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Brillat-Savarin, Jean Anthelme (1755-1826). Physiologie du goût. 1848.
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PHYSIOLOGIE
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MËDtTATtONSDEGASTRONOMIETRANSCENDANTE.
OUVRAGETUMRtQUE,HtSTOMQUEETAL'OMMEDUJOUM
B)tbitaM!t<SMt)'eMm(6))ttn9itt)s.
PARIS.-Typographie de A. LAcocn, rue St-!tyacinthe-St-Michet, SS.
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PAR BERTÀLLFRtCËBtE
MNE NOTICE B~&RAPE~UE
PARALPH KARR.
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tiM~ttrM tmr )Mt~ ttt<eM~é«' «M le texte, pM MtMert<h.
GABM1EL DE GONET, ÉDITEUR. HUE DES BEAUX-ARTS, 6.
?48
a
PAR ALPH KARR.
'Q'~T Lj?est une chose dont on ne se défie pas assez
~H~'J~S~ grosse morale, la morale des livres et des
J~ prédicateurs cette morale qui met la vertu si haut
qu'on se console facilement de n'y point atteindre, et en di-
;mg~sant d'elle ce qu'un philosophe ancien disait du vice Non
'~M~licet oMw~M~adire Corinthum. Aussi la plupart se contentent d'une
imitation de cette vertu trop ardue, et cette morale rébarbative
ne produit le plus souvent que des hypocrites.
Un homme qui vendrait des casques, des cuirasses et des épées
à la tailledes héros d'Homère, casques à peine remplis par une
citrouille cuirasses dont on ne toucherait pas les bords et qui
seraient comme de petites chambres; épées qu'on ne pourrait
lm
Il < INTRODUCTION.
soulever, vendrait sans aucun doute fort peu de ces armes,
fussent-elles fournies par Vulcain et ciselées sur les propres des-
Oinsda Minerve.
t.e boulanger vous donnera pour quelques pièces de cuivre,
ayant cours le pain qu'il vous refusera pour des médailles d'or
àl'efHgie de Titus. H ne faut commander aux hommes qu'un
labeur humain il faut que la vraie morale admette les passions
et les faiblesses; elle doit les émonder, les diriger, mais elle
ne les arrachera qu'en détruisant l'arbre.
Puisque les ruisseaux existent, il ne faut pas fermer les égouts.
Certes, je n'ignore pas qu'on réserve toute son indulgence pour
les passions qu'on a et qu'on n'en réserve pas pour les passions
d'autrui; -je n'avais jamais parlé sans mépris de la gourmandise,
jusqu'au momentoùj'ai lu la Physiologiedu CotKdeBrillat Savarin;
j'avais vu dans la gourmandise la plus brutale, la plus égoïste,
la plus bête des passions la lecture de Brillat Savarin m'a
rendu honteux de ne pas être gourmand. En effet, quand on a
vu tant d'esprit, de finesse, de gaîté, de philosophie chez un gour-
mand de profession, on regrette de ne pas avoir reçu de la na-
ture les facultés nécessaires pour sentir et apprécier les plaisirs de
la table; on s'estime affligé d'une infirmité et de la privation
d'un sens; --on se met au rang, sinon des sourds et des aveu-
gles, au moins de ceux qui ont l'oreille dure et la vue basse, et
on envisage l'orgueil qu'on a manifesté de ne pas être gourmand,
comme on envisage la sotte vanité des gens qui sont fiers d'a-
voir des lunettes d'or, et qui toisent avec dédain ceux qui n'ont pas
de lunettes.
N'avons-nous pas tous nos gourmandises? Est-ce que je n'ai
INTRODUCTION. NÏ
pas la gourmandise des couleurs et cette des parfums; est-ce que
je ne m'enivre pas de chèvrefeuille; est-ceque je ne m'exalte pas
à la vue des splendeurs du soleil couchant est-ce que la mu-
sique me laisse toute la froideur de la raison est-ce que sous
ces impressions enivrantes, semblable aux ivrognes qui trou-
vent les rues trop étroites, il ne m'arrive pas de trouver trop
étroites les voies humaines, les routes du possible, les chemins de
la réalité?
Je sais bien que la passion de la gourmandise a été parfois
poussée un peu loin mais quelle passion n'a pas ses excès ?
Certes, l'empereur qui engraissait ses poissons avec de la chair
d'esclaves qu'on jetait coupés en morceaux dans ses viviers,
semblera toujours avoir dépassé les bornes permises des plaisirs
de la table mais les gourmets romains qui reconnaissaient au
goût les poissons pris à l'embouchure du Tibre de ceux pris entre
deux ponts, et ne mangeaient pas les premiers. Ceux qui re-
jetaient le foie d'une oie nourrie de figues sèches et n'admettaient
que le foie de l'oie nourrie de figues fraîches, n'avaient rien de
dangereux ni de rebutant; leur goût exercé ressemblait à l'oreille
d'Habeneck qui, dans un concert de deux cents instruments,
rappelle à l'ordre une contre-basse qui appuie sur la corde avec
l'index au lieu de se servir du pouce.
Et sans aller chercher dans les plaisirs des autres sens des ana-
logies plusou moins justes,-n'avons-nous pas tous nos jouissances
gastronomiques à nous rappeler. Puis-je, moi, me rappeler de
sang-froid tous ces gigots à l'ail sur des haricots baignés dans le
jus, que, pendant tant d'années, j'ai mangés une fois par semaine
avec un ami que j'avais inventé et que je croyais avoir ? Est-ce
1V INTRODUCTION.
que je puis, sans émotion, me souvenirde ces excellentsdîners
de navetacrus pris dans les champs avantd'aller le soir con-
sacrer le prix d'un diner plus luxueux au billetqui me permettait
d'entrer dans un théâtre où je rencontraisde loin un regard qui a
si longtempsfaitma forceetma vie.
Et qui donnera auxananas, mangésdans desassiettesdeChine,
la saveur qu'avaient les mûres des haies, quand j'avais dix-huit
ans.
Est-ce que nos pauvrespêcheurs des côtes de Normandiene
se réjouissentpas à l'avancede mangerun homardou descrevettes
cuitsdans l'eau dela mer, quand ils peuventéviterles regards de
la douane car le fiscdéfend de puiser de l'eau à la mer, et
l'Océanest gardépar touteune arméed'hommesvêtusde vert qui
vousferait rejeter à la mer une cruched'eau que vousauriez su-
brepticementpuisée cela épargneraitaux pauvresgensd'ache-
er du sel, et le sel est un impôt.,
Le natureldans les livres a un charmequiconsisteen ceciqu'on
croyait lireun livreet qu'on causeavecun homme. Le livre de
BrillatSavarinjoint, au naturel le plus exquis, la verve la plus
soutenue, l'esprit le plus franc, l'atticismele pluspur. C'est un
modèlede stylesimplesans vulgarité.
La gourmandisen'est pas la goinfrerie.
BrillatSavarin fait entrer l'esprit, la bonne humeur et le bon
goût dans les assaisonnementsd'un bon diner.
L'espritqui n'est ou doit n'étreque la raison ornéeet armée
est peu considéréen France, parce qu'on prend pour de l'es-
prit certainsexercicesde motspareilsà ceuxquefontlesjongleurs
avec des boules.
INTRODUCTION.
`
V
b
Demême les goin&eset lesivrognesse sont rédamés indûment
d'Anacréon, d'Epicure et se sont placés sous leur invocatioli
sans lesconsulter.Ânacréon,dans sesvers, recommandetrèssou-
ventde mettre dé l'eau dans levin, -et Epicurevoulaitde la no-
blessedans leplaisir, et mettaitleplaisirdans la vertu.
Le vrai discipled'Epicurecompte, pour le meilleurplat de son
dîner, le pain qu'il a envoyéà son voisinpauvre. Tél autre
vousdira avecles Allemands,– en vousinvitantà dîner: < Unseul
plat et un visage ami. t
BrillatSavarindit « Ceuxqui s'indigèrent ou qui s'enivrentne
saventni boireni manger.
Je ne sais ce qu'il aurait dit des banquetspolitiquesqui ne fai-
saientquepoindredesontemps, festinsoùchacunsert un plat
de sa iaçon au moyen de phrases sonores parce qu'elles sont
creuses, et oùon s'occupedu gouvernementdu pays à la fin du
dîner, –c'est-à-dire dans une situation de corps et d'esprit où
aucunde ces législateurs en goguettene se permettrait de traiter
la moinsimportantede ses petitesaffairesparticulières.
Certes,ce n'est pas mourir que de laisser après soi sa pensée
vivante au milieudes hommes, penséequi a plus de force et
dont la puissancen'est plus contestéedepuisquelle n'exciteplusl'enviecontre l'homme qui en était ledépositaire.
Tandisque les richeset les puissantsse disputentquelqueshon-
neurs matériels et quelques avantagesgrossiers, ne sont-cepaslesvrais maîtresdu mondeque ceux qui gouvernent encoreparleurs livres les idéesdes peupleset là penséehumaine?9
Entre ces illustres morts, –devenus des rois Immortels, le
souvenirfait de singulièresdinërehces, c'est la puissance de
VI INTRODUCTION.
leur pensée qui assigne leur rang dans votre vénération;mais
il enest quelques-unsdont on veut savoir la vie, sur lesquels on
rechercheprécieusementet on recueilleavec avidité les moindres
détails,-pour lesautresnous nouscontentonsde lire leursécrits
et de les admirer, tandisque les premierssont nos amis. On
peut prendre pour type de ces deux impressions Voltaire et
J.-J. Rousseau.Onaime les fleurs qu'aimait Rousseau, et son
souvenirdonne une teinte toute particulièreau paysagedes lieux
qu'it ahabités. Voltaireesttout dansses livreset on ne le cher-
che pas ailleurs.
M. BrillatSavarinétait un esprit charmant, mais je ne pense
pas qu'on tienne à savoir quelle était au juste la couleur de ses
cheveux. Onne se demandepas s'il a été amoureux. Nous
serons donc sobres de détailsbiographiques. AnthelmeBrillat
Savarin naquit à Belley, au pieddes Alpes, le d~ avril 1755.
Hétait avocat, lorsqu'on1789 il futdéputé à l'Assembléecons-
tituante.
Mairede Belleyen i795 il fut obligéde se réfugieren Suisse
pouréchapper à la tourmenterévolutionnaire.
Proscritpendant quatre ans, tant en Suisse qu'aux Etats-Unis,
professeurde langue française, musicienà l'orchestre du
théâtrede New-York, s'il dut son existencematérielleà ses ta-
lents, il dut la sérénitéet le bonheurà sa doucephilosophie.
Rentré en France en septembre i 796il occupadiversesfonc-
tions, jusqu'à ce que le choixdu sénat l'appelât à la cour de
cassationoù il a passé les vingt-cinqdernières annéesde sa vie,
quifut jusqu'àla findouceet calme,entouréed'estimeet d'unitées.
INTRODUCTiON. Vtt
11était enrhumé lorsqu'il fut nommé membrede la députation
chargéede représenterla cour de cassationa la cérémonief~nèbr~
du 21janvier dans l'églisede Saint-Denis; il y fut atteintd'une
péripneumoniequi emporta en mêmetempsquelui M. Robert de
Saint-Vincentet l'avocat-généralMarchangy.-11 mourut le 2 fé-
vrier i826–a l'âge de 7i ans.
ÂLpH.KARR.
APSO&ïSMES
DUPMFMMUB
pooa aaa~aa oa MM~âooNtâ~aa eao oo~aaoa a? aa
a&aa â'?aaaa&&a a M~aaaaa~a.
I.
L'univers n'est rien que par ta vie, et tout ce qui vit se nourrit.
ÏI.
Les animant se repaissent; l'homme mange; t'hommed~esprit seut sait
manger.
m.
La destinée des nations dépend de la manière dont elles se nourrissent.
~v.
Dis-moice que tu manges, je te dirai ce que tu es.
V.
Le Créateur, en obligeant l'homme à manger pour vivre t'y invMepar
rappétit, et t'eu récompense par le ptaisir.
VI.La gourmandise est un acte de notre jugement, par tequet nous accordons
la préférence aux choses qui sont agréabtes au goût sur celles qui n'ont pas
cette qualité.
vll.vn.Le plaisir de la table est de tous les âges, de toutes tes conditions, de tous
les pays et de tous les jours; il peut s'associer à tous les autres plaisirs, et
reste le dernier pour nous consoler de leur perte.
VIII.
La table est le seul endroit où l'on ne s'ennuie jamais pendant la première
heure.c
APHORISMES.x
ÏX.
La découverte d'un mets nouveau fait plus pour le bonheur du genre hu-
main que la découverted'une étoile.
X.
Ceux qui s'indigèrent ou qui s'enivrent ne savent ni boire ni manger.
XI.
L'ordre des comestibles est des plus substantiels aux plus légers.
XII.
L'ordre des boissons est des plus tempérées aux plus fumeuses et aux plus
parfumées.XIII.
Prétendre qu'il ne faut pas changer de vins est une hérésie; la langue se
sature; et après le troisième verre, le meilleur vin n'éveille plus qu'unesensation obtuse.
XIV.Un dessert sans fromage est une belle à qui il manque un œil.
XV.
On devient cuisinier, mais on nait rôtisseur.
XVI.
La qualité la plus indispensable du cuisinier est l'exactitude elledoit être
aussi celle du convié.
XVII.
Attendre trop longtemps un convive retardataire est un manque d'égards
pour tous ceux qui sont présents.
XVIII.
Celui qui reçoit ses amis et ne donne aucun soin personnel au repas quileur est préparé, n'est pasdigne d'avoir des amis.
XIX.
Lamaitresse de la maisondoit toujours s'assurer que le café est excellent;et le maitre, que les liqueurs sont de premier choix.
XX.
Convierquelqu'un, c'est se charger de son bonheur pendant tout le temps
qu'il est sous notre toit.
D~ALOGtJE
MTRB
L AUTEUR ET SON AMI
(APRÈSLESPREMIERSCOMPLHtENTS.)
L'AMt. Cematin nous avons, en déjeunant, ma femmeet moi, arrêté dans
notre sagesse que vous feriez imprimer au plus tôt vos JMiM<<o«otM~<M<rono-
tKt~Mes.L'AUTEUR. Ceque femmeM«<~Dieu le veut. Voilà, en sept mots, toute la
charte parisienne. Maisje ne suis pas de la paroisse; et un célibataire.
L'AMt.-Mon Dieu les célibataires sont tout aussi soumis que les autres, et
quelquefoisà notre grand préjudice. Mais ici le célibat ne peut pas voussau-
ver car ma femme prétend qu'elle a le droit d'ordonner, parce que c'est
chez elle, à la campagne, que vous avez écrit vos premières pages.L'AtTECR.-Tu connais, cher docteur, ma déférence pour les dames; tu
as loué plus d'une fois ma soumissionà leurs ordres; tu étais aussi de ceux
qui disaient que je ferais un excellent mari. Et cependant je ne ferai pasimprimer.
L'AMI. Et pourquoi?L'ACTECR. Parce que, voué par état à des études sérieuses, je crains que
ceux qui ne connaîtront mon livre que par le titre ne croient que je ne m'oc-
cupe que de fariboles.L'AMI. Terreur panique! Trente-six ans de travaux publics et continus
ne sont-ils pas là pour vous établir une réputation contraire? D'ailleurs, mafemme et moi nous croyons que tout le monde voudra vous lire.
L'AUTEUR. Vraiment?L'AMI. Les savants vous liront pour deviner et apprendre ce que vous
n'avez fait qu'indiquer.L'AUTEUR.Cela pourrait bien être.
DIALOGUE.xn
L'AM. Les femmes vous liront, parce qu'elles verront bien que.L'AUTEUR.Cher ami, je suis vieux, je suustombé dans la sagesse JtftM-
f~re met.
L'AMt. Les gourmands vous liront, parce que vous leur rendez justice et
que vous leur assignezenfin le rang qui leur convient dans la société.
L'ACTEUR.–Pour cette fois, tu dis vrai il est inconcevable qu'ils aient été
si longtemps méconnus, ces chers gourmands! j'ai pour eux des entrailles de
père; ils sont si gentils! ils ont les yeux si brillants!
L'AMI. D'ailleurs, ne nous avez-vous pas dit souvent que votre ouvrage
manquait à nos bibliothèques?
L'AUTEUR.Je l'ai dit, le fait est vrai, et je me ferais étrangler plutôt que
d'en démordre.
L'AMI. Maisvous parlez en hommetout-à-fait persuadé, et vous allez ve
nir avec moichez.
L'ACTEUR.Oh que non si le métier d'auteur a sesdouceurs, il a aussi bien
ses épines, et je lègue tout cela à mes héritiers.
L'AMt. Maisvous déshéritez vos amis, vos connaissances, vos contempo-
rains. Enaurez-vous bien le courage?
L'AUTEUR. Meshéritiers! mes héritiers! j'ai ouï dire que les ombres Sont
régulièrement flattées des louanges des vivants; et c'est une espèce de béati-
tude que je veux me réserver pour l'autre monde.
;t. Mais êtes-vous bien sûr que ces louanges iront à leur adresse?
Êtes-vous également assuré de l'exactitude de vos héritiers?
L'AUTEUR.Mais je n'ai aucune raison de croire qu'ils pourraient négliger
un devoir en faveur duquel je les dispenserais de bien d'autres.
L'AMt.Auront-ils, pourront-ils avoir pour votre production cet amour
de père, cette attention d'auteur, sans lesquels un ouvrage se présente tou-
jours au public avec un certain air gauche?
L'AUTEUR.Mon manuscrit sera corrigé, mis an net, armé de toutes pièces;
il n'yaura plus qu'à imprimer.
L'AMt. Et le chapitre des événements? Hélas! de pareilles circonstances
ont occasionné la perte de bien des ouvrages précieux, et entre autres de celui
du fameux Lecat, sur l'état de l'âme pendant le sommeil, travail de toute
sa vie. rL'AUTEUR.Ce fut sans doute une grande perte, et je suis bien loin d as-
pirer à de pareils regrets.
~Mt. Croyezque des héritiers ont bien assezd'affaires pour compter avec
l'église, avec la justice, avec la faculté, avec eux-mêmes, et qu'il leur man-
quera, Sinon là volonté, du moins le temps dé se livrer aux divers soins qui
précèdent, accompagnent et suivent la publication d'un livre, quetquëpeuvo-
lumineux qu'il soit
DIALOGUE. xm
4
L'AUTEUR. Mais le titre! mais te sujet! mais les mauvais plaisants!
L'AMt. Le seul mot ~~fonomïe (ait dresser toujours les oreilles; le sujetest à la mode, et les mauvais plaisants sont aussi gourmands que les autres.
Ainsi voilà de quoi vous tranquilliser d'ailleurs, pouvez-vous ignorer queles graves personnages ont quelquefois fait des ouvrages légers? Le prési-
dent de Montesquieu, par exemple (i).
L'ACTECR,'cément. C'est ma foi vrai il a fait le Templede GttM~e.et
on pourrait soutenir qu'il y a plus de véritable utilité à méditer sur ce quiest à la fois le besoin, le plaisir et l'occupation de tous les jours, qu'à nous
apprendre ce que faisaient ou disaient, il y a plus de deux mille ans, une
paire de morveux dont l'un poursuivait, dans les bosquets de la Grèce, l'au-
tre qui n'avait guère envie de s'enfuir.
L'AMt. Vous vous rendez donc enfin ?9
L'AUTEUR. Moi! pas du tout; c'est seulement le bout d'oreille d'auteur
qui a paru, et ceci rappelle à ma mémoire une scène de la haute comédie
anglaise, qui m'a fort amusé; elle se trouve, je crois, dans la pièce intitulée
(te natural Daughter (la Fille naturelle). Tu vas en juger (2).Il s'agit de quakers, et tu sais que ceux qui sont attachés à cette sectetu-
toient tout le monde, sont vètus simplement, ne vont point à la guerre, nefont jamais de serment, agissent avec flegme, et surtout ne doivent jamaisse mettre en colère.
Or, le héros de la pièce est un jeune et beau quaker, qui parait sur lascène avec un habit brun, un grand chapeau rabattu et des cheveuxplatsce qui ne l'empêche pas d'être amoureux.
Un fat, qui se trouve son rival, enhardi par cet extérieur et par les dis-
positions qu'il lui suppose, le raille, le persiffle et l'outrage; de manière quele jeune homme, s'échaunant peu à peu, devient furieux, et rosse de mainde maitre l'impertinent qui le provoque.
L'exécution faite, il reprend subitement son premier maintien, se recueille,et dit d'un ton affligé « Hélas! je crois que la chair l'a emporté sur l'es-prit. »
(1) M.de Montucla,connupar une très bonneHistoiredes~Mma~ttM, avaitfait un DtcKotMMtrede géographiegourmande; il m'en a montré des fragmentspendantmon séjour à VersaiUes.Onassure que M.Berryat-Saint-Prix,qui pro-fesse avec distinction la science de la procédure, a fait un roman en plusieursvolumes.
(a) Le lecteur a dû s'apercevoirque mon ami se laissetutoyer sans réciprocité.C'est que mon âge est au sien comme d'un père à son f)ts, et que, quoiquede-venu un homme considérableà tous égards, il serait désolé si je changeaisdenombre.
XIV DIALOGUE.
J'agis de même, et après un mouvement bien pardonnable, je reviens à
monpremier avis. f
L'Atn. Cela n'est pluspossible Nous avez, de votre aveu, montré le
bout de l'oreille; il y adela prise, et je vous mènechez le libraire. Je vous
dirai même qu'il en est plus d'un qui ont éventé votre secret.
L'ACTE. Ne t'y hasarde pas, car je parlerai de toi; et qui sait ce que
j'ep d~rai?
L'AMt.–Que pourrez-vous en dire? Ne croyez pas m'intimider.
L'ACTECR. Je ne dirai pas que notre commune patrie (1) se glorifie de
t'avoir donnela naissance; qu'à vingt-quatre ans tu avais .déjàfait paraîtreun ouvrage élémentaire, qui depuis lors est demeure classique; qu'une ré-
putation méritée t'attire la confiance; que ton extérieur rassure les ma-
lades~ que ta dextérité les étonne; que ta sensibilité les console tout le
monde sait cela. Maisje révélerai à tout Paris (me redresMKt), a toute la
France (me rengorgeant), à l'univers entier, le seul défaut que je te con-
naisse.
L'Am,d'un ton ~MtMC. Et lequel, s'il vous plaît?
L'ACTEm. Un défaut habituel dont toutes mes exhortations n'ont pu te
corriger.
L'AMI,effrayé. Dites donc enfin; .c'est trop me tenir a la torture.
L'ACTEUR. Tu manges trop vite (2).
(Ici, l'ami prend son chapeau,et sort en souriant, se doutant bien qu'il a précMun converti).
(4) Bettey,capitaledu Bugey, pays charmant où l'on trouve de hautes monta-
gnes, des collines,des fleuves,des ruisseauxlimpides, des cascades,des abîmes,vrai jardin anglais de cent lieues carrées, et où, avant ta révolution,le tiers-état
avait, parta constitutiondu pays, le t'eto sur les deux autres ordres.
(9) Historique.
BIO&RAPHÎÈ.
~A.; .~Nt~t~J~L~s~t'docteur que j'ai introduit dans le dfatoguë
qui précède n'est point un être fantastique
~< comme les Chlôrisd'autrefois; mais un docteur
~M~E! bel et bien vivant; et tousceuxquime connaissent au-
ront bientôt deviné le docteur RtCHEBAUD.
En m'occupant de lui, j'ai remonté jusqu'à ceux qui t'ont
~3~ précède, et je me suisaperçu avec orgueil que t'arrohdissë-
ment de Belley, au département de t'Ain, ma patrie, était
depuis longtemps en possession de donner à la capitale du
monde des médecins de haute distinction et je n'ai pas résisté
à la tentation de leur élever un modeste monument dans une courte notice.
Dans tes jours de la Régence, les docteurs GENINet CtvocTfurent des pra-
ticiens de première classe, et nrent reuuer dans leur patrie une fortune
honorablement acquise. Le premier était tout-a-iait &<p~ocf<!KgMe,et pro-
cédait en forme te second; qui soignait beaucoup dé bettes dames, était
plus douxi plus accommodant Res novas Mo!teK<em,eût dit Tacite.
Vers i780; le docteur LACitApELu:se distingua dans la carrière péritteusëde la médecine militaire. On a de lui quelques bons ouvrages, et on tùi doit
l'importation du traitement des fluxions de poitrine par le beurre frais, mé-
thode qui guérit comme par enchantement, quand on s'en sert dans les
premières trente-six heures de l'invasion.
Vers 1760, le docteur Dcaotsobtenait les plus grands succès dans te traite-
ment des vapeurs, maladie pour lors à la mode, et tout aussi fréquente queles maux de nerfs qui l'ont remplacée. La vogue qu'il obtint était d'autant
plus remarquable, qu'il était loin d'être beau garçon.
Malheureusement il arriva trop tôt à une fortune indépendante, se laissa
BIOGRAPHIE.XVt
couler dans les bras de la paresse, et se contenta d'être conviveaimable et
conteurtout-à-fait amusant. Il était d'une constitution robuste, et a vécu
plus de quatre-vingt-huit ans; malgré les diners ou plutôt grâce aux dîners
de l'ancien et du nouveau régime (<).Sur la fin du règne de Louis XV,le docteur CosTE,natif de Chàtillon, vint
à Paris; il était porteur d'une lettre de Voltaire pour M. le duc de Choiseul,dont il eut le bonheur de gagner la bienveillance dès les premières visites.
Protégé par ce seigneur et par la duchesse de Grammont sa soeur,le jeuneCoste perça vite, et, après peu d'années, Paris commença à le compter parmiles médecins de grande espérance.
La même protection qui l'avait produit l'arracha à cette carrière tranquilleet fructueuse, pour le mettre à la tète du service de santé de l'armée que la
France envoyait en Amérique au secours des États-Unis, qui combattaient
pour leur indépendance.
Après avoir rempli sa mission, le docteur Coste revint en France, passa à
peu près inaperçu le mauvais temps de 1793, et fut élu maire à Versailles,où l'on se souvient encore de son administration à la fois active, douce et
paternelle.
Bientôt le Directoire le rappela à l'administration de lamédecine militaire,
Bonaparte le nomma l'un des trois inspecteurs généraux du servicede la mé-
decine des armées; et le docteur y fut constamment l'ami, le protecteur et
le père des jeunes gens qui se destinaient à cette carrière. EnBnil fut nommé
médecin de l'hôtel royal des Invalides, et en a rempli les fonctions jusqu'àsa mort.
D'aussi longs services ne pouvaient rester sans récompense sous le
gouvernement des Bourbons, et Louis XV1116tun acte de toute justice en ac-
cordant à M. Costele cordon de Saint-Michel.
Le docteur Coste est mort il y a quelques années, en laissant une mémoire
vénérée, une fortune tout-à-fait philosophique, et uneiiile unique, épouse de
M. de Lalot, qui s'est distingué à la chambre des députés par une éloquence
vive et profonde, et qui ne'l'a pas empêché de sombrer sous voiles.
Un jour que nous avions diné chez M. Favre, le curé de Saint-Laurent,
notre compatriote, le docteur Costemeraconta la vive querelle qu'il avait eue,ce jour même, avec le comte de Cessac, alors le ministre directeur de l'ad-
(1) Je souriais en écrivant cet article il rappelait à mon souvenir un grand
seigneur académicien, dont Fontenelle était chargé de faire l'éloge. Le défunt ne
savait autre chose que bien jouer à tous les jeux; et là-dessus, le secrétaire per-
pétuel eut le talent d'asseoir un panégyrique très bien tourné et de longueur,con-
venable. (Voyez au surplus la Méditation sur le plaisir, de la table, où le docteur
est en action.)
BIOGRAPHIE. XVH
e
ministration de la guerre, au sujet d'une économie que celui-ci voulait pro-
poser pour faire sa cour à Napoléon.
Cette économie consistait à retrancher aux soldats malades la moitié de
leur portion d'eau panée, et à faire laver la charpie qu'on ôtait de dessus les
plaies, pour la faire servir une seconde ou une troisième fois.
Le docteur s'était élevé avec violence contre des mesures qu'il qualifiaitd'abominables,et il était encore si plein de son sujet, qu'il se remit en colère,comme si l'objet de son courroux eût encore été présent.
Je n'ai jamais pu savoir si le comte avait été réellement converti et avait
laissé son économie en portefeuille; mais ce qu'il y a de certain, c'est queles soldats malades purent toujours boire à volonté, et qu'on continua à jeter
toute charpie qui avait servi.
Vers 1780, le docteur BouMER,né dans les environs d'Amberieux, vint
exercer la médecine à Paris. Sa pratique était douce, son système expectantet son diagnostic sûr.
Il fut nommé professeur en la Facultéde médecine; son style était simple,mais ses leçons étaient paternelles et fructueuses. Les honneurs vinrent lechercher quand il n'y pensait pas, et il fut nommé médecin de l'impératriceMarie-Louise. Mais il ne jouit pas longtemps de cette place l'Empire s'é-
croula, et le docteur lui-mèmefut emporté par suite d'un mal de jambe contre
lequel il avait lutté toute sa vie.
Ledocteur Bordier était d'une humeur tranquille, d'un caractère bienfai-sant et d'un commercesûr.
Vers la fin du dix-huitième siècleparut le docteur BtcnAT. Bichat, donttous les écrits portent l'empreinte du génie, qui usa sa vie dans des travauxfaits pour avancer la science, qui réunissait l'élan de l'enthousiasme à la pa-tience des esprits bornés, et qui, mort à trente ans, a mérité que des hon-neurs publics fussent décernés à sa mémoire.
Plus tard le docteur MptfTËGREporta dans la clinique un esprit philoso-phique. Il rédigea avec savoir la Gazette de santé, et mourut à quarante ans,dans nos Mes,où il était allé afin de compléter les traités qu'il projetait surla fièvrejaune et le vomito Ke~ro.
Dans le moment actuel, le docteur RtcnERAM)est placé sur les plus hautsdegrés de la médecine opératoire, et ses Éléments de physiologieont été tra-duits dans toutes leslangues. Nommé de bonne heure professeur en la facultéde Paris, il est investi de la plus auguste confiance. On n'a pas la paroleplus consolante, la main plus douce, ni l'acier plus rapide.
Le docteur RECAMIER(1), professeur en la même faculté, siége à côté de sonncompatriote.
(1) Filleul de l'auteur; c'est lui qui l'a soigné pendant sa dernière ét courtemaladie.
BIOGRAPHIE.xvm
Le présent ainsi assuré, l'avenir se prépare; et sous les ailes de ces puis-sants professeurs s'élèvent des jeunes gens du même pays, qui promettent desuivre d'aussi honorables exemples.
Déjà les docteurs JAMNet MAtuoTbrûlent le pavé de Paris. Le docteur
Manjot (rue du Bac, n* 39) s'adonne principalement aux maladies des en-
fants ses inspirations sont heureuses, il doit bientôt en faire part au public.
J'espère que tout lecteur bien né pardonnera cette digression à un vieil-
lard, à qui trente-cinq ans de séjour à Paris n'ont fait oublier ni son pays ni
ses compatriotes. 11m'en coûte déjà assez de passer sous silence tant de mé-
decins dont la mémoire subsiste vénérée dans le pays qui les vit naitre, et
qui, pour n'avoir pas eu l'avantage de briller sur le grand théâtre, n'ont eu
ni moins de science ni moins de mérite.
PRÉFACE.
Pour offrir au public l'ouvrage que je livre à sa bienveillance, je ne me
suis pas imposé un grand travail, je n'ai fait que mettre en ordre des maté-'
riaux rassemblés depuis longtemps c'est une occupation amusante, que j'a-
vais réservée pour ma vieillesse.
En considérant le plaisir de la table soustous sesrapports, j'ai vu de bonne
heure qu'il y avait là-dessus quelque chose de mieux à faire que des livres
de cuisine, et qu'il y avait, beaucoup à dire sur des fonctions si essentielles.
si continues, et qui influent d'une manière si directe sur la santé, sur le
bonheur, et même sur les affaires.
Cette idée'mëre une fois arrêtée, tout le reste a coulé de source j'ai re-
gardé autour de moi, j'ai pris des notes, et souvent, au milieu des festins les
plus somptueux, le plaisir d'observer m'a sauvé des ennuis du conviviat.Ce n'est pas que, pour remplir la tâche que je me suis proposée, il n'ait
fallu être physicien, chimiste, physiologue, et même un peu érudit. Mais,ces
études, je les avais faites sans la moindre prétention à être auteur j'étaispoussé par tme curiosité louable, par la crainte de rester en arrière de mon
PRKFACE.xx
siècle, et par le désir de pouvoir causer, sans désavantage, avec les savants,
avec qui j'ai toujours aimé à me trouver (t).
Je suis surtout médecin-amateur; c'est chez moi presque une manie, et je
compte parmi mes plus beaux jours celui où, entré par la porte des profes-
seurs et avec eux à la thèse de concours du docteur Cloquet,j'eus le plaisir
d'entendre un murmure de curiosité parcourir l'amphithéâtre, chaque élève
demandant à son voisin quel pouvait être le puissant professeur étranger quihonorait t'assemblée par sa présence.
Il est cependant un autre jour dont le souvenir m'est, je crois, aussi cher
c'est celui où je présentai au conseil d'administration de la société d'encou-
ragement pour l'industrie nationale, mon irrorateur, instrument de mon
invention, qui n'est autre chose que la fontaine de compression appropriée à
parfumer les appartements.
J'avais apporté dans ma poche ma machine bien chargée; je tournai le
robinet, et il s'en échappa, avec sifflement, une vapeur odorante qui, s'éle-
vant jusqu'au plafond, retombait en gouttelettes sur les personnes et sur les
papiers.C'est alors que je vis avecun plaisir inexprimable les tètes les plus savantes
de la capitale se courber sous mon irroration, et je me pâmais d'aise en re-
marquant que les plus mouillés étaient aussi les plus heureux.
En songeant quelquefoisaux graves élucubrations auxquelles la latitude de
mon sujet m'a entraîné, j'ai eu sincèrement la crainte d'avoir pu ennuyer;
car, moi aussi, j'ai quelquefois bâillé sur les ouvrages d'autrui.
J'ai fait tout ce qui a été en mon pouvoir pour échapper à ce reproche; je
n'ai fait qu'effleurer tous les sujets qui ont pu s'y prêter j'ai semé mon ou-
vrage d'anecdotes, dont quelques-unes me sont personnelles; j'ai laissé à
l'écart un grand nombre de faits extraordinaires et singuliers, qu'une saine
critique doit faire rejeter; j'ai réveillé l'attention en rendant claires et popu-
laires certaines connaissances que les savants semblaient s'être réservées.
Si, malgré tant d'efforts, je n'ai pas présenté à mes lecteurs de la science fa-
cile à digérer, je n'en dormirai pas moins sur les deux oreilles, bien certain
que la majorité m'absoudra sur l'intention.
On pourrait bien me reprocher encore que je laisse quelquefois trop courir
ma plume, et que, quandje conte, je tombeun peu dans la garrulité. Est-ce
ma faute à moi si je scis vieux? Est-ce ma faute si je suis commeUlysse, qui
avait vu les mœurs et les villesde beaucoupde peuples? Suis-je donc blâmable
(1)« Venezd!ner avec moijeudi prochain,medit un jour M.Greffuhle,je vous
ferai trouver avecdessavantsou avecdes gens de lettres, choisissez. Monchoix
est fait, répondis-je; nous dineronsdeux fois. » Ce qui eut effectivementlieu, et
le repas des gens de lettres était notablementplus délicat et plus soigne.( rot/Mla.MéditationJC.).
PRÉFACE. XX[
de faire un peu de ma biographe? Enfin il faut que te lecteur me tienne
compte de ce que je lui fais grâce de mes Mémoires politiques, qu'il fau-
drait bien qu'il lût comme tant d'autres, puisque, depuis trente-six ans, je
suis aux premières loges pour voir passer les hommes et les événements.
Surtout qu'on se garde bien de me ranger parmi les compilateurs si j'enavais été réduit là, ma plume se serait reposée, et je n'en aurais pas vécu
moins heureux.
J'ai dit, comme Juvénal
Semperego auditor tantum! nunquamnereponam!
et ceuxqui s'y connaissent verront facilement qu'également accoutume au
tumulte de la société et au silence du cabinet, j'ai bien fait de tirer partie de
l'une et de l'autre de cespositions.
Enfin, j'ai fait beaucoup pour ma satisfaction particulière; j'ai nommé
plusieurs de mes amis qui ne s'y attendaient guère, j'ai rappelé quelquessouvenirs aimables, j'en ai fixé d'autres qui allaient m'échapper; et, comme
on dit dans le style familier, j'ai pris mon café.Peut-être bien qu'un seul lecteur, dans la catégorie des allongés, s'é-
criera « J'avais bien besoin de savoir si. A quoi pense-t-il, en disant
que. etc., etc.? Mais je suis sûr que tous les autres lui imposeront si-
lence, et qu'une majorité imposante accueillera avec bonté ceseffusions d'unsentiment louable.
Il me reste quelque chose à dire sur mon style, car le styleest (OM~'Aomme,dit Buffon.
Et qu'on ne croie pas que je vienne demander une grâce qu'on n'accorde
jamais à ceux qui en ont besoin il ne s'agit que d'une simple explication.Je devrais écrire à merveille, car Voltaire, Jean-Jacques, Fénélon, Buffon,
et plus tard Cochin et d'Aguesseau, ont été mes auteurs favoris, je les saispar cœur.
Maispeut-être les dieux en ont-ils ordonné autrement et s'il est ainsi,voicila causede la volonté des dieux.
Je connais, plus ou moins bien. cinq langues vivantes, ce qui m'a fait unrépertoire immense de mots de toutes livrées.
Quand j'ai besoind'une expression, etque je ne la trouve pas dans la casefrançaise, je prends dans la case voisine, et de là, pour le lecteur, la néces-sité de me traduire ou de me deviner c'est son destin.
Je pourrais bien faire autrement, mais j'en suis empêché par un esprit desystèmeauquel je tiens d'une manière invincible.
Je suis intimement persuadé que la langue française, dont je me sers, estcomparativement pauvre. Que faire en cet état? Emprunter ou voler.
XXtI PRÉFACE.
te fais l'un et l'autre, parce que ces emprunts ne sont pas sujets à resti-
tution, et que le vol de mots n'est pas puni par le Code pénal.On aura une idée de mon audace, quand on saura que j'appelle volante
(de l'espagnol) tout homme que j'envoie faire une commission, et que j'étais
déterminé à franciser le verbe anglais to sip, qui.signifie boire à petites re-
prises, si je n'avais exhume le mot français M~oter,auquel on donnait à
peu près la même signification.
Je m'attends bien que les sévères vont crier à Bossuet, à Fénélon, à Ra-
cine, à Boileau, à Pascal, et autres du siècle de Louis XIV il me semble les
entendre faire un vacarme épouvantable.
A quoi je réponds posément que je suis loin de disconvenir du mérite de
ces auteurs, tant nommés que sous-entendus; mais que suit-il de là?. Rien,
si ce n'est qu'ayant bien fait avec un instrument ingrat, ils auraient incom-
parablement mieux fait avec un instrument supérieur. C'est ainsi qu'on doit
croire que Tartini aurait encore bien mieux joué du violon, si son archet
avait été aussi long que celui de Baillot.
Je suis donc du parti des néologues,et même des fOMMtntt~Mesces derniers
découvrent les trésors cachés; lesautres sont commeles navigateurs qui vont
chercher au loin les provisions dont on a besoin.
Les peuples du Nord, et surtout les Anglais, ont sur nous, à cet égard, un
immense avantage le génie n'y est jamais gêné par l'expression il crée ou
emprunte, Aussi, dans tous les sujets qui admettent la profondeur et l'éner-
gie, nos traducteurs ne font-ils que des copies pàles et décolorées (i).
J'ai autrefois entendu, à l'Institut, un discours fort gracieux sur le danger
du néologisme et sur la nécessité de s'en tenir à notre langue telle qu'elle a
été fixée par les auteurs du bon siècle.
Comme chimiste, je passai cette œuvre à la cornue il n'en resta que ceci
Nous avonssi bienfait qtt't7M'ya pas moyen de mieux faire, ni de faire au-
trement.
Or, j'ai vécuassez pour savoir que chaque génération en dit autant, et que
la génération suivante ne manque jamais de s'en moquer.
D'ailleurs, comment les mots ne changeraient-ils pas, quand les mœurs et
les idées éprouvent des modificationscontinuelles? Si nous faisonsles mêmes
choses que les anciens, nous ne les faisons pas de la même manière, et il est
des pages entières, dans quelques livres français, qu'on ne pourrait traduire
ni en latin ni en grec.
Toutes les langues ont eu leur naissance, leur apogée et leur déclin et
(1)L'excellentetraductionde lordByron,par M. BenjaminLaroche,fait excep-tion à cette règle, mais ne'la détruit pas. C'est un tour de forcequi ne sera pasrecommencé.
PRÉFACE xxm
aucune de celles qui ont brillé depuis Sésostris jusqu'à Philippe-Auguste,
n'existe plus que dans les monuments. La langue française aura le même
sort, et en l'an 2825 on ne me lira qu'à l'aide d'un dictionnaire, si toutefois
on me lit.
J'ai eu à ce sujet une discussion à coups de canon avec l'aimable M. An-
drieux, de l'Académie française.
Je me présentai en bon ordre, je l'attaquai vigoureusement; et je l'aurais
pris, s'il n'avait fait une prompte retraite, à laquelle je ne mis pas trop d'obs-
tacle, m'étant souvenu, heureusement pour lui, qu'il était chargé d'une lettre
dans le nouveau lexique.
Je finis par une observation importante;. aussi l'ai-je gardée pour la der-
nière.
Quand j'écris et parle de mot au singulier, cela suppose une confabulation
avec le lecteur; il peut examiner, discuter, douter et même rire. Mais quand
je m'arme du redoutable nous, je professe il faut se soumettre.
1 am, Sir, oracle,
And, when 1 open my lips, let no dog bark.
(SHAKSpEAM,Merchant of FetMce,act. t, se. 1.)
i
N~e ~ne.
Les sens sont les organes par !esque]s l'homme se met enrapport avec les objets extérieurs.
K<MMhredew 8etj~
i
A~~j~~doit en comptera~ moins six sLa vue, qui embrasse l'espace et nous instruit,
parle moyen de la lumière, de l'existence et des
couleurs des corps qui nous environnent;
~TL'ouïe qui reçoit, pa~-t'tntermédtaire de l'air,1 ébranlement causé par les, corps bruyants sonore~.
L'odorat, au moyen duquel nous na,rons les od~'des corpsqui en sont doués;f
escuien~ par lequel nous W~'ons tout ce qui est sapide ouesculent
Le_~dont t-objet est la consistance et là surface des corps;EnSn le ~<~ ouqui sexes l'unvers l'autre, et dont le but est la reproduction de l'espèce.
aitételX"~ que, P~que jusqu'à BuQ-on,un sens si impo.tantaitété méoe soit resté confondu ouplutét ~nbexét~u touciie~.
a.éte~
MÉDITATION 1.
Cependantla sensationdont il est le siége n'a rien de commun
aveccelledu tact; il résidedans un appareil aussi completque la
bouche ou les yeux; et ce qu'il y a de singulier,c'est quechaquesexe ayant tout ce qu'il fautpour éprouvercette sensation, il est
néanmoinsnécessaireque lesdeux se réunissentpour atteindreau
but que la nature s'est proposé. Et si le yotK,qui a pour but la
conservationde l'individu, est incontestablementun sens, à plusforte raison doit-on accorderce titre aux organes destinés à la
conservationde l'espèce.Donnonsdoncaugénésiquelaplacesensuellequ'onnepeut lui refu-
ser, etreposons-noussur nosneveuxdusoindeluiassignersonrang.
Mtse en <M!«<tm des Sens.
2.–S'i! est per-mis de se porter,
par l'imagination,
jusqu'aux premiers
moments de l'exis-
tence du genre hu-
main, il est aussi
permis de croire
que les premièressensations ont été
purement directes,
c'est-à-dire qu'on a
vu sans précisionouï confusément, 9
flairé sans choix,
mangé sans savou-
rer, et joui avec brutalité.
Mais toutes ces sensations ayant pour centre commun t'ame,
attribut spécial de l'espèce humaine, et cause toujours active de
pertectibuité, elles y ont été réuéchies, comparées, jugées; et
bientôt tous les sens ont été amenés au secours les uns des autres,
DES SENS. <
pour l'utilité et le bien-être du mot M<Mt<t/~ou, ce qui est la même
chose, de l'MM?MM.
Ainsi, le toucher a rectifié les erreurs de la vue; le son, au
moyen de la parole articulée, est devenu l'interprète de tous les
sentiments; le goût s'est aidé de la vue et de l'odorat; l'ouïe a
comparé les sons, apprécié Its distances; et le génasique a envahi
les organes de tous les autres sens.
Le torrent des siècles, en roulant sur l'espèce humaine, a sans
cesse amené de nouveaux perfectionnements, dont la cause,
toujours active, quoique presque inaperçue, se trouve dans les ré-
clamations de nos sens, qui, toujours et tour à tour, demandent à
être agréablement occupés.
Ainsi, la vue a donné naissance à la peinture, à la sculpture et
aux spectacles de toute espèceLe son, à la mélodie, à l'harmonie, à la danse et à la musique,
avec toutes ses branches et ses moyens d'exécution
L'odorat, à la recherche, à la culture et à l'emploi des parfums;Le goût, à la production, au choix et à la préparation de tout
ce qui peut servir d'aliment;
Le toucher, à tous les arts, à toutes les adresses, à toutes les
industries;
Le génésique, à tout ce qui peut préparer ou embellir la réuniondes sexes, et, depuis François 1~, à l'amour romanesque, à la
coquetterie et à la mode; à la coquetterie surtout, qui est née en
France, qui n'a de nom qu'en français, et dont l'élite des nationsvient chaque jour prendre des leçons dans la capitale de l'univers.
Cette proposition, tout étrange qu'elle paraisse, est cependantfacile à prouver; car on ne pourrait s'exprimer avec clarté, dansaucune langue ancienne, sur ces trois grands mobiles de la so-ciété actuelle.
J'avais fait sur ce sujet un dialogue qui n'aurait pas été sansattraits mais je l'ai supprimé, pour laisser à mes lecteurs le plai-sir de le faire chacun à sa manière il y a de quoi déployer del'esprit, et même de l'érudition, pendant toute une soirée.
Nous avons dit plus haut que le génésique avait envahi les or-
MÉDITATION I.4
gahesde touslès autressens il n'a pas inuuéavec moinsde puis-sance sur toutesles sciences;et eny regardantd'un peu plus près,on verra que tout ce qu'elles ont de plus délicat et de plus ingé-nieux est dû au désir, à l'espoir ou à la reconnaissance,qui se
rapportent à la réuniondes sexes.
Telle est donc, en bonne réalité, la généalogiedes sciences,même les plus abstraites, qu'ellesne sont quele résultat immédiat
des eSortscontinusque nousavons faits pour gratifiernos sens.
<*erfBett<MMMNmem< des Sems
5.
Es sens, nos favoris, sont cependant loin d'être par-
faits, et je ne m'arrêterai pas à le prouver. J'obser-
verai seulement que la vue, ce sens si éthéré, et le
toucher, qui est à l'autre bout de l'échelle, ont ac-
quis avec le temps une puissance additionneiïe
très remarquable.
Par le moyen des besicles, l'oeil échappe, pour ainsi dire, à
l'affaiblissement sénile qui opprime la plupart des autres organes.
Le télescopea découvert des astres jusqu'alors inconnus et inac-
cessibles à tous nos moyens de mensuration; il s'est enfoncé à des
distances telles que des corps lumineux et nécessairement immen-
ses ne se présentent à nous que comme des taches nébuleuses et
presque imperceptibles.
Le microscopenous a initiés dans la connaissance de la configu-
ration intérieure des corps; il nous a montré une végétation et des
plantes dont nous ne soupçonnions pas même l'existence. Enfin,
nous avons vu des animaux cent mille fois au-dessous du plus petit
qu'on aperçoit à l'œil nu; ces animalcules se meuvent cependant,
se nourrissent et se reproduisent ce qui suppose des organes
d'une ténuité à laquelle l'imagination ne peut pas atteindre.
D'un autre côté, la mécanique a multiplié les forces l'homme
DÈSâËM. B
a exécuté tout ce qu'il a pu concevoir, et a remué dog <ax~ëtnix
que la nature avait créés inaccessibles à sa faiblesse.
A t'aide des armes et du levier, l'homme a subjugué toute là
nature il l'a soumise à ses plaisirs, à ses besoins, à ses caprices
il en a bouleversé la surface, et un faible bipède est devenu te roi
de la créa~on.
La vue et le toucher, ainsi agrandis dans leur puissance, pour-
raient appartenir à une espèce bien supérieure à l'homme; ou
plutôt l'espèce humaine serait toute autre, si tous les sens avaient
été ainsi améliorés.
Il faut remarquer cependant que, si le toucher a acquis un grand
développement comme puissance musculaire, la civilisation n'a
presque rien fait pour lui comme organe sensitif; mais il ne faut
désespérer de rien, et se ressouvenir que l'espèce humaine est en-
core bien jeune, et que ce n'est qu'après une longue série de siècles
que les sens peuvent agrandir leur domaine.
Par exemple, ce n'est que depuis environ quatre siècles qu'ona découvert l'harmonie, science toute céleste, et qui est au son ce
que la peinture ,est aux couleurs (1).
Sans doute les anciens savaient chanter accompagnés d'instru-
ments à l'unisson; mais ià se bornaient leurs connaissances; its
ne savaient ni décomposer les sOnsni en apprécier les rapports.
Ce n'est que depuis le quinzième siècle qu'on a fixé la tonalisa-
tion, réglé la marche des accords, et qu'on s'en est aidé pour sou-
tenir la voix et renforcer l'expression des sentiments.
Cette découverte, si tardive et cependant si naturelle, a dédou-blé l'ouïe, elle y a montré deux iacùltés en quelque sorte indépen-
(1) Nous savons qu'on a soutenu le contraire; mais ce système est sans appui.Si lès anciens avaient connu l'harmonie, leurs écrits auraient conservé quelques
notions précises à cet égard, au lieu qu'on ne se prévaut que de quelques phrasesobscures, qui se prêtent à toutes les inductions.
D'ailleurs, on ne peut suivre la naissance et les propres de l'harmonie dans lesmonuments qui nous restent; c'est une obligation que nous avons aux Arabes, quinous nrent présent de
l'orgue, qui, faisant entendre à la fois plusieurs sons conti-nus, fit naltré la première idée de l'harmome.
MÉDITATION I.6
daptes.dontrunerecoitles sons et l'autre en apprécietarésonnance.
Les docteurs allemands disent que ceux qui sont sensibles à
l'harmonie ont un sens de plus que tes autres.
Quant à ceux poup; qui la musique n'est qu'un amas de sons
confus, il est bon de remarquer que presque tous chantent'faux; et
il faut croire, ou que chez eux l'appareil auditif est fait de manière
à ne recevoir que des vibrations courtes et sans ondulations, ou
plutôt que les deux oreilles n'étant pas au même diapason, la dif-
férence en longueur et en sensibilité de leurs parties constituantes
fait qu'elles ne transmettent au cerveau qu'une sensation obscure
et indéterminée, comme deux instruments qui ne joueraient ni dans
le même ton ni dans la même mesure, et ne feraient entendre au-
cune mélodie suivie.
Les derniers siècles qui se sont écoulés ont aussi donné à ta
sphère du goût d'importantes extensions la. découverte du sucre
et de ses diverses préparations, les liqueurs alcooliques, les gla-
ces, la vanille, le thé, le café, nous ont transmis des saveurs
d'une nature jusqu'alors inconnue.
Qui sait si le toucher n'aura pas son tour, et si quelque hasard
heureux ne nous ouvrira pas, de ce côté là, quelque source de
jouissances nouvelles? ce qui est d'autant plus probable quela sensibilité tactile existe par tout le corps, etconséquemment peut
partout être excitée.
PwtttMMtnee dm Cmmt
4. On a vu que l'amour physique a envahi toutes les scien-
ces il agit en cela avec cette tyrannie qui le caractérise toujours.
Le goût, cette faculté plus prudente, plus mesurée, quoique non
moins active; le goût, disons-nous, est parvenu au même but avec
une lenteur qui assure la durée de ses succès.
Nous nous occuperons ailleurs à en considérer la marche; mais
déjà nous pourrons remarquer que celui qui a assisté à un repas
somptueux, dans une salle ornée de glaces, de peintures, de sculp-
DES SENS. 7
5. Jetons maintenant un coup d'oeil général sur le systèmede nos sens pris dans leur ensemble, et nous verrons que l'auteur
de la création a eu deux buts, dont l'un est laConséquence de l'au-
tre, savoir la conservation de l'individu et la durée de l'espèce.Telle est la destinée de l'homme, considéré comme être sensitif:
c'est à cette double fin que se rapportent toutes ses actions.
L'œil aperçoives objets extérieurs, révèle lesmerveiHes dontl'homme est environné, et luiapprend qu'il faitpartie d'un grand tout.
L'ouïe perçoit les sons, non-seulementcomme sensation agréable,mats encore comme avertissement du mouvement des corps quipeuvent occasionner quelque danger.
Lasensibilité veille pour donner, parle moypn de la douleur,avis de toute lésion immédiate.
La main, ce serviteur fidèle, a non-seulement préparé sa retraite.assuré
ses pas, mai~encore saisi, dé.pré~rence, les objets que
i.jt 'ures,de0eurs,em-
t.) f~bauméede parfums,'i'L! )'~M~~
femmes, remplie des
sons d'une -douce
harmonie; celui-là,
disons':nous, n'aura
pasbesoin d'un
grand effort d'es-
prit pour se con-
¿vaincre que toutes
les sciences ont été
mises à contr ibution
pour rehausser et
encadrer convena-
blement les Jouis-
sanees du,goût.
But de r~ettwm des Sems.
MÉDtTATtjON RFS SENS.<
l'instinctlui faitcroirepropres à réparer les pertescauséespar l'en-
tretteodelavie.
Ï/odorat les explore car les substancesdélétèressont presque
toujoursde mauvaise odeur.
Âlor~le goûtse décide,les dentssontmisesen action,ta langue
s'unit au palais pour savourer, et bientôt l'estomac commencera
l'assimilation.
Dans cet état, une langueur inconnue se fait senti' les oJbjets
se décolorent, le corpsplie, les yeux se ferment tout disparaît,et
les sens sont dans un repos absolu.
A son réveil, 1'hommevoitque rien n'a changéautour dé lui
cependantun feusecret fermentedans son sein, un organe nou-
veau s'estdéveloppé;ilsentqu'il a besoindepartagersonexistence.Ce sentimentactif, inquiet, impérieux, est commun aux deux
sexes il les rapproche, ie$un<t,et quandle germed'upeexistence
nouvelleest fécondé, 1)B$ihdivtdus peuvent dormir en paix ils
viennentde remplir le p!<~jsatt)tde leurs devoirs en assurant la
durée de l'espèce (1).Telssont les aperçusgénérauxet philosophiquesquej'ai crude-
voir offrir à mes lecteurs, pour les amener naturellementà l'exa-
men plus spécialde l'organe du goût.
(1) M. de Buffon a peint, avec tous les charmes de la plus brillante éloquence,
tes premiers moments de l'existence d'Eve. Appelé à traiter un sujet presque sem-
blable, nous n'avons prétendu donner qu'un dessin au simple trait les lecteurs
sauront bien y ajouter le coloris.
2
HeMmMStM* dM <<~<.
6.
E goût est celui de nos sens qm nous met
en relation avec les corps sapides, au
moyen de la sensation qu'ils exercent dans
t'organe destiné à les apprécier.
Le goût, qui a pour excitateurs t'appétit,
la faim et la soif, est la base de plusieurs
opérations dont le résultat est que l'individu croit se déve-
loppe, se conserve et répare les pertes causées par les évapora-
tions vitales.
Les corps organisés ne se nourrissent pas tous de la même ma-
nière l'auteur de la création, également varié dans ses méthodes
et sûr dans ses effets, leur a assigné divers modes de conservation.
Les végétaux, qui se trouvent au bas de l'échelle des êtres vi-
vants, se nourrissent par des racines qui, implantées dans le sol
natal, choisissent, par le jeu d'une mécanique particulière, les di-
verses substances qui ont la propriété de servir à leur croissance
et a leur entretien.
MÉDtTATiQN Il.
En remontant un peuplus haut, on rencontre les corps doués de
ta v!eanimale, ïaa~r'vés dé lopomotion ils naissent dans un mi-
lied qtti~o~ieurexts~ce, et des organes spéciaux en extraient
tout ce qui est nécessaire pour soutenir la portion de vie et de durée
quitëur a été accordée; ils ne cherchent pas leur nourriture, la
nour~ture vient les chercher.
~p autre mode a été fixé pour la conservation des animaux qui
parcourent l'univers, et dont l'homme est sans contredit lé plus
partit. Un instinct particulier l'avertit qu'il a besoin de se repaître;
IL cherche,il saisit les objets dans lesquels il soupçonne la propriété
d'~pansêr ses besoins; ilmange, se restaure, et parcourt ainsi, dans
ta vie, la carrière qui lui est assignée.
Le goût peut se considérer sous trois rapports
Dans l'homme physique, c'est l'appareil au moyen duquel il1
apprécie les saveurs
Considéré dans l'homme moral, c'est la sensation qu'excite, au
centre commun l'organe impressionné par un corps savoureux
enfin, considéré dans sa cause matérielle, le goût est la propriété
qu'aun co< psd'impressionner l'organe etde faire naître la sensation.
Le goût paraît avoir dpu~ usages principauxi" Il nous invite, par le plaisir, à réparer les pertes continuelles
que nous faisons par l'action de lavie
2~11 nousaide à choisir, parmi les diverses substances que la
nature nous présente, celles qui nous sont propres à nous servir
d'aliments.
Dans ce choix, le goût est puissamment aidé par l'odorat, comme
nous le verrons plus tard; car on peut établir, comme maxime
générale, que les substances nutritives ne sont repoussantes ni au
goût ni à l'odorat.
M~MW'qWB ~f SP~t
7. –11 n'est pas facilede déterminer précisément en quoi con-
sisté ~'organe du goût. it est plus compliqué qu'il ne paraît.
Certes, la langue joue un grand rôle dans le mécanisme de la dé-
DO GOUT. M
gustation car, considéréecommedouée d'une force moscataire
assez franche,elle sert à gâcher retourner, pressurer et avaleriez
aliments.
