Briant 2002-2003 Alexandre 1

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    Histoire et civilisation du monde achmnide

    et de lempire dAlexandre

    M. Pierre BRIANT, professeur

    Alexandre le Grand aujourdhui (i)

    Le cours ouvert cette anne sinsre dans la continuit de celui de lan dernieret de ceux qui ont prcd depuis le printemps 2000. Il avait en effet t annoncau dbut du cours de lan dernier consacr la mmoire des temps achmnidesau cours de lpoque hellnistique (Annuaire 2001-2002, pp. 763). Ce cours lui-

    mme venait aprs une srie de deux cycles successifs consacrs la vision deDarius III et de son empire par les sources grco-romaines et par les sourcespersanes et arabo-persanes 1. Lon a donc dj trs frquemment voquAlexandre, mais lon na pas, jusquici, abord de front les problmes historiqueset historiographiques que soulve aujourdhui une telle enqute.

    Au demeurant, il est possible que le choix du sujet de cette anne soulveplus dinterrogations, voire de remarques sceptiques. Est-il encore bien nces-saire, utile et profitable dintroduire un sujet qui a t ouvert depuis si longtemps,et qui a donn lieu des flots darticles et de livres en toutes langues, voire de

    films et de documentaires

    2

    ? Une telle relecture est-elle justifie par un accroisse-ment et/ou une modification sensible du corpus documentaire, ou/et par un boule-versement significatif des grandes tendances historiographiques ? Ce sont cesquestions que lon voudrait introduire, en offrant une rponse trs prliminaireet trs ouverte : oui, les corpus documentaires se sont toffs et modifis, maisles rsultats de leur publication sont moins spectaculaires que ce que lon pourraitpenser ; et, sur le plan global, lhistoriographie la plus rcente na pas apport devision vraiment nouvelle 3. Apporter du neuf sur lhistoire dAlexandre suppose la fois de lier plus intimement Alexandre et histoire achmnide, et de tenter de

    1. Voir dsormais Darius dans lombre dAlexandre , Paris, Fayard 2003.2. La consultation de lentre Alexandre le Grand sur Internet est cet gard tout fait clairante.3. Sur ces deux points, voir (du point de vue de lhistoire de Darius) Darius dans lombre

    dAlexandre , chapitres 1 et 2 et notes complmentaires correspondantes.

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    comprendre, par lhistoriographie, comment les interprtations sur Alexandre sesont succdes les unes aux autres, et quand, comment et pourquoi elles ont pristour tour la prminence sur dautres. Programme trs vaste, voire sans fin,tant la production a t abondante depuis lAntiquit jusqu nos jours, et tantelle reste abondante, jour aprs jour. Personne ne peut prtendre avoir tout lu,et, au demeurant, on peut douter que lexhaustivit en la matire soit absolumentindispensable, car, si la production est abondante, elle est galement abondam-ment rptitive 4.

    Il nest pas question, de toute faon, de suivre pas pas la construction desimages dAlexandre, il nest surtout pas question danalyser un un des dizaineset des dizaines de titres, souvent peu novateurs. Il sagit plutt de dgager les

    grandes tendances de la recherche et de la production, y compris les publicationsdestines au grand public 5.

    - 1 -

    Lune des caractristiques les plus durables de lhistoriographie est la discus-sion polmique qui sest depuis toujours dveloppe autour des mrites et bien-faits de la conqute. Alexandre mrite-t-il dtre salu comme un civilisateur oucomme un destructeur ? Par exemple, en 1974, Eugen Borza ditait un livreintitul Limpact dAlexandre le Grand, ainsi sous-titr : Civilisateur ou destruc-teur? Le titre tait dailleurs quelque peu trompeur, car il sagissait dun recueildarticles (dats entre 1897 et les annes 60 du XXe sicle) qui nabordaientpas ncessairement de front cette interrogation : nanmoins, laccent tait missur la manire dont une quinzaine dhistoriens, majoritairement amricains (ga-lement deux auteurs de langue allemande), staient reprsent globalement lesconsquences des conqutes : alors que tous ou presque en font un gnie militaire,les uns exaltent sa vision humaniste et civilisatrice, dautres au contraire ne sontpas particulirement impressionns par la trace laisse par le Macdonien danslhistoire. Bien entendu, la question est de savoir sur quelle documentation et

    sur quelles argumentations les diffrentes interprtations ont t soutenues, et lesont encore.

    Lon citera simplement, titre dexemple particulirement significatif, unepolmique rcemment change entre deux auteurs, Ian Worthington et FrankHolt 6. Le premier auteur admet au dpart que son tude est impressionniste ,car il touche de nombreux problmes, quil ne discute que brivement (p. 40).

    4. Il est vrai aussi que la rptitivit elle-mme constitue un marqueur historiographique que lonaurait tort de ngliger.

    5. Voir analyse prliminaire dans Imprialismes antiques et idologie coloniale dans la Francecontemporaine : Alexandre le Grand modle colonial (1979), repris dans Rois, tributs et paysans (Paris,1982), pp. 281-290.

    6. Ancient History Bulletin 13/2-4, 1999, pp. 39-55 ; 111-117 ; 136-140 (voir quelques remarquesdans Darius, pp. 567-568).

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    Nanmoins, ajoute-t-il , il le juge utile car, toujours pour le citer , il y a aujourdhui un gouffre entre lAlexandre mythique, image trs rpanduede nos jours, et lAlexandre historique . Lauteur pose nouveau la questionde savoir pourquoi Alexandre est rgulirement appel Grand . Il sen tonne,et il rejette lpithte (et donc linterprtation sous-jacente), car il estimequAlexandre a failli, en sa triple qualit de roi, de gnral et dhomme dtat,pour les raisons suivantes : Cependant, est-ce que mrite le titre de Grandun homme qui fut responsable de la mort de dizaines de milliers de ses soldatset de linutile (unnecessary) massacre massif de peuples indignes (native) ?Comment dire dun roi quil est grand alors quil prfre mener constammentla guerre plutt que de consolider les territoires conquis et ladministration sur

    le long terme ? Ou encore le roi qui, en raison de sa propre imprudence, mitsouvent en danger sa propre vie et la vie de ses hommes ? Ou le roi dont letemprament violent loccasion le conduisit au meurtre de ses amis, et le roiqui, vers la fin de sa vie, tait alcoolique, paranoaque, mgalomane, et quicroyait en sa propre divinit ?

    Ace point, lauteur rpond une objection quil devine : Ce sont des ques-tions poses en fonction de nos propres normes daujourdhui, videmment, maisnanmoins, elles sont lgitimes, tant donn linfluence quAlexandre a exerce travers lhistoire, une influence qui sans nul doute continue de sexercer .

    Puis viennent les arguments susceptibles de fonder une telle argumentation : (i)ses conqutes allaient contre les intrts de la Macdoine proprement dite ; enraison des pertes considrables, flot constant de recrues envoyes depuis la Mac-doine, qui est ainsi dpeuple, et soumise aux dangers extrieurs ; (ii) les opposi-tions se manifestrent lintrieur de sa propre arme, comme le montrentplusieurs mutineries, en 326 en Inde, en 324 Opis. Lors de la premire, un deses officiers, Koinos, soppose directement lui, en prenant la parole au nomdes soldats. Lauteur suppose que la mort de Koinos, peu aprs, est suspecte,indiquant par l quAlexandre la fait assassiner. Les pertes continuent au retourde lInde, en raison du choix dune route difficile, o les hommes tombent

    comme des mouches ; (iii) dautre part, mme si lauteur souligne lampleur desqualits de chef dAlexandre, il juge galement quil a commis nombre derreursdans ce domaine galement : aprs Issos, il prend la route du sud au lieu depoursuivre Darius, il laisse donc son adversaire le temps de reconstituer unearme ; nombre de siges de villes furent longs, coteux et dintrt douteux : ilest guid uniquement des objectifs personnels (la volont de remporter la victoire,quel quen soit le prix). De plus, nombre de ses victoires sont dues la chance ;par exemple Issos, Darius prit la fuite et, pour parler franchement, il taitun chef mdiocre : la bataille aurait pu se drouler tout autrement si Alexandre

    avait eu face lui un gnral plus comptent, tel Memnon par exemple... Il futchanceux galement la bataille du Granique, car son arme tait plus nombreuseque les contingents perses levs la hte, et le Grand roi ntait pas prsent demanire exhorter et de mener ses troupes en personne... ; (iv) Il commit

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    galement nombre derreurs en tant que roi et homme dtat : lemprunt de rglesde la cour achmnide, telle la proskynse, tait pure stupidit de sa part, silavait pens que de telles rgles seraient acceptes aisment par ses soldats ;(v) il se conduit en mgalomane (sa volont de se considrer comme un dieu),et naccepte aucune contradiction : il tue ceux qui sopposent lui (Philotas etParmnion, Kleitos, Callisthne) ; (vi) finalement, juge lauteur, Alexandre semontra incapable de mener une vraie stratgie de conqute : il nobit qu sespulsions, prenant des risques inconsidrs, la guerre comme la chasse ; (vi)en conclusion : Il est donc ais de voir, dun ct, pourquoi Alexandre a tconsidr comme grand, mais aussi, dun autre ct, pourquoi sa grandeur, etdonc lpithte, doit tre soumise dbat dans lintrt de lexactitude historique

    (in the interests of historical accuracy) (p. 56).La vision dveloppe par Worthington fut vivement conteste par Frank Holt

    dans la mme revue. Il rappelle quune telle vision se situe dans le droit fil delcole habituellement dnomme cole rvisionniste (Badian, Bosworth), ence quelle a voulu ragir contre une vision idaliste dAlexandre et des conqutes(dveloppe en particulier par Tarn). Holt ragit contre ce quil appelle lanouvelle orthodoxie (p. 112), ou le nouveau consensus (p. 115). En repre-nant plusieurs exemples utiliss par Worthington, il tente de montrer que lauteursest laiss conduire par une vision pr-tablie, au risque de faire des contre-sens sur tel ou tel texte, voire des erreurs grossires dinterprtation des textesanciens ; dans ces conditions, nombre de conclusions doivent tre prises avecrecul, celle en particulier qui tente de prsenter Alexandre comme pratiquantsystmatiquement la terreur. En conclusion (p. 127) : La forte inclinationactuelle deshroser Alexandre a contribu crer un nouveau consensus propos du roi, qui prsente le risque de rendre les historiens insuffisammentprudents. Dans la mesure o elles sont la consquence dune lecture a prioridessources, les ides de Tarn ont t justement contestes ; mais la raction correc-trice si heureusement ouverte par Badian nous a peut-tre conduits une nouvelleorthodoxie extrme qui soppose tout autant aux intrts de lexactitude histo-

    rique (p. 117).Lon na certainement pas lintention de rpondre la question de savoir si

