétermination absolue à ne pas abandonnerEthan. Mon père avait beau croire qu'il étaitimpossible de le sauver de la Chasse Infernale,bon sang, je trouverais un moyen. Sans laisserl'Elferoi s'adonner à un carnage.

Je m'aspergeai le visage d'eau froide dans lasalle de bains, et commis l'erreur de meregarder dans la glace.

Ce n'était pas beau à voir. J'avais les yeuxrouges et bouffis et les cheveux collés sur mesjoues par les larmes. Je pris deux ou troisinspirations, puis entrepris de me rafraîchir dumieux que je pus. Mes yeux ne ressemblaienttoujours à rien lorsque j'eus terminé, maisj'avais au moins démêlé mes cheveux et lesavais noués en une queue-de-cheval bien nette.

Mon plan était de redescendre au salon et dem'excuser auprès de mon père de lui avoirrépondu sur ce ton. Je persistais à penser qu'ilaurait dû savoir que je ne mènerais jamais laChasse de l'Elferoi pour une virée sanguinairedans le monde des mortels, mais je savais quej'avais réagi de manière excessive. La vue deConnor lui avait forcément fait du mal. Laperte d'Ethan était déjà terrible, et je supposaisque ce n'était rien à côté de la perte d'un fils.

Ma mère m'intercepta avant que je puisse lui

Ma mère m'intercepta avant que je puisse luiparler. Elle m'attendait à la porte de la salle debains.

— Je sais que tu n'aimes toujours pas le thé,dit-elle en me tendant une tasse, alors je t'aifait du café.

Au diable ma gorge, qui se serra de nouveau.Je déglutis et réussis à faire bonne figure.

— Merci, dis-je en prenant la tasse quej'entourais de mes mains.

Papa n'avait chez lui que du café soluble,mais c'était mieux que rien. Je bus une gorgéeen m'efforçant de ne pas faire la grimace.C'était chaud et ça me fit tout de même dubien.

Maman s'assit au bord du lit et tapota lematelas à côté d'elle pour m'inviter à larejoindre. J'avais toujours l'intention deprésenter mes excuses à mon père, mais rienne pressait, et je lui obéis avec joie. Elleappliqua une main dans mon dos, qu'elle mefrotta de haut en bas pendant que je buvaismon café.

En temps normal, j'aurais repoussé sa main,mais là, j'avais vraiment besoin de réconfort.

— Tu aimes beaucoup ce garçon, n'est-cepas ? me demanda-t-elle doucement.

Jetais un peu gênée. Maman et moi n'avionspas ce qu'on peut appeler une relationchaleureuse et amicale. Je n'avais jamais parlé

chaleureuse et amicale. Je n'avais jamais parlégarçons avec elle, et ne lui avais pas dit grand-chose d'Ethan. Je n'avais pas très envied'aborder le sujet maintenant, mais elle faisaitun effort pour venir vers moi, ce qu'elle n'avaitjamais fait quand elle buvait. Si je larepoussais, ce serait peut-être la dernière fois.

— Je crois, lui répondis-je. C'est un peucompliqué.

Je ne la regardais pas, mais j'entendis lesourire dans sa voix.

— C'est toujours compliqué.J'émis un petit bruit qui était presque un

rire et bus une autre gorgée de mon horriblecafé pour rassembler mes pensées.

— Mais je ne crois pas que ça ferait dedifférence si je le détestais cordialement, luifis-je remarquer. Je me sentirais toujours aussimal qu'il ait eu des ennuis à cause de moi.

— Ce n'est pas ta faute, ma chérie. Jesecouai la tête de haut en bas.

— Bien sûr que si. C'est uniquement à causede moi que l'Elferoi s'en est pris à Ethan. Si jet'avais écoutée quand tu essayais de me mettreen garde contre Avalon...

Cette argumentation en disait long sur monétat d'esprit. Ma mère m'avait racontétellement d'histoires contradictoires à proposde mon père et d'Avalon que je ne savais plus

de mon père et d'Avalon que je ne savais plusque croire. J'avais finalement décidé d'allervoir par moi-même de quoi il en retournait, etc'est ainsi que le cauchemar avait commencé.

Du coin de l'œil, je la vis faire la grimace.— Ce n'est pas ta faute, répéta-t-elle d'un air

malheureux. Je sais que je ne t'ai pas facilitéles choses de ce point de vue. Peut-être que sije n'en avais pas rajouté pour te faire passertoute envie de venir ici...

Elle espérait sans doute que j'allais ladédouaner, mais je n'en avais pas l'intention.Nous avions beau vivre un joli petit momentde tendresse entre mère et fille, ça ne signifiaitpas pour autant que j'étais prête à luipardonner le naufrage qu'elle avait fait de nosvies.

Elle secoua la tête et poursuivit comme sielle n'attendait aucune réaction de ma part.

— Et puis, si tu n'étais pas venue, tu n'auraisjamais rencontré ton père. Je sais qu'il n'estpas parfait, et je déteste tout ce que tu as dûendurer, mais je suis heureuse que tu aies faitsa connaissance. Et lui la tienne. J'ai toujourseu beaucoup de scrupules à lui cacher tonexistence...

— Tu étais au courant pour Connor ?l'interrompis-je en scrutant son visage pourvoir si elle disait la vérité.

Le fait de savoir que j'avais un demi-frère

Le fait de savoir que j'avais un demi-frèren'aurait peut-être pas changé ma vie quandj'étais petite ou depuis mon arrivée en Avalon,mais c'était un nouveau grief que je pourraisajouter à son encontre si elle l'avait su et nem'en avait rien dit. Vu qu'elle avait caché àmon père qu'il avait une fille, mes soupçonsétaient légitimes.

— Non, répondit-elle, et l'expression peinéede ses yeux me convainquit qu'elle ne mentaitpas. Il ne m'en a jamais parlé. Je savais qu'ilavait perdu un être cher qui lui avait été ravipar la Chasse Infernale, mais je ne savais pasqui c'était ni s'il l'avait « perdu » au sens de« mort » ou « capturé ».

— Est-ce que tu me l'aurais dit si tu avais étéau courant ?

À l'époque où elle buvait encore, Maman nereculait jamais devant un mensonge. Peu luiimportait que ce soit gros comme une maisonou que je ne la croie manifestement pas - si elleavait à choisir entre avouer une véritédéplaisante et inventer une histoire, elle optaità tous les coups pour la seconde solution. Etc'est ce qu'elle aurait fait sans une hésitationpour cette question en particulier, maisaujourd'hui, elle m'avoua la vérité avec unegrimace.

— Sans doute pas, ma chérie, admit-elle. À

— Sans doute pas, ma chérie, admit-elle. Àquoi cela aurait-il servi ?

D'un côté, j'étais heureuse qu'elle se montrehonnête avec moi, mais en même temps, elleétait en train de me dire qu'elle m'aurait cachéla vérité.

Je secouai la tête.— Et pourquoi ça devrait servir à quelque

chose ? N'aurais-je pas eu tous les droits desavoir que j'avais un frère ? Je ne suis plus uneenfant, Maman. Tu n'as pas besoin d'épargnerma sensibilité ou d'autres trucs bien nuls quetu te crois obligée de faire.

La peine dans les yeux de ma mère nem'échappa pas. Génial. Je me disputais d'abordavec Papa, et voilà que j'engageais un secondround avec Maman. Je ne serais sûrement pasleur Little Miss Sunshine étant donné lescirconstances, mais j'avais mieux à faire que dedistribuer les coups.

— Désolée, murmurai-je en détournant lesyeux de son chagrin.

Elle tendit la main pour me tapoter le dos.— Ce n'est pas grave, ma chérie. Je sais que

tu m'en veux. Tu as toutes les raisons de m'envouloir.

Je me mordis la langue. Fort. Elle n'avaittoujours pas la moindre idée de la vraie raisonpour laquelle je lui en voulais tant. Après tout,

nous avons déjà établi qu'elle refusaitd'admettre qu'elle avait un problème avecl'alcool. Et si elle n'avait pas de problèmesd'alcoolisme, je ne pouvais pas lui en vouloirpour ça, vous suivez ?

Un jour ou l'autre, je péterai vraiment uncâble et nous nous hurlerons dessus à proposde son alcoolisme. Mais aujourd'hui, je n'enavais pas l'énergie. Je voulais seulementrentrer chez moi, me glisser dans mon lit etenfouir ma tête sous les draps. Je gardai doncles lèvres closes et murai ma colère au fond desa cachette, où elle pourrait continuer à couverencore un peu.

Mes parents voulaient que je passe la nuit

chez mon père. Ils devaient sans doute penserque j'avais besoin d'être consolée comme unbébé. Ils s'attendaient peut-être, si je restais, àce que je me confie à eux et me laisse dorloter,mais j'avais peur de ne pas maîtriser montempérament versatile et de rendre la soiréeencore plus glauque qu'elle ne l'était déjà. Enoutre, même si mon père avait manifestementde gros moyens, sa maison n'était pasexactement un palace, et ma mère occupait laseule chambre d'ami. Elle offrit de dormir surle canapé pour me laisser son lit, mais jerefusai.

Bien sûr, mon père aurait pu m'obliger àrester. Mais je crois qu'il est lui-même plutôtdu genre à préférer la solitude pour soigner sesblessures, et il avait compris que je tenais ça delui.

Qu'importe la raison, il accepta de meraccompagner dans mon bunker. Finn nous yrejoignit, et lorsque mon père repartit, je me

rejoignit, et lorsque mon père repartit, je meretirai dans ma suite, seule avec mes pensées.

J'étais consciente que j'aurais dû appelerKimber pour prendre de ses nouvelles et voir sielle tenait le coup. Mais je savais comment elleallait, mal, forcément mal. Lui passer un coupde fil aurait pourtant été la meilleure chose àfaire, mais je n'en avais simplement pas laforce ce soir. Je n'étais pas prête à affronter leregain de culpabilité que son chagrin éveilleraiten moi. Et je ne voulais plus pleurer, ce que jene manquerais pas de faire en entendant savoix. Le seul fait de regarder mes onglesfraîchement manucures me faisait monter leslarmes aux yeux, et j'aurais sûrement déjà toutenlevé si j'avais eu du dissolvant sous la main.J'envisageai de m'entraîner à invoquer lamagie pour me changer les idées, mais jen'étais même pas sûre de pouvoir chanter «Frères Jacques ». Je me résolus donc à mecoucher tôt, et restai allongée dans le noir à medemander ce que j'aurais pu faire pour sauverEthan.

J'ai dû finir par m'endormir, parce que ce futun tambourinement à ma porte qui me tira dusommeil. Je me renfonçai sous mescouvertures en grognant. Le sommeil était laplus belle invention de l'histoire de l'humanité.Quand je dormais, je ne me sentais pluscoupable ni malheureuse ni triste.

coupable ni malheureuse ni triste.Les coups sur ma porte redoublèrent, jusqu'à

ce que je comprenne que je ne pourrais pas merendormir. Je possède un de ces radios-réveilsqui s'éclairent progressivement le matin pourne pas me réveiller dans l'obscurité totale demon bunker. Lorsque j'ouvris finalement lesyeux, je vis que l'affichage était à sonmaximum de luminosité et, même s'il me fallutun certain temps pour accommoder la visionde mes yeux embrumés de sommeil, je savaisque c'était le matin.

Les coups sur ma porte ne faiblissaient pas.Et commençaient à me prendre la tête.

— C'est bon ! criai-je. Je suis réveillée.Pourquoi est-ce que Finn ne me laissait pas

dormir ? Je n'avais rien de particulier à faire.— Désolé de te réveiller, appela Finn à

travers la porte. Il n'avait pourtant pas l'airdésolé du tout.

— Ça fait plus d'une heure que Keanet'attend, et j'ai pensé que ça suffisait.

Il me fallut cinq bonnes minutes pourenregistrer ce que Finn venait de dire. Je mesouvins alors que nous étions mardi et quec'était le jour d'une de mes leçons avec Keane.Un coup d'œil au réveil m'indiqua qu'il était 10heures passées, alors que mes séancesdébutaient d'habitude à 9 heures, autant dire

débutaient d'habitude à 9 heures, autant direaux aurores.

Je repoussai mes cheveux emmêlés de monvisage et lâchai un juron. Je pensais que Keanene viendrait pas aujourd'hui. Je sais bien quela vie suit son cours et tout le pataquès, maisquand même...

J'aurais aussi bien pu zapper son cours, maisje connaissais mon Keane. Il aurait forcé laporte de ma chambre, m'aurait tirée par lespieds s'il le fallait et porté sur son dosjusqu'aux tapis d'entraînement.

— Dites-lui que j'arrive dans quelquesminutes, répondis-je d'une voix résignée.

Je prends généralement une douche avantnos séances de combat, même si ça ne medispense pas de remettre ça à la fin de la leçon.Mais aujourd'hui, je ne m'en sentais pas lecourage. Je ne crois pas que je sentaismauvais, même si je me fis peur en meregardant dans le miroir de la salle de bains.Ouais, c'était à ce point.

Je me brossai les dents, me lavai la figure,démêlai mes cheveux, que je nouai à la hâte enchignon. Bâillant toujours, je revêtis unpantalon de yoga et un débardeur moulant.Lors de mes premières séances, je portais destee-shirts amples confortables, mais je m'étaisvite aperçu que ce genre de vêtement ne vous

couvrait pas bien longtemps quand on passaitla moitié de son temps la tête en bas ou à sefaire traîner sur des tapis. J'en rougissaisencore de penser aux gros plans que Keaneavait eus de mon soutien-gorge.(Heureusement que j'en portais un ! Platecomme je suis, j'aurais très bien pu m'enpasser.)

Keane m'attendait dans le salon. Il avait déjàpoussé les meubles pour faire de la place auxtapis. La routine habituelle mais, quand je leregardai, je constatai pourtant qu'une partie aumoins de la routine était aux abonnés absents.

Keane est avant tout un poseur pétrid'arrogance, et son catalogue d'expressionsvarie généralement du petit sourire narquoisou suffisant aux regards noirs dont il vousbombarde. Mais aujourd'hui, il était différent.Quoi qu'il puisse éprouver, il était d'humeursombre. Était-ce à cause de ce qui était arrivéhier soir à Ethan ? Ou souffrait-il toujours dela déculottée que lui avait infligée son pèresous mes yeux ?

Quoi qu'il en soit, je n'avais pas envie degérer ça. Merde, je n'étais en état de rien gérerdu tout.

Je me donnai mentalement une claque.Ethan n'avait pas eu envie de se faire capturerpar la Chasse Infernale, lui non plus. Ce que

par la Chasse Infernale, lui non plus. Ce quenous désirons de la vie et ce que la vie nousréserve sont deux choses bien différentes.

Je me demandais ce que devenait Ethan ence moment même. Sa blessure avait-elleentièrement cicatrisé ? Que lui avait faitl'Elferoi ? Il était manifestement destiné àdevenir un membre de sa Chasse, mais qu'est-ce cela impliquait exactement ? Je me souvinsque l'Elferoi avait dit que ses Chasseurs neparlaient pas, et je frissonnai tandis que moncerveau tentait de m'envoyer des images de cequ'il pouvait leur infliger pour les rendremuets.

Et merde, voilà que les larmes me brûlaientde nouveau les yeux. Je clignai farouchementles paupières, déterminée à les empêcher decouler. Pleurer ne sauverait pas Ethan, et neme permettrait pas d'aller mieux.

Keane prouva une fois de plus qu'il était unhomme de cœur. Alors que je restais plantéesur le pas de la porte en tâchant de meressaisir, il s'avança vers moi en deux ou troislongues enjambées. Allait-il me prendre dansses bras, me témoigner sa sympathie ou medire que tout allait s'arranger ?

Rien du tout.Sans me laisser le temps de réagir, il

m'agrippa et tira en avant pour me

m'agrippa et tira en avant pour medéséquilibrer, puis me faucha les jambes. Je fuscomplètement prise au dépourvu et chutai têtela première en direction du sol de pierre, carnous n'étions même pas sur les tapis.Instinctivement, je tendis les mains en avantpour amortir le choc, mais Keane me saisitsous les aisselles et me retint avant que jetouche terre. Il me jeta ensuite, brutalement,sur les tapis.

Gracieuse comme un rhinocéros blessé, jeme pris les pieds sur le bord et m'étalai de toutmon long. Je commençais à être suffisammenthabituée aux leçons de Keane pour savoir queje n'avais pas intérêt à rester allongée pourreprendre mon souffle, aussi roulai-je aussitôtsur le côté droit, évitant Keane qui avaitplongé sur moi. Je n'avais pas assez bienattaché mes cheveux, et une mèche me tombadans les yeux.

Je me relevai d'un bond, en mode piloteautomatique maintenant que la séance avaitcommencé - sans préavis. Keane me regardaitd'un air furibond en secouant la tête.

— Combien de fois devrai-je te dire de ne pasplacer tes mains comme ça ? aboya-t-il dans sameilleure imitation du sergent instructeur. Tuaurais pu te casser tes putains de poignets !

Je fis de mon mieux pour ne pas broncher.

Je croyais être immunisée contre ses coups degueule pendant nos entraînements, maisj'imagine que la situation m'avait fragilisée. Etc'était vrai que Keane avait passé beaucoup detemps à m'apprendre à tomber, et que laréception mains tendues n'était pas auprogramme.

En temps normal, je lui aurais renvoyé dutac au tac un truc bien senti. Ouais, disons untruc minable que je pouvais faire passer pourun truc bien senti. Mais aujourd'hui je nerépondis rien, et regrettai de ne pas être restéeau lit. Il n'aurait pas pu venir me tirer par lespieds si j'avais enfoncé le bouton d'urgence quiabaissait les portes blindées du couloir.

Keane devait être d'aussi mauvaise humeurque moi. Au lieu d'attendre une réponse ou deme laisser le temps de me reprendre, il balançason poing en direction de ma tête. Encore unefois, mon corps se mit en pilote automatique.Je m'avançai vers lui sans réfléchir pour briserson élan et tendis le bras pour parer le coup. Jefus trop lente et son poing termina sa coursedans mon épaule.

Je sais que Keane retient ses coups dans noscombats, mais je les sens quand même. Audébut, la douleur me paralysait souvent, aumoins quelques instants. Aujourd'hui, elle merendit seulement dingue. Je contrai avec un

rendit seulement dingue. Je contrai avec uncoup de pied au genou qui lui aurait sûrementcassé quelque chose s'il n'avait pas eu ses sortsde protection.

Nous luttions désormais avec acharnement.Tout mon être était tendu pour éviter sescoups et me libérer de ses prises tout encherchant - sans succès pour l'instant - àpasser ses défenses. En ce moment précis, il nem'enseignait rien. Si mon cerveau n'avait pasété trop occupé à me défendre, j'aurais pu medemander ce qu'il lui prenait ce matin.

Je faisais du bon boulot de défense, maischaque coup de poing ou de pied que jebloquais me faisait mal, et la douleur décuplaitma rage, jusqu'à ce que je réussisse à lui collerun uppercut.

Keane me donnait des cours d'autodéfense,et je n'étais pas censée attaquer. Oui, j'avaisappris à placer des coups de poing, des coupsde pied et quelques prises, mais toujours dansle but de mettre mon adversaire hors d'état denuire afin de pouvoir m'enfuir. Je n'étaissupposée frapper que les parties les plusvulnérables de son anatomie avec les partiesles moins fragiles de la mienne. Je nous pristous les deux de court lorsque mon poings'écrasa sur sa mâchoire.

Si je m'étais battue contre un adversaire

Si je m'étais battue contre un adversaireréel, ce mouvement aurait été une trèsmauvaise décision. Mes coups ne sont pasassez puissants pour occasionner beaucoup dedégâts, à moins de frapper les parties sensibles.Sans compter le fait - dont on parle trèsrarement - que, merde, ça fait mal d'aplatir sonpoing contre une surface aussi dure. Les sortsde protection utilisés par les combattants faëssont également assez costauds.

L'impact du choc remonta de mon brasjusqu'à l'épaule, et mes doigts s'engourdirentquelques instants. Je disposai d'une demi-seconde pour enregistrer la surprise sur levisage de Keane - et éprouver une méchantebouffée de triomphe - avant que la douleurn'envahisse brutalement ma main.

Je m'attendais plus ou moins à ce que Keaneprofite de ma distraction (on ne peut pas direqu'il était cool avec moi aujourd'hui), mais jene pus m'empêcher d'emmailloter ma maincontre mon corps tout en serrant les dents.Cette position me laissait sans défense, mais àcet instant précis, je n'en avais que faire.

Keane laissa échapper un gros soupir et metendit sa main.

— Fais-moi voir, dit-il d'un ton exaspéré.Je me reculai d'un mouvement brusque, la

colère bouillonnant toujours dans mes veines.

colère bouillonnant toujours dans mes veines.— Ne me touche pas !Mes jointures m'élançaient au rythme de

mes pulsations cardiaques. Mon coup de poingne paraissait pas lui avoir fait mal. Lesurprendre, c'était apparemment le mieux queje pouvais faire. Et quelque part, ce n'était pasaussi satisfaisant.

Keane leva les yeux au ciel.— Arrête ton cinéma. Laisse-moi voir ta

main. Si elle est juste amochée, je peux tesoigner. S'il y a une fracture, nous devronst'emmener aux urgences.

— Je n'ai rien de cassé. Du moins, jel'espérais.

— Alors, laisse-moi te soigner.Même le moins puissant des faës possède

suffisamment de pouvoir magique poursoulager des blessures mineures comme lesecchymoses. Keane, avec son héritage deChevalier, était à même de soigner desblessures plus importantes que la moyenne desfaës, mais réparer des os brisés dépassait sescapacités. C'était une marque du génie demagicien d'Ethan que de pouvoir réparer unefracture sans être un guérisseur ou uncombattant.

Penser à Ethan me vida de toute résistance,et je tendis faiblement ma main à Keane afinqu'il l'examine. La douleur était toujours

qu'il l'examine. La douleur était toujourslancinante, et mon majeur commençait àenfler. Je me raidis d'appréhension lorsqueKeane fit courir légèrement ses doigts sur ledos de ma main pour évaluer les dégâts.

Compte tenu de sa férocité en tant queprofesseur, il était étonnamment délicat pourme manipuler les doigts, les forçant doucementà bouger. Douceur ou pas, c'était quand mêmedouloureux, et je dus faire appel à toute mavolonté pour ne pas retirer ma main.

— Pas de fracture, finit-il par déclarer enhochant la tête. Je poussai un soupir desoulagement. J'avais autant besoin d'unebalade aux urgences que d'un nouvel ennemiqui voulait ma mort. Je m'attendais à éprouverle picotement de la magie que Keane allaitinvoquer, mais il lâcha ma main pour éloignerla table basse du canapé.

— Il vaut mieux que tu t'assoies, dit-il enréponse à mon regard étonné. À moins que tune préfères aller à l'hôpital, tout compte fait.Un guérisseur de métier pourra anesthésier tamain avant de la soigner, pas moi.

Je m'approchai du canapé en haussant lesépaules.

— Tu m'as déjà soignée plusieurs fois, et jene me suis pas encore évanouie.

J'amenai le dos de ma main sur mon front,

J'amenai le dos de ma main sur mon front,mimant une damoiselle en détresse victimed'une syncope.

Les lèvres de Keane s'incurvèrent dans unquasi-sourire - imaginez ça ! Mais il resta surses positions. Il s'assit sur le canapé et tapotale coussin près de lui.

— Ce n'est pas pareil. Ta blessure est plusimportante, et les doigts sont particulièrementsensibles. Ça ne sera pas long, mais ça va tefaire très mal.

Génial. Tout ce qu'il me fallait pouraméliorer mon humeur de chien. Mais si jelaissais Keane me soigner, en deux minutestout serait plié. Alors que si j'insistais pouraller voir un véritable guérisseur, ça pouvaitprendre plusieurs heures, le temps d'obtenir unrendez-vous - et de rassembler une escorte quiconvienne à mon père.

Je me laissai lourdement tomber sur lecanapé, et m'emparai d'un coussin que je serraisur ma poitrine de la main gauche pendant quej'abandonnai de nouveau la droite à Keane.Maintenant fermement mon poignet d'unemain, il étala ma paume et mes doigts sur sacuisse. Ce contact aurait été assez intime pourêtre gênant si je n'avais pas eu aussi mal.

La douleur augmenta quand Keane utilisason autre main pour amener mon majeurboursouflé dans une position aussi droite que

boursouflé dans une position aussi droite quepossible. J'aurais sûrement mieux fait defermer les yeux, ou au moins de regarderailleurs, parce que la vue de mon doigt rouge etgonflé me fit lever le cœur. Malgré ça,j'éprouvai malgré moi une fascination morbidetandis que ses doigts caressaient doucementmon majeur.

— Dana.Je sursautai presque au son de sa voix. Je

m'arrachai à la contemplation de ma mainblessée et plongeai mon regard dans lesincroyables prunelles émeraude de Keane.

— Pardon, murmura-t-il en plissant les yeuxsans détacher son regard du mien.

Je me rendis compte un peu tard qu'il avaitdélibérément détourné mon attention, et ladouleur me frappa de plein fouet sans que jem'y attende.

Je pensais m'être fait salement mal en lefrappant. La douleur que je ressentais à présentétait mille fois pire. Je sentis le fourmillementélectrique de la magie de Keane, et ce futcomme si une voiture venait de me rouler surla main, réduisant tous mes os en miettes. Jetentai par réflexe de retirer ma main, maisKeane la maintint contre sa cuisse le tempsque sa magie pénètre dans ma chair.

Une milliseconde supplémentaire et je

Une milliseconde supplémentaire et jen'aurais pas pu retenir un hurlement. Jeréussis en l'état à me limiter à ungémissement.

La douleur cessa aussi subitement qu'elleétait apparue, mais Keane ne me lâcha pas lamain. Je soupirai en frissonnant tandis qu'ilfaisait courir ses doigts sur ma peau. C'étaitpresque une caresse, et maintenant que jen'avais plus mal, je ne pus m'empêcher denoter que ma main était presque à portée dedoigts d'une partie de son anatomie que jen'avais aucun désir de toucher. Curieux que jene l'aie pas retirée.

Je regardai Keane, incapable de deviner sespensées. Est-ce qu'il vérifiait qu'il n'y avait pasd'autres blessures ? Ça ressemblait bien trop àune caresse. Mais j'étais comme une petitesœur casse-pieds pour lui, alors pourquoiferait-il ça ? Impossible que ce soit desavances, me dis-je fermement quand il melâcha la main, et je dus m'obliger à la retirer desa cuisse. Keane n'avait pas beaucoupd'affinités avec moi, et il n'y avait aucuneraison qu'il veuille aller plus loin. Et quel genrede garce étais-je pour nourrir ces pensées alorsqu'Ethan venait de se faire enlever ? Peut-êtrebien que sa jalousie n'était pas aussi malplacée...

placée...Je levai la main à hauteur de mes yeux pour

vérifier l'état de mes doigts en les faisantbouger. Ils obéirent tous à mes ordres, et jen'éprouvai aucune douleur résiduelle.

— Ils sont comme neufs, dis-je, légèrementhors d'haleine.

Mon halètement était uniquement dû à ladouleur que je venais d'endurer, et ce n'étaitpas une réaction aux caresses de Keane. C'estma version des faits, et je n'en démordrai pas.

— Bien, dit Keane, qui me lança un de sesregards désapprobateurs de prof en croisant lesbras. Et maintenant, veux-tu m'expliquer cequ'il t'a pris ?

J'ouvris de grands yeux.— Tu me le demandes ? Ce n'est pas moi qui

me suis jeté sur toi sans même dire bonjour.Il me balança un de ces regards suffisants

que je détestais tant.— Parce que tu crois que tes ennemis te

préviendront avant de t'attaquer ?Il décroisa les bras et prit une posture de

gros macho en imitant comiquement une voixde baryton.

— Excusez-moi, mademoiselle, mais je doisvous prévenir que je vais essayer de vous tuer.Préparez-vous à vous défendre, je vous prie.

— Ouaf, ouaf, grommelai-je. Je vais mourirde rire.

de rire.Je me souvins du drôle d'air qu'il avait

quand j'étais arrivée, et j'avais du mal à croirequ'il me disait la vérité, toute la vérité, rienque la vérité. Quelque chose l'avait renduparticulièrement agressif aujourd'hui, et çan'était pas non plus au programme.

— Alors, poursuivit-il. C'était quoi cetteimitation de Mohamed Ali ?

Il se frottait la joue approximativement là oùje l'avais frappé, mais je doutais que ce soitparce que je lui avais fait mal.

Même s'il m'avait mise hors de moi, jedevais bien admettre que je m'étais blesséetoute seule. Je n'aurais jamais dû le frapper auvisage. Nous n'avions combattu que cinqminutes - sans doute même moins - et j'avaiscommis deux erreurs majeures, qui auraient putoutes les deux m'être fatales dans un combatréel. J'étais très loin d'être une pro du combatrapproché, mais ces fautes me sautaient auxyeux, même à moi.

— Je n'y arriverai pas, aujourd'hui, dis-je ensecouant la tête. Je ne suis pas dans mon étatnormal. Et tout ce que tu m'apprendras entrerapar une oreille et sortira par l'autre.

Un long silence pesant s'installa entre nous,puis je le regardai de nouveau. Il avait fermé lesyeux et un muscle tressautait nerveusement

sur le côté de sa mâchoire. La raison pourlaquelle il se mettait dans un état pareil justeparce que je ne voulais pas m'entraîneraujourd'hui demeurait un mystère pour moi.Lorsqu'il parla, on aurait dit qu'il forçait lesmots à passer entre ses dents serrées.

— Tes ennemis n'attendront pas que tu soisd'humeur à combattre.

J'émis un son entre le sifflementd'exaspération et le grognement.

— J'en ai plus que marre de cette discussion.Je me fiche de ce que tu penses. J'ai besoind'un jour de repos après avoir vu mon...

Je m'interrompis parce que j'étais sur lepoint de parler d'Ethan comme de mon petitami alors que je nous avais fait clairementcomprendre, à lui comme à moi, qu'il n'étaitrien de la sorte. Je déglutis avant depoursuivre.

— ... ami se faire capturer par la ChasseInfernale en prenant ma défense.

Si j'avais espéré amadouer Keane en luiparlant du traumatisme que j'avais subi, jem'étais salement fourvoyée.

— Je suis désolé de ce qui est arrivé, dit-il.C'est un truc que je ne souhaiterais à personne.Mais si tu crois qu'Ethan est ton ami, tu te faisdes films.

J'en restai bouche bée. Qu'est-ce qu'il me

J'en restai bouche bée. Qu'est-ce qu'il mesortait là ?

— J'espère que tu ne t'es pas laissé séduirepar ses mots doux et ses belles manières,poursuivit Keane en me foudroyant d'un regardsi sombre que j'en étais mal à l'aise.

— Oh, pour l'amour de Dieu ! Ne me dis pasque tu es jaloux.

Comme s'il avait des raisons de l'être. Lui etmoi n'étions même pas amis, et on ne sortaitcertainement pas ensemble. Et je ne voyais paspourquoi Keane aurait été jaloux du succèsd'Ethan auprès des filles. Je suis sûre que lesfilles tombaient à ses pieds comme desmouches.

— Je ne suis pas jaloux, répondit Keane, quiparaissait sincère en dépit de ses yeux quilançaient des éclairs.

— Tu ne le connais même pas ! l'accusai-je,ignorant son affirmation.

Je reconnaissais la jalousie quand je croisaissa route, et je la regardais dans les yeux. Keaneme dévisagea d'un air incrédule.

— D'où tu sors ça ?J'en balbutiai de surprise. Évidemment,

j'ignorais qu'ils se connaissaient tous les deux.J'avais même supposé le contraire.

— Il n'y a que deux collèges en Avalon,reprit-il, la voix tendue de colère contenue. Etj'ai eu la malchance d'aller dans le même

j'ai eu la malchance d'aller dans le mêmecollège que ton « ami » Ethan. Il y a bien deuxou trois filles de notre classe qu'il n'a pasdraguées, mais c'étaient des boudins. Dès qu'ilavait obtenu ce qu'il voulait d'une fille, ilpassait à la suivante. Même si la suivante avaitdéjà un petit ami. Le jeu n'en était que pluspiquant pour lui. Son ego était beaucoup plusimportant à ses yeux que les sentimentsd'autrui. Tu te mets le doigt dans l'œil si tucrois que tu seras celle qui fera de lui unhonnête homme. C'est ce qu'il fait croire àtoutes ses conquêtes.

Je ne savais pas quoi dire. Je savaisqu'Ethan avait une réputation de séducteur. Etje m'étais rendu compte par moi-même de lafacilité avec laquelle il jouait de son charme -et de sa détermination à obtenir ce qu'ilvoulait quand il avait jeté son dévolu surquelqu'un. Mais il n'était pas que cela, je lesavais avec certitude. Il était beaucoup plusque cela.

— Il m'a sauvé la vie, lui fis-je remarquerdans un murmure rauque. Il a sauté dans lesdouves pour me sauver quand Grâce m'a jetée àl'eau. Il connaissait l'existence des sorcièresd'eau et il a sauté quand même.

Keane émit un grognement de frustration etse remit debout, me tournant rapidement le

se remit debout, me tournant rapidement ledos. Je me souvins qu'il n'était pas venu mevoir à l'hôpital quand je me remettais del'attaque de la sorcière d'eau. Ça m'avaitétonnée à l'époque, mais je me demandaismaintenant s'il ne m'en avait pas voulu parceque je m'étais enfuie avec Ethan. Cela n'avaitrien de romantique, mais j'imagine que Keanene pouvait pas le savoir.

— Tu aurais préféré qu'il me laisse entre lesgriffes de la sorcière d'eau ? demandai-je audos de Keane.

Il se retourna pour me regarder.— Bien sûr que non. Je suis heureux qu'il ait

été là, et qu'il t'ait sauvée. Je le méprise, maisje ne prétends pas qu'il est irrécupérable. C'estjuste...

Il secoua la tête et entreprit de rouler lestapis.

— C'est juste quoi ? insistai-je.Il poursuivit sa tâche.— Laisse tomber, Dana.— Non. Tu te pointes chez moi et tu

commences à me balancer des horreurs sur ungarçon qui vient de se faire capturer par laChasse Infernale pour avoir essayé de medéfendre. Alors, tu vas me faire le plaisir determiner ce que tu as commencé.

Il jeta le matelas roulé dans un coin avec

Il jeta le matelas roulé dans un coin avectant de force que celui-ci rebondit contre lemur. Il se tourna vers moi, toujours agenouilléau sol, une étrange expression sur le visage.Sous la colère, je distinguai également dans sesyeux un puits de souffrance dont j'ignorais lacause.

Quelque chose fit « tilt » dans mon cerveau,et je lui adressai un sourire de compassion.

— Une de ces filles qu'Ethan a draguée aucollège était ta petite amie, c'est ça ?

Voilà qui expliquerait très certainement larivalité que j'avais constatée entre ces deux-là.

Keane ne confirma ni n'infirma ce quej'avais deviné, mais je savais que j'avais vujuste. Finalement, je ne pus supporter pluslongtemps l'intensité de son regard etdétournai les yeux. Lorsque je les ramenai verslui, il avait fait demi-tour et s'éloignait sansajouter un mot.

Une fois Keane parti, je regrettai de ne pas

avoir fermé ma grande gueule et terminé maleçon, quitte à me faire rouer de coups et àcommettre de nouvelles erreurs stupides etgênantes. Pendant qu'on s'entraînait, je n'avaispas le temps de me morfondre au sujet d'Ethan.En plus, et même si c'était douloureux, j'avoueque dans mon état d'esprit actuel ça me faisaitdu bien de cogner.

Après le départ de Keane, je ne pus plus fairetaire mon cerveau. La culpabilité m'assaillitvague après vague, en particulier parce que jen'avais pas le courage de prendre montéléphone pour appeler Kimber. Elle était mameilleure amie et elle était forcément ensouffrance. Son père n'avait jamais caché sapréférence pour Ethan, le petit génie de lamagie. Je doutais qu'elle trouve beaucoup deréconfort auprès de son paternel en cemoment. Elle avait besoin de moi, et moij'étais trop lâche pour l'affronter.

Pour m'occuper l'esprit et ne plus penser àEthan, j'essayai une fois de plus d'apprendre à

Ethan, j'essayai une fois de plus d'apprendre àutiliser la magie. Ma voix était faible ettremblante, mais je sentis la magie afflueravant même d'avoir achevé ma premièregamme. Je tentai de me féliciter de mesprogrès, mais il n'y avait pas de quoi pavoiseralors que j'étais toujours incapable de jeter lemoindre sort.

Je finis par abandonner, dégoûtée. Peut-êtremon affinité avec la magie n'allait-elle pas plusloin que de pouvoir la sentir et l'invoquer. Ettout l'entraînement du monde ne me serviraità rien. J'aurais dû faire confiance à Ethan etlui demander de m'apprendre la magie.Maintenant, je n'en aurais plus jamaisl'occasion...

Je secouai la tête en tentant d'effacer cettepensée. Ethan ne resterait pas au sein de laChasse Infernale. Son père était un hommepuissant. Il trouverait peut-être un moyen deraisonner l'Elferoi, contrairement à Papa. Il yavait forcément quelque chose à faire.