Peptus, au moyendes papillesplusou moinsnombreusesdont
elle est parsemée, elle s'imprègne des particules sapides et sotu"
bles des corps aveclesquels elle se trouve en contact; mais tout
cela nesuffit pas, et plusieursautresparties adjacentesConcourent
à compléterta sensation, savoir. les joues, le palais et surtout la
fossenasale,surlaquellelesphysiologistesn'ont peut-êtrepasassez
msisté.
Lesjoues fournissentla salive,égalementnécessaireà la masti-
cationet à la formationdu bolalimentaire euessont, ainsi que lé
palais; douées d'une portionde iacultésappréciatives; je fié sais
pas mêmesi, dans certains cas, les gencivesn'y participentpasun peu et sans l'odorationqui s'opère dans l'arrière-bouche, là
sensationdu goût seraitobtuseet tout à faitimparfaite.Lespersonnesquin'ont pas delangue,ou à qui ellea étécoupée,
ont encore assez bien la sensation du goût. Le premier cas se
trouvedans tousles livres le secondm'a été assez bien expliqué
par un pauvrediabteauquetles AJgénensavaientcoupéla langue
pour lepunir de cequ'avecquelques-nusde seacamaradesde captivité, Havait<brméle pfojetde se sauveret de s'enfuir.
Cetbornée, ~ueje rehcontfai A'nsterdam,putl gagnait sa vie
à faire des efMMo~aiptis,avaiteu quelqueeducatipt))etpt) pouvaitfacilements'entreteniravec lui par écrit.
Aprèsavoir observéqu'on lui avait enlevétoute la partie anté-
fieurede la languejusqu'au filet, je lui demandai s'il trouvait en-core quelque saveur à ce.qu'il mangeait, et si la sensation du
goûtavait survécuà l'opérationcruelle qu'il avait subie.Il me réponditque ce qui le fatiguaitle plus était d'avaler ( ce
qu'il ne faisaitqu'avec quelque dimculté) qu'il avait assez bienconservéle goût qu'il appréciait commeles autresce qui était un
peu sapide maisque les choses fortementacides ou amèresluicausaientd'intolérablesdoulèurs.
Il m'apprit encoreque l'abscisionde 1~langue étaitcommune
1~ MÉDITATION H.
danstes royaumesd'Afrique;qu'on l'appliquaitspécialementàceux
qu'oncroyaitavoir été chefsdequelquecomplot,et qu'on avaitdes
instrumentsquiy étaientappropriés. J'aurais vouluqu'il m'en f!t
la description mais il me montra, à cet égard une répugnancetellementdouloureuse,queje n'insistaipas.
Je réfléchissur ce qu'il me disait, et, remontant aux siècles d'i
gnorance, où l'on perçait et coupaitla languedes blasphémateurs,
et à l'époque où ces lois avaient été faites,je mecrus en droit de
conclurequ'elles étaient d'origine africaine,et importéspar le re-
tour des croisés.
Ona vu plushaut que la sensationdu goût résidait principale-ment dans les papillesde la langue. Or, l'anatomie nous apprend
que toutes les languesn'en sont pas égalementmunies de sorte
qu'il en est telle où l'on en trouve trois ibis plus que dans telle
autre. Cettecirconstanceexpliquepourquoi,de deuxconvivesassis
au même banquet, l'un est délicieusement aSecté, tandis que l'au-
tre a l'air de ne manger que comme contraint: c'est que ce der-
nier a la langue faiblement outillée, et que rempire de la saveur a
aussi ses aveugles et ses sourds.
8enaat<<m da Ctomt.
8. On a ouvert cinq ou six avis sur la manière dont s'opère
la sensation du goût; j'ai aussi le mien, et le voici
BOBOUT. M
La sensationdu goûtest une opération chimiquequi se ~it par
voiehumide, commenous disions autrefois,c'est-à-direqu'il faut
que les molécules sapides soient dissoutes dans un fluidequel-
conque,pour pouvoirensuiteêtres absorbées par les houppesner-
veuses,papillesou suçoirs,qui tapissent l'intérieur de l'appareil
dégustateur.
Cesystème,neuf ou non, est appuyé de preuves physiqueset
presquepalpables.
L'eaupure ne causepointla sensationdu goût, parcequ'eue ne
contient aucuneparticulesapide. Dissolvez-yun grainde set, quel-
ques gouttesde vinaigre,la sensationaura lieu.
Les autres boissons, au contraire, nous impressionnent parce
qu'ellesne sont autre choseque des solutionsplus ou moinschar-
géesde particulesappréciables.
Vainementlàboucheseremplirait-ellede particulesdiviséesd'un
corps insoluble,la langueéprouverait la sensation du toucher, et
nullementcelledu goût.
Quantaux corps solideset savoureux il fautque les dents les
divisent, quela saliveet les autres fluidesgustuelsles imbibent, et
quela langueles presse contre le palais pour en exprimer un suc
qui, pour lors suffisammentchargéde sapidité, est appréciéparles paptilesdégustatrices qui délivrent au corps ainsi trituré le
passe-portqui lui est nécessairepour être admisdans l'estomac.
Ce système, qui recevra encore d'autres développements, ré-
pondsanseffortauxprincipalesquestionsquipeuventseprésenter.Car, si on demandece qu'on entend par corps sapides, on ré-
pondque c'est tout corpssolubleet propre à être absorbépar l'or-
ganedu goût.
Et si on demandecommentle corpssapideagit, on répondqu'ilagit toutesles foisqu'il se trouve dansun état de dissolutiontelqu'ilpuisse pénétrer dans les cavités chargéesde recevoir et detransmettrela sensation.
En un mot, rien de sapide que ce qui est déjà dissousou pro-chainementsoluble.
MÉOtTATÏONH.14
tttew tMtvenftt.
9.
*t~ Ë nombre des saveurs est infini, car tout corps solu-
ble a une saveur spéciaie, qui ne ressemble entière-
ment aucune autre.
~~W M~~ Les saveurs se modifient en outre par leur agre-
gation simple, double; multiple; de sorte qu'il est
impossible d'en faire le tableau, depuis la plus attrayante jusqu'à
la plus insupportable, depuis la fraise jusqu'à !a coloquinte.Aussi
tous ceuxqui font essayé ont-~lsà peu près échoua.
Ce résultat ne doit pas étonner; car étant donné qu'il existe des
séries indéfinies de saveurs simples qui peuvent se modifier par
leur adjonction réciproque en tout nombre et en toute quantité, il
faudrait une langue nouvelle pour exprimer tous ces effets et des
montagnes d'in-folio pour les définir, et des caractères numériques
inconnus pour les étiqueter.
Or, comme jusqu'ici il ne s'est encore présenté aucune circons-
tance où quelque saveur ait dû être appréciée avec une exactitude
rigoureuse, on a été forcéde s'en tenir à un petit nombre d'expres-
sions générales, telle que doux, sucré, acide, acerbe, et autres pa-
reilles, qui s'expriment, en dernière analyse, par les deux suivan-
tes agréableou a~a~aMe au goût, et suffisent pour se faire en-
tendre et pour indiquer à peu près la propriété gustuelle du corps
sapide dont on s'occupe.
Ceux qui viendront après nous en sauront davantage, et il n'est
déjà plus permis de douter que la chimie ne leur révèle les causes
ou les éléments primitifs des saveurs.
MMtXemèë a<Bt M<M~Msmf le <~At
i0.–L'ordre que je me suis prescrit m'a insensiblement amené
au moment de reodre à l'odorat les dpqits qui lui appartiennent, et
de reconnaître les services importants qu'il nous tend dan~l'appré-
BUeoPT. M
dation des saveur eàr, partni tes ~ut~u~qtn tnes&ntte~b~sMus
la main, je n'en ai trouvé aucun qui me paraisse lui avoir fjMtpleins
etentierejustice.
Pour moi, je suis non-seulement persuade que, sans la partici-
pation de redora! il n'y a point de dégustation complète, mais
encore je suis tenté de croire que l'odorat et le goût ne forment
qu'un seul sens, dont la bouche est le laboratoire et te nez la che-
minée, ou, pour parler plus exactement, dont l'un sert à la dégus-tation des corps tactiles, et l'autre à la dégustation des gaz.
Cesystème peut être rigoureusement défendu cependant, comme
je n'ai point la prétention de faire secte, je ne le hasarde que pourdonner à penser à mes lecteurs, et pour montrer que j'ai vu de
près le sujejt que je traite. Maintenant je continue ma démonstra-
tion au sujet de l'importance de l'odorat, sinon comme partie cons-
tituante du goût, du moins comme accessoire obligé.
Tout corps sapide est nécessairement odorant ce qui le placedans l'empire de l'odorat comme dans l'empire du goût.
On ne mange rien sans le sentir avec plus ou moins de réflexionet pour les aliments inconnus, le nez fait toujours fonction de sen-
tinelle avancée, qui crie Qui va là?
Quand on intercepte l'odorat, on paralyse le goût; c'est ce quise prouve par trois expériences que tout le monde peut vérifieravec un égal succès.
PMMMREExpÉRtENCEQuand la membrane nasale est irritée parun violent coryza (rhume de cerveau), le goût est entièrement obli-
téré on ne trouve aucune saveur à ce qu'on avale, et cependantla langue reste dans son état naturel.
SECONDEExpÉMENCESi on mange en se serrant le nez, on esttout étonné de n'éprouver la sensation du goût que d'une manièreobscure et imparfaite; par ce moyen les médicaments les plus re-
poussants passent presque inaperçus.
TROISIÈMEExpEMENCEOn observe le même efEet,si, au momentoù l'on avale, au lieu de laisser revenir la langue à sa place natu-relle, on continue à la tenir attachéeau palais; en ce cas, on inter-
MÉDITATION II.té
cepteta eireutationdei'air, l'odoratn'est pointfrappé, et ta gusta-
tion n'apasneu.
Cesdiversenëts dépendentde la mêmecause, te défautde coo-
pérationde t'ddoràt: cequifatit quete corpssapiden'est apprécié
que pour son suc, et non pour te gaz odorantqui en émane.
Amt~ywede la semottttem da Cemt
1i
~Ë~ES principes étant ainsi posés, je regarde comme cer-
~J~j~bj~taih que le goût donne lieu à des sensations de trois
ordres dinérents, savoir la sensation directe, la sen-
sation coMpM~eet la sensation réfléchie.La sensation directeest ce premier aperçu qui nait dut
j))r~ravail immédiat des organes de la bouche, pendant que le
corps appréciable se trouve encore sur la langue antérieure.
La sensation compte est celle qui se compose de ce premier
aperçu et de l'impression qui nait quand l'aliment abandonne cette
première position, passe dans F arrière-bouche, et frappe tout l'or-
gane par son goût et par son parfum.
Enfin la sensation réfléchieest le jugement que porte l'âme sur
les impressions qui lui sont transmises par l'organe.
Mettonsce système en action en voyant ce qui se passe dans
t'homme qui mange ou qui boit.
Celui qui mange une pêche, par exemple, est d'abord frappé
agréablement par l'odeur qui en émane il la met dans sa bouché,
et éprouve une sensation de. fraîcheur et d'acidité qui l'engage à
continuer; mais ce n'est qu'au moment où il avale et que la bou-
chée passe sous la fosse nasale que le parfumlui est réyété, ce qui
complète la sensation que doit causer une pèche. Enfin ce n'est
que lorsqu'il a avalé que, jugeant ce qu'il vient d'éprouver, il se dit
à lui-même < Voilà qui est délicieux!
Pareillement, quand onboit tant que le vin est dans la bouche,
bo&bct. 17
3
onest agréablement,maisnon parfaitementimpressionnéece n'est
qu'au momentoù l'on cessed'avaler qu'on peutvéritablementgoû-
ter, apprécier,et découvrirle parfumparticulierà chaqueespèce;et il fautun petit intërvanêde temps pour que le gourmet puissedire <Il est bon, passable ou mauvais.Peste! c'est du chamber-
« tin 0 mon Dieu c'est du surènë <
On voit par là que c'est cbnséquem-ment aux principes, et par suite d'une
C~ pratique bien entendue, que les vrais
y~S~t~ amateurs Mro<eMHeurvin(<A<-y~t<);
J~~ car, à chaque gorgée, quand ils s'arré-
~SS~E9~S~f tent, ils ont la somme entière du plaisir
qu'ils auraient éprouvé s'ils avaient bu le
verre d'un seul trait.
J)~)S~' La même chose se passe encore, mais
-~{n~~ avec bien plus d'énergie, quand le goûtdoit être désagréablement affecté.
Voyez ce malade que la Faculté contraint à s'ingérer un énorme
verre d'une médecine noire, telle qu'on les buvait sous le règne de
Louis XIV.
L'odorat, moniteur fidèle, l'avertit de la saveur repoussante de la
liqueur traîtresse; ses yeux s'arrondissent comme à l'approche d'un
danger; le dégoût est sur ses lèvres, et déjà son estomac se sou-lève. Cependant on l'exhorte, il s'arme de courage, se gargarised'eau-de-vie, se serre le nez et boit.
Tant que le breuvage empesté remplit la bouche et tapisse l'or-
gane, la sensation est confuse et l'état supportable mais à là der-nière gorgée, les arrière-goûts se développent, les odeurs nauséa-bondes agissent, et tous les traits du patient expriment une'horreuret un goût que la peur de la mort peut seule faire affronter.
S'il est question, au contraire, d'une boisson insipide, commepar exemple, un verre d'eau, on n'a ni goût ni arriëre-goût; on
H'éprouvp.MM~nne pense à rien on a bu, et voità tout..<UA'\
MÉDITATION Il.t8
OMtfe dex diverses tmpfeaè~m* dn Cemt
i2. –Le goût n'est pas si richementdoté que l'ouïe; celle-ci
peut entendre et comparer plusieurs sons a la fois le goût, au
contraire, est simpleen activité,c'est-à-direqu'il ne peut être im-
pressionnépar deux saveursen mêmetemps.Maisil peutêtre double, et mêmemultiplepar succession,c'est-
à-direque, dansle même acte de gutturation, on peut éprouversuccessivementune secondeet mêmeune troisièmesensation, quivonten s'affaiblissantgraduellement,et qu'ondésigneparles mots,
arrière-goût, parfumou fragrance; de la mêmemanièreque, lors-
qu'unson4principalest frappé, uneoreille exercéey distingueune
ou plusieurs séries de cbnsonnances, dont le nombren'est pasencore parfaitementconnu.
Ceuxqui mangentviteet sansattentionne discernentpasles im-
pressionsdu second degré elles sont l'apanageexclusifdu petitnombred'élus et c'est par leur moyenqu'ils peuventclasser,parordred'excellence,les diversessubstancessoumisesà leur examen.
Cesnuancesfugitivesvibrentencorelongtempsdans l'organedu
goût les professeursprennent, sans s'en douter, une positionap-
propriée, et c'est toujoursle cou allongéet le nez à babord qu'ilsrendent leurs arrêts.
JemtasaMeeo dont le €!<~A<est t<Meaat<nm
15.
& ETOtsmaintenant un coup d'œit philosophique sur
le p)aish'ou la peine dont le goût peut être l'occasion.
'St Nous trouvons d'abord l'appncation de cette vé-
~~gaiEc ritemalheureusement trop générate, savoir que
l'homme est bien plus fortement organisé pour la
douleur que pour le plaisir.
Effectivement, l'injection des substances acerbes, âcres ou amères
au dernier degré, peut nous faire essuyer des sensattons extrême-
DU GOUT. <9
ment péniblesou douloureuses.On prétend mêmeque l'acide hy-
drocianiquene tue si promptementque parcequ'il causeune dou-
leursi viveque les forcesvitalesne peuventla supporter sans s'é-
teindre.
Les sensationsagréablesne parcourent, au contraire, .qu'uneéchellepeu étendue, et s'il y a une dinérenceassez sensible,entre
cequiest insipideet ce qui flattete goût, l'intervallen'est pas très
grandentre ce qui est reconnupour bon et ce quiestréputéexcet-
lent cequi est éclaire!par l'exemplesuivant premierterme,un
bouillisecet dur deuxièmeterme,un morceaude veau troisième,
terme,un faisancuità point.
Cependantle goût,tel quela nature nous l'a accordé,est encoreceluide nos sens qui, tout bienconsidéré,nous procurele.plus dejouissances
1°Parceque le plaisirdemangerest leseul qui, pris avecmodé-
ration,ne soitpas suivi de fatigue:
3° Parcequ'il est je tous les temps, de tous les âgeset de toutesles conditions
3°Parcequ'il revientnécessairementau moinsunefoispar jour,et qu'il peut être répété, sans inconvénient,deuxou troisfoisdanscet espacede temps
4°Parcequ'il peut se mêler à tous les autres et mêmenous con-solerde leur absence
5"Parceque lesimpressionsqu'il reçoit sont à la foisplus dura-bles et plusdépendantesde notrevolonté.
b° Enfin,parcequ'en mangeantnouséprouvonsuncertainbien-être indéfinissableet particulier,quivientde la conscienceinstinc-tive que, par cela mêmeque nous mangeons, nous réparons nospertes et nous prolongeonsnotre existence.
C'estcequi sera plusamplementdéveloppéau chapitreoù noustraiteronsspécialementdu plaisirdela table,pris au point où la ci-vilisationactuellel'a amené.
MMËD~TIOU II.
W'W~WMHh O'~t~we.
.~v~ ~j'j, '~usavons été étevés dans la douce croyance
que, de toutes les créatures qui marchent,
\~S8~L ~~ï'" nagent, rampent ou volent, l'homme est celle
dontle goût est le plus parfait.
'L~~ Cette foi est menacée d'être ébranlée.
o~B~ Le docteur Gall, fondé sur je ne sais quelles
inspections, prétend qu'il estdes animaux chez qui l'appareil gustuelest plus développé, et partant plus pa<fait que celui da l'homme.
Cette doctrine est malsonnante et sent t hérésie.
L'homme, de droit divin, roi de toute la nature, et au pront du-
quel la terre a été couverte et peuplée, doit nécessairement être
muni d'un organe qui puisse le mettre en rapport avec tout ce qu'il
y a de sapide chez ses sujets.La langue des animaux ne passe pas la portée de leur intelli-
gence dans les poissons, ce n'estqu'un os mobile; dans les oiseaux,
généralement, un cartilage membraneux dans les quadrupèdes,elle est souvent revêtue d'écaillés ou d'aspérités, et d'ailleurs elle
n'a point de mouvements circonQexes.
La langue de l'homme, au contraire, par la délicatesse de sa con-
texture et des diverses membranes dont elle est environnée et avoi-
sinée, annonce assez la sublimité des opérations auxquelles elle est
destinée.
J'y ai, en outre, découvert au moins trois mouvements inconnus
aux ammaux, etqueje npnunc mouvements de ~tc<~p~, dero<attpm
et de~T~<~ (a ~erro, lat., je balaye). Le premiera Heu quand la
langue sort. en iprme d'épi d'entre les lèvres qui la compriment, le
second, quand la langue se meut orcu~a)rement dans l'espace cqm-
pris entre l'intérieur des joues et le palais; le troisième, quand la
langue, se recourbant en dessus ou en dessous, ramasse les por-tions qui peuvent rester dans le canal demi-circulaire Cormepar les
lèvres et les gencives.
RUqquf.
Les antmaux sont bppné&dans teu~ g~: tes un~ M WM)t
que de végétaux, d'aubes ne mangea que de !a chair d'au~ se
nourrissent exctustvetnent de gr~nes aucun d'eux ne CRnna!t Ie<î
saveurs composées.
L'homme, au contraire, es),c~m~q~e; ~u~ ce qui est mangeableest soumis a son vaste appétit, ce qm entraîne, pouF conséquence
immédiate, des pouvoirs dégustateur~ proportipnnésàt'usage gp-
nerat qu'U dptten ~ire.ENecttyement, t'appareH du go~t est d'qne
rareperfëctton chez rhonime, e~ pour ~)en nous en convaincre, t
voyons-le manœuvrer.Ó
Pès qu'un corps esculent est tutrodui~ dang ta touche, est CQn-
~squé, gaz et sucs, sans retour.
Les lèvres s'opposent à ce qu'it rétrograde )e~dents s'en em-
parent et le broient la salive l'imbibe; la langue le gâche et le re-
tourne un mouvement aspiratoire le pousse vers le gosier; la
langue se soulève pour le faire glisser; l'odorat le uaire en passant,et il est précipité dans l'estomac pour y subir des transformations
ultérieures, sans que, dans toute cette opérat;op, Use soit échappé
uneparcelte, une goutte ou un atome, qut n'att pas été soumis au
pouvoir appréciateur.rC'est aussi par suite de cette pertëction que la gourmandise est
l'apanage exctustf de t'hompte.Cette gourmandise est même contagieuse et nous ta transmet-
tons assez promptement aux animaux que nous avons appropriésà notre usage, et qui font en quelque sorte société avec nous, telsquêtes étéphants, les chiens, tes chats et même tes perroquets,
Si quetques animaux ont !a tangue ptu~ grosse, te palais plusdéveloppé, le gosier plus large, c'est que c~e langue, agissantcomme muscle, est destinée à remue!- de grands poids, !s palais àpresser, le gosier à avaler de plus grosses portions mais touteanatpg.ebiep entendue s'oppose a ce qu'on puisse en induire quele sens est plus parfait.
D'aitteurs, le goût ne devant s'estimer que par ta nature de tasensation qu'il porte au centre Cpmmun,l'impression requepara~at ne
peut pas se comparer a p~e qui 9 t~eu dans l'hommecette dern~re, étant a la fois p!us ctairee~tus préc~
MÉDITATION Il.
nécessairementunequalitésupérieuredansl'organequita transmet.
En6n, que peut-on désirer dans une facultésusceptibled'un
tel point de perfection,que les gourmandsde Romedistinguaient,au goût,lespoissonsprisentre les pontsdecelui quiavaitété péché
plusbas? N'en voyons-nouspas, de nos jours, qui ont découvert
la saveur particulièrede la cuisse sur laquellela perdrixs'appuieen dormant?Etne sommes-nouspas environnésde gourmetsqui
peuventindiquertatatitude sous laquelleun vin a mûri, tout aussi
sûrementqu'un étèvede Biotou d'Aragosaitprédireune éclipse?Que s'ensuit-ilde là?qu'il fautrendre à Césarcequi est à César,
proclamerl'hommele grand gourmanddela nature, et ne pas s'é-
tonner si le bon docteur fait quelquefoiscomme Homère: Auch
~MM:et!er~cA!<t~er<derguter<?*
M<Mh<Mteadaptée par l'auteur.
15.
~c-~usQU'tCtnous n'avons examiné le goût que sous
\j~jjM~~le rapport de sa constitution physique; et à
quelques détails anatomiques près, que peu de
,N~ personnesregretteront, nousnoussommestenus
~M~' niveau de la science. Mais là ne finit pas la
tâcheque nous nous sommes imposée car c'est
surtout de son histoire morale que ce sens réparateur tire son im-
portance et sa gloire.
Nous avons donc rangé, suivant un ordre analytique, les théories
et les faits qui composent l'ensemble de cette histoire, de manière
qu'il puisse en résulter de l'instruction sans fatigue.
C'est ainsi que, dans les chapitres qui vont suivre, nous mon-
trerons comment les sensations, à force de se répéter et de se ré-
uéchir, ont perfectionné F organeet étendu la. sphère de ses pou-
voirs comment le besoin de manger, qui n'était d'abord qu'un
instinct, est devenu une passion influente, qui a pris un ascendant
bien marqué sur tout ce qui tient à ta société.
Nous dirons aussi comment toutes tes sciences qui s'occupent de
la composition des corps se sont accordées pour classer et mettre
DU GOUT. M
à part ceuxde,ces cocps~uisont appréciablespar le goût, et com-
n<ent!esvoyageursont marché vers le mêmebut, en soumettant
à nos essais ies substancesque !a nature ne semMaitpas avoirdestinéesà jamaisse rencontrer.
Nous suivronsia chimieau momentoù elle a pénétré dans nos
laboratoires souterrains pour y eciairer nos préparateurs, poser
desprincipes,créerdesméthodeset dévoilerdes causesquijusque
là étaientrestéesoccultes.
Ennn nousverronscomment,par le pouvoircombinédu temps
et del'expérience,unesciencenouveltenousest toutàcoup apparue,
qulnourrit,restaure,conscrve,persuade,console,et,noncontentéde
jeter à pleinesmains des fleurs sur la carrière de l'individu,con-
tribueencorepuissammentà la forceet à la prospéritédesempires.Si, au milieu de ces graves élucubrations, une anecdote pi-
qùante, un souvenir aimable,quelque aventure d'une vie agitée,se présente au bout de la plume nous la laisseronscouler pourreposerun peu l'attentiondenos lecteurs,dont le nombrene nouseffraiepoint, et avec lesquels au contraire nous nous plairons à
confabuler;car si ce sont des hommes,nous sommes sûrs qu'ilssont aussi indulgentsqu'instruits et si ce sont des dames, ellessont nécessairementcharmantes.
MÉB~ÀTiOh II.
M ~att~Mti Mn ~t, tftifMà tttSibët~ht&tn, s~ëvà~~tës
hautesr~gionstÏtremontatiStorrentdes âges, et prit dans leur berceau lés sciences qui ont
pour but la gratttncation du goût il en suivit les progrès à travers la nuit des
temps; et voyant que, pour les jouissances qu'ëUes nous procut'eht, les premiers
siècles ont toujours été moins avantages que ceux qui les ont suivis, H saisit sa
lyre, et chanta sur le mode dorien la Mélopée historique qu'on trouvera parmi lès
VAMtAM.(Voyez à la fin du volume.)
4
~f ia <Ë'a6t)'onomt<
Oft~tme <ea sètfmeeo
i6. Les sciences ne sont pas comme Minerve, qui sortit tout
armée du cerveau de Jupiter elles sont filles du temps, et se for-
ment insensiHement.d'abord par la collection des méthodes indi-
quées par l'expérience, et plus tard par la découverte des principes
qui se déduisent de la combinaison de ces méthodes.
Ainsi, les premiers vieillards queleur
prudence fit appeler auprès du lit des
malades, ceux que ia compassion poussa
~BN~ soigner lesptaies, furent aussi les
premiers médecins.
~M)~Les bergers d'Egypte, qui obser-
~fm~~t~ que quelques astres après une
~Bgg~ ~U~N~certaine période, venaient correspondre
~y au même en droit du ciel, furent les
premiers astronomes.
~t~ Celui qui, le premier, exprima par
des caractères cette proposition si sim-
p)f </e!K plus f/etM' ~a!eM(~Ma~e,créa les mathématiques, cette
MÉDITATION !H.M
science si puissante, et qui a véritablement élevé l'homme surle trône de l'univers.
Dans le cours des soixante dernières années qui viennent de
s'écouler, plusieurs sciences nouvelles sont venues prendre placedans le système de nos connaissances, et ëntr'àùtres la stéréoto-
mie, la géométrie descriptive et la chimie des gaË.toutes ces sciences, cultivées pendant un nombre muni de gé-
nérations, feront des progrès d'autant plus sûrs que l'imprimerieles affranchit du danger de reculer. Eh! qui sait, par exemple, sila chimie des gaz ne viendra pas à bout de maitriser ces éléments
jusqu'à présent si rebelles, de les mêler, de les combiner dans des
proportions jusqu'ici non tentées, et d'obtenir par ce moyen des
substances et des effets qui reculeraient de beaucoup les limites
,de nos pouvoirs
Or<e'm<' de la ~Mtttwm~tMte
17.
Àgastronomies'est présentéeà son tour, et toutes
ses sœursse sont approchéespour lui faireplace.Ehque pouvait-onrefuserà cellequinous sou-
tient delà naissanceau tombeau, qui accroît les
délicesde l'amour et la confiancede l'amitié, quidésarmela haine, faciliteles affaires,et nous offre,
dans le court trajet de la vie; la seule jouissance qui, n'étant passuivie de fatigue, nous délasse encore de toutes les autres 1
Sans doute, tant que les préparations ont été exclusivement con-
fiées à des serviteurs salariés, tant que les cuisiniers seuls se sont
réservé cette matière et qu'on n'a écrit que des dispensaires, les
résultats de ces travaux n'ont été que les produits d'un art.
Mais enfin, trop tard peutrétre, les savants se sont approchées.Ils ont examiné, analysé et classé les substances alimentaires,
et les ont réduites à leurs plus simples éléments.
Ils ont sendé les mystères de l'assimilation, et, suivant la ma-
DE LA GASTRp~Q~!E. M:'
tièreinerte d~m ses met~mopphosps, Qntvucpmmohte~epou-
vait prendrevie.
Us ont suivi la diète dans ses effetspassagers ou permanents,
sur quelquesjours, sur quelquesmois, ou sur toute ta vie.
Ils ont appréciéson innuencejusque sur la faculté de penser,soitque l'âme se trouve impressionnéepar les sens, soit qu'euesentesansle secoursde sesorganes et de tous ces travauxUsont
déduitune haute théorie, qui embrasse tout l'hommeet toute la
partiede la créationquipeut s'animaliser.
Tandisque toutesces chosesse passaient dans les cabinetsdes
savants, on disait tout haut dans les salons que la sciencequinourritles hommesvaut bien au moins celle qui enseigneà lesfairetuer; les poètes chantaient les plaisirs de lavable, et leslivresqui avaientla bonne chère pour objet présentaientdes vues
plusprofondeset des maximesd'un intérêt plusgénéral.
Tellessont les circonstancesqui ont précédé l'avénementde la
gastronomie.
BéamtMmm de Ia e~t~m<nnte.
i8. La gastronomie est la connaissance raisonnée de tout ce
qui a rapport à l'homme, en tant qu';l se nourrit.Son but est de voilera la conservation des hommes, au moyen
de la meilleure nourriture possible.
Elle yparvient ~n dirigeant, par des principes certains, tous ceuxqui recherchen),, tpurntssent ou préparent les choses qui peuventse convertir en ahments.
Ainsi, c'est e!)~, vrai dire, qui f~t mouvoir les cultivateurs, lesvignerons, les pécheurs, les chasseurs et la nombreuse famille descuisiniers, quel que soit le titre ou la qualification sous laquelle ilsdéguisent leur emploi à la préparation dés aliments.
La gastronomie tient
A l'histoire naturelle, par la dassmcation qu'elle fait des subs-tances alimentaires:i
28 MÉDITATION II!.
Ata physique,par l'examen de leurs compositionset de leurs
qualitésAla chimie,par les diversesanalyses et décompositionsqu'elle
leur fait subir;Ala cuisine, par l'art d'apprêter lesmetset de les rendre agréa-
bles au goût;Aucommerce,par la recherchedesmoyensd'acheterau meilleur
marché possiblecequ'elleconsomme,et de débiterle plus avanta-
geusementce qu'elle présente àvendre;
Enfin,à l'économiepolitique,parles ressourcesqu'elleprésente
à l'impôt, et par les moyensd'échangequ'elle établit entreles na-
tions.
La gastronomierégit la vie tout entière; car les pleurs du nou-
veau-néappellentle sein.de sa nourrice; et le mourant reçoit en-
core avec quelque plaisir la potion suprême qu'hétas! il ne doit
ptusdisérer.
Elle s'occupe aussi de tous les états de la société car si c'est elle
DE LA GASTRÔNOMtE. M
qui dirige les banquets des rois rassemblés, c'est encoreeUequi
calculé le nombre de minutes d'ébuHition qui est nécessaire pour
qu'un œuf soit cuit à point.
Le sujet matériel de la gastronomie est tout ce qui peut être
mangé;son but direct, la conservation des individus, et ses moyens
d'exécution, !a culture qui produit, le commerce qui échange, l'in-
dustrie qui prépare, et l'expérience qui invente les moyens de tout
disposer pour le meilleur usage.
W~ets divers dernt «X~eéMpe la ~MttMMMMmte
19.
t A gastronomie considère le goût dans ses jouis-
,sances comme dans ses douteurs elle a découvert
les excitations graduelles dont il est susceptible;
j régularisé faction, et a posé les limites queL B~rhomme qui se respecte ne doit jamais outrepasser.Et)e considèreaussi l'action des aliments sur le moral de l'hômme,
sur son imagination, son esprit, son jugement, son courage et ses
perceptions, soit qu'il veille, soit qu'il dorme, soit qu'il agisse, soit
qu'il repose.C'est la gastronomie qui fixe le point d'esculence de chaque
substance alimentaire; car toutes ne sont pas présentables dansles mêmes circonstances.
Les unes doivent être prises avant que d'être parvenues à leurentier développement, comme tes câpres, tes asperges, les cochonsde lait, les pigeons à la cuiller, et autres animaux qu'on mangedans leur premier âge; d'autres, au moment où elles ont atteinttoute la perfection qui leur est destinée, comme les melons, la'
plupart des fruits, le mouton, le bœuf, et tousles animaux adultes;d'autres, quand elles commencent à se décomposer, telles que lenèfles, la bécasse, et surtout le faisan d'autres, enfin, après quetes opérations de l'art leur ont été leurs qualités malfaisantes,telles que la pomme de terre, le manioc, et d'autres.
C'est encore la gastronomie qui classe ces substances d'après
MËptTATtQN Ht
leurs qualitésd'Y~se~, qui indique ceiiesqui peuvent s'associer,
et,qu), mesurant!eu~ diversdegrés d'aUbihté,distingueceHesquidoiventfairela base de nos repas d'avec cellesquj n'en sont queles accesspireset d'avec ceHesencorequi, n'étant déjàp)us néces-
saires, sont cependant une distractionagréaMe, et deviennent
t'accpmpagnemen~oMigéde la contabuiattpncpnvtviate.
~!t!enes'occupepas avecmoinsd'intérêt des bpissppsquinoussont destinées, suivant le temps, les tieu~et tes climats.Ette en-
seigne à les préparer, à les conserver, et surtout à les présenterdans un 0!*dreteHementcalcutéque la jouissancequi en résulte
aiUetoujoursen augmentant, jusqu'au momentoù le plaisirnnit
et où l'abus commence.
C'est!a gastronQtniequi inspecteles hommeset les choses,pour
transporter d'un pays l'autre tout ce qui mérited être connu, et
qui <aitqu'un festinsavammentordonneest commeun abrégédu
monde. RÙchaquepartiengm'epar sesreprésentants.
t~)t< ~eo ~t~nottoo~te~t! ~am<v~m«mt<<MOK')t
20. Les connaissances gastronomiquessont nécessaires à
tous les hommes, puisqu'ellestendentà augmenter la sommedu
plaisir qui leur est destinée cette utilité augmenteen proportion
de ce qu'elle est appliquéeà des classesplus aiséesde la société;
enfin elles sont indispensablesà ceux qui, jouissant d'un grand
reyenu, reçoiventbeaucoup de monde, soit qu'en cela ils fassent
acte d'une représentationnécessaire, soit qu'ils suiventleur incli-
nation, soit enfinqu'ils obéissentà la mode.
tis y trouventcet avantage spécial,qu'il y a de leur part quel-
que chosede personneldans la manièredont leurtable est tenue;
qu'ils peuvent surveillerjusqu'à un certain point les dépositaires
farces deleur confiance,et mêmeles diriger en beaucoupd occa-
sions,
t<eprince de Sonbise avait un jour l'intention de donner une
iete e))edevait9e terminer par un souper, et il en avaitdemande
ternen~.
DE tjA GA~T&CNdiniE. &i
Ï~emâitrëd'hétël s6présente&sonlever ttvëcune beHëpancarte
à vignettes,et le preotier articlesur lequel te princejeta ~x
futëëlut-ci ~M~att~~M~ t Ëhqdëi Bertrand,dit-H,je ct'8!s
<que tu extravagues cinquantejambons veux-tu don6 f~t~'
<tout monrégiment?–Non, mon prince; il n'en paraîtra qu'un
<sur la table; mais te surplusne m'est pas moinsnécessairepour
< monespagnole,mesblonds,mesgarnitures, mes. -Bertrand,
< vousmevolez,etcet articlenepasserapas. Ah monseigneur,
<dit l'artiste, pouvantà peineretenir sacolère, vousneconnaissez
< pasnos ressources Ordonnez et ces cinquante jambons qui
< vousoffusquent,je vaisles faireentrer dans un flaconde cristal
< pas plusgros que le pouce. »
Querépondreà une assertion aussi positive?Le prince souWt,
baissala tête, et l'article passa.
tmanemee de la e~strememte dttmw les <t<r*<res
21.
'MiS~S~~ sait quechez les hommesencore voisinsde
~J~ l'état de nature; aucuneaffaire de quelqu'im-
~!)B~ portancene se traitequ'à table; c'est au mi-
~JM~lieu.desfestinsque les sauvages décidentta
guerre ou fontla paix et sans aller si loin,
nous voyons que les villageoisfont toutes
leurs affaires au cabaret.
Cetteobservation n'a pas échappé à ceux qui ont souvent à traiter
les plus grands intérêts ils ont vu que l'homme repu n'était pas le
même que l'homme à jeun que la table établissait une espèce de
lien entre celui qui traite et celui qui est traité; qu'elle rendait les
convives plus aptes à recevoir certaines impressions, à se soumettre
à de certaines influences de là est née la gastronomie politique.
Les repas sont devenus un moyen de gouvernement, et le sort des
peuples s'est décidé dans un banquet. Ceci n'est ni un paradoxe ni
même une nouveauté, mais une simple observation de faits. Qu'on
MEDITATION HI.M
ouvre tous les historiens,depuisHérodotejusqu'à nos jours, et on
verra que, sans mêmeen excepterles conspirations,ilne,s'est ja-mais passéun grandévénementqui n'ait été conçu, préparéet or-
donné dans les festins.
A«Mtémte dee ~MttMMMMmew
99
est, au premier aperçu, le domaine de la gastro-
_~JL~~ nomie, domaine iërtite en résultats de toute espèce,
~MS! et ne peut ques'agrandir par les découvertes et
les travaux des savants qui vont le cultiver; car il
est impossible que, avant le laps de peu d'années,
la gastronomie n'ait pas ses académiciens, ses cours, ses proies-
seurs, et ses propositions de prix.
D'abord, un gastronome riche et zélé établira chez lui des assem-
blées périodiques, où les plus savants théoriciens se réuniront aux
artistes, pour discuter et approfondir les diverses parties de la
science alimentaire.
Bientôt (et telle est l'histoire de toutes les académies), le gouver-
nement interviendra, régularisera, protégera, instituera, et saisira
l'occasion de donner au peuple une compensation pour tous les
orphelins que le canon a faits, pour toutes les Arianes que la géné-rale a fait pleurer.
Heureux le dépositaire du pouvoir qui attachera son nom à cette
institution si nécessaire Ce nom sera répété d'àge en âge avec ceux
de Noé, de Bacchus, de Triptolème, et des autres bienfaiteurs de
l'humanité il sera, parmi les ministres, ce que Henri IVest parmi
les rois, et son éloge sera dans toutes les toMcA~,sans qu'aucun
règlement en fasse une nécessité.
5
r~ppfttt.
Méttmtttem de t AppétM
25. Le mouvement et la vie occasionnent dans le corps vi-
vant unedéperdition continuelle de substance; et le corps humain,cette machine si compliquée, serait bientôt hors de service, si la
Providence n'y avait placé un ressort qui l'avertit du moment oùses forces ne sont plus en équilibre avec ses besoins.
Cemoniteur est l'appétit. On entend parce mot la première im-
pression du besoin de manger.
L'appétit s'annonce par un peu de langueur dans l'estomac etune légère sensation de fatigue.
En même temps, l'âme s'occupe d'objets analogues à ses besoins,la mémoire se rappelle les choses qui ont natté le goût; l'imagina-tion croit les voir; il y a ià quelque chose qui tient du rêve. Cetétat n'est pas sans charmes et nous avons entendu des milliers
d'adeptes s'écrier dans la joie de leur cœur < Quelplaisir d'avoir< un bon appétit, quand on a la certitude de faire bientôt un excel-
lent repas o
MËDtTATiON IV.34
Cependantl'appareil nutritifs'émeut tout entier l'estomacde-
vient sensible; les sucsgastriquess'exhalent; les gaz intérieursse
déplacentavec bruit; la bouche se remplit de sucs, et toutes les
puissancesdigestivessont sous les armes, comme des soldatsquin'attendent plusque le commandementpouragir.Encorequelques
moments, on aura des mouvementsspasmodiques,on bâillera,on
soupira, on aura faim.
On~eut observer toutes les nuancesde cesdiversétats danstout
salonoù le dîner se fait attendre.
~Ellessont tellementdans la nature, quela politessela plusex-
quise ne peut endéguiserlessymptômes d'où j'ai dégagécet apo-
phthegme Detouteslesqualitésdu cuisinier,laplusindispensableest
l'exactitude.
Aneedote.
24.
(~~<~'ApputEcette grave maxime par les défaits d'une ob.
servation faite dans une réunion dont je faisais
61
partie
j~t~S~ Quorumparsmagnafui,
et où le plaisir d'observer me sauva des angoisses de la misère.
J'étais un jour invité à diner chez un haut fonctionnaire public.Le billet d'invitation était pourcinq heures et demie, et au moment
indiqué tout le monde était rendu; car on savait qu'il aimait qu'on
fût exact, et grondait quelquefois les paresseux.
Je fus frappé, en arrivant, de l'air de consternation que je vis
régner dans l'assemblée on se parlait à l'oreille, on regardait dans
la cour à travers les carreaux de la croisée quelques visages an-
nonçaient la stupeur. 11était certainement arrivé quelque chose
d'extraordinaire.
Je m'approchai de celui desconvives que je crus le plus en état
de satisfaire ma curiosité, et lui demandai ce qu'il y avait de nou-
DE L'APPÉTIT. ?
veau, <é!as! me répondit-il avec l'accent de la plus prpfpndeaf-< fliction, mopseigneur vient d'être mandé au conseil d ~ta~ il
<part en ce moment, et qui sait quand il reviendra? N'est-ce
<que cela? répondisse d'un air d'insouciance qui était bien loin de
<mon cœur. C'est tout au plus l'affaire d'un quart-d'heure; quel-
< que renseignement dont on aura eu besoin; on sait qu'il y a ici
<aujourd'hui dîner officiel; on n'a aucune raison pour nous faire
<jeûner. Je parlais ainsi; mais au fond de l'âme, je n'étais pas
sans inquiétude, et j'aurai voulu être bien loin.
La première heure se passa bien, on s'assit auprès de ceux avec
qui on était lié; on épuisa les sujets banaux de conversation, et on
s'amusa à faire des conjectures sur la cause qui avait pu faire ap-
peler aux Tuileries notre cher amphitryon.
Ala seconde heure, on commença a apercevoir quelques symp-tômes d'impatience on se regardait av~cinquiétude, et les premiers
qui murmurèrent furent trois ou quatre convives qui, n'ayant pastrouvé de place pour s'asseoir, n'étaient pas en position commode
pour attendre.
A la troisième heure, le mécontentement fut général, et tout le
monde se plaignait. < Quand reviendra-t-il? disait l'un. A quoi< pense-t-il? disait l'autre. C'est à en mourir! disait un troi-
sième. Et on se faisait, sans jamais la résoudre, la question sui-
vante «S'en ira-t-on? ne s'en ira-t-on pas? »
A la quatrième heure, tous les symptômes s'aggravèrent on
étendait les bras, au hasard d'éborgner les voisins; on entendait
de toutes parts des bâillements chantants toutes les figures étaient
empreintes des couleurs qui annoncent la concentration; et on ne
m'écouta pas quand je me hasardai de dire que celui dontl'absence
nous attristait tant était sans doute le plus malheureux de tous.
L'attention fut un instant distraite par une apparition. Un des
convives, plus habitué que les autres, pénétra jusque dans les cui-
sines il en revint tout essoufRé sa figure annonçait la findu monde,et il s'écria d'une voix à peine articulée et de ce ton sourd qui ex-
prime à la fois la crainte de faire du bruit et l'envie d'être entendu<
Monseigneur est parti sans donner d'ordre, et, quelle que soit
MEDITATION IV.38
charge
< son absence,on ne servira pas qu'il ne revienne. Hdit et Fef-
froi que causason allocutionne sera pas surpassé par l'effetde la
trompettedu jugementdernier.
Parmitous ces martyrs, le plus malheureuxétaitle bon d'A!gre-
feuille, que tout Paris a connu son corps n'était que souffrance,
et la douleur de Laocoonétait sur son visage. Pâte, égaré, ne voyant
rien, il vint se hucher sur un fauteuil, croisa ses petites mains sur
son gros ventre, et ferma les yeux, non pour dormir, mais pour
attendre la mort.
Elle ne vint cependant pas. Vers les dix heures on entendit une
voiture rouler dans la cour; tout le monde se leva d'un mouvement
spontané. L'hilarité succéda à la tristesse, et après cinq minutes on
était à table.
Mais l'heure de t'appétit était passée. On avait l'air étonné de
commencer à dîner à une heure si indue les mâchoires n'eurent
point ce mouvement isochrone qui annonce un travail régulier; et
j'ai su que plusieurs convives en avaient été incommodés.
La marche indiquée en pareil cas est de ne point manger immé-
diatement après que l'obstacle a cessé; mais d'avaler un verre.
d'eau sucrée, ou une tasse de bouillon, pour consoler l'estomac;
d'attendre ensuite douze ou quinze minutes, smonl'organe con-
vulsé se trouve opprimé par le poids des aliments dont on le sur-
DE L'APPÉTIT. 87
CMMtds ttppétM*
25.
UANDon voit, dans les livres primitifs, les ap-
~~i&\ prêts qui se faisaient pour recevoir deux ou
~Ss~ ~~M~t''ois personnes, ainsi que les portions énor-
j~~L /~M~ que servait à un seul hôte, Hest dif-
~~Mt, ncite de se refuser à croire que les hommes qui
r~ vivaient plus près que nous du berceau du
monde ne fussent aussi doués d'un bien plus
grand appétit.
Cet appétit était censé s'accroître en raison directe de la dignitédu personnage; et celui à qui on ne servait pas moins que le dos
entier d'un taureau de cinq ans était destinéà boire dans une coupedont il avait peine à supporter le poids.
Quelques individus ont existé depuis, pour porter témoignage de
ce qui a pu se passer autrefois, et les recueils sont pleins d'exem-
ples d'une voracité à peine croyable, et qui s'étendait à tout, même
aux objets les plus immondes.
Je ferai grâce à mes lecteurs de ces détails quelquefois assez dé-
goûtants, et je préfère leur conter deux faits particuliers, dont j'aiété témoin, et qui n'exigent pas de leur part une foi bien implicite.
J'aUai, il y a environ quarante ans, faire une visite volante au
M~tMTAT~PN IV.?curé de Bregnier, homme de grande taille, et dont l'appétit avait
une réputation bailliagëre.
Quoiqu'il fût à peine midi, je le trouvai déjà à table. On avait em-
porté la soupe et le bouilli, et à ces deux plats obligés avaient suc-
cédé un gigot de mouton à la royale, un assez beau chapon et une
salade copieuse.
Dès qu'il me vit paraître, il demanda pour moiun couvert, que
je refusât, et je fis bien; car, seul et sans aide, il se débarrassa très
lestement de tout, savoir du gigot jusqu'à l'ivoire, du chaponjus-
qu'aux os, et de la salade jusqu'au fond du plat.
On apporta bientôt un assez grand iromage blanc, dans lequel il
fit une brèche angulaire de quatre-vingt-dix degrés tl arrosa le
tout d'une bouteille de vin et d'une carafe d'eau, après quoi il se
reposa.
Ce qui m'en fit plaisir, c'est que, pendant toute cette opération
qui dura à peu près trois quarts d'heure, le vénérable pasteur n'eut
point l'air affairé. Les gros morceaux qu'il jetait dans sa bouche
profonde ne l'empêchaient ni de parler ni de rire; et il expédia
tout ce qu'on avait servi devant lui sans y mettre plus d'appareil
que s'il n'avait mangéque trois mauviettes.
C'est ainsi que le général Bisson, qui buvait chaque jour huit
bouteilles de vin à son déjeuner, n'avait pas l'air d'y toucher il
avait un plus grand verre que les autres, et le vidait plus souvent;
mais on eût dit qu'il n'y faisait pas attention, et, tout en humant
ainsi seize livres de liquide, il n'était pas plus empêché de plaisanter
et de donner ses ordres que s'il n'eût dû boire qu'un carafon.
Le second fait rappela ma mémoire le brave général P. Si-
buet mon compatriote, longtemps premier aide-de-camp du gé-
néral Masséna, et mort a~ phamp d'honneur en 1813, au passage
de la Bober.
Prosper était âgé de dix-huit ans, égayait cet appétit heureux par
lequel la nature annonce qu'elle s'Qceupeà acheverun homme bien
constitué, lorsqu'il entra un 8Q!f dang la cuisine de Genin, auber-
giste chez lequel les anciens de Be~ey avaient coutume de s'assem-
BÈt/At~ÉM. ?
Merpour mangera MârroMetboire du v~n~anë nôu~âù~dn
appelle~M&oMtTM.Ohvenaitde tirer dëta brochéun magnmquëdindon, beau, bien
~it, doré, ëutta point, et dont le futhétaurait tentéun saint.
Les anciens, qui n'avaient p!ûs<aim,n'y nrënt pas bëàuëOupd'attënt!0n; ma~ les puissancesdigestivesdu jeune t~rôsperënAi-rentébranlées l'eau lui Vintà ta bouche,ét il récria < ~éne fa<§
<que sortir de table, je n'en gagé pas moineque je niângërâice
« grosdindonà moi tout seul. Sez vosumesé,z'u payo, répon-« dit Bouvierdu Bouchet,gros fermier qui se trouvait présent è
« sez vos cacaen rotaz, i-zet vo ket pairé et may kS mezeraila
<restaz (I). »
L'exécutioncommençaimmédiatement.Lejeune athlètedétacha
proprementune aile, l'avala eh deux bouchées, après quoi il se
nettoya les dents en grugeantle coude la volaille,et but un verre
de vinpour servird'entr'acte.
Bientôtil attaqua la cuisse)la mangeaavecle mêmesang-froid,et dépêchaun secondverre dé vin,pour préparer les voiesau pas-
sagedu surplus.Aussitôtla seconde aile suivit lamême route elledisparut, et
l'officiant,toujoursplus animé, saisissaitdéjà le derniermembre,
quandle malheureuxfermiers'écriaid'une voixdolente <Hai ze« vaiepraou qu'izet ibtu tn'ez moncheChibouet,poez kaet zu«daive paiet, lessé m'en àni'ëhmesiet on mocho(2).
Prosper était aussi bon garçon qu'il futdepuisbon militaire il
consentità la demandede son antipartenaire, qui eut, pour sa
part, lacarcasseencoreassezopime,de l'oiseauen consommation,
(t) «Si vouslemangez,je vouslepaie;maissivousrestezenroute;c'estvousquipaierez,etmoiquimangerailereste.»
(9) « Héias je vois bien que c'en est nni mais, monsieur Sibuet, puisque je dois
le payer, laissez-m'en au moins manger un morceau. »
Je cite avec plaisir cet échantillon du patois du Bugey, où l'on trouve le th des
Grecs et des Anglais, et, dans le mot pf<tot<et autres semblables, une diphthongue
qui n'existe en aucune langue, et dont on ne peut peindre le son par aucun carac-
tère connu. (Voyez le 3' volume des Mémoires de la Société royale des Antiquaires
de France.
MÉDITATION IV. DE L'APPÉTIT.40
et payaensuitede fortbonne grâceet le principalefles accessoires
obligés.Le général Sibuetse plaisaitbeaucoupà raconter cette prouesse
de sonjeune âge il disaitque cequ'il avaitfait, en associantle fer-
mier, était de pure courtoisie il assurait que, sans cette assis-
tance, il se sentait toute la puissance nécessairepour gagnerla
gageure et ce qui, à quarante ans, lui restait d'appétit, ne per-mettaitpasde douter de son assertion.
6
JE~s ~Urn~nte ~n ~n~ttL
SECTIONPREMIÉRE.
BéMm<tÊ<MM.
26.
-SÊ~ u'entend-on par aliments?
Réponsepopulaire L'aliment est tout &' qui nousnourrit.
~L.~ap< Réponse scientifique On entend par aliments lessubstances qui, soumises à l'estomac, peuvent
s'animaliser par la digestion, et réparer les pertes que fait le corpshumain par l'usage de la vie.
Ainsi, la qualité distinctive del'aliment consiste dans la propriétéde subir l'assimilation animale.
Travaux analytiques.
27. Le règne animal et le règne végétal sont ceux qui, jusqu'àprésent, ont fourni des aliments au genre humain. On n'a encoretiré des minéraux que des remèdes ou des poisons.
Depuis que la chimie analytique est devenue une science cer-taine, on a pénétré très avant dans la double nature des élémentsdont nôtre corps est composé, et des substances que la nature sem-ble avoir destinées à en réparer les pertes.
Ces études avaient entre elles une grande analogie puisquel'homme est composé en grande partie des mêmes substances que
MÉDITATION V.49
les animaux dont il se nourrit, et qu'il a bien falluchercheraussi
dans les végétauxles atnnités par suitedesquellesils deviennent
eux-mêmesanimalisables.
Ona fait dans ces deux voiesles travaux les plus louableset
en mêmetempsles plus minutieux,et on a suivi, soitle corps hu-
main, soit lesalimentspar lesquelsil se répare, d'abord dans leurs
particulessecondaires,et ensuitedans leurs éléments,au-delàdes-
quels il nenous a pointencore été permis de pénétrer.ici j'avais l'intention de placer un petit traité de chimiealimen-
taire, et d'apprendre à mes lecteurs en combiende millièmesde
carbone, d'hydrogène, etc., on pourrait réduire eux et les mets
qui les nourrissent mais j'ai été arrêté par la réuexion que je ne
pouvaisguèreremplircettetâchequ'en copiantlesexcellentstraités
de chimiequi sont entre les mainsde tout le monde. J'ai craint
encore de tomberdans des détailsstériles, et mesuisréduit à une
nomenclature raisonnée, saufà fairepasserpar-cipar-làquelquesrésultats chimiques,en termes moinshérissés et plus intelligibles.
"t.. OsMMMème'L
28.28.
Eplus grand service rendu par la chimie à la
~science alimentaireest la découverteou plutôt
"NËMtt précisionde l'osmazôme.
~i~~N~~t~ L'osmazômeest cettepartie éminemmentsa-
~tMJ~ pidedesviandes, qui est solubleà l'eau froide,et qui se distinguede la partie extractiveen ce
quecettedernièren'est solublequedansl'eau bouillante.
C'est l'osmazômequi faitle mérite des bons potages; c'est lui
qui, en se caramélisant, formele roux des viandes; c'est par lui
que se formele rissolédes rôtis, enfinc'estde luique sort lefumet
de la venaisonet du gibier.L'osmazôme se retire surtout des animaux adultes à chairs
rouges, noires, et qu'on est convenud'appeler chairs faites; on
n'en trouve pointou presque point dans l'agneau, le cochonde
'Ë.OisALIMENTS. 4<
lait, le poulet, et mêmedans le blanc des plusgrossesvolailles
c'estpar cetteraisonque les vra!sconnaisseursonttoujourspréférél'entre-cuisse chez euxl'instinct du goûtavaitprévenula science.
C'estaussila presciencedel'osmazômequi a faitchassertant de
cuisiniers, convaincusde distraire le premierbouillon c'est elle
qui fit la réputationdes soupesde primes, qui a fait adopter les
croûtesau pot commeconfortativesdansle bain, et qui fit inven-
ter au chanoineChevrierdes marmitesfermantesà clef; c'est le
mêmeà quil'on ne servaitjamais des épinards le vendrediqu'au-tantqu'ils avaient été cuitsdès le dimanche,et remis chaquejoursur le feu avec une nouvelleadditionde beurre frais.
En6n c'est pour ménagercette substance, quoique encore in-
connue, que s'est introduite la maxime que, pour faire de bon
bouillon,la marmitene devaitque sourire, expressionfort distin-
guéepour le pays d'oùelleest venue.
L'osmazôme,découvertaprès avoir fait si longtempsles délices
de nos pères, peut se comparerà l'alcool, qui a grisébien desgé-nérations avant qu'on ait ~suqu'on pouvait le mettreà nu par la
distillation.
Al'osmazômesuccède,par le traitement à l'eau bouillante,06t
qu'on entendplus spécialementpar matièreextractive: ce dernier
produit, réuni à l'osmazôme,composele jus de la viande.
frtnetpe des ~tmemts
La fibre est ce qui compose le tissu de la chair et ce,qui se pré-sente à l'œil après la cuisson. La fibre résiste à l'eau bouillante,
et conserve sa forme, quoique dépouillée d'une partie de ses en-
veloppes. Pour bien dépecer les viandes, il faut avoir soin que la
fibre fasse un angle droit, ou à peu près, avec la lame du cou-
teau la viande ainsi coupée a un aspect plus agréable, se goûte
mieux, et se mâche plus facilement.
Les os sont principalement composés de gélatine et de phosphatede chaux.
La quantité de gélatine diminue à mesure qu'on avance en âge
MÉDITATION44
Asoixante-dixans, les os ne sont plus qu'un marbre imparfaitc'est ce qui les rend si cassants, et fait une loi de prudence aux
vieillardsd'éviter toute occasionde chute.
L'albumine se trouveégalement dans la chair et dans le sang;
elle se coaguleà une chaleur au dessous de 40 degrés c'est elle
qui formel'écume du pot-au-feu.Lagélatinese rencontreégalementdansles os, lespartiesmolles
et cartilagineuses;sa qualité distinctive est de se coaguler à la
température ordinaire de l'atmosphère; deux partieset demiesur
cent d'eau chaudesuffisentpour cela.
La gélatineest la base de toute les gelées grasses et maigres,
blancs-mangers,et autres préparationsanalogues.
Lagraisseest une huileconcrètequi se formedans les interstices
du tissu cellulaire,et s'agglomèrequelquefoisen massedans les
animauxque l'art ou la nature y prédispose, commeles cochons,les volailles,les ortolanset les becs-figues;dans quelques-unsde
ces animaux, elle perdson insipidité,et prend un léger aromequila rend fortagréable.
Le sang se compose d'un sérum albumineux, de nbrine, d'un
peu de gélatine et d'un peu d'osmazôme; il se coagule à l'eau
chaude, et devientun alimenttrès nourrissant (v. g. le boudin).Tous les principes que nous venons de passer en revue sont
communsà l'homme et auxanimauxdont ila coutumede se nour-
rir. 11n'est donc point étonnant que la diète animale soit émi-
nemmentrestauranteet fortifiante;car les particulesdont elle se
compose,ayant avec les nôtres une grande similitudeet ayant
déjà été animalisées,peuvent facilements'animaliserde nouveau
lorsqu'ellessontsoumisesà l'actionvitaledenosorganesdigesteurs.
ttèe"e vé~ét~t
29. Cependantle règne végétal ne présente à la nutrition ni
moinsde variétésni moins de ressources.
La féculenourrit parfaitement, et d'autant mieux qu'elle estmoins mélangéede principesétrangers.
DES ALIMENT~.