    Alexandre doit tre ou non qualifi de Grand ; sous cette forme, la discussionpolmique ne prsente aucune pertinence. Notons simplement au passage quellea t ouverte ds les dbuts de lhistoriographie moderne. Apreuve la rflexionde Rollin, tirant ainsi la morale dune belle action dAlexandre : De tels senti-ments dune bont gnreuse et compatissante font bien plus dhonneur unprince que toutes les victoires et que toutes les conqutes. Si Alexandre les avaittoujours conservs, il aurait vritablement mrit le titre et le surnom de

    grand... . Cette approche se situe elle-mme dans la droite ligne dune discussionqui a commenc dtre formule ds lAntiquit, tout particulirement par Orosequi, sur la demande dAugustin dHippone, voulut dmontrer que les malheursdu monde (paen) avaient t apports par des conqurants ignorants de Dieu,

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    ivres de leur pouvoir et mprisant ce que lon nommerait aujourdhui le droitdes peuples . Louvrage dOrose (Histoire/Contre les paens) 7 est intressantnon seulement en lui-mme, mais par les rapports trs clairement exprims quisont tablis par lui entre le jugement sur Alexandre et la vision globale quilconoit et dveloppe sur le rle de Dieu dans lhistoire des hommes. Au seinmme de lHistoire dOrose, Alexandre ne reprsente quun chapitre, mais unchapitre particulirement intressant pour nous. Le dveloppement sinsre troi-tement dans la logique de lauteur : Ces jours-l, galement, naquit Alexandrele Grand, qui fut un gouffre de malheurs, et le plus atroce des cyclones pourtout lOrient (III.7.5). Avant de dtailler les turpitudes dAlexandre, Orose nestpas tendre non plus avec son pre Philippe, dont il dtaille conqutes, dvasta-

    tions et massacres : Il dtint le pouvoir pendant vint cinq ans pendant lesquelsil accumula toutes les violences et fit peser lintgralit des maux (III.12.1) ;il soumet la Grce par la violence et la ruse conjugues : Pendant que Philippeobservait, comme depuis un poste de guet, leurs conduites insenses et que, enfournissant une aide au plus faible, en artiste qui sy connat en ruse, il entretenaitles tensions, aliments des guerres, il se soumit pareillement vaincus et vain-queurs (III.12.11) ; il commet de multiples massacres et sacrilges : QuandPhilippe se voit empch dentrer en Grce par les fortifications devant lui desThermopyles, il tourne contre ses allis la guerre prpare contre ses ennemis :il envahit en effet en ennemi les cits dont il avait t le chef peu auparavant,

    et qui souvraient pour le fliciter et laccueillir, il les met cruellement sac, et,tout sentiment dalliance compltement aboli, il vendit comme prisonniers deguerre les femmes et les enfants de toutes, il dtruisit galement leurs templeset les pilla et, cependant, jamais tout au long de vingt cinq annes, il ne futvaincu comme si les dieux taient irrits. Aprs cela, il passa en Cappadoce[Thrace], il tua les rois voisins dont il stait empar par ruse (III.12.16-18) ;ses violences sexercent galement lintrieur de son royaume et de sa proprefamille : Aprs les massacres, les incendies, les pillages accomplis dans lesvilles allies, il sengagea dans des fratricides : tant donn quil craignait lescohritiers du royaume, engendrs par son pre avec sa belle-mre, il entrepritde les assassiner. Mais, comme il avait tu lun de ses frres, deux de ceux-cise rfugirent Olynthe : peu aprs, Philippe, marchant en ennemi contre cetteville, trs ancienne et trs prospre, la vida de ses richesses et de ses hommesaprs lavoir emplie de carnages et de sang et il en arracha ses frres quil fitsupplicier mort. A partir de l, alors que, transport par la destruction de sesallis et ses fratricides, il pensait que tout ce quil avait projet lui tait permis...Pour ne pas laisser inviole quelque loi humaine ou divine, il dcida de se livrergalement la piraterie (III.12.19-20) ; il sen prend ses propres sujets : Ildplace selon son bon plaisir les populations et les villes selon que des sites lui

    paraissaient devoir tre occups ou abandonns. On observait partout un spectacle

    7. Cit daprs la traduction de M.-P. Arnaud-Lindet, Collection des Universits de France, LesBelles Lettres, Paris, 1990 (Livres I-III).

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    faire piti et la plus abominable espce de malheur : endurer la destructionsans invasion, la captivit sans guerre, lexil sans chef daccusation, la dominationsans vainqueur. Au milieu du tourment des injustices une chape dpouvanteoppresse les malheureux et la douleur saccrot par sa dissimulation mme, unedouleur dautant plus profondment enfouie quil convient moins ceux quicraignent de lavouer... (III.12.29-31). En dfinitive, le rgne de Philippe futun dsastre pour la Grce : Ainsi la libert ayant dabord t touffe, il mutilece corps si plein de gloire de la Grce, jadis florissante, en moignons nombreuxet dchiquets (III.12.33). Lauteur semporte contre ceux qui voudraient, avecle recul de lhistoire, faire de Philippe un hros : Au long de vingt cinq annes,la perfidie, la sauvagerie et limprialisme dun seul roi dchanrent les incendies

    des cits, les ravages des guerres, les asservissements des provinces, les mas-sacres des hommes, les pillages des richesses, les vols de troupeaux, la ventedes biens des morts et la servitude des vivants (III.14.10).

    Orose, ce point, revient Alexandre, quil avait ainsi introduit plus haut : Ces jours-l, galement, naquit Alexandre le Grand, qui fut un gouffre demalheurs, et le plus atroce des cyclones pour tout lOrient (III.7.5). Effective-ment Alexandre ne cda en rien son pre, bien au contraire : Ils suffiraientbien pour tmoigner des malheurs, ces hauts-faits de Philippe, gravs dans notremmoire, mme si Alexandre ne lui avait pas succd au pouvoir ! Je laisse ensuspens un petit instant les guerres de ce dernier, mieux vaudrait dire lesmalheurs du monde lpoque de ses guerres ! qui viennent aprs, afin deprsenter ici les guerres romaines selon lordre chronologique (II.15.1).

    Et peu aprs, il y revient aux chapitres 16-20 du Livre III. Il considre queles victoires remportes sur Darius nont men qu une srie de malheurs :des milliers dhommes ont t massacrs au cours des batailles et des siges,des contres entires ont t ravages, et un grand nombre de peuples ont d sersoudre une sujtion quils repoussaient au fond deux-mmes ; Alexandresest montr rus et calculateur : par exemple lors de sa consultation de loracledAmon, simplement pour abolir, grce un mensonge bti pour la circons-tance, la honte dune filiation paternelle douteuse et linfamie de ladultre pater-nel . Il ne fit montre daucune piti vis--vis de ses ennemis, mais fut galementcruel vis--vis des siens : Il tait insatiable de sang humain, que ce ft celuide ses ennemis ou mme celui de ses allis (18.10). Dj, lauteur avait soulignquavant de partir en guerre, il fit tuer tous ses parents et ses proches (III.16.3). En effet, sa cruaut envers les siens ne fut pas infrieure sa fureurcontre lennemi ; en tmoignent non seulement son cousin Amyntas assassin,sa belle-mre et les frres de celui-ci mis mort, Parmnion et Philotas mas-sacrs, Attale, Euryloque, Pausanias et beaucoup de princes macdoniens li-

    mins, ainsi que Cleitos, charg dans, un ami de longue date, tu de faonsacrilge (III.18.8). Ce fut bientt le tour de Callisthne, neveu dAristote, quil tua, avec plusieurs autres nobles, parce quil navait pas voulu ladorercomme un dieu, aprs labandon du salut habituel (III.18.11).

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    En mme temps que la brutalit et la violence de la conqute, cest la conquteelle-mme quOrose reproche Alexandre : il est non seulement insatiable desang humain , il a toujours soif dun nouveau carnage : raison pour laquellela mort de Darius ne signifie pas la fin de lexpdition : Aprs cela, il sedirigea vers lInde afin de donner lOcan et lExtrme-Orient comme limites son empire (19.1). Leffroi saisit le monde entier, comme le montrent lesambassadeurs qui lattendent Babylone : ils venaient des provinces pouvan-tes du monde entier... Si grande tait la crainte, inspire par le chef au plusprofond de lOrient, qui avait envahi les peuples de lExtrme-Occident, quelon pouvait voir, voyageant travers le monde entier, une ambassade venant dergions o lon pouvait peine croire qutait parvenue la nouvelle (20.1 ; 3).

    Sa mort elle-mme est prsente de manire symbolique de son avidit condam-nable : Cependant il mourut Babylone alors que, encore assoiff de sang, ilavait, avec une avidit mal tempre, bu du poison par la tratrise dun servi-teur (20.4).

    Pour que les choses soient tout fait claires, Orose replace Alexandre dansson propos qui, rappelle-t-il alors, est de dmontrer lalternance cyclique descalamits (20.5). Dans cet ensemble, Alexandre ntait rien dautre qu unmatre sanguinaire , il ne faut jamais loublier, insiste-t-il : Nous pensons querestera attache un souvenir perptuel la violence quun brigand de passage

    (fugax latro) a faite un secteur du monde (20.9). Comme il lavait fait lissue de son dveloppement sur Philippe, il refuse dexalter les exploits de laconqute, ou de rduire lexpdition dAlexandre un suite de victoires : Envrit, si lon estime que cette poque dAlexandre doit tre glorifie cause dela valeur militaire (virtus) par laquelle la totalit du monde fut possde, pluttque maudite cause du dsastre par lequel la totalit du monde fut bouleverse,il se trouvera, et tout de suite, des gens en trs grand nombre pour, dune part,penser que notre poque doit tre glorifie parce quon y remporta de nombreusesvictoires et, dautre part, compter les malheurs des autres comme leur propreprosprit (20.10). Dans la suite, Orose, de plus, va montrer combien lesconqutes dAlexandre ont apport une ruine durable, car sa mort fut suivie dedsastres plus grands encore, du fait des rivalits entre ses successeurs (23.1-6).

    Au total : Orose a donc dvelopp une vision dAlexandre compltement diff-rente de la vision hroque complaisamment dveloppe par un courant dominantde lhistoriographie antique : Orose ne nie pas lvidence, cest--dire la succes-sion de victoires et de conqutes, mais il en conteste les modalits et les cons-quences ; fondes sur larbitraire, la violence et la ruse, les conqutes nont menqu des ruines, des massacres et des sujtions. Cest une mise en cause du

    processus lui-mme de conqutes armes, au nom de valeurs qui nient la primautde lart/virtus(les qualits du soldat et du commandant en chef). Partant dunevision eschatologique de lhistoire, Orose la nourrie dexemples pris dans desauteurs quil a lus et copis (principalement lHistoire universelle de Trogue-

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    Pompe, aujourdhui perdue sauf sous la forme dune table des chapitres, et sousla forme dun rsum fait par Justin).

