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LE VOYAGEUR SANS VISAGE

 par Paul-Jacques BONZON 

«AH ! Si seulement je pouvais être invisible!»C'est ce que l'on souhaite bien souvent. Pour le jeunelycéen Sylvain, ce souhait s'est réalisé : sur sademande, un savant le rend bel et bien transparent.

Mais, au même instant, un accident de laboratoire provoque la mort du moderne alchimiste... quiemporte avec lui dans la tombe le secret de l'opérationinverse !

Et voilà Sylvain, désormais invisible, entraînédans mille aventures, des plus cocasses aux plusdramatiques. Comment tout cela finira-t-il ? On est

littéralement emporté par ce récit palpitant, et sivraisemblable qu'on en vient à se demander si, aprèstout, l'homme invisible n'existe pas réellement !

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Paul-Jacques BONZON

LE VOYAGEUR SANS VISAGE

ILLUSTRATIONS D'ALBERT CHAZELLE

HACHETTE

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A mon fils Jacques.

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TABLE

I. LE SECRET DE PIERHEFITTE 8II. DISPARU ! 28

III. L'AUTRE LABORATOIRE 44IV. PANIQUE SUR LE BOUL'MICH’ 63V. A BORD DU « TRAS-OS-MONTES » 82

VI. COMMENT ATTEINDRE SANTOS? 105VII. UNE CURIEUSE BOUTIQUE 122

VIII. UN PAPIER SUR UN LAMPADAIRE 145IX. RODRIGUES REUSSIRA-T-IL? 159

EPILOGUE 188

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CHAPITRE PREMIER

LE SECRET DE PIERREFITTE

EN RENTRANT du collège, Sylvain jeta sa serviettesur un coin du buffet, prit le journal et s'assit. En

 première page s'étalait un gros titre :

 Le chimiste Pierrefitte aurait réalisé 

l'idée extraordinaire de l'écrivain

 H. G. Wells : l'homme invisible.

Suivait un article assez long mais plutôt

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vague qui voulait être sensationnel sanscependant donner aucune précision.

« C'est donc si intéressant ce que tu lis? demandasa sœur Jacqueline en se mettant à table.

 — Formidable! Tiens... »II lui montra le gros titre. Jacqueline eut une

 petite moue ironique :« Mon pauvre Sylvain, on ne te changera pas;

toujours aussi naïf! Tu ne vois donc pas que c'est

encore un truc du journal pour augmenter son tirage.Je parierais que tous les autres journaux en parlentaussi.

- C'est bien simple, pour toi, Jacqueline, tout cequi est nouveau n'existe pas. Tu es comme saintThomas, il faut que tu touches pour croire.

 — Ah! pour ça, oui... et maman est commemoi... N'est-ce pas, maman? »

Mme Rambaud qui entrait dans la cuisine,apportant les hors-d'œuvre, hocha la tête : « Allons,vous n'allez pas encore vous chicaner! Commencezdonc de manger au lieu de discuter. Quand on a le

ventre creux, on ne dit que des bêtises. »Jacqueline prit l'assiette de son frère et y déposadeux sardines. Il y eut un silence, qui ne dura pas, car Sylvain reprit :

« Et aux autres découvertes de Pierrefitte, ycrois-tu, Jacqueline? Par exemple, sa double

décomposition du phosphore, considéré jusqu'à

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 présent comme un corps simple, ce n'est pasune illusion!

- Oh! moi, tu sais, les savants... — Evidemment, tu te méfies de Pierrefitte.

Pour toi, un savant est un type extraordinaire, unesorte de phénomène qui ne ressemble à personne.Tu ne crois pas aux inventions de Pierrefittetout simplement parce que le bonhommehabite la même rue que nous dans une maison

ordinaire. Tu trouves anormal qu'un savant porte un veston fatigué et des chaussures malcirées; je le reconnais, Pierrefitte n'a rien d'ungentleman...

 — Pour ça, coupa Mme Rambaud, tonPierrefitte est un drôle de bonhomme. Il suffit de le

voir marcher dans la rue, tête baissée, le nez par terre.Pas plus tard qu'avant-hier, comme je rentrais defaire mes commissions, il m'a bousculée sur letrottoir... et sans s'excuser, bien entendu.

- Et puis, poursuivit Jacqueline, je croyais queles savants vivaient toujours confinés dans leur 

laboratoire; lui, on le rencontre toujours dehors.- Si tu lisais plus souvent les journaux,affirma Sylvain, tu saurais que tu rencontressouvent Pierrefitte, parce que, précisément, il a deuxlaboratoires, un ici, l'autre en banlieue pour sesexpériences dangereuses. »

Jacqueline eut un sourire : « Evidemment, lui

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aussi fait des expériences dangereuses, des bombes atomiques, sans doute. Ne nous étonnons passi un jour il fait sauter tout le quartier. »

Le retour à table de Mme Rambaud qui apportaitun autre plat mit fin à la discussion. Pendant tout lereste du repas, Sylvain pensa à l'article du journal. Lecorps humain invisible! Quelle extraordinaireinvention! Devenir insaisissable, posséder la toute-

 puissance d'échapper à l'univers, d'agir à sa guise!

Le repas terminé, il monta dans sa chambre pour retrouver le fameux roman de Wells qui, deux ans

 plus tôt, l'avait passionné. Il fouilla en vain lesétagères et le placard. Il avait dû prêter le livre à uncamarade qui avait oublié de le lui rendre.

Déçu, il redescendit dans la cuisine où Jacqueline

aidait sa mère à faire la vaisselle.« Dis donc, Sylvain, ton père Pierrefitte te fait

oublier que nous n'avons pas de cours cet après-midi.Si tu m'emmenais au cinéma? On joue au  Familia unfilm d'aventures : Les Deux Panthères. Régine l'a vu;il paraît que c'est bien. - Je me méfie un peu des goûts

de Régine, mais si ça te fait plaisir... Passe-moi untorchon, je vous aide à finir la vaisselle. »A deux heures sonnantes, ils quittaient la maison.

On était en janvier. Un ciel bas et lourd pesait sur Paris. Dans les rues courait un petit

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vent acide qui faisait grimacer les passants. Ilsmarchèrent d'un bon pas. En dépit des petites disputesquotidiennes à propos de tout et de rien, le frère et lasœur s'entendaient bien. Ils avaient à peu près lemême âge, elle seize ans, lui quinze. La mort de leur 

 père, trois ans plus tôt, en endeuillant le foyer etréduisant ses ressources, les avait encore rapprochés.Grâce à des miracles d'économie, Mme Rambaudavait pu les laisser au collège, et ils n'abusaient pas de

la tendresse que la pauvre femme reportait sur eux.Comme ils arrivaient à un carrefour, Sylvain ne

 put s'empêcher de lever les yeux vers une desmaisons d'angle. Jacqueline comprit et sourit :

« Ça te travaille toujours, mon petit Sylvain! Tuvois, je ne suis pas méchante, je voudrais qu'un jour 

l'occasion se présente pour toi de voir le pèrePierrefitte de près, de lui parler..., mais je te préviens,tu seras déçu.

 — Pourquoi? — Parce que l'homme invisible n'existe pas et

n'existera jamais... du moins le véritable

homme invisible, celui qui pourrait descendre lesChamps-Elysées sans être vu de personne, quientrerait chez vous, subtiliserait votre portefeuillesans qu'on s'en aperçoive. Ça, mon petit Sylvain, jene le croirai jamais. Il faudrait être folle... Avoue quetoi aussi...

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 — Je reconnais que c'est ahurissant, formidable,affolant..., mais j'y crois quand même. »

Ils arrivaient devant le cinéma. Ils traversèrent lehall sans même jeter un coup d'œil aux affiches. Laséance commençait par un documentaire sur la pêchesous-marine à grande profondeur qui intéressaSylvain. Quant au film d'aventures, il lui déplutfranchement. Depuis quelque temps il aimait moinsces poursuites échevelées, ces embuscades d'où on

était sûr de voir le héros sortir triomphant. A quinzeans, il commençait à philosopher sur la vie, et la vieétait sûrement autre chose que ces fantaisies.

« Tu vois, dit-il à sa sœur, pendant l'entracte, cesfilms-là, je ne les aime plus; ils sonnent faux. Toi,

 bien sûr, comme toutes les filles, tu ne vois que le

côté sentimental... moi, j'aime la vérité, la véritéscientifique. »

Quand, le spectacle terminé, ils se retrouvèrentdehors, la nuit était venue. Ils rentrèrenttranquillement^ marchant côte à côte en discutant. Ilsvenaient de dépasser une bouche de métro, quand

Sylvain s'écarta et se baissa pour ramasser quelquechose.« Laisse donc cette saleté! » dit Jacqueline.Sylvain n'écouta pas. Il s'approcha d'une vitrine

 pour regarder de près sa trouvaille.« Jette ça, fit encore Jacqueline, qui reconnut un

de ces petits carnets où les ménagères notent

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leurs commissions. — Juste une minute, Jacqueline! File devant, je

te rattrape. »

Jacqueline hésita. Quand elle sortait avec sonfrère, elle n'aimait pas rentrer seule. Mais, ce soir-là,elle se sentait un peu fiévreuse. Peut-être couvait-ellecette mauvaise grippe qui depuis quelque tempsornait de trois millions de mouchoirs les troismillions de nez parisiens. Elle fit quelques pas,

s'arrêta encore, se retourna et, finalement, se décida àrentrer.

Pendant ce temps, les doigts tremblants de froid,Sylvain continuait d'examiner sa trouvaille. Le carnetétait couvert d'inscriptions bizarres, de cascades dechiffres, d'équations. Il pensa d'abord à un carnet de

notes d'étudiant. Pourtant non, ce n'était pas ça. Versles dernières pages, des croquis d'appareilsl'intriguèrent. Et tout à coup sur le verso de lacouverture verte il lut : « 57, rue Laura-Ancin,deuxième étage, à droite. »

Son sang ne fit qu'un tour. Le 57 de la rue Laura-

Ancin était précisément la maison de Pierrefitte. Touts'éclaira dans l'esprit du jeune garçon. Le carnetappartenait au savant; il tenait entre ses mains lesformules de ses expériences secrètes, qui sait? lesecret de l'homme invisible!

Il fourra vivement le précieux carnet dans sa

 poche et repartit en pressant le pas. Arrivé devant 

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le numéro 57, il s'arrêta, indécis, regardalonguement la maison, une maison comme les autres,sans style, sans fioritures. Au deuxième étage lesstores baissés de deux fenêtres laissaient filtrer lalumière. Etait-ce là que vivait le chimiste Pierrefitte?

Il hésita. Chez lui on allait l'attendre puisqueJacqueline était déjà rentrée... Mais le chimiste, sansdoute navré d'avoir perdu ce carnet, le cherchait

 partout... Et puis, oh! oui, surtout, il tenait la chance

de voir de près le savant, de lui parler. C'était lemoment puisque celui-ci était chez lui.

« Bah! fit-il, maman sait que je ne suis plus ungamin. Elle attendra bien dix minutes... »

*

**

II pénétra dans le couloir. La loge du conciergeétait vide. Il ne s'attarda pas. L'immeuble ne possédait

 pas d'ascenseur; il arriva au deuxième, essouffléautant par l'émotion que par la grimpée. Trois portes

sur le palier. Celle de droite ne portait aucuneindication. Sylvain la regarda un moment avant desonner. Enfin il s'enhardit à appuyer sur le bouton.L'attente lui parut interminable. On aurait dit qu'il n'yavait personne à l'intérieur. Il allait sonner uneseconde fois quand une vieille, très vieille dame vint

ouvrir, discrètement, maintenant la porte

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entrebâillée. Croyant avoir affaire à unreprésentant de commerce, elle demanda :

« Que désirez-vous? »Mais soudain elle aperçut le carnet dans la main

de Sylvain.« Ah! fit-elle, le carnet... Attendez un instant. »La porte se referma. Sylvain perçut le bruit d'un

verrou qu'on tire et un trottinement de pas. Plusieursminutes s'écoulèrent. Enfin la porte se rouvrit. Un

homme apparut que Sylvain reconnut aussitôt. Il était petit avec une barbiche. Ses yeux étaient cachés par les lunettes aux verres très épais, des verres de myopesans doute; cependant, on devinait, derrière, unregard très aigu.

« J'ai trouvé ce carnet, par terre, à une sortie de

métro, déclara Sylvain. L'adresse était dessus, je lerapportais.

 — Ah! bien, bien, fit le savant, depuis deuxheures je le cherche partout. Comment teremercier?... »II porta la main à la poche de son veston, sans doute

 pour y chercher un billet.« Oh! non, protesta Sylvain, pas d'argent, je suistrop heureux de vous avoir rendu service, monsieur Pierrefitte. »

En entendant prononcer son nom, le chimiste eutun mouvement de surprise et fronça les

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sourcils : « Mon nom?... Tu sais mon nom?... Iln'était pourtant pas sur le carnet. »

Sylvain se troubla un peu :« C'est que je vous croise souvent sur le trottoir,

 j'habite la même rue, tout au bout... et je connaistoutes vos découvertes... »

Son portefeuille à la main, le chimiste regardaitcurieusement, derrière ses gros verres de lunettes, cegrand garçon qui paraissait si ému et semblait

attendre on ne sait quoi.« Oh! monsieur, reprit Sylvain, emporté par son

enthousiasme, je suis si heureux de vous voir de près,de vous parler, c'est formidable tout ce que vous avezfait... »

Le bonhomme sourit faiblement et hocha la tête.

« J'ai suivi dans les journaux toutes vosdécouvertes... »

Le chimiste fronça les sourcils, agacé.« Ah! les journaux, mon petit ami, les journaux

sont des bavards capables d'inventer n'importe quoiquand ils ne savent rien. Il leur faudrait à tous de

 bonnes muselières. »L'air navré, Sylvain s'excusa, s'attendant à voir lechimiste lui fermer la porte au nez. Mais, après unmouvement d'humeur, le bonhomme regarda encorele collégien. « Entre », dit-il.

Sylvain se demanda s'il avait bien entendu. Il

hésita cependant, comme à l'entrée d'un

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endroit mystérieux. Etait-il possible qu'un savantcomme Pierrefitte, qui travaillait nuit et jour à sesrecherches, eût du temps à perdre avec un garçoncomme lui?

« Oh! monsieur, protesta-t-il, je ne veux pas vousdéranger. »

Le bonhomme hocha encore la tête : « Bien sûr,une heure est une heure et une minute est une minute,mais tu viens de me rendre service... Et puis, mon

garçon, ta physionomie est sympathique, tu merappelles le garçon que j'étais à quinze ans, pleind'enthousiasme, de curiosité... Ça change tellementdes journalistes. Ah! ceux-là... »

En parlant, il poussait lentement Sylvain le longd'un couloir. Il l'introduisit dans une petite salle à

manger, une salle tout ordinaire de petit bourgeois parisien dont Jacqueline aurait certainement souri.

« C'est vrai, reprit encore le chimiste, je n'ai passouvent l'occasion de bavarder avec des garçons deton âge et ça me fait plaisir. Ainsi, c'est près d'une

 bouche de métro que tu as retrouvé mon carnet? J'ai

dû le perdre en tirant mon mouchoir. J'étais, jusqu'àhier, le seul Parisien à n'avoir pas la grippe, maiscette fois elle me tient. »

Il paraissait fatigué, et s'interrompait de temps entemps pour tousser :

« Ainsi, mes recherches t'intéressent?...

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 — Beaucoup... Surtout la dernière, celle dont les journaux parlent : l'homme invisible.

 — Les journaux ne savent rien, mon garçon, du

moins pas encore. Et tout ce qu'ils ont pu raconter n'estqu'invention de leur part. La race des journalistes estune race odieuse. Ce sont eux qui m'ont rendu bourruet ont fait de moi un ours. »

Sylvain ne sut que répondre. Les journaux avaientdonc menti, l'homme invisible n'existait pas?... Il y eut

un silence gêné. Soudain, le bonhomme, qui s'étaitassis dans un fauteuil, se leva. Sylvain pensa qu'il allaitle congédier.

« Ecoute, mon garçon, fit-il, je ne sais pas si tucomprendras ce que je vais te dire; j'aime la recherchescientifique pour elle-même, bien sûr, mais je ne suis

 pas étranger au côté humain des choses. Tu m'essympathique et je sens que je peux compter sur toi, sur ta discrétion, je le vois sur ton visage. Est-ce vrai?

 — Oh! oui, dit Sylvain, je vous admire, tant! — Alors, disons que c'est la Providence qui, ce

soir, t'a fait frapper à ma porte... »II s'arrêta encore, comme s'il hésitait, puis,

 brusquement :« Voilà... l'homme invisible... ou plutôt, l'homme

transparent, est parfaitement au point... Seulement,avant de rendre publique cette découverte, j'aimerais

 prévoir ses conséquences, je veux dire sesconséquences psychologiques; pour 

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être plus clair : savoir les réactions que pourraiententraîner le spectacle, si on peut dire, d'un hommeinvisible... Jusqu'à ce jour, l'expérience n'a été réalisée

que sur une seule personne, sur moi-même. J'aimerais, puisque tu es là, et que tu me promets la discrétion,répéter cette expérience pour suivre tes réactions. Est-ce que cela ne t'effraie pas?

 — Oh! monsieur, au contraire. Voir le premier la réalisation de l'homme invisible!

 — Je te préviens, c'est plus impressionnantque tu ne l'imagines. — Je vous assure, je n'ai pas peur. — Alors, suis-moi... Mais je te le. répète, je te

fais confiance, pas un mot de ce que tu auras vu..., dumoins pendant quelque temps encore.

- Je vous le promets. »Le chimiste quitta la petite salle à manger ettourna une clef. Ils se trouvèrent alors dans une salleencombrée d'une foule d'objets, d'appareils, de flacons,de réchauds disposés sur deux longues tables. En guisede siège, le chimiste indiqua à Sylvain une caisse.

« La réalisation de l'homme transparent estcertainement impressionnante, reprit-il, mêmelorsqu'on est prévenu. »

II se dirigea vers une armoire, manipula desflacons, des seringues, effectua des dosages, emplit destubes dont il examina la transparence en les plaçantdevant des ampoules de couleur 

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rouge orangé, se référant à chaque instant à desindications portées sur des fiches qu'il avait retiréesd'un tiroir fermé à clef.

« Evidemment, dit-il, je ne t'explique pas ce que je fais en ce moment, d'abord tu n'y comprendrais pasgrand-chose... et je suppose que ce n'est pas ça quit'intéresse.»

Sylvain sourit, sans répondre, déjà très ému. Les préparatifs étaient extrêmement compliqués. Le

savant recommençait ses dosages avec une minutiescrupuleuse, enlevant parfois ses lunettes pour coller son œil contre les tubes à essai. Cependant, à

 plusieurs reprises, secoué par des quintes de toux, ildut s'interrompre. Tous ces préparatifs paraissaientinterminables. Enfin, le chimiste se redressa :

« Voilà, c'est fini... Tu vas avoir devant toi unhomme transparent, je dis bien transparent et noninvisible, selon le mot de Wells, qui est un romancier et non un chimiste. Mon corps, formé de cellulesvivantes, va donc devenir transparent, seuls mesvêtements demeureront visibles.

 — Et les os? » demanda Sylvain.Le savant sourit :« Ah ! oui, tu penses aux rayons X... Non, mon

garçon, aucun rapport avec les rayons X basés sur lesdensités différentes des corps. Je te fais remarquer que, si la matière osseuse est dotée d'une vie plus

discrète que les autres parties dû

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corps, elle vit tout de môme. De plus, lesradiations émises par les liquides injectés sedispersent en profondeur et se communiquent à toutle corps. Ainsi les éléments étrangers, par exemple uncaillou que tu avalerais deviendrait absolumentinvisible dans ton estomac.

- Et à l'extérieur? demanda Sylvain. — Tu veux parler des vêtements, je suppose...

Eh bien, à l'extérieur, l'effet des radiations est si

faible qu'il ne dépasse  pas quelques dixièmes demillimètres. Je vais m'inoculer sous tes yeux, danscette veine de l'avant-bras, ce liquide préparé devanttoi. Au bout d'une vingtaine de secondes moncorps cessera d'être une réalité visible. Leschairs disparaîtront les premières, puis les organes

comme le cœur, les reins, ensuite les cartilages, enfinles os. »

Tout en parlant, le savant jetait de petits coupsd'œil vers Sylvain, cherchant à deviner son émotion.

« Vraiment, cette expérience ne t'effraie pas? — Oh ! non... je ne crois pas. »

Pour montrer qu'au contraire elle l'intéressait passionnément, il posa encore une question : « Etcombien de temps durera la disparition?

- Aussi longtemps que je ne me serai pas injectéles contre-éléments, ceux-ci, qui sont tout prêts,et qui doivent annuler l'effet des précédents, »

De plus en plus troublé, mais s'efforçant de

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n'en rien laisser paraître, Sylvain demanda ce quele savant allait éprouver. Celui-ci expliqua :

« J'attendais ta question. Tu voudrais savoir ce que

 je vais ressentir?... Eh bien, rien, absolument rien. Jen'éprouverai aucun malaise, ne perdrai pas une seuleseconde le contrôle de mes pensées. Puisque lacomparaison avec les rayons X te plaît, je ne serai pas

 plus incommodé que pour un examen radioscopique.La transformation n'amène aucun changement dans la

circulation, la composition du sang, aucune perturbation dans la vie organique.»Sylvain, malgré tous ses efforts, sentait son calme

l'abandonner. Il pensa à Jacqueline. Il aurait donnécher pour qu'elle fût là. Debout, devant une table, lechimiste emplissait minutieusement une seringue. Ses

mains ne tremblaient pas, mais une nouvelle quinte detoux l'interrompit. Enfin, l'instant décisif fut là.« Attention! Je commence... »II prit la seringue, tâta la veine de l'avant-bras,

donna un petit coup sec pour enfoncer l'aiguille etcommença l'injection. Sylvain suivait attentivement lamain qui poussait le piston. Tout à coup il eutl'impression que les doigts se décharnaient. Durantquelques secondes il distingua encore l'ombre grisâtredes phalanges, puis plus rien que la seringuesuspendue dans le vide. Alors il leva les yeux et retintun cri. Le veston du chimiste flottait dans le vide,comme

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suspendu à un invisible portemanteau, et leslunettes se promenaient dans l'espace. Sylvainfrissonna de la tête aux pieds et dut s'appuyer au mur,

 pris d'une sorte de vertige.« Mon Dieu », fit la voix du chimiste, une voix

toute naturelle mais qui parut à Sylvain déformée, « tute sens mal? »

II se raidit et sourit. Oh! non, jamais il n'aurait pensé que la vue d'un être transparent pût être aussi

impressionnante :« Non, ce n'est rien », dit-il.Pour le rassurer, le vieux Pierrefitte se mit à

 plaisanter.« Tu es blême comme si tu avais devant toi un

revenant et pourtant tu ne vois rien... Tiens, prendscette glace et regarde-toi! »

Très pâle, Sylvain recula devant le miroir qui

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s'approchait de lui au bout d'une manche vide. Envoulant prendre la glace, il effleura la main invisible.Ce contact lui causa une telle impression qu'il lâchale miroir. Il eut envie de prendre la fuite. Non, ilvoulait être crâne.

« Tu constates que mes mains et ma tête sont parfaitement transparents, fit remarquer le savant. Si je ne couvais pas cette mauvaise grippe, je medévêtirais complètement, et tu constaterais ainsi qu'il

ne reste absolument rien de moi... Et cependant je tevois parfaitement; j'observe toutes tes réactions. Jeregarde ta main gauche qui tremble, et la droitecrispée comme si elle serrait un bouton de porte, la

 porte par où tu voulais fuir, il y a un instant; c'est biencela, n'est-ce pas?... Mais le choc est passé! Donne-

moi ta main, tu réaliseras mieux que tu n'es pas enface d'un revenant. »

Sylvain obéit et tressaillit au contact de cettemain invisible qui pressait la sienne.

« Ainsi, ajouta le chimiste, je pourrais rester éternellement dans cet état; mais la plaisanterie — 

 j'imagine que tu considères cette découverte un peucomme une plaisanterie -— a assez duré. Regardecette autre seringue que j'ai préparée tout à l'heure,c'est elle qui va me rendre à mon état normal. Suis

 bien l'opération. »

Après avoir erré dans le vide, l'aiguille

s'immobilisa. Le piston parut s'enfoncer tout seul

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dans la seringue. Il y eut quelques secondes d'attenteun peu anxieuse pour Sylvain. Puis les os, les chairsdu savant sortirent du néant.

La réincarnation totale et parfaite de Pierrefitterassura Sylvain. Il poussa un soupir, comme s'ilsortait d'un cauchemar. Vraiment, cette découvertelui paraissait extraordinaire. Il ne sut commentremercier celui qui, pour la première fois, venait defaire une démonstration en public.

« Ainsi, fit-il émerveillé, vous pourriez rendretransparent n'importe qui?

- L'expérience réussirait de la même façon. Etelle réussirait aussi sur des animaux, sauf sur lesanimaux dits à sang froid, la température ayant unrôle important dans l'action des éléments que je me

suis inoculés. Pour en revenir aux hommes, je mesuis assuré que les groupes sanguins, par exemple, nedoivent pas apporter de contre-indication. Seul lerefroidissement total, le refroidissement de la mort,devrait détruire la transparence. »

Entraîné par son propre enthousiasme, le vieux

savant parlait à Sylvain comme il aurait parlé à unautre homme de science.« C'est formidable, répétait Sylvain, formidable!»Son émotion avait complètement disparu, il lui

restait seulement la joie immense d'avoir été le premier à voir la réalisation extraordinaire

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du chimiste. C'est alors qu'une idée folle lui passa par la tête.

« Ainsi, fit-il, par exemple, sur moi, vous pourriez...

- Evidemment! »II y eut un silence. Sylvain hésitait, mais son idée

se faisait pressante.« Oh! monsieur, s'écria-t-il, puisque... puisque

vous pourriez... j'aimerais... sur moi... »

Le visage du savant se rembrunit aussitôt.« Non, mon garçon, pas sur toi, je ne peux pas, je

n'ai pas le droit. — Je vous jure que je n'ai pas peur.- Il ne s'agit pas de ça. Je pense à ma

responsabilité.

- Puisque vous avez plusieurs fois répétél'expérience sur vous-même...

- Ce n'est pas la même chose, n'insiste pas... Un jour, peut-être, mais plus tard... sur quelqu’un quiacceptera, sachant à quoi il se soumet; mais pas ungarçon dé ton âge. Que diraient tes parents s'ils

apprenaient...- J'ai confiance, je sais qu'il ne m'arrivera rien...et je pourrais dire que j'ai été le premier... Oh!monsieur, vous ne savez pas ce que celareprésenterait pour moi... »

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CHAPITRE II 

DISPARU!...

QUE  T'AVAIT  DIT exactement ton frère en tequittant?

 — Je te le répète, maman, il avait trouvé sur letrottoir un petit carnet; il s'était mis à le feuilleter devant une vitrine éclairée. Il faisait froid, je suis viterentrée. Il aurait dû arriver quelques instants aprèsmoi.

 — Tu te rends compte, Jacqueline, il estmaintenant huit heures et demie. Si, avant de rentrer,il avait rencontré un camarade, il serait venu nous

 prévenir.

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- Le carnet qu'il a trouvé contenait peut-êtrel'adresse de son propriétaire, il aura voulu lerapporter.

- Il aurait pu l'envoyer par la poste... ou tout bonnement le déposer au commissariat, comme onfait d'ordinaire.

- Evidemment..., mais tu connais Sylvain, ilaime à rendre service. Qui sait, il y avait peut-être del'argent dans ce carnet. Il a voulu le redonner tout de

suite... En tout cas, s'il lui était arrivé un accident,nous le saurions déjà, il a toujours son adresse dansson portefeuille, il y a même le numéro de téléphonede notre voisin, le marchand de charbon.

 — Ah! Jacqueline, puisses-tu dire vrai! »Mme Rambaud se tamponna les yeux avec son

mouchoir. Dans la cuisine, le repas attendait depuislongtemps. Ni l'une ni l'autre ne pouvaient se décider à se mettre à table sans Sylvain. Elles faisaient lanavette entre la cuisine et la fenêtre qui donnait sur larue. Tout à coup, Mme Rambaud sursauta.

Une voiture venait de klaxonner sur deux tons.

« Mon Dieu! une ambulance! »Plus vive que sa mère, Jacqueline s'était déjà précipitée à la fenêtre qu'elle ouvrit vivement.

« Non, maman, pas une ambulance, les pompiers!

- Les pompiers se déplacent aussi pour les

accidents... Il s'est peut-être noyé... »

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Elles étaient restées à la fenêtre. Une autrevoiture rouge passa.

« Tu vois, fit Jacqueline, c'est bien un incendie...Et notre Sylvain est tout bonnement en train deregarder brûler la maison. »

Elle referma la fenêtre qui laissait pénétrer unfroid vif. La mère et la fille revinrent à la cuisine sanscependant se décider à s'asseoir. Au bout d'unmoment, elles retournèrent à la fenêtre. En bas, la rue

 paraissait plus animée que d'ordinaire.« Le feu! Le feu, au bout de la rue! »Des gens passaient en courant pour aller voir,

sans doute.« Ne t'inquiète plus, maman, Sylvain est là, c'est

tout près de l'endroit où je l'ai laissé.

 — Allons vite là-bas!Elles descendirent dans la rue. Comme elles

arrivaient sur le trottoir, une nouvelle voiture de pompiers passa. Ce n'était certainement pas un simplefeu de cheminée. D'ailleurs, on sentait déjà la fuméeacre que le vent rabattait. Tout à coup, Jacqueline

s'arrêta.« Qu'y a-t-il? demanda vivement Mme Rambaud. — Oh! rien. »Jacqueline venait de s'apercevoir que la maison

qui brûlait était celle où habitait Pierrefitte. Cetteconstatation lui causa un choc. Elle eut comme un

 pressentiment. Malgré elle, un rapprochement se fit

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entre le chimiste et Sylvain, et elle se reprocha dene pas avoir attendu son frère.

L'immeuble d'angle disparaissait presqueentièrement dans la fumée. Elles s'approchèrent ducordon de police qui retenait les nombreux badauds.Se haussant sur la pointe des pieds, Mme Rambaudcherchait à reconnaître le manteau mastic de son fils,mais dans la nuit, et avec cette fumée, c'étaitimpossible. Près d'elles, une femme expliquait :

« Moi j'étais là quand le feu a pris, je me trouvaissur le trottoir. J'ai entendu une explosion, les fenêtresdu deuxième étage ont sauté, et presque aussitôt j'aivu sortir des flammes. Il paraît que c'est le chimistePierrefitte qui habitait là, vous savez, celui qui faittoutes sortes d'inventions. Ces gens-là, on ne devrait

rien leur laisser dans les mains! Ils seraient capablesde « bouziller » tout Paris!

- Est-ce que quelqu'un a été blessé?demanda Mme Rambuad.

- Seulement le père Pierrefitte, on l'a emmenétout à l'heure en ambulance, paraît qu'il avait des

 brûlures aux mains... Je ne suis pas méchante, mais siça pouvait l'empêcher de recommencer... »A demi rassurée, Mme Rambaud entraîna sa fille

de l'autre côté, ayant tout à coup cru reconnaîtrecertain pardessus clair. Hélas! ce n'était  pas celui deSylvain. Pendant ce temps, les pompiers luttaient de

toutes leurs lances contre le feu

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qui semblait perdre de sa violence, maisdégageait toujours la même fumée acre. Dans sa

 précipitation, Mme Rambaud n'avait pas pris sonmanteau; elle grelottait.

« Rentrons, dit Jacqueline, tu vas prendre froid et je parie que nous allons trouver Sylvain devant la porte puisqu'il n'a pas la clef. »

Mme Rambaud hésita, puis se laissa convaincre,se raccrochant à cet espoir. Hélas! Sylvain n'était pas

devant la porte. Sitôt chez elle, la pauvre femmes'écroula sur une chaise.

« Un malheur est arrivé, Jacqueline, j'en ai le pressentiment... Va téléphoner! »

Jacqueline descendit chez leur voisin, marchandde charbon. Le bougnat, complaisant, permettait de

téléphoner chaque fois que les Rambaud en avaient besoin. Mais le téléphone ne marchait pas. La ligneavait peut-être été coupée par l'incendie.

« Va jusqu'au commissariat », supplia MmeRambaud.

Jacqueline prit son manteau et partit en courant.

Elle revint au bout d'un quart d'heure. Aucunrenseignement sur Sylvain. Une seule personne avaitété blessée dans l'incendie, M. Pierrefitte. A touthasard, Jacqueline avait donné le numéro detéléphone du marchand de charbon pour qu'on puisseles prévenir.