On entend par fécule la farine ou poujssière qu'on peut objtentr
des graines céréales, des légumineuses et de plusieurs espèces de
racines, parmi lesquelles la pomme de terre tient jusqu'à présent
le premier rang.
La fécule est la base du pain, des pâtisseries et des purées de
toute espèce, et entre ainsi pour une très grande partie dans la
nourriture de presque tous les peuples,
On a observé qu'une pareille nourriture amollit la fibre et même
le courage. On en donne pour preuve les Indiens, qui vivent pres-
que exclusivement de riz et qui se sont soumis à quiconque a vçulu
les asservir.
Presque tous les animaux domestiques mangent avec avidité la
fécule, et ils sont, au contraire, singulièrement fortifiés, parce que
c'est une nourriture plus substantielle que les végétaux secs ou verts
qui sont leur pâture habituelle.
Le sucre n'est pas moins considérable, soit comme aliment, soit
comme médicament.
Cette substance, autrefois reléguée aux Indes ou aux colonies,
est devenue indigène au commencement de ce siècle. On l'a dé-
couverte et suivie dans le raisin, les navets, la châtaigoe, et surtout
dans la betterave; de sorte que, rigoureusement parlant, l'Europe
pourrait, sous ce rapport, se suffire et se passer de l'Amérique ou
de l'Inde. C'est un service éminent que la science a rendu à la so-
ciété, et un exemple qui peut avoir dans la suite des résultats plus
étendus. (Voyezci-après, article SUCRE).Le sucre, soit à l'état solide, soit dans les diverses plantes où
la nature l'a placé, est extrêmement nourrissant; les animaux en
sont friands, et les Anglais, qui en donnent beaucoup à leurs che-
vaux de luxe, ont remarqué qu'ils en soutiennent bien mieux les
diverses épreuves auxquelles on les soumet.
Le sucre, qu'aux jours de Louis XIVon ne trouvait .que chez les
apothicaires, a donné naissance a diverses professions lucratives,
telles que les pâtissiers du petit-four, les confiseurs, les liquoristeset autres marchands de friandises.
Les huiles douces proviennent ainsi du règne végéta) elles ne
MÉDITATION V.46
sont escùlentes qu'autant qu'elles sont unies à d'autres substances,
et doivent surtout être regardées comme un assaisonnement.
Le gluten, qu'on trouve particulièrement dans le froment, con-
court puissamment à la fermentation du pain dont il fait partie; les
chimistes ont été jusqu'à lui donner une nature animale.
On a fait à Paris, pour les enfants et les oiseaux, et pour les
hommes dans quelques départements, des pâtisseries où le gluten
domine, parce qu'une partie de la fécule a été soustraite au moyende l'eau.
Le mucilage doit sa qualité nutritive aux diverses substances
auxquelles il sert de véhicule.
La gomme peut devenir, au besoin, un aliment ce qui ne doit
pas étonner, puisqu'à très peu de chose près elle contient les
mêmes éléments que le sucre.
La gélatine végétale qu'on extrait de plusieurs espèces de fruits,
notamment des pommes, des groseilles, des coings, et de quelques
autres, peut aussi servir d'aliment elle en fait mieux la fonction,
unie au sucre, mais toujours beaucoup moins que les gelées anima-
les qu'on tire des os, des cornes, des pieds de veau et de la colle
de poisson. Cette nourriture est en général légère, adoucissante et
salutaire. Aussi la cuisine et l'offices'en emparent et se la disputent.
Mftéremee du gras au HM~fe
Au jus près, qui, comme nous l'avons dit, se compose d'osma-
zôme et d'extractif, on trouve dans les poissons la plupart des
substances que nous avons signalées dans les animaux terrestres,
telles que la fibrine, la gélatine, l'albumine de sorte qu'on peut
dire avec raison que c'est le jus qui sépare le régime gras du maigre.Ce dernier est encore marqué par une autre particularité c'est
que le poisson contient en outre une quantité notable de phosphoreet d'hydrogène, c'est-à-dire ce qu'il y a de plus combustible dans
la nature. D'où il suit que l'ichthyophagie est une diète échauffante:
ce qui pourrait légitimer certaines louanges données jadis à quel-
ques ordres religieux, dont le régime était directement contraire à
celui de leurs vœux déjà réputé le plus fragile.
DES ALIMENTS. 47
<MM<erv<tt<<MMjMMrttemMèfea
50. Je n'en dirai pas davantagesur cettequestionde physio-
logie maisje ne dois pas omettre un faitdont on peut facilement
vérifierl'existence
Il y a quelquesannées quej'allaivoir une maisonde campagne,
dans un petit hameau des environsde Paris, situé sur le bord de
la Seine, en avant de l'île de Saint-Denis,et consistantprincipale-
ment en huit cabanes de pêcheurs. Je fus frappéde la quantité
d'enfantsqueje vis fourmillersur la route.
J'en marquai monétonnementau batelier aveclequelje traver-
saila rivière. « Monsieur,me dit-il, nous ne sommes ici que huit
« familles,et nous avons cinquante-troisenfants,parmi lesquels« il se trouvequarante-neuffilleset seulementquatre garçons, et
< decesquatre garçons, en voilàun qui m'appartient. En disant
ces mots, it se redressait d'un air de triomphe, et me montrait un
petit marmot de cinq à six ans, couché sur le devant du ba.eau, où
il s'amusait à gruger des écrevisses crues. Ce petit hameau s'ap-
pelle.
De cette observation qui remonte à plus de dix ans, et de quel-
ques autres que je ne puis pas aussi facilement indiquer, j'ai été
amené à penser que le mouvement génésique causé par la diète
ichthyaque pourrait bien être plus iritant que pléthorique et subs-
tantiel et j'y persiste d'autant plus volontiers que, tout récem-
MÉDITATION V, DES ALIMENTS.48
ment, le docteur Bailly a prouvé, par une suite de faits observés
pendant près d'un siècle, que toutes les fois que, dans les nais-
sances annuelles, le nombre des filles est notablement plus grand
que celui des garçons, la surabondance des femelles est toujoursdue à des circonstances débilitantes; ce qui pourrait bien nous in-
diquer aussi l'origine des plaisanteries qu'on a faites de tout temps
au mari dont la femme accouche d'une fille.
Il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur les aliments
considérés dans leur ensemble, et sur les diverses modifications
qu'ils peuvent subir par le mélange qu'on peut en faire mais
j'espère que ce qui précède suffira, et au-delà, pour le plus grand
nombre de mes lecteurs. Je renvoie les autres au traité e.cprofesso,
et je finis par deux considérations qui ne sont pas sans quelque
intérêt.
La première est que l'animalisation se fait à peu près de la même
manière que la végétation, c'est-à-dire que le courant réparateur
formé par la digestion est aspiré de diverses manières par les cri-
bles ou suçoirs dont nos organes sont pourvus, et devient chair,
ongle, os ou cheveu, comme la même terre arrosée de la même
eau produit un radis, une laitue ou un pissenlit, selon les graines
que le jardinier lui a confiées.
La seconde est qu'on n'obtient point, dans l'organisation vitale,
les mêmes produits que dans la chimie absolue; car les organes
destinés à produire la vie et le mouvement agissent puissammentsur les principes qui leur sont soumis.
Mais la nature, qui se plaît à s'envelopper de voiles et à nous
arrêter au second ou au troisième pas, a caché le laboratoire où
elle fait ses transformations; et il est véritablement difficile d'ex-
pliquer comment, étant convenu que le corps humain contient de
la chaux, du phosphore, du fer et dix autres substances encore
tout cela peut cependant se soutenir et se renouveler pendant plu-sieurs années avec du pain et de l'eau.
<
50 MÉDITATION VI.
et à quelquesobservations, fruit d'une longueexpérience,et qui,
je l'espère, serontnouvellespour la grandepartie de meslecteurs.
§ t i~t~mte~, Pet~~e, été
Nappelé pot-au-feuun morceaudebœufdes-
tiné à être traité à l'eaubouillantelégèrement
salée, pour en extraire les parties solubles.
Le bouillonest le liquidequi reste après
l'opération consommée.
Enfinon appellebouillila chair dépouilléede sa partie soluble.
L'eau dissout d'abord une partie de l'osmazôme puis l'albumine,
qui, se coagulant avant le 50e degré de Réaumur, forme l'écume
qu'on enlève ordinairement; puis, le surplus de l'osmazôme avec
la partie extractive ou jus; enfin, quelques portions de l'enveloppe
des fibres, qui sont détachées par la continuité de l'ébullition.
Pour avoir de bon bouillon, il faut que l'eau s'échauffe lente-
ment, afin que l'albumine ne se coagule pas, dans l'intérieur avant
d'être extraite et il faut que l'ébullition s'aperçoive S()peine, a6n
que les diverses parties qui sont successivement dissoutes puissents'unir intimement et sans trouble.
On joint aubouillon des légumes ou des racines pour en relever
le goût, et du pain ou des pâtes pour le rendre plus nourrissant:
c'est ce qu'on appelle un potage.
Le potage est une nourriture saine, légère, nourrissante, et quiconvient à tout le monde; il rejouit l'estomac, et le dispose à rece-
voir et à digérer. Les personnes menacées d'obésité n'en doivent
prendre que le bouillon.
On convient généralement qu'on ne mange nulle part d'aussi
bon potage qu'en France, et j'ai trouvé dans mes voyages laconfir-
mation de cette vérité.Ce résultat ne doit point étonner car lepo-
SPÉCIAUTËS. 5<
tage est la base de la diètenationalefrançaise,et t'expériencedes
sièclesa dû leporter a sa perfection.
§ Il. –nmBomMM
que le bœuf bouilli a perdu la moitié de son poids.
Nous comprenons sous quatre catégories les personnes qui
mangent le bouilli
1° Les routiniers, qui en mangent parce que leurs parents en
mangeaient, et qui, suivant cette pratique avec une soumission im-
plicite, espèrent bien aussi être imités par leurs enfants,;
2" Les impatients, qui, abhorrant l'inactivité à table, ont contracté
l'habitude de se jeter immédiatement sur la première matière quise présente ( tM<t<ef«Mtt.M<6)<!C<<t)M)
50 Les inattentifs, qui, n'ayant pas reçu du ciel le feu sacré, re-
gardent les repas cëmme les heures d'un travail obligé, mettent sur
le même niveau tout ce qui peut les nourrir, et sont à table comme
l'huître sur sbn banc;
4. Les dévorants, qui, doués d'un appétit dontt us cherchent à
dissimuler l'étendue, se hâtent de jeter dans leur estomac une pre-mière victime pour apaiser le feu gastrique qui es dévore, et servir
de base aux divers envois qu'ils se proposent d'acheminer pour la
même destination.
Les professeurs ne mangent jamais de bouilli, par respect pourr
les principes et parce qu'ils ont fait entendre en chaire cette vérité
incontestable Le &oMt!Hest de la chair moins son jus (~).
(1)Cettevéritécommenceà percer,et lebouillià disparttdahslesdtnersvérità-mentsoignés;on leremplaceparunfiletrôti, unturbotouunematelote.
M MÉDITATION VI.
§ Ht V<*MM<;«
54.
~Esuis' grand partisan des causes secondes, et
crois fermement que le genre entier des gallinacées
~B[~aété créé uniquement pour doter nos garde-man-
~S~SJ~~gers et enrichir nos banquets.
i~T ESectivëment, depuis la cai~e jusqu'au coq-d'Inde, par-
~m:b tout où on rencontre un individu de cette nombreuse famine,
on est sûr de trouver un aliment téger, savoureux, et qui
convient égatement au convalescent et à l'homme qui jouit de la
plus robuste santé.
Car quel est celui d'entre nous qui, condamné par la Faculté à
la chère des Pères du désert, n'a pas souri à l'aile de poulet pro-
la vie sociale ?
Nous ne nous sommes pas contentés des qualités que la natureavait données aux gattinacées; l'art s'en est emparé, et sous pré-texte de les améliorer, il ena faitdes martyrs. Non-seulement on les
SPÉCIALITÉS. M
prive des moyens de se reproduire, mais on les tient dans la so-
litude, on les jette dans l'obscurité, on les force à manger et on
les amène ainsi à un embonpoint qui ne,leur était pas destiné.
It est vrai que cette graisse ultra-naturelle est aussi délicieuse, et
que c'est au moyen de ces pratiques damnables qu'on leur donne
cette finesse et cette succulence qui en font les délices de nos meil-
leures tables.
Ainsi améliorée, la volaille est pour la cuisine ce qu'est la toile
pour les peintres, et pour les charlatans le chapeau de Fortunatus;
on nous la sert bouillie, rôtie, frite, chaude ou froide, entière ou
par parties, avec ou sans sauce, désossée, écorchée, farcie, et tou-
jours avec un égal succès.Trois pays de l'ancienne France se disputent l'honneur de four-
nir les meilleures volailles, savoir: le pays de Caux, le Mans et la
Bresse.
Relativement aux chapons, il y a du doute, et celui qu'on tient
sous la fourchette doit paraître le meilleur mais pour les pou-
lardes, la préférence appartient à celles de Bresse, qu'on appelle
poulardes ~HM, et qui sont rondes comme une pomme; c'est
grand dommage qu'elles soient rares à Paris, où elles n'arrivent
que dans des bourriches votives.
§ IV. Da Coq~tm~e
55.
Kdindon est certainement un des plusbeaux,
cadeaux que le nouveau monde ait faits à
l'ancien.
Ceux qui veulent toujours en savoir plus
que les autres ont dit que le dindon était
connu aux Romains, qu'il en tut servi un
aux noces de Charlemagne, et qu'ainsi c'est
mal à propos qu'on attribue aux jésuites l'honneur de cette savou-
rfuseimportation.
MÉbttATÎON VI.<t
A ces paradoxes on pourrait h'opposer que de~x choses
t Le nom dé l'oiseau, qui attesté son origine; car autrefois l'Amé-
rique était désignée sous le nom d'Jfm~ occMem<a!e~
2°Là figure du coq-d'Ihde, qui est évidemment tout étrangère.Un savant rie pourrait pas s'y tromper.
Mais, quoique déjà bien persuadé, j'ai fait à ce sujet des recher-
ches assez étendues, dont je fait grâce au lecteur, et]qui m'ont
donné pour résultat
1*'Que le dindon a paru en Europé vers la fin du dix-septième
Siècle.
2" Qu'il a été importé par les jésuites, qui en élevaient une
grande quantité, spécialement dans une ferme qu'ils possédaient
aux environs de Ëourges.3" Que c'est de là qu'ils se sont répandus peu à peu sur la
surface de la France c'est ce qui fait qu'en beaucoup d'endroits, et
dans le langage familier, on disait autrefois et en dit encore un
iésuite, pour désigner un dindon
4" Que l'Amérique est le seul endroit bu oh a trouvé le dindon
sauvage et dans l'état de nature (il n'en existe pas eh Afrique)
50Que dans les fermes de l'Amérique Septentrionale où il est
fort commun, il provient, soit desœufs qu'on à pris et fait couver,
soit des jeunes dindonneaux qu'on a surpris dans les bois et ap-
privoisés ce qui fait qu'ils sont plus près de tétât de nature, et
conservent davantage leur plumage primitif.
Et vaincu par ces preuves, je conserve aux bons pères une
double part de reconnaissance, car ils ont aussi importé le quin-
quina, qui se nommait en anglais j~M~ar/t (écorce des jésuites).
Les mêmes recnerches m'ont appris que l'espèce du coq-d'Inde
s'acclimate insensiblement en France avec le temps. Des Observa-
teurs éclairés m'ont appris que vers le milieu du siècle précédent,
sur vingt dindons éclos, dix à peine venaient à bien tandis que
maintenant, toutes choses égales, sur vingt on en êlëvë quinze.
Les pluies d'orage leur sont surtout funestes. Les grosses gouttes
de pluie, chassées par te vent, frappent sur leur tête tendre et mal
abritée, et les font périr.
spÉci~nT~s. ?
Beo Mmd<Mt<phMeo
56. –Le dindon est le plus gros, et sinon le pluspn, du moins
te plus savoureux de nos oiseaux domestiques.Il jouit encore de l'avantage unique de réunir autour de soi
toutes les classes de la société.
Quandles vignerons et les cultivateurs de nos campagnes veulent
se régaler dans les longues soirées d'hiver, que voit-on rôtir au feu
brillant de la cuisine où la table est mise? un dindon.
Quand le fabricant utile, quand l'artiste laborieux rassemble
quelques amis pour jouir d'un relâche d'autant plus doux qu'il est
plus rare, quelle est la pièce obligée du diner qu'il leur offre? un
dindon farci de saucisses ou de marrons de Lyon.Et dans nos cercles les plus éminemment gastronomiques, dans
ces réunions choisies, où la politique est forcéede céder le pas aux
dissertations sur le goût, qu'attend-on? que désire-t-on? que voit-
on au second service? une dinde truffée! Et mes mémoires se-
crets contiennent la note que son suc restaurateur plus d'une fois
éclairci des iaceséminemment diplomatiques.
tmMmemee am<MM<è)redu dindon.
57. L'importation des dindons est devenue la cause d'une
addition importante a la fortune publique,.et donne lieu à un com-
merce assez considérable.
Au moyen de l'éducation des dindons, les fermiers acquittent
plus facilement le prix de leurs baux les jeunes filles amassent sou-
vent une dot sumsan~e, et les citadins qui veulent se régaler de
cette chair étrangère sont obligés de céder leurs écus en compen-
sation.
Dans cet article purement nnancier, les dindes truffées demandent
une attention particulière.J'ai quelque raison de croire que depuis le commencement de
novembre jusqu'à la fin de février, il se consomme à Paris trois
cents dindes truffées par jour en tout trente-six nulle diodes.
MÉDITATION VI.M
Le prix communde chaque dinde, ainsi conditionnée, est au
moins de 20 tr., en tout 720,000 fr.; ce qui faitun fortjoli mou-
vementd'argent. Aquoi it iaut joindre une somme pareille pourles votâmes,faisans,pouletset perdrixpareillementtrunés, qu'onvoitchaque jour étalés dans les magasinsde comestibles,pour le
supplicedes contemplateursqui se trouventtropcourts pour y at-
teindre.
BxpMt dm pfctesseMf
58.
sh~~ ENDANTmon séjour à Hartibrt dans le Connecticut,
~~g~Q~~j'aieu le bonheur de tuer une dinde sauvage. Cet
JSS) exploit mérite de passer à la postérité, et je le con-
terai avec d'autant plus'de complaisance que c'est
moi qui en suis le héros.
Un vénérable propriétaire américain (american /<trmer)m'avait
invité à aller chasser chez lui; il demeurait sur les derrières de
t'état (back~roMM<~),me promettait des perdrix, des écureuils gris,
des dindes sauvages (wilp cocks),et me donnait la faculté d'y mener
avec moi un ami ou deux à mon choix.
En conséquence,un beau jour d'octobre 1794, nous nousache-
mtnâmes.M. King et moi, montes sur deux chevauxde louage,
sp~etAUTÉ~. M
8
avect'espoir d'arriver vers te soir ta &nae de M.Butow, située
à cinqmortelleslieuesde Hartfbrt,dans le Connecticut;.
M.Kingétaitun chasseur d'une espèceextraordinaire;il aimait
passionnémentcet exercice; mais quand il avait tué une pièce de'
gibier,Hse regardait commeun meurtrier, et faisaitsur te sortdu
défuntdes réflexionsmorales et des élégiesqui ne l'empêchaient
pas de recommencer.
Quoiquele cheminfut à peine tracé, nous arrivâmessans acci-'
dent, et nous fûmes reçus avec cette hospitalitécordialeet silen-
cieusequi s'exprimepar desactes, c'est-à-direqu'enpeu d'instants
tout fut examiné,caressé et hébergé, hommes, chevauxet chiens
suivantles convenancesrespectives.Deuxheures environfurentemployéesàexaminerla fermeetses
dépendances je décrirais tout celasijf voulais,maisj'aimemieux
montrer au lecteurquatre beaux brins de jBlle(&M~CMMt!aMM)dont
M.Bulowétait père, et pour qui notre arrivéeétait un grandévé-
nement.
Leurâge était de seizeà vingt ans; ellesétaientrayonnantesdefraîcheuret de santé, et il y avait dans toute leur personnetant de
simplicité,de souplesse et d'abandon, que l'actionla plus com-
mune suffisaitpour leur prêter millecharmes.
Peuaprès notre retour de la promenade,nous nous assîmesau-
tour d'une table abondammentservie. Un superbe morceau de
corn'd beef (bœuf à mi-sel), une oie daubée (.!<eM'<<),et une ma-
gnifique jambe de mouton (gigot), puis des racines de toute espèce
(plenty), et aux deux bouts de la table deux énormes pots d'un cidre
excellent dont je ne pouvais pas me rassasier.
Quand nous eûmes montré à notre hôte que nous étions de vrais
chasseurs, du moins par l'appétit, il s'occupa du but de notre
voyage il nous indiqua de son mieux les endroits où nous trou-
verions du gibier, les points de reconnaissance qui nous guideraientau retour, et surtout les termes où nous pourrions trouver de quotnous rafraîchir.
Pendant cette conversation, les dames avaient préparé d'excel-
lent thé, dont nous avalâmes plusieurs tasses; après quoi on nous~
MÉDITATION VI.M
montraune chambre à deuxlits, où l'exercice et la bonne chère
nousprocurèrentun sommeildélicieux.
Lé lendemain/nous nous mimes enchasseun peu tard et par-venus au bout des défrichementsfaitspar les ordres de M.Bulow,
je me trouvai, pour la première fois,dans une forêtvierge,et où
la cognéene s'était jamais fait entendre.
Je m'y promenaisavecdélices, observant les bienfaitset les ra-
vagesdu tempsqui crée et détruit, et je m'amusaisà suivretoutes
les périodesde la vied'un chêne, depuis le moment où il sort de
la terre avecdeux feuilles,jusqu'à celuioù il ne reste plus de lui
qu'une longuetrace noire, qui est la poussièrede son cœur.
M.Kingme reprochames distractions, et nous nous mimes à
chasser. Noustuâmes d'abord quelques-unesde ces jolies petites
perdrix grisesqui sont si rondes et si tendres. Nousabattîmes en-
suitesixou septécureuilsgris, dont on faitgrandcasdans ce pays~enfin notre heureuseétoilenousamenaau milieu d'une compagniede coqs-d'Inde.
Ilspartirentàpeud'intervallelesunsdesautres,d'unvolbruyant,
rapide, et en faisant de grands cris. M.Kang tira sur le premier,et courut après les autres étaienthors de portée enfin, le plus
paresseuxs'éleva à dix pas de moi; je le tirai dans une clairière,
et il tombaroide mort.
Il faut être chasseurpour concevoirl'extrêmejoie que me causa
un si beau coup de fusil. J'empoignaila superbe volatile,et je la
retournaisen tout sens depuis un quart d'heure, quandj'entendisM.King'qui criaità l'aide; j'y courus, et je trouvai qu'il ne m'ap-
pelaitque pourl'aider dans la recherched'un dindonqu'il préten-dait avoirtué, et qui n'en avait pas moins disparu.
Je mis monchien sur la trace; mais il nous conduisit dans des
hallierssi épaiset si épineuxqu'un serpent n'y aurait pas pénétré;il fallutdoncy renoncer; ce qui mit moncamaradedans un accès
d'humeur qui dura jusqu'au retour.
Le surplus de notre chassene méritepas les honneurs de l'im-
pression.'Au retour, nous nous égarâmesdans ces bois indéfinis,
et nous courions grand risque d'y passer la nuit, sans les voix
SPÉCtAUTÉS. 59
argentinesdes demoisellesBulowet la pédate de leur papa, quiavait eu la bonté de venir au-devantde nous, et qui nous aidèrent
à nous en tirer.
Lesquatre sœurs s'étaient misessous les armes desrobes très
fraîches,des ceintures neuves,de jolis chapeauxet une chaussure
soignéeannoncèrentqu'on avait faitquelques fraispour nous; et
j'eus, de mon côté, l'intentiond'être aimablepour cellede ces de-
moisellesqui vint prendre mon bras, tout aussi propriétairement
quesi elleeût été ma femme.
En arrivantà la ferme, nous trouvâmes le souper servi mais;
avant que d'en profiter, nous nous assîmesun instantauprès d'un
feuvifet brillant qu'on avaitallumépour nous, quoiquele tempsn'eût pas indiqué cetteprécaution.Nous nous en trouvâmes.très
bien, et fûmesdélasséscommepar enchantement.
Cettepratiquevenaitsansdoutedes Indiens, quiont toujoursdu
feudans leur case.Peut-êtreaussiest-ceune traditionde saintFran-
çoisde Sales, quidisaitque le feuétait bondouze moisde l'année.
(Non!~Me<.)
NousmangeâmescommedesaSàmés un ample bowlde punchvint nousaiderà finir la soirée, et une conversationoù notre hôte
mit bienplus d'abandon que la veillenous conduisitassez avant
dans la nuit.
Nousparlâmesde la guerre de l'indépendance, où M. Bulow
avait servi commeofficiersupérieur; de M. de La Fayette, qui
granditsans cesse dans le souvenirdes Américains,qui nele dé-
signentque par sa qualité (themarquis);de l'agriculture, qui, en
ce temps,enrichissaitles États-Unis,et enfinde cettechèreFrance,
quej'aimais bien plusdepuisque j'avais été forcé de la quitter.
Pourreposer la conversation,M. Bulowdisait de tempsà autre
à sa filleainée Mariah!give us a song. » Et elle nous chanta
sans se faireprier, et avecun embarrascharmant, la chansonna-
tionale Yankeedudde,la complainte de la reine Marieet celle du
majorAndré,qui sonttout-à-faitpopulairesen ce pays. Mariaavait
pris quelquesleçons, et, dans ces lieux élevés, passait pour une
M MÉDttATiON VI.
virtuose; mais son chant tirait surtout son mérite de la qualité de
sa voix, qui était à la fois douce, fraîche et accentuée.
Le lendemain nous partîmes malgré les instances les plus ami-
cales: car là aussi j'avais des devoirs à remplir. Pendant qu'on
préparait les chevaux, M. Bulow, m'ayant pris à part, me dit ces
paroles remarquables f
Vous voyez en moi, mon cher monsieur, un homme heureux,
<s'il y en a un sous le ciel tout ce qui vous entoure et ce que
< vous avez vu chez moi sort de mes propriétés. Ces bas, mes
< filles les ont tricotés mes souliers et mes habits proviennent de
t mes troupeaux ils contribuent aussi, avec mon jardin et ma
< basse-cour, à me fournir une nourriture simple et substantielle;
«et.ce qui fait l'éloge de notre gouvernement, c'est qu'on compte< dans le Connecticut des milliers de fermiers tout aussi contents
< que moL et dont les portes, de même que les miennes, n'ont pas
< de serrures.
< Lesimpôts ici ne sont presque rien; et tant qu'ils sont payés
< nous pouvons dormir sur les deux oreilles. Le congrès favorise
de tout son pouvoir notre industrie naissante des facteurs se
< croisent en tout sens pour nous débarrasser de ceque nous avons
< a vendre et j'ai de l'argent comptant pour longtemps, car je
< viens de vendre, au prix de vingt-quatre dollards le tonneau, la
«farine que je donne ordinairement pour huit.
«Tout nous vient de la liberté que nous avons conquise et fondée
sur de bonnes lois. Je suis maître chez moi, et vous ne vous en
< étonnerezpasquandvoussaurezqu'onn'y entend jamaisle bruit
« du tambour, et que, hors le 4 juillet, anniversaire glorieux de
« notre indépendance, on n'y voit ni soldats, ni uniformes, ni
« batonnettes.
Pendant tout le temps que dura notre retour, j'eus l'air absorbé
dans de profondes réflexions on Croira peut-être que je m'occu-
pais de la dernière allocution de M. Bulow mais j'avais bien d'au-
tres sujets de méditation je pensais à la manière dont je ferais cuire
mon coq-d'Inde, et je n'étais pas sans embarras, parce queje crai-
gnais de' ne pas trouver à tiartfbrd tout ce que j'aurais désiré car
~PÉCtALtTËS. M
je voulaism'éteverun trophée en étatant avec avantage mes dé-
pouiUesopimes.Je fais undouloureuxsacrificeen supprimant les détaMsdu trà~
vailprofond dont le but était de traiter d'une mantèredistinguéelesconvivesaméricainsquej'avais engagés. il suffirade dire queles ailes de perdrix furent servies en papillote, et les écureuils
griscourbouillonnésau vin de Madère.
Quantau dindon, qui faisait notre unique plat de rôti, il fut
charmantà la vue, flatteur à l'odorat et délicieuxau goût. Aussi,
jusqu'à la consommationde la dernièrede ses particules, on en-
tendaittout autour de la table < Verygood exceedthgtygôod1
< oh! dear sir, what à gloriousbit Très bon,extrêmementbon
ô mon cher monsieur, quel glorieuxmorceau(1)
§ V. Du CtMer
39.
N entend par gibier les animaux bons à manger
qui vivent dans les bois et les campagnes, dans
l'état de liberté naturelle.
Nous disons bons a manger, parce que quelques-
uns de ces animaux ne sont pas compris sous la
dénominationde gibier. Tels sont les renards, blaireaux cor-
beaux,pies,chats-huantset autreson les appellebêtespuantes.Nousdivisons le gibieren trois séries
La premièrecommenceà la griveet contient, en descendant,tousles oiseaux de moindrevolume,appeléspetitsoiseaux.
(1)La.chairdeladindesauvageestpluscoloréeet plusparfuméequecelledeladindedomestique.
J'ai appris avec plaisir que mon estimable collègue, M. Bosc, en avait tué dans
la Caroline, qu'il les avait trouvées excellentes, et surtout bien meilleures que celles
que nous élevons en Europe. Aussi conseille-t-il il.ceux qui en élèvent de leur
donner le plus de (tberté possible de les conduire aux champs, e~même dans les
bois, pour en rehausser le goût et les rapprocher d'autant de l'espèce primitive.
( ~Mot~M<t'~tCM«M~e, eah. du as février 1821. )
69 MÉDITATION VI.
La secondecommenceen remontant au râle de genêt, à la bé-casse, à la perdrix, au faisan,au lapinet au lièvre; c'est le gibier
proprement dit gibierde terre et gibierde marais,gibier de poil,
gibier de plume.La troisièmeest plus connue sous le nom de venaison ellese
composedu sanglier, du chevreuilet de tous les autres animaux
fissipèdes.Le gibierfaitles déHcesdenostables c'estune nourriture saine,
chaude,savoureuse,de haut goût, et facileà digérer toutes les fois
que l'individuest jeune.Maisces qualitésn'y sont pas tellement inhérentes qu'elles ne
dépendentbeaucoupde l'habiletédu préparateur qui s'en occupe.Jetez dans un potdu sel, de l'eau et un morceaude bœuf, vousen
retirerez du bouilliet du potage. Aubœuf, substituezdu sanglierou du chevreuil,vous n'aurez rien de bon; tout l'avantage, sous
ce rapport, appartientà la viandede boucherie.
Maissousles ordres d'un chefinstruit, le gibier subit un grandnombrede modificationset transformationssavantes, et fournit la
plupart desmets de haute saveur qui constituentla cuisinetrans-
cendante.
Le gibier tire aussi une grande.partiede son prix de la nature
du sol où il se nourrit; le goût d'une perdrix rouge du Périgord
n'est pas le mêmeque celuid'une perdrix rouge de Sologne; et
quand le lièvre tuédans lesplainesdes environsde Parisne paraît
qu'un plat assez insignifiant,un levreau né sur les coteauxbrûlés
du Valromeyou du Haut-Dauphinéest peut-être le plus parfumé
de tous les quadrupèdes.Parmiles petitsoiseaux,le premier, par ordre d'excellence,est
sans contredit le becfigue.
Il s'engraisseau moinsautantque le rouge-gorgeou l'ortolan, et
la nature lui a donnéen outre une amertumelégère et un parfum
unique si exquis, qu'ils engagent,remplissent et béatifienttoutes
les puissances dégustatrices. Si un becfigueétait de la grosseur
d'un faisan, on le paierait certainement à l'égal d'un arpent de
terre.
SPÉCIALITÉS. ?
C'est grand dommage'que cet oiseau privHégiése voie si rare-
mentà Paris il en arrive à la vérité quelques-uns, mais il leur
manquela graissequi fait tout leur mérite, et on peut dire qu'ilsressemblentà peine à ceuxqu'on voit dans les départementsde
l'est ou du midi de la France (i).Peude gens savent manger les petits oiseaux en voicila mé-
thodetellequ'elle m'a été confidentiellementtransmisepar le cha-
noineCharcot,gourmandpar étatet gastronomeparfait, trente ans
avant que le nom futconnu.
Prenez par le bec un petit oiseaubien gras, saupoudrez-led'un
peude sel, ôtez-en le gésier, enfoncez-leadroitementdans votre
bouche,mordez et trancheztout près de vos doigts, et mâchezvi-
vement ilen résulteun sucassez abondant pour enveloppertout
l'organe, et vous goûterezun plaisir inconnuau vulgaire..
Odi profanum vulgus, et arceo. HoBACE.
Lacailleest, parmi legibierproprementdit, ce qu'ily a de plus
mignonet de plus aimable.Unecaillebien grasse ptait également
par songoût, sa formeet sa couleur.Onfaitacted'ignorancetoutes
les foisqu'on la sert autrement que rôtie ou en papillotes,parce
queson parfumest très fugace,et toutes les fois que l'animal est
encontactavecun liquide,il se dissout, s'évapore et se perd.La bécasseest encoreun oiseautrès distingué,maispeude gens
en connaissenttous les charmes. Une bécassen'est dans toute sa
.(<)J'aientenduparlerà Belley,dansmajeunesse,dujésuiteFabi,nédansce
diocèse,etdugoûtparticulierqu'ilavaitpourlesbecfigues.Dès qu'on en entendait crier, on disait Voilà les becNgues, le père Fabi est
en route. Effectivement, il ne manquait jamais d'arriver le 1" septembre avec un
ami ils venaient s'en régaler pendant tout le passage chacun se faisait un plaisir
de les inviter, et ils partaient vers le 95.
Tant qu'il fut en France, il ne manqua jamais de faire son voyage ornithophilique,
et ne l'interrompit que quand il fut envoyé à Rome, où il mourut pénitencier en
1688.
Le père Fabi (Honoré) était un homme de grand savoir; il a fait divers ouvrages
de théologie et de physique, dans l'un desquels il cherche à prouver qu'il avait dé-
couvert la circulation du sang avant ou du moins aussitôt qu'Harvey.
M$MT~TÏON Vï.6t
gloire que quand ellea été rôtie sousles yeux d'un chasseur, sur-
tout du chasseurqui l'a tuée alors la rôtie est coniectionnéesui'
vantles règles voulues,et la bouches'inonde de délices.
Au-dessusdesprécédents,et mêmede tous, devrait se placer le
faisan;maispeude mortelssavent le présenter à point.
Un faisan mangédans la premièrehuitaine de sa mort ne vaut
ni une perdrix ni un poulet, car son mérité consiste dans son
arôme.
La sciencea considérél'expansionde cet arome, l'expériencel'a
miseen action, et un faisansaisi pour son inibcationest un mor-
ceaudignedesgourmandsles plus exaltés.
On trouvera dans les Variétésla manièrede rôtir un faisanà la
«Kmtealliance.Le moment est venu où cette méthode, jusqu'ici
concentréedansun petit cercled'amis, doit s'épancherau dehors
pour le bonheur de l'humanité. Un faisan aux truffesest moins
bon qu'on ne pourrait le croire l'oiseauest trop sec pour oindre
le tubercule et d'ailleursle fumetde l'un et le parfum de l'autre
se neutralisenten s'unissant, ou plutôtne se conviennentpas.
§ VÏ Bn M'<tiso<tm.
40.
UELQeESsavants, d'ailleurs peu orthodoxes,
ont prétendu que l'Océan avait été le berceau
commun de tout ce qui existe; que l'espèce
humaine elle-même était née dans la mer, et
qu'elle ne devait sonétat actuel qu'a l'influence
de l'air. et aux habitudes qu'êlle a été obligée
de prendre pour séjourner dans ce nouvel
élément.
Quoiqu'il en soit, il est au moinscertainque l'empire des eaux
contientune immensequantité d'êtres de toutes les formes et de
toutesles dimensions,quijouissentdes propriétésvitalesdansdes
%P~~M~ «r
9
ppopo~ions di~tf" et ~utvaMMatnodètj~t n!e~tpe!t~t$
m~mequeceluidesanimapx àsangohaud.Il n'est pasmoins yratqu'il présente) en tQutteBtp~bt pftfMtm~
unemasseénormed'aliments,etc., etque, dans MMttaetuelda~
science,i{introduit sur nos tables ta p~agréaNe variétét
Lepoisson, moins nourrissantquêta chair, ptus~uceu~ntqHa
tesvégétaux,est un mexxoterminequi convient à presque toaster
tempéraments,et qu'on peut permettre mêmeaux convalescents.!
LesGrecset les Romains,quoiquemoinsavancésquenousdans
l'art d'assaisonnerle poisson,n'en faisaientpas moinstrès grand
cas, et poussaientla délicatessejusqu'à pouvoirdevinerau goûten
quelleseaux ilsavaientété pris.Ils en conservaientdans des Viviers et t'Onconnaîtla cruauté de
VadiusPollion,qui nourrissaitdes murènesavec les corps des ës-
clavesqu'il faisaitmourir cruautéque t'empereur Domitiendé-~
sapprouvahautement, maisqu'il aurait dû punir.Ungrand débat s'est élevésur ta question dé savoirlequel doit
l'emporter,du poissonde mer ou du poisson d'eàû doUcë~
Ledifférendne sera probaMementjamais jugé cbn<brmémënt
au proverbeespagnol, sobrelosgus1tog,no hai <~MpM<a.Chacunest
afTectéà sa manière ces sensationsfugitivesne peuvent s'expri-merpar aucuncaractèreconnu, et il n'y a pas d'échelle pour esti-
mer si un cabillaud, une soieou un turbot valent mieux qu'unetruitesaumonnée,un brochetde haut bord, ou même une tanche
de sixou sept livres.
Il est bienconvenuque le poissonest beaucoupmoins nourris-
sant que la viande, SQ~tparcequ'il necontientpoint d'osmazôme,
soitparcequ'étant bienbt~s tpgerep poids,sous te mômevolume
il contientmoins de p~ère. Le coquHtageet spécialementles
huitresfournissent p~ des~b~~jee ~utfittye, c'est ce qui fait
qu'onen peutmanger beaucoup sans nuire au repas qui suit im-
médiatement.
On se souvient qu'autrefoisun festinde quelque apparat cot~
mengaitordinairementpar deshuîtres, et qu'it se t~u~àit tOHjda~un bon nombre de convivesqui ne s'arrêtaient pas sans en a~ëi~
M MÈDITATION VI.
avatétMM~nMM(douze douzaines,centquarante-quatre).J'ai voulu
savoirquel étaitle poidsde.cetteavant-garde,etj'ai vérifiéqu'unedouzained'huîtres (eau comprise)pesaitquatreonces,poids mar-
chand ce qui donne pour ta grosse <rot<KwM.Or, je regarde
commecertain que les mêmespersonnes, qui n'en dînaientpasmoinsbien après les huîtres, eussent été complètementrassasiées
si ellesavaient mangéla même quantité de viande, quand même
c'aurait été de la chair de poulet.
Ameed<tte
En 1798, j'étais à Versailles,en qualité de commissairedu Di-
rectoire, et j'avais des relationsassez fréquentesavec le sieur La-
perte, greffierdu tribunaldu département il était grand amateur
d'huîtres et seplaignaitde n'en avoir jamais mangéà satiété, ou,commeil le disait toutBon«MM.
Je résolusde lui procurer cette satisfaction,et à cet enetje l'in-vitai à dîner avec moile lendemain.
Il vint je lui tins compagniejusqu'à la troisièmedouzaine,après
quoi je le laissaialler seut. Hallaainsijusqu'à la trente-deuxième,
c'est-à-dirependantplus d'une heure, car l'ouvreuse n'était pas
btenhabite.
SPÉCIALITÉS. <7
Cependantj'étais dans l'inaction, et commec'est à tab!e ~a'eUe
est vraimentpénible,j'arrêtai mon conviveau moment bu Hétait
le plus en train Moncher, lui dis-je,votre destin n'est pasde
« manger aujourd'hui votre «Mt!d'huîtres, dinons. Nousdî-
nâmes, et il se comporta avecla vigueuret ta tenued'un homme
qui aurait été àjeun.
Mnfttt Ca~ntm.
41.
Q~T~Esanciens tiraient du poisson deux assaisonnementsde très hautgoût, le muriaet le garum.
~~sl~~ Le premiern'était que la saumurede thon, ou, pour
~MjE~ parler plus exactement, la substanceliquideque le
~U~ ~{mélange de sel faisaitdécoulerde ce poisson.
~~B Le garum, qui était pluscher, nous est beaucoupmoins
connu. On croit qu'on le tiraitpar expressiondes entrailles
marinéesduscombre ou maquereau; mais alorsrien ne rendrait
raisonde ce haut prix. 11y a lieu de croireque c'était une sauce
étrangère, et peut-être n'était-ce autre choseque le <oyquinous
vientdel'Inde, et qu'on saitêtre le résultat depoissonsfermentés
avecdes champignons.Certainspeuples,par leur position, sontréduits à vivre presque
uniquementde poisson ils ennourrissentpareillementleurs ani-
mauxde travail, que l'habitudefinit par soumettreà ces aliments
insolites; ils en fumentmêmeleurs terres, etcependantla mer quiles environnene cesse pas de leur en fournir toujours la même
quantité.Ona remarquéque ces peuplesont moinsde courage queceux
qui se nourrissentde chair; ilssont pâtes, ce qui n'est pointéton-nant, parceque, d'après lesélémentsdont le poissonest composé,ildoit plusaugmenterla lympheque réparer le sang.
Ona pareillementobservéparmi les nations ichthyophagesdesexemplesnombreux de longévité, soit parce qu'une nourriture
M&itïTATIOt! Vï.88
peu Mibstahttenëet plus légèreleur sauve les inconvénientsde la
pléthore, soit que les sucsqu'elle contient, n'étant destinéspar la
nature qu'a formerau plus des arêtes et des cartilagesqui n'ont
jamais Unegrande durée, l'usage habituel qu'en font les hommes
retarde chez euxde quelquesannées la solidificationde toutes les
parties du corps, qui devientenfin.la cause nécessairedelà mort
naturelle.
Quoiqu'il en soit, le poisson,entre les mains d'un préparateurhabile, peut devenir une source inépuisablede jouissancesgus-tuelles on le sert entier, dépecé, tronçonné, à l'eau, à l'huile,au
vin, froid, chaud, et toujours il est égalementbien reçu mais il
ne mérite jamais un accuëiiplusdistinguéque lorsqu'il paraît sous
la formed'une matelotte.
Ce ragoût, quoiqu'impôsépar là nécessitéaux mariniers qui
parcourent nos neuves, et perfectionnéseulementpar les cabare-
tiers du bord de l'eau, ne leur est pas moins redevabled'une
bontéque rien ne surpasse; et les ichthyophilesne les voient ja-
mais paraître sans exprimer leui' ravissement, soit a cause de la
franchisede son goût, soit parce qu'il réunit plusieursqualités,soit en6n parce qu'on peut en manger presque indéfinimentsans
craindre ni là satiéténi l'indigestion.La gastronomieanalytique a cherché à examiner quels sont,
sur l'économie animale, les effetsdu régimeichthyaque, et des
observations unanimesont démontré qu'il agit fortementsur le
gêhésique, et éveille chez les deux sexes l'instinct de la pro-duction.
t'ënët une foisconnu, on eh trouva d'abord deux causes telle-
ment immédiates qu'elles étaient à là portée de tout le monde,
savoir: i° diversesmanièresdepréparer le poisson,dont les assai-
sonnementssontévidemmentirritants, telquelecaviar, lesharengs
saurs; le thon mariné, là morue, le stocit-nsh,et autres pareilsles Sucsdiversdont le poissonest imbibé,qui sont éminemment
inflammables~et s'oxygènentet se rancissentpar là digestion.Uneàhalysbplusprofondeeh a découvertune troisièmeencore
plus active; Savoir: là présencedu phosphore qui se trouve totit
SPËCïAMT~. <M
ibrmédans les taites,et qui ne manquepas de se montrer en dé-
composition.Cesvérités physiquesétaientsans doute ignoréesde ces législa-
teurs ecclésiastiquesqui imposèrentla diètequadragésimaleà di-
versescommunautésdemoines,tellesque les Chartreux,les Recol-
lets, les Trappistes et lés CarmesBéchaux réformés par sainte
Thérèse; car on ne peut pas supposerqu'ils aient eu pour but dé
rendre encore plusdifficilel'observancedu but de chasteté~déjà si
anti-social.
Sans doute, dans cet état de choses, des victoireséclatantesont
été remportées, des sens bien rebellesont été soumis; maisaussi
que de chutes que de défaites!Il fautqu'ellesaientété bien avé-
rées, puisqu'ellesfinirentpar donnerà un ordre religieuxune ré-
putation semblableà celled'Herculechez les fillesde Dapaüs,ou
dumaréchalde Saxeauprèsde mademoiselleLecouvreur.
Aureste, ils auraientpu être éclairéspar une anecdotedéjà an-
cienne.puisqu'ellenous est venuepar les croisades.
Le sultan Saladin, voulantéprouver jusqu'à quelpoint pouvait
aHerla continencedesderviches,en prit deux dans son palais, e).
pendantun certain espace de tempsles fit nourrir des viandesles
plussucculentes.
Bientôt la trace des sévérités qu'ils avaientexcercéessur eux-
mêmess'effaça,et leur embonpointcommençaà reparaître.Danscet état, on leur donna pour compagnesdeux odalisques
d'une beauté toute puissante,maiselleséchouèrentdans leurs at-
taqueslesmieuxdirigées,et les deux Saintssortirentd'une épreuveaussidélicate,purs commele diamantde Visàpour.
Le sultan les gardaencore dans son palais, et pour ëétebrerleur triomphe, leur fit fairependant plusieurssemalMe~une chère
égalemehtSoignée,mais exclusivementëh poisson.Apeu dejours; on les soumitde nouveauau pouvoir réuni de
la jeunesse et de ta beauté mais cettefois,la nature fut la plusforte,ét les trop heureuxcénobitesSuccombèrent. étonnamment.
Dansl'état actueldenos connaissances,il est probableque, si le
odarsdeschosesramenaitquètquëot'drpniona~l, les sttperlëufs
70 MÉDITATION VI.
chargés de les diriger adopteraient un régime plus ~voràble à
l'accomplissementde leursdevoirs.
RéNext~m philosophique.
A2. Lepoisson, prisdansla collectiondeses espèces,est pourle philosopheun sujet inépuisablede méditationet d'étonnement.
Les formesvariéesde ces étranges animaux, les sens qui leur
manquent,la restrictionde ceux qui leur ont été accordés, leurs
diverses manièresd'exister, l'inÛuencequ'à dû exercer sur tout
cela la différencedu milieudans lequel ils sont destinés à vivre,
respirer et se mouvoir, étendentla sphère de nos idées etdesmp-dificationsindéfiniesqui peuventrésulter de la matière, du mou.
vementet de la vie.
Quantà moi, j'ai pour eux un sentimentqui ressembleau res-
pect, et qui naît de persuasion intimeoù je suis que ce sont des
créatures évidemment antédiluviennes car le grand cataclysme,
qui noyanosgrands-onclesversle dix-huitièmesiècledela création
du monde, ne fut pour les poissonsqu'un tempsde joie, de con,
quête, de festivité.
§ VII. Me~ Tfmtfea
45.
~~M~. ai dit truffeprononceun grandmot qui réveilledes
souvenirs érotiques et gourmandschezle sexe por-
~y~~ tant jupes, et des souvenirsgourmandset érotiqueschezle sexeportantbarbe.
~aN~ Cette duplicationhonorable vient de ce quecet
éminent tuberculepasse non-seulementpour délicieux au goût;mais encoreparcequ'on croitqu'ilélèveunepuissancedont rexer-
cice est accompagnédes plusdoux plaisirs.
L'origine de la truffeest inconnue on la trouve,mais onnesait
ni commente)!e naîtni commentelle végète. Leshommes'les plus
SPÉCïAMTÉS. 7i
habiless'en sont occupés on a crueMTeGonna!tre!es graines,on
a promisqu'on en sèmeraità volonté. Ntbfts inutiles promesses
mensongères!jamais la plantationn'a été saisiedela récolte,et ce
n'est peut-être pas un grand malheur car, comme le prix des
truffestient un peu au caprice,peut-êtreles estimerait-onmoinssi
on les avaiten quantitéet à bon marché.
< Réjouissez-vous,chère amie, disais-jeun jour à madame de
<Ville-Plaine;on vient de présenterà la Sociétéd'encouragement<un métierau moyenduquelon fera dela dentellesuperbe, efqui<ne coûtera presque rien. Eh me répondit cette belle avec<un regard de souveraine indifférence,si la dentelleétait à bon
marché,croyez-vousqu'on voudraitporter de semblablesgue-<nilles?»
De ht Vertu érettqme des TmOTeo*
44.
~S~Y EsRomains ont connu la truffe; mais il ne parait
pas que l'espèce française soit parvenue jusqu'à eux.
~)~Bx~~Cetlesdont ils faisaient leurs délices leur venaient de
~t~j~J~wGrèce,d'Afrique, et principalement de Libye; la(tJ)~)\D
t r r J
t~j~) 0/3 substance en était blanche et rougeâtre, et les truf-
\~L~2~' iës de Libye étaient les plus recherchées, comme à la
/.r~'=~ fois plus délicates et plus parfumées.
Libidinis alimentaperomniaquœrunt.Juvénat.
DesRomains jusqu'à nous il y a eu un long interrègne, et la ré-
surrection des truffes est assez récente car j'ai lu plusieurs an-
ciensdispensaires où il n'en est pas mention on peut mômedire quela génération qui s'écoule au moment où j'écris en a été presquetémoin.
Vers 1780, les truffes étaient rares à Paris; on n'en trouvait, et
seulement en petite quantité, qu'à l'hôtel des Américains et à l'hô-tel de Provence, et une dinde truSse était un objet de luxe qu'on ne
MÉDITATION VI.7t
voyait qn~ la taMe des plus grandsseigneurs, ou chez les SHes
entretenues.
Nousdevons leur multiplicationaux marchandsdecomestibles,
dontle nombres'est fortaccru, et qui, voyant que cette marchan-
dise prenait faveur; en ont faitdemander dans tout le royaume,i
et qui, les payant bien et les faisantarriver par lescourriers dé la
malleet parla diligence;en ont rendu la recherchegénérate; car
puisqu'onne peut pas lesplanter, ce n'est qu'en les recherchant
avecsoinqu'on peuten augmenterla consommation.
Onpeutdire qu'au momentOùj'écris (18~5)la gloire dela truffe
est à son apogée. Onn'ose pasdire qu'on s'est trouvé à un repas
oùil n'y aurait pas eu une piècetruffée.Quelquebonneen soique
puisseêtre une entrée,ellese présentemal si ellen'est pasenrichie
de truffes.Quin'a pas senti sa bouchese mouiller en entendant
parlerde <nt~d!<t~roMttpa!<!?T
Unsautéde truffes est un plat dont la maîtressede lamaison se
réservede faireles honneurs; bref, la truffe est le diamant de la
cuisine.
J'atcherchéla raison de cettepréférence car il m'a semblé que
plusieursautressubstancesavaient undroit égal à cet honneur; et
je t'ai trouvéedans ta persuasionassez générateoù t'en est que la
truffe dispose aux plaisirs géhésiqùes; et, qui plus est. je me
suis&ssurêquëlaplusgrande partie de nos perfections,de nos
prédilectionset de nosadmirationsproviennentdela mêmecause,
tant est puissantet générât te servageoù noustient ce senstyranni-
queet capricieuxCettedécouvertem'a conduit à désirer de savoir si l'effetest
réel et l'opinionfondée en réalité.
Unepareille rechercheest sans doutescabreuseet pourrait prê-
ter à rire auxmalins; mais honni soitquimal y pense toute vé-
rité est bonne à découvrir,
Je mesuisd'abord adresséaux dames, parce qu'ellesontle coup
d'œiljuste etie tactfin mais je me suis bientôt aperçu que j'au-
rais dû commencercette disquisition quarante ans plus tôt, et je
n'ai reçuque des réponses ironiquesou éyasives: une seule y a
SPÉCIAUTÉS. 7:
10
mis de la bonne foi, et je vais la laisser parler c'est une femme
spirituelle sans prétention, vertueuse sansbégueuterie, et pour
qui l'amour n'est plus qu'un souvenir aimable.
< Monsieur, medit-elle, dans le temps où l'on soupait encore,
<je soupai un jour chez moi en trio avec mon mari et un de ses
< amis. Verseuil (c'était le nom de cet ami) était beau garçon,
»ne manquait pas d'esprit, et venait souvent chez moi mais il
e ne m'avait jamais rien dit qui pût le faire regarder comme mon
« amant et s'il me faisait la cour, c'était d'une manière si enve-
loppée qu'il n'y a qu'une sotte qui eût pu s'en fâcher. Il parais-
< sait, ce jour-là, destiné à me tenir compagnie pendant le reste
<de la soirée, car mon mari avait un rendez-vous d'affaires, et de-
< vait nous quitter bientôt. Notre souper, assez léger d'ailleurs,
< avait cependant pour base une superbe volaille truffée. Le&ub-
< délégué dePérigueux nous l'avait envoyée. En ce temps, c'était
«un cadeau; et d'après son origine, vous pensez bien que c'était
« uneperfection. Les truffes surtout étaient délicieuses, et vous sa-
vez que je les aime beaucoup cependant jeme contins je ne bus
aussi qu'un seul verre de Champagne; j'avais je ne sais que! pres-
M ÉDITATION VI.74
< sentiment de femme que la soirée ne se passerait pas sans quel-
< qu'événement. Bientôt mon mari partit et me laissa seule avec
< Verseuil, qu'il regardait commetout à fait sans conséquence. La
<conversation roula d'abord sur des sujets indifférents; mais elle
< ne tarda pas à prendre une tournure plus serrée et plus intéres-
< santé. Verseuil fut successivement flatteur, expansif, aHèctueux,
caressant, et voyant que je ne faisaisque plaisanter tant de belles
< choses, il devint si pressant que je né pus plus me tromper sur
< ses prétentions. Alors je me réveillai comme d'un songe, et me
< défendis avec d'autant plus de franchise que mon cœur ne me
< disait rien pour lui. Il persistait avec une action qui pouvait de-
f venir tout-à-fait offensante; j'eus beaucoup de peine à le rame-
< her et j'avoue à ma honte que je n'y parvins que parce que
< j'eus l'art dé lui faire croire que toute espérance ne lui serait
< pas interdite. Enfin il me quitta, j'allai me coucher et dormir
< tout d'un somme. Mais le lendemain fut le jour du jugement« j'examinai ma conduite de la veille et je la trouvai répréhensible.
< J'aurais dû arrêter Verseuil dès les premières phrases et ne pas< me prêter à une conversation qui ne présageait rien de bon. Ma
<fierté aurait dû se réveiller plus tôt, mes yeux s'armer de sévé-
« rité; j'aurais dû sonner, crier, me fâcher, faire enfin tout ce que
<je ne fis pas. Que vous dirai-je monsieur? je mis tout cela sur le
<compte des truffes; je suis réellement persuadée qu'elles m'avaient
<donné une prédisposition dangereuse; et si jen'y renonçai pas (ce
'qui eût été trop rigoureux), du moins je n'en mange jamais sans
< que le plaisir qu'elles me causent ne soit mêlé d'un peu de dé-
<fiance,
Un aveu, quelque franc qu'il soit, ne peut jamais faire doctrine.
J'ai donc cherché des renseignements ultérieurs j'ai rassemblé mes
souvenirs, j'ai consulté les hommes qui, par état, sont investis de
plus de confiance individuelle je les ai réunis en comité, en tri-
bunal, en sénat, en sanhédrin, en aréopage, et nous avons rendu
la décision suivante pour être commentée par les littérateurs du
vingt-cinquième siècle.
<La truffe n'est point un aphrodisiaque positif; mais elle peut,
SPÉCIALITÉS.f!T
'!5
<en certaines occasions, rendre les femmesplus tendreset les
<hommesplus aimables.
On trouveen P<émontlestruffesblanches,qui sont trèsestimés
ellesontun petitgoûtd'ail quinenuit pointà leur perfection,parce
qu'ilne donneHeuà aucunretour désagréable.
Les.meilleurestruffesde France viennent du Périgqrd et delà
Haute-Provence;c'est vers lemoisdejanvier qu'elles ont tout leur
parfum.Il en vientaussi en Bugey,qui sont de très haute qualité mais
cetteespècea le défautde ne pas se conserver.J'ai fait, pour les
offriraux flâneursdesbordsdela Seine,quatre tentativesdont une
seulea réussi mais pourlors ilsjouirentde la bonté de la chose
et du méritedela difficultévaincue.
Les truffesde Bourgogneet du Dauphinésont de qualité infé-
rieure ellessont dures et manquentd'avoine ainsi il y a truffes
ettruffes,commeil y a fagotsetiagots.Onse sert le plus souvent, pour trouver les truffes,de chienset
de cochonsqu'on dresseà cet effet mais il est des hommesdont
le coupd'œil est siexercé,qu'à l'inspectiond'un terrain ils peuventt
dire, avecquelquecertitude,si on y peut trouver des truffes, et
quelleen estla grosseuretla qualité.
~es TmOTessem~e~es tndt~eoteo? t
~~aEe~ ne nous reste plus qu'à l'examiner si la truffe est
indi~este..
~NtEWr Nous répondrons négativement.
~tj~~ Cette décision onicieUe et en dernier ressort est
fondée:
1 Sûrla nature de l'objet même à examiner (la truneest un ali-
ment facile à mâcher, léger de poids, et qui n'a en soi rien de dur
nidecoriace);
2° Sur nos observations pendant plus de cinquante ans qui se
sont écoutés sans qu~ nous ayons vu en indigestion aucun mangeur
de truffes
MtDITATtON VI.76
5"Sur l'attestation des plus célèbres praticiens de Paris, cité ad-
mirablement gourmande, et trumvore par,excellence4" Enfin, sur la conduite journalière de ces docteurs de la loi
qui toutes choses égales, consomment plus de truffes qu'aucune
autre classe de citoyens; témoin, entre autres, le docteur Malouet,
qui en absorbait des quantités à indigérer un éléphant, et qui n'en
a pas moins vécu jusqu'à quatre-vingt-six ans.
Ainsi on peut regarder comme certain que la truffe est un ali-
ment aussi sain qu'agréable, et qui, pris avec modération, passe
comme une lettre à la poste.
