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Breton La Confession Dédaigneuse, Les Pas Perdus

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Breton Les Pas Perdus

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  • ditions Gallimard, 1924. ditions Gallimard, 1969, pour la nouvelle dition.

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  • Andr Breton est n le 18 fvrier 1896 Tinchebray, dans l'Orne. Sesorigines sont bretonnes et lorraines. lev d'abord Saint-Brieuc, par songrand-pre maternel, il a quatre ans quand sa famille s'installe Pantin.En 1906, il entre au collge Chaptal. A dix-sept ans, en 1913, il suit lescours du P.C.N., porte d'entre des tudes mdicales; trois pomes, dontun sonnet ddi Paul Valry, paraissent en mars 1914, dans La Phalangede Jean Royre. En 1915, mobilis dans l'artillerie, il fait ses classes Pontivy, puis est vers dans le service de sant Nantes. Il entre encorrespondance avec Guillaume Apollinaire et fait une rencontre capitale,celle de Jacques Vach. Affect, en 1917, au centre psychiatrique de laIIe Arme, Saint-Dizier, il s'initie la psychanalyse. Rappel Paris, ilfait, auprs d'Apollinaire, la connaissance de Philippe Soupault et celled'Aragon, dans la librairie d'Adrienne Monnier. Tous trois collaborent Nord-Sud, revue qu'anime Pierre Reverdy.

    En 1919, Andr Breton publie Mont de pit, o s'affirme sa ruptureavec la potique mallarmenne, dans le temps mme o, ayant fortuite-ment dcouvert l'criture automatique, il crit avec Philippe Soupault LesChamps magntiques, qui parat en 1920. Avec Aragon et Soupault, il acr en mars 1919 la revue Littrature, qui, en un an, passe de la rechercheencore clectique du moderneau soutien et l'affirmation dumouvement Dada. En septembre 1921, Breton pouse Simone Kahn. Il adj pris quelque distance avec Dada, mais la rupture ouverte avec Tzaran'intervient qu'au dbut de 1922. Ds ce temps, autour de Littrature,Nouvelle Srie, un groupe est constitu, dont le Manifeste du surralisme(1924) explicite les positions et les interrogations. Ds lors, l'histoire de

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  • Breton et celle du surralisme se mlent de faon indissoluble. C'est de cettepriode que date la publication des Pas perdus.

    La rencontre avec Nadja, rue Lafayette, en octobre 1926, est la sourced'un livre qui pose dj les problmes essentiels soulevs par le surralisme(le rapport de la posie et de la vie, le hasard, l'amour).

    Reconnaissant, depuis la guerre du Maroc (1925), la ncessit d'uneaction politique, Breton entre en 1927 au parti communiste, dontl'exclusivisme idologique entrane assez vite son loignement. Il n'encontinue pas moins, difficilement, collaborer avec le Parti sur diversproblmes (question coloniale, rflexion sur la littrature), jusqu' larupture dfinitive lors du Congrs pour la dfense de la cultureen juin1935. De ces dbats, le Second Manifeste du surralisme (1929) suivide ruptures et de nouvelles arrives comme Les Vases communicants(1932) portent la marque. En 1932 galement, se consomme sur cesmmes questions la rupture avec Aragon.

    La rencontre avec Jacqueline Lamba, qui est au centre de L'Amourfou,a lieu le 29 mai 1934. C'est aussi le moment o se confirme l'audience

    internationale du surralisme voyage Prague, aux les Canaries, auquelse rfre le chapitre v de L'Amour fou. Aube, fille d'Andr Breton et deJacqueline, nat la fin de 1935 c'est elle que s'adresse le dernier textedu livre.