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Alors commença une attente anxieuse.Tressaillant au moindre bruit dans la rue, au moindretintement de timbre de 'vélo qui pût passer pour unesonnerie, Mme Rambaud refusa de dîner et des'étendre. Inquiète, elle aussi, Jacqueline avait peine àcacher ses propres larmes. « C'est ma faute, seredisait-elle. J'aurais dû l'attendre. »

Dix heures, puis onze heures sonnèrent.Jacqueline redescendit chez le marchand de charbon

qui avait prêté la clef de son petit bureau où setrouvait le téléphone. Les communications étaientrétablies, mais le commissariat n'avait toujours rien àsignaler, aucun accident de la circulation dont lavictime pût correspondre au signalement de Sylvain.

« Tu vois, dit Jacqueline pour rassurer sa mère,

s'il lui était arrivé quelque chose, nous le saurionscertainement.

- Et s'il se trouvait dans la maison qui brûlé? — Qu'y serait-il allé faire? — Tu le sais aussi bien que moi : voir 

Pierrefitte. Depuis le temps qu'il désirait le

connaître, le voir de près. — Puisque personne n'a péri dans l'incendie. Ona retrouvé le chimiste, on aurait aussi retrouvéSylvain. »

Epuisée par cette attente, Mme Rambaud, quiavait toujours été de santé délicate, eut une

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défaillance. Jacqueline l'aida à gagner sachambre et l'étendit sur le lit.

« Jacqueline, reste près de la fenêtre. Si tu entendsquelque chose, appelle-moi. »

Une heure passa. Où était Sylvain? Pourquoin'était-il pas rentré? Jacqueline, pour sa mère et pour elle-même, essayait d'échafauder toutes sortes desuppositions raisonnables. Sylvain était parti porter lecarnet trouvé, il s'était attardé, on l'avait retenu à

dîner... Mais non, c'était impossible.Minuit sonna, puis une heure. Il était trop tard, à

 présent; plus d'autobus, plus de métro, il ne fallait plus l'attendre avant le matin. A bout de nerfs, MmeRambaud finit par consentir à prendre un calmant quesa fille lui prépara dans un verre d'eau. Au bout d'un

moment, elle devint somnolente et finit par sombrer dans un sommeil lourd.

Alors Jacqueline alla dans sa propre chambre quidonnait sur la rue et se colla le nez contre la vitre.Tout était redevenu calme. En face, le lampadaireéclairait le trottoir tout luisant d'une petite pluie fine

qui devait être glacée. Elle imagina son frère errantdans Paris, transi.« Sylvain, murmura-t-elle, où es-tu? »Elle resta ainsi longtemps, allant de temps à autre

 jeter un coup d'œil dans la chambre de sa mère, puisrevenant vite monter la garde devant la vitre.

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Tout à coup, elle tressaillit. Un petit bruit sectinta contre la vitre comme si quelqu'un, du dehors,avait lancé un caillou. Instinctivement elle recula,

 puis se rapprocha. Personne dans la rue. Au mêmemoment, le petit bruit contre le carreau se répéta. Sielle n'avait pas été sûre que personne ne passait dansla rue, elle aurait cru à la stupide plaisanterie d'unnoctambule. Mais peut-être celui-ci se cachait-il justeau-dessous, sur le trottoir. Elle ouvrit brusquement la

fenêtre pour le surprendre. La rue était vide. Commeelle se penchait, il lui sembla tout à coup entendreappeler.

« Jacqueline! »Avait-elle bien entendu? Elle ne répondit pas et

resta, l'oreille tendue. La voix reprit :

« Jacqueline, c'est moi, n'aie pas peur! »C'était bien la voix de son frère... Mais d'où lui

 parlait-il?« Sylvain, où es-tu? Je ne te vois pas.

 — Est-ce que maman est là? — Dans sa chambre, elle dort... Mais où es-tu,

Sylvain, je n'arrive pas à te voir? Qu'est-ilarrivé ?- Descends sans bruit jusqu'à la porte, je

t'expliquerai... Mais n'ouvre pas. »Oui, c'était bien la voix de Sylvain, mais une

voix inquiète. Hébétée, elle se pencha encore pour 

apercevoir son frère, pensant qu'il parlait peut-être à

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travers le soupirail de la cave. Une  peur indicibles'empara d'elle. Si quelqu'un imitait la voix de sonfrère? Avant de descendre elle jeta un coup d'œil dansla chambre de sa mère qui, épuisée, dormait toujours.Alors elle descendit jusqu'au vestibule. Comme ellearrivait devant la porte, elle entendit : « Jacqueline,c'est toi?

 — Je suis là. — N'ouvre pas encore, écoute. »

Cette fois, plus de doute, c'était bien Sylvain...Mais quelle voix altérée!

« Jacqueline, il m'est arrivé quelque chosed'effroyable; je suis allé chez Pierrefitte, je suisdevenu invisible! Tu entends, Jacqueline, invisible !

- Oh! Sylvain!

- Surtout, en ouvrant, n'aie pas peur, il ne faut pas que maman s'éveille, elle serait effrayée.Maintenant tu peux ouvrir, je suis nu, je grelotte. »

Les doigts crispés de Jacqueline n'arrivaient pas àtourner la poignée. Dans l'encadrement de la porte,elle ne vit rien que la rue déserte et la lueur du

lampadaire en face, sur laquelle passaient les petiteshachures brillantes de la pluie.« Efface-toi, murmura Sylvain, je ne veux pas te

frôler, tu crierais de peur. »La jeune fille, debout contre le mur, n'osait faire

un mouvement. Tout à coup elle ressentit

 

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un léger courant d'air, comme le sillage d'un passant qu'on croise. Elle porta sa main à la bouche pour réprimer sa stupeur quand elle vit la porte serefermer seule et la clef tourner d'elle-même dans laserrure.

« Je suis là, Jacqueline, je te vois, je suis transi et je vais monter me coucher; n'éveillons pas maman, ilfaudra la préparer... »

Jacqueline n'eut pas la force de répondre. Au

léger craquement des marches, elle comprit que sonfrère montait l'escalier. Elle rassembla son courage

 pour le suivre, et vit la porte d'une chambre s'ouvrir comme par magie. Avant d'entrer dans la chambre deSylvain, elle pénétra à pas feutrés dans celle de samère. La pauvre femme dormait d'un sommeil agité.

Elle prépara un nouveau calmant au cas où elles'éveillerait et revint chez son frère. Le lit était vide,aucune tête sur l'oreiller qui pourtant en son milieuaccusait un creux comme l'empreinte de la tête d'undormeur. Les couvertures faisaient un renflement et

 bougeaient légèrement. C'était absolument effarant.

Elle ne pouvait s'imaginer que son frère était là, qu'ilvivait, qu'il la voyait.« Entre! Je suis invisible, mais vivant; n'aie pas

 peur. »La voix ne parvenait pas à la rassurer. Elle

s'avança en hésitant.

« Donne ta main que je la prenne, reprit la

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voix sans lèvres, tu verras que c'est bien lamienne. »

Elle tendit sa main, un peu au hasard, vers le lit.

Le contact chaud des doigts de son frère faillit encorelui arracher un cri.

« Prends une chaise, assieds-toi près de moi,ferme les yeux pour croire que je suis comme avant.

- Oh! Sylvain, comment est-ce arrivé? Dis-moivite.

- C'est ma faute, Jacqueline, ma faute et lafatalité... Ah toi qui ne croyais pas à l'invention dePierrefitte!... J'aurais dû t'écouter quand tu m'as ditde jeter le carnet que je venais de trouver... »

II parlait péniblement, la voix brisée. Malgré lachaleur du lit, il claquait des dents :

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« Ce carnet appartenait au chimiste. Tu venais juste de me quitter quand j'ai trouvé l'adresse sur lacouverture. Tu sais comme j'avais envie de voir Pierrefitte. J'ai grimpé chez lui. Je ne pensais pas qu'ilme ferait entrer. Mais il était si content de retrouver son carnet.. et puis ma tête lui plaisait. Il m'a parlé deses expériences. Il avait envie de voir l'effet que

 pouvait produire l'homme transparent. Bref, devantmoi, il s'est rendu invisible. - Mais toi, Sylvain?

 — Son expérience finie, j'étais tellementemballé que je lui ai demandé de me rendre, moiaussi, transparent, juste quelques instants, pour le

 plaisir d'avoir été le premier. — Et il a accepté?... C'est odieux! — Ne l'accuse pas, Jacqueline, c'est ma faute. Il

ne voulait pas, sa découverte n'était peut-être pas toutà fait au point, il n'avait pas le droit d'abuser de maconfiance. Il a longtemps hésité, je t'assure, et

 pourtant je sentais qu'il en brûlait d'envie. Tucomprends, pour lui aussi c'était quelque chose dedécisif. Après cela, dès demain, il pouvait rendre

 publique sa découverte... Bref, il a consenti... Il m'afait une piqûre au bras; presque aussitôt je suisdevenu transparent. Je suis resté ainsi plusieursminutes, pas du tout effrayé. Pierrefitte l'était plusque moi; je sentais qu'il avait hâte de me rendre àmon état normal. C'est alors que la fatalité...

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 — Explique-toi vite, Sylvain! — Je me regardais dans une glace, quand

tout à coup, derrière moi, le savant a été pris d'uneviolente quinte de toux; ses lunettes sont tombées sur le plancher; il a voulu se baisser pour les ramasser.Comme il est très myope, il s'est heurté à une table;un flacon s'est renversé, un flacon d'alcool, et aumême moment une grande flamme a jailli. Tout celas'est passé si vite que je n'avais pas eu le temps

d'intervenir. « Sauve-toi! Sauve-toi! » m'a criéPierrefitte. J'ai voulu l'aider à éteindre le feu;

 presque aussitôt une formidable explosion s'est produite qui a défoncé les fenêtres. Nous noussommes retrouvés par terre, mais sans mal. «Sauve-toi! » m'a encore crié Pierrefitte. La fumée

nous prenait à la gorge, je me suis sauvé. J'ai cru quele chimiste me suivait. Dans l'escalier des genscriaient, affolés. Quelqu'un me frôla, qui hurla de

 peur. Sur le coup, je ne pensai pas que c'était moi quil'épouvantais. Je le compris seulement quand je meretrouvai sur le trottoir et que je vis des gens ouvrir 

des yeux affolés en me regardant. — Oh! Sylvain! — Alors la peur m'a pris à mon tour. Je me suis

mis à courir comme un fou pour m'engouffrer dans la première impasse venue. Il me semblait que

 je perdais la raison. J'ai cru que tout Paris me

 poursuivait. Malgré le froid, je

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me suis déshabillé et j'ai jeté mes vêtements dansun trou d'égout pour être tout à fait invisible. »

La voix s'arrêta un instant, comme si celui qui parlait revivait ces moments effarants. La tête dansles mains, les yeux fermés, Jacqueline soupiralonguement. Son frère reprit :

« J'étais transi. Une seule idée me hantait :rentrer chez nous. L'émotion, le froid me coupaientles jambes. En quittant l'impasse j'ai dû m'appuyer 

contre un mur avant de retrouver assez de forces.Pourtant je ne voulais pas mourir là, sur place. J'aimarché, en longeant les murs, grelottant. Une bouchede cave s'ouvrait au ras du sol; j'ai réussi à me glisser dedans. Il faisait bon; la chaleur du chauffage centralm'a ranimé.

- Pauvre Sylvain!- Je suis resté là une heure, deux heures, je ne

sais plus. Ah! Jacqueline, au moindre bruit, dans larue, je me mettais à trembler; il me semblait qu'onme pourchassait. Et puis, dehors, les bruits se sontespacés; il devait être très tard. Quand je n'ai plus

rien entendu, je suis sorti de ma cave. J'ai marchélonguement dans le froid, avant de retrouver lamaison. »

II se tut. Les yeux maintenant fixés sur le creuxde l'oreiller qui marquait la place de la tête,Jacqueline avait écouté ce long récit sans en perdre

un mot.

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« Et Pierrefitte, demanda Sylvain tout à coup,qu'est-il devenu? Il ne lui est rien arrivé? »

Jacqueline soupira, hésitante.« Jacqueline, il n'a pas été blessé?... Et sa maison

n'a pas brûlé tout entière? Son laboratoire n'a pasdisparu?... »

La jeune fille répondit :« Hélas! je crois qu'il ne reste pas grand-chose du

laboratoire. Avec maman, nous avons vu l'incendie;

nous sommes allées là-bas, croyant t'y trouver; presque tout l'étage a brûlé... Quant au chimiste, onnous a dit qu'il était blessé, brûlé aux mains. On l'aemmené à l'hôpital.

 — Blessé? répéta Sylvain... Mais ce n'est rien,dis-moi que ce n'est rien! Il ne va pas me laisser 

comme ça, invisible? Ce serait épouvantable! Ce n'est pas possible, pas possible... »

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CHAPITRE III 

L'AUTRE LABORATOIRE

EN RENTRANT du collège où il retournait pour la première fois depuis sa grippe, Robert Guénec

déclara :« Maman, tu sais, Sylvain Rambaud... depuisquinze jours on ne l'a pas revu.

 — Pourquoi n'aurait-il pas été malade commetout le monde?

 — Il y a autre chose. En rentrant, j'ai fait undétour pour passer chez lui. Tous les voletsétaient fermés.

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 — Les Rambaud ont peut-être eu un deuil quiles a obligés à s'absenter.

 — C'est ce que j'ai pensé, moi aussi. Pour lesavoir, je suis entré chez le marchand de charbon,leur voisin. Le bougnat me connaît, il m'a vu souventvenir chez eux. Sa réponse m'a suffoqué. LesRambaud auraient déménagé brusquement, il y a unedizaine de jours. Quant à savoir pour aller où...

 bernique! le bougnat n'a rien voulu dire; il avait

même l'air si embarrassé que cela m'a paru louche. Et je n'ai rien pu apprendre de plus. JamaisSylvain ne m'avait parlé d'un déménagement.

 — C'est curieux, en effet. — Sylvain est un de mes meilleurs amis. Pour 

quelle raison m'aurait-il caché ça? Ce départ

 brusqué m'inquiète. »Mme Guénec sourit, essayant de le tranquilliser.« Veux-tu que je te dise, Robert, tu lis trop de

romans policiers, tu finis par voir des affaires louches partout.

 — Non, maman, je t'assure que c'est sérieux. Je

l'ai tout de suite compris à la tête du bougnat. Ildoit être au courant. Pourquoi ne m'a-t-il pasdonné l'adresse?... Tiens, un autre petit détail. Sylvainm'avait emprunté un bouquin auquel il savait que jetenais, un bouquin de sciences, il ne serait pas partisans me le rendre..., ou il me l'aurait renvoyé.

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Tu sais, sans être négligent, il est possible queSylvain...

- Non, maman, il est arrivé quelque chose chezles Rambaud, quelque chose de très grave. »

Tout le reste de la soirée, Robert ne pensa qu'àson camarade. Le lendemain, au collège, ilquestionna ses camarades. Personne ne savait rien deSylvain, sinon qu'il avait laissé ses affaires sansmême les faire prendre par quelqu'un. A tout hasard,

il passa encore dans la rue Laura-Ancin pour questionner le bougnat. Celui-ci le rabroua, luienlevant toute envie d'insister.

Deux jours passèrent. Robert espérait, chaquesoir, trouver un mot de Sylvain. Rien. Le dimanchesuivant il s'apprêtait à sortir, quand on sonna à la

 porte.« Va ouvrir », dit Mme Guénec.Robert traversa le vestibule en pestant contre

cette visite qui allait peut-être lui faire manquer sonmatch de football. La porte à peine entrouverte, ilresta saisi. Sur le coup, il reconnut à peine la sœur de

Sylvain. En trois semaines son visage s'était fripé,creusé, et son regard, naguère si calme, avait quelquechose d'inquiet.

« Jacqueline! s'écria Robert. Qu'est-il arrivé? »

Il pensa tout de suite à un deuil, Sylvain étaitmort peut-être? Mais elle n'était pas vêtue de noir.

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« Entre, Jacqueline. »Mme Guénec, qui s'était avancée, ne put

s'empêcher, elle aussi, de montrer sa surprise.« Mon Dieu, Jacqueline, un malheur?... un

accident?... »La jeune fille se laissa lourdement tomber dans le

fauteuil qu'on lui avançait et sortit son mouchoir pour s'essuyer les yeux.

« Un accident!

 — Sylvain? — Oui! »Mme Guénec et Robert se regardèrent, n'osant

 poser d'autres questions. Effondrée dans son fauteuil,Jacqueline regardait autour d'elle, craintive, comme sielle avait peur d'être entendue par des oreilles

indiscrètes.« Oui, Sylvain, reprit-elle. Ah! si vous saviez... »D'une voix douloureuse, elle raconta

l'incroyables aventure de son frère.« Epouvantable ! reprit-elle. Quand Sylvain est

rentré ce soir-là, j'ai cru mourir de frayeur, et le

lendemain, à son réveil, maman a failli perdre laraison. Pendant deux jours, elle n'a plus su ce qu'ellefaisait. Ah! Robert, si tu voyais Sylvain, si tu sentais

 près de toi cette présence invisible, c'est effrayant. Ceveston sans tête, ces manches sans mains font de monfrère un fantôme. Depuis trois semaines nous vivons

tous dans un affreux cauchemar.

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- Mais il ne va pas rester ainsi! Ce n'est pas possible! »

Jacqueline secoua tristement la tête.« Si tu as lu les journaux, tu as appris que le

chimiste Pierrefitte est mort! Pendant quelquesheures, nous avons vécu dans l'espoir qu'il n'était quelégèrement blessé, qu'il pourrait rendre Sylvain à sonétat normal. Hélas! il est mort à son arrivée àl'hôpital. Il paraît qu'on n'avait pu l'empêcher de

revenir dans son laboratoire en flammes pour sauver ses découvertes. Et maintenant il ne reste absolumentaucune trace de ses inventions. C'est affreux! »

La jeune fille passa une main sur son front et seremit à pleurer.

« Ma pauvre Jacqueline! » soupira Mme Guénec,

 bouleversée, en lui prenant la main.« Pierrefitte est mort, reprit Robert, mais il existe

à Paris d'autres chimistes, d'autres savants... — Pierrefitte n'était pas un homme comme

les autres, il vivait en sauvage, ne voyait pour ainsidire personne et ne communiquait ses travaux que

lorsque les expériences étaient définitivement au point.- Personne ne connaît ses recherches sur 

l'homme invisible? — Sylvain en est persuadé, et moi aussi,

hélas !

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 — Oh! Jacqueline, pourquoi n'être pas venuenous trouver plus tôt?

 — Sylvain ne l'a pas voulu. En apprenant lamort de Pierrefitte, il a eu un tel choc qu'il n'a vouluvoir personne.

 — Même pas un médecin? — Par l'intermédiaire du marchand de charbon,

notre voisin, dont le frère est concierge à l'hôpital Necker, nous avons pu faire venir un savant, un grand

savant, paraît-il, qui s'occupe de biologie. Sylvain aconsenti à se laisser examiner. Ce médecin ne nous a

 pas caché qu'à l'heure actuelle, il n'était pas possiblede tenter quelque chose. Tout ce qu'il a pu nous

 promettre, c'est de se documenter auprès de sesconfrères, spécialistes en histologie... et de respecter 

notre désir d'éviter toute indiscrétion pour fuir les journalistes. Hélas! il faut croire que ceux-ciavaient eu vent de quelque chose; peut-être avait-onaperçu Sylvain lors de l'incendie? Des curieux sontvenus rôder devant la maison, ont sonné. Nousn'avons jamais ouvert. Cela devenait intenable...

Alors maman a décidé de partir. Tu sais, Robert, quenous avons une petite maison de campagne dans la banlieue, tout près de Villebou, une maisonisolée. Le marchand de charbon nous a aidés àdéménager l'essentiel. Il s'est montré très bonavec nous. Je le crois aussi discret.

 — Très discret, reprit Robert. Il m'aurait plutôt

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roué de coups de bâton que de me donner votreadresse... »

Jacqueline sourit faiblement. Tout à coup, ellesursauta. Quelqu'un venait d'entrer dansl'appartement. C'était M. Guénec. Tandis queJacqueline, son récit terminé, se reprenait à pleurer,Robert raconta vivement à son père le terribleévénement. Celui-ci fut aussi bouleversé que safemme et son fils.

« Comment, s'étonna-t-il, vous n'avez pas songéà nous, à notre aide? Evidemment, nous neconnaissons personne dans les milieux médicaux,mais qui sait?...

 — Sylvain ne voulait pas, répéta Jacqueline. Sivous saviez comme il a changé! Il passe par de

sombres moments de dépression. C'est encachette de lui que je suis venue. »

II y eut un long et pénible silence. « Mais alors,demanda M. Guénec, qu'envisagez-vous maintenant?

 — Nous n'osons plus espérer. — Avez-vous cherché à vous renseigner sur les

relations de Pierrefitte?- C'était un vieux sauvage.- Peut-être pas tant que ça. La preuve, il

s'était plu en la compagnie de Sylvain au point de luirévéler sa découverte.

 — En tout cas, il n'avait pour ainsi dire aucune

relation avec les gens de science; le biologiste qui a

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examiné Sylvain l'a lui-même affirmé. — Les journaux n'ont-ils pas dit qu'il possédait

une sorte de laboratoire en banlieue?- A Verrières, pas très loin de Villebon. On nous

a dit qu'on ne trouverait là-bas aucune trace de sesexpériences sur l'homme transparent.

- Ce n'est pas sûr. En tout cas, s'il est possibleque, dans les milieux scientifiques, lesrecherches ne puissent aboutir, il n'est pas dit que par 

ailleurs... »Puis, se tournant vers son fils : « Qu'en penses-tu,

Robert?- Je pense qu'il faut sauver Sylvain et que nous y

 parviendrons. Nous frapperons à toutes les portes. »Le ton du jeune garçon était si convaincu que

Jacqueline sourit pour le remercier.« Pour moi, reprit M. Guénec, un homme comme

Pierrefitte, si bizarre qu'il fût, n'était pas sansrelations. Un savant prend toujours ses précautions

 pour assurer la survie de ses découvertes. Je suisconvaincu que les précieuses formules qui permettent

de rendre le corps humain transparent existent encorequelque part.- Moi aussi, assura Robert avec force.- Oh ! puissiez-vous dire vrai, soupira

Jacqueline. Il me semble être plongée dans uncauchemar qui ne finira jamais...

 — Qui finira, Jacqueline, fit Robert en lui

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 prenant la main. Dis à Sylvain que nous nel'abandonnerons jamais... »

***

On était en février. Le froid demeurait vif. Lavoiture de l'architecte Guénec roulait à travers de

 petites villes de banlieue que l'aigre bise semblait

 paralyser. De temps à autre, des flocons de neigevenaient se coller contre le pare-brise.

D'un œil indifférent, Jacqueline regardait défiler ces paysages semi-campagnards. Il y avait un moismaintenant que « l'accident » était arrivé, et rienencore, absolument rien, ne pouvait laisser espérer 

que Sylvain retrouverait un jour son état normal.Pourtant M. Guénec n'était pas resté inactif. Dès lelendemain de la visite de Jacqueline il avait prospectéses relations, avec beaucoup de discrétion. Hélas! undes professeurs les plus éminents de la capitale,chimiste réputé, avait déclaré qu'en effet, à l'heure

actuelle, en France tout au moins, personne n'étaitcapable de réaliser la transparence du corps humain.La seule chance était donc de chercher si

Pierrefitte avait livré son secret à quelqu'un d'autreavant de mourir. C'est pour cela que l'architecte avaitorganisé cette petite expédition à Verrières.

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Assis près de Jacqueline, à l'arrière, Robert jetaitde temps à autre un regard vers la jeune fille dont ledécouragement faisait peine à voir. « Tu verras,disait-il, mon père a raison, c'est par là que nousaurions dû commencer. >>

Le trajet paraissait interminable. A Verrières,l'architecte dut s'arrêter plusieurs fois avant dedénicher le fameux laboratoire du chimiste.

« Sur la route d'Igny, à la, lisière du bois », leur 

indiqua-t-on.Ils finirent par découvrir un pavillon en briques,

 près duquel s'élevait une sorte de hangar à toiturevitrée qui pouvait être un ancien atelier de mécaniqueou une filature. En bordure du terrain, une pancarte

 portait l'indication : A VENDRE.

M. Guénec frappa à la porte du pavillon. Le bonhomme qui ouvrit regarda les arrivants d'un air un peu soupçonneux et fronça les sourcils.

« Vous ne savez donc pas que M. Pierrefitte estmort?

 — Il travaillait ici, n'est-ce pas?

- Puisque je vous dis qu'il est mort... D'ailleurs, iln'y a rien d'intéressant... Est-ce que vous êtes de la police? Vous venez pour enquêter? »

M. Guénec paya d'audace. « Non, pas de la police, dit-il en souriant. C'est ce terrain à vendre quim'intéresse.

 — Ah! le terrain? »

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Le bonhomme changea d'attitude. La méfiance fit place à la curiosité.

« Est-ce vous le propriétaire? demanda M.Guénec.

 — Non, pas moi, je suis locataire du pavillon etdu hangar que j'avais transformé autrefois en atelier.Le terrain appartient à une dame qui habite Paris.Vous avez peut-être l'intention de faire construire?

- Sans doute..., mais pas tout de suite. » M.

Guénec fit mine d'examiner le terrain comme si cetteaffaire l'intéressait réellement. Le bonhomme, quiavait certainement reçu de la propriétaire la missionde servir d'intermédiaire, tout au moins pour fairevisiter les lieux, se montrait maintenant presqueempressé. M. Guénec en profita pour amener la

conversation sur le chimiste. — Ah! oui, dit le bonhomme, ce pauvre

M. Pierrefitte a eu une bien triste fin. Nous lui avionssous-loué ce hangar, il y a huit ans. Tout le monde,dans le voisinage, disait qu'un jour il ferait sauter la

 baraque, mais ma femme et moi nous n'avions pas

 peur. M. Pierrefitte n'était pas dangereux. Je croisqu'il venait surtout ici pour être plus tranquille. Aumoins ce n'est pas la place qui lui manquait. Il y

 passait des jours entiers à faire des calculs et desexpériences. De temps en temps on le voyait sortir 

 pour fumer une pipe. Tout le monde prétendait que

c'était

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un ours; peut-être, mais pas avec nous. En toutcas, il nous payait toujours son loyer bienrégulièrement.

- Il avait beaucoup d'appareils?- Ah! monsieur, s'il en avait! Tenez, si ça vous

amuse, venez jeter un coup d'œil. Ah! on ne peut pasdire que le pauvre homme avait beaucoup d'ordre.Une chatte n'y retrouverait pas ses petits.

 Naturellement, après sa mort, personne n'est venu

chercher tout ça. Qui voulez-vous que ça intéresse? »Les visiteurs, à la suite du bonhomme, entrèrent

dans le hangar où régnait, en effet, un beau désordre.« Ce n'est pas moi qui l'ai mis dans cet état, dit le

 bonhomme en manière d'excuse, c'était toujourscomme ça, et il défendait à ma femme de donner un

coup de balai. »Pour faire le tour du local ils durent enjamber des

 bidons, des caisses, des bacs de verre, des cornues,des paquets de tubes à essais. M. Guénec regardaitd'un œil apparemment négligent ce matérielhétéroclite quand, tout à coup, apercevant une sorte

de placard contre le mur, il demanda :« Il rangeait sans doute ses papiers là-dedans? — Des papiers sans importance, car pour ce qui

est de ses recherches, vous pouvez croire qu'il nelaissait rien traîner. Il arrivait et repartait toujoursavec sa grosse serviette de cuir bourrée à craquer. »

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Pour prouver ce qu'il avançait, le bonhommeouvrit le meuble de bois blanc. Il contenait des fioleset quelques éprouvettes. Sur les étiquettes desflacons, on ne pouvait lire que des chiffres. Au bas du

 placard s'ouvrait un tiroir. Il ne renfermait que devieilles factures, des quittances, et trois ou quatreenveloppes à moitié déchirées, vides de leur contenu.Deux d'entre elles portaient un timbre étranger.

« Des timbres brésiliens, remarqua tout de suite

Robert qui faisait une collection. — Tu peux les prendre, fit le bonhomme, si ça

t'intéresse... »Robert fourra les morceaux d'enveloppes dans sa

 poche. Il n'y avait plus rien à voir dans ce hangar oùil faisait très froid. En refermant la porte, l'homme se

tourna vers M. Guénec :« Vous connaissiez M Pierrefitte?

 — J'en ai beaucoup entendu parler; je m'occupede travaux scientifiques, moi aussi. Vous m'avez ditqu'il bavardait quelquefois avec vous... Parlait-ilde ses découvertes?

- Oh! non, jamais, surtout pas de sesrecherches.- Recevait-il des amis, ici, à Verrières?

 — Non. — Connaissiez-vous sa mère qui vivait avec lui,

à Paris, et tenait son ménage?

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 — Je l'ai vue une fois seulement. Je ne sais cequ'elle est devenue depuis la catastrophe.

 — Il n'avait plus personne de sa famille? — Je ne pense pas... ou plutôt si, un neveu...

C'est vrai, je me souviens, un drôle de bonhomme qui est venu ici une fois, dans les premiers temps; je crois bien qu'il voulait soutirer del'argent à ce pauvre M. Pierrefitte.

 — Et vous sauriez où il habitait, ce neveu? » Le

 bonhomme se gratta la tête : « M. Pierrefitte m'enavait parlé un jour... Attendez, je crois que c'étaitdu côté de Montmartre, rue... Jean-Samuel ou un nomcomme ça... »

S'étonnant soudain de ces questions, l'homme seredressa :

« Mais pourquoi tout cela vous intéresse-t-il? »Comprenant qu'il n'en tirerait plus grand-chose,

M. Guénec se remit à parler du terrain à vendre,remercia le bonhomme en le traitant aimablement defutur voisin, et les trois visiteurs regagnèrent l'auto. A

 peine dans la voiture, Jacqueline soupira et dit :

« Vous voyez, monsieur, vous avez perdu votretemps pour rien...- Pour rien? reprit vivement Robert. Nous avons

l'adresse du neveu de Pierrefitte!- Un neveu qu'il ne fréquentait plus depuis

longtemps, tu as entendu ce que le bonhomme a dit.

 — Mais que nous pourrons tout de même

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rechercher et qui saura peut-être nous dire où setrouve la mère du chimiste, puisque personne, rueLaura-Ancin, n'a su nous renseigner... Et puis cesenveloppes qui viennent du Brésil... »

Jacqueline sourit, sceptique :« Du Brésil ! fit-elle.

 — Qui sait, reprit M. Guénec, il faut s'accrocher à tout, Jacqueline, quand on veut réussir. »

Soudain, s'arrêtant au bord de la route, il dit à son

fils :« Robert, montre-moi ces morceaux

d'enveloppes. »

Tous trois se penchèrent sur les papiers jaunis etabîmés. Ces deux lettres avaient bien été adressées auchimiste, à son domicile de la rue Ancin.

Malheureusement les cachets de la poste brésilienneétaient à peu près illisibles. Impossible de déchiffrer le lieu de départ qui devait commencer par un  s, ladeuxième lettre étant peut-être un a. En revanche, àl'aide de la loupe qu'il avait toujours dans sa poche,Robert put comprendre qu'une des lettres était datée

du 12 juin et l'autre du 27 du même mois.« Deux lettres de même provenance, aussirapprochées, tu ne trouves pas ça curieux? dit-il à son

 père. La personne qui écrivait à Pierrefitte n'était pasune personne quelconque, plutôt une sorte decorrespondant. Les timbres ne sont pas ceux d'un

affranchissement ordinaire. Ils sont

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de trois cruzeiros; les lettres devaient êtrelourdes. D'ailleurs, ça se voit, les enveloppes sontrestées un peu déformées. »

M. Guénec ne put s'empêcher de sourire devantl'assurance de son fils.

« Tu sais, Jacqueline, dit Robert soudainenthousiaste, dans les romans policiers c'est toujourscomme ça. On trouve par hasard un petit bout de filet puis un beau jour, crac! on découvre le peloton. »

Ils reprirent leur route en direction de Ville-bonoù l'architecte devait déposer Jacqueline avant derentrer à Paris. Après la sortie de la petite ville, la

 jeune fille demanda à M. Guénec de stopper. «Excuse-moi, Robert, dit-elle, j'aurais voulu que tuvoies mon frère. Il ne veut recevoir personne...,

même pas toi. Et pourtant,

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tu es son meilleur camarade. Il faut lui pardonner, il a tellement changé. »

Robert ne répondit pas. Les larmes aux yeux,Jacqueline remercia encore M. Guénec et descenditde voiture.