Si le fait d'avoir toujours été le seul membreresponsable de ma famille m'avait appris unechose dès le plus jeune âge, c'est qu'on nepouvait compter que sur soi. Pour être certained'avoir de l'électricité, je devais payer la facturemoi-même. Quand ma mère se blessait etdevait être emmenée aux urgences, je n'avais

devait être emmenée aux urgences, je n'avaisd'autre choix que de l'y conduire.

Je me souviens d'une fois, alors que j'avaissix ou sept ans, où ma mère avait été victimed'une sévère intoxication alimentaire. Elleétait si mal en point que je croyais qu'elle allaitmourir. Je voulais appeler le 911, mais elle m'adit que ce n'était pas si grave. J'étais encoreassez jeune à l'époque pour faire ce qu'on medisait.

J'avais essayé de demander à une de nosvoisines plutôt sympa de nous conduire àl'hôpital, mais elle avait refusé. Je ne mesouviens pas quelle excuse elle avait prétextée,mais même alors j'avais compris que lavéritable raison était qu'elle avait peur que mamère ne vomisse dans sa voiture. J'avais dûappeler un taxi en fin de compte, etpratiquement traîner Maman dans l'escalierpour la faire monter en voiture. Elle était tropdéconnectée - en plus d'être malade, je croisbien qu'elle était saoule - pour payer lechauffeur, et lorsque je fouillai dans son porte-monnaie, je ne trouvai que deux ou trois billetsd'un dollar. Je me souviens encore de la voixde ce chauffeur de taxi hurlant que nous étionsdes « voleuses ».

En venant en Avalon, j'avais espéré trouveren mon père quelqu'un sur qui je pourrais

en mon père quelqu'un sur qui je pourraisenfin compter, quelqu'un qui s'occuperait derégler les problèmes. Mais j'avais compris, dansun de ces étranges éclairs de lucidité quej'avais ces derniers temps, que si quelqu'undevait sauver Ethan de la Chasse Infernale, cene pouvait être que moi. J'aurais été trèsagréablement surprise que mon père yparvienne seul, mais il était temps de cesserd'espérer que quelqu'un se retrousserait lesmanches à ma place.

Le moment était venu de penser au plan desauvetage d'Ethan.

Dis comme ça, ça semblait parfait... Siseulement j'avais eu le moindre début d'idéesur la façon de m'y prendre ! Comment uneadolescente de seize ans était-elle censées'attaquer à l'ancestral chef de la ChasseInfernale ? Un chef que redoutaient jusqu'auxreines de Faëry ? Je m'efforçai de ne pas melaisser ensevelir par l'apparente impossibilitéde la tâche.

Je passai plusieurs heures à ressasser leproblème sans parvenir à aucune conclusionsatisfaisante. Mon esprit ne cessait de mesouffler que le seul moyen de convaincrel'Elferoi de relâcher Ethan était d'accepterd'emmener la Chasse Infernale dans le mondedes mortels. Je ne peux pas nier que la

des mortels. Je ne peux pas nier que latentation de m'y résoudre m'effleura, mais jesavais que je ne me le pardonnerais jamais.L'Elferoi, avec toute sa magie - qui seraitefficace grâce à moi -, ferait passer le règne dela terreur de Jack l'Éventreur pour uneplaisanterie.

Le téléphone sonna en fin d'après-midi. Jeregardai le numéro appelant. Je ne leconnaissais pas. Je me dis qu'il devait s'agird'une erreur, tout en espérant secrètementqu'Ethan s'était échappé des griffes de l'Elferoiet m'appelait d'une cabine publique ou d'untéléphone qu'on lui avait prêté.

— Allô ? répondis-je, consciente que jeprenais mes rêves pour la réalité, mais sanspouvoir m'en empêcher.

Je retins mon souffle en attendant que moninterlocuteur prenne la parole.

— Bonjour, Passemonde, me salua la voix del'Elferoi, et je hoquetai sous le choc.

— Comment avez-vous eu mon numéro ?demandai-je, même si c'était secondaire.

— Mes Chasseurs n'ont pas de secrets pourmoi, dit-il d'un air amusé.

Mon cœur fit une brusque embardée dansma poitrine. Je ne savais pas exactement cequi arrivait à ceux qui étaient enrôlés dans laChasse, ni ce que leur faisait l'Elferoi pour leslier à lui, mais j'aurais dû me douter que ce

lier à lui, mais j'aurais dû me douter que cedernier connaissait à présent sur moi tout ceque savait Ethan. Comme mon numéro detéléphone.

Heureusement qu'Ethan ignoraitl'emplacement de mon bunker !

J'aurais aimé trouver une repartie pleined'esprit pour le remettre à sa place et luimontrer que je n'avais pas peur de lui. Mais jerestai là comme une idiote, le téléphone contrel'oreille et la langue collée au palais.

— C'est une sacrée belle prise, ton Ethan, ditl'Elferoi. Pas d'aussi haut rang que ton frère,mais sa lignée est plus que respectable et il ades pouvoirs immenses.

Ma main se crispa sur l'appareil.— Vous m'appelez seulement pour vous

gargariser de votre victoire ou vous avezquelque chose d'important à me dire ?

Ma voix était rauque et cassée.— Un peu des deux, répliqua-t-il. Mais je

crois que tu sais exactement pourquoi jet'appelle, n'est-ce pas, Passemonde ?

— Je m'appelle Dana ! aboyai-je, sans trèsbien savoir pourquoi je tenais tant à ce qu'ils'adresse à moi par mon nom.

— Dana. Bien sûr. Sais-tu pourquoi je t'aiappelée, Dana ?

Une seule raison me vint à l'esprit.— Maintenant que vous avez Ethan en

— Maintenant que vous avez Ethan enotage, vous voulez conclure un marché.

Un marché que ma conscience m'empêchaitde passer, si grand que soit mon désir desauver Ethan.

— Très bien. Jadis, lorsque Avalon n'avaitpas encore fait sécession du royaume de Faëry,j'aurais pu te prendre de force. Bien sûr, dansl'ancien temps, j'étais libre de Chasser à maguise en Avalon, et je n'aurais pas eu besoin detoi. Dans le monde d'aujourd'hui, ni moi nimes Chasseurs ne pouvons toucher à un seulde tes cheveux, et je ne peux pas me servir detoi pour pénétrer le monde des mortels sanston consentement. Donne-moi tonconsentement, et Ethan sera libre de partir. Ilsera le premier de mes Chasseurs jamais libérésde la Chasse par autre chose que la mort.

Je respirai un grand coup pour me calmer. Sij'avais eu une once de bon sens, j'aurais mis finà cette conversation dans la seconde. Je ne saispas si je serai jamais en état de négocier avecl'Elferoi, mais je ne l'étais certainement pas là,maintenant. Le choc et la douleur d'avoirperdu Ethan étaient encore trop frais.

— Vous savez que je ne peux pas faire ça,m'obligeai-je à lui répondre.

— Je ne sais rien de tel. Tu n'auras peut-êtrepas le cran de m'accorder un accès libre et

pas le cran de m'accorder un accès libre etillimité, mais je serais heureux de négocier. Jesuis un homme raisonnable.

Non, parce qu'il n'était pas un homme.— Fais-moi une proposition, dit-il.— Sauf si vous voulez venir dans le monde

mortel pour faire du tourisme, je ne peux pasvous y accompagner. Je vous ai vu tuer unhomme la dernière fois que vous êtes entré enAvalon, sur votre cheval. Il est hors dequestion...

Ma voix s'étrangla comme je tentai derepousser l'image de l'Elferoi fondant sur le faëen fuite, l'épée levée prête à frapper.

— Je suis fait pour la Chasse, Passe... Dana,dit l'Elferoi d'une voix plus douce. C'est lanature essentielle de mon être. Je n'ai aucunintérêt touristique pour le monde des mortels.Si nous nous mettons d'accord pour que tu m'yaccompagnes, je Chasserai et je tuerai des gens.Qu'il n'y ait pas de malentendus entre nous.

Un petit bruit, presque un gémissement,monta de ma gorge.

— Je suis navré que cela t'afflige, poursuivit-il. Je ne te veux aucun mal. Mais je ne pensepas qu'édulcorer la vérité lui donne meilleurgoût. Je suis prêt à envisager certainesconcessions pour te convaincre d'accepter dem'accompagner, mais une Chasse n'est pas une

m'accompagner, mais une Chasse n'est pas uneChasse sans la mort de la proie.

— Nous n'avons plus rien à nous dire, dansce cas, répondis-je, même si ça me tuait.

Je me sentais déjà salement coupable de cequi était arrivé à Ethan. Et maintenantl'Elferoi me mettait le nez dedans enm'expliquant que je pouvais le sauver... àcondition de sacrifier allez savoir combiend'inconnus en échange.

— Tu as sans doute besoin de temps pourréfléchir. Je n'exige pas une réponseimmédiate. Tu as mon numéro de téléphone àprésent. Si tu changes d'avis, n'hésite pas àm'appeler.

Une fois de plus, je ne sus pas quoi répondre.J'attendais qu'il raccroche, ou qu'il parte d'ungrand rire sardonique. Mais j'étaisapparemment encore loin de comprendre cetype, parce qu'il ne fit rien de tel.

— Souviens-toi de ce que je t'ai dit lapremière fois que nous nous sommesrencontrés, ajouta-t-il. Je ne suis pas tonennemi, même si nous avons parfois desintérêts divergents.

Je me souvenais qu'il avait dit ça, et il avaitsouligné qu'il n'était pas non plus mon ami.

En repensant à notre première rencontre, jeme souvins que l'Elferoi avait averti Finn de laprésence d'un imposteur parmi nous. « Un gage

présence d'un imposteur parmi nous. « Un gagede bonne volonté », il avait appelé ça.

— Ce fut un plaisir de discuter avec toi, dit-ilet je me rendis compte qu'il était sur le pointde raccrocher.

— Attendez ! l'arrêtai-je, me surprenant moi-même.

Je crus que c'était trop tard, mais j'entendisla voix de l'Elferoi.

— Je t'écoute.— Pourquoi m'avoir prévenue à propos de

l'imposteur l'autre jour ?— Je te crois suffisamment intelligente pour

trouver la réponse toute seule. Mais je viens dete soumettre à une importante pression, et jesuis bien conscient que cela ne favorise pas laclarté de la pensée.

Il s'était arrangé pour me balancer ça sansavoir l'air trop condescendant, ce qui était unexploit.

— Je veux quelque chose de toi, Dana. Je leveux ardemment. Si tes ennemis devaientt'abattre, ils détruiraient mes chances del'obtenir. J'ai donc de très bonnes raisons de tegarder en vie, dit-il en riant doucement. Tu net'en rends peut-être pas compte, mais tu esplus en sécurité maintenant que tu ne l'asjamais été depuis ton arrivée en Avalon. Je nelaisserai rien ni personne te faire de mal.

laisserai rien ni personne te faire de mal.Putain, et qu'est-ce que je devais répondre à

ça ? Merci ? Certainement pas.Il me vint à l'esprit, lorsque j'eus raccroché,

que l'Elferoi venait de sous-entendre que mavie avait été menacée par le faux Lachlan. Maisaux dernières nouvelles, l'imposteur devaitseulement m'enlever pour me livrer à tanteGrâce, qui me voulait vivante, car elle avaitbesoin de mes pouvoirs.

Une seule conclusion s'imposait : soitl'Elferoi m'avait menti, soit les plans de tanteGrâce avaient changé.

Pendant les jours suivants, je tâchai de me

comporter le plus normalement possible étantdonné les circonstances. Le jeudi matin, jem'entraînai avec Keane comme d'habitude. Ilsubsistait une certaine tension entre nous,mais l'un dans l'autre ça ne se passa pas tropmal. Je m'inventais des raisons de quitter monbunker au moins une fois par jour pour avoirma dose de soleil et d'air frais. Mais commej'étais en Avalon, c'était plutôt pluie, brouillardet air frais.

Je n'avais toujours pas trouvé le couraged'appeler Kimber, et chaque jour qui passaitcreusait le fossé entre nous. Dans mesmoments les plus sombres, je me demandaismême si je n'avais pas mis à tort sur le comptede ma mère et de son embarrassante addictionmon incapacité à me faire des amies. Je n'étaispeut-être pas de l'étoffe dont on fait lescopines.

Le vendredi, je démarrai la journée par unedescente au Starbucks pour refaire le plein decafé. Même si l'Elferoi avait déjà frappé, mon

café. Même si l'Elferoi avait déjà frappé, monpère continuait d'insister pour me faireaccompagner par deux gardes du corps chaquefois que je quittais mon abri, et j'étais doncflanquée de Finn et de Lachlan. Je medemandai avec rancœur si mon père avaitréfléchi au fait que j'avais deux gardes du corpsprès de moi le jour où l'Elferoi avait pris Ethan,et qu'ils s'étaient révélés inutiles.

J'étais au trente-sixième dessous. J'avaispassé de longues heures à chercher un moyend'aider Ethan sans trouver une seule idéeréalisable. Mon esprit tournait en rond, moncerveau ressassait toujours les mêmes penséesstériles. Je ne sais pas qui je croyais berner enespérant triompher de l'Elferoi là où personnen'y était jamais parvenu. Mon cas semblaitdésespéré...

Alors que j'attendais que la charmantehôtesse de caisse du Starbucks enregistre mesachats, j'entendis le rugissement de motos quiapprochaient, et ma journée vira aucauchemar. Mon estomac se nouad'appréhension.

Comment faisait l'Elferoi pour savoirtoujours où j'étais ? Avalon est une petite ville,mais tout de même pas si petite. Ça ne pouvaitpas être une coïncidence que je sois tombéetrois fois sur lui lors de mes rares sorties hors

trois fois sur lui lors de mes rares sorties horsde ma chambre forte.

Les clients se turent, ainsi que les serveuses.Tout le monde se tourna vers la grande vitrinepanoramique qui donnait sur la grand-routed'Avalon. La magie de Finn fourmilla sur mapeau tandis que Lachlan et lui resserraient lesrangs autour de moi.

— Ne t'inquiète pas, Dana, me dit Finn. NiLachlan ni moi ne tomberons dans les piègesqu'il pourra essayer de nous tendre.

Ce n'était pas ce qui m'inquiétait, mais je nepris pas la peine de le détromper. Mon instinctme disait que l'Elferoi ne passerait pas àl'attaque aujourd'hui. Il avait porté l'estocadeen capturant Ethan. Et je savais qu'il venaitretourner le couteau dans la plaie en merappelant ce que mon refus de conclure unmarché avec lui coûtait à son nouveauChasseur.

J'aurais dû fermer les yeux, tourner le dos oum'enfermer dans les toilettes des dames. Toutplutôt que de laisser l'Elferoi exécuter son plan.Au lieu de quoi, je restai immobile près de lafenêtre et regardai approcher la ChasseInfernale.

L'Elferoi était en tête de la formation,comme à l'accoutumée, mais il ne portait passon casque. Ses cheveux volaient au vent, et,

son casque. Ses cheveux volaient au vent, et,bien qu'il soit mon ennemi – lui plût-il declamer le contraire -, je fus frappée quelquessecondes par sa beauté sauvage, virile etredoutable. Mon regard fut ensuite attiré parses Chasseurs. Contrairement à leur chef, ilsportaient tous un casque, le visage dissimuléderrière leur visière fumée. Je passaifrénétiquement de l'un à l'autre, medemandant lequel de ces Chasseurs anonymeset sans visage pouvait être Ethan. À premièrevue, ils me parurent tous identiques, leurdifférence de taille et de corpulence nesuffisant pas à les identifier. Soudain, monregard s'arrêta sur le motard qui fermait laprocession. Sa taille et sa corpulencecorrespondaient à celles d'Ethan, pourtant, cen'est pas ce qui avait retenu mon attention,mais les mèches de cheveux blondss'échappant de son casque.

Pas un centimètre de peau ou de cheveuxn'était visible chez les autres motards. Leurscorps étaient entièrement couverts de cuir, etsi certains avaient les cheveux longs, ilsétaient rentrés sous leur casque. Sauf celui-ci.Ce ne pouvait pas être un hasard.

La Chasse ralentit. L'Elferoi me saluajoyeusement de la main, sans s'arrêter, et sesChasseurs regardaient droit devant eux. Sauf ledernier, qui tourna la tête vers la baie vitrée.

dernier, qui tourna la tête vers la baie vitrée.Ma gorge se serra. Était-ce vraiment Ethan ?

Tant qu'il ne relèverait pas sa visière, je nepourrais en être certaine. Je sentis le poids deson regard sur moi, même sans voir ses yeux. Ilne fit aucun geste, et ne ralentit pas l'allure, samoto suivant à égale distance celle qui leprécédait.

Qu'est-ce que j'essayais de me faire croire ?Évidemment que c'était Ethan ! L'Elferoi avaitdérogé à ses habitudes et autorisé l'un de sesChasseurs à laisser dépasser ses cheveux deson casque dans le seul but de me permettre dele différencier du lot.

Ethan se détourna. Même sans avoir vu sonvisage, je savais que ce regard était un appel ausecours. Un appel que l'Elferoi l'avait peut-êtreobligé à lancer, mais un appel auquel je nepouvais rester sourde.

Tout le monde dans la boutique retint sonsouffle encore une minute après le passage dela Chasse Infernale, redoutant qu'ils nerebroussent chemin. Finn et Lachlan étaienttous deux visiblement soulagés que l'Elferoi etsa Chasse soient partis. Je ne sais pas s'ilsavaient compris quel était le but de cetteparade, ni même s'ils s'étaient rendu compteque l'un des motards sans visage était Ethan.Ils avaient sans doute l'impression que l'Elferoi

Ils avaient sans doute l'impression que l'Elferoin'avait lancé aucune attaque, mais je savais àquoi m'en tenir.

La vue d'Ethan lié corps et âme à la Chassem'avait fait l'effet d'un électrochoc, me tirantde mon apathie et de mon désespoir.

Je n'avais toujours pas l'ombre d'une idéesur la façon d'affronter et de vaincre l'Elferoi.C'était bien beau de décider que je ne pouvaiscompter que sur moi-même, mais je n'yarriverais jamais seule malgré le désir que j'enavais.

Tout en regagnant mon bunker avec Finn, jepassai longuement en revue les gens vers qui jepouvais me tourner. Mes parents étaient, bienentendu, hors jeu. Papa avait déjà classél'affaire, et ni lui ni Maman ne me laisseraientprendre le moindre risque pour aider Ethan.J'éliminai Finn et Lachlan pour les mêmesraisons. Maintenant que Keane m'avait révélétout le mal qu'il pensait d'Ethan, je pouvaisdifficilement lui demander son aide pourexécuter ou même concevoir un plan desauvetage. Il ne me restait donc qu'une seuleoption.

Une fois de retour dans ma forteresse, je meretirai dans ma suite et fermai la porte derrièremoi. Je m'isolai encore d'un cran, c'est-à-diredans ma chambre. Je décrochai le téléphone,

dans ma chambre. Je décrochai le téléphone,m'assis en tailleur sur mon lit et m'obligeai àpasser l'appel tant redouté.

Il me fallut un temps fou pour en trouver lecourage, mais je finis par composer le numérode Kimber. J'aurais bien mérité qu'elle soitabsente, et de passer encore des heures à memettre dans un état de nerfs impossible, maisle sort - une fois n'est pas coutume - eut pitiéde moi.

Kimber décrocha à la troisième sonnerie,sans un mot.

Elle disposait, elle aussi, de la présentationdu numéro, et savait que c'était moi. Sonsilence accusateur me fit grincer des dents etj'eus toutes les peines du monde à me forcer àparler.

— Salut, dis-je finalement, me maudissantd'être aussi nulle.

Malheureusement, mes neurones s'étaientmis en grève et je ne trouvai rien d'autre à dire.

— Salut toi-même, répondit-elle, froide etdistante.

La première fois que je l'avais rencontrée,elle incarnait le parfait stéréotype de laprincesse des glaces elfique - exactementcomme maintenant.

Des mots finirent par se former dans moncerveau, tout aussi minables.

— Désolée de ne pas t'avoir appelée plus tôt.

— Désolée de ne pas t'avoir appelée plus tôt.Je...

Ma voix mourut. Tout ce que je pourrais luidire pour justifier mon silence ne serait qu'uneexcuse, et mauvaise avec ça.

Kimber poussa un soupir.— J'aurais pu aussi décrocher mon

téléphone, dit-elle, et je la retrouvai un peu.Je secouai la tête en signe de dénégation,

même si elle ne pouvait pas me voir.— C'était à moi de faire le premier pas, et je

n'ai pas géré la situation.Je vous en prie, faites que je n'aie pas

bousillé notre amitié, implorai-je en silence.— Non, c'est moi qui n'ai pas géré. Tu vis

l'enfer depuis que tu as débarqué en Avalon, etje suis censée être ton amie. C'est juste... Jen'étais pas sûre de supporter tes reprochespour ce qui s'est passé.

Mes reproches ? Elle n'était pas sérieuse.— Je crois que la ligne est mauvaise, dis-je. Il

m'a semblé que tu disais que tu avais peur quemoi je ne te reproche à toi ce qui s'est passé.Comme c'est la chose la plus idiote que j'aiejamais entendue, je crois que j'ai mal compris.

— Tu veux dire que tu ne m'en veux pas ?s’étonna-t-elle d'une voix si hésitante que moncœur se serra.

— Évidemment que non ! Pourquoi diable

— Évidemment que non ! Pourquoi diablet'en voudrais-je alors que c'est à cause de moique l'Elferoi a capturé Ethan ?

— Parce que aucun de vous deux ne se seraittrouvé à cet endroit sans moi. L'institut, c'étaitmon idée, et la boutique de thé aussi. Et puisje vous ai laissés seuls.

Les mots sortaient de sa bouche en cascade.— Si j'étais restée avec vous, j'aurais pu

empêcher Ethan d'essayer de jouer les héros.Tu ne voulais pas que je te laisse avec Ethan,mais j'ai cru que je savais ce que je faisais. Je...

Un éclat de rire m'échappa, complètementinopiné.

— Et pendant tout ce temps... commençai-jeavant que le rire me reprenne.

J'étais au bord du fou rire et j'en étaisconsciente. Mais je ne pouvais pas m'arrêterpour autant.

— J'avais peur de t'appeler.Des hoquets se mêlèrent à mon rire.— J'avais peur que tu ne me détestes parce

que Ethan a été capturé à cause de moi.Mon fou rire devait être contagieux, car

Kimber se mit à glousser, elle aussi.— N'importe quoi, dit-elle. Tu n'y es

absolument pour rien !Mon rire s'interrompit comme il avait

commencé, ce qui était aussi bien, parce quece n'est pas très facile de parler en même

ce n'est pas très facile de parler en mêmetemps.

— Bien sûr que si. L'Elferoi ne se seraitjamais intéressé à Ethan sans moi.

Kimber cessa de rire également.— Ça ne te rend pas coupable pour autant,

me dit-elle doucement. Tu peux aussi accuserta mère, non ? Parce que si elle ne t'avait pasmise au monde, tu n'existerais pas et l'Elferoine se serait jamais intéressé à Ethan, et nel'aurait pas capturé. Donc, tout est de sa faute àelle, pas vrai ?

— Dit comme ça...— De plus, continua-t-elle, si tu te crois

coupable par le seul fait d'exister, je partage aumoins une partie de ta culpabilité pour avoirjoué les entremetteuses. En te laissant seuleavec lui, je l'ai mis en danger.

— Mais tu ne l'as pas fait volontairement.— Exactement.— Oh.Sa façon de voir les choses me donna

l'impression de n'avoir été qu'une dinde de mevautrer dans la culpabilité comme je l'avaisfait.

Kimber poussa un profond soupir.— Ethan n'est pas non plus blanc comme

neige, ajouta-t-elle. Il savait que l'Elferoi n'apas le droit d'attaquer en Avalon, mais qu'ilpeut se défendre en cas d'agression. Pourquoi

peut se défendre en cas d'agression. Pourquoilui en a-t-il offert l'occasion ?

— Je suis sûre qu'il n'a pas eu le temps deréfléchir à ce qu'il faisait.

Elle renifla doucement.— Ça n'aurait rien changé. Ethan est

tellement imbu de lui-même qu'il estbiologiquement incapable de résister à uneoccasion de jouer les gros bras.

Ses mots cinglants cachaient sa peine. Ethanla rendait dingue, mais c'était son frère et ellel'aimait.

— Je ne le laisserai pas tomber, affirmai-je.— Tout le monde l'a pourtant fait, dit-elle

amèrement.— Je sais. Mais pas moi. Et j'espère que toi

non plus. C'est même pour ça que je t'appelle.Je me demandais si tu pouvais te remuer lesméninges avec moi afin de trouver unesolution pour le sortir de là. Elle hésita uninstant.

— Que pouvons-nous espérer faire toutes lesdeux contre l'Elferoi ? On est largementsurclassées.

— Peut-être, admis-je.Ma paranoïa me soufflait qu'il n'était pas

prudent de discuter d'un plan de sauvetage autéléphone.

— Je peux venir chez toi pour qu'on en parlede vive voix ?

de vive voix ?— Ça, c'est à toi de me le dire, répliqua-t-elle

d'une voix moqueuse. Est-ce que tu le peux ?J'émis un petit rire pour toute réponse. Elle

était incapable de résister au plaisir de mecharrier pour mes abus de langage, et c'étaitdevenu une sorte de private joke entre nous.

— Pardon, m'excusai-je. J'oubliais que jem'adressais à la Gestapo de la grammaire.

— Tu veux bien que je vienne chez toi ?— Bien sûr.— Tu sais que j'aurai mes gardes du corps, la

prévins-je.— Je leur ferai du thé. Ils pourront rester au

salon et nous parlerons dans ma chambre. Ils telaisseront quand même cette intimité, non ?

— Oui, répondis-je, même si je pressentaisqu'il me faudrait batailler un peu. Je ne peuxpas venir tout de suite. Il faut que je trouveLachlan et que je dise à mon père où je vaisavant toute chose. Je te rappellerai pour te direquand j'arrive.

— J'attends ton appel.Fort à propos - même si ce n'était pas calculé

-, j'arrivai chez Kimber pile à l'heure du thé. Enparfaite hôtesse, elle servit à Finn et à Lachlanune sélection de petits sandwiches avec leurbreuvage. Je voyais bien que Finn était gênéd'être traité comme un invité, mais Kimber fit

d'être traité comme un invité, mais Kimber fitcomme si de rien n'était, lui fourrantpratiquement son plateau sous le nez jusqu'àce qu'il le prenne. Elle m'entraîna ensuite danssa chambre, où elle avait préparé une infusiond'un autre genre pour nous deux.

Je ne pus m'empêcher de sourire quandj'entrai dans la pièce et que j'en sentis l'odeur.

— Lait de poule ? questionnai-je avecgourmandise.

Je n'avais jamais entendu parler du lait depoule avant de venir en Avalon, mais Kimberm'avait rendue accro à cette boisson à base demiel et de lait chaud.

— Évidemment, répondit-elle. Si unesituation a jamais exigé un lait de poule, c'estbien celle-ci.

Kimber m'avait décrit cette préparationcomme une panacée capable de guérir tous lesmaux, et on ne pouvait nier que c'était uneboisson réconfortante. Dommage que le lait depoule ne puisse pas guérir comme parenchantement le genre de mal qui nousrongeait.

Nous nous installâmes toutes les deux sur lelit de Kimber et prîmes chacune une tasse.Chat échaudé craignant l'eau froide, je goûtaiune petite gorgée avant de me jeter dessus. Jene fus pas entièrement surprise de sentir lachaleur du liquide se répandre dans ma gorge

chaleur du liquide se répandre dans ma gorgeet mon œsophage, puis dans mon estomac. Jesecouai la tête en clignant les yeux.

— Combien tu as mis de whisky là-dedans ?lui demandai-je.

Quand elle faisait du lait de poule pour moi,elle n'ajoutait généralement qu'un trait dewhisky pour le goût, mais je savais qu'elleaimait le sien assez fort pour saouler unéléphant.

Elle me sourit par-dessus sa tasse fumante.— Tu n'as pas besoin de le savoir.

Maintenant, bois.Je considérai ma tasse d'un œil dubitatif.— Je ne voudrais pas que Finn et Lachlan

soient obligés de me porter pour rentrer.Je détestais l'admettre mais, à cause de ma

mère, l'alcool me faisait peur. Jamais, jamais jene voudrais devenir l'ivrogne stupide etnégligée en laquelle ma mère s'étaittransformée. À mes yeux, aucune sensationforte ne valait ce déclin.

— Fais-moi confiance, il n'y a pas tant dewhisky que ça. C'est moi la spécialiste, pasvrai ?

Je me détendis et bus une seconde gorgée demon lait de poule. Kimber savait en effet cequ'elle faisait. Ce n'était pas mon fort de faireconfiance aux gens, et Kimber n'avait pas

confiance aux gens, et Kimber n'avait pastoujours joué franc jeu avec moi par le passé,mais je pensais désormais pouvoir me fier àelle. Il suffisait que je ne boive pas trop vite ettout irait bien.

— L'Elferoi m'a téléphoné, l'informai-je, etelle faillit s'étouffer. Pardon, m'excusai-je avecun clin d'œil pendant qu'elle reposait sa tasseen toussant.

— Il t'a téléphoné ? répéta-t-elle, interdite.Je hochai la tête. Le plus dur restait à faire.

J'espérais sincèrement que Kimber partageraitma conviction qu'il était inenvisageable deconclure un pacte diabolique avec l'Elferoi,parce que, dans le cas contraire, la situationallait s'envenimer, et très vite.

— Il veut que nous passions un marché. Enéchange de la libération d'Ethan, je dois lesaccompagner dans le monde des mortels, lui etses Chasseurs, pour qu'ils se livrent à unmassacre.

Kimber était naturellement pâle, mais ledevint encore davantage comme si le peu decouleurs qu'elle avait venait de déserter sesjoues.

— Tu n'as pas l'intention d'accepter cemarché, n'est-ce pas ?

Je contemplai ma tasse, redoutant de croiserson regard.

— Et si c'était le seul moyen de libérer

— Et si c'était le seul moyen de libérerEthan ?

— Il devra alors vivre au sein' de la ChasseInfernale, dit-elle.

Sa voix tremblait légèrement, mais elleparvint à demeurer ferme et résolue.

Je lui jetai un coup d'œil à la dérobée et ladétermination sur son visage étaitincontestable.

— Tu en es sûre ? lui demandai-je.Elle acquiesça.— Certaine. Ethan ne voudrait pas être libéré

au prix de la vie d'autres gens. C'est peut-êtreun sale égoïste qui ne pense qu'à lui, mais c'estun garçon bien au fond. Et si tu lui répètes çaun jour, je ne t'adresserai plus jamais la parole.

— Ton secret sera bien gardé, lui promis-je,soulagée que nous soyons sur la mêmelongueur d'onde. Donc, il est hors de questiond'accorder à l'Elferoi ce qu'il demande. Mais ily a forcément autre chose qu'il désire et queseule une Passemonde peut lui procurer. C'estjuste que je n'arrive pas à trouver quoi.

— Et c'est là que j'interviens, c'est ça ?Je lui adressai un petit sourire contrit.— Ben oui. Le cerveau du groupe, c'est toi.

Kimber et moi conversâmes pendant plus

d'une heure, au bout de laquelle nous avionsréussi à mettre au point ce qui ressemblaitvaguement à un plan. Un plan merdique, unplan stupide et sans doute illusoire, maisc'était toujours mieux que ce à quoi j'étaisarrivée toute seule, c'est-à-dire rien.

Je me sentais mieux que je ne l'avais étédepuis des jours, et regrettai de ne pas avoirappelé Kimber plus tôt. Je ne m'étais pas renducompte à quel point j'en étais venue à comptersur elle, ni combien j'avais soif de rapportshumains - enfin, elfiques en l'occurrence.

Le retour vers mon bunker se déroula sansincident, mais je restai tendue tout le long duchemin, craignant que l'Elferoi vienne menarguer une fois encore en m'agitant lacaptivité d'Ethan sous le nez. Je guettai lebruit des motos, mais l'Elferoi en avaitapparemment terminé avec moi et il me laissatranquille.

Le plus intelligent aurait été de rentrer chezmoi et de m'accorder une nuit de sommeil pour

moi et de m'accorder une nuit de sommeil pourlaisser mûrir mon plan. Ce que nous avionsmis sur pied pendant la petite heure que nousavions eue à notre disposition, Kimber et moi,n'était certainement pas le coup du siècle.Mais le problème, si je laissais la nuit meporter conseil, c'est que je risquais de medégonfler, et je me haïrais toute ma vie pourça.

Après le dîner ce soir-là, je me retirai doncune fois de plus au fond de ma chambre pourpasser un coup de fil. Sauf que ce n'était pasKimber que j'appelai, cette fois.

Les mains moites de transpiration, je fisdéfiler le journal des appels pour retrouver lenuméro de l'Elferoi. Mon estomac faisait desnœuds, et j'avais la bouche si sèche que ceserait un miracle si je parvenais à articulerdeux mots.

Il décrocha à la première sonnerie, commes'il avait été assis à côté du téléphone,prévoyant mon appel. C'était peut-être le cas.Je ne connaissais pas grand-chose de sespouvoirs en dehors du fait que si on lui coupaitla tête, il était capable de la ramasser et de laremettre sur ses épaules.

— Tu as donc changé d'avis et tu es prête ànégocier, dit-il.

Il y avait une pointe de triomphe dans sa

Il y avait une pointe de triomphe dans savoix. Il devait s'être imaginé que la vued'Ethan cet après-midi m'avait brisée et que jeme rendais à ses arguments. Je n'avais aucuneraison de le détromper.

Je ravalai la boule de terreur au fond de magorge.

— Oui.— Je suis heureux de l'entendre, poursuivit-

il. Et je suis sûr qu'Ethan aussi. Il n'est facilepour personne de devenir un membre de maChasse, encore moins pour quelqu'un habituéau pouvoir comme lui.

— Si vous lui faites du mal...Je me serais donné une claque pour cette

menace minable. Si l'Elferoi voulait faire dumal à Ethan, il ne se gênerait pas, et je n'ypouvais rien.

Heureusement, l'Elferoi ne saisit pas laperche que je lui avais tendue pour se moquerimpitoyablement de moi. Mais il avait d'autrespiques en réserve.

— Je suis prêt à te rencontrer pour discuterles termes de notre accord à ta convenance.

Se rencontrer ? Bon Dieu, non !— Je suis prête, moi aussi, répondis-je. Mais

nous pouvons parfaitement discuter autéléphone.

— Je préfère négocier en personne.— Et moi au téléphone.

— Et moi au téléphone.— Si nous parvenons à un accord et que je

libère Ethan de ma Chasse, il aura besoin detoi. Il sera affaibli. Si faible qu'il sera incapablede marcher ou même de se tenir debout sansassistance.

Je fermai les yeux et repoussai les imagesqui me venaient. Lui-même ou l'un de sesChasseurs pouvait très bien raccompagnerEthan chez lui une fois qu'il l'aurait libéré. Etpuis merde, il pouvait lui appeler un taxi. Moninstinct me soufflait que l'Elferoi ne céderaitpas sur ce point, aussi soulevai-je une autreobjection, plus susceptible de faire mouche.

— Au cas où vous ne l'auriez pas remarqué,je suis surveillée vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Je ne sais pas pourquoi, mais je necrois pas que mon père ou mes gardes du corpsverraient notre rencontre d'un très bon œil.

Il eut un petit rire.— Non, j'imagine que non. J'insiste pourtant

sur le fait que nous devons nous rencontrer enpersonne. Je vais te faire parvenir uneamulette qui te permettra de faussercompagnie à tes gardes sans te faire voir. Ellete conduira également jusqu'à moi.

— Vous voulez rire ? Il y a des gens quicherchent à me tuer, dehors, vous savez.

— Oui, oui, je sais. Il n'y a pas que tes gardes

— Oui, oui, je sais. Il n'y a pas que tes gardesque tu pourras tromper grâce à mon amulette.Tu seras invisible aux yeux de tous, amis ouennemis.

Je ne savais pas compter assez loin pourénumérer tout ce qui me rebutait dans cettesuggestion.

— Il n'en est pas question, dis-je en tâchantd'avoir l'air d'une négociatrice aguerrie et pasd'une fille morte de trouille qui s'attaquait àplus fort qu'elle.

— Si tu veux libérer Ethan, tu dois venir àmoi, répondit-il, d'un ton impeccablementinflexible. Je ne te ferai aucun mal, et je nepermettrai à personne de t'en faire.

— Qu'est-ce que vous avez contre letéléphone ?

Une pointe de désespoir était audible dansma voix.

— Je ne fais pas cela par cruauté, reprit-ilplus doucement. Le téléphone n'est pas unoutil adéquat pour mener des négociations.C'est trop... impersonnel. Je te promets que tuseras en sécurité avec moi, et que jen'exercerai aucune coercition, magique oud'une autre nature, pour te plier à ma volonté.