    En 1937, Breton dirige quelque temps une galerie surraliste rue deSeine, l'enseigne freudienne de Gradiva. En 1938, il est charg deconfrences sur la littrature et l'art au Mexique, o il rencontre plusieursfois Trotski et crit avec lui le manifeste Pour un art rvolutionnaire

    indpendant. Au retour, il rompt avec Paul luard. Au moment de laguerre de 1939, Andr Breton est mobilis Poitiers. Aprs la dbcle, ilest l'hte Marseille du Comit de secours amricain aux intellectuels ,o il retrouve Brauner, Max Ernst, Masson, Pret. En 1941, il parvient s'embarquer pour la Martinique, o rgne le rgime de Vichy; il y estd'abord intern, mais a le temps de dcouvrir Aim Csaire, avant de partirpour les tats-Unis. L'exil New York est marqu par une expositionsurraliste en 1942 et la cration de la revue VW. Et c'est New York, en1943, qu'il rencontre lisa, inspiratrice de la mditation d'Arcane 17.Aprs leur mariage, ils reviennent Paris en 1946. Contre la mode del'poque, Breton rpudie l'asservissement aux directives d'un parti, ce quine l'empchera pas d'tre prsent dans les combats du temps, avec une

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  • rigueur qui ne flchit jamais. Il apporte en particulier son soutien la luttedu Vit-nam pour son indpendance, et pour un temps aux efforts de GaryDavis, le citoyen du monde comme au combat de la Hongrie contre lejoug sovitique. Des expositions, des revues marquent l'activit surralisted'aprs la guerre. Pendant la guerre d'Algrie, Andr Breton est un despremiers signataires du Manifeste des 121.

    Au printemps de 1966, Breton fait un court voyage en Bretagne. Enseptembre, il est hospitalis Lariboisire, o il meurt le matin du 28. Sesobsques ont lieu le 1 er octobre au cimetire des Batignolles. Le faire-partde dcs portait ces seuls mots

    ANDR BRETON1896-1966

    Je cherche l'or du temps

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  • LA CONFESSION DDAIGNEUSE

    Parfois, pour signifier l'exprience on a recours cette expression mouvante le plomb dans la tte. Leplomb dans la tte, on conoit qu'il en rsulte pourl'homme un certain dplacement de son centre de gravit.On a mme convenu d'y voir la condition de l'quilibrehumain, quilibre tout relatif puisque, au moins thori-quement, l'assimilation fonctionnelle qui caractrise lestres vivants prend fin lorsque les conditions favorablescessent, et qu'elles cessent toujours. J'ai vingt-sept anset me flatte de ne pas connatre de longtemps cet qui-libre. Je me suis toujours interdit de penser l'avenirs'il m'est arriv de faire des projets, c'tait pure conces-sion quelques tres et seul je savais quelles rserves j'yapportais en mon for intrieur. Je suis cependant trsloin de l'insouciance et je n'admets pas qu'on puissetrouver un repos dans le sentiment de la vanit de touteschoses. Absolument incapable de prendre mon parti dusort qui m'est fait, atteint dans ma conscience la plushaute par le dni de justice que n'excuse aucunement, mes yeux, le pch originel, je me garde d'adaptermon existence aux conditions drisoires, ici-bas, de touteexistence. Je me sens par l tout fait en communion

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  • avec des hommes comme Benjamin Constant jusqu'son retour d'Italie, ou comme Tolsto disant Si seule-ment un homme a appris penser, peu importe quoiil pense, il pense toujours au fond sa propre mort.Tous les philosophes ont t ainsi. Et quelle vrit peut-ily avoir, s'il y a la mort?

    Je ne veux rien sacrifier au bonheur le pragmatismen'est pas ma porte. Chercher le rconfort dans unecroyance me semble vulgaire. Il est indigne de supposerun remde la souffrance morale. Se suicider, je ne letrouve lgitime que dans un cas n'ayant au monded'autre dfi jeter que le dsir, ne recevant de plusgrand dfi que la mort, je puis en venir dsirer la mort.Mais il ne saurait tre question de m'abtir, ce seraitme vouer aux remords. Je m'y suis prt une fois oudeux cela ne me russit pas.