La nuit tombait, une nuit froide de fin d'hiver,grise et humide. La jeune fille se dirigea en se hâtantvers une petite maison très modeste, située à deuxcents mètres de là, au bout d'un jardinet.

« Tant pis, dit brusquement Robert, Sylvain neveut voir personne, mais moi je veux lui dire que toutn'est pas perdu. »

II s'élança sur la route et rattrapa Jacquelinecomme elle arrivait devant le jardinet.

« Mon Dieu! s'écria-t-elle en sursautant.

- Je sais, dit Robert, il ne veut pas. Mais alors, àquoi servirait un ami? »

Et il entra avec elle. Ce fut Mme Rambaud quiles reçut, avec un mouvement de surprise enapercevant Robert.

« Où est Sylvain? demanda Jacqueline.

 — Il a passé toute la journée dans la salle àmanger.- Comment est-il?

 — Toujours déprimé. »Embarrassée, Mme Rambaud se demandait ce

qu'elle devait faire, quand tout à coup on entendit

tirer un verrou, une porte s'ouvrit. Pourtant averti,

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Robert serra les mâchoires pour contenir sonémotion à la vue de cette sorte de mannequin sanstête qui s'avançait vers lui. Maladroitement, il dit, lavoix tremblante :

« Sylvain, tu me reconnais? Je suis RobertGuénec, ton camarade de classe... »

Un petit rire forcé secoua les épaules dumannequin :

« Ah! toi aussi tu t'imagines que je suis devenu

fou, que j'ai perdu la mémoire et que je ne te vois pas!... Rassure-toi, je constate que, malgré le froid, tuas une excellente mine... et que tu portes une cravateneuve, cadeau d'anniversaire, sans doute? •»

Le ton ironique fit mal à Robert qui avait reculéd'un pas.

« Tu vois, pourquoi es-tu venu puisque je te fais peur? Tu n'oses même pas me serrer la main! »

Le jeune Guénec hésita devant la manche droitedu mannequin qui se soulevait et s'avançait. Lecontact de la main invisible lui fit passer un frisson àtravers le corps.

« Eh bien, mon vieux, il fait si froid que çadehors, pour que tu trembles de la sorte? »Robert se sentit un instant désemparé. Dire que

Sylvain était autrefois un si chic camarade! Sereprenant, il pensa soudain qu'à l'ironie mieux valaitrépondre par l'ironie. Il eut le courage de plaisanter,

assurant à Sylvain qu'il avait une tache sur la joue

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droite, sérieusement besoin de passer chez lecoiffeur et de se couper les ongles.

« Vraiment, insista-t-il, toi non plus tu n'as paschangé... Seulement je te préviens, quand tu souris,on voit ta dent qui se gâte; il faudra aussi passer chezle dentiste. »

Surpris à son tour, Sylvain se tut, puis soudain semit à rire pour la première fois depuis un mois.Robert sentit une main se poser sur son épaule et le

 pousser vers la petite salle à manger où brûlait un feude bois.

« Ah! soupira Sylvain, dire que personne necroyait à l'invention de Pierrefitte! »

Et pour son camarade, il reprit le récit de sonétrange aventure. Peu à peu Robert s'habituait à cette

voix qui semblait sortir du vide, une voix qui paraissait presque différente, tant on est habitué à lier les mouvements du visage, l'éclat du regard, aux

 paroles sorties des lèvres. Et à mesure que Sylvain parlait, il éprouvait de plus en plus le sentiment quetout n'était pas fini, que le secret de Pierrefitte n'était

 pas perdu pour toujours, qu'un jour Sylvainredeviendrait le joyeux camarade qu'il avait connu etqu'il aimait.

« Sylvain, dit-il, moi, j'ai confiance. Ta sœur etmoi nous avons juré de réussir... et nous tesauverons... »

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CHAPITRE IV 

PANIQUE SUR LE BOUL' MICH'

« Tu SAIS, papa, tu te moques de moi avec mesenveloppes, mais je suis presque sûr que,  si un jour nous trouvons quelque chose, ce sera de ce côté-là.

- A condition de savoir qui les a adressées àPierrefitte.

 — Nous le trouverons. — En attendant nous n'avons pas encore pu

mettre la main sur le neveu du chimiste qui, lui,habite pourtant beaucoup moins loin.

- Il n'y a que deux jours que nous sommes allés à

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Verrières..., mais j'ai eu une idée. Cet après-midi, j'ai demandé à un agent où se trouvait la rue Jean-Samuel.

- Et il ne l'a pas trouvée, lui non plus?- Non... Mais dans le XVIIIe arrondissement, il y

a une rue Jean-Savel. Notre bonhomme de Verrièresa pu se tromper; en les prononçant un peu vite, lesdeux noms se ressemblent. »

L'architecte regarda son fils en souriant : « Ma

 parole, tu ferais un bon détective.- Le plus ennuyeux, reprit Robert, c'est que cette

rue est assez longue : une centaine de numéros !Tant pis, nous frapperons à toutes les portes s'il

le faut. »Dès le lendemain, ils se mirent en campagne.

Cette rue Jean-Savel était une sorte de longue ruelletortueuse serpentant derrière la Butte, dans unquartier totalement inconnu des Guénec. Comment yretrouver quelqu'un dont ils ne connaissaient pasmême le nom? Car il n'était pas certain que le neveus'appelât Pierrefitte, comme l'oncle.

Sans être mal famée, la rue Jean-Savel n'avaitrien d'attrayant. Elle n'était qu'un fouillis de vieillesmaisons au bout de couloirs sans fin, au fond decours sombres comme des caves. Le premier soir, le

 père et le fils rentrèrent exténués après avoir grimpécombien d'escaliers branlants, frappé à combien de

 portes, pour 

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s'entendre chaque fois répondre : « Pas dePierrefitte ici. »

Mais Robert ne se décourageait pas. Lesurlendemain, ils venaient de visiter en vain unedouzaine de maisons, pour la plupart dépourvues deconcierge, quand au quatrième étage d'un vieilimmeuble, ils tombèrent sur un petit bonhommechauve, d'une cinquantaine d'années, qui, enentendant prononcer le nom de Pierrefitte, fronça les

sourcils.« Le neveu de Pierrefitte, oui, c'est moi. Que lui

voulez-vous? »II faillit leur fermer la porte au nez puis, se

ravisant, déclara : « Des renseignements sur lechimiste? Vous tombez mal. Pour tout dire, je ne le

voyais pas, je n'étais pas avec lui. »M. Guénec s'empressa de dire qu'il cherchait

l'adresse de la mère du savant.« Ah! sa mère... Ma foi, je sais qu'après

l'incendie elle a dû être hospitalisée quelques jours;depuis, je ne sais pas...

 — Où pourrait-elle être? — Je vous répète que je ne sais rien. Tout ce que je peux vous dire, c'est qu'elle a une cousine ou unenièce en Normandie... à Villeneuve-en-Bray, ce doitêtre du côté de Rouen. »

Le bonhomme se tenait toujours dans

l'entrebâillement de la porte. M. Guénec tenta encore

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de lui demander s'il connaisssait les relations deson oncle avec des chimistes français ou étrangers,mais l'autre secoua la tête et, excédé, referma

 brutalement la porte.Robert et son père rentrèrent à la maison, déçus.

Sans doute possédaient-ils une nouvelle adresse, maisil était probable que la vieille femme, s'ils laretrouvaient, ne savait pas grand-chose. D'aprèsSylvain, elle avait au moins quatre-vingts ans et elle

devait commencer à radoter.« Tant pis, déclara Robert, nous irons là-bas. »Le dimanche suivant, M. Guénec et son fils

 prenaient la route pour Villeneuve-en-Bray,minuscule village enfoui au milieu des pommiers.

« Ah ! oui, leur dit-on dans l'auberge où ils

s'adressèrent, la mère du vieux fou qui a fait sauter sa baraque!... Vous la trouverez au hameau des Feuillus,au bord de la rivière. »

Après avoir manqué deux fois de s'enliser dansun chemin bourbeux, ils découvrirent enfin la ferme.Une vieille petite femme tout en noir prenait le soleil

sur le pas de la porte. Ils s'approchèrent. La vieille lesregarda d'un mauvais œil.« Non, non, pas de journalistes! » s'écria-t-elle en

agitant la main.M. Guénec, pour la mettre en confiance,

commença par s'extasier sur les géraniums déjà

fleuris, au rebord d'une fenêtre. Puis, de fil en

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aiguille, arriva à la catastrophe de la rue Laura-Ancin.

« Ah! ne m'en parlez pas, soupira-t-elle, je medemande comment je ne suis pas morte d'émotion. »

L'architecte la rassvira. L'entraînant un peu àl'écart de la maison, il lui demanda si elle sesouvenait du jeune garçon qui, le soir de l'incendie,était venu frapper à la porte du chimiste.

La petite vieille rassembla ses souvenirs :

« Oui, je me rappelle, mon fils l'avait fait entrer;il rapportait un carnet. Ils sont restés longtempsensemble dans le laboratoire...

 — Justement, votre fils a voulu tenter sur lui sonexpérience sur la transparence du corps..., et c'est à cemoment-là que l'incendie a éclaté. Le corps de ce

 jeune garçon est resté invisible. »La petite vieille ne parut pas se rendre compte de

ce que cela signifiait. Puis regardant Robert :« Pourtant, je vois...- Non, ce jeune homme est mon fils. Il s'agit d'un

de ses camarades.

 — Invisible? reprit-elle. Vous dites qu'il estresté invisible? Mon Dieu! est-ce possible?- C'est pour cela, pour essayer de le sauver, que

nous sommes venus. Peut-être votre fils voustenait-il au courant?

 — Il ne me parlait de rien.

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 — Mais il avait des relations? » La bonne vieillesecoua la tête;

« II ne voyait personne, pour ainsi dire. — Il n'avait pas d'amis? — Je ne lui en ai guère connu qu'un seul. Il

l'avait rencontré autrefois, pendant la guerre d'e14.

 — Un chimiste, comme lui? - Je crois.

- Où habite-t-il? »La petite vieille eut un geste évasif : « Oh! très

loin, monsieur, pour ainsi dire au bout du monde! »

Robert ne put retenir son émotion. Il pensaaussitôt aux enveloppes.

« Au Brésil, peut-être?

 — Justement, au Brésil... Mais comment lesavez-vous? »

Robert se mordit la langue. Heureusement, lavieille femme n'insista pas.

« Et vous le connaissez? demanda vivement M.Guénec.

- Il a vécu plusieurs années en France, après laguerre. Il venait parfois , chez nous; un hommecharmant, d'ailleurs. Il s'appelait Antonio Rodrigues.

- Et au Brésil, vous connaissez son adresse? Ilhabite à Rio?

- Non, pas à Rio, à Santos. Voyez si j'ai encore

 bonne mémoire, malgré mes quatre-vingt-un ans ! Je

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peux même vous dire l'adresse : avenue Marajo,numéro 16. »

L'architecte nota aussitôt cette adresse etdemanda encore :

« Savez-vous s'ils étaient toujours en relation?- Hélas! je ne pourrais vous dire; autrefois, c'était

moi qui portais le courrier à la poste, mais depuisquelques années, à cause de mes jambes... Non,vraiment, je ne sais pas. Mais vous pouvez écrire.

Vous direz que c'est de ma part, il se souviendracertainement de moi. Ah! s'il pouvait vous aider...Voyez-vous, mon fils passait pour un sauvage, maissi dans sa tombe il savait ce qui est arrivé à ce jeunegarçon, il en serait très malheureux. »

Quand ils quittèrent la vieille femme, Robert lui

aurait volontiers sauté au cou.« Tu vois, dit-il triomphalement à son père en

remontant en voiture, les timbres avaient raison!C'était le petit bout de fil qui nous fera trouver le

 peloton. »Ils rentrèrent trop tard à Paris pour aller le soir-

même jusqu'à Verrières; mais dès le lendemainmatin, tant pis pour le collège, Robert fila jusque là- bas pour annoncer la nouvelle.

Hélas! il trouva la petite maison de Villebon enémoi. La veille, alertés par on ne sait quelleindiscrétion, des journalistes avaient rôdé autour de la

maisonnette, mettant Sylvain au

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comble de la fureur. L'un d'eux s'était mêmemontré presque insolent envers Jacqueline quiessayait de réconduire. Un autre s'était introduit dansle jardin et avait photographié la maison sous tous sesangles.

« Je te remercie, Robert, soupira Mme Rambaud.Je veux, comme toi, me raccrocher à cet espoir, maisen attendant, d'ici quelques jours, la vie ne sera plustenable ici. »

Mis au courant au retour de Robert, M. Guénecdécida, pour dérouter les curieux, de faire venir Sylvain à Paris, chez lui.

« Bonne idée, déclara Robert, je me charge de ledistraire. Et s'il veut travailler, en attendant deretrouver son visage, je lui passerai mes cours. »

Ainsi fut fait. Une nuit, M. Guénec alla chercher Sylvain. On l'installa dans une chambre qui nedonnait pas sur le vestibule et où personne ne pouvait

 pénétrer à l'improviste.

*

**

Expédiée par avion, la lettre mettrait bien deuxou trois jours pour atteindre le Brésil. Même si l'amide Pierrefitte répondait par retour du courrier, il nefallait pas espérer la réponse avant une bonne

semaine.

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Cette attente parut à tous effroyablement longue.Chaque jour, Jacqueline venait aux nouvelles.

Enfin, un matin, le facteur apporta une lettrerecommandée, ornée de timbres étrangers. MmeGuénec était seule à la maison, seule avec Sylvainqui, dans sa chambre fermée à clef commed'habitude, n'avait sans doute pas entendu ouvrir. Lafemme de l'architecte examina longuementl'enveloppe avant d'oser l'ouvrir. Pourtant, le fait que

la lettre arrivait dix jours seulement après l'expéditionde celle de son mari, le fait aussi qu'elle étaitrecommandée, lui parurent favorables. Elle se décidaà la décacheter. Elle était libellée en français, etmême en excellent français.

Une fine écriture serrée couvrait toute une page.

 Monsieur,

 La nouvelle de la mort de mon vieil ami

 Pierrefitte me touche profondément. Je n'avais rien

reçu de lui depuis trois mois, mais je ne supposais

 pas qu'il n'était plus. L'autre nouvelle, V « accident » survenu à ce jeune garçon, me bouleverse également.

Sous le sceau du secret, je puis vous dire que je suis

au courant des recherches d'Etienne Pierrefitte sur 

l'homme transparent. Il me les a communiquées il y a

environ six mois, alors que ses essais sur des souris

et des cobayes se révélaient concluants. Il me disait 

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alors ses hésitations à lés répéter sur   l'homme.

 Il m'avait fait promettre de ne pas divulguer ses

expériences, mais je connais assez les sentiments

humains de mon vieil ami pour penser que, dans uncas semblable, il m'autoriserait à utiliser ses

recherches.

 J'ai donc étudié ses notes. Malgré mon grand 

désir de vous venir en aide, je ne vous cache pas les

difficultés de tous ordres qui me rendront difficile la

réalisation des expériences de Pierrefitte. Certains sels et surtout certain alcaloïde, provenant d'une

 plante extrêmement rare, seront difficiles à trouver.

 Mais le salut d'un homme est en jeu. Je ferai tout 

mon possible pour réussir.

Antonio RODRIGUES.

Mme Guénec relut deux fois la lettre. Puis ellecourut frapper chez Sylvain : « Sylvain!... « II » arépondu! »

Elle tendit la feuille que saisirent des doigts

invisibles. Elle vit le papier rester immobile dans levide, puis se mettre à trembler. Et tout à coup dessanglots emplirent la chambre. Sylvain pleurait,terrassé par cet espoir soudain, par cette luexir deréconfort qui venait de si loin.

Quand, en rentrant du collège, Robert apprit la

nouvelle, il sauta de joie.

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« Ça y est, Sylvain, le cauchemar va finir! Mestimbres avaient raison! Je prends ma bicyclette et jevole à Villebon prévenir Jacqueline. »

Pendant plusieurs jours, tous vécurent dansl'optimisme. Ce n'était plus qu'une question de temps,de quelques semaines, et Sylvain oublierait soncauchemar.

Hélas! cette flamme ne dura pas. A force deréfléchir, Sylvain ne songea plus qu'aux difficultés, à

tout ce qui pourrait empêcher le savant brésilien derenouveler l'expérience de Pierrefitte... Et qui sait sicet Antonio Rodrigues qui, certainement, n'était plustrès jeune, n'allait pas, lui aussi, disparaître avantl'heure du salut?

Il en perdit l'appétit et le sommeil. Depuis bientôt

deux mois qu'il vivait en reclus, il s'anémiait. Peu à peu, la vie bruyante de Paris lui devenait étrangère.Pourtant, tandis qu'il ruminait toutes sortes de

 pensées dans son fauteuil, dehors, à mille petits riens,au pépiement des oiseaux sur les branches encorenues, au visage moins crispé des passants, on devinait

l'approche du printemps.« Mon vieux Sylvain, déclara Robert un jour, tune peux pas toujours rester là à broyer du noir. Tiens,

 je me souviens de l'histoire d'un petit noir qui selamentait de n'être pas blanc comme tout le monde etqui avait trouvé le moyen de le devenir, pour un jour.

 — Que racontes-tu?

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 — C'est demain Mardi gras, Sylvain, les masquesvont déambuler dans les rues. L'occasion est unique.

 Nous nous déguisons et je t'emmène sur les boulevards I »

Sylvain commença par protester; les regards braqués sur lui rappelleraient de trop mauvaissouvenirs. D'ailleurs, Paris lui était devenuindifférent. Robert ne l'écouta pas. Il rapporta deuxmasques et, le lendemain, déguisés de la tête aux

 pieds, les deux amis sortirent dans Paris.On était aux premiers jours de mars. Il faisait

 presque beau. Aux nuages gris se mêlaient deslambeaux de ciel bleu. L'air était tiède, léger àrespirer. Tout d'abord, à la rencontre des premiers

 passants, Sylvain se sentit gêné. On allait reconnaître

l'artifice, les gens allaient fuir épouvantés. Mais non,au contraire, les Parisiens souriaient devant cesmasques grotesques.

Alors, ils déambulèrent dans les rues. Peu à peu,Sylvain oubliait qu'il n'était plus comme les autres.Avec son masque, son chapeau, ses gants, rien ne

 pouvait lé trahir. Et il pensait au temps heureux où ilrevenait du collège, avec Robert, en chahutant. Paris,qu'il croyait maintenant détester, retrouvait sonaimable visage.

« Si nous allions faire un tour près de la Seine? »C'était lui, maintenant, qui dirigeait la balade,

entraînait Robert. Ils suivirent les quais,

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s'arrêtèrent devant les bouquinistes, cherchantmême, pour s'amuser, une édition de  L'Homme

invisible, de Wells. De là ils remontèrent le boulevardSaint-Michel, dont Sylvain avait oublié l'animation.La balade était longue. Sylvain avait un peu trop

 présumé de ses forces. Depuis si longtemps il nemarchait plus. Arrivés près du jardin du Luxembourg,il proposa :

« Si nous nous asseyions un peu? »

Ils entrèrent dans un café où personne ne parutsurpris de leur accoutrement.

« Ton idée était fameuse, Robert. Cette petiteescapade me fait du bien; elle me donnera du courage

 pour attendre. »Ils bavardaient tranquillement depuis un moment,

devant une tasse de café, quand tout à coup, à traversles vitres embuées, Sylvain crut remarquer, dehors,une animation anormale.

« Que se passe-t-il? — Un défilé de masques, sans doute. — Non, autre chose... Regarde... Des agents?

 — Peut-être un accident, le carrefour estassez dangereux. »Mais Robert avait à peine achevé que des agents

 pénétraient dans le café, laissant l'un d'entre euxmonter la garde près de la porte.

« Une descente de police, murmura quelqu'un

 près d'eux. Un voleur vient sans doute d'opérer dans

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le quartier et il s'est caché dans un café. »Sylvain se sentit pâlir sous son masque. Une

descente de police, cela voulait dire : vérificationsd'identité.

, Rapidement, les agents s'étaient répandus dansla salle presque comble et, naturellement, tous lesregards convergeaient vers Robert et Sylvain que leur déguisement rendait suspects.

« Ne t'inquiète pas, dit Sylvain à voix basse, s'il

m'arrive quelque chose je tâcherai de me débrouiller. Ne t'occupe pas de moi. »

Des agents s'approchèrent de leur table.« Enlevez ce masque », firent-ils en s'adressant à

Robert.Robert s'exécuta et montra sa carte d'identité dont

l'agent releva le numéro sur un carnet.« Et vous? »Sylvain hésita : « Je ne peux pas... J'ai une

 blessure au visage... Je suis défiguré. »L'agent insista, brutalement :« Pas d'histoire! Enlevez-moi ça! »

Sylvain comprit que toute nouvelle protestationétait inutile. Alors, d'un geste vif, il arracha sonmasque. Des cris de stupeur partirent dans la salle.L'agent lui-même, complètement ahuri, avait reculéd'un pas. Le policier qui se tenait près de lui, voulantse montrer crâne, étendit la main pour se rendre

compte de l'existence réelle d'une tète au-dessus des

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épaules. Il heurta le front de Sylvain et recula à sontour en  lâchant un juron. Après une seconded'hésitation, Sylvain comprit que c'était le moment de

 payer d'audace. S'étant prestement débarrassé de sesgants, il agita les bras. Les manches vides produisirentimmédiatement un effet extraordinaire. De nouveauxcris partirent, des cris de femme surtout. Comme untroisième agent arrivait en renfort, Sylvain, utilisant satête comme invisible boutoir, le bouscula rudement. Le

désarroi fut général. Profitant de ce trouble, Sylvain seglissa derrière le comptoir où il se dévêtitcomplètement; et tout à coup, on vit apparaître un balai

 brandi dans le vide, faisant des moulinets au-dessus destêtes. La panique atteignit son comble. Des hurlements

 jaillirent, dans tous les coins du café. Lesconsommateurs se ruèrent vers la sortie. Sans se rendrecompte

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de ce qu'elle faisait, une femme se jeta contre unevitre pour gagner la rue au plus vite. En tombant, laglace se fracassa dans un bruit infernal. En un clind'œil le café fut vide. Les agents eux-mêmes,complètement débordés, avaient pris le large. Dans lecarrefour, le désordre était indescriptible. Toute lacirculation, si intense à cet endroit du Boul’ Mich', setrouvait paralysée. Beaucoup de gens, ignorant ce quis'était passé, parlaient d'une émeute. Robert, qui avait

fui, ou plutôt fait semblant de fuir comme tout lemonde, commençait à s'inquiéter pour Sylvain. Al'écart, le long des grilles du Luxembourg, il arpentaitle trottoir, se demandant ce qu'il devait faire.

A tout hasard, pensant que son camaradesongerait peut-être à le retrouver là, il entra dans le

 jardin où la foule était moins dense. Tout à coup, ilsursauta au contact d'une main sur son épaule et seretourna :

« Robert, c'est moi!... Vite, sauvons-nous, jecrève de froid... Appelle un taxi! »

Ils durent attendre un bon quart d'heure avant de

trouver une voiture. Enfin un chauffeur s'arrêta ausigne de Robert qui ouvrit la portière et fit entrer d'abord Sylvain. Durant tout le trajet, ils nesoufflèrent mot. Jamais le chauffeur ne saurait qu'ilvéhiculait l'homme invisible de Wells. Une demi-heure plus tard les deux copains se retrouvaient dans

la chambre

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de Sylvain. Alors, Robert explosa : «Formidable, Sylvain! Tu as été formidable!... Jamais

 je n'aurais cru!... Je t'assure, quand j'ai vu les agentsentrer, je me demandais comment nous nous ensortirions... J'ai l'impression que ta petite balade dansle Quartier latin va faire du bruit. »

Du bruit, certes, elle en fit ! Le lendemain matinde gros titres paraissaient sur tous les journaux, aussivariés, aussi extravagants les uns que les autres :

 L'homme invisible existe réellement!

ou :

Un monstre invisible sème la panique dans le

Quartier latin!

ou encore :

Un balai hanté

 provoque un embouteillage monstre sur le

boulevard Saint-Michel!

Dans les articles qui suivaient, il était tantôtquestion d'une agression, tantôt d'un formidable «canular », tantôt d'une angoissante réalité. Et les mots« monstre invisible » revenaient à chaque instant sous

la plume inquiète des journalistes.

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Dans plusieurs de ces journaux on pouvait voir des photos montrant la devanture saccagée du café, le

 balai hanté, ou même les vêtements du « monstre »retrouvés derrière le comptoir. Et presque tous lesarticles, afin de rassurer les Parisiens, se terminaientainsi : « Si réellement ce monstre existe, il faudra

 bien le retrouver. »« Pour me retrouver, fit Sylvain en riant, ce sera

 plutôt difficile. C'est une chance, je n'avais aucun

 papier sur moi. »En somme, cette aventure, qui aurait pu finir 

tragiquement, avait eu pour conséquence de redonner confiance à Sylvain. Ses nerfs étaient plus solidesqu'il l'imaginait. Il s'habituait à la peur des autres. Sivraiment un jour il redevenait normal, il repenserait

longtemps à cette extraordinaire balade sur le boulevard!

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CHAPITRE V 

A BORD DU « TRAS-OS-MONTES »

Santos, 18 mars.

JE VIENS vous mettre au courant des travaux que

 je poursuis. Les formules de mon ami français m'ont 

 permis de réaliser, hier, la transparence de la cellulevivante. Deux cobayes et une souris sont devenus

 parfaitement invisibles. En revanche, l'opération

inverse n'est pas au point. Plusieurs sels obtenus en

 partant de l'acide paritique présentent une extrême

instabilité. De son côté, l'alcaloïde appelé termigane,

extrait d'une plante rare en Amérique du Sud, se

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décompose avec une très grande rapidité. Dès

que la contre-expérience sera au point, je vous le ferai

 savoir.

Antonio RODRIGUES.

Santos, 3 avril.

 A mon grand regret, je ne puis apaiser votre

inquiétude. L'instabilité du termigane est telle que les

contre-expériences n'ont pu réussir parfaitement. Lesdeux cobayes et la souris n'ont repris

qu'imparfaitement leur aspect normal. Seuls les os et 

certains tissus cartilagineux ont retrouvé leur aspect 

 primitif. Je vais renouveler les expériences sur 

d'autres animaux.

Antonio RODRIGUES.

Santos, 30 avril.

 La contre-expérience a, cette fois, parfaitement 

réussi. D'ores et déjà, je crois pouvoir affirmer qu'elle

est valable pour l'homme, sans aucun risque.

Cependant, l'instabilité que je vous ai signalée

 précédemment me parait être un obstacle important 

 sinon capital. De même pour le composé obtenu au

départ du bichl-rure d'éthyle, lequel est sensible à la

lumière et surtout aux trépidations. Il n'est donc pas

 possible de les faire parvenir en France, même par 

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avion. Il faut envisager de faire préparer tous ces

éléments, sur place, par un chimiste français, ce qui,

malheureusement, demandera du temps et aussi, bien

entendu, une compétence sûre, étant donné ladélicatesse de certains dosages. A mon avis, le mieux

 serait de m'amener ici, à Santos, votre jeune et 

infortuné protégé. S'il acceptait de se rendre au Brésil,

vous devriez me faire connaître la date exacte de son

arrivée, afin que tout soit prêt en temps voulu, car 

ainsi que je vous l'ai peut-être signalé, la stabilité dutermigane n'excède pas une dizaine de jours. J'attends

votre décision.

Antonio RODRIGUES.

Cette dernière lettre, après la lourde inquiétudelaissée par les deux autres, arracha un cri de triompheà Robert. Il se précipita dans la chambre de soncamarade en criant :

« Sauvé! Tu es sauvé!... Tiens, lis! »Sylvain saisit vivement la lettre et lut d'un trait les

lignes serrées du Brésilien. Puis sa main retomba, et le papier glissa sur le plancher.

« En Amérique?... Tu es fou! — Pourquoi pas? — Mon pauvre Robert, tu n'y penses pas! En

Amérique, moi qui n'ai même pas pu me balader dans

Paris sans faire scandale... Et d'abord,

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où trouver l'argent? Non, mon vieux, c'estinsensé. Il faudra chercher quelqu'un en France.

- Tu as vu ce que dit Rodrigues? Ce seraithasardeux. On ne joue pas avec ces choses-là... »

Le soir même, dès que Sylvain se fut retiré danssa chambre, une grande discussion eut lieu entre lesGuénec. Ce fut le bouillant Robert qui l'amorça.

« Voyons, maman, que penses-tu de tout ça?- Qu'il faut agir... et au plus vite.

- Evidemment, fit l'architecte, agir au plus vite, par conséquent envoyer Sylvain là-bas. A premièrevue, cela paraît difficilement réalisable, et pourtant...Dès demain, j'irai voir Mme Ram-baud et Jacqueline.

 — Hélas! tu connais leur situation matérielle,elle n'est pas brillante. Auront-elles les moyens?

 Naturellement, Sylvain ne pourrait faire seul latraversée, il faudrait l'accompagner. Combien

 peuvent coûter deux traversées aller et retour pour le.Brésil?

 — Cher, évidemment... Mais je pense... — Bien sûr, moi aussi je pense que nous

 pouvons les aider. — Et moi aussi, dit vivement Robert. Je mefaisais une cagnotte pour les vacances, jel'abandonne.

 — Reste à savoir si Mme Rambaud acceptera,dit Mme Guénec. Je la connais, elle est tellement

scrupuleuse.

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 — Ah! coupa son mari, il s'agit de la santé, de lavie de Sylvain, elle ne peut pas s'y opposer. Ce n'estd'ailleurs pas elle qui m'inquiète, mais Sylvain.Voudra-t-il accepter?

- S'il ne veut pas, assura Robert, je mecharge de lui.

 — Mais qui l'accompagnera? demanda MmeGuénec. Certainement pas sa mère, la pauvre femmeest trop fragile et, d'un autre côté, Jacqueline

me paraît bien jeune. »L'architecte ne répondit pas. Il se frotta le

menton, puis, au bout de quelques instants :« J'ai beaucoup de travail en ce moment, surtout

avec ces nouveaux projets de groupe scolaire àAubervilliers, mais tout peut s'arranger; j'en serai

quitte pour prendre mes vacances maintenant et je merattraperai au mois d'août. Qu'en pensez-vous?

 — Bien sûr, papa, il n'y a pas d'autre solution. » — Le lendemain matin, de bonne heure,

l'architecte partait pour Villebon. Mme Rambaud, levoyant arriver de si bonne heure, s'imagina qu'un

accident était arrivé à Sylvain. Sur le coup, la lettre laremplit d'espoir, mais quand M. Guénec expliqua cequ'il avait projeté avec sa femme, elle s'affola.

« Non, dit-elle, je ne peux pas, je ne peux pasvous demander pareil service. Vous avez déjà tantfait pour Sylvain... »

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Avec beaucoup d'autorité et de douceur,l'architecte lui fit admettre qu'il n'était pas question dediscuter l'opportunité d'un départ pour le Brésil etque, par conséquent, toute objection riait superflue.Plus tard, quand Sylvain serait guéri, on reparleraitdes questions d'argent.

Ainsi, malgré quelques protestations de Sylvain,le voyage fut décidé. Il se ferait par bateau. Sylvain,en effet, ne voulait pas entendre parler de l'avion;

d'abord à cause du prix de la traversée, ensuite parcequ'à bord d'un avion il lui serait absolumentimpossible de ne pas révéler son « infirmité »,comme il disait. Pour rien au monde il ne voulait êtrela proie des journalistes auxquels, depuis lèsincidents de Villebon, il avait voué une haine terrible.

« Mon vieux, blaguait Robert, une croisière auBrésil! Monsieur ne se refuse rien! Dommage quePierrefitte ne m'ait pas rendu invisible, moi aussi!Quel chic voyage nous aurions fait ensemble! Tu vasme donner des regrets! »

En attendant, il fallait songer aux préparatifs.

Retenu dans ses bureaux et sur les chantiers pour régler toutes sortes d'affaires avant cette longueabsence, M. Guénec ne pouvait guère s'en occuper.Ce fut Robert qui s'en chargea. Au sortir du collège,il se précipitait dans les agences de voyages,s'informant des prochains départs pour l'Amérique du

Sud. Ce n'était pas aussi facile qu'il l'imaginait, peu

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de navires faisant directement la traverséeFrance-Brésil. On finit par lui indiquer un bateau

 portugais, un paquebot de 25 000 tonnes qui, partantde Hambourg le 18 mai, ferait escale au Havre le 19,et de là filerait sur Rio après de brèves escales àLisbonne et Dakar. Chaque soir, Sylvain et Robert se

 penchaient sur des cartes, suivaient l'itinéraire dunavire, regardaient des vues du Brésil, des photos deRio de Janeiro, trouvées dans des revues.