Et que valaient exactement les promesses del'Elferoi ? Je n'en savais rien du tout. Bonnombre de vieilles légendes de la Faëryprétendent que les faës sont incapables de

prétendent que les faës sont incapables dementir, mais j'avais eu la preuve du contraireplus souvent qu'à mon tour.

— Comment puis-je croire que tu as quelquechose de valable à m'offrir si tu refuses de meparler en face ? demanda-t-il.

Et merde ! Ça me faisait mal de l'admettre,mais il avait raison. Je devrais l'affronter d'unefaçon ou d'une autre si je voulais passer unaccord avec lui. Frissonnante d'appréhension,je rendis les armes.

— Très bien. Vous avez gagné. Je viendrai.Bon Dieu. Est-ce que je ne faisais pas une

énorme bêtise ?— Vous avez dit que vous me feriez parvenir

une amulette. Comment comptez-vousprocéder exactement ? Le facteur ne passe paschez moi.

Mon courrier - si j'en avais jamais eu -transitait en théorie par l'adresse de mon père,et je doutais fort que mon père me transmetteun colis de la part de l'Elferoi.

— Tu verras, dit-il, un sourire réchauffant savoix. Nous nous reverrons bientôt, Dana laPassemonde.

Et sans un au revoir, il raccrocha.J'eus énormément de mal à trouver le

sommeil ce soir-là. Allez savoir pourquoi.Je me repassai en boucle ma conversation

avec l'Elferoi, me demandant si j'aurais puarriver à une autre conclusion. J'en doutais. Ilavait toutes les cartes en main.

Bien sûr, je me demandais aussi dans quellemesure je n'étais pas complètement dingued'envisager seulement l'idée de quitter monbunker en douce pour aller à la rencontre del'ennemi même dont je me cachais. Enfin, l'undes ennemis. Mais l'autre terme de l'alternativeétait de tourner le dos à Ethan, ce qui étaitimpensable. Je ne voulais peut-être pasd'Ethan comme petit ami (le jury n'avait pasfini de délibérer sur ce point), mais je nepouvais pas nier qu'il comptait pour moi. Sansoublier ce petit détail : il m'avait sauvé la vieau risque de la sienne. Et si je devais memettre en danger pour le sauver à mon tour, ehbien je n'avais qu'à serrer les fesses et foncer.

Je me tournai et me retournaiinterminablement dans mon lit sans pouvoirtrouver le sommeil jusqu'à 3 heures du matin.Je décidai que je ferais la grasse matinée pourcompenser, puisque je n'attendais pas Keane lelendemain, mais, malgré l'épuisement, je meréveillai peu après 6 heures. Je poussai ungrognement.

La luminosité de mon réveil n'avait atteintque la moitié de son intensité, ce qui voulaitdire que l'aube approchait. Une heure que je

dire que l'aube approchait. Une heure que jen'aimais pas beaucoup, même quand tout allaitbien. Je me retournai et refermai les yeux dansl'espoir de me rendormir. Mais je l'entendisdistinctement dès que je fus allongée : unclaquement léger et répétitif. « Tap, tap, tap. »C'était ce bruit qui m'avait tirée du sommeil.

J'étais toujours tiraillée par l'envie dedormir, mais le bruit me glaça le sang. Je nesavais pas ce que c'était, mais il était tropproche pour que je puisse l'ignorer.

Tâchant de me persuader que ce n'était pasbien grave, je me tournai vers la source dubruit et ouvris les yeux.

Au début, je ne vis rien de particulier. Je nesuis pas la fille la plus ordonnée du monde, etma table de nuit est encombrée d'objets divers,sauf le petit espace devant l'écran de monréveil dégagé pour que je puisse lire l'heure.

« Tap, tap, tap. »Je clignai les yeux. Le son provenait de ma

table de nuit, de cela j'étais certaine. Je m'assisdans mon lit et balayai du regard les livresempilés, papiers, chouchous et autres bric-à-brac étalés sur ma table de chevet. C'est alorsque je distinguai dans ce désordre un objet quine m'appartenait pas.

C'était une statuette d'argent haute de septou huit centimètres représentant un cerf. Son

ou huit centimètres représentant un cerf. Soncorps était fin et racé, rappelant celui d'unlévrier, et sa ramure, presque aussi grande queson corps, déployait des andouillers effiléscomme des poignards.

Mon cœur se mit à battre la chamade, et unautre frisson glacé me parcourut l'échine. Jeme souvenais des andouillers sur le masque etle casque de l'Elferoi, et me rappelais letatouage qu'il arborait ainsi que ses Chasseurs.Ce cerf était indubitablement à lui. Maiscomment diable était-il arrivé ici ?

« Tap, tap, tap. »Je battis des paupières, au cas où je serais en

train de faire un mauvais rêve. Mais non, lecerf recommença. Levant une patte délicate, ilcogna son sabot contre le bois de la table. Ilreleva ensuite la tête pour me regarder, puis latourna vers la porte de ma chambre.

— C'est quoi ce délire ? murmurai-je enmanquant m'étouffer.

Le cerf répéta la séquence, il tapa du sabotsur la table, leva la tête vers moi, puis setourna vers la porte. Vous allez me prendrepour une dingue, mais je crois qu'il voulait queje le suive. Le cœur battant et les mainsmoites, je glissai les pieds hors de mon lit. Lecerf hocha la tête, puis bondit de ma table denuit, ses sabots produisant un petit sonpresque cristallin lorsqu'il toucha le sol. Il

presque cristallin lorsqu'il toucha le sol. Ils'avança au trot de quelques pas en directionde la porte, puis se retourna de nouveau versmoi.

Je respirai un grand coup et tentai de mereprendre. L'Elferoi avait dit qu'il me feraitparvenir une amulette. J'imagine que je l'avaisen face de moi. Il avait dit que l'amulette memènerait jusqu'à lui sans que personne puisseme voir. Si j'avais vraiment l'intention de lerejoindre, je devais donc suivre cette petitecréature flippante.

— Attends une seconde, dis-je, me sentantridicule d'adresser la parole à ce qui ne devraitêtre qu'un objet inanimé. Je ne vais pas sortiren pyjama.

Il inclina la tête sur le côté, puis acquiesça,comme s'il comprenait. C'était sans doute lecas, mais je ne savais pas combien de temps ilpatienterait. À peine eus-je posé le pied parterre et filé vers mon placard qu'il se remit àtambouriner.

« Tap, tap, tap. »Jetais transie de peur, et toujours assez

épuisée pour bâiller à m'en décrocher lamâchoire. Je me demandai si l'Elferoi avaitdécidé de me faire venir à lui à cette heurematinale dans l'idée d'en retirer un avantage.Et il n'avait sans doute pas tort.

Et il n'avait sans doute pas tort.C'est vous dire si j'étais encore abrutie, je ne

réalisai l'entière signification de la présence ducerf dans ma chambre qu'au moment de passerma tête dans un gros pull de laine.

— Oh, merde ! m'écriai-je en tirant sur lepull.

Mes cheveux se dressèrent sur ma tête dansune débauche d'électricité statique.

Je regardai le petit cerf d'argent qui tapaittoujours du sabot avec impatience sur le sol.Mes genoux se dérobèrent sous moi et je dusme rattraper à ma commode pour ne pastomber.

— Il sait où j'habite, murmurai-je, sanssavoir si je m'adressais au cerf ou à moi-même.

Non seulement l'Elferoi connaissait monadresse, mais il avait également été capable detromper toutes les défenses de mon bunker etd'introduire son amulette dans ma chambresans même faire sonner une alarme. Pour cequi était de la soi-disant sécurité absolue dema forteresse, je repasserais.

Je pris deux profondes inspirations pour mecalmer. Je ne sautais certainement pas de joieque l'Elferoi sache où j'habite et puissem'atteindre chez moi, mais je ne pouvais rien yfaire. S'il était capable de me trouver ici, il yavait de fortes chances qu'il puisse me trouver

avait de fortes chances qu'il puisse me trouvern'importe où. Il ne m'avait pas fait de maljusque-là, et je tâchai de me convaincre que çane changeait rien qu'il connaisse le lieu de macachette.

Je chaussai mes baskets favorites, puis jetaiun regard circulaire à ma chambre pour voir sije n'oubliais rien. Rien ne me sauta aux yeux,sinon un parapluie. Je ne savais pas combiende temps il me faudrait marcher pour merendre chez l'Elferoi, et on peut compter sur lapluie un jour sur deux en Avalon. Je pris doncle parapluie, espérant ne pas avoir à m'en servircomme d'une arme d'ici à la fin de la journée.Je hochai ensuite la tête à l'attention du cerf.

— Je suis prête, annonçai-je.

Je retins mon souffle en suivant le cerf dans

le salon, puis dans la salle de garde. J'entendaisFinn qui s'affairait dans sa cuisine, où il devaitpréparer son petit déjeuner. J'espérais quel'amulette de l'Elferoi avait bien les pouvoirsannoncés, parce que je détesterais avoir àexpliquer ma présence à mon garde du corps.

Le cerf traversa la salle de garde sans unehésitation, et je m'obligeai à le suivre. Finnfaisait frire quelque chose sur sa plaquechauffante - il n'avait pas de cuisinière - etsemblait aussi alerte que si l'on était au beaumilieu de la journée. Je m'attendais à ce qu'illève la tête vers moi d'une seconde à l'autre,mais non. Le cerf le dépassa et se dirigea versla porte, au travers de laquelle il passa commesi elle n'existait pas. Je réprimai un frisson.

Gardant un œil sur Finn, j'ouvris la porte. Ilne remarqua rien, et je me demandai si jen'étais pas en train de rêver.

Je me rendis compte un peu tard que j'auraismieux fait de prendre une lampe torche. Ilfaisait un noir d'encre dans les souterrains, et

faisait un noir d'encre dans les souterrains, etmême si le cerf pouvait me guider dansl'obscurité, je serais morte de terreur avantd'atteindre la surface. Je fis mine de retournerdans la salle de garde pour y prendre unelampe.

« Tap, tap, tap. »Je dévisageai le cerf, me demandant s'il

aurait la patience de m'attendre... Et Finn meverrait-il si je retournais à l'intérieur sans lui ?Mais en observant mieux le petit animal, je visqu'il luisait faiblement d'une lumière blanchelégèrement bleutée, comme une petite étoile.Je m'engageai dans la galerie, et sa lumières'intensifia au fur et à mesure qu'il s'éloignaitde celle de la salle de garde.

— Je fais peut-être la plus grosse connerie dema vie, marmonnai-je entre mes dents commeje refermai la porte et m'élançai dans le noir àla suite de l'amulette de l'Elferoi.

La lumière du cerf suffisait à peine à memontrer le chemin. J'avais vu des veilleusesqui éclairaient davantage. Je le suivais d'aussiprès que possible, m'esquintant les yeux pourne pas le perdre de vue dans cette obscuritéoppressante. Le sol du souterrain était à peuprès régulier, mais l'ombre me jouait des tourspour apprécier les distances, et je trébuchai aumoins un million de fois.

moins un million de fois.À l'intérieur de mon bunker, le cerf m'avait

attendue, même s'il montrait son impatience,mais après avoir bifurqué à deux ou troisintersections, il accéléra la cadence. Je croisqu'il avait compris que j'étais bien décidée à lesuivre à présent que le seul autre choix quis'offrait à moi aurait été d'essayer de retrouverseule le chemin de mon bunker dans dessouterrains aussi noirs que l'enfer. Mêmelorsque je faillis m'étaler de tout mon long, ilne ralentit pas. Je me relevai en toute hâte afinde ne pas perdre de vue mon unique source delumière.

Nous finîmes par déboucher dans la partieplus fréquentée des souterrains, qui bénéficiaitd'un éclairage électrique. Je poussai un soupirde soulagement, même si le cerf accéléraencore l'allure. Je n'avais plus besoin de luipour m'éclairer, mais je ne trouverais pas lerepaire de l'Elferoi sans guide, aussi fis-je demon mieux pour ne pas me laisser distancer.

Avalon est un endroit où l'on voit toutessortes de choses étranges mais, même ici, unestatuette animée galopant sur le trottoir auraitattiré l'attention, et lorsqu'il dépassa plusieurspersonnes sans qu'ils remarquent rien, je susque sa magie fonctionnait bel et bien.Repoussant l'impression que des flèches

Repoussant l'impression que des flècheslumineuses me désignaient comme « cibleidéale », je continuai de le suivre.

Il n'y avait pas beaucoup de monde dehors àcette heure matinale, mais les rues n'étaientpas non plus complètement désertes. Pourtant,même lorsque nous eûmes quitté lessouterrains, personne ne parut nous voir.Dehors, il tombait un léger crachin, mais pasassez pour que j'ouvre mon parapluie, que jechangeais régulièrement de main pour meréchauffer l'autre dans mes poches.

L'humidité s'ajoutant à la morsure de l'airfroid du matin, je claquais des dents quand lecerf monta une volée de quatre marches depierre menant à un porche, et mes lèvresdevaient être bleues de froid. Je redoutais dedécouvrir ce qu'était Avalon en hiver. Mais, merappelai-je allègrement, je ne vivrais sans doutepas assez longtemps pour voir ça.

J'aurais préféré prendre le temps derassembler mes esprits avant de sonner, mais jen'en eus pas l'occasion. La porte s'ouvrit avantmême que j'aie atteint la dernière marche. Jefreinai des quatre fers, et ce fut un miracle queje ne tombe pas à la renverse pour me briser lecou dans l'escalier.

L'allure de l'Elferoi était un peu moinssaugrenue que d'ordinaire. Il portait unpantalon moulant de cuir noir et une chemise

pantalon moulant de cuir noir et une chemisenoire qui chatoyait doucement dans la lumière.Ses cheveux étaient lâchés sur ses épaules, àl'exception de deux fines tresses encadrant sonvisage. S'il n'avait pas été une créature decauchemar, je l'aurais trouvé sérieusementcanon.

Il me sourit, puis s'accroupit et tendit unemain vers le cerf. Celui-ci bondit dans sa-paume, et l'Elferoi se releva en refermant lesdoigts sur le petit animal. Je me rappelai letranchant des andouillers et me demandaicomment il pouvait le tenir sans se couper.

Une fois debout, l'Elferoi ouvrit la main...qui ne contenait plus la statuette animée, maisune broche d'argent délicate représentant uncerf en plein saut. Il n'avait pas exactement lamême forme que le tatouage de l'Elferoi, maiss'en rapprochait grandement.

— Permets-moi de t'offrir ce présent, dit-ilen soulevant la main pour me faire comprendreque la broche m'était destinée.

J'hésitai, bien évidemment. Je ne voulaisabsolument rien de lui, encore moins d'unobjet à son emblème. Un coin de sa bouches'incurva en un demi-sourire.

— Tu n'es pas obligée de la porter. Mais tu latrouveras utile en certaines circonstances.

Il retourna le bijou et m'en montra la pointe.

Il retourna le bijou et m'en montra la pointe.— Si tu as besoin de te rendre invisible, tu

n'as qu'à te piquer le doigt avec ceci.(Il approcha son doigt et une goutte de sang

perla.)— Ce sort perd son pouvoir au bout de trente

minutes, mais tant qu'il est actif, personne nepeut te voir, t'entendre ou sentir ta présence,même en te percutant.

Il porta son doigt à sa bouche et suça lagoutte de sang avant de me tendre à nouveaula broche.

Je n'avais toujours pas envie de l'accepter,mais je crois qu'il aurait très mal pris un refus.Je la saisis précautionneusement, comme sij'avais peur qu'elle ne me morde, et l'enfonçaidans la poche de mon jean. Et s'il croyait quej'allais le remercier pour son joli cadeau, il sefourrait le doigt dans l'œil jusqu'au coude.

Il ouvrit la porte plus grand.— Entre donc, m'invita-t-il. Tu dois être

gelée.Je claquai des dents de plus belle par la force

de la suggestion et pénétrai dans la demeure del'Elferoi. Je dus retenir ma mâchoire pour nepas montrer ma stupeur dès que je fus àl'intérieur. « Demeure » ne rendait pas justice àl'endroit où je venais de mettre les pieds.« Palais » serait peut-être plus adéquat, même sije n'ai jamais vu de palais qui ressemblât à cela.

je n'ai jamais vu de palais qui ressemblât à cela.Le sol du vestibule était de marbre noir, lisse

et brillant comme du verre, sans une marque.Les murs étaient tendus de papier noir rayéd'argent offrant le toucher de la soie brute. Descristaux taillés de toutes formes étaientsuspendus au plafond en un nuage si serréqu'on ne pouvait distinguer la source delumière qui les éclairait par-derrière. L'Elferoileva les bras, effleurant les cristaux du bout desdoigts pour me montrer qu'il était assez grandpour toucher le plafond. Les cristauxtintinnabulèrent les uns contre les autres telun carillon caressé par le vent, et le marbre leurfit écho.

Après le vestibule, le plafond s'élevait endôme, d'un noir profond comme la nuit,parsemé de minuscules points de lumièreblanche évoquant un ciel étoile. Un immenseescalier d'honneur dans le genre de celuid'Autant en emporte le vent menait à unegalerie à l'étage supérieur, plongé presqueentièrement dans l'ombre. Ce bâtimentsemblait beaucoup plus vaste que ne le laissaitsupposer l'extérieur, et les corridors sombresque j'apercevais en haut laissaient penser quec'était immense.

— Très intime, murmurai-je dans ma barbe,et l'Elferoi sourit.

et l'Elferoi sourit.— C'est ici que je vis avec tous mes

Chasseurs quand nous venons en Avalon. Unlieu plus intime ne nous siérait guère.

Mon cœur bondit dans ma poitrine encomprenant qu'Ethan était certainement ici,reclus dans les profondeurs de cet édifice.J'aurais aimé savoir s'il était installé dans unechambre confortable ou si lui et les autresChasseurs étaient parqués dans des quartiersexigus destinés aux serviteurs quelque partsous les combles. Je songeai tout à coup quel'Elferoi les gardait peut-être enchaînés dansune oubliette, et je m'obligeai à penser à autrechose.

L'Elferoi me guida le long d'un corridor demarbre jusqu'à une pièce qui devait être le« petit salon ». Comme tout ce que j'avais vujusqu'ici, la décoration en était entièrementnoir et argent, et si ce n'avait été la couleur dela peau et des yeux de l'Elferoi, j'aurais pucroire que j'avais perdu la vision des couleurs.

Je frissonnai de nouveau, le froid de la nuitayant gagné mes os. L'Elferoi fronça lessourcils, avant de faire un geste en direction dela cheminée, où un feu se mit soudain àronfler. Je sursautai avant de me rabrouermentalement. Ben oui, les créatures magiquesde la mythologie pratiquaient la magie ! Quelle

de la mythologie pratiquaient la magie ! Quellesurprise.

— Viens t'asseoir près du feu pour teréchauffer, m'invita-t-il en désignant unfauteuil habillé de soie noire brodée d'argent.Je vais te faire apporter du café.

Il me sourit, les yeux brillants dans le refletdes flammes.

— Je crois savoir que tu n'es pas une grandeamatrice de thé.

Je me raidis, sachant exactement d'où iltenait cette information.

— Merci, répondis-je en serrant les dents.Je détestais lui montrer qu'il m'avait

touchée, mais j'éprouvais des émotions tropbrutes pour pouvoir les cacher. Je lui tournaile dos pour qu'il ne voie plus mon visage, et merapprochai du fauteuil en tâchant de meressaisir.

Une fois que je fus assise, l'Elferoi s'installadans l'autre fauteuil devant la cheminée, et tiraune petite table d'ébène qu'il plaça entre nous.Des bruits de pas résonnèrent dans le couloirderrière moi et je me retournai. L'expression deprédateur qu'avait revêtue le visage de l'Elferoim'apprit l'identité du nouvel arrivant avantmême qu'Ethan pénètre dans la pièce.

Il était à présent vêtu comme un Chasseur,de noir de la tête aux pieds. La marque del'Elferoi se détachait crûment sur sa peau

l'Elferoi se détachait crûment sur sa peaublanche. Il portait un plateau d'argent chargéde tasses. Ses yeux croisèrent brièvement lesmiens, et le désespoir que j'y lus me fit l'effetd'un coup de poignard - comme l'avait sansaucun doute prévu l'Elferoi.

Ethan détourna les yeux et, tenant le plateaud'une main, il plaça le service à thé sur lapetite table. Je sentais le regard de l'Elferoibraqué sur moi, avide de mon chagrin. Jem'efforçai de conserver un air neutre, sansgrand succès je le crains.

Ethan me tendit le dernier objet sur leplateau. C'était une tasse de café, commepromis par l'Elferoi. J'essayai de croiser denouveau son regard en espérant lui fairecomprendre muettement que j'allais le sortir delà. D'une façon ou d'une autre. Mais il garda latête baissée sans me regarder.

— Ce sera tout, lui dit l'Elferoi. Tu peuxdisposer.

Je haïssais l'idée de le quitter des yeux, maisje n'avais pas vraiment le choix. Je refermai lesdoigts autour de la tasse qu'il m'avait donnée,tâchant de résister à l'impulsion qui mecommandait de tendre le bras vers lui pour leretenir. Ethan s'inclina devant l'Elferoi etquitta la pièce sans m'avoir accordé un regard.J'entendis ce dernier se servir du thé, mais je

J'entendis ce dernier se servir du thé, mais jen'osai pas lever la tête, inquiète de ce qu'ilpourrait lire sur mon visage.

— Il est indemne, dit l'Elferoi d'une voixdouce, et je levai malgré moi les yeux vers lui.Malheureux, mais indemne.

Ses antiques yeux bleus exprimaient de lacompassion et de la tristesse, auxquelles je necrus pas.

— Quand vous aurez fini de retourner lecouteau dans la plaie, nous pourrons peut-êtrediscuter de ce que je dois faire pour que vousme rendiez Ethan ?

Il haussa les sourcils d'un air surpris.— Je ne « retourne pas le couteau dans la

plaie », comme tu dis. Je te faisais seulementremarquer qu'il était indemne. Mon intentionétait au contraire de te rassurer.

— Ben voyons, grognai-je.Il s'adossa à son fauteuil et croisa les jambes,

tenant la délicate tasse de porcelaine noire surses genoux.

— Crois-moi ou pas, comme tu voudras.Puisque- tu es si impatiente d'entamer lesnégociations, dis-moi donc ce que tu as à meproposer.

Je pris une profonde inspiration pourrassembler ce qui me restait de courage. Il étaittrès important que je formule précisément toutce que j'allais dire. Kimber et moi pensions que

ce que j'allais dire. Kimber et moi pensions quel'accord, quel qu'il soit, que je passerais avecl'Elferoi serait scellé par la magie, et je devaisfaire très attention à me laisser une marge demanœuvre.

— Mon père m'a raconté que vous étiezautrefois en guerre avec les reines de Faëry,commençai-je en douceur.

L'Elferoi me dévisagea en inclinant la tête.J'imagine qu'il essayait de deviner où jevoulais en venir.

— C'est exact. C'était il y a très, trèslongtemps et nous vivons en paix depuis denombreux siècles.

— Grâce au pacte que vous avez conclu avecelles. Celui qui vous interdit de Chasser enFaëry sans l'autorisation des reines.

La compréhension apparut dans ses yeux etil rit doucement.

— Tu n'es pas venue discuter des modalitésde mes Chasses dans le monde des mortels,mais m'offrir une solution de remplacement.

— En effet, c'est l'idée, répondis-je.Parce que, aussi grand que soit mon

attachement pour Ethan, il était toujours horsde question que je lâche la Chasse Infernaledans le monde des mortels.

L'Elferoi hocha la tête en reposant sa tasse,puis se redressa sur son siège.

puis se redressa sur son siège.— Dis-moi exactement ce que tu proposes.L'expression de son visage était

impénétrable. Était-ce de l'intérêt ou duscepticisme que j'y lisais ? Je choisislentement mes mots pour lui répondre.

— Un des pouvoirs des Passemondes est lacapacité d'apporter la technologie dans laFaëry. Ma tante Grâce veut m'enlever afind'utiliser une arme pour assassiner la reine dela cour des Lumières et lui prendre son trône.

L'Elferoi acquiesça, comme si c'était denotoriété publique.

— Oui. Une arme à feu peut tuer même lareine de Faëry.

— Et vous ? demandai-je tout à trac sansl'avoir prévu.

Il me sourit.— Si l'on pouvait me tuer avec une arme à

feu, crois-tu que je te le dirais ?Je sentis le rouge me monter aux joues.Tu sais toujours t'y prendre pour avoir l'air

d'une truffe, Dana.— Mais la réponse à ta question est non,

poursuivit-il. On ne peut pas me tuer avec unearme à feu. Beaucoup ont essayé, et je suistoujours là.

Il pouvait mentir en toute impunité. Commeil venait de le dire, s'il était possible de le tueravec une arme à feu, il ne le crierait pas sur les

avec une arme à feu, il ne le crierait pas sur lestoits. D'un autre côté, il Chassait en Avalonavant que la ville ne fasse sécession duroyaume de Faëry, et il était improbablequ'aucune de ses proies humaines ait jamaisessayé de lui tirer dessus, ne serait-ce que pourse défendre.

— Tu proposes donc de m'accompagner dansla Faëry afin de me permettre d'emporter unearme pour tuer les reines et lever la geisqu'elles m'ont imposée. Je me trompe ?

Je réprimai un frisson et m'obligeai à leregarder en face avec toute la sincérité dontj'étais capable.

— Grosso modo.Le plan comportait un gros risque. Si je le

mettais à exécution et que l'Elferoi fût libéréde la geis qui le liait, le monde des mortelsserait peut-être épargné, mais les faësdeviendraient tous des cibles vivantes. C'estpourquoi je devais faire très attention à lafaçon de formuler mon offre, car j'avais bienl'intention de faire en sorte que l'Elferoin'emporte jamais dans la Faëry aucune arme enétat de fonctionner. Kimber m'avait assuré queles pactes magiques étaient très littéraux. Sij'étais liée par un pacte m'obligeant à permettreà l'Elferoi de transporter une arme en Faëry, ilme suffisait de le prendre au pied de la lettre,

me suffisait de le prendre au pied de la lettre,et rien ne m'imposait que l'arme soitopérationnelle.

J'étais en train de répéter mentalement laformulation de mon offre, quand l'Elferoi larenvoya au statut d'hypothèse d'école.

— C'est une proposition intelligente, dit-ilavec un hochement de tête approbateur. Quiexige de moi un effort pour atteindre mon butultime, une tâche ardue, même avec l'aided'armes du monde des mortels. Et si j'yparviens, ce ne sera pas ton peuple qui ensouffrira, ajouta-t-il en souriant. Les faës n'ontqu'à se débrouiller tout seuls, pas vrai ?

Je relevai la tête, tâchant de ne pas fléchir.J'étais consciente que ma proposition meferait passer pour une fille sans cœur qui semoquait bien de ce qui pourrait arriver auxfaës, qui n'étaient pas « mon peuple ». Mais ilfallait que l'Elferoi me croie capable de cemépris pour qu'il ne soupçonne pas la ruse.

Il secoua la tête.— Peu importe. La réponse est non.— Quoi ?J'avais, bien sûr, envisagé qu'il puisse

refuser, mais je pensais avoir une bonnechance de réussir. Et je ne m'attendaiscertainement pas à ce qu'il rejette maproposition sans même tenter de négocier.

— Je n'ai aucun grief à l'encontre de Mab ou

— Je n'ai aucun grief à l'encontre de Mab oude Titania, dit-il. Le pacte que nous avonsconclu était avantageux pour les deux parties,même si des observateurs extérieurs nepeuvent pas deviner ce que j'y ai gagné.

Le refus instantané de l'Elferoi me laissasans voix, et mon cœur sombra. C'était la seulechose que j'avais pu trouver à lui offrir en lieuet place de ce qu'il demandait.

Les larmes me montèrent aux yeux en dépitde mes efforts pour les retenir.

L'Elferoi tendit la main par-dessus le plateaude thé et posa légèrement les doigts sur monpoignet. Le poids du désespoir qui m'avaitenvahie m'empêcha de me dégager.

— Ne pleure pas, dit-il en me caressant le dosde la main avec son pouce. Tout n'est pasencore perdu. J'ai une contre-proposition à tefaire.

Ses mots me tirèrent de ma stupeur et jeretirai finalement ma main, si brusquementque je renversai la tasse de café intacte que jetenais toujours. L'Elferoi se leva aussitôt et meprit la tasse des mains pour la reposer sur latable. Il s'agenouilla ensuite devant moi, unmouchoir à la main - surgi je ne sais d'où - aveclequel il entreprit d'éponger le liquide sur monjean.

Ses gestes étaient impersonnels, rapides et

Ses gestes étaient impersonnels, rapides etprofessionnels, rien de sexuel ni de déplacé.Pourtant, le contact de sa main sur ma cuisseétait... troublant.

— Je vais le faire, dis-je en prenant lemouchoir, m'attendant presque à ce qu'ilinsiste pour continuer lui-même.

Il m'abandonna pourtant le mouchoir.— Tu t'es brûlée ? s'enquit-il en s'asseyant

sur ses talons.Je secouai la tête, gênée de ma réaction

exagérée à son contact. Il ne m'avait pasmenacée, et il n'avait pas essayé de me séduire.Il ne s'était rien passé.

Et pourtant, quelque part, j'avaisl'impression qu'il se passait bien quelquechose, et les petits cheveux sur ma nuque sedressèrent. J'écartai ce mauvais pressentiment.

— Quelle est votre contre-proposition ?demandai-je.

Il me jeta un regard manifestement destiné àme jauger avant de se relever et d'approcherson fauteuil de l'autre côté de la table pour mefaire face. Il s'assit, ses genoux touchantpresque les miens.

Je réprimai l'envie de me ratatiner au fondde mon siège. Il était si impressionnant quej'aurais eu du mal à ne pas être intimidéemême sans savoir qui il était, et ce qu'il était.Je croisai son regard et fus surprise de

Je croisai son regard et fus surprise dedécouvrir la chaleur dont ses yeux bleu glacierétaient capables. Il était peut-être intimidantmalgré lui, mais il essayait très fort de ne pasl'être.

— Je te préviens que ma proposition va tesurprendre, dit-il. Tu la trouveras sans douteeffrayante et déconcertante.

Génial. Comme si j'avais besoin d'un truc enplus pour me faire flipper et me mettre mal àl'aise.

— D'accord, me voilà prévenue. Maintenant,allez-y.

Ses yeux plongèrent au fond des miens.— J'accepte de libérer Ethan de la Chasse

Infernale à la condition qu'en échange tut'engages à me donner ta virginité.

J'en restai bouche bée et clignai les yeux

sous le coup de la stupeur.— Pardon, qu'est-ce que vous venez de

dire ?— Tu as très bien entendu. Et je t'avais

prévenue.Je secouai la tête, avec l'impression que je

venais de glisser dans un rêve. Je me repassaimentalement les paroles de l'Elferoi, et ellesn'avaient toujours aucun sens.

— Tu es jeune, reprit-il. Trop jeune encorepour la couche. Du moins selon les critèresd'aujourd'hui. Autrefois, tu aurais sans doutedéjà été une femme mariée, mère de plusieursenfants. Mais je suis infiniment patient. Jet'accorderai la liberté de choisir le moment oùtu seras prête à remplir ta part de ce marché.

— Et vous garderez Ethan jusque-là, luiopposai-je, encore trop sonnée pourcomprendre pleinement ce qui se passait.

— Non, non, répondit-il. Tu seras liée par tapromesse et, à moins que tu n'aies l'intentionde vivre une vie de célibat, tu devras tôt ou

de vivre une vie de célibat, tu devras tôt outard venir à moi.

— Vous n'êtes pas sérieux.Je ne suis pas faussement modeste au point

de prétendre que je suis moche ou autre, maisje n'ai rien de spécial, surtout comparée à labeauté inhumaine des faës. Quand j'avaisrencontré Ethan la première fois et qu'il s'étaitmis aussitôt à me draguer, j'avais su au fond demon cœur que quelque chose clochait.Certaines filles sont si belles ou tellement sexyque les garçons tombent à leurs pieds commedes mouches, mais je ne suis pas de ces filles-là. Il était impossible que l'Elferoi accepte delibérer Ethan pour le seul plaisir de coucheravec moi.

— Je t'assure que si, je suis très sérieux, dit-il. Si tu refuses de m'accompagner avec maChasse dans le monde des mortels, c'est pourtoi l'unique moyen de gagner la liberté d'Ethan.

Je restai sur ma chaise à le dévisager.— Je ne comprends pas. Qu'y gagneriez-

vous ?Il haussa un sourcil en me regardant et je

rougis furieusement en comprenant ce qu'ilvoulait dire. Focalisée sur mon incrédulité, jen'avais pas complètement intégré le fait quej'étais en train de parler de ma virginité avecun homme.

un homme.— Toutes mes excuses, dit gentiment

l'Elferoi. Je ne devrais pas te taquiner dans cescirconstances.

Il semblait sincèrement contrit, mais monembarras demeura. Je n'étais jamais allée bienloin avec un garçon. Je suis de natureméfiante, et n'accorde pas facilement maconfiance, ce qui rend toute intimité plutôtdifficile. Vous pourriez même dire que j'étaisprude. La seule idée de faire... ça... avecl'Elferoi me donnait des sueurs froides.

— Je ne te ferai pas mal, promit-il. Je peuxmême faire en sorte que tu y trouves du plaisir,malgré tes réticences.

Je le regardai durement. Est-ce qu'Ethan luiavait dit qu'il avait essayé un sortilège duvioleur sur moi ?

— Je n'entreprendrai rien sans tapermission, ajouta l'Elferoi, et le regard qu'ilme lança indiquait qu'il savait à quoi jepensais. Si tu préfères avoir l'espritparfaitement clair, je respecterai tes désirs.

— Pourquoi faites-vous ça ? murmurai-jemalgré moi, me sentant toute petite et plusperdue que je ne me souvenais de l'avoir jamaisété. Il n'y avait pas l'ombre d'un doute que saproposition comportait une partie cachée.

Il obtiendrait davantage qu'un peu de plaisirsi j'acceptais. Mais du diable si je savais quoi.

si j'acceptais. Mais du diable si je savais quoi.— La question est de déterminer ce que vaut

la liberté d'Ethan à tes yeux, dit-il au lieu derépondre à ma question. La virginité n'a pas lamême valeur pour les femmes d'aujourd'huiqu'autrefois. M'offrir la tienne ne diminuerapas tes chances de trouver un mari ni ne ferade toi une paria ou quelqu'un que l'on traitecomme de la marchandise abîmée. Est-ce là unsort si terrible que tu sacrifies le reste de la vieimmortelle d'Ethan pour l'éviter ?

Les larmes me montèrent de nouveau auxyeux, et cette fois je ne pus les retenir. Je mesentais piégée, impuissante et coupable enmême temps. Beaucoup de filles de mon âgeavaient des relations sexuelles depuis desannées et ne s'en portaient pas plus mal. Etpourtant j'étais là, trop effrayée pour accepterles conditions de l'Elferoi alors que l'avenird'Ethan était dans la balance.

L'Elferoi tendit les bras et me prit les deuxmains. Je tentais faiblement de me dégager,mais il ne me lâcha pas, comme je m'yattendais. Il caressait mes mains de ses poucesavec une étonnante douceur.

— Tu es effrayée parce que tu n'es pas prête,dit-il. C'est pourquoi je te laisse le choix dumoment.

Il libéra une de mes mains pour essuyer une

Il libéra une de mes mains pour essuyer unelarme sur ma joue.

— Lorsque tu seras plus âgée et que tu auraseu le temps de te faire à l'idée, tu seras peut-être plus attirée par ma couche que tu ne t'yattends.

Il me souriait de nouveau et, malgré madétresse, je ne pus m'empêcher de remarquer labeauté de ses yeux d'un bleu profond frangésde longs cils noirs. Oui, il y avait sûrementtout un tas de filles qui donneraient n'importequoi pour avoir une chance d'entrer dans sonlit. Dommage que je n'en fasse pas partie.

— Et si je me trompe, poursuivit-il, et que tune puisses supporter de me laisser te prendre,tu auras toujours ce choix.

Oui, si je voulais vivre toute une vied'abstinence ! Je n'étais peut-être pas prêtedans l'immédiat, et peut-être un peu prude,mais ça ne voulait pas dire que j'avaisl'intention de rester vierge toute ma vie. Avais-je pour autant le droit de refuser et de laissertomber Ethan ? Comment pourrais-je regarderKimber en face en sachant que j'aurais pusauver son frère, mais que je m'étaisdégonflée ? Et comment pourrais-je encore meregarder dans la glace si Ethan s'était faitcapturer par ma faute et que je n'eusse pas levéle petit doigt pour l'aider ?

Je me sentais comme une marionnette entre

Je me sentais comme une marionnette entreles mains de l'Elferoi. Je savais que ce marchécachait quelque chose qu'il ne me disait pas. Etj e savais que je devrais un jour ou l'autreaffronter les conséquences de ma décision. Sil'Elferoi avait exigé que je couche avec luiimmédiatement, je n'aurais sans doute pastrouvé le courage d'accepter, en dépit de mamauvaise conscience. Mais il avait peut-êtreraison. Peut-être que dans un ou deux ans, jene trouverais plus ça si terrible.

