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LA VIE  ET  LA PREDICATION  D'UN REL IGI EUX AU.  XVJI"  8IEOLE DOYHN DE LA FACULTÉ DES  LETTRES  DE  L'UNtVEkStTÉ  DE MONTPEL LtE R TOME  PREMIER BOURDALOUE FERD]i\Ai\DCASTETS 1.1L3RAIKI:E  OH:.  D;~JLACmAViS ).1,RUESOUF'L(JT,)5 PAR o PAR)S h~t

Bourdaloue_la Vie Et La Predication d'Un Religieux-1

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Bourdaloue_LA VIE ET LA PREDICATION D'UN RELIGIEUX-1

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  • LA VIE ET LA PREDICATION D'UN RELIGIEUX

    AU. XVJI" 8IEOLE

    DOYHN DE LA FACULT DES LETTRES DE L'UNtVEkStT DE MONTPELLtER

    TOME PREMIER

    BOURDALOUE

    FERD]i\Ai\DCASTETS

    1.1L3RAIKI:E OH:. D;~JLACmAViS

    ).1,RUESOUF'L(JT,)5

    PARo

    PAR)S

    h~t

  • BOURDALOUE

    LA V ET LA PRLDtCA'nON D'UN FUGtEUX

    AU XVU' StCLE

  • MONTPELLIER.htPRIMERtEDHLORD-LtOEHMHTMARTIAL

  • AVANT-PROPOS

    Ce volume lie contient que les deux premiers Livres des

    quatre qui sont annonces dans l'Introduction. La ncessite

    d'achever quelques recherches, qui ont. rencontr des obs-

    tacles inattendus, m'oblige a. scinder~'ouvrage et il publie!

    sans compensation immdiate, la partie qui peut. paratre.

    la plus ingrate.

    Pour remdier, dans une certaine mesure, a cet incon-

    vnient, j'ai place, la tin (lui Livre )), un chapitre o

    il est traite de la /o/i?~o/ ~c.s~ chapitre qui avait

    t prvu pour le Livre )H. L'on a ainsi, des a prsent,

    rassembles, les diverses influences qui ont agi 'sur le

    dveloppement du gnie de Bourdaloue et sur le carac-

    tre de sa prdica.tion.

    Les Additions et Corrections seront reunies a la tin

    du second volume, dont la rdaction est a pen prs ter-

    mine'.

    Je crois utile de mentionner ici deux de ces corrections

    L'ouvrage cite la page 5 a pour Litre compteL 7..a S'ocre la

    ~/o/'a/f, notes et aperus, par Henri F. Secretan, Paris, )8

  • AVA~T-PRUt'OS.V)

    En me relisant, j'prouve le sentiment que, si l'altu-

    .sion a d

  • BOURDALOUE

    1

    l'appareil d'rudition qui dfendait, l'accs des classiques

    anciens Il y a plus affaire interprter les interprtations

    qu' interprter les choses, et plus de livres sur les livres que

    sur aultres subjects: nous ne faisons que nous entregloser.Tout

    formille de commentateurs d'aucteurs, il en est grand chert')).

    Que n'et-il pas dit de l'excs de la bibliographie moderne

    Les Allemands ont fini par qualier navement de ~Mrah~e

    d'un auteur la simple numration des ouvrages o.il est parl

    de lui; pour Shakespeare, Dante, Gthe, cette numration

    remplit de gros volumes. La.broussaille pineuse crot tous

    Dans son chapitre de Quelques usages, La Bruyre parle comme Montaigne:n L'tude des textes ne peut jamais tre assez recommande c'est le chemin le

    plus court, le plus sur et le plus agrable pour tout genre d'rudition ayez leschoses de premire main puisez la source maniez, remaniez le texte appre-nez-le de mmoire etc.

    Montaigne s'effrayait, au XVI" sicle, de l'normit de

    INTRODUCTION

    Faire de son devoir son mrite parrapport Dieu, son plaisir par rapport soi-mme, et son honneur par rapportau monde voil en quoi consiste lavraie vertu de l'homme, et la solidedvotion du chrtien.

    Bourdaloue, De la vraie el de ta/

  • BOURDALOUE.2

    les jours, obstrue les chemins, et l'on n'a plus le temps de

    lire les vers de ces grands potes, occup que l'on est com-

    pulser les ouvrages gnraux, .les traits particuliers, disser-

    tations, opuscules, brochures, sans parler des priodiques de

    tout format et de tout pays. Montaigne n'avait prvu ni l'His-

    toire littraire, qu'il serait, parat-il, impardonnable de confon-

    dre avec l'Histoire d'une littrature, ni la critique littraire.

    Il serait peut-tre utile de revenir parfois la lecture des

    textes, non seulement avec l'intention de les apprcier et de

    les juger, mais dans la pense qu'il est intressant et profitable

    de connatre les crivains illustres autrement que sur la foi

    d'autrui, et que l'on gagne et l'on s'instruit dans leur. intimit.

    Molire, dans la Cr~q~e de l'cole des femmes, a' dit un mot

    qui doit encourager Laissons-nous aller de bonne foi aux

    choses qui nous prennent par les entrailles, et ne cherchons

    point de raisonnement pour nous empcher d'avoir du plaisir.

    Il rpondait aux critiques malveillants et injustes.Nous avons

    nous affranchir d'une autre critique, de celle qui rclame

    notre attention d'abord pour elle-mme et tend ainsi se. sub-

    stituer aux ouvrages qu'elle prtend clairer.

    Le Port-Royal de Sainte-Beuve est une mine inpuisable

    dispense-t-il de lire les Provinciales et les Penses de Pascal

    ou les Essais de morale de Nicole? Le grand critique, par un

    travail immense, a.jet une vive lumire sur.tout un ct de

    la vie morale du XVIP sicle, mais son- uvre n'est vraiment

    intelligible et n'a tout son intrt que pour ceux qui possdent

    nos classiques d'une manire trs complte.

    Il faut commencer par s'inspirer directement de la lecture

    d'un auteur, s'entretenir avec lui sans recourir trop d'inter-

  • ~TRObUcTiOM. 3

    mdiaires, se laisser aller le sentir d'une manire personnelle

    et sincre. Et j'estime qu'il n'est pas interdit de s'en tenir l,

    si l'on n'a pas le temps ou les connaissances ncessaires pour

    mener son tude plus loin l'on peut mme condenser en quel-

    ques pages le rsultat de cet effort. Ce sera un Essai, non un

    ouvrage d'rudition, mais il y a tel Essai de Taine qui est plus

    instructif que de longs chapitres d'histoire littraire.

    J'aurais dsir relire le P. Bourdaloue sans me livrer une

    longue enqute, me bornant, ou peu s'en faut, aux ressources.

    que prsentent les rditions de ses uvres/qui ont t don-

    nes au xix" sicle. Bien malgr moi, j'ai d y renoncer, m'in-

    cliner devant la ncessit, et tudier Jes travaux rcents et trs

    honorables qui ont jet un jour nouveau sur la biographie de

    Bourdaloue. Le texte et la date des sermons ont t l'objet de

    recherches qu'il n'est pas permis d'ignorer. On ne peut se

    refuser s'instruire quand l'occasion s'en prsente, et, une

    poque de curiosit universelle, il est malsant de demeurer

    indiffrent aux dcouvertes de l'rudition. Ainsi mes notes pri-

    mitives se sont beaucoup grossies, et j'ai cd moi-mme au

    .penchant d'ajouter au commentaire, qui se constitue assez rapi-

    dement autour" du nom et des uvres du plus modeste de nos

    grands prdicateurs. Mais il me semble ds prsent certain

    que rien ne nous a t apporte, qui doive modifier notre opinion

    sur la nature et la valeur d'une prdication qui s'est continue

    patiemment durant toute la priode prospre du rgne de

    Louis XIV.

    Le sujet est un de ceux qui nous entranent le plus loin des

    habitudes d'esprit et des passions de notre temps. L'homme,

    sa vie modeste et consacre uniquement son ministre, sa

  • BOURDALOUE.4

    foi inbranlable, rien de tout cela n'est de nos jours. Pour s'in-

    tresser a, un tel sujet, il faut d'abord s'imposer quelque con-

    trainte l'on commence par tre comme dpays dans un cer-

    cle de penses toujours austres et strictement chrtiennes

    mais l'on est bientt ddommag, non seulement parce que

    goter des choses saines repose de certaines de nos lectures

    ordinaires, mais parce que l'on sent qu'en se pliant couter

    docilement les leons de Bourdaloue, l'on fait un progrs dans

    la connaissance de soi-mme, des autres, de ses devoirs, de

    ses faiblesses. Notre conscience du bien et du mal redevient

    plus sre et plus prcise. Les grandes lignes de la morale n'ont

    point vari depuis Socrate, j'en conviens, bien que la manire

    dont l'honnte homme de Xnophon, Ischomaque, parqu et

    traite ses esclaves, me laisse quelque doute ce sujet; nan-

    moins, la notion du scrupule, cette condition de toute probit,

    de toute charit, de toute vertu, n'a pas'toujours dans les

    esprits une clart gale. Mirabeau a prtendu que la petite

    morale fait tort la grande)), distinction qui peut tre conteste,

    et laquelle Bourdaloue nulle' part n'a fait allusion. Mais

    qu'elle remonte la casuistique; aux diplomates du xvi sicle,

    Louis XI ou plus haut encore, l'on avoue unanimement que

    depuis Mirabeau elle a fait du chemin, qu'elle s'est tale

    navement, qu'elle a eu des succs trs' dignes d'admiration,

    que le xix" sicle a dpens sa subtilit et son ingniosit autre-

    ment qu' rechercher des motifs de scrupule, au point qu'il

    lguera au sicle suivant, un parti nouveau dont le nom bar-

    bare rsume fidlement le programme les arrivistes.

    Ces changements, sans atteindre et altrer le,fond immuable

    des choses, ne sont. point indiffrents, et nous comprenons

  • INTRODUCTION. 5

    volontiers qu'ily aurait avantage ce qu'une morale rigoureuse

    jusqu'au scrupule rgnt, sinon en nous, puisque notre modes-

    tie s'excepte toujours de la discussion, du moins autour de

    nous car, si nous ne partageons pas en bien des points les

    angoisses des grands prdicateurs du xvn sicle, sur d'aut'res

    nous sommes beaucoup moins rassurs qu'ils ne l'taient et,

    si la pense de l'autre monde nous est moins prsente, ce

    inonde-ci n'est pas sans nous inspirer quelque effroi.

    L'on peut voir dans Bourdaloue le peintre des murs de son

    sicle, le dfenseur de l'orthodoxie religieuse, le plus vigou-

    reux des dialecticiens, le plus sage -et le plus cout des prdi-

    cateurs. Pour moi, il est surtout l'aptre du devoir. Par l il

    est trs moderne, et nous pouvons le consulter avec profit.

    Mais, objectera-:t-on, sa direction est de nature toute chr-

    tienne, s'inspire de la parole de Chrysostome: Rien n'est aussi

    prcieux qu'une me l'univers entier ne la vaut pas '. Qu'y

    faire? Je constate que l'on en vient dfinir la morale l'ex-

    pression de l'instinct de la conservation de l'individu et de

    l'espce (M. Secrtan, La socit et la morale), et que, les

    intrts de ces deux facteurs se trouvant en conflit propos de

    la natalit, on reconnat tristement que la rflexion intense,

    qui augmente la douleur plus que la joie, conduit la per-

    plexit et au pessimisme. La conscience aigu,se met en con-

    tradiction avec la vie dans les conditions actuelles de l'huma-

    nit. il semblerait importer au succs de la vie que l'humanit

    ne devienne jamais trop rflchie )). Ainsi l'on nous laisse dans

    la perplexit)) et dans la nuit. Or il faut agir.

    ln Ep. 1 ad Cor., 3.