« C'est vrai, répétait Robert, j'accepterais de boncœur de devenir invisible pour aller avec toi là-bas. »

Quant à Mme Rambaud et Jacqueline, elles nesavaient que croire. A l'immense soulagement de

 penser que Sylvain allait retrouver son état normal, semêlait l'incertitude de ce long voyage au bout du

monde. Mais tout était si bien arrangé. Et que risquaitSylvain avec M. Guénec?

Hélas! Justement, tout était trop bien combiné.Le 14 mai, l'architecte, qui était parti visiter deschantiers à Saint-Mandé, rentra très fatigué, se

 plaignant d'avoir ressenti toute la journée de violentes

douleurs au côté droit.« Bah! ce n'est sans doute rien, fit-il. Demain,après une bonne nuit, il n'y paraîtra plus.

Mais le lendemain il ne put se lever. Les douleurss'étaient accrues, accompagnées de fièvre. Unmédecin diagnostiqua une crise aiguë

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d'appendicite. Le soir même, l'architecte étaittransporté dans une clinique et opéré.

La vive émotion dissipée — l'opération s'était passée sans incident —, on se demanda avec nonmoins d'inquiétude ce qu'il adviendrait de Sylvain.Même si M. Guénec se rétablissait rapidement, il ne

 pourrait supporter les fatigues d'une longue traverséeavant un bon mois. D'autre part, les places étaientretenues sur le bateau, et de son côté le chimiste

Rodrigues se tenait prêt pour l'arrivée du paquebot.On envisagea toutes les solutions possibles. Qui

 pourrait remplacer M. Guénec? Sa femme? Il n'yfallait pas songer, elle ne supportait pas la mer; aucours de deux traversées pour aller en Angleterre, elleavait été malade à en mourir. Mme Rambaud? La

 pauvre femme aurait été d'un faible secours pour sonfils et, n'ayant jamais fait de traversée, elle pouvait,comme Mme Guénec, être sujette au mal de mer.Alors, Robert déclara tout net :

« Pourquoi pas moi? »Mme Guénec s'insurgea :

« Tu n'y penses pas! D'ailleurs, ton père ne le permettrait pas, et Mme Rambaud n'aurait pas assezconfiance.

 — Qui, alors? — Je ne sais pas, mais nous trouverons

quelqu'un.

 —- Sylvain ne voudra pas et il aura raison. »

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Le lendemain, la mère et le fils se trouvaientréunis à la clinique dans la chambre de l'opéré qui,déjà, allait beaucoup mieux.

« Tout de même, s'écria Robert, je ne suis plusun gosse et je ne crains pas le mal de mer, moi! J'aimon passeport de l'an dernier que j'avais demandé

 pour aller en Autriche, aux vacances de Noël. Je n'aiqu'à courir à l'ambassade du Brésil pour avoir monvisa... et puis, je connais un peu l'espagnol, c'est le

cousin germain du portugais qu'on parle là-bas. »II parlait avec tant de véhémence que son père ne

 put s'empêcher de sourire.« Et puis, ajouta Robert, Sylvain était déjà mon

meilleur copain; depuis son accident, il est devenu plus qu'un camarade. Je serais si heureux de l'aider 

 jusqu'au bout! »II y eut un long silence. Robert, anxieux,

regardait tour à tour son père et sa mère. Enfinl'architecte déclara en • se tournant vers sa femme :

« Evidemment, je te comprends; comme toutesles mères, tu ne vois pas ton fils grandir, tu ne le crois

 pas encore capable de se conduire en homme... Eh bien, je lui fais confiance. Qu'il accompagne Sylvainà ma place. Je t'en demande pour lui la permission. »

Bouleversé, Robert ne put retenir des larmes de joie. Il se pencha sur le lit et embrassa son père.

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« Merci, papa, je te promets de ramener Sylvainsain et sauf... et j'avais tant envie d'aller au Brésil! »

Et le jour du départ arriva. Tout avait étésoigneusement prévu. Sylvain voyagerait avec unmasque que Jacqueline avait fini par dénicher dansun magasin et qui imitait d'assez près un visagenaturel. Une paire de lunettes noires cacherait lestrous des yeux. Sous aucun prétexte Sylvain nequitterait ses gants, mais pourrait enlever son

chapeau puisqu'il porterait aussi une perruque. Cetaccoutrement devait, au départ, lui permettre degagner sans encombre la cabine du bateau.

On partit de Paris au début de l'après-midi dansla voiture de l'architecte que pilotait Mme Guénec.Jacqueline et Mme Rambaud étaient du voyage. Au

Havre, on apprit que le Tras-Os-Montes, en retard sur son horaire, n'entrerait en rade que dans la soirée.Sylvain, que son déguisement gênait beaucoup, futsatisfait de ce contretemps. Faute de pouvoir se

 promener en ville, les voyageurs passèrent ensembleles dernières heures dans la voiture garée près du

 port, dans une petite rue. Mme Rambaud contenaitmal son inquiétude.« Mon Dieu! soupirait-elle. Partir si loin!... »Elle ne cessait de regarder son fils. Elle s'était

 presque habituée à ne plus voir ses traits. Ce masqueimmobile, sans vie, lui faisait peur.

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Jacqueline, elle aussi, cachait mal son émotion.« Sylvain, murmura-t-elle, je te demande d'être

 prudent. Cette nuit, j'ai fait un rêve affreux. Ilt'arrivait malheur, là-bas. Tu mourais de faim dans untrou.

 — Bah! dit Sylvain en s'efforçant de plaisanter,tu ne sais donc pas que l'homme invisible a tous les

 pouvoirs,.., même celui de voler des pommes auxétalages sans être vu! »

II faisait nuit quand le navire entra dans le port.L'obscurité rassura Sylvain.

« Et surtout, ne vous inquiétez pas! lança Roberten grimpant sur la passerelle. Dans deux mois je vousle ramène sain et sauf, bronzé par le soleil destropiques... »

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***

Après une escale de douze heures dans lamagnifique rade de Lisbonne, le paquebot avait reprisla mer. La température, très fraîche jusqu'alors,montait graduellement. Les trois premiers joursSylvain n'avait pas quitté sa cabine, une cabined'ailleurs confortable, presque luxueuse, à deux

couchettes seulement.Jusqu'à présent, tout s'était bien passé. Aucunincident au moment de l'embarquement; l'obscuritéavait permis à Sylvain de passer inaperçu, même à ladouane : au contrôle des passeports, les inspecteurs,

 pressés, ne s'étaient pas donné la peine de lever les

yeux sur lui.Les premiers jours, donc," Sylvain s'était trouvé bien dans sa cabine où il passait de longues heures à bavarder avec Robert. C'était presque une croisièred'agrément qu'ils entreprenaient. Mais bientôt ilscommencèrent de s'ennuyer, Sylvain surtout qui ne

 prenait jamais l'air, ne voulant pas se montrer dansson déguisement de carnaval. Le regard inquiet de lafemme de chambre et du serveur qui apportait sesrepas lui suffisait. La chaleur aussi ..commençait àl'incommoder... et elle ne ferait que croître.

« Pourquoi ne reviendrais-tu pas l'hommetransparent? proposa Robert... Tu pourrais monter sur 

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le pont en toute tranquillité. Si tu savais comme il yfait bon! »

Pourquoi pas, en effet? Un après-midi,complètement dévêtu, il se décida à quitter sa cabinedevenue une étuve, en compagnie de Robert. Deconfortables chaises longues étaient à la dispositiondes voyageurs dans les coursives et sur le pont.Libéré de ses vêtements, de son masque et de sesgants, Sylvain respirait enfin. La vitesse du navire

apportait un petit vent léger, délicieux à sentir glisser sur la peau. Ils s'installèrent côte à côte, sur deuxchaises longues, pour discuter à voix basse sans êtreremarqués.

« Avoue que tu n'as plus de raison de broyer dunoir, dit Robert. Dans un mois tu seras redevenu

comme tout le monde et nous ferons un voyage deretour merveilleux... Bah! pourquoi penser encore àces questions d'argent qui te tracassent... puisque mon

 père peut t'aider... — Justement, Robert, c'est difficile à accepter. — Tiens, puisque nous parlons d'argent, la

nuit dernière j'ai fait un drôle de rêve; de l'argent,nous en gagnions plein nos poches, grâce à toi,l'homme transparent.

 — Comment? — Impossible de me souvenir, mais c'était

épatant. »

Sylvain sourit, de son sourire invisible. Ils étaient

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là depuis un moment quand une vieille  dames'avança dans leur direction, sans doute pour prendrela chaise longue apparemment vide qui se trouvait àcôté de Robert.

« Pardon, intervint Robert, ce siège est celui dequelqu'un... de quelqu'un qui va revenir. »

La vieille dame s'indigna : « Comment! je suissur le pont depuis une demi-heure, je n'ai vu personne

 près de vous! »

Craignant un incident, Sylvain allait se lever sans bruit et s'esquiver quand Robert dit vivement à la passagère :

« Après tout, prenez-la, mais je vous préviens,c'est une chaise étrange, elle ne cesse de se déplacer dès qu'on la touche... Vous n'avez pas remarqué?

-  Je n'ai rien remarqué; vous êtes un grossier  personnage! »

Furieuse, la vieille dame saisit la chaise par unmontant, mais celle-ci résista, puis se mit à balancer àdroite, à gauche, et à glisser sur le pont. La passagèresursauta, poussa un cri et s'enfuit en levant les bras.

« Hein! fit Robert en éclatant de rire, tu netrouves pas amusantes de petites scènes comme celle-là? Et j'ai l'impression que tu pourrais faire encore

 beaucoup mieux si tu voulais! »La vie à bord, dans une longue traversée, devient

vite monotone. Pour distraire ses passagers, le Tras-

Os-Montes organisait chaque soir,

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 dans le grand salon, des séances de cinéma, desconférences et des sauteries. Mais la populationcosmopolite du navire ne pouvait s'intéresser auxfilms et conférences, presque toujours en langueespagnole ou portugaise.

Un soir, en rentrant de voir un mauvais film,Robert déclara à Sylvain qui ne dormait pas encore,énervé par un coup de soleil pris sur le pont :

« Mon vieux Sylvain, les passagers de ce bateau

s'ennuient comme des rats morts, il faut faire quelquechose pour les distraire... et nous distraire en mêmetemps.

 — Qu'as-tu trouvé?- Quelque chose de formidable... Ecoute

 plutôt...»

II s'assit au pied de la couchette de son camaradeet expliqua ce qui lui était passé par la tête.

Le lendemain, le jeune Guénec se mettait à larecherche du commissaire du bord, qu'il trouva dansune coursive. Aimable par profession, le commissairesouleva sa casquette galonnée.

« Monsieur, fit Robert avec aplomb, vous avezdû remarquer que vos passagers ne s'amusent pasfollement à vos soirées? »

Le commissaire hocha la tête :« Que voulez-vous, senhor, un bateau n'est pas

une station de jeux.

 — Je me fais fort de distraire vos hôtes : je

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suis illusionniste. »L'homme considéra avec curiosité ce jeune

garçon inconnu et eut, malgré lui, une petite moue.« Je ne doute pas de vos talents, senhor, mais

 je vous avoue que les passagers de cette ligne sont plutôt blasés sur ce genre de spectacle.

 — Me permettez-vous tout de même une petite démonstration, là, devant vous? »

L'assurance de Robert impressionna lecommissaire qui acquiesça en souriant : « Je vousen prie, senhor.

 — Alors, ne bougez plus. Je fais un pas enarrière et j'enfonce les mains dans mes poches pour que vous ne soupçonniez aucun truquage. »

Le commissaire attendit, les yeux ronds.Soudain, il porta vivement la main à sa casquette.Trop tard! Celle-ci venait de quitter sa tête et se

 promenait dans l'air, décrivant de savantesarabesques.

« Ah! par exemple! »

Après une longue promenade aérienne, lacasquette s'était délicatement posée sur le pont.Ahuri, le bonhomme contemplait son couvre-chef,se demandant ce qu'il devait faire.

« Attendez, fit Robert, ne vous donnez pas la peine de vous baisser, elle va revenir toute seule! »

Et la casquette, cabriolant de nouveau en l'air,

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 pirouettant, montant, descendant, faisant semblantde sauter par-dessus bord, revient finalement se

 poser sur la tête de son propriétaire.

« Et voilà! fait tranquillement Robert. Peu dechose, comme vous voyez! Ça fait tout de mêmede l'effet! Qu'en pensez-vous? »

Complètement éberlué, l'homme lâche un juron et déclare en roulant terriblement les « r » : «Vous être vrrraiment trrrès forrrt ! Voudriez-vous

 présenter un numéro à nos passagers? »C'est ainsi que le soir même, l'illusionniste-

 prestidigitateur Robert Guénec faisait ses débutsdans le grand salon du Tras-Os-Montes. Dans la

 journée, le commissaire avait conté à qui voulaitl'entendre l'extraordinaire aventure de sa casquette,et vanté avec une telle chaleur le prodigieux

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talent du jeune Français que tous les passagers du paquebot se pressaient dans la salle.

A neuf heures précises, le rideau de velours de lascène s'écartait devant un grand garçon mince, un peugauche et intimidé, qui commençait par s'excuser de

 bien mal parler l'espagnol.« Mesdames et messieurs, je vais cependant me

 permettre de vous présenter quelques tours trèssimples... que je n'exécuterai d'ailleurs pas moi-

même, car je ne possède aucun pouvoir magique... Jeferai appel à travers les quatre mille kilomètres quime séparent de mon pays à mon ami l'esprittransparent... Esprit transparent, es-tu là?... Esprittransparent, es-tu là?... »

Quelques secondes d'attente, et une voix invisible

répond soudain : « Ton ami l'esprit transparent estlà!»

Et Robert, de prendre la salle à témoin :« Vous avez entendu? L'esprit transparent est

 parmi nous... Mais il fait bien chaud dans cette salle pour travailler commodément. Voyons, esprit

transparent, voudrais-tu m'enlever mon chapeau? »Comme par enchantement, le chapeau du prestidigitateur se soulève, traverse la scène,virevolte pour venir finalement s'accrocher à un clouau bout de la scène.

Merci, esprit transparent. Voudrais-tu maintenant

me débarrasser de mon veston, afin que

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l'aimable société ne pense pas à quelque truquagedes manches? »

Sans que Robert fasse un seul geste, un seulmouvement, on voit son veston se soulever,descendre en arrière, rester un instant suspendu dansle vide comme à un invisible portemanteau, etfinalement rejoindre le chapeau qui se soulève pour laisser la place au vêtement, avant de revenir se poser dessus. Un murmure d'étonnement parcourt la salle.

Mais ce n'est pas fini.« Je vais demander encore à l'esprit transparent

d'enlever aussi ma cravate, car vous n'ignorez pas,mesdames et messieurs, que nombre de

 prestidigitateurs utilisent leur cravate dans leurstours. »

Un nouveau murmure court de fauteuil enfauteuil. Pour le chapeau et le veston on pouvait

 penser à une invisible ficelle habilement manœuvréede la coulisse, mais dénouer une cravate... Or voilàque celle-ci se desserre, se dénoue correctement,quitte le col de la chemise, folâtre comme un

serpentin de carnaval, avant de rejoindre chapeau etveston. Les applaudissements crépitent. Roberts'incline, souriant, en vrai professionnel. Encouragé,il annonce :

« Puisque vous êtes assurés de la présence réellede mon ami l'esprit transparent, je vais vous prouver 

que celui-ci est également devin.

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Il est parfaitement capable de dévoiler l'âge den'importe quelle personne de la salle... Mais, par galanterie, il s'abstiendra de découvrir celui desaimables dames ici présentes ! Lequel, parmi cesmessieurs, veut tenter l'expérience? »

Doué d'une excellente mémoire, Robert a, dansl'après-midi, avec l'autorisation du commissaire,feuilleté le registre des passagers et retenu unevingtaine de noms et d'âges.

Des mains se lèvent. Robert reconnaît quatre oucinq de ses personnages. Il en désigne un.

« Monsieur, mon ami, l'esprit transparent, va, àl'instant même, avec votre permission, dévoiler votreâge. »

II se tourne vers le fond de la scène :

« Esprit transparent, voudrais-tu demander àcette petite table de venir jusqu'ici? »

Un guéridon qui se trouvait au fond de la scènese soulève et, sans aucune intervention apparente,vient se placer devant les feux de la rampe.

« Esprit transparent, quel est l'âge de cet

honorable monsieur? »Un grand silence emplit la salle. Que va-t-il se passer? Tout à coup, se lèvent du guéridon deuxcartons portant des chiffres.

« Trente-sept... Est-ce bien exact? — Exact », répond le passager.

On applaudit. Robert salue et, s'adressant encore

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au passager : « Autorisez-vous aussi mon ami,l'esprit transparent, à continuer cette petite expérienceen indiquant votre nom? »

Après les chiffres, ce sont des lettres qui selèvent et se rangent soigneusement, en éventail, au-dessus du guéridon : ALVARÈS. C'est bien le nomdu passager. Le tour amuse tellement l'assistance queRobert le recommence deux fois. Puis viennentd'autres expériences, plus ahurissantes les unes que

les autres. La salle exulte. Par quels artifices ce jeunegarçon arrive-t-il à les réaliser?

Cependant, au fond du grand salon, où setiennent debout des émigrants espagnols et portugais,une voix s'élève :

« Truquage!... Bluff !... Nous voulons voir de

 près!... »Robert sourit : « Volontiers... Approchez,

monsieur. »Les spectateurs regardent, l'air amusé, celui qui

s'avance entre les rangs de fauteuils. C'est un grandgarçon à l'air faraud. Il grimpe vivement sur la scène.

« Merci d'être venu, monsieur... Mais avez-vousune excellente vue? — Très bonne.- Alors, examinez la scène, cherchez bien les

ficelles... Il y a forcément des ficelles, vous pensez bien! »

Le garçon, après une hésitation, traverse la scène,

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écarquille les yeux, inspecte le plafond, s'avancemême vers les coulisses d'où il ressort sans avoir riendécouvert.

« Comment? Vous n'avez rien vu? Ah! jecomprends, il vous manque des lunettes! Tenez, voiciles miennes, elles sont excellentes! »

Et voilà les lunettes, dont Robert s'est affublé pour la circonstance, qui quittent son nez pour aller,toutes seules, se poser sur le nez du témoin. Un éclat

de rire secoue la salle. L'homme rit aussi, mais d'unrire plutôt gêné. Otant les lunettes, il les jette sur leguéridon d'où, chose incroyable, elles reviennent se

 poser devant les yeux de Robert.« Puisque vous préférez vous en passer, fait

négligemment le prestidigitateur, ouvrez l'œil...

Tenez, voyez, ce fil qui traverse la scène, là, un peu plus haut... Vous ne distinguez rien? »

L'homme secoue la tête.« Alors, prenez cette chaise et montez dessus. »Le garçon hésite, pressentant quelque diablerie.

Au moment où il pose le pied sur le siège, ce dernier 

se dérobe. Le malheureux roule sur le plancher. Uneexplosion de rires salue la chute. Vexé, le garçon serelève vivement et, rageusement, veut s'emparer de lachaise qui se met à reculer devant lui à mesure qu'ilavance, semblant le narguer. Pendant quelquesinstants c'est une poursuite^ effrénée autour de la

scène, jusqu'à ce que le siège, s'immobilisant soudain

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à terre, l'homme, entraîné par son élan, passe par-dessus.

Dans la salle, c'est du délire. Après s'être frotté,épousseté, le malheureux garçon ne demande pas sonreste; il dégringole dans la salle et disparaît. Cette

 pantomime est le clou de la soirée.Le rideau à peine tiré, le commissaire se précipite

vers Robert, le remercie chaleureusement et veutl'emmener dans sa cabine prendre des

rafraîchissements.« Merci, senhor, ces sortes de séances sont très

fatigantes pour moi... et l'esprit transparent. J'ai hâtede me reposer.

 — Alors je vous reverrai demain, n'est-ce pas ?Vous nous accorderez bien encore quelques

séances?»Suivi de l'esprit transparent,, Robert gagne sa

cabine.« Hein! Sylvain, quelle soirée!... Ah! tu la tiens,

ta revanche! Nous nous souviendrons longtemps decette traversée! »

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CHAPITRE VI 

COMMENT ATTEINDRE SANTOS?

LE  Tras-Os-Montes approchait de Rio. Dansvingt-quatre heures, les passagers verraient se dresser vers le ciel le fameux Pain de Sucre qui domine la

rade de sa masse prodigieuse. Sur le pont, Robert etson invisible compagnon devisaient à voix basse, trèsà l'écart. Ils devaient prendre beaucoup de

 précautions. Depuis leurs expériences ébouriffantes,Robert était très observé. Pour éviter tout nouvelincident de

 

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chaise longue, Sylvain s'allongeait toutsimplement sur le pont tout contre celle de Robert.

« Dans deux jours, nous serons à Santés, Sylvain.Dans deux jours, l'esprit transparent sera redevenumon bon camarade Sylvain. Avoue que cettetraversée n'aura pas été tellement pénible avec nos

 petites séances... Et sais-tu qu'elles nous auront fournil'argent de poche pour le retour?

- Grâce à toi, Robert.

- Grâce à l'esprit transparent; nous avonsmanqué notre vocation. A nous deux, nous pouvionsfaire fortune. »

Sylvain soupira : « Fortune, oui, peut-être, mais pour l'instant je ne pense qu'au moment où je pourrairevoir mon visage dans une glace. Nous ne sommes

 pas encore à Santos, Robert. »Ils demeurèrent silencieux. Robert, promenant

son regard à l'horizon, retint un cri :« La côte, Sylvain! »Le jeune Rambaud se leva et se pencha sur le

 bastingage. A l'horizon, s'étendait une longue bande

 bleue irrégulière.« La côte du Brésil, Sylvain, nous approchons. »Sylvain ne répondit pas, mais regarda défiler 

cette terre inconnue où il devait se libérer à tout jamais de son cauchemar. Il murmura :

« J'ai peur, Robert. Je viens de penser tout à coup

aux pressentiments de Jacqueline. Mon

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cœur se serre d'une peur pareille à celle desoiseaux à l'approche d'un cataclysme.

- Allons, fit Robert, tu n'es tout de même passuperstitieux? »

Le lendemain, peu avant midi, l'étrave blanchedu Tras-Os-Montes fendait les eaux de la plus bellerade du monde. L'un près de l'autre, Robert et Sylvainrestaient à l'écart des passagers pressés de mettre piedà terre. Pour la première fois depuis Lisbonne,

Sylvain avait repris son allure de mannequin. Avecson chapeau, ses gants, son cache-nez, il étouffait.Son masque surtout le gênait. Sous le soleil destropiques, il transpirait à grosses gouttes. De loin, les

 passagers regardaient ce personnage ridicule qu'onn'avait jamais vu de toute la traversée.

« Robert, murmura-t-il, je crains que nousn'ayons des difficultés à la douane ou au contrôle des

 passeports. Tout n'ira peut-être pas aussi bien qu'auHavre.

 — Toujours tes pressentiments! — Ecoute, Robert, il faut tout prévoir. Te

souviens-tu de notre aventure du boulevardSaint-Michel, nous avions failli ne pas nousretrouver. Tu vois ce gratte-ciel jaune, là-bas, àgauche du débarcadère? Si nous nous perdions de vuedans cette grande ville, donnons-nous rendez-vousau pied de ce gratte-ciel.

 — Entendu... Mais quelle idée, Sylvain, il ne

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t'arrivera rien. »Le flot des passagers s'écoulait. Ils prirent leurs

valises et franchirent la passerelle. Les bâtiments dela gare maritime étaient au bout du quai. Ils setrouvèrent dans une grande salle moderne où avaientlieu à la fois la douane et le contrôle. Le contrôle

 paraissait sérieux. Les passagers passaient un à un, untourniquet métallique gardé par deux officiers de

 police. Sylvain remarqua qu'ils examinaient avec soin

les visages, faisant même enlever leur coiffure à ceuxqui en portaient pour comparer avec la photo du

 passeport.« Impossible, murmura-t-il à Robert. Je vais faire

scandale et nous ne sommes plus en France. »Il resta en arrière, puis glissa à son camarade :

« Tant pis, avec cette chaleur je ne risque rien.Garde ma valise, je vais me déshabiller dans un deces lavabos, là-bas; et je passerai le contrôle sans êtrevu... ou plutôt j'escaladerai la barrière au bout duquai; nous nous retrouverons dans la rue.

 — Et les vêtements?

 — C'est vrai, mes vêtements! Viens avec moidevant la porte du lavabo; quand je sortirai, tu lesglisseras dans une valise. »

Ainsi décidé, ainsi réalisé. Une demi-heure plustard (les formalités avaient été longues etminutieuses), les deux camarades se retrouvaient sur 

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un large boulevard au pied de l'immense gratte-ciel jaune.

« Tu avais raison, approuva Robert, tu aurais eudes ennuis. Ton pressentiment nous a servis.Maintenant un taxi pour Santos. »

Pendant les longs loisirs de la traversée, ilsavaient eu le temps de réfléchir à cette dernière partiedu voyage. Pour une raison d'économie, Sylvainaurait préféré faire le trajet Rio-Santos par le train,

Robert pensait préférable de prendre tout simplementun taxi. Evidemment trois cents kilomètres, c'est unedistance, mais ils avaient gagné un peu d'argent avecleurs séances. Finalement, malgré la dépense, pour éviter un changement de train à Sao Paulo, ils avaientopté pour le taxi.

Ils se postèrent au bord du boulevard ou régnaitune intense circulation. De luxueuses voitures

 passaient, étincelantes, silencieuses. D'un seul coupils étaient entrés, après le calme de leur longuetraversée, dans le mouvement d'une grande capitale.

« Jamais je n'aurais cru qu'il fasse aussi chaud!

dit Robert. Pourtant, c'est maintenant l'hiver ici. Tu as bien fait de te mettre en costume d'Adam. »Ils guettaient les taxis et n'en voyaient pas.« Ça n'existe peut-être pas au Brésil? » dit Robert

en riant.Mais au même moment, une belle voiture obliqua

de leur côté et freina : « Taxi, senhor? » Ils

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hésitèrent. La voiture leur paraissait vraimenttrop belle pour un taxi. Mais toutes les autos étaientluxueuses à Rio.

« Je voudrais me rendre à Santos », déclaraRobert.

Le chauffeur fronça les sourcils. Il expliqua quelui-même effectuait un service urbain, maïs que lestaxis ayant la licence pour la province se trouvaient àla gare centrale, où il pouvait le conduire. L'homme

 parlait vite; cependant Robert, qui avait mis à profitla traversée pour" se familiariser avec la langue, avaitcompris.

« Alors, à la gare centrale! »Le chauffeur chargea les deux valises. Sylvain se

glissa habilement dans la voiture derrière Robert,

 juste à temps pour ne pas se faire coincer un bras par la portière que l'homme refermait trop rapidement. Ilstraversèrent des rues et des avenues grouillantes,

 bordées de rares arbres, inconnus des deux jeunesFrançais. La place de la gare centrale était aussianimée que celle de l'Opéra, à Paris, vers cinq heures

du soir. Après le silence de la traversée, ils en étaientcomme ivres." Le chauffeur, dans cette foulevraiment extraordinaire, ne trouva pas une place pour garer sa voiture. Finalement il stoppa dans un anglede la place, face à la gare. Puis, descendant de sonsiège, expliqua à Robert qu'il ne pouvait le conduire

 jusqu'à 

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l'emplacement des taxis de province à cause desdéparts pour les fêtes de Sao Paulo. Robert necomprit pas très bien ce qu'il voulait dire, sinon qu'illeur faudrait faire à pied la traversée de la place pour aller jusqu'au stationnement.

« Jamais je n'arriverai à traverser cette cohuesans éviter la bousculade », s'inquiéta Sylvain.

Ils se trouvaient au pied d'un haut lampadaire.Robert, les valises à ses pieds, examinait le

mouvement autour de la gare.« Ecoute, proposa-t-il, je vais aller me

renseigner. Reste ici, ne t'éloigne pas de celampadaire; c'est notre point de repère. Cinq minuteset je suis de retour. »

Il empoigna les deux valises qui ne pouvaient

évidemment rester à la garde d'un fantôme. Sylvain lesuivit des yeux un moment, mais très vite il se perditdans la foule bariolée. Quelques instants plus tard, ilétait de retour.

« Il y a de grandes fêtes demain à Sao Paulo,toutes les voitures sont prises d'assaut. Mais j'ai

réussi à me faire indiquer un autre stationnement un peu plus loin. Attends-moi, je retourne voir. »Sylvain ouvrit la bouche pour lui demander de ne

 pas insister; il le laissa cependant partir.Toujours traînant ses bagages, transpirant à 

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grosses gouttes, zigzaguant même, comme ensouvenir des mouvements du bateau, Robert se noyade nouveau dans la foule toujours aussi dense.

Cinq minutes s'écoulèrent..., puis dix...« Pauvre Robert, se dit Sylvain, il est exténué.

Dire que je ne peux même pas garder les bagages! »Dix minutes encore, puis dix autres... Une

inquiétude traversa Sylvain. Si Robert s'était perdu?S'il n'arrivait plus à retrouver l'angle de la place?

 Non, Robert n'est pas né de la dernière pluie. UnParisien se débrouille n'importe où. Il n'a peut-être

 pas trouvé le lieu de stationnement des voitures; il estempêtré dans ses bagages. Mais tout cela n'est quesuppositions. Avec le temps qui fuit. L'inquiétude se

 précise, devient de l'angoisse. Une heure

maintenant... Une heure et demie... A force deregarder dans la direction de la grande porte de lagare, Sylvain sent brûler ses yeux. Le soleilcommence à décliner. Un grand pan d'ombres'allonge sur le trottoir, lé froid le pénètre.

Deux heures... Une terrible envie lui vient de

traverser la place. Mais que ferait Robert, si,accourant sous le lampadaire, il ne sentait plus lamain invisible se poser sur son épaule?

Une demi-heure encore... La nuit tombe vite sousles tropiques. Un malheur est sûrement arrivé àRobert. Un malaise?... un accident?... ou bien, dans

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cette grande ville cosmopolite, a-t-il été victimed'un aigrefin qui, voyant ce jeune étranger 

 passablement désemparé avec ses deux lourdesvalises, l'a entraîné on ne sait où?... Non, Robert n'est

 pas un naïf... Alors? Le malaise, l'accident?... Appuyécontre le lampadaire qui vient de s'allumer et jetteune lumière crue au néon, il se sent défaillir. Ses

 jambes tremblent, il a froid. Des larmes brouillent savue; à travers ce brouillard, il croit vingt fois

reconnaître la silhouette de Robert.La place, tout à l'heure si remuante, s'apaise. Il

n'y tient plus. Esquivant les passants par d'habilescrochets, il traverse le grand espace libre, pénètredans le hall de la gare, erre d'un guichet à l'autre.

Sur le bateau, il a appris quelques bribes de

 portugais, les mots les plus courants, indispensables pour se tirer d'affaire. Les panneaux indicateurs ne luiapportent aucun renseignement.

Alors, il repart en courant, manque de se faireécraser par une camionnette de glacier qui,naturellement, ne l'a pas vu. Il arrive, haletant, sous le

lampadaire. Pas de Robert! Cependant, au pied du poteau, il aperçoit soudain un bout de papier. Unmessage de son camarade?... Sans réfléchir, il se

 baisse pour le ramasser. Un vieux Noir qui passes'arrête, étonné par ce papier qui se déplie tout seul enl'air. Sylvain tressaille et rejette vivement sa

trouvaille, un simple prospectus, d'ailleurs.

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Alors, il attend encore. Au bout d'un moment,une jeune femme au teint basané, qui sort de la gare,un mouchoir à la main, vient s'adosser au lampadaire,tout près de lui, et se met à pleurer; une pauvrefemme qui vient sans doute d'accompagner au trainun être cher. Comme Sylvain, elle est seule... non,moins seule. En rentrant chez elle, elle trouveraquelqu'un pour apaiser son chagrin et, si elle n'a pasde famille, la vue de sa peine attirera tout de même la

sympathie.La grande cité qui, du bateau, lui avait paru

accueillante, avec ses larges avenues, ses grandsédifices aux couleurs claires, l'effraie. Au moment oùla femme s'éloigne, il a envie de la rattraper, de crier son angoisse, d'implorer une aide. Mais au premier 

mot, il ne soulèverait que la stupeur et l'effroi.Seul! Il est seul! Il a faim, il a soif, il a froid. Il

ne peut rester là toute la nuit. Robert ne viendra plus.Alors il s'éloigne, s'engage dans une rue marchande.Ville tropicale, Rio de Janeiro garde fort tard dans lanuit son animation, son activité, malgré la dense

obscurité. La marche fouette son sang endormi.L'allure nonchalante des passants lui évite les heurtsredoutés... Mais où va-t-il?