— Ajoutez-y Connor, et c'est d'accord, dis-je,ignorant les protestations de mes tripes.

L'Elferoi eut l'air surpris, comme s'il n'avaitjamais songé que je puisse vouloir également lalibération de mon frère. Il me lâcha la main etse renfonça dans son siège en fronçant lessourcils. Il hocha finalement la tête.

— Je libérerai Ethan dès que tu m'en aurasfait la promesse, accepta-t-il. Une fois tapromesse tenue, je libérerai également Connor.

Incapable de prononcer un mot, j'acquiesçaide la tête. J'étais sûre et certaine que j'allaisregretter ce jour, et sans doute très bientôt.

L'Elferoi se leva et me tendit les mains.— Scellons notre marché.Je ne savais pas ce qu'il voulait dire. Je me

levai aussi, mais ne lui donnai pas les mains,me contentant de le dévisager intensément.

me contentant de le dévisager intensément.— Nous allons sceller notre marché d'un

baiser, m'explicita-t-il en repoussant unemèche de mon visage.

Je voulus protester, mais il continua deparler.

— Notre accord sera scellé par la magie pourque ni l'un ni l'autre ne puissions le briser. Tuvas sentir la magie que j'invoque, mais n'aiepas peur.

— Je ne vous embrasserai pas ! refusai-je ensecouant la tête.

Il haussa une épaule.— Nous pourrions sceller ce marché par le

sang, mais un baiser sera plus agréable. Pournous deux. Et puis, comment puis-je espérerque tu rempliras un jour ta part du marché situ refuses de m'accorder ne serait-ce qu'unbaiser ?

Je déglutis en tâchant de me convaincre dene pas faire la sainte-nitouche. Un baisern'avait jamais tué personne, même venant d'unmeurtrier de sang-froid. Je ne répondis rien, etl'Elferoi prit acte de mon consentement.

— Tu sentiras la magie affluer dès que j'auraiprononcé les termes de notre accord, annonça-t-il. La sensation va s'intensifier le temps denotre baiser, mais ce ne sera pas douloureux.Elle rendra aussi ce baiser... particulièrementagréable.

agréable.Je réprimai un frisson. Je n'avais pas envie

de trouver ça agréable.— Je ne veux pas que vous influenciez mes

sensations.— Je ne ferai rien de tel. C'est un effet

secondaire de la magie. Si nous scellions notreaccord par le sang, c'est la douleur qui seraitintensifiée, tu comprendras pourquoi je préfèreun baiser.

Il m'adressa un sourire de gamin quidétonnait avec son visage.

La chaleur soudaine de mes joues m'indiquaque je rougissais encore, et je détestais ça.

— Très bien. Je m'en fiche.Si la magie ne faisait qu'intensifier ce que

l'on ressentait déjà, je n'avais plus qu'àm'assurer que je ne prendrais aucun foutuplaisir à embrasser l'Elferoi.

Il inclina gracieusement la tête, amusé de maréponse maussade.

— Si tu promets de me donner ta virginité, jepromets en retour de libérer Ethan de la ChasseInfernale aujourd'hui même, et Connor le jouroù tu auras rempli cet engagement.

Le fourmillement de la magie sur ma peaume coupa le souffle. Il était plus puissant quetout ce que j'avais éprouvé jusqu'ici, et tous lespetits poils de mes bras se dressèrent. Je

petits poils de mes bras se dressèrent. Jen'aurais pas été étonnée que mes cheveux s'ymettent aussi. Si la magie devait s'intensifierencore pendant notre baiser, je n'étais pas sûrede pouvoir y survivre. J'avais déjà l'impressiond'avoir mis les doigts dans une prise électrique.

— Sois avertie, poursuivit l'Elferoi, que si tumanques à préserver ta virginité jusqu'au jourde remplir ton engagement, je reprendrai Ethandans la Chasse Infernale et aucune puissancesur la terre comme au ciel ne pourra jamais l'endélivrer. Acceptes-tu les termes que je viensd'énoncer ?

La magie était si dense que j'avais du mal àrespirer, et ma peau crépitait. Je n'étais pascertaine de pouvoir parler, mais l'Elferoi medévorait des yeux, attendant ma réponse. Plusvite je répondrais, plus vite tout serait terminé.

— Oui, dis-je d'une voix que j'espéraisaudible.

La magie rugissait à présent à mes oreilles enplus de me piquer la peau.

Les yeux de l'Elferoi étincelèrent d'un éclatde triomphe, et il glissa sa grande main sur manuque pour saisir ma tête dans sa paume. Il sepencha vers moi, et je dus faire appel à toutema volonté pour ne pas me dégager de sonétreinte et m'enfuir en courant.

Ses lèvres étaient étonnamment doucesquand elles touchèrent les miennes, et

quand elles touchèrent les miennes, etj'éprouvai une seconde de soulagement enpensant que ce chaste effleurement feraitl'affaire. Et soudain, la magie me pénétracomme une lame. Au lieu de la sentirfourmiller sur ma peau, elle semblaitmaintenant venir de l'intérieur.

Je hoquetai, et l'Elferoi fit de même. Ilécrasa alors ses lèvres sur les miennes enattirant mon corps contre le sien. Je me blottissans résistance dans ses bras tandis que lamagie s'insinuait dans ma poitrine et dansmon ventre. J'ouvris la bouche, implorantpresque le goût de sa langue, que l'Elferoim'offrit.

Il m'embrassa avec tant d'ardeur que c'en futpresque douloureux, et je n'avais aucune enviede lui résister. Je passai mes bras autour deson cou et me pressai contre lui, éprouvant lachaleur de sa virilité montrant qu'il était prêtet plus que désireux de mettre notre marché àexécution dans l'instant. Je grognai dans sabouche comme une vague de plaisir meparcourait de la tête aux pieds et des pieds à latête. C'était la sensation la plus grisante quej'aie jamais éprouvée et j'en voulais encore.Rien en moi, ni mon corps ni mon esprit, ne serappelait que j'étais en train d'embrasser monennemi mortel, et ce, en dépit de ma volonté.

ennemi mortel, et ce, en dépit de ma volonté.La magie atteignit un sommet qui m'aurait

fait crier sans la langue de l'Elferoi dans mabouche. Je lui attrapai les cheveux à pleinesmains comme une bouée à laquelle je me seraisraccrochée pour ne pas me noyer.

Et puis soudain, tout s'arrêta.Mes genoux se dérobèrent sous moi et je me

serais effondrée si l'Elferoi ne m'avaitsoutenue. Ses lèvres s'attardèrent sur lesmiennes encore une seconde avant de romprele contact, les mains sur mes épaules pour meretenir. J'avais la tête qui me tournait et je mesentais faible, trop sonnée pour me souveniroù j'étais et ce que je faisais exactement. J'eusdu mal à dénouer mes doigts des cheveux del'Elferoi et je ne résistai pas quand il meconduisit sur une chaise pour me faire asseoir.

Mes lèvres étaient encore meurtries de laforce du baiser de l'Elferoi. Il s'accroupitdevant moi et plongea ses yeux dans les miensen repoussant mes cheveux de mon visage.

— Est-ce que ça va ? s'enquit-il comme s'ils'en souciait vraiment. Est-ce que je t'ai faitmal ?

Il avait les pupilles dilatées et la respirationhaletante. Je crois bien que son pantalonmoulant de cuir noir était toujours tendu, maisen dépit de son désir manifeste il ne tenta pas

en dépit de son désir manifeste il ne tenta pasde profiter de moi.

— Ça va, réussis-je à articuler, même si jen'en étais pas sûre.

Il me pressa la main.— Pardonne-moi si je me suis montré brutal.

C'était plus intense que je ne m'y attendaismoi-même.

Je ne sais pas pourquoi, mais je le crus.Peut-être parce qu'il avait l'air de s'en fairepour moi en cet instant précis.

Je m'efforçais toujours de reprendre mesesprits quand Connor entra dans la pièce, lecorps inconscient d'Ethan dans les bras, ettoute pensée du baiser que je venais derecevoir déserta mon esprit.

Je crois que, inconsciemment, je n'avais

jamais vraiment cru au succès de mon plan.Dans le cas contraire, j'aurais sans douteréfléchi à ce que j'allais faire d'Ethan aprèsl'avoir récupéré. L'Elferoi m'avait prévenuequ'il ne serait pas en état de marcher. J'ai plusde force physique qu'une fille cent pour centhumaine de ma corpulence, mais certainementpas assez pour le porter à bout de bras.

Connor traversa la pièce jusqu'à un antiquesofa, sur lequel il déposa doucement Ethan. Lesjambes encore tremblantes de cette overdosede magie, je le rejoignis, n'osant pas encorecroire que j'avais obtenu sa liberté.

— Ne t'inquiète pas pour lui, me dit l'Elferoijuste derrière moi, me faisant sursauter.

Un type aussi balaise ne devrait pas avoir ledroit de se mouvoir aussi silencieusement !

— Il est affaibli par sa libération de la Chasse,mais il recouvrera progressivement ses forces.

— Dans combien de temps ?Il haussa les épaules.— C'est la première fois que je relâche l'un de

— C'est la première fois que je relâche l'un demes hommes. Je ne saurais dire exactementcombien de temps il lui faudra pour s'enremettre.

Sur le sofa, Ethan poussa un faiblegrognement et battit des paupières comme s'ilvoulait ouvrir les yeux.

— Ethan ! l'appelai-je en m'asseyant près delui pour lui prendre la main. Est-ce que tum'entends ?

Ses lèvres remuèrent faiblement, mais aucunson n'en sortit et ses yeux demeurèrent clos.Comment diable allais-je le ramener ?

Et qu'est-ce que j'allais raconter pourexpliquer à tout le monde comment j'avais obtenu sa libération ? Il n'était pas questionque je crie sur les toits que je l'avais échangécontre ma virginité ! Je n'avais pas non plustrès envie que mon père ou Finn apprenne queje m'étais éclipsée en douce de mon bunker.

Mais chaque chose en son temps : je devaissortir Ethan d'ici et l'Elferoi ne m'avait pasproposé son aide.

— Puis-je utiliser votre téléphone ? luidemandai-je.

Il souleva un combiné sans fil de sa base etme le tendit sans un mot. Je tâchai d'ignorer letremblement de mes mains et composai lenuméro de Kimber en priant pour qu'elle

numéro de Kimber en priant pour qu'elleréponde. Il était encore assez tôt, et elle nereconnaîtrait pas le numéro qui devaits'afficher sur son téléphone.

À mon grand soulagement, elle décrocha etrépondit d'une voix endormie.

— Allô ?— Kimber, c'est Dana. Tu es réveillée ?Elle émit un grognement de surprise

embrumé de sommeil et je l'entendis seretourner dans son lit.

— Dana ? Où es-tu ? Tout va bien ?— Ça va.Je croisai les doigts en prononçant ces mots,

une vieille habitude qui se rappelait à moi sousl'effet du stress.

— Je... Je suis chez l'Elferoi.Kimber hoqueta de surprise. Elle devait être

pleinement réveillée à présent.— Quoi ?— Il a accepté de laisser partir Ethan, mais

ton frère est trop faible pour marcher et je nepeux pas le ramener seule.

— Attends une minute. Quoi ? Tu as dit quel'Elferoi le laissait partir ?

— Oui. Mais j'ai besoin de toi.— Alors, l'Elferoi a accepté notre

proposition ?Elle semblait incrédule, et je ne pouvais pas

lui en vouloir. Je crois bien que ni l'une ni

lui en vouloir. Je crois bien que ni l'une nil'autre n'avions réellement cru que notre planfonctionnerait. Nous nous étions seulementbercées de l'illusion rassurante de pouvoir fairequelque chose.

— Euh, non. On a passé un autre marché.Mais je ne veux pas en parler maintenant. Tupeux venir m'aider pour ramener Ethan ?

— Je serai là dans un quart d'heure, dit-elle.Je l'entendis sortir de sa chambre et

s'affairer.— Attends une seconde que je te donne

l'adresse.— Pas la peine. Je sais où c'est.J'imagine que tout le monde en Avalon

devait savoir où logeait l'Elferoi. Lui et saChasse n'étaient pas du genre discret.

— D'accord. À tout de suite.— Ouais, dit-elle en raccrochant.Je me frottai les bras pour me réchauffer,

même si le feu dans la cheminée répandait unechaleur confortable. Pendant quelque temps,Kimber serait si contente de retrouver sonfrère qu'elle ne me casserait pas trop les piedspour savoir quel genre de marché j'avais passéavec l'Elferoi. Mais je savais que ça ne dureraitpas, et qu'elle finirait par me harceler jusqu'àce que je lui dise la vérité. Je n'étais pas sûrede vouloir révéler à quiconque les détails denotre pacte, meilleure amie ou pas.

notre pacte, meilleure amie ou pas.Je décidai que j'aviserais en temps voulu et

m'efforçai d'écarter ces pensées.Ethan était plus pâle que d'habitude, et il

avait les yeux cernés. La marque de l'Elferoiressortait violemment sur sa peau. Je medemandai s'il s'agissait d'un simple tatouagequ'il pourrait faire effacer ou s'il devrait laconserver toute sa vie. Ce n'était pas si mochedans le genre sauvage ou exotique, maisj'imagine qu'Ethan ne serait pas très chaudpour conserver un souvenir du temps passé ausein de la Chasse Infernale.

L'Elferoi s'assit sur une chaise à dossier droitet croisa les jambes en me regardant tenir lamain abandonnée d'Ethan.

— Je t'ai dit plus tôt au téléphone qu'il étaitdans mon intérêt de te protéger, commença-t-il. C'est encore plus vrai à présent que nousavons conclu ce pacte. En vertu de quoi je doiste prévenir que Titania m'a accordé lapermission de Chasser ta tante Grâce.

— Quoi ?Cette déclaration tombait comme un cheveu

sur la soupe, et je ne compris pas tout de suitede quoi il parlait.

— La rumeur est arrivée aux oreilles de lareine des Lumières que Grâce avait des vuessur son trône. Elle n'a pas très bien accueilli la

sur son trône. Elle n'a pas très bien accueilli lanouvelle.

Ses lèvres s'incurvèrent en un sourireironique.

Ça ne me faisait pas la moindre peine pourtante Grâce. Si elle se faisait tuer parce qu'elles'était mis en tête de se servir de moi pourrenverser Titania, tant pis pour elle. Je ne saispas si j'étais assez mesquine pour souhaiter lamort de ma tante, mais je ne la pleureraiscertainement pas.

— Quel rapport avec ma sécurité ?m'étonnai-je.

— Grâce est condamnée. Si elle se montreassez maline, elle pourra m'échapper un certaintemps, mais quels que soient ses pouvoirs, jefinirai par la débusquer. En supposant que lesgens de la reine ne la trouvent pas les premiers,naturellement. Ta tante le sait. Même si elleparvenait à t'enlever et à t'emmener de forcedans la Faëry, les gardes de la reine sontprévenus du danger et elle ne pourra jamaiss'approcher suffisamment de la reine pourcommettre son forfait.

— D'accord. Je ne vois toujours pas ce quej'ai à voir là-dedans.

— D'après mon expérience, lorsqu'unepersonne n'a plus rien à perdre et plus rien àgagner, on peut s'attendre à ce qu'ellecommette une folie.

commette une folie.Il me regarda d'un air entendu, et je me

souvins qu'il avait suggéré un peu plus tôt quetante Grâce n'essayait plus de m'enlever, maisde me tuer. Je ne la connaissais pas très bien,mais je n'avais aucun mal à l'en croire capable.Mon arrivée en Avalon et ses tentativesavortées de faire de moi son Passemondepersonnel l'avait fait dérailler. Et c'était bien legenre de personne à me rendre responsable dugâchis qu'elle avait fait de sa vie.

— Si elle veut me tuer, elle n'a qu'à prendreun ticket, soupirai-je.

Si je ne faisais pas gaffe, j'allais finir pardevenir blasée avec tous ces gens qui voulaientma peau. Il approuva d'un signe de tête.

— J'admire ton courage, Passemonde. C'estune qualité très rare chez quelqu'un d'aussijeune.

— Euh, merci. Et je croyais que vous nedeviez plus m'appeler comme ça. Mon nom estDana.

— Toutes mes excuses, Dana. Et je m'appelleArawn. Peu de gens osent m'appeler par monnom, mais je t'y autorise expressément.

La sonnerie de la porte me dispensa derépondre. Kimber était arrivée.

L'Elferoi - Arawn, donc - souleva Ethan dansses bras comme s'il ne pesait pas plus lourd

ses bras comme s'il ne pesait pas plus lourdqu'un nourrisson. Sans ajouter un mot, il sedirigea vers la porte et je me hâtai de le suivre.

Mon esprit s'engourdit un peu après ça.Kimber était à la fois folle de joie et paniquéequand Arawn lui rendit le corps inanimé de sonfrère. Avec sa force de faë, elle pouvait leporter, mais pas aussi facilement que l'Elferoi.Elle pleurait à chaudes larmes et avaitabandonné l'irritabilité dont elle faisaithabituellement preuve en présence d'Ethan.C'était sûrement aussi bien qu'il ne soit qu'àmoitié conscient, parce qu'il ne l'aurait paslâchée avec ça. Le soulagement de retrouverEthan accapara suffisamment Kimber pourqu'elle s'abstienne de me demander commentj'avais obtenu sa libération. J'avais évité lapremière salve, mais je savais parfaitementqu'elle reviendrait à la charge dès qu'elle seserait reprise en main.

Nous nous séparâmes presqueimmédiatement. Kimber ramena Ethan chezleur père et je rentrai dans mon bunker. Aprèsavoir longuement hésité par crainte deconséquences qu'Arawn aurait omis dementionner, je finis néanmoins par me piquerle doigt avec la broche qu'il m'avait donnée.Sans gardes du corps et sans toute ma tête, jefaisais une cible parfaite pour mes ennemis.

faisais une cible parfaite pour mes ennemis.J'estimai donc indispensable de me soustraireaux regards.

J'ai un sens de l'orientation pourri, maisj'avais assez souvent parcouru le cheminmenant à mon bunker pour pouvoir retrouverma route sans aide. Je n'avais pas de cerf pourm'éclairer cette fois-ci, mais Arawn avait eu laprésence d'esprit de me fournir une lampe.

Finn faisait son boulot de garde du corpsquand j'entrai dans la salle de garde, penché au-dessus d'un revolver qu'il nettoyaitconsciencieusement. Plusieurs armes à feudifférentes étaient alignées sur la table, ainsique deux ou trois poignards d'argent. Je retinsmon souffle en poussant la porte, mais il ne mevit pas. Ça ne me plaisait guère mais je devaisbien reconnaître que le cadeau de l'Elferoi étaitune sacrée bonne carte dans le genre « Voussortez de prison ». Manifestement, Finn nesaurait jamais que je m'étais absentée.

Une fois à l'abri dans ma suite, j'hésitai entrem'offrir des litres de café bien fort et unplongeon au fond de mon plumard. Le litl'emporta et j'étais si exténuée que je sombraiaussitôt dans le sommeil.

Malheureusement pour moi, ce ne fut pas unsommeil sans rêves. À peine eus-je fermé lesyeux que je me retrouvai serrée entre les brasd'Arawn, qui me donnait un baiser. Un baiser

d'Arawn, qui me donnait un baiser. Un baiseraussi profond et ardent que celui que nousavions échangé dans la réalité, sauf que lamagie n'y était pour rien. Je me pressais contrelui, goûtant le renflement de son désir contremon ventre. À ce stade, j'aurais normalementdû m'inquiéter, mais non.

Je m'ouvris à lui en m'abandonnant, laissantsa langue fouiller ma bouche, et ne protestaipas quand ses mains descendirent sur mesreins pour me plaquer plus fort contre lui. Leplaisir et le désir m'ôtaient toute pensée.

Arawn interrompit notre baiser, et je laissaiéchapper un grognement de dépit. Il me sourit,les yeux sombres et luisants, puis me prit dansses bras pour m'allonger sur mon lit. Uneinfime partie de moi enregistrait que ce n'étaitpas la réalité. Tout le reste de ma personne s'enmoquait royalement.

Arawn s'allongea sur moi en prenant soin dene pas m'écraser sous le poids de son corpsmusculeux. Sans que je sache comment, mesjambes s'étaient écartées et l'une de ses cuissesles maintenait ouvertes. Je me cambrai engrognant. Je suffoquais de désir pour lui, etmes mains se soulevèrent d'elles-mêmes pourdéboutonner sa chemise.

Je ne sais pas jusqu'où ce rêve se seraitpoursuivi si je n'avais été réveillée par les

poursuivi si je n'avais été réveillée par lescoups de boutoir dont Finn martelait ma porte.

— Dana ! criait-il, comme si ce n'était pas lapremière fois qu'il m'appelait. Réponds ou jevais devoir forcer ta porte.

Sonnée et désorientée, je m'assis dans monlit.

— J'arrive dans une minute, réussis-je àarticuler.

— Ton père veut te voir, dit Finn. Tout desuite.

Argh. Ça n'annonçait rien de bon.— Je suis là dans une seconde.Je me dirigeai vers la salle de bains en

frottant mes yeux englués de sommeil. Jevoulais au moins me brosser les cheveux et mepasser de l'eau fraîche sur le visage avantd'affronter mon père, qui devait avoir entendudire qu'Ethan était rentré chez lui et se douterque j'y étais pour quelque chose.

Je me figeai en voyant mon reflet dans lemiroir. Mon visage était rouge, et je me rendiscompte que j'avais les joues en feu. Mespupilles étaient dilatées comme sous l'effet dela drogue, et mes cheveux complètementemmêlés.

Je rougis de plus belle en me rappelant monrêve. Je ne voulais pas penser à l'Elferoi decette façon. Oui, il était beau comme un dieuet il avait cette séduction particulière des bad

et il avait cette séduction particulière des badboys - les vrais, pas comme Keane. Mais il étaitcruel et maléfique, et cent mille millions defois trop vieux pour moi. Je promenaimécaniquement mes doigts sur mes lèvres, mesouvenant de la brutalité de son baiser dans laréalité. J'avais aimé ça sur le moment, mais d'ysonger me mettait mal à l'aise. On m'avaitembrassée deux fois en tout et pour tout dansma vie, et chaque fois sous l'influence de lamagie. Je me demandai à quoi pouvaitressembler un vrai baiser, et redoutai que lasensation ne me parût bien fade parcomparaison.

Je me forçai à penser à autre chose etrepoussai pour plus tard les souvenirs de cevéritable baiser et de celui de mon rêve.

Dans l'immédiat, avis de tempêteimminente.

Les chances que je révèle à mon père ce que

j'avais dû faire pour obtenir la liberté d'Ethanétaient très précisément de zéro, et j'avais dûme concocter une couverture qui medispenserait d'avoir à raconter à quiconquel'embarrassante vérité avant de reprendresuffisamment mes esprits pour quitter machambre.

Papa m'attendait au salon en faisant les centpas devant le canapé. Pendant la seconde dontje disposai avant qu'il ne me voie, je remarquaiqu'il avait les traits tirés et les jouesinhabituellement pâles, même pour lui. Jem'attendais à affronter son courroux, mais ilne semblait pas en colère. Il avait l'air...épouvanté.

Je n'eus pas le temps d'y réfléchir beaucoup,car il leva les yeux et m'aperçut. Il tenta dechasser le trouble de son visage, mais ce qui lepréoccupait devait être assez grave pour qu'ilne parvienne pas à sa neutralité habituelle. Sonregard croisa le mien et il secoua la tête.

regard croisa le mien et il secoua la tête.— Dana, qu'est-ce que tu as fait ? me

questionna-t-il tout de go.Sa voix était glaciale et je me demandai

l'espace d'une seconde s'il avait deviné lavérité. Je décidai que non. J'étais presquecertaine qu'il aurait été hors de lui, et pascomplètement flippé, s'il avait su que j'avaispromis ma virginité à l'Elferoi.

Je relevai la tête en espérant ne pas rougir.— Ce que j'avais à faire pour sauver Ethan de

la Chasse Infernale.— Et qu'est-ce que cela, exactement ?Ayant souvent dû couvrir ma mère, j'étais

efficacement entraînée à inventer desmensonges et à les délivrer de façonconvaincante. Je savais qu'il fallait restersimple, et mêler au mensonge le plus de véritépossible. Et surtout, ne pas éviter le regard deson interlocuteur, un truc qui vous faitparaître coupable même quand vous êtesinnocente.

Je regardai donc mon père droit dans lesyeux pour lui débiter mon mensonge.

— Je n'ai rien fait du tout. J'ai simplementdû lui promettre de faire quelque chose dans lefutur. Et avant que tu me le demandes, il m'aliée par une geis pour m'empêcher de dire dequoi il s'agit.

Ma réponse sembla le vider de ce qu'il lui

Ma réponse sembla le vider de ce qu'il luirestait d'énergie et il s'effondra comme unemasse sur le canapé. On aurait dit que je venaisde lui annoncer la mort de quelqu'un. Étantdonné que je ne lui avais pas encore racontégrand-chose, je ne voyais pas ce qui était siterrible dans ce que j'avais dit.

Je fis quelques pas dans la pièce, sansm'asseoir. J'étais trop agitée pour ça.

— Qu'est-ce qui ne va pas, Papa ?— Qu'est-ce qui ne va pas ? éclata-t-il avec

un rire amer. Qu'est-ce qui pourrait ne pas allerquand ma fille a promis à l'Elferoi une chosequ'il désire à tel point qu'il est prêt à libérerl'un de ses Chasseurs pour l'obtenir ?

Il poussa un profond soupir.— Tu n'en sais pas assez sur lui ni sur la

Faëry pour prendre des décisions en touteconnaissance de cause. Quoi que tu lui aiespromis, tu ne dois pas le lui donner. Même siça veut dire qu'il reprendra Ethan.

Il parlait d'un ton résigné, comme s'ils'attendait à ce que je n'en fasse qu'à ma têtede toute façon.

Je réfléchis à ma promesse, certaine que jene la tiendrais pas de sitôt. Ce n'étaient pas desrêves érotiques qui allaient me donner envie decoucher avec le grand méchant loup. De plus,mon père avait raison. Je n'avais pas pris ma

décision en toute connaissance de cause. Jen'avais pas la moindre idée de ce qui sepasserait si notre pacte était honoré, et tantque je ne l'aurais pas découvert, il étaitparfaitement hors de question que cela seproduise.

En prétendant être liée par une geis quim'empêchait de révéler la promesse que j'avaisfaite, je me privais du même coup de lapossibilité d'interroger ceux qui en savaientplus long que moi sur le royaume de Faëry etde découvrir ce que pouvait cacher cet accord.Dommage.

— Rien ne m'oblige à honorer ma promessedans un proche avenir, si ça peut te rassurer,dis-je à mon père.

— Certainement pas ! aboya-t-il, et jedistinguai enfin une pointe de cette colère quej'avais attendue. Écoute-moi bien, Dana : tu nedois pas lui donner ce qu'il demande. Pointfinal.

Je réprimai ma répulsion épidermique aufait qu'il me donne ainsi des ordres.

— Est-ce que tu sais ce qu'il veut de moi ?l'interrogeai-je, me demandant si ça pouvaitexpliquer la violence de sa réaction.

— Je n'en ai pas besoin, dit-il. Rien de ceque Titania, reine de la cour des Lumières, a puoffrir à l'Elferoi n'a su le convaincre de relâcher

offrir à l'Elferoi n'a su le convaincre de relâcherConnor. Crois-tu vraiment qu'il te rendraitEthan sans que ce que tu lui as promis enéchange ait de désastreuses conséquences ?

Non. J'ignorais quelles étaient cesconséquences, mais j'étais bien conscientequ'elles existaient forcément.

— Je ne pouvais pas lui laisser Ethan, mejustifiai-je. Pas alors que j'avais la possibilitéde le sauver. Il me faudra trouver un moyend'éviter ces fâcheuses conséquences. Comme jete l'ai dit, ce n'est pas une promesse que je suistenue d'honorer dans un proche avenir. J'ai letemps d'y réfléchir. Du moins, je l'espérais.

Même si ma réponse ne l'avait pas apaisé,mon père battit en retraite momentanément.Mais je ne me faisais aucune illusion et savaisqu'il reviendrait à l'attaque dans les prochainsjours.

Il fronça soudain les sourcils en meregardant.

— Attends une seconde. Tu dis que l'Elferoit'a liée par une geis ?

Ses yeux s'agrandirent, d'horreur semblait-il.— Comment as-tu pu le rencontrer sans que

Finn soit au courant ?— Je ne l'ai pas rencontré, répondis-je sans

me troubler bien que sa question me prenne audépourvu. Il m'a téléphoné.

dépourvu. Il m'a téléphoné.Là encore, une pincée de vérité ajoutée au

mensonge afin d'obtenir une histoire crédible.Je ne voulais surtout pas que mon père soit aucourant pour la broche. Il me l'auraitconfisquée aussi sûr que deux et deux fontquatre, et j'avais l'intuition qu'elle me serviraitde nouveau.

— Il t'a liée par une geis au téléphone ?Oups. J'imagine que ça ne devait pas sonner

très juste. Mais j'avais la nette impression quepersonne ne savait exactement ce que pouvaitou ne pouvait pas faire l'Elferoi, et jem'accrochai à ma version.

— Oui. Ne me demande pas comment il afait. Je ne comprends rien du tout à ce truc demagie.

Malheureusement pour moi, ce n'était que lapure vérité.

Je ne suis pas sûre de l'avoir convaincu,mais mon père ne me posa plus de questions.La prétendue capacité de l'Elferoi à me lier parune geis au téléphone n'était peut-être pas plusdifficile à croire que la façon dont il m'avaitréellement fait sortir de mon bunker au nez età la barbe de Finn.

Je ne fus pas surprise le moins du mondeque ma mère m'appelle peu après le départ dePapa. Même en la maintenant assignée àrésidence, ce dernier la tenait tout de même au

résidence, ce dernier la tenait tout de même aucourant des événements. Elle n'avait pas laplus petite idée de ce que j'avais promis àl'Elferoi mais, comme mon père, elle étaitpersuadée que c'était une chose terrible.Contrairement à mon père, en revanche, elle nesavait pas garder son calme par gros temps.J'avais toujours cru que c'était l'alcool quidéclenchait ses crises d'hystérie, maisapparemment non.

Je fis de mon mieux pour l'apaiser, mais ellepleurait toujours quand je raccrochai.Heureusement que Papa avait banni touteboisson alcoolisée de chez lui, ou elle se seraitpris la cuite de sa vie.

Je fus beaucoup plus étonnée de recevoir uncoup de fil d'Alistair, le père d'Ethan et deKimber. En dépit de sa rivalité avec mon père,ils travaillaient, pourrait-on dire, main dans lamain pour s'assurer que je parviendrais à l'âgeadulte. Ils étaient assez proches pour que monpère lui ait donné mon numéro de téléphone,mais pas suffisamment pour qu'Alistairconnaisse la localisation de mon bunker.

Alistair était un faë relativement jeune, quiétait né en Avalon. Il était davantage sur sonquant-à-soi qu'un Américain moyen, maisbeaucoup moins que mon père. Il me déclara,lui aussi, que je ne devais pas donner à l'Elferoi

lui aussi, que je ne devais pas donner à l'Elferoice que je lui avais promis, mais il me remerciaavec tant de force de ce que j'avais fait pourEthan que c'en était presque gênant. Je pensequ'Ethan croit que l'amour que lui porte sonpère est principalement dû à ses talents demagicien, dont il espère qu'ils serviront sesambitions, mais ce n'est certainement pasl'impression que j'en retirai.

J'espérais toujours un appel d'Ethan, envain. Je me dis qu'il devait être encore tropfaible après son séjour au sein de la ChasseInfernale, sans en être entièrementconvaincue. C'était déjà miraculeux queKimber ne rejette pas sur moi la responsabilitéde ce qui était arrivé à son frère, mais il n'étaitpeut-être pas du même avis.

Que lui avait infligé l'Elferoi durant le tempsde sa captivité ? J'étais certaine que fairepartie de la Chasse ne se limitait pas à sillonnerles rues de la ville à moto. L'Elferoi avait beaum'avoir assuré qu'Ethan était « indemne », je nepensais pas que c'était synonyme d'« intact ».

Je m'endormis cette nuit-là hantée par lavision d'Ethan torturé par l'Elferoi et sesChasseurs. Si crues soient ces images, elles nem'empêchèrent pas de rêver d'Arawn. Jem'éveillai le lendemain matin avec seulementquelques bribes de souvenirs de mes rêves,

quelques bribes de souvenirs de mes rêves,mais je savais qu'ils avaient contenu desscènes déshabillées, et qu'ils avaient dû allerassez loin.

Je ne vous dirais pas que je n'avais jamaisfait de rêve érotique jusqu'ici, mais rien desemblable. Jamais avec autant d'intensité ni siintimement mêlés à la réalité. Mon corps sesouvenait encore des sensations que j'avaiséprouvées collée serrée contre le torse del'Elferoi pendant que sa langue explorait mabouche. Et en dépit de ma volonté, cessouvenirs étaient très excitants.

Je n'avais toujours pas repris mes espritsquand arrivèrent 9 heures et le moment demon cours avec Keane. Je me demandais s'ilétait au courant pour Ethan, mais j'eus maréponse dès que je vis son visage. Il me jeta unregard sombre plein de colère. J'envisageaibien de l'amadouer, mais il ne semblait pasd'humeur loquace.

Ce fut la séance d'entraînement la plus rudeet la plus brutale à laquelle il m'eût jamaissoumise. Il retenait toujours ses coups pour nepas risquer de me blesser ou j'aurais fini enmorceaux, mais ça n'avait rien d'une partie deplaisir. Et comme si ça ne suffisait pas, il selâcha aussi sur les insultes et le sarcasme. Àl'en croire, je ne faisais rien de bien. Sesmanières de sergent-instructeur me foutaient

manières de sergent-instructeur me foutaientd'habitude en rogne, mais aujourd'hui ellespénétraient plus loin, et je me sentais plusblessée qu'en colère.

Au bout de moins de dix minutes de cerégime, je décidai que ça suffisait. Keane,évidemment, se moquait parfaitement de mesdécisions et m'ignora quand je lui dis que jevoulais arrêter. Il me balança son poing enpleine face, mais j'étais bien déterminée àmettre un terme à notre entraînementimmédiatement. Je combattis mon instinct dedéfense et m'obligeai à rester immobile au lieude parer au coup ou de l'esquiver.

Keane comprit à la dernière seconde que jene me défendais pas, et ses yeux s'agrandirentd'une façon que j'aurais presque trouvéecomique si je n'avais pas été en train de serrerles dents dans l'attente de l'impact. Un humainaurait été emporté par son élan, et c'était unesacrée bonne chose qu'il ne soit pas humain.

Son poing s'arrêta si près de mon visage queses jointures touchèrent mon menton. Pasassez fort pour me faire mal, cependant, et jelaissai échapper un soupir de soulagement.J'étais prête à prendre le coup s'il n'y avait pasd'autre moyen d'arrêter Keane, mais je n'ytenais pas du tout.

— C'est quoi, ça, putain de merde ? aboya-t-

— C'est quoi, ça, putain de merde ? aboya-t-il, le poing toujours dressé.

— J'ai dit que ça suffisait, répondis-je, d'unevoix que je fus satisfaite de trouver calme etassurée.

J'avais peut-être de l'avenir comme actrice,parce que le calme et l'assurance n'étaient pasexactement ce que j'éprouvais au fond de moi.

Keane poussa un drôle de grognement defrustration, mais abaissa le poing.

— Tu t'es levé du pied gauche, ou quoi ? luidemandai-je avec une belle imitation d'un deses sourires sarcastiques.

Son regard devint glacial. Une expressionque je n'avais encore jamais vue sur son visage.Les colères de Keane avaient toujours étéincandescentes, du genre à s'enflammer d'uncoup et retomber tout aussi vite. Là, c'étaitautre chose, et une partie de moi eut envie dereculer d'un pas de géant.

— Tu fais des plaisanteries, dit-il d'une voixaussi glaciale que ses yeux. Je suppose quetout ça n'est qu'un grand terrain de jeu pourtoi, et que tu prends tes séancesd'entraînement aussi sérieusement que tescours d'E.P.S. à l'école.

— Quoi ? D'où est-ce que tu sors ça ?Il secoua la tête.— Tu sais quoi ? Tu ne vaux pas la peine que

je perde mon temps.

je perde mon temps.Sans un mot de plus, il quitta le tapis et me

le tira pratiquement de sous les pieds pourpouvoir le rouler.

— Bon sang, dis-je en levant les mains auciel. Je savais que tu n'aimais pas Ethan, maisje ne m'attendais pas à ce que tu fasses uncaprice comme un gros bébé.

Il bondit sur ses pieds et frappa sauvagementle matelas roulé.

— Tu crois que c'est à cause d'Ethan ?Son regard n'était plus aussi froid, mais je ne

dirais pas que c'était une grande amélioration.Je clignai les yeux, un peu perdue.

— Si ce n'est pas à cause d'Ethan, alors dequoi s'agit-il ?

— Tu es une psychopathe.Il passa une main dans ses cheveux et je

crois bien qu'il s'en arracha quelques-uns aupassage. Il prit ensuite une longue inspirationet prononça très lentement les mots suivants,comme si j'étais une débile mentale à qui ilfallait expliquer les choses avec des motssimples.