  • BOURDALOUE.6

    En attendant que la philosophie ait dit son dernier mot, il

    est prudent d'imiter Descartes, de conserver et respecter, tout

    au moins par provision , une morale qui depuis deux mille

  • Les uvres de Bourdaloue ont t publies par le P. Bre-

    tonneau (1707-1734) la fin de chaque volume, l'on a l'ana-

    lyse de chacun des sermons qui y sont contenus. Les ditions.

    suivantes sont, pour le texte, la reproduction de cette premiredition. Les principaux ouvrages consulter seraient, outre

    les histoires gnrales de la littrature franaise Vinet,

    Mlanges, chapitre IV (p. 284-369); J. J. Weiss, Revue politi-

    queet littraire, 15 septembre 1866; Sainte-Beuve, Camer~es.

    du lundi, IX, article sur Bourdaloue, et Port-Royal, passimLes orateurs sacrs la cour de Louis XIV, par l'abb A.

    Hurel (deux vol. in-12, 2 dit., 1874); .Bourdaloue, sap)'edt-

    cation et son te?~ps, par Anatole Feugre, 1874, livre excel-

    lent et qui ne sera corrig que sur des points de dtail La

    socit /ra~atse au dix-septime sicle, d'aprs ~es sermons

    de Bourdaloue, par Ferdinand Belin, 1876, complte heu-

    reusement une partie de l'ouvrage de Feugre Bourdaloue,

    sa vie et ses ceM~ves~ par le P. M. Lauras de la Compagnie de

    Jsus, en deux forts volumes in-8", 1881, contient des ren-

    seignements nombreux sur la biographie de Bourdaloue et sur

    toutes les questions historiques qui peuvent se poser propos

    de. son uvre;. Etude sur Bourdaloue et choix cle sermons

    par l'abb Blampignon, 1886, contribution intressante

    l'tude du texte des sermons; l'7-fom~ettgue de Bourdaloue,thse (protestante) par Elie Diny, Montauban, 1891 Bour-

    daloue, vie d'un jsuite de la maison professe, par E. de

    Mnorval, 1897; divers articles des Pres Chrot et Griselle

    dans les Etudes publies par les pres de la Compagnie de

    BIBLIOGRAPHIE

  • BOUHDALOUE.8

    Jsus, 1897-1900; Bourdaloue, d'aprs des documents nou-

    ueau.c, par l'abb L.Pauthe, 1900. La librairie Delagrave a publideux ditions classiques d'un choix de sermons de Bourdaloue,l'une par M. Hatzfeld, l'autre par M. Jacques Porcher, toutes

    deux trs bonnes consulter.

    Les ressources pour la biographie de Bourdaloue se rdui-

    sent peu de chose la notice donne comme Prface par le

    P. Bretonneau en tte de la premire dition des sermons, les

    lettres crites au lendemain de sa mort par le P. Martineau et

    par le prsident de Lamoignon, une Vie de Bourdaloue parune de ses pnitentes, Madame de Pringy, tout cela trs court.

    De nos jours, l'on a glan avec un soin mritoire des rensei-

    gnements dans les correspondances et les Mmoires, surtout

    dans les Lettres de Madame de Svign l'an a consult les

    Archives de la Socit de Jsus, retrouv des copies anciennes

    de sermons de Bourdaloue dj connus ou indits, augmentde quelques lettres le petit nombre de ses autographes. Mgr

    Blampignon et les Pres Chrot et Griselle ont ainsi mis la

    lumire des documents intressants et clairci quelques pointsobscurs.

  • LIVRE PREMIER

    VIE DE BOORDALOUE JUSQU'A SA PREDICATION A PARIS

    (1632-1669)

    CHAPITRE PREMR

    Naissance de Bourdaloue, sa famille, son ducation. Influence des parentset du milieu exactitude. La rgie de Bourdaloue exprime dans le pan-

    gyrique de saint Franois de Sales. Caractres de la pit de Franois de

    Sales, de Fnelon.- Persistance des habitudes de la premire enfance.- La

    famille Arnauld compare aux Bourdaloue.

    Louis Bourdaloue est n Bourges, le 20 aot 1632', d'une

    des familles les plus honorables du Berry. Elle appartenait

    cette bourgeoisie parlementaire qui, dans un pays souvent

    troubl, pendant la fin du XVI" sicle et la premire moiti du

    sicle suivant, par les guerres civiles et les sditions, mainte-

    nait avec un soin jaloux la tradition des vertus domestiques et

    de l'exactitude bien remplir les fonctions qui lui taient con-

    fies. Le bon sens, l'habitude du travail, la gravit et la puret

    des murs, une probit svre, s'y alliaient l'indpendancedu caractre et l'ambition lgitime de garder son rang et de

    bien placer ses enfants.

    Le P. Lauras (Bourdaloue, sa t)t'e ~MsuorM, tom. I, pag. 3-4) a prouv

    que cette date est la vraie. Louis Bourdaloue bien t baptis le 29, mais t'exa-

    men des catalogues triennaux de la Socit de Jsus coutirme la date du 20 aot,

    donne par tous les biographes contemporains et atteste par le rre de l'enfant

    dans le cahier des titres de noblesse. Bibt. nation. mss. Cabinet des titres, n" t0)9.

    Malgr l'opinion de Sainte-Beuve, l'enfant a pu n'tre port l'glise que quel-

    ques jours aprs sa naissance.

  • BOURDALOUE.10

    Un court extrait de la gnalogie des Bourdaloue' donnera,au dfaut des renseignements qui nous manquent, quelqueide du temprament hrditaire de la race d'o est sorti un

    homme illustre, des exemples qui ont entour son enfance, et

    des parents qu'il retrouva plus tard dans sa carrire..

    Le nom de la famille est connu partir de Claude Bourda-

    loue, avocat au prsidial et de la maison commune, chevin de

    la ville de Bourges en 1613 et 1614. A titre d'chevin, il reutdes lettres de noblesse conformment un privilge accord

    la ville de Bourges par Louis XI, et qui eut son plein effet jus-

    qu'en 1667. Il mourut en 1618.

    Claude Bourdaloue avait eu sept enfants de Catherine de

    Chivre, fille d'un chevin de Bourges, et deux autres de Jac-

    quette Puyperron.L'an de sa premire femme, Etienne, n vers 1585, lieu-

    tenant-gnral au prsidial de Vierzon, pousa Marie Besse,dont il eut Etienne Bourdaloue, n vers 1606, avocat au parle-

    ment, qui mourut le 28 octobre 1669, en allant Paris pourentendre prcher son fils. Il avait pous, le 58 juillet 1631,Anne Le Large, fille de Le Large, lieutenant au bailliage de

    Chteauneuf, et de ce mariage taient ns trois enfants Louis

    Bourdaloue, le grand prdicateur Anne Bourdaloue, baptisele 9 janvier 1634, morte le 6 mai 1713 Robert Bourdaloue.nle 10 juillet 1637 et mort en bas ge.

    Anne Bourdaloue, par un mariage heureux, cra un lien

    entre les siens et une famille qui tait destine occuper, sous

    le rgne de Louis XIV, les plus hauts emplois.Elle pousa, a Bourges, le 24 aot 1653, Henri Chamillart,

    sieur de Villate, mort Paris en aot 1665, qui avait trois

    frres, dont l'an, Guy Chamillart, matre de requtes, inten-

    dant du bailliage de Normandie, eut trois fils Michel de Cha-

    millart, n en 1651, conseiller au Parlement en 1676, contrleur

    et ministre d'Etat en 1699 Jean-Franois de Chamillart, doc-

    teur en thologie de la Facult de Paris, vque de Dol en 1699,

    V. Lauras, tom. I, pag. 5 et tome 11, appendice I, tableau gndalogique.

  • LIVRE PREMIER. 11

    transfr depuis Senlis; le chevalier, puis comte de Chamillart.

    Des deux autres beaux-frr'es d'Anne Bourdaloue, l'un, Gaston

    Chamillart, docteur et professeur de Sorbonne, syndic de la

    Facult en 1674, mourut le 4 novembre 1679 l'autre, Michel,docteur de Sorbonne, vicaire de Saint-Nicolas du Chardonnet,

    prieur de Nanteuil, fut exile en 1682, pour son opposition

    l'enregistrement des Quatre articles, et mourut le 5 octo-

    bre 1695, ge de 67 ans. C'est contre lui que les Jansnistes

    ont crit Les C/~a,m tardes.

    L'homme considrable de cette famille fut donc le ministre

    d'Etat. Honnte homme, ayant la confiance du roi, il eut le

    tort d'accepter le ministre des finances et celui de la guerre Il eut le malheur de se croire la force de porter ces deux far-

    deaux, que Colbert et Louvois avaient at peine soutenus )) On

    lui reproche d'avoir tolr des abus''nombreux, d'avoir mal

    soutenu Villars aprs ses victoires de Friediingen et de

    Hochstedt, d'tre responsable de la dfaite de Turin, dont le

    sige avait t commenc sans succs par son gendre, le jeune

    duc de La Feuillade. Il avait la faveur de M'" de Maintenon,

    qui avait fort apprci sa probit, quand il tait charg de la

    gestion de Saint-Cyr.

    Anne de Chamillart-Villate eut quatre fils. L'an devint

    prsident la Cour des comptes, et les trois autres entrrent

    dans la Compagnie de Jsus.

    Etienne, pre de Louis Bourdaloue, aprs avoir t bailli de

    Vierzon, fut nomm conseiller au Prsidial de Bourges, puis

    doyen de la mme Cour. On nous dit qu'il tait trs recom-

    mandable, surtout par son exacte probit et par une grce

    particulire parler en public , et l'on ajoute qu'il eut, dans

    sa jeunesse, la pense de quitter le monde et de se consacrer

    la vie religieuse2. Anne Le Large, sa femme, personne d'un

    esprit distingu, aprs une vie trs exacte et fort exemplaire,

    mourut l'ge d& 89 ans a

    1 Voltaire; Sicle de Louis A/ eh. XVIII.Le P. Bretonneau, dans sa prface aux uvres de Bourdaloue.

    3 Mme de Pringy Vie de Bourdaloue.

  • BOURDALOUE.12

    On aimerait connatre, d'un peu plus prs et dans leur

    intimit, ce magistrat disert et cette femme distingue ils ont

    un trait commun, l'exactitude, qualit moyenne, si l'on veut,

    mais qui en implique d'autres nombreuses, et qui a l'avantagede se communiquer par l'ducation et de se transmettre en

    hritage, mieux que toute autre, des parents aux enfants. L'on

    entrevoit un intrieur calme, bien rgl, pieux, discret, des

    conversations srieuses, l'observation mticuleuse des devoirs

    religieux et de socit, le "respect de soi-mme et des autres,

    des relations habituelles avec des familles de magistrats, nes

    dans le mme pays, peu diffrentes de gots et de manires,dans-un cercle troit, des vertus solides,- tout cela sans relief

    saillant, sans clat, de teinte grise, monotone, comme le ciel

    qui s'tend sur les plaines unies du centre de la France, mais

    sans la tristesse rveuse des ctes de Bretagne ou l'oppression

    pesante du Marais venden.

    Georges Sand a rvl la posie lgre et douce des paysagesdu Berry mais, au XVII sicle, on ne franchissait gure les

    limites de sa petite ville on y vivait serr, un peu entass,dans des logis qui pouvaient tre spacieux, mais o, de la rue

    troite et tortueuse, ne pntraient largement ni l'air, ni la

    lumire, ne sortant de chez soi que pour les visites nces-

    saires, ou pour se rendre au Palais ou a l'Eglise, le seul lieu

    o la posie et une part, o l'imagination ft sollicite, grce la beaut et aux magnificences du culte, qui alors n'tait pasla consolation et la joie des seuls dshrits de la fortune.