« Sylvain, se dit-il, ne t'inquiète pas. Robert n'est pas perdu, ce serait trop affreux. »

Et soudain, il pense au port, au grand gratte-ciel

 jaune près des quais. Comment n'y a-t-il pas songé?...

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C'est là-bas que Robert l'attend...

* *

Trois jours ont passé... Trois jours lumineux, pétris de soleil, trois jours d'angoisse pour Sylvain. Ni sous le lampadaire de la gare, ni auprès du gratte-ciel jaune, Robert n'a reparu. Plusieurs fois par jour,

Sylvain a fait la navette entre ces deux points deralliement. Chaque fois la même déception l'adésespéré.

Ceux qui s'imaginent l'homme invisible doué dela toute-puissance se trompent. S'il peut fuir, secacher, commettre mille actes pour lesquels il ne sera

 pas soupçonné, en revanche il n'a pas le droit derévéler sa présence qui déchaînerait aussitôt lafrayeur. Et rien n'est plus terrible que la frayeur deshommes. La moindre négligence peut être fatale àl'être invisible.

Tout cela, Sylvain le sait. Depuis trois jours, il se

 bat avec toutes sortes de problèmes. Le premier a étécelui de la nourriture. Aussi étrange que cela paraisse, il lui est moins facile qu'à un vagabond dechaparder quelque nourriture à un étalage. Si pauvresoit-il, le vagabond possède tout de même des

 poches. Il peut étendre

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le bras pour voler un sandwich et le fairedisparaître aussitôt. Son larcin accompli, il peut,quelques pas plus loin, dévorer ce même sandwichtranquillement sans être soupçonné... Mais quelleserait la réaction du passant voyant un petit pain se

 baladant tout seul dans la rue?La première nuit, Sylvain l'a passée le ventre

creux. Le lendemain, il a pu pénétrer dans une boutique et se fourrer dans un recoin où il a trouvé

des biscuits. Pour dormir, la deuxième nuit, il s'estlaissé enfermer dans une épicerie ; sitôt le magasindésert, il a fouillé sur les rayons. Du pain d'épice (un

 pain d'épice étrange, beaucoup plus parfumé et relevéque celui qu'on mange en France), du fromage etsurtout des pamplemousses, l'ont nourri et rafraîchi.

Rassasié, il s'est endormi d'un sommeil de plomb et lematin, à l'ouverture du magasin, tandis qu'un hommesortait des paniers de fruits sur le trottoir, il s'estéclipsé.

Ragaillardi, redevenu presque optimiste, il estalors vite retourné à la gare, puis sur les quais du

 port. Hélas! Robert demeure introuvable. Il lui estsûrement arrivé un accident, un de ces accidentsstupides comme on en voit des dizaines chaque jour dans une grande cité. Pour n'importe qui, même pour un étranger parlant mal la langue, se renseigner seraitfacile; pour Sylvain, tout est difficile.

Trois jours déjà que Robert a disparu. Las

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d'errer dans la ville, il s'est accoté à un arbre(chaque fois qu'il s'arrête, c'est contre un poteau, une

 borne, un arbre, pour éviter les heurts des passants).Il réfléchit. Attendre plus longtemps est inutile. Ildoit maintenant, par tous les moyens, savoir ce qu'estdevenu son camarade ou se débrouiller pour arriver seul jusqu'à Santos.

Il se décide d'abord à rechercher Robert. Uneidée lui vient : le téléphone. Les cabines publiques ne

manquent pas. Mais comment se procurer l'argent?A tout hasard il descend vers le port, pénètre

dans le hall de la gare maritime, rôde autour descabines. A force de chercher, il découvre à terre trois

 pièces de un cruzeiro tombées d'une poche.'Discrètement, chaque fois que personne ne regarde

de ce côté, il les pousse du pied vers la cabine où,s'étant encore assuré qu'il ne sera pas vu, il s'introduitrapidement.

Une main sur la poignée de la porte, au cas oùquelqu'un chercherait à entrer, l'autre feuilletantl'annuaire, il cherche les hôpitaux de la ville. Il y en a

sept ou huit, sans compter les nombreuses cliniques.Pour commencer il choisit l'établissement qui lui paraît le plus important, à cause de ses trois lignesd'appel. Le cœur battant, il introduit sa première

 pièce. Un déclic, un grésillement. Une femmerépond; elle parle horriblement vite et il ne comprend

rien. Il ré-

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 pète plusieurs fois : Robert Guénec... Puis, netrouvant pas ses mots, s'explique en français.

 Nouveau déclic; il croit qu'on vient de le brancher sur un autre service où un interprète va lui répondre.Vaine attente : la téléphoniste a raccroché.

Alors il jette vivement un coup d'œil à l'exté-rieur : personne. Hâtivement, il forme un autrenuméro. La nouvelle téléphoniste, plus aimable quel'autre, parle aussi vite. Il demande Robert Guénec,

croit qu'on l'invite à attendre. Un espoir fou lui fait battre le cœur. Hélas! pas de Robert Guénec dans cethôpital. Il ne lui reste plus qu'une pièce. Il vient del'introduire dans l'appareil quand la porte, dont ilavait imprudemment lâché la poignée, s'ouvre

 brusquement.

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Bousculant l'homme qui cherche à entrer et necomprend pas ce qui lui arrive, il s'enfuit.

C'en est fini de l'espoir de retrouver Robert par letéléphone. Il envisage alors de partir pour Santos;mais il faudrait d'abord téléphoner au professeur Rodrigues. Celui-ci pourrait peut-être venir lechercher jusqu'à Rio. Fallait-il être stupide pour n'yavoir pas pensé! Malgré l'incident de la cabine, il seremet en quête d'une pièce. Cette fois il a beau

chercher partout, rien. A tout hasard il pénètre dansune cabine, feuillette l'annuaire. Les Rodrigues sontnombreux à Santos, mais aucun chimiste ou

 professeur. L'un d'eux est médecin mais ne se prénomme pas Antonio. Sylvain conclut que lesavant n'a pas le téléphone. Inutile de chercher plus

longtemps une pièce.Alors il sort du hall et réfléchit encore, appuyé

contre un mur. Partir pour Santos par ses propresmoyens lui paraît impossible. Comment monter dansun train, dans un car, en évitant tout contact? A forcede se creuser la tête, il en arrive à cette dernière

 possibilité : écrire à Rodrigues, expliquer sa situation,lui demander de venir, comme il l'aurait dit autéléphone, lui fixer un rendez-vous près du gratte-ciel, par exemple, et le prier en même temps d'avertir la police pour retrouver Robert.

C'est bien, en effet, sa seule chance. Mais

comment écrire une lettre et la poster sans être vu ?

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Cette idée en tête, il remonte vers la ville, erredans les rues. Soudain, comme il vient de s'engager dans une petite rue peu fréquentée, il avise une boîteaux lettres fixée contre un mur, à quelques passeulement d'une librairie. C'est une boutique modeste,offrant au regard des livres d'art, des gravures, desarticles de piété, un petit magasin comme il en existetant dans toutes les petites villes de France.

Alors il se met à surveiller les allées et vernies

des clients, assez rares d'ailleurs. La boutique paraîtétroite, tout en profondeur. Elle est tenue par unefemme. Il patiente longtemps avant d'entrer et attendl'heure de la fermeture. Dès qu'il aperçoit la

 boutiquière en train de rentrer les revues exposées au-dehors, il se glisse à l'intérieur. La boutique est

encore plus étroite qu'il ne l'a cru. Un long étalagecentral réduit singulièrement l'espace libre à deux

 petites allées où il n'est pas possible de se croiser sansse toucher.

Tandis que la libraire termine ses rangements, ilse glisse jusqu'au fond où s'ouvre une arrière-

 boutique obscure, encombrée de piles de livres et decaisses. Il avance jusqu'au fond où il se trouve àl'aise, sans grand risque d'être inquiété.

Sa boutique fermée, la marchande reste un longmoment en bas, puis il l'entend monter un escalier.Par précaution, il attend encore; enfin,

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certain que le magasin restera désormais plongédans le sommeil des livres jusqu'au lendemain matin,il quitte sa cachette. A tâtons, il cherche les rayons.Dans la journée il a, du dehors, repéré celui desarticles de papeterie. Il sait aussi où se trouvent lestimbres. Pour écrire, il s'approche de l'entrée de la

 boutique. La porte joint mal, un peu de lumière venuedu dehors filtre dessous. Etendu sur le plancher, il

 pose sa feuille à plat, tout contre la porte. Il écrit,

cachette l'enveloppe, colle un timbre; la lettre est prête. Il la cache soigneusement sous une pile delivres, tout près de l'entrée. Demain matin, il n'auraqu'à la saisir et courir la jeter dans la boîte toute

 proche. Ainsi qu'il l'a lu dans l'après-midi, la première levée a lieu à neuf heures. Le chimiste

Rodrigues pourra donc avoir cette lettre le soir même.Avec un peu de chance, dans quarante-huit heures, lecauchemar sera terminé. Vraiment, c'était la seulesolution.

Fatigué par son épuisante journée d'inquiétude etde pérégrinations, il revient dans l'arrière-boutique et

s'allonge sous une étagère encombrée de livres. Alorsses pensées vont vers Robert. Où est-il? Que fait-il?Dès sa lettre postée, le matin, il ira encore faire lanavette entre la gare et le port.

Enfin, malgré l'inconfort de l'endroit, il finit par s'endormir...

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CHAPITRE VII 

UNE CURIEUSE BOUTIQUE

TL DORT depuis un bon moment quand des bruitsétranges le tirent de son sommeil. Des rats, sansdoute! Tous les rats du monde, même les rats

 brésiliens, doivent aimer la poussière et les vieux

livres. Il se dresse sur un coude. Non, ce ne sont pasdes rats. Le bruit vient de la porte d'entrée. On diraitque quelqu'un cherche à introduire une clef dans laserrure. Des cambrioleurs? Qui sait, cette petite

 boutique renferme peut-être des éditions rares?

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Un grincement, la porte s'ouvre, laissant uninstant pénétrer la lumière du dehors, puis se referme.Sylvain perçoit un nouveau bruit de serrure, puis deverrous. Des pas glissent sur le carrelage. Le cœur 

 battant, Sylvain ne sait que penser. Des cambrioleursne seraient pas entrés avec cette aisance et ilsmarcheraient avec plus de précaution.

Il aperçoit les intrus, deux hommes qui s'arrêtentà l'entrée de l'arrière-boutique en discutant à mi-voix.

L'un d'eux tourne un commutateur. Les deux hommesapparaissent nettement à Sylvain. Ils n'ont rien decambrioleurs dépenaillés, bien au contraire. Trèscorrectement vêtus, ils semblent revenir d'une soiréeou d'un spectacle. -

« Je me suis trompé, pense-t-il, ce sont les

habitants de cette maison qui rentrent toutsimplement chez eux. »

Mais au lieu de monter se coucher, les deuxinconnus continuent de parler. A plusieurs reprises,Sylvain distingue un nom : senhora Carlota... Peut-être celui d'une actrice dont ils viennent d'apprécier le

 jeu au théâtre? Pourtant leur attitude est étrange.Pourquoi cet air de méfiance et de mystère? Pourquoices brusques regards vers la porte, comme s'ilsn'étaient pas tranquilles?

« Ah! pense encore Sylvain, si je connaissais leur langue! » .

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Tout à coup ils tournent la tête vers l'autre boutde l'arrière-boutique. Une femme vient d'apparaîtreau bas de l'escalier : la boutiquière! L'un des deuxhommes, celui qui porte une petite moustache noireet des « pattes de lapin », lui fait signe d'approcher.Elle sourit en voyant l'autre homme désigner, dudoigt, la poche de son veston.

Alors l'inconnu fouille cette poche qui s'ouvred'ailleurs à l'intérieur et en sort avec précaution un

tout petit paquet enveloppé d'un simple journal.La femme prend le paquet, l'ouvre. Sylvain voit

tout à coup scintiller sous la lampe les brillants d'une bague et d'une broche. Puis elle soupèse les deux joyaux et fait entendre un petit sifflementd'admiration.

Sylvain a compris. Ces deux hommes ne sont pasvenus cambrioler cette modeste boutique qui est aucontraire leur repaire. Ils rentrent d'une fructueuseaffaire. Il ne s'y connaît pas en matière de bijoux,cependant à en juger par la taille des brillants, par lamine des trois personnages, ces joyaux doivent avoir 

une grosse valeur.Quel hasard l'a conduit dans cette maison? Il enfrémit.

Sous son étagère il se trouve à trois pas desmalandrins. Un éternuement, un faux mouvement

 peuvent le trahir. Ces hommes sont

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certainement armés; à la moindre alerte ils bondiraient. Il souhaite ardemment que le triodisparaisse au plus tôt pour soupirer d'aise.

Mais les deux hommes ne paraissent pas pressés.Le plus petit, qu'il entend appeler Manoel, se baisseet, dans le mur opposé à celui contre lequel Sylvainest allongé, ouvre un placard. Il en sort un appareil

 bizarre qui ressemble à un microscope ou à unsextant de marine. Il dépose l'appareil sur une petite

table tandis que la femme abaisse l'abat-jour. Ilexamine alors attentivement les bijoux, les tourne etretourne longuement devant l'oculaire sous le regardsilencieux des deux autres. Puis, négligemment, il

 jette :« Un million! »

Sylvain a bien entendu le mot qui se dit en brésilien comme en français. Un million de cruzeiros,sans doute, c'est-à-dire une somme énorme.

Les bijoux repassent de nouveau de main enmain. Enfin le plus petit des deux hommes lesreprend et les remet dans le morceau de journal. Que

vont-ils en faire? C'est alors que tout se précipite.Sylvain voit tout à coup les yeux de l'homme fixésdans sa direction comme si, brusquement, il avaitcessé d'être invisible. Le malandrin fait un pas,exactement comme s'il voulait l'atteindre. Sylvain n'aque le temps de s'écarter pour libérer l'endroit fixé

 par l'homme

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où se trouve peut-être une autre cachette. Maisdans son mouvement précipité, Sylvain heurtel'étagère au-dessus de sa tête. Deux livres tombent.

L'homme se redresse vivement et reste immobile.La respiration suspendue, Sylvain attend. Aprèsquelques secondes d'inquiétude, les deux hommes seregardent et échangent un sourire de soulagement.

Mais Sylvain n'a pas suffisamment dégagé lacachette supposée, il veut s'écarter encore. Mal lui en

 prend. Son talon fait basculer une dalle mal scelléedu carrelage. Les trois complices sursautent, lafemme étouffe un cri. Ne sachant exactement d'où le

 bruit est venu, les deux hommes portent la main àleur poche et braquent leur revolver, à tout hasard,l'un vers l'entrée du magasin, l'autre vers le fond de

l'arrière-boutique.Paralysé  car un des canons, sans quel'homme ait cru si bien viser, est pointé vers lui

 — Sylvain n'ose plus respirer. L'attente lui paraîtdurer des heures. Au moindre bruit nouveau les balles

 peuvent partir. Il faut fuir, fuir vite... Mais la porte

d'entrée est solidement verrouillée et le magasin, tropétroit, n'offre aucune cachette. Reste l'escalier par oùla femme est descendue.

Profitant des quelques secondes de désarroi pendant lequel les deux hommes restent dans

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l'expectative, il se glisse silencieusement entreeux et atteint l'escalier...

C'est un escalier en bois. Une marche grince, lesrevolvers se tournent immédiatement de ce côté. Nedistinguant rien, les deux hommes restent encoredans l'attente. S'efforçant de ne plus faire criçr le

 bois, Sylvain monte lentement. Les hommes se sontavancés, l'arme au poing, jusqu'au bas des marches.

Parvenu au sommet de l'escalier, Sylvain

découvre l'entrée d'une pièce qui doit se situer justeau-dessus de la boutique et, par conséquent, donnesur la rue. Jouant le tout pour le tout il bondit, seheurte à une table qui se renverse à grand bruit. Aumoment où il tâtonne pour trouver la poignée de lafenêtre, une cavalcade effrénée emplit l'escalier.

Il a tout de même eu le temps d'ouvrir, desoulever le store de bois et de sauter sur le trottoir. Lechoc a été rude, mais il ne s'est pas blessé. En serelevant, il aperçoit trois visages penchés sur la rue etqui observent prudemment les alentours.

Retrouvant ses forces Sylvain s'enfuit, mais cent

mètres plus loin il s'arrête. Son émotion passée, il pense soudain à cet extraordinaire hasard qui l'a jetédans un repaire de malfaiteurs. Il ne faut pas leslaisser filer. Au moins, que sa transparence serve àquelque chose!

Il rebrousse chemin, revient près de la boutique.

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Au premier, la fenêtre s'est refermée. Aucun bruit ne transpire à l'extérieur. Il imagine lesmalandrins toujours en alerte, revolver au poing. Ilfait les cent pas devant le petit magasin d'allure si

 paisible. L'air est frais; les nuits tropicales deviennentrelativement froides vers le matin. Il lève les yeuxvers la fenêtre dont le store n'a pas .été rabattu. Ondirait que quelqu'un observe la rue derrière lesrideaux.

Enfin la porte du magasin s'entrebâille prudemment. Une tête apparaît. Après une longuehésitation une ombre sort sur le trottoir, se retourne

 pour examiner la maison puis rentre. Un quart d'heure passe. Sylvain se demande ce qu'il doit faire, quand la porte s'ouvre de nouveau avec précaution. Les deux

hommes sortent, jetant vers les deux bouts de la ruedes regards inquiets. D'un air apparemmentdésinvolte ils s'éloignent, se retournant cependant

 plusieurs fois vers la librairie. Arrivés au carrefour,ils obliquent brusquement à droite et allongent le pas.Sylvain court pour les rattraper et les suit à courte

distance. Les deux compères marchent vite. Sylvainles Voit accuser une légère hésitation lorsqu'ilscroisent un agent de police qui, casque blanc déjà sur la tête, bien que le soleil ne soit pas encore levé, part

 prendre son service en ville.Enfin les deux hommes s'arrêtent devant un

garage, secouent le gardien noir qui sommeille

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sur une chaise. Sans hésiter, Sylvain entre aussi;il ne risque pas grand-chose.

Alors les malandrins se mettent en devoir desortir une grosse voiture américaine. Aussitôt lemoteur en marche, Sylvain saute sur le pare-chocsarrière... un peu trop vivement, car s'il est invisible,ses cinquante-huit kilos sont bien réels. La secoussene passe pas inaperçue; les deux hommes seretournent mais pensent sans doute que le gardien,

d'une pression de la main, vient d'essayer lesamortisseurs.

La voiture démarre rapidement. Sylvain secramponne comme il peut. En passant devant lalibrairie la voiture ralentit légèrement, le temps d'unsigne discret à la femme pour dire que tout va bien

 puis, à vive allure, elle traverse la

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ville encore déserte. Fouetté par le vent, Sylvainclaque des dents. Où donc vont les cambrioleurs ?

La voiture rejoint le bord de la mer et suit unmagnifique boulevard, véritable autostrade. La routeépouse parfaitement la baie de Rio encore toute

 pleine de nuit, mais que jalonnent les innombrableslumières riveraines.

L'auto roule toujours, sans ralentir. Transi,Sylvain commence à s'inquiéter. Enfin apparaissent

les premières villas d'une ville. Dans le petit jour naissant il lit un panneau : OLARIA. avec Robert il avu ce nom de ville, au bout de la baie.

Des places, des carrefours, une grande rue bordéed'arbres étranges qui sont peut-être des mimosas, uneautre avenue, et la voiture stoppe dans une rue

secondaire. Les deux hommes descendent, examinentles lieux comme s'ils ne les connaissaient pas puis,

 brusquement, pénètrent dans un immeuble. Sylvainles suit. Les deux compères poussent la porte d'unascenseur. Pourvu qu'ils ne montent pas trop haut!L'esprit transparent s'élance dans l'escalier.

Deuxième, troisième, quatrième étage. La grille del'ascenseur s'ouvre. Essoufflé, Sylvain arrive sur le palier en même temps qu'eux.

Cette fois, plus d'hésitations. Trois petits coupsrapides à une porte, puis trois autres.

« Que faire? se dit Sylvain. Entrer? Ce n'est

guère prudent, qui peut sauter sans trop de mal

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d'un premier, mais d'un quatrième?... Etqu'apprendrai-je? je connais trop mal la langue du

 pays! »Les hommes disparaissent derrière la porte. Il

attend un moment, l'oreille tendue. A l'intérieur, on parle à mots couverts. Tant pis, l'essentiel est de serappeler l'adresse, car, évidemment, c'est le produitde leur vol que les deux malandrins sont venus cacher là.

Il redescend dans la rue. Il fait maintenant grand jour. Si la nuit tombe vite sous les tropiques, le jour surgit avec la même rapidité. Pourtant la ville estencore endormie.

Tout le temps qu'a duré cette extraordinaireaventure Sylvain n'a pensé à rien, tenu en haleine par 

les événements. La réalité lui apparaît brutalement. Ils'est éloigné dé Santos, de Rio, de Robert, et surtoutde sa lettre restée sous la pile de livres près de la

 porte de la librairie.Dès lors, une seule pensée le hante : repartir au

 plus vite pour Rio, rentrer en possession de sa lettre

 pour la poster. Le temps si clair avant le lever du jour se couvre maintenant de lourds nuages venus dularge. Il descend vers la basse ville, marchant d'un

 bon pas pour se réchauffer, mais il s'arrête plusieursfois, le souffle court. Tant d'émotions, de fatigue ontanéanti ses forces. Il n'a rien mangé depuis longtemps

et si peu dormi. Près du port, il découvre une grande

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 place où stationnent des autocars. L'un d'eux porte une pancarte : « Rio ». Il est déjà plein et prêt à partir. Sylvain s'accroche à l'échelle arrière qui sert àhisser les bagages sur l'impériale.

Ainsi, en sens inverse, il refait le chemin de lanuit... mais beaucoup moins vite. Sans son inquiétudeil pourrait"^ à loisir admirer la fastueuse baie de Riodominée, tout là-bas, par le Pain de Sucre géant.D'ailleurs la baie, ce matin, n'est pas lumineuse. Les

nuages courent bas; poussés  par  le vent, ils vonts'entasser sur le flanc de la  sierra Dos Orgâos dontles sommets ont disparu. Il souffre du froid.L'autobus qui l'emporte s'arrête souvent pour prendredes groupes d'ouvriers. Le temps fraîchit de plus en

 plus. De larges gouttes perdues s'écrasent sur sa peau

hérissée en chair de poule.Enfin, voici les faubourgs de Rio. Sylvain essaie

de se reconnaître pour descendre le plus près possiblede la librairie. Soudain, comme il se penche pour lireun nom de rue, le car prend un brusque virage du côtéopposé. Il se cramponne de toutes ses forces à

l'échelle; ses doigts gourds le trahissent. II lâche priseet roule sur la chaussée.Heureusement, l'allure du car était très réduite.

Après quelques tonneaux, Sylvain s'immobilisecontre un trottoir. Il est tombé en souplesse et n'a pas

 perdu conscience du danger.

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II se relève et, titubant, grimpe sur le trottoir  juste au moment où passe en trombe une grossevoiture de laitier.

Sur le coup, en roulant à terre, il n'a rien ressenti,mais une soudaine douleur paralyse sa chevilledroite. Il a dû se fouler le pied.

Le ciel, tout à l'heure seulement menaçant, sedéchire. Des gouttes énormes marquent l'asphalte detaches sombres. Une pluie torrentielle s'abat sur la

ville. C'est la débandade; les rues se vident comme par enchantement. Ruisselant, trempé jusqu'aux os,Sylvain essaie de gagner un abri. Mais ses forcesl'abandonnent. Il s'agrippe à un poteau et, aveuglé, selaisse fouetter par l'orage. Une silhouette qui passe,enveloppée d'un imperméable, s'arrête, regarde dans

sa direction, étend la main comme pour le toucher.Sylvain s'écarte. La pluie l'aurait-elle rendu visible?...Ah! non, il comprend; les gouttes, rebondissant sur son dos et sa tête, doivent se voir. Et la pluie tombetoujours.

* * * 

Pour l'étranger simplement de passage à Rio, lacapitale du Brésil est une belle ville moderne où lavie doit être facile. Ce n'est pas tout à fait exact. Rio,qui voit pousser sous son ciel tropical de beaux

arbres, de si belles fleurs, où les hommes ont élevé de

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si beaux édifices, n'abrite pas que des heureux. Les pauvres gens sont nombreux. Le luxe insolent côtoiela misère la plus triste.

Au septième étage d'un grand immeuble del'avenue de Pétropolis vivait un riche banquier carioque (c'est le nom des habitants de Rio). Ce

 banquier, le senhor Ferreira, avait à son service untrès vieux Noir et une jeune fille, presque une enfantencore, puisqu'elle n'avait que quinze ans. Elle

s'appelait Maria Luisa.Maria Luisa avait passé toute son enfance sur le

 plateau brésilien, là-bas derrière la  sierra da

 Mantiqueira, où s'étendent, à perte de vue, leschamps de caféiers. Son père, d'origine espagnole,était venu se fixer au Brésil après la triste et sombre

guerre d'Espagne et un séjour de deux ans en France.Comme beaucoup de ses compatriotes, il avait cru

 pouvoir faire fortune dans ce pays qu'on disait siriche... et comme tant d'autres il avait végété, simpleouvrier agricole, dans une plantation de caféiers. Puisun jour, pris par la sournoise « fièvre du plateau »,

comme on l'appelle, il était mort sur cette terre brûlante, laissant une veuve et quatre enfants. C'estainsi que Maria Luisa, dès qu'elle avait eu l'âge detravailler, était venue à Rio où les salaires étaientmoins misérables que sur le plateau.

L'été dernier, en décembre, elle était entrée au

service du senhor Ferreira. Elle faisait la

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vaisselle, la lessive, le ménage, aidée par le vieuxdomestique noir qui, à cause de son ancienneté dansla maison, s'octroyait le droit de la commander. Puissa patronne, la trouvant vive et intelligente, avaitentrepris de la dresser pour le service.

Ce soir-là, précisément, il y avait réception.« Luisa, commanda le banquier, descends à la

cave. Je t'ai fait une liste des bouteilles à remonter;ne te trompe pas. - Bien, senhor!

 — Et tu regarderas en même temps si l'ouvrier que j'avais commandé est venu réparer la serrure.

 — Bien, senhor! »Chargée de deux paniers à bouteilles, elle sortit.

En descendant, dans l'ascenseur, elle pensa :« Je voudrais que la pluie redouble; les invités ne

viendraient peut-être pas, je pourrais me coucher plustôt. »

L'ascenseur de ce grand immeuble descendait jusqu'au niveau des caves qui, par ailleurs,communiquaient avec le couloir ouvrant sur la rue

 par un long corridor. La cave du banquier était la

cinquième à gauche. En arrivant devant la porte,Maria Luisa pensa à vérifier si la serrure avait étéréparée. L'ouvrier n'était pas venu. La porte étaitsimplement poussée. Elle donna la lumière ets'avança vers les casiers de bouteilles.

« Voyons, trois bouteilles de « Unico-Gatâo »,

deux de « Précioso », une de whisky, trois de

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Champagne... Ah! oui, le Champagne. Papa enavait bu en France, il disait que c'était si bon... »

Elle s'approcha de la lampe pour jeter un coupd'œil sur sa liste. Il lui sembla entendre tout à coup ungémissement. Elle sursauta, recula vers la porte ettendit l'oreille. C'étaient bien des gémissements,comme ceux d'un malade endormi. Elle écoutaencore, le bruit cessa. Se ressaisissant, elle jeta uncoup d'œil autour de la cave : rien d'anormal. Elleavait dû se tromper, le bruit venait de la rue. Elle sehâta de chercher les deux dernières bouteilles et seretira sur la pointe des pieds; mais juste au momentoù elle tirait la porte, un nouveau gémissement, plusdistinct, la fit encore tressaillir.

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La lumière était éteinte. Elle resta un instant ensuspens, partagée entre la peur et la curiosité. La peur l'emporta.

« Mon Dieu, qu'as-tu? » demanda sa patronne enla voyant revenir, le visage défait, s«.-s paniers à

 bouteilles à bout de bras.Elle eut envie d'avouer sa frayeur, mais on se

serait encore moqué d'elle : « Senhora, je suisseulement un peu fatiguée. »

L'arrivée des invités amena une diversion. Elleoublia son émotion. Cependant, vers minuit, quand,le repas terminé, elle se mit à la vaisselle, elle pensade nouveau à ces gémissements.

« Luisa, se dit-elle, tu n'es tout de même plus une petite fille, tu aurais dû regarder avant de te sauver.

Si quelqu'un était malade, en bas, dans cette cave? »Elle eut encore l'idée d'en parler à ses patrons;

ceux-ci, enfoncés dans les fauteuils du fumoir,.bavardaient joyeusement avec leurs invités.

Elle ne dit rien, mais, une heure plus tard, quandles invités partis, sa vaisselle rangée, elle se retira

dans sa chambre, au lieu de se coucher tout de suite,elle s'étendit sur son lit. Ces gémissements lahantaient, ils lui rappelaient toutes sortes de tristessouvenirs : la mort de son père, celle de son petitfrère, qui, justement, avait tant gémi, les derniers

 jours.

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Alors, ce fut plus fort qu'elle. Elle se leva.« Il faut que j'en aie le cœur net, jamais je ne

 pourrais m'endormir. »Tout reposait dans l'appartement. Elle prit une

clef et sortit. Avant d'appuyer sur le bouton del'ascenseur, une longue hésitation la retint encore.Elle avait grande envie d'aller voir pour s'assurer qu'iln'y avait rien, qu'elle avait rêvé, mais la peur luiserrait la gorge.

« Tant pis, Luisa, descends! »L'ascenseur s'ébranla. La porte de la cave était

telle qu'elle l'avait laissée. Elle l'entrebâillalégèrement sans donner la lumière et écouta.

 N'entendant rien, elle appela à voix basse :« Qui est là? »

Elle attendit, le cœur battant, souhaitant de toutesses forces ne rien entendre. A demi rassurée par lesilence, elle répéta :

« Qui est là? »Alors, du fond de la cave, une voix répondit à la

sienne :

« Quelqu'un ! Malade ! »La jeune fille tressaillit. Son visage et ses mainsse glacèrent. La peur la cloua sur place.

« Malade... malade... », reprit la voix.Ce n'était pas une voix rauque d'homme aviné ni

celle d'un vieillard, plutôt le souffle d'un homme

épuisé. Plus morte que vive, elle entendit encore :

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« Vous... pas peur... pas peur... »Les mots étaient hésitants... On aurait dit que la

 bouche qui les prononçait ne parlait pas courammentle portugais.

« Pas peur!... Malade!... »Sa frayeur un peu dissipée par le ton de la voix,

Maria Luisa retrouva ses esprits et sortit pour avertir ses patrons que quelqu'un se trouvait dans la cave;

 parvenue devant la porte, elle hésita, encore. Ses

 patrons dormaient, jamais elle n'oserait les réveiller.Il faudrait attendre le lendemain... Mais le lendemain,ne serait-il pas trop tard? Héroïquement, elle revintvers la cave, poussa légèrement la porte, sansallumer, et demanda :

« Qui êtes-vous? Où êtes-vous? »

II y eut un silence. Puis la voix reprit :« N'allumez pas... Ecoutez!... »

 Ne pas allumer! Qu'est-ce que cela voulait dire?Etait-ce un piège qu'on lui tendait dans l'obscurité?Mais la voix reprit encore :

« Vous, aucun mal... malade... entrez... écoutez...

Je suis au fond de la cave, derrière des caisses, sousde vieux sacs. »Elle eut le courage d'entrer; la voix était si

déprimée, si haletante, que sa frayeur s'en allait.Brusquement elle donna la lumière. Ses yeuxfouillèrent le fond de la cave. Derrière deux caisses,

elle distingua un amas de sacs.

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« Je ne vous vois pas. — Vous ne pouvez pas me voir. — Où est votre tête? — Je suis invisible! »Elle répéta le mot plusieurs fois : « Invisible ! »

Elle se demanda si elle ne vivait pas un cauchemar.« Un accident, fit la voix, je suis devenu...

devenu... transparent. Pourtant, là, derrière les sacs, jevous vois... Vous êtes une jeune fille... »

Ces dernières phrases n'avaient pas été prononcées en portugais.