— Ce n'est pas à cause d'Ethan, c'est à caused e toi. Je ne vois pas la putain d'utilité det'apprendre à te défendre pour que tu ailles tejeter toi-même dans les bras de tes ennemis !

Je vis beaucoup de choses dans ses yeux en

Je vis beaucoup de choses dans ses yeux encet instant, dont une bonne partie que jen'étais sûrement pas censée voir.

Outre mon professeur d'autodéfense, Keaneétait aussi mon ami et avait tous les droits des'inquiéter pour moi - même s'il ne savait pasjusqu'à quel point. Mais la violence de saréponse, l'angoisse de son regard... Cela allaitau-delà de la réaction d'un ami s'inquiétantpour un autre.

Et merde ! Je n'avais vraiment pas besoind'une complication de plus dans ma vie.

Que faites-vous quand quelqu'un que vousconsidérez comme un ami vous faitcomprendre qu'il souhaite aller plus loin ? Jefis la seule chose possible à ce moment-là : jeprétendis n'avoir rien vu.

— Je ne me suis pas « jetée dans les bras demes ennemis », répondis-je. J'ai pris un risquecalculé en négociant avec l'Elferoi, mais jen'avais pas le choix. Je ne pouvais pas le laissergarder Ethan prisonnier alors que j'avais lapossibilité de le sauver. J'aurais fait la mêmechose pour toi.

Et j'aurais sans doute mieux fait de gardercette dernière information pour moi, maisc'était la stricte vérité. Ce qui ne signifiait paspour autant que je m'intéressaissentimentalement à Keane. J'aurais aussi passéle même marché pour sauver Kimber.

le même marché pour sauver Kimber.J'aimais bien Keane... dans les rares

occasions où il n'était pas un trou du cul. Ilétait canon, et indéniablement sexy. Et oui,l'intérêt que lui manifestait visiblementKimber m'avait transpercée d'une jalousieinattendue. Mais j'avais déjà un garçonsuffisamment compliqué dans ma vie, et jevenais d'y adjoindre un homme qui l'étaitencore plus. Rajouter Keane à tout cela auraitété au-delà de mes forces. De plus, Kimber étaitma meilleure amie. Quel genre d'amie sortaitavec un type sur lequel elle savait que sacopine avait des vues ?

— Je ne t'en demande pas tant, grommelaKeane, qui avait tout de même perdu unebonne partie de sa virulence.

— Je ne suis pas le genre de fille qui reste lesbras croisés en attendant que les autress'occupent de ses problèmes à sa place, ajoutai-je. Et je ne le serai jamais. Si tu penses que tuperds ton temps à m'enseigner l'autodéfense, jetrouverai un autre professeur.

Il fit la grimace, comme si je venais de memontrer cruelle. Ce n'était pas mon avis.

— Non, je ne perds pas mon temps,reconnut-il en baissant la tête. Plus tu tefourreras dans ces merdiers stupides, plus tuauras besoin de savoir te défendre.

auras besoin de savoir te défendre.J'émis un son entre le rire et le grognement.— Toujours plein de tact et d'un grand

soutien. Avec des amis comme toi, mesennemis n'ont qu'à profiter du spectacle.

— À cause de toi, j'aurai des cheveux blancsavant vingt ans.

Je haussai les épaules.— De toute façon, tu les teins. Tu ne t'en

apercevras même pas.Il daigna m'accorder un sourire.— Alors, on est toujours amis ? demandai-je

en lui tendant la main.Il me lança un regard impénétrable, et prit

ma main, qu'il serra dans la sienne.— D'accord. Amis.Il réussit à ne pas mettre de sarcasme dans

ces mots, et je fis semblant de les accepter,même si je savais bien qu'il n'y croyait pasréellement lui-même.

Je m'éveillais chaque matin en espérant des

nouvelles d'Ethan, mais il n'appela pas. J'auraispu me persuader qu'il était encore trop affaiblisi Kimber ne m'avait pas informée qu'il allaitbeaucoup mieux quand je lui posai la question.Je fus très tentée de lui demander si elle savaitpourquoi il ne m'appelait pas, mais elle avaitl'air à la fois épuisée et préoccupée, et jedécidai de m'en tenir à des sujets moinschargés émotionnellement. Elle ne cherchamême pas à découvrir quel marché j'avaispassé avec l'Elferoi. Je ne savais pas si çavoulait dire qu'elle avait déjà entendu parler dela fameuse geis qui me liait, ou si elle s'enfichait.

Il s'écoula ainsi presque une semaine. Jevoyais mes parents chaque jour, ou du moinsje leur parlais au téléphone, ce qui aurait puêtre sympa sans toute ces tensions. Papa étaitvisiblement toujours inquiet, et Maman était...Bon, Maman était une épave. La sobriété ne luiréussissait pas en période de stress. Au pointqu'elle me prit à part un jour où j'étais venue

qu'elle me prit à part un jour où j'étais venueen visite chez mon père, profitant de ce qu'ilétait absorbé par un coup de téléphoneimportant.

Elle avait encore plus de tics qu'au cours despremiers jours après sa crise de deliriumtremens, et je remarquai tout de suite qu'elleavait maigri. Ses vêtements flottaient sur soncorps et elle ne portait plus la bague deCladdagh, deux mains tenant un cœursurmonté d'une couronne, que je ne l'avaisjamais vue quitter. On distinguait encore lamarque de l'anneau sur son doigt. Elle suivitmon regard et se frotta l'annulaire d'un airgêné.

— Elle glisse tout le temps, dit-elle. Je vaisdevoir la faire réduire.

— Tu t'es mise au régime ? lui demandai-je,même si je connaissais la réponse.

Elle avait toujours été un peu ronde, mais nes'était jamais souciée de sa ligne, et je necroyais pas que cela avait changé.

— Pas volontairement, dit-elle avec unsourire contrit. C'est juste que je n'ai pas trèsfaim en ce moment, ajouta-t-elle en setouchant le ventre. Je perds toujours l'appétitquand je suis stressée.

Je hochai la tête. Je crois que je comprenais.Quand elle était stressée dans le passé, elle

Quand elle était stressée dans le passé, elleperdait peut-être son appétit pour lanourriture, mais pas pour l'alcool. Ce n'est pasun aliment très nourrissant, mais c'estcalorique. Et aussi, quand on y pense, unmoyen efficace de se détendre, même si le prixà payer en est élevé.

Je tendis la main et lui tapotaitmaladroitement l'épaule.

— Je t'en prie, ne t'en fais pas pour moi.Tout ira bien.

— Je sais que tout ira bien, approuva-t-elleavec un enthousiasme forcé, avant de retomberdans son silence ponctué de tics.

J'attendis de voir si elle allait reprendre laparole, mais non.

— Tu ne voulais pas me dire quelque chose ?finis-je par la relancer, sans être sûre de vouloirsavoir quoi.

Elle prit une profonde inspiration, puis setourna vers moi, le visage sombre maisdéterminé. Maintenant, j'étais sûre de ne pasvouloir le savoir.

— Tu comprends que ton père me retient icicontre ma volonté, n'est-ce pas ?

Je fis la grimace. Oui, je le savais. Elle et moiétions toutes les deux ses prisonnièreschacune à sa façon.

— Est-ce que tu sais pourquoi ?La question me surprit. J’étais bien placée

La question me surprit. J’étais bien placéepour le savoir. Le fait que mon père oblige mamère à rester sobre était un des seuls pointsvraiment positifs depuis mon arrivée enAvalon. Naturellement, Maman ne voyait pasles choses du même œil, puisqu'elle refusaitobstinément d'admettre son problèmed'alcoolisme.

— Il te retient ici pour t'empêcher de boire,dis-je en me préparant à recevoir sesdénégations.

Ma mère secoua la tête.— Non. Il me retient parce qu'il pense que

c'est ce que tu veux.— Quoi ?— Il me retient parce que tu penses que je

suis alcoolique, et il croit que me garderenfermée en me privant d'alcool te fait plaisir.

Je n'avais jamais envisagé les choses souscet angle ; elle avait sans doute raison. Maisqu'elle ne compte pas sur moi pour me sentircoupable !

— Et alors ? demandai-je avec un zeste defroideur, que Maman choisit d'ignorer.

— Et alors, si tu demandais à ton père de merendre ma liberté, il le ferait certainement. Jesuis donc autant ta prisonnière que celle deton père.

Je laissai échapper un rire, mais il était ameret empli de colère.

et empli de colère.— Tu veux que je demande à Papa de te

rendre ta liberté pour reprendre la vie que tumenais avant ? Mais c'est génial, Maman. Toutsimplement génial. Tu veux redevenir unepauvre loque imbibée d'alcool.

Elle recula comme si je l'avais giflée.— Dana !À l'époque où elle était tout le temps saoule,

je faisais de gros efforts pour contenir ma rage.Lui crier dessus ou tenter de la raisonnerquand elle avait bu était parfaitement inutile.Mais aujourd'hui elle était à jeun, et je luibalançai tout. Maintenant qu'elle étaitabstinente - même contre son gré -, peut-êtreserait-elle capable de comprendre à quel pointson alcoolisme m'avait pourri la vie.

— Tu veux que je te dise que je me fiche quetu préfères te saouler et cuver ton vin plutôtque de passer du temps avec ta fille ?

— Ce n'est pas...— Ou que ce n'est pas grave que tu sois tout

le temps tellement à l'ouest que tu ne pensesmême pas à payer les factures ? Tu crois que çam'était égal d'être obligée de mentir pour tecouvrir durant toutes ces années ?

— Ça suffit !— Non, ça ne suffit pas !La colère me submergea. Je serrais si fort les

La colère me submergea. Je serrais si fort lespoings que je ne sentais plus mes doigts, etj'avais l'impression que j'allais exploser.

— Toute ma vie, tu n'as été qu'un simulacrede mère, mais ces dernières semaines, jecommençais à me dire que tu étais capable demieux. Et toi, tu me demandes de te faciliterles choses pour revenir à...

Ma mère me gifla, ce qui me coupa la chique.Elle ne m'avait jamais frappée de toute ma vie.Elle tremblait de colère, mais les larmes quibrillaient dans ses yeux disaient que je l'avaisblessée.

— J'ai dit : « Ça suffit », répéta-t-elle d'unevoix rauque.

Elle se leva, me tourna le dos, et s'éloignad'un pas raide.

J'aurais dû m'estimer heureuse d'avoir pulibérer Ethan de la Chasse Infernale,qu'importait la promesse que ça m'avait coûté.Pourtant, je me sentais misérable. Papa étaitinquiet pour moi. Maman était furieuse. Keaneavait l'air d'attendre quelque chose que je nepouvais pas lui donner, et Ethan,apparemment, ne m'adressait plus la parole.

Je finis par en avoir assez d'attendre qu'ilm'appelle et pris mon courage à deux mainspour composer son numéro. Il ne répondit paset ne me rappela pas malgré le message que jelui laissai. Cela me fit penser au traitement que

lui laissai. Cela me fit penser au traitement queje lui avais réservé après l'avoir vu avec cetteTiffany à la soirée de Kimber, sauf que jen'avais rien fait pour mériter ça. Enfin, pas queje sache.

A défaut de pouvoir appeler Ethan, j'appelaiKimber. Je ne l'avais eue qu'une seule fois autéléphone depuis le jour où j'étais allée chezl'Elferoi, et notre conversation avait été brève.J'étais bien décidée cette fois-ci à connaître lefin mot de l'histoire au sujet d'Ethan.

J'avais plus ou moins zappé le fait queKimber n'avait pas encore eu l'occasion dem'interroger sur la façon dont j'avais obtenu laliberté d'Ethan. Elle me le rappela presqueimmédiatement.

— Alors, tu disais que tu avais dû conclureun autre marché avec l'Elferoi que celui quenous avions préparé, dit-elle, me tirant unegrimace chagrinée que je fus heureuse qu'ellene puisse pas voir. De quoi s'agit-il ? Personnene semble le savoir.

Oui, et je voulais que les choses demeurentainsi. Et quand bien même je me sentais unpeu coupable, je servis à Kimber le mêmemensonge qu'à mon père.

— L'Elferoi m'a liée par une geis pourm'empêcher de révéler à quiconque ce que jelui ai promis.

lui ai promis.Il y eut un long silence.— Han-han, dit-elle enfin, et j'entendis

clairement le scepticisme dans sa voix.Cela me mit mal à l'aise. Je n'avais pas été

gênée de mentir à mon père. Enfin oui, quoi, ilavait beau être mon père, je le connaissais àpeine. Et il était hors de question que je parlede sexe avec lui. Point à la ligne.

Mais Kimber était ma meilleure amie, et si jepouvais me confier à quelqu'un, c'était bienelle. Je lui avais raconté mon secret honteux àpropos de ma mère alors que je ne laconnaissais que depuis vingt-quatre heures.

Nous étions à présent plus proches, etj'aurais dû partager avec elle mon nouveausecret très embarrassant.

Et pourtant, ce que j'avais promis à l'Elferoime paraissait autrement plus difficile à révélerque l'alcoolisme de ma mère. Honnêtement,comment appelle-t-on quelqu'un qui promet dusexe en échange d'une faveur ? Je ne le savaisque trop bien, et les joues me brûlaient rienque d'y penser.

— Tu peux tout me dire, tu sais, monopinion de toi ne changera pas. Tu as sauvéEthan alors que tout le monde avait baissé lesbras.

Je ravalai la boule d'émotion qui se formaitau fond de ma gorge. Kimber pensait sans

au fond de ma gorge. Kimber pensait sansdoute que j'avais promis à l'Elferoi de l'aider àtuer quelqu'un. Quelqu'un d'autre que lesreines de Faëry, s'entend. Aux yeux de tous, iln'y avait que ça qui l'intéressait vraiment.Toutes choses étant égales, tuer quelqu'un setrouve bien plus haut dans la hiérarchie desmauvaises actions que de vendre son corps,mais je crois que j'aurais eu moins de mal à luiavouer un meurtre que la vérité.

— Je ne peux pas en parler, Kimber,répondis-je. Je suis navrée, mais je ne peuxpas.

— Très bien, dit-elle d'un ton qui signifiait lecontraire. Comme tu voudras.

— Kimber...— J'ai dit : « Très bien ! » Tu ne veux pas en

parler, nous n'en parlerons pas. Je te suistoujours reconnaissante d'avoir aidé Ethan.

Les mots restaient aimables, mais sa voixétait froide et distante.

J'aurais voulu trouver un truc à dire pourarrondir les angles, mais je ne trouvai rien. Lemieux à faire était de changer de sujet enespérant qu'avec le temps Kimber finirait parme pardonner. Ou que je trouverais finalementle courage de lui dire la vérité, mais rien nepressait de ce côté-là.

— Comment va Ethan ? demandai-je. Il ne

— Comment va Ethan ? demandai-je. Il nem'a pas donné de ses nouvelles.

Il y eut un long silence, pendant lequel je nesus ce que pensait Kimber. Quand elle merépondit enfin, sa voix n'était plus froide,seulement inquiète.

— Physiquement, il a retrouvé ses forces,mais... ce n'est plus le même. Il refuse de parlerde ce qui est arrivé et répète à l'envi qu'il vabien, mais ce n'est pas vrai.

J'éprouvai un autre pincement de remords.Ça devait être dur pour Kimber qu'on lui fermela porte des deux côtés. Cela suffirait-il à mefaire changer d'avis et lui raconter toutel'histoire ? Euh, non.

— Qu'est-ce que tu veux dire ?— Je veux dire qu'à part ce stupide tatouage,

il ressemble à Ethan, mais ce n'est pas Ethan. Iln'a pas souri une seule fois depuis qu'il estrentré, il est tout le temps absorbé dans sespensées et d'humeur sombre. Je n'auraisjamais cru dire ça un jour, mais je regrette lejeune crétin arrogant qu'il était.

Ça me fit presque rire, mais pas tout à fait.— On dirait qu'il ne veut pas me parler. Je

l'ai appelé une ou deux fois, mais il ne répondpas et ne me rappelle pas. Est-ce que... Est-cequ'il m'en veut pour ce qui est arrivé ?

Kimber était peut-être fâchée et se sentaitblessée que je refuse de me confier à elle, mais

blessée que je refuse de me confier à elle, maisje suppose qu'elle était toujours mon amie,parce qu'elle prit aussitôt ma défense.

— Bien sûr que non ! Combien de foisdevrai-je te dire que ce n'est pas ta faute ?

— Oui, eh bien, même si ce n'est pas mafaute, il pourrait quand même m'en vouloirpour ce qui est arrivé.

— Si c'est ce qu'il pense, je te jure que je lelui ferai regretter.

Cette fois, je ne pus m'empêcher de laisseréchapper un petit rire.

— Je donnerais cher pour voir ça.— Tu m'étonnes. Mais sérieux, Dana. Je ne

sais pas pourquoi il ne te rappelle pas, mais jedoute que ce soit parce qu'il t'en veut. C'estjuste qu'il n'est plus lui-même en ce moment,et, quel que soit son problème, je ne sais pasquoi faire, et notre père non plus.

— Je suis désolée, dis-je, sans trop savoirexactement pourquoi.

Tout à la fois, certainement.Après avoir raccroché, je décidai de procéder

de la même façon qu'Ethan. Il ne voulait pasme rappeler ? Très bien. J'irais le voir enpersonne. Et, grâce au cadeau judicieux del'Elferoi, je pourrais me rendre chez lui sansavoir toute ma suite sur le dos. Je ne prenaishabituellement pas ce genre de risque à la

habituellement pas ce genre de risque à lalégère, mais j'avais eu l'occasion de vérifier quela broche de l'Elferoi remplissait parfaitementson office. Lorsque j'invoquais ses pouvoirs, jedevenais complètement invisible. Je pouvaisdonc quitter ma forteresse non accompagnéesans courir le moindre danger. Du moins, enthéorie. Et le temps était venu de la mettre àl'épreuve.

Ma seule chance de me rendre chez Ethan

sans que personne sache que j'avais quitté monbunker, c'était d'y aller de nuit, après m'êtreprétendument couchée. Finn venait rarementdans ma suite, et restait dans son coin à moinsque je ne l'appelle, mais je ne voulais pas tenterle diable. Il suffisait que je décide dem'absenter en pleine journée pour que ce soitjustement le moment où il aurait quelquechose à me demander.

C'était complètement stupide de ma part,mais je passai une bonne demi-heure à choisirdes vêtements pour mon expédition interdite.Je crois bien qu'Ethan ne s'était jamaisintéressé à ce que je pouvais porter, et qu'il yavait encore moins de chances que ça arrivedésormais. Je changeai tout de même trois foisde tenue. Je me décidai finalement pour unjean avec une simple chemise blanche et unsublime pull en cachemire grisscandaleusement doux que m'avait acheté mamère.

Cette tenue n'avait rien d'extraordinaire - ce

Cette tenue n'avait rien d'extraordinaire - cequi était justement le but. Je ne voulaissurtout pas qu'Ethan pense que je m'étaishabillée pour lui, même si c'était le cas. Lepetit plus étant que, dans l'éventualité où il meprendrait dans ses bras, le délicieux toucher ducachemire ne pourrait que lui plaire.

Je me fis les gros yeux devant le miroir de lasalle de bains, et me nattai les cheveux pouréviter l'électricité statique de la laine. Cen'était pas un rendez-vous galant, et ça n'yressemblait même pas vaguement. J'allaisparler avec Ethan pour tâcher de savoir ce quin'allait pas chez lui, et les chances qu'il goûte àla douceur du cachemire étaient proches dezéro.

J'attendis 23 heures pour me piquer le doigtavec la broche de l'Elferoi. J'étais sûrequ'Ethan ne serait pas encore couché, mais ilétait assez tard pour que Finn suppose que jedormais. Je respirai un grand coup pour medonner du courage, puis traversai le salon surla pointe des pieds et entrouvris la porte de lasalle de garde.

Ces précautions étaient inutiles grâce à lamagie de la broche de l'Elferoi, bien sûr. Finnlisait un magazine dans son fauteuil relax avecla télé en bruit de fond. Il ne leva pas les yeuxde son journal quand la porte s'ouvrit et ne me

de son journal quand la porte s'ouvrit et ne mevit pas plus passer à côté de lui et me glisserdehors. J'ignore ce que faisait exactementl'amulette de l'Elferoi, mais j'étais plusqu'invisible, carrément indétectable.

Je pris une autre profonde inspiration pourme donner du cœur au ventre, allumai malampe torche et m'engageai dans les galeries.

Il y avait un accès aux souterrains dans lacour de l'immeuble où habitait Ethan, mais jen'avais pas la moindre idée de la façon de m'yrendre depuis ma forteresse. Maintenant quej'y songeais, je n'aurais pas non plus étécapable de soulever la dalle qui dissimulait cetaccès. Je devais donc prendre le chemin le pluslong. L'Elferoi avait dit que les effets de sabroche duraient une demi-heure, aussim'obligeai-je à marcher d'un bon pas. J'avaislargement le temps, mais avec mon sens del'orientation pourri, mieux valait prévoir uneou deux mauvaises bifurcations.

Il existait quelques rares lieux de vienocturne en Avalon, comme L'Abysse, mais laplupart des rues étaient désertes après latombée de la nuit. Une fois sortie dessouterrains, dans la rue principale d'Avalon, jene croisai que quelques voitures et encoremoins de piétons. Les rues n'avaient jamais ététrès animées la nuit, mais je pense qu'elles

très animées la nuit, mais je pense qu'ellesétaient d'autant plus calmes que personnen'ignorait la présence de la Chasse Infernale.

Je progressai vite et pour une fois je ne meperdis pas. Il me restait encore dix bonnesminutes d'invisibilité lorsque je débouchaidans la cité universitaire où vivaient Kimber etEthan. La lumière était allumée dansl'appartement d'Ethan, et je distinguai uneombre derrière les rideaux de sa fenêtre. Il étaitbien chez lui et n'était pas couché.

Maintenant que j'étais là, je dus cependantcombattre une envie presque intolérable dem'enfuir en courant.

Et si Ethan refusait carrément de meparler ? J'étais déjà blessée qu'il ne répondepas à mes appels, mais s'il me chassait de chezlui, je crois bien que je mourrais sur place. Uneidée encore plus terrible me passa soudain parl'esprit : et s'il n'était pas seul ? Si je trouvaisune autre fille, là, avec lui, quand il ouvrirait laporte... — Oh, arrête ton char ! m'ordonnai-jeen grognant. Il y avait peu de chances qu'il soitavec une fille, alors que Kimber m'avait ditqu'il broyait du noir. Et je ne m'étais pastraînée jusqu'ici en pleine nuit pour resterplantée dans la cour à mater sa fenêtre commeune midinette transie d'amour.

Mes doutes et mes inquiétudes toujoursprésents à l'esprit, je m'obligeai à mettre un

présents à l'esprit, je m'obligeai à mettre unpied devant l'autre et à monter l'escalier debéton qui menait au premier étage. Jem'encourageai mentalement une dernière fois,debout devant la porte d'Ethan, l'estomacfaisant des claquettes et le cœur battant lachamade.

Je frappai à la porte, d'abord doucement.Comme personne ne répondait, je frappai unpeu plus fort. Je retins mon souffle. Ethanm'avait certainement entendue cette fois, maisil ne vint pas ouvrir. Je m'apprêtai à frapperune troisième fois, quand je remarquai unbouton de sonnette, que j'enfonçai. Lasonnerie retentit, suivie d'un bruit de pas. Unenouvelle fois, je cessai de respirer.

La porte s'ouvrit et la silhouette d'Ethan sedécoupa dans la lumière de son appartement. Ilportait un vieux tee-shirt froissé et délavé surun Jean déchiré. Ses cheveux étaient salementébouriffés, et il était si pâle que le cerf bleutatoué sur sa tempe paraissait presque noircontre sa peau. Il était pourtant toujours aussibeau. J'avais été à deux doigts de le perdre àjamais sans avoir eu l'occasion de faire le pointsur mes sentiments pour lui, et je n'avais pasl'intention de commettre deux fois la mêmeerreur.

— Salut, lançai-je avec un sourire nerveux,

— Salut, lançai-je avec un sourire nerveux,les paumes moites. Désolée de me pointer sitard, mais...

Sauf que le regard d'Ethan me traversacomme si je n'étais pas là. Les coins de sabouche s'abaissèrent en une moue et il secouala tête. Il referma ensuite la porte sansprononcer un mot.

La douleur qui me transperça la poitrinedevant ce rejet sans équivoque était au-delà detout ce que j'avais éprouvé jusqu'ici. Je pensaisque ça m'avait fait mal de le voir sur la piste dedanse avec une autre fille, mais la souffranceque je ressentis quand il me ferma la porte aunez sans un mot était presque insoutenable. Lacolère arriverait sans doute plus tard, quand jesongerais à ce que j'avais fait pour le sauver dela Chasse Infernale et à la façon dont il m'enremerciait, mais dans l'immédiat, il n'y avaitque la blessure à vif.

Je fis demi-tour, m'efforçant de ne paspleurer, et me dirigeai vers l'escalier. Jeconsultai ma montre pour voir combien detemps il me restait avant que la magie del'Elferoi se dissipe, et c'est alors que la réalitéme frappa comme un coup sur la tête,m'arrachant un rire quasi hystérique.

Quelle idiote ! Arawn avait bien précisé quele pouvoir de son amulette allait au-delà de la

le pouvoir de son amulette allait au-delà de lasimple invisibilité, et que j'étais indétectablemême si on me rentrait dedans. Le regardd'Ethan m'avait traversée comme si je n'étaispas là parce qu'il ne pouvait pas me voir... nim'entendre.

Le soulagement me donna le vertige, et jecrus un instant que mes genoux allaient cédersous moi. Je pris appui contre le mur quiencadrait la porte d'Ethan en respirantlentement et à fond, et retrouvaiprogressivement mon calme. Puis, je regardaila grande aiguille de ma montre égrener lesminutes jusqu'à ce que le sortilège de l'Elferoiait épuisé son temps.

J'attendis encore un peu, au cas où la duréedu sort ne serait pas aussi précise, mais je mesentais mal à l'aise dehors à la vue d'éventuelspassants. Les chances qu'un de mes ennemism'aperçoive justement durant les deux ou troisminutes où je serais visible étaient trèsminces, mais je n'avais pas vraiment des nerfsd'acier.

Je pressai la sonnette une seconde fois.Lorsque j'entendis les pas d'Ethan, ils meparurent lourds, comme s'il traînait les pieds. Ilouvrit la porte, et la magie me chatouilla lapeau. Son visage renfrogné exprimait uneviolence que je ne lui connaissais pas, ses

violence que je ne lui connaissais pas, sespoings étaient serrés le long de son corps. Lasensation de la magie s'intensifia, puis mabouche s'ouvrit quand je me rendis comptequ'il était sur le point de jeter un sort. Etsûrement pas quelque chose d'agréable.

Les yeux d'Ethan s'arrêtèrent sur moi, jen'eus alors aucun doute qu'il me voyait, cettefois. La magie se dissipa, et son rictus céda laplace à une expression plus neutre et pluscontrôlée.

— Dana ? s'exclama-t-il, comme s'il n'encroyait pas ses yeux.

Je fourrai mes mains au fond de mes pocheset voûtai le dos de nervosité.

— En chair et en os.Il cligna les yeux plusieurs fois, puis jeta un

coup d'œil circulaire sur le palier, prenant actedu fait que je n'avais pas de gardes du corps.

— Idiote, marmonna-t-il entre ses dents.Il me prit par le bras et me tira brutalement à

l'intérieur en me serrant assez fort pour mefaire un bleu avant de claquer la porte derrièrelui.

J'étais trop choquée de ses manières pourprotester. J'étais sûre et certaine qu'il allaits'excuser de ses façons brutales, au lieu de quoiil me poussa contre le mur de l'entrée enagitant un doigt sous mon nez.

— Ne bouge pas d'ici ! m'ordonna-t-il en se

— Ne bouge pas d'ici ! m'ordonna-t-il en sedirigeant à grandes enjambées vers le salon,dont il secoua les rideaux pour supprimer toutinterstice.

Kimber ne racontait pas des craques quandelle disait qu'il n'était plus lui-même. Ignorantson ordre, je le suivis dans le salon, résistant àl'envie de me frotter le bras à l'endroit où sesdoigts avaient laissé leur marque.

— Laisse donc ces rideaux tranquilles, luidis-je. Personne ne va me voir à travers cettefente minuscule.

Il lâcha les rideaux avec un grognementirrité. Il se tourna vers moi, le regard juste au-dessus de mon épaule comme s'il ne pouvaitsupporter de me regarder dans les yeux.

— Qu'est-ce que tu fous ici ? grommela-t-il.Ce n'était définitivement pas l'accueil que

j'avais espéré, et je sentis toute ma confianceen moi se débiner. Je me sentais dans la peaud'une stupide collégienne pathétiquementamoureuse d'un type qu'elle ne pourrait jamaisavoir. Je fis de mon mieux pour que ça ne sevoie pas.

— Tu ne m'as pas rappelée, dis-je, détestantimmédiatement le ton geignard de ma voix.

Il m'avait envoyé un signal très clair enrefusant de me contacter. Pourquoi ne l'avais-je pas écouté ?

je pas écouté ?— Bon Dieu, Dana ! La moitié de l'univers

veut te voir morte, et tu décides que c'est lebon moment pour aller te balader au milieu dela nuit toute seule dans les rues d'Avalon ? Est-ce que tu as envie de mourir ou tu es justedingue ?

Chacun de ses mots me fit l'effet d'unpoignard en plein cœur. Je compris qu'il devaitse ficher de moi depuis le début. Il ne se seraitjamais montré aussi cruel s'il tenait un tantsoit peu à moi. Je m'étais attendue à sa colère,mais j'avais supposé que ce serait en lien avecl'Elferoi. Sa réaction me prit complètement decourt. J'aurais pu me défendre en lui parlant del'amulette de l'Elferoi. Je ne voulais pas qu'ilpense que j'étais assez stupide pour me passerde mes gardes du corps sans autre forme deprotection. Mais pour lui expliquer tout ça,j'aurais dû rester là, ce que je n'avais pas lecourage de faire.

— Si j'avais su, je t'aurais laissé à l'Elferoi,lui assenai-je, et j'eus la satisfaction de le voirfrémir.

Je ne le pensais pas, bien sûr. Une vieimmortelle d'esclavage était une punition unpeu violente pour s'être comporté comme untrou du cul. Mais j'avais pris la sale habitude deme lâcher ces derniers temps, et je n'avais encet instant précis aucune envie de me retenir.

cet instant précis aucune envie de me retenir.— Désolée de t'avoir dérangé, continuai-je en

me tournant vers la porte. Je vais essayer derentrer chez moi sans me faire tuer, mais vuque je suis complètement folle et que je souffred'une pulsion de mort, je ne peux rien tepromettre.

Je saisis la poignée de la porte, mais Ethanfranchit la distance qui nous séparait et meprit par le bras sans me laisser le temps de latourner.

Cette fois encore, il me plaqua contre le mur,sauf qu'il m'emprisonna entre ses bras, unemain de chaque côté de mon visage. Il ouvrit labouche comme pour dire quelque chose - etd'après la tête qu'il faisait, quelque chose queje n'avais pas envie d'entendre - mais aucunson n'en sortit.

Mon cœur saignait toujours de son accueilplus que glacial, mais je ne pus m'empêcher denoter la fragrance boisée qui émanait de lui.Tout comme la chaleur de son corps contre lemien, et le bleu turquoise presque fluorescentde ses yeux. Il se pencha vers moi. Je crusd'abord qu'il allait m'embrasser, et mon cœurse mit à cogner dans ma poitrine pour d'autresraisons que la colère.

Il se contenta d'appuyer son front sur lemien et ferma les yeux. Je ne savais pas trop

mien et ferma les yeux. Je ne savais pas tropquoi penser de ce geste. Je tentai de mepersuader que j'étais soulagée de m'êtretrompée sur ses intentions, mais mon corps negobait pas ça. Ma peau fourmillait de tension,et mon cœur battait toujours à cent à l'heure.Mes mains trouvèrent toutes seules le cheminde la taille d'Ethan, timidement, au cas oùj'aurais mal interprété ses signaux.

Il se rapprocha de moi, faisant glisser mesbras autour de lui. Il releva la tête et ses yeuxplongèrent dans les miens. Ils étaient emplis debeaucoup de désir, mais aussi d'autre chose.Quelque chose que je ne compris pas, maisque, d'emblée, je n'aimai pas.

J'étais sur le point de lui demander ce quin'allait pas, mais il ne m'en laissa pas le temps.Il inclina la tête vers moi, et ses lèvreslégèrement entrouvertes ne me laissèrent plusaucun doute sur ses intentions. J'oubliaipourquoi j'étais venue, j'oubliai messentiments mitigés à son égard, la dureté deses paroles.

Quand sa bouche rencontra la mienne, je nepus retenir un petit cri. Elle était douce etchaude, délicate sans être timide. C'était leplus léger des baisers, un simple effleurement,mais il résonna dans tous les nerfs de moncorps.

corps.— Encore, murmurai-je contre sa bouche, et

il répondit à ma demande en approfondissantson baiser.

Mes bras se resserrèrent autour de lui, mesdoigts malaxèrent son dos et j'ouvris les lèvrespour l'inviter à aller plus loin.

Le petit gémissement qui lui échappalorsqu'il goûta ma bouche me fit frissonner dela tête aux pieds. Ses mains avaient quitté lemur. L'une d'elles encadrait le côté de monvisage, tenant ma tête dans l'angle parfait pourrecevoir son baiser. L'autre était sur ma taille,juste au-dessus de la ceinture de mon jean.Tandis que sa langue m'explorait, il se mit à mecaresser le flanc de haut en bas. Son pouceeffleurait le côté de mon sein à chaque passage,et je ne songeai même pas à m'en offusquer.

Dans un élan de hardiesse, je laissai mesmains descendre dans son dos jusqu'au bas deson tee-shirt et les glissai dessous pour sentirle contact de sa peau. Son corps étaitdélicieusement chaud, sa peau douce commede la soie. Il cessa de respirer quand mes mainsle touchèrent, mais c'était loin de ressembler àde la désapprobation.

J'imagine qu'Ethan était d'humeurtéméraire, lui aussi, parce que sa mains'aventura alors sur le devant de mon corps,sans cesser ses caresses, avec une lenteur

sans cesser ses caresses, avec une lenteurétudiée, pour me laisser le temps decomprendre jusqu'où irait cette main etl'arrêter si je le souhaitais. Mais je ne l'arrêtaipas.

Je me cambrai presque malgré moi quand samain prit mon sein. La sensation étaitatténuée par mon pull, ma chemise et monsoutien-gorge, mais cela n'empêcha pas mesmamelons de se durcir comme de petitsbourgeons, ni une brusque chaleur d'envahirmon bas-ventre.

Les gestes d'Ethan étaient moins retenus àprésent. Ses lèvres écrasaient les miennespresque trop fort, et ça ne lui suffisait plus deme caresser à travers toutes ces épaisseurs. Sesmains soulevèrent mon pull et ma chemise, lesremontant presque sous mon menton pourexposer mon soutien-gorge.

Il allait un peu trop vite en besogne pourmoi, assez pour que je retrouve mes espritsune fraction de seconde et que l'idée m'effleureque ça allait peut-être trop loin. Cela suffitpour que ma raison reprenne le dessus.

Ethan n'était pas dans son état normal, merappelai-je soudain. Kimber s'en était aperçue,et je l'avais remarqué aussi quand il m'avaitbrutalement tirée à l'intérieur. Ce n'était pas lebon moment pour explorer notre attirance

bon moment pour explorer notre attirancemutuelle, quoi qu'en disent nos corps. Ethanavait déjà essayé une fois de profiter de moi, etj'avais peur que dans son état actuel il ne soitpas capable de se maîtriser si je laissais leschoses déraper.

Ses mains étaient maintenant dans mon dos,où elles se débattaient avec l'agrafe de monsoutien-gorge, et même si une part de moi étaitplus que d'accord pour aller plus loin, la partierationnelle de mon cerveau avait repris lescommandes. Sa langue dans ma bouchem'empêchait de parler, je posai donc mesmains sur son torse pour le repousser.

Ethan émit un son guttural, entre legrognement et le gémissement et, bien qu'ilcessât de se battre avec mon soutien-gorge, illaissa ses mains où elles étaient et continua dem'embrasser. Je ne pouvais nier l'excitationqu'il avait suscitée en moi mais, maintenantque j'avais recouvré mon esprit cartésien, je nepouvais plus ignorer ses arguments.

J'avais des tas de raisons de ne pas me fiertotalement à Ethan mais, même ainsi, je merefusais à croire qu'il m'obligerait à fairequelque chose contre ma volonté. Ce que jeredoutais surtout, c'est que sa force depersuasion et mes propres désirs ne me fassentoublier la sagesse. Et je devais absolument

oublier la sagesse. Et je devais absolumentstopper là. Le marché que j'avais passé avecl'Elferoi signifiait que je ne pouvais pas allerjusqu'au bout avec Ethan sans le perdre àjamais. Je compris seulement alors à quel pointce marché était insidieux. Si jamais lesproblèmes qui nous opposaient disparaissaientet que j'eusse envie de faire l'amour avecEthan, je devrais d'abord passer par le litd'Arawn. Je suis peut-être dingue, mais je necrois pas que ça plairait à Ethan - ni à aucunautre garçon d'ailleurs. Je m'étais fait baiserdans les grandes largeurs. Enfin, façon deparler.