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    Venons-en maintenant une la phase particulirement riche des discussions etdes recherches sur Alexandre, qui sest ouverte avec Droysen. On tudiera encontre-point lhistorien britannique Grote, qui a pris position trs vite et trsfermement contre la reprsentation que Droysen avait donne dAlexandre et desconsquences voulues ou non de ses conqutes 8. Le dbat fut vif : en effet, cesont nouveau deux images antithtiques qui se dgagent, deux portraits, lun

    trs positif (Droysen), lautre trs critique (Grote). Nombreux furent les historiensqui, tout au long du XIXe et encore du XXe ont pris part et ont pris parti :aujourdhui encore, nombreux sont les auteurs qui continuent de poser leurs piedsdans les empreintes de Droysen ; loppos, dans un volume rcent (Alexanderand the East, Oxford, 1996, p. V), A.B. Bosworth juge quil appartient ladescendance intellectuelle de Grote et de B.G. Niebuhr.

    La premire phrase du livre de Droysen donne le ton : Le nom dAlexandremarque dans lhistoire du monde la fin dune priode et le dbut dune renouvelle . Suit lobservation : Lhistoire ne connat aucun autre vnementdune nature aussi surprenante. Jamais, ni avant ni depuis, un aussi petit peuplentait arriv renverser si rapidement, si compltement la puissance dunroyaume aussi gigantesque, et fonder sur ses ruines de nouvelles formes degouvernement et de nationalits nouvelles . Do les questions auxquelles lelivre est cens rpondre : O donc le petit monde grec a-t-il puis laudacencessaire une telle entreprise, la force pour de telles victoires, les moyens deproduire de tels rsultats ? Comment se fait-il que lempire des Perses, lui quiavait conquis tant de royaumes, tant de pays, et avait su les matriser pendantdeux sicles, lui qui, nagure encore, et depuis deux gnrations, tenait lesHellnes assujettis la puissance asiatique, lui qui avait jou le rle darbitre

    suprme, aussi bien sur les les que sur le continent, comment se fait-il quil sesoit croul au premier choc des Macdoniens ?

    Les rponses interviennent rapidement, sous forme dun tat de la situation enGrce et dans lempire perse, lauteur remontant lpoque archaque grecqueet au rgne de Cyrus. Du ct grec, le constat stablit en deux tapes, la situationen Grce dune part (marque par la dissolution interne des cits), et la situationde la Macdoine. Droysen estime que la Guerre du Ploponnse a marqu untournant dcisif dans lquilibre interne des cits : Non seulement les antiquesliens des croyances religieuses, des murs, de la vie de famille, ainsi que lordre

    8. La bibliographie rcente et moins rcente sur Droysen et sur Grote a t analyse en dtail aucours des confrences. Rappelons simplement que la premire dition de l Alexandre de Droysendate de 1833.

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    politique et social, taient briss ou relchs par un civilisation dissolvante ; nonseulement le sentiment qui attache lhomme au sol avait pri dans les vicissitudespolitiques, mais encore le danger de nouvelles et plus terribles explosions sac-croissait toujours davantage avec la masse flottante des bannis politiques...Chaque jour dmontrait avec plus dvidence et de clart que le temps desautonomies minuscules, des ligues partielles avec ou sans hgmonie tait pass,quon avait besoin dune organisation nouvelle, panhellnique, et constitu detelle sorte que les notions jusqualors confondues dtats et villes y fussentspares et que la cit y trouvt sa place titre de commune au sein de ltat(pp. 29, 31).

    Cest dans un tel contexte que, selon lauteur, sinsre le projet de guerrecontre la Perse : Lide dune lutte nationale contre la Perse navait jamaiscess de hanter limagination grecque : ctait pour les Hellnes ce que fut, dessicles durant, pour la chrtient occidentale la lutte contre linfidle... Pluslimpuissance et la dsorganisation intrieure de limmense empire oriental deve-nait vidente, plus il semblait devoir tre facile et lucratif de lanantir, et plusaussi lattente, lide que cet vnement devait et pouvait saccomplir tait deve-nue gnrale et assure... Lune et lautre pense soffrait delle-mme : il taittout aussi naturel de considrer ces deux choses, lunification de lHellade et laguerre contre les Perses, comme une mme uvre, et de ne pas attendre pour

    entreprendre lune que lautre ft acheve. Mais comment raliser de telles pen-ses ? (pp. 32-33).

    La question introduit le deuxime terme du constat europen : la Macdoinede Philippe II, dont il admire la Real-Politik : avant tout ses succs sont fondssur lunit, le secret, la promptitude et lesprit de suite qui prsidait ses entre-prises... (p. 33). En face, Dmosthne est certes digne dadmiration en tantquorateur, mais cest beaucoup plus contestable ds lors que lon analyselhomme dtat. Aux yeux de Droysen, il et t catastrophique quAthnes etvaincu la Macdoine : Lerreur de Dmosthne fait honneur peut-tre son

    cur, mais coup sr elle en fait peu son intelligence, car il se trompaitlorsquil croyait quavec cette bourgeoisie dAthnes devenue bavarde, sans gotpour les armes et vulgaire en ses apptits, il aurait pu slever une hautepolitique ou mener bien une guerre longue et difficile (p. 35). La victoire dePhilippe tait pleine desprance pour la Grce elle-mme : La bataille deChrone et de la ligue corinthienne avaient cr sur le sol national des Hellnesune union qui garantissait la paix intrieure et assurait lextrieur une politiquenationale et commune. Ce ntait pas une hgmonie [comme celles dAthnesou de Sparte], ... ctait une constitution fdrale, avec un Conseil et un tribunal

    organis ayant juridiction sur les tats allis, lesquels conservaient leur autono-mie communale, avec une paix durable, la libert du commerce entre eux, lagarantie de tous pour chacun ; constitution rgle de telle faon, en vue de laguerre dcide contre les Perses, que lessentiel de la puissance militaire et de

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    la politique extrieure de chaque tat se trouvait confi, en vertu du sermentfdral, au roi de Macdoine dclar chef de la ligue (pp. 43-46).

    Les circonstances taient dautant plus favorables quen dpit des qualits quelauteur reconnat Darius, lempire perse tait entr depuis longtemps dans uncycle de dcadence acclre : Limmense empire des Perse avait atteint lemoment o il avait puis les lments de puissance qui avaient t la sourcede ses succs ; il ne semblait plus se soutenir que par la force inerte du faitaccompli (p. 48).

    Droysen est conscient du caractre trs succinct du corpus documentaire : Lapauvret des traditions historiques ne nous permet malheureusement pas de pn-trer latelier de cette activit, ni de saisir sur le vif lintense travail intellectuelet moral de cet adolescent qui se proposa des tches surhumaines, et les ralisa.Cest peine si les donnes que nous possdons nous permettent de reconstituerquelques fragments de son uvre. Mais leur ampleur nous laisse entrevoir lapuissance cratrice quil fallait pour les concevoir et les accomplit : elle nousdonne la mesure du gnie dAlexandre . La vision de lauteur nen est pasmoins clairement exprime : Laction tait pour Alexandre ce que la pensetait pour Aristote. Mais si le philosophe, retranch dans un silence propice lamditation, pouvait donner son systme mtaphysique toute la perfection et larigueur qui nappartiennent quaux ides, Alexandre tait contraint dagir au

    milieu dun tourbillon dvnements et de ractions imprvues, qui lobligeaient prendre des dcisions immdiates. Si son uvre gouvernementale nous parat premire vue une simple bauche, contenant encore bien des imperfections, etsi la faon dont elle fut labore semble relever de la passion, du caprice ou duhasard, noublions pas quil dterminait ses actes et poussait crer des condi-tions de vie nouvelles, ctait des penses jaillies, comme des clairs, dun conflitde circonstances gigantesques. Noublions pas non plus que chacune de sespenses fulgurantes ouvrait des horizons toujours plus vastes, suscitait des anta-gonismes toujours plus violents et lui imposait des tches toujours plus ardues .

    Mme si lauteur reconnat le caractre incomplet de luvre dAlexandre,lexpos quil prsente des transformations apportes par Alexandre au vieilempire achmnide, difice branlant, vermoulu et tar , ne laisse aucun doutesur la vision positive qui est la sienne : la conqute a permis non seulementlexpansion de la civilisation hellnique, mais aussi la fusion avec la civilisa-tion asiatique pour donner naissance une nouvelle forme de civilisation : EnfinlHellade sassouvissait la surabondance de lAsie, et lAsie sabreuvait auxdlices du gnie grec. Les peuples se sentaient soudain veills la vie :Alexandre avait achev luvre bauche par Dionysos . Ou encore : Le rvedOlympias stait ralis : la colonne de feu quelle avait vu jaillir de son sein,

    la veille de ses noces, avait embras lunivers, consumant toutes les frontireset ses reflets flottaient encore comme un halo phosphorescent sur les dserts duSeptentrion et dans les forts du Gange ! Par ailleurs et en mme temps, unevie sociale absolument nouvelle sdifia sur la disparition progressive des pr-

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    jugs nationaux et sur la confrontation quotidienne des opinions et des cou-tumes... Lancien empire des Achmnides ntait quun agrgat de peuples, nepossdant en commun que les mmes servitudes ; tandis que lempire hellnique

    jouissait dune unit de culture, de got et de murs, qui survcut son dmem-brement . Troisime point : la conqute macdonienne apporta lAsie uneforme de renaissance conomique .

    Notons que le recours la thse rebattue de la dcadence achmnide neconstitue pas lessentiel de la dmonstration 9 : si Alexandre a gagn, ce nestpas seulement parce que ladversaire ntait pas la hauteur (cf. la peintureplutt aimable de Darius) ; cest quAlexandre tait un gnie exceptionnel, chargpresque ncessairementdaccomplir la tche historique qui lui tait fixe : runir

    lEurope et lAsie, qui se fconderont mutuellement pour donner naissance unmonde nouveau ; celui-ci va donner le coup de grce au paganisme par unmouvement que lauteur appelle lathocrasie, ou fusion des dieux , mouve-ment qui, lui-mme, conduit au christianisme : Il devint ainsi manifeste que letemps des religions nationales, cest--dire des religions paennes, tait pass,que lhumanit qui sunifiait enfin avait besoin dune religion une et universelleet quelle en tait capable ; la thocrasie elle-mme ntait autre chose quunetentative pour produite lunit par la fusion des diffrents systmes religieux.Seulement, lunit ne pouvait jamais seffectuer par cette voie. Ce fut le travaildes sicles hellnistiques que de produire les lments dune unit plus haute etplus relle, de dvelopper le sentiment du fini et de limpuissance, le besoin dela pnitence et de la consolation, lnergie de la plus profonde humilit, la forcequi lve lhomme jusqu la libert en Dieu et la qualit denfant de Dieu.Ce sont l des sicles o le monde et les curs se sentent privs de Dieu,perdus et plongs dans la plus profonde dsesprance, et o se fait entendreavec une force croissante le cri qui appelle le Rdempteur. Lanthropomorphismede la religion hellnique sest parachev dans Alexandre : un homme devenudieu ; lempire de ce monde lui appartient, ce dieu ; en lui lhomme sest lev

    jusqu la plus grande hauteur que le fini puisse atteindre, et par lui lhumanit

    est abaisse jusqu se prosterner devant lun de ceux qui sont ns mortels .