Ce n'est pas qu'on ne puisse être indisposé à la suite d'un grand
repas où, entre autres choses, on aurait mangé des truffes mais
ces accidents n'arrivent qu'à ceux qui s'étant déjà, au premier ser-
vice, bourrés comme des canons, se crèvent encore au second,
pour ne pas laisser passer intactes les bonnes choses qui leur sont
oSërtes.
Alors ce n'est point la fautes des truffes; et on peut assurer
qu'ils seraient encore plus malades si, au lieu de truffes, ils avaient,
en pareilles circonstances,avalélam6mequantitéde pommesde terre.
Finissons par un fait qui montre combien il est facile de se
tromper quand on n'observe pas avec soin.
J'avais un jourinvitéàdînerM. Simonard, vieillard fort aimable, et
gourmand au plus haut de l'échelle. Soit parce que je connaissais
ses goûts, soit pour prouver à tous mes convives que j'avais leur
jouissance à cœur, je n'avais pas épargné les truffes, et elles se
présentaient sousl'égide d'un dindon vierge avantageusement farci.
M. S. en mangea avec énergie; et comme je savais que jus-
que-là il n'en était pas mort, je le laissai faire, en l'exhortant à ne
pas se presser, parce que personne ne voulait attenter à la pro-
priété qui lui était acquise.
Tout se passa très bien, et on se sépara assez tard; mais, arrivé
chez lui, M.Simonard fut saisi de violentes coliques d'estomac, avec
des envies de vomir, une toux convulsiveetun malaise général.
Cet état dura quelque temps et donnait de l'inquiétude; on criait
déjà à l'indigestion de truffes, quand la nature vint au secours
77SPÉCIALITÉ~.
dupatient,M.Simonardouvritsa largebouche,et éructaviolemment
un seul fragmentdetruffesqui alla frapperla tapisserie,etirebondit
avecforce, nen sans danger pour ceuxqui lui donnaientdessoins.
Aumêmeinstanttousles symptômesfâcheuxcessèrent, la tran-
quillitéreparut, la digestionreprit son cours, le malades'endor-
mit,et se réveilla le lendemaindisposet tout-à-faitsans rancune.
La causedu malfut bientôt connue. M.Simonard mangedepuis
longtemps;.sesdents n'ont pas pu soutenir le travail qu'il leur a
imposéplusieurs de ces précieuxosselets ont émigré, et les au-
tres neconservent pasla coïncidencedésirable.
Danscet état de choses, une truffeavait échappé à la mastica-
tion, et s'était, presque entière, précipitée dans l'abîme; l'action
dela digestionl'avait portéevers le pylore, où elle s'étaitmomen-
tanémentengagée c'estcet engagementmécaniquequi avaitcausé
lemal, commel'expulsionen fut le remède.
Ainsiil n'y eut jamais indigestion,mais seulement suppositiond'un corps étranger.
C'estce qui fut décidépar le comitéconsultatifqui vit la piècede conviction,et qui voulut bien m'agréer pour rapporteur.
M.Simonardn'enest pas,pourcela,restémoinsSdèlementattachéà la truffe; il l'aborde toujoursavec la mêmeaudace; maisil a soindela mâcher avec plusde précision,de l'avaler avecplus de pru-dence et il remercieDieu, dans la joie de son cœur, de ce quecetteprécaution sanitaire lui procure une prolongationdejouis-sances.
§ VIII. Du Suere.
45.
c terme où la science est parvenue aujourd'hui,on entend par sucre une substance douce au goût,
cristaHisaMe, et qui, par la fermentation, se ré-
sout en acide carbonique et en alcool.
Autrefois on entendait par sucre le sucre épaissiet cristaHisé de la canne (arundo <accAart/era)
MÉD~TA.TÏQ~ Y!.M
Ce roseaues~originairedes Indes cependant il est certainque
tes Ro~natnsne connaossatentpas le sucre cornue choseusuelle nt
commecris~a~satton.
Quelquespagesdes t~yresancienspeuventbien faire croirequ'on
avait remarque, dans certains roseaux, une partie extractive e
dpuce, Luca~nqdit
Quique bibunttenerà dulces ab arundine succos.
Mais d'une eau édulcorée par le sucre et la canne, au sucre tel
que nous l'avons, il y a loin et chez les Romains l'art n'était point
encore assez avancé pour y parvenir.
C'est dans les colonies dû Nouveau-Monde que le sucre a vérita-
blement pris naissance; la canne y a été importée il y a environ
deux siècles; elle y prospère. On a cherché à utiliser le doux jus
qui en découle, de tâtonnements en tâtonnements on est parvenu
à en extraire successivemént du vesou, du sirop, du sucre terré,
de la mélasse, et du sucre rafnné à différents degrés.
La, culture de la canne à sucre est devenue un objet de la plus
haute importance; car elle est une source de richesse, soit pour
ceux qui la font cultiver, soit pour ceux qui commercent de son
produit, soit pour ceux qui l'élaborent, soit enfin pour les gouver-
nements qui le soumettent aux impositions.
Mm Sme~e <Btdt~ène.
~~SL.s~~N a cru pendant longtemps qu'il ne fallait pas
moins que la chaleur des tropiques pour faire éla-
j~ borer le sucre; mais vers 1740, Margraifle décou-
<«R'~?~vrit dans quelques plantes des zones tempérées,
et entre autres dans la betterave et cette vérité ~}tpous-
~< sée jus~'àla démonstration, par les travaux que 6t ferlin
~t~ Iepro)esseurÀchard.
Au commencement du dix-neuvième siècle les circonstances
ayantrendu le sucre rare, et par conséquent cher en France, le
gouvernement en fit)'oMet qe la recherche des
savants.
St'ÉCIÂLttÉ~ ?a
Cet appel éùt un plein succès on s'assura que le sucre ëta!t as-
sez abondamment répandu dans le règne végétal on le décou-
vrit dans le raisin, dans la châtaigne, dans la pomme de terre, et
surtout dans la betterave.
Cette dernière plante devint l'objet d'une grande culture et d'une
jfbulede tentatives qui prouvèrent que l'ancien monde pouvait,
sous ce rapport, se passer du nouveau. La France se couvrit de
mànùiactures qui travaillèrent avec divers succès, et la saccliarifi-
cation s'y naturalisa art nouveau, et que les circonstances peu-
vent quelque jour rappeler.
Parmi ces manufactures, on distingua surtout celle qu'établit à
Passy, près Paris, M. Benjamin Delessert, citoyen respectable dont
le nom est toujours uni à ce qui est bon et utile.
Par une suite d'opérations bien entendues, il parvint à débar-
rasser la pratique de ce qu'elle avait de douteux, nefit point mys-tère de ses découvertes, même à ceux qui auraient été tentés de
devenir ses rivaux, reçut la visite du chef du gouvernement, et
demeura chargé de fournir à la consommation du palais des Tui-
leries.
Des circonstances nouvelles, la restauration et la paix, ayant ra
mené le sucre des colonies à des prix assez bas, les manufactures
de sucre de betterave ont perdu une grande partie de leurs avan-
tages. Cependant il en est encore plusieurs qui prospèrent; et
M. Benjamin Delessert en fait chaque année quelques milliers, sur
lesquels il ne perd point, et qui lui fournissent l'occasion de con-
server des méthodes auxquelles il peut devenir utile d'avoir re-
cours (1).
Lorsque le sucre de betterave fut dans le commerce, les gens
) Onpeut ajouterqu'à sa séancegénéral la Sociétéd'encouragementpourl'industrienationaleadécernéunemédailled'orà M.Crespel,manufacturierd'Ar-ras,qui fabriquechaqueannéeplusdecentcinquantemilliersdesucredebette-rave,dontil faituncommerceavantageux,mêmelorsquele sucrede cannedes-cendà 2 francs20centimeslekilogrammecequiprovientdecequ'onest parvenuà tirerpartidesmarcs,qu'ondistillepourenextrairelesesprits,et qu'onemploieensuiteà lanourrituredesbestiaux.
MÉDITATION VI.M
de parti,, les roturiers et tes ignorants trouvèrent qu'il avait mau-
vais goût, qu'il sucrait mal quelques-uns même prétendirent qu'il
était malsain.
Des expériences exactes et multipliées ont prouvé le contraire
et M. le comte Chaptal en a inséré le résultat dans son excellent
livre La chimieappliquéeà l'agriculture, tome n. pag. 15, 1re édi-
tion.
< Les sucres qui proviennent de ces diverses plantes, dit ce cé-
« tèbre chimiste, sont rigoureusement de même nature et ne diffèrent
< en aucune manière, lorsqu'on les a portés parle ramnage au
« même degré de pureté. Le goût, la cristallisation, la couleur, la
« pesanteur, sontabsolument identiques, et l'on peutdéEer l'homme
< le plus habitué à juger ces produits ou à les consommer de les
« distinguer l'un de l'autre. »
On aura un exemple frappant de la force des préjugés et de la
peine que la vérité trouve à s'établir, quand on saura que, sur cent
sujets de la Grande-Bretagne pris indistinctement, il n'y en a pas
dix qui croient qu'on puisse faire du sucre avec de la betterave.
Divers n<M~ea du suere.
Le sucre est entré dans le monde par l'officine des apothicaires.Il devait y jouer un grand rôle; car, pour désigner quelqu'un à
qui il aurait manqué quelque chose essentielle, on disait: C'est
commeMMapothicaire sans sucre.
Il suffisait qu'il vint de là pour qu'on le reçût avec défaveur les
uns disaient qu'il était échauffant d'autres, qu'il attaquait la poi-
trine quelques-uns, qu'il disposait à l'apoplexie mais la calom-
nie fut obligée de s'enfuir devant la vérité, et il y a plus de quatre-
vingts ans que fut proféré ce mémorable apophthegme Le sucre
ne fait mal ~M'ala bourse.
Sous une égide aussi impénétrable, l'usage du sucre est devenu
chaque jour plus fréquent, plus général, et .il n'est pas de subs-
tance alimentaire qui ait subi plus d'amalgames et de transforma-
tions.
SP~GÏ~MTËS. $t
il
~en despersonnesatmentà mange)'le sucrepur, et, dansquel-
quescas, la plupart désespérés, ta Facultét'ordonne s6~ cette
ibrme, commeun remède qui ne peut nuire, et qui n'a dtt moins
rien de repoussant.
M~éq l'eau, ildonnei'eau sucrée,boissonra<ra!chissante,saine,
agréable, et quelquefoissalutairecommeremède.Mêléà l'eau en plus fortedose, et concentrépar le feu, il donne
les sirops, quisechargentdetousles parMms,et présententà toute
heure un rafraîchissementqui plaît à tout le mondepar sa variété.
J~éléà l'eau, dont l'art vient ensuite soustrairele calorique, il
donneles glaces,quisont d'origineitalienne,et dont l'importation
paraît due à Catherinede Médicis.
Mêléau vin, il donneuncordial,un restauranttellementreconnu,
que, dansquelquespays, onen mouilledes rôties qu'onporteaux
nouveauxmariésla premièrenuitde leurs noces, de lamême ma-
nièrequ'etf~&scasion on leur porte en Perse des pieds de
°<Quton~~ma~rë~\
MÉDITATION V!.M
Mêlé à la farine et aux œufs, il donne les biscuits, tes macarons,
tes croquignoles les babas, et cette multitude de pâtisseries lé-
gères qui constituent l'art assez récent du pâtissier petit-fournier.
Mêlé avec du lait, il donne les crèmes, les blancs-mangers, et au-
tres préparations d'office qui terminent si agréablement un second
service, en substituant au goût substantiel des viandes un parfum
plus fin et plus éthéré.
Météau café, il en fait ressortir t'arôme.
Mêlé au café au lait, il donne un aliment léger, agréable, facile
à se procurer, et qui convient parfaitement à ceux pour qui le tra-
vail de cabinet suit immédiatement le déjeuner. Le café au lait plaîtaussi souverainement aux dames; mais t'œit clairvoyant de la
science a découvert que son usage trop fréquent pouvait leur nuire
dans ce qu'elles ont de plus cher.
Meté aux fruits et aux fleurs, il donne les confitures, les mar-
melades, les conserves, les pâtes et les candis, méthode conserva-
trice qui nous fait jouir du parfum de ces fruits et de ces fleurs
longtemps après l'époque que la nature avait fixée pour leur
durée.
Peut-être, envisagé sous ce dernier rapport, le sucre pourrait-ilêtre employé avec avantage dans l'art de l'embaumement, encore
peu avancé parmi nous.
Enfin le sucre, mété à l'alcool, donne des liqueurs spiritueuses,
inventées, commeon sait, pour réchauffer la vieillessede Louis XIV,
et qui, saisissant le palais par leur énergie, et l'odorat par les gaz
parfumés qui y sont joints, forment en ce moment le necplus ultra
des jouissances du goût.
L'usage du sucre ne se borne pas là. On peut dire qu'il est le
condiment universel, et qu'il ne gâte rien*"Quetques personnes en
usent avec les viandes, quelquefois avec les légumes, et souvent
avec les fruits à la main. II est de rigueur dans les boissons com-
posées le plus à la mode, telles que le punch, le négus, le sillabub,
et autres d'origine exotique et ses applications varient à l'infini,
parce qu'elles se modifient au gré des peuples et des individus.
Telle est cette substance que les Français du temps de Louis Xttt
SPÉCIALITÉS. M
connaissaientà peinede nom, et qui, pour ceux du Xtx"siècle,
est devenueune denréede première nécessité car il n'estpas de
femme,surtout dans l'aisance, qui ne dépenseplusd'argent pour
son sucreque pourson pain.
M.Delacroix,littérateuraussi aimable que fécond, se plaignait
à Versaillesdu prixdu sucre, qui, à cetteépoque,dépassait~francs
lalivre. < Ah!disait-ild'une voixdouceet tendre,si jamaisle sucre
« revient à trente sous, je ne boirai jamais d'eau qu'elle ne soit
« sucrée. Ses vœux ont été exaucés; il vit encore, et j'espère
qu'il se seratenu parole.
§ tX Ort~'M~m Café.
46. Le premier cafier a été trouvé en Arabie, et malgré les
diversestransplantationsque cet arbuste a sub)es,c'est encore delà que nous vient le meilleurcafé.
MËBtTÀTïON VI.M
Une ancienne tradition porte que le café fut découvert par un
berger, qui s'aperçut que Son troupeau était dans une agitation et
une hilarité particulières, toutes les fois qu'il avait brouté les baies
du cafier.
Quoi qu'il en soit de cette vieille histoire, l'honneur de la décou-
verte n'appartiendrait qu'à moitié au chevrier observateur; le sur-
plus appartient incontestablement à celui qui, le premier, s'est avisé
de torréfier cette fève.
Effectivement la décoction du café cru est une boisson insigni-
fiante mais la carbonisation y développe un arôme, et y forme
une huile qui caractérisent le café tel que nous le prenons, et qui
resteraient éternellement inconnus sans l'intervention de la cha-
leur.
Les Turcs, qui sont nos maîtres en cette partie, n'emploient
point de moulin pour triturer le café; ils le pilent dans des mor-
tiers et avec des pilons de bois et quand ces instruments ont été
longtemps employés à cet usage, ils deviennent précieux et se ven-
dent à de grands prix.
Il m'appartenait, à plusieurs titres, de vérifier si, en résultat, il y
avait quelque indinérence, et laquelle des deux méthodes était pré-férable.
En conséquence, j'ai torréfié avec soin une livre de bon moka
je l'ai séparée en deux portions égales, dont l'une a été moulue,
et l'autre pilée à la manière des Turcs.
J'ai fait du café avec l'une et l'autre des poudres j'en ai pris de
chacune pareil poids, et j'y ai versé pareil poids d'eau bouillante,
agissant en tout avec une égalité parfaite.J'ai goûté ce café, et l'ai fàit déguster par les plus gros bonnets.
L'opinion unanime à été que celui qui résultait de la poudre piléeétait évidemment supérieur à celui provenu de la poudre moulue.
Chacun pourra répéter l'expérience. En attendant, je puis don-
ner un exemple assez singulier de l'influence que peut avoir telle
ou telle manière de manipuler.« Monsieur, disait un jour Napoléon au sénateur Laplace, com-
«ment se fait-il qu'un verre d'eau dans lequel je fais fondre un
SPÉCIALITÉS. M
«morceaude sucre me paraissebeaucoupmeilleurquecelui dans
«lequelje mets pareillequantitéde sucre pilé ? Sire, répondit«le savant; ilexistetrois substancesdont les principessont exac-
<tementles mômes,savoir le sucre, lagommeet l'amidon elles
«ne dînèrentque par certainesconditions,dont la nature s'est ré-
<sérvéle secret; etje crois qu'il est possibleque, dans ta collision
« qui s'exerce par le pilon, quelques portions sucrées passent à
<l'état de gommeou d'amidon, et causent là différencequi a lieu
«en ce cas. t
Cefait a euquelquepublicité,et des observationsultérieuresont
confirmélà première.
JtUvèMes mMMtiéres de t~t~e le e&té
L y a quelques années que toutes tes idées se por-tèrent simultanément sur la meilleure manière de
faire le café; ce qui provenait, sans presque qu'ons'en doutât, de ce que le chef du gouvernementen prenait beaucoup.
On proposait de le faire sans le brûler, sans le
mettre en poudre, de l'infuser à froid, de te fairebouillir pendant trois quarts d'heure, de le soumette à l'auto-
clave, etc.
J'ai essayé dans te temps toutes ces méthodes et celles qu'on a
proposées jusqu'à ce jour, et je me suis Sxé, en connaissance decause, à celles qu'on appelle à M~eHoy, qui consiste à verser del'eau bouillante sur le café mis dans un vase de porcelaine ou
d'argent, percé de très petit trous. On prend cette première dé-coction on la chauffé jusqu'à l'ébullition, on la repasse de nou-veau, et on a un café aussi clair et aussi bon que possible.
J'ài essayé entre autres de taire du café dans une bouilloire àhaute pi-ëssion; mais j'ai eu pour résultat un café chargé d'ex-
tractifetd'amertuhë, bon tout au plus à gratter le gosier d'un to-sàquë;
S8 MEDITATION VI.
Ettett du raté.
,))~fs"~t~'vy~ docteurs ont émis diverses opinionssur les propriétés sanitaires du café
et n'ont pas toujours été d'accord en-
tre eux nous passerons à côté de
T~E~BË~t cette mêlée, pour ne nous occuper
que de la plus importante, savoir, de
son influence sur les organes de la® pensée.
Il est hors de doute que le café porteune grande excitation dans les puis"
~Ju~ sances cérébrales aussi tout homme
C~tt)~~ qui en boit pour la première fois est
sûr d'être privé d'une partie de son sommeil.
Quelquefois cet effet est adouci ou modifié par l'habitude
mais il est baucoup d'individus sur lesquels cette excitation à tou-
jours lieu, et qui, par conséquent, sont obligés de renoncer à l'u-
sage du café.
J'ai dit que cet effet était modifié par l'habitude, ce qui ne
l'empêche pas d'avoir lieu d'une autre manière; car j'ai observé
que les personnes que le café n'empêche pas de dormir pendant la
nuit en ont besoin pour se tenir éveillées pendant le jour, et ne
manquent pas de s'endormir pendant la soirée quand elles n'en
ont pas pris après leur dmer.
Il en est encore beaucoup d'autres qui sont soporeuses toute la
journée quand elles n'ont pas pris leur tasse de café dès le matin.
Voltaire et Buffonprenaientbeaucoup decafé? peut-être devaient-
ils à cet usage, le premier, la clarté admirable qu'on observe dans
ses oeuvres le second, l'harmonie enthousiastique qu'on trouve
dans son style. Il est évident que plusieurs pages des Traités sur
!'AottMKe,sur le chien, le tigre, le lion et le cheval, ont été écrites
dans un état d'exaltation cérébrale extraordinaire.
L'insomnie causée par le café n'est pas pénible; on a des per-
SPÉCtAUTÉS. 87
ceptionstrèsclaires, et nulleenviededormir voilà tout. On n'est
pasagitéet malheureuxcommequandl'insomnieprovientdetoute
autre cause: ce qui n'empêchepas que cette excitationintempes-
tivene puisseà la longuedevenirtrès nuisible.
Autreibis,il n'y avaitqueles personnesau moins d'un âgemûr
quiprissentdu café maintenanttout le mondeen prend, et peut-
être est-cele coup de fouetque l'espriten reçoit qui faitmarcherla
fouleimmense qui assiège toutes les avenues de l'Olympeet du
Templede Mémoire.
Lecordonnier, auteurde la tragédiedela Reine<<ePahKyre,que
toutParisa entendulire il y a quelques années, prenait beaucoup
de café aussis'est-ilélevéplus haut que le m~MMterde ~Veoer~,
quin'était qu'ivrogne.
Le café est une liqueur beaucoup plus énergique qu'on ne croit
communément. Un homme bien constitué peut vivretongtemps en
buvant deux bouteilles de vin chaque jour. Le même homme ne
soutiendrait pas aussi longtemps une pareille quantité de café; il
deviendrait imbéciue, ou mourrait de consomption.
MÉDITATION VI.M
J'ai ~uà Londres sw place Leicester,un hommeque l'u-
sagetmmodé~édu café ava~tréduit envoûte (cr~e) ijlavatt cessé
de souffrir, s'étaitaccoutuméà cet état, et s'était réduit à cinq ou
six tasses par jour.C'estune obhgattqnpour tous les papas et mamansdu monde
d'interdiresévèrementle ca<éà leurs enfants, s'ils ne veulent pasavoirde petitesmachinessèches, rabougrieset vieillesà vingtans.
Cetavis est surtout fort à propospour tes Rarisiens,dont tes en-fantsn'ont pas toujoursautant d'élémentsdeforceet de santé ques'~sétaientnésdanscertainsdépartements,dans celuide l'Ain,par
exempte.Je suis de ceux qui ont été obligesde renoncer au café; et je
finiscet article enracontantconMKequoij'ai été unjour rigoureuse-mentsoumisà son pouvoir.
Le duc de Massa,pour lors mimstre de la justice, m'avait de-
mandéun travailque je voulaissoigner,et pour lequelil m'avait
donnépeu de temps; car il le voulaitdu jour au lendemain.Je me résignai donc à passer la nuit et pour me prémunir
contrel'en viede dormir, je fortifiaimon dîner de deux grandestasses de caté, égalementfort et parfumé.
Je revins chez moi à sept heures pour y recevoir les papiersqui m'avaientété annoncés mais je n'y trouvai qu'une lettre quim'apprenait que, par suite deje ne sais qu'elleformalitédebureau,je ne les recevraisque le lendemain.
Ainsidésappointé, dans toute la forcedu terme, je retournaidans la maison oùj'avais dmé, etj'y fis une partie de piquet sans
éprouveraucunede cesdistractionsauxquelles je suis ordinaire-ment sujet.
J'en fishonneur au café mais, tout en recueillantcet avantage,je n'étais pas sans inquiétude sur la manièredont je passerais lanuit.
Cependantje mecouchaià l'heure ordinaire, pensant que, si jen'avais pas un sommeil bien tranquille, du moins je dormirais
quatre à cinq heures, ce qui me conduirait tout doucement aulendemain.
SPÉCÏAUTÉS. 8
i2
Je metrompai j'avais drapasse deuxheures au lit, que je n'en
étaisque plusréveillé;j'étais dansun état d'agitationmentaletrès
vive, et je me figuraismon cerveau comme un moulindont les
rouagessont en mouvementsans avoirquelque choseà moudre.
Je sentis qu'il fallait user cettedisposition, sans quoi le besoin
de repos ne viendraitpoint; et je m'occupaià mettre en vers un
petit conte que j'avais lu depuispeu dans un livre anglais.
J'en vins assez facilementà bout et commeje n'en dormaisni
plus ni moins, j'en entreprisun second, mais ce fut inutilement.
Unedouzainede vers avaientépuisé ma vervepoétique, et il fal-
lut y renoncer.
Je passaidoncla nuit sans dormir, et sans même être assoupi
un seul instant je me levai et passai la journéedans le même
état, sans que ni les repas, ni les occupationsy-apportassent au-
cun changement.Enfin, quandje me couchaià mon heure accou-
tumée, je calculaiqu'il y avaitquarante heures que je n'avais pas
ferméles yeux.
§ X. Un MMtt<tt&< Son origine.
47.
Euxqui, les premiers, abordèrent en Amérique,
y furent poussés par la soif de l'or. A cette épo-
jj~~) que, on ne connaissait presque de valeurs que
~~N~ celles qui sortaient des mines l'agricutture, le
commerce, étaient dans l'enfance et t'écono-
'M~L' mie politique n'était pas encore née. Les Espa-
gno!s trouvèrent donc des métaux précieux,
découverte à peu près stérile, puisqu'ils se déprécient en se multi-
pliant, et que nous avons bien des moyens plus actifs pour aug-menter la masse des richesses.
Mais ces contrées, où un soleil de toutes les chaleurs fait fer-
menter des champs d'une extrême fécondité, se sont trouvées pro-
pres à la culture du sucre et du café; on y a, en outre, découvert
90 MÉDITATION VI.
la pomme de terre, l'indigo, la vanille, le quina, le cacao, etc.; et
ce sont là de véritables trésors.
Si ces découvertes ont eu lieu, malgré les barrières qu'opposait à
la curiosité une nation jalouse, on peut raisonnablement espérer
qu'elles seront décuplées dans les années qui vont suivre, et que
les recherches que feront les savants de la vieille Europe dans tant
de pays inexplorés enrichiront les trois règnes d'une multitude de
substances qui nous donneront des sensations nouvelles, comme a
fait la vanille, ou augmenteront nos ressources alimentaires, comme
le cacao.
On est convenu d'appeler chocolatle mélange qui résulte de l'a-
mande du cacao grillée avec le sucre et la cannelle telle est la dé-
finition classique du chocolat. Le sucre en fait partie intégrante
car avec du cacao tout seul, on ne fait que de la pâte de cacao et
non du chocolat. Quant au sucre, à la cannelle et au cacao, on joint
l'arôme délicieux de la vanille, on atteint le nec plus ultrà de la
perfection à laquelle cette préparation peut être portée.C'est à ce petit nombre de substances que le goût et l'expérience
ont réduit les nombreux ingrédients qu'on avait tenté d'associer
au cacao, tels que le poivre, le piment, l'anis, le gingembre, l'a-
ciole et autres, dont on a successivement fait l'essai.
Le cacaoyer est indigène de l'Amérique méridionale on le trouve
également dans les îles et sur le continent mais on convient
maintenant que les arbres qui donnent le meilleur fruit sont ceux
qui croissent sur les bords du Maracaibo, dans les vallées de Cara-
cas et dans la riche province de Sokomusco. L'amande y est plus
grosse, le sucre moins acerbe et l'arome plus exalté. Depuis queces pays sont devenus plus accessibles, la comparaison a pu se
faire tous les jours, et les palais exercés ne s'y trompent plus.Les dames espagnoles du nouveau monde aiment le chocolat
jusqu'à la fureur, au point que, non contentes d'en prendre plu-sieurs fois par jour, elles s'en font quelquefois apporter à l'église.Cette sensualité leur a souvent attiré la censure des évéques mais
ils ont fini par fermer les yeux; et le révérend père Escobar,
dont la métaphysique fut aussi subtile que sa morale était accom-
SPÉCIALITÉS. 91
modante, déclara formellementque le chocolatà l'eau ne rompait
pas le je&ne, étirant ainsi, en faveurde ses pénitentes, l'ancien
adage Liquidumnonfrangit jejunium.
Le chocolatfut apporté en Espagnevers le dix-septièmesiècle,
et l'usage en devint promptementpopulaire, par le goût très pro-noncéque marquèrent, pour cetteboisson aromatique,les femmes
et surtout les moines.Les mœurs n'ont point changéà cet égard;et encoreaujourd'hui,dans toute laPéninsule,onprésente du cho-
colatdans toutes les occasionsoù il est de la politesse d'offrir
quelquesrafralchissements.
Lechocolatpassa les montsavecAnne d'Autriche,fille de Phi-
fippeII et épousede LouisXIII. Les moines espagnols le firent
aussiconnaître par les cadeauxqu'ils en firent à leurs confrères
deFrance.Les diversambassadeursd'Espagnecontribuèrent aussi
à le mettre en vogue; et au commencementde la Régence,ilétait
plus universellementen usage que le café, parce qu'alors on le
prenaitcommeun alimentagréable, tandis que le café ne passaitencoreque commeune boisson de luxe et de curiosité.
Onsaitque Linnéeappellele cacaocacaotheobroma(boissondes
dieux).On a cherchéune cause à cette qualificationemphatiqueles uns l'attribuent à ce que ce savant aimait passionnémentle
chocolat; les autres à l'envie qu'il avait de plaire à son confes-
seur d'autres enfin à sa galanterie, en ce que c'est une reine quien avait la premièreintroduit l'usage. (Incertum).
PMprtétéw du CtMM;ehK.
~~6~ E chocolata donné lieu à de profondes disserta-
tions dont le but était d'en déterminer la nature
et les propriétés, et de le placer dans la catégorie
~3~W des alimentschauds, froidsou tempérés et il faut
avouerque cesdoctesécrits ont peu servià la ma-
nifestationde la vérité.
Maisavec le tempset l'expérience, ces deuxgrands maîtres, il
MÉDITATION VI.99
est reste pour démontré que le chocolat, préparé avec soin est
un aliment aussi salutaire qu'agréabte; qu'il est nourrissant, de
facile digestion; qu'il n'a pas pour la beautéles inconvénients qu'on
reproche au café, dont il est au contraire le remède, qu'il est très
convenable aux personnes qui se livrent à une grande contention
d'esprit, aux travaux de la chaire ou du barreau, et surtout aux
voyageurs; qu'enfin il convient aux estomacs les plus faibles;
qu'on en a eu de bons effets dans les maladies chroniques, et qu'il
devient la dernière ressource dans les affections du pylore.
Ces diverses propriétés, le chocolat les doit à ce que, n'étant à
vrai dire qu'un e~ooacc~crMMt,il est peu de substances qui con-
tiennent, à volume égal, plus de particules alimentaires ce qui
fait qu'il s'animalise presque en entier.
Pendant la guerre le cacao était rare, et surtout très cher on
s'occupa de le remplacer; mais tous les efforts furent vains, et un
des bienfaits de la paix a été de nous débarrasser de ces divers
brouets, qu'il fallait bien goûter par complaisance, et qui n'étaient
pas plus du chocolat que l'infusion de chicorée n'est du café moka.
Quelques personnes se plaignent de ne pouvoir digérer le cho-
colat d'autres, au contraire, prétendent qu'il ne les nourrit pas
assez et qu'il passe trop vite.
Il est très probable que les premiers ne doivent s'en prendre
qu'à eux-mêmes, et que le chocolat dont ils usent est de mauvaise
qualité ou mal fabriqué; car le chocolat bon et bien fait doit pas-
ser dans tout estomac où il reste un peu de pouvoir digestif.
Quant aux autres, le remède est facile: il faut qu'ils renforcent
leur déjeuner par le petit pâté, la côtelette ou le rognon à la bro-
chette qu'ils versent sur le tout un bon bowl de sokomusco, et
qu'ils remercient Dieu de leur avoir donné un estomac d'une acti-
vité supérieure.
Cecime donne occasion de consigner ici une observation sur
l'exactitude de laquelle on peut compter.
Quand on a bien et copieusement déjeuné, si on avale sur le
tout une ample tasse de bon chocolat, on aura parfaitement di-
géré trois heures après, et l'on dînera quand même. Par zèle
SPÉCIALITÉS. 9S
pour la science et à force d'éloquence, j'ai fait tenter cette expé-rience à bien des dames, qui assuraient qu'elles en mourraient
elles s'en sont toujours trouvées à merveille, et n'ont pas manquéde glorifier le professeur.
Les personnes qui font usage de chocolat sont celtes qui jouis-sent d'une santé plus constamment égale, et qui sont le moins
sujettes à une foule de petits maux qui nuisent au bonheur de la
vie; leur embonpoint est aussi plus stationnaire: ce sont deux
avantages que chacun peut vérifier dans sa société, et parmi ceux
dont le régime est connu.
C'est ici le vrai lieu de parler des propriétés du chocolat à l'am-
bre, propriétés que j'ai vériSées par un grand nombre d'expé-
riences, et dont je suis fier d'offrir le résultat à mes lecteurs (i).
Or donc, que tout homme qui aura bu quelques traits de tropà la coupe de la volupté; que tout homme qui aura passé à tra-
vailler une partie notable du temps qu'on doit passer à dormir;
que tout homme d'esprit qui se sentira temporairement devenu
bête; que tout homme qui trouvera l'air humide, le temps longet l'atmosphère difficile à porter; que tout homme'qui sera tour-
menté d'une idée fixe qui lui ôtera la liberté de penser: que tous
ceux-là disons-nous, s'administrent un bon demi-litre de cho-
colat ambré, à raison de soixante à soixante-douze grains d'am-
bre par demi-kilogramme, et ils verront merveilles.
Dans ma manière particulière de spécifier tes choses, je nomme
le chocolat à l'ambre chocolat des affligés, parce que, dans cha-
cun des divers états que j'ai désignés, on éprouve je ne sais quelsentiment qui leur est commun, et qui ressemble à t'amiction.
BMmcMttéa pour faire de bon etMtMhtt
On fait en Espagne de fort bon chocolat; mais on s'est dégoûtéd'en faire venir parce que tous les préparateurs ne sont pas éga-
(1)VoyezauxVAMËTÉs.
MÉDITATION VI.94
lèment habiles, et que, quand on l'a reçu mauvais, on est bien
ibrcé de le consommer comme il est.
Les chocolats d'Italie conviennent peu aux Français, en géné-
ral, le cacao en est trop rôti ce qui rend le chocolat amer et
peu nourrissant, parce qu'une partie de l'amande a passé à l'état
de charbon.
Le chocolat étant devenu tout à fait usuel en France, tout le
monde s'est avisé d'en faire; mais peu sont arrivés à la perfec-
tion, parce que cette iabrication est bien loin d'être sans dif-
ficulté.
D'abord il faut conna!tre le bon cacao et vouloir en faire usagedans toute sa pureté, car il n'est pas de caisse de premier choix
qui n'ait ses infériorités, et un intérêt mal entendu laisse souvent
passer des amandes avariées, que le désir de bien faire devrait
faire rejeter. Le rôtissage du cacao est encore une opération dé-
licate elle exige un certain tact presque voisin de l'inspiration. Il
est des ouvriers qui le tiennent de la nature et qui ne se trompent
jamais.
Il faut encore un talent particulier pour bien régler la quantité de
sucre qui doit entrer dans la composition; elle ne doit point être
invariable et routinière, mais se déterminer en raison composée
du degré d'arome de l'amande et de celui de torréfaction auquel on
s'est arrêté.
La trituration et le mélange ne demandent pas moins de soins,
en ce que c'est de la perfection absolue que dépend en partie le
plus ou moins de digestibilité du chocolat.
D'autres considérations doivent présider au choix et à la dose
des aromates, qui ne doit pas être la même pour les chocolats des-
tinés à être pris comme aliments, et pour ceux qui sont destinés à
être mangés commefriandise. Elle doit varier aussi suivant que la
masse doit ou ne doit pas recevoir de la vanille de sorte que, pour
faire du chocolat exquis, il faut résoudre une quantité d'équations
très-subtiles, dont nous profitons sans nous douter qu'elles ont eu
lieu.
Depuis quelque temps on a employé les machines pour la fabri-
SPÉCIALITÉS. 9t
cation du chocolat nous ne pensons pas que cette méthode ajoute
rien à sa perfection, mais elle diminue de beaucoup la main d'oeuvre,
et ceux qui ont adopté cette méthode pourraient donner la mar-
chandise à meilleur marché. Cependant ils vendent ordinairement
plus cher ce qui nous apprend trop que le véritable esprit com-
mercial n'est point encore naturalisé en France car, en bonne
justice, la facilité procurée par les machines doit profiter au mar-
chand et au consommateur.
Amateur de chocolat, nous avons à peu près parcouru l'échelle
des préparateurs, et nous nous sommes fixés à M. Debauve, rue
des Saints-Pères, n°, 26, chocolatier du roi, en nous réjouissant de
ce que le rayon solaire est tombé sur le plus digne.
Il n'y a pas à s'en étonner M. Debauve, pharmacien très-dis-
tingué, apporte dans la fabrication du chocolat des lumières qu'il
avait acquises pour en faire usage dans une sphère plus étendue.
Ceux qui n'ont pas manipulé ne se doutent pas des dimcultés
qu'on éprouve pour parvenir à la perfection, en quelque matière
que ce soit, ni ce qu'il faut d'attention, de tact et d'expérience pour
nous présenter un chocclat qui soit sucré sans être fade; ferme sans
être acerbe, aromatique sans être malsain, et lié sans être fécu-
lent.
Tels sont les chocolats de M. Debauve ils doivent leur supré-
matie à un bon choix de matériaux, à une volonté ferme que rien
d'inférieur ne sorte de sa manufacture, et au coup d'œil du maître
qui embrasse tous les détails de la fabrication.
En suivant les lumières d'une saine doctrine, M.Debauve cherche
en outre à offrir à ses nombreux clients des médicaments agréables
contre quelques tendances maladives.
Ainsi aux personnes qui manquent d'embonpoint il offre le cho-
colat analeptique au salep; à celles qui ont les nerfs délicats, le cho-
colat antispasmodique à la fleur d'oranger aux tempéraments sus-
ceptibles d'irritation, le chocolat au lait d'amandes; à quoi il ajou-
tera sans doute le chocolatdes affligés, ambré et dosé secundum ar-
<etM.
Maisson principal mérite est surtout de nous offrir, à un prix
MÉDITATION Vt.96
modéré,un excellentchocolat usuel, où nous trouvons te matin
un déjeuner assez suffisant; qui nousdétecte, à dîner, dans les
crèmes, et nous réjoui encore, sur la fin de la soirée, dans les
glaces,les croquetteset autres friandisesde salon, sans compterla
distractionagréable des pastilleset diablotins, avec ou sans de-
vises.
Nousne connaissonsM.Debauvequepar sespréparations, nous
nel'avons jamaisvu; maisnoussavonsqu'ilcontribuepuissammentà affranchirlaFrancedu tribut qu'elle payait autrefoisà l'Espagne,en ce qu'il fournità Paris et aux provincesun chocolatdont la ré-
putationcroit sans cesse.Noussavonsencore qu'il reçoitjournel-lementde nouvellescommandes de l'étranger: c'est donc sous
ce rapport, et comme membre fondateur de la Sociétéd'encou-
ragement pour l'industrie nationale,que nous lui accordonsiciun
suffrageet une mention dont on verra bien que nous ne sommes
pas prodigue.
MtMttère wMeteMe de préjMHrer le etMM~t~t.
ESAméricains préparent leur pâte de cacao sans
sucre. Lorsqu'ils voûtent prendre du chocolat ils
!<bnt apporter de l'eau bouillante chacun râpe
dans sa tasse la quantité qu'il veut du cacao, verse
~'eau chaude dessus, et ajoute le sucre et les aro-
mates comme it juge convenable.
Cette méthode ne convient ni à nos mœurs ni à nos goûts et
nous voulons que le chocolat nous arrive tout préparé.En cet état, la chimie transcendante nous a appris qu'il ne
faut ni le râcter au couteau ni le broyer au piton, parce que la
collision sèche qui a lieu dans tes deux cas amidonise quelques
portions de sucre, et rend cette boisson plus fade.
Ainsi, pour faire du chocolat, c'est-à-dire pour le rendre pro-
pre à la consommation immédiate, on en prend environ une once
et demie pour une tasse, qu'on fait dissoudre doucement dans
l'eau, à mesure qu'elle s'échaun'e, en la remuant avec une spa-
SPÉCIALITÉS. 97
43
tu!e de bois on la faitbouillir pendant un quart d'heure, pour
que la solutionprenne consistance,et on sert chaudement.
« Monsieur,me disait, il y a plus de cinquante ans, madame
t d'Arestret, supérieure du couvent de la Visitationà Beuey,t quand vous voudrez prendre du chocolat, faites-lefaire, dès !a
« veii!e, dans une cafetièrede faïence, et laissez-le là. Le repos< dp !a nuit le concentreet lui donne un veloutéqui le rend bien
« meilleur. Le bon Dieu ne peut pas s'offenserde ce petit ram-
« nement, car il est lui-mêmetout excellence.»
48.
tj ~'ÉTA!T un beau jour du mois de mai le soleil versait
~M~sesrayons les plus doux sur les toits enfumés de la
gM~)villeaux jouissances, et les rues (chose rare) ne
présentaientni boue ni poussière.
Les lourdes diligences avaient depuis longtemps cessé
d'ébranler le pavé; ~es tombereaux massifs se reposaient
'P encore, et on ne voy~ p~us circuler que ces voitures
découvertes, d'où les ~eautes indigènes et exotiques abritées
sous les chapeaux les plus élégants, ont coutume de laisser
tomber des regards tant dédaigneux sur les chétifs, et tant co-
quets sur les beaux garçons.
H était donc trois heures après midi quand le professeur vint
s'asseoir dans le fauteuil aux méditations.
Sa jambe droite était verticalement appuyée sur le parquet la
(1) Ce mot friture s'applique -également à l'action de frire, au moyen employé
pour frire et a la chose frite.
THÉORIE DE LA FRITURE. 99
gauche, en s'étendant, formait une diagonale; il avait les reins
convenablementadossés, et ses mains étaient posées sur les têtes
de lion qui terminenttes sous-hras de ce meublevénéraMe.Sonfrontélevé indiquait l'amour desétudes sévères, et sa bou-
che le goût des distractionsaimables.Son air était recueilli, et sa
posetelle, que tout homme qni l'eut vu n'aurait pas manqué dedire « Cetanciendesjours doit être un sage. »
AinsiétaMi, le professeurfit appeler son préparateur en chef,et bientôtle serviteur arriva, prêt à recevoirdes conseils des,
leçonsou des ordres.
AM<MMttt<m.
AÎTRELa Planche, dit le prbiessëuravec cet accent grave qui pénètre jus-
qu'au tond des cceurs, tous ceux quis'assëtent à ma table vous proclament
~o<M~M<edé première classé, ce qui est
fort Men, car le potage est la première
consolation de l'estomac besoigneux; mais je vois avec peine quevousn'êtes encore qu'un friturier incertain.
« Je vous entendis hier gémir sur cette sole triomphale que vous
nous servîtes pâle, mollasse et décolorée. Mon ami tt. (1) jetasur vous un regard désapprobateur; M. H. R. porta à l'ouest son
nez gnomonique, et le président S. déplora cet accident à légald'une calamité publique.
«Ce malheur vous arriva pour avoir négligé la théorie dont vous
ne sentez pas toute l'importance. Vous êtes un peu opiniâtre et
j'ai de la peine à vous faire concevoir que les phénomènes qui se
passent dans votre laboratoire ne sont autre chose que l'exécution
des lois éternelles de la nature; et que certaines choses que vous
faites sans attention, et seulement parce que vous les avez vu
(t) M.R. né&SeYSset,districtdeBelley,vers17&7.Électeurdu grandcol-~gStOnpeutleproposerà touscommeexempledesrésultatsheureuxd'unecon-duiteprudentejointeà la plusinHexiNeprobité.
MÉDITATION VII.100
faireà d'autres, n'en dériventpas moins des plus hautes abstrac-tions de la science.
« Écoutezdoncavecattention,et instruisez-vous,pour n'avoir
plus désormaisà rougir de vos œuvres.
§ i CMmte.
Esliquidesque vous exposezà l'action dufeu ne peuvent pas tous se chargerd'une
égale quantité de chaleur; la nature les
y a déposés inégalement c'est un ordre
de chosesdont eHes'est réservé le secret,et que nous appelonscapacitéducalorique.
<Ainsi,vous pourriez tremper impuné-ment votre doigt dans l'esprit-de-vin bouillant, vous le retireriez
bien vite de l'eau-de-vie, plus vite encore si c'était de l'eau, et
une immersion rapide dans l'huile bouillante vous ferait une bles-
sure cruelle; car l'huile peut s'échauffer au moins trois fois plus
que l'eau.
« C'est par une suite de cette disposition que les liquides chauds
agissent d'une manière différente sur les corps sapides qui y sont
plongés. Ceux qui sont traités à l'eau se ramollissent, se dissolvent
et se réduisent en bouillie il en provient du bouillon ou des ex-
traits ceux au contraire qui sont traités à l'huile se resserrent, se
colorent d'une manière plus ou moins foncée, et finissent par se
charbonner.
Dans le premier cas, l'eau dissout et entraîne les sucs inté-
rieurs des aliments qui y sont plongés; dans le second ces sucs
sont conservés, parce que l'huile ne peut pas les dissoudre; et
si ces corps se dessèchent, c'est que la continuation de la chaleur
finit par en vaporiser les parties humides.
« Les deux méthodes ont aussi des noms différents, et on
appelle frire l'action de faire bouillir dans l'huile ou la graisse
des corps destinés à être mangés. Je crois déjà avoir dit que,
sous le rapport officinal, huile ou graisse sont à peu près syno-
THÉORIE DE LA FRITURE. 101
nymes, la graisse n'étant qu'une huile concrète, ou l'huile une
graisse liquidé.
§ Il. AppMeaMwn.
~j-j~~Eschoses frites sont bien reçues dans les festins
~E~ elles y introduisent une variation piquante; elles
~t~ sont agréables à la vue, conservent leur goût pri-
~~A' mitif, et peuvent se manger à la main, ce qui
~gjT plait toujours aux dames.
XB~ « Lafriture fournit encore aux cuisiniers bien des moyens
pour masquer ce qui a paru la veille, et leur donne au
besoin des secours pour les cas imprévus; car il ne faut pas plusde temps pour frire une carpe de quatre livres que pour cuire un
oeuf à la coque.
Tout le mérite d'une bonne friture provient de la sw~rMe;c'est ainsi qu'on appelle l'invasion du liquide bouillant qui car-
bonise ou roussit, à l'instant même de l'immersion, la surface
extérieure du corps qui lui est soumis.
« Au moyen de la surprise, il se forme une espèce de voûte
qui contient l'objet, empêche la graisse de le pénétrer, et con-
centre les sucs, qui subissent ainsi une coction intérieure quidonne à l'aliment tout le goût dont il est susceptible.
« Pour que la surprise ait lieu, il faut que le liquide brûlant ait
acquis assez de chaleur pour que son action soit brusque et ins-
tantanée mais il n'arrive à ce point qu'après avoir été exposé as-
sez longtemps à un feu vif et flamboyant.
« On connaît par le moyen suivant que la friture est chaude
au degré désiré: Vous couperez un morceau de pain en forme de
mouillette, et vous le tremperez dans la poêle pendant cinq à six
secondes.; si vous le retirez ferme et coloré, opérez immédiate-
ment l'immersion, sinon il faut pousser le feu et recommencer
l'essai.
MÉDITATION VU.<M
< La surprise une fois opérée, modérez le feu, afin quela coc-
tion ne soit pas trop précipitée, et que les sucs que vous avez
enfermés subissent, au moyen d'une chaleur prolongée, le chan-
gement qui les unit et en rehausse le goût.
« Vous avez sans doute observé que la surface des objets bien
frits ne peut plus dissoudre ni le sel ni le sucre dont ils ont cepen-dant besoin suivant leur nature diverse. Ainsi vous ne manquerez
pas de réduire ces deux substances en poudre très 6në ànn qu'el-les contractent une grande facilité d'adhérence, et qu'au moyendu saupordroir la friture puisse s'en assaisonner par juxtà-
position.« Je ne vous parle pas du choix des huiles et des graisses les
dispensaires divers dont j'ai composé votre bibliothèque vous 6ht
donné là-dessus des lumières suffisantes.
« Cependant n'oubliez pas, quand il vous arrivera quelques-unes de ces truites qui dépassent à peine un quart de livre, et qui
proviennent des ruisseaux d'eau vive qui murmurent loin de la
capitale; n'oubliez pas, dis-je, de les frire avec ce que vous au-
rez de plus fin en hu'ie d'olive ce mets si simple, dûment sau-
poudré et rehaussé de tranches de citron est digne d'être offert
à une éminence (i).
« Traitez de même les éperlans, dont les adeptes font tant de
cas. L'éperlan est le becfigue des eaux; même petitesse, même
parium, même supériorité.
< Ces deux, prescriptions sont encore fondées sur la nature des
choses. L'expérience a appris qu'on ne doit se servir d'huile d'o-
live que pour lès opérations qui peuvent s'achever en peu de temps
(1)M.Aulissin,avocatnapolitaintrèsinstruitet joliamateurvioloncelliste,dî-naitunjour chezmoi,et,mangeantquelquechosequiluiparutà songré,medit:«Questoè un vero6occotte<KMr<MMtte/–Pourquoi,lui répondis-jedanslamême« langue,nedites-vouspascommenous MMmorceauderoi?- Monsieur,répli-« qua l'amateur,nousautresitaliens,nouscroyonsqueles roisnepeuventpasêtre« gourmands,parceque leursrepassonttropcourtset trop solennels maislés«cardinaux!eh! Et it nt le petithurlementqui lui est familier;~<M<,hou,hou,hou,hou,houl
THÉORIE p~ LA FRITURE. iM
ou qui n'exilât pa~pe~nde ch~uf, parce que l'ébullition
prolongéey développeun goût empyreuma~que et désagréable
qui provient de quelques parties de parenchymedont il est très
difficilede la débarrasser et qui se charbonnent.< Vous avez essayé monenfer, et le premier, vous avez eu la
gloired'on'rirà l'univers étonnéun immenseturbot frtt.Hy eut ce
jou~a grande jubilationparmiles élus.
~Hez: contmuez à soigner tout ce que vous (aites, et n'qu-
Miezjamais que dumomentoù les convivesont mis le pied dans
mon satpn, c'est MOMqui demeurons chargé du SQtpde teur
bonheur. »
j~ la Sctf.
49.
~B- ~<~<n~E~~f soif est le sentiment intérieur du besoin
f~J .z`-de boire.
Une chaleur d'environ trente deux de-
jQt~~M~ grès de Réaumur vaporisant sans cesse les divers
fluides dont la circulation entretient la vie, la dé-
perdition qui en est lasuite aurait bientôt rendu ces
fluides inaptes à remplir leur destination, s'ils n'é-
taient souvent renouvelés et rafraîchis c'est ce be-
soin qui fait sentir la soif.
Nous croyons que le siège de la soif réside dans tout le système
digesteur. Quand on a soif (et en notre qualité de chas-
seur nous y avons souvent été exposé), on sent distinctement quetoutes les parties inhalantes de la bouche, du gosier et de l'estomac
sont entreprises et nérétisées; et si quelquefois on apaise la
soif par l'application des liquides ailleurs qu'à ses organes,comme par exemple le bain, c'est qu'aussitôt qu'ils sont intro-
duits dans la circulation, ils sont rapidement portés vers le siègedu mat, et s'y appliquent comme remèdes.
DE LÀ ëÔIF. 4e
i4
Ê~vèinMM)ewp~et'f <SëiS"
Enenvisageantce besoindans toutesonétendue, on peut comp-ter troisespècesde soif: la soif latente, la soif factice et la soif
adurante.
La soif latente ou habituelle est cet équilibre insensible qui
s'établitentre la vaporisationtranspiratoireet la nécessited'y four-
nir c'est ellequi, sans quenous éprouvionsquelquedouleur,nous
invite à boire'pendant le repas, et fait que nous pouvons boire
presqueà tous les momentsde la journée. Cettesoif nousaccom-
pagne partout et faitenquelquefaçonpartie de notre existence.
Là loifactice,qui est spéc~abà l'espècehumaine,provientde cet
instinctinné qui nous porte à chercherdansles boissonsune force
quela nature n'y a pas miseet quin'y survientquepar la fermen-
tation.Elleconstitueune jouissance artinciellëplutôtqu'un besoin
naturel cette soif est véritablement inextinguible, parce que les
boirons qu'on prend pour l'apaiser ont l'effet immanquable dé la
faire renaître; cette soif, qui finit par devenir habituelle, constitue
les ivrognes de tous les pays et il arrive presque toujours que
MEDITATION VIII.i06
l'impotation ne cesse que quand la liqueur manque, ou qu'elle a
vaincu te buveur et l'a mis hors de combat.
Quand, au contraire, on n'apaise la soif que par l'eau pure, qui
parait en être l'antidote naturel, on ne boit jamais une gorgée au-
delà du besoin.
La soif adurante est celle qui survient par l'augmentation du be-
soin et par l'impossibilité de satisfaire la soif latente.
Onl'appelle adurante, parce qu'elle est accompagnée de l'ardeur
de la langue, de la sécheresse du palais, et d'unechaleur dévorante
dans tout le corps.
Le sentiment de la soif est tellement vif, que le mot est, presque
dans toutes les langues, le synonyme d'une appétence excessive
et d'un désir impérieux ainsi on a soif d'or, de richesses, de pou-
voir, de vengeance, etc., expressions qui n'eussent pas passé, s'il
ne suffisait pas d'avoir eu soif une foisdans sa vie pour en sentir la
justesse.
L'appétit est accompagné d'une sensation agréable, tant qu'il ne
va pas jusqu'à la faim la soif.n'a point de crépuscule, etdèsqu eUe
se fait sentir ily a malaise, anxiété, et cette anxiété est affreuse
quand on n'a pas l'espoir de se désaltérer.
Par une juste compensation, l'action de boire peut, suivant les
circonstances, nous procurer des jouissances extrêmement vives;
et quand on apaise une soif à haut degré, ou qu'à une soif modé-
rée on oppose une boisson déticieuse, tout l'appareil papillaire
est en titillation, depuis la pointe de la langue jusque dans les
profondeurs de l'estomac.
On meurt aussi beaucoup plus vite de soif que de faim. On a
des exemples d'hommes qui, ayant de l'eau, se sont soutenus
pendant plus de huit jours sans manger, tandis que ceux qui sont
absolument privés de boissons ne passent jamais le cinquième
jour.
La raison de cette différence se tire de ce que celui-ci meurt
seulement d'épuisement et de faiblesse, tandis que le premier est
saisi d'une fièvre qui le brûle et va toujours en s'exaspérant.
On ne résiste pas toujours si longtemps à la soif; et en i787,
DE LA SOIF. 107
on vit mourir un des cent-suisses de la garde de Louis XV!, pour
être resté seulement vingt-quàtre heures sans boire.
Il était au cabaret avec quelques-uns de ses camarades: là,
comme il présentait son verre, un d'entre eux lui reprocha de
boire plus souvent que les autres et de ne pouvoir s'en passer un
moment.
C'est sur ce propos qu'il gagea de demeurer vingt-quatre heu-
res sans boire, pari qui fut accepté, et qui était de dix bouteilles
de vin à consommer.
Dès ce moment le soldat ce?sa de boire, quoiqu'il restât en-
core plus de deux heures à voir faire les autres avant que de se
retirer,
La nuit se passa bien, comme on peut croire; mais dès la pointe
du jour, il trouva très dur de ne pouvoir prendre son petit verre
d'eau-de-vie, ainsi qu'il n'y manquait jamais.
Toute la matinée il fut inquiet et troublé il allait, venait, se
levait, s'asseyait sans raison, et avait l'air de ne savoir que faire.
Aune heure il se coucha, croyant être plus tranquille il souf-
frait, il était vraiment malade mais vainement ceux qui l'entou-
raient l'invitaient-ils à boire, il prétendait qu'il irait bien jusqu'au
soir; il voulait gagner la gageure, à quoi se mêlait sans doute un
peu d'orgueil militaire qui l'empêchait de céder à la douleur.
II se soutint ainsi jusqu'à sept heures; mais à sept heures et
demie, il se trouva mal tourna à la mort, et expira sans pou-
voir goûter à un verre de vin qu'on lui présentait.
Je fus instruit de tous ces détails dès le soir même par le sieur
Schneider, honorable fifre de la compagnie des cent-suisses, chez
lequel je logeais à Versailles.
Causes de la soif.
50. Diverses circonstances unies ou séparées peuvent con-
tribuer à augmenter la soif. Nous allons en indiquer quelques-unes
qui n'ont pas été sans influence sur nos usages.
MÉDITATION VIH.4M
La chaleur augmente la soif; et de à le penchant qu'ont toujours
eu les hommes a pxer leurs habitations sur le bord des neuves.
Les travaux corporels augmentent la soif; aussi les propriétaires
qui emploient des ouvriers ne manquent jamais de les fortifier par
des boissons et de là le proverbe que le vin qu'on leur donne
est toujours le mieux vendu.
La danse augmente la soif; et de là recueil des boissons corro-
borantes ou rafraîchissantes qui ont toujours accompagne les
réunions dansantes.
La déclamation augmente la soif; de là le verre d'eau que tous
les lecteurs s'étudient à boire avec grâce, et qui se verra bientôt
sur les bords de la chaire à côté du mouchoir blanc (1).Les jouissances génésiques augmentent la soif; de là ces des-
criptions poétiques de Chypre, Amathonte, Gnide et autres lieux
habités par Vénus, où l'on ne manque jamais de trouver des om-
brages frais et des ruisseaux qui serpentent, coulent et murmu-
rent.
Les chants augmentent la soif; et de là réputation universelle
qu'ont eue les musiciens d'être infatigables buveurs. Musicienmoi-
même, je m'élève contre ce préjugé, qui n'a plus maintenant ni
sel ni vérité.
Les artistes qui circulent dans nos salons boivent avec autant de
discrétion que de sagacité; mais ce qu'ils ont perdu d'un côté, ils
le regagnent de l'autre et s'ils ne sont plus ivrognes, ils sont
gourmands jusqu'au troisième ciel, tellement qu'on assure qu'au
Cercle d'harmonie transcendante, ta célébration de la fête de sainte
Cécile a duré quelquefois plus de vingt-quatre heures.
Exempte,
51. -L'exposition à un courant d'air très rapide est une cause
(<.) Lechanoine Delestra, prédicateur fort agréable, ne manquait jamais d'avaler
une noix comité, dans l'intervalle de temps qu'il laissait à ses auditeurs, entre cha-
que point de son discours, pour tousser, cracher et moucher.
DE ~A~QïF. 1«)
trèsactivedel'augmentatfpn de la soif; et je pense q~e t'obsëf-
vationsuivantesera lue avec plaisirpar les chasseurs.
Qnsait que lescaillesseplaisentbeaucoupdans leshautes mon-
tagnes, où 1~réussite deleur ponte est plus assurée parce quela récoltes'y fait beaucoupplustard.
Lorsqu'on moissonnele seigle, elles passent dans les orges et
les,avoines; et quand qn vient à faucherces dernières, elles se
retirentdans les parties où la maturitéest moinsavancée.
C'est alors le momentde les chasser, parce qu'on trouve dans
un petit nombre d'arpents de terre les caillesqui, un moisaupa-ravant, étaientdisséminéesdans toute une commune, et que, la
saison étant à sa fin, elles sont grosseset grasses à satisfaction.