« Ah! vous parlez français, fit Maria Luisa. Jeconnais un peu cette langue.

 — Alors, approchez, je vous expliquerai, vouscomprendrez. Approchez. »

Elle fit un pas, s'arrêta, s'avança, puis dit encore :« Je ne vous vois pas.- Ne craignez rien. Voyez-vous bouger les sacs?

Ils enveloppent mon corps; j'ai froid, je suismalade...»

Maria Luisa sentit une sueur froide couvrir son

visage. Elle se tenait toujours prête à fuir etcependant une force irrésistible la retenait.« Tendez votre main, murmura la voix, je la

 prendrai, la presserai doucement. Vous verrez que jesuis un être humain comme les autres. »

Elle ne répondit pas, ne fit pas un mouvement.

La voix insistait.

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« Je suis folle! fit Maria Luisa. Je suis en train dedevenir folle!

- Non, pas folle; à votre place, j'aurais la mêmefrayeur. Surmontez votre crainte, avancez votre main,vous ne risquez rien. »

Lentement, elle tendit sa main en avant. Desdoigts effleurèrent les siens. Elle poussa un cri. Toutson corps fut secoué d'un frisson. Cependant sa main

n'était pas restée prisonnière d'un étau. Son envie defuir céda. Elle comprit que c'était bien un être réel quiétait là, un être qui souffrait.

« Vous avez de la fièvre, dit-elle. — La pluie m'a traversé jusqu'aux os, je me suis

foulé un pied. J'ai froid, pouvez-vous quelque chose pour moi?... Mais je voudrais que personne ne sache, personne.

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 — Pourquoi? »

La voix soupira longuement :« Ecoutez... "»

Et la voix se mit à parler, lente, fatiguée, à conter l'aventure extraordinaire d'un jeune Français perdudans Rio.

Quand elle se tut, la jeune fille se sauva dans lecouloir et bondit vers l'ascenseur. Aussitôt dans sachambre, elle se précipita devant la glace. Sa pâleur,

ses yeux dilatés l'effrayèrent. La sueur inondait sonvisage. Elle se passa une serviette mouillée sur lefront.

« C'est bien vrai, je deviens folle! »A présent qu'elle avait quitté la cave, la voix lui

 paraissait plus hallucinante encore. Avait-elle rêvé?

Pourtant, cette main brûlante de fièvre, elle l'avait bien touchée; ce n'était pas celle d'un esprit de lasierra.

Elle s'effondra sur son lit, à bout de nerfs. Maisla voix inconnue la poursuivait : « Je suis malade; j'aifroid, j'ai faim... »

Alors elle se releva, se passa encore de l'eaufroide sur le front, se glissa dans la cuisine déserte, prit des fruits, une grosse tranche de ce pain d'épice parfumé, spécialité de Rio, revint dans sa chambre oùelle arracha une couverture à son lit. L'attentionqu'elle porta à ces gestes l'apaisèrent. Elle retrouva

encore une fois le courage de redescendre à la cave,

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 presque surprise de ne pas trembler davantage.« Oh! une couverture, murmura avec

reconnaissance la voix inconnue. J'ai si froid! »Une main invisible la lui enleva doucement.

Maria Luisa eut encore un sursaut quand elle la vit sedéployer toute seule et remplacer les vieux sacs sur lecorps invisible. Mais peu à peu elle s'habituait.

« Voulez-vous manger? demanda-t-elle. - J'ai trèssoif... »

Elle tendit dans le vide un bol de jus de fruitsqu'elle avait apporté. Le bol quitta ses mainsdoucement. Elle devina la place où était la tête del'être invisible, reconnut, à l'inclinaison grandissantedu bol, le mouvement familier de quelqu'un qui boit.Ce geste, plus que tout autre, la rassura.

« Merci », murmura la voix tandis que la maininvisible redonnait le bol vide, « je me sens mieux, etcette couverture me tient chaud... Vous me sauvez lavie... Dites-moi que vous n'avez plus peur... »

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CHAPITRE VIII 

UN PAPIER SUR UN LAMPADAIRE

UNE longue salle blanche percée de grandesouvertures qui donnent sur la baie, la baie hier encorehérissée de vagues gigantesques, aujourd'huiredevenue d'un éclatant bleu turquoise. Dans la salle,deux longues files de lits d'où émergent toutes sortesde visages.

Assis sur son lit, Robert regarde tous cesmalheureux et se passe la main sur le front etréfléchit :

« Quel stupide accident! Pourquoi a-t-il fallu que

 je trébuche juste au moment où passait ce camion? Je

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me demande encore comment c'est arrivé... Lafatigue, sans doute... Le poids des valises. Dieumerci, c'est fini. Non, vraiment, ,. depuis hier je neressens plus rien, absolument rien. »

Soudain vient d'entrer un docteur métis qui passed'un air désabusé dans les allées, jette un bref coupd'œil sur les feuilles de température fixées au pied dechaque-lit, bredouille quelque chose et s'en va plusloin.

« Mais enfin, senhor, pourquoi me laisse-t-on v

ici? Je ne suis plus malade. Je veux partir. »Le métis hausse les épaules, d'un air de dire : «

Vous savez bien que ça ne me regarde pas! »« Attendez le médecin-chef!- On ne le voit jamais!

- Attendez! »C'en est trop! On n'a pas le droit de laisser les

gens croupir dans un lit quand ils n'ont plus rien. Lemétis à peine disparu, Robert rejette ses couvertures,se lève et s'habille. Il se sent tout à fait d'aplomb. Au

 bout de la salle s'étire un long couloir. Avisant une

infirmière qu'heureusement il ne connaît pas, ildemande :« Le médecin-chef?

 — Que voulez-vous? — Lui parler, c'est urgent. » L'infirmière le

regarde un peu soupçonneuse, puis le prenant pour un

visiteur en quête d'un

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renseignement :« Alors, attendez là. »Elle le pousse vers une salle où plusieurs

 personnes attendent sur des bancs, de pauvres gens pour la plupart, car Robert a échoué dans une sorted'hôpital-hospice où se retrouvent les malheureux. Ils'assied comme les autres sur un banc et s'interrogeencore sur Sylvain. Il y aura cinq jours ce soir. Cinq

 jours!... Qu'est devenu Sylvain? A-t-il pu atteindre

Santos? Ce n'est pas certain. Il faudra tout de suitetéléphoner là-bas.

Le temps passe. Robert bout d'impatience. S'il netenait qu'à lui, il s'éclipserait sans demander l'avis desmédecins, mais ses deux valises ont été déposéesquelque part dans l'établissement et il ne pourra les

récupérer qu'en montrant un bulletin de sortie.Il se trouve assis entre une grosse femme noir qui

attend placidement en soufflant comme un cachalot etune jeune fille qui s'impatiente comme lui et ne cessede regarder l'heure à la pendule au-dessus de la porte.

« C'est long! murmure-t-elle en regardant Robert.

 — Très long!... »Ils se sourient. La jeune fille a un petit air fatiguéet plutôt triste. A tout hasard, histoire de dire quelquechose, il demande :

« Vous venez voir un parent malade? — Oh! non. »

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Elle paraît embarrassée, tourne la tête pour couper court à la conversation. Timidité? Discrétion?Robert n'insiste pas. D'ailleurs il vient d'entrevoir la

 blouse blanche du « chefe » qui reconduit quelqu'undans le couloir. Il sort vivement :

« Senhor medico! »Le médecin-chef se retourne, regarde pardessus

ses lunettes celui qui l'interpelle ainsi. Il reconnaîtRobert :

« Comment? Debout? »Le médecin fronce les sourcils, commence par 

s'emporter.« Excusez-moi, coupe Robert, c'est grave et très

urgent. »Le médecin le regarde encore en grimaçant et,

 bougonnant, le pousse vers son bureau.« II faut que je parte, senhor, c'est absolument

indispensable! J'étais venu au Brésil pour me rendre àSantos y régler une affaire importante. La vie dequelqu'un en dépend. Je vous assure que je n'éprouve

 plus aucune douleur à la tête, aucun vertige,

absolument rien. Plus de troubles de mémoire non plus, et ma vue est redevenue normale... Ainsi, je peux lire parfaitement les petites lettres de cetteaffiche. »

Le médecin-chef l'écoute en continuant demaugréer. Robert insiste :

« Laissez-moi partir, je vous en supplie! Je vous

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 promets de revenir au moindre malaise. »II est bien évident que, pour montrer pareille

énergie, le malade a retrouvé son équilibre. Lemédecin-chef paraît indécis; après tout, ce garçon estun étranger; s'il tient absolument à se refourrer sousune auto, eh bien, tant pis !

Il gribouille quelques mots sur une feuille de bloc-notes et tend le papier. C'est la « levée d'écrou ».Robert sort du bureau, passe devant la salle d'attente

où la jeune fille attend toujours sur le banc, et courtvers le bureau des entrées et sorties.

Un quart d'heure plus tard il s'éloigne, sur letrottoir, ses deux valises à bout de bras.

« Taxi! »II se fait déposer au plus vite près du port, au

 pied du gratte-ciel jaune, demande au chauffeur del'attendre et se met à faire les cent pas sur le trottoir,espérant follement sentir tout à coup une main se

 poser sur son épaule. Hélas! Sylvain n'est pas là. Avrai dire, il n'y comptait guère. Après cinq jours,

 pareille rencontre eût été un miracle. Aucun signe

non plus du passage de son camarade.« Chauffeur, à la gare centrale! »L'auto remonte vers la ville à travers la foule

 bariolée. Il se fait arrêter à l'angle de la place, près dulampadaire. Quel drôle de client, doit penser lechauffeur, qui ne sait s'il doit prendre le train ou le

 bateau.

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Dix fois, vingt fois encore, Robert arpente letrottoir sous le lampadaire où ils se sont séparés.Sylvain n'a laissé aucun signe; il a donc pu atteindreSantos. Vite, le téléphone. Il pénètre dans une cabinede la gare, feuillette l'annuaire. Comme Sylvain, ilrelève de nombreux Rodrigues. Aucun ne lui semblele bon. Le seul qui porte le prénom d'Antonio letente. Il appelle; ce n'est pas lui. Que faire? Il lui

 paraît impossible que le chimiste n'ait pas le

téléphone. Tant pis, essayons d'autres noms. Un deces Rodrigues est mentionné sans indication de

 profession. Il forme son numéro.« Le professeur Antonio Rodrigues, le chimiste?- C'est ici! Qui le demande? »Robert retient un cri de joie. Enfin il va savoir,

être rassuré. Dans quelques heures il va voler àSantos et retrouver Sylvain en chair et en os, commeautrefois.

« Allô... C'est Robert Guénec,. l'ami de SylvainRambaud... Je vous téléphone de Rio... Sylvain est-ilchez vous? »

Le cœur battant à tout rompre, il attend. Une voixd'homme, très lente, répond. Les doigts de Robert secrispent sur l'appareil. Il pâlit. Sylvain n'est pas àSantos et le professeur s'en étonne puisque le Tras-

Os-Montes a touché Rio cinq jours plus tôt. Robertexplique comment il a perdu son camarade; et,

désespéré, raccroche.

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Il s'effondre sur le strapontin de la cabine, en proie à un violent désespoir. Que faire? Attendre?...Mais qu'apportera cette attente? Sylvain ne reviendra

 pas. Si le malheureux n'a pu atteindre Santos, c'estqu'un malheur est arrivé.

« C'est ma faute, se dit-il, je n'aurais pas dû lequitter un seul instant. Il avait le pressentiment quenous nous perdrions. Oh! moi qui avais tant promis àJacqueline et à sa mère de le ramener sain et sauf!

C'est ma faute... Et maintenant, où est-il? Mon pauvreSylvain, es-tu en train de mourir dans un coin, ignoréde tout le monde...? »

Une voix en colère le tire de son cauchemar.C'est un Carioque qui veut occuper la cabine. Robertsort, tramant lamentablement ses valises. Quelques

 pas plus loin, il s'assied et se plonge la tête dans lesmains pour réfléchir. A quoi servirait de prévenir la

 police? Tout simplement on le jugerait fou. Pourrait-on croire, à Rio, à l'existence de l'hommetransparent? D'ailleurs, comment retrouver la trace dequelqu’un qu'on ne voit pas? Non, aucune solution; il

ne lui reste plus qu'à télégraphier en France pour annoncer la terrible nouvelle. Il se représente ladouleur de Mme Rambaud et de Jacqueline à saréception. Jamais plus, lui, Robert, n'osera paraîtredevant elles. Il avait tant insisté pour accompagner Sylvain!

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Cependant, ce télégramme, il ne peut se décider àl'envoyer tout de suite. II attendra encore un jour...Peut-être que d'ici là?...

Toujours assis sur sa valise, dans un coin du hallde la gare, il ne prête aucune attention à la foule

 bigarrée qui le côtoie. « Un jour, répète-t-il, je medonne encore un jour... »

Un peu soulagé par le délai qu'il s'accorde, il selève, reprend ses valises et, passant devant un

kiosque, s'arrête pour acheter un journal, n'importelequel. Qui sait? Il jette un coup d'œil sur les grostitres. La découverte dans les rues de Rio d'unhomme transparent ferait du bruit. On en parlerait

 pendant plusieurs jours. A la première page, rien,sinon, en manchette, un cambriolage sensationnel à

l'ambassade du Mexique. Rien non plus aux pagessuivantes qui ait un rapport avec Sylvain. Par acquitde conscience, il jette un coup d'œil à la rubrique desdécès. Hélas! sans doute, après la mort, latransparence doit-elle disparaître... Mais commentidentifier un cadavre nu?

Il jette le journal dans une corbeille, reprend sesvalises et s'éloigne. A la sortie de la gare il s'arrête,épuisé. Sa tête, qu'il croyait redevenue solide, lui faitmal. Les vertiges vont-ils le reprendre?

« Un jour, répète-t-il, il ne me reste qu'un jour! »

Malgré tout, il veut croire qu'il finira par 

retrouver Sylvain près du gratte-ciel. Trop fatigué

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 pour faire le trajet à pied, il prend un trolleybus quil'amène près du port. Sur le boulevard qui longe lamer, presque face au gratte-ciel, il découvre un hôteld'apparence modeste qui conviendra à sa bourse. Ilentre, demande une chambre.

Il s'étend sur le lit, se relève pour faire u*n peude toilette et chasser cette détestable odeur d'hôpitalqu'il traîne avec lui. L'eau fraîche l'apaise. Après les

 pluies torrentielles la chaleur est revenue, lourde,

 pénible. Il s'étend de nouveau, revient se pencher à lafenêtre.

« Suis-je stupide! fait-il tout haut. Je chercheSylvain comme si je pouvais le voir! »

Au bord du trottoir, juste devant le gratte-ciel,s'élève un lampadaire semblable à celui de la gare.

Soudain, une idée lui vient. Oh! comment n'y a-t-il pas pensé plus tôt ! A la hâte il déchire une feuille decarnet et griffonne ces mots : « Sylvain, attends-moiici. »

Il dégringole sur le boulevard, avec du papier collant fixe le billet sur le poteau métallique,

souhaitant que personne ne le déchire.Apaisé, il remonte dans sa chambre, cherche unrepos bien difficile à trouver. « Mon vieux Sylvain,où es-tu?... Où es-tu? »

Il décide de descendre devant le gratte-ciel toutesles heures et même de se relever plusieurs fois dans

la nuit. Entre chaque visite au

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lampadaire il voudrait se distraire, penser à autrechose qu'à son inquiétude, mais à chaque instant sesyeux se fixent sur le cadran de sa montre. Que c'estlong, une heure! Selon ses moments d'espoir ou dedésespoir, les aiguilles vont vite ou trop lentement.Entre-temps il se relève pour courir à la fenêtre voir si personne n'a enlevé le papier.

Cinq heures viennent de sonner. Le soleil baisserapidement au-dessus du Moro de Cas-telo, la haute

colline de la vieille ville. Dans deux heures la nuittropicale tombera, épaisse, brutale, et pendant treizeheures tiendra la ville dans l'obscurité la plus dense.

Avant de descendre pour la quatrième fois, il se penche encore à la baie. Personne sur le trottoir, sauf une femme dont la tête disparaît sous le traditionnel

chapeau brésilien en paille tressée. Machinalement illa regarde arpenter le trottoir, attendant le passaged'un autobus. Justement en voici un qui arrive. Desvoyageurs descendent, d'autres montent; la femme auchapeau de paille reste sur le trottoir. Sans douteattend-elle le véhicule qui viendra dans l'autre sens.

-Quelques minutes s'écoulent, un autobus passe, ellene le prend pas. Tiens, la voilà qui s'arrête devant lelampadaire et regarde le petit papier. Pourvu qu'ellen'ait pas la stupide idée de l'enlever!

Intrigué, il quitte sa chambre, traverse le boulevard. La femme au chapeau de paille est

toujours là; contrairement à ce qu'il croyait, c'est une

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 jeune fille. Il a même l'impression d'avoir déjà vuce visage, mais toutes les Carioques ne seressemblent-elles pas avec leur teint hâlé, leurscheveux noirs? Sans plus prêter attention à elle il semet à marcher. Tout à coup de petits pas trottinentderrière lui.

« Senhor! N'êtes-vous pas Robert Guénec?... Jevous reconnais, je vous ai vu ce matin à l'hôpitalCaritas. J'avais déjà fait trois hôpitaux. Quelle

malchance! Oh! si j'avais su que c'était vous, près demoi, dans la salle d'attente! »

Robert reste abasourdi. Lui aussi la reconnaît.Mais comment a-t-elle su son nom?

« Qui êtes-vous?- J'ai lu ce papier fixé au poteau, je vous

attendais. C'est votre ami Sylvain qui m'envoie.- Sylvain...? »Le choc est trop brutal; il vacille, se passe la

main devant les yeux.« Sylvain! Vous savez où il est?... Vous l'avez

vu?...

 — Il vous attend! — Où? — Venez avec moi. »Le pauvre Robert n'ose en croire ses oreilles.

Sylvain n'est pas mort, il va le revoir. « Que lui est-ilarrivé ?

 — Il est malade... »

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Robert hèle le premier taxi qui passe.« Senhorita, demanda-t-il vivement, je ne

comprends pas! Comment l'avez-vous trouvé? Dansquel état est-il?

- Il a pris froid sous la pluie battante et s'estfoulé la cheville en tombant d'un autobus enmarche... Ce n'est pas grave, il avait surtout froidet faim.

- Mais vous, senhorita, comment l'avez-vous

découvert, puisqu'il est invisible?- Il gémissait dans une cave où il s'était réfugié.

J'ai cru mourir de frayeur et je me suis sauvée...Heureusement, j'ai eu le courage de revenir voir. »

Robert se tourne vers la jeune fille pour voir sonvisage. Elle paraît si frêle, si timide. Comment, en

effet, n'est-elle pas morte de frayeur?« Vous l'avez sauvé », murmure-t-il.La jeune fille rougit de confusion.« Ah! si j'avais su que c'était vous, assis près de

moi à l'hôpital, nous n'aurions pas perdu de temps.Votre ami Sylvain m'a envoyé ici, à tout hasard, après

m'avoir fait visiter plusieurs hôpitaux. Une chance,c'était aujourd'hui mon jour de congé, j'ai pu fairetout cela. »

Robert regarde encore avec admiration la jeunefille toute timide qui a pourtant fait preuve d'uncourage extraordinaire. Après une longue course en

ville, l'auto débouche sur l'avenue de Pétropolis.

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« Excusez-moi, fait Maria Luisa, il vaut mieuxarrêter la voiture avant la maison. »

Robert fait signe au chauffeur. Ils font à pied lereste du chemin.

« Cinquième porte à droite, indique la jeune fille.Moi, il faut vite que je rentre, je suis déjà en retard; jevais me faire gronder... Je reviendrai cette nuit et jem'arrangerai pour que le vieux domestique nedescende pas. »

Elle s'esquive, peut-être autant par discrétion que par la peur d'une réprimande. Le cœur battant, Robertsuit le couloir souterrain. La cinquième porte estsemblable aux autres, simplement pourvue d'uneserrure neuve. Il la pousse lentement.

« Sylvain!

 — Robert! »Le jeune Guénec se précipite vers le fond de la

cave d'où est venue la voix. Il reconnaît, sous unecouverture, la forme d'un corps étendu. Les deuxamis s'étreignent. Tous deux pleurent de joie,incapables de dire un mot. Ils restent ainsi un long

moment, se tenant les mains pour bien se persuader qu'ils se sont retrouvés.« Ah! Sylvain, j'ai cru que tu étais mort... Où

souffres-tu? Est-ce grave? — Maria Luisa ne t'a rien dit? — Si... J'avais peur tout de même.

 __ Ah! Robert, quelle aventure! Sans cette

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fille envoyée par la Providence, j'étais perdu. Jelui dois une fière chandelle... Mais toi, Robert, tu estout pâle et amaigri...

- Un stupide accident, juste au moment où j'allaiste rejoindre sous le lampadaire. Te souviens-tu, nousétions encore ivres de roulis et de tangage, j'ai

 bêtement trébuché sur une de mes valises. Un camionarrivait. Dieu merci, je ne suis pas passé dessous,mais ma tête a heurté un boulon de roue, j'ai perdu

connaissance. Quand je me suis éveillé, j'étais sur unlit d'hôpital. J'ai mis trois jours à retrouver mes sens.J'ai fait des pieds et des mains pour partir... Mevoici... Et toi, Sylvain, si tu n'es pas trop épuisé,raconte-moi... »

A voix basse, Sylvain fait le récit de ces cinq

 jours d'angoisse.« Sans cette jeune Brésilienne, soupire-t-il

encore, je mourais de froid et de faim; je ne sais si j'aurais eu la force de sortir de ce trou pour chercher àmanger. Elle m'a apporté cette couverture, de lanourriture en cachette, des boissons chaudes et m'a

même collé un sinapisme! Et pourtant, tu peux croirequ'elle mourait de frayeur! Je lui dois la vie, Robert, je ne l'oublierai jamais... »

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CHAPITRE IX 

RODRIGUES REUSSIRA-T-IL?

UNE route sinueuse, longeant une côte découpéeoù des rochers abrupts plongent leurs racines de

 pierre dans des flots profonds. De temps à autre, au

large, de petites îles perdues, rocailleuses et désertes.La voiture file à belle allure sur cette voie touteneuve, tantôt taillée à vif dans le roc, tantôtenjambant des précipices.

Robert jette un coup d'œil sur sa montre : «Encore deux heures et nous serons à Santos. »

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Sylvain ne répond pas. Ce matin, en quittant Rioil était confiant, presque joyeux. A mesure qu'ilsapprochent, le doute l'effleure.

« Tu ne vas tout de même pas, mon vieuxSylvain, continuer à te faire des cheveux blancs alorsque nous touchons au but?

- Il m'est déjà arrivé tant d'aventures... et puis,souviens-toi de ce que nous a dit Rodrigues quandnous lui avons téléphoné.

- Evidemment, il avait tout prévu pour lelendemain de notre arrivée et nous avons huit joursde retard..., mais que risques-tu? Tout au plus unnouveau retard pour les préparations à refaire, ce quin'est d'ailleurs pas certain. Et puis... »

II n'achève pas. Le chauffeur noir vient de se

retourner pour la troisième fois, ahuri d'entendre sonvoyageur parler tout seul tantôt sur un ton, tantôt sur l'autre, exactement comme un ventriloque.

Alors les deux amis se taisent et se contentent deregarder le paysage sauvage et grandiose qui défile.Les kilomètres succèdent aux kilomètres. Les autos

roulent vite au Brésil. Le temps paraît pourtanthorriblement long. Sylvain pense à sa mère, àJacqueline, qui doivent vivre dans une mortelleinquiétude, attendant des nouvelles, car elles n'ont

 peut-être pas encore reçu le télégramme disantsimplement, sans autres explications, que la visite à

Santos avait été retardée.

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Il pense aussi à tout cet argent dépensé pour luiet, malgré lui, il jette un coup d'œil au compteur dutaxi qui marque déjà une somme énorme."

Pendant un long moment les deux camaradesrestent silencieux. Puis, tout à coup, un panneauannonce, en grosses lettres : SANTOS. Dans lelointain se dessinent les masses claires d'une grandeville. Et voici déjà les premiers faubourgs, moinsriants que ceux de Rio; voici les quais, les docks, le

grand port du Sud d'où partent vers les quatre coinsdu monde des montagnes de café. Car Santos estavant tout le port du café. On est presque surpris den'en pas sentir l'arôme.

« Quelle rue? demande le chauffeur. — 16,avenue Marajó. »

Le chauffeur ne connaît pas la ville. Il s'adresse àun agent qui porte un casque blanc comme à Rio.Quelques zigzags à travers la ville et voici l'avenueMarajó.

Avant de descendre de voiture, Robert se penchevers Sylvain :

« Mon vieux, dans quelques heures tu vasredevenir un homme comme tout le monde. Il fautque ton extraordinaire aventure finisse

 joyeusement! - Comment? __ Prends mon portefeuille dans ma poche et

règle toi-même le bonhomme!

 — Tu es fou !

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 — Une bonne petite blague inoffensive..., ladernière, Sylvain. »

Sylvain hésite, niais Robert paraît si heureux! Lavoiture vient de stopper contre le trottoir. Ilsdescendent. Robert s'approche du chauffeur quidécharge les bagages :

« Combien, s'il vous plaît?- Cinq mille deux cents cruzeiros. » L'homme

attend poliment, sa casquette à la main, et son regard

se fixe sur la poche de Robert où se trouve sans doutele portefeuille. Mais voilà que, sans un seulmouvement de la part de Robert, le portefeuille sorttout seul de la poche, comme par enchantement, qu'ils'ouvre de lui-même... et que les billets s'échappent,se déplient et se réunissent en une petite liasse.

« Voilà! fait Robert négligemment. C'est bien lecompte, n'est-ce pas? »

Mais le bonhomme n'a pas entendu. Il est d'aborddevenu verdâtre, puis affolé, a pris les jambes à soncou comme si on avait voulu l'assassiner. Robert luicourt après pour lui démontrer que l'argent n'est pas

ensorcelé. Le pauvre Noir revient en hésitant vers savoiture avec l'air de craindre qu'elle ne s'envole,comme les billets. La scène a été si drôle que Sylvainrit de bon cœur, se souvenant de l'aventure du

 boulevard Saint-Michel.Alors ils se dirigent vers l'immeuble, une vieille

maison assez décrépie. Tous les savants du

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monde ont donc une prédilection pour les vieuxlogis?... Cependant, au bout du couloir, s'ouvre unlarge patio comme ceux des vieilles demeuresespagnoles. Une femme, qui rentre les bras chargésde sa lessive sèche, leur indique que le senhor Rodrigues habite au premier. Quelques marchesseulement. C'est beaucoup pour Sylvain à quil'émotion coupe les jambes. Il s'arrête à mi-chemin

 pour reprendre haleine.

« Robert, est-il possible que ce long cauchemar soit sur le point de s'achever? »

Sur la popte, une petite plaque, avec simplementles initiales : « A. R. » C'est là.

Un coup de sonnette. L'attente se prolonge. Uneservante métisse vient ouvrir, la tête enveloppée

d'une sorte de madras qui fait ressortir son teintsombre de vieux bois d'Amazonie.

« Le professeur Rodrigues? — Le senhor Rodrigues n'est pas dans sa

casa. »Robert insiste :

« Allez tout de suite lui dire que la personne qu'ilattend est là. — Bien, senhor! »

Oubliant ce qu'elle vient de répondre, la métissetourne les talons et, se dandinant dans ses savates de

 paille, disparaît au bout d'un interminable couloir 

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carrelé. Quelques minutes plus tard, débouche aufond de ce même couloir un petit homme maigrichon,qui boite assez bas. Derrière ses lunettes à montured'or brillent •cependant des yeux perçants.

« Ah! mon ami!... Mes amis, vous voilà enfin! »Le ton est cordial, le français absolument correct.

A côté de Robert, le savant paraît presque nain. Iltend au jeune Guénec ses deux mains et, tout de suite,

 posant un doigt sur ses lèvres :

« Chut! Entrez discrètement... »Puis s'adressant à Sylvain qu'il suppose se tenant

derrière son camarade :« Vous, monsieur Rambaud, ne parlez pas, ma

domestique a une peur terrible des esprits! »Ils pénètrent dans l'appartement, plus

sympathique que l'extérieur et, contrairement à cequ'ils pensaient, très bien tenu. Le savant les introduitdans un vaste bureau-bibliothèque. Sur une tables'entassent pêle-mêle de gros ouvrages scientifiques,des brochures, des manuscrits. Le chimiste refermevivement la porte derrière eux.

« Maintenant, Sylvain Rambaud, vous pouvez parler. Que vous est-il donc arrivé, racontez-moi? Jem'inquiétais sérieusement. Tout était prêt pour l'arrivée du bateau. Ce contretemps est fâcheux, trèsfâcheux! »

Sylvain narra son aventure d'une voix qui trahit

son angoisse. Puis, hésitant :

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« Senhor, il n'est pas trop tard? — Je l'espère... Mais vous venez de toussoter à

 plusieurs reprises, êtes-vous en excellente santé? — J'ai pris un refroidissement, sous la pluie, à

Rio. », Le chimiste aux yeux vifs hocha la tête.

Sylvain demande, de plus en plus inquiet t « Serait-ceun obstacle? 

 — Je ne sais pas si mon confrère français l'avait

remarqué comme moi, l'état fébrile qui, comme vousle savez, amène des modifications dans l'organisme,trouble parfois les expériences biologiques...

 — Vous voulez dire, interrompt Robert, queSylvain n'est pas sûr de retrouver son état normal?

- Si la fièvre est trop forte... Mais voyons

 plutôt. »Le professeur se lève, se dirige vers le fauteuil

apparemment vide où est assis Sylvain.- Donnez votre poignet... Hum! le pouls est

 plutôt rapide et irrégulier... et vous tremblez.- C'est l'émotion, senhor. »

Sylvain cherche à lire dans les yeux du chimiste;tout à coup, il éclate :« Senhor, quoi qu'il arrive, n'attendez pas

davantage! Je vous assure que je me sens très bien. Jen'ai pas de fièvre! »

L'homme sourit :

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« Je comprends votre impatience. Hélas! cela nedépend pas tout à fait de moi. Je l'ai écrit à M.Guénec, certains contre-éléments présentent unegrande instabilité. Tout était prêt pour la semainedernière à l'arrivée du bateau, aujourd'hui... - Troptard?

 — C'est-à-dire que je suis obligé derecommencer certaines  préparations.Heureusement, j'avais prévu que le bateau pouvait

avoir du retard; j'ai conservé un peu de cet alcaloïde,le termigane, qui sert de base à l'anti-élément

 principal. Mais c'est un produit difficile à se procurer,  je crains seulement que la quantité soitun peu faible... Je n'ai rien voulu entreprendre avantque vous soyez là; la préparation me demandera

 plusieurs heures, nous ferons la piqûre demainmatin.

 — Demain seulement », soupire Sylvain. Cesquelques heures, juste au moment de toucher le  but,lui paraissent un siècle.

« Rassurez-vous, reprend le chimiste d'une voix

 paternelle, je ne vous laisserai pas sortir  en ville; jevous garde; vous êtes mes hôtes, vous coucherez ici.»Cette hospitalité toute simple émeut les deux

camarades et rassure Sylvain. Mais demain est toutde même loin. Toute une longue nuit d'angoisseencore, avec beaucoup d'incertitude quant au résultat

final.

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Lorsque les deux camarades se retrouvent dans la petite chambre que la servante métisse leur  a préparée... ou plutôt, a préparée à Robert, Sylvain necache pas ses craintes. La fièvre va tout gâcher, sans

 parler de ce fameux termigane dont la quantité serainsuffisante. Il restera infirme, d'une infirmitéépouvantable; il deviendra à moitié transparent, on neverra que son squelette. Il n'arrive pas à s'endormir etrumine toutes sortes d'extravagances.

Enfin, le lendemain est devenu aujourd'hui. Le petit jour filtre à travers les stores de bambou.Quelqu'un frappe à la porte :

« Le senhor Rodrigues vous attend. »Sylvain se lève. Il se sent fiévreux. Ce réveil

 brutal alors qu'il venait à peine de s'endormir lui fait

 penser à l'aube d'un condamné à mort. Tout souriant,le petit bonhomme les attend dans son cabinet detravail, aussi encombré que la veille. Il les fait passer dans son laboratoire. Contrastant avec le bureau, cettesalle est très ordonnée. Deux longues tables aucentre. Aux murs, deux grandes vitrines ripolinées.

