Bouaniche - La Nouveauté Chez Deleuze - Les Devenirs de La Philosophie à Paris 8

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PENSEE / La nouveaut chez Deleuze - Les devenirs de la philosophie Paris 8

Mardi 14 aot 2007PENSEE / La nouveaut chez DeleuzeUn trs intressant texte d'Arnaud Bouaniche sur la nouveaut chez Deleuze ou l'on peut voir la connexion qu'a tirer de Bergson entre la nouveaut et une mtaphysique de l'tre (abvant et aprs sa . De la mme manire que Badiou, s'attachant l'tre et non la priode o Deleuze commence une philosophie , il juge decevant la politique de Deleuze et Guattari qui pratiquant la grande politique l'chelle des affects ou des devenirs (c'est la mme chose) ne donnent ni idal ni programme. Bouaniche se fait tout de mme par l nihiliste, mais le texte est grandiose (en 2 parties). Paris8philo

(05/03/2003)Au croisement des philosophies de Bergson et de Deleuze : la nouveaut(hypothse propos de lunit de la pense deleuzienne)

Au dbut de Limage-mouvement, livre qui constitue le premier volume de sa monumentale tude sur le cinma, Gilles Deleuze crdite Bergson davoir transform la philosophie en posant la question du nouveau au lieu de celle de lternit (DzIM_11). Poser la question du nouveau , prcise-t-il assitt lintrieur dune parenthse, cela signifie se demander : comment lapparition et la production de quelque chose de nouveau sont-elles possibles ? (DzIM_11). Si cette question, qui selon Deleuze apparat avec Bergson, revt une importance particulire, cest parce que, au-del de la pense qui lui a donn sa formulation, elle serait ses yeux la question fondamentale de la philosophie moderne (in Quest-ce quun dispositif ? , Michel Foucault philosophe, Rencontre internationale des 9, 10 et 11 janvier 1988, compte-rendu des discussions, Paris, Seuil, 1989, p. 193 [voir aussi DzRF]). Cest dailleurs presque dans les mmes termes quon retrouve curieusement cette question du nouveau , dans des tudes consacres des auteurs aussi philosophiquement loigns de Bergson que Leibniz ou Foucault avec lesquels celui-ci formerait du mme coup une ligne trange et souterraine. Ainsi, dans Le pli. Leibniz et le baroque (Paris d. de Minuit, 1988, p. 107), Deleuze crit : Cest avec Leibniz que surgit en philosophie le problme qui ne cessera de hanter Whitehead et Bergson : non pas comment atteindre lternel, mais quelles conditions le monde objectif permet-il une production subjective de nouveaut, c'est--dire une cration ? (n.s.) ; et dans un article consacr Foucault ( Quest-ce quun dispositif ? , Michel Foucault philosophe, p. 190), Deleuze crit encore : (...) une philosophie des dispositifs est un changement dorientation, qui se dtourne de lEternel pour apprhender le nouveau (...) : conformment la question qui commena natre au XXe sicle, comment est possible dans le monde la production de quelque chose de nouveau ? (n.s.).

En confrontant ces trois formulations dun mme problme rencontr chez Bergson, Leibniz ou Foucault, trois points paraissent dcisifs dans la position deleuzienne de la question du nouveau. Tout dabord, il sagit bien, prcisment, de poser un problme, ou une question, de style transcendantal, concernant les conditions de possibilit mme de la production de nouveaut, sans nier la ralit de cette nouveaut, mais sans en rester non plus la simple exprience de ses manifestations empiriques. Ce quune telle question fait valoir, cest, semble-t-il, lexigence de ne pas sen tenir au constat quil y a du nouveau, c'est--dire au simple fait de la nouveaut ( travers des mutations, des changements, des transformations, des crations artistiques ou techniques, des rvolutions, etc.), mais de savoir comment cela se produit ou cela se fait. Ensuite, il est remarquable que la question de la nouveaut soit chaque fois prsente par Deleuze de manire critique et polmique par rapport la perspective quelle parat exclure de manire constitutive, celle qui se tourne vers lternel ou lternit , deux termes [que Deleuze emploie dans deux sens diffrents commme Ricoeur NDLR et] qui cristallisent une certaine orientation philosophique pour laquelle la pense serait rflexive ou contemplative, suivant un regard totalisant et surplombant, port considrer des essences ou des universaux (lUn, le Tout, la Raison, le Sujet, le Vrai, etc.), et vacuer, dans labstraction de son point de vue, la dimension dynamique et temporelle, aussi bien que la multiplicit variable des cas, des vnements et des circonstances, qui font au contraire la ralit selon Deleuze. Dans ces conditions, on peut penser quune philosophie de la nouveaut comportera invitablement une dimension la fois empiriste et pluraliste dans son attention ce que Deleuze appelle des devenirs la fois concrets, singuliers et changeants. Enfin, et surtout, on ne peut qutre surpris la lecture de cette question, telle quelle est chaque fois formule, par le fait que Deleuze lattribue Bergson, tout dabord, parce que le terme de production , qui est systmatiquement associ par Deleuze la nouveaut, ne fait pas partie du vocabulaire de Bergson, et vient se substituer le plus souvent, et parfois sarticuler, celui de cration , introduisant par l une hsitation ou un dplacement peut-tre significatifs ; surprenante, cette question lest aussi prcisment parce que la nouveaut ne renvoie pas chez Bergson un problme, mais bien plutt un fait qui exige un passage la mtaphysique comme remonte au principe temporel de la ralit autrement dit, dans les termes de Bergson, la dure.