C'estdans ce but queje me trouvaisun jour avecquelquesamis
surune montagnede l'arrondissementde Nantua, dans le canton
connusous le nom de .P!am~'J?b<oMMe~et nous étionssur le pointdecommencerla chasse, par un des plusbeauxjours du moisde
septembre et sous l'tnfluence d'un soleil brillant inconnu aux
cockneys(i).Mais, pendant que nous déjeunions, il s'élevaun ventdu nord
extrêmementviolentetbien contraireà nos plaisirs;cequi ne nous
empêchapas de nous mettre en campagne.Apeine avions-nouschasséun quart d'heure, que le plusdouil-
let de la troupecommençaà direqu'il avait soif; sur quoi on l'au-
rait sans doute plaisanté, si chacun de nous n'avait pas aussi
éprouvé le même besoin.
Nousbûmestous, car l'Anecantiniernous suivait; mais le sou-
lagementne fut pas long. La soif ne tarda pas à reparaître avec
unetelle intensité, que quelques-unsse croyaientmalades, d'au-
tresprêts à le devenir, et on parlaitde s'en retourner, <?qui nous
auraitfait un voyagede dix !teuesen pure perte.J'avaiseu le tempsde recueil~rmes tdées, et j'avais découvert
la raisonde cette soifextraordinaire.Je rassemblaidoncles cama-
(<)C'estlenompartaquetondaigneteshabitantsdeLondresquin'ensontpassortisiléquivautàceluide6<td<t«<b.
MÉDITATION VIII.iM
rades et je leur dis que nous étions sous l'influencede quatrecauses qui se réunissaient pour nous altérer la diminutionno-
table de la colonne qui pesait sur notrecorps qui devait rendre
la circulationplus rapide; l'action du soleil qui nous échauffait
directement; la marche qui activaitla transpiration; et, plus quetout cela l'action du ventqui, nous perçant à jour, enlevait le
produit de cette transpiration soutirait le fluide, et empêchaittoute moiteur de la peau.
J'ajouteraique, sur le tout, il n'y avait aucundanger; que l'en-
nemiétantconnu, il fallaitlecombattre: et il demeuraarrêté qu'onboirait à chaquedemi-heure.
La précautionne futcependant qu'insufnsante, cette soif était
invincible:ni le vin,ni l'eau-de-vie,ni le vin mêléd'eau, ni l'eau
métée d'eau-de-vie,n'y purent rien. Nousavions soifmêmeen bu-
vant, et nous fùmesmal à notre aisetoute la journée.
Cette journéefinitcependantcommeune autre: !e propriétairedu domaine de Latour nous donna l'hospitalité,en joignant nos
provisions aux siennes.
Nousdînâmesà merveilles et oientôtnous auâmes nous en-
terrer dans le foinet y jouir d'un sommeildé)icieux.
DE LA SOIF. lit
Le lendemain ma théorie reçut la sanction de l'expérience. Le
vent tomba tout-à-iait pendant la nuit; et quoique le soleil fut auss,i
beau et même plus chaud que. ta veille, nous chassâmes encore
une partie de la journée sans éprouver une soif incommode.
Mais le plus grand mal était fait nos cantines, quoique remplies
avec une sage prévoyance, n'avaient pu résister aux charges réi-
térées que nous avions faites sur elles ce n'était plus que des corps
sans âme, et nous tombâmes dans les futailles des cabaretiers.
Il fallut bien s'y résoudre, mais ce ne fut pas sans murmurer
et j'adressai au vent dessicateur une allocution pleine d'invectives,
quand je vis qu'un mets digne de la table des rois, un platd'épinards
à la graisse de cailles, allait être arrosé d'un vin à peine aussi bon
que celui de Surêne (i).
(1)Suréne,villagefortagréable,à deuxlieuesdeParis.Il est renomméparsesmauvaisvins.Ondit proverbialementque,pourboireunverredevin de Su-
rêneil fautêtretrois,savoir:lebuveuretdeuxacolytespourte souteniret empê-cherquelecœurne luimanque.Onenditautantdu vindePérieux;cequin'em-
pêchepasqu'onne le boive.
B~m
L'eau est la seule boisson qui apaise véritablement la soif, et
c'est par cette raison qu'on n'en peut boire qu'une assez petite
quantité. La plupart des autres liqueurs dont l'homme s'abreuve
ne sont que des palliatifs, et s'il s'en était tenu à l'eau, on n'au-
rait jamais dit de lui qu'un de ses privilèges était de boire sans avoir
soif.
(1)Cechapitreest purementphilosophique;ledétaildesdiversesboissonscon-
nuesne pouvaitpasentrerdansle planqueje mesuis formé:c'eûtétéà n'enplus
finir.
!tdoit entendre par &otMOMtout liquide qui
peut se mêler à nos aliments.
L'eau paraît être la boisson la plus natu-
relle. Elle se trouve partout où il y a des ani-
maux, remplace le lait pour les adultes, et
nous est aussi nécessaire que l'air.
DES~t~bNS.iIl
M
i5
fMunpt ettet <èt WMiMMt~Mt.
Qt~&s boissonss'absorbentdans t'économiëanimàtéavt~
une extrêmefacilité;leur effetestprompt ët!e S~a~
gement qu'on en reçoit en quelquesorte instantaMt
Servezà un homme iatigué les alimentsles plus subs-
tantiels, il mangeraavecpeineet n'en éprouverad'abord
que peude bien.Donnez-luiun verre de vin ou d'eau-de-vie,
à l'instant même il se trouve mieux, et vous le voyez re-
naître.
Je puis appuyer cettethéorie surun fait assez remarquable que
je tiensde mdn neveu, !ë colonel CHugnard,peu conteur de son
naturel, maissur la Véracitéduquelonpeut compter.
Il était à !a tête d'un détachementqui revenait du sië~e deJaffa, et n'était éloignéque de quelquescentaines detoiserdu Heu
oùl'on devait s'arrêter et rencontrerde!'ëau, quand oncommençaà trouver sur la route les corps dé quelquessoldatsqui devaient
leprécéderd'un jour de marche,et qui étaientmortsde chaleur.
Parmi les victimesde ce climatbrûlant se trouvait un carabi-
nier, qui était de la connaissancede plusieurspersonnesdu dé-
tachement.
It devaitêtre mort depuis ptus dé vingt-quatreheures, et te so-
leil, qui l'avait frappé toute la journée, lui avait rendu !e visagenoircommeun corbeau.
Quelquescamarades s'en approchèrent. soit pour le voir une
dernièrefois, soit pour en hériter, s'il y avaitde quoi et ils s'é-
tonnèrenten voyant que ses membres étaient encoreuexMés et
qu'il y avait même encoreun peu de chaleurautour de la régiondu cœur.
Donnez-luiunegouttedesacré-chien,dit té~M~ de la troupe;« je garantis que, s'il n'est pas encore bien loin dans l'autre« monde, il reviendrapour y goûter.
Effectivement.à la premièrecuilleréede spiritueuxle mort ou-
vrit les yeux; on s'écria, on lui en frottales tempes, oh mi en nt
MÉDITATION. IX.<n
avalerencore un peu, et au bout d'un quart d'heure il put, avecun peu d'aide, se soutenir sur un âne.
On le conduisitainsi jusqu'à ]a fontaine; on le soigna pendantla nuit on lui fit manger quelquesdattes, on le nourrit avecpré-caution et le lendemain, remonté sur un âne, il arriva au Caireavec les autres.
Bwtssena tortes.
55.
NEchose très digne de remarque est cette
espèce d'instinct aussi général qu'impé-
rieux, qui nous porte à la recherche des
boissons fortes.
Le vin, la plus aimable des boissons, soit
qu'on le doive à Noë, qui planta la vigne,
soit qu'on le doive à Bacchus qui a exprimé le jus du raisin,
date de l'enfance du monde; et la bière, qu'on attribue à Osiris,
remonte jusqu'aux temps au-delà desquels il n'y avait rien de
certain.
Tous les hommes, même ceux qu'on est convenu d'appeler
sauvages, ont été tellement tourmentés par cette appétence des
boissons fortes, qu'ils sont parvenus à s'en procurer, quelles
qu'aient été les bornes de leurs connaissances.
Ils ont fait aigrir le lait de Jours animaux domestiques; ils ont
extrait le jus de divers fruits, de diverses racines, où ils ont soup-
çonné les éléments de la fermentation et partout où on a ren-
contré les hommes en société, on les a trouvés munis Je liqueurs
fortes dont ils faisaient usage dans leurs festins dans leurs sacri-
fices à leurs' mariages, à leurs funéraines, enfin à tout ce qui
avait parmi eux quelque air de ietë et de solennité.
On a bu et chanté le vin pendant bien des siècles, avant de se
douter qu'il fût possible d'en extraire la partie spiritueuse qui en
DESBOISSONS. m
fait la force; mais les Arabesnous ayant appris Fart de la distil-
lation, qu'ils avaient inventéepour extraire le parfumdes Beurs,
et surtout de la rose tant célébréedans leurs écrits, on commença
à croire qu'il était possiblede découvrir dans le vin la cause de
l'exaltation de saveur qui donne au goût une excitationsi parti-
culière et de tâtonnementsentâtonnements; on découvritl'al-
cool l'esprit-de-vin, l'eau-de-vie.
L'alcoolest le monarque des liquideset porteau dernier degré
l'exaltationpalatale cesdiversespréparationsont ouvertde nou-
velles sources de jouissances (1); il donne à certains médica-
ments (2) une énergiequ'ils n'auraient pas sans cet intermède
il est mêmedevenudans nos mainsune arme formidable,car les
nationsdu nouveau monde ont été presque autant domptées et
détruitespar l'eau-de-vieque par les armes à feu.
La méthodequi nous a faitdécouvrirl'alcoola conduitencore
(~)Lesliqueursdetable.(9)Les élixirs.
MËDÏTAT!?~ ÏX, DE8 BOISSONS.118ne
d'autres résultats importais car commee!!econsisteà sépareret à mettre à nu les partiesqui constituentun corps et te distin-
guentde tous les autres, et!e adû servir de modèleà ceuxqui se
sont Uyrésà des recherches analogues, et qui nous ont faitcon.
naître des substancestout ia't nouveHes,te!!es que !a quinineta morphine, la strychnineet autres sembtabtes, découverteset
à découvrir.
Quptqu'il en soit, cette spifd'une espècede liquide quela na-
ture avait enveloppéede voHes, cette appétence extraordinaire
qui agit sur toutesles races d'hommes sous tous les climats et
sous toutes les températures, est biendignede 6xer l'attentionde
t'observateurphilosophe.
J'y ai songécommeun autre, et je suistenté de mettre t'appé-tence des liqueurs fërmentées,qui n'est pas connuedesanimaux,
à côté de l'inquiétudede l'avenir, qui leur est égalementétran-
gère, et de les regarder Fune et l'autre commedes attributs dis-
tinctifsdu chef-d'œuvrede ta dernière révolutionsublunaire.
<StfptMï~uc eMf fin !nt Mt~b~
'A!dit:!(K)'ermtere~o!M<tO!KM&<MMatre,et cette
pensée, ainsiexprimée,m'a entraîné bien loin,bien loin.
Des monuments irrécusables nous appren-nent que notre globe a déjà éprouvéplusieurschangementsabsolus, quiont été autant de/!M<
duMtott~eet je ne sais quel instinct nousavertit que d'autres ré-volutionsdoiventse succéderencore.
Déjà, souvent, on a cru ces révolutionsprêtesà arriver et biendes gensexistentquela comèteaqueusepréditepar !e bon JérômeLalandeenvoyajadis à confesse.
D'après ce qui a été dit à cet égard, on est tout disposé à en-vironner cettecatastrophede vengeances,d'angesexterminateurs,de trompettes, et autres accessoiresnon moins terribles.
Hélas! il ne faut pas tant de fracas pour nous détruire, nousne valons pas tant de pompes et si la volonté d,uSeigneurest
m MÉDITATIONX.
telle, il peut changer la surface du globe sans y mettre tant d'ap-
pareil.
Supposons, par exemple, qu'un de ces astres errants, dont
personne ne connait la route ni la mission et dont l'apparition a
toujoursété accompagnéed'une terreur traditionnelle;supposons,
dts-je, qu'une comète passeassez près du soleil pour se chargerd'un calorique surabondant, et nousapproche assez pour. causersur la terre sixmois d'un état généralde 60 degrés de Réaumur
( unefoisplus chaudque celuide la comète de 181i).A la fin decette saisonfunérale, tout ce qui vit ou végète aura
péri, tous les bruits auront cessé; la terre roulera, silencieuse,jus-
qu'à cequed'autres circonstancesaientdéveloppéd'autres germeset cependant la cause de ce désastre sera restée perdue dans lesvasteschampsde l'air et ne nous aura pas seulementapprochésde
plusieursmillionsde lieues.
Cetévénement,toutaussipossiblequ'un autre, m'a toujoursparuun beau sujetde rêverie, et je n'ai pas hésité un moment de m'yarrêter.
Ilest curieuxde suivre, par l'esprit, cette:chaleurascensionnelle,d'en prévoirles effets,ledéveloppement,l'action, et de se deman-
der
Quid pendant le premierjour, pendant le second, et ainsi de
suitejusqu'au dernier?
Quidsur l'air, la terre et l'eau, la formation,le mélangeet la
détonnationdes gaz`~
Quidsur leshommes, regardésdans le rapport de l'âge du sexe
dela force, de la faiblesse?
Quidsur la subordinationaux lois, la soumission à l'autorité,
le respect des personneset des propriétés?
Quidsur les moyens à chercher ou les tentativesà fairepour se
dérober au danger?
Quidsur lesliensd'amour, d'amitié,de parentésur l'égoïsme, le
dévouement?
Quidsur les sentimentsreligieux,la foi, la résignation, l'espé-rance, etc., etc. ?
SUR LA FIN DU MONDE. M9
L'histoire pourra fournir quelques données sur les intluences
morales car de}àplusieurs foisla fin du mondea été prédite, et
même indiquéeà un jour déterminé.
J'ai véritablementquelqueregret denepas apprendreà meslec~
teurscommentj'ai réglé toutcela dans masagesse;maisje neveux~
pas les priver du plaisir de s'en occupereux-mômes.Cela peut
abrégerquelquesinsomniespendant la nuit, et préparer quelques
~'M<<Mpendant le jour.Le grand danger dissouttous les liens. Ona vu, dans la grande
fièvrejaune quieut lieu à Philadelphievers 1792. des maris fer-
mer à leurs femmes la porte du domicile conjugal, des entants
abandonner leur père, et autres phénomènes pareils en grand
nombre.
Quod a nobis Deus avertat
55.
<)S~/M~ 'At parcouu les dictionnairesau mot Gourmandise
et je n'ai point été satisfait de ceque j'y ai trouvé.
"gj! Ce n'estqu'une confusionperpétuellede la gourman-
<~Meproprementdite avecla gdoutonnerieet la vo-
'ractM: d'où j'ai conctd que les lexicographes,<
quoique très estimablesd'àinëurs, né sont pas de ces savants ai-
mablesqui embouchentâ~ëcgMceune ailé de perdrixau suprême
pourl'arroser, le petitdoigten l'air, d'un verre de vin de Laffitte
ou du clos Vougeot.
Ils ont oublié,complètementoubliéla gourmandise socialequiréunit l'éléganceathénienne~le luxe romain et la délicatessefran-
çaise, qui disposeavec sagacité,fait exécutersavamment,savoure
avecénergie,etjuge avecprofondeur qualité précieuse,qui pour-rait bien être une vertu,et qui est du moins bien certainementla
source de nos pluspuresjouissances.
méNmi<i<MM
Définissonsdonc et entendons-nous.
DE LA GOURMANDISE. <M
i6
La gourmandise est une préférence passionnée, raisonnée et
habituellepour les objets qui flattentle goût.La gourmandiseest ennemiedes excès; tout hommequi s'indi-
gère ou s'enivre court risque d'être rayé des contrôles.
La gourmandisecomprend aussi la friandise, qui n'est autre
que la même préférenceappliquée aux mets légers, déiicats, de
peu de volume, aux confitures, aux pâtisseries, etc. C'est une
modificationintroduite en faveur des femmeset des hommes qui
leur ressemblent.
Sous quelque rapport qu'on envisage la gourmandise, elle ne
mérite qu'éioge et encouragement.Sous le rapport physique, elle est le résultat et la preuve de
i'état sain et parfait des organes destinés à la nutrition.
Au moral, c'est une résignation implicite aux ordres du Créa-
teur, qui, nous ayant ordonné de manger pour vivre, nous y in-
vite par rappe~-rnms~outient par !a saveur, et nous en récom-
pense par te/M~M/C~ n ~~ï
MÉDITATION XL<M
Av~n~tjjtèa de tt C<mfm<nmdt«è
bcs te rapport de l'économie politique, la gour-
mandise est !ë Hën commun qui unit les peu-
p!es par t'échange réciproque des objets qui
-M' servent à ta consommation journalière.
? elle qui voyager d'un pô!e à l'au-
'j~B~ tre, les vins les eaux-de-vie, les sucres, les~(
épiceries, les marinades, les salaisons, les pro-visions de toute espèce, et jusqu'aux œuis et aux melons.
C'est elle qui donne un prix proportionnel aux choses soit mé-
diocres, bonnes ou excellentes, soit que ces qualités leur vien-
nent de l'art, soit qu'elles les aient reçues de la nature.
C'est elle qui soutient l'espoir et l'émulation de cette foule de
pêcheurs, de chasseurs, horticulteurs et autres, qui remplissent
journellement les offices les plus somptueux du résultat de leur
travail et de leurs découvertes.
C'est elle enfin qui fait vivre la multitude industrieuse des cui-
siniers, pâtissiers, confiseurs et autres préparateurs sous divers
titres, qui, à leur tour, emploient pour leurs besoins d'autres ou-
vriers de toute espèce, ce qui donne lieu en tout temps et à toute
heure, à une circulation de fonds dont l'esprit le plus exercé ne
peut ni calculer le mouvement ni assigner la quotité.
Et remarquons bien que l'industrie qui a la gourmandise pour
objet présente d'autani plus d'avantage qu'elle s'appuie, d'une
part, sur les plus grandes infortunes, et de l'autre, sur des be-
soins qui renaissent tous les jours.
Dans l'état de société où nous sommes maintenant parvenus,
il est difficile de se figurer un peuple qui vivrait uniquement de
pain et de légumes. Cette nation, si elle existait, serait infaillible-
ment subjuguée par les armées carnivores, comme les Indous,
qui ont été successivement la proie de tous ceux qui ont voulu les
attaquer; ou bien elle serait convertie par les cuisines de ses voi-
sins, comme jadis les Béotiens, qui devinrent gourmands après
la bataille de Leuctres.
DE <jA GOURMANDISE. <M
SttMe.'j
56. La gourmandiseoffre de grandes ressources à la nsca-
lité ellealimente les octrois les douanes, les impositionsindi-
rectes. Tout ce que nous consommonspaie le tribut, et il n'est
point de trésor public dont les gourmandsne soientle plus ferme
soutien.
Parlerons-nousde cet essaimde préparateurs qui depuis plu-sieurs siècles, s'échappentannuellementde laFrancepour exploi-
ter les gourmandises'exotiques?La plupart réussissent, et, obéis-
sant ensuiteà un instinctqui ne meurt jamais dans le cœur des
Français, rapportent dans leur patrie le fruit de leur économie.
Cet apport est plus considérable qu'on ne pense, et ceux-là,
commeles autres, auront aussi un arbre généalogique.
Maissi les peuples étaient reconnaissants, qui mieuxque les
Français aurait dû élever à la Gourmandiseun templeet des
autels?
IP~mvMit'pde <a €t<!M~f«t~<Ne
57.
N1818, le traité du mois de novembre im-
posa à la France la conditionde payer aux
alliésseptcentcinquantemillionsen troisans.
A cettechargesejoignitcelle de fairef~ceaux réclamationsparticulièresdes habitants
des divers pays dont les souverainsréunis
avaientstipu!éles intérêts,montant à plus de
trois centmillions.
En6n il faut ajouter à tout cela les réquisitions de toute espèce
faites en nature par les généraux ennemis, qui en chargeaient des
fourgons qu'ils faisaient filer vers les frontières, et qu'il a <auu
quele trésor public payât plus tard; en tout, plus de quinze cent
mittions.
MÉDITATION XI.M4
Onpouvait, on devaitmômecraindre que des paiementsaussi
considérables, et qui s'effectuaientjour par jour en numéraire,n'amenassentla gênedans le trésor, ladépréciationdans toutesles
valeurs fictives et par suite tous les malheursqui menacent un
pays sans argent et sans moyens de s'en procurer.« Hélas! disaientles gens de bien en voyant passer le fatal
< tombereau qui allait se remplir dans la rue Vivienne, hélas
voilà notre argent qui émigré en masse; l'an prochain on s'age-< nouiHera devant un écu nous allons tomber dans l'état déplo-< râblé d'un homme ruiné; toutes les entreprises resteront sans
< succès on ne trouvera point à emprunter; il y aura étisie, ma-
rasme, mort civile.
L'événement démentit ces terreurs et au grand étonnement de
tous ceux qui s'occupent de finances, les paiements se firent avec
facilité, lecrédit augmenta, on se jeta avec avidité vers les em-
prunts, et pendant tout le temps que dura cette superpurgation,
le cours du change, cette mesure infaillible de la circulation mo-
nétaire, fut en notre faveur: c'est-à-dire qu'on eut la preuve arith-
métique qu'il entrait en France plus d'argent qu'il n'en sortait.
Quelle est la puissance qui vint à notre secours? quelle est la
divinité qui opéra ce miracle? la Gourmandise.
Quand les Bretons, les Germains, les Teutons, les CImmériens
et les Scythes firent irruption en France, ils y apportèrent une
voracité rare et des estomacs d'une capacité peu commune.
Ils ne se contentèrent pas longtemps de la chère officielle que
devait leur fournir une hospitalité forcée; ils aspirèrent à des jouis-sances plus délicates et bientôt la ville-reine ne fut plus qu'un
immense réfectoire. Ils mangeaient, ces intrus, chez les restaura-
teurs, chez les traiteurs, dans les cabarets dans les tavernes,
dans les échoppes, et jusque dans les rues.
Ils se gorgeaient de viandes, de poissons, de gibier, de truffes,
de pâtisseries, et surtout de nos fruits.
Ils buvaient avec une avidité égale à leur appétit, et deman-
daient toujours les vins les plus chers espérant y trouver des
DE LA GOURMANDISE. iM
jouissancesinouïes, qu'ils étaient ensuite tout étonnés de ne pas
éprouver,Les observateurssuperficielsne savaient que penser de cette
mangeriesans faimet sansterme maisles vrais Françaisriaient
et se frottaientles mainsen disant c Les voilàsous le charme,
« et ils nous auront rendu ce soir plus d'écus que le trésor public
« ne leur en a compté ce matin. ·
Cetteépoque fut favorable à tous ceux qui fournissaientaux
jouissancesdu goût. Véry acheva sa fortune Achardcommença
la sienne Beauvilliersen fit une troisième, et madame Sullot,
dont le magasin, au Palais-Royal,n'avait pas deux toises carrées,
vendaitpar jour jusqu'à douze millepetits pâtés (d).
Ceteffetdure encore: les étrangers aftluentde toutes les parties
del'Europe,pour rafraîchir, durant la paix, les douceshabitudes
qu'ilscontractèrentpendantla guerre; il fautqu'ils viennentà Pa-
ris quand ils y sont, il fautqu'ils se régalentà tout prix. Et si nos
effetspublicsont quelquefaveur, on le doit moinsà l'intérêt avan-
tageuxqu'ilsprésentent qu'à la confianced'instinctqu'on ne peut
s'empêcherd'avoir dans un peuplechez qui les gourmandssont
heureux(2).
Portrait <t nmejolie ~tmmMMMte
58. La gourmandisene messiedpoint auxfemmes elle con-
vientà la délicatessede leurs organes, et leur sert de compensa-
tionpour quelquesplaisirsdont il faut bienqu'elles se privent, et
pour quelques maux auxquels la nature paraît les avoir con-
damnées.
(1) Quand t'armée d'invasion passa en Champagne, elle prit six cent mille bou-
teilles de vin dans les caves de M. Moet, d'Épernay, renommé pour la beauté de
ses caves.
Il s'est consolé de cette perte énorme quand il a vu que les pillards en avaient
gardé le goût, et que les commandes qu'il reçoit du Nord ont plus que doublé de-
puis cette époque.
(~) Les calculs sur lesquels cet article est fondé m'ont été fournis par M. MB.
gastronome aspirant, à qui les titres ne manquent pas, car il est financier et mu-
sicien.
MÉDtTATtON XI.4M
Rienn'est plus agréableà voir qu'une joliegourmandesous les
armes sa servietteest avantageusementmise une de ses mains
est posée sur la table l'autre voitureà sa bouche de petits mor-
ceauxélégammentcoupés, oul'aile de perdrix qu'il faut mordre
ses yeux sont brillants, ses lèvres vernissées, sa conversation
agréable, tous ses mouvementsgracieux elle ne manque pas de
ce grain de coquetterieque les femmesmettentà tout. Avec tant
d'avantages, elleest irrésistible et Caton-le-Censeurlui-même se
laisseraitémouvoir.
Ate<~[wte
Icicependantse place pour moiun souveniramer.
J'étais un jour biencommodémentplacéà taMeà côtéde la jolie
madameM. d, et je me r~puissaisintérieurementd'un stbon
~Qt,quand, se tournant tout a coup yers moi <Avq~resanté
me dit-elle.Je commençaidesuiteune phrased'actionsde grâces;
DEEAGOORMANBïSE. 1K
maisje n'achevaipas; car la coquette se portant vers son voisin
de gauche: < Trinquons Ils trinquèrent, et cette brusque
transitionme parutune perfidie, qui me fit au coeurune blessure
que biendes années n'ont pasencoreguérie.
Les FemnMMfs~mt ~«mftm~ndes
9~SR~%3Y~ penchant du beau sexe pour la gourmandise a
quelque chose qui tient de l'instinct, car la gour-
mahdigëest favorable a la beauté.
,ct,
car la
gO"U
1'-
a mabdise est fâvordble ii Hi bMtité;
(~a~t~B~~ Une suite d'observations exactes et rigoureuses a
~>) o /9 démontré qu'un régime succulent, délicat et soigné,
(~y-A~~ repousse longtemps et bien loin les apparences ëxtê-
rieures de la vieillesse.
A"IIdonne aux yeux plus de brillant, à la peauplus de fraîcheur
et aux muscles plus de soutien et comme il est certain, en phy-
siologie, que c'est la dépression des muscles qui cause les rides,
ces redoutables ennemis de la beauté, il est également vrai de dire
que, toutes choses égales, ceux qui savent manger, sont compara-
tivement de dix ans plus jeunes que ceux à qui cette science est
étrangère.Les peintres et les sculpteurs sont bien pénétrés de cette vérité,
car jamais ils ne représentent ceux qui font abstinence par choix ou
par devoir, comme les avares et les anachorètes, sans leur donner
la paleur de là maladie, la maigreur de la misère et les rides de la
décrépitude.
n
Btfets de la ~<H)Hpm<Mt<t<tseamr seei~MMté
59. La gourmandise est un des principaux liens de la société
c'est elle qui étend gràdueUement cet esprit de convivialité qui réunit
chaque jour les divers états, les fond en un seul tout, anime la con-
versation, et adoucit les angles de t'inégatité conventionnelle.
C'est elle aussi qui motiveles efforts que doit faire tout amphi-
tryon pour bien recevoir ses convives, ainsi que la reconnaissance
1M MÉDITATION Xt
de ceux-ci,quand ils voientqu'on s'est savamment occupéd'euxet c'est ici le lieu de honnir à jamais ces mangeurs stupides quiavalentavec une indifférencecoupable les morceauxles plus dis-
tingués, ou qui aspirent avec une distractionsacrilégeun nectar
odorant et limpide.Loi générale.Toute dispositionde haute intelligencenécessite
des élogesexplicites,et une louange délicateest obligée partoutoùs'annonce l'enviede plaire.
tnCtmemeede la g<mf<mamd<<tesur le bonheur t<M~jns<~
60. Enfin,la gourmandise, quand elle est partagée, a l'in-
fluencela plusmarquée sur le bonheur qu'on peut trouver dans
l'union conjugale.
Deux époux gourmands ont, au moins une fois par jour, une oc-
casion agréabie de se réunir car, même ceux qui font lit à part
(et i)y en a un grand nombre) mangent du moins à la même table
ils ont un sujet de conversation toujours renaissant; ils parlent
non-seulement de ce qu'ils mangent, mais encore de ce qu'ils ont
DE]LAQOU&<tAt<!)tBE. i~
17
mangé, de ce qu'ils mangeront de Cequ'ils ont obsédé Cnëi !efi
autres, des plats à !amode,des inventionsnouvëues,etc., etc. et
on sait que les causeries familières(cAt<chat) sont peines dé
charmes.
La musiquea sansdoute aussi des attraits bien puissants pour
ceuxqui l'aiment mais il fauts'y mettre c'est une besogné.
D'ailleurs,on estquelquefoisenrhumé,la musiqueest égarée,tes~s
instrumentssont discords,on a lamigraine,il y a du chômage.Aucontraire, un besoin partagé appelle les époux à table, le
mêmepenchantles y retient ilsontnaturellementl'un pour l'autre
ces petits égards qui annoncentl'envie d'obliger, et la manière
dont se passent les repas entre pour beaucoupdans le bonheur
dela vie.
Cetteobservation,assezneuveen France, n'avait point échappé
au moralisteanglaisFielding,et il l'a développéeenpeignant,dans
son roman de Paméla,la manièrediverse dont deux couples ma-
riésfinissentleur journée.Le premierestun lord, l'aîné, et parconséquentle possesseurde
tous les biensde la famille.
Le secondest son frère puîné épouxde Paméla, déshérité à
causede ce mariage, et vivantdu produit de sa demi-paie, dans
unétat de gêne assez voisinde l'indigence.Lelord et sa femme arrivent de différentscôtés, et se saluent
froidement,quoiqu'ilsne sesoientpas vusdela journée.Hs'asseient
àune tablesplendidementservie,entourésdelaquaisbrillantsd'or,
se servent en silence et mangentsans plaisir. Cependant, après
queles domestiques se sont retirés, une espècede conversation
s'engageentre eux; bientôtl'aigreur s'en mêle elle devient que-
relle,et ils se lèventfurieuxpour aller, chacun dans son apparte-
ment,méditersur la douceurdu veuvage.Sonfrère, aucontraire, en arrivantdans son modeste apparte-
ment, est accueilliavec le plus tendre empressementet les plus
doucescaresses.Il s'assiedprès d'une table frugale; maisles mets
quilui sont servispeuvent-ilsne pas être excellents C'est Paméla
elle-mêmequi les a apprêtés!Usmangentavecdélices, encausant
MÉDITATION XL DE LA GOURMANDISE.190
de leurs affaires, de leurs projets, de leurs amours. Une demi-bou-
teille de madère leur sert à prolonger le repas et l'entretien; bien-
tôt le mêmelit les reçoit; et après les transports d'un amour par-
tagé, un doux sommeil leur fera oublier le présent et rêver un meil-
leur avenir.
Honneur à la gourmandise, telle que nous la présentons à nos
lecteurs, et tant qu'elle ne détourne l'homme ni de ses occupa-
tions ni de ce qu'il doit à sa fortune! car, de même que les disso-
lutions de Sardanapale n'ont pas tait prendre les femmes en hor-
reur, ainsi les excès de Vitellius ne peuvent pas faire tourner le
dos à un festin savamment ordonné.
La gourmandise devient-elle gloutonnerie, voracité, crapule,
elle perd son nom et ses avantages, échappe à nos attributions
et tombe dans celles du moraliste, qui la traitera par ses conseils,
ou du médecin, qui la guérira par les remèdes.
La gourmandise, telle que le professeur l'a caractérisée dans cet
article, n'a de nom qu'en français elle ne peut être désignée ni
par le mot latin gula, ni par l'anglais gluitony, ni par l'allemand
ttM<er~Aet<nous conseillons donc à ceux qui seraient tentés de
traduire ce livre instructif, de conserver le substantif, et de chan-
ger seulement l'article; c'est ce que tous les peuples ont fait pour
la coquetterie et tout ce qui s'y rapporte.
NOTE D'UN GASTRONOMEPATRIOTE.
Je remarque avec orgueil que la coquetterie et ta gourmandise, ces deux grandesmodifications que l'extrême sociabilité a apportées à nos plus impérieux besoins,
sont toutes deux d'origine française.
S<s ~ourmon~
Nf'ext pas a:enrmmm<< qui veut.
6t.
t. est des individusà qui la nature a refuséune
finesse d'organes, ou une tenue d'attention sans
lesquellesles mets les plus succulentspassentin-
aperçus.La physiologiea déjà reconnu la première de
ces variétés, en nous montrant la languede ces
infortunésmalpourvuedeshoupesnerveuses des-
tinées à inhaler et apprécier les saveurs. Elles n'éveillent chez
eux qu'un sentiment obtus; ils sont pour les saveurs ce que les
aveugles sont pour la lumière.
La seconde se compose des distraits, des babillards des affai-
rés, des ambitieux et autres, qui veulent s'occuper de deux choses
à la fois, et ne mangent que pour se remplir.
M<tp<tté<M*
Tel était entre autres Napoléon: il était irrégulier dans ses re-
pas, et mangeait vite et mal mais là se retrouvait aussi cette vo-
MÉDITATION XII.139
lonté absolue qu'it mettait à tout. Dès que l'appétit se faisait sentir,
il fanait qu'il fût satisfait, et son service était monté de manière
qu'en tout lieu et toute heure on pouvait, au premier mot, lui
présenter de la volaille, des côtetettes et du calé.
CMnnmtMMts ptMr pféd~o~m~ttem
'jEe*Aïsilest une classe privilégiée qu'une prédestina-tion matérielle et organique appelle aux jouissances
~o
du goût.
~a~g~ J'ai été de tout temps Lavatérien et Galliste jecrois aux dispositions innées.
Puisqu'il est des individus qui sont évidemment venus au monde
pour mal voir, mal marcher, mal entendre, parce qu'ils sont nés
myopes, boiteux ou sourds, pourquoi n'y en aurait-il pas d'au-
tres qui ont été prédisposés à éprouver plus spécialement cer-
taines séries de sensations P
D'ailleurs, pour peu qu'on ait du penchant à l'observation, on
rencontre à chaque instant dans le monde des physionomies qui
portent l'empreinte irrécusable d'un sentiment dominant, tel qu'une
impertinence dédaigneuse, le contentement de soi-même, la mi-
santhropie, la sensualité, etc., etc. A la vérité, on peut porter
tout cela avecune figure insigniSante maisquand la physiono-miea un cachetdéterminé, il est rare qu'elle soit trompeuse.
DE8GOURMANM. 4M
Les passionsagissentsur les musctes;et très souvent,quoiqu'unhommese taise, on peut tire sur sonvisageles divers sentimentsdont il est agité. Cette tension, pour peuqu'eHe soit habitueiïe,finit par laisser des traces sensiMes, et donne ainsi à la physio-nomieun caractère permanentet reconnaissable.
FfédesthM~mj~ semsneUe
45.
Bs prédestinés de la gourmandise sonten général d'une stature moyenne; ilsont le visage.rond ou carré, les yeuxbrillants, le front petit, le nez court,tes lèvres charnues et le menton ar-
rondi. Les femmes sont potelées, plus
jolies que belles, et visant un peu à
l'obésité.
Celles qui sont principalement frian-des ont les traits plus fins l'air plusdélicat, sont plus mignones, et se
distinguent surtout par un coup de lan-
gué qui leur est particulier.
C'estsous cet extérieurqu'il fautchercher les convivesles plusaimables: ils acceptent tout ce qu'on leur offre, mangent lente-ment, et savourent avec.réuexion. Ils ne se hâtent point de s'é-
loignerdes lieux où ils ont reçu une hospitalitédistinguée;et onles a pour la soirée, parce qu'ils connaissenttous les jeux et
passe-tempsqui sont les accessoiresordinairesd'une réunion sas-tronomique,
Ceux, au contraire, à qu~la naturea refusét'apt)tudeauxjouis-sancesdu goût, ont le visage, le nez et les yeux longs; quellequesoit leur taille, ils ont dans leur tournure quelquechosed'at-
MÉDïtÀTION XII.i&t
tongét Ils ont les cheveuxnoirs et p!ats, et manquent surtout
d'embonpoint; ce sont eux qui ont inventéles pantalons.
Lesfemmes que la nature a affligéesdu même malheur sont
anguleuses, s'ennuient à table, et ne vivent que de bostons et de
médisance.
Cettethéorie physiologiquene trouvera, je t'espère, que peude contradicteurs,parce quechacunpeut la vérifier autourde soi:
je vaiscependantencorel'appuyer par des faits.
Je siégeaisun jour à un très grand repas, et j'avais en faceune
très jolie personnedont la figure était tout à faitsensuene. Je me
penchai vers mon voisin, et lui dis tout bas qu'avec des traits
pareilsil était impossibleque cettedemoisellene fût pas très gour-mande. « Quellefolie!me répondit-il; elle a tout au plusquinze
DES GQURMANDS, M5
< ans; ce n'est pas encorel'âge de la gourmandise. Ausurplus,
< observons. »
Lescommencementsne me furentpas favorables j'eus peur de
m'être compromis; car, pendant les deux premiers services, la
jeunefillefutd'une discrétionquim'étonnait, et je craignaisd'être
tombé sur une exception, car il y en a pour toutes les règles.
Maisenfin le dessert vint, dessert aussi brillant que copieux, et
qui me rendit l'espérance. Mon espoir ne fut pas déçu non-seu-
lement elle mangeade tout ce qu'on lui offrit, maisencoreelle se
fit servir des plats qui étaient les plus éloignés d'elle. Enfin elle
goûta à tout; et le voisin s'étonnait de ce que ce petit estomac
pouvaitcontenirtant de choses. Ainsifut vérifiémon diagnostic,et la sciencetriompha encoreune fois.
Adeux ans de là, je rencontraiencorela mêmepersonne; c'é-
tait huit joursaprès son mariage elle s'était développéetout à fait
à son avantage elle laissait pointer un peu de coquetterie, et
étalant tout ce que ta mode permet de montrer d'attraits, elle
étaitravissante.Sonmari était à peindre il ressemblaità un cer-
tainventriloquequi savaitrire d'un côtéet pleurerde l'autre, c'est-
à-direqu'il paraissaittrès contentde ce qu'on admirait sa femme;
maisdès qu'un amateur avait l'air d'insister, il était saisi du fris-
sond'une jalousietrès apparente. Ce dernier sentimentprévalutil emporta sa femmedans un département éloigné, et là, pour
moi, finitsa biographie.
Je 6s une autre fois une remarque pareille sur le duc Decrès,
qui a été si longtempsministre de la marine.
Onsait qu'il était gros, court, brun, crépu et carré; qu'il avait
levisageau moins rond, le mentonrelevé, les lèvresépaisses et
la bouched'un géant; aussije le proclamaisur-le-champamateur
prédestinéde la bonne chère et des belles.
Cetteremarquephysiognomonique,je la coulaibiendoucementt
et bien bas dans l'oreilled'une dame fort jolie et que je croyaisdiscrète.Hélas!je me trompai! elle était filled'Ève, et mon se-
cret l'eût étouffée.Aussi, dans la soirée, l'excellencefutinstruite
MÉDïtÂTiÔM XH.4M
de l'induction sctënti8que que j'avais tirée de l'ensemble de ses
traits.
C'est ce.que j'appris te lendemain par une lettre fort aimable
que m'écrivit te duc, et par laquelle il se défendait avec modestie
de posséder les deuxqualités, d'ailleurs fort estimables, que j'avais
découvertes en lui.
Je ne me tins pas pour battu. Je répondis que la nature ne fait
rien en vain qu'eue l'avait évidemment formé pour de certaines
missions que, s'il ne les remplissait pas il contrariait son
vœu; qu'au reste, je n'avais aucun droit à de pareilles confiden-
ces, etc., etc.
La correspondance resta là mais peu de temps après, tout
Paris fut instruit par la voie des journaux de la mémorable ba-
taille qui eut lieu entre le ministre et son cuisinier, bataille qui fut
longue, disputée, et où l'excellence n'eut pas toujours le dessus.
Or, si après une pareille aventure le cuisinier ne fut pas renvoyé
(et il ne le fut pas), je puis, je crois, en tirer la conséquence
que le duc était absolument dominé par les talents de cet artiste
et qu'il désespérait d'en trouver un autre qui sût flatter aussi
agréablement son goût; sans quoi il n'aurait jamais pu surmonter
la répugnance toute naturelle qu'il devait éprouver à être servi
par un préposé aussi belliqueux.
Comme je traçais ces lignes par une belle soirée d'hiver, M.Car-
tier, ancien premier violon de l'Opéra et démonstrateur habile
entre chez moi et s'assied près de mon feu. J'étais plein de mon
sujet, et le considérant avec attention < Cher professeur, lui
« dis-je, comment se fait-il que vous ne soyez pas gourmand« quand vous en avez tous les traits? Je l'étais très fort, répon-< dit-il, mais je m'abstiens.–Serait-ce par sagesse? lui ré-
pliquai-je. Il ne répondit pas, mais il poussa un soupir à la Wal-
ter Scott, c'est-à-dire tout semblable à un gémissement.
DES GOURMANDS. 197
i8
C<MmmMMMts par étttt.
63.
S'!Lest des gourmands par prédestination, il en est aussi parétat et je dois en signaler ici quatre grandes théories les finan-
ciers les médecins, les gensde lettreset les dévots.
Les N<MMMh:Mt
Esfinanciers sont les héros de la Gourmandise.
Ici hérosest lemot propre, car il y avait com-
bat et l'aristocratie nobiliaireeût écrasé les fi-
~Ênancierssous lepoidsde sestitresetde ses écus-
~~M~sons,si ceux-cin'y eussent opposé une table
somptueuse et leurs coffres-forts.Les cuisiniers
combattaientles généalogistes, et quoiqueles ducsn'attendissent
pas d'être sortis pour persimer l'amphitryonqui les traitait, ils
étaientvenus, et leur présenceattestait leur défaite.
D'ailleurstousceuxqui amassent beaucoupd'argentetavec faci-
lité, sontpresqueindispensablementobligésd'êtregourmands.
L'inégalité des conditions entraîne l'inégalité des richesses,
maisl'inégalitédesrichessesn'amènepas l'inégalitédesbesoins; et
telquipourrait payer chaquejour undiner suffisantpour cent per-
sonnes,est souventrassasiéaprès avoir mangéune cuissede pou-let. Il faut doncquel'art usede toutesses ressourcespour ranimer
cetteombre d'appétitpardes mets qui le soutiennent sans dom-
mageet le caressentsans l'étouffer.C'est ainsique Mondorest de-
venugourmand,et que de toutesparts lesgourmandsont accouru
auprèsdelui.
Aussidans toutesles séries d'apprêts que nous présentent les
livresdecuisineélémentaire, il y en a toujoursun ou plusieursqui
portent pour qualification d la financière.Et on sait que ce
n'étaitpas le roi, mais les fermiersgénérauxquimangeaientautre-
<3B MÉDtTATtOU Xît.
foisle premier plat de petits pois qui se payait toujourshuitcents
francs.
Leschosesne se passentpas autrementde nos jours les tables
financièrescontinuentà offrirtout ce que la nature a de plus par-
fait, les serresde plus précoce.rart de plus exquis; et les person-
nages les plushistoriquesne dédaignent point de s'asseoir à ces
testins.
t~ewMédeetmw
64. Descausesd'une autre nature, quoiquenon moins puis-
santes, agissentsur les médecins ils sont gourmands par séduc-
tion, et il faudrait qu7ils fussent de bronze pour résister à la force
des choses.
Les chers docteurs sont d'autant mieux accueillis que la santé,
qui est sous leur patronage, est le plus précieux de tous les biens;
aussi sont-ils enfants gâtés dans toute la force du terme.
Toujours impatiemment attendus, ils sont accueillis avec em-
DES GOURMANDS. 1M
pressement.C'estunejoliemaladequi les engage c'est une jeune
personne quiles caresse c'est un père, c'est un mari, qui leur re.
commandentcequ'ils ont de plus cher. L'espérancelestourne par
la droite, la reconnaissancepar lagauche; on les embecquecomme
des pigeons; ils se laissent faire, et en six mois l'habitude est
prise, ils sont gourmandssans retour (~<M<reaeMtp<Mw).
C'estce quej'osai exprimer unjour dans unrepas oùje figurais,
moineuvième, sous la présidencedu docteur Corvisart. C'était
vers 1806
« Vousêtes,m'écriai-jedu ton inspiréd'un prédicateur puritain,
< vousêtesles derniersrestesd'une corporation qui jadis couvrait
« toute la France. Hélas les membres en sont anéantis ou dis-
« perses: plus de fermiersgénéraux, d'abbés, de chevaliers, de
« moines blancs tout le corps dégustateurréside en vous seuls.
« Soutenezavecfermetéun si grand poids, dussiez-vous essuyer«le sort des troiscentsSpartiatesau pas des Thermopyles.<
Je dis, et il n'y eutpas une réclamation nous agîmesen conséi
quence,et la véritéreste.
Je fis à ce dîner une observationqui mérite d'être connue.
Ledocteur Corvisart,qui était fort aimablequand il voulait, ne
buvaitque du vin de Champagnefrappé de glace. Aussi, dès le
commencementdu repas et pendantque les autres convivess'occu-
paientà manger, il était bruyant, conteur, anecdotier.Au dessert,aucontraire, et quand la conversationcommençait à s'animer, il
devenaitsérieux, taciturneet quelquefoismorose.
De cetteobservationet de plusieursautres conformes,j'ai dé-
duit lethéorèmesuivantLe vindeChampagne,qui est excitanta'aM<
sespremierseffets(ab initio),est~<Mp~aM<dansceuxquisuivent(in
recessu) ce qui est au surplusun effetnotoiredu gaz acide car-
boniquequ'il contient.
<M~mfa~tt<m
65. Puisque je tiensles docteursà diplôme,je ne veux pascourir sans leur reprocherl'extrêmesévéritédont ils usent envers
leursmalades.
MÉDITATION XIÏ.<40
Desqu'ona lemalheurde tomber dans leur mains, il faut subir
une kyrielle de défenses,etrenoncera tout ce que nos habitudes
ont d'agréable,Je m'élèvecontre la plupart de cesinterdictionscommeinutiles.
JedistmM<t!M,parce que les maladesn'appctent presquejamaisce quileur serait nu;sible.
Lemédecinrationnelne doit jamaisperdre de vue la tendance
naturellede nos penchants,ni oublier que si les sensationsdou-
loureusessont funestespar leur nature, cellesqui sont agréables
disposentà la santé. On a vu un peu de vin,, une cuillerée de
café, quelques gouttesde liqueur, rappeler le souriresur les faces
les plushippocratiques.Ausurplus, il fautqu'ils sachentbien, cesordonnateurssévères,
que leursprescriptionsrestent presquetoujourssanseuet; le ma-
lade chercheà s'y soustraire ceuxquil'environnentne manquent
jamais de raisonspour lui complaire,et on n'en meurt ni plus ni
moins.
Laration d'un Russe malade,en i8i8,aurait griséun fortde la
halle, et celle des Anglaiseut rassasiéun Limousin.Et il n'y avait
pas de retranchementà y faire,car des inspecteursmilitairespar-couraient sans cesse nos hôpitaux, et surveillaient à la fois la
fournitureet la consommation.
J'émetsmon avisavecd'autant plusde confiancequ'il est appuyésur des faitsnombreux,etqueles praticiensles plusheureuxse rap-
prochent de ce système.LechanoineRollet,mort il y a environcinquanteans, était bu-
veur, suivantl'usagedeces tempsantiques il tombamalade,et la
premièrephrase du médecinfutemployéeàlui interdiretout usagede vin. Cependant,à la visitesuivante,le docteur trouvale patient
couché, et devant son lit un corps de délit presquecomplet sa-
voir une table couverted'une nappe bien blanche,un gobeletde
cristal,une bouteillede belleapparence, et une serviettepours'es-
suyer les lêvres.
Acettevue il entra dans une violentecolère et parlait dese re-
tirer, quandle malheureuxchanoineluicria, d'une voix lamenta-
DES GOURMANDS. m
ble: Ah! docteur, souvenez-vousque quand vous m'avez
<défendude boire, vousnem'avez pasdéfendule plaisir de voir
<la bouteille."»
Le médecinqui traitait M. de Montlusinde Pont-de-Veylefut
bienencore plus cruel, car non-seulementil interdit l'usage du
vinà son malade,mais encore il lui prescrivitde boire de l'eau à
grandes doses.
Peude temps après le départ de l'ordonnateur, madame de
Montlusin,jalouse d'appuyer l'ordonnanceet de contribuerau re-
tour dela santé de son mari, lui présentaun grandverre d'eau la
plusbelle et la pluslimpide.Lemaladele reçutavecdocilité,et se mità leboire avec résigna-
tion maisil s'arrêta à lapremièregorgée, et rendant le vase à sa
femme <Prenez cela, ma chère, lui dit-il, et gardez-lepour une
<autre fois j'ai toujoursouïdire qu'il ne fallaitpas badiner avec<les remèdes.
Les ~en« de lettres.
66.
cm'~& ANSl'empire gastronomique,le quartier des
gens de lettresest tout près de celui des mé-decins.
<< Sousle règne de Louis XIV, les gens de
lettres étaientivrognes; ils se conformaientà
~e~ la mode,et les mémoiresdu temps sont touta fait édifiantsà ce sujet. Maintenantils sont
gourmands en quoi il y a amélioration.
Je suis bien loin d'être de l'avis du cyniqueGeoffroy,quidisait
que si les productionsmodernesmanquentde force, cela vientdece que les auteurs ne boiventque de l'eau sucrée.
Je crois, au contraire, qu'il a fait une doubleméprise, et qu'ils'est trompé sur le faitet sur la conséquence.
L'époqueactuelle est richeen talents ils se nuisentpeut-être
14& MÉDITATION XH.
par leur multitude; mais la postérité, jugeant avec plus de calme,
y verra bien des sujets d'admiration c'est ainsi que nous-mêmes
avons rendu justice aux chefs-d'œuvre de Racine et de Molière
qui furent froidement reçus par les contemporains.
Jamais la position des gens de lettres dans la société n'a été
plus agréable. Ils ne logent plus dans les régions élevées qu'on
leur reprochait autrefois les domaines de la littérature sont de-
venus plus fertiles; les flots de l'Hippocrène roulent aussi des pail-
lettes d'or égaux de tout le monde, ils n'entendent plus le lan-
gage du protectorat, et, pour comble de biens, la Gourmandise
les comble de ses plus chères faveurs.
On engage les gens de lettres à cause de l'estime qu'on fait de
leurs talents, parce que leur conversation a en général quelque
chose de piquant, et aussi parce que depuis quelque temps il est
de règle que toute société doit avoir son homme de lettres.
Ces messieurs arrivent toujours un peu tard; on ne les accueille
que mieux, parce qu'on les a désirés on les affriande pour qu'ils
reviennent; on les régale pour qu'ils étincellent; et comme ils
trouvent cela fort naturel, ils s'y accoutument, deviennent, sont
et demeurent gourmands.
Les choses même ont été si loin qu'il y a eu un peu de scan-
dale. Quelques furets ont prétendu que certains déjeuneurs s'é-
taient laissé séduire, que certaines promotions étaient issues de
certains pâtés, et que le temple de l'immortalité s'était ouvert à
la fourchette. Mais c'étaient de méchantes langues; ces bruits sont
tombés comme tant d'autres ce qui est fait est bien lait et je n'en
fais ici mention que pour montrer que je suis au courant de tout
ce qui tient à mon sujet.
Des déveto
67. Enfin la Gourmandisecomptebeaucoupde dévotsparmi
sesplus fidèlessectateurs.
Nous entendons par dévotsce qu'entendaientLouisXIVet Mo-
DES GOURMANDS. M
Itère, c'est-à-dire ceux dont toute la religion consiste en pràt!qhës
extérieures; les gens pieux et charitables n'ont rien à faire là.
Voyons donc comment la vocation leur vient. Parmi ceux quiveulent faire leur salut, le plus grand nombre cherche le chemin
le plus doux ceux qui fuient les hommes, couchent sur la dure
et revêtent le citice, ont toujours été et ne peuvent jamais être quedes exceptions.
Or, il est des choses damnables sans équivoque, et qu'on ne
peut jamais se permettre, comme le bal, les spectacles, le jeu et
autres passe-temps semblables.
Pendant qu'on les abomine, ainsi que ceux qui les mettent en
pratique, la Gourmandise se présente et se glisse avec une face
tout à fait théologique.De droit divin, l'homme est le roi de la nature, et tout ce que
la terre produit a été créé pour lui. C'est pour lui que la caille
s'engraisse, pour lui que le moka a un si doux parfum, pour lui
que le sucre est favorable à la santé.
Comment donc ne pas user, du moins avec la modération con-
venable, des biens que la Providence nous offre surtout si nous
continuons à les regarder comme des choses périssables, surtout
si elles exaltent notre reconnaissance envers l'auteur de toutes
choses
Des raisons non moins fortes viennent encore renforcer celles-ci.
Peut-on trop bien recevoir ceux qui dirigent nos âmes et nous tien-
nent dans la voie du salut? Ne doit-on pas rendre aimables, et
par cela même plus fréquentes, des réunions dont le but est excel-
lent ?
Quelquefois aussi les dons de Comus arrivent sans qu'on les
cherche c'est un souvenir de collége, c'est le don d'une vieille
amitié, c'est un pénitent qui s'humilie, c'est un collatéral qui se
rappelle, c'est un protégé qui se reconnaît. Comment repousserde pareilles offrandes? comment ne pas les assortir? C'est une
pure nécessité.
D'ailleurs les choses se sont toujours passées ainsi
Les moutiers étaient de vrais magasins des plus adorables frian-
MÉDITATION XïlH4<-
dises et voilàpourquoi certains amateurs les regrettent si amè-
rement (1).Plusieurs ordres monastiques, les Bernardinssurtout, faisaient
professionde bonnechère. Lescuisiniersdu clergé ont reculéles
limitesde l'art et quand M. de Pressigny(mort archevêquede
Besançon), revint du conclavequi avait nomméPieVI, il disait
que le meilleurdîner qu'il eût faità Romeavaitété chez le géné-ral des Capucins.
)Les ehevaMeM et les &MMM)
68.
<r ous ne pouvons mieux finir cet article qu'en faisant
une mention honorable de deux corporations que
nous avons vues dans toute teur gloire, et que la
révolution a éclipsées les chevaliers et les abbés.
~V~YS~ Qu'ils étaient gourmands, ces chers amis il
était impossible de s'y méprendre à leurs narines ouvertes, à
leurs yeux écarquiUés, à leurs lèvres vernissées, à leur langue
promeneuse cependantchaqueclasseavaitune manièrede man-
ger qui lui étaitparticulière.
(1) Les meilleures liqueurs de France se faisaient à la Côte, chez les Visitaudi-
nes celles de Niort ont inventé la confiture d'angétique; on vante les pains de
fleur d'orange des sœurs de Château-Thierry et les Ursulines de Belley avaie n
pour les noix confites une recette qui en faisait un trésor d'amonr et de friandise.t
Il est a craindre, hélas! qu'eUe ne soit perdue.
DES GOURMANDS. t45
19
Les chevaliers avaient quelque chose de militaire dans leur
pose; ils s'administraient les morceauxavec dignité, les travail-
laient aveccalme et promenaient horizontalement,du maitre à
à la maîtressede la maison, des regards approbateurs.Les abbés, au contraire, se pelotonnaientpour se rapprocher
de l'assiette; leur main droite s'arrondissait commela patte du
chat qui tire les marrons du feu; leur physionomieétait toute
jouissance, et leur regard avaitquelque chose de concentréqu'il
est plus facilede concevoirque de peindre.Commeles trois quarts de ceux qui composent la génération
actuellen'ont rien vu qui ressembleaux chevaliers et aux abbés
que nous venonsde désigner, et qu7ilest cependantindispensable
de les reconnaîtrepour bien entendre beaucoup de livres écrits
dans le dix-huitièmesiècle; nous emprunterons à l'auteur du
Traité/tM<on~Mesur le duelquelquespages qui ne laisseront rien
à désirerà ce sujet. ( Voyezles Variétés n°20.)
M~Mt~évMé Mmttcneée aux CmmftM~nds.
69.
~'S~~<APRÈS mes dernières lectures, je suisheureux, on ne
peut pas plus heureux, de pouvoir donner à mes lec-
teurs unebonne nouvelle, savoir, que la bonne
chère est bien loin de nuire à la santé, et que,
toutes choses égales, les gourmands vivent plus longtemps
que les autres. C'est ce qui est arithmétiquement prouvé
dans un mémoire très bien fait, lu dernièrement à l'Aca-
démie des Sciences par le docteur Villermet.
11a comparé les divers états de la société où l'on fait bonne
chère avec ceux où l'on se nourrit mal, et en a parcouru l'échelle
tout entière. U a également comparé entre eux les divers arron-
dissements de Paris où l'aisance est plus ou moins généralement
répandue, et où l'on sait que, sous ce rapport, il existe une ext
MÉDITATION XH.i46
tréme différence, comme, par exemple, entre le faubourg Saint-
Marceau et la Chaussée d'Antin.
Enfin le docteur a poussé ses recherches jusqu'aux départementsde la France, et comparé, sous le même rapport, ceux qui sont
plus ou moins fertiles partout il a obtenu pour résultat général
que la mortalité diminue dans la même proportion que les moyens
qu'on a de se bien nourrir augmentent, et qu'ainsi ceux que la
fortune soumet au malheur de se mal nourrir peuvent du moins
être sûrs que la mort les en délivrera plus vite.
Les deux extrêmes de cette progression sont que, dans l'état
de la vie le plus favorisé, il ne meurt dans un an qu'un individu
sur cinquante, tandis que, parmi ceux qui sont les plus exposésà la misère, il en meurt un sur quatre dans le même espace de
temps.
Ce n'est pas que ceux qui font excellente chère ne soient jamais
malades hélas ils tombent aussi quelquefois dans le domaine de
la faculté, qui a coutume de les désigner sous la qualification de
bonsmalades mais comme ils ont une plus grande dose de vitalité,
et que toutes les parties de l'organisation sont mieux entretenues,
la nature a plus de ressources, et le corps résiste incomparable-ment mieux à la destruction.
Cette vérité physiologique peut également s'appuyer sur l'his-
toire qui nous apprend que toutes les fois que des circonstances
impérieuses, telles que la guerre, les sièges, le dérangement des
saisons, ont diminué les moyens de se nourrir, cet état de dé-
tresse a toujours été accompagné de maladies contagieuses et d'un
grand surcroit de mortalité.