    On subissait cette uniformit sans dplaisir ni rvolte, par un

    don de la race qui se rsigne tout, sauf l'isolement, par

    tradition, par amour de sa condition, sentiment trs vif une

    poque o l'antique hirarchie sociale tait intacte parce quel'on ignorait le dsuvrement et que le moindre divertissement

    -tait une fte.

    Le danger tait de se connatre trop lesu~s les autres, de se

    froisser par un contact trop frquent, de s'apprcier d'une faon

    rigoureuse, de s'imprgner de cette malignit, vritable poison

  • LrVRPKEMJR. 13

    de la charit, que Martial a dfinie d'un mot cruel aeru'gode~Hitm ?7Ht)~c~pa~Mm. Par contre, le sens pratique s'exer-

    ait constamment et gagnait en sret. Si l'imagination faisait

    dfaut,.le. don de l'attention et de l'observation trouvait une

    ample matire dans l'tude, curieuse et patiente, des penchantset des caractres. Ainsi se dveloppaient la finesse, la pn-

    tration, l'aptitude discerner, sous le dcor des conventions

    sociales, les vrais motifs d'action, l'art d'examiner avec prci-sion les cas infinis que prsente la vie. Ajoutons que, dans des

    mes habitues se con'tenir et se matriser, o la passionose rarement lever la voix, la pit chrtienne oblige, par les

    inquitudes et les scrupules qu'elle suggre, la conscience se

    replier sur elle-mme et s'exercer voir dans les profon-deurs obscures o se dissimulent les arrire-penses hypo-crites de l'gosme et de l'intrt.

    Les Bourdaloue ont donn un moraliste de premier ordre.

    Faut-il aller plus loin et admettre l'influence de la profes-sion paternelle et du milieu de jurisconsultes et de magistratso Bourdaloue passa son enfance, dans ces interprtations si

    sres, dans ces applications si pratiques de la loi chrtienne,

    qui forment le caractre le plus accus de sa prdication et quilui assurrent dans la chaire comme dans le confessional une

    si grande autorit?))' J'avoue que l'exemple de Pascal, dont le

    got pour les mathmatiques fut veill par les entretiens

    savants auxquels il assistait, engagerait accepter cette ing-nieuse supposition, mais la condition de prciser moins, et de

    reconnatre plutt une sorte d'influence gnrale du milieu,telle que celle que j'ai essay de dfinir. Il y a sans doute une

    analogie relle entre les procds du casuiste tudiant le cur

    humain dans son rapport avec la loi de Dieu et l'oeuvre du

    magistrat interprtant la loi civile, l'occasion des problmes

    juridiques qui lui sont soumis; mais cette analogie n'est qu'ap-

    parente, ds qu'il s'agit de l'exposition de la foi ici nous som-

    mes dans le domaine de ce genre que les rhteurs appelaient

    A. Feugre; Bourdaloue, sa prdication et son temps pag. 3.

  • MURDALOU.14Ifdmonstratif, et qu'ils distinguaient avec raison du genre judi-ciaire. Bourdaloue, d'ailleurs, ni en chaire ni dans les instruc-

    tions morales o l'on entrevoit comment il remplissait son

    devoir de confesseur, ne laisse paratre aucun penchant pour

    les subtilits dangereuses de la casuistique. Il suit toujours le

    grand chemin du bon sens et de la droite raison.

    Le trait garder me parat surtout cette exactitude, con-

    state chez son pre et sa mre, qui est bien le caractre mi-

    nent de son loquence et de sa vie. Dans les peintures o il

    se complat, dans les analyses qu'il poursuit avec une sret

    magistrale, il ne raffine jamais, et la vrit demeure sa proc-

    cupation unique; de mme que dans sa conduite, jusqu' la

    dernire heure, il mit une infatigable probit remplir son

    devoir tout entier.

    Sa conception de la pit n'aura rien de mystique. Elle sera

    celle d'un homme d'action qui se trace un programme l'ex-

    cute avec suite et fermet, en ouvrier consciencieux, visant

    l'utile et au pratique. On l'induit dj de l'ensemble de son

    uvre, mais l'on est vraiment satisfait de constater qu'en 1668,

    un an avant qu'il et commenc prcher Paris, il avait

    formul, en termes d'une prcision qu'il n'a point surpasse,ce que je me permettrai d'appeler la rgie de sa vie. Le

    16 juin 1668, Bourdaloue pronona la Visitation de Rennes

    le pangyrique 'de saint Franois de Sales, c'est--dire de

    l'homme dont, tous les points de vue, il diffrait le plus*.

    La date de ce pangyrique a t dcouverte par le P. Chrot dans un manus-crit o il a rencontr la notice suivante a fe~M de la canonisation de Saint-Franois de Sales la ~t~h'OM de Rennes, en Juin par te P. tt. Chtrot, pag. 168-169.

  • LVB PMMIER. 15

    Entre ces deux natures, il n'y a aucune parent, et la commu-

    naut elle-mme de la croyance et de la vertu fait ressortir

    davantage un contraste qui a ses racines dans le fond le plusintime de leurs personnalits. Que ne sera-ce point, lorsquel'un d'eux est appel mettre sur l'autre un avis motiv, lors-

    qu'il doit s'appliquer a pntrer dans une me dont le secret

    se drobe son premier regard, lorsqu'il lui faut y lire la raison

    profonde d'une saintet dont le caractre s'impose sa vn-

    ration, mais est tranger son temprament et ses habitudes

    d'esprit? Bourdaloue a-t-il song ce que l'entreprise avait de

    particulirement difficile pour lui ? s'en est-il rendu compte ?s'est-il demand si un autre n'et pas t mieux dsign quelui en pareille circonstance? Je ne le crois point, et ces con-

    sidrations d'ailleurs ne l'auraient pas arrt. Il avait rendre

    un hommage pieux une mmoire sainte, difier des fidles

    l'occasion de la canonisation d'un bienheureux que l'piscopat

    franais regardait juste titre comme lui appartenant il a

    rempli ce devoir avec conscience et gravit. Mais l'on ne peutnier que, cdant une inclination dont il ne pouvait se dfier,il n'ait admir dans Franois de Sales et mis en relief de pr-frence ce dont lui-mme il s'tait fait une loi, et l'on ne voit

    point qu'il ait tent aucun' effort pour sortir de son naturel et

    se modeler en quelque sorte sur l'objet de son loge. Ainsi

    il en est venu, son insu, se peindre lui-mme autant et

    peut-tre plus que.le saint dont il glorifiait les vertus. Dans la

    pauvret d'informations laquelle sont condamns les biogra-

    phes de Bourdaloue, ce pangyrique, une fois dat, est un

    document d'un prix inestimable, et nous ne saurions rsister

    la tentation de l'examiner ds prsent.

    Sainte-Beuve, au seuil de Port-Royal, a tudi avec une

    sorte de prdilection Franois de Sales, ce personnage si sdui-

    sant et si complexe, d'une douceur et d'une bont angliques,

    aimable, affectueux, enveloppant tout de caresses, vritable

    charmeur, politique habile nanmoins quand l'intrt de sa

    foi l'exige et remportant sur l'hrsie des victoires o il n

  • BOURDALOUE.16

    recourut pas seulement la persuasion~; directeur de cons-

    ciences avis et conciliant, s'intressant toutes les belles

    choses, en ayant un sentiment vif et dlicat, crivain spirituel

    et naf, aimant l'image, l'avouant, s'y jouant volontiers et la

    dveloppant sans effort, gardant encore la curiosit libre et

    admirative de la Renaissance, contemporain de Montaigne par

    la date et le got, avec une tendance au prcieux ami de

    1 V. Port-Royal, L. I.shap. X. Saint-Franois de Sales n'est pas un pers-

    cuteur, bien loin de l, mais il est d'un temps ou la libert de conscience parais-sait dtestable. J'emprunte Sainte-Beuve la note suivante il sentait fond

    l'importance des avantages humains dans les choses spirituelles, et il semblait en

    prendre son parti C'est grand cas combien de pouvoir a la comntodt~' de cette

    vie sur les hommes, e< ne faut pas penser d'apporter aucun remde cela. o

    (Lettre du 7 avril 1595). Environ deux ans aprs le coup d'tat de Thonon, on le

    voit, selon cette mme ide, conseiller au duc de chasser tous les hrtiques

    demeurs ou rentrs dans le pays et qui ne se convertiraient pas en deux mois,

    avec permission toutefois de vendre leurs biens: il croyait tes choses assez mres

    prur amener ainsi le reste des consciences a Plusieurs par ce moyen viteront

    le &ant'MemeM< du Paradis pour ne pas encoMrt'rce~ut dc leur patrie Lettres

    indites, I, pag. 247). Mais Sainte-Beuve mentionne deux pages plus haut que

    les Suisses de Berne, pousss par Genve, avaient mis profit la guerre entre

    Franois I" et le duc de Savoie (1535) pour s'emparer du duch de Chablais et

    des bailliages de Ternier et Gaillard. Aprs la paix de Cteau-Cambrsis (~559),

    teducEmmanuet-Phitibert se fit rendre le Chahlais et les Bailliages (1564) en

    promettant la libert de conscience aux protestants. Quand Emmanuel-Philibert

    mourut, les Suisses reprirent ces pays d'un coup de main (1589). Le duc Charles-

    Emmanuel les en chassa, et l'on conclut un nouveau trait sur les anciennes bases,

    mais le duc songea dsormais extirper t'hrsie de ses Etats. H s'y croyait sans

    doute autoris par les procds des Suisses. Berne et Genve avaient un intrt

    politique aussi bien que religieux propager le protestantisme au sud du Lman,

    et le duc pouvait craindre que la Savoie ne ft tente un jour de grossir le nombre

    des Cantons. L'exemple du pays de Vaud tait un avertissement. Les Bernois s'en

    taient empars en janvier 1536, avaient promulgu en juillet un dit de rfor-

    mation, et, le t9 octobre, l'abolition de toutes !doM

  • LIVRE PnMfEK. n

    l'auteur de. l'Astre et semant I'7?~rodttc~o)t la vie (Muo

  • MUnt)ALt).t8 Vous apprenez de (Franois de. Sales) que toute votre pitest renferme dans votre condition et dans vos devoirs. Je dis

    dans vos devoirs fidlement observs ne manquez rien de

    tout ce que demandent votre emploi, votre charge, les diverses

    relations que vous avez plus directement, ou avec Dieu en

    qualit de ministres des autels, ou avec le public'en qualit de

    juges, ou avec des domestiques en qualit de matres, ou avec

    des enfants en qualit de pres et de mres avec qui que ce

    puisse tre, et dans quelque situation que ce puisse tre,embrassez tout cela, ne ngligez pas un point de tout cela. Je

    dis dans vos devoirs assidment pratiqus: ayez dans l'ordre

    de votre vie certaines rgles qui distribuent vos moments, qui

    partagent vos soins, qui arrangent vos exercices selon la nature

    et l'tendue de vos obligations; tracez-les vous-mmes ces rgles,

    ou, pour agir plus srement et plus chrtiennement, engagezun sage directeur vous les prescrire, et faites-vous une rgleinviolable de vous y soumettre. Je dis dans vos devoirs cons-

    tamment remplis avancez toujours dans la mme route sans

    vous dtourner d'un pas et malgr l'ennui que peut causer

    une longue et fatigante continuit, n'ayez pour mobiles que la

    raison et la foi, qui chaque jour sont les mmes, et qui chaque

    jour, autant qu'il vous convient, vous appliqueront aux mmes

    uvres. Je dis, dans vos devoirs gards avec une sainte ardeur

    non pas toujours avec une ardeur sensible, mais avec une

    ardeur de l'esprit, indpendante des sentiments et au-dessus

    de tous les obstacles. Enfin, je dis, dans vos devoirs sanctifis

    par la droiture de votre intention tellement que, dgags de

    tout autre intrt et de tout autre dsir, vous ne soyez en peine

    que de plaire Dieu, et ne vous proposiez que de faire la

    volont de Dieu ..