Comment comprendre alors ce double glissement de la cration la production , dune part, et du fait au problme du nouveau dautre part ? Cest ce quune confrontation entre les philosophies de Bergson et de Deleuze doit permettre dtablir. On pourrait cependant avancer que si cette question du nouveau permet de rassembler lintrieur dune mme orientation philosophique des penses aussi htrognes que celles de Foucault, Leibniz et Bergson, cest peut-tre parce quelle est avant tout la question de Deleuze, celle qui le hante, si bien quil la retrouverait chez tous ces auteurs justement parce quil ly aurait mise ?

Mais, sagissant de Bergson, il parat indiscutable que la nouveaut occupe une place centrale dans sa philosophie. Cest dailleurs un point qui na pas chapp Deleuze ds les articles quil lui consacre en 1956, lorsquil remarque la prsence dans luvre de Bergson dun vritable chant en lhonneur du nouveau (Lle dserte, p. 41). Le philosophe de la dure est bien celui qui a construit toute son oeuvre en riposte une certaine mconnaissance de ce fait pourtant primitif quest la nouveaut, prsente dans toute notre exprience, et qui rvle la dimension temporelle, active et mme cratrice de ltre. Cest ainsi quil crit dans Le possible et le rel (La pense et le mouvant, p. 115/1344) : Mais la vrit est que la philosophie na jamais franchement admis cette cration dimprvisible nouveaut .

La nouveaut serait ainsi au cur des philosophies de Deleuze et de Bergson et permettrait de faire apparatre une source majeure de la pense deleuzienne, et peut-tre mme de mettre en vidence la question qui la traverse dun bout lautre de son dveloppement. Mais si la confrontation entre Bergson et Deleuze partir de cette question revt un intrt vritable, cest moins strictement pour faire apparatre une dette de Deleuze lgard de Bergson, que pour analyser les transformations et les dplacements quil fait subir une question quil dcouvre, ou plutt se formule lui-mme, loccasion de sa lecture de Bergson, mais quil va progressivement laborer et ramnager la lumire de lectures doeuvres aussi capitales pour la constitution de son systme que celles de Canguilhem, Nietzsche, Foucault, Tarde ou encore Whitehead.

Par consquent si Bergson et Deleuze se croisent sur cette question de la nouveaut, cest peut-tre suivant trois sens du mot croisement : au sens o la nouveaut se situe un point de rencontre, ou de contact, entre ces deux auteurs ; mais aussi au sens o la nouveaut devient une question sous leffet dun croisement au sens dune hybridation entre deux positions philosophiques diffrentes ; enfin au sens de deux rflexions qui se croisent, c'est--dire qui se recoupent en un certain point sans aller dans la mme direction.

Dans lexamen de ce croisement , nous procderons en trois temps :- dans un premier temps, nous esquisserons les points de contact et de divergences entre ces deux philosophies de la nouveaut ;- puis, dans un second temps, nous dgagerons la nouvelle conception de la pense et de la philosophie qui se dgage chez Deleuze de cet effort pour apprhender le nouveau ;- enfin, titre dpreuve, nous esquisserons un rapide parcours dans luvre de Deleuze en suivant le fil conducteur de la question du nouveau de manire tenter de restituer son unit autour de cette question.

1) Croisementsa) La nouveaut comme fait primitif

Pour Deleuze, comme pour Bergson, la nouveaut dfinit lorientation gnrale dune philosophie qui situe ses analyses et ses concepts lintrieur du temps. Pour quil y ait du nouveau, il faut considrer la ralit non pas comme rceptacle de choses, mais, de manire dynamique, comme un ensemble de processus, de changements, de modifications. Cest une position commune Bergson et Deleuze, et la dclaration radicale quon trouve dans Lvolution cratrice (BgEC_249/705) : il ny a pas de choses, rien que des actions , fait directement cho, cette autre dclaration : je ne crois pas aux choses (Pourparlers, DzP_218). Ainsi, cest chaque fois au sein dune doctrine du temps que les deux auteurs rencontrent la nouveaut : pour Bergson, travers lanalyse du type singulier de multiplicit forme par la succession de nos tats de conscience, dans le deuxime chapitre de LEssai sur les donnes immdiates de la conscience, et, du ct de Deleuze, dans le deuxime chapitre de Diffrence et rptition intitul la rptition en elle-mme , dans lequel celui-ci sefforce de dgager les conditions du nouveau, un triple niveau : celui de lhabitude et de la contraction avec Hume, celui de la mmoire, prcisment avec Bergson, celui de laction travers un usage de la doctrine nietzschenne de lternel retour.