La caisse Lafarge, si connue des Parisiens, aurait sans doute
prospéré, si ceux qui l'ont établie avaient fait entrer dans leurs
calculs la vérité de fait développée par le docteur Villermet.
Ils avaient calculé la mortalité d'après les tables de Buffon,
de Parcieux et autres, qui sont toutes établies sur des nombres
pris dans toutes les classes et dans tous les âges d'une population.Mais comme ceux qui placent des capitaux pour se faire un avenir
ont en général échappé aux dangers de l'enfance, et sont accou-
DES GOURMANDS. 147
tumés à un ordinaire réglé, soigné, et quelquefoissucculent, la
mortn'a pasdonné,les espérancesont été déçues, et la spéculation
a manqué.Cettecause n'a sans doute pas été la seule mais elle est élé-
mentaire.
Cette dernière observationnous a été fournie par M. le proies-seurPardessus.
M. du Belloy, archevêquede Paris, qui a vécuprèsd'un siècle,
avaitun appétit assez prononcé; il aimaitla bonne chère, et j'aivu plusieurs fois sa figure patriarcale s'animer à l'arrivée d'un
morceau distingué. Napoléonlui marquait, en toute occasion,
déférenceet respect.
70.
t ~~jt<& j~ vu dans le chapitre précédent que le caractère
distinctif deceux qui ont plus de prétentions que de
~S droits aux honneurs dela gourmandise, consiste en
ce qu'au sein de la meilleure chère leurs yeux res-
tent ternes et leur visage inanimé.
Ceux-là ne sont pas dignes qu'on leur prodigue des trésors dont
ils ne sentent pas le prix: il nous a donc paru très intéressant de
pouvoir les signaler, et nous avons cherché les moyens de par-
venir à une connaissance si importante pour l'assortiment des
hommes et pour la connaissance des convives.
Nous nous sommes occupé de cette recherche avec cette suite
qui force le succès, et c'est à notre persévérance que nous devons
l'avantage de présenter au corps honorable des amphitryons la dé-
couverte des éprouvettesgastronomiques" découverte qui honorera
le dix-neuvième siècle.
Nous entendons par éprouvettesgastronomiques,des mets d'une
saveur reconnue et d'une excellence tellement indisputable, que
leur apparition seule doit émouvoir, chez un homme bien orga-
ÉPROUVETTES GASTRONOMIQUES. i4e
nisé, toutes les puissances dégustatrices de sorte que tous ceux
chez lesquels, en pareil cas, on n'aperçoit ni l'éclair du désir, ni la
radiance de l'extase, peuvent justement être notés comme indignes
des honneurs de la séance et des plaisirs qui y sont attachés.
La méthode des éprouvettes, dûment examinée et délibérée en
grand conseil, a été inscrite au livre d'or dans les termes suivants,
pris d'une langue qui ne change plus.
Utcùmqueferculum, eximii et benènoti saporis, appo~M fuerit,
fiat auptosia coMMMBetmtMfacies ejusac oculioer<aK<Mrad ecstasim.
noteturut indignus.
Ce qui a été traduit comme il suit parle traducteur juré dugrand
conseil
<Toutesles foisqu'on serviraun mets d'une saveur distinguée« et bien connue,on observeraattentivementles convives, et on
< notera comme indignes tous ceux dont la physionomien'an-< noncerapas le ravissement. J
La forcedes éprouvettesest relative,et doit être appropriée aux
facultés et aux habitudes des diverses classes de la société. Toutes
circonstances appréciées, elle doit être calculée pour causer ad-
miration et surprise c'est un dynamomètre dont la force doit aug-menter à mesure qu'on monte dans les hautes zônes de la société.
Ainsi l'éprouvette destinée à un petit rentier de la rue Coquenardne fonctionnerait déjà ptua chez un second commis, et ne s'aper-cevrait même pas à un diner d'étus (select/eto) chez un financier ou
un ministre.
Dans l'énumération que nous allons faire des mets qui ont été
élevés à la dignité d'éprouvettes, nous commencerons par ceux
qui sont à plus basse pression; nous monterons ensuite graduelle-
ment, pour en éclairer la théorie, de manière non-seulement quechacun puisse s'en servir avec fruit, mais qu'il puisse encore en
inventer de nouvelles sur le même principe, y donner son nom,et en faire usage dans la sphère où le hasard l'a placé.
Nous avons eu un moment l'intention de donner ici, comme
pièces justificatives, la recette pour confectionner les diverses pré-
parations que nous indiquons comme éprouvettes mais nous nous
MÉDITATION XIII.iM
en sommes abstenu; nous avons o'u que ce serait faire injustice
aux divers recueils qui ont paru depuis et y compris celui de Beau-
villiers, et tout récemment le Cuisinier des cuisiniers. Nous nous
contentons d'y renvoyer, ainsi qu'à ceux de Viart et d'Apport, en
observant qu'on trouve dans ce dernier divers aperçus scientifi-
ques auparavant inconnus dans les ouvrages de cette espèce.
H est à regretter que le public n'ait pas pu jouir de la relation
tachygraphique de ce qui fut dit au conseil, lorsqu'il délibéra sur
les éprouvettes. Tout cela est resté dans la nuit du secret, mais il
est du moins une circonstance qu'il m'a été permis de révéler.
Quelqu'un (i ) proposa des éprouvettes négatives et par privation.
Ainsi, par exemple, un accident qui aurait détruit un plat d'une
haute saveur, une bourriche devant arriver par le courrier et qui
aurait été retardée, soit que le fait fût vrai, soit qu'il ne fût qu'une
supposition, à ces fâcheuses nouvelles, on aurait observé et notre
tristesse graduelle imprimée sur le front des convives, et on au-
rait pu se procurer ainsi une bonne échelle de sensibilité gastrique.
Mais cette proposition, quoique séduisante au premier coup
d'œil, ne résista pas à un examen plus approfondi. Le président
observa, et observa avec grande raison, que de pareils événe-
ments, qui n'agiraient que superficiellement sur les organes dis-
graciés des indifférents, pourraient exercer sur les vrais croyants
une influence funeste, et peut-être leur occasionner un saisissement
mortel. Ainsi, malgré quelque insistance de la part de l'auteur, la
proposition fut rejetée à l'unanimité.
Nous allons maintenant donner l'état des mets que nous avons
jugés propresàservir d'éprouvettes nous les avons divisés en trois
séries d'ascension graduelle, suivant l'ordre et la méthode ci-
devant indiqués.
(t) M. F. S. qui, par sa physionomie classique, la finesse de son goût et
ses talents administratifs, a tout ce qu'il faut pour devenir un financier parfait.
ÉPROUVETTES GASTRONOMIQUES. tM
Bpfottvettew jj~ttMMMMtttqttew
P~EMÏËRE SEME.
REVENU PRÉSUMÉ 5,000 FRANCS(MÉDIOCRITÉ).
Une forte rouelle de veau piquée de gros lard et cuite dans son
jus;Un dindon de ferme farci de marrons de LyonDes pigeons de volière gras, bardés et cuits à propos,
Desœufs à la neigeUn plat de choucroute (saur-kraut) hérissé de saucisses et cou-
ronné de lard fumé de Strasbourg.
ExpREsstON< Peste? voilà qui a bonne mine allons, il faut y« faire honneur!
IP SERIE.
REVENU PRÉSUMÉ 15,000 FR.(AISANCE).
Un filet de bœuf à cœur rose piqué, et cuit dans son jus
Unquartier de chevreuil, sauce hachée aux cor nichons
Un turbot au naturel
Un gigot de présalé à la provençale,Un dindon trunê;
Des petits pois en primeur.
EXPRESSION< Ah mon ami, quelle aimable apparition il y a
« vraiment nopces (1) et festins. »
IIIe SÉRIE.
REVENU PRÉSUMÉ 50,000 FR. ET PLUS.(RICHESSE).
Une pièce de volaille de sept livres, bourrée de truffes du Péri-
gord jusqu'à sa conversion en sphéroïde
(1)Pourquecettephrasesoitconvenablementarticulée,il fautfairesentirle
MÉDITATION XIII.~M
Un énorme pâté de foiegras de Strasbourg, ayant forme de
bastion;
Une grosse carpe du Rhin à la Chambord, richementdotée et
parée;
Des cailles trun'ées à la moelle, étendues sur des toasts beurrés
au basilic;
Un brochet de rivière pique, farci et baigné d'une crème d'écre-
visses, ~<'cMm</M<Mar~nt
Un faisan à son point, piqué en toupet, gisant sur une rôtie tra-
vaillée à la sainte-alliance
Cent asperges de cinq à six lignes de diamètre, en primeur,
sauce à l'osmazôme;
Deux douzaines d'ortolans àla provençale, comme il est ditdans
le Secre<<tM'eet le Cuisinier;
Une pyramide de meringues à la vanille et à la rosé. (Cette
éprouvette n'a d'effet nécessaire que sur les dames et sur les
hommes à mollets d'abbé, etc.)
ExpMssMN « Ah! monsieur ou monseigneur, que votre cuisi-
< nier est un homme admirable on ne rencontre ces choses-là
« que chez vous »
~PROUVETTES GASTRONOMIQUES. 4M
20
Obxefv~ttom~émér~te
OURqu'une éprouvette produise certainement
son effet, il est nécessaire qu'elle soit comparati-
)R~ ~M! en large proportion l'expérience, fondée
sur la connaissance du genre humain, nous a ap-
J~ pris que la rareté la plus savoureuse perd son
ji&& influence quand elle n'est pas en proportion exu-
bérante car le premier mouvement qu'elle im-
prime aux convives est justement arrêté par la crainte qu'ils peu-
vent avoir d'être mesquinement servis ou d'être, dans certaines
positions, obligés de refuser par politesse ce qui arrive souvent
chez les avares fastueux.
J'ai eu plusieurs fois occasion de vériner l'effet des éprouvettes
gastronomiques j'en rapporte un exemple qui suffira
J'assistais à un dîner de gourmands de la quatrième catégorie,
où nous ne nous trouvions que deux profanes, mon ami. R. et
moi.
Après un premier service de haute distinction, on servit entre
autres choses un énorme coq vierge (4) de Barbezieux, truffé à tout
rompre, et un gibrattarde foie gras de Strasbourg.
Cette apparition produisit sur l'assemblée un effet marqué, mais
difficileà décrire, à peu près comme le rire silencieux indiqué par
Cooper; et je vis bien qu'il y avait lieu à observation.
(1) Des hommes, dont l'avis peut faire doctrine, m'ont assuré que la chair de coq
vierge est sinon plus tendre, du moins certainement de plus haut goût que celle du
chapon. J'ai trop d'affaires en ce bas monde pour faire cette expérience, que je dé-
lègue à mes lecteurs: mais je crois qu'on peut d'avance se ranger à cet avis, parce
qu'il y a dans la première de ces chairs un élément de sapidité qui manque dans la
seconde.
Une femme de beaucoup d'esprit m'a dit qu'elle connait les gourmands à la ma
nière dont ils prononcent le mot bon dans les phrases Voilà qui est 6o;t, voila
qui est M$M~<Br?:)~-at{trespareilles elle assure que les adeptes mettent à ce mono-
syUab~~pMmtEacM~de vérité, de douceur et d'enthousiasme auquel les pa-
lais/~raciésAe pëh~~aamais atteindre.
MËDITATION XIII. EPROUVETTES GASTRONOMIQUES.U4
Effectivement,touteslesconversationscessèrentpar la plénitudedes cœurs; toutesles attentionsse fixèrent sur l'adresse des pro-tecteurs et quandles assiettesde distributioneurent passé, je vis
se succéder tour-à-tour, sur toutes les physionomies,le feu du
désir, l'extasede la jouissance, lerepos parfaitde la béatitude.
7~.
'HOMMEest incontestablement, des êtres sensitifs
qui peuplent notre globe, celui qui éprouve le plus
de souffrances.
La nature l'a primitivement condamné à la dou-
leur par la nudité de sa peau, par la forme de ses
pieds, et par l'instinct de guerre et de destruction
qui accompagne l'espèce humaine partout où on l'a rencontrée.
Les animaux n'ont point été frappés de cette malédiction et sans
quelques combats causés par l'instinct de la reproduction, la dou-
leur, dans l'état de nature, serait absolument inconnue à la plu-
part des espèces tandis que l'homme, qui ne peut éprouver le plai-sir que passagèrement et par un petit nombre d'organes, peut
toujours, et dans toutes les parties de son corps, être soumis à
d'épouvantables douleurs
Cet arrêt de la destinée a été aggravé, dans son exécution, parune foule de maladies qui sont nées des habitudes de l'état social
de sorte que le plaisir le plus vifet le mieux conditionné que l'on
puisse imaginer ne peut, soit en intensité, soit en durée, servir de
MÉDITATION XIV.iM
compensationpour les douleursatrocesqui accompagnentcertains
dérangements,telsque lagoutte, la rage de dent, les rhumatismes
aigus,la strangurie,ou qui sont causés par les supplicesrigoureuxen usagechezcertainspeuples.
C'est cette crainte pratique de la douleur qui fait que, sansmême s'en apercevoir, l'hommese jette avecélandu côtéopposé,et s'attache avecabandon au petit nombre de plaisirsque la na-
ture a mis dans sonlot.
C'est pour la'même raison qu'il les augmente, les étire, les
façonne, les adore enfin, puisque sous le règne de l'idolâtrie,et pendant une longue suite de siècles, tous les plaisirsont étédes divinitéssecondaires, présidéespar des dieux supérieurs.
La sévéritédes religionsnouvellesa détruittous cespatronages:Bacchus, l'Amour et Comus Diane, ne sont plusque des souve-
nirs poétiques mais la chose subsiste et sous la plus sérieuse
de toutes les croyances on se régale à l'occasion des mariages,<
des baptêmeset mêmedes sépultures.
<Me* da plaisir de la table.
72.
'"NSSB~S~ESrepas, dans le sens que nous donnons à ce mot,
ont commencé avec le second âge de l'espèce hu-
taMjS~maine, c'est-à-dire au moment où elle a cessé de se
ttS~nourrir de fruits. Les apprêts et la distribution des
JL.JNBi~~jviandes ont nécessité le rassemblement de la famille,
lés c efs distribuant à leurs enfants le produit de leur chasse,
et les enfants adultesrendant ensuite le mêmeserviceà leurs pa-rents vieillis.
Cesréunions, bornées d'abord aux relationsles plus proches,se sont étendues peu à peu à cellesde voisinageet d'amitié.
Plus tard, et quand le genrehumainse fut étendu, le voyageur
fatiguévint s'asseoir à ces repas primitifs, et racontace qui se
passait dans les contrées lointaines. Ainsi naquit l'hospitalité,
PLAISIR DE LA TABLE. MT
avec ses droits réputés sacréschez tous les peuples; car il n'en
est aucun si férocequi ne se fit un devoir de respecter lés joursde celui avec qui il avaitconsentide partager te painet le sel.
C'est pendant le repas que durent naître ou se perfectionnerles langues, soit parceque c'était une occasionde rassemblement
toujours renaissante, soit parce que le loisir qui accompagneet
suit le repas dispose naturellement à la confiance et à la lo-
quacité.
IMtféremee entre le plaisir de manger et le plaisirde la table.
73.
~at..7~S~ELS durent être par la nature des choses les
éléments du plaisir de la table, qu'il faut bien
V' distinguer duplaisir de manger, qui est son àh-
técédent nécessaire.
\jN~ Le plaisir de manger est la sensation actuelle
'y' et directe d'un besoin qui se satisfait.
Le plaisir de la table est la sensation réflé-
chie qui naMde diverses circonstances de faits, de lieux, de cho-
ses et de personnes qui accompagnent le repas.
Le plaisir de manger nous est commun avec les animaux, il ne
suppose que la faim et ce qu'il faut pour la satisfaire.
Le plaisir de la table est particulier à l'espèce humaine; il sup-
pose des soins antécédents pour les apprêts du repas, pour le choix
du lieu et le rassemblement des convives.
Le plaisir de manger exige, sinon la faim, au moins de l'ap-
pétit le plaisir de la table est le plus souvent indépendant de l'un
et de l'autre.
Cesdeux états peuvent toujours s'observer dans nos festins.
Aupremier service, et en commençant la session, chacun mange
avidement, sans parler, sans faire attention à ce qui peut être dit;
et quel que soit le rang qu'on occupe dans la société, on oublie
MÉDITATION XIV:U8
tout pour n'être qu'un ouvrierde la grande manufacture.Mais
quand le besoincommenceà être satisfait, la réuexion naît, la
conversations'engage, un autre ordre de choses commence, et
celui qui jusque-là n'était que consommateur,devient convive
plus ou moins aimable, suivant que le maître de toutes choses
lui en a dispenséles moyens.
KMe<s
)74.
E plaisir de la table ne comporte ni ravissements,
ni extases, ni transports, mais il gagne en durée ce
~C~t qu'il perd en intensité, et se distingue surtout par
le privilège particulier dont il jouit, de nous dispo-
~~?~ ser à tous les autres, ou du moins de nous con-
soler de leur perte.
Effectivement, à la suite d'un repas bien entendu, le corps et
l'âme jouissent d'un bien-être particulier.
Au physique, en même temps que le cerveau se rafraîchit, la
physionomie s'épanouit, le coloris s'élève, les yeux brillent, une
douce chaleur se répand dans tous les membres.
Au moral, l'esprit s'aiguise, l'imagination s'échauffe, les bons
mots naissent et circulent et si La Farre et Saint-Aulaire vont à la
postérité avec la réputation d'auteurs spirituels, ils le doivent sur-
tout à ce qu'ils furent convives aimables.
D'ailleurs, on trouve souvent rassemblées autour de la même
table toutes les modifications que l'extrême sociabilité a introduites
parmi nous l'amour, l'amitié, les affaires, les spéculations, la
puissance, les sollicitations, le protectorat, l'ambition, l'intrigue,
voilà pourquoi le conviviat touche à tout; voilà pourquoi il pro-
duit des fruits de toutes les saveurs.
AecextMttres imdmotrtetw
65. C'est par une conséquence immédiate de ces antécédents
PLAISIR DE LA TABLE. <M
que toute l'industrie humaine s'est concentrée pour augmenter la
durée et l'intensité du plaisir de la table.
Des poètes se plaignirent de ce que le cou étant trop court s'op-
posait à la durée du plaisir de la dégustation d'autres déploraient
le peu de capacité de l'estomac; et on en vint jusqu'à délivrer ce
viscère du soin de digérer un premier repas, pour se donner le
plaisir d'en avaler un second.
Ce fut là l'effort suprême tenté pour amplifier les jouissances du
goût; mais si, de ce côté, on ne put pas franchir les bornes po-sées par la nature, on se jeta dans les accessoires, qui du moins
offraient plus de latitude.
On orna de fleurs les vases et les coupes on en couronna les
convives; on mangea sous la voûte du ciel, dans les jardins, dans
les bosquets, en présence de toutes les merveilles de la nature.
Au plaisir de la table, on joignit les charmes de la musique et
le son des instruments. Ainsi, pendant que la cour du roi des
Phéaciens se régalait, le chantre Phémius célébrait les faits et les
guerriers des temps passés.
Souvent des danseurs, des bateleurs et des mimes des deux
sexes et de tous les costumes, venaient occuper les yeux sans
nuire aux jouissances du goût; les parfums les plus exquis se ré-
pandaient dans les airs; on atta jusqu'à se faire servir par la
beauté sans voile, de sorte que tous les sens étaient appelés à
une jouissance universelle.
Je pourrais employer plusieurs pages à prouver ce que j'avance.
Les auteurs grecs, romains, et nos vieilles chroniques, sont là
prêts à être copiés; mais ces recherches ont déjà été faites, et ma
facileérudition aurait peu de mérite: je donne donc pour cons-
tant ce que d'autres ont prouvé c'est un droit dont j'use sou-
vent et dont le lecteur doit me savoir gré.
iMx hmtttème et <Mx meMvtème wtcete
76. Nous avons adopté, plus ou moins, suivant les circons-
PLAISIR DE LA TABLE.i<!0
tances ces diversmoyensde béatificationet nous y avonsjointencore ceux que les découvertesnouvellesnous ont révélés.
Sansdoute la délicatessede nos mœurs ne pouvait pas laisser
subsister les vomitoiresdes Romains; maisnous avonsmieuxfait,et nous sommesparvenusau même but par une voie avouée parle bon goût.
On a inventé des mets tellementattrayants, qu'ils font renaitre
sans cesse l'appétit; ils sont en même temps si légers, qu'ils flat-
tent le palais, sans presque surchargerl'estomac. Sénèqueaurait
dit: NubesMCM!emt<M.
Noussommesdonc parvenus à une telle progression alimen-
taire, que si la nécessitédes affairesne nous forçait pas à nous
lever de table, ou si le besoin du sommeilne venait pas s'inter-
poser, la durée des repas serait à peu près indéfinie,et on n'au-
rait aucunedonnée certainepour déterminerle tempsqui pourraits'écoulerdepuisle premiercoupde madèrejusqu'au dernierverre
de punch.
Au surplus, il ne fautpas croireque tous cesaccessoiressoient
indispensablespour constituerle plaisir de la table. Ongoûte ce
plaisirdans presquetoute sonétendue, toutesles foisqu'on réunit
les quatre conditions suivantes chère au moins passable, bon
vin, convivesaimables, temps suffisant.
C'est ainsi que j'ai souvent désiré avoir assisté au repas frugal
qu'Horacedestinaitau voisinqu'ilauraitinvité,ouà l'hôtequelemau-
vais temps aurait contraint à chercherun abri auprès de lui sa-
voir un bon poulet, un chevreau (sans doute bien gras), et,
pour dessert, des raisins, des figueset des noix. En y joignantdu vin récolté sous le consulatde Manlius(nata mecumconsule
JMaMHo),et la conversationde ce poète voluptueux, il mesemble
que j'aurais soupéde la manière la plus confortable.
At mihi cùm longum post tempus venerat hospes
Sive operum vacuo, longum conviva per imbrem
Vicinus, benè erat,non piscibus urbe petitis,
PLAISIR DE LA TABLE. ttl
ai
Sed pullo atque heedo, tum (i) pensilis uva secundas
Etnuxornabatmensas,cumduplice~cu.
C'est encore ainsiqu'hier ou demain trois paires d'amis se se-
ront régalés du gigot à l'eau et du rognon de Pontoise, arrosés
d'orléans et de médocbien limpides et qu'ayant fini la soirée
dans une causerie pleined'abandonet de charmes, ils aurontto-
talement oublié qu'il existe des mets plus fins et des cuisiniers
plussavants.
Au contraire, quelque recherchée que soit la bonnechère,
quelquesomptueuxque soientles accessoires, il n'y a pas plaisirde table si le vin est mauvais, les convivesramasséssans choix,
les physionomiestristes et le repas consomméavecprécipitation.
Eaqmtsse.
-9~~ë<~ AISdira peut-êtrele lecteur Impatienté,
~wP~S. commentdonc doit être fait, en l'an de
Tt" J~ ?' grâce182S, unrepaspour réunir toutes
'mE~\ lesconditionsqui procurentau suprême
~t degré le plaisirde la table?
Je vaisrépondreà cettequestion.Re-
cueillez-vous,lecteurs, et prêtezattention: c'est Gasterea, c'est
la plus jolie des musesqui m'inspire; je serai plus clair qu'un
oracle, et mes préceptes traverseront les siècles.
< Quele nombre des convivesn'excèdepas douze, afinquela
conversationpuisseêtre constammentgénérale< Qu'ils soient tellementchoisis, que leurs occupationssoient
variées, leurs goûts analogues, et avec de tels points de contact
qu'on ne soit point obligéd'avoir recoursà l'odieuseformalitédes
présentations« Quela salleà mangersoit éclairéeavecluxe, le couvertd'une
propreté remarquable, et l'atmosphèreà la températurede treize
à seizedegrés au thermomètrede Réaumur
(1) Le dessert se trouve précisément désigné et distingué par l'adverbe tww et
par les mots secundas mensas.
MÉDITATION XIV.iM
< Que tes hommes soient spirituels sans prétention, et les fem-
mes aimables sans être trop coquettes (1);
< Que les mets soient d'un choix exquis, mais en nombre res-
serré et les vins de première qualité, chacun dans son degré;
< Que la progression, pour les premiers, soit des plus subs-
tantiels aux plus légers; et pour les seconds, des plus lampants
aux plus parfumés
< Quele mouvement de consommation soit modéré, le dîner
étant la dernière atfaire de la journée; et que les convives se tien-
nent comme des voyageurs qui doivent arriver ensemble au même
but;
< Que le café soit brûlant, et les liqueurs spécialement de choix
de maitre
Que le salon qui doit recevoir les convives soit assez spa-
cieux pour organiser une partie de jeu pour ceux qui ne peuvent
pas s'en passer, et pour qu'il reste cependant assez d'espace pour
les colloques post méridiens~
< Que les convives soient retenus parles agréments de la société
et ranimés par l'espoir que la soirée ne se passera pas sans quelque
jouissance ultérieure;
< Que le thé ne soit pas trop chargé que les rôties soient ar-
tistement beurrées, et le punch fait avec soin
< Que la retraite ne commence pas avant onze heures, mais
qu'à minuit tout le monde soit couché.
Si quelqu'un a assisté à un repas réunissant toutes ces condi-
tions, il peut se vanter d'avoir assisté à sa propre apothéose et
on aura d'autant moins de plaisir qu'un plus grand nombre d'entre
elles auront été oubliées ou méconnues.
J'ai dit que le plaisir de la table, tel que je l'ai caractérisé, était
susceptible d'une assez longue durée; je vais le prouver en don-
nant la relation véridique et circonstanciée du plus long repas
que j'aie fait en ma vie c'est un bonbon que je mets dans la hou-
(1)J'écrisà Paris, entrele Palais-RoyalettaChaussée-d'Antin.
PLAISIR DE LA TABLE. iM
chedu lecteur, pour le récompenserde la complaisancequ'il a de
me lire avecplaisir. La voici
J'avais, au fondde la rue du Bac, une fàmillede parents, com-
poséecomme il suit: le docteur, soixante-dix-huitans; le capi-taine, soixante-seizeans leur sœur Jeannette,soixante-quatorze.Je les allais voir quelquefois, et ils me recevaienttoujours avec
beaucoupd'amitié.
« Parbleu me dit un jour le docteur Dubois en se levant sur
la pointe des pieds pour me frapper sur l'épaule, il y a long-
temps que tu nous vantes tes fondues (œufs brouillés au fro-
mage), tu ne cesses de nous en faire venir l'eau à la bouche
il est temps que cela finisse. Nous irons un jour déjeuner chez
toi, le capitaine et moi, et nous verrons ce que c'est. (C'est,
je~crois, vers ~801, qu'il me faisait cette agaçerie.) « Très-vo-
MÉDITATION XIV.Mt
lontiers, lui répondis-je, et vous l'aurez dans toute sa gloire
< car c'ést moi qui la ferai. Votre proposition me rend tout-à-fait
< heureux. Ainsi, à demain dix heures, heure militaire (1).
Au temps indiqué, je vis arriver mes deux convives, rasés de
frais, bien peignés, bien poudrés deux petits vieillards encore
verts et bien portants.
Us sourirent de plaisir quand ils virent la table prête, du linge
blanc, trois couverts mis, et à chaque place deux douzaines d'huî-
tres, avec un citron luisant et doré.
Aux deux bouts de la table s'élevait une bouteille de vin de Sau-
terne, soigneusement essuyée, fors le bouchon, qui indiquait
d'une manière certaine qu'u y avait longtemps que le tirage avait
eu lieu.
Hélas! j'ai vu disparaître, ou à peu près, ces déjeuners d'huî-
tres, autrefois si fréquents et si gais, où on les avalait par mil-
liers ils ont disparu avec les abbés, qui n'en mangeaient jamais
moins d'une grosse, et tes chevaliers, qui n'en finissaient plus. Je
les regrette, mais en philosophe si le temps modifie les gouver-
nements, quels droits n'a-t-il pas eus sur de simples usages Il
Après les huîtres; qui furent trouvées très fraîches, on servit des
rognons à la brochette) une cassé de foie gras aux truffes, et enfin
la fondue.
On en avait rassemblé lès éléments dans une casserole, qu'on
apporta sur la table avec un réchaud à l'esprit-de-vin. Je fonction-
nai sur le champ de bataille, et les cousins ne perdirent pas un de
mes mouvements.
Ils se récrièrent sur les chârmes de cette préparation, et m'en
demandèrent la recette, que je leur promis, tout en leur contant
à ce sujet deux anecdotes que le lecteur rencontrera peut-être ail-
leurs.
Après la fondue vinrent les fruits de la saison et les confitures
une tasse de vrai moka fait a la Dubelloy, dont la méthode com-
(<)Touteslesfoisqu'un rendez-vousestannoncéainsi,ondoitservirà l'heure
sonnantelesretardatairessontréputésdéserteurs.
PLAISIR DE LA TABLE. <65
mençait à se propager, et enfin deux espèces de liqueurs, un espr it
pour déterger, et une huile pour adoucir.
Le déjeuner bien fini, je proposai à mes convives de prendre un
peu d'exercice, et pour cela de faire le tour de mon appartement,
appartement qui est loin d'être élégant, mais qui est vaste, con-
fortable, et où mes amis se trouvaient d'autant mieux que les pla-
fonds et les dorures datent du milieu du règne de Louis XV.
Je leur montrai l'argile originale du buste de ma jolie cousine
blmeRécamier par Chinard, et son portrait en miniature par Augus-
tin ils en furent si ravis, que le docteur, avec ses grosses lèvres,
baisa le portrait, et que le capitaine se permit sur le buste une li-
cence pour laquelle je le battis; car si tous les admirateurs de l'ori-
ginal venaient en faire autant, ce sein si voluptueusement con-
tourné serait bientôt dans le même état que l'orteil de saint Pierre
de Rome, que les pèlerins ont raccourci à force de le baiser.
Je leur montrai ensuite quelques plâtres des meilleurs sculpteurs
antiques, des peintures qui ne sont pas sans mérite, mes fusils,
mes instruments de musique et quelques belles éditions tant fran-
çaises qu'étrangères.
Dans ce voyage polymathique, ils n'oublièrent pas ma cuisine. Je
leur fis voir mon pot-au-feu économique, ma coquille à rôtir, mon
tournebroche à pendule, et mon vaporisateur. Ils examinèrent tout
avec une curiosité minutieuse, et s'étonnèrent d'autant plus, que
chez eux tout se faisait encore comme du temps de la régence.
Au moment où nous rentrâmes dans mon salon, deux heures
sonnèrent. « Peste! dit le docteur, voilà l'heure du dîner, et ma
« sœur Jeannette nous attend Il faut aller la rejoindre. Ce n'est
« pas que jè sente une grande envie de manger, mais il me faut
« mon potage. C'est une si vieille habitude, que quand je passe« une journée sans en prendre, je dis comme Titus Diemperdidi.
Cher docteur, lui répondis-je, pourquoi aller si loin pour« trouver ce que vous avez sous la main? Je vais envoyer quel-« qu'un à la cousine, pour la prévenir que vous restez avec moi,
<et que vous me faites le plaisir d'accepter un dîner pour lequel
MÉDITATION XIV.1<6
< vous aurez quelque indutgence, parce qu'il n'aura pas tout le
mérite d'un impromptufait à loisir.
H y eut à ce sujet, entre les deuxfrères, délibérationoculaire,et ensuiteconsentementformel. Alorsj'expédiaiun volantepour le
faubourg Saint-Germain;je dis un mot à mon maître queux; et
après un intervallede temps tout-à-faitmodéré, et partie avec ses
ressources, partie aveccellesdes restaurateursvoisins,il nous ser-
vit un petit dînerbien retroussé ettout-à-faitappétissant.
Ce fut pour moi une grande satisfaction que de voir le sang-froid
et l'aplomb avec lequel mes deux amis s'assirent, s'approchèrent
de la table étalèrent leurs serviettes, et se préparèrent à agir.
Ils éprouvèrent deux surprises auxquelles je n'avais pas moi-
même pensé; car je leur fis servir du parmesan avec le potage, et
PLAISIR DE LA TABLE. i<7
leur offrisaprès un verre de madère sec. C'étaientdeux nouveau.
tés importéesdepuispeu par M. le prince de TaHeyrand, le pre-
mierde nos diplomates, à qui nous devons tant de mots fins, spi-
rituels, profonds,et que l'attention publiquea toujours suivi avec
un intérêt distinct, soit dans sa puissance,soit dans sa retraite.
Le diner se passa très-bien, tant dans sa partie substantielleque
dansses accessoiresoHigés, et mesamisy mirent autant de com-
plaisanceque de gaîté.
Aprèsle dîner, je proposai un piquet, qui fut refusé ils préfé-rèrent le far nientedes Italiens, disait le capitaine; et noas nous
constituâmesen petit cercleautour de la cheminée.
Malgréles délicesdu far niente,j'ai toujours pensé que rien ne
donneplus de douceurà la conversationqu'une occupationquel-
conque,quand ellen'absorbe pas l'attention ainsi je proposai le
thé.
Le thé était une étrangeté pour des Françaisde la vieilleroche
cependantilfut accepté.Je le fis en leurprésence,et ils en prirent
quelques tasses avec d'autant plus de plaisir qu'ils ne l'avaient
jamaisregardé que commeun remède.
Une longue pratique m'avait appris qu'une complaisanceen
amèneune autre, et que quand on est une foisengagédans cette
voie on perd le pouvoir de refuser. Aussic'est avecun ton pres-
queimpératifque je parlai de finirpar un bowl de punch.
Maistu me tueras, disait le docteur. Maisvous nous gri-
serez, disait le capitaine. A quoije ne répondais qu'en deman-
dant à grandscrisdes citrons, du sucre et du rhum.
Je fisdoncle punch, et pendant quej'y étais occupé, on exé-
cutaitdes rôties(toast)bienminces, délicatementbeurréeset salées
a point.
Cettefois il y eut réclamation. Les cousins assurèrent qu'ils
avaientbien assez mangé, et qu'ils n'y toucheraient pas; mais
commeje connais l'attrait de cette préparation si simple, je ré-
pondisqueje ne souhaitaisqu'unechose, c'estqu'ily en eût assez.
Effectivementpeu après le capitaineprenaitla dernière tranche,
MÉDITATION XIV. PLAISIR DE LA TABLE.i<M
et je le surpris regardant s'il n'en restait pas ou si on n'en faisait
pas d'autres; ce que j'ordonnai à l'instant.
Cependant le temps avait coulé, et ma pendule marquait plus
de huit heures. « Sauvons-nous, dirent mes hôtes il faut bien
« que nous allions manger une feuille de salade avec notre pauvre
« soeur, qui ne nous a pas vus de la journée.A cela je n'eus pas d'objections et, fidèle aux devoirs de l'hos-
pitalité vis-à-vis de deux vieillards aussi aimables, je les accom-
pagnai jusqu'à leur voiture, et je les vis partir.
Op demandera peut-être si l'ennui ne se coula pas quelques mo-
ments dans une aussi longue séance.
Je répondrai négativement l'attention de mes convives fut sou-
tenue par la confection de la fondue, par le voyage autour dee
l'appartement, par quelques nouveautés dans le diner, par le thé,
et surtout par le punch, dont ils n'avaient jamais goûté.
D'ailleurs le docteur connaissait tout Paris par généalogies et
anecdotes le capitaine avait passé une partie de sa vie en Italie,
soit comme militaire soit comme envoyé à la cour de Parme j'ai
moi-même beaucoup voyagé nous causions sans prétention, nous
écoutions avec complaisance. Il n'en faut pas tant pour que le
temps fuie avec douceur et rapidité.Le lendemain matin je reçus une lettre du docteur; il avait l'at-
tention de m'apprendre que la petite débauche de la veille ne leur
avait fait aucun mal bien au contraire, après un premier som-
meil des plus heureux, ils s'étaient levés frais, dispos, et prêts à
recommencer.
ILA SINASSI~ E~ ILA ]PÊ(S1ËIIË. o
GdeMNE'r,E[htet;r
22
77.
~&toutes les circonstancesde la vie où lé mangerestcomptépour quelquechose, une des plus agréa-
E~Mes est sans doute ]a halte de chasse; et, de tousles entr'actesconnus,c'est encorela haltedé chasse
~~S! qui peut le plus se prolongersans ennui.
Aprèsquelquesheures d'exercice, le chasseurleplusvigoureuxsent qu'il a besoin de repos; sonvisageaété carressé par la brise
du matin l'adresse ne lui a pas manquédans l'occasion le soleil
est près d'atteindre le plushaut de soncours; le chasseurva donc
s'arrêterquelquesheures, non par excèsde <atigue,maispar cette
impulsiond'instinct qui nous avertit que notre activité ne peut
pas être indé6nie.
Un ombrage l'attire; le gazon le reçoit, et le murmure de la
source voisine l'invite à y déposer le flacon destiné à le désat-
térer(i).
(~) J'invite les camarades a préférer le vin blanc; il résiste mieux au mouve-
Mentetà~ chaleur, et aësattèreptus agréablement.
MÉDITATION XV.<70
Ainsiplacé, il sort avec un plaisir tranquille les petits painsà
croûte dorée, dévoile le poulet froid qu'une main amie a placé
dans son sac, et pose tout auprès le carré de gruyère ou de ro-
quefort destinéà figurertout un dessert. ·
Pendant qu'il se prépare ainsi, le chasseur n'est pas seul; il est
accompagné de l'animal fidèle que le ciel a créé pour lui le chien
accroupi regarde son maître avec amour; la coopération a comblé
les distances, ce sont deux amis, et le serviteur est à la fois heu-
reux et fier d'être le convive de son maître.
Ils ont un appétit également inconnu aux mondains et aux dévots
aux premiers, parce qu'ils ne laissent point à la faim le temps
d'arriver; aux autres, parce qu'ils ne se livrent jamais aux exer-
cices qui le font na!tre.
Le repas a été consommé avec délices; chacun a eu sa part;
tout s'est passé dans l'ordre et la paix. Pourquoi ne donnerait-on
pas quelques instants au sommeil? l'heure de midi est aussi une
heure de repos pour toute la création.
Ces plaisirs sont décuplés si plusieurs amis les partagent; car
alors, en ce cas, un repas plus copieux a été apporté dans ces
cantines militaires, maintenant employées à de plus doux usages.
On cause avec enjouement des prouesses de l'un, des sdécismes
de l'autre, et des espérances de l'après-midi.
Que sera-ce donc si des serviteurs attentifs arrivent chargés de
ces vases consacrés à Bacchus, où un froid artificiel )ait glacer à la
DESHALTESDECHASSE. i?l
foisle madère, le suc de là fraise et de t'anànas, liqueurs déli-
cieuses, préparations divines, qui font coulerdans les veinesune
iraîcheurravissante, et portent dans tous tes sens un bien-être
inconnuaux profanes(1).Maisce n'est pointencorele dernier terme de cetteprogression
d'enchahtemehts.
)Lea tt&mM~.
78.
Lest des joursoù nos femmes,nossœurs, nos cou-
sines, leursamies, ontété invitéesà venir prendre
~~H part à nos amusements.
~j~~ A l'heure promise, on voit arriver des voitures
légèreset des chevauxfringants, chargésde belles,
de plumeset de fleurs.La toilette de ces dames a quelquechose
demilitaire et de coquet; et l'œHdu professeurpeut, de tempsà
autre, saisir les échappéesde vue que le hasard seuln'a pas mé-
nagées.Bientôt le flanc des calèches s'entrouvre et laisse apercevoir
les trésors du Périgord, les merveillesde Strasbourg, les frian-
(i) C'est mon ami Alexandre Delessert qui, le premier, a mis en usage cette pra-
tique pleine de charmes.
Nous chassions à Villeneuve par un soleil ardent, le thermomètre de Réaumur
marquant 26° a l'ombre.
Ainsi placés sous la zone torride il avait eu l'attention de faire trouver sous nos
bas des serviteurs potoptofeï (*)qui avaient, dans des seaux de cuir pleins de glace,
tout ce que l'on pouvait désirer, soit pour rafraîchir, soit pour conforter. On choi-
sissait, et on se sentait revivre.
Je suis tenté de croire que l'application d'un liquide aussi frais à des langues
arides et &des gosiers desséches, cause la sensation la plus délicieuse qu'on puisse
goûter en sûreté de conscience.
(*) M.Hoffmanncondamnecetteexpressiona M"MdesareMemManceavecpot-au-feu;il vent
y mtititner it~Aott, mot(Mjtconnu.
MÉDITATION XV.179
dises d'Achard, et tout ce qu'il y a de transportable dans les la-
boratoires les plussavants.On n'a point oublié le champagne fougueux qui s'agite sous la
main de la beauté on s'assied sur la verdure, on mange, les
bouchons volent; on cause, on rit, on plaisante en toute liberté;
car on a l'univers pour salon et le soleil pour lumière. D'ailleurs
l'appétit, cette émanation du ciel, donne à ce repas une vivacité
inconnue dans les enclos, quelque bien décorés qu'ils soient.
Cependant comme il faut que tout finisse, le doyen donne le
signal; on se lève, les hommes s'arment de leurs fusils, les dames
de leurs chapeaux. On se dit adieu, les voitures s'avancent, et
les beautés s'envolent pour ne plus se montrer qu'à la chute du
jour.
Voilà ce que j'ai vu dans les hautes classes de la société où le
Pactole roule ses flots; mais tout cela n'est pas indispensable.J'ai chassé au centre de la France et au fond des départements;
j'ai vu arriver à la halte des femmes charmantes des jeunes
personnes rayonnantes de fraîcheur, les unes en cabriolets les
autres dans de simples carrioles, ou sur l'âne modeste qui fait la
gloire et la fortune des habitants de Montmorency je les ai vues
les premières à rire des inconvénients du transport; je les ai vues
étaler sur la pelouse la dinde à gelée transparente, le pâté de
ménage, la salade toute prête à être retournée; je les ai vues
danser d'un pied léger autour du feu du bivouac allumé en pareille
occasion; j'ai pris part aux jeux et aux foldtreries qui accompa-
gnent ce repas nomade, et je suis bien convaincu qu'avec moins
de luxe on ne rencontre ni moins de charmes, ni moins de ga!té,ni moins de plaisir.
Eh! pourquoi quand on se sépare, n'échangerait-on pas quel-
ques baisers avec le roi de la chasse parce qu'il est dans sa gloire;avec le culot, parce qu'il est malheureux; avec les autres, pourne pas faire de jaloux? Il y a départ, l'usage l'autorise, il est
permis et même enjoint d'en profiter.
Camarades chasseurs prudents, qui visez au solide, tirez droit
et soignez les bourriches avant l'arrivée des dames; car l'expé-
DES HALTES DE CHASSE. iM
riencea appris qu'après leur départ il est rare que la chasse soit
fructueuse.
Ons'est épuisé en conjectures pour expliquer cet effet. Les
uns l'attribuentau travail de la digestion, qui rend toujours le
corps un peu lourd; d'autres, à l'attentiondistraite qui ne peut
plus se recueillir d'autres, à des colloquesconfidentielsqui peu-ventdonner l'enviede retourner bien vite.
Quant à nous,
Dontjusqu'aufonddescœursleregardapulire
nous pensonsque, l'âge des dames étant à l'orient, et les chas-
seurs matière inflammable, il est impossibleque, par la collision
des sexes, il ne s'échappe pas quelque étincelle génésique quieBarouchela chasteDiane, et qui fait que dans son déplaisirelle
retire, pour le reste de la journée, ses faveursaux délinquants.Nousdisons pourlerestedela journée,car l'histoired'Endymion
nous a appris que la déesseest bien loind'être sévère après le
soleilcouché. ( 7oyc~le tableaude Girodet.)Leshaltesde chasse sont une matièreviergeque nous n'avons
faitqu'efileurer; elle pourrait être l'objet d'un traité aussi amusant
qu'instructif.Nousle léguonsaulecteurintelligentqui voudra s'en
occuper.
79.
n ne vit pas de ce qu'on mange, dit un vieil
adage, mais de ce qu'on digère. Il faut donc
digérer pour vivre et cette nécessité est un
~~EN î ~aE~- qui couche sous sa puissance le pau-
~S~ "che, le berger et le roi.
Mais combien peu savent ce qu'ils font
quand ils digèrent! La plupart sont comme M. Jourdain, qui fai-
sait de la prose sans le savoir; et c'est pour ceux-là que je trace
un histoire populaire de la digestion, persuadé 'que je suis que
M. Jourdain fut bien plus content quand le philosophe l'eut rendu
certain que ce qu'il taisait;était de là prose.
Pour connaitre la digestion uHnë son ensemble, il faut la joindre
à ses antécédents et &ëës conséquences.
tttté~tMt
80. L'appétit, la faim et !â Suifnous avertissent que le corps
a besoin de se restaurer et là douleur, ce moniteur universel, ne
Ï)Pt,ApMUMTIQN,
tarde pas a nous tounnenter, s; nous M pouvonspas y t~éir.
Alorsviennentle mangeret le boire, qui consdtuent l'ingestion~
opérationqui commenceau momentoù les alimentsarrivent à la
bouche, et finit à celuioù us entrent dans F œsophage.(i)Pendant ce trajet, qui n'est que de quelquespouces, il se passe
bien des choses.
Les dents divisent les aliments solides; les glandes de toutes
espècesqui tapissent la boucheIntérieuretes humectent, la langue
lesgâchepour tes mêler; elle les presse ensuitecontre le palais
pour en exprimer le jus et en savourer le goût en faisantcette
fonction, la langue réunit les alimentsen masse dans le milieude
la bouche; après quoi, s'appuyant contre la mâchoireinférieure,
ellese soulèvedans le milieu, de sorte qu'il se formeà sa racine
une pente qui les entraînedans F arrière-bouche,où ils sont reçus
par le pharynx, qui, se contractantà son tour, les faitentrer dans
l'oesophage, dont le mouvementpéristaltiqueles conduit jusqu'à
l'estomac,
Unebouchéeainsidébitée, une secondelui succèdede la même
manière les boissonsqui sont aspirées dans les entr'actes pren-nentla même route, et la déglutitioncontinuejusqu'à ce que le
même instinct qui avaitappelé l'ingestionnous avertissequ'il est
tempsde finir. Maisil est rare qu'on obéisseà la premièreinjonc-
tion car un des privilégesde l'espèce humaineest de boire sans
avoirsoif; et dans l'état actuelde l'art, les cuisinierssavent bien
nousfairemangersans avoir faim..
Par un tour de force très remarquable, pour que chaquemor-
ceauarrivejusqu'à l'estomac, il fautqu'il échappeà deuxdangers:Lepremierest d'être refoulédans les arrière-narines mais heu-
reusementl'abaissement du voile du palaiset la construction du
pharynxs'y opposent;La second danger serait de tomber dans la trachée-artère, au-
dessus de laquelle tous nos aliments passent, et celui-ciserait
(1)L'oMopAagwest le canal qui commencederrière la trachée-artère, et conduitdugosierà l'estomac: sone~t~mité supérieurese nomme pt~Ma:.
MÉDITATION XVI.n<
beaucoupplus gravé; car, dès qu'un corps étrangertombe dans
la trachée-artère, une toux convulsivecommence, pour ne finir
que. quandil est expulsé.
Mais, par un mécanismeadmirable, la glotte se resserre pen-dant qu'on avale; elleest défenduepar l'épiglotte,qui la recouvre,et nous avons un certain instinctqui nous porte à ne pas respirer
pendant la déglutition de sorte qu'en général on peutdire que,
malgré cette étrange conformation, les aliments arrivent facile-
ment dans l'estomac,où finitl'empiredela volontéet où commence
la digestionproprementdite.
OMtee de t es<<Mmme
8t.
Adigestion est une opération tout-à-fait
mécanique, et l'appareil digesteur peut
~F)~ J~. être considéré comme un moulin garni
deses blutoirs dont Feffetest d'extraire des ali-
ments ce qui peut servir à réparer nos corps, et de
rejeter le marc dépouillé de ses parties animalisa-
bles.
On a longtemps et vigoureusement disputé sur la
~B~ manière dont se fait la digestion dans L'estomac, et
pour savoir si elle se fait par coction, maturation férmentation ·
dissolution gastrique, chimique ou vitale, etc.
On y peut trouver un peu de tout cela; et il n'y avait faute que
parce qu'on voulait attribuer à un agent unique le résultat de plu-
sieurs causes nécessairement réunies.
Effectivement, les aliments imprégnés de tous les fluides que
leur fournissent la bouche et l'œsophage, arrivent dans l'estomac,
où ils sont pénétrés par le suc gastrique dont il est toujours plein
ils sont soumis pendant plusieurs heures à une chaleur de plus de
trente degrés de Réaumur ils sont sassés et mêlés par le mouve-
ment organique de l'estomac, que leur présence excite ils agissent
DE LA DIGESTION. 177
23
les uns sur les autres par l'effet de cette juxtà-position, et il est im-
possible qu'il n'y ait pas fermentation, puisque presque tout ce
qui est alimentaire est fermentescible.
Par suite de toutes ces opérations, le chyle s'élabore; la couche
alimentaire, qui est immédiament superposée, est la première qui
est appropriée elle passe par le pylore et tombe dans les intestins
une autre lui succède, et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus
rien dans l'estomac, qui se vide, pour ainsi dire, par bouchées,
et de la même manière dont il s'était rempli.
Le pylore est une espèce d'entonnoir charnu, qui sert de com-
munication entre l'estomac et les intestins il est fait de manière à
ce que les aliments ne puissent, du moins que difficilement re-
monter. Ce viscère important est sujet quelquefois à s'obstruer, et
alors on meurt de faim, après de longues et effroyables douleurs.
L'intestin qui reçoit les aliments au sortir du pylore est le duo-
dénum il a été ainsi nommé parce qu'il est long de douze doigts.
Le chyle arrivé dans le duodénum y reçoit une élaboration nou-
velle par le mélange de la bile et du suc pancréatique il perd la
couleur grisâtre et acide qu'il avait auparavant, se colore en jaune,
et commence à contracter le fumet stercoral qui va toujours en
s'aggravant à mesure qu'il s'avance vers le rectum. Lesdivers prin-
cipes qui se trouvent dans ce mélange agissent réciproquement les
uns sur les autres le chyle se prépare, et il doit y avoir formation
de gaz analogues.Lemouvement organique d'impulsion qui avait fait sortir le chyle
de l'estomac, continuant, le pousse vers les intestins grêles là se
dégage le chyle, qui est absorbé par les organes destinés a cet
usage, et qui est porté vers le foie pour s'y môier au sang qu'ilil
rafraîchit en réparant les pertes causées par l'absorption des or-
ganes vitaux et par l'exhalation transpiratoire.Il est assez difficile d'expliquer comment le chyle, qui est une
liqueur blanche et à peu près insipide et inodore, peut s'extraire
d'une masse dont la couleur, l'odeur et le goût doivent être très
prononcés.
Quoi qu'il en soit, l'extraction du chyle paraît être le véritable
MÉMTATtON XVÏ.n<
but de la digestion et aussitôt qu'il est mêlé à ta circulation, l'in-
dividu en est averti par une augmentation de force vitale et par
une conviction intime que ses pertes sont réparées.
La digestion des liquides est bien moins compliquée que cel)e
des aliments solides, et peut s'exposer en peu de mots.
La partie alimentaire qui se trouve suspendue se sépare, se
joint au chyle, et en subit toutes les vicissitudes.
La partie purement liquide est absorbée par les suçoirs de l'es-
tomac et jetée dans la circulation de là elle est portée par les ar-
tères émulgentes vers les reins, qui la filtrent et l'élaborent, et,
au moyen des uretères (1), la font parvenir dans la vessie sous la
forme d'urine.
Arrivée à ce dernier récipient, et quoique également retenue
par un sphincter, l'urine y réside peu; son action excitante fait
naître le besoin et bientôt une constriction volontaire la rend à
la lumière et la fait jaillir par les canaux d'irrigation que tout le
monde connaît et qu'on est convenu de ne jamais nommer.
La digestion dure plus ou moins de temps, suivant la disposi-
tion particulière des individus. Cependant on peut lui donner un
terme moyen'de sept heures, savoir un peu plus de trois heures
pour l'estomac, et le surplus pour le trajet jusqu'au rectum.
Au moyen de cet exposé, que j'ai extrait des meilleurs auteurs,
et que j'ai convenablement dégagé des ariditésanatomiques
et des
(i) Ces uretères sont deux conduits de la grosseur d'un tuyau de plume à écrire,
qui partent de chacun des reins, et aboutissènt au col postérieur de la vessie.
KNFM~NCES.
G.de &ONET.Mn.o~
DE LA D!CE8TiON. M$
abstractions dela science meslecteurspourront désormaisassez
bienjuger de l'endroit où doit se trouver te demie)'repasqu'ilsaurontpris, savoir pendantles trois premièresheures, dans l'os-
tomac plus tard, dans le trajet intestinal; et après sept ou huit
heures, dans le rectum,en attendant son tour d'expulsion.
tMOmemeede la «ee<'M~m
82.
~BtSPh~TA digestionest de toutesles opérations corporette~M~aw~y~J)~. celle qui inuuele plus sur Fêtâtmoralde l'individu.
~~E~a~ Cetteassertion ne doit étonner personne, et il
c)C~i est impossibleque cela soit autrement.
~°79 Les principes de là plus simple psychologienous apprennentque l'âme n'est impressionnéequ'au
moyen des organes qui lui sont soumiset qui la mettent
en rapport avecles objetsextérieurs; d'Oùil suitque, quandcesorganessont mal conservés,mal restaurés, ou irrités, cet état
de dégradationexerceune influencenécessairesur les sensations,
qui sont les moyens intermédiaireset occasionnelsdes opérationsintellectuelles.
Ainsi, la manièrehabituelledont la digestionse fait, et surtout
se termine, nous rend habituellementtristes, gais, taciturnes,
parleurs,morosesou mélancoliques,sans que nous nous en dou-
tions, et surtout sans que nous puissionsnous y refuser.
Onpourrait ranger sousce rapport, le genrehumainciviliséen
troisgrandescatégories les réguliers, les réservéset les relâchés.
11 est d'expérience que tous ceux qui se trouvent dans ces
diversesséries, non-seulementontdesdispositionsnaturellessem-
blableset des propensionsqui leur sont communes, mais encore
qu'Usont quelque chosed'analogue et de simitairedans là ma-
nièredont ils remplissent les missionsque le hasard leur a dé'
partiesdans le cours de la vie.
Pourme taire comprendrepar uù exemple, je le prendraidans
MÉDtTATtON XVI.t80
le vaste champ, de la littérature. Je crois que les gens de lettres
doivent te plus souvent à leur estomac le genre qu'ils ont pré'é-rablement choisi.
Sous ce point de vue, les poètes comiques doivent être dans
les réguliers, les tragiques dans les resserrés, et les élégiaques et
pastoureaux dans les relâchés d'où il suit que le poète le plus
lacrymal n'est séparé du poète que par quelque degré de coction
digestionnaire.
C'est par application de ce principe au courage que, dans le
temps où le prince Eugène de Savoie faisait le plus grand mal à
la France, quelqu'un de la cour de Louis XïV s'écriait: < Oh!que
< ne puisse lui envoyer ta foire pendant huit jours! J'en aurais
< bientôt fait le plus grand j.f. de l'Europe.« Hâtons-nous, disait un général anglais, de faire battre nos
«soldats pendant qu'ils ont encore te morceau de bœuf dans Pes-
< tomac.'
La digestion, chez les jeunes gens, est souvent accompagnée
d'un léger frisson, et chez les vieillards d'une assez forte envie de
dormir.
Dans le premier cas, c'est la nature qui retire le calorique des
surfaces, pour l'employer dans son laboratoire dans le second,
c'est la même puissance qui, déjà affaiblie par l'âge, ne peut
plus suffire à la fois au travail de la digestion et à l'excitation des
sens.
Dans les premiers moments de la digestion, il est dangereux
de se livrer aux travaux de l'esprit, plus dangereux encore de
s'abandonner aux jouissances génésiques. Le courant qui porte
vers les cimetières de la capitale y entraîne chaque année des cen-
taines d'hommes qui, après avoir très bien d!né, et quelquefois
pour avoir trop bien diné, n'ont pas su fermer les yeux et se
boucher les oreilles.
Cette observation contient un avis, même pour la jeunesse, qui
ne regarde à rien un conseil pour les hommes faits/qui oublient
que le temps ne s'arrête jamais; et une loi pénale pour ceux qui
sont du mauvais côté de cinquante ans (on,the worong«Me/).
DE LA DïGESTtON. <M
Quelques personnes ont de l'humeur pendant toht!e temps
qu'elles digèrent; ce n'est te temps alors ni de leur présenter des
projets, ni de leur demander des grâces.
De ce nombre était spécialement le maréchal Augereau; pen-
dant la première heure après son diner, il tuait tout, amis et
ennemis.
Je lui ai entendu dire un jour qu'il y avait dans l'armée deux
personnes que le général en chef était toujours maître de faire
fusiller savoir le commissaire ordonnateur en chef et le chef
de son état-major. Ils étaient présents l'un et l'autre; le général
Chérin répondit en calinant, mais avec esprit; l'ordonnateur ne
répondit rien, mais il n'en pensa probablement pas moins.
J'étais à cette époque attaché à son état-major, et mon couvert
était toujours mis à sa table; mais j'y venais rarement, par la
crainte de ces bourrasques périodiques; j'avais peur que, sur un
mot, il ne m'envoyât digérer en prison.
Je l'ai souvent rencontré depuis à Paris; et comme il me témoi-
gnait obligeamment le regret de ne m'avoir pas vu plus souvent,
je ne lui en dissimulai point la cause; nous en rimes ensemble
mais il avoua presque que je n'avais pas eu tout-à-fait tort.
Nous étions alors à Onënbourg, et on se plaignait à l'état-major
de ce que nous ne mangions ni gibier ni poisson.
Cette plainte était fondée; car c'est une maxime de droit public,
que les vainqueurs doivent faire bonne chère aux dépens des
vaincus. Ainsi, le jour même, j'écrivis au conservateur des forêts
une lettre fort polie pour lui indiquer le mal et lui prescrire le
remède.
Le conservateur était un vieux reître grand, sec et noir, qui
ne pouvait pas nous souffrir, et qui sans doute ne nous traitait pas
bien, de peur que nous ne prissions racine dans son territoire. Sa
réponse fut donc à peu près négative et pleine d'évasions. Les
gardes s'étaient enfuis, de peur de nos soldats les pécheurs ne
gardaient plus de subordination; les eaux étaient grosses, etc., etc.
Ade si bonnes raisons je ne répliquai pas mais je lui envoyai
MÉDITATION XVL DE LA DIGESTION.<M
dix grenadiers pouirles loger et nourrir à discrétionjusqu'à nou-
vel ordre.