Je repoussai plus fort Ethan, mes récentesdécouvertes ayant cassé l'ambiance. Mon gesteaurait sans doute été plus convaincant sij'avais interrompu notre baiser, mais c'étaitdivinement bon... C'était, décrétai-je, monpremier vrai baiser, libre de toute influence dela magie.

J'émis un grognement de protestation etcontinuai de repousser Ethan. S'il avait insistéencore longtemps, je suis sûre que j'auraistrouvé la volonté de détourner la tête, mais ildut finir par décider que mes signaux « stop »devaient l'emporter sur mes signaux « encore ».Il s'arracha à ma bouche, et j'eus le temps devoir l'expression de colère frustrée sur sonvisage quand il se recula avant de me tourner

visage quand il se recula avant de me tournerle dos.

J'étais une salope d'allumeuse, même si je nel'avais pas fait exprès. J'ouvris la bouche pourdire quelque chose d'apaisant, mais je meravisai. Lui expliquer le sacrifice auquel j'avaisdû consentir pour regagner sa libertén'arrangerait rien du tout.

— Je suis désolée, dis-je finalement, et je mesentais minable en remettant en place machemise et mon pull.

Ethan se retourna brusquement vers moi, lesyeux arrondis de surprise.

— Et de quoi donc ?Je clignai bêtement les yeux. Il avait l'air

sincère, mais je n'avais pas rêvé l'expression decolère que j'avais aperçue avant qu'il sedétourne.

— Je n'avais pas l'intention de te séduire,répondis-je d'une toute petite voix qui nesemblait pas m'appartenir.

Je n'étais pas si timide habituellement, maisrien dans ma vie d'avant ne m'avait préparée àgérer Ethan.

Il tendit les bras et posa ses deux mains surmes épaules, qu'il serra fermement.

— Tu n'as rien fait de mal.Là encore, il semblait sincère.— Pourquoi es-tu tellement en colère, alors ?

— Pourquoi es-tu tellement en colère, alors ?Il lâcha mes épaules et s'adossa contre le mur

en face de moi.— Ce n'était pas contre toi, m'assura-t-il.

Écoute, je sais que tu es... inexpérimentée. Jen'aurais pas dû y aller si fort.

Mes joues s'enflammèrent, et je ne pussoutenir son regard. Je ne cessais d'oublier queje ne faisais pas le poids avec Ethan. Il avaitl'habitude des femmes mûres et averties, et jeme sentais dans la peau d'une gamine, bien au-delà de nos deux ans de différence.

Ethan ne me regardait pas à ce moment-là,aussi ne vit-il pas la honte qui me submergeait,et il continua sur sa lancée.

— Je n'aurais même pas dû t'embrasser, pasdans l'état où je suis.

L'idée qu'il puisse regretter de m'avoirembrassée se fraya un chemin douloureux dansma poitrine, mais je me forçai à me focalisersur la partie la plus importante de sadéclaration.

— Dans quel état es-tu ?Ce qui était, après tout, la raison de ma

venue chez lui en dépit de la pancarte « Ne pasdéranger » qu'il avait virtuellement accrochée.

— C'est juste... Je ne suis plus moi-même,répondit-il évasivement, en évitant monregard.

— Que veux-tu dire par là ?

— Que veux-tu dire par là ?Il se redressa et décolla son dos du mur.— Hé, tu veux boire quelque chose ? On ne

va pas rester debout dans l'entrée. Viens donct'asseoir.

— Subtil, commençai-je, mais je me ravisaien voyant la panique poindre dans ses yeux. Jeprendrais bien un Coca si tu en as.

— Oui. Bien sûr. Assieds-toi. Je reviens toutde suite.

Il se réfugia dans la cuisine sans me laisser letemps de répondre. Je fus tentée de le suivre,mais sentis qu'il serait plus sage de lui laisserun peu d'espace. Il venait de couperbrutalement court à la conversation, mais ilvoulait que je reste, et tout espoir n'était pasperdu. Il n'était sans doute pas encore prêt àme confier ce qui n'allait pas, mais il entrouverait peut-être le courage avant la fin dela soirée.

Tout en lissant mon pull pour m'assurer quemes vêtements étaient en ordre, je me laissaitomber dans le canapé de cuir très masculin deson salon et attendis.

Ethan mit beaucoup plus longtemps que

prévu à revenir avec nos boissons, au pointque je songeai à aller le chercher à la cuisine.Je décidai finalement de patienter, car j'avaisautant que lui besoin de ce temps mort pourme reprendre.

Apparemment, peu importait ce que medictaient la logique et le bon sens au sujetd'Ethan et toutes les raisons que j'avais de meméfier de lui. Lorsqu'il était près de moi,lorsqu'il me touchait, la raison n'existait plus.J'avais résisté ce soir, mais il était gênant depenser à quel point cela m'avait coûté. Et si jefinissais un jour par sortir vraiment avec lui,qui savait jusqu'où je pourrais aller. Ce typefaisait de la bouillie de mon cerveau. Lasituation était ridiculement dangereuse, pourtous les deux. Mais ça, Ethan ne le savait pas,car je doutais fort que l'Elferoi l'eût mis dans laconfidence de notre transaction.

Il avait l'air un peu mieux quand il revintenfin au salon, avec une de ces bouteilles de

enfin au salon, avec une de ces bouteilles deCoca en verre à l'ancienne pour moi et un trucappelé Old Peculier pour lui. C'était une bièreépaisse et sombre, et je parie que ça devaitcoûter la peau des fesses. Sa bouteille était déjàà moitié vide, ce qui n'était sûrement pas bonsigne. Il me tendit le Coca, puis vint s'asseoir àcôté de moi sur le canapé et but une longuerasade de sa bière. Un silence gêné s'installaentre nous.

Je cherchais une façon subtile de luidemander une nouvelle fois ce qui n'allait pas,mais la subtilité n'est pas ma qualité première.Il faisait rouler sa bouteille entre ses mains etla regardait sans la voir. Kimber avait raison.De toute évidence, quelque chose clochait chezlui. Nous n'étions peut-être pas assez prochespour qu'il se confie à moi, mais ça ne m'arrêtapas.

— Que t'a fait l'Elferoi ? demandai-je à voixbasse.

Ethan cligna les yeux et sortit de sa torpeur.Il porta de nouveau la bouteille à ses lèvres etlui régla son compte. Je ne suis en aucun casune amatrice de bière, mais j'étais presque sûreque la Old Peculier devait se siroter lentementet pas se boire cul sec.

— Je n'ai pas envie d'en parler, répondit-il enreposant la bouteille vide sur la table bassedevant lui avant de se plonger de nouveau dans

devant lui avant de se plonger de nouveau danssa contemplation.

— Je crois que j'avais compris, répliquai-je.Mais si tu refuses d'en parler, commentcomptes-tu t'en sortir ? Même si je ne sais pasde quoi tu dois sortir.

En prononçant ces mots, je savais qu'ilss'appliquaient aussi à ma propre situation,mais je n'étais pas encore prête à parler àquiconque du pacte que j'avais passé avecl'Elferoi.

Il secoua la tête.— C'est quelque chose que je vais devoir

gérer tout seul.— Encore un de ces trucs de mec, c'est ça ?

Tu crois que si tu ne parles pas de tesproblèmes, ils vont disparaître ?

Il me regarda finalement dans les yeux et sonvisage était fermé.

— Je t'ai dit que je ne voulais pas en parler.J'aurais peut-être mieux fait de laisser

tomber. Si j'avais été à sa place et qu'il soit entrain de me passer sur le gril pour savoir ce quej'avais offert à l'Elferoi en échange de sa liberté,ses questions m'auraient bien énervée. Maisquelque chose me poussait à continuer, uninstinct qui me disait qu'Ethan avaitsecrètement envie de tout raconter.

— Tu sais que j'ai pratiquement vendu mon

— Tu sais que j'ai pratiquement vendu monâme au diable pour te récupérer, lui dis-je, et jevis à son tressaillement que j'avais touché unpoint sensible. Arawn n'a cessé de me répéterque tu étais « indemne », et j'ai le droit desavoir si c'est la vérité, ou il pourrait m'avoirmenti pour d'autres choses aussi.

Mon argumentation était un peu vaseuse,mais vu la façon dont les poings d'Ethan seserrèrent sur ses genoux, je devinai que j'étaisparvenue à le toucher avec cette approche. Ilrumina encore une minute ou deux, puisdesserra les poings et secoua les mains. Iltoucha alors le tatouage sur sa tempe quiencadrait son œil.

— Il m'a libéré de la Chasse Infernale,commença-t-il en tapotant toujours sontatouage, mais je ne suis pas libre pour autant.

Il reposa sa main sur ses genoux et se tournavers moi, le regard hanté.

— Je suis toujours lié à lui, Dana. Je suisdispensé de chevaucher avec la Chasse, mais jereste sa créature à jamais.

— Je ne comprends pas, dis-je, même si jecrois bien que je commençais à deviner.

— Lorsqu'il m'a lié à la Chasse, qu'il a apposésa marque sur moi...

Il porta de nouveau la main à son tatouage.— Je ne pourrai jamais lui désobéir. Sa

magie ne me le permettra pas.

magie ne me le permettra pas.Avec un cri de désespoir mêlé de frustration,

Ethan se renfonça dans le canapé, et renversasa tête contre le dossier. La souffrance était siintense dans son regard que je dus détournerles yeux.

— Je n'ai été qu'une putain de marionnettetoute ma vie, reprit-il, la voix teintée d'unenouvelle amertume. J'ai toujours joué les filsmodèles, toujours fait ce que mon pèreattendait de moi. Quand il m'a demandé de teséduire, même si je devais pour ça mentircomme un salaud, il ne m'est même pas venu àl'idée de refuser.

» Et puis, quand je t'ai connue un peumieux..., poursuivit-il en secouant la tête sansla décoller du canapé. Tu as ton petit caractère,Dana. Je sais que ton père voudrait te dirigerde la même façon que le mien, mais tu ne telaisses pas faire. Tu prends tes propresdécisions, et tu ne laisses personne te marchersur les pieds. Je me suis dit que peut-être... jepourrais essayer de t'imiter. Et que laprochaine fois que mon père me demanderaitde faire quelque chose qui ne me plaît pas, jerefuserais.

» Tu t'imagines bien qu'il n'a pas été raviquand j'ai tenté de t'aider à quitter Avalon.C'était la première fois que je le défiais

C'était la première fois que je le défiaisouvertement, et j'ai adoré ça. Maismaintenant...

Il laissa échapper un rire sans joie.— Maintenant que j'ai enfin trouvé le

courage d'affronter mon père, me voilà avec lesgriffes de l'Elferoi plantées si profondément enmoi que je ne m'en libérerai jamais.

Je serrai les dents en songeant que je m'étaismontrée stupide. J'étais consciente que lestermes de mon marché avec l'Elferoi devaientêtre formulés soigneusement, à la lettre près.J'avais bêtement cru que libérer Ethan de laChasse Infernale revenait à le libérer del'Elferoi, mais en y repensant, je voyais bienque cette supposition était stupide.

— Je suis navrée, Ethan, m'excusai-je,accablée de culpabilité.

Il se redressa, puis se pencha vers moi pourme passer un bras autour des épaules etm'attirer contre lui.

— Tu n'as rien à te reprocher. Je serais restél'esclave de l'Elferoi toute ma vie si tu nem'avais pas sauvé.

Il me prit dans ses bras. Je ne résistai pas etappuyai ma tête sur sa poitrine, écoutant lesbattements réguliers de son cœur.

— Je ne peux pas m'empêcher de medemander comment tu y es parvenue, ditEthan tandis que je me blottissais contre lui, et

Ethan tandis que je me blottissais contre lui, etque ses bras se refermaient sur moi. Que t'a-t-ildemandé en échange, Dana ?

Sa voix mourut.J'avais très envie de lui dire quelque chose

de rassurant, qui apaiserait la culpabilité quej'entendais dans sa voix. La vérité neremplissait pas ces critères, et si j'avais étécapable de fabriquer un mensonge qui tienne laroute, je m'en serais déjà servi pour calmertout le monde. Mon silence dura suffisammentlongtemps pour qu'Ethan comprenne que je nerépondrais pas, car il poussa un long soupir ettenta un autre angle d'attaque.

— C'est vrai, ce que tu as dit à Kimber ? Quel'Elferoi t'a liée par une geis ?

Mon premier réflexe fut de lui mentir.J'avais rabâché ce mensonge si souvent qu'ilavait presque le goût de la vérité. Mais je nepouvais pas mentir à Ethan alors qu'il venaitde m'ouvrir son cœur. Je n'étais pas prête à luidire la vérité, mais je n'étais pas obligée de luimentir pour autant.

— Il n'y a pas de geis, avouai-je. Je t'en prie,ne le répète à personne. C'est une chose dont jene peux pas parler. J'ai dit à tout le monde quej'étais liée par une geis pour qu'ils me fichentla paix.

Son menton se posa sur le haut de ma tête,

Son menton se posa sur le haut de ma tête,où il le fit glisser machinalement. Je sentaistoujours sa chaleur, et mon attirance pour lui,mais ce contact était plus serein.

— Je peux peut-être te retourner lecompliment de tout à l'heure ? suggéra-t-ildoucement.

Je soupirai.— Sans doute, mais je ne peux pas en parler.

Pas encore.Et peut-être même jamais, mais il n'avait pas

besoin de le savoir.— Très bien, accepta-t-il. Je ne te

questionnerai pas. Mais si tu as envie d'enparler, je suis là.

Mon cœur se serra de gratitude, et tous mesdoutes et mes inquiétudes au sujet d'Ethans'envolèrent. J'étais déjà trop accrochée, ettant qu'il voudrait de moi, je serais à lui piedset poings liés.

Je restai environ une heure chez Ethan.Nous ne parlâmes pas beaucoup, mais nous nenous embrassâmes plus. J'aurais étéfranchement déçue s'il n'avait pas été siagréable de juste se blottir dans ses bras sur lecanapé. J'aurais pu rester là toute la nuit, maisje finis par me mettre à bâiller.

— Tu devrais rentrer chez toi, me dit Ethan,et je savais qu'il avait raison.

Il se leva, m'entraînant avec lui.

Il se leva, m'entraînant avec lui.— Je n'arrive toujours pas à croire que tu

t'es promenée toute seule en ville, dit-il d'unevoix durcie par la désapprobation. Et commentas-tu pu fausser compagnie à Finn ? Je croyaisqu'il était installé entre ta suite et la portedonnant sur l'extérieur.

Je regardai Ethan en fronçant les sourcils.Pour autant que je m'en souvienne, je ne luiavais jamais décrit la topographie de monbunker. Je suppose qu'il pouvait se l'imaginer,mais il avait l'air de savoir de quoi il parlait.

Il vit la confusion sur mon visage, etrépondit sans que j'aie besoin de lui poser laquestion.

— L'Elferoi sait où tu vis.Oui, je m'en étais aperçue lorsque j'avais

trouvé son amulette sur ma table de nuit.— Et il te l'a dit ?Je ne voyais pas pourquoi il aurait fait une

chose pareille, et je n'aimais guère l'idéequ'Ethan sache où j'habite. J'avais beau être àmoitié amoureuse de lui, je ne lui faisaistoujours pas entièrement confiance. Je n'avaispas peur qu'il me fasse du mal, mais il pouvaittrès bien en informer la mauvaise personne.

Ethan regardait ses chaussures.— Oui. Il a dit qu'il pourrait avoir besoin de

m'envoyer là-bas un jour ou l'autre. Il est

m'envoyer là-bas un jour ou l'autre. Il estdéterminé à faire tout ce qu'il faut pour que turestes en vie, au moins jusqu'à ce que tu luiaies donné ce qu'il veut.

Je secouai la tête.— J'imagine que ça ne changera pas grand-

chose si je lui dis que je ne veux pas de saprotection.

— Non, je ne pense pas, grogna Ethan. Et necrois pas que tu vas t'en tirer comme ça.Comment as-tu faussé compagnie à Finn ?

Je m'apprêtais à lui parler de la broche, maisje me ravisai. Il pourrait avoir pas mal deraisons de décider que c'était une mauvaisechose, la première étant qu'elle venait del'Elferoi. Il pourrait aussi se mettre en tête deme protéger malgré moi en faisant en sorte queje ne puisse plus quitter mon bunker encatimini. Il était beaucoup plus grand et plusfort que moi, et malgré mes coursd'autodéfense, je n'étais pas sûre de pouvoirl'empêcher de me la prendre s'il le voulaitvraiment.

— Je me suis faufilée en douce pendant qu'ilétait aux toilettes, dis-je en espérant qu'Ethanne remarquerait pas mon hésitation. Tout lemonde croit que je suis une fille raisonnable, eton ne m'enferme pas à clé ni rien. Pour Finn, jesuis toujours dans ma chambre en train dedormir.

dormir.Ethan ne parut pas entièrement convaincu,

mais il ne mit pas non plus mon histoire endoute.

— Je vais te raccompagner, annonça-t-il, etsa voix me fit comprendre qu'il était inutiled'argumenter.

Je me mordis les lèvres. J'aurais étébeaucoup plus en sécurité sans lui, parce quej'aurais pu utiliser la broche. Mais je savais queje ne le convaincrais pas de renoncer sans uneexplication que je ne voulais pas lui fournir.Oui, ce serait un peu dangereux de déambulerdans les rues d'Avalon avec Ethan pour seuleprotection, mais je décidai que le risque étaitacceptable.

Je fus confortée dans l'idée d'avoir pris labonne décision quand Ethan m'emmenadirectement dans les souterrains enempruntant l'accès dissimulé sous les pavés dela cour. Se déplacer dans les rues d'Avalon,même à cette heure de la nuit, rendait possible- même si c'était peu probable - une rencontreavec l'un de mes ennemis. Mais dansl'immense labyrinthe des souterrains, peu dezones étaient fréquentées, et je pourraisfacilement les éviter en compagnie de monguide autochtone.

L'accès que nous utilisâmes débouchait

L'accès que nous utilisâmes débouchaitdirectement sur une partie non aménagée dessouterrains. J'avais ma lampe de poche, maisEthan fit usage d'une vraie torche, qu'il allumaavec sa magie. Elle éclairait bien mieux que malampe électrique, mais je ne pus m'empêcherde trouver la flamme - et les ombres dansantesqu'elle créait -complètement flippante.

Ethan ouvrait la voie en tenant la torche decôté car la galerie était trop basse pour qu'ilpuisse la brandir. Nos pas renvoyaient un échosinistre sur les parois rocheuses, et j'avais lesnerfs en pelote au moindre crépitement deflamme. C'était l'effet que me faisaientgénéralement ces souterrains. Je n'avais pas lesouvenir d'avoir été claustrophobe avant devenir en Avalon, mais manifestement leschoses avaient changé.

Nous ne parlâmes pas beaucoup ni l'un nil'autre. Le silence était oppressant, et l'écho dumoindre chuchotement me mettait les nerfs àvif. J'avais toujours trouvé ces souterrainsplutôt flippants, mais cette nuit plus quejamais. Les épaules contractées d'Ethan et lesprécautions qu'il prenait m'indiquèrent que jen'étais pas la seule. Je tentai de me persuaderque c'était notre imagination et que c'étaitnormal d'éprouver de l'appréhension dans cestunnels obscurs, déserts et tous semblables au

tunnels obscurs, déserts et tous semblables aumilieu de la nuit. Ce qui n'empêcha pas lespetits cheveux de ma nuque de se rappeler àmon attention.

Ethan tendit le bras derrière lui pour meprendre la main, entremêlant nos doigts. Sapaume était moite, ce qui ne fit rien pourapaiser mes craintes. Je déglutis, tâchant envain de me convaincre que j’étais ridicule, etEthan s'arrêta quelques secondes plus tard.

— Il y a quelque chose qui ne va pas,chuchota-t-il à mi-voix.

Jetais on ne peut plus d'accord avec lui.— Qu'est-ce qu'on fait ? lui demandai-je le

plus doucement possible.Mais je ne voyais pas bien ce qu'on pouvait

faire d'autre à part continuer d'avancer.Ethan plissait les yeux pour sonder

l'obscurité devant nous. Les faës ont unemeilleure vision que les humains, mais il nedétecta rien qui parut l'inquiéter. Avec unesombre détermination, il se remit en route, samain serrant la mienne un peu plus fort. Ilallait me couper la circulation s'il continuait,mais j'étais trop angoissée pour me plaindre.

Quelque chose dans la galerie devant nousémit un bruit ressemblant à une toux puis jevis comme une étincelle. Ethan poussa un criet sa torche lui tomba des mains.

Je me tournai vers lui, soudain alarmée.

Je me tournai vers lui, soudain alarmée.— Ethan ? Qu'est-ce qu'il y a ?J'avais du mal à le distinguer nettement

dans la lumière erratique de la torche tombéeau sol, mais je vis une tache sombre et humidesur son épaule droite, juste en dessous de laclavicule.

Il tomba à genoux, ses doigts s'amollissaiententre les miens.

— Cours, Dana, dit-il en s'efforçant de mepousser dans la direction d'où nous venions.

La tache sur son tee-shirt s'élargissait et ilvacillait.

— Cours ! répéta-t-il.— Sûrement pas, répliquai-je en le tirant par

l'autre bras pour le remettre sur pied.Je ne savais pas encore très bien ce qui se

passait, mais je savais qu'il était hors dequestion que je m'enfuie en courant enabandonnant Ethan. Je glissai mon épaule sousson bras.

— Viens !Des bruits de pas résonnèrent devant nous

tandis qu'une boule de feu se formait etgrandissait près du plafond. Je parvins àremettre Ethan debout, mais presque tout sonpoids reposait sur moi et il était à peineconscient, trop mal en point pour utiliser sapropre magie de guérisseur. Je savais que nous

propre magie de guérisseur. Je savais que nousn'irions pas très loin comme ça, mais ça nem'empêcha pas d'essayer. Je rebroussai cheminet progressai de deux ou trois pas. Jem'attendais à tout instant à entendre le bruitd'une arme à feu - comment expliquerautrement le claquement sec que j'avaisentendu ? - et à ressentir la douleur de l'impactd'une balle dans mon dos. Ce n'est pas ce qui seproduisit, mais quelque chose de bien pire. Lesort d'illumination atteignit son intensitémaximale, éclairant le souterrain à descentaines de mètres des deux côtés.

Au milieu de la galerie, me bloquant lepassage à l'aide d'un calibre aussi gros qu'uncanon, se tenait ma tante Grâce.

La première fois que j'avais vu tante Grâce,

elle m'avait confortée dans tous les stéréotypesque j'avais jamais entendus sur les faës.Beaucoup trop belle pour être humaine,réservée jusqu'à la froideur, arrogante aupossible. C'était toujours la même, avec unebonne dose de folie par-dessus le marché. Sonsourire triomphant étincelait tandis qu'ellepointait le canon de sa putain d'arme sur matête. Le barbu à moitié faë qui s'était faitpasser pour Lachlan était à côté d'elle. Jesuppose qu'elle avait dû payer sa caution pourle faire sortir de prison. Lui aussi était armé.

Je regardai par-dessus mon épaule, certainede trouver derrière moi un troisième adversairearmé. Il était bien là, un humain imposant à lamine patibulaire. Il était bâti comme un joueurde football américain - un de ces types énormeset surpuissants qui jouent en première ligne -,rendu plus impressionnant encore par soncrâne rasé et la cicatrice en dents de scie quilui balafrait le visage. Son arme était d'un

lui balafrait le visage. Son arme était d'uncalibre beaucoup plus petit que celle de tanteGrâce, mais le canon était prolongé d'unsilencieux.

Nous étions faits comme des rats.Le cœur battant à tout rompre, je reposai

précautionneusement Ethan par terre. Sarespiration était saccadée, son visage tordu parla souffrance, mais au moins était-il conscient.L'hémorragie semblait s'être ralentie, et jesongeai qu'il ne mourrait peut-être pas si jeparvenais par miracle à nous sortir d'ici. Enattendant, je ne pouvais pas compter sur luipour m'aider.

Je me relevai lentement, le dos contre laparoi de manière à garder un œil à la fois surGrâce et sur son mastodonte.

— Comme on se retrouve, ma chère nièce,dit-elle en me gratifiant d'un sourirecarnassier.

— Ô joie, répondis-je, même si je savais quej'aurais mieux fait de la boucler.

Dès notre première rencontre, j'avais euenvie de lui balancer des piques, et elle mefaisait manifestement toujours le même effet.

Son sourire s'éteignit et ses yeux meclouèrent sur place, faisant courir un frissonglacé le long de ma colonne vertébrale.

— Tu n'as toujours pas appris le respect dû àtes supérieurs, à ce que je vois.

tes supérieurs, à ce que je vois.Je relevai le menton et la regardai dans les

yeux, tâchant d'avoir l'air sûre de moi tandisque mon esprit cherchait furieusement unmoyen de m'échapper.

— Elle est un peu facile, celle-là, répondis-je.Peut-être que si je la faisais sortir de ses

gonds, elle me donnerait une ouverture que jepourrais utiliser. Oui, c'était un espoirridiculement mince, mais je n'avais rien demieux.

— Tu chanteras une autre chanson quandj'en aurai fini avec toi, dit-elle, sa bonnehumeur ravivée par ce qu'elle avait en tête. Sij'avais su ce que tu ferais de ma vie, je t'auraistuée dès ton arrivée. Cela aurait été si facile.

Elle secoua la tête avec regret.Arawn m'avait prévenue qu'elle n'avait plus

l'intention de m'utiliser contre Titania, et qu'ily avait de fortes chances qu'elle veuille mesupprimer. Le fait que je sois toujours en viesuggérait soit qu'Arawn s'était trompé, soitqu'elle me réservait un sort bien pire qu'unemort rapide. L'effroi m'étreignit les tripes, carje ne pensais pas qu'Arawn s'était trompé.

— Pourquoi ? lui demandai-je afin de gagnerdu temps. Je ne vous ai jamais rien fait.Pourquoi désirez-vous tellement ma mort ? Jene suis qu'une enfant. L'enfant de votre propre

ne suis qu'une enfant. L'enfant de votre proprefrère.

Pourtant, Grâce n'avait jamais montré aucunsigne d'affection envers mon père, même si, deson côté, je le pensais attaché à elle d'unefaçon ou d'une autre.

Elle éclata de rire.— Avant que tu ne débarques en Avalon,

j'étais une des candidates les mieux placéespour le poste de Consul. J'étais riche, respectéeet puissante. Je suis aujourd'hui bannie dechez moi, ma tête est mise à prix dans tout leroyaume de Faëry et la Chasse Infernale est àmes trousses. Tout ça à cause de toi.

Ouaip. Elle était bonne à enfermer. Etvisiblement très déterminée à me faire porterle chapeau pour le gros merdier qu'elle avaitfait de sa vie.

— D'abord, personne ne vous a obligée àm'enlever. Si vous aviez continué à vivre votrevie telle qu'elle était, rien de tout ça ne seraitarrivé.

Je savais bien évidemment que je nepourrais pas la faire renoncer à sa vendetta parde belles paroles. Quand la logique et la folies'affrontent, la folie l'emporte toujours. EtGrâce avait beau penser que sa vie n'étaitqu'un chemin de roses avant mon arrivée enAvalon, une personne équilibrée en phase avecla société ne devient pas une tueuse

la société ne devient pas une tueusepsychopathe du jour au lendemain. Sonproblème, quel qu'il soit, devait couver depuisun bout de temps. Mon arrivée n'avait été quele déclencheur.

Tante Grâce ne pouvait pas réfuter cetteallégation, aussi l'ignora-t-elle.

— J'aurais été très étonnée que tu finissesl'année en vie, même sans mon intervention.Seamus n'est qu'un imbécile d’avoir fait venirici une stupide enfant mortelle sachant tousles problèmes que tu apporterais.

Je réprimai l'envie de lui répondre que jen'étais pas stupide, vu la facilité avec laquelleelle m'avait coincée dans ce tunnel. Siseulement j'avais accepté de parler de la brocheà Ethan, je serais en parfaite sécurité à l'heurequ'il est et personne ne lui aurait tiré dessus.

M'efforçant d'avoir l'air naturel, je glissai lamain dans la poche de mon jean. La brocheétait toujours là, et il me suffisait de me piquerle doigt pour que ni tante Grâce ni son hommede main ne puissent plus me voir. Je dois bienavouer que c'était tentant, mais je redoutais lesréactions de Grâce à ma soudaine disparition

Je glissai un regard furtif à Ethan. Il étaitadossé contre la paroi de la galerie, les yeuxclos et le visage livide. Je ne crois pas qu'ilavait perdu connaissance, mais il n'était pas au

avait perdu connaissance, mais il n'était pas aumieux de sa forme. Si je disparaissais, il nefaisait pas un pli que Grâce se servirait de luicomme otage. Il m'était impossible de romprele sortilège de l'Elferoi avant son terme, ce quisignifiait donc la mort d'Ethan.

— Ce garçon est ton talon d'Achille, ditGrâce. Je savais qu'en le surveillant de près, tufinirais par te pointer devant chez lui, mais jen'aurais jamais rêvé que tu aies l'obligeance devenir seule.

Elle arma son fusil et le pointa sur Ethan. Jene réfléchis pas, et m'interposai entre lui et lecanon. Elle eut un sourire sarcastique.

— Tu ne peux pas le protéger à la fois de Fredet de moi. Mais je n'ai pas l'intention de letuer. Sauf si tu m'y obliges, bien entendu. Je leveux vivant.

— Pourquoi ? m'étonnai-je, ne voyant pas cequ'elle avait à gagner en le laissant partir.

Son sourire s'élargit.— Je vais t'expliquer ça dans une seconde.Ethan tenta de m'avertir, mais il était trop

tard. J'esquissai une volte-face, mais je ne puséviter le poing de Fred l'armoire à glace, quivint s'écraser sur mon menton et m'envoyaheurter le mur opposé. Le monde semblabasculer, et les parois du souterrainm'engloutirent.

Ma situation ne s'était pas améliorée quand

Ma situation ne s'était pas améliorée quandje repris conscience. Ma tête palpitaitdouloureusement, et j'étais nauséeuse. Jebattis des paupières et me redressai en positionassise.

J'étais toujours à terre, à peu près à l'endroitoù j'avais atterri après l'uppercut de Fred. Cedernier me dominait de toute sa hauteur, lesbras croisés sur son torse puissant. Il était simassif qu'il remplissait pratiquement la galerie,et même si je n'avais pas eu le tournis, jen'aurais jamais pu le contourner.

Je regardai de l'autre côté, et j'eus un haut-le-cœur. Pendant que j'étais dans les vapes,Grâce et son second comparse avaient tiréEthan une dizaine de mètres plus loin dans letunnel. Le barbu maintenait soulevé le corpsaffaissé d'Ethan en lui bloquant les bras dans ledos, et Grâce braquait le canon de son armecontre sa tempe. Elle me sourit encore unefois. Elle avait l'air de beaucoup s'amuser.

— Je disais qu'il était ton talon d'Achille, dit-elle en se léchant les lèvres. Tu étais prête àprendre tous les risques pour lui quand l'Elferoil'a capturé, n'est-ce pas ?

Je doutais qu'elle attende réellement uneréponse, aussi me contentai-je de la regarderfixement. Comment diable allais-je me sortir delà ? Et Ethan ? Je n'avais pas entrepris tout ça

là ? Et Ethan ? Je n'avais pas entrepris tout çapour laisser tante Grâce le tuer.

— Connais-tu mon âge ? me demanda-t-elle,et je fus scotchée par sa question qui semblaittotalement hors de propos.

Je secouai la tête en signe de dénégation.J'aurais pu ajouter que je n'en avais rien àfoutre, mais j'étais encore trop sonnée après lecoup que j'avais reçu à la tête.

— J'ai presque deux mille ans, poursuivit-elle.

Mon cerveau eut du mal à encaisser ça. Jesavais qu'elle était très, très vieille, mais j'avaissupposé que son âge se comptait en siècles, pasen millénaires, et c'était carrément flippant.

— Quand j'étais une jeune femme, tout leroyaume de Faëry était pratiquement en étatde siège.

— À cause de l'Elferoi, dis-je parce que je nevoyais pas d'autre raison pour qu'elle me parlede ça.

— En effet, confirma-t-elle en hochant latête. L'Elferoi et sa Chasse Infernale étaient descréatures de cauchemar, même aux yeux de lacour des Ténèbres, qui en possède pourtant sonlot. Personne n'osait l'admettre à haute voix,mais il était déjà capable de tenir tête auxreines elles-mêmes, et son pouvoir allaitcroissant. Jusqu'au jour où l'un des espions de

croissant. Jusqu'au jour où l'un des espions deMab découvrit le secret de sa puissance, lepouvoir grâce auquel il devenait toujours plusfort, et Mab répandit la nouvelle à travers toutle royaume.

Ses yeux brillaient à la lumière artificielle deson sort d'illumination, et je constatai qu'elles'éclatait vraiment beaucoup. Ce qui signifiaitque j'allais détester la chute de son histoire.

— C'est à la même époque que Titania lançasa grande campagne contre l'Elferoi, et apprit àses dépens qu'il était devenu trop fort pourelle. Il captura mon neveu et l'incorpora deforce dans sa Chasse Infernale. C'était un couphardi et brillant, qui montra aux deux reinesqu'il avait le pouvoir de leur ravir jusqu'à leursproches. Cependant, les deux coursconnaissaient dorénavant le secret de sapuissance et purent s'en servir contre lui.L'Elferoi proposa alors aux reines de conclureun pacte. Il ne Chasserait plus jamais aucun deleurs sujets sans leur autorisation. En échangede quoi, elles lieraient les sujets de leurs courspar le silence afin que son secret demeurecaché aux générations futures.

Elle m'en avait déjà dit davantage que toutce que mon père m'avait révélé à propos dumarché que l'Elferoi avait passé avec les reines.Il m'avait donné l'impression que la geis qui leliait l'empêchait même d'aborder le sujet, ce

liait l'empêchait même d'aborder le sujet, cequi n'était de toute évidence pas le cas de tanteGrâce.

— Veux-tu que je te révèle le secret del'Elferoi ? me demanda-t-elle en gloussant.

Je la regardai en clignant les yeux. Moncœur battait comme celui d'un lapin pris aupiège et ma bouche était complètement sèche.Ce qui la rendait aussi joyeuse était forcémentmauvais pour moi. Très mauvais.

— Vous ne le pouvez pas, commençai-jed'une voix que la terreur rendait presqueinaudible. La geis...

Elle éclata d'un rire qui se répercuta sur lesparois rocheuses.

— Mais si, je le peux, ma chère enfant. Tuvois, la geis lie uniquement les sujets des deuxcours. Les faës nés en Faëry sont affiliés auxcours dès leur plus tendre enfance, et nous ledemeurons toute notre vie durant à moinsd'accomplir un rituel pour rompreformellement nos liens. Avalon a beau avoirsigné plusieurs traités avec le royaume deFaëry, si les reines rappelaient leurs sujets, laplupart des faës obtempéreraient.

» Mais grâce à toi, ma reine bien-aimée aordonné mon exécution et a lancé la ChasseInfernale à mes trousses.

Son visage se déforma en une expression

Son visage se déforma en une expressionféroce et la haine dans ses yeux était sipalpable que j'eus l'impression de recevoir uncoup.

— Ma vie étant foutue quoi qu'il arrive, celane m'a pas coûté grand-chose de rompre mesliens avec la cour des Lumières. Ainsi, la geisqui m'obligeait à me taire a été levée.

Mon esprit se mit en branle pendant quej'encaissais ces révélations. Les choses semettaient petit à petit en place dans un coin demon cerveau. Je ne parvenais pas encore àm'en faire une image d'ensemble, mais j’étaissûre et certaine de ne pas en avoir envie.

— Laisse-moi deviner ce que tu as pupromettre à l'Elferoi en échange de la liberté deton petit ami, poursuivit-elle, les yeuxincandescents. Par le plus grand des hasards,lui aurais-tu promis ta virginité ?

J'avais une folle envie de nier, mais j'étaistrop sonnée pour répondre. Même dans sonétat, Ethan parvint à, relever la tête pour meregarder avec des yeux ronds. Je détestai malâcheté quand je détournai les miens.

— Évidemment que c'est ce que tu lui aspromis, car il n'y a rien qu'il puisse désirerdavantage de toi. Parce que, vois-tu, là résidele secret de sa puissance. Lorsqu'une jeunevierge se donne à lui de son plein gré, il reçoitd'elle tout ce qu'elle a, tout ce qu'elle est. Tous

d'elle tout ce qu'elle a, tout ce qu'elle est. Tousses pouvoirs deviennent siens, et lorsqu'il en aterminé, elle n'est plus qu'une coquille videayant contenu une personne qu'elle ne serajamais plus.