    - 3 -

    Linfluence de Droysen fut norme et durable. On la voit immdiatement luvre en France dans les manuels publis par Victor Duruy (1811-1894), ins-pecteur gnral de lenseignement secondaire, ministre de lInstruction publiquede 1863 1869, lu lAcadmie franaise en 1884 etc. Son Histoire des Grecslui valut en 1889 le prix Reynaud. Voici comment luvre dAlexandre estprsente sous forme compacte dans son Abrg dhistoire grecque, classe de

    9. Thse prsente couramment depuis Bossuet et Rollin (P. B., Darius dans lombre dAlexandre,pp. 116-122).

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    5e, prog. 1857, Paris, 1858 : Les vaincus gagns par les gards du vainqueuret associs ses plans ; le commerce, lien des nations, dvelopp sur uneimmense chelle et voyant devant lui les routes ou nouvelles ou pacifiesquAlexandre lui a ouvertes, les ports, les chantiers, les places de refuge oudtape quil lui a prpars ; lindustrie vivement sollicite part ces immensestrsors autrefois striles, maintenant jets dans la circulation par la main prodiguedu conqurant ; la civilisation grecque porte et enracine sur mille points delempire par tant de colonies, dont une seule, Alexandrie, reut et versa incessam-ment un flot inpuisable de richesses et dides ; Les peuples, les ides, lesreligions, mls, confondus dans une unit grandiose, do une civilisation nou-velle serait sortie. Voil ce quAlexandre avait prpar, et pourquoi depuis deux

    mille ans le monde sarrte et sincline devant le nom de ce jeune victorieux .Les expressions sont reprises presque mot pour mot dans lHistoire de la

    Grce ancienne, II, 1862, 349-350, et dans lHistoire des Grecs, nlle d. III,1889, p. 315, mais avec quelques diffrences notables. Tout dabord, dans lepremier ouvrage, p. 302, n. 1, il cite certaines de ses sources au dbut du chapitreconsacr Alexandre ; il ne manque pas de se rfrer lAlexandrede Droysen,d. de 1833, mais avec deux rserves notables : (a) louvrage de Droysen estcertes trs important, mais il est trop favorable Alexandre ; (b) Duruy dcided aller vite sur cette histoire , car, estime-t-il, ce nest dj plus celle de laGrce . Dautre part, aprs avoir repris la phrase Voil ce quAlexandre avaitprpar, et pourquoi depuis deux mille ans le monde sarrte et sincline devantle nom de ce jeune victorieux , il la complte ainsi : ... en oubliant ce que,trop complaisante pour la jeunesse et le gnie, elle se contente dappeler sesfautes . Et il poursuit en dressant un tableau fort peu favorable du monde aprsAlexandre et de ce quil aurait pu devenir, tableau en quelques scnes, oDuruy exprime une srie de doutes sur les relles aptitudes dAlexandre crerun monde nouveau pacifi. Paralllement, Duruy met des remarques sceptiquessur les consquences pour la Macdoine, dpeuple et affaiblie lextrme, etpour Grce proprement dite, vide de sa substance au bnfice des nouvelles

    cours asiatiques : Tout, jusquaux dieux, dcline. Alexandre, tendant ses droitsde conqurant sur lOlympe, a donn le second rang au temple et au dieudAmmon, aprs Olympie, mais avant Delphes... Les derniers orateurs ont disparuavec la libert athnienne... .

    Donc, la fois, Duruy reprend les articles dj canoniques de luvre positivedAlexandre (en particulier dans le domaine conomique et commercial), maisil inflchit trs clairement son jugement, qui, globalement, devient trs ngatifsur la longue dure. Entre-temps un historien britannique a fait paratre sonouvrage, George Grote, dont linfluence est soulign par Duruy lui-mme. Celui-

    ci raconte quexprime sans ambages dans la premire dition de lHistoire desGrecs (1851), sa prfrence marque pour Athnes par rapport Sparte lavaitfait trs mal considrer par les universitaires ; en revanche, ajoute-t-il, aprs lapublication de louvrage de Grote, ses vues acquirent une respectabilit nouvelle,

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    tant tait grand le prestige de lhistorien anglais. Grote nest pas cit en revanchedans le dveloppement sur Alexandre : mais linfluence a certainement fait sonuvre. Cest bien autour de lide que lon se faisait dAthnes que les historiensvont dvelopper leur vision de ce que fut lhistoire de la Grce aprs Chrone.La vision dAthnes est parallle celle que lon a dAlexandre : une admirationpour le rle historique dAthnes a en effet pour corollaire une apprciationbeaucoup plus mesure sur Alexandre.

    Avant de venir Grote, lon a galement prsent un autre historien de grandrenom, B.-G. Niebuhr (1776-1831), dont luvre vient dmontrer que ladmira-tion manifeste par Droysen pour Alexandre ntait pas partage par tous. N Copenhague, lve prodige ou en tout cas extrmement dou, la rputation

    bien tablie dans le domaine du grec et du latin alors quil avait peine vingtans. Aprs avoir rempli la charge dhistoriographe royal, il fut nomm professeur luniversit de Berlin. Son premier grand ouvrage, Histoire romaine, est publien 1812, et traduit en anglais par un autre historien anglais fameux, dont onreparlera, Connop Thirlwall. Aprs avoir t ambassadeur Rome, il revient Bonn, o il donne des cours sur divers sujets, de lAntiquit la priode contem-poraine. Ses cours des annes 1826 et 1820-30 furent publis ; une traductionanglaise en fut publie en 1852 sous la direction de L. Schmitz. Le premiervolume, en 40 leons, mne le lecteur des Assyriens et des Mdes jusquau milieudu Ve sicle ; le vol. II, en 80 leons, est conduit jusqu la mort dAlexandre ; levol. III va de la succession dAlexandre jusqu la conqute romaine.

    Niebuhr, on le voit, est plus jeune que Droysen : il meurt deux ans avant laparution de lAlexandre le Grandde Droysen, et il donne ses cours Bonn, aumoment o Droysen suit les cours de Hegel Berlin. Ses positions sont biendiffrentes : dfenseur de la libert individuelle et collective, il voue une dtesta-tion au systme bonapartiste, son caractre oppresseur, militariste et imprialiste.En 1805, il traduisit la Premire philippiquede Dmosthne, et il la ddia au TsarAlexandre Ier : tout en prenant ouvertement parti contre lempire napolonien, ilmarque sa position par rapport Philippe II, dont il condamne les mthodes,

    mme sil reconnat aussi ses qualits exceptionnelles ; en face il exalte Dmos-thne, et condamne ses opposants (Eschine, Isocrate).

    La peinture que fait lauteur des deux protagonistes, la Macdoine et la Perse,nest pas particulirement brillante : la Perse est dans un tat de dcompositionmorale et politique acclre (Leon 70) : Pour toutes ces raisons, nous devonsconsidrer la guerre mene par Alexandre sous une lumire bien diffrente dece qui est fait habituellement. Au dbut, nous ne pouvons pas nous situer sescts ; par la suite, quand tout fut dcid, il nest plus possible de sympathiseravec quelque parti que ce soit... Perses et Macdoniens taient galement bons

    et mauvais (p. 381). Le jugement ultrieur sur Alexandre est balanc, la foispositif et ngatif, mme si le ngatif semble lemporter : Trs peu dhommesont acquis une si immense clbrit, en Asie et en Europe, que nen a acquisAlexandre ; lexception de Charlemagne, et, dans une moindre mesure, Constantin,

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    Quant luvre et linfluence dAlexandre, le jugement est globalementngatif. Il condamne lorientalisation : En fait, les Macdoniens... furentforcs dadopter tous les usages mauvais des Orientaux, et bientt dapprendreles aspects les plus condamnables du luxe oriental... Lui-mme adopta la pompela plus condamnable du despotisme oriental... (pp. 462-463). Plus gnralement,lauteur met en doute le caractre bnfique de la conqute. Celle-ci fut dsas-treuse pour la Grce, et les pays orientaux ( lexception de lgypte) nenrecueillirent eux-mmes que peu davantages, tant les colonies neurent souventaucun succs durable . Au demeurant, les contemporains ne se faisaient aucuneillusion : Alexandre mourut dtest en Grce et en Macdoine. Son entrepriseconduisait ncessairement la ruine. Son intention ntait pas dhellniser lAsie,

    mais de transformer la Grce en Perse.On voit ainsi que, presque paralllement Hegel et Droysen, sest exprime

    une vision fort diffrente dAlexandre, de ses conqutes et de ses consquences moyen et long terme. Ladmiration envers lhomme de guerre et son gnieest trs affirme, mais elle est accompagne dun jugement fort svre sur lentre-prise elle-mme et sur ses consquences. Niebuhr exprime dans le mme tempsson hostilit de fond contre les grandes constructions imprialistes, galementun mpris profond pour les Asiatiques .

    - 4 -

    Comme le remarquait Momigliano (qui a consacr Grote sa leon inaugurale University College London), lhistoire de la Grce ancienne fait partie ducombat politique ; le dbat sur le IVe sicle sest engag presque un sicle avantDroysen, ds la premire moiti du XVIIIe sicle en France. Trs tt, en Angle-terre, face ceux qui proposent llection dune chambre des communes ausuffrage universel, ceux que lon va appeler les libraux , parmi lesquels oncompte George Grote, dautres auteurs dhistoire grecque dfendent au contraireun rgime monarchique et oligarchique. Parmi les opposants la dmocratie, oncompte par exemple Edward Wortley Montagu (1713-1776), qui fait paratre en1759 un ouvrage : Reflections on the Rise and fall of the Ancient Republics.

    Adapted to the present state of Great Britain; traduit en franais en 1793 sousle titre : De la naissance et de la chute des anciennes rpubliques. Thse : lepeuple athnien avait trop de pouvoirs, et a conduit une politique extrieuredsastreuse. Lauteur juge donc que lhistoire athnienne offre nombre densei-gnements pour son temps : Averti par sa destine, nous pouvons apprendre quela mthode la plus efficace que peut adopter un mauvais ministre pour domesti-quer lesprit dun peuple brave et libre et de le transformer en esclavage, est de

    promouvoir le luxe et dencourager et de diffuser un got pour les divertissementspublics (ce quil appelle le mob governementou gouvernement de la popu-lace ). Un autre auteur est Stanyan, fortement influenc par le style moralisateurde Rollin, qui crit une histoire de la Grce jusqu la mort de Philippe de

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    Macdoine (1707, 1731, nlle d. 1771 ; traduit par Diderot en 1743, Histoire deGrce, 3 vol. Paris) : il insiste sur le rle dsastreux des factions internes lacit ; il juge lui aussi que les institutions britanniques sont de loin les meilleures,et pas si loignes de la perfection. Le style en fut repris par deux autreshistoriens du monde grec ancien, William Mitford (1744-1827) et John Gillies(1747-1836), qui produisent les deux premires histoires grecques qui seveulent exhaustives ; lune et lautre incluent lexpdition dAlexandre. Lun etlautre sont trs hostiles la dmocratie athnienne du IVe sicle, et voient dansla rvolution franaise ce qui se peut se faire de pire, quand la populace naplus aucune ducation 10. Lun et lautre font de Philippe un prince clair, telquon le concevait aisment alors. Gillies (qui a voyag plusieurs fois la cour

    de Prusse) a dailleurs publi ds 1789 un mmoire intitul : Vue sur le rgnede Frdric II avec un parallle entre ce prince et Philippe II de Macdoine .