    Le dsir. certes il.ne s'est pas tromp, celui qui adit Breton sr de ne jamais en finir avec ce cur,le bouton de sa porte. On me fait grief de mon enthou-siasme et il est vrai que je passe avec facilit du plusvif intrt l'indiffrence, ce qui, dans mon entourage,est diversement apprci. En littrature, je me suis suc-cessivement pris de Rimbaud, de Jarry, d'Apollinaire,de Nouveau, de Lautramont, mais c'est JacquesVach que je dois le plus. Le temps que j'ai pass aveclui Nantes en 1916 m'apparat presque enchant. Jene le perdrai jamais de vue, et quoique je sois encoreappel me lier au fur et mesure des rencontres, jesais que je n'appartiendrai personne avec cet abandon.Sans lui j'aurais peut-tre t un pote; il a djou enmoi ce complot de forces obscures qui mne se croirequelque chose d'aussi absurde qu'une vocation. Je me

  • flicite, mon tour, de ne pas tre tranger au fait qu'au-jourd'hui plusieurs jeunes crivains ne se connaissentpas la moindre ambition littraire. On publie pour cher-cher des hommes, et rien de plus. Des hommes, je suisde jour en jour plus curieux d'en dcouvrir.

    Ma curiosit, qui s'exerce passionnment sur les tres,est par ailleurs assez difficile exciter. Je n'ai pas grandeestime pour l'rudition ni mme, quelque raillerie quecet aveu m'expose, pour la culture. J'ai reu une instruc-tion moyenne, et cela presque inutilement. J'en garde,au plus, un sens assez sr de certaines choses (on a tjusqu' prtendre que j'avais celui de la langue franaiseavant tout autre sentiment, ce qui n'a pas laiss de m'ir-riter). Bref, j'en sais bien assez pour mon besoin spcialde connaissance humaine.

    Je ne suis pas loin de penser, avec Barres, que lagrande affaire, pour les gnrations prcdentes, fut lepassage de l'absolu au relatif et qu' il s'agit aujour-d'hui de passer du doute la ngation sans y perdretoute valeur morale . La question morale me proccupe.L'esprit naturellement frondeur que j'apporte au restem'inclinerait la faire dpendre du rsultat psycholo-gique si, par intervalles, je ne la jugeais suprieure audbat. Elle a pour moi ce prestige qu'elle tient la raisonen chec. Elle permet, en outre, les plus grands cartsde pense. Les moralistes, je les aime tous, particulire-ment Vauvenargues et Sade. La morale est la grandeconciliatrice. L'attaquer, c'est encore lui rendre hom-mage. C'est en elle que j'ai toujours trouv mes princi-paux sujets d'exaltation.

    Par contre, je n'aperois, dans ce qu'on nomme

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  • logique, que le trs coupable exercice d'une faiblesse.Sans aucune affectation, je puis dire que le moindre demes soucis est de me trouver consquent avec moi-mme. Un vnement ne peut tre la cause d'un autreque si on peut les raliser tous deux au mme point del'espace , nous apprend Einstein. C'est ce que j'ai tou-jours grossirement pens. Je nie tant que je toucheterre, j'aime une certaine altitude, plus haut queferai-je? Encore dans l'un quelconque de ces tats nerepassai-je jamais par le mme point et disant je toucheterre, une certaine altitude, plus haut, ne suis-je pasdupe de mes images.