Le topiquefit effet le surlendemain, de très grand-matin, il
nous arrivaun charriot bienet richementchargé;lesgardes étaient
sans doute revenus lés pécheurssoumis, car on nous apportait,en gibier et en poisson, de quoi nous régaler pour plus d'une se*
maine: chevreuils, bécasses, carpes, brochets;c'était une béné-
diction<
A la réceptionde cette onrande expiatoire,je délivrai de ses
hôtes le conservateurmalencontreux.Il vint nous voir; je lui fisen-
tendre raison et pendant le reste de notre séjour en ce pays,nous n'eûmesqu'à nous louer de ses bonsprocédés.
.'HOMMEn'est pas fait pour jouir d'une ac-
tivitéindéfinie;lanature ne l'a destinéqu'àune existenceinterrompue, il faut queses
perceptions finissent après un certain
temps. Ce tempsd'activité peuts'allongeren variant legenre et la nature des sensa-
tions qu'il lui faitéprouver; maiscettecon-
tinuité(l'existenceramène à désirer le repos. Lerepos conduitau
sommeil,et le sommeilproduitles rêves.
Icinous nous trouvonsaux dernièreslimitesde l'humanité: car
l'hommequi dort n'est déjà plusl'hommesocial la loi protégeen-
core, mais ne lui commandeplus.
Ici se place naturellementun fait assez singulier qui m'a été
raconté par dom Duhaget, autrefois prieur de la chartreuse de
Pierre-ChâteI.
Dom Duhaget était d'une très-bonne famillede Gascogne, et
avaitservi avecdistinction, il avait été vingtans capitaine d'in-
MÉDITATION XVH.iM
fanterie; il était chevalierde Saint-Louis.Je n'ai connu personne
d'une piété plusdouceet d'uneconversationplus aimable.
< Nous avions me disait-il, à. où j'ai été prieur avant
< que de venir à Pierre-Châtel, un religieux d'une humeur mé-
lancolique, d'un caractère sombre et qui était connu pour être
< somnambule.
< Quelquefois, dans ses accès, il sortait de sa cellule, et y ren-
< trait seul d'autres fois il s'égarait, et on était obligé de l'y re-
conduire. On avait consulté et fait quelques remèdes ensuite
<les rechutes étant devenues plus rares, on avait cessé de s'en
occuper.
< Unsoir que je ne m'étais point couché à l'heure ordinaire,
<j'étais à mon bureau, occupé à examiner quelques papiers,<lorsque j'entendis ouvrir la porte de mon appartement/dont je
< neretirais presque jamais la clef, et bientôt je vis entrer ce reli-
< gieuxdans un état absolu de somnambulisme.
<Il avait les yeux ouverts, mais fixes, n'était vêtu que de la tu-
< nique avec laquelle il avait dû se coucher, et tenait un grand'couteau à la main.
iHalla droit à mon lit, dont il connaissait la position, eut l'air
<de vérifier, en tàtant avec la main, si je m'y trouvais effective-
< ment; après quoi, il frappa trois grands coups tellement fournis,
bu ~0!s:
24
t qu'ans avoirpercé !ésdouvérturi~s!atâmë entra p~~é~itA<dans le matelas,ouplutôt la nattequ!ïh'ëo tenait uëu.
JLorsqu'itavait passédevantmoi, ilavattlà Sgurëcontractéeet
<ttessourcilsfronces,QuandHeutfrappé, il se rëtou~n~, et J~<servai que son visage étaitdétendu et qu'il y régnai quoique<airde satisfaction. j'
L'éclat des deux lampes qui étaient sur mon bureau ne 6t
< aucuneImpression sur ses yeux, et il s'en retourna commeil
<était venu, ouvrant et iermant avec discréttondeux portes qui<conduisaientà ma cetlute, et bientôtje m'assuraiqu~use retirait
< directementet paisibtemenidans !à sienne. v
<Vous pouvez juger, continua le prieur, de l'état ou je me
< trouvaipendant cette terriNe apparition. Je M'émisd'horreur à
«la vue du danger auquelje venais d'échapper, etje remerciaila
<Providence mais mon émotionétait telle, qu'il me fut impos-siblede fermerles yeux le reste de la nuit.
<Le lendemainje 6s appeler le somnambule, et lui demandai
<sans affectationà quoi il avait rêvé la nuit précédente.< Acette question, il se troubla. Monpère, me répondit-il, j'ai
<fait un rêve si étrange, que j'ai véritablementquelquepeine à
vousle découvrir c'est peut-êtrel'oeuvredu démon, et. -Je
<vous l'ordonne, lui répliquai-je; un rêve est toujoursinVolon-
«taire; cen'est qu'une illusion.Parlezavecsincérité.– Monpère,«dit-ilalors, à peine étais-jecouchéque j'ai rêvé que vousaviez
«tué ma mère; que son ombre sanglantem'était apparue pour« demander vengeance, et qu'à cette Vf.ej'avais été transporté«d'une tellefureur, quej'ai courucommeun forcenéà votre ap-
parlement; et vous ayant trouvé dans votrelit, jè Vous ai
poignardé. Peuaprès, je me suis réveillétout en sueur, en dé-
«testant mon attentat, et bientôt j'ai béni Dieu qu'un si grand<crimen'est pas été commis. Hà été ptus commisque vous
«ne pensez, lui dis-jeavecun air sérieu~et tranquille.t Alorsje lui racontaicequi s'étaitpassé, et lui montrailà trace
'des coups qu'il avaitcru m~adresser.
Acette Vue, il se jeta à mes pieds, tout en larmes, gémissant
~< MÈDtTATtQN XVH.
< d" malheur involontairequi avait pensé arriver et imploranttelle pénitencequeje,croyais devoir lui inQiger.
<–Non, non, m*écriai-je, je ne vous punirai point d'un fait< inyotontaire mais désormaisje vous dispense d'assister aux
<pfScesde la nuit, et vous préviensque votrecellulesera fermée
en dehors, après le repas du soir, et ne s'ouvrira que pour vous
t donner la facilitéde venir à la messede famillequi se dit à la
< pomtedu jour.
Si, dans cette circonstanceà laquelleil n'échappaque par mi-
racle, le prieur eût été tué, le moinesomnambulen'eût pas été
puni, parce que c'eût été de sa part un meurtre involontaire.
TeowpN d« repos.
84.
ESlois générales imposées au globe que nous
habitons ont dû influer sur ta manière d'exister
del'espèce humaine. L'alternative de jour et de
~tt~nuitqui se fait sentir sur toute la terre avec cer-
taines variétés, mais cependant de manière
qu'en résultat décompte l'un et l'autre se com-
pensent, a indiqué assez naturellement le temps de l'activité
comme celui du repos; et probablement l'usage de notre vie n'eût
point été le même si nous eussions eu un jour sans fin.
Quoi qu'il en soit, quand l'homme a joui, pendant une certaine
durée, de la plénitude de sa vie, il vient un moment où il ne peut
plus y suffire; son impressionnabilité diminue graduellement; les
attaques les mieux dirigées sur chacun de ses sens demeurent sans
eSet, les organes se refusent à ce qu'ils avaient appelé avec plus
d'ardeur, l'âme est saturée de sensations, le temps du repos arrivé.
Il est facile de voir que nous avons considéré l'homme socia),
environné de toutes les ressources et du bien-être de la haute civi-
lisation car ce besoin de se reposer arrive bien plus vite et bien
plus régulièrement pour celui qui subit la fatigue d'un travail,assidu
DU REPOS. M?
dansson cabinet, dans son atelier, en voyage, à la guerre, à la
chasseoude toute autre manière.
Ace repos, commeà tous les actes conservateurs, là nature,
cetteexcellente mère,a joint un grand plaisir.
L'homme qui se repose éprouve un bien-être aussi générai
qu'indéSnissaMe il sent ses bras retomber par leur propre poids,
ses fibres se distendre son cerveause rafraîchir; ses sens sont
calmes, ses sensations obtuses; il ne désire rien il ne) éSéchit
plus; un voilede gaze s'étend sur ses yeux. Encorequelquesins-
tants, et il dormira.
)Du ~omm~L
85.
~~B~ uo!Qp'!t.y ait quelques hommes tellement or-
~B~' ~~jN~ ganisés qu'on peut presque dire qu'ils ne
~SS~\ ~~EB~dormentpas, cependant il est de vérité géné-
~~m_ /~H~ que le besoin de dormir est aussi impé-
"aNËS~ rieux que la faim et la soif. Les sentinelles
avancées à l'armée s'endorment souvent, tout
en se jetant du tabac dans les yeux; et Pi-
chegru, traqué par la police de Bonaparte, paya 50,000 fr. une
nuit de sommeil pendant laquelle il fut vendu et livré.
méamt<t<Mt
86 Le sommeil est cet état d'engourdissement dans lequel
l'homme, séparé des objets extérieurs par l'inactivité forcée de ses
sens, ne vit plus que de la vie mécanique.
Le sommeil, comme la nuit, est précédé et suivi de deux cré-
DUSOMMEIL <~
pusçules, dont le premierconduite l'inertieab~ue, ~!e se<w~
ramèneà la vie active.
Tâchonsd'examinerces divers phénomènes.Au momentoù le sommeilcommence, les organes des sens
tombentpeu à peu dans l'inaction: le goût d'abord, la vue et t'Of
dorat ensuite; t'ouïe veilleencore, et le toucher toujours; car il
est là pour nous avertirpar la douleurdes dangers que te corps
peut courir.
Le sommeilest toujours précédéd'une sensationplus ou moins
voluptueuse: le corps y tombe avecplaisirpar la certituded'une
prompterestauration;et l'âme s'y abandonneavecconfiânce,dans
l'espoir que ses moyensd'activitéy seront retrempés.
C'est faute d'avoir bien apprécié cette sensation, cependantsi
positive, que des savants de premier ordre ont comparéle som-
meilà la mort, à laquelle tous les êtres vivants résistentde tou-
tes leurs forces et qui est marquéepar des symptômessi parti-culierset qui fonthorreur même aux animaux.
Commetousles plaisirs,le sommeildevientune passion; car on
a vu des personnes dormir les trois quarts de leur vie et,
commetoutesles passions, il ne produit alors que des effets fu-
nestes, savoir: la paresse, l'indolence, l'affaiblissement,la stu-
piditéet la mort.
L'école de Salerne n'accordaitque sept heures de sommeil,
sans distinctiond'âge ou de sexe. Cettedoctrine est trop sévèreil faut accorder quelque chose aux enfants par besoin, et aux
femmespar complaisance;mais on peut regarder comme certain
que toutes les fois qu'on passe plus de dix heures au lit, il y a
excès.
Dans les premiers momentsdu sommeilcrépusculaire, la vo-
lonté dure encore on pourrait se réveiller, l'œit n'a pas encore
perdu toute sa puissance.Non omnibusdormio,disait Mécènes,et
dans cet état plus d'un mari a acquis de fâcheusescertitudes.
Quelquesidées naissentencore, mais ellessont incohérentes ona des lueurs douteuses; on croit voir voltiger des objetsmal ter-
MÉDITATION XVitî. DU SOMMEIL.i9<t
minés. Cetétat dure peu bientôt tout disparaît, tout ébranlement
cesse, et on tombe dans le sommeilabsolu.
Quefait l'âmependant ce temps? elle vit en elle-même; elle
est commele pilotependantle calme commeun miroir pendantla huit, commeun luth dont personne ne touche; elle attend de
nouvellesexcitations.
Cependantquelques psychologues,et entre autres M.!e comte
de Redern, prétendent que l'âme ne cessejamaisd'agir; et ceder-
nier en donnepour preuve que touthommequel'on arracheà son
premier sommeiléprouve la sensationde celuiqu'on troubledans
une opérationà laquelle il serait sérteusementoccupé.Cetteobservationn'est passans fondement,et mérited'être at-
tentivementvérinée.
Ausurplus cet état d'anéantissementabsoluest de peu de du-
rée(il ne passepresque jamais cinq ousixheures) peu à peu les
pertesse réparent un sentimentobscur d'existencecommenceà
renaître, et ledormeurpassedans l'empiredes songes.
BM
~M~! jjt Esrêves sont des impressions unilatérales qui ar-
.TN~rivent à t'âme sans le secours des objets extérieurs.
JNj~ Ces phénomènes, si communset en mêmetemps
~B~JM~aiP si extraordinaires, sont cependant encore peu con-
nus.
)!jj~ La faute en est aux savants, qui ne nousont pas encore
taissé un corps d'observations suffisant. Ce secours indis-
pensable viendra avec le temps, et la double nature de l'homme
en sera mieux connue.
Dans l'état actuel de la science, il doit rester pour convenu
qu'il existe un fluide aussi subtilque puissant, qui transmet au cer-
veau les impressions reçues par les sens et que c'est par l'excita-
tion que causent ces impressions quenaissent les idées.
Le sommeil absolu est dû à la déperdition et à l'inertie de ce
fluide.
Il faut croire que les travaux de la digestion etde t* assimilation,
qui sont loin de s'arrêter pendant le sommeil,réparent cette perte,
de sorte qu'il est un temps où l'individu, ayant déjà tout ce qu'il
'aùtpour agir, n'est point encore excité par les objets extérieurs.
MÉDITATION XIX.iM
Alors le fluide nerveux, mobile par sa nature, se porte au cer-
veau par les conduits nerveux il s'insinue dans les mêmes endroits
et dans les mêmes traces, puisqu'il arrive par la même voie, il
doit donc produire les mêmes effets, mais cependant avec moins
d'intensité.
La raison de cette différence me parut facile à saisir. Quand
l'homme éveillé est impressionné par un objet extérieur, la sensa-
tion est précise, soudaine et nécessaire; l'organe tout entier est
en mouvement. Quand, au contraire, la même impression lui est
transmise pendant son sommeil, il n'y a que la partie postérieure
des nefs qui soit en mouvement la sensation doit nécessairement
être moins vive et moins positive et pour être plus facilement en-
tendu, nous disons que chez l'homme éveillé il y a percussion de
tout l'organe et chez l'homme dormant il n'y a qu'ébranlementde la partie qui avoisinele cerveau.
Cependant on sait que dans les rêves voluptueux la nature atteint
son but à peu près comme dans la veille mais cette différence naît
de la différence même des organes; car la génésiquc n'a besoin
que d'une excitation quelle qu'elle soit, et chaque sexe porte avec
soi tout le matériel nécessaire pour la consommation de l'acte au-
quel la nature l'a destiné.
Keeherehe A faire
87.
qu'il est au moins très rare que les sensations qu'on éprouve en
rêvant se rapportent au goût et à l'odorat quand on rêve d'un
DES RÊVES. M'
2?;
parterre ou d'une prairie, on voit des neurssans en sentir le par-
fum si l'on croit assisterà unrepas on en voit tes metssans en
savourer le goût.Ceserait un travail digne des plus savants quedèrechercheF
pourquoideux de nos sens n'impressionnentpoint l'âme pendantle sommeil,tandisque les quatreautres jouissentde presquetoute
leur puissance. Je ne connais aucun psychologue qui s'en soit
occupé.
Remarquonsaussi que plus les affectionsque nous éprouvonsen dormant sont intérieures, plus elles ont de force. Ainsi, les
idées les plus sensuellesne sont rien auprès des angoisesqu'onressent si on rêvequ'on a perdu un enfantchéri ou qu'on va être
pendu. On peut se réveiller, en pareil cas, tout trempéde sueur
ou tout mouilléde larmes.
~fatnre des songes.
88.
-~S~ CELLEque soitla bizarreriedes idéesqui quelquefoisnous agitenten dormant, cependanten y regardant
~jC)~ d'un peu près, on verra que ce ne sont que des
souvenirs ou descombinaisonsde souvenirs.Je suis
~sB~ tenté de dire que les songesne sont queta mémoire
dessens.
Leurétrangeté ne consistedonc qu'en ce que l'association de
ces idées est insolite, parce qu'eue s'est affranchiedeslois dé la
chronologie,desconvenanceset dutemps; desorte que, en der-
nière analyse, personne n'a jamais rêvé à ce qui lui était aupara-vanttout-à-iaitinconnu.
Onne s'étonnera pas dela singularitéde nosrêves, si l'on ré-
fléchitque, pour l'hommeéveillé .quatrepuissancesse surveillent
etse rM~E~proquement savoir la vue, l'ouïe, le toucher
etia~~oir~; au~Muque, celui qui dort chaquesens est
abM~b!]~eSMressources.
MÉDITATtON XIX.w
Je seraistentéde comparercesdeuxétats du cerveauà un piano
près duquel serait assisun musicienqui, jetant par distractionles
doigtssur les touches, y formeraitpar réminiscencequelque mé-
lodie, et qui pourraity ajouterune harmoniecomplètes'ilusait de
tous ses moyens. Cettecomparaisonpourrait se pousserbeaucoup
plusloin, en ajoutant que la réflexionest aux idées ce que l'har-
monieest aux sons, et certaines idées en contiennentd'autres,tout commeun son principalen contientaussi d'autres qui lui sont
secondaires, etc., etc.
Système du doetenr tt~M
89.
Nme laissant doucement conduire par un sujet
qui n'est pas sans charmes, me voilà parvenu aux
confins du système du docteur Gall, qui enseigne et
soutient la multiformité des organes du cerveau.
Je ne dois donc pas aller plus loin, ni franchir les
limites que je me suis fixées cependant, par amour pour la science,
à laquelle on peut bien voir que je ne suis pas étranger, je ne puis
m'empêcher de consigner ici deux observations que j'ai faites avec
soin, et sur lesquelles on peut d'autant mieux compter, que, parmi
ceux qui me liront, il existe plusieurs personnes qui pourraient en
attester la vérité.
PREMIÈRE OBSERVATION.
Vers 1790, il existait, dans .un vidageappelé Gevrin arrondis-
sement de Belley un commerçant extrêmement rasé, il s'ap-
pelait Landot, et s'était arrondi une assez jolie fortune.
Il fut tout-à-coup frappé d'un tel coup de paralysie, qu'on le
crut mort. La Faculté vint à son secours, etil s'en tira mais non
sans perte, car il laissa à peu près derrière lui toutes les facultés
intellectuelles et surtout la mémoire. Cependant, comme il se
traînait encore, tant bien que mat, et qu'il avait repris l'appétit,
il avait conservé l'administration de ses biens.
DES RÊVES. <96
Quand on le vit danscet état, ceuxqui avaienteu des aSairës
aveclui crurent quele tempsétaitvenudeprendre leur revanche
et sous prétextede venir lui tenir compagnie, on venait de toutes
parts lui proposer des marchés, des achats, des ventes, des
échanges, et autresdecetteespècequiavaientétéjusque-là l'objet
de son commercehabituel.Maisles assaillantsse trouvèrent bien
surpris, et sentirentbientôtqu'il fallaitdécompter.Lemadré vieillard n'avait rien perdu de ses puissancescom-
merciales, et le mêmehomme qui quelquefoisne connaissaitpas
sesdomestiqueset oubliait jusqu'à son nom, était toujours au
courantdu prix de toutes les denrées, ainsi que de la valeur d~
de tout arpentdeprés,de vignesou de boisà trois iieuesàlaronde.
Sousces divers rapports, son jugement était resté intact et
commeon s'en dénait moins,
marchand invalidefurent pris
préparéspour lui.
!a plupart de ceuxqui tâtèrent le
aux piéges qu'eux-mêmesavaient
DEUXIÈME OBSERVATION.
.~<m. existait à Belley un M. Chirol qui avait servi long-
temps dans les gardes-du-corps tant sous Louis XV
~j~~ que sous Louis XVI.
Son intelligence était tout juste à la hauteur du
service qu'il avait eu à faire toute sa vie mais il avait au su'
préme degré l'esprit des jeux, de sorte que, non-seulement
it jouait bien tous jeux anciens, tels que t'hombre, le piquet,
le whisk, mais encore que, quand la mode en introduisait un nou-
veau, dès la troisième partie it en connaissait toutes les finesses.
Or, ce M. Chirol fut aussi frappé d'une paralysie, et le coupfuttel qu'il tom~a dans un état d'insensibttité presque absolue. Deux
choses cependant furent épargnées les facultés digestives et la fa-
cu)té de jouer.tt venait tous les jours dans la maison où depuis plus de vingt
ans il avait coutume de faire sa partie, s'asseyait en un coin, et
y demeurait immobile et somnolente sans s'occuper en rien de ce
qui se passait autour de lui.
MÉDITATION XIX.
Le moment d'arranger tes parties étant venu, on lui proposait
d'y prendre part il acceptait toujours, et se tratnait vers la table
on pouvait'se convaincre que la maladie qui avait paralysé la plus
grande partie de ses facultés ne lui avait pas fait perdre un point de
son jeu. Peu de temps avant sa mort, M. Chirol donna une preuve
authentique de l'intégrité de son existence comme joueur.
Il nous survint à Belley un banquier de Paris qui s'appelait, je
crois, M. Delins. Il était porteur de lettres de recommandation il
était étranger, il était Parisien c'était plus qu'il n'en fanait dans
une petite ville pour qu'on s'empressât à faire tout ce qui pouvait
lui être agréable.
M. Détins était gourmand et joueur. Sous le premier rapprt on
lui donna suffisamment d'occupation en le tenant chaque jour cinqou six heures à table; sous le second rapport, il était plus difficileà
amuser il avait un grand amour pour le piquet, et parlait de jouer
à six francs la fiche, ce qui excédait de beaucoup le taux de notre
jeu le plus cher.
Pour surmonter cet obstacle, on fit un société où chacun prit
ou ne prit pas intérêt, suivantla nature de ses pressentiments les
uns en disant que les Parisiens en savent bien plus long que les
provinciaux d'autres soutenant, au contraire, que tous les habi-
tants de cette grande ville ont toujours, dans leur individu, quel-
ques atomes de badauderie. Quoi qu'il en soit, la société se forma
et à qui confia-t-on le soin de défendre la masse commune?. à
M. Chirol.
Quand le banquier parisien vit arriver cette grande figure pâle,
blême, marchant de côté, qui vint s'asseoir enface de lui, il crut
d'abord que c'était une plaisanterie; mais quand il vit le spectre
prendre les cartes et les battre en professeur, il commença à croire
que cet adversaire avait autrefois pu être digne de lui.
Il ne fut pas longtemps à &econvaincre quecette faculté durait
encore; car, non-seulement à cette partie, mais encore à un grand
nombre d'autres qui se succédèrent M. Delins fut battu, opprimé,
plumé tellement, qu'à son départ il eut à nous compter plus de
DESRÊVES. M7
six centsfrancs qui furent soigneusementpartagés entre tous les
associés.
Avantdepartir M.Delinsvmt nous remercier du bon accueil
qu'il avaitreçu de nous cependantil se récriaitsur l'étatcaduc de
l'adversaireque nouslui avionsopposé, et nous assurait qu'il ne
pourrait jamaisse consoler d'avoir lutté avec tant de désavantagecontreun mort.
HéanKat
La conséquencede cesdeux observationsest facileà déduire il
mesembleévidentque le coup qui, dans ces deuxcas avait bou-
leverséle cerveau, avaitrespectéla portiondecet organequiavait
si longtempsété employéeaux combinaisonsdu commerceet du
jeu et sans doutecetteportion d'organe n'avait résistéqueparce
qu'un exercieecontinuelluiavait donné plusde vigueur,ou encore
parce que lesmêmesimpressions,si longtempsrépétées,y avaient
laissédes traces plusprofondes.
MÉDITATION XIX.iM
tmNnenee de t A~e
90.
'AGEa une influence marquée sur la nature des son-
ges.
<rC~)tS~B~ Dans t'énonce, on rêve jeux, jardins, fleurs
~T~~verdureet autres objets riants; plus tard, plaisirs,
amours combats, mariages; plus tard, établisse-
ments, voyages, faveurs du prince ou de ses représentants
plus tard enfin affaires, embarras, trésors, plaisirs d'autrefois
et amis morts depuis longtemps.
MtétMMmèmes dew o~M~es
9i.–Certains phénomènes peu communs accompagnent quel-
quefois le sommeil et les rêves leur examen peut servir aux pro-
grès de l'anthroponomie; et c'est par cette raison que je consigne
ici trois observations prises parmi plusieurs que, pendant le cours
d'une assez longue vie, j'ai eu occasion de faire sur moi-même
dans le silence de la nuit.
PREMIÈRE OBSERVATION.
Je rêvai une nuit que j'avais trouvé le secret de m'affranchir des
lois de la pesanteur, de manière que moncorps étant devenu indif-
férent à monter ou descendre je pouvais faire l'un ou l'autre avec
une facilité égale et d'après ma volonté.
Cet état meparaissait délicieux; et peut-être bien des personnes
ont rêvé quelque chose de pareil mais ce qui devient plus spécial,
c'est que je m'expliquais à moi-même très clairement (ce me semble
du moins) les moyens qui m'avaient conduit à ce résultat, et que
ces moyens me paraissaient tellement simples, que je m'étonnais
qu'ils n'eussent pas été trouvés plus tôt.
DESRÊVES. *M
En m'éveiUant, cette partie explicativem'échappatput-à'&it,
mais la conctusionm'est restée et depuisce temps il m'est im-
possiblede ne pas être persuadé que tôt ou tard un génie pluséciairé fera cette découverte, et à tout hasard je prends date.
BMX!ÈME OBSERVATION.
92.
Ln'y a que peu de mois que j'éprouvai, en dor-
mant, une sensationde plaisir tout-à-faitextraor-
dinaire. Elle consistaiten une espèce de frémis-
sement délicieux de toutes les particules qui
composentmon être. C'était une espèce de four-
~g~miUementplein de charmesqui, partant de l'épi-derme depuis les pieds jusqu'à la tête m'agitait
jusque dans la moelle des os. Mme semblait voir une flamme
violette qui se jouait autour de mon front.
Lambereflammacomas,et circumtemporapasci.
J'estime que cet état, que je sentis bien physiquement, dura au
moins trente secondes, et je me réveillai rempli d'un étonnement
qui n'était pas sans quelque mélange de frayeur.De cette sensation, qui est encore très présente à mon souvenir,
et de quelques observations qui ont été faites sur les extatiques et
sur les nerveux, j'ai tiré la conséquence que les limites du plaisirne sont encore ni connues ni posées, et qu'on ne sait pas jusqu'à
quel point notre corps peut être béatifié. J'ai espéré que dans
quelques siècles la physiologie à venir s'emparera de ces sensations
extraordinaires, les procurera à volonté comme on provoque le
sommeil par l'opium, et que nos arrière-neveux auront par-là des
compensations pour les douleurs atroces auxquelles nous sommes
quelquefois soumis.
La proposition que je viens. d'énoncer a quelque appui dans
MÉDITATION XIX.~)0
l'analogie car j'ai déjà remarqué que le pouvoir de l'harmonie
qui procure des jouissances si vives, si pures et si avidementre-
cherchées, était totalementinconnuauxRomains c'estunedécou-
verte qui n'a pas plus de cinq centsans d'antiquité.
TRO!S!ÈME OBSERVATION.
95.
T~j<=s~~ l'an (i800), m'étant couché sans aucun an-
técédent remarquable, je me réveillai vers une heure
C~du matin temps ordinaire de mon premier som
~j~~J~ meil je me trouvai dans un état d'excitation céré-
brâle tout-à-iait extraordinaire mes conceptions étaient
~t~ vives, mes pensées profondes la sphère de mon intelli-
~~gence me paraissait agrandie. J'étais levé sur mon séant et
mes yeux étaient affectés de la sensation d'une lumière pâle, va-
poreuse, indéterminée, et qui ne servait en aucune manière à
faire distinguer les objets.A ne consulter que la foule des idées qui se succédèrent rapi-
dement, j'aurais pu croire que cette situation eût duré plusieurs
heures; mais, d'après ma pendule, je suis certain qu'elte ne dura
qu'un peu plus d'une demi-heure. J'en fus tiré par un incident
extérieur et indépendant de ma volonté; je fus rappelé aux cho-
ses de la terre.
A l'Instant la sensation lumineuse disparut, je me sentis dé-
cheoir les limites de mon intelligence se rapprochèrent; en un
mot, je redevins ce que j'étais la veille. Mais comme j'étais bien
éveillé, ma mémoire, quoique avec des couleurs ternes, a retenu
une partie des idées qui traversèrent mon esprit.
Les premières eurent le temps pour objet. H me semblait que
le passé, le présent et l'avenir étaient de même nature et ne fai-
saient qu'un point, de sorte qu'il devait être aussi facile de pré-
voir l'avenir que de se souvenir du passé. Voilà tout ce qui m'est
DESRÊVÉS. mi
26
resté de cette première intuition, (tu! fut en pardë enaceë parcellesquisuivirent.
Mon attention se porta ensuitesur les sens; je tes Classâtparordre de perfection,et étant venu à pëhsèr que nous devtbns en
avoirautant à l'intérieurqu'à l'extérieur, je m'occupaià en fairela recherche.
J'en avais déjà.trouvé trois, et presque quatre, quand je re-
tombaisur la terre. Lesvoici
i'La compassion,quiest unesensationprécordialequ'on éprouve
quand on voit souffrirson semblable3* Laprédilection qui est un sentimentde préférencenon seu-
lementpour un objet, mais pour tout ce qui tient à cet objet, ou
en rappellele souvenir3° La sympathie,qui est aussi un sentiment de préférencequi
entraînedeux objetsl'un vers l'autre.
Onpourrait croire, au premieraspect; que ces deux sentiments
ne sont qu'une seule et mêmechose mais cequi empêchede lés
confondre, c'est que laprédilectionn'est pas toujours réciproqueetque la sympathiel'est nécessairement.
Enfin, en m'occupantde la compassion,je fus conduit à une in-
ductionque je crus trèsjuste, et queje n'aurais pas aperçue en un
autre moment, savoir que c'est de la compassionque dérive ce
beauthéorème, base première de toutes les législations
NEFAISPASAUXAUTRESCEQUETUNEVOUDRAISPASQU'ONTE FÎT.
Doas youM)tHdoneby.
ALTERI NE FACIAS QUOD TIB! FIERI NON VIS.
Telleest, au surplus, l'idéequi m'estrestée de l'état oùj'étais et
dece que j'éprouvai dans cetteoccasion que je donneraisvolon-
tiers, s'il était possible, tout le temps qui me reste à vivre pourun moisd'une existencepareille.
Lesgens de lettresme comprendront bien plus facilementquelesautres car il en est peu à qui il ne soit arrivé, à un degré sansdoutetrès inférieur, quelquechosede semblable.
MEDITATION XIX. DES RÊVES.M3
On est; dans son lit, couché bien chaudement, dans une posi-
tion horizontale, et la tête bien couverte; on pense à l'ouvrage
qu'on a sur le métier, l'imaginations'échauffe,lesidéesabondent,
les expressionsles suivent et commeil fautse leverpour écrire,
on s'habille, on quitte son bonnet de nuit, et on se met à son
bureau.
Maisvoilàque tout-à-coupon ne se retrouveplus le même t'i-
magmations'est refroidie,lefildes idéesest rompu,les expressions
manquent on est obligéde chercheravecpeine ce qu'on avait si
facilementtrouvé, et fortsouventon est contraintd'ajourner le tra-
vail à un jour plusheureux.
Toutcela s'expliquefacilementpar l'effetquedoitproduiresur le
cerveaule changementde positionet de température on retrouve
encore ici l'influencedu physiquesur le moral.
Encreusantcetteobservation,j'ai étéconduittrop loinpeut-être;
mais enfinj'ai été conduit à penser que l'exaltationdes Orientaux
était dueen partie à ce que, étant de la religionde Mahomet, ils
ont toujoursla tête chaudementcouverte,et que c'estpour obtenir
l'effetcontraire quetousleslégislateursdesmoinesleur ontimposé
l'obligationd'avoir cettepartiedu corpsdécouverteet rasée.
94.
CEl'homme se repose, qu'il s'endormeou qu'il rêve,H
ne cessed'être sous tapuissancedesloisdela nutrition,et ne sort pas de l'empirede la gastronomie.
La théorie et l'expériences'accordent pour prouver
que la qualité et la quantité des aliments influent puissamment sur
le travail, le repos, le sommeil et les rêves.
ENTets <te la diète sur le travail.
95. L'homme mal nourri ne peut longtemps suffire aux fati-
gues d' untravail prolongé son corps se couvre de sueur bientôt
ses forces l'abandonnent; et pour lui le repos n'est autre chose
que l'impossibilité d'agir.
S'il s'agit d'un travail d'esprit, les idées naissent sans vigueuret sans précision la réQexion se refuse à les joindre; le jugement
M~lTATtON XX.M4
à les analyser le cerveau s'épuise dans ces vains efforts et l'on
s'endort sur le champ de bataille.
J'ai toujours pensé que les soupers d'Auteuil, ainsi que ceux
des hôtels de Rambouillet et de Soissons, avaient fait grand bien
aux auteurs du temps de Louis XtV et le malin Geoffroy ( si let..fait eût été vrai) n'aurait pas tant eu tort quand il plaisantait les
poètes de la fin du dix-huitième sièclesur l'eau sucrée, qu'il croyait
leur boisson favorite.
D'après ces principes, j'ai examiné les ouvrages de certains au-
teurs connus pour avoir été pauvres et souffreteux, et je ne leur
ai véritablement trouvé d'énergie que quand ils ont dû être sti-
mulés par le sentiment habituel de leurs maux ou par l'envie sou-
vent assez mal dissimulée.
Au contraire, celui qui se nourrit bien et qui répare ses forces
avec prudence et discernement, peut suffire à une somme de tra-
vail qu'aucun être animé ne peut supporter.
La veille de son départ pour Boulogne, l'empereur Napoléon
travailla pendant plus de trente heures, tant avec son conseil
d'État qu'avec les divers dépositaires de son pouvoir, sans autre
réfection que deux très courts repas et quelques tasses de café.
Brov~nparle d'un commis de l'amirauté d'Angleterre qui, ayant
perdu par accident des états auxquels seul il pouvait travailler,
employa cinquante-deux heures consécutives à les refaire. Jamais,
sans un régime approprié, il n'eût pu faire face à cette énorme
déperdition il se soutint de la manière suivante d'abord de l'eau,
puis des aliments légers, puis du vin puis des consommés, enfin
de l'opium.
Je rencontrai un jour un courrier que j'avais connu à l'armée,
et qui arrivait d'Espagne où il avait été envoyé en dépêche par le
gouvernement (cotreo~aMam~oAorat.–i~p.); il avaitfait le voyage
en douze jours, s'étant arrêté à Madrid seulement quatre heures;
quelques verres de vin et quelques tasses de bouillon, voilà tout
ce qu'il avait pris pendant cette longue suite de secousses et d'in-
somnie et il ajoutait que des aliments plus solides l'eussent in-
failliblement mis dans l'impossibilité de continuer sa route.
INFLUENCE DE LA DtÈTE. aM
Sur ler fève~
9~.
Adiète n'a pas une moindre inQuencesur
f S~SS~r sommeilet sur les rêves.
'MaB~ T" besoinde manger ne peut pas
f~~MB dormir; les angoissesde son estomacte tien-
~~HjNHF~ °~°~ dans réveil douloureux et si !a
Fj~ faiMesseett'épuisementleiqrcent a s~as-
Jf~ soupir, ce sommeilest léger, inquiet et in-
terrompu.
Celuiqui, au contraire, a passé dans son repas les bornes de
la discrétion tombe immédiatement dans le sommeil absolu s'il
a rêvé, il ne lui reste aucun souvenir, parce que !e fluide nerveux
s'est croisé en tous sens dans les canaux sensitifs. Par la même
raison son réveil est brusque il revient avec peine à la vie sociale;
et quand le sommeil est tout-à-fait dissipé, il se ressent encore
longtemps des fatigues de la digestion.
On peut donc donner comme maxime générale, que le café
repousse le sommeil. L'habitude affaiblit et fait même totalement
disparaître cet inconvénient; mais il a infailliblement Heu chez
tous les Européens, quand ils commencent a en prendre. Quel-
ques aliments, au contraire, provoquent doucement ]~esommeil
tels sont ceux où le lait domine, la famille entière des laitues la
volaille, le pourpier, la fleur d'oranger, et surtout la pomme de
reinette, quand oh la mange immédiatement avant dese coucher.
.y. ,t
s~,d:.
97. L'expérience, assise s~r des millionsd'observations a
appris que la di~tedétermineles rêves.
~n gênerai ~opsles atimentsq~i sont légèrementexcitants~qnt
MÉDITATION XX.MO
rêver telles sont les viandes,noires, les pigeons, le canard, le
gibier, et surtout le lièvre.
On reconnaît encore cette propriété aux asperges au céleri,aux truffes aux sucreries parfumées et particulièrementà la
vanille.
Ce serait une grande erreur de croire qu'il fautbannir de nos
tables les substancesqui sont ainsi somnifères car les rêves quien résultent sont en général d'une nature agréable, légère, et
prolongentnotre existence, mêmependantle temps où elleparaît
suspendue.Il est des personnes pour qui le sommeil est une vie à part,
une espèce de roman prolongé, c'est-à-direque leurs songes ont
une suite, qu'ils achèventdans la secondenuitceluiqu'ils avaient
commencé la veille et voient en dormant certaines physiono-mies qu'ils reconnaissentpour les avoir déjà vues, et que cepen-dant ils n'ont jamais rencontréesdans le monde réel.
MéMtKat
'HOMMEqui a réfléchisur sonexistence
physique, et qui la conduitd'après les
principesque nous développons, ce-
lui-là prépare avecsagacitéson repos,son sommeilet ses rêves.
Il partage son travail de manière à
ne jamais s'excéder il le rend plus
téger en le variant avecdiscernement,
et rafraîchitson attitudepar de courts
intervatiesde repos, qui le soulagent
sans interrompre )a, continuité, qui
est quelquefoisun devoir.
Si, pendant le jour, un repos plus
long lui est nécessaire, il ne s'y livre jamais que dans Fattitude
INFLUENCE DE LA DIÈTE. s<~
de session il se refuse au sommeil, à moins qu'S n'y soit
invinciblemententrainé, et se garde bien surtout d'en contracter
l'habitude.
Quand la nuit a amenél'heure du repos diurnal, i) se retiredans une chambre aérée, ne s'entoure point de rideaux qui lui
feraientcent ibis respirer le mêmeair, et se garde bien de fermer
les volets de ses croisées, afin que, toutes les foisque son œil
s'entr'ouvrirait, il soitconsolé par un reste de !umière.Il s'étend dans un lit légèrementrelevé vers la tête son oreil-
ler est decrin; sonbonnetde nuitest detoile; son busten'est pointaccablésous le poidsdescouvertures;mais il a soinque ses piedssoientchaudementcouverts.
Il a mangéavecdiscernement,ne's'est refuséà la bonne ni à
l'excellentechère; il a bu les meilleursvins, et avecprécautionmêmeles plus fameux. Au dessert, il a plus parlé de galanterie
quede politique, et a fait plusde madrigauxque d'épigrammes;il a pris une tasse de café, si sa constitutions'y prête, et accepté,
après quelquesinstants, une cuilleréed'excellenteliqueur, seule-
ment pour parfumer sa bouche. En tout il s'est montréconvive
aimable, amateurdistingué, et n'a cependant outrepasséque de
peu la limitedu besoin.
En cet état, il f~ecouchecontentde lui et des autres, ses yeux
se ferment; il traverse le crépuscule, et tombe, pour quelques
heures, dans le sommeilabsolu.
MÉDITATION Et INFLUENCE DÉ LÀ DIÈTE.M<
Bientôtlanatutreà !evé sontribut; l'assimitatibn a remplacé
perte. A!orsdés rêvesàgréàMësviennenttm dbHhërune ëx~steticë
mystérieuse il voit tes personnesqu'it aime retrouve ses bccu-
patiohs favorites, et se transporte aui tieux ou il s'est plu.
EnSh,il sent!é sommeHse dissiperpar degrés et rentre danslà
société sans avoir à regretter de temp~perdu, parceque, même
dans sonsommën, il ajout d'une activité sansfatigueet d'un ptai-sir sans mélange.
27
99.
) j'avais été médecin avec diplôme, j'aurais d'a-
bord fait une bonne monographie de l'obésité;
j'aurais ensuite établi mon empire dans ce re-
coin de la science; et j'aurais eu le double
avantage d'avoir pour malades les gens qui se
portent le mieux, et d'être journellement assiégé
par la plus jolie moitié du genre humain car
avoir une juste portion d'embonpoint, ni trop ni peu, est pour les
femmes l'étude de toute leur vie.
Ceque je n'ai pas fait, un autre docteur le )!era et s'il est à la
fois savant, discret et~eau garçon, je lui prédis des succès à
miracles.
ExoriareaUquisnostrisexossibastfBrM
Enattendant, je_vaisouvrirla carrière car un articte surl'obé-
MÉDITATION XXI.sto
sité est de rigueur dans un ouvragequi a pour objet l'hommeen
tantqu'ilserepait.
J'entends par obésitécet état de congestiongraisseuse où, sans
que l'individusoitmalade, les membresaugmententpeu à peu en
volume,et perdent leur formeet leur harmonieprimitives.
Hest une sorte d'obésité qui se borne au ventre; je ne l'ai ja-
mais observéechez les femmes comme elles ont généralement
la fibre plusmolle, quand l'obésitélesattaque, ellen'épargnerien.
J'appellecette variété~cMtropAorte,et ~<M<ropAorMceuxquien sont
atteints. Je suismêmede ce nombre mais, quoiqueporteur d'un
ventre assez proéminent, j'ai encorele bas de la jambe sec, et le
nerf détachécommeun cheval arabe.
Je n'en ai pas moins toujours regardé mon ventre comme un
ennemiredoutaHe je l'ai vaincuet 6xéaumajestueux maispour
DE LOBÉStTÉ. Mt
le vaincre, il fallaitle combattre c'est à une lutte de trente éns
queje dois ce qu'il y a de bon dans cet essai.
Je commencepar un extraitde plusde cinq centsdialoguesque
j'ai eus autrefoisavec mes voisinsde table menacésou afHigé~de
t'obésité.
L'OBÈSE. Dieu quel pain délicieux.Oùle prenez-vousdonc?
Moi. ChezM. Limet, rue de Richelieu il est le boulangerde LL.AA.RR.le duc d'Orléanset le prince de Condé je l'ai pris
parce qu'il est mon voisin, et je le garde parce que je l'ai pro-claméle premier panificateurdu monde.
L'OBÈSE. J'en prends note je mangebeaucoup de pain et
avecde pareillesflûtesje me passeraisde tout le reste.
AcTREOBÈSE. Maisque faites-vousdonc là? Vousrecueillezle
bouillon de votre potage, et vous laissez ce beau riz de ta Ca-
roline.
Mo!. C'e&tun régimeparticulierqueje mesuis fait.
L'OBÈSE.-Mauvais régime, le riz tait mesdélicesainsi queles
fécules, les pâtes et autres pareilles rien ne nourrit mieux, à
meilleurmarché, et avec moinsde peine.
UNOBÈSErcM/brc~. Faites-moi, monsieur, le plaisir de me
passer les pommesde terre qui sont devant vous. Autrain dont on
va, j'ai peur de ne pas y être à temps.
Mot. Monsieur,les voilàà votreportée.
L'OBÈSE. Maisvous allez sans doute vous servir? il y en a
assez pour nousdeux, et après nous le déluge.
Mot.-Je n'enprendrai pas je n'estimela pommede terre quecommepréservatifcontre la famine à celaprès, je ne trouve rien
de plus éminemmentfade.
L'OBÈSE. Hérésiegastronomique rien n'est meilleurque les
pommesde terre; j'en mange de toutes les manières et s'il en
parait au second service, soit à la lyonnaise, soit au souNé, jefaisici mes protestationspour la conservationde mes droits.
M~TAT;P~~1.M*
BAMM~t. youg Mriezbien bon Styp~senvoyez cher.
cher pour moi de ce~hariGO~de ~pissonsque ~per~q'9 ~u bout
~t8b~,MN<apret avoir <a:<CM«rof~ on chantant<pM<bas MM«tr
COMKM:
Les Soissonnais sont heureux,
Les haricots sont chez eux.
L'OBÈSE. Ne plaisantezpas; c'est un vrai trésor pour ce pays-
là. Paris en tire pour des sommesconsidérables.Je vousdemande
grâce aussi pour tes petites fèves de marais, qu'on appelé fèves
anglaises; quand elles sont encore vertes, c'est un manger des
~M.
Moi.Anathèmeaux haricots anathème aux fèvesde marais.
L'OBÈSE,d'un atf résolu. Je me moquede votre anathème
ne dirait-on pasque vous êtesà vousseultout un concile?
M<M,owe <M~re.–r Je vous félicitesur votre belle santé ilme
semble, madame, que vous avez un peu engraissédepuis la der-
nière fois que j'ai eu l'honneur de vousvoir,
L'OBÈss. Je ~edois probablementà mon nouveaurégime.
Moï.–Comment donc?i
L'OBÈSE. Depuisquelque temps je déjeune avec une bonne
soupe grasse,un bowl commepour deuxet quellesoupe encore!
la cmite'*y tiendraitdro!jte.
Moi, a uneautre. Madame, si vos yeux ne me trompent pas,
vous accepterez.unmorceaude cette charité ? et je vaisl'attaquer
en v<~epayeur.
L'OBÈSE. Eh bien monsieur, mes yeux vûMStrompent j'ai
ici~eux ab~s de jprédHection,e~ils sont tousdu genremasculin
restée gâteau de nz ~.côtesdorées, et çe gigan~sque~sc~ de
;Say<Me!jCM-v~us.sajuriez~our votre~e ~e je ra~Ie des p~tis-
se~saerées.
Tttf T~n~T&Ct'W~
Mot,a Mttea<t<fe. Pendantqu'onpolitique tâchas, voûtez-vous,madame, quej'injtënpgë popr vous cpttecourtea ta fjran~pane~
Ï/OBÈSE. Très volontiers rien ne me va mieux que p~tisseriè. Nousavons un pâtissierpour tocataire; et, entre ma RHe
et moi, je croisbien que nous absorbonsle prixde ta tocatiop, et
peut-être au-delà.
Mo!,aprMafotrre~afac!ajeMMeper~o<m6.–Ce régimevouspro-
nte à merveiUe;mademoiseHevotre filleest une très be!!e per-
sonne, armée de toutespièces.
L'OBÈSE. Eh bien croiriez-vousqueses compagnestui disent
quelquefoisqu'elle est trop grasse~
Mot. C'est peut-êtrepar envie.
L'OBÈSE.–Cela pourrai Menêtre. Ausurplus, je la marie,et le
premier enfant arrangera tout cela.
C'estpar des discourssemblablesquei'éctaircissaisune ibéorie.t:<'i
dont j'ayais prtstes jétémentshorsdjet'espècehumaine savo!r que
MEDITATION XXI.M4
la corpulencegraisseusea toujourspourprincipalecauseune diète
trop chargée d'élémentsféculentset farineux,et queje m'assurais
que le même régimeest toujours suividu mêmeeffet;
Effectivement les animauxcarnivores ne s'engraissentjamais
( voyezlesloups, leschacats,tes oiseauxdeproie, le corbeau;etc.).Lesherbivoress'engraissentpeu, du moins tant que F âgene les
a pas réduits au repos et au contraire ils s'engraissentviteet en
tout temps,aussitôtqu'on leur a faitmanger des pommesdeterre,des grainset des farinesde toute espèce.
L'obésiténe se trouve jamais ni chez les sauvages, ni dans
lesclasses de la sociétéoù on travaillepour manger et où on ne
mange que pour vivre.
Causes de t ~bestté
iOO.
'APRÈSles observationsquiprécèdent, et dont
chacunpeutvériner l'exactitude, il est facile
'~jj~ d'assignerles principalescausesde l'obésité.
~M La premièreest la dispositionnaturelle de
'~NBT~.jt'S~Presque tous leshommes naissent
avec certainesprédispositionsdont leur phy-sionomie porte l'empreinte. Sur cent per-
sonnesquimeurentdeta poitrine,quatre-vingt-dixont les cheveux
bruns, le visagelong et le nez pointu. Sur cent obèses, quatre-
vingt-dixont le visagecourt, les yeux ronds et le nez obtus.
Hest donc vrai qu'il existedes personnesprédestinéesen quel-
que sorte pour l'obésité, et dont, toutes choses égales, les puis-sances digestivesélaborentune plus grandequantité de graisse.
Cette vérité physique, dont je suis profondémentconvaincu,
influed'une manièrefâcheusesur ma manièrede voir en certaines
occasions.
Quandon rencontre dans la sociétéune demoisellebien vive,
DEL'OBÉStTÉ. M<
bien rosée, au nezfripon, aux formesarrondies, am!mains ron-
delettes, auxpiedscourtset grassouillets, tout le mondéest ravi
et ta trouvecharmante, tandis que, instruit par l'expérience, je
jette sur elledes regardspostérieursdedix ans, je voisles ravages
que l'obésitéaura faits sur ces charmes si frais, et je gémis sur
desmauxqui n'existentpas encore. Cettecompassionanticipéeest
un sentiment pénible, et fournit une preuve entre mille autres,
que Fhotumeserait plusmalheureuxs'il pouvait prévoir l'avenir.
Lasecondedesprincipalescauses de l'obésitéest danslesfarines
et féculesdont l'homme fait la base de sa nourriture journalière.Nousavons déjà dit, tousles animauxqui viventde farineuxs'en-
graissentde gré oude force; l'homme suitla loicommune.
La féculeproduit plus viteet plussûrementson effetquand elle
est unie au sucre le sucre et la graissecontiennentl'hydrogène,
principequi leur est commun; l'un et l'autre sont inflammables.
Aveccetamalgame, elle est d'autant plus active qu'elle flattepluslegoût et qu'on ne mangeguère les entremets sucrés que quand
l'appétitnaturel est déjà satisfait, et qu'il ne,resteplus alors quecet autre appétitde luxe qu'onest obligéde solliciterpar tout ce
quel'art a de plusraffinéet le changementde plus tentatif.
La féculen'est pas moins incrassante quandelle est charroyée
par les boissons, commedans la bière et autres de la même es-
pèce.Lespeuplesqui en boiventhabituellementsont aussiceuxoù
on trouve les ventreslesplusmerveilleux,et quelquesfamillespa-
risiennes qui, en 1817,burent de la bière par économie, parce
que le vin était fortcher, en ontété récompenséespar un embon-
point dont ellesne saventplusque faire.
SmMe
i0i.
Unedoublecaused'obésitérésultedelaprolongationdu sommeil
et du défaut d'exercice.
MEt~T'108 ~1.
te corpsnumaiit réparéBeaucouppendantlé sommeil et dans
? mêmeternes it perdpeu, puisquet'àctidh MiëëuMu~est sus-
pendue. it faudrait dôhCque te superQuacquis fut évapore parf exercice;mais, par ce!amêmequ'on dort beaucoup, oit limite
d~autantte tempsoù l'on pourrai agir.Par une autre conséquence,les grands dormeurs se refusentà
tout ce qui leur présentejusqu'à l'ombre d'une tatiguë; l'excédant
de l'assimilationest doncemporté par le torrent de la circulation;il s'y charge, par une opérationdônt la nature s'est réservé le se-
cret, de quelquesCentièmesadditionnelsd'hydrogène,et lagraissese trouveformée,pour être déposéepar le mêmemouvementdans
les capsulés du tissucellulaire.
SHtMè
i02.
_J§SJ~'H'1J.~ dernière caused'obésitéconsistedansl'excès du
~S~Ï~~mangeret du boire.
<gM~ On à eu raison de dire qu'un des ~rivuégësde
~SB~~°~~ rëspèce humaineest de manger sans avoir faimet
de boiresans avoir soif; et, en eSët, il ne peut appartenir
Mb aux bétës car il na!t delà réflexionsur le plaisirde la table
et du désir d'en prolonger la durée.
Ona trouvé ce doublepenchantpartout où l'on à trouvé des
hommes et on sait que les sauvages mangent avec excès et
s'enivrent jusqu'àl'abrutissement,toutesles foisqu'ils en trouvent
l'occasion.
Quant à nous, citoyens des deux mondes, qui croyons êtreà
l'apogée de la civilisation,il est certain que nous mangeonstrop.Je ne dispas cela pourle petit nombrede ceux qui, serréspar
l'avarice ou l'impuissance,vivent seuls et à l'écart les premiers,
réjouisde sentirqu'ils amassent; les autres, gémissantde ne pou-
voir mieux~re maisje le dis avecàmrmàttdnpour tous ceuxqui,circulant autour de nous, sont tour-à-tour àmpMfryons ou
DE L'OBÉSITÉ. M?
38
convives, onrent avec politesseou acceptentaveccotittptaisance;
qui, n'ayant déjà plus de besoin, rangent d'un mets parcequ'il
est attrayant, et boiventd'un vinparcequ'il estétranger;jeté dis,
soit qu'ils siègentchaquejour dans un salon, soit qu'ilsfêtent seu-
lementle dimancheet quelquefoisle lundi dans chaquemajorité
immense tous mangentet boivent trop, et des poids énormes*en
comestiblessontchaquejour absorbéssans besoin.
Cettecause, presque toujours présente, agit différemment,sui-
vant la constitutiondes individus et pour ceuxqui ont l'estomac
mauvais, ellea pour effet nonl'obésité, mais l'indigestion.
A)Med<tte.
<05.
ous en avons sous les yeux un exemple que la moi-
~3~(~ tié de Paris a pu connaître.
)N~~t~~St M. Lang avait une des maisonsles plus brillantes
P~S~ de cette ville; sa table surtout était excellente,
mais son estomac était aussi mauvais que sa gourmandise
X~ était grande. II faisait parfaitement les honneurs, et man-
geait surtout avec un courage digne d'un meilleur sort.
Tout se passait bien jusqu'au café inclusivement; mais bientôt
l'estomac se refusait au travail qu'on lui avait imposé, les douteurs
commençaient, etle malheureux gastronome était obligé de se je-
ter sur un canapé, où il restait jusqu'au lendemain à expier dans
de longues angoisses te court plaisir qu'il avait goûté.
Cequ'il y a de très remarquable, c'est qu'il ne s'est jamais cor-
rigé tant qu'il a vécu, il s'est soumis à cette étrange alternative
et les souffrances de la veille n'ont jamais influé sur le repas du
lendemain.
Chez les individus qui ont l'estomac actif, l'excès de nutrition
agit comme dans l'article précédent. Tout est digéré, et ce qui
MÉptTfATtON XXî.
n'est pas n~ssaireppu!* la réparation du corps se fixe et se tourne
engraisse.Chez tes autres, H y a indigestion perpétuelle: les aliments
déSIent sans faire prp~t, et ceux qui n'en connaissent pas la cause
s'étpnnent que tant de bonnes choses ne produisent pas un meil-
leur résultat
On ddtt bien s'apercevoir que je n'épuise point minutieusementt
la matière car il est une foule de causes secondaires qui naissent
de nos habitudes, de l'état embrassé, d~ nos manies, de nos plai-
sirs, qui secondent et activent celles que je viens d'indiquer.
Je lègue tout cela au successeur que j'ai planté en commençant
ce chapitre,.et me contente de préliber, ce qui est le droit du pre-
mier venu en toute matière.
Il y a longtemps que l'intempérance a fixé les regards des ob-
servateurs. Les philosophes ont vanté la tempérance les princes
ont faitdes lois somptuaires, la religion a moralisé la gourmandisehélas on n'en a pas mangé une bouchée de moins et l'art de
trop manger devient chaque jour plus florissant.
Je serai peut-être plus heureux en prenant une route nouvelle
j'exposerai les tHcoMCëmM'X~physiquesde !'o&~t<e; le soin de soi-
même (M<pt'~e~catMM)sera peut-être plus influent que là morale,
plus persuasif que les sermons plus puissant que les lois et je
crois le beau sexe tout disposé à ouvrir les yeux à la lumière.
<Me«mvémtMt«) de t «béttté#
104.
<<~p~<~s~~@~'<)BÉsn'Ë a une influence fâcheuse sur les deux
~ksexes en ce qu'elle nuit à la force et à la beauté.
at~~RR~~T Elle nuit à!a force, parce qu'en augmentant le
poids de!a masse à mouvoir, elle n'augmente
pas la puissance motrice; elle y nuit encore en
J(j~tg~nant)a respiration, ce qui rend impossible
tout travail qui exige u~ emploi prolongé de la iorce musculaire.
DE fL'OBÉStTÉ. ~9
L'obésiténuit àla beauté endétruisantt'harmomëde proportion
primitivementétablie; parceque toutes les partiel ne grossissèAt
pasd'unemanièreéga!e.Elley nuit encore en remplissantdescavitésquêta nature avait
destinéesfaire ombre aussi, rien n'est si commun que de ren-
contrer des physionomiesjadis très piquantes et que l'obésité à
rendues à peuprès insigniSantes.Le chef du derniergouvernementn'avait pas échappéà cette
loi. Il avait fort engraisséjans ses derniëtBs campagnes,de pâteil était devenu Matard, et ses ~eux avaientperdu une partie de
leurSerté.
L'obésitéentraine avecellele dégoût pour la danse; !à prome-
nade, l'équitation,ou l'inaptitude pour toutes Ïés occupationsou
amusementsqui exigentun peu d'agiHtéoù d'adresse.
Elle prédisposeaussià diversesmaladies,teHësque t'apopkxië,
l'hydropisie,les ulcèresauxjambes, et rend toutes les autres â~
iectionsplusdifficilesà guérir.
Exexnptett ~t «MaM~.
i05.
AMHtes héros corpulents, je n'ai gardé le soù-
~B~ venir que de ]Mariuset de Jean Sobieski.
-Sn~ Marius,qui était de petite taille, était devenu
~B~ aussi large que long, et c'est peut-être cette
J~~j! énormitéqui effraya le Cimbrechargéde te tuer'
~it~ Quant au roi de Pologne, son obésité pensa
lui être funeste,car, étant tombé dans un grosde cavalerieturque devant lequel il fut obtfgéde fuir, ta respira-tion lui manquabientôt, et il aurait été }nMHib!en]fentmassacré,si quelques-unsde ses aides-de-campne!'avaient souteNu.pré~squeévanouisur sonchevat,tandis qued'autres se sâcfinaiëhtgénéreu-set~eatpQjaraMêtert'ennemi.
je as met)FO,mpe,'~uc de Veadôme,cedigne6~ uù g~ànd
MO MEDITATION XX!.
Henri, était aussi d'une corpulence remarquable. Il mourut dans
une auberge, abandonné de tout le monde, et conserva assez de
connaissance pour voir ]e dernier de ses gens arracher le coussin
sur lequel il reposait au moment de rendre le dernier soupir.Les recueils sont pleins d'exemples d'obésité monstrueuse je
les y laisse pour parler en peu de mots de ceux que j'ai moi-même
recueillis. <
M. Rameau; mon condisciple, maire de la Chaleur. en Bourgo-
gne, n'avait que cinq pieds deux pouces, et pesait cinq cents.