    Parmi les historiens de ce temps qui eurent un grand retentissement, il fautcompter lvque Thirlwall, dont luvre est publie entre 1835 et 1847 11. Ildnonce la vision partiale et partisane que lon a faite de lhistoire grecqueen vue dobjectifs troitement contemporains : certes lauteur dnonce lui aussilvolution de la dmocratie athnienne, mais il lui reconnat bien des mritesgalement. Quant Alexandre, Thirlwall (qui a lu Droysen de manire critique)

    jugeait que son influence sur les vaincus fut globalement favorable 12.

    Nanmoins, lhistorien qui tint la place la plus dcisive dans les premiresdcennies du XIXe sicle fut Gorge Grote, la fois ami de Thirlwall et li Niebuhr (il fit paratre dans la Westminster Review de 1843 un compte-rendutrs logieux de lHistoire romaine de Niebuhr), et opposant aux thses deDroysen. N en 1794, il meurt en 1871 ; il succda son pre dans la banque.Marqu par linfluence de J. Bentham et de Mill, fortement impliqu dans lapolitique de son temps, il sintresse de prs lhistoire grecque, singulirement Athnes vue comme un modle mditer. Il fait paratre en 1826 un review-article sur louvrage de Mitford (crit entre 1815 et 1822), Notes on GrecianHistory , dans la Westminster Review 5, 1826, pp. 269-331 : travers cet

    ouvrage, il dnonce le niveau trs bas de lhistoire ancienne, confine tudierla langue et la mtrique, au lieu, crit-il, de dvoiler le mcanisme de la socit,et de mettre au jour les nombreuses illustrations que le phnomne grec offre

    10. Cf. la ddicace de Gillies au roi dAngleterre dans son History of Ancient Greece..., I, 1790 : The History of Greece exposes the dangerous turbulence of democracy, and arraigns the despotism ofTyrants. By describing the incurable evils inherent in every form of Republican policy, it evinces theinestimable benefits resulting to Liberty itself, from the lawful dominion of hereditary Kings, and thesteady operation of well-regulated Monarchy. With singular propriety, therefore, the present work maybe respectfully offered to your MAJESTY, as Sovereign of the freest nation upon earth... .

    11. Biographie par son descendant homonyme, John Connop Thirlwall, Connop Thirlwall, historian

    and theologian, Londres, 1936 ; en dernier lieu, K.N. Demetriou, Bishop Connop Thirlwall : historianof Ancient Greece , QdS56, 2002, pp. 49-90 ; galement Id., Historians on Macedonian Imperialismand Alexander the Great , JMGS19, 2001, pp. 23-60). La figure et luvre de Thirlwall seront rexami-nes au cours des confrences 2003-2004.

    12. Voir Thirlwall, History of Greece, VII, 1840, pp. 109-115.

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    des principes de la nature humaine . Il crit son Histoire grecque entre 1845 et1856. Ce fut un immense succs (cf. par exemple le compte-rendu trs logieuxdes deux premiers volumes par Prosper Mrime dans la Revue des Deux Mondes18, 1847, 52-69 : De lhistoire ancienne de la Grce ).

    Admirateur de Dmosthne et accusateur de Philippe II, Grote considre lapriode dite hellnistique comme un appendice fort peu intressant de lhistoireperse proprement dite : Aprs la gnration dAlexandre, laction politique dela Grce se resserre et savilit, nayant plus dintrt pour le lecteur, ni din-fluence sur les destines du monde venir... . Cet effacement de la Grcedate dAlexandre : La libert de lHellade, vie et me de cette histoire depuisson dbut, disparut compltement pendant les premires annes du rgne

    dAlexandre... . En effet, les conqutes asiatiques dAlexandre nappartiennentpas directement et littralement la province dun historien de la Grce. Ellesfurent menes bien par des armes dont le gnral, les principaux officiers etla plus grande partie des soldats taient macdoniens. Les Grecs qui servaientsous ses ordres taient seulement des auxiliaires, au mme titre que les Thraceset les Poniens... Ils navaient aucun intrt collectif dans la victoire de lenvahis-seur, victoire qui pouvait avoir pour consquence ultime daugmenter encoreleur sujtion.

    Quant aux victoires remportes par Alexandre, elles sexpliquent certainement

    par la valeur du gnral et par les aptitudes de linstrument lgu par Philippe,mais elle sexplique aussi par la faiblesse de ladversaire perse, dont lhistoire,depuis Xerxs, est marque par une irrmdiable dcadence. Dsign par Grotecomme un prince n sous une mauvaise toile , Darius est jug avec uneextrme svrit.

    Alexandre lui-mme est souvent dnonc, particulirement dans ses attitudeset ses dcisions postrieures la disparition de Darius (330). Grote juge sansaucune indulgence lexcution de Philotas, propos de laquelle il exprime savision dun Alexandre plus proche de la barbarie que de la civilisation grecque : Parmi les nombreux faits tragiques raconts tout au long de lHistoire, il nyen a aucun qui soit plus rvoltant que le destin de ces deux gnraux. Duneviolence extrme dans toutes ses impulsions, Alexandre dmontra en loccasionune rancur personnelle digne de sa froce mre Olympias, exaspr plusquadouci par lampleur des services passs. Nous pouvons sentir l quel pointlon a quitt la rgion des sentiments civiques grecs dans ce quil y a de plussauvage chez le guerrier illyrien, partiellement orientalis (p. 22). Les mariagesde Suse prouvent, aux yeux de ses soldats eux-mmes, sa prfrence pour uncaractre asiatique et la rpudiation de son propre pays . Qui plus est, sesconqutes signifirent lextinction de lhellnisme authentique, mme si elles

    diffusrent un vernis extrieur, spcialement la langue grecque, sur la plus grandepartie du monde oriental. Les vrais intrts grecs se situent beaucoup plus duct de Darius que du ct dAlexandre (XI, 413). Et Grote de citer Droysenparmi ceux qui ont fait dAlexandre un fils de lHellade, imbu des prceptes

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    dAristote, et vou la diffusion de la culture grecque pour le bien de lhuma-nit... Au lieu dhellniser lAsie, il tendait asiatiser la Grce . On retrouvel une ide et une formule qui avaient dj t exprimes par Niebuhr, et quifurent ultrieurement reprises (dans un tout autre contexte) par Gobineau.

    Enfin, plusieurs cours ont t consacrs analyser la rception de luvre deGrote, en comparaison avec celles de Thirlwall, de Niebuhr et de Droysen. Ona accord une attention particulire un long compte-rendu du volume consacrpar Grote Alexandre, publi par lhistorien anglais E.A. Freeman en 1873 13,qui se termine par un vivrant plaidoyer en faveur de la position quilibre de Thirlwall, ainsi dsign : Il ne cde le pas personne dans ltendue de sesrecherches et, sil peut cder certains de ses rivaux dans lclat de la dcouverte

    originale, il les surpasse tous par son calme et sa facult de jugement, sanslesquels la recherche et lclat ne sont rien. Nous respecterons toujours le juge-ment de ce grand historien . Le long texte de Freeman rend compte trs prcis-ment des fondements des dbats qui opposrent les historiens de ce temps autourdes consquences des conqutes dAlexandre. Le dbat est toujours en cours, etbien des articles et tudes daujourdhui reprennent inlassablement, sans les citer(voire parfois trs probablement sans les connatre), les arguments quchan-geaient les historiens anglais et allemands dans les annes 1840-1870.

    Lon a par ailleurs voqu les dbuts de lhistoriographie dAlexandre en

    France, point sur lequel on reviendra plus compltement lanne prochaine.P. B.

    Sminaires

    Les sminaires ont t tenus dans diverses institutions franaises et trangres :trois la Maison de lOrient mditerranen (Lyon), deux lInstitut oriental deNaples, un la Scuola Normale de Pise, et deux lUniversit de Pise.

    Confrences du Professeur Shaul Shaked (Jrusalem)

    A linvitation de P.B., Shaul Shaked, Professeur mrite de lUniversit deJrusalem, est venu faire deux confrences sur le sujet : Nouveaux documentsaramens sur peau dats de lpoque achmnide et du rgne dAlexandre.Avec son collgue Joseph Naveh, S. Shaked a en effet t charg de la publica-tion de plusieurs dizaines de documents (essentiellement des parchemins) apparussur le march il y a quelques annes, et provenant sans aucun doute de lancienneBactriane (actuel Afghanistan). Dats entre Artaxerxs III et Alexandre (leGrand), plusieurs dentre eux sont des lettres crites en aramen dit dempire ,

    fort comparables aux lettres sur peau changes entre le satrape Arshama et ses

    13. Alexander the Great. [History of Greece, vol. XII, G. Grote] , dans : Historical Essays, Sec.Series, London, pp. 161-206. Ce point particulier fera lobjet dune publication spcifique.

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    subordonns en gypte. Le Professeur Shaked a donn une analyse densembledu lot, et il a comment en dtail plusieurs documents particulirement richestant sur lanthroponymie, la toponymie et la terminologie administrative ira-niennes que sur lorganisation de la satrapie et sur les diffrents chelons hirar-chiques. Il a t convenu que les cours donns cette occasion par le ProfesseurShaked seraient publis dans la Collection Persika (de Boccard, Paris). Notonsenfin que le confrencier a depuis lors donn un article important sur une catgo-rie tout fait spcifique de ces documents, ce sont des reus dats de DariusIII : J. Naveh-S. Shaked, A Knot and a Break : terms for a receipt inAntiquity , Israel Exploration Journal 53, 2003, pp. 111-118.

    Publications et activits du professeur

    Livres et articles

    Darius dans lombre dAlexandre, Paris, Fayard, 2003.Alexandre le Grand(Que-sais-je 622), traduction en japonais, ditions Hakusi-

    Sha, Tokyo, 2003. Guerre et succession dynastique chez les Achmnides : entre coutume

    perse et violence arme , in : A. Chianotis-P. Ducrey (edd.), Army and Powerin the Ancient World, F. Steiner Vlg, Stuttgart, 2002, pp. 39-49.

    Perses et Iraniens aprs la chute de lempire achmnide : histoire et historio-graphie , Annuaire du Collge de France 102, 2002, pp. 763-776.