Toutefois, si Deleuze reprend Bergson sa conception de la dure comme lment plastique au sein duquel du nouveau se produit, ce nest pas sans occulter (volontairement) une dimension fondamentale des analyses de Bergson. La nouveaut dsigne en effet avant tout chez ce dernier la modalit originale sous laquelle nos tats subjectifs se donnent nous, ou se prsentent notre conscience, comme une succession temporelle la fois continue et discontinue, comme une multiplicit de moments htrognes. En ce sens la nouveaut est insparable de celui qui en fait chaque fois lexprience singulire, comme dans mes actes libres, ou dans mes choix, travers lesquels je peux exprimenter que ltre est cration. Or, dans ses analyses, et ce, non seulement dans Le bergsonisme, mais ds les premires tudes, Deleuze a tendance faire de la dure une puissance de nouveaut autonome, une force, quil dsolidarise de celui qui en fait lexprience travers sa conscience, et quil tire du ct de ltre, en la posant comme un plan de ralit plutt que comme la trame dune exprience individuelle. On pourrait dire quau va-et-vient bergsonien entre une exprience qui nous met en contact avec du nouveau, et la connaissance mtaphysique du rel comme cration continue avec laquelle cette exprience nous met en contact, Deleuze va substituer un saut dans lontologie, suivant lequel le rel apparat lui-mme comme une production de nouveaut, sans passer par une exprience singulire. Cest peut-tre en ce sens que Deleuze se mfie parfois du terme de cration, qui semble supposer un sujet ou un crateur comme une source, tandis que la production , terme dorigine spinoziste, renvoie davantage un processus immanent qui se dploie partir de lui-mme. Il arrive cependant parfois que Deleuze utilise ensemble les deux termes, non comme des synonymes, mais plutt pour articuler les deux dimensions ou aspects du rel, qui renvoient chez lui une double orientation a priori incompatible, celle de Spinoza, fonde sur la ncessit et lternit dune productivit infinie, et celle de Bergson, fonde sur la nouveaut et la temporalit dune cration continue : (...) la vie est production, cration de diffrences (Le bergsonisme, p. 101). Il reste que cette conciliation accomplie par Deleuze travers llaboration de sa thorie de ltre marque sa diffrence avec la perspective de Bergson : il dplace la nouveaut de la mtaphysique lontologie.

b) La porte critique de la nouveaut

Mais ce caractre primitif ou immdiat de la nouveaut, tantt retrouve dans lexprience, tantt pos dans ltre, ne signifie pas pour nos deux auteurs quelle se donne ou se prsente spontanment, ni quelle soit reconnue immdiatement comme telle par la pense. Cest mme parce que les structures constitutives de la pense et les catgories traditionnelles de la philosophie, se montrent rfractaires la nouveaut que Bergson et Deleuze vont en entreprendre la critique et la rforme. A travers cette critique, il sagit pour eux de prendre acte de limpuissance de la pense accueillir et comprendre la nouveaut, ou la cration, et danalyser les mcanismes de cette impuissance. Pour Bergson comme pour Deleuze, il y a une opposition entre dun ct le sens commun qui mconnat structurellement le nouveau, et de lautre des expriences susceptibles de guider la pense vers son analyse, en particulier celle de lartiste qui joue un rle dcisif pour lun comme pour lautre. Mais si la nouveaut place les deux philosophes devant la tche de penser autrement , ceux-ci ne fournissent pas la mme analyse des obstacles laffirmation du nouveau. Selon Bergson, la mconnaissance de la nouveaut repose sur une spatialisation du temps qui empche den saisir la nature originale et profonde, comme changement et croissance. Cette spatialisation sexerce aussi bien dans la mesure scientifique, le langage, que dans laction du corps. Lanalyse deleuzienne de la mconnaissance du nouveau transporte lanalyse de cette mconnaissance lintrieur mme de la philosophie. Cest nest pas dans lattitude pratique ordinaire et dans lattitude objective de la science que Deleuze situe sa critique, mais dans la philosophie elle-mme. Ainsi, dans le chapitre central de Diffrence et rptition, intitul Limage de la pense , Deleuze montre que la philosophie traditionnelle fait fond sur une image dogmatique ou orthodoxe qui expulse la nouveaut, ou la diffrence , en se rfugiant dans une logique de la reprsentation, de lidentit, du jugement, pour laquelle penser signifie simplement reconnatre ou identifier . Mais au fond on pourrait dire que le mcanisme par lequel la pense sempche de reconnatre la nouveaut, est semblable celui dj repr par Bergson, et qui consiste en limportation dans la spculation des schmes et habitudes de pense du sens commun, qui empchent de concevoir la nature cratrice du temps, et nous poussent penser la cration comme une fabrication, c'est--dire comme une reconfiguration dlments prexistants, et non comme lapparition de quelque chose de vritablement nouveau. Ainsi Deleuze crit : Limage de la pense nest que la figure sous laquelle on universalise la doxa en llevant au niveau rationnel (DzDR_176). Ou encore, un peu plus loin : ce quil faut reprocher cette image de la pense, cest davoir fond son droit suppos sur lextrapolation de certains faits, et de faits particulirement insignifiants, la banalit quotidienne en personne, la Rcognition, comme si la pense ne devait pas chercher ses modles dans des aventures plus tranges ou plus compromettantes (Ibid.). Suivant une inspiration nietzschenne, Deleuze analyse finalement cette image de la pense comme un dispositif de pouvoir dress dans la pense pour consacrer les valeurs tablies, et rclame au contraire pour la philosophie la cration de valeurs nouvelles . En ce sens, cest avec quelque chose de nouveau que la pense commence selon lui penser, dans une rupture avec lopinion.