    Aprs avoir prsent ce prcis et cet abrg )) de la morale

    de saint Franois de Sales, morale galement ennemie de

    tout excs, soit de relchement, soit de rigueur , il rpond

    ceux qui n'y trouveraient point un caractre de mortification

    assez marqu Pour s'assujettir une observation exacte et

  • LrvR pRMtR. i9

    ndle, a une observation pleine et entire, une observation

    constante et assidue, une observation sainte et fervente des

    devoirs de chaque tat, quelle attention est ncessaire Quelle

    vigilance et quels retours sur soi-mme! et pour se maintenir

    dans cette attention et cette vigilance continuelle, de quellefermet a-t-on besoin, et en combien de rencontres faut-il

    surmonter la nature, captiver les sens, gner l'esprit ))

    II montre que dans cette lutte continue difficilement parmiles contradictions et les obstacles, sans le brillant de la singu-

    larit, la force et la puret de nos sentiments seront d'autant

    plus grandes que, sans nul soutien extrieur, sans nul clat

    et sans nulle vue de paratre, la seule religion nous anime, la

    seule quit nous sert d'appui, le seul devoir nous tient lieu

    de tout.

    Ces pages ont, dans leur simplicit, leur grandeur et leur

    noblesse; elles sont l'cho sincre d'une conscience scrupu-

    leuse et d'une sage et ferme raison, l'expression virile du

    stocisme chrtien. L'on y a comme une rminiscence du vers

    sublime du vieil Horace

    Faites votre devoir et laissez faire aux Dieux.

    Bourdaloue rsume en un abrg)), pour employer le terme

    dont il s'est servi', avec un soin de prcision pratique qui est

    peine oratoire, les rgls qu'il s'tait traces. Exactitude,

    constance, quit, devoir, ces'mots se pressent sous sa plume,

    pour mieux dfinir l'idal austre qu'il se proposait et auquel

    il a conform sa vie.

    Mais est-ce tout? Le christianisme est-il seulement cette

    vertu calcule dont les prceptes semblent emprunts la, morale

    du Portique? Et encore dans Epictte se donnant pour tche

    de chanter Dieu, puisque le rossignol chante, dans Marc-

    Aurle, embrassant l'humanit dans une mansutude infinie,ne sent-on pas autre chose que l'unique proccupation du

    i Tout est tellement serr et condens que le mot de Mmento vient l'esprit.Ici la brivet du sommaire etait-eie sa place ?7

  • BOURbALOJE.$0

    devoir assidment rempli? Franois de Sales se reconnatrait-

    il dans ce portrait? Du plerinage de la Croix, le saint vque

    rapportait une motion plus vive, un besoin d'pancher sur

    tous et toutes choses son inpuisable charit. Parler de sa dou-

    ceur .est bien; la montrer en action et mieux valu', et il

    tait possible d'en dduire d'autres leons de nature moins

    aride. 0

    La pit de saint Franois de Sales est affable et souriante,

    sans nulle morosit, s'exaltant jusqu' l'enthousiasme et la

    .posie. Dans son piscopat, si charg, si occup, on ne voit

    point qu'il ait ressenti un moment la lassitude et l'ennui que

    peut causer une longue et fatigante continuit. II en tait

    prserv par la diversit de ses gots, par son imagination

    toujours active, frmissante et joyeuse.

    I! est de ces mes bnies pour lesquelles tous les fardeaux

    sont lgers, auxquelles semble avoir t pargn le sens des

    amertumes de la vie, voyant dans l'preuve et le sacrifice

    moins un devoir remplir qu'une satisfaction d'amour plus

    prs, semble-t-il, de l'esprit vanglique primitif et de cette

    folie de la Croix qui inspira les aptres, que les moralistes

    prudents auxquels suffisait l'amour abstrait de Dieu tel que

    Nicole nous le recommande en termes mesurs et secs un

    got et un sentiment)), qui peuvent tre tellement spirituels

    que l'imagination n'y ait point de part et alors il n'y a pointde sensibilit qui se puisse remarquer, le got de l'me tant

    tout intrieur))~.

    Dans la seconde partie du discours pour le.sacre de l'Elec-

    1Il a essay de le faire, mais la division de la deuxime partie douceur de la

    doctrine, douceur de la conduite, douceur des exemples, le rejette chaque pas

    dans te dveloppement d'ides gnrales. La meilleure page est celle o il traite

    de la prdication de Franois de Sales.

    Nicole ;

  • LIVRE PREMIER. 21

    teur de Cologne, Fnelon dveloppe avec gnie la pense que

    les princes qui deviennent pasteurs, peuvent tre trs utiles

    l'Eglise, pourvu qu'ils se dvouent au ministre en esprit

    d'humilit, de patience et de prire. Toute sa doctrine se

    rsume en ces mots Le grand art dans la conduite des mes

    est de vous faire aimer pour aimer Dieu et de gagner la con-

    fiance pour parvenir la persuasion. II reprend cette doctrine

    vers la fin en appels d'une motion pieuse 0 esprit, amour,

    venez nous animer; venez nous apprendre' prier, et prier en

    nous; venez vous y aimer vous-mme. Prier sans cesse pour

    aimer et pour faire aimer Dieu, c'est la vie de l'apostolat. Vivez

    de cette vie cache avec Jsus-Christ en Dieu, prince devenu

    le pasteur des mes, et vous routerez combien le Seigneur

    est dou~ Alors vous serez une colonne de la maison de Dieu

    alors vous serez l'amour et les dlices de l'Eglise.

    Avant de terminer, il insiste encore Priez, aimez, faites

    aimer Dieu; rendez-le aimable en vous; faites qu'on le sente

    en votre personne rpandez au loin la bonne odeur de Jsus-

    Christ soyez la force, la lumire, la consolation de votre trou-

    peau que votre troupeau soit votre joie et votre couronne au

    jour de Jsus-Christ

    C'est assurment l'accent de saint Franois de Sales, avec la

    puissance oratoire en plus Priez, aimez, soyez les dlices

    de l'Eglise. Nous sommes loin de Bourdaloue et de sa svre

    exactitude.

    La lgende raconte que Charlemagne, aprs avoir rtabli la

    paix en Orient, obtint de' l'empereur des Grecs, en rcom-

    pense du service qu'il lui avait rendu, diverses reliques, entre

    autres un fragment de la couronne d'pines. Quand on voulut

    1 Ps. XXXIII, 6.Ces images me rappellent la fin des aventures d't~onoM~, ce myrte d'une

    verdure et d'une odeur exquise qui < naquit au milieu du tombeau et leva tout

    coup sa tte. touffue pour couvrir les deux urnes de ses rameaux et de son

    ombre. Cet arbre,.loin de vieillir, se' renouvelle de dix ans en dix a.ns et lesdieux ont voulu faire voir, par cette merveille, que la vertu, qui jette un si doux

    parfum dans la mmoire des hommes, ne meurt jamais .

  • BOURDALOUE.22

    couper le bois de la couronne qui semblait dessch, il reverdit

    soudainement et se couvrit de fleurs qui exhalaient un parfum

    exquis'.Dans la foi au Christ, il y a des pines et des.fleurs. Franois

    d'Assise, Franois de Sales, Fnelon, cueillent celles-ci avec

    amour, les respirent avec une sorte de volupt, oublieux des

    pines qui dchirent. D'autres, pntrs de l'infirmit de la

    nature, se refusent toute joie mme dans l'adoration, croient

    dangereux tout ce qui les distrairait du renoncement, tout ce

    qui affaiblirait leur volont. Leur douceur est relle, mais se

    dfie d'elle-mme et subordonne toujours la pure raison

    l'imagination et le cur. La mysticit les inquite, parce qu'ilssentent qu'elle peut s'garer et entraner hors de la droite voie

    du devoir.

    De ces deux coles de moralistes chrtiens, Bourdaloue

    appartient la seconde et ne peut s'empcher d'en tmoigner,alors mme qu'il fait l'loge de Franois de Sales. L'on est

    autoris admettre qu'il avait puis dans sa famille, durant sa

    premire enfance, ce got de l'exactitude patiente et svre

    qu'il ne cessa de recommander ses auditeurs avec une con-

    viction que l'exprience de la vie avait certainement accrue et

    confirme~.

    J'ai dit que l'on est autoris admettre l'influence de sa

    famille sur l'esprit et le caractre de Bourdaloue. Est-ce un

    principe incontestable, et faut-il attribuer une telle importance cette priode de l'ducation o l'enfant, comme une cipe

    molle, reoit toutes les empreintes?J'estime que le premier ge est prcisment celui o le

    V. Chroniques de S. Denis sur les gestes de Charlemagne, Liv. III, ch. VIIa Comment [i fuz de la sainte couronne raverdi et flouri par miracle," etc.- Pourle texte latin, v.t'/to' /C)'oM

  • LIVRE PREMIER. 23

    caractre se forme, o les habitudes se contractent. Ds quel'enfant voit et entend, il commence s'instruire et s'exerce

    imiter. Ceux qui l'entourent ne se doutent pas assez de l'inces-

    sante surveillance dont ils sont l'objet leurs moindres gestessont pis, reproduits'. L'enfant est moralement la discr-

    tion, la merci de tous, de ses parents, de ses serviteurs, de

    ses compagnons de jeu. Il en reste, pour le bien comme pour

    le mal, des traces ineffaables. On n'y prend point garde,

    supposant que tout cela est provisoire, destine disparatreavec l'ge point du tout les traits essentiels du caractre se

    dessinent, s'accentuent de plus en plus, et l'on retrouve un

    jour chez l'homme fait les penchants que l'on avait nots chz

    lui au dbut de la vie.

    Un humoriste de gnie, Jean-Paul Richter, a crit, au com-

    mencement de son trait sur l'ducation~, qu'un enfant, durant

    les trois premires annes de sa vie, apprend plus de choses

    qu'un navigateur en faisant le tour du monde. Ce mot est

    moins un paradoxe qu'il ne semble, et, si l'on se donnait la

    peine- de questionner adroitement ces petits tres curieux et

    nafs, on serait fort tonn de constater qu'ils ne sont indiff-

    rents rien, et que leurs ttes se meublent assez rapidement

    pour qu'un jour la place soit prise, quand on daignera s'int-

    ressera eux autrement que par des gteries, et qu'on prtendra,

    corriger leurs prjugs et modifier leurs inclinations.

    Il y a chez tous des germes hrditaires et des aptitudes

    personnelles; mais, si au lieu d'tre abandonns au hasard,ces germes rencontrent une culture conforme a leur nature,si la famille les protge avec une persvrance attentive contre

    les influences trangres, ils se dveloppent avec sret, et le

    pre, se reconnaissant un jour dans son fils, obtient ainsi la

    1 Un enfant d'un an dcveioppe rapidement tant d'intelligence, qu'il est biencertain que sa premire anne, quoique voue au silence, a t en grande partieemploye observer n. Mme Campan: De ~'6'di

  • BOURDALOUE.24

    rcompense de ses soins, comme le contraire serait pour lui le.

    plus cruel chtiment.