On se dirait plutôt dans une salle d'opération aumoment d'une grave intervention chirurgicale... Et nes'agit-il pas de cela, en effet?

Sylvain sent son sœur battre la breloque. Il pensesoudain que sa vie est entre les mains de ce petit

 bonhomme. Jamais, depuis le soir de l'incendie, il n'a

eu aussi peur. Ses mâchoires

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se contractent, ses ongles s'enfoncent dans ses paumes.

« Vite, senhor, que se soit fini!... Même si je doisrester à tout jamais ce que je suis! » Mais tout bas, il

 pense : « Oh! non, ce n'est  pas  possible! » Le professeur vient d'ouvrir ses vitrines. Il en sorttoutes sortes de flacons, des tubes, desappareils inconnus. Ses gestes sont précis, mesurés;son calme impressionne plus encore que ses gestes.

« Vous m'excuserez, dit-il, tout ce que je suis entrain de faire sous vos yeux ne pouvait être préparé

 plus tôt... Mais ce ne sera pas long. »Tandis qu'il s'affaire, Robert avise soudain, au

fond du laboratoire, une grande glace où on peut sevoir en pied et qui, assurément, ne fait pas partie d'un

matériel scientifique.« Ah! oui, fait le chimiste, cela vous intrigue! J'ai

 pensé à l'impatience et à la joie de votre camarade aumoment où il pourra enfin se regarder, se voir. »

Cette attention de la part du savant bouleverséSylvain, lui fait toucher du doigt l'imminente réalité.

Vraiment, tout à l'heure, il pourra... Il regardelonguement la glace et essuie une larme sur sa joue.Le chimiste poursuit ses préparatifs, opère encore

des transvasements, pèse des liquides au densimètre,fait chauffer un tube à essai, en observe la teinte,hoche la tête en y découvrant un léger trouble,

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regarde encore devant une lampe de couleur rouge orangé. Toutes ces opérations, Sylvain sesouvient les avoir vu faire à Pierrefitte, mais iln'éprouvait alors que de la curiosité. Aujourd'hui, lemoindre geste prend une tout autre signification. Ettout à coup, il pense : « II est si frêle, cet homme! Sitout à coup il s'effondrait, terrassé par une crisecardiaque! »

Encore un dosage, un mélange. Enfin voici la

seringue, l'aiguille. Ah! cette aiguille, avec quelsyeux il la regarde!

« Tout est prêt, asseyez-vous sur ce tabouret...Où est votre bras? »

Robert est resté debout. Il tient l'autre main deSylvain, cette main qui, dans quelques instants, doit

redevenir visible. Les doigts du savant semblent se promener dans le vide comme des doigts distraits qui pianotent.

« Ne bougez plus, je sens votre veine. »Minute terrible. Est-il possible que sur ce

tabouret qui semble posé là, on ne sait pourquoi, un

corps humain, tout à coup, va- prendre forme?« Vite, senhor, je n'en puis plus d'attendre! »Un petit coup sec. L'aiguille vient de traverser la

 peau, elle pénètre dans la veine. Lentement, le pistons'enfonce. Le liquide jaunâtre diminue. Le regardtendu, Robert retient sa respiration.

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Dix secondes... vingt... Encore rien! Mon Dieu!l'expérience va-t-elle échouer? Robert sent trembler la main de son camarade. Tout à coup, il pousse uncri. Quelque chose de vague, de flottant, quiressemble à une ombre bleue, vient d'apparaître; puiscette ombre prend consistance. Les os du crâne semodèlent ainsi qu'on long trait, la colonne vertébrale,ensuite les humérus, les fémurs que surmontent* lesos du bassin. Mais les images qui viennent de se

former semblent s'arrêter là. Robert pense tout à coupaux paroles de Sylvain, la veille au soir  : « Si jerestais réduit à l'état de squelette! » Dix secondes,vingt... Le squelette est  parfaitement formé, mais onne voit que lui; aucune masse de chair  ne vient lecacher. C'est épouvantable! Robert jette un coup d'œil

vers le chimiste et lit dans son regard la mêmeinquiétude. Vingt secondes encore. Le silence est sigrand qu'il fait mal. Sylvain a cessé de trembler, maissa main dans celle de Robert s'est raidie. Sans doute,s'il regarde ses bras, ses jambes, se rend-il compte dela catastrophe.

Enfin les os s'estompent, comme englués dansune masse grisâtre, confuse. Puis cette masse se précise, le contour  des  bras, des cuisses, du visage,apparaît. Oh! voici les yeux, les yeux démesurémentdilatés; voici la bouche, les lèvres. Voici Sylvain,enfin!

Robert pousse un cri :

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« Je te vois! Je te vois! »Puis, presque aussitôt :« Ciel! que tu es bronzé! Et que tes cheveux sont

longs! »Sylvain, lui, n'a pas bronché. Il reste hébété,

absent, assommé. Il regarde stupidement devant luicomme s'il n'osait abaisser les yeux sur son proprecorps.

« Sylvain, c'est merveilleux! Comme avant! Toutà fait comme avant! Viens te voir! »

Il l'entraîne vers la glace. Tout d'un coup, Sylvainse découvre. Ses yeux se fixent sur ses yeux. Il ne

 peut plus les en détacher.« Comme avant!... Je suis comme avant! »

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Et il tombe dans les bras de son camarade en pleurant de joie...

***

Accoudés au balcon de leur petite chambred'hôtel qui donnait sur un parc fleuri, les deuxcamarades respiraient l'air moins lourd du soir.

« Mon vieux Robert, j'ai tellement pris l'habitudede vivre sans costume que je ne peux supporter mesvêtements; j'étouffe.

- Rassure-toi, Paris n'est pas sous les tropiqueset nous y serons bientôt.

- Bientôt, c'est vite dit; notre "bateau ne

 part que dans treize jours.- Treize jours de merveilleuses vacances,

Sylvain ! Nous n'avons pas volé cette petitecompensation.

- J'ai hâte de rentrer, hâte de montrer mon visageà ma mère, à Jacqueline.

 — Puisqu'elles ont, à cette heure, reçu tontélégramme...- Ce n'est pas la même chose, Robert, elles ne

me croiront vraiment qu'en me retrouvant... Et puis,ici, nous dépensons inutilement de l'argent.

- Bah! tu ne vas pas recommencer à ruminer ça!

Fourre tes soucis dans ta valise jusqu'à l'arrivée au

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Havre... Et tu voudrais partir tout de suite, sansrevoir Maria Luisa! Tu ne penses donc plus quesamedi prochain elle sera libre toute la journée! »

Sylvain sourit, rougit un peu :« Je n'oublie pas Maria Luisa ni ce qu'elle a fait

 pour moi. »Robert lui donna une bourrade amicale.« Et maintenant, puisqu'il fait plus frais, qu'en

dites-vous, monsieur-1'ex-homme-transparent, si

nous allions faire un petit tour dans Rio? »Ils descendirent dans la ville. Le soir était

splendide. Un soleil moins brutal qu'au cœur de la journée allongeait de grandes ombres sur les trottoirs.Les rues regorgeaient d'une foule bruyante et colorée.

« Oui, vraiment, c'est merveilleux de se retrouver 

comme tout le monde, soupirait Sylvain. Désormais,le Brésil sera pour moi le plus beau pays du monde. »

Ils déambulèrent sur les boulevards, voulurentrevoir la fameuse « praca de l'Estaçao » (place de laGare), le lampadaire de sinistre mémoire. De là, ils

 passèrent sous l'esplanade de « Moro de Castelo ».

Puis ils traversèrent un parc peuplé de hauts cactus.Déjà, les lampadaires s'allumaient, les magasinss'illuminaient. Avec l'arrivée brutale de la nuit, laville changeait d'aspect. Rio ne perdait ses charmesde ville tropicale que pour en retrouver  d'autres. Ilss'arrêtèrent à la terrasse d'un café qui, en fait de café,

servait surtout des boissons glacées. Comme ils

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entraient, passa un petit marchand de journaux, pieds nus, la tête encore couverte d'un immensesombrero bien qu'il fît grand-nuit, et qui s'égosillait :

« Correo do Brasil !... Le vol de l'ambassade! La police sur une nouvelle piste!... »

Sylvain s'arrêta pour acheter le journal. En fait denouvelle piste l'article ne révélait rien desensationnel^ les voleurs couraient toujours.

« Robert, dit gravement Sylvain, il faut, sans

tarder, que je dise ce que je sais. C'est malhonnête deme taire.

- Pourquoi ne pas attendre notre retour enFrance?

- Il sera peut-être trop tard.- Sylvain, c'est dangereux pour toi. Ton

 passeport n'est pas en règle puisqu'il n'a pas été présenté à l'arrivée à Rio; ensuite, commentexpliquer que tu étais invisible? Personne ne tecroira... On te prendra pour un complice de la bandeet tu ne t'en sortiras pas. »

Sylvain réfléchit. Robert disait vrai; ses

révélations, même exactes, paraîtraient suspectes.Rentré en France, tout serait simple. Et cependant,autant pour être sûr de voir les malandrins sous lesverrous que pour sa petite satisfaction d'avoir été utileà quelque chose, il hésitait.

Le lendemain, après une bonne nuit sans

cauchemar, il déclara à Robert :

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« Tant pis, arrivera ce qui arrivera, il faut que je prévienne la police. »

II se rendit au commissariat le plus proche où onlui indiqua le siège de la police d'Etat, un grand

 bâtiment blanc gardé par une demi-douzaine desentinelles en casque et gants blancs. Là, oncommença par l'envoyer d'un bureau à l'autre, comme

 pour s'en débarrasser. Son âge, sa qualité d'étranger,n'inspiraient pas confiance. Enfin, il fut reçu par un

inspecteur de  police qui, devant son insistance, finit par l'écouter :

« Les bijoux de l'ambassade? Naturellement,vous aussi vous avez quelque chose à dire!

 — Des indications sérieuses. — Vous allez peut-être me dire que vous êtes en

mesure de faire arrêter les cambrioleurs?- Ce n'est pas impossible !

 — Nous avons déjà eu la visite d'une demi-douzaine de détectives de votre espèce... sansrésultat, naturellement!... Enfin, parlez! »

Sylvain avait longuement réfléchi à ce qu'il

dirait; la méfiance de Robert lui avait conseillé la prudence. Il avait fabriqué une histoire trèsvraisemblable pour expliquer comment, par hasard, ilétait entré dans la fameuse librairie. Naturellement, iln'était pas question d'homme transparent. Il ne tenait

 pas à passer pour fou.

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Son récit inventé tenait bien d'aplomb.Cependant l'inspecteur demeurait sceptique.

« C'est bien, fit-il, rions allons voir. En attendant,nous vous gardons à notre disposition, ici-même. »

Discrètement, mais efficacement, on le garda àvue dans les locaux de la police, le temps d'aller vérifier ses déclarations. Cela demanda plusieursheures. Tard seulement à la fin de la matinée,l'inspecteur le fit de nouveau appeler dans son

 bureau. L'homme avait changé d'attitude à son égard.Il n'était d'ailleurs plus seul, trois autres inspecteursl'accompagnaient. Sylvain se sentit impressionné.

« Vos renseignements étaient exacts, lui dit-on,nous venons de les vérifier. Les malfaiteurs ont étéretrouvés à Olaria... ainsi que les bijoux qui y étaient

cachés... Mais pourquoi avez-vous tant tardé à faireces révélations?

- Je n'étais pas à Rio, j'ai appris seulement hier levol de l'ambassade.

 — Mais puisque vous avez assisté au retour descambrioleurs dans la librairie, voici six jours,

vous auriez pu et dû prévenir immédiatement la police?- Je devais me rendre à Santos le jour 

même; je pensais avoir le temps, à mon retour. — Et comment se fait-il que votre passeport ne

soit pas en règle? Comment êtes-vous arrivé à Rio! »

Cette question, Sylvain l'avait aussi prévue. Il en

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donna une explication qui ne parut pas satisfaireles policiers.

« Ne serait-ce pas plutôt l'attrait de la primeofferte par l'ambassade?

- Quelle prime?- Comment! Vous ne savez pas, quand tous les

 journaux en ont parlé? — Je n'ai pas lu les journaux, je comprends à

 peine quelques mots de portugais. »

Sylvain comprit, comme l'avait prédit Robert,qu'on le soupçonnerait d'être un complice, et cettehistoire de prime aggravait encore la situation. Il seressaisit.

« Rien ne vous permet de me soupçonner; simpleétranger de passage au Brésil, mon seul désir était

d'aider votre police. Est-ce ma faute si je n'ai pu lefaire plus tôt? Si vous désirez des renseignements, jedemande qu'on me conduise au consulat de France,qui en obtiendra de Paris. »

En attendant, il fut encore gardé à la maisoncentrale de la police. Tard seulement dans l'après-

midi, alors qu'il commençait à s'inquiéter sérieusement, on consentit -à le conduire au consulatde France. Par une chance extraordinaire, vraimentinouïe, un des employés avait connu son père; ilsavaient fait leurs études ensemble au lycée Henri-IV.On télégraphia à Paris et naturellement à Santos, au

 professeur 

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Rodrigues, qui assura que Sylvain était venu leconsulter pour une grave maladie. Tout s'arrangeafinalement. Sylvain en fut quitte pour la peur...Quand il retrouva le petit hôtel, qui, en son absence,avait été fouillé, Robert, qu'on avait interrogé, était

 bouleversé.« Eh bien, mon vieux, tu as failli nous mettre

dans de beaux draps! »Ils n'en dormirent pas de la nuit. Le lendemain,

ils venaient de se lever, quand un domestique noir frappa à leur porte.

« Senhor Rambaud, vite, au téléphone! »Sur le coup, Sylvain crut que là police venait de

nouveau lui chercher chicane. Il entra en tremblantdans la cabine.

La communication ne venait pas de la police,mais de l'ambassade du Mexique. On invitait Sylvainà s'y rendre pour être félicité et pour lui remettre lemontant de la prime de deux cent cinquante millecruzeiros promise à la personne qui permettrait dedécouvrir les cambrioleurs.

Sylvain faillit s'évanouir d'émotion. Il remontal'escalier en courant et tomba dans les bras de Robert.« Deux cent cinquante mille cruzeiros! s'exclama

celui-ci. Presque une fortune! Il ne te reste plus qu'àte mettre sur ton trente et un et à courir àl'ambassade! »

Mais Sylvain secoua la tête :

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« Non, je n'irai pas! Tu sais que je n'ai pas fait ça pour toucher une prime. Je suis assez heureux de voir que ma transparence m'a servi à quelque chose. »

Robert ne fut pas de cet avis :« Tu es stupide, Sylvain! Tu ignorais cette prime,

 personne ne peut mettre en doute ta bonne foi... Et puis, tu te tracasses toujours pour l'argent dépensé ici. Ne pense pas à toi, Sylvain, mais à ta mère, à ta sœur.Il faut y aller ! »

Ce dernier argument toucha Sylvain. Robertacheva de le décider, et l'accompagna jusqu'àl'ambassade où les attendaient des journalistes qu'ilsarrivèrent à grand-peine à dépister. Une heure plustard Sylvain, que Robert avait attendu dans levestibule, sortait de l'ambassade, serrant

 précieusement dans son portefeuille le fameuxchèque.

« Tu avais raison, Robert. J'ai été reçu par lafemme de l'ambassadeur elle-même; elle était siheureuse d'avoir retrouvé ses bijoux et de meremettre le chèque, que j'en oublie mes scrupules.

 — Tu vois, fit Robert en riant, tu as encore ratéune vocation, tu aurais fait un fameux détective!La fortune était à tes pieds!

 — A mes pieds?... Tu oublies simplement quemes pieds étant invisibles, on n'aurait pas su où ladéposer! »

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Robert éclata de rire. Ils traversèrent la ville à pied pour en jouir davantage. De petits marchands de journaux annonçaient déjà l'arrestation des voleurs del'ambassade, découverts par un jeune Français.

« Sylvain, déclara Robert, ne rentrons pasencore... Si tu nie payais à dîner dans un bon petitrestaurant de la ville, puisque te voilà presque riche!»

... Le surlendemain, samedi, ils devaientretrouver Maria Luisa qu'ils n'avaient revue qu'une

seule fois depuis le retour de Santos. Encore, cetterencontre avait-elle été très brève. Aujourd'hui, MariaLuisa serait libre tout l'après-midi.

Bien avant l'heure du rendez-vous ilsdéambulaient sur l'avenue de Pétropolis. Sylvain étaittrès ému. Ils n'attendirent pas longtemps après l'heure

fixée. La jeune fille apparut, vêtue d'une simple petiterobe à fleurs en coton, à grands ramages, mais qu'elle

 portait avec grâce. Elle s'était soigneusement coifféeet discrètement fardée. En arrivant près des deux

 jeunes Français, elle se trouva de nouveau intimidée.« Je suis beaucoup heureuse de vous revoir, dit-

elle en rougissant. Ah! monsieur Sylvain, j'ai vu sur le journal, les voleurs de l'ambassade ont été arrêtés;on ne disait pas votre nom, je suis sûre que c'est grâceà vous...

 — Et grâce à vous, Maria Luisa... Car sans vous,comment serais-je sorti d'affaire? »

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Elle secoua ses longs cheveux noirs, l'air incrédule. Robert et Sylvain l'emmenèrent en ville.

Le soleil, tamisé par une petite brume venue du large,rendait l'atmosphère très supportable. La jeune fillemarchait à côté de Sylvain qui la dépassait de toute latête. Elle paraissait à la fois heureuse et confuse.Tous les dix pas, elle tournait discrètement les yeuxvers Sylvain pour le regarder.

« Vous me trouvez bien différent de l'image quevous vous faisiez de moi! » dit-il en riant.Elle rougit encore.« C'est vrai, avoua-t-elle, je vous croyais petit et

 brun; et vous êtes grand et blond... »Puis d'ajouter :

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« Pardonnez-moi d'être si émue. Depuis quevous êtes redevenu comme tout le monde il mesemble que j'ai rêvé, que vous n'avez jamais étéinvisible, que, dans la cave, ce n'était pas vous...

Vous ne reconnaissez pas ma voix? — Justement, votre voix, votre voix

seulement me dit que je n'ai pas rêvé. »Tout en bavardant, ils descendaient une large

avenue. Tout à coup, Robert s'arrêta. Ils se trouvaient

devant un grand restaurant.« Où m'emmenez-vous? demanda-t-elle avec

inquiétude.- Regardez cette horloge... N'est-ce pas

l'heure de déjeuner?- Oh! pas ici!

- Pourquoi?- C'est trop beau..., trop beau pour moi ! »

Sylvain sourit. Il lui prit le bras pour qu'elleconsentît à entrer. Le restaurant était, en effet, assezluxueux. Entre les petites tables fleuries, des serveurstout en blanc circulaient, portant des plateaux garnis.

Ils s'installèrent dans un coin, près d'une grande baiedonnant sur l'avenue. Maria Luisa s'inquiéta :« Que dirait ma patronne si elle me voyait?

 — N'êtes-vous pas libre, aujourd'hui? » Ellesourit, partagée entre sa joie de se trouver dans unagréable décor et sa crainte d'être grondée. Comme

tout à l'heure, elle ne cessait

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de se retourner vers Sylvain. Elle demeuraitinquiète. La présence dans la cave, de l'hommeinvisible, l'avait fortement ébranlée, malgré lecourage qu'elle avait montré. Sylvain le comprit.Pendant le repas, il lui parla encore de l'expérience dePierrefitte; pour elle, il essaya d'analyser lessentiments qu'il avait éprouvés pendant satransparence, et les réactions de ceux qui l'avaientapproché.

La jeune fille écoutait, avec une attentionextrême, cette voix qui l'avait fait trembler d'épouvanté et qu'aujourd'hui elle trouvait toutesimple, toute naturelle. Les paroles de Sylvainachevaient de la délivrer de ce qui restait obscur enelle. Elle sourit d'un sourire confiant, remerciant

Sylvain de lui apporter ce qu'elle désirait : l'oubli deces terrifiants souvenirs.

« Ah! oui, soupira-t-elle avec naïveté, je vousaime mieux comme vous êtes! »

Le repas terminé, ils lui demandèrent où ellevoulait aller.

« Connaissez-vous le parc du « Palais » ? proposa-t-elle. C'est le plus beau de Rio. Il y poussedes fleurs magnifiques. On dit qu'il ressemble à un

 jardin de Paris, le jardin... voyons... le jardin desTuiles!....

 — Le jardin des Tuileries! » rectifia Robert en

riant.

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Le parc était très beau, en effet, mais sans doutene ressemblait-il au jardin des Tuileries que dansl'imagination de la petite Brésilienne. Des arbres auxfeuillages dentelés, ouvragés, répandaient sur le soldes ombres vigoureuses et élégantes. Des jets d'eauapportaient des vagues de bienfaisante fraîcheur.Rendue volubile par la satisfaction de sescompagnons, Maria Luisa se mit à parler de son paysqu'elle trouvait beau malgré la tristesse de sa propre

vie. Elle oublia que dans deux heures elle retrouveraitsa cuisine, sa vaisselle et le vieux Noir, toujours là

 pour la houspiller.« II paraît que la France est un pays encore plus

 beau que notre Brésil, fit-elle. — Qui le dit?

- On parle souvent de la France, au Brésil. Lesriches Carioques vont tous, au moins une fois, àParis, et ils en reviennent émerveillés.

 — Et vous, Maria Luisa, vous aimeriez aller là- bas?

- Oh! non, pas moi! »

Ce n'était pas du dédain, seulement del'étonnement, comme si pareille chose étaitimpensable pour une petite servante.

Ils se promenèrent dans les allées. Le temps passait. Il passait même très vite. Tout à coup la jeune fille eut un petit cri en regardant une horloge

 publique :

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« Déjà! »Elle en perdit sa gaieté et resta silencieuse.Sylvain devina qu'elle pensait à quelque chose

mais n'osait l'exprimer.« J'ai été si heureuse, aujourd'hui, dit-elle

simplement, je... »Mais elle n'ajouta rien. Sylvain se sentit très

malheureux. Brusquement, il lui prit les mains.« Maria Luisa, dit-il, pour nous aussi, pour moi

en particulier, cette journée aura été la plus douce quenous ayons passée dans votre pays. Nous aurionsaimé vous revoir encore... Hélas! nous allons

 partir...»Elle ouvrit de grands yeux, le regarda

furtivement puis détourna la tête.

« Oui, reprit Sylvain, nous devions quitter leBrésil la semaine prochaine par le bateau... Mais vousdevinez, après une pareille aventure, avec quelleimpatience on m'attend en France.

 — Je comprends, soupira-t-elle.- Nous avons retenu nos places sur un avion qui

rentre en France, après une escale auxAntilles. »

Maria Luisa ne répondit pas. Un voile de tristesse passa sur son visage.

« Oui, reprit-elle, je comprends, on vous attend.- Nous partons demain soir.

- Demain soir! »

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Elle baissait la tête pour cacher ses yeux. Sylvainlui reprit les mains.

« Maria Luisa, je ne vous oublierai pas, jen'oublierai jamais ce que vous avez fait... Puisquevous aimez la France, peut-être y viendrez-vous un

 jour... Ne dites pas non. Rien n'est impossible. Vousviendrez en France, vous viendrez à Paris, nous nousreverrons. »

Elle soupira longuement et ne répondit pas. Puis

elle prit son mouchoir et essuya une larme.« Vous allez partir... Demain soir, je laisserai

ouverte la fenêtre de ma cuisine. Quand les avionss'élèvent pour gagner la mer, ils passent toujours au-dessus de notre quartier. J'essaierai de voir dans lanuit les petites lumières vertes et rouges... Alors je

 penserai à vous, je vous suivrai dans votre longvoyage...

- Un voyage que vous ferez peut-être, un jour!»

Elle sourit tristement, comme si elle reprochait àSylvain de lui faire trop envie.

Puis elle retira vivement ses mains de celles quiles retenaient.« II faut que je m'en aille, je suis en retard. »Et elle s'enfuit à travers le parc sans se retourner.

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EPILOGUE

UN  JARDIN de banlieue. Au fond, une maisonspacieuse, confortable mais sans prétention. Sous un

 poirier, assis dans un fauteuil d'osier, un homme parcourt des journaux et des revues, un crayon à lamain. Trois pas plus loin, un gamin de quatre ou cinqans s'amuse sur un tas de sable.

« Dis, papa, c'est vrai, tante Jacqueline va venir tout à l'heure?

 — Oui, Pedro.- Et l'oncle Robert aussi?- Bien sûr.- Et Jacques, et Babette?

 — Eux aussi.

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Satisfait, le gamin retourne se vautrer dans le tasde sable, tandis que le père se replonge dans sesrevues et ses notes... Pas pour longtemps. Un coup desonnette, à l'entrée, l'interrompt.

« Cours vite ouvrir, Pedro, ce sont eux! »Lâchant la boîte qu'il emplissait de sable, Pedro

trotte au bout du jardin, tout joyeux, prêt à sauter aucou de ses cousins. Mais la porte à peine ouverte, ilrevient en courant vers son père.

« Un monsieur! »Le père fronce les sourcils et jette ses papiers sur 

le guéridon, près du fauteuil :« Encore un journaliste! On ne me laissera donc

 jamais en paix, même un jour comme celui-ci! »II se lève sans hâte et traverse le jardin à la

rencontre de l'importun, ayant grande envie de lemettre à la porte. Mais l'homme, qui a l'air modeste,est sans doute l'envoyé d'un petit journal devulgarisation scientifique. Il se présente comme tel,en effet. Sylvain Rambaud le prie de s'asseoir à côtéde lui sous le poirier. Le reporter ne se le fait pas dire

deux fois.« Que désirez-vous? Je vous préviens, je n'ai quequelques instants à vous accorder. J'attends desvisites.

 — Quelques notes seulement. C'est spécialementvotre dernière découverte qui intéresse notre journal :

la congélation de l'eau de mer. »

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Sylvain soupire; c'est la dixième fois, au moins,qu'on vient le voir pour lui poser les mêmesquestions. Evidemment, la solidification de l'eau demer à n'importe quelle température peut avoir desconséquences extraordinaires, et Sylvain en a étudiéun certain nombre, mais il n'aime guère s'en ouvrir àtout venant. Il se contente de répondre aux questionstoutes préparées du journaliste par des formulesvagues. Le journaliste voudrait savoir, par exemple,

s'il serait possible de solidifier une mer comme laMéditerranée ou la Manche, quelle dépense d'énergieréclame la congélation d'une masse de cinquantemètres cubes d'eau; si, du point de vue économique,cette découverte peut avoir une grande portée, etc.

Puis, emporté par sa curiosité professionnelle,

l'homme glisse sur d'autres terrains, les découvertesantérieures de Sylvain.

« Vous savez, dit-il, que la rumeur publique prétend que vous détenez aussi le secret de l'hommetransparent dont on a parlé à la mort du chimistePierrefitte et qui a fait beaucoup de bruit à

l'époque...»A cette question, le front de Sylvain se plissedurement :

« Je me soucie peu de la rumeur publique. Sivous voulez bien, je ne répondrai pas à cette questionqui n'a rien à voir avec la congélation des mers. »

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En disant cela, il a regardé l'heure à sa montre ets'est levé. Le reporter a compris. Il rentre son stylo etson carnet.

« Mon petit Pedro, va reconduire monsieur  jusqu'à la porte. »

Sylvain se rassied, étend le bras pour reprendreses notes, mais, papier en main, s'arrête et réfléchit. Ily a vingt ans aujourd'hui, il débarquait à Orly avecRobert. Vingt ans!... Et l'homme transparent tracasse

toujours les hommes! Alors, des souvenirs luireviennent. Il revoit l'incendie de la rue Laura-Ancin,son long cauchemar de six mois, le Brésil, les rues deRio, la jeune fille brune qui s'appelait Maria Luisa...et qui est aujourd'hui sa femme II pense à ses étudesqu'il a pu poursuivre et l'ont poussé vers la biologie et

la chimie, à la célébrité naissante, dont il ne se soucieguère, mais dont il est tout de même l'esclave... Maisun nouveau coup de sonnette l'arrache à sessouvenirs.

« Cette fois, ce sont eux! Cours vite, Pedro! »La porte du jardin s'ouvre devant Jacques et

Babette qui précèdent l'oncle Robert et tanteJacqueline. Ce sont des embrassades sans fin.La tradition veut que chaque année, en effet, le

26 juin, les deux familles fêtent tantôt chez l'une,tantôt chez l'autre, l'anniversaire du retour. Malgréleurs activités différentes, puisque Robert a suivi son

 père dans l'architecture, les deux hommes sont

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demeurés inséparables et leur amitié s'est encoreresserrée le jour où Robert a épousé la sœur deSylvain.

Aujourd'hui, l'anniversaire est encore plusémouvant puisque c'est le vingtième. Le jour est aussiradieux que ce matin de juin où ils atterrissaient sur l'aérodrome d'Orly. Tandis que Jacqueline s'empressede rejoindre Maria Luisa à la cuisine pour l'aider aux

 préparatifs du repas et que les trois enfants se ruent

sur le tas de sable, les deux hommes demeurent dansle jardin pour bavarder.

« Eh oui! mon vieux Robert, déjà vingt ans!Comme le temps passe! Nous étions des gamins etnous voici des hommes mûrs... Pourtant, il mesemble que c'était hier...

 — J'espère tout de même que l'hommetransparent a cessé de te hanter.

- Me hanter serait beaucoup dire, mais j'y pense parfois... Et si j'oubliais d'y penser, il se trouveraittoujours quelqu'un pour me le rappeler. Tiens, il y aquelques instants seulement, un journaliste a encore

trouvé le moyen de m'en parler.-— Preuve que l'homme transparent intriguetoujours les foules... Et qu'as-tu répondu?

 — Rien. L'homme transparent n'existera jamais ! — Ainsi, tu es toujours décidé à garder secrètes

les formules qu'Antonio Rodrigues t'a

communiquées autrefois ?

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 — Plus que jamais!Tu comptes les emporter dans ta tombe?

 — Peut-être... Une découverte est toujours un progrès, un pas de plus vers la connaissance... maisde là à la vulgariser!

- Autrement dit, la réalisation de l'hommetransparent ne te paraît pas souhaitable? Je croisque tu penses trop à ta propre aventure.

- Vois-tu, Robert, j'ai beaucoup réfléchi aux

conséquences de cette découverte. Toi et moitravaillons dans des domaines différents. Dans le tien,tout est clair; tu es un bâtisseur, rien n'est discutabledans ton œuvre, je veux dire au point de vuehumain... Nous autres, chimistes, c'est autre chose.A chaque découverte, la même question se pose : est-

ce souhaitable? Quel usage en fera-t-on? »Robert sourit :« Tu ne changeras pas, mon vieux Sylvain,

toujours aussi scrupuleux!- A moins de ne posséder aucun sens des

responsabilités, comment être autrement?

- Tu penses à ton angoisse passée... Tu oubliesqu'il y a vingt ans tu as amusé follement les cinqcents passagers d'un paquebot et que ta transparencea permis de découvrir une bande de cambrioleurs!

 — Pardon, Robert; à bord du Tras-Os-Montes cen'était pas moi qui amusais le public, mais toi...

Quant aux gangsters, je les ai fait arrêter,

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c'est vrai, mais j'aurais pu tout aussi bien... etmême plus facilement, commettre un crime ou jeter la panique dans Rio! Imagine un univers où, à chaqueinstant, on pourrait se croire entouré d'êtresinvisibles, surveillé, espionné, menacé! Ce serait toutsimplement invivable! »

Robert hoche la tête et sourit :« Tu es un sage, Sylvain. - Un sage, non,

 plutôt...»

II va poursuivre son explication, quand une mainse pose sur son épaule :

« Eh bien, mes enfants, vous n'avez pas entenduqu'on vous appelait? A vous voir si absorbés, je parieque vous parliez encore de l'homme transparent!Laissez donc tranquilles ces mauvais souvenirs...