    Je ne fais point pour cela profession d'intelligence.C'est en quelque sorte instinctivement que je me dbats l'intrieur de tel ou tel raisonnement, ou de tout autrecercle vicieux. (Pierre n'est pas ncessairement mortel.Sous l'apparente dduction qui permet d'tablir lecontraire se trahit une trs mdiocre supercherie. Ilest bien vident que la premire proposition Tousles hommes sont mortels, appartient l'ordre dessophismes). Mais rien ne m'est plus tranger que le soinpris par certains hommes de sauver ce qui peut tresauv. La jeunesse est cet gard un merveilleux talis-man. Je me permets de renvoyer mes contradicteurs,s'il s'en trouve, l'avertissement lugubre des premirespages d'Adolphe Je trouvais qu'aucun but ne valaitla peine d'aucun effort. Il est assez singulier que cetteimpression se soit affaiblie prcisment mesure queles annes se sont accumules sur moi. Serait-ce pasqu'il y a dans l'esprance quelque chose de douteuxet que lorsqu'elle se retire de la carrire de l'homme,

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  • celle-ci prend un caractre plus svre, plus positif ? Toujours est-il que je me suis jur de ne rien laisser

    s'amortir en moi, autant que j'y puis quelque chose.Je n'en observe pas moins avec quelle habilet la

    nature cherche obtenir de moi toutes sortes de dsiste-ments. Sous le masque de l'ennui, du doute, de lancessit, elle tente de m'arracher un acte de renoncia-tion en change duquel il n'est point de faveur qu'ellene m'offre. Autrefois, je ne sortais de chez moi qu'aprsavoir dit un adieu dfinitif tout ce qui s'y taitaccumul de souvenirs enlaants, tout ce que je sentaisprt s'y perptuer de moi-mme. La rue, que je croyaiscapable de livrer ma vie ses surprenants dtours, larue avec ses inquitudes et ses regards, tait mon vri-table lment j'y prenais comme nulle part ailleurs levent de l'ventuel.

    Chaque nuit, je laissais grand ouverte la porte dela chambre que j'occupais l'htel dans l'espoir dem'veiller enfin du ct d'une compagne que je n'eussepas choisie. Plus tard seulement, j'ai craint qu' leurtour la rue et cette inconnue me fixassent. Mais ceciest une autre affaire. A vrai dire, dans cette lutte detous les instants dont le rsultat le plus habituel est defiger ce qu'il y a de plus spontan et de plus prcieuxau monde, je ne suis pas sr qu'on puisse l'emporterApollinaire, en mainte occasion trs perspicace, taitprt tous les sacrifices quelques mois avant de mourir;Valry, qui avait signifi noblement sa volont de silence,se laisse aujourd'hui aller, autorisant la pire tricheriesur sa pense et sur son uvre. Il n'est pas de semaineo l'on n'apprenne qu'un esprit estimable vient de seranger . Il y a moyen, parat-il, de se comporter avec

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  • plus ou moins d'honneur et c'est tout. Je ne m'inquitepas encore de savoir pour quelle charrette je suis, jus-qu'o je tiendrai. Jusqu' nouvel ordre tout ce qui peutretarder le classement des tres, des ides, en un motentretenir l'quivoque, a mon approbation. Mon plusgrand dsir est de pouvoir longtemps prendre moncompte l'admirable phrase de Lautramont Depuisl'imprononable jour de ma naissance, j'ai vou auxplanches somnifres une haine irrconciliable.

    Pourquoi crivez-vous? s'est un jour avise de deman-der Littrature quelques-unes des prtendues notabi-lits du monde littraire. Et la rponse la plus satisfai-sante, Littrature l'extrayait quelque temps de l ducarnet du lieutenant Glahn, dans Pan J'cris, disaitGlahn, pour abrger le temps. C'est la seule laquelleje puisse encore souscrire, avec cette rserve que je croisaussi crire pour allonger le temps. En tout cas, je pr-tends agir sur lui etj'en atteste la rplique que je donnaisun jour au dveloppement de la pense de Pascal Ceuxqui jugent d'un ouvrage par rgle sont, l'gard desautres, comme ceux qui ont une montre l'gard deceux qui n'en ont pas. Je continuais L'un dit, consul-tant sa montre il y a deux heures que nous sommes ici.L'autre dit, consultant sa montre il n'y a que troisquarts d'heure. Je n'ai pas de montre; je dis l'un vousvous ennuyez; et l'autre le temps ne vous dure gure;car il y a pour moi une heure et demie; et je me moquede ceux qui disent que le temps me dure moi et que j'enjuge par ma montre ils ne savent pas que j'en jugepar fantaisie.