    On aimerait retrouver dans Bourdaloue quelque souvenir

    se rapportant l'ducation qu'il avait reue; mais il n'a pastrait d'une manire particulire de l'ducation des enfants. Il

    en parle incidemment avec sajustesse habituelle, et de manire

    . laisser voir comment il entendait ce sujet. Dans le sermon

    sur l'tat de Mariage, il rappelle aux parents que c'est eux

    de porter leurs enfants Dieu, et de les entretenir dans la

    crainte de Dieu eux de corriger les inclinations vicieuses de

    leurs enfants et de les tourner de bonne heure la vertu;

    eux d'loigner leurs enfants et de les prserver de tout ce qui

    peut corrompre leurs curs: domestiques drgls, socits

    dangereuses, discours libertins, spectacles profanes, livres

    empests et contagieux; eux de procurer leurs enfants de

    saintes instructions, de leur donner eux-mmes d'utiles con-

    seils, surtout de leur donner de salutaires exemples, s'tudiant

    ne rien dire et ne rien faire en leur prsence, qui puissetre un sujet de scandale pour ces mes faibles et susceptibles

    de toutes les impressions.

    Plus haut, dans le mme sermon, il blme ces parents

    qui la vue de leurs enfants devient tellement insupportable,

    qu'ils les tiennent de longues annes hors de la maison pater-

    nelle, les bannissant en quelque manire de leur prsence,

    parce qu'ils leur blessent les yeux, et les abandonnante des

    mains trangres pour les conduire.

    Il y a l les lments d'un sermon grave et complet, et l'on

    doi(, regretter qu'il, n'ait pas t tent de l'crire par les mots

    du Christ qu'il aurait sans doute pris pour texte Quiconque

    scandalisera un de ces petits qui croient en moi, il vaudrait

    mieux pour lui qu'on lui passt au col une lourde meule et

    qu'il ft jet la mer'. ))

    Bourdaloue, au lieu de s'occuper de la premire enfance,

    traite volontiers des devoirs des pres par rapport la voca-

    Marc, IX, 41.

  • LIVRE PREMIER. 25

    tion de leurs enfants'. Dans cette matire il est soutenu parla connaissance approfondie qu'il possdait des murs et des

    travers de ses contemporains. Il avait sous les yeux des exem-

    ples nombreux d'enfants dont l'intrt tait froidement sacrifi

    celui des parents. Mais il n'a pas essay de remonter plus

    haut, et l'o-r\: n'a rien de lui que l'on puisse comparer l'Edu-

    cation des filles de Fnelon, ce chef d'oeuvre d'observation et

    de justesse, dont les premiers chapitres, on ne doit pas l'oublier,

    portent sur l'enfance en gnral.

    Pour s'intresser un tel sujet, il faut plus que du gnie, il

    faut une me tendre et une curiosit ouverte aux dtails les

    plus humbles.

    Un biographe de l'voque d Genve nous dit Spciale-ment il semblait tre en son lment lorsqu'il se rencontrait au

    milieu des petits enfants; l taient ses dlices et menus plai-

    sirs il les caressait et mignardait avec un sourire et un main-

    tien si gracieux que non plus~. M

    Je crains que ces mignardises n'aient manqu l'enfance de

    Bourdaloue.

    Il n'y a pas lieu de le regretter. Pour soutenir la lutte longue

    et laborieuse que Bourdaloue engagea contre un sicle aima-

    ble et spirituel, trop dispos trouver d'ingnieuses excuses

    ses vices, il fallait une me inaccessible aux sductions les

    plus lgitimes, aussi impntrable qu'un bloc de marbre sans

    fissure'; il fallait un bon sens robuste, le sentiment prcis de

    ce que doit tre la pit dans les diverses conditions. Imagi-

    nation, posie, agrments mondains, tout cela est sans prix

    aux yeux de Dieu et ne peut que dtourner de la voie du salut.

    Les singularits du mysticisme ont leurs inconvnients, et

    l'excs n'y est point sans pril. Bourdaloue ne fera aucune

    concession ce qu'il considre comme dangereux ou superflu.

    Avec une conviction inbranlable, avec une persvrance que

    C'est le sujet d'un sermon que nous tudions et rsumons dans le chapitresuivant.

    ~or~oyai. L. I, ch. 9.

  • BOURDALOUE.26

    rien ne lassera, il prchera ses contemporains, bourgeois de

    Paris et courtisans du roi, moins la perfection qu'il sait un don

    que Dieu rserv a. quelques mes lues, que l'observation

    exacte des devoirs gnraux du chrtien et des devoirs parti-

    culiers chaque condition.

    Faut-il nous hasarder davantage et voir, dans l'uvre de ce

    fils d'un magistrat, un rquisitoire soigneusement tabli et

    fortement document contre les. murs du sicle ?

    Il est certain que Bourdaloue apporte combattre l mal

    quelque chose de la vhmence et de l'pret intraitables d'un

    procureur, et que le caractre de son loquence est tellement

    particulier qu'il n'est pas interdit de se demander pourquoi

    mais d'autres influences que celles de l'ducation et des sou-

    venirs domestiques ont pu, .nous le verrons, avoir une action

    sur la forme qu'a prise dfinitivement son talent oratoire. Il

    convient de tenir compte de tous les lments du problme,

    sans mconnatre nanmoins que d'autres que Bourdaloue

    auraient pu suivre la mme voie que lui et en sortir tout diff-

    rents. La meilleure et la plus sre explication d'un homme

    reste dans ses origines.Nous venons peut-tre de dterminer pour quelles raisons

    Bourdaloue, lve des Jsuites, entr tout jeune dans leur

    compagnie, reprsente au point de vue littraire, dans notre

    loquence de la chaire, le got de Port-Royal.

    Prononcer le nom de Port-Royal ramne Antoine Arnauld,

    d'une famille de robe comme Bourdaloue, qui se constitua

    vritablement l'avou et l'avocat du jansnisme, apportant

    dans la controverse les habitudes de la procdure, tenace,

    abusant des distinctions subtiles, essayant toutes les voies de

    recours, compromettant par des concessions de forme la. doc-

    ,trine qu'il veut servir, s'loignant insensiblement de l'esprit de

    Saint-Cyran, finissant par encourir le blme de Pascal, respect

    nanmoins jusqu'au bout pour sa probit, sa science et son

    courage.Il est bon de se retenir sur la pente des rapprochements et

  • LIVRE PREMIER. 27

    des parallles, car de simples hasards sans consquence peu-vent y donner matire. Nanmoins, entre les deux familles des

    Arnauld et des Bourdaloue, il y a des analogies et des diffren-

    ces formant une suite assez bien lie pour que l'attention s'yarrte.

    Sainte-Beuve s'est plu tudier longuement cette famille

    des Arnauld dont l'aeul M. de La Motte-Arnauld, tour tour

    d'pe et de robe, commandant d'une compagnie de chevau-

    lgers ou procureur-gnral de la reine Catherine de Mdicis,

    tait un de ces hommes dous, propres tout. La reine Cathe-

    rine, qui l'affectionnait, lui envoya une sauvegarde le jour de

    la Saint-Barthlmy; il avait grand besoin de l'assistance,

    tant dj assig dans sa maison par les assassins . Cet

    homme nergique eut treize enfants. Ainsi se trouve constitue

    au commencement du XVII sicle une solide et ancienne

    maison, peut-tre noble, coup sr de condition notable,

    pleine de services et de mrites vidents, en charge prs des

    grands et dans leurs conseils, parfaitement appuye, appa-rente mme des seigneurs, et pousse de toutes parts, dans

    4

    la guerre, dans les finances et au Palais )'.

    Le second fils de M. de La Mothe, M. Arnauld, l'avocat,

    pousa la fille d'un avocat clbre, M. Marion, et fut lui-mme

    un orateur illustre, avec toute la pompe rudite du temps. C'est

    lui qui, en 1593, aprs l'attentat de Barrire, plaida au nom de

    l'Universit, devant le Parlement de Paris, pour rclamer

    l'expulsion des Jsuites. Ce discours est un chef-d'uvre de

    violence et de mauvais got.

    De ses nombreux enfants, deux ont une place minente dans

    l'histoire de Port-Royal Jacqueline, qui, sous le nom de mre

    Anglique, reprsente la rforme du couvent dont elle fut

    abbesse l'ge de onze ans, et le thologien, le controversiste

    invincible, Antoine Arnauld.

    Au point de dpart un huguenot, au terme le champion du

    Jansnisme, entre deux le procs pour l'Universit il y a l

    une direction gnrale, et Racine est fort mal renseign quand

  • BOURDALOUE.28

    il accuse les Jsuites de prtendre faussement que la famille

    Arnauld est d'origine protestante. Elle en tait, ne s'en vantait

    point et en gardait plus qu'elle ne supposait. Arnauld combat-

    tra aussi rudement calvinistes que jsuites, et, de son exil en

    Belgique, applaudira la rvocation de l'Edit de Nantes il est,

    malgr ce zle aveugle, un rvolt, tenant par dessus tout

    son opinion personnelle, qui, si raisonne qu'elle soit, ne vaut t

    point, aux yeux du catholique le plus conciliant, contre la

    dcision rgulirement exprime de l'Eglise.

    .Je nglige tout ce que l'on sait de l'habilet pratique et par-fois peu scrupuleuse des Arnauld et des Marion c'taient gensd'une honntet moyenne, et qui ne pouvaient prvoir que le

    sort de la rformation de la foi et de la pure doctrine de Jan-

    snius et de Saint-Cyran dt tre remis aux mains de leurs

    descendants.

    Quis tulerit Gracchos de setlilione querenles ?

    est un mot toujours juste. La contradiction est alors cho-

    quante et toute conversion court le risque d'tre mal inter-

    prte. Mais le fils, le petit-fils des Gracques, ne se'cuiront

    jamais lis par ce qu'ont fait ou profess les anctres aux-

    quels ils doivent l'clat de leur nom et leur rang dans le monde.

    Il est intressant de constater que le grand dfenseur du

    jansnisme sous Louis XIV avait dans sa tradition de famille

    tout ce qui peut expliquer non seulement son antipathie pourles jsuites et leurs doctrines, mais le caractre mme qu'il a

    donn la lutte qu'il a soutenue jusqu' sa mort. Ce n'est pasun thologien ou un controversiste ordinaire, et dans ses pol-

    miques passionnes on sent, avec un souci incontestable et

    sincre de la foi chrtienne, le besoin de rduire l'adversaire

    et de gagner son procs.De son vivant il est dit le grand Arnauld . Est-ce pour le

    distinguer des autres reprsentants du nom? Est-ce par admi-

    ration pour ce temprament ardent et jamais lass, cet espritfertile en ressources, cette fcondit inpuisable, cette autorit

    exigeante et ferme sur son parti, cette conance inbranlable

  • LVM PRt;Mt;n. 29

    dans le succs d'une argumentation qui reposait uniquementsur une quivoque, cette certitude de demeurer catholiqueenvers et contre tous ?

    La situation o depuis la mort de Saint-Cyran les Jans-

    nistes se sont maintenus, dfendant obstinment leur terrain,sans accepter jamais d'tre en rupture irrparable avec l'Eglise,et donnant l'exemple d'une pit rigide un moment o le

    relchement de la morale paraissait rclamer un remde, leur

    valait une apprciation quitable de beaucoup de leurs adv&r-

    saires, et leur conservait les sympathies d'honntes gens quin'allaient point au fond de la querelle et souffraient de les voir

    perscuts pour une doctrine obscure dont le danger n'tait

    pas vident pour tout le monde. Ces dispositions favorables

    amenaient reconnatre ce qu'avait vritablement de grand le

    rle de l'homme qui personnifiait le parti et qui mettait son

    service, avec son talent, ses vertus et la noble dignit de sa

    vie, un nom dj connu, honorablement port par des parentsnombreux.