    Histoire et archologie dun texte. La Lettre de Darius Gadatas entrePerses, Grecs et Romains , in : M. Giorgieri, M. Salvini, M.-C. Trmouille,P. Vanicelli (eds.), Licia e Lidia prima dellellenizzazione (Roma, 11-12 ottobre1999), Roma, CNR, 2003, pp. 107-144.

    Colloques et Tables Rondes

    20 octobre 2002 : participation un dbat autour du dossier (prpar sous la

    direction de P. B.), Politique et contrle de leau dans le Moyen-Orient ancien(paru dans les Annales HSS, mai-juin 2002) : IIe Salon de lHistoire, Paris, Htelde Rohan.

    16 dcembre 2002 : Introductory remarks (avec A. Kuhrt) la TableRonde : Achaemenid Memphis, Department of History, University College,Londres.

    17 dcembre 2002 : Prsentation (avec Jos Paumard) du Muse achmnidevirtuel et interactif au British Museum, Department of Ancient Near East,Londres.

    Confrences

    19 octobre 2002 : Acadmie des orientalistes belges, Lige : Religion et poli-tique dans lempire achmnide.

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    12 avril 2003 : Journe dtudes de la Socit suisse pour ltude du Proche-Orient ancien (Ble) : Mdes et Achmnides. Antcdents, hritages et particu-larits , confrence sur La politique des Achmnides lgard des sanctuaireslocaux.

    Interventions dans les mdia

    Interview sur France-Culture, 4 aot 2002.Interview sur le thme Lempire achmnide et Alexandre le Grand , par

    la chane de tlvision NHK (Tokyo), dans le cadre dune srie LOdysse dela civilisation , 2 octobre 2002.

    Interview dans lExpress, 13 fvrier 2003.Interview sur France-Culture, 14 fvrier 2003, mission Les matins de France-

    Culture .Participation lmission Tout arrive sur France-Culture, 24 mars 2003.

    Activits de la chaire

    Dans la continuit du programme dfini antrieurement, et avec laide deMarie-Franoise Clergeau (sous-directrice de laboratoire ; voir son rapport ci-

    dessous) et de Valrie Janicot (assistante rattache la chaire), la mise aupoint du site-web www.musee-achemenide.org sest poursuivie activement. Onrappellera que lobjectif dun tel site est de rassembler virtuellement desmilliers dobjets et dimages achmnides aujourdhui disperss dans des dizainesde muses dans le monde, de les intgrer dans une base de donnes consultableen ligne, et de les mettre disposition des chercheurs et du grand public. Encollaboration avec Jos Paumard (matre de confrences Paris-XIII), le projeta t prsent devant le dpartement du Proche-Orient du British Museum, et ila t accueilli trs favorablement. Le projet a ensuite t prsent devant troisautres dpartements du mme muse (gypte ; Monnaies ; Grce et Rome), et,

    grce la volont de collaboration manifeste par la direction du B. M., desaccords ont t conclus avec chacun des dpartements : ils fourniront au museachmnide virtuel et interactif des documents photographiques, et ils transfre-ront leurs donnes dans notre propre base de donnes, grce un protocole misau point par Jos Paumard. Dores et dj plusieurs centaines de scans de mon-naies et les donnes correspondantes ont t intgrs au muse virtuel. Dans lemme temps, des campagnes photographiques ont t menes au Dpartementdes Antiquits Orientales du Muse du Louvre, et au Cabinet des mdailles(BNF). Plusieurs auteurs et diteurs ont galement accept de mettre notredisposition leurs fonds photographiques et les donnes qui sy rattachent. Le sitedevrait tre ouvert dans le cours du premier semestre 2004.

    La Collection Persika poursuit sa route, grce Valrie Janicot, qui a misen page le volume dO. Casabonne,La Cilicie lpoque achmnide(Persika 3).

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    Le livre devrait tre publi en octobre ou novembre 2003. Ce volume et lessuivants seront dsormais publis et diffuss par les ditions de Boccard ; grce un accord trouv avec le prcdent diteur (ditions Thotm), la collectioncontinuera dtre offerte avec la mme maquette et la mme couverture. Lesvolumes venir prendront donc la suite harmonieuse des deux premiers numros.

    Rapport de Mlle Marie-Franoise Clergeau, sous-directrice de laboratoire

    au Collge de France

    La poursuite des travaux dlaboration du Muse Achmnide Virtuel et Inter-actif (MAVI) a constitu lessentiel de notre collaboration au sein de la chaire,

    en troite relation avec Mme

    Valrie Janicot pour la constitution des donnes etavec MM. Jos Paumard et Philippe Bertin pour le montage informatique, sousla direction du Professeur Pierre Briant.

    La prparation des images pour le Muse Achmnide Virtuel et Interactif

    Pour la constitution des donnes, nous avons guid la campagne photogra-phique de sceaux achmnides ralise par M. Cyril Frsillon la BibliothqueNationale, avec laide de Mme Mathilde Avisseau-Broustet, conservateur au dpar-tement des monnaies, mdailles et antiques. La principale difficult tenait la

    courbure des objets, encore plus qu leur brillance. Il faut souvent deux clai-rages pour mettre en vidence toutes les formes dun motif. On regrette, dansce cas tout particulirement, que la numrisation en trois dimensions des coordon-nes spatiales et de la couleur soit encore financirement inabordable (voir infra)car seul ce moyen permet de simuler, la consultation, des clairages sousnimporte quelle direction pour observer les reliefs dans diffrentes positions.

    Nous avons apport notre concours la mise au point de plusieurs autrescorpora dimages pour la base du MAVI : un ensemble de 28 monnaies apparte-nant au corpus publi par Yaakov Meshorer et Shraga Qedar en 1999 (Samariancoinage, The Israel Numismatic Society, vol. IX), le corpus des 20 bulles duLouvre ainsi que 63 planches du livre de Sir Robert Ker Porter (Travels inGeorgia, Persia, Armenia, Ancient Babylonia, &c. &c. during the years 1817,

    1818, 1819 and 1820, Londres, Longman, Hurst, Rees, Orme and Brown, 1821vol. I et 1822 vol. II) ainsi que le papyrus dit de la Chronique dmotique deParis. Nous avons galement guid les travaux de Mme Valrie Janicot dans sacampagne de numrisation des empreintes de sceaux du British Museum prove-nant dUr et publies par Mme Dominique Collon en 1996 ( A Hoard of Sealingsfrom Ur , BCH, Suppl. 29, pp. 65-84) ainsi que pour rendre exploitables enligne 8 planches de monnaies du trsor de Pixodaros publi par R.H.J. Ashton,

    N. Hardwick, P. Kinns, K. Konuk, A.R. Meadows ( the Pixodarus Hoard ,Coins Hoard9.421, pp. 159-243, planches 34-41) et 28 planches de monnaiesdu trsor dHecatomnos publi par R.H.J. Ashton, P. Kinns, K. Konuk, A.R.Meadows ( the Hecatomnus Hoard , Coins Hoard5.17, 8.96, 9.387, pp. 95-

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    136, planches 6-33) ainsi que les sceaux de lUniversity of Pennsylvania Museum Philadelphie, publis par L. Legrain en 1925 (The culture of the babylonians

    from their seals in the collection of the British Museum, University of Pennsylva-nia, PBs 14 et 14 bis, Philadelphia). Nous avons galement particip plusieursrunions dexpertise en vue de lexploitation en ligne des illustrations du Voyageen Perse pendant les annes 1840 et 1841 de P. Coste et E. Flandin (Paris,1851).

    Pour linstant, mais pour peu de temps, le passage par un document de transfertphotographique reste encore en gnral le moyen le plus prcis pour obtenir desimages capables de rivaliser avec lobservation directe pour les petits objets. Ladiapositive suffit pour les objets de petite taille comme les sceaux, leurs

    empreintes ou moulages, ou encore les monnaies. Numrises dans les locauxde M. Jean-Jacques Guilbard au Collge avec un scanner professionnel exploitanttoute linformation prise par la pellicule ( 2 365 points par pouce et avec troispassages pour les trois canaux de couleur) les diapositives vhiculent mieux lesdtails quune photographie numrique prise avec un appareil offrant les mmesfacilits dutilisation et apparemment la mme rsolution. En effet, excepts lesinstruments de laboratoire, les appareils numriques courants distribuent lespoints de cette rsolution sur les trois canaux de couleurs au lieu de les rptertrois fois. Il en rsulte une perte dans la qualit des couleurs comme dans lepiqu des dtails. Cest ce qui ressort de nos observations lors de la prparationdes images qui proviennent de sources trs htrognes aussi bien sur le planmatriel et technique que sur le plan gographique.

    Dautre part, larrive massive dimages partir de publications, vritablemanne pour les chercheurs, distribuerviale muse virtuel, nest pas sans poserquelques problmes techniques, dus principalement aux habitudes ditoriales. Cene sont pas les fichiers prts imprimer qui conviennent le mieux pour la miseen ligne : les images ont t dgraisses et ne prsentent plus ni la densitncessaire la vision sur cran, ni une dfinition suffisante. En effet, les objetsde petite taille sont en gnral publis lchelle ; imprims 300 points parpouce pour des objets de lordre dun pouce, les fichiers image prpars pour lapublication sur papier noffrent que 300 500 points l o une diapositivenumrise aurait permis davoir de 2 500 3 000 points, donc des dtails plusfins. Les fichiers pour limprim lchelle 1 permettent une vision plein cranmais sans aller au-del (on voit la trame si on les agrandit) alors quun fichierprovenant dune diapositive donne la possibilit de voir des dtails comme laloupe dans une image qui pourrait occuper environ 16 crans. Il convient doncde remonter la chane de traitement qui a conduit au fichier imprimable et derevenir au fichier dit brut de scan qui, dans le meilleur des cas, permettra de

    retrouver les conditions cites plus haut de la diapositive numrise plusde 2 000 points par pouce. Mais parfois, nous arrivent des images dun stadeintermdiaire de la chane, comme les tirages photographiques sur papier, unecoutume frquente de constitution des bases dimages consistant numriser en

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    haute rsolution un tirage sur papier. Les scanners plat de simple bureautiqueoffrent maintenant en standard des rsolutions de 600, 800 et 1 200 points parpouce et leur manipulation ne requiert aucun savoir faire ; on obtient facilementdes fichiers image qui autorisent le zoom lcran mais, bien que le nombre depoints soit suffisant, le dtail grossi manque de piqu car il provient dune image crase par le tirage sur papier et non du ngatif (ou positif) sur film.

    Ces vicissitudes nous permettent dapprcier deux initiatives dans le secteurde la numrisation en ce qui concerne ces petits objets archologiques : la miseau point pour le British Museum dun scanner ddi aux monnaies qui allie lafacilit dutilisation et la finesse de rsolution et, dautre part, le dveloppementdu scanner 3D couleur (ou valeurs de gris) ddi aux tablettes dcriture cuni-

    forme, dans le projet Digital Hammurabi, qui ne vise pas, pour linstant, laproduction de la priode achmnide mais semblerait parfaitement convenir pourles bulles et les monnaies, aussi bien que pour les tablettes (voir infra).