    Moi qui ne laisse passer sous ma plume aucune ligne laquelle je ne voie prendre un sens lointain, je tiens

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  • pour rien la postrit. Sans doute une dsaffection crois-sante menace-t-elle, d'ailleurs, les hommes aprs leurmort. De nos jours, il est dj quelques esprits qui nesavent de qui tenir. On ne soigne plus sa lgende. Ungrand nombre de vies s'abstiennent de conclusion morale.Quand on aura fini de donner la pense de Rimbaudou de Ducasse en problme ( je ne sais quelles finspuriles), quand on pensera avoir recueilli les enseigne-ments de la guerre de 1914, il est permis de supposerqu'on conviendra tout de mme de l'inutilit d'crirel'histoire. On s'aperoit de plus en plus que toute recons-titution est impossible. D'autre part, il est bien entenduqu'aucune vrit ne mrite de demeurer exemplaire.Je ne suis pas de ceux qui disent De mon temps ,mais j'affirme simplement qu'un esprit, quel qu'il soit,ne peut qu'garer ses voisins. Et je ne demande pas pourle mien un meilleur sort que celui que j'assigne toutautre.

    C'est de cette manire qu'il faut entendre la dictaturede l'esprit, qui fut un des mots d'ordre de Dada. Onconoit, d'aprs cela, que l'art m'intresse trs relative-ment. Mais un prjug s'accrdite aujourd'hui, qui tend accorder au critrium humain ce qu'on refuse deplus en plus au critrium beau . Cependant, il n'y apas de degrs d'humanits ou bien l'uvre de GermainNouveau serait infrieure celle d'un chanteur mont-

    martrois, et naturellement A bas le mlodrame oMargot. chapper, dans la mesure du possible, cetype humain dont nous relevons tous, voil tout ce quime semble mriter quelque peine. Pour moi se drober,si peu que ce soit, la rgle psychologique quivaut inventer de nouvelles faons de sentir. Aprs toutes les

  • dceptions qu'elle m'a dj infliges, je tiens encore laposie pour le terrain o ont le plus de chances de sersoudre les terribles difficults de la conscience avec laconfiance, chez un mme individu. C'est pourquoi je memontre, l'occasion, si svre pour elle, pourquoi je nelui passe aucune abdication. Elle n'a de rle jouerqu'au-del de la philosophie et par suite elle manque sa mission chaque fois qu'elle tombe sous le coup d'unarrt quelconque de cette dernire. On croit commun-ment que le sens de ce que nous crivons, mes amis etmoi, a cess de nous proccuper, alors qu'au contrairenous estimons que les dissertations morales d'un Racinesont absolument indignes de l'expression admirablequ'elles empruntent. Nous tentons peut-tre de restituerle fond la forme et pour cela il est naturel que nousnous efforcions d'abord de dpasser l'utilit pratique.En posie, nous n'avons gure derrire nous que despices de circonstance. Et d'ailleurs la significationpropre d'une uvre n'est-elle pas, non celle qu'on croitlui donner, mais celle qu'elle est susceptible de prendrepar rapport ce qui l'entoure?

    A ceux qui, sur la foi de thories en vogue, seraientsoucieux de dterminer la suite de quel trauma affectifje suis devenu celui qui leur tient ce langage, je ne puismoins faire, avant de conclure, que ddier le portraitsuivant, qu'il leur sera loisible d'intercaler dans le petitvolume des Lellres de guerre de Jacques Vach, paruen 1918, au Sans-Pareil. Quelques faits, que cela aidera reconstituer, illustreront, j'en suis sr, de faon impres-sionnante, le peu que j'ai dit. Il est encore trs difficilede dfinir ce que Jacques Vach entendait par umour (sans h) et de faire savoir au juste o nous en sommes

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  • dans cette lutte engage par lui entre la facult de s'mou-voir et certains lments hautains. Il sera temps, plustard, de confronter l'umour avec cette posie, au besoinsans pomes la posie telle que nous l'entendons. Je mebornerai, cette fois, dvider quelques souvenirs clairs.