    Pour expliquer la considration dont Arnauld a joui de son

    vivant,entre autres raisons, M. Brunetire indiqueles suivantes:

    Quand un homme a t, pendant un demi-sicle, la voix

    autorise et quelquefois mme loquente de tout un grand

    parti, politique autant que religieux, et d'un parti d'opposition,il faudrait plaindre ce parti s'il ne poussait pas la reconnaissance

    un peu au del des bornes de la justice et de la vrit. Quand

    un homme sort d'une famille dj clbre divers titres et

    qu'il n'hrite pas seulement de cette illustration, mais qu'il y

    ajoute, ce serait bien peu connatre l'opinion que de ne passavoir qu'elle-mme additionnera, dans l'estime qu'elle en fait,

    tout son mrite personnel tout l'clat de sa race. Et quandun homme enfin soutient l'estime et ranime incessamment

    l'opinion par des qualits qui procdent bien plus encore de

    l'nergie du caractre que de la profondeur ou de l'tendue de

    l'esprit, les plus habiles s'y mprennent parmi les contempo-

  • Bo~nOALOU.30

    rains, et l'tonnement ou l'admiration s'tendent jusqu' ses

    adversaires '.H

    J'ajouterais volontiers qu'un parti ne se rsigne pas aisment

    n'avoir pas un chef illustre il lui faut un reprsentant qui

    l'honore, que cet honneur tienne au gnie, aux vertus, ou au

    nom de l'homme. Par intrt autant que par reconnaissance, il

    s'efforce de faire partager tous l'admiration qu'il professe

    pour les mrites de son chef, et le respect dont il l'entoure.

    Cet effort lui cote d'autant moins qu'en ce chef, il ne fait ques'admirer et se respecter lui-mme. Ainsi se forment de gran-des rputations, qui durent ce que dure l'homme, qui demeu-

    rent le tmoignage de la puissance d'un parti et font parfoisl'tonnement de la postrit.

    Le nom mme de Bourdaloue n'avait pas d'abord la notorit

    parisienne de celui des Arnauld. Mais si les pres du grand

    prdicateur ne lui lguaient point une tradition de succs cla-

    tants, ils lui transmettaient, par contre, un temprament

    calme, l'habitude de la mesure et de la prudence, le sentiment

    de la subordination de chacun dans la socit, choses quiont leur prix et dont l'on n'a gure l'occasion de parler quandon fait l'loge d'Arnauld.

    Nous avons dit que, par sa sur, Bourdaloue tait apparentaux Chamillart. Il est remarquer que le pre du Chamillart

    qui devint ministre, est le matre des requtes qui, dans le

    procs de Fouquet, comme Talon, avait requis la mort, tandis

    que M. Arnauld de Pomponne, destin tre plus tard minis-

    tre des affaires trangres, tait relgu en province pendant

    quelques annes, en punition de l'amiti qu'il avait avec Fou-

    quet. C'est prcisment ce qui nous a valu les lettres o

    Madame de Svign lui rend compte des incidents du procsdu surintendant.

    Le procs de Fouqut, au seuil du grand rgne, marque une

    poque, le triomphe de l'autorit personnelle du prince sur l'es-7

    Grande Encyclopdie, articles sur la famille Arnauld.

  • LvnE pMMtEn. 31

    prit de coterie et de faction. Colbert fut impitoyable, mais clair-

    voyant. Les rsistances qu'il eut vaincre, si honorables qu'elles

    fussent, tmoignent, a elles seules, que l'on n'avait pas encore

    une conception nette des conditions o devait dsormais s'exer-

    cer le pouvoir royal. Il fallait en finir d'un coup avec ce vieux

    levain de Fronde qui se concentrait autour d'un vaniteux et peu

    scrupuleux personnage avec une sorte de passion plus ou

    moins dsintresse; il fallait dterminer par un acte exemplaire

    la responsabilit, jusqu'alors assez indcise, des serviteurs du

    roi.

    Parmi les amis et familiers de Fouquet, il y avait beaucoup

    de prcieuses et de Jansnistes je doute que Louis XIV l'ait

    jamais oubli compltement:

    Plus on y regarde de prs et plus on sent que Bourdaloue

    tait n, si l'on passe l'expression, pour tre d'un autre bord

    que les Arnauld, et pour donner l'exemple d'un emploi tout

    autre du talent et de la vie.

    Jsuite, orateur minent, non sans relations personnelles

    dans le meilleur monde, il lui tait ais de prendre un

    rle militant; sa Compagnie n'aurait pu blmer qu'il fut entr

    ouvertement et sans mnagements dans la longue guerre

    qu'elle soutenait contre Port-Royal et ses amis, guerre o les

    avocats les plus en vue, ceux qui avaient l'oreille du public,

    n'taient pas de son ct, o elle avait besoin de tous les siens.

    Chef dparti il pouvait l'tre s'il l'et voulu, s'il avait eu quel-

    que chose de l'ardeur batailleuse du petit-fils du procureur de

    Catherine de Mdicis. Mais il s'tait assign une autre tche

    plus haute, plus conforme la droiture de son caractre et

    la modration de ses vues, et c'est prcisment par cet adver-

    saire loyal de la doctrine jansniste que le meilleur de l'en-

    seignement moral de Port-Royal a t incorpor l'loquence

    de la chaire.

    La postrit s'est dsintresse des cinq propositions de Jan-

    snius et de la distinction subtile du fait et du droit, grce

    laquelle les religieuses de Port-Royal ont prolong leur rsis-

  • OURbALOU.32

    tance depuis longtemps elle a oubli les titres de ceux des

    cent quatre in-quartos d'Arnauld auxquels le docteur attachait

    le plus d'importance, mais elle lit les sermons de Bourdaloue.

    Il n'est pas de prdicateur chrtien qui ne .les ait en haute

    estime, il n'est pas d'honnte homme qui n'y trouve d'utiles

    instructions.

    Il a tenu sa barque droite entre l'cueil du mysticisme et

    celui du rigorisme outr, sachant concilier les leons de la foi,de la raison et de l'exprience, pliant sa volont bien com-

    prendre la pense du divin Matre, sans y ajouter, ce qui est

    orgueil d'esprit, sans en rien omettre, ce qui est concession

    la faiblesse humaine mettant son ambition et son honneur

    interprter fidlement la tradition, dsavouant humblement en

    lui-mme toute tentation d'y rien modifier, soumis la parolede Jsus de cette soumission que recommande saint Augustin Celui-l est votre serviteur vritable, qui s'approche de vous, Sauveur, non pas pour entendre de vous ce qu'il veut, mais

    plutt pour vouloir ce qu'il entend de vous'.

    Confess. L. X., cap. xxvi, ciM par Bossuet dans le sermon ~tf Mtonn-sion due la parole de y~tM-C/tr)' fin de la partie.

  • 3CHAPITRE Il

    Bourdaloue au Collge Sainte-Marie de Bourges; succs scolaires; il entre

    en philosophie a quatorze ans. Consquences pour un jeune esprit du caractre

    scolastique de cet enseignement. La culture classique et Bossuet, Fnelon,

    Bourdaloue, les Jansnistes. Exemple de dfinition par les contraires.

    Bourdaloue finit ses tudes, souvenir qu'il conserva du prince Henri de Cond.

    Jugement deMadame dePringy sur Bourdaloue enfant: pntration et vivacit.

    Ddaigneux des agrments de l'humanisme, il se spare en cela de ses con-

    frres. Vocation religieuse de Bourdaloue. I) se rfugie au noviciat des

    Jsuites Paris. Rsistance et assentiment final du pre. Examen des passages

    ou Bourdaloue traite du respect du a )a libert de l'enfant dans le choix d'untat, et analyse de la premire partie du sermon SM)' les c/rot~ f/es ywes par

    retppot'< K !a ~OMf

  • BOURDALOUE.34

    J'avoue cependant que Bourdaloue entra en philosophie

    quatorze ans et que, si les classes d'humanits et de rhtorique

    exigeaient alors des lves un effort moindre qu'aujourd'hui,l'aridit de la scolastique, seule philosophie que l'on tolrt

    dans l'enseignement, mettait un si jeune esprit une rude

    preuve. L'on passait trop brusquement du culte des vers

    latins et des priodes cicroniennes, de l'admiration nave des

    /i!ore.s d'tce~dt, a la Logique et a la Mtaphysique d'Aristote

    telles que le Moyen Age les avait interprtes, commentes et

    augmentes. Le D~co~'s sur la Mthode, nouveaut toute

    rcente (1637), la Lo~~ne de Port-Royal dont le chapitre XX

    de la Troisime partie (Des mauvais raisonnements que l'on

    commet dans la vie civile et dans les discours ordinaires) est

    un chef-d'uvre de bon sens, la Recherche de la Ver~ de

    Malebranche, n'avaient pas encore fait pntrer la franche

    lumire de la pense moderne dans l'tude de la science, quis'est impos le redoutable problme d'expliquer par les seules

    donnes de la raison, ce qu'est l'homme et quel est son rapportavec l'infini.

    S'exercer ramener les faits d'exprience quelques cat-

    gories abstraites dont on avait perdu le sens, se jouer mettre

    en forme des arguments captieux, descendre et remonter inces-

    samment la mme chelle en changeant de barreaux, ces tours

    de force et d'autres semblables pouvaient tre des amusements

    ingnieux, mais prparaient plutt a goter la sophistique des

    mots et l'art d'ordonner des formules vides qu' procder

    mthodiquement, par une voie sre, l'invention et la dmon-

    stration du vrai.

    Le danger tait surtout d'teindre, d'amortir un ge o l'on

    perd aussi vite que l'on acquiert, o le moral se dvie plus ais-

    ment encore que le physique, les facults mmes que l'on s'tait t

    attach avec le plus d'attention dvelopper dans les classes

    prcdentes; d'un bon humaniste il pouvait ne rester qu'unmauvais logicien. Plus un jeune philosophe de quinze ans

    mettait de zle s'assimiler des matires abstraites, plus doci-

  • LrVJPMEMIEH. 35

    lement il s'y appliquait pour plaire a ses matres, plus il s'assu-

    jettissait y employer toute sa pntration naturelle, plus il

    s'prenait de subtilit, et plus, par une trs fcheuse recom-

    pense, il courait l risque de perdre avec la finesse vraie, fleurde l'intelligence, don de dmler vivement les rapports obscurs

    des choses, une autre facult galement prcieuse et qui fait

    le plus bel ornement de la pense: l'imagination.La Scolastique doit tre juge dans un esprit d'impartialit.

    D'abord, monument grandiose lev par quelques hommes de

    gnie qui tentaient une interprtation universelle des choses

    en s'appuyant sur les donnes de la foi et sur ce qu'ils savaient

    d'Aristote, elle a fini par devenir un corps de doctrine ayant

    une autorit officielle, obstacle tout progrs scientifique: on

    ne peut oublier l'humiliation de la pense humaine dans la per-sonne de Galile et de Descartes. Ceci ne nous interditaucune-

    ment d'admirer a, sa date dans l'histoire l'uvre d'Albert le

    Grand, de saint Thomas d'Aquin,deDuns Scot, et de constater

    que l'ontologie dfend encore aujourd'hui ses positions, sans

    se croire srieusement menace par l'hypothse vo'lution-

    niste ou par l'analyse des nouveaux disciples de Kant. Mais

    cette sincrit de notre admiration pour les grands scolastiques

    nous permet de reconnatre que l'enseignement philosophique,tel qu'il tait donn la jeunesse durant la premire partie du

    XVII"" sicle, tait un anachronisme, qu'il altrait la simplicit

    d'Aristote, lgante dans sa svrit, et qu'il n'avait profit

    que mdiocrement du rveil platonicien de la Renaissance.

    L'on a cit souvent ces lignes exquises de l'7o~ Les

    potes nous disent qu'ils puisent des sources, d'ou coule le

    miel, dans certains jardins et bosquets des Muses, et qu'ils

    y recueillent ces chants qu'ils nous apportent, a la manire des

    abeilles, dont ils ont aussi les ailes; et ils disent vrai".