    La base de donnes du MAVI

    Actuellement, la base de donnes est mise au point sous Oracle par M. JosPaumard et sa structure rgulirement commente par lquipe de la Chaire.Nous avons dj test le fonctionnement en ligne de la partie de la base quiconcerne les fichiers image. Elle permet le contrle des images par tuiles Jpegaux diffrents niveaux de la pyramide denregistrement. Ces niveaux (sectionshorizontales de la pyramide) reprsentent des tapes de rduction partir dufichier en pleine rsolution (en gnral de 5 7 niveaux) qui vont permettre lecalcul, la vole, des dtails demands par les utilisateurs. Lindexation, enpartie automatique (pour les donnes techniques), prvoit diffrents profils din-dexeurs. Il est possible de raliser des indexations multiples (par lots dfinis parlindexeur), fonction indispensable dans une grande banque forme essentielle-ment de collections (de muses, dinstitutions ou prives). Certaines donnestechniques lies aux images resteront dun usage interne. Il est prvu, par exem-

    ple, de limiter le niveau de zoom laffichage, sans changer la taille du fichierimage enregistr, de sorte que lon arrte le zoom au niveau dobservation perti-nent, fonction tout particulirement utile pour les dessins de relev ou de reconsti-tution, parfois numriss en trs haute rsolution, et dont le dtail en pleinersolution lcran perd sa signification par rapport liconographie, le butntant pas de montrer le style du dessinateur (comme ce serait le cas pour desdessins dart) mais de clarifier la comprhension de liconographie. Il est gale-ment utile de limiter le zoom avant que napparaissent des artfacts de supportou de transfert qui nuisent la comprhension de la forme, sans pour autantperdre du dtail.

    Resteront lies aux fichiers image les informations de copyright, de crditsphotographiques, le numro denregistrement unique auprs de lautorit recon-nue sur le plan international dans le projet. Comme pour le reste des donnes

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    de la base, certains champs peuvent tre rdigs en plusieurs langues (lescommentaires indiquant la compltude de limage par rapport lobjet ou saposition sur lobjet, introduits ds ce niveau, sont dj bilingues). On trouvegalement ici les donnes techniques (nombre de points aux diffrents niveaux,localisation du fichier etc.) et documentaires (localisation des documents de trans-fert, leur rfrence etc.).

    Dessins de relev

    Nous avons eu lhonneur et le grand plaisir de collaborer lillustration dulivre de Pierre Briant, Darius dans lombre dAlexandre (Fayard, 2003) par le

    relev iconographique dune poutre peinte du Muse de la Prhistoire Munich(fig. 40). Cette poutre reprsente une scne de guerre lpoque achmnide.Encore plus que pour les dessins de monnaies et de sceaux sur le thme dulaboureur, que nous avions excuts peu avant (Von Aulock SNG 5914, monnaiedu British Museum de Londres, monnaie Lanz, sceau du muse dArt et dHis-toire de Genve), ce relev graphique nous plaait devant le mme dilemme quepour la transcription dun manuscrit : il fallait viter de superposer les connais-sances acquises aux formes indistinctes dune peinture pratiquement efface, touten donnant une signification certaines traces en les choisissant comme formeiconographique parmi toutes les formes et accidents de la matire ainsi que les

    usures du temps.Nayant quun document de transfert comme base de travail (une diapositive),

    nous avons d recourir au traitement dimage et exploiter la grande souplessedu rglage manuel du scanner haute dfinition de notre laboratoire pour faireressortir des diffrences de couleurs invisibles lil nu. L o les appareils lesplus rcents dclenchent des automatismes visant viter les saturations et lesdsquilibres de couleurs, nous avons au contraire, avec cet appareil qui date de1993, forc consciemment certains dsquilibres, grce la dcomposition dubalayage canal par canal (rouge, vert puis bleu) et au choix du temps dintgration

    dans chaque canal de couleur. La priorit de la numrisation dans le rouge nouspermettait de contrler en particulier le niveau des contrastes dans le canal leplus significatif de cette iconographie. Ces premiers traitements se faisant enamont de la saisie, nous avons pu obtenir des formes qui taient absolumentinvisibles sur les tests de numrisation faits par des professionnels sur des scan-ners rcents de haut niveau, plus automatiss. Nous avons eu confirmation, parailleurs, lors du colloque organis par le CID (voir infra) que les barrettesCCD plus rcentes perdent en qualit de couleur ce quelles gagnent en finessede rsolution.

    Une fois acquise cette information diffrentielle des nuances, il devenait pos-sible de lexalter par des traitements en aval de la numrisation, ce que nousavons ralis sous le logiciel Photoshop pour la pratique duquel nous avons suiviun stage de formation au cours de cette anne. Ce nest qu lissue de ces

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    oprations que nous avons pu mettre en vidence lennemi couch au sol devantles pieds du Grand roi, signal dans larticle de Peter Calmeyer ( Zwei mithistorischen Szenen bemalte Balken der Achaimenidenzeit ,Mnchner Jahrbuchder Bildenden Kunst, 1992) et que nous navions pu reprer jusqualors. Cetteexprience a fait lobjet dune dmonstration au Colloque 2003 du CID. Il vade soi quune observation directe de ces poutres simpose, mais on sait combienil est ncessaire de faire, avant leur examen direct, le bilan des problmes sou-levs par liconographie dobjets que leur raret et leur fragilit ne rendentdisponibles aux chercheurs que quelques heures bien trop courtes.

    Les muses et le Web

    Au nom du programme muse-achmnide.org , nous avons eu lopportunitde suivre les travaux de la confrence annuelle Museums and the Web 2003 du20 au 22 mars Charlotte, en Caroline du Nord. Organise par Archives &

    Museum Informatics (Toronto, Ontario), cette confrence prsentait un grandnombre de dveloppements informatiques rcents destins la diffusion du patri-moine des muses sur Internet, grce un programme trs dense dexposs, tablesrondes, dmonstrations et expositions, men avec nergie par David Bearman etJennifer Trant.

    A la sance plnire douverture, linformatique tait bien prsente comme

    un moyen et non une fin. Pour autant, force est de constater que les concepteursdes sites de muses ou de collections sont bien souvent tents de jouer avec cetinstrument et de privilgier la dernire animation la mode, de sacrifier au gotdu jour ou de donner dans la surenchre technique au dtriment de lutilitfondamentale du projet. Nous avons vu, certes, des exercices technologiques trsrussis, souvent habills dun design aussi agrable quingnieux, mais plus

    justifis par la recherche dun style, la volont dobir aux rgles de lart de toutbon produit multimdia du moment, que par la ncessit de diffuser largementun patrimoine devenu prtexte de savants amusements. Trop souvent, le contenului-mme pche par la parcimonie des lments rassembls et par la qualit de

    leur reprsentation.Aussi convient-il de souligner quelques ralisations dune grande efficacit sur

    le plan scientifique comme le projet AMICO Library(Art Museum Image Consor-tium) but non lucratif mais malheureusement accessible uniquement par sous-cription annuelle. Le procd de visualisation quil utilise en ligne est djlargement utilis dans limagerie hors ligne : il sagit du tuilage de grandesimages Jpeg (voirsupra) qui permet dobtenir des dtails trs fins et personnalisssans artifice dinterpolation. La gageure consistait le transposer sur Internet,ce qui est plus rare (comme M. Jos Paumard la fait dans le logiciel CIGALIS

    pour MAVI, ou encore comme Netimage le dveloppe dans le module PANDIT).Nous avons donc apprci le logiciel de visualisation utilis par AMICO, dve-lopp par Luna Imaging et prsent dans lexamen de dtails sur des cartesanciennes de la David Rumsey Map Collection (www.lunaimaging.com).

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    Linformatique permet galement de manipuler des objets en volume sans lestoucher au muse. L aussi, il sagit dune raret, ds lors que lon ne se contentepas dun simple placage dimage 2D sur un volume en maillage 3D. Le projet

    Digital Hammurabi,prsent par Dean A. Snyder et Lee Watkins pour lUniver-sit Johns Hopkins de Baltimore (www.jhu.edu/digitalhammurabi) et soutenufinancirement sur trois ans par la US National Science Foundation, permettra,entre autre, de lire les tablettes de textes cuniformes de Sumer et dAkkad enles faisant tourner sur linterface dInternet, avec une dfinition calcule pourpermettre leur tude au niveau scientifique. Le projet souhaite raliser un scanner3D susceptible de numriser une tablette en moins dune minute et la rsolutionncessaire en se fondant sur une technologie mise au point au National Research

    Council of Canada, qui utilise un systme laser tricolore et fournit pour un pointses coordonnes spatiales (x, y et z) en mme temps que ses mesures colorim-triques dans les 3 canaux (rouge, vert et bleu). Lobjet virtuel obtenu avec untel systme peut non seulement tre manipul dans tous les sens mais encoretre scrut sous un clairage virtuel, lui-mme manipulable dans toutes les direc-tions. On voit tous les bnfices quune telle technologie apporterait lensembledes objets de muse quil est important de voir sous diffrents angles ou diffrentsclairages, et en particulier les sceaux cylindre, les bulles et autres petits objetsde la civilisation achmnide. Mais un outil aussi rvolutionnaire que ce scanner3D laser tricolore rvolution que nous avions dj apprcie au CNRC

    dOttawa lors de notre visite en 1994 reste encore du domaine de la rechercheet des prototypes. Il et fallu une adhsion des muses au niveau internationalpour en faire baisser le cot et en permettre le dveloppement normal. L encore, une large diffusion des objets dans le respect des besoins multiformes etimprvisibles des visiteurs internautes, on prfre bien souvent faire des produitslectroniques bien circonscrits qui, du disque, ont migr sur la Toile sans grandchangement.

    Qui sest un jour lanc dans la constitution dune grande banque informatiquedobjets, interrogeable (sans perte de rponses !) et illustre, comprendra aisment

    ces prfrences pour des projets court terme, plus faciles et plus rapides raliser. Dautre part, dans les salons et congrs, la qualit des bases dimagesnest pas mise en valeur : chacun regarde, press par le temps et voulant voirtoutes les ralisations, les grands effets souligns par les prsentateurs qui attirentainsi le touriste informatique. De retour Paris, nous avons pris le temps detester les fonctions de thesaurus des banques dimages. Que reste-t-il des grandsprojets des annes 80, de thesauri comme le fameux Iconclass qui demandeplusieurs mois de formation pour lindexeur... et si possible pour lutilisateur ?Ace mastodonte qui se veut encyclopdique, sont prfrs soit des systmes de

    rseaux smantiques, soit des systmes tudis par domaines dobjets commelAAT (Art and Architecture Thesaurus dvelopp sous lgide du Getty), soitdes systmes plus lgers comme, pour liconographie, le thesaurus Garnier, habi-lement mis en uvre par les bases des muses franais qui brillaient par leur

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    absence, comme tout bon vtran dans un salon de nouveauts. Les versionsmultilingues sont assez rares pour que lon souligne le srieux et lefficacit dela Multilingual database for the Fine Arts Museums of Belgium de Bruxelles,o les informations sont traites en trois langues (Allemand, Anglais, Franais)ou deux langues (Allemand, Franais). Enfin, la conception de rseaux sman-tiques plusieurs dimensions propose une intressante promenade, trs ouverteet pleine dimprvus, travers la terminologie, avec quelque danger quant son efficacit lors dune recherche scientifique. Elle constitue nanmoins uneapproche utile lorsque linternaute souhaite butiner travers objets et ides lorsdune visite virtuelle de type culturel . Le thsaurus dvelopp sur ce principepar plumbdesign (www.plumbdesign.com) est mis en uvre dans plusieurs pro-

    jets et en particulier la Smithsonian Institution pour une exposition en lignedobjets.