c) La nouveaut et la vie

Il est frappant de constater que la critique et la rforme de la pense conduites par ces deux philosophies au nom de la nouveaut rencontrent chaque fois le domaine de la vie et du vivant comme un domaine de conceptualisation privilgi. Cest quen effet le vivant est par excellence expos la nouveaut, sous la forme des vnements et des alas qui surgissent dans son existence, et auxquels il se doit de ragir et de riposter en laborant son tour du nouveau dans un rapport crateur son milieu. Si le vivant revt une importance si capitale pour Deleuze, cest parce quil fournit, travers les conditions dexistence concrtes qui sont les siennes, un cas exemplaire de mise en chec de lidentit soi (A=A), et impose de penser des relations fondamentalement asymtriques o entrent en jeu des initiatives cratrices. Ainsi, la vie apparat comme une puissance de rsolution de problmes. Or, ce qui caractrise le rapport dun problme sa solution, ce nest pas la ressemblance, mais la cration ou linvention. Cest non seulement la vie qui procde par problmatisation, la construction dun oeil par exemple tant justement la rponse un problme pos enfonction de lumire (DzB_107+), mais cest encore tout tre vivant qui produit lui-mme son existence travers une telle activit cratrice de solutions chaque fois inventes dans des circonstances singulires. La vie impose donc de concevoir des concepts capables de rendre compte dune activit de cration. Ainsi la distinction du virtuel et de lactuel (sur laquelle nous revenons plus loin) est labore par Deleuze, dans le cadre de la conception dune diffrence vitale et cratrice, pour remplacer lopposition du possible et du rel, qui fonctionne selon une logique de ressemblance et de limitation qui ne saisit pas laspect positif et crateur de la vie. Toutes ces analyses sont profondment inspires de Bergson qui entreprend lui aussi une critique de la connaissance et de la philosophie mme le domaine de la vie. Il montre ainsi dans Lvolution cratrice (BgEC) que la vie, en raison de ses caractristiques ontologiques fondamentales, est sans doute le domaine o la pense et ses concepts talent le plus manifestement leurs limites face la plasticit, limprvisibilit et la nouveaut qui apparaissent. Pour Bergson, comme pour Deleuze, la vie possde une double valeur, la fois critique en direction de la pense traditionnelle, et positive comme ressource pour penser la cration. Toutefois, la vie na peut-tre pas la mme valeur pour lun comme pour lautre, et cest peut-tre en un chiasme que les deux penses se positionnent lune par rapport lautre. Tandis que Bergson retrouve la nouveaut dans la vie, sous la forme empirique de lvolution, Deleuze retrouve la vie comme principe de la nouveaut ou de la diffrence. Si pour Bergson, la vie ne peut tre pense sans la nouveaut, qui renvoie mtaphysiquement la dure comme un acte de cration, pour Deleuze cest, semble-t-il, la nouveaut, ou ce quil appelle la diffrence comme mouvement de diffrenciation, qui ne peut tre pense sans la vie, la diffrence au sens o il lentend se prsentant avant tout comme une diffrence vitale .

Cependant, tandis que pour Bergson la vie comme acte de cration retentit essentiellement de manire critique sur la connaissance, cest au nom dune rflexion sur la culture que Deleuze utilise pour son compte la vie comme une ressource critique suivant une inspiration nietzschenne cette fois.

d) La question du nouveau dans lhorizon de la culture

Conu comme on le voit partir dune lecture de Bergson, et revers dans le cadre dune ontologie sous le nom de diffrence , le motif de la nouveaut est en effet repris et rinvesti par Deleuze dans un projet plus vaste, jusqu constituer lenjeu dune pense politique et dune rflexion sur la culture. Il nest plus question de simplement constater avec Bergson, et sur un terrain strictement mtaphysique, dhabitude, nous manquons la cration , au sens o nous sommes incapables de la penser et de la connatre comme telle, mais bien plutt de scrier, dans une protestation contre lpoque : aujourdhui, nous manquons de cration ! (DzQP_104). A travers la question du nouveau, la fonction de la philosophie nest plus de rpondre un besoin de vrit, ou douvrir la connaissance du rel, mais den appeler ce que Deleuze appelle de nouvelles possibilits de vie , ou encore de nouvelles allures , suivant une expression qui revient souvent chez Deleuze (voir par exemple la fin de Mille plateaux, DzMP_625) et qui renvoie luvre de Canguilhem.