    Platon, en crivant ses dialogues, s'inspirait de cet exempledes potes, et, bien aprs lui, l'picurien Lucrce, avouant que

  • UOUHDALOL36

    les sujets qu'il va traiter sont tristes et que le vulgaire s'en

    dtourne M, a recours l'art des vers:

    quoniam haec ratio pim'umque videturTristior esse, quibus non est- tractata, retroqueVolgus abhorret ab hac, volui tibi suaviloquenliCarmin Pierio rationem exponere nostramEt quasi Musaeo dulci contingere melle

    Ce miel des Muses, destin a, faire accepter la boisson amre,

    lesscolastiques n'en ont point connu l'usage.Bossuet Navarre ne borna point ses tudes la philosophie

    du collge. Il apprit le grec. fond, au point que Rollin le fli-

    citait plus tard dpossder aussi bien la langue d'Homre quecelle de Mos.e~. Il lut tous les anciens historiens grecs et

    latins, les orateurs et les potes. Ainsi le sentiment de la cor-

    rection et de la puret classiques tempra un gnie que l'ad-

    miration du lyrisme audacieux des prophtes et la. lecture des

    Pres grecs auraient pu entraner l'hyperbole et au raffine-

    ment. 0

    Bossuet, dans la forme accomplie de son talent d'crivain,donne surtout l'impression de la dignit et de l'urbanit

    romaines un Cicron corrig de sa vanit et de sa rhtorique,

    qui n'aurait pas seulement convers sous les ombrages de

    l'Acadmie, qui se serait agenouill au Jardin des Oliviers.

    Fnelon est le disciple des Grecs et de leurs imitateurs latins,

    Trence, Virgile, Horace. La Lettre sw Voir l'abb Le Dieu, ~'))tOtrM, et Floquet, B

  • LIVRE PREMrHn; 37

    Dmosthne et d'Isocrate, et surtout le T'~ma~MC prouvent un

    commerce constant avec les chefs-d'uvre de l'antiquit clas-

    sique et une volont rflchie de les prendre pour models. Il

    n'a russi qu' demi, car sa prose un peu trainanteH a bien

    l'abandon noble et facile mais non la sobrit de l'atticisme

    vrai, et peut-tre n'a-t-il entrevu la Grce qu' travers la deli!-

    catsse artificielle, recherche, amollie, de l'poque alexan-

    drine, mais il n'en est pas moins grec d'esprit et d'imagination

    plus qu'aucun de ses contemporains, plus que bien des potes

    qui, aprs lui, ont cherch dans l'antiquit ou l'archologie

    hellnique une source d'inspiration.Il a reproduit les meilleures qualits des Grecs, l'motion

    attendrie, le naturel de la dmarche et du ton, le ddain des

    effets violents, le coloris habilement distribu, le charme de

    l'expression. Goethe, dans son Zp~~e~e, a essay de nous

    rendre l'art grec dans toute sa vrit,-mais il a t impuissant

    a donner ses personnages le caractre de la vie. Sur la scne

    il a plac des marbres d'un dessin antique le drame'exige

    davantage.Bossuet et Fnelon ont tous deux achev leurs tudes

    Paris et par consquent ont du, mieux que dans un petit collge

    de province, tre amens goter l'intrt d'une connaissance

    tendue des lettres anciennes.

    Dans l'loquence de Bourdaloue, l'on ne sent aucune influence

    de la culture hellnique, mme telle qu'elle a t transmise

    par les canaux troits et parcimonieux de la posie latine. Il

    manque la physionomie de l'orateur le sourire, sa parole

    l'image. Le collge par ses dernires leons avait achev ce

    qu'avait commenc l'ducation de famille, fait du jeune lve

    de philosophie une intelligence lucide, capable d'attention, de

    discernement, de raisonnement; indiffrente toute autre

    'chose qu' la vrit, la poursuivant d'un amour passionn.Aurait-on pu, sans compromettre rien, laisser d'autres apti-tudes un plus libre essor, encourager davantage l'harmonieux

    panouissement d'une nature heureusement doue ? Les l-

  • BOURDALOUE.38

    ments nous manquent pour en juger avec certitude, mais quela responsabilit en remonte au milieu primitif de l'enfance de

    Bourdaloue, qu'il faille l'attribuer une disposition native ou

    a l'influence desschante d'une scolastique prmature, on

    regrettera toujours qu' tant de mrites qui ont suffi pour faire

    sa gloire, un prdicateur, admirable pour le fond des choses et

    l'art de la composition, n'ait pas ajout ce qui aurait t la per-fection de son talent, l'agrment et le fini du style.

    Ce n'est pas impunment que l'on ignore ou l'on ddaigne

    le chemin d'Athn

    Et ceci n'est pas vrai seulement de Bourdaloue, mais d'Ar-

    nauld, de Nicole lui-mme et, dans une certaine mesure, de

    Pascal, qui, avec tout son gnie, se serait peut-tre content

    d'crire comme Descartes, si dans Montaigne qu'il a lu et relu,il n'avait trouv un ducateur nourri de la meilleure sve

    antique'. Que d'auteurs ont eu ainsi le bnfice littraire de la

    lecture d'adversaires dont ils ont pass leur vie rfuter les

    doctrines 1

    On estimera peut-tre que Pon attache ici trop d'importancea ces deux annes de dfinitions, de distinctions, de syllogis-

    mes et de mtaphysique abstraite places un ge trop jeune.

    Ceux qui, il va quelque quarante ans, subirent leurs dpens

    l'exprience d'une anne de Logique formelle, alors que l'en-

    seignement philosophique proprement dit tait tenu en suspi-

    cion, se rappellent quel effort il fallut faire pour redevenir des

    lves de Rhtorique passables. Convertir des propositionset ramener des syllogismes la premire figure, recourir,dans les cas dsesprs, la dmonstration par l'absurde~, se

    reconnatre dans les vers mnmoniques est en soi inoffensif,mais

    Dans Port-Royal Sainte-Beuve, malgr toute son admiration pour .Pascal,reconnat que la grce manque l'auteur des Provinciales. Lanfrey, dans l'Eglise etles philosophes au XVIIJc sicle, a raill Sainte-Beuve ce propos, mais a t son

    tour l'objet de la cntique'd'Emi)eMontgut,Z,t&rMOpt?M'o?M,d.de)888,pag. 137.Ce que'l'on nous apprenait faire pour les syllogismes dnommes Baroco et

    Bocardo, suivant la formule du versM vult transponi, C per impossibile duci.

  • LIVRE PREMIER. 39

    exige la possession d'un appareil aussi compliqu qu'encom-

    brant. Il faut y avoir pass pour s'en rendre compte la fra-

    cheur de la pense s'y ternit souvent pour toujours. Le grand

    mal tait que les mieux dous, les plus intelligents, prenaient

    le plus de got des exercices laborieux et subtils et tenaient

    a honneur d'en acqurir le secret. Il est possible que notre

    langue ait gagn'en prcision aces jeux scolastiques, mais,

    comme procd d'ducation, ils sont nuisibles, et il convien-

    drait de protester encore, si, sous quelque forme rajeunie, ils

    reparaissaient dans les programmes.

    A la suite de la Logique, le jeune Bourdaloue dut aborder

    une mtaphysique abstraite, savamment coordonne, mais

    enseigne trop tt. Y a-t-il en algbre suprieure une dfini-

    tion plus difficile a embrasser que la suivante de la simplicit

    (a propos de la simplicit de Dieu) ? La simplicit est la

    ngation ou l'exclusion de la composition. Or la compositionest l'union de choses distinctes. La composition est de deux

    sortes (et de mme la simplicit, puisque les raisons des con-

    traires sont contraires) l'une relle et physique, l'autre ration-

    nelle et mtaphysique. La composition relle est l'union de

    plusieurs choses rellement distinctes, savoir indpendante

    de l'opration de l'esprit. La composition rationnelle est l'union

    de plusieurs choses que la raison seule distingue. La compo-

    sition physique, d'aprs les philosophes, ou bien rsulte de

    parties intgrantes, par exemple la nature ou bien de la nature

    et de la forme, par exemple l'homme ou bien de la substance

    et de l'accident, par exemple un corps rond. La composition

    mtaphysique, rsulte ou bien de l'acte et de la puissance, ou

    bien de l'essence et de l'existence, ou bien enfin du genre et

    de la diffrence. Certains appellent aussi logique cette dernire

    sorte de composition')). Ainsi la simplicit est dfinie par

  • MOURDAt.OUE40

    l'exclusion ou la ngation de toutes les formes de son con-

    traire, ce qui implique la ncessite de dfinir chacune des for-

    mes du contraire et mne loin. Pourquoi ne pas dire que l'on

    entend par simple ce qui ne comprend point dparties?

    Bourdaloue finit ses tudes de bonne heure, de mme que

    Descartes, qui sortit de philosophie, lui aussi, a l'ge de seize

    ans. On sait les succs prcoces de Bossuet et de Fnelon,

    Louis, duc d'Engbien, celui qui devait tre le Grand Conde,

    avait achev, au collge de Sainte-Marie de Bourges, des tudes

    littraires et philosophiques que l'on dit avoir t brillantes, a

    l'ge de treize ans (1634).

    Son pre, le prince Henri de Cond, protgeait le collge de

    Bourges, ou il avait mme fonde une chaire de thologie

    Aprs sa mort, survenue en 1646; les Jsuites, voulant honorer

    la mmoire de leur bienfaiteur, tirent reprsenter par leurs

    lves dans le thtre du collge une sorte de drame funbre

    intitul C~earque, d'un caractre mi-partie religieux, mi-partie

    mythologique, conformment au got du temps et leurs

    habitudes d'humanistes'.Le jeune Bourdaloue est mentionn

    dens scilicet ab operatione mentis. Compositio rationis est, plurium sola ratione

    rlistinctorum unio. Compositio physica, juxta philosophas, vel est ex partibus inte-

    grantibus, sic natura vel ex natura et forma, ita homo vel ex substrato et acci-

    dente, sic corpus rotundum. Compositio vero metaphysica vel est et actu et potentia,

    vel Ex essentia et ditierentia. Hanc uttimam compositionem quidam ~ppeHantfogi-

    cam. J'emprunte cette dfinition a un manuscrit du sicle dernier, manuel tho-

    logique de doc'riue orthodoxe, o sont vises et rfutes l'occasion les opinion3

    des Jansnius, Spinoza, Quesnel, Berkeley.

    n Par contrat du 16 octobre 1627, Henri II de Bourbon, prince de Cond,

    complta l'enseignement du collge par la fondation d'une chaire de thologie.

    Lauras, 11, Appendice IV, pag. 547.

    S In funere M)'6HM~tmt Principis //eHy't'M ~0)'&OMtt ~0?K~

  • LIVIDE PREMIER. 41

    au programme des acteurs avec l'indication de son personnage

    Ga

  • BOURDALOUE.42

    rduits au tmoignage de Madame de Pringy, qui parat repro-duire les souvenirs de la sur de Bourdaloue, Madame de Cha-

    millart-Villate Les heureuses dispositions du jeune Bour-

    daloue avaient lieu de faire esprer a sa famille de grandes'choses de lui. Il tait vif, il avait l'esprit lev, et d'une e

    pntration merveilleuse; rien n'chappait sa perception;il ne lui fallait, pour comprendre une vrit, que le quart du

    temps qu'il en faut un autre pour l'exprimer. Il avait tout ce

    qui promet un trs grand mrite; il tait naturel, plein de

    feu et de bont.