    C'est Nantes o, au dbut de 1916, j'tais mobiliscomme interne provisoire au centre de neurologie, queje fis la connaissance de Jacques Vach. Il se trouvaitalors en traitement l'hpital de la rue du Boccage pourune blessure au mollet. D'un an plus g que moi, c'taitun jeune homme aux cheveux roux, trs lgant, quiavait suivi les cours de M. Luc-Olivier Merson l'coledes Beaux-Arts. Oblig de garder le lit, il s'occupait dessiner et peindre des sries de cartes postales pourlesquelles il inventait des lgendes singulires. La modemasculine faisait presque tous les frais de son imagina-tion. Il aimait ces figures glabres, ces attitudes hira-tiques qu'on observe dans les bars. Chaque matin ilpassait bien une heure disposer une ou deux photo-graphies, des godets, quelques violettes sur une petitetable dessus de dentelle, porte de sa main. A cettepoque, je composais des pomes mallarmens. Je tra-versais un des moments les plus difficiles de ma vie,je commenais voir que je ne ferais pas ce que jevoulais. La guerre durait. L'hpital auxiliaire 103 bisretentissait des cris du mdecin traitant, charmanthomme par ailleurs Dyspepsie, connais pas. Il y adeux maladies d'estomac l'une, certaine, le cancer;l'autre, douteuse, l'ulcre. Foutez-lui deux portions deviande et de la salade. a passera. Mon vieux, je vousferai crever, etc. . Jacques Vach souriait. Nous nousentretenions de Rimbaud (qu'il dtesta toujours), d'Apol-

  • linaire (qu'il connaissait peine), de Jarry (qu'il admi-rait), du cubisme (dont il se mfiait). Il tait avare deconfidences sur sa vie passe. Il me reprochait, je crois,cette volont d'art et de modernisme qui depuis. Maisn'anticipons pas. Cela allait chez lui sans snobisme. Dada n'existait pas encore, et Jacques Vach l'ignoratoute sa vie. Le premier, par consquent, il insista surl'importance des gestes, chre M. Andr Gide. Cettecondition de soldat dispose particulirement bien l'gard de l'expansion individuelle. Ceux qui n'ont past mis au garde--vous ne savent pas ce qu'est, cer-tains moments, l'envie de bouger les talons. JacquesVach tait pass matre dans l'art d' attacher trspeu d'importance toutes choses . Il comprenait quela sentimentalit n'tait plus de mise et que le soucimme de sa dignit, dont Charlie Chaplin n'avait pasencore soulign l'importance primordiale, commandaitde ne pas s'attendrir. Il fallait notre air sec un peu ,crit-il dans ses lettres. En 1916, c'est peine si l'onavait le temps de reconnatre un ami. L'arrire mmene signifiait rien. Le tout tait de vivre encore et le seulfait de polir des bagues dans la tranche ou de tournerla tte, passait nos yeux pour une corruption. crire,penser, ne suffisait plus il fallait tout prix se donnerl'illusion du mouvement, du bruit Jacques Vach, peine sorti de l'hpital, s'tait fait embaucher commedbardeur et dchargeait le charbon de la Loire. Il passaitl'aprs-midi dans les bouges du port. Le soir, de cafen caf, de cinma en cinma, il dpensait beaucoupplus que de raison, se crant une atmosphre la foisdramatique et pleine d'entrain, coups de mensongesqui ne le gnaient gure (il me prsentait tous sous le

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