Par l mme, la question de la philosophie entre dans un rapport constitutif avec le temps, mais en un autre sens de ce terme, le temps au sens de lpoque, que Deleuze appelle aussi maintenant ou aujourdhui . La nouveaut est alors reprise comme une exigence de cration qui appelle la promotion des forces capables de transformer le prsent et de lemmener sur des voies nouvelles, suivant la formulation quen donne Nietzsche : Agir contre le pass, et ainsi sur le prsent, en faveur (je lespre) dun temps venir (DzNP_122). Mais, dans cette nouvelle position du problme par rapport lpoque, il ne sagit pas pour Deleuze doprer un retour lhistoire. Loriginalit de la perspective deleuzienne est de renvoyer dos dos la contemplation de lternit et la rflexion sur lhistoire. Car sil est bien question dun rapport de la pense, non plus avec des vrits ternelles , ou des essences, mais avec le temps au sens de lpoque, ce nest cependant pas avec les conditions historiques comme tat de chose existant, que la philosophie doit renouer, mais bien plutt avec ce qui chappe lhistoire, c'est--dire prcisment avec ce qui surgit de nouveau, que Nietzsche appelle intempestif , Foucault actuel et Deleuze devenir (DzQP_107). Tous ces termes renvoient, sous des coordonnes thoriques et des noms diffrents, aux forces extrieures nouvelles de lpoque (le dehors ) avec lesquelles la pense doit entrer en connexion. Le nouveau cest en effet ce que nous sommes en train de devenir , l actuel , que Foucault oppose au prsent qui dsigne ce que nous sommes et que nous avons cesss dtre. Cest dans une telle perspective, explicitement inspire de Foucault, que, dans un article intitul Post-scriptum sur les socits de contrle (DzP_240+), Deleuze propose danalyser les nouvelles forces luvre dans la socit au dbut des annes 1990 sous le nom de contrle : (...) les socits disciplinaires, ctait dj ce que nous ntions plus, ce que nous cessions dtre. (...) Ce sont les socits de contrle qui sont en train de remplacer les socits disciplinaires (P., p. 241, soulign par Deleuze). Dans de telles analyses, la nouveaut nest pas ce qui saute aux yeux, ni ce qui est impos comme tel (la mode), mais ce qui rclame une grande patience et une grande sensibilit aux nouvelles forces qui frappent la porte , qualits que Deleuze admirait particulirement dans luvre de Foucault, spcialement dans les entretiens contemporains de ses livres, o il cherche diagnostiquer le nouveau : quen est-il aujourdhui de la folie, de la prison, de la sexualit ? Quels nouveaux modes de subjectivation voyons-nous apparatre aujourdhui, qui, certainement, ne sont ni grecs ni chrtiens ? ( Quest-ce quun dispositif ? , Michel Foucault philosophe, p. 192).

Ce nouveau rapport de la philosophie la nouveaut appelle une redfinition aussi bien de la tche que du rle du philosophe. Le philosophe devient, selon lexpression de Nietzsche, mdecin de la civilisation et doit diagnostiquer nos devenirs actuels (DzQP_108), c'est--dire dgager ou reprer ce qui chaque fois se donne effectivement (et non en apparence) comme nouveau dans une poque. Sous des formulations diffrentes, il sagit toujours pour Deleuze dvaluer les potentialits cratrices dun milieu, dune socit, en dgageant la part de nouveaut et de conformit dune poque. Deleuze utilise plusieurs termes pour dsigner ces potentialits cratrices : quels devenirs nous traversent aujourdhui ? , quest-ce qui fuit chaque instant dans une socit ? , quels sont nos nomades aujourdhui ? . Devenirs , lignes de fuite et nomades dsignent la mme chose sous des noms diffrents : les singularits ou les forces cratrices qui chappent aux codes et aux normes, aux puissances de normalisation, dorganisation et de rgulation, et qui ouvrent de nouvelles voies.

Il convient cependant de prciser que cette analyse des ressources cratrices ne revient pas absolument pas faire lapologie de la nouveaut pour elle-mme. Toutes les nouveauts et toutes les exprimentations ne se valent pas. En particulier, sagissant du domaine politique, le fascisme (en dpit du thme de la nouveaut quil exploite largement) dessine moins des lignes cratrices, que ce que Deleuze et Guattari appellent, dans Mille plateaux (DzMP), des lignes de mort . Le critre immanent pour juger de la qualit de chaque exprience et de chaque processus, cest leur teneur en crativit et lintensit quils atteignent dans cette crativit, le risque tant surtout pour chaque processus de voir son mouvement de cration sarrter, retomber, et sinverser : rversion de la ligne de fuite en ligne de destruction (DzMP_283). Ainsi le fascisme sefforce de colmater toutes les lignes de fuites possibles , se construit sur une ligne de fuite intense, quil transforme en ligne de destruction et dabolition pures (DzMP_281). On voit que la question nest pas seulement celle, gnrale, de la possibilit du nouveau, mais de dterminer chaque fois quelle nouveaut, selon quel degr de crativit et dintensit.