    Ce jugement trop sommaire, o manquent les menus dtails

    qui enchantent le biographe, parce qu'ils jettent une lueur sur

    l'histoire d'une jeune me, est du moins prcis dans sa

    brivet. L'on a l'cho d'une sorte de formule, que l'on s'ima-

    gine entendre la sur de Bourdaloue rpter dans ses entre-

    tiens avec Mme de Pringy, et ces quelques mots suffisent

    pour que l'on se reprsente un enfant, dont l'on admirait

    surtout l'intelligence ouverte, laquelle rien n'chappait,

    qui saisissait tout avec une promptitude merveilleuse. On le

    voit dclarant qu'il comprend, sans laisser peut-tre aux per-

    sonnes ges le temps d'achever loisir et l'aise l'expression

    de leur pense, indiffrent dj ce qui n'est que l'enveloppe

    et la parure de l'ide.

    Il n'est pas superflu d'insister sur ce trait reconnu et not

    de si bonne heure. L'on a ici l'explication trs sre de la

    contradiction apparente, qui tonne, entre le caractre litt-

    raire de l'oeuvre de Bourdaloue et les prfrences notoires de

    ceux qui furent les ducateurs de sa jeunesse et dont il ne s'est

    jamais spar.

    Les jsuites, sans rompre avec.la tradition scolastique, et

    tout en continuant enseigner la philosophie suivant un mode

    que nous jugeons surann', faisaient une part principale

    l'tude purement littraire des classiques et gotaient trs

    vivement le charme des potes latins. Ils datent de la Renais-

    V. Appendice H.

  • LIVRE PREMIEK. 43

    sance et lui demeuraient fidles. Les dfauts que l'on a pu

    reprocher leurs crivains, sont ceux des humanistes, une

    sorte d'enthousiasme naf pour l'art de dire agrablement, en

    puisant dans le fonds consacr des lgances latines; un pen-

    chant pour la rhtorique, l'amplification, le brillant, le bril-

    lant, le fleuri, pour toutes les fleurs, mme fanes parla

    vtust et sans parfum, mme artificielles. Rien de moins

    gothique, de plus moderne que l'ornementation de leurs glises,

    et, quand Vignole construisit le Ges de Rome, il levait, sans

    y penser, le tmoignage d'une conception nouvelle et souriante

    de la vie chrtienne'. 1.

    Le cardinal Desprez, & latin de la prface de'son J-forace

    l'usage du Dauphin, adresse au lecteur une invitation toute

    paenne: Allons, viens te promener avec moi, sans te faire

    prier, dans les bosquets verdoyants des Muses; viens couter

    les chants mlodieux et doux du Cygne de Venouse, les plai-

    santeries et les discours joyeux et spirituels de l'lgant Sati-

    rique. Age, spaHa~e mecum non invitus per am~a haec

    Musarum uM'tda~'ia, ad a~utos et dutces Fe~Msmt Cycni

    cantus, et ad elegantis admod~m SaH?'tCt /st~os ac teptdos

    sates et sermo~es.

    Tous les humanistes prouvrent cette ivresse aimable qui

    devait dgnrer en un froid pdantisme, mais qui d'abord

    naissait spontanment au contact de la beaut antique

    retrouve.

    Dans les collges des Jsuites, il n'y avait rien de l'austrit

    Le Pre Sauras (t, 96) reproche, non sans quelque raison,- M. Jacquinet,d'avoir mis au compte des Jsuites la mauvaise architecture du GMMet des gliseso elle a t imite. Giacomo Barrozzi da VignDla (1507-1573), un des matres

    qui achevrent Saint-Pierre, l'illustre auteur du Trait. des Cinq Ordres, fut

    charg par Alexandre Farnse d'tabhr les plans du Gesii. B commena l'excu-

    tion, mais elle fut acheve par un de ses lves, Giacomo della Porta, artiste d'un

    got moins svre (1568-1584). L'on tait la veille de J'closion du genre ~'o-

    que. On serait aisment d'accord, si l'on acceptait une fois pour toutes que ta

    Compagnie de Jsus, au point de vue du got, eut d'abord l'empreinte de la fin

    du X'VI sicle.

  • DOUMDALOUE.444

    dprimante des Pet~es-Eco~ de Port-Royal la discipline y

    tait, malgr le nombre, parfois considrable, des lves, bien-

    veillante et affable; on veillait l'mulation'; on encourageaitles jeux et la gat on prparait la vie civile, s'y com-

    porter sans gaucherie. A certains jours, le collge tait en fte;il ouvrait ses portes au public, et les parents voyaient leurs

    enfants paratre sur un thtre vritable et parler en beaux

    vers d'une latinit facile. Une amnit particulire adoucissait

    toutes choses dans ces maisons qui, bien des gards, restent

    le modle des grands internats modernes.

    Ni Calvin ni Saint-Cyran n'ont cd aux sductions de la

    Sirne antique ils continuent trs exactement le Moyen Agedans ce qu'il a de dur et de ferm, et pouvaient, ce titre,s'estimer les rformateurs ncessaires de contemporains

    frivoles, qui se laissaient aller faire, dans leur pense, une

    part, toujours croissante, la vie, a l'art, la science, la

    mondanit.

    Outre les qualits purement intellectuelles de pntration,de perception rapide, Madame de Pringy note la vivacit du

    caractre et la bont. Ces deux traits qui ressortent moins de

    l'oeuvre de Bourdaloue, parcourue superficiellement, sont

    galement marqus par le P. Bretonneau dans sa prfaceune douceur qui devait lui coter du temprament dont il

    tait.

    Ceci est une confidence prcieuse, car le P. Bretonneau,confrre de Bourdaloue, avait eu mille occasions de le voir et

    de l'entendre, dans une intimit qu'aucune contrainte ne

    gnait.

    Si sa douceur explique les amitis fidles qui entouraient

    Pascal: :.L'admiration gto tout ds l'enfance. Oh! que cela est bien dit!Qu'il a bien fait! Qu'il est sage etc. Les enfants de Port-Royal, auxquels on nedonne point cet aiguillon d'envie et de gloire, tombent dans la nonchalance .

    Port-Royal avait tort. L'mulation entre bons lves n'a rien de commun avec lajalousie, et, quant aux autres, ils applaudissent sans arrire-pense aux succsmrits. Ne prtons point notre malignit l'enfance. L'me se rapetisse avect'ge, Aristote l'a dit, mais elle est d'abord gnreuse.

  • LIVRE PREMIER. 45 J

    Bourdaloue et en partie l'empressement avec lequel on recher-

    chait ses conseils, ce temprament ardent, gouverne par une

    volont claire, fut le ressort de son infatigable nergie et

    la raison de l'audacieuse hardiesse qui clate partout dans sa

    prdication. Mais ds prsent, la Un des tudes cle Bour-

    daloue, nous en constatons l'action dans la brusque et ferme

    dcision qu'il prit, maigre son pre, d'entrer dans la Compa-

    gnie de Jsus. Nous reprenons le rcit, trop bref a notre gr,

    de Madame de Pringy II sua la vertu avec le lait, et ne sortit de l'enfance que

    pour entrer dans la vie laborieusedu christianisme. Sa pre-

    mire dmarche dans cette vie qui conduit Dieu, fut le zle

    de sa sainte maison. Il conut dans ce moment le dessein

    d'tre Dieu sans rserve et sans partage il se sentit press

    par une salutaire impatience de le chercher dans la retraite

    il en examina toutes les obligations, et les embrassa dans cet

    ge rebelle a la raison, avec autant de got qu'on en a d'ordi-

    naire pour les plaisirs du monde il se droba sa famille

    pour se jeter dans la maison de saint Ignace. Il vint a Paris

    sans l'aveu de ses parents. Son pre ne fut pas plus tt instruit

    de sa retraite, qu'il vint en poste au noviciat, et ramena son

    fils a Bourges, mais il ne l'eut pas trois mois avec lui, que,

    pntr de la solidit de sa vocation, il se reprocha sa viva-

    cit, et, quoiqu'il n'et que lui de garon, il revint Paris

    le ramener au noviciat, en protestant qu'il tait ravi de le

    voir dans un ordre o il aurait voulu tre lui-mme.

    II fallait reproduire, sans rien omettre, ce plaidoyer habile en

    faveur de la petite rvolte, s'il s'agissait d'un autre l'on dirait

    du coup de tte, du jeune Bourdaloue.

    On place son premier dpart pour le noviciat au mois

    d'aot 16~8, c'est--dire a la un exacte de l'anne scolaire,

    peut-tre au lendemain de la distribution des prix. Il tait

    dans le dernier mois de sa seizime anne. On peut supposer

    que ses matres, pressentant qu'il ferait grand honneur a leur

    ordre et l'Eglise, n'avaient pas dcourag sa vocation ds

  • BOURDALOUE.46

    qu'ils l'avaient reconnue, et que, de son ct, l'enfant, sachant

    que son pre tenait le garder auprs de lui comme l'hritier

    futur de son nom et le continuateur de sa' famille, craignait

    de ne pas rsister une autorit qu'il respectait et qu'il aimait.

    De l un accs de desespoir et la fuite. On ne saurait accepter

    qu'un enfant doux et affectueux rompe ainsi avec les siens,

    tant qu'il a la moindre chance d'obtenir leur aveu par ses

    prires. Mais cela n'oblige point approuver en principe l'acte

    de rvolte ouverte d'un enfant 'de seize ans. Disons-le libre-

    ment il n'y a rien de rgulier en tout ceci, ni le dpart clandestin de Bourdaloue, ni l'accueil qui lui est fait au

    noviciat de Paris. Il est mme inutile de chercher une excuse

    dans la fermet d'une vocation qui avait pour devoir de

    patienter et d'attendre. Le fait n'est pas tellement grave qu'il

    soit ncessaire de l'attnuer ou de le pallier, en allguant que

    le jeune collgien tait entran par une force irrsistible.

    Dans la prface ou Prehtde de Mtdd!ema)'c~,George Eliot,

    voulant prparer le lecteur s'intresser au personnage de

    Miss Brooke, rappelle un pisode de l'enfance de sainte

    Thrse Quel est celui qui, voulant, srieusement connatre

    l'histoire de l'homme et savoir comment ce mystrieux mlangese comporte sous les diverses expriences du temps, ne s'est

    pas arrt, ne ft-ce qu'un moment, sur la vie de sainte

    Thrse, et n'a pas souri avec bienveillance en. se reprsentantla petite fille partant, un matin, en tenant par la main son frre

    plus petit qu'elle, pour aller chercher le martyre au pays des

    Maures ? Ils trottinaient s'loignant de la rude Avila, les yeux

    grands ouverts, regardant d'un air dsespr, comme deux

    faons, mais avec des cceurs humains, qui battaient dj pourune ide nationale jusqu' ce que la ralit domestique vnt

    il leur rencontre sous la forme de leurs oncles et les contrai-

    gnt d'abandonner leur grande entreprise. Ce plerinageenfantin tait un digne commencement. La nature passionneet idale de Thrse demandait une vie pique qu'taient

    pour elle des romans de chevalerie en plusieurs volumes et

  • LIVRE PREMIER. 47

    les conqutes d'une brillante jeune fille ? Sa flamme consuma

    promptement ces aliments lgers, et, puisant en elle-mme sa

    nourriture; prit son essor la recherche d'une satisfaction infi-

    nie, d'un objet qui ne pt jamais justifier la lassitude, et qui

    rconcilit son dsespoir d'elle-mme avec le ravissement et la

    conscience d'une vie surnaturelle. Elle trouva son popedans la rforme d'un ordre religieux M.

    Enthousiasme passion de l'hrosme ardeur vers un

    idal trs pur, trs noble et trs dsintress dsir candide

    de se sacrifier quelque grande cause pour l'amour du Beau

    et du Bien Tant pis pour ceux qui, en un jour de leur jeu-

    nesse, n'en ont pas eu le choc, n'en ont pas ressenti l'motion

    sainte. Ils sont condamns ramper