L'enchaînement des événements depuis que

l'Elferoi avait débarqué en Avalon prit soudaintout son sens, et c'était écœurant. J'avaisprésumé qu'il voulait que je l'accompagne, luiet sa Chasse, pour y prendre son pied enmassacrant des humains. Mais je comprenais àprésent qu'il s'était joué de moi depuis ledébut. Il avait justement prévu que jerefuserais de l'emmener dans le monde desmortels, et m'avait sorti le grand jeu pour mepersuader qu'il le désirait ardemment, afin deme faire croire qu'une échappée sauvage avecsa Chasse en ma compagnie était son butultime, le Mal Suprême. Il voulait en réalitéplus que ça. Bien plus.

— Ce que vous êtes en train de me dire, c'estque si je... euh... remplis ma part du marché,l'Elferoi deviendra lui-même un Passemonde ?reformulai-je, pour être sûre de biencomprendre ce que Grâce avait dit.

Il y avait toujours une infime possibilitéqu'elle soit en train de me mentir, mais ses

qu'elle soit en train de me mentir, mais sesparoles avaient les accents dévastateurs de lavérité.

— Exactement, répondit Grâce d'un tonincroyablement satisfait. Et ce serait lecommencement d'un règne de terreur tel que lemonde des mortels n'en a jamais connu. Mabet Titania ont également deviné les intentionsde l'Elferoi, bien sûr. Ce serait un fléau pour lemonde des mortels, mais les reines sontsurtout horrifiées à l'idée qu'il absorbe lacapacité d'un Passemonde à apporter le dangerde la technologie dans la Faëry. Ce qui ne lesrend que plus déterminées à te tuer.

Elle tordit son visage en une mouefaussement contrite.

— Dommage pour elles, elles n'en auront pasl'occasion.

Ah ça ouais, c'était vraiment dommage. Maisje n'étais pas encore morte, et chaque paroleque m'assenait Grâce me le faisait regretterdavantage.

Elle passa la pointe de sa langue sur sa lèvresupérieure comme pour savourer littéralementle goût de la victoire.

— Je pourrais bien sûr te tuer, dit-elle d'unair détaché en éloignant le canon de son armede la tête d'Ethan pour le faire pivoter versmoi.

J'eus la vague intuition que j'aurais dû

J'eus la vague intuition que j'aurais dûprofiter du fait qu'Ethan n'était plus à quelquesmillimètres d'une mort assurée pour fairequelque chose... mais quoi ?

— Mais ce ne serait pas drôle, poursuivitGrâce, s'attirant les rires de Fred la Montagne.

Le canon revint sur la tempe d'Ethan. Ducoin de l'œil, je vis Fred se frotter les mains paravance.

— Naturellement, je ne connais pas lestermes exacts de ton accord avec l'Elferoi,reprit tante Grâce. Mais je peux faire dessuppositions éclairées. Il a libéré ton petit amide la Chasse Infernale, on peut donc supposerqu'il pense s'être acquis ta pleine coopération.Cela signifie qu'il a dû y inclure desconséquences désagréables au cas où tu ne luiréserverais pas ta virginité.

Mon estomac se révulsa quand je compris oùGrâce voulait exactement en venir.

— Il ne peut tuer personne sans leconsentement exprès d'une des reines, et n'adonc pas pu te menacer de tuer ta famille. Saufpeut-être ton frère, qui n'est assujetti à aucunedes deux cours, mais tu ne connais pas Connoret je ne crois pas que cela constitue un levierassez puissant.

Elle se tourna vers Ethan.— Mais celui-là, c'est une autre histoire. Il

— Mais celui-là, c'est une autre histoire. Ilporte encore la marque des Chasseurs. Et jesuis prête à parier que si tu devais perdre tavirginité avec quelqu'un d'autre que l'Elferoi,votre marché serait caduc et chéri d'amour iciprésent serait rappelé au sein de la Chasse.

Je tentai de museler mes émotions, ma peuret ma consternation. Je ne voulais pas montrerà Grâce qu'elle avait vu juste, et je ne voulaispas non plus lui donner cette satisfaction.J'échouai misérablement. Mon estomac serévulsa encore et, cette fois, je fus incapable dele contrôler. Je vomis tout son contenu.

— Répugnante créature, lâcha tante Grâce enplissant le nez d'un air délicat. Tu es sûr que tuveux toujours d'elle, Fred ?

Fred émit un gros rire malveillant.— Ce n'est pas vraiment mon genre, mais

pour le prix que vous payez, je ferai avec joie lesacrifice suprême.

Et je voyais très bien à quel point il comptaitse sacrifier.

Je crachai deux ou trois fois pour medébarrasser du mauvais goût dans ma bouche,mais il était tenace. J'adressai à Grâce monregard le plus implorant, même si je savais queje n'avais pas une putain de chance que çamarche avec elle.

— Vous n'êtes pas obligée de faire ça,suppliai-je d'une voix faible. C'est à moi que

suppliai-je d'une voix faible. C'est à moi quevous en voulez, pas à Ethan. Laissez-le partir.S'il vous plaît.

Je donnais à Grâce précisément ce qu'ellevoulait et ses joues rosirent de plaisir. Jeverrouillai donc mes mâchoires et résistai àl'envie de l'implorer davantage.

Sans se soucier de l'arme pointée sur sa tête,Ethan se débattait entre les mains de l'autreacolyte de Grâce. Je crois qu'au point où il enétait, Grâce lui aurait fait un cadeau en luitirant dessus, ce qui était sans doute la raisonpour laquelle elle ne le faisait pas. Il était tropgravement touché pour avoir une chance des'échapper, et son visage était marqué par lasouffrance.

Grâce le regarda en fronçant les sourcils.— Je ne veux pas de distraction. Je veux

savourer chaque instant de ce qui va suivre.Au lieu de lui tirer une balle, elle cogna la

crosse de son arme sur la blessure d'Ethan, quipoussa un cri strident avant de s'effondrer.L'ami moitié humain de Grâce laissa le corpsd'Ethan s'affaler mollement sur le sol, puis posaun pied dans son dos, son arme pointée sur satête.

— Je le surveille, dit-il à Grâce.Sa voix n'exprimait aucune émotion, comme

s'il se moquait bien de ce qui allait se passer,

s'il se moquait bien de ce qui allait se passer,dans un sens ou dans l'autre.

Grâce reporta toute son attention sur moi etje crois que j'aurais de nouveau vomi si monestomac n'avait pas été vide. Fred me prit parun bras et me remit debout si brutalement queje serais retombée s'il ne m'avait pasmaintenue. Il me projeta ensuite contre le mur,vidant mes poumons de leur air. Alors que jeluttais encore pour reprendre mon souffle, ilsaisit mes poignets et les releva au-dessus dema tête, les maintenant contre le mur d'uneseule de ses immenses mains en me serrant sifort que je sentis mes os craquer. Ethan poussaun cri de protestation mais, blessé et cloué ausol comme il l'était, il ne pouvait rien pourmoi.

Personne ne pouvait m'aider. Ni aider Ethan.Hormis nos agresseurs, personne ne savaitmême où nous étions, et nous étions déjà loindes zones fréquentées. Fred allait me violer,condamnant Ethan à retourner au sein de laChasse Infernale. Ensuite, Grâce me tuerait.

En dépit de mes longs entraînements avecKeane, j'étais consciente que ma techniqued'autodéfense ne suffirait pas à repousser lesassauts de Fred. Il était beaucoup trop massifet puissant pour moi. Le mieux que je puisseespérer était de le ralentir.

L'épouvante se tordait dans ma poitrine et

L'épouvante se tordait dans ma poitrine etmon ventre comme une créature dotée d'unevie autonome. Les larmes coulaient sur mesjoues, mais je m'en moquais, je me moquais dequoi j'avais l'air et de la satisfaction que masouffrance et ma terreur procuraient à Grâce.

Je savais maintenant ce qu’était la haine.Une sensation de brûlure glacée dans mesentrailles. Un cri de rage qui se frayait unchemin à coups de griffes dans ma gorge. Lerétrécissement de mon univers jusqu'à ce qu'iln'y ait plus que moi, ma haine et son objet.Fred posa une main sur mon sein qu'il malaxaavec brutalité. Cela me fit mal, et ma parthumaine eut un mouvement de recul, mais mahaine était aux commandes à présent, et Fredne l'intéressait pas.

Je tournai la tête vers Grâce. Grâce, qui mefaisait porter la responsabilité de toutes seserreurs. Grâce, dont la soif de vengeance ne sesatisfaisait pas de ma mort, mais qui devait metorturer et condamner Ethan.

J'étais dans un état second, et toutes mesactions furent purement instinctives.

Je commençai à fredonner à mi-voix, d'abordsans air particulier, mais ma fureur cherchait àse couler dans le chant le plus guerrier que jeconnaissais, et je finis par entonner « ÔFortuna » du Carmina Burana. Fred était en

Fortuna » du Carmina Burana. Fred était entrain de soulever mon pull, mais je l'ignorai,concentrée de tout mon être sur l'air que jechantais si doucement que personne nepouvait m'en tendre.

J'éprouvai presque instantanément lespremiers fourmillements de la magie. Jen'avais pas la plus petite idée de ce que j'allaisfaire, vu que je n'avais jamais réussi à jeter cequi ressemblait à un sort, mais je n'avais rien àperdre.

Mon absence totale de réaction à sesattouchements avait satisfait Fred, certainqu'il m'avait soumise et que j’étais à sa merci.Et je pouvais dire à la bosse qui renflait sabraguette combien ça lui plaisait.

J'étais peut-être réellement sans défense. Jene pourrais peut-être rien faire de la magie.Mais je n'allais certainement pas tout perdresans me battre jusqu'au bout. La magie affluaittoujours, je savais cependant que je pouvais eninvoquer davantage, que plus la magie seraitdense, plus puissant serait le sort hypothétiqueque je pourrais lancer.

Je devais donc trouver le moyen de gagnerdu temps avant que Fred ne passe aux chosessérieuses.

Ce n'est pas évident de chanter et de sebattre en même temps, mais j'avais développé

battre en même temps, mais j'avais développéune sorte de mémoire musculaire grâce àtoutes mes leçons avec Keane, et j'étais capabled'agir presque automatiquement. Étant donnéque Fred avait eu l'imprudence de me laisserune certaine liberté de mouvement, je réussis àlui marcher violemment sur le pied.

Il m'immobilisait toutefois suffisammentpour m'empêcher de prendre beaucoup d'élan.Je crois que je le pris surtout par surprise, àdéfaut de lui faire mal, mais j'avais atteint monbut qui était de le distraire et de le ralentir. Lamagie s'accumulait toujours, et j'espérais trèsfort que Grâce soit assez loin pour ne pas lasentir, ou elle aurait réduit ma dernière chanceà néant. Mais Fred n'avait pas apprécié que jelui marche sur le pied. Il répliqua par unsoufflet du dos de la main qui me fit tourner latête, malgré le peu d'élan qu'il avait pu prendredu fait qu'il me plaquait contre le mur.

Ma bouche s'emplit de sang, et mon chants'interrompit brutalement. La magie refluaaussitôt, et je tentai furieusement de larattraper, le chant montant de nouveau dansma gorge. Fred me regardait bizarrement, cequi signifiait sans doute que je chantaisdésormais assez fort pour qu'il m'entende. Ildut penser qu'il me manquait une case, maiscela ne ralentit pas ses ardeurs. Ses mainsdescendirent vers mon jean, qu'il entreprit

descendirent vers mon jean, qu'il entreprithâtivement de déboutonner.

La terreur menaça de m'envahir, mais je lacombattis de toutes mes forces. Si je cédais à lapanique, j'étais condamnée, et Ethan avec moi.Nous l'étions probablement de toute façon,mais j'avais bien l'intention de tenter coûteque coûte ce dernier coup.

La magie m'entourait à présent, si dense queje pouvais à peine respirer. Fred était si presséde se mettre à l'ouvrage qu'il n'arrivait pas àouvrir mon jean. Tant que la magie continuaità croître, je poursuivis mon chant, biendécidée à ne la relâcher qu'au dernier moment,une fois que j'aurais rassemblé les dernièresmiettes que je pouvais espérer.

La fermeture Éclair de mon jean venait deglisser et je me rendis compte que c'étaitpresque trop tard. La magie était à présenttellement concentrée que j'estimai ne plus êtreen mesure d'aspirer assez d'air pour continuerà chanter, et j'avais la tête qui tournait.

Fred avait beau constituer pour moi lamenace la plus immédiate, ce n'était pas de luique je voulais me débarrasser, enfin pas enpremier. Je n'aurais sans doute droit qu'à unseul essai - à supposer que j'en aie un - et jedestinais cette explosion de rage à une uniquepersonne.

personne.Fred essayait de faire glisser mon jean quand

je libérai toute la magie que j'avais rassemblée,la dirigeant sur Grâce avec un cri de rageinarticulé, une note soutenue si aiguë qu'elleaurait brisé tous les verres à la ronde s'il y enavait eu.

Tout le monde se figea en entendant moncri, y compris Fred qui en oublia mon jeanpour me regarder bouche bée.

L'explosion de magie frappa Grâce de pleinfouet et la fit reculer d'un pas. Ses yeuxs'écarquillèrent de stupeur et d'horreur. Sonsort d'illumination s'éteignit en crépitant,laissant la galerie éclairée par la seule torchequ'Ethan avait lâchée.

J'aurais voulu que Grâce disparaisse d'uncoup d'un seul, qu'elle se dissolve en uneflaque de matière gluante ou qu'elle seconsume dans les flammes. Un signe que mamagie l'avait touchée et allait la détruire mêmesi au final je ne pouvais pas nous sauver. Maishormis ce pas en arrière et la disparition de sonsort d'illumination, rien ne se produisit.

Grâce secoua la tête et fit un pas en avantpour se porter à la hauteur de son homme demain et d'Ethan. L'inquiétude pointait encoredans son regard, mais elle semblait indemne etm'adressa une fois de plus son sourire

m'adressa une fois de plus son souriredémoniaque.

Je fermai les yeux de désespoir. J'avaiséchoué.

Fred revint à ses affaires, et j'étais tellement

découragée par l'échec de mon sort qu'il merestait à peine la volonté de me défendre. Àquoi bon se battre, à présent ? Ce n'était quereculer pour mieux sauter. Mais je suis une despersonnes les plus obstinées que je connaisse,et, même si le cœur n'y était pas, je luttaisuffisamment pour que Fred se mette à jurer.J'ouvris les yeux juste au moment où il prenaitson élan pour me balancer un coup de poing.

— Maintenant ! cria une voix grave etfamilière dont l'écho rendait difficile dedeviner la provenance.

Tout le monde sursauta et se tournafrénétiquement de tous côtés pour tenter d'enlocaliser la source. Grâce se mit tout de suite àmarmonner ce que j'identifiai comme lesprémices d'un de ses affreux sorts d'attaque.

L'un d'entre nous, pourtant, ne futapparemment pas surpris par la voix. Ethanprofita de l'inattention momentanée de soncerbère pour bondir sur ses pieds et le projeterau sol. Avec un sentiment de déjà-vu, j'entrevis

au sol. Avec un sentiment de déjà-vu, j'entrevisl'éclat de l'argent dans sa main et compris quec'était son poignard, surgi une fois de plus donne savait où.

Grâce se tourna vers lui et je hurlai pourl'avertir. J'avais vu à l'œuvre la magie de Grâce,capable de réduire une voiture en un tas detôles. Pourtant, bien que Grâce hurlât àprésent les mots de son incantation, rien ne seproduisit et Ethan se jeta sur elle. Sonpoignard trouva son chemin entre ses côtes, oùil l'y enfonça jusqu'à la garde.

A bout de forces, Ethan lâcha le poignard ets'effondra mollement sur le sol. Grâce demeuradebout, les yeux fixés sur l'arme plantée dansson thorax. Sa main tremblait quand elle ensaisit le manche. Elle poussa un cri de douleur,et le sang jaillit de la blessure quand elle eutretiré la lame.

Une silhouette encapuchonnée vêtue d'unlong manteau surgit de l'ombre à quelquesmètres de Fred et de moi. Ayant décidé que lenouveau venu était plus menaçant, Fred melâcha pour se jeter sur lui avec un cri de guerrequi aurait été intimidant si sa cible avait puêtre intimidée. La main de Fred chercha lepistolet à l'arrière de la ceinture de sonpantalon.

— Non ! hurla Grâce.

— Non ! hurla Grâce.Qu'il l'ait entendue ou pas, Fred l'ignora et

fit feu, un coup étouffé par le silencieux quiatteignit Arawn en pleine tête et le fitmomentanément reculer. Mais l'Elferoi avaitsurvécu à la décapitation, et la balle ne parutpas le gêner beaucoup. Il fit glisser soncapuchon afin de montrer à Fred que sonvisage était intact.

Soit Fred n'était pas très malin, soit iln'avait plus rien à perdre, car il continua detirer même après avoir constaté l'inutilité deson arme. C'est-à-dire, jusqu'à ce que l'épéed'Arawn lui transperce la poitrine de part enpart. La lumière s'éteignit dans les yeux deFred, et le pistolet lui tomba des mains.L'Elferoi prit calmement appui sur l'épaule dudéfunt pour retirer sa lame ensanglantée.

L'autre complice de Grâce fit montre de plusd'intelligence et détala comme un damné,disparaissant rapidement dans l'obscurité destunnels. J'aurais parié qu'il avait une lampetorche, mais il n'en fit pas usage. Il préféraitsans doute courir à l'aveuglette plutôt qued'allumer une balise permettant de le localiser.

— Il n'ira pas loin, déclara Arawn tandis quele corps de Fred s'affaissait en tas à ses pieds.Ma Chasse l'attend.

Grâce était tombée à genoux, le visage

Grâce était tombée à genoux, le visageterreux, et le sang coulait toujours à flots de sablessure. Elle se comprimait la poitrine à deuxmains, ce qui ne semblait pas servir à grand-chose. Ethan se traîna hors de sa portée. Ilétait encore très faible et souffrait visiblementtoujours, mais il était en meilleure forme queGrâce. Même l'effort qu'il venait de fournirpour se mettre debout et poignarder ma tanten'avait pas rouvert sa blessure.

Ou bien Ethan avait touché un organe vital,ou bien mon sort avait fait plus d'effet à Grâceque je ne l'avais cru. Je repensai au sortd'illumination qui s'était éteint, et à l'attaquemagique qu'elle avait tenté de lancer sur Ethanjuste avant qu'il ne la frappe, et qui avaitéchoué.

Arawn repoussa du pied le cadavre de Fred etse dirigea vers Grâce, qui en oublia sa blessurepour tendre les mains devant elle dans un gestede défense.

— Non ! implora-t-elle, mais Arawn avançaittoujours.

Je me demandais ce qu'il avait en tête.Arawn avait pu tuer Fred, parce que ce dernierl'avait attaqué, mais Grâce était au sol, sansdéfense, et saignait comme un bœuf. Jesongeai qu'il comptait peut-être ruser pourl'obliger à se défendre, comme il l'avait faitpour Ethan, mais elle ne semblait franchement

pour Ethan, mais elle ne semblait franchementpas en état d'en prendre l'initiative même sielle en avait eu l'intention.

— Pitié, tenta de nouveau Grâce.Cette fois, à ma grande stupeur, le sang lui

sortit par la bouche et elle émit une sorte deborborygme étranglé. Un coup de poignard, sibien placé fût-il, n'aurait pas dû suffire à tuerune sidhe de la Faëry, même si mon sort l'avaitprivée de sa magie guérisseuse. Alors pourquoidonnait-elle l'impression d'avoir reçu un coupmortel ?

L'épée de l'Elferoi fendit l'air à une vitessefulgurante en émettant un sifflement, ettrancha le cou de Grâce sans même ralentir sacourse.

Je ne vis qu'une bribe de ce qui arriva, carl'Elferoi s'empressa de s'interposer entre nousde façon que son manteau me dissimulecomplètement la scène. Mais ce bref aperçuétait plus que suffisant pour alimenter mescauchemars pour les années à venir. C'étaitpeut-être une mort rapide, mais ce n'étaitcertainement pas beau à voir. Même Ethandevint vert.

Le sang gouttant toujours de sa lame,l'Elferoi se tourna vers moi.

— Est-ce que tout va bien ? me demanda-t-il, et c'était si absurde que je fus prise d'un fou

il, et c'était si absurde que je fus prise d'un fourire.

— Oh, oui, c'est la grande forme, répondis-jeentre deux hoquets. J'ai failli me faire violer,puis je vous ai vu tuer ce type et décapiter matante d'un coup d'épée, oh, et j'ai reçuplusieurs coups de poing, mais à part ça, toutva très bien.

Je riais toujours, mais mon visage étaitbaigné de larmes et j'avais du mal à respirer.Bon, d'accord, peut-être que le bruit que jeproduisais ressemblait davantage à des sanglotsqu'à un rire.

Je distinguai mal le visage de l'Elferoi dansla lumière dansante et erratique de la torcherestée au sol. Ses yeux étaient dissimulés dansl'ombre, mais je les sentais posés sur moi,même lorsqu'il tira un chiffon de sa pèlerinepour essuyer le sang souillant sa lame.

— Je suis navré de ne pas être arrivé plustôt, j'aurais pu t'éviter une partie de ce que tuas enduré, dit-il, et il semblait sincère.

Le calme de sa voix et de ses manières apaisamon fou rire, mais je me mis aussitôt àtrembler.

— Comment se fait-il que vous soyez venu ?m'étonnai-je.

Il faisait trop sombre pour en avoir le cœurnet, mais je crois qu'il sourit.

— Comme Ethan a dû maintenant te le dire,

— Comme Ethan a dû maintenant te le dire,il est toujours lié à ma personne même s'il aquitté ma Chasse.

Lorsqu'il a été blessé, je l'ai senti. Je n'ai euqu'à suivre notre lien pour le trouver.

— Et communiquer avec lui, ajoutai-je.Je me souvenais que l'Elferoi avait crié :

« Maintenant ! », ce qui était manifestement lesignal qu'Ethan attendait pour agir.

Arawn hocha la tête.— En effet.— Mais comment avez-vous pu tuer Grâce ?

C'est une citoyenne d'Avalon, et vous n'êtesautorisé à tuer en Avalon que pour votredéfense.

— Il existe une autre condition quim'autorise à tuer en Avalon, répondit-il.

Mais oui. Lui-même et Grâce avaientmentionné qu'il était à ses trousses, et monpère avait dit que l'Elferoi était autorisé àpoursuivre ses proies en Avalon. J'avaisprésumé que l'Elferoi avait traversé la frontièrepour Chasser le faë que je l'avais vu tuer le jourde son arrivée, mais je comprenais à présentque ce faë n'était qu'un bonus et que savéritable proie était Grâce.

Ethan se redressa difficilement en grognantde douleur. Arawn se détournamomentanément de moi pour s'agenouiller

momentanément de moi pour s'agenouillerprès de son ancien Chasseur. Je ne mettraispas ma main au feu qu'il l'avait fait exprès,mais il se plaça de telle façon que son ombredissimulait à ma vue le corps décapité deGrâce.

— Allonge-toi, ordonna l'Elferoi à Ethan, quiobéit en dépit de l'éclair de révolte que je lusdans ses yeux.

Il n'avait sans doute pas le choix. L'Elferoiposa une main sur la blessure d'Ethan, etappuya très fort. Ethan hurla de douleur et jefis mine de me relever. Mais qu'aurais-je doncpu faire pour le défendre contre l'Elferoi, àvotre avis ? Après ce cri, le corps d'Ethanretomba comme une poupée de chiffon.

L'espace d'une minute atroce, je crus qu'ilétait mort. Puis, l'Elferoi retira sa main del'épaule d'Ethan, tenant un objet entre le pouceet l'index. La balle.

— Il fallait la retirer pour qu'il puisse guérircorrectement.

Je me retins au mur d'une main.— Vous auriez pu l'emmener auprès d'un

guérisseur qui l'aurait soigné sans douleur.Il acquiesça.— Absolument. Mais il aurait continué de

souffrir dans l'intervalle. Mieux vaut enterminer le plus rapidement possible, tu necrois pas ?

crois pas ?J'avais envie de le contredire par principe,

mais cela aurait fait de moi une hypocrite.Après tout, quand je m'étais blessée, j'avaisautorisé Keane à soigner ma main exactementpour la même raison.

Laissant tomber la balle au sol, Arawn seremit debout. Les ombres et son grandmanteau noir le rendaient encore plusimpressionnant.

— Je crois que tu comprends maintenantpleinement les termes de notre marché.

— Oui, répondis-je faiblement.J'aurais pu lui mentir, mais Ethan avait

entendu la grande révélation de Grâce, etl'Elferoi savait tout ce que savait Ethan.

Je fermai les yeux pour refouler les larmesqui menaçaient de couler. J'avais su dès ledébut qu'Arawn cherchait à obtenir davantagequ'une partie de jambes en l'air, et que luidonner ma virginité aurait des conséquencesdéplaisantes. Alors, bon sang, pourquoi est-ceque j'étais blessée de découvrir que cesconséquences auraient inclus ma propre mort? Il était l'ennemi, un tueur de sang-froid quin'avait pas de cœur. Oui, il venait de me sauverla vie, mais c'était uniquement dans son propreintérêt. Parce que je ne pouvais pas lui donnerce qu'il voulait si j'étais morte. Je n'aurais pas

ce qu'il voulait si j'étais morte. Je n'aurais pasdû être surprise qu'il ait l'intention dem'utiliser puis de me tuer, exactement commeGrâce.

— Je n'aurais pas pris ta vie, dit l'Elferoi, etje sursautai parce qu'il était beaucoup plus prèsque je ne m'y attendais.

J'ouvris les yeux et le regardai.— Ben voyons.— Dana, je n'ai pas besoin de ta vie. Je ne

veux que ta magie de Passemonde.— Eh bien, vous n'aurez ni l'un ni l'autre.En prononçant ces mots, je faisais vœu de

chasteté jusqu'à la fin de mes jours. Cetteréalité me rattraperait tôt ou tard, j'en étaisconsciente, mais maintenant que jeconnaissais la vérité, il était parfaitement horsde question que j'aie un jour des relationssexuelles. Choisir l'Elferoi pour premierpartenaire signerait mon arrêt de mort - et deje ne sais combien d'innocents - et choisirquelqu'un d'autre signifiait qu'Ethanretournerait dans la Chasse Infernale.

L'Elferoi me sourit.— On ne sait jamais de quoi demain sera fait.— En l'occurrence, je crois que si.Il me regarda d'un air très sûr de lui.— Tu parles avec la certitude de la grande

jeunesse. Nous verrons bien si avec le temps jene sais pas te faire changer d'avis. Je te

ne sais pas te faire changer d'avis. Je tepromets dès à présent que je ne prendrai pas tavie si tu remplis ta part de notre accord.J'accepterai même d'être lié par une geis.

— Qu'il nous faudra sceller par un baiser oupar le sang, c'est bien ça ?

Il hocha la tête.— Non merci.Je ne voulais plus de sang, je ne voulais plus

souffrir, je ne voulais plus de baisers. Il haussales épaules.

— Alors, tu devras te contenter de me croiresur parole.

Son expression se durcit.— Et tu peux me croire sur parole pour autre

chose aussi : si tu révèles mon secret àquiconque ne le connaît déjà, je jure que jeferai souffrir mille morts à ton frère chaquejour de sa vie d'immortel.

Je ravalais la boule que la peur forma dansma gorge. Je ne doutais pas un seul instant quel'Elferoi tiendrait parole. Je ne connaissais pasConnor, mais je ne pouvais pas le faire châtierà ma place parce que j'aurais ouvert ma grandegueule.

— Je ne dirai rien, murmurai-je.Son visage se réchauffa et il me sourit de

nouveau.— Je sais que tu ne diras rien, dit-il, d'une

voix étonnamment douce. C'est pour cetteraison que je peux te menacer en toute bonneconscience. Tu es très protectrice avec ceuxqui comptent à tes yeux, et il suffit pour celade bien peu de chose.

Je ne trouvai rien à répondre, et restaisilencieuse.

Ethan reprit connaissance au bout de

quelques minutes. Le sort de guérison del'Elferoi était impressionnant, car il nesemblait plus souffrir du tout. Pasphysiquement, en tout cas. Mais il avait dumal à me regarder en face. Je me demandai s'ilme considérait comme une traînée maintenantqu'il savait ce que j'avais promis à l'Elferoi,mais je ne voulais pas lui poser la question. Sic'était le cas, je préférais ne pas le savoir.

Cinq autres membres de la Chasse Infernalefirent leur apparition peu après qu'Ethan futrevenu à lui. Pour la première fois, ils neportaient ni masque ni casque et je pus voirleurs visages. Ils avaient tous la beauté typiquedes faës, mais leurs regards hantés disaientqu'ils n'étaient pas heureux d'être les esclavesde l'Elferoi.

L'un d'eux portait le corps du complice deGrâce en travers de l'épaule. Le visage del'homme était couvert de sang, et la blessurebéante qui traversait sa gorge de part en partm'apprit qu'il ne retournerait pas en prison.

m'apprit qu'il ne retournerait pas en prison.Les Chasseurs avaient dû l'obliger à porter lepremier coup. L'Elferoi approuva de la tête.

— Bien joué, dit-il en donnant une tape surl'épaule de son Chasseur. Je vais raccompagnerDana chez elle, ajouta-t-il, avant de désigner lescorps de Fred et de Grâce d'un geste de la main.Occupez-vous de ces deux-là, et regagnez lamaison.

Il se tourna vers Ethan.— Tu devrais rentrer chez toi. Dana est en

sécurité avec moi.Ethan lui lança un regard empli de peur et de

colère mêlées.— Vraiment ?L'Elferoi éclata de rire.— Plus qu'avec toi, mon garçon, répliqua-t-il

en désignant de nouveau le corps de mesennemis.

Ethan rougit jusqu'à la racine des cheveux,et baissa les yeux. J'imagine que j'étais tropsonnée par tout ce qui s'était passé pouréprouver le moindre instinct de conservation,car je donnai un coup de pied dans le tibiad'Arawn comme s'il n'était pas l'homme le plusdangereux d'Avalon.

— Ne parlez pas de cette façon à Ethan !aboyai-je. Ce n'est pas sa faute si on lui a tirédessus et qu'il ne pouvait pas m'aider.

dessus et qu'il ne pouvait pas m'aider.Arawn eut un sourire mutin.— Tu viens de m'attaquer, Passemonde ?Mon instinct de survie revint à toute

vapeur, et mon estomac se décrocha comme sije me trouvais dans un ascenseur à grandevitesse. Mais Arawn souriait toujours, unelueur moqueuse au fond des yeux. Il ne meregarderait pas ainsi si je venais de lui fournirle prétexte de m'inclure dans sa Chasse etd'absorber tous mes pouvoirs. Je me demandaisi c'était l'innocuité de mon coup de pied quim'avait sauvée ou le fait d'être une fille. Aprèstout, il n'y avait pas de femmes dans la ChasseInfernale, pour autant que je sache.

Arawn me fit la surprise d'une explication.— C'est l'intention qui compte, dit-il. Ton

objectif n'était pas réellement de m'agresser -ton coup de pied n'était qu'une réprimande.Cela ne compte donc pas pour une attaque.C'est le même principe qui m'a permis defeindre de menacer ta vie pour tromper celui-ci, ajouta-t-il avec un regard de côté à Ethan.Si j'avais eu l'intention de t'agresser, je n'auraispas été en mesure d'abaisser mon épée.

Je hochai la tête, me demandant sij'arriverais jamais un jour à absorber toutes lessubtilités de la magie des faës. Ce qui me fitsonger à mon propre sort, l'attaque désespéréeque j'avais lancée contre Grâce. J'avais d'abord

que j'avais lancée contre Grâce. J'avais d'abordpensé que c'était un échec cinglant, mais jen'en étais plus si sûre.

Mes yeux dérivèrent vers le corps de matante, même si je n'avais aucun désir de le voir.Heureusement, la partie supérieure de soncorps - et sa tête - était perdue dans l'ombre.J'eus cependant un haut-le-cœur et détournailes yeux.

La capacité d'Arawn à lire en moi étaiteffrayante. Il répondit à la question que je nevoulais pas formuler.

— Je n'ai encore jamais vu de magie pareilleà la tienne, me dit-il. Je suis beaucoup plus âgéque Grâce, et je n'ai pourtant jamais entenduparler d'un pouvoir similaire.

— Mmm, de quel pouvoir, exactement ?— À vue de nez, je dirais que tu as fait d'elle

une mortelle.— Quoi ? m’écriai-je.Ethan et les Chasseurs eux-mêmes parurent

surpris.— Lorsque tu as lancé ton sort, tu as

annihilé sa connexion avec la magie, expliqual'Elferoi. Son sortilège actif s'est interrompu, etelle s'est montrée incapable d'en lancer unautre, malgré son grand pouvoir. La blessureque lui a infligée Ethan était sérieuse, mais pasmortelle, pas pour un sidhe de la Faëry.

mortelle, pas pour un sidhe de la Faëry.Pourtant, tout porte à croire qu'elle y auraitsuccombé même si je ne lui avais pas porté uncoup fatal.

Si effectivement j'avais accompli cela, lesreines de Faëry avaient plus de raisons des'inquiéter qu'elles ne le pensaient. Comme sij'avais besoin d'un motif supplémentaire pourattiser leur volonté de me détruire ! J'avaisdonc le pouvoir de rendre mortel un faëimmortel...

Je m'efforçai de ne pas laisser mes penséestransparaître, mais l'Elferoi n'avait pas vécutant de siècles sans avoir appris un truc oudeux sur le décryptage des expressions. Oupeut-être la même pensée lui avait-elle traversél'esprit. Il me dévisagea d'un regard grave etlégèrement sinistre.

— Serais-tu tentée d'employer ce sort-làcontre moi, tu dois garder certains éléments àl'esprit. Tu as jeté ce sort dans un moment destress intense. Comment peux-tu être certained'être capable de le reproduire à volonté ? Tune disposes d'aucune possibilitéd'entraînement, à moins d'être bien plusimpitoyable que tu n'en as l'air. Et puis, biensûr, le fait qu'il ait fonctionné sur ta tanteGrâce ne garantit aucunement qu'il seraitefficace contre moi. Je ne suis pas un sidhe.

efficace contre moi. Je ne suis pas un sidhe.— Et qu'êtes-vous donc, si vous n'êtes pas

un sidhe ? demandai-je, même si cettequestion demeurait secondaire.

Un coin de sa bouche se releva.— Je suis l'Elferoi. Il n'y en a qu'un comme

moi.Venant de quelqu'un d'autre, une telle

assertion aurait pu paraître arrogante, maisArawn l'avait présentée comme un simple fait,sans en tirer aucune fierté.

— Heureusement pour votre monde et lemien, dis-je, et il éclata de rire une nouvellefois.

Il semblait me trouver amusante, comptetenu du fait que nous discutions de lapossibilité que je sois sa Kryptonite, la seule etunique personne dans tout l'univers capable dele tuer.

Encore une fois, il sembla lire dans mespensées.

— Je ne crains rien de toi, Passemonde. Tune tenteras pas de me détruire parmalveillance, et je ne me mettrai pas ensituation de te donner une bonne raison dedéchaîner tes pouvoirs contre moi. De plus, situ essaies et que tu échoues, tu rejoindras maChasse pour cette attaque patente.

Je le croyais quand il disait ne rien craindrede moi, et, malheureusement, il semblait avoir

de moi, et, malheureusement, il semblait avoirmis le doigt sur l'essentiel. Aurais-je pu lancerce sort à Grâce autrement que dans le feu de labataille ? Malgré la haine que je lui portais,aurais-je été capable de la tuer de sang-froid ?J'en doutais fort.

— Viens, dit-il. Je vais te ramener chez toi.Il me tardait de quitter ce lieu, de partir loin

du sang et des cadavres. J'étais persuadéequ'Ethan nous accompagnerait. Après tout,l'Elferoi ne lui avait techniquement pasordonné de rentrer chez lui, mais il ramassa satorche en marmonnant une excuse et s'éclipsasans me laisser le temps de protester.

Arawn préleva une lampe torche sur le corpsde Fred, qu'il me tendit avant d'invoquer unsort d'illumination qui la rendit inutile.Plaçant une main entre mes omoplates, il mepoussa en avant pendant que ses Chasseurs serapprochaient des corps. Il bifurqua dans lapremière galerie, certainement davantage pourm'éloigner du carnage que parce que c'était labonne direction.

— Vous n'aurez qu'à me conduire jusqu'à unendroit que je connais, et je pourrai me servirde votre amulette, dis-je.

Ce que j'aurais dû faire depuis le début.— Pas la peine, répondit-il. Je vais te

raccompagner jusqu'à chez toi.

raccompagner jusqu'à chez toi.Je m'arrêtai.— Non, vous ne ferez pas ça. Personne ne

sait que j'ai quitté mon bunker, et j'entendsque les choses restent ainsi.

Arawn se tourna vers moi en haussant unsourcil.

— Tu n'as donc l'intention de parler àpersonne du décès de ta tante et du rôle que tuy as joué ?