e) La nouveaut entre ontologie et mtaphysique

On peut donc tenter de prciser les deux voies suivies par les deux penseurs pour penser la nouveaut, et revenir sur la diffrence entre les questions quils posent chacun pour leur compte. Bergson part du fait de la nouveaut et se demande : comment se fait-il que nous ne parvenions pas penser de manire satisfaisante le changement, la cration, lvolution ? De son ct, Deleuze pose une question diffrente qui est celle de laquelle nous sommes partis en introduction : comment peut-il y avoir du nouveau ? Comment lapparition de quelque chose de nouveau est-elle possible ? Formule dans ce style transcendantal dj relev, on voit quune telle question na pas de sens pour Bergson. Pour lui, la nouveaut est sans conditions. Elle est proprement inconditionne, et ce nest que rtrospectivement, une fois apparue, quon pourra dgager ses conditions, cest une fois relle, quelle sera possible. Par consquent, si elle nest pas sans origine, en ce sens quelle renvoie la dure comme lacte qui lengendre, la nouveaut est pour Bergson sans conditions. Pour Deleuze, linverse, la nouveaut est sans origine, en ce sens quelle est premire ontologiquement, tandis quelle possde en revanche des conditions qui ne sont pas des circonstances historiques, ou empiriques, mais des coordonnes ontologiques. Pour apprhender la nouveaut, il y aurait alors deux voies : celle de Bergson, qui se dploie du ct de la mtaphysique et sefforce de renouer avec lorigine de cette nouveaut lintrieur de lexprience ; celle de Deleuze qui sengage du ct de lontologie absente chez Bergson, en ce sens quil ny a pas chez lui dexposition directe dune thorie de ltre. Ltre nest chaque fois retrouv quindirectement, travers des expriences singulires et une critique des mdiations qui nous en loignent. En revanche, on trouve chez Deleuze llaboration dune ontologie susceptible de rendre compte de la nouveaut qui puise largement chez des auteurs comme Simondon et Whitehead, tous deux penseurs de ltre comme devenir et processus. Enfin, contrairement ce qui se passe chez Bergson qui constate le fait du nouveau en llucidant dans son origine, mais sans le dcrire pour lui-mme, on trouve chez Deleuze des analyses et des descriptions de la production de nouveaut, dans divers domaines comme le langage (par ex. DzMP_127+), lart (par ex. dans DzK_148+, sur les conditions de production de nouveauxnoncs dans la littrature), la technique (par ex. Mille plateaux, DzMP_491+, sur la mtallurgie comme procd nomadique de mise en variation de la matire), ou la science (DzMP_446+, sur les sciences mineures comme potentiel de cration rcupr par la science royale ), etc. Ainsi dans Mille plateaux, 4me plateau 20 novembre 1923 - Postulats de la linguistique , Deleuze et Guattari se montrent attentifs tous les facteurs capables dinstaurer un usage crateur dans la langue : comment du nouveau peut-il se produire dans une langue ? Les auteurs dfinissent ainsi un traitement crateur de mise en variation de la langue, propre aux langues dites mineures comme lallemand de Prague, le black-english ou le qubcois. De ce point de vue, les langues mineures fournissent le point de dpart et le terrain dune rflexion sur la cration et apparaissent non pas comme des sous-langues, idiolectes ou dialectes , mais comme des agents potentiels pour faire entrer la langue majeure dans un devenir minoritaire de toutes ses dimensions et de tous ses lments (DzMP_134).

On voit donc que, ds lors quelle est prise comme objet par la pense, la nouveaut impose un effort de renouvellement conceptuel ainsi quune critique des cadres et de des catgories traditionnels. Cest ce remodelage tel quil intervient dans la pense de Deleuze quil convient prsent de prendre en compte, remodelage suivant lequel penser signifie dsormais exprimenter , diagnostiquer , crer .

II) La pense et le nouveau : allures de la pense deleuzienne de la nouveauta) Exprimenter

Cest toujours dans des termes similaires que Deleuze dfinit la pense comme exprimentation. Ainsi dans Pourparlers (DzP_144) : Penser, cest toujours exprimenter, non pas interprter, mais exprimenter, et lexprimentation, cest toujours lactuel, le nouveau, ce qui est en train de se faire . Ou encore dans Quest-ce que la philosophie ? (DzQP_106) : Penser, cest exprimenter, mais lexprimentation, cest toujours ce qui est en train de se faire le nouveau, le remarquable, lintressant . En dautres termes, lorsque la pense prend pour objet la nouveaut, elle devient exprimentation . Ce terme revient constamment sous la plume de Deleuze et apparat pour la premire fois dans Nietzsche et la philosophie (DzNP). De manire ngative, on peut dire que lexprimentation soppose la pense conue comme rflexion, contemplation ou interprtation, trois activits chaque fois marques selon Deleuze par la transcendance (de lobjet, de lessence ou du sens). Positivement, exprimenter signifie principalement trois choses. Dabord exprimenter signifie essayer ou tenter des directions nouvelles, des voies inconnues, en dehors des opinions et des frayages tout faits ou des habitudes de penser et de perception ; mais exprimenter cela signifie aussi prendre part activement , sengager ou simpliquer, au sens o la pense nest pas simplement spectatrice ou contemplative, mais o elle participe de manire active ce quelle tente ; enfin, dans lexprimentation, la pense sengage dans un processus dont elle ignore lissue ou le rsultat, et cest en cela quelle est troitement lie lexprience de la nouveaut. Si la pense se dfinit par lexprimentation, il reste que cest la philosophie quil revient de comprendre la production du nouveau lintrieur des concepts, tandis que lart, qui est aussi une forme de la pense, ne saisira la nouveaut qu travers les percepts quil invente.