Vous ne sentez donc pas d'ici ce fameux  Arroz de Forno  brésilien que notre gentille Maria Luisa vientde sortir du four? »

La vieille femme aux cheveux blancs, au frontridé, qui se penche sur Sylvain, c'est sa mère qui vittantôt chez son fils, tantôt chez sa fille, heureuse de

voir grandir ses trois petits-enfants.« Allons, vite, à table... Et vous verrez que le bon plat qui vous attend n'est pas transparent, lui, mais bien doré et consistant! »

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TABLE

I. LE SECRET DE PIERHEFITTE 8II. DISPARU ! 28

III. L'AUTRE LABORATOIRE 44IV. PANIQUE SUR LE BOUL'MICH’ 63V. A BORD DU « TRAS-OS-MONTES » 82

VI. COMMENT ATTEINDRE SANTOS? 105VII. UNE CURIEUSE BOUTIQUE 122

VIII. UN PAPIER SUR UN LAMPADAIRE 145IX. RODRIGUES REUSSIRA-T-IL? 159

EPILOGUE 188

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ŒUVRES COMPLETES

Paul-Jacques BonzonANNEE TITRE EDITEUR ILLUSTRATEUR  1951 LE VIKING AU BRACELET D'ARGENT G.P. Rouge et Or Henri DIMPRE1953 LOUTSI-CHIEN Collection Primevère Louis LAFFOND1953 DU GUI POUR CHRISTMAS BOURRELIER-HACHETTE Maguy LAPORTE1953 MAMADI MAGNARD EDITEUR Christian FONTUGNE1954 FAN-LÔ SUDEL EDITEUR JEAN TRUBERT1954 LE JONGLEUR A L'ETOILE HACHETTE Jeanne HIVES1955 DELPH LE MARIN SUDEL EDITEUR Claude JUILLARD1955 LES ORPHELINS DE SIMITRA HACHETTE Albert CHAZELLE1956 LA BALLERINE DE MAJORQUE BIBLIOTHEQUE ROSE Paul DURAND1956 LE PETIT PASSEUR DU LAC HACHETTE JACQUES POIRIER  1957 MON VERCORS EN FEU SUDEL EDITEUR Igor ARNSTAM1957 LA PROMESSE DE PRIMEROSE HACHETTE PAUL DURAND

1957 LA DISPARUE DE MONTELIMAR  HACHETTE Philippe DAURE1958 LA PRINCESSE SANS NOM HACHETTE J-P ARIEL1958 L'EVENTAIL DE SEVILLE BIBLIOTHEQUE VERTE François BATET1959 UN SECRET DANS LA NUIT POLAIRE Editions Delagrave Henri DIMPRE1960 LE CHEVAL DE VERRE IDEAL-BIBLIOTHEQUE François BATET1960 LA CROIX D'OR DE SANTA-ANNA IDEAL-BIBLIOTHEQUE Albert CHAZELLE1960 LA ROULOTTE DU BONHEUR  DELAGRAVE Daniel DUPUY1961 LES COMPAGNONS DE LA CROIX-ROUSSE BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1961 J'IRAI A NAGASAKI BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1962 LE VOYAGEUR SANS VISAGE BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1962 TOUT-FOU BIBLIOTHEQUE ROSE Jeanne HIVES1962 LE CHALET DU BONHEUR  DELAGRAVE Daniel DUPUY1962 LES SIX COMPAGNONS ET LA PILE ATOMIQUE BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1963 LES SIX COMPAGNONS ET L'HOMME AU GANT BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE

1963 LES SIX COMPAGNONS AU GOUFFRE MARZAL BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1963 LES SIX COMPAGNONS ET L'HOMME DES NEIGES BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1964 LES SIX COMPAGNONS ET LE PIANO A QUEUE BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1964 LES SIX COMPAGNONS ET LA PERRUQUE ROUGE BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1964 LA FAMILLE HLM ET L'ÂNE TULIPE (Où est passé l'âne tulipe?) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1964 LA MAISON AUX MILLE BONHEURS DELAGRAVE Daniel DUPUY1965 LES SIX COMPAGNONS ET LE PETIT RAT DE L'OPERA BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1965 LES SIX COMPAGNONS ET LE CHATEAU MAUDIT BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1965 LE SECRET DE LA MALLE ARRIERE (HLM n°2) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1966 LES SIX COMPAGNONS ET L'ANE VERT BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1966 LES SIX COMPAGNONS ET LE MYSTERE DU PARC BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1966 LES ETRANGES LOCATAIRES (HLM n°3) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1966 L'HOMME A LA VALISE JAUNE (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1967 LES SIX COMPAGNONS ET L'AVION CLANDESTIN BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1967 CONTES DE MON CHALET EDITIONS BIAS Romain SIMON

1967 VOL AU CIRQUE (HLM n°4) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1967 POMPON LE PETIT ANE DES TROPIQUES (avec M. Pédoja) DELAGRAVE Romain SIMON1967 LE MARCHAND DE COQUILLAGES (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1967 RUE DES CHATS SANS QUEUE (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1967 LE RELAIS DES CIGALES DELAGRAVE Daniel DUPUY1968 LUISA CONTRE-ATTAQUE (HLM n°7) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1968 LES SIX COMPAGNONS A SCOTLAND YARD BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1968 LES SIX COMPAGNONS ET L'EMETTEUR PIRATE BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1968 LE CHATEAU DE POMPON DELAGRAVE Romain SIMON1969 LES SIX COMPAGNONS ET LE SECRET DE LA CALANQUE BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1969 LES SIX COMPAGNONS ET LES AGENTS SECRETS BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1969 UN CHEVAL SUR UN VOLCAN (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1969 POMPON A LA VILLE DELAGRAVE Romain SIMON1969 LE PERROQUET ET SON TRESOR (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT

1969 QUATRE CHATS ET LE DIABLE (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1970 LE BATEAU FANTOME (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1970 LES SIX COMPAGNONS ET LES PIRATES DU RAIL BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE

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1970 LES SIX COMPAGNONS ET LA DISPARUE DE MONTELIMAR  BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1970 LE JARDIN DE PARADIS DELAGRAVE Romain SIMON1970 L'HOMME AUX SOURIS BLANCHES (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1971 SOLEIL DE MON ESPAGNE IDEAL-BIBLIOTHEQUE François BATET1971 LES SIX COMPAGNONS ET LES ESPIONS DU CIEL BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1971 LES SIX COMPAGNONS ET LA PRINCESSE NOIRE BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1971 LES SIX COMPAGNONS ET LA BRIGADE VOLANTE BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN

1971 YANI DELAGRAVE Romain SIMON1972 LE SECRET DU LAC ROUGE (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1972 LES SIX COMPAGNONS A LA TOUR EIFFEL BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1972 L'HOMME A LA TOURTERELLE (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1973 SLALOM SUR LA PISTE NOIRE (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1973 LES SIX COMPAGNONS ET L'OEIL D'ACIER  BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1973 LES SIX COMPAGNONS EN CROISIERE BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1974 LES SIX COMPAGNONS ET LES VOIX DE LA NUIT BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1974 LES SIX COMPAGNONS SE JETTENT A L'EAU BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1974 LES ESPIONS DU X-35 (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1975 LE CIRQUE ZIGOTO DELAGRAVE Romain SIMON1975 LE RENDEZ-VOUS DE VALENCE les veillées des chaumières ???1975 LES SIX COMPAGNONS DEVANT LES CAMERAS BIBLIOTHEQUE VERTE Robert BRESSY1975 LES SIX COMPAGNONS DANS LA CITADELLE BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN

1975 LA ROULOTTE DE L'AVENTURE (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1976 LES SIX COMPAGNONS ET LA CLEF-MINUTE BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1976 DIABOLO LE PETIT CHAT BIBLIOTHEQUE ROSE Pierre DESSONS1976 DIABOLO ET LA FLEUR QUI SOURIT BIBLIOTHEQUE ROSE Pierre DESSONS1976 DIABOLO POMPIER  BIBLIOTHEQUE ROSE Pierre DESSONS1976 LES SIX COMPAGNONS AU TOUR DE FRANCE BIBLIOTHEQUE VERTE Robert BRESSY1976 LE CAVALIER DE LA MER (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1977 LES SIX COMPAGNONS AU CONCOURS HIPPIQUE BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1977 LES SIX COMPAGNONS ET LES PIROGUIERS BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1977 DIABOLO ET LE CHEVAL DE BOIS BIBLIOTHEQUE ROSE Pierre DESSONS1977 L'HOMME AU NOEUD PAPILLON (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1977 DIABOLO JARDINIER  BIBLIOTHEQUE ROSE Pierre DESSONS1978 LES SIX COMPAGNONS AU VILLAGE ENGLOUTI BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1978 DIABOLO PATISSIER  BIBLIOTHEQUE ROSE Pierre DESSONS1978 LES SIX COMPAGNONS ET LE CIGARE VOLANT BIBLIOTHEQUE VERTE Robert BRESSY1978 AHMED ET MAGALI DELAGRAVE Monique GORDE1979 LES SIX COMPAGNONS ET LES SKIEURS DE FOND BIBLIOTHEQUE VERTE Robert BRESSY1979 LES SIX COMPAGNONS ET LA BOUTEILLE A LA MER  BIBLIOTHEQUE VERTE Robert BRESSY1979 DIABOLO SUR LA LUNE BIBLIOTHEQUE ROSE Pierre DESSONS1980 LES SIX COMPAGNONS ET LES BEBES PHOQUES BIBLIOTHEQUE VERTE Robert BRESSY1980 LES SIX COMPAGNONS DANS LA VILLE ROSE BIBLIOTHEQUE VERTE Robert BRESSY1981 LES SIX COMPAGNONS ET LE CARRE MAGIQUE BIBLIOTHEQUE VERTE Robert BRESSY

 THEATRE1953 Coquette chambre à louer 1954 Camping interdit1954 L'insécurité sociale1956 Les Carottes des Champs-Elysées1956 Nous les avons vus

1956 Aux urnes, citoyennes !1957 Permis de conduire à tout âge1957 La nuit du 3 mars1957 Madame a son robot1957 Plus on est de fous??? Devant le rideau

NOUVELLES1952 Le Grand Linceul Blanc

(Francs Jeux Africains n°16 du 20 novembre 1952)1953 Les monstres de Maladetta

(Francs Jeux pour les garçons No 174 du 15 Aout 1953)1959 Le chamois de Zimmis

Publiée dans le numéro 30 du 26 juillet 1959 " Ames Vaillantes" , illustrations de Yvan Marié (illustrateur attitré des EditionsFleurus).??? Le père Noël n'avait pas six ans

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Paul-Jacques Bonzon

Paul-Jacques Bonzon (31 août 1908 à Sainte-Marie-du-Mont

(Manche) - 24 septembre 1978 à Valence) est un écrivain français,connu principalement pour la série Les Six Compagnons.

Biographie

Paul-Jacques Bonzon est originaire du département de la Manche. Né à Sainte-Marie-du-Mont en 1908, scolarisé à Saint-Lô, Paul-Jacques Bonzon fut élève de l'école normaled'instituteurs de Saint-Lô, promotion 1924-1927. Il fut d'abord nommé en Normandie, dansson département d'origine. En 1935, il épouse une institutrice de la Drôme et obtient samutation dans ce département où il fut instituteur et directeur d'école pendant vingt-cinq ans.En poste à Espeluche puis à Chabeuil, il rejoint Saint-Laurent-en-Royans en 1949 et Valenceen 1957 où il termine sa carrière en 1961.

Il se consacre alors entièrement à son métier d'écrivain de livres pour enfants ayantrejoint l'Académie Drômoise des Lettres, des sciences et des arts, association culturelle quigroupe des écrivains, des savants, des artistes du "Pays Drômois".

Son œuvre tranche sur la littérature pour la jeunesse de l'époque par le caractèreréaliste et parfois triste de certaines situations : les enfants qu'il met en scène sont confrontés àla misère, au handicap, à l'abandon. Paul-Jacques Bonzon décrit la solidarité qui anime lesmilieux modestes auxquels ils appartiennent, n'hésitant pas à les insérer dans des contexteshistoriques marqués comme, Le jongleur à l'étoile (1948) ou Mon Vercors en feu (1957).

La plus grande majorité de ses ouvrages ont été publiés à la Librairie Hachette. À cetitre, il se trouve être l'un des romanciers pour la jeunesse les plus représentatifs de cetteépoque.

Plusieurs de ses ouvrages mettent en scène le Cotentin et plus particulièrementBarneville-Carteret, qu'il nomme d'ailleurs Barneret et Carteville dans ses romans. Lescousins de la Famille HLM y prennent leurs vacances. Delph le marin, publié chez SUDEL,se déroule à Carteret (Hardinquet, dans le roman) de même que "Le marchand de coquillages","Le cavalier de la mer" ou encore "Le bateau fantôme". L'auteur connaissait bien la région. Ily venait régulièrement.

Paul-Jacques Bonzon laisse une œuvre dont l'importance se mesure au succèsrencontré notamment par des séries fortement appréciées comme Les Six compagnons, LaFamille HLM ou Diabolo, mais pas seulement car ce serait oublier tout un autre aspect de

l'œuvre, tout aussi significative de la qualité de l'écrivain. Les ouvrages de Bonzon ont ététraduits, adaptés et diffusés dans 18 pays dont la Russie et le Japon. Les premières adaptations

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connues l'ont été en langue néerlandaise pour les Pays-Bas mais également pour l'Indonésie etl'Afrique du Sud. Il l'est encore aujourd'hui. Par exemple, Le roman Les Orphelins de Simitraa été adapté sous forme d'une animation diffusée, en 2008, au Japon, sous le nom de "Porphy

 No Nagai Tabi" (Le long voyage de Porphyras).

Paul-Jacques Bonzon est aussi connu dans les milieux scolaires. Il publie chezDelagrave,à partir de 1960, une série d'ouvrages de lectures suivies pour l'école dont l'un, "Laroulotte du Bonheur", se déroule dans son département d'origine. Il a écrit en collaborationavec M. Pedoja, inspecteur départemental de l'Éducation nationale, un livre de lecture destinéaux enfants des pays francophones "Pompon, petit âne des tropiques".

Il décède à Valence le 24 septembre 1978. Néanmoins, les éditions Hachette poursuivront l'œuvre de l'écrivain en publiant, encore quelques années, plusieurs titres de lasérie Les Six Compagnons, mais sous d'autres signatures. Aujourd'hui, un peu moins d'unevingtaine de titres figurent encore au catalogue de l'éditeur, dans la collection bibliothèqueverte, sous une présentation modernisée.

En mars 2010, la première aventure de la série Les Six Compagnons a été rééditée enBibliothèque rose dans une version modernisée.

Le 12 mars 2011, la ville de Valence a inauguré un square à son nom, en présence deses enfants, petits-enfants et admirateurs.

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Paul-Jacques Bonzon

Biographie : rédigée par la dernière épouse de PaulJacques ; Maggy

Paul-jacques Bonzon est né le 31 août 1908 à Sainte marie du mont,

Manche, en Normandie.

Élève de l'école normale d'instituteur de Saint-lô, il fut d'abord nommé en Normandie.Pour des raisons de santé, il vint dans la Drôme où il fut instituteur et directeur d'école

 pendant vingt cinq ans. Marié, père de deux enfants : Jacques et Isabelle, il termine à Valenceen 1961 sa carrière d'enseignant pour se consacrer entièrement à son métier d'écrivain delivres pour enfants.

Il appartenait à l'"Académie Drômoise", association culturelle qui groupe desécrivains, des savants, des artistes du "Pays Drômois".Il ne rattachait pas ses livres à uncourant historique quelconque, cependant il lisait beaucoup Freud, Bergson, Huxley. Très peu

de romans, sauf ceux dans lesquelles il trouvait la documentation qu'il cherchait. Pourtant, ilaimait Simenon dont il appréciait la psychologie, l'étude d'un milieu.

A l'origine de son oeuvre est un concours de circonstances. Pendant la dernière guerre,instituteur dans le Vercors, (mon Vercors en feu), il eut à se pencher sur la condition de viedes enfants réfugiés, des juifs en particulier. Pour les aider moralement et les distraire, il leur lisait des histoires qu'il écrivait pour eux. Envoyé à un éditeur "Loutsi-chien" fut accepté.D'autres romans, tous retenus, suivront.

Tout naturellement, l'instituteur qu'il était a écrit pour ses élèves, pour la plupart d'unmilieu modeste. Ils se reconnaissaient dans les héros de Paul-jacques Bonzon, enfants de larue, sans moyens financiers (la série Six compagnons), mais adroits, dévoués, généreux,chevaleresques même.

C'est aussi cette connaissance des enfants qui lui a fait introduire des animaux dans sesromans : Kafi (Six compagnons), Tic-Tac (Famille H.L.M.), Minet, (La roulotte du Bonheur),Ali-Baba-Bikini (La maison au mille bonheurs), l'Âne (série des "Pompon").Les romans sentimentaux, plus psychologiques sont le plus souvent une quête, celle d'unesœur, d'une famille affectueuse, d'ou leur atmosphère un peu triste, tous, et en particulier,ceux écrits pour les écoles, s'attachent à faire connaître la France ou les pays étrangers(Sénégal, Laponie, Japon, Portugal, Espagne, Grèce, Italie, Angleterre). La documentation est

toujours très sérieuse, la vérité historique respectée (Le viking au bracelet d'argent, La princesse sans nom, Le jongleur à l'étoile).

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Ecrits dans un but éducatif et culturel, le livres de Paul-jacques Bonzon allient à unelangue simple, pure, évocatrice, souvent poétique, le souci d'instruire autant que celui de

 plaire.

Il a écrit en collaboration avec Monsieur Pedoja , inspecteur départemental de

l'éducation nationale, un livre de lecture destiné aux enfants des pays francophones "Pompon, petit âne des tropiques".

Chacun écrivait un chapitre et le communiquait.

Il disparaît le 24 septembre 1978 à Valence, Drôme.

 

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Paul-Jacques BONZON 

J'ai demandé à plusieurs personnes si ce nom leur était familier et la plupart m'ontrépondu par la négative...

Mais lorsque j'ai parlé des "Six Compagnons", tout à coup des souvenirs leur sontrevenus dans une bouffée de chaleur et de bonheur de l'enfance...!

Paul-Jacques Bonzon a été un auteur très prolifique. Son écriture légère et fluidedestinée aux enfants n'en est pas moins rigoureuse et très littéraire. Son style, unenchantement et ses histoires toujours bien ficelées jusque dans les moindres détails. Desadultes peuvent trouver grand plaisir à la lecture de ces histoires bien construites et danslesquelles les grandes valeurs de la morale judéo-chrétienne ont cours. Mystère, tristesse,

tendresse, émotion et joie, tout y est...!

 Nous avons donc réuni dans cette page, un peu en vrac, des informations pêchées àdroite et à gauche sur cet écrivain et nous espérons que cela vous donnera peut-être envie dedécouvrir son oeuvre.

***

Biographie de P-J Bonzon:

Paul-Jacques Bonzon est né le 31 août 1908 à Sainte-Marie-du-Mont, Manche, en Normandie. Aujourd'hui, un bourg de 700 à 800 habitants, situé à deux pas de la baie desVeys, et des plages du débarquement.

Fils unique né dans une famille aisée, Paul-Jacques eut cependant une enfance assezdifficile face à un père autoritaire qui ne lui laissa pas souvent faire ce qu'il aurait aimé.

Elève de l'école normale d'instituteur de Saint-lô, il fut d'abord nommé en Normandie.

Pour des raisons de santé, il vint dans la drôme où il fut instituteur et directeur d'école pendantvingt cinq ans.

Marié, père de deux enfants : Jacques et Isabelle, il termine à Valence en 1961 sacarrière d'enseignant pour se consacrer entièrement à son métier d'écrivain de livres pour enfants.

Il appartenait à l'"Académie Drômoise", association culturelle qui groupe desécrivains, des savants, des artistes du "Pays Drômois".

Il ne rattachait pas ses livres à un courant historique quelconque, cependant il lisait beaucoup Freud, Bergson, Huxley. Très peu de romans, sauf ceux dans lesquels il trouvait ladocumentation qu'il cherchait.

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Pourtant, il aimait Simenon dont il appréciait la psychologie, l'étude d'un milieu.

A l'origine de son oeuvre est un concours de circonstances. Pendant la dernière guerre,instituteur dans le Vercors, (mon Vercors en feu), il eut à se pencher sur la condition de viedes enfants réfugiés, des juifs en particulier. Pour les aider moralement et les distraire, il leur 

lisait des histoires qu'il écrivait pour eux. Envoyé à un éditeur "Loutsi-chien" fut accepté.D'autres romans, tous retenus, suivront.

Tout naturellement, l'instituteur qu'il était a écrit pour ses élèves, pour la plupart d'unmilieu modeste. Ils se reconnaissaient dans les héros de Paul-Jacques Bonzon, enfants de larue, sans moyens financiers (la série Six compagnons), mais adroits, dévoués, généreux,chevaleresques même.

C'est aussi cette connaissance des enfants qui lui a fait introduire des animaux dans sesromans : Kafi (Six compagnons), Tic-Tac (Famille H.L.M.), Minet, (La roulotte du Bonheur),Ali-Baba-Bikini (La maison au mille bonheurs), l'Ane (série des "Pompon").

Les romans sentimentaux, plus psychologiques sont le plus souvent une quête, celle d'unesoeur, d'une famille affectueuse, d'ou leur atmosphère un peu triste. Tous et en particulier ceux écrits pour les écoles, s'attachent à faire connaître la France ou les pays étrangers(Sénégal, Laponie, Japon, Portugal, Espagne, Grèce, Italie, Angleterre).La documentation est toujours très sérieuse, la vérité historique respectée (Le viking au

 bracelet d'argent, La princesse sans nom, Le jongleur à l'étoile).

Ecrits dans un but éducatif et culturel, le livres de Paul-Jacques Bonzon allient à unelangue simple, pure, évocatrice, souvent poétique, le souci d'instruire autant que celui de

 plaire.

Il a écrit en collaboration avec Monsieur Pedoja , inspecteur départemental del'éducation nationale, un livre de lecture destiné aux enfants des pays francophones "Pompon,

 petit âne des tropiques".

Chacun écrivait un chapitre et le communiquait.

Il disparut le 24 septembre 1978 à Valence, Drôme.

***

Article paru à sa mort:

Valence.

La mort de Paul-Jacques Bonzon va toucher des millions de jeunes et d'enfants àtravers le monde. Il était leur écrivain, celui qui avait compris leurs goûts, et qui était devenuleur complice à travers une centaine de romans. Depuis plus de trente ans ( c'est à dire que ses

 premiers lecteurs sont aujourd'hui des hommes), il a enchanté des générations d'écoliers par ces récits d'aventure clairs, purs et passionnants. Son oeuvre a été traduite dans un grandnombre de pays, y compris le Japon, et partout elle a connu un et connaît encore, un étonnant

succès.

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Originaire de Ste-Marie-du-Mont dans la manche, il était doué pour la peinture et lamusique, mais son père avait voulu qu'il soit instituteur. Et c'est comme tel qu'il arriva un

 jours dans le Vercors, puis, plus tard, à l'école de la rue Berthelot à Valence, et qu'ilcommença à écrire des histoires qu'il lisait à ses élèves, guettant leurs réactions, et s'inspirantsouvent de leurs remarques..

Ses héros les plus populaires sont les Six compagnons qu'il entraîna dans desaventures lointaines ou proches, à Valence, à l'Aven Marzal, à la Croix-Rousse, à Marcoules,et qui tiennent aujourd'hui un bon rayon dans la bibliothèque verte. Pour la bibliothèque rose,il mit en scène la famille H. L. M., et écrivit beaucoup d'autres récits comme Mon Vercors enfeu, et d'autres fictions tel l' Eventail de Séville qui fut adapté pour la télévision.Paul-Jacques Bonzon avait reçu en France le grand prix du Salon de l'Enfance, puis, à New-York, le prix du Printemps qui couronne le meilleur livre pour enfants paru aux Etats-Unis.Il avait abandonné l'enseignement assez tôt pour se consacrer à son oeuvre, entouré de sonépouse et de ses deux enfants, une fille et un garçon, aujourd'hui mariés. Il travaillait le plussouvent directement à la machine dans sa tranquille demeure de la rue Louis-Barthou,

 prolongée par un charmant petit jardin.

C'est là qu'il inventait ses belle histoires, et lorsqu'il avait achevé un chapitre il prenaitsa pipe et venait faire un tour en ville de son pas glissé, calme et amical.

Paul-Jacques Bonzon était naturellement membre de l'académie drômoises, vice- président de Culture et Bibliothèques pour tous. Il était devenu un authentique Dauphinoistrès attaché à sa province d'adoption. Sa gloire littéraire, qui est mondiale parmi les jeunes,n'avait en rien altéré sa simplicité ni sa bienveillance : et il disparaît comme il a vécu,dicrètement.

Pierre Vallier.

***

Autres témoignages:

Paul-Jacques Bonzon est très connu pour sasérie de livres parus dans la bibliothèque verte, sousle titre "Les six compagnons". Outre de nombreux

autres ouvrages pour la jeunesse de grande qualité, ila aussi publié des ouvrages scolaires. Paul-JacquesBONZON était instituteur.

Paul-Jacques BONZON est surtout connucomme grand romancier de la jeunesse, d'ailleursabondamment lauré (Second Prix "Jeunesse" en 1953.Prix "Enfance du Monde" en 1955. Grand Prix duSalon de l'Enfance en 1958). Ses ouvrages suscitentchez nos enfants - et chez bien des adultes - un intérêtcroissant. Il sait, de longue expérience, que composer 

un livre de "lectures suivies" est une entreprise délicate, que le goût des jeunes est à l'action

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rondement menée, aux péripéties multiples voire violentes ou cruelles. Les livres d'évasion,de délassement, de bibliothèque, pour tout dire, laissent paraître ces caractères.

Paul Vigroux, Inspecteur général honoraire.

***

Paul-Jacques Bonzon a réalisé de très nombreux dessins. En fait il voulait à l'origine êtredessinateur, peintre ou musicien mais sont père en a décidé autrement! A une certaine époque,il résidait en Suisse et vivait de ces dessins humoristiques vendus sous forme de cartes

 postales.

Un dessin de Paul-Jacques Bonzon:

***

Voici quelques informations supplémentaires, tirées d'un ouvrage de Marc Soriano, auxÉditions Delagrave, 2002.

L'auteur nous apprend que Paul-Jacques Bonzon, né dans une famille aisée, fils unique,

 père autoritaire, a eu une enfance difficile.

Paul-Jacques Bonzon, en écrivant pour les enfants, se réinvente une enfance.Il écrit des aventures sentimentales qui sont des quêtes : une soeur, une famille normale...(Du gui pour Christmas, La promesse de Primerose).

Cela plaît particulièrement aux filles, confie Paul-Jacques Bonzon.

Il avoue aussi que s'il ne tenait qu'à lui, les ouvrages finiraient mal !

Ce qui plaît plus aux filles qu'aux garçons. Un seul titre finit mal : "L'éventail de

Séville". Encore l'adaptation télévisée adoucit-elle la fin. Et des pays étrangers, pour latraduction dans leur langue, demandent "une fin heureuse".

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Les six compagnons se vendent à 450000 par an en moyenne. L'auteur dit qu'on lui areproché de "s'être laissé aller" à des séries, comme si c'était une déchéance pour l'auteur et unmal pour le lecteur. Paul-Jacques Bonzon reprend :

"Il est important d'encourager la lecture à une époque ou elle est concurrencées par 

toutes sorte d'autres sollicitations".

Bonzon avoue aussi son penchant pour les milieux modestes, qui, dit-il plaisent auxenfants. Il comprend, avec le temps, pourquoi sa série des "Six compagnons" a plus de succèsque sa série "La famille HLM" : Il y a un chien !

Les ouvrages de Bonzon sont traduits dans 16 pays.

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Bibliographie: 

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Titres hors séries:

- Contes de mon chalet- Delph le marin- Du gui pour Christmas (Second Prix "Jeunesse" 1953)

- Fan-Lo- J'irai à Nagasaki- La ballerine de Majorque- La croix d'or de Santa Anna- La disparue de Montélimar - La princesse sans nom- La promesse de Primerose- Le rendez vous de Valence- Le cheval de verre- Le jongleur à l'étoile- Le petit passeur du lac

- Le secret du lac Rouge- Le viking au bracelet d'argent- Le voyageur sans visage- Les orphelins de Simitra (Prix "Enfance du Monde" 1955)- L'éventail de Séville (Grand Prix "Salon de l'Enfance" 1958)- L'homme à la valise jaune- Loutsi-Chien- Mamadi- Mon Vercors en feu- Saturnin et le vaca-vaca- Soleil de mon Espagne- Tout Fou- Un secret dans la nuit polaire

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Les six Compagnons:

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1 1961 Les Compagnons de la Croix-Rousse  2 1963 Les Six Compagnons et la pile atomique3 1963 Les Six Compagnons et l'homme au gant4 1963 Les Six Compagnons au gouffre Marzal5 1964 Les Six Compagnons et l'homme des neiges

6 1964 Les Six Compagnons et la perruque rouge7 1964 Les Six Compagnons et le piano à queue8 1965 Les Six Compagnons et le château maudit9 1965 Les Six Compagnons et le petit rat de l'Opéra10 1966 Les Six Compagnons et l'âne vert11 1966 Les Six Compagnons et le mystère du parc12 1967 Les Six Compagnons et l'avion clandestin13 1968 Les Six Compagnons et l'émetteur pirate14 1968 Les Six Compagnons à Scotland Yard15 1969 Les Six Compagnons et les agents secrets16 1969 Les Six Compagnons et le secret de la calanque

17 1970 Les Six Compagnons et les pirates du rail18 1970 Les Six Compagnons et la disparue de Montélimar  19 1971 Les Six Compagnons et la princesse noire20 1971 Les Six Compagnons et les espions du ciel21 1972 Les Six Compagnons à la tour Eiffel22 1972 Les Six Compagnons et la brigade volante23 1973 Les Six Compagnons et l'œil d'acier  24 1973 Les Six Compagnons en croisière25 1974 Les Six Compagnons et les voix de la nuit26 1974 Les Six Compagnons se jettent à l'eau27 1975 Les Six Compagnons dans la citadelle28 1975 Les Six Compagnons devant les caméras29 1976 Les Six Compagnons au village englouti30 1976 Les Six Compagnons au tour de France31 1977 Les Six Compagnons au concours hippique32 1977 Les Six Compagnons et la clef-minute33 1978 Les Six Compagnons et le cigare volant34 1978 Les Six Compagnons et les piroguiers35 1979 Les Six Compagnons et la bouteille à la mer  36 1979 Les Six Compagnons et les skieurs de fond37 1980 Les Six Compagnons et les bébés phoques

38 1980 Les Six Compagnons dans la ville rose------------------------------

La famille HLM:

Où est passé l'âne Tulipe ? (1966)(publié également sous le titre

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La famille H.L.M. et l'âne Tulipe)Le secret de la malle arrière (1966)Les étranges locataires (1966)Vol au cirque (1967)L'homme à la valise jaune (1967)

Luisa contre-attaque (1968)Le marchand de coquillages (1968)Rue des chats-sans-queue (1968)Un cheval sur un volcan (1969)Le perroquet et son trésor (1969)Quatre chats et le diable (1970)Le bateau fantôme (1970)Le secret du Lac Rouge (1971)L'homme à la tourterelle (1972)La roulotte de l'aventure (1973)Slalom sur la piste noire (1974)

L'homme aux souris blanches (1975)Les espions du X-35 (1976)Le cavalier de la mer (1977)L’homme au nœud papillon (1978)

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Série Diabolo:

Diabolo le petit chat 1976Diabolo et la fleur qui sourit 1976Diabolo pompier 1976Diabolo et le cheval de bois 1977Diabolo jardinier 1977Diabolo pâtissier 1977Diabolo sur la lune 1979  

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A suivre

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Livres scolaires: "Livres de lecture suivie"

P.-J. Bonzon et M. Pédoja:

- Pompon le petit âne des tropiques. CP.

P.-J. Bonzon:

- Le château de Pompon (CP)- Pompon à la ville (CP)- Le jardin de Paradis (CP, CE1)- La maison aux mille bonheurs (CE1, CE2)- Le cirque Zigoto (CE1, CE2)- Le chalet du bonheur (CE1, CE2, CM1)- Yani (CM1, CM2)- Ahmed et Magali (CM1, CM2)

- Le relais des cigales (CM1, CM2)- La roulotte du bonheur (CM2)

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Voici quelques photos de couvertures de livres de P-J Bonzon (Cliquez sur une vignette pour voir la photo agrandie, puis sur le bouton "Précédente" de votre

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A suivre

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THEATRE1953 Coquette chambre à louer 1954 Camping interdit1954 L'insécurité sociale1956 Les Carottes des Champs-Elysées1956 Nous les avons vus1956 Aux urnes, citoyennes !

1957 Permis de conduire à tout âge1957 La nuit du 3 mars1957 Madame a son robot1957 Plus on est de fous??? Devant le rideau

NOUVELLES1952 Le Grand Linceul Blanc

(Francs Jeux Africains n°16 du 20 novembre 1952)1953 Les monstres de Maladetta

(Francs Jeux pour les garçons No 174 du 15 Aout 1953)