Mes yeux s'écarquillèrent.— Bien sûr que non ! Les gens font la queue

à chaque coin de rue pour me tuer. Je n'ai pasenvie de leur donner une raisonsupplémentaire de le faire. Sans oublier quemon père piquerait une crise s'il apprenait quej'ai fait le mur.

Et après ce qui avait failli m'arriver cettenuit, sa colère serait parfaitement justifiée.

— Tu sous-estimes ta puissance, dit Arawn,et j'aurais juré qu'il y avait de l'admirationdans sa voix. Tu n'es pas si facile à tuer.

— Je ne serais pourtant plus de ce monde sivous n'étiez pas arrivé, ce soir.

— Mais je suis venu. Je t'ai déjà expliquéque je ne laisserai personne te faire du mal. Taforce ne réside pas seulement dans ce que tu escapable de faire toi-même, mais égalementdans ce que les autres sont capables de fairepour toi. Il est bon d'avoir quelqu'un comme

pour toi. Il est bon d'avoir quelqu'un commemoi à tes côtés quand les deux reines de Faëryont décidé ta mort.

— Oui, eh bien, disons que je ne suis pasdouée pour compter sur les autres.

Je ne sais pas ce qui me poussait à être sifranche avec lui. Une fille intelligente pèseraitsans doute attentivement chacune de sesparoles face à quelqu'un comme l'Elferoi, maisje discutais à bâtons rompus avec lui comme sinous étions les meilleurs amis du monde.

Il approuva de la tête.— Tu dois toujours compter sur toi-même

avant tout. Mais ne néglige pas tes amis et tesalliés.

Je plongeai mon regard dans ses yeuxtellement bleus.

— Même les alliés qui se sont joués de moi etavaient l'intention de me tuer dès qu'ilsauraient obtenu ce qu'ils voulaient ?

Il ne cilla pas.— Je n'ai jamais eu l'intention de te tuer. Je

ne fais pas forcément tout ce dont je suiscapable. Quant à me jouer de toi...

Il haussa les épaules.— Tu as passé un marché avec le seul et

unique roi de Faëry. Tu ne pouvais pas espérert'en tirer sans dommages. En fait, je sais que tune l'espérais pas. J'ai joué mon rôle et tu asjoué le tien. Tu as peut-être l'impression que je

joué le tien. Tu as peut-être l'impression que jet'ai trompée, mais j'ai bel et bien libéré Ethande ma Chasse.

— Mais vous ne l'avez pas libéré de vous-même.

— Ce qui est une bonne chose, rétorqua-t-il.Ou cette nuit aurait connu une issue biendifférente.

Fatiguée de discuter, je baissai les bras.— Ça veut dire que vous n'allez pas me

laisser rentrer chez moi en douce et ne rienraconter à personne, c'est ça ?

Arawn s'adossa à la paroi, les bras croisés surla poitrine. Les yeux perdus dans le lointain, ilparut réfléchir intensément. Il garda la posturedurant une bonne minute, assez pour que lesilence commence à me peser.

— Tu ne fais pas partie de ma Chasse,répondit-il enfin. Ce n'est pas à moi de décidersi tu dois livrer le récit de tes... aventures à tesgardiens. Mais en tant qu'allié, je peux tedonner un conseil : n'aie pas trop de secretspour ceux qui peuvent t'aider. Ton père et tongarde du corps constituent des atouts nonnégligeables, et tu as intérêt à ne rien leurcacher, pour ne pas risquer de te priver de leurconfiance quand la vérité sortirainévitablement au grand jour.

Malheureusement, j'avais bien peur qu'il ne

Malheureusement, j'avais bien peur qu'il nesoit un peu trop tard pour ça. Finn m'avaitpardonné d'avoir fait le mur avec Keane, etaccordé l'énorme faveur de ne rien dire à monpère. Mais s'il découvrait que j'avais filé endouce en deux autres occasions, il seraitterriblement déçu. Et grandes étaient leschances qu'il ne me fasse plus jamaisconfiance. Il parlerait sans doute alors à monpère du premier incident, ce qui provoqueraitdes problèmes à la chaîne. Papa serait fâchécontre moi, bien sûr, mais aussi contre Finnqui ne lui avait rien dit et contre Keane quim'avait servi de complice. Et ne parlons mêmepas de ce qu'ils penseraient s'ils découvraientmes pouvoirs de magicienne !

Je comprenais très bien le sens des motsd'Arawn, que garder d'aussi lourds secretspouvait se retourner contre moi. Mais j'avaisdépassé le point de non-retour depuis bellelurette, et si je voulais pouvoir jouir d'unminimum de liberté, je ne devais rien dire àpersonne.

— Je ne veux pas qu'ils sachent que j'ai filéen douce, dis-je à Arawn. Montrez-moi labonne direction et laissez-moi utiliser labroche pour rentrer chez moi.

Il fronça les sourcils, comme si ma décisionlui déplaisait. Il haussa ensuite les épaules.

lui déplaisait. Il haussa ensuite les épaules.— Très bien. Si c'est ce que tu souhaites.— C'est ce que je souhaite, dis-je.Au tout dernier moment, j'aurais juré voir

une lueur de triomphe dans les prunellesd'Arawn, et il me vint à l'esprit qu'il pouvaitencore se jouer de moi. Mais j'étais tropexténuée pour m'y attarder, et je laissai filer.

Nous n'échangeâmes plus un mot tandis que

l'Elferoi me guidait à travers le labyrinthe dessouterrains. Il n'hésita pas une seule fois, alorsque j'avais un mal fou à distinguer une galeried'une autre.

Finalement, la galerie où nous progressionsdéboucha dans un secteur éclairé, et nousarrivâmes bientôt en terrain familier, près del'accès que j'empruntais habituellement pourrejoindre la ville proprement dite. A partir d'ici,j'étais capable de retrouver sans problème lechemin de mon bunker.

— Rien ne m'oblige à te laisser ici, ditArawn, lisant une fois de plus dans mespensées. Je peux t'accompagner plus loin sansm'annoncer à ton garde du corps.

Je respirai un grand coup pour me donner ducourage.

— J'apprécie l'attention, mais je vais medébrouiller à partir d'ici. Je serai chez moi dansquelques minutes.

Il secoua la tête en souriant.— Très pointilleuse sur l'indépendance.

— Très pointilleuse sur l'indépendance.Ouais, c'était moi tout craché. Mais j'avais

comme l'impression que si je rechignaisaujourd'hui à me déplacer seule dans lessouterrains, j'aurais du mal à me défaire de mespeurs plus tard.

— Merci, dis-je, même si ce mot paraissaitdéplacé adressé à l'Elferoi. Vous m'avez sauvéla vie cette nuit. Je ne l'oublierai pas.

Il balaya ma gratitude d'un revers de la main.— Tu n'as pas à me remercier d'avoir agi au

plus près de mes intérêts, objecta-t-il, et je mesouvins qu'il ne m'avait pas sauvé la vie pourmes beaux yeux.

J'ouvris la broche pour en exposer la pointe.Ce n'était que la troisième fois que j'utilisaiscette amulette, mais j'étais déjà fatiguée de mepiquer le doigt. Je le fis néanmoins.

Quand je m'étais servie de l'amulette les foisprécédentes, il n'y avait jamais eu de signeextérieur de son fonctionnement, aucunpicotement magique pour me dire qu'elle étaitactivée. Cette fois, pourtant, j'éprouvai unfourmillement juste au-dessus de l'omoplategauche, un picotement qui devint rapidementune brûlure. Je levai les yeux vers Arawn,paniquée. Il me prit la main, qu'il serrafermement.

— Cela va passer dans un instant, dit-il d'une

— Cela va passer dans un instant, dit-il d'unevoix rassurante alors que la sensation debrûlure s'intensifiait au point de me fairemonter les larmes aux yeux.

— Qu'avez-vous fait ? lui demandai-je enserrant les dents.

Ma voix était lourde d'accusations, mais jeme raccrochai quand même à sa main comme àune bouée de sauvetage.

— Rien que tu aies à craindre, répondit-il, etla douleur disparut comme elle était venue.

Je pris soudain conscience que je lui tenaisla main, et la lâchai précipitamment avec unmouvement de recul.

— Qu'est-ce que vous m'avez fait ? répétai-je, pratiquement dans un cri cette fois.

Après tous les événements de cette nuit,j'aurais cru que mon corps avait épuisé sesréserves d'adrénaline, mais la soudaineaccélération de mon pouls me prouva lecontraire.

L'Elferoi agita les mains d'un geste apaisant.— Rien de grave, je t'assure. Une certaine

magie des plus élaborées naît du sang et dupouvoir du chiffre trois. Tu viens d'activerl'amulette pour la troisième fois en faisantusage de ton sang, ce qui a déclenché lesortilège secondaire que j'ai lié à cette broche.

Merde, merde et merde ! Le bâtard m'avaitencore roulée dans la farine ! La peur et la

encore roulée dans la farine ! La peur et lacolère se disputaient en moi tandis quej'attendais les explications de l'Elferoi.

— Tu portes à présent ma marque surl'épaule. Cette marque n'a pas la puissance decelle de mes Chasseurs, mais elle me permettrade te localiser où que tu sois. Pas dans lemonde des mortels, bien entendu, mais aumoins en Avalon et dans la Faëry.

J'ouvris la bouche pour le traiter de tous lesnoms d'oiseau que je connaissais, et biend'autres encore, mais il me réduisit au silenceen posant un doigt sur mes lèvres.

— Ce n'est pas un sort maléfique, Dana. Siun jour tu as besoin de mon aide, il te suffits'insuffler un peu de magie dans ta marquepour que je vienne à ton secours aussi vite quepossible. Je ne peux pas toujours compter surla présence d'Ethan à tes côtés pour m'avertirque tu es en danger.

Je détournai la tête et il laissa retomber sondoigt.

— C'est pour mon propre bien ? C'est ce quevous êtes en train de me dire ?

— En quelque sorte.Je secouai la tête en grognant, dégoûtée

d'être aussi crédule. Je m'étais déjà sentiesuffisamment vulnérable en apprenant qu'ilsavait où j'habitais et qu'il était capable

savait où j'habitais et qu'il était capabled'arriver jusqu'à moi malgré toutes mesprotections, mais c'était pire, mille fois pire. Jene pourrais plus jamais lui échapper, plusjamais me cacher de lui, et mon instinct mesoufflait que j'en aurais besoin un jour.

— Vous étiez tellement sûr que c'était pourmon bien que vous avez décidé de ne pas meprévenir de ce qui allait se passer quandj'utiliserais la broche pour la troisième fois.

— Je ne suis pas un imbécile, et toi nonplus.

Cela restait contestable, du moins en ce quime concernait.

— Ce n'est pas un sort maléfique, et tu peuxt'en servir dans ton propre intérêt. Ta tanteGrâce n'était qu'un danger mineur comparé àce que sont tes véritables ennemis. Je peux teprotéger contre eux en cas de besoin. Mais jene prétendrai pas que ce sortilège ne m'est paségalement profitable, et je sais pertinemmentque tu n'aurais pas utilisé ma broche unetroisième fois si tu avais été au courant.

Il avait raison sur ce dernier point, pour sûr.Je me sentais dans la peau d'un chien decompagnie à qui l'on a implanté une puce.Peut-être qu'à l'avenir je me souviendrai de meméfier des rois de Faëry qui me font descadeaux. Je lui tendis la broche, et je crusl'espace d'un instant qu'il allait la reprendre.

l'espace d'un instant qu'il allait la reprendre.Au lieu de quoi il referma mes doigts sur lebijou une fois de plus.

— Elle fonctionne toujours comme avant,dit-il. Et je n'y ai lié aucun autre sort.

— Oui, il faut que je vous croie sur parole ?— Je t'autoriserai à douter de mes paroles

quand tu m'auras pris en flagrant délit demensonge. Je ne t'ai jamais menti autrementque par omission, et je ne le ferai jamais.

— D'accord, et si la broche fonctionnecomme avant, comment se fait-il que vouspuissiez me voir ?

Il parut amusé.— Parce que c'est de ma propre magie que tu

te sers. Elle ne fonctionne pas contre moi, bienqu'elle reste efficace contre mes Chasseurs etEthan.

Waouh. Il m'offrait volontairement desinformations. Il tenait beaucoup à ce que jeconserve son stupide cadeau.

J'avais envie de rester ferme, de lui dire queje ne commettrais plus jamais l'erreur de lecroire. J'avais envie de jeter la broche à sespieds et de partir la tête haute.

Le problème, c'est que je ne voulais pas m'enséparer. Cette broche était mon ticket pourl'indépendance, ou ce qui s'en rapprochait leplus. Sans elle, je ne pourrais plus quitter mon

plus. Sans elle, je ne pourrais plus quitter monbunker sans garde du corps, et ce n'était pasune façon de vivre.

Je lui lançai un regard noir, pour bien luifaire comprendre que la situation ne meravissait pas, et rempochai la broche. Il hochabrièvement la tête sans un mot comme je luitournai le dos et m'éloignai à grands pas dansle souterrain qui me ramènerait chez moi.

Je regagnai mon bunker sans autresmésaventures, Dieu merci. Il était plus de 2heures du matin quand j'arrivai, Finn avaitinstallé le canapé-lit dans la salle de garde et ilétait couché. Il dormait face à l'entrée, et j'étaissûre qu'il se redresserait au moindre bruit,mais la broche de l'Elferoi me permit de meglisser dans la pièce sans l'alerter.

Une fois dans ma suite, et malgré l'envie deme jeter sur mon lit et de dormir pendant unesemaine, je ne pus résister au besoin de voir lamarque de l'Elferoi sur mon épaule. Je retiraimon pull et mon tee-shirt, et me plantai dos aumiroir de la salle de bains, me dévissant le coupour regarder.

La marque était plus petite que cellequ'arboraient les Chasseurs, mais sinon en toutpoint identique. Elle représentait un cerfstylisé en plein saut. Si je n'avais pas su cequ'elle était et ce qu'elle signifiait, je l'auraispresque trouvée jolie.

presque trouvée jolie.Je décidai de ne jamais l'activer. Je ne

pourrais pas m'en débarrasser, ni empêcherqu'elle serve de radiobalise à l'Elferoi, mais rienne m'obligeait à en faire usage. Pour tout dire,si je pouvais ne jamais revoir Arawn ni luiparler, tout serait pour le mieux dans lemeilleur des mondes. Sa fourberie me laissaitsans défense, même quand je pensais prendretoutes les précautions nécessaires. Puisque jene pouvais pas lutter, le mieux était de l'éviter.

Pourtant, était-ce une si bonne idée ?L'Elferoi était de beaucoup mon plus puissantallié, même si ses intentions étaient loin d'êtrepures. Il était redouté de tous, jusqu'aux reinesde Faëry, et tant qu'il voudrait quelque chosede moi et nourrirait l'espoir de l'obtenir unjour, il me défendrait au mieux de sesimmenses facultés. Bien sûr, il finirait tôt outard par comprendre que je ne lui donneraisjamais ce qu'il désire. Alors son masque degentillesse tomberait, et je me trouverais faceau cauchemar de la Faëry.

Toutes ces questions demeuraient sansréponse satisfaisante. Ce qui n'empêcha pasmon esprit de continuer à carburer, et cela nefit qu'empirer lorsque je me couchai et tentaide trouver le sommeil.

Tout en me tournant et me retournant

Tout en me tournant et me retournantmisérablement dans mon lit, je commençairéellement à comprendre les implications de ceque m'avait révélé Grâce dans l'intention deme faire souffrir avant de me tuer.

Grâce était assez âgée pour se souvenir dutemps où l'Elferoi n'avait pas encore concluson pacte avec les deux reines de Faëry. Monpère aussi. Tante Grâce avait été capabled'extrapoler à partir de ses connaissances quel'Elferoi chercherait un moyen de meconvaincre de lui donner ma virginité. Monpère aussi. Tante Grâce savait exactement ceque j'avais promis à l'Elferoi en échange de lalibération d'Ethan. Mon père aussi.

Tante Grâce avait été tellement obnubiléepar sa vengeance que me tuer ne lui suffisaitpas. Cherchant à me faire le plus de malpossible et à me montrer combien j'avais étéstupide, elle avait rompu ses liens avec la courdes Lumières dans le seul but de pouvoir merévéler le secret de l'Elferoi. Pas mon père. Ilsavait pourtant ce qui était en jeu, et nepouvait ignorer le danger que je courais, mais ilavait choisi de ne pas rompre ses liens avec saprécieuse cour des Lumières pour pouvoirm'avertir. Il avait préféré s'en tenir à de vaguesavertissements parfaitement inutiles, et à merecommander de ne jamais faire ce que l'Elferoi

recommander de ne jamais faire ce que l'Elferoim'avait demandé. Des avertissements si vaguesqu'ils avaient toutes les chances d'entrer parune oreille pour ressortir par l'autre.

Bien sûr, je n'avais pas eu besoin desavertissements de mon père pour comprendredès le début que le marché passé avec l'Elferoiétait plus subtil qu'il n'y paraissait, et jen'avais jamais eu l'intention de l'honorer sansen saisir toutes les ramifications. Il était aussivrai que mon père ignorait que la surveillancerapprochée qu'il avait instaurée nem'empêchait pas de rencontrer l'Elferoi. Papaaurait peut-être fini par décider qu'il n'avaitpas d'autre choix que de rompre ses liens avecla cour des Lumières. Mais je ne voulais pasoublier - je ne pouvais pas oublier - que dansun premier temps, au moins, il avait choisi deme laisser dans l'ignorance.

Je me raccrochai à l'idée que mon pèrem'aimait, et que son amour dépassait le simpleopportunisme politique. Mais mon père étaitl'un de ces anciens faës dont le système devaleurs différait grandement de celui dessimples mortels. Je me jurai de ne plus jamaisl'oublier.

Après les événements pour le moins

dramatiques qui s'étaient produits cette nuit-làdans les souterrains, ma vie reprit à peu prèsson cours normal - enfin, ce qui passe pour «normal » par les temps qui courent.

Il y eut bien sûr quelques répercussions,dont la nécessité de garder constammentcachée la marque de l'Elfe-roi n'était qu'unedes moindres. Ce fut la fin des débardeurs pourmes entraînements avec Keane.Heureusement, il ne faisait jamais assez chauden Avalon pour me faire regretter de ne paspouvoir en porter à l'extérieur. Et si Keaneremarqua mon changement de tenue, il n'ensouffla mot. Il était toujours aussi revêche etdésagréable, et lorsque je tentai de calmer lejeu après notre dernière dispute, il me réponditpar un balayage. Il ne voulait pas en parler,comportement typiquement masculin, maisqui, pour tout vous dire, me convenaitparfaitement.

Une répercussion autrement plusconséquente fut la visite que rendit l'Elferoi à

conséquente fut la visite que rendit l'Elferoi àmon père. Je n'étais pas présente, mais mamère me fit son rapport. Elle se comportaitcomme si nous ne nous étions jamaisdisputées, et je la laissai faire avec joie. Il yavait beaucoup de choses que je regrettaisdepuis mon arrivée en Avalon, maisl'abstinence forcée de ma mère n'était pas dunombre.

Arawn informa mon père du décès de tanteGrâce. Selon Maman, Papa avait encaissé lanouvelle avec un stoïcisme tout elfique, mêmes'il devait en être à la fois soulagé et attristé.Grâce avait tout de même été sa sœur.

Maman n'avait pas assisté à toute leurconversation, mais il semblait qu'Arawn aitréussi d'une façon ou d'une autre à convaincremon père que je n'avais rien à craindre de laChasse Infernale. J'imagine que ça n'avait pasdû être très difficile. Après tout, sachant ce quel'Elferoi voulait de moi, mon père ne pouvaitignorer que me garder en vie était dansl'intérêt de ce dernier.

Résultat des courses, ce n'était plus lebranle-bas de combat chaque fois que jevoulais quitter mon bunker. Jetais toujourstenue d'emmener Finn avec moi partout oùj'allais, mais je n'étais plus obligée de demanderla permission à Papa, ni de dénicher un second

la permission à Papa, ni de dénicher un secondgarde du corps. Je me sentais positivementlibérée. Marrant comme mes critères ontévolué depuis mon arrivée en Avalon, n'est-cepas ?

Malgré cette nouvelle « liberté », ce n'étaitpas évident de trouver un moyen de passer unmoment en tête à tête avec Ethan. Il fallaitpourtant que nous parlions. Je tentai del'appeler une ou deux fois, mais il semblaittoujours très pris et ne pouvait pas resterlongtemps au téléphone. J'étais sûre qu'ilmentait, mais je ne voulais pas entamer notrediscussion à cœur ouvert par des accusations.Il savait quel marché j'avais contracté avecArawn et possédait un certain nombre deraisons de préférer ne plus rien avoir à faireavec moi, mais je devais assainir nos relationsquoi qu'il en soit. Même s'il n'était pas - et neserait désormais jamais - mon petit ami, il étaitindéniable qu'il occupait une place importantedans ma vie.

Je décidai finalement que le meilleur moyende l'obliger à parler était de me pointer chez luiune fois de plus. J'envisageai brièvement l'idéede me servir de la broche de l'Elferoi, maisj'avais toujours cette désagréable impressionqu'il valait mieux que je ne parle pas del'amulette à Ethan. Ce qui signifiait que Finn

l'amulette à Ethan. Ce qui signifiait que Finndevrait m'accompagner. Je n'avais pas faitattention à la disposition des lieux la dernièrefois que j'étais allée chez lui, mais j'imaginaisque c'était identique à l'appartement deKimber, et que le seul endroit où l'on pouvaitjouir d'un minimum d'intimité était sachambre. Je n'étais pas certaine que Finn melaisserait faire (souvenez-vous comme il avaitjoué les chaperons au cinéma), mais je n'avaispas vraiment le choix.

J'appelai Kimber avant de partir pour luidemander de s'assurer de la présence d'Ethan.Elle fut ravie de me rendre ce service, et jecompris qu'Ethan ne lui avait pas révélé cequ'il avait appris au sujet de mon pacte avecl'Elferoi. Elle me pensait toujours liée par unegeis m'empêchant d'en parler. Encore un deces secrets qui pourraient se retourner contremoi. Kimber serait vraiment très fâchée si elleapprenait un jour la vérité.

Je déboulai sur le palier d'Ethan par unaprès-midi d'été typique d'Avalon. C'est-à-diregris, froid et maussade. Finn me gratifia d'unregard désapprobateur dès qu'il comprit quec'était Ethan et non Kimber que je venais voir,mais il s'abstint de passer en mode paternel etde m'aboyer des ordres.

Kimber devait guetter mon arrivée, car elle

Kimber devait guetter mon arrivée, car elleentrouvrit sa porte lorsque je sonnai chezEthan. Elle ne dit rien, se contentant dem'offrir un sourire d'encouragement et un «bonne chance » articulé silencieusement.J'appréciai son soutien, tout en éprouvant unpincement de culpabilité. Elle pensaitcertainement que je venais tenter de remonterle moral à son frère après ce qu'il avait enduréau sein de la Chasse Infernale. Et lecomportement d'Ethan n'était pas plus normalqu'avant notre rencontre avec tante Grâce.

Le regard qu'il me lança quand il ouvrit laporte était indifférent à faire mal. Je relevai latête et m'obligeai à le regarder dans les yeux.

— Salut, dis-je, et je me serais claquée d'êtreaussi nulle.

J'avais l'air timide, presque effrayée. Bon,d'accord, j'en avais aussi la chanson, mais pasbesoin de le montrer.

— Je peux entrer ?Ethan jeta un regard rapide à Finn, mais il

devait bien se douter que l'on formait un lot.— Bien sûr, répondit-il sans aucun

enthousiasme.Je ne devais pas oublier que je n'avais rien

fait de mal. Rien qui méritât ce traitement, entout cas. Ce n'était pas facile de le regarder enface maintenant qu'il connaissait les termes demon accord avec l'Elferoi, et je me sentais

mon accord avec l'Elferoi, et je me sentaismalgré moi dans la peau d'une Marie-couche-toi-là, mais c'était pour Ethan que j'avaisaccompli tout ça. Cela ne lui plaisait peut-êtrepas, mais il aurait au moins pu m'en être unpeu reconnaissant.

Finn et moi entrâmes dans l'appartement.Ethan me fit signe de le suivre au salon, etFinn demeura devant la porte, s'efforçant unefois de plus de me laisser un peu d'intimité.Mais ce n'était pas assez pour la discussion quiallait suivre. Je me retournai vers mon gardedu corps, tâchant d'évaluer la difficulté quej'allais avoir à le convaincre.

— Ethan et moi avons deux ou trois choses àdiscuter en privé, lui dis-je. Est-ce que vouspourriez monter la garde à l'extérieur, à touthasard ?

Je m'inspirais de la tactique de l'Elferoi enlui demandant une faveur que je n'espérais pasobtenir afin que ma seconde proposition - qu'ilme laisse aller dans la chambre d'Ethan - luiparaisse plus raisonnable. À ma grandesurprise, Finn acquiesça.

— J'attendrai dehors, annonça-t-il endardant sur Ethan un regard pénétrant. Je suissûr que tu te comporteras en gentleman.

Ethan écarquilla des yeux comme dessoucoupes en levant les mains en signe

soucoupes en levant les mains en signed'innocence.

— Ne vous inquiétez pas. Je ne tenterai rien.Finn parut se satisfaire de cette assertion et

retourna sur le palier, me laissant seule avecEthan. Je m'assis sur son canapé, medemandant par où commencer.

— Tu veux boire quelque chose ? proposa-t-il sans vraiment me regarder.

— Non, refusai-je plus sèchement que je n'enavais eu l'intention. Je voudrais que tuviennes sur le canapé pour parler avec moi.

— Très bien.Au lieu de s'asseoir à côté de moi, il posa ses

fesses le plus loin possible dans une posturerigide et formelle. Était-ce vraiment le mêmegarçon qui m'avait embrassée avec tant defougue seulement quelques jours plus tôt ? Onaurait dit qu'il lui tardait de se débarrasser demoi. Je ne savais pas ce qui l'emportait entre lacolère et la peine. Certainement un peu desdeux.

— Alors, tu vas donc me traiter comme unepestiférée ? lui demandai-je d'une voix quej'espérais neutre.

— Je ne te traite pas comme une pestiférée.Waouh. Très convaincant comme argument, etça me faisait vraiment chaud au cœurd'entendre ses dénégations.

— Tu ne me regardes pas, tu refuses de me

— Tu ne me regardes pas, tu refuses de meparler et tu t'assois aussi loin de moi quepossible, énumérai-je pour enfoncer le clou.

Avec un grognement de frustration, il setourna pour me faire face, sans se rapprocherd'un millimètre pour autant. Ses yeux,habituellement chauds et vivants, étaientfroids comme la glace.

— Excuse-moi si je n'apprécie guère que mapetite amie ait promis ses faveurs à un autrehomme.

J'en restai bouche bée.— Je ne suis pas ta petite amie, protestai-je,

et cela parut vain même à mes propres oreilles.Vu que notre dernière séance de flirt avait

comporté des moments de nudité partielle, jecomprenais qu'il puisse me considérer commetelle, même si je n'en étais pas moi-mêmetotalement convaincue.

Ethan leva les yeux au ciel.— Si tu apprenais que j'avais promis à une

autre fille de coucher avec elle, ça ne te feraitrien du tout ?

Je sentis le rouge me monter aux joues. Jen'allais pas lui disputer ce point, pas après lecirque que je lui avais fait rien que pour avoirdansé avec une autre fille. Et ce fut à mon tourd'avoir du mal à soutenir son regard.

— Tu sais pourquoi je l'ai fait, murmurai-je

— Tu sais pourquoi je l'ai fait, murmurai-jeen contemplant mes doigts crispés sur mesgenoux. Aurais-tu -préféré que je te laisse auxmains de l'Elferoi ?

— Je ne sais pas, dit-il.Je fus tellement surprise que je levai les

yeux sur lui.— Tu ne sais pas ? répétai-je, et mon cœur se

serra. Tu es en train de me dire que j'ai faittout ça pour rien ?

Ma voix monta dans les aigus, serapprochant du hurlement.

— Je me suis condamnée à rester viergetoute ma vie, et non seulement tu ne m'en espas reconnaissant, mais tu es en plus en colèrecontre moi au point de pouvoir à peinesupporter ma vue.

La douleur et la colère mêlées me vidèrent detoute émotion. C'en était trop, ce qui étaitfinalement une bonne chose, parce que cela mepermit de garder les yeux secs. Je pleureraisplus tard toutes les larmes de mon corps, maisje ne voulais pas offrir ce spectacle à Ethan.

— Je ne suis pas en colère contre toi ! réfuta-t-il rageusement.

— A qui tu veux faire croire ça ? Et je nesuis qu'une imbécile d'être venue ici.

Je fis mine de me lever, mais, d'une façonétrangement similaire à la dernière fois, Ethanme prit le bras pour m'empêcher de partir.

me prit le bras pour m'empêcher de partir.— S'il faut qu'on parle de tout ça, alors

parlons-en, fulmina-t-il encore.Je voulais m'en aller, faire comme si je

n'étais jamais venue. Je n'avais jamais su gérerma relation avec Ethan, et j'aurais dû medouter que les récents événements ne feraientqu'empirer les choses.

— Qu'y a-t-il à ajouter ? demandai-je avecamertume. Tu me prends pour une sorte depute parce que je tiens suffisamment à toi pourn'avoir reculé devant rien pour qu'Arawn terelâche. Je ne le regrette pas, mais si c'est ceque tu penses de moi, je ne veux plus rienavoir à faire avec toi.

Je tentai de nouveau de me lever, maisEthan me retenait toujours.

— Tu vas arrêter ça ? demanda-t-il d'unevoix un peu plus calme, ce qui sembla luiréclamer un gros effort. Tu me fais dire ce queje n'ai pas dit.

— Tu n'as pas besoin de le formuler touthaut pour faire passer le message. Si tu voyaista tête juste à l'instant, tu saurais que je tereçois cinq sur cinq.

— Tu as visiblement encore des progrès àfaire. Je te le répète : je ne suis pas en colèrecontre toi.

J'ouvris la bouche pour protester avec

J'ouvris la bouche pour protester avecvéhémence, mais il parla plus fort que moi.

— Arrête de faire l'idiote ! C'est contre moique je suis en colère, pas contre toi !

La surprise me laissa sans voix.Ethan me lâcha le bras et se passa une main

dans les cheveux, s'en arrachant probablementquelques-uns au passage.

— Tu ne vois donc pas, Dana ? Je suis tombédans le piège grossier que m'a tendu l'Elferoi.J'étais si imbu de moi-même et tellementdésireux de t'impressionner qu'il a fallu que jejoue les héros alors que j'aurais dû me méfier.Et à cause de cette erreur stupide, je suis lié àlui pour toujours, et tu as conclu un pacte avecle diable. Je me suis vraiment illustré, pasvrai ?

Il était si bouleversé qu'il se détourna de moipour cogner violemment dans l'accoudoir ducanapé. Heureusement que ce machin étaitrembourré ou il aurait pu se fracturer la main.

Ma colère et mon chagrin s'apaisèrent au furet à mesure que je réfléchissais à ce qu'il venaitde m'avouer. Je le soupçonnais de ne pas diretoute la vérité en prétendant ne pas être encolère contre moi, mais je voulais bien croirequ'il l'était davantage contre lui-même.' Jeravalai mes émotions tumultueuses et respiraià fond pour essayer de me calmer.

— Sans toi, relevai-je, j'aurais perdu la vie il

— Sans toi, relevai-je, j'aurais perdu la vie ily a déjà plusieurs semaines, quand tante Grâcem'a jetée dans les douves.

Il haussa les épaules.— La seule bonne action que j'ai accomplie.

Mais j'en ai fait tant d'autres de mauvaises queje n'ai pas de quoi pavoiser.

Timidement, je lui posai une main surl'épaule et serrai.

— Tu sais que jusqu'ici, tu es la troisièmepersonne après Kimber et moi à se sentircoupable de ta capture par l'Elferoi ?

Ethan cligna les yeux d'étonnement.— Quoi ?— Je m'en voulais parce que tout ça ne

serait jamais arrivé si je n'étais pas venue enAvalon. Kimber s'en voulait parce que c'étaitson idée de s'installer dehors dans le patio etparce qu'elle nous a laissés seuls. Et je ne seraispas étonnée que mon père et Finnculpabilisent également. Après tout, s'ilsavaient monté la garde plus près au lieu d'avoirla gentillesse de me laisser un peu d'espace, laChasse Infernale n'aurait pas pu nous isolercomme ils l'ont fait. Je crois qu'on devrait tousse détendre côté culpabilité.

Ethan rumina mes paroles un long momentavant de laisser échapper un gros soupir.

— Tout ça est bien joli, acquiesça-t-il. Mais

c'est plus facile à dire qu'à faire.Je tentai faiblement de rire.— À qui le dis-tu.Il se rapprocha finalement de moi sur le

canapé, m'entoura de ses bras et me tint contrelui. Je fermai les yeux en respirant son odeur.Pendant quelques minutes, je me laissai allerau plaisir sensuel de me lover dans ses bras. Ladouleur et la rage qui m'avaient enflammée sedissipèrent au profit d'un sentiment proche del'apaisement. Je savais que ça ne durerait pas,mais j'en profitai tant que je le pouvais.

Ethan frotta sa joue sur le haut de moncrâne.

— Tu es sûre que tu n'es pas ma petiteamie ? demanda-t-il doucement.

Sa question me chatouilla agréablement lesentrailles, mais chassa l'impression de paix quis'était emparée de moi. Je me décollai de luipour plonger mes yeux dans les siens.

— Je n'ai rien de la petite amie idéale en cemoment.

Ethan me sourit. Son sourire était toujourschaleureux mais sa nature avait changé depuissa capture par l'Elferoi. Ce sourire-là paraissaitplus âgé, et d'une certaine façon, plus triste.

Il repoussa une mèche de cheveux de monvisage.

— Laisse-moi juge en la matière. Et je dirai

— Laisse-moi juge en la matière. Et je diraique tu ne te débrouilles pas mal du tout.

Une bouffée de désir me serra la gorge.— Tu dis ça aujourd'hui, mais soyons

réalistes. Je ne pourrai jamais... aller jusqu'aubout avec toi. À moins de passer dans le litd'Arawn avant, et ça n'arrivera pas.

— Non, ça n'arrivera pas, approuva Ethan engrinçant des dents.

— Combien de temps crois-tu pouvoir resteravec une fille qui ne couchera jamais avec toi ?

Il arbora son expression la plus butée.— Il n'y a pas que le sexe dans la vie.Je le croyais sincère, en l'occurrence. Mais je

croyais aussi que la frustration aurait raison delui et qu'il changerait d'avis. Il avait déjà fait lapreuve de son impatience alors que je n'avaispas le couperet du pacte avec l'Elferoi au-dessus de ma tête. Ethan avait beau me répéterque Tiffany ne signifiait rien pour lui, je mesouviendrais toujours de la façon ouvertementsensuelle dont il avait dansé avec elle à la fêtede Kimber. Il était avec moi depuis seulementquelques jours, et se conduisait déjà comme sij'étais l'amour de sa vie, mais ça ne l'avait pasempêché de se frotter lascivement contre elle.Ce n'était pas le comportement d'un type quisaurait se satisfaire d'une relation condamnéeà rester platonique. Si je me laissais aller àtomber plus amoureuse de lui, il allait me

tomber plus amoureuse de lui, il allait mebriser le cœur. Ethan prit ma joue dans samain.

— Ne renonce pas à moi. S'il te plaît.— Je ne renonce pas à toi. C'est juste que...— Alors, dis-moi que tu me donnes une

chance. Donne-moi une chance de te prouverque tu comptes beaucoup plus pour moi que lesexe. Je préfère t'avoir toi sans te toucher quetoutes les autres filles que j'ai connues avant.

Il me disait les mots que je voulais entendre,mais... je suis une pragmatique dans l'âme. Jen'allais pas me leurrer et me faire croirequ'Ethan et moi avions une chance de tenir ladistance. Il avait beau dire, je savais que je nelui suffirais pas éternellement dans de tellesconditions. Je m'éviterais donc une montagnede souffrances à venir si je trouvais le couragede mettre un terme à tout ça maintenant. Jen'avais qu'à ignorer le désir qu'il éveillait enmoi. Ignorer le fait que le regarder faisait battremon cœur et bouillonner ma peau. Ignorer lesentiment enivrant qu'un garçon que je croyaisinaccessible veuille de moi pour de bon.

Mais j'en fus incapable. Ni ma raison ni mavolonté ne surent me persuader de repousserEthan. Il ne serait peut-être pas à moi pourtoujours, mais je pouvais l'avoir maintenant, etje m'en contenterais.

je m'en contenterais.Sans lui répondre, je me blottis dans ses bras

et levai le visage vers lui. Ses épaules serelâchèrent de soulagement et ses yeuxbrillèrent d'émotion. Il se pencha sur moi, etquand nos lèvres se soudèrent, toutes mesinquiétudes passèrent au second plan. Je mejurai de profiter au maximum du temps quinous serait imparti, et me consolai en songeantque ce serait moins douloureux quand il mebriserait le cœur parce que j'y serais préparée.

Je ne suis peut-être pas aussi pragmatiqueque je voudrais bien le croire, après tout...