b) Diagnostiquer

La philosophie attentive aux lignes de mutation et de transformation nest pas seulement exprimentation, c'est--dire participation active llaboration de nouveaut, mais elle doit aussi slectionner, valuer, analyser les processus, c'est--dire pratiquer ce que Deleuze appelle le diagnostic . Il sagit l dun terme mdical quil emprunte Nietzsche qui, comme on la vu, conoit le philosophe comme un mdecin de la civilisation . Diagnostiquer cela signifie lire les symptmes, suivre les indices, tre attentif aux signes, aux forces nouvelles et vives selon une dmarche qui seffectue au cas par cas, de manire chaque fois singulire ce qui est en train de se faire . Une telle activit prend plusieurs formes dans luvre de Deleuze : lanalyse des signes (dans Proust et les signes), des lignes et des agencements (dans L'Anti-Oedipe et Mille plateaux), etc. et reoit plusieurs noms : schizo-analyse , pragmatique , micro-politique , etc. Mais on pourrait en trouver une forme dexpression concrte dans les marges de cette immense production philosophique dune trentaine de livres : dans les articles. Lintrt immense de la publication en cours des articles de Deleuze est en effet de mettre en vidence cette activit diagnosticienne comme attention porte la nouveaut, au sens o Deleuze lentend, attention ce qui est en train de se faire . Autour de ses livres, Deleuze crit beaucoup de textes : articles, prfaces, comptes-rendus, auxquels on peut ajouter les entretiens (On trouvera une bibliographie gnrale de ces textes, dans Lle dserte et autres textes (DzID_404-410), et dans Deux rgimes de fous et autres textes (DzRF). On dcouvre en effet dans ces textes autre chose quun ensemble dcrits mineurs ou marginaux. Ce travail constitue sans aucun doute un mode dexpression philosophique part entire, selon un rgime de discours comportant sa propre ncessit. Il apparat clairement leur lecture que ces textes font en ralit bien plus quentourer luvre, simplement en accompagnant et en prparant les livres. Quelle autre fonction ont-ils ? Ces textes constituent prcisment autant de diagnostics qui reprent dans tous les champs (philosophique, artistique, social, etc.), les vnements et les singularits qui sont partout au travail. Ainsi, il ne sagit jamais pour Deleuze, dans ces crits, de discuter, critiquer ou interprter, mais toujours dexprimenter, au sens donn plus haut, ce quil considre chez un auteur, dans un livre ou dans une oeuvre, comme quelque chose d intressant ou de remarquable , deux catgories qui se substituent chez lui celles, traditionnelles, du vrai et du faux, et qui, loin de dsigner lexpression subjective dune prfrence contingente, relvent dun sens de lvnement comme capacit discerner et valuer loriginalit objective et la distinguer de la simple banalit ou de la conformit des valeurs tablies. Cette dmarche consiste donc suivre, travers les cas et les circonstances, ce qui est en train de se faire , pour en saisir la nouveaut . La nouveaut fonctionne bien systmatiquement dans ces articles comme une catgorie laudative et un critre de ce qui est important ou intressant : gnie de Bergson crant de nouveaux concepts qui donnent aux choses une vrit nouvelle, une distribution nouvelle, un dcoupage extraordinaire (Lle dserte, p. 28) ; grandeur de Sartre qui sut dire quelque chose de nouveau et apprit de nouvelles faons de penser (ibid., p. 109) ; irruption de Foucault dans la philosophie comme nouvel archiviste et nouveau cartographe , qui marque la naissance de quelque chose de nouveau, profondment nouveau (DzF_11, texte paru la premire fois sous forme darticle dans la revue Critique, n274) ; porte dcisive des rvoltes de prisonniers, au dbut des annes 70, qui indiquent que quelque chose de nouveau se passe dans les prisons et autour des prisons : la production dun nouveau type de runion autour de lamlioration des conditions de dtention (DzID_ 285, Ce que les prisonniers attendent de nous , article initialement paru dans Le Nouvel Observateur du 31/01/1972), etc.

Chaque texte se prsente donc comme la restitution vive de quelque chose de nouveau qui force la pense se renouveler en renonant aux vieilles catgories de la conscience, du sujet, de lobjet, de la vrit, etc. La nouveaut dun livre, dun auteur, dun concept, etc., est chaque fois capt par un Deleuze lafft, guettant les vnements susceptibles de renouveler nos manires dagir, de percevoir et de penser. Or, cest peut-tre ici quon peut peut-tre le mieux rejoindre le sens profond de lentreprise deleuzienne, au moment mme o lon pourrait confondre cette dmarche attentive la nouveaut avec une sorte de journalisme, ou avec une attitude desthte collectionnant les curiosits et les rarets, sabandonnant au vertige de ce qui passe et au plaisir fugitif de la circonstance. Car la nouveaut dsigne bien plus radicalement lobjet dune tche philosophique qui, on le voit, traverse toute luvre de Deleuze travers une thorie de ltre, une rflexion sur la culture, mais aussi, comme nous le verrons, une thorie de ltre social, lensemble reposant sur une redfinition de la pense comme cration.