M. le duc de Luynes, à côté duquel j'ai souvent siégé, était de-
venu énorme; la graisse avait désorganisé sa belle figure, et il
avait passé les dernières années de sa vie dans une somnolence
presque habituelle.
Mais ce que j'ai vu de plus extraordinaire en ce genre était un
habitant de New-York, que bien des Français encore existants à
Paris peuvent avoir vu dans la rue de Broadway, assis sur un
énorme fauteuil dont les jambes auraient pu porter une église.
Edouard avait aumoins cinq pieds dix pouces, mesure de France,
et comme la graisse l'avait gonflé en tous sens, il avait au moins
huit pieds de circonférence. Ses doigts étaient comme ceux de cet
empereur romain à qui les colliers de sa femme servaient d'anneaux;
ses bras et ses cuisses étaient tubulés, de la grosseur d'un homme
de moyennestature, et il avait les pieds comme un éléphant, cou-
verts par l'augmentation: de ses jambes le poids de la graisse
avait entraîné et fait bâiller la paupière inférieure mais ce qui le
rendait hideux à voir, c'était trois mentons en sphéroïdes qui lui
pendaient'sur la poitrine dans la longueur de plus d'un pied, de
sorte que sa figure paraissait être lechapiteau d'unecolonne torse.
Danscet état, Edouard passait sa vie assis près de la fenêtre d'une
salle basse qui donnait sur la rue, et buvant de temps en temps un
verre d'ale, dont un pitcher de grande capacité était toujours au-
près de lui.
Une figure aussi extraordinaire ne pouvait pas manquer d'arrê-
ter lespassants mais il ne fallait pas qu'ils ymissent trop de temps,
Edouard ne tardait pas à les mettre en fuite, en leur disant d'une
DEL'OBÉStT~ Mt
voixsépulcrale < Wathaveyou to stare t!ke wiMcats Goyour«way youlazy body. Be goneyou goodfort nôthïttgdogs »
( Qu'avez-vousà regarder d'un air effaré, commedes chats sau-
vages?. Passez votrechemin,paresseux. Allez-vous-en,chiens
de vauriens!) et autres douceurs pareilles.
t/ayant souventsalué par son nom, j'ai quelquefoiscausé avec
lui il assuraitqu'il ne s'ennuyaitpoint, qu'il n'était pointmalheu-
reux, et que si la mort ne venaitpoint le déranger, il attendrait
volontiersainsi la fin du monde,
De ce qui précède il résulte que si l'obésitén'est pas une ma-
ladie, c'est au moinsune indispositionfâcheuse,dans laquellenous
tombonspresquetoujourspar notre faute.
Il en résulte encore que tous doiventdésirer de s'en préserver
quand ils n'y sont pas parvenus, oud'en sortir quandilsy sont ar-
rivés et c'est en leur faveurque nousallonsexaminerquellessont
les ressourcesque nousprésente la scienceaidéede l'observation.
~rottnn~tt pr~Mttf CMfttr~t~ ~b«nf<. (t)
i06.
Ëcommence par un tait qui prouve qu'il faut du
courage, soit pour se préserver, soit pour se
guérir de l'obésité.
M. Louis t~nuthe, que sa majesté honora
plus tard dutitre de comte, vint me voir un ma-
tin, et me dit qu'M avait appris que je m'étais
occupé de l'obésité qu'il ep ~ta~t(o~ëment menacé, et qu'il venait
me demander des conseils,
< Monsieur, ta! dis-je. n'étant pa$ docteur à diplôme, je suis
< maître de vous refuser cependant J6 suis à vos ordres, mais à
< une condition c'est que VÔ(Mdonnerez votre parole d'honneur
< de suivre, pendant un mois, a~c une exactitude rigoureuse, la
< règle de conduite que je vous donnerai.
(<)Hya a environ vingt ans que j'avais entrepris un traité e~pfe/MMSur l'obésité.
Mes lecteurs doivent surtout en regretter la préface elle avait la forme dramati-
que, et j'y prouvais à un médecin que la fièvre est bien moins dangereuse qu'un
procès, car ce dernier, après avoir fait courir, attendre, mentir, pester le plaideur,
après l'avoir indéfiniment privé de repos, de joie et d'argent, finissait encore par le
rendre malade et le faire mourir de malmort vérité tout aussi bonne à propager
qu'aucune autre.
TRAÏTË~JEttTbE L'éBt~ITÉ.
M.GreSutheStlà promesse exigée, ëti me panant 1~ ~aih, etdès le lendemainje lüi devrai mon ~Btvâ,dont le premieràrttcleétaitdese peserau commencementet à la 6tldutraitement, à l'ëSet
d'avoirune base mathématiquepour en vériËerlerésuUat.Aun moisdelà, M. GreiMherevint thé voir, et me parla à peu
près en ces termes
Monsieur,dit-il,j'ai suivivotre prescriptioncommesi ma vie< en avait dépendu, et j'ai vérinéque dans le mois, le poidsde<mon corpsa diminué dé trois livres,mêmeUti peu p!us. Mais<pour parvenirà ce résumât, j'ai été obligé de Mrë à tous mes
<goûts, à toutes meshabitudes, une teiïe violènce,en un mot,<j'ai.tant souffert qu'en vous faisant tous mes remërcîmëhtsde<vos bons Conseils,je renonce au bien qui peut m'en provémr<et m'abandonnepour l'avenir à ce qué là Providenceen ordon-<nera. »
Aprèscette résolution, que je n'entendis pas sans peine, l'évé-nementfutce qu'il devaitêtre M. GreSulhédevintde pluseh plus'
corpulent, futsujetaux inconvénientsdé l'extrêmeobésité, et à
peineâgéde quaranteans, mourut dessuitesd'unemaladiesuno-catoireà laquelleil était devenusujet.
CénéMtMtéa.
i07.
NjtEcurede t'obésitédoitcommencerpar ces trois
préceptes de theone absolue discrétion dans le
manger, modération dans le sommeil, exerciceà
piedou achevât.
Ce sont les premières ressourcesque nous pré-sentela sctence~cependantj'y comptepeu, parce queje conqaisles hommeset leschoses, et que toute prescriptionqui n'est pasexécutéeà !a lettrene peut pasproduired'effet.
Or, 1" il f~utbeaucoup de caractère pour sortir de table avec
MÉDITATION XXH.M4
appétit tant que ce besoin dure, un morceau appelle l'autre avec
un attrait irrésistible et en général on mange tant qu'on a faim
en dépit des docteurs, et même à l'exemple des docteurs.
2" Proposer à des obèses de se lever matin, c'est leur percer le
coeur ils vous diront que leur santé s'y oppose; que quand ils se
sont levés matin, ilsne sont bons à rien toute la journée; les femmes
se plaindront d'avoir les yeux battus; tous consentiront à veiller
tard, mais il se réserveront de dormir la grasse matinée et voilà
une ressource qui échappe.
5~Monter à cheval est un remède cher, qui ne convientni à toutes
les fortunes, ni à toutes les positions.
Proposez à une jolie obèse de monter à cheval, elle y consentira
avec joie, mais à trois conditions la première, qu'elle aura à la
fois un beau cheval, vif et doux; la seconde, qu'elle aura un habit
d'amazone frais et coupé dans le dernier goût; la troisième, qu'elleaura un écuyer d'accompagnement complaisant et beau garçon. Ilest assez rare que tout cela se trouve, et on n'équite pas.
L'exercice à pied donne lieu à bien d'autres objections il est fa-
tigant à mourir, on transpire et on s'expose à une fausse pleurésie;
la poussière abime les bas, les pierres percent les petits souliers
et iln'y apas moyen de persister. Enfin si, pendant ces diverses ten-
tatives, il survient le plus léger accès de migraine, si un bouton
gros comme la tête d'une épingle perce la peau, on le met sur le
compte du régime, on l'abandonne, et le docteur enrage.
Ainsi, restant convenu que toute personne qui désire voir dimi-
nuer son embonpoint doit manger modérément, peu dormir, et
faire autant d'exercice qu'il lui est possible, il faut cependantchercher une autre voie pour arriver au but. Or, il est une méthode
infaillible pour empêcher la corpulence de devenir excessive, ou
pour la diminuer, quand elle en est venue à ce point. Cette mé-
thode, qui est fondée sur tout ce que la physique et la chimie ont
de plus certain, consiste dans un régime diététique approprié à
l'effet qu'on veut obtenir.
De toutes les puissances médicales, le régime est la première,
parce qu'il agit sans cesse, le jour, la nuit, pendant la veille,
TRAITEMENT DE t/OBÉSITË. ?5
39
pendantle sommeil que l'effet s'en ra<ra!chità chaquerepas, et
qu'il 6nit par subjuguer toutes tes parties de l'individu. Or, lé
régime antiobésiqueest indiquépar la causela plus communeet
la plus activede F obésité, et puisqu'ilest démontré que ce n'est
qu'à forcede farineset de féculesque lés congestionsgraisseusesse forment, tant chez l'hommeque chez les animaux; puisque, à
l'égard de cesderniers, cet effet se produitchaquejour sous nos
yeux, et donne lieu au commerce des animaux engraissés on
peuten déduire, commeconséquenceexacte, qu'une abstinence
plusou moins rigidede tout ce qui est farineuxou féculent con-
duit à la diminutionde l'embonpoint.
0 mon Dieu!allez-voustousvousécrier, lecteurset lectrices.
< 6 mon Dieu maisvoyezdonc commeleprofesseurest barbare!
< voi)àque d'un seul mot il proscrit tout ce que nous aimons,
< ces pains si blancsde Limet, ces biscuitsd'Achard, cesgalettes
< de. et tant de bonnes choses qui se font avec des farines
<et du beurre, avecdes farines et du sucre, avec des farines
1 dusucre et des œufs Il ne fait grâce ni aux pommesde terre,
1 ni aux macaronis!Aurait-ondû s'attendre à ce!a d'unamateur
< qui paraissaitsi bonP
< Qu'est-cequej'entends là? ai-jeréponduen prenant ma phy-< sionomiesévère, que je ne mets qu'une fois l'an; eh bien
mangez, engraissez; devenezlaids, pesants, asthmatiques et
< mourezde gras-fondu;je suis ta pouren prendre note, et vous
< Sgurerezdans masecondeédition. Maisquevois-je?une seule
phrase vous a vaincus;vousavez peur, et vous priez poursus-
pendre la foudre, Rassurez-vous;je vaistracer votrerégime,
et vous prouver que quelquesdélicesvousattendentencoresur
cette terre où l'on vit pour manger.< Vous aimez le pain eh bien, vous mangerez du pain de
seigle l'estimableCadet de Vaux en a depuis longtempspré-
< conisé les vertus il est moins nourrissant, et surtout il est
moinsagréable ce qui rend le précepte plus facile à remplir.
< CarpQtHCSÏ~aûfdesoi, il faut surtout fuir la tentation. Rete-
< nez~ë~~ect~c~tdela morale.
MÉDITATION XXU.M9
< Vous aimez le potage, ayez-le à la julienne, aux légumes< verts, auxchoux, aux racines; je vous interdis pain, pâtes et
«purées.
i Au.premier service, toutestà votre usage, à peu d'excep-tionsprès: commele riz aux volailleset la croûte des pâtés
< chauds. Travaillez, mais soyez circonspects, pour ne pas sa-
tisfaireplus tard un besoinqui n'existeraplus.
< Le secondserviceva paraître, et vous aurezbesoin de philo-< sophie. Fuyez les farineux, sous quelque forme qu'ils se pré-< sentent; ne vous reste-t-ilpas le rôti, la salade, les légumes< herbacés? et puisqu'il faut vous passer quelquessucreries,pré-< térez la crème au chocolat et les gelées au punch, à l'orange< et autres pareilles.
< Voilàle dessert.Nouveaudanger maissijusque-làvousvous
< êtes bien conduits, votre sagesseira toujours croissant.Défiez-
< vous des bouts de table (ce sont toujoursdes briochesplus ou
< moins parées); ne regardez ni aux buiscuitsni aux macarons;< il vous reste des fruits de toute espèce, des confitures, et
bien des chosesque vous saurez choisir si vous adoptez mes
< principes.
« Après dmer, je vous ordonne le café, vous permets la li-
t queur, et vous conseillele thé et le punch dans l'occasion.
< Audéjeuner, le pain de seiglede rigueur, le chocolatplutôt< que le café.Cependantje permets le café au lait un peu fort
point d'oeufs 'toutle reste à volonté.Maison ne saurait déjeu-
<r ner de trop bonneheure. Quandondéjeunetard, le dîner vient
< avant que la digestion soit faite; on n'en mangepas moins; et
< cettemangeriesans appétitest une causedel'obésitétrès active,
<rparce qu'elle a lieu souvent.
TRAITEMENT DE L'OBÉStTE. M)
Sntte <t~ f~ttme
108.
0~tm~fSQC!Ctje vous ai tracé, en père tendre et un peu
complaisant,les limites d'un régimequi repousse
~JJ!robésitéqui vousmenace ajoutons-yencorequel-
ques préceptescontre cellequi vous a atteints.
Buvez, chaque été, trente bouteilles d'eau de
Seltz un très grand verre le matin, deux avant le déjeuner,et
autant en vous couchant. Ayezà l'ordinaire des vins blancs, lé-
gers et acidules, commeceux d'Anjou. Fuyez la, bière commela
peste, demandezsouventdes radis, des artichautsà la poivrade,
des asperges, du céleri, des cardons. Parmi les viandes, préfé-
rez le veau et la volaille du pain, ne mangezquela croûte;dans
le cas douteux laissez-vousguider par un docteur qui adopte
mes principes et quel que soit le momentoù vous aurez corn"
mencé à les suivre, vousserez avant peu frais, jolis, lestes, bien
portants et propres à tout.
Aprèsvous avoir ainsi placés sur votre terrain, je dois aussi
vous en montrer les écueils, de peur que, emportés par un zèle
obésifuge,vous n'outrepassiezle but.
L'écueilque je veux signalerest l'usage habitueldes acidesquedesignorantsconseillentquelquefois, et dont l'expériencea tou-
jours démontré les mauvaiseffets.
t~m~eMt dew aet<te<t.
i09.
Il circule parmi les femmes une doctrine tuneste, et qui fait
périr chaque année bien des jeunes personnes, savoir que les
acides, et surtout le vinaigre, sont des préservati<s contre l'o-
bésité.
MÉDITATION XXII.:M
Sans doute l'usage continu desacidesfait maigrir,maisc'est endétruisant la fraîcheur, la santé et la vie; et quoiquela limonadesoit le plus doux d'entre eux, il est peu d'estomacsqui y résis-
tent longtemps.La vérité que je viens d'énoncer ne saurait être rendue trop
publique; il est peu de meslecteursqui ne pussent me fournir
quelqueobservationpour l'appuyer, et dans le nombreje préfèrela suivante qui m'est en quelquesorte personnelle.
En 1776, j'habitais Dijon j'y faisaisun cours de droit en la
faculté; un cours de chimie sous M. Guyton de Morveau, pourlors avocat-général, et un cours de médecinedomestiquesous
M. Maret, secrétaire perpétuel de l'Académie, et père de M. le
duc de Bassano.
J'avais une sympathie d'amitiépour une des plus jolies per-sonnesdont ma mémoireait conservéle souvenir.Je dis sympathied'amitié,ce qui est rigoureusement vrai et en même temps bien
surprenant, car j'étais alors grandement en fonds pour des affi-
nitésbien autrement exigeantes.Cetteamitié,qu'il fautprendre pour ce qu'elle a été et non pour
ce qu'elle aurait pu devenir, avait pour caractère une familiarité
qui était devenue, dès le premierjour, une confiancequi nous
paraissait toute naturelle, et des chuchotementsà ne plus finir,dont la maman ne s'alarmaitpoint, parce qu'ils avaientun carac-
tère d'innocencedigne des premiersâges. Louiseétait donc très
jolie, et avaitsurtout, dansune juste proportion, cet embonpoint
classique qui fait le charme des yeux et la gloiredes arts d'imi-
tation.
Quoiqueje ne fusseque son ami, j'étais bienloin d'êtreaveuglesur les attraits qu'elle laissait voir ou soupçonner, et peut-être
ajoutaient-ils,sans queje pusse m'endouter, au chastesentiment
qui m'attachaità elle. Quoiqu'il en soit, un soir que j'avais con-
sidéréLouiseavecplus d'attentionqu'à l'ordinaire: < Chèreamie,
« lui dis-je, vous êtes malade il me sembleque vousavezmai-
« gri. Oh non, me répondit-elle avec un sourire qui avait
< quelque chosede mélancolique,je me porte bien; et si j'ai un
TRAITEMENT DE L'OBÉSITÉ. N9
< peu maigri je puis, sousce rapport, perdre ut) peu sans m'ap~< pauvrir. Perdre, lui réptiquai-jeavec feu vous n'avez be~< soin ni de perdre ni d'acquérir; restezcommevous êtes, char-< mante à croquer; » et autres phrases pareilles qu'un ami de
vingtans a toujours à commandement.
Depuiscetteconversation, j'observai cette jeune fille avec un
intérêt mêlé d'inquiétude, et bientôt je~vis son teint pâlir, ses
joues se creuser, ses appas se flétrir. Oh! comme la beauté est
une chose fragileet fugitive!Enfinje la joignis au bal où elle al-
lait encore commeà l'ordinaire; j'obtins d'eUequ'elle se repose-rait pendant deuxcontredanses etmettant ce tempsà pro6t, j'en
reçus l'aveu que, fatiguéedes plaisanteriesde quelques-unesdeses
amiesqui lui annonçaientqu'avant deux ans elle serait aussi
grosseque saint Christophe,et aidée par les conseilsde quelquesautres, elleavait cherchéà maigrir, et, danscettevue, avait bu
pendant un moisun verre de vinaigrechaque matin elle ajouta
quejusqu'alors elle n'avait faità personneconfidencede cetessai.
Je frémisà cetteconfession je sentistoute rétenduedudanger,et j'en fis part dès le lendemainà la mère de Louise, qui ne fut
pas moins alarmée que moi; car elleadorait sa fille.Onne perdit
pas de temps; on s'assembla, on consulta, on médicamenta.
Peines inutiles!les sourcesde la vieétaient irrémédiablementat-
taquées et au moment où on commençaità soupçonnerle dan-
ger, il ne restaitdéjà plus d'espérance.
Ainsi, pour avoir suivid'imprudentsconseils,l'aimableLouise,
réduite à l'état affreuxqui accompagnele marasme, s'endormit
pour toujours, qu'elle avait à peine dix-huitans.
Elles'éteigniten jetant des regards douloureuxvers un avenir
qui ne devaitpas existerpour elle; et l'idée d'avoir, quoique in-
volontairement, attenté à sa vie, rendit sa fin plus douloureuse
et plus prompte.C'estla premièrepersonnequej'aie vue mourir; car elle rendit
le dernier soupir dans mes bras, au momentoù, suivantson dé-
sir, je la soulevaispour lui faire voirle jour. Huit heures environ
après sa mort, sa mèredésoléeme pria de l'accompagner dans
MÉDITATION XXH.MO
une dernièrevisitequ'elle voulaitfaireà ce qui restaitde sa fille;
et nous observâmesavec surprise que l'ensemble de sa physio-nomie avait pris quelque chosede radieuxet d'extatique qui n'y
paraissait point auparavant. Je m'en étonnai la maman en tira
un augure consolateur.Maiscecasn'est pas rare. Lavateren fait
mentiondans son Traitéde la pAy~tOMOtHte.
Ceinture <Mttt<tbétt~me
iiO.–Tout régime antiobésique doit être accompagné d'une
précaution que j'avais oubliée, et par laquelle j'aurais dû com-
mencer elle consiste à porter jour et nuit une ceinture qui con-
tienne le ventre, en le serrant modérément.
Pour en bien sentir la nécessité, il faut considérer que la
colonne vertébrale, qui forme une des parois de la caisse intes-
tinale, est ferme et inflexible d'où il suit quetoutl'excédantde poids
que les intestins acquièrent, au moment où l'obésité tes fait dévier
de la ligne verticale, s'appuie sur les diverses enveloppes qui
composent la peau du ventre, et celles-ci, pouvant se distendre
presque indéfiniment (i), pourraient bien n'avoir pas assez de
ressort pour se retraire quand cet effort diminue, si on ne leur
donnait pas un aide mécanique qui, ayant son point d'appui sur
la colonne dorsale elle-même, devînt son antagoniste et rétablît
l'équilibre. Ainsi, cette ceinture produit le double effet d'empêcher
le ventre de céder ultérieurement au poids actuel des intestins,
et de lui donner la force nécessaire pour se rétrécir quand ce poids
diminue. On ne doit jamais la quitter; autrement le bien produit
pendant le jour serait détruit par l'abandon de la nuit mais elle
est peu gênante, et on s'y accoutume bien vite.
La ceinture, qui sert aussi de moniteur pour indiquer qu'on est
(1)Mirabeaudisaitd'unhommeexcessivementgros,queDieunel'avaitcrééque
pourmontrerjusqu'àquelpointlapeauhumainepouvaits'étendresansrompre.
TRAITEMENT DE L'OBÉSITÉ. Mi
suffisammentrepu, doit être faite avec quelque soin, sa pressiondoitêtre à la foismodéréeet toujours la même; c'est-à-dire qu'elledoitêtre<tutede manièreà se resserrer à mesure que l'embonpointdiminue.
On n'est point condamnéà la porter toute la vieon peut taquittersans inconvénientquand on est revenuau point désiré, et
qu'on y a demeuré stationnairependant quelquessemaines.Bienentenduqu'on observeraune diète convenable. Il y a au moinssix ansqueje n'en porte plus.
Da ~ntm~nin~.
iii.
~t~&&existe une substance que je crois activement antio-
bésique plusieurs observations m'ont conduit à le
~) croire cependant, je permets encore de douter, et
j'appelle les docteurs à expérimenter.
~M~ Cette substance doit être le quinquina.Dix ou douze personnes de ma connaissance ont eu de longues
fièvres intermittentes; quelques-unes se sont guéries par des re-
mèdes de bonne femme, des poudres, etc. d'autres par l'usagecontinu du quinquina, qui ne manque jamais son effet.
Tous les individus de la première catégorie, qui étaient obèses,
ont repris leur ancienne corpulence tous ceux de la seconde sont
restés dégagés du superflu de leur embonpoint ce qui me donne
le droit de penser que c'est le quinquina qui a produit ce dernier
effet, car il n'y a eu de différence entre eux que le mode de gué-rison.
La théorie rationnelle ne s'oppose point à cette conséquence
car, d'une part, le quinquina, élevant toutes les puissances vitales,
peut bien donner à la circulation une activité qui trouble et dissipeles gaz destinés à devenir de la graisse; et, d'autre part, il est
prouvé qu'il y a dans le quinquina une partie de tannin qui peut
M9 MÉDITATION XXII. TRAITEMENT DE L'OBÉSITÉ.
fermer les capsulesdestinées, dans les cas ordinaires, à recevoir
des congestionsgraisseuses.Il est même probable que ces deux
effetsconcourentet se renforcent!'un l'autre.
C'estd'après ces données, dont chacun peut apprécier la jus-
tesse, que je crois pouvoirconseiller l'usagedu quinquina à tous
ceuxqui désirent se débarrasser d'un embonpointdevenuincom-
mode. Ainsi, dummodoannuerintin omnimedicationisgeneredoctis-
<MMtFacultatisprofessores,je pensequ'après le premiermoisd'un
régimeapproprié, celuiou celle qui désire se dégraisserferabien
de prendre pendant un mois, de deuxjours l'un, à septheuresdu
matin, deuxheures avant ledéjeuner, un verre de vin blanc sec,
dans lequel on aura délayé environ une cuilleréeà caféde bon
quinquinarouge, et qu'onen éprouvera de bons eSets. Tels sont
les moyens que je proposepour combattreune incommoditéaussi
fâcheuseque commune. Je les ai accommodésà la faiblessehu-
maine,modifiéepar l'état de sociétédans lequelnous vivons.
Je me suispour cela appuyésur cette véritéexpérimentaleque,
plusun tégimeest rigoureux,moinsil produitd'effet, parcequ'onle suit mal ou qu'on ne le suit pas du tout.
Lesgrands effortssont rares; et si on veutêtre suivi, il ne faut
proposer auxhommes que ce qui leur est facile,et même, quandon le peut, cequi leur est agréable.
30
la ~(H~fM):.
MéamMem
H2
JËNBS~ maigreur est l'état d'un individu dont la chair
musculaire, n'étant pas renOéeparlagraisse, laisse
apercevoir les formeset les angles de la charpente
osseuse.
ISwpèees.
Il y a deux sortes de maigreur la premièreest cellequt, étantle résultat de la dispositionprimitivedu corps, est accompagnéede la santé et de l'exercicecomplet de toutes les fonctionsorga-niques la secondeest celle qui ayant pour cause fa <aiMessedecertainsorganesoù l'actiondéfectueusede quelquesautres, donneà celui qui en est atteint ;une apparence misérable~et chétive.J'ai connu unejeune femmede taillemoyennequi ne pesait que
soixante-cinqlivres.
MÉDITATION XXHI.M4
Effets de la <m~t~reMf
115.
Amaigreur n'est pas un grand désavantage pour
les hommes ils n'en ont pas moins de vigueur,et sont beaucoup plus dispos. Le père de la jeune
~Nt~dame dont je viens de faire mention, quoiquetout aussi maigre qu'eue, était assez fort pour
< prendre avec les dents une chaise pesante, et la
jeter derrière lui en la faisant passer par-dessus sa tête.
Mais elle est un malheur effroyable pour les femmes car pourelles la beauté est plus que la vie, et labeauté consiste surtout dans
la rondeur des formes et la courbure gracieuse des lignes. La toi-
lette la plus recherchée, la couturière la plus sublime, ne peuvent
masquer certaines absences, ni dissimuler certains angles et on
dit assez communément que, à chaque épingle qu'elle ôte, une
femme maigre, quelque belle qu'elle paraisse, perd quelque chose
de ses charmes.
{~Avec les chétives il n'y a point de remède, ou plutôt il faut quela Faculté s'en mêle, et le régime peut être si long que la guérisonarrivera bien tard.
Maispour les femmes qui sont nées maigres et qui ont l'estomac
bon, nous ne voyons pas qu'elles puissent être plus difficiles à en-
graisser que les poulardes et s'il faut y mettre un peu plus de
temps, c'est que les femmes ont l'estomac comparativement plus
petit, et ne peuvent pas être soumises à un régime rigoureux et
ponctuellement exécuté comme ces animaux dévoués.
Cette comparaison estia plus douce que j'aie pu trouver il m'en
fallait une, et les dames la pardonneront, à cause des intentions
louables dans lesquelles le chapitre est médité.
DE LA MAIGREUR. 9M
~fédeattm~ttem tM~MMe
~14.
9~SN~SYAnature, variée dans ses œuvres, a des moules
pour la maigreur comme pour l'obésité.
~I~XW-?Les personnes destinées à être maigres sont con-
struites dansun système attonsé. Ettes ont les mains(~J~~)~J)\D
menus,~~(~!) et les pieds menus, les jambes gretes, ta reg)on du
coccyx peu étoffée, les côtes apparentes, le nez aquitin,les yeux en amande, la bouche grande, le nienton pointu
et les cheveux bruns.
Tel est le type générât quelques parties du corps peuvent y
échapper mais cela arrive rarement.
On voit quelquefois des personnes maigres qui mangent beau-
coup. Toutes celles que j'ai pu interroger m'ont avoué qu'elles di-
géraient mal, qu'elles. et voilà pourquoi elles restent dans le
même état.
Les chétifs sont de tous les poils et de toutes les formes. On les
distingue en ce qu'ils n'ont rien de saillant ni dans les traits ni
dans la tournure qu'ils ont les yeux morts les lèvres pâtes, et
que la combinaison de leurs traits indique l'inénergie, la faiblesse,
quelque chose qui ressemble à la souffrance. On pourrait presquedire d'eux qu'ils ontj'air
de n'être pas finis et que chez eux le
flambeau de la vie n'est pas encore tout-à-fait allumé.
ttéa~mc tmeMMtmmt
id5. Toute femme maigre désireengraisser c'est un vœu
que nous avons recueillimillefois; c'estdonc pour rendre un der-
nierhommage à ce sexe tout-puissant quenous allonschercherà
remplacer par des formes réellesces appas de soie ou de coton
qu'on voit exposésavec profusiondans les magasinsde nouveau-tés, au grandscandaledes sévères, qui passent tout enarouchés,
MÉDITATION XXIII.M6
et se détournentde ceschimèresavecautantet plusde soin quesi
la réalité se présentaità leurs yeux.Tout le secret pour acquérirde l'embonpointconsistedans un
régimeconvenable il ne fautque mangeret choisirses aliments.
Avecce régime, les prescriptionspositivesrelativement au re-
pos et au sommeildeviennentà peuprès indifférentes,et on n'en
arrivepas moins au but qu'on se propose. Car si vous ne faites
pasd'exercice, cela vous disposeraà engraisser; si vous en faites
vousengraisserezencore, car vousmangerezdavantage;et quand
l'appétitest savammentsatisfait, non-seulementon répare, mais
encore on acquiertquand on a besoin d'acquérir.Si vous dormezbeaucoup, le sommeilest incrassant si vous
dormez peu, votre digestionira plus vite, et vous mangerez da-
vantage.Il ne s'agit donc qued'indiquerla manièredont doiventtoujours
se nourrir ceux qui désirent arrondir leurs formes et cette tâche
ne peut être difficile après les divers principesque nous avons
déjàétablis.
Pour résoudrele problème,il fautprésenter à l'estomacdes ali-
ments qui l'occupentsans le fatiguer,et aux puissances assimila-
tivesdes matériauxqu'ellespuissenttourner en graisse.
Essayons detracer la journée alimentaired'un sylphe ou d'une
sylphide à qui l'envie aura pris de se matérialiser.
Règlegénérale.Onmangera beaucoupdepain frais et faitdans la
journée on se gardera bien d'en écarter la i<ie.
Onprendra avant huit heuresdu matin, et au lit, s'il lefaut, un
potage au pain ou auxpâtes, pas trop copieux, afin qu'il passevite ou, si on veut, une tassede bon chocolat.
Aonze heures, on déjeunera avecdes œufs frais, brouillés ou
sur le plat, des petitspâtés, des côtelettes, et ce qu'on voudra;l'essentielest qu'il y ait des oeufs.Latasse de caféne nuira pas.
L'heuredu dîner aura été régléede manièreà ce que le dejeu-ait passé avantqu'on se metteà table car nous avons coutume
de dire que quand l'ingestiond'un repas empiètesur la digestiondu précédent, il y a malversation.
DE LA MAIGREUR. !M
Aprèsie déjeuner, on fera un peu d'exercice les hommes si
l'état qu'ils ont embrasséle permet, car le devoiravant tout les
damesiront au boisde Boulogne aux Tuileries, chez icur coutu-
rière, chezleur marchandede modes, dans les magasinsde nou-
veautés, et chez leurs amies, pour causer de ce qu'elles auront
vu. Noustenons pour certainqu'une pareillecauserieest éminem-
ment médicamenteuse, par le grand contentementqui l'accom-
pagne.Adîner, potage,viande et poissonà volonté; mais on y joindra
les mets au riz, les macaronis les pâtisseriessucrées, les crémes
douces, les charlottes, etc.
Audessert, les biscuitsde Savoie,babas, et autres préparations
qui réunissent les fécules, les œuts et le sucre.
Ce régime, quoique circonscrit en apparence, est cependant
susceptibled'une grande variété il admettout le règne animal
et on aura grand soinde changerl'espèce,l'apprêt et l'assaisonne-
mentdes diversmets farineuxdont on fera usageet qu'on relèvera
par tous les moyens connus,afin de prévenir le dégoût, qui op-
poseraitun obstacleinvincibleà toute améliorationultérieure.
Onboira de la bière par préférence,sinondes vinsde Bordeaux
ou du midide la France.
On fuira les acides,exceptéla salade, qui réjouit le cœur. On
sucrera les fruitsqui en sont susceptibles,on ne prendra pas de
bains trop froids on tâcherade respirer de temps en temps l'air
pur de la campagne on mangera beaucoupde raisin dans la sai-
son on ne s'exténuerapas au bal à forcede danser.
Onse coucheravers onze heures dans les jours ordinaires, et
pasplus tard qu'une heure du matindansles extra.
En suivantce régimeavecexactitudeet courage,on aurabientôt
réparé les distractionsde la nature la santé gagnera autant quela beauté; la voluptéfera son profit de l'un et de l'autre, et des
accentsde reconnaissanceretentirontagréablementà l'oreille du
professeur.Onengraisseles moutons, les veaux, les bœufs, la volaille,les
M< MÉDITATION XXIII. DE LA MAIGREUR.
carpes, tes écreyisses, les huîtres d'où je déduis la maxime gé-
nérate: Tout ce qui mangepeut ~'ett~ratM~f,pourvu que t« aliments
<OMtt(bien et convenablementcAoMM.
méNmm~m
ii6. -Le jeûne est une abstinence volontaire d'aliments dans
un but moral ou religieux.
Quoique le jeûne soit contraire à un de nos penchants, ou plu-tôt de nos besoins les plus habituels, il est cependant de la plushaute antiquité.
Wr~ue du jenme
o«;) comment les auteurs en expliquent l'établis-
sement.
Dans!es afflictions particulières, disent-ils, un
père, une mère, un enfant chéri venant à
mourir dans une famille, toute ta maison était
endeuil on le pleuràît, on lavait son corps, on l'embaumait,on lui faisait.des obaèq'ies contbrmesà son rang. Dansces oc~
MÉDITATtON XXIV.140
casions, on ne songeaitguère à manger: on jeûnait sans s'en
apercevoir.De même, dansles désolationspubliques,quand on était affligé
d'une sécheresseextraordinaire, de pluiesexcessite~,de guerrescruelles, de maladies contagieuses, en un mot, de ces Céaux où
la forceet l'industrie ne peuvent rien, on s'abandonnait aux lar-
mes, en imputaittoutes ces désolationsà la colère des dieux; on
s'hua~iàit devant eux, on leur offrait les mortificationsde t'abs-
ttMenee.Les malheurscessaient, on se persuada qu'il fallait en
attrt~r les causes aux larmes et au jeûne, et on continua d'yavoiFrecoursdans des coqbnctures semblables.
Ainsi, les hommesamigés de calamitéspubliques ou particu-lières se sont livrés à la tristesse, et ont négligéde prendre de la
nourriture ensuite ils ont regardé cette abstinence volontaire
commeun actede religion.
Ils ont cru qu'en macérantleur corps quand leur âme était dé-
sotée, ilspouvaient émouvoirta miséricordedes dieux et cette
idée saisissanttoas les peuples, leur a inspiréle deuil, les vœux,
les prières, les sacnSces~lesmortiËeatioBsett'absttBence.
DU JEUNE. 94t
31
Enfin Jésus-Christétant venu sur la terre a sanctifiélejeûne,et toutesles secteschrétiennesl'ont adopté avecplus ou moinsde
mortifications.
€<Mmmem<<Mt je&tM~M.
H7.
~j9~ ETtEpratique du jeûne, je suis forcé de le dire, est
'w~ .~singulièrementtombée en désuétude; et, soit pour~~t~rédincationdes mécréants, soit pour leur conver-
*~J~L sion,je me plais à raconter comment nous faisions
~~V~ vers le milieu du dix-huitième siècle.
En temps ordinaire, nous déjeunions avant neuf heures avec
du pain, du fromage, des fruits, quelquefois du pâté et de la
viande froide.
Entre midi et une heure, nous dînions avec le potage et le pot-au-feu officiels, plus ou moins bien accompagnés, suivant les for-
tunes et les occurrences.
Vers quatre heures on goûtait ce repas était léger, et spéciale-ment destiné aux enfants et à ceux qui se piquaient de suivre les
usages des temps passés.
Mais il y avait des goûters MMpa<oM'M,qui commençaient à cinqheures et duraient indéfiniment ces repas étaient ordinairement
fort gais, et~es dames s'en accommodaient à merveille elles s'en
donnaient même quelquefois entre elles, d'où les hommes étaient
exclus. Je trouve dans mes Mémoires secrets qu'il y avait là force
médisances et cancans.
Vers huit heures, on soupait avec entrée, rôti, entremets, sa-
lade et dessert on faisait une partie, et l'on allait se coucher.
il y a toujours eu à Paris des soupers d'un ordre plus relevé,et qui commençaient après le spectacle. Ils se composaient, sui-
vant les circonstances, de jolies femmes, d'actrices à la mode,
d'impures élégantes, de grands seigneurs, de financiers, de li-
bertins et de beaux esprits.
MÉDITATION MïV.M
Là, oncontait l'aventure dujour, on chantait la chansonnou-
veHe; on parlait politique, littérature, spectacles, et surtout onfaisait l'amour.
Voyons maintenantce qu'on faisaitles jours dejeûne.On faisaitmaigre on né déjeunaitpoint, et par cela même on
avait plus d'appétitqu'à l'ordinaire.
L'heurevenue, on dinait tant qu'onpouvait; maisle poissonetles légumes passentvite; avant cinq heures on mourait de faimon regardaitsa montre, on attendait, e~ on enrageaittout enfai-
sant son salut.
Vers huit heures, on trouvait, non un bon souper, mais la
collation, mot venu du motcloître,parceque, vers la fin dujour,les moiness'assemblaientpourfaire des conférencessur les Pères
de l'église, après quoi on leur permettaitun verre de vin.
Ala collation, Ottne pouvaitservir m beurre, ni œufs, ni rien
de ce qui avait eu vie. Il fallaitdonc se contenterde salade, de
confitures, de fruits mets hétas bienpeu consistants, si onles
compare aux appétits qu'on avait en ce temps-là; mais on pre-nait patiencepour l'amour du ciel, on allait se coucher et tout le
long du carême on recommençait.
Quantà ceux qui faisaientles petitssoupers dontj'ai faitmen-
tion, on m'a assuré qu'ils ne jeûnaientpas et n'ont jamaisjeûné.Le chef-d'œuvrede la cuisinede ces temps anciens était une
collationrigoureusementapostolique et qui cependanteût l'air
d'un bon souper.La scienceétait venueà boutde résoudrece problèmeau moyen
de la tolérance du poisson au bleu, des coulisde racines et de
la pâtisserie à l'huile.
L'observanceexacteducarémedonnaitlieuà un plaisirqui nous
est inconnu,celuide se ~car~f en déjeûnant le jour de Pâques.En y regardantde près, les élémentsde nos plaisirssontla dif-
ficulté, la privation le désir de la jouissance.Tout cela se ren-
contrait dans l'acte qui rompait l'abstinénce; j'ai vu deux de mes
grands-oncles, gens sages et braves, se pâmer d'aise au moment
où le jour de Pâques ils voyaient entamerun jambon ou éven-
DU JEUNE. Ë4t
tferunpàté. Maintenant, raœdé~énéréequehMssbmmea! n6us
ne suturionspa&à de si puissantessensations
<tM~!me <~ fèXAé~ethént
118.
J'ai vu naître le relâchement; Hest venu par nuances insen-
sibles.
Lesjeunes gensjusqu'à un certain âge n'étaientpasastreints au
jeûné; et les femmesenceintes,du quicroyaientl'être, en étaient
exemptéespar leur position, et déjà oh servantpour eux du graset un souper quitentaitviolemmentles jeûneurs.
Ensuite, les gens faitsvinrent à s'apercevoirque lejeûne les
irritait, leur donnait mal à là tête, lés empêchaitde dormir. On
mit ensuite sur le compte du jeûné tous les petits accidents qui»
assiègentl'hommeà l'époqueduprintemps, tels que lés éruptionsvernales lés éblouisséihents les saignementsde nez, et autres
symptômesd'effervescencequi signalentle renôuvéHeméutde la
nature. Desorte quel'Unnejeûnaitpas parce qu'il se croyait ma.
lade, l'autre parce qu'il l'avait été, et un troisième parce qu'il
craignaitde le devenir d'où il arrivait que le maigre et les collà~
tionsdevenaienttous les jours plus rares.
Cen'est pas tout quelqueshiversfurentassez rudespour qu'on
craignitde manquerde racines et la puissanceecclésiastiqueelle-
même se relàcha omciéllementde sa rigueur, pendant que tes
maîtresse plaignaientdu surcroîtde dépensesque leur causât lé
régimedu maigre, que quelques-unsdisaientque Dieune voulait
pasqu'on exposâtsa santé, et que les gensde peude foiajoutaient
qu'on ne prenait pas le paradispar ~afamine.
Cependantledevoir restât!reconnu et presquetoujours on de-mandaitaux pasteurs des permissionsqu'ils refusaientrarementen ajoutant toutefoisla conditionde fairequelquesaumônespour
remplacer l'abstmënce.
MÉDITATION XXIV.<M
En6n la révolution vint, qui, remplissant tous les cœurs de
soins, de craintes et d'intérêts d'une autre nature, fit qu'on n'eut
ni le temps ni l'occasion de recourir à des prêtres, dont les uns
étaient poursuivis comme ennemis de t'état, ce qui ne les empê-chait pas de traiter tes autres de schismatiques.
A cette cause, qui heureusement ne subsiste plus, il s'en est
joint une autre non moins influente. L'heure de nos repas a totale-
ment changé nous ne mangeons plus ni aussi souvent, ni aux
mêmes heures que nos ancêtres,, et le jeûne aurait besoin d'une
organisation nouvelle.
Cela est si vrai, que quoique je ne fréquente que des gens ré-
glés, sages, et même assez croyants, je ne crois pas, en vingt-
cinq ans avoir trouvé, hors de chez moi dix repas maigres et
une seule collation.
Bien des gens pourraient se trouver fort embarrassés en pareil
cas mais je sais que saint Paul t'a prévu, et je reste à l'abri sous
sa protection.
Aureste, on se tromperait furt, si on croyait que l'intempérancea gagné en ce nouvel ordre de choses.
Le nombre des repas a diminué de près de moitié. L'ivrognerie
a disparu pour se réfugier, en de certains jours, dans les dernières
classes de la société. On ne fait plus d'orgies un homme crapu-leux serait honni. Plus du tiers de Paris ne se permet, le matin,
qu'une légère coDation et si quelques-uns se livrent aux douceurs
d'une gourmandise délicate et recherchée, je ne vois pas trop com-
ment on pourrait leur en faire le reproche, car nous avons vu
ailleurs que tout le monde y gagne et que personne n'y perd.
Nefinissons pas ce chapitre sans observer la nouvelle direction
qu'ont prise les goûts des peuples.
Chaque jour des milliers d'hommes passent au spectacle ou au
café la soirée que quarante ans plutôt ils auraient passée au ca-
baret.
Sans doute l'économie ne gagne rien à ce nouvel arrangement,
DU JEUNE. Mtt
mais il est très avantageuxsouste rapport des mœurs. Les mœurs
s'adoucissentau spectacle on s'instruit au cafépar ta tec~uredes
journaux et on échappecertainementauxquerettes,aux maladies
et à l'abrutissement,qui sont lessuitesinfailliblesde la fréquenta-tiondes cabarets.
hCpUtMmntt.
H9.
Nentendpar épuisementun étatde faiblesse
de langueur et d'accablementcausépar des
circonstancesantécédentes,et qui rend plusdimcitel'exercice des fonctionsvitales. On
peut, en n'y comprenant pas l'épuisementcausépar la privationdes aliments,encomp-
ter trois espèces.
L'épuisementcausépar la fatiguemusculaire,l'épuisementcausé
par les travauxde l'esprit, et l'épuisementcausépar les excèsgé-
nésiques.
Un remède communaux trois espècesd'épuisementest la ces-
sationimmédiatedes actesqui ont amenécet état, sinonmaladif,
du moins très voisinde la maladie.
D<! L'ÉPUtO~ENT. <H
Tfttttememtt
120.
Cnre «péfé~ p~f le p~teo~eM~
chosede hideux.
Je m'enqutsavec intérêtde la cause de ce changementsubit (I
hésita, je te pressai. et après quelque res)stance < ~tonami,
< dit-il en roug)ssam-,tu sais que ma <BO)meest jalouse,et que
cettemaniem'a fait passer bien des mauvaismoments.Depuis
quelquesjours, il lui en a pris une cnse e~rpyabi~, et ~t en
Mt&lTATtON XXV.M
«voulant lui prouver qu'ette n'a rien perdu de mon affectionet
< qu'il ne se fait à son préjudiceaucunedérivationdu tribut con-
< jugat, que je me suis mis en cet état. Tu as donc oublié, lui
«dis-je, et que tu as quarante-cinqans, et que la jalousieest un< malsansremède?Nesats-tupas /«retn~Mtd~MMMtapMM<? Jetins
encore quelquesautres propos galants, carj'étais en colère.< Voyons, au surplus, continuai-je: ton pouls est petit, dur,
'concentré quevas-tu faire?– Le docteur me dit-it, sort d'ici<it a penséquej'avais une fièvrenerveuse, et a ordonnéune sai-
gnéepour laquelle il doit incessammentm'envoyer le chirur-
< gien. Le chirurgien! m'écriai-je, garde-t'en bien, ou tues
mort; chasse-te comme un meurtrier, et dis-luique je me suis< emparéde toi, corps et âme. Ausurplus, ton médecinconnaît-< il la causeoccasionnellede ton mal? Hétas non une mau-
<vaise hontem'a empêchédelui faireune confessionentière.
«Eh bien.il fautle prier de passer cheztoi. Je vais te faire une
< potionappropriée à ton état en attendantprends ceci. Je lui
présentaiup verre d'eau saturéede sucre, qu'il avala avecla con-
fiance d'Alexandreet la foidu charbonnier.
AtorSje le quittaiet courus chez moi pour y mixtionner, fonc-
tionner et élaborer un magister réparateur qu'on trouvera dans
tes FaWJtM(i), avec lesdiversmodesquej'adoptai pourmehâter;
car, en pareilcas quelquesheures de retard peuvent donnerlieu
à desaccidentsirréparables.Je revinsbientôt arméde mapotion, et déjàje trouvaidu mieux
la couleurreparaissaitauxjoues, l'œit était détendu; mais la tèvre
pendait toujours avec une effrayantedifformité.
Le médecinne tarda pas à reparaître je l'instruisis de ce que
j'avais faitet le maladefit ses aveux.Sonfrontdoctoratpritd'abord
un aspectsévère; mais bientotnousregardant avecun air où il yavait un peu d'ironie <Ybus né devezpas être étonné, dit-ilà
mon ami, que je n'aie pas devinéunemaladiequi neconvient
< ni à votre âge hi à votre état, et il y a de votre part trop de
(<)VoYMàtaNnduvotnme,n''<e.
DE L'ÉPUtSEMENT,
32
<modestie à en cacher h cause, qui ne pouvait que von~&ir6<honneur. J'ai encore à vous gronder de ce que vous ~'Wcz<exposaà une erreur qui aurait puypusêtre funeste.Au~p}~8,< moncontre, ajouta~t-iten mef~is~t un salutqueje htd~tMtis< avecus~re.vou~a in~qu~ talonne r~u~.pr~
soi~ °-pp~e,<quel quesoitle nom qu'il y donne, et si !a Ëèvre vous qui~~<commeje te crois, déjeunezdemainavecune ta~e de chQC~t~t< dans ]aquct!evousferezdélayerdeuxjaunesd'œui~!r~is.
ce~ motsHprit sa canne, son chapeauet nousquitta ~ou$
laissant<î)rttentésde nouségayer à ses dépens.
Bientôtje fis prendre à mon matade une forte tasse de mon
éHxirdevie; il le but avec avidité, et voulait redoubler; mais
j'exigeaiun ajournementde deuxheures, et lui servisune seconde
doseavant de me retirer.
Le lendemainil était sans fièvreet presque bien portant il dé"
jeûnasuivantl'ordonnance, continuala potion, et put vaquerdès
le surlendemainà ses occupationsordinaires mais la ièvre re-
bellene se relevaqu'aprèsle troisièmejour.Peu de tempsaprès l'affaire transpira, et toutes les dames en
chuchotaiententre elles.
Quelques-unesadmiraient mon ami, presque toutes le plai-
gnaient et le professeur gastronomefut glori6é.
Omnia mors poscit; tex est, non pœna, perire.
422.
ECréateur a imposé à l'homme six gran-
des et principales nécessités, qui sont
la naissance, l'action, le manger la re-
,a~<E'~S~ production et la mort.
tS~'NE~t La mort est l'interruption absolue des relations sen-
suelles et l'anéantissement absolu des forces vitales,
qui abandonnelecorps aux lois de la décomposition.
Ces diverses nécessités sont toutes accompagnées et
adoucies par quelques sensations de plaisir, et la mort elle-
même n'est pas sans charmes quand elle est naturelle, c'est-à-
dire quand le corps a parcouru les diverses phases de croissance,
de virilité, de vieillesse et de décrépitude auxquelles il est destiné.
Si je n'avais pas résolu de ne faire ici qu'un très court chapitre
j'appellerais à mon aide les médecins qui ont observé par quelles
DE LA MORT. M4
nuances insensibles les corps animés passent à l'état de matière
inerte. Je citerais des philosophes, des rois, des littérateurs, qui,
sur les bornes de l'éternité, loin d'être en proie à la douleur avaient
des pensées aimables et les ornaient du charme de la poésie. Je
rappellerais cette réponse de Fontenèlle mourant .qui, interrogé
sur ce qu'il sentait répondit Rienautre chose qu'une dimcùlté
de vivre. Maisje préfère n'annoncer que ma conviction, fondée
non-seulement sur-l'analogie mais encore sur plusieurs observa-
tions que je crois bien faites, et dont voici là dernière
J'avais une grand'tante âgée de quatre-vingt-treize ans. qui se
mourait. Quoique gardant le lit depuis quelque temps, elle avait
conservé toutes ses facultés, et on ne s'était aperçu de son état
qu'à la diminution de son appétit et à l'affaiblissement de sa voix.
Elle m'avait toujours montré beaucoup d'amitié, et j'étais au-
près de son lit, prêt à la servir avec tendresse ce qui ne m'em-
pêchait pas de l'observer avec cet œil philosophique que j'ai tou-
jours porté sur tout ce qui m'environne.
< Es-tu là, mon neveu? me dit-elle d'une voix à peine articulée.
« Oui, ma tante je suis à vos ordres, et je crois que vous
< feriez bien de prendre un peu de bon vin vieux. Donne,
< mon ami le liquide va toujours en bas. Je me hâtai et la sou-
levant doucement, je lui fis avaler un demi-verre de monmeilleur<
vin. Elle se ranima à l'instant et tournant sur moi des yeux quiavaient été fort beaux Grand merci medit-elle, de ce dernier
service si jamais tu viens à mon âge, tu verras que la mort dé-
« vient un besoin tout comme le sommeil. »
Ce furent ses dernières paroles, et une demi-heure après elle
s'était endormiepour toujours.
Le docteur Richerand a décrit avec tant de vérité et de philoso-
phie les dernières dégradations du corps humain et les derniers
moments de l'individu, que mes lecteurs me sauront gré de leur
faire connaître le passage suivant
< Voicil'ordre dans lequel les facultés intellectuelles cessent et se
« décomposent. La raison cet attribut dont l'homme se prétendle possesseur exclusif, l'abandonne la première. Il perdd'abord
MÉDITATION XXVt.iM
ïa puissanced'associer des jugements,et bientôt après cellede
< comparer, d'assembler, decombiner, dejoindre ensembleplu.< sieurs idées pourprononcersur leurs rapports. Ondit alors que< le maladeperd la tête, qu'il déraisonne, qu'tl est endélire. Ce-
< lui-ci rouleordinairementsur les idéesles plus familièresà l'in-< dividu la passiondominantes'y faitaisément reconnaître l'a-
< yare tientsur ses trésors enfouisles propos les plus indiscrets;< tel autremeurt assiégédereligieusesterreurs. Souvenirsdélicieux< de ta patrie absente, vous vous réveillez alors avec tous vos
< charmeset toute votre énergie.
< Aprèsle raisonnementet te jugement,c'est la facultéd'asso-
< cier desidées qui se trouvefrappéede la destructionsuccessive.
<tCeciarrive dans l'état connusous le nomde défaillance,comme
je l'ai éprouvésur moi-même.Je causaisavecun de mes amis< lorsque j'éprouvai une dimcultéinsurmontable à joindre deux« idées sur ta ressemblancedesquellesje voulais formerun juge-< ment cependantla syncopen'était pas complète je conservais
< encorela mémoireet la faculté de sentir; j'entendais distincte-
< ment lespersonnesquiétaientautourde moi dire 7<~eMKOMt<,«,et s'agiterpour me faire sortir de cet état, quiM'~<M<pas sans
< quelquedouceur.
<La ~mémoires'éteint ensuite.Le malade, qui dans son délire
« reconnaissaitencoreceux qui l'approchaient, méconnaît enfin
< ses proches, puis ceuxaveclesquels il vivaitdans une grandeintimitésEn6n, il cessede sentir maisles sens s'éteignentdans
w un ordre successifet déterminé le goût et l'odorat ne donnent
plus aucun signe de leur existence les yeux se couvrentd'un
« nuageterneet prennent uneexpressionsinistre;l'oreilleestencore
< sensibleaux sons et au bruit. Voilàpourquoi sans doute les an-
< ciens, pour s'assurer de la réalitéde la mort étaient dans l'u-
< sage de pousser de grands cris aux oreillesdu défunt.Lemou-
« rant ne Ûaire, negoûte, ne voit et n'entend plus. Il iui reste la
< sensation dutoucher, il s'agite dans sa couche promèneses
< bras au dehors, changeà chaqueinstant de posture il exerce,
a commenous l'avons déjà dit, des mouvementsanaloguesà ceux
DE LA MORT. M<
« du fétus,qui remuedans le Sein de sa mère. La mort qui va le
a frapperne peut Ïu! inspireraucune frayeur; car it n'aMtuSd'i*
dées, et il nn)tde vi~recommeil avaitcommence 8&t(sen ave~
« la conscience."'(RiCHERANB,~<~e<tM;jC~eNte~~~A~<6~~neuvièmeédition, tome M, page600. )
t~3.
~A- <)gt_T~_Tf~t' cuisine est te plus ancien des arts; car
~~gJ~~J~a~ Adam naquit à jeun, et le nouveau-né
-gK~F~ à peine entré dans ce monde, pousse
~Ntpr des cris qui ne se catment que sur le sein de sa
nourrice.
C'est aussi de tous les arts celui qui nous a rendu
/SsS~j- le service le plus important pour la vie civile car ce
"S~ sont les besoins de la cuisine qui nous ont appris à
appliquer le iëu, et c'est par le feu que l'homme
a domptéla nature.
Quandon voitleschosesd'enhaut, onpeutcompterjusqu'à trois
espècesde cuisine
La première, qui s'occupe de la préparation des atiments, Il
conservéle nomprimitif;
HISTOIRE DE LA CUtSÏNE. ~5
La secondes'occupeà lesanalyseret àen vérifier teséléments
on est convenude l'appeler cAtNMe
Et la troisième, qu'on peut appeler cuisinede réparation est
plus connuesous le nomdepharmacie.
Si elles diffèrentpar le but, elles se tiennent par l'applicationdu feu, par l'usage des <hurnea"xet par l'emploi des mêmes
vases.
Ainsi, lemême morceau de bœuf que le cuisinierconvertiten
potageet en bouilli le chimistes'en empare pour savoir en com-
biende sortesde corps il est résoluble, et le pharmaciennous le
faitviolemmentsortir du corps, si par hasard il y cause une in-
digestion.
Ordre d ttMmen<ftt<<M*.
424.
'HOMMEest un animal omnivore; il a des
dents incisives pour diviser les fruits, des
dents molaires pour broyer tes graines, et
des dents canines pour déchirer les chairs:
sur quoi on a remarqué que plus l'homme
est rapproché de l'état sauvage, phis tes
dents canines sont fortes et iacitss à dis-
tinguer.
Il est extrêmement probable que l'espèce fut longtemps frugi-
vore, et elle y fut réduite par la nécessité; car l'homme est le
plus lourd des animaux de l'ancien monde, et ses moyens d'at-
taque sont très bornés, tant qu'il n'est pas armé. Mais l'instinct
de perfectionnement attaché à sa nature ne tarda pas à se déve-
lopper le sentiment même de sa faiblesse le porta à chercher à
se faire des armes il y fut poussé aussi par l'instinct carnivore
annoncé par ses dents canines; et dès qu'il fut armé, il fit
MÉDITATION XXVIï.tM
sa proie et sa nourriture 'de tous les animaux dont il était en-
vironné.
Cet instinctde destructionsubsisteencore; les enfants neman-
quent presquejamais de tuer les petits animauxqu'on leur aban-
donna ils les mangeraients'ils avaientfaim.
Hn'est point étonnant que l'homme ait désiré se nourrir de
chair; it a l'estomac trop petit, et les fruitsont trop peu de,subs-
tancesanimalisablespour suffirepleinementà sa restauration ililr. r 7
pourrait se nourrir mieuxdetégumes; maiscerégimesupposedes
arts qui n'ont pu venir qu'à la suite des siècles.
Les premièresarmesdurent être desbranchesd'arbres, ef plustard on edt des arcs et des Qëches.
It est très digne de remarque que partout où on a trouvé
l'homme, sous tous les climats, a toutes les latitudes on l'a
toujours trouvé armé d'arcs et de Sèches.Cetteuniformitéest dif-
6cileà expliquer.On ne voitpas commentla mêmesérie d'idées
s'est présentéeà des individussoumis à des circonstancessi dif-
férentes elle doit provenir d'une cause qui s'est cachéederrière
~erideau des ~ges.La chair crue p'a qu'un inconvénient;c'est de s'attacher aux
dents par s%viscosité à cela près, elle n'est point désagréabte
au goût, Assaisonnéed'un peu de se!, elle se digère très bien
et doi~être plus nourrissanteque toute autre.
t Mein God, me dirait, en 1818, un capitaine de Croates à
qui je donnais à dîner, il ne f~ut pas tant d'apprêts pour faire
< bonne chère. Quand nous sommes en campagne et que nous
ayons iaim, nous abattons la première bétequt nous tombe
< sous ta main; nous ep coupons un morceau bien charnu, nous
< le saupoudrons d'un peu de set, que nous avons toujours dans
< ta «t&re-<~cA~(1); nous le mettons sous 1~sette, sur le dos
du cheval nous donnons un temps de galop, et (lisant le
(t) La.M6fe-(<Mohe,ou poche de sabre, est cette espèce de sac ~cussonné qui est
8H8pe)tdnau bau~er ~'pù pend le ~bre <)estroupes légères; eUe jpue un grand
r61e dans les contes que lés soldats font entre eux.
1.1 1. 1
1 fi'">1;
HIStÔh~DËLÀCUisÏNE. 9