    La tendance est la construction de muses virtuels riches en fonctions maisce sont, bien souvent, des muses presque vides o lon joue avec trois fois rien.Remplir ces muses virtuels na rien de spectaculaire puisque seules surnagent lcran les interfaces que lon commente loisir dans les colloques, sans sesoucier du contenu et de la qualit de linvestigation. Le contenu est pourtant,avec la structure de la base de donnes qui le gre et en permet le retri , lacondition sine qua non du travail des chercheurs. Dans le projet MAVI, il est

    ncessaire de travailler sur un contenu international dont le nombre est singulire-ment augment par le caractre multiple des monnaies et des empreintes desceaux en particulier. Les recherches dautomatisme, ralises par M. Jos Pau-mard, visent dabord assurer lacquisition de donnes de nature et de prove-nance htrognes (images ou donnes documentaires) et leur exploitation ausein dune base structure. Le dveloppement doutils de recherche de formesautomatiques viendra dans un deuxime temps, de faon assurer dabord untravail efficace de la communaut des spcialistes avec les outils de recherchetextuels, actuellement plus avancs. Cette premire tape servira les travaux, dansun deuxime temps, sur les outils de recherches formelles puisquelle permettra le

    contrle de leur validit et lapprciation de leur apport spcifique.

    Un muse virtuel pour les spcialistes : les leons de lhistoire

    Il nest que de faire quelques tests dinterrogations sur les sites des musesqui proposent une recherche (standard ou experte ) pour ne pas trouver ce quelon sait sy trouver ! Cette constatation nous a conduite mener une recherchertrospective pour comprendre les avances et les erreurs dont lexprience pou-vait nous aider dans le projet MAVI.

    Une incursion dans le domaine historique, la naissance des muses, Templedes Muses au Museion dAthnes ou partie dun ensemble culturel plus vaste Alexandrie, collection publique dobjets darts comme la Pinacothque Athnes ou encore exposition permanente dobjets dart dans les monuments

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    publics romains, trsors des abbayes mdivales, collections princires ouroyales, anctres des collections publiques actuelles, cabinets de curiosits etstudioli, montre bien, avant la naissance du muse dans son acception actuelle,ouvert au public sur lide de La Font de Saint-Yenne en 1746, la multiplicitde son contenu tout autant que de son accessibilit. Que le muse de notre temps,ouvert tous, ne nous conduise pas dans lornire dune simple transposition deson actuel fonctionnement. La leon du pass doit demeurer prsente. Il en vade la survie mme du muse virtuel.

    Lopposition grand public / spcialistes doit tre prise en compte, et le musevirtuel peut, plus facilement que le muse concret, faire entrer le visiteur austudiolo ou dans la grande galerie passante en ventilant les objets selon les

    niveaux de culture et les besoins des visiteurs, en les assortissant dtudessavantes ou de simples cartels, en modifiant la prsentation, en vitant la queue lentre, parmi la foule des touristes, au spcialiste qui rve dun rendez-vousrapide au cabinet de curiosits qui le concerne : cela, linformatique le permet,aussi bien que laccs par promenade guide parmi des objets choisis par leconservateur et non par le visiteur, et en puisant parmi le mme ensembledobjets. Cette ubiquit de lobjet est lun des principaux atouts du muse virtuel.Lobjet devient disponible pour une consultation de masse (dont les statistiquesseront favorables la survie du muse en ligne) comme pour le travail duchercheur (favorable lenrichissement et la vie du muse par lapport scienti-fique). Au mme titre que les objets dart, les bases virtuelles meurent du dsint-rt plus que des changements technologiques (on peut toujours transfrer,remodeler la base partir des donnes si le jeu en vaut la chandelle).

    Bien avant le Muse Imaginaire dAndr Malraux, se sont constitus desmuses de copies, o la transposition de lobjet, plus concrte que la photogra-phie, est devenue maintenant objet de muse. Nous pensons la Salle desNiobides aux Offices regroupant les copies romaines doriginaux hellnistiques.On ne se risquera pas considrer que les copies romaines de peintures grecques,qui navaient pas vocation de substitut de lobjet (comme vraisemblablement lamosaque de Naples) constituent maintenant un muse virtuel de la peinturegrecque : la similitude ne tient que de lhypothse et nest pas du mme ordre quepour les copies du Muse des Monuments Franais. Mme le fameux MuseumChartaceum de Cassiano dal Pozzo au XVIIe sicle, comme bien des recueilsdAntiques, est un muse transpos : pas assez fortun pour se constituer unecollection dAntiques, Cassiano fit excuter des copies par des artistes qui donn-rent leur couleur et leur vision des choses de lAntiquit comme des curiosits.Mais les copies de sculptures antiques sont-elles moins instructives sur les origi-naux que des photographies le seraient ? La photographie, suppose objective

    parce quelle est mcanique, oublie le plus souvent le dessus, le dessous, lescts et larrire de lobjet par la fcheuse habitude du point de vue privilgi...et unique. Nous ne nous apercevons mme plus que nous sommes habitus connatre les uvres par une seule face ! Combien de bases dobjets en sont

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    encore l aprs les tapes du livre et de la photographie ! Nous avons oubli laleon des anamorphoses, facties savantes inventes la Renaissance par lescrateurs de la science perspective qui, linstar de Lonard de Vinci ou dePiero della Francesca, connaissaient les limites de la reprsentation point devue fixe et samusrent jouer et tricher avec la concordance entre le point devue du spectateur et celui du crateur pour montrer ou cacher lobjet reprsent,

    jeux repris et galvauds au XVIIe sicle avec abondance.

    Autre leon bien utile dans une technique de reprsentation ne la mmepoque que la perspective, celle de la gravure, art part entire mais qui permitaussi de diffuser limage des uvres dart. La gravure permit de vritablesmuses imaginaires, avec des transpositions et trs souvent des inversions de

    liconographie. Cest elle qui vhicule, travers les livres de voyageurs, desimages parfois mme disparues des sites achmnides. Substitut de lobjet avantla photographie, elle porte avec elle une vision, une interprtation et un stylequi ne font pas partie de lobjet reprsent mais nous informent sur un tat delart et de la connaissance lpoque de leur auteur. A la limite, un mauvaisgraveur nous apporte plus quune mauvaise reproduction trame partir dunephotographie, gale inefficacit en ce qui concerne la connaissance de lobjetoriginal.

    Les gravures sont peut-tre les documents les plus trahis par la transposition

    informatique (comme par le tramage dimpression) car la trahison nest pasconnue comme la transposition manuelle quelles impliquent : elle sinsinue, augr des transformations de taille quentrane la vision lordinateur, sous formede moirages au mieux trs remarquables et gnants, au pire inaperus etcrateurs de nouvelles formes comme des nuages dans un ciel uniforme ou desmarbrures sur une matire unie.

    En ce qui concerne la cration de nouvelles formes, si nous savons quuneCalomnie dApelle sous le pinceau de Botticelli ou sous la plume de Mantegnanest pas le tableau dApelle mais lillustration du thme connu par le texte de

    Lucien traduit par Guarino de Vrone et paraphras par Alberti dans son traitde la peinture, nous risquons doublier que les reconstitutions dobjets ou dethmes iconographiques doivent tre dfinis comme de nouveaux objets virtuelssusceptibles dtre relis pour tude aux vestiges qui les ont suscits, et noncomme la reprsentation des objets originaux que lon aurait reconstitus. Nousavons eu un cas de discussion prcis dans lquipe du MAVI ce propos, ence qui concerne les liens informatiques tablir entre les empreintes de sceauxretrouves sur les tablettes des fortifications de Perspolis et les dessins de sceauxreconstitus partir des diffrentes empreintes de ce trsor rputes provenirdun mme sceau et se compltant.

    La virtualit de lobjet atteint son maximum avec linformatique puisquelimage ne devient visible quaprs reconstitution visuelle informatique. Cemanque de contact direct pour lapprcier lui fait courir de biens grands risques

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    quil convient de connatre pour franchir les obstacles plus ou moins justifisopposs par les industriels de linformatique et que le milieu historique ne peut

    matriser entirement. Combien dimpossibilits mentionnes lors des tablesrondes entre informaticiens et historiens de lart dans les annes 80 auraient putomber plus vite si lexigence avait t maintenue ds le dpart !

    On croit tort que les progrs ont t exponentiels dans tous les domaines delinformatique : ce nest pas le cas pour les images. Ds le milieu des annes80, ct des vidodisques qui prsentaient des images la dfinition limite dela vido (avec quelques dtails pr-enregistrs, donc non choisis par lutilisateur),existaient dj des imageurs documentaires (Socit Europenne de Propul-sion, 1984) ou autres systmes dimages numriques en haute dfinition interro-

    geables partir dun systme de gestion de base de donnes. Le Muse dOrsayfut le premier offrir en rseau interne une base dimages en haute rsolution(2 048 2 048 points) et en vraies couleurs ds son inauguration en 1986.Ds 84-85, la socit AVELEM prsentait le Musoscope sur trois crans,un pour linterface de convivialit , un autre pour limage de lobjet entier etle troisime pour les dtails pris dans limage haute rsolution, ces deux derniersavec incrustations de textes. Certes, il ne sagissait pas dInternet et lon saitque les problmes de temps, dencombrement des lignes, de place mmoire detravail rserver un certain nombre dutilisateurs simultans compliquent latche, mais nest-il pas consternant de comparer ce que lon faisait en simple

    rseau Orsay en 1986, avec les images diffuses en 2003 sur la plupart dessites de muses qui se limitent un affichage infrieur 800 600 points ? Ilne sagit pas de faire de la surenchre pour elle-mme, mais bien de fournir ladfinition adquate lobjet et lutilisation quon en escompte comme lemontrait la socit AVELEM ds les annes 80, partant, dans ses analyses, desbesoins des utilisateurs et non de la technique, discours exceptionnel pour lesinformaticiens de cette poque... Ces rflexions, poursuivies au sein de projetseuropens