c) Crer

Tout leffort de Deleuze consiste ainsi mettre la cration dans la pense, dfinir la pense par la cration. Si cest toute la pense qui est concerne par cette dfinition, cest que penser nest pas le privilge unique de la philosophie, pas plus que lart na la privilge de la cration. Lart et la science ne pensent pas moins que la philosophie et ces trois domaines de la pense se dfinissent chacun par la cration. Seulement Deleuze montre dans Quest-ce que la philosophie ? que chacun des domaines de la pense cre quelque chose qui lui est propre : la philosophie cre des concepts , lart des percepts , la science des prospects . Deleuze dfinira toujours la philosophie comme une cration de concepts . Il oppose cette conception de la philosophie celle qui en fait une activit de contemplation, de rflexion ou de communication. La philosophie a pour unique fonction de crer de nouveaux concepts. Cest pourquoi lobjet de la philosophie, ce ne sont ni des essences ou des abstractions auxquelles la philosophie aurait le privilge de nous faire accder (contemplation), ni des objets auxquels elle serait extrieure (rflexion), ni des opinions quelle devrait examiner (communication). Une telle dfinition de la philosophie comme cration de concepts suppose deux choses : dune part que chaque philosophie est singulire, et doit tre mise en rapport avec les concepts quelle cre, les problmes quelle pose et ce que Deleuze appelle le plan quelle trace (c'est--dire lespace o ses concepts se distribuent), ce qui suppose quil ny a pas de hirarchie possible entre les diffrentes philosophies au nom dun critre transcendant, mais que chaque philosophie est un vnement qui doit tre saisi dans sa singularit ; mais cela ne signifie pas, dautre part, que tous les concepts se valent, car cest bien en fonction de la nouveaut , pose comme critre, que les concepts peuvent tre compars : Si un concept est meilleur que le prcdent, cest parce quil fait entendre de nouvelles variations et des rsonances inconnues, opre des dcoupages insolites, apporte un Evnement qui nous survole (DzQP_32). Toutes les penses ne se diluent donc pas dans une multiplicit infinie. Il reste des pointes de singularit, des points remarquables qui correspondent un plus grand degr de nouveaut. Les grands philosophes sont ceux qui sont capables de la plus grande nouveaut pour la pense : (...) nest-ce pas chaque grand philosophe qui trace un nouveau plan dimmanence, apporte une nouvelle matire de ltre et dresse une nouvelle image de la pense, au point quil ny aurait pas deux grands philosophes sur le mme plan. Cest vrai que nous nimaginons pas un grand philosophe dont on ne doive dire : il a chang ce que signifie penser, il a pens autrement (suivant la formule de Foucault) (DzQP_52).

d) Une nouvelle orientation

A chaque niveau de sa rflexion, Deleuze oppose la nouveaut comme parti pris de limmanence des processus la perspective inverse qui lvacue, selon un point de vue abstrait et transcendant. Ainsi, il oppose une thorie de la diffrence une philosophie de lidentit et de la reprsentation, en dressant par l une nouvelle image de la pense ; sur le terrain pratique, il oppose lthique et lexistence (qui procdent toujours de manire immanente par essais, exprimentations, preuves et rencontres, autrement dit par inventions) la morale et au jugement (qui procde de manire transcendante par critres prexistants et universels comme le bien et le mal) ; il oppose linstitution comme invention et modle positif daction la loi qui opre par application et limitation, en jouant la jurisprudence contre le droit (sur cette distinction entre la loi et linstitution, voir Instincts et institutions , in DzID_25) ; il oppose enfin dans le champ social des agencements de dsir des agencements de pouvoirs, en suivant les lignes de mutation et de transformation qui parcourent ce champ. A tous les niveaux, le sens de lentreprise deleuzienne est de promouvoir, dans la pense, les conduites et les pratiques, individuelles et collectives, les processus de cration, et de dnoncer les dispositifs qui menacent de les touffer et sopposent par l la vie. Cest cette perspective qui se dploie dans toute luvre du philosophe.

Tentons prsent de parcourir cette oeuvre travers ses trois priodes, en suivant le fil conducteur de la question du nouveau pour essayer de dgager lunit du projet et les diffrents moments qui lorganisent.

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Bibliographie

BgEC: Bergson, Lvolution cratrice, PUF.BgPM: Bergson, La pense et le mouvant, PUF (notamment le chapitre sur Le possible et le rel).DzB: Deleuze, Le bergsonisme, PUF.DzD: Deleuze & Claire Parnet, Dialogues, Champs/Flammarion, 1979.DzDR: Deleuze, Diffrence et rptition, d. de Minuit, 1968.DzIM: Deleuze, Cinma 1. Limage-mouvement, d. de Minuit, 1983DzID: Deleuze, Lle dserte et autres textes, d. de Minuit, 2002 (articles, entretiens et prfaces de la priode 1953-1974)DzK: Deleuze& Guattari, Kafka, pour une littrature mineure, d. de Minuit, 1974.DzLP: Deleuze, Le pli. Leibniz et le baroque, d. de Minuit, 1988DzMP: Deleuze & Guattari, Mille plateaux, d. de Minuit, 1980.DzNP: Deleuze, Nietzsche et la philosophie, PUF, 1960.DzP: Deleuze, Pourparlers, d. de Minuit, 1990.DzQP: Deleuze & Guattari, Quest-ce que la philosophie ?, d. de Minuit.DzRF: Deleuze, Deux rgimes de fous et autres textes, d. de Minuit, 2004 (articles, entretiens et prfaces de la priode 1975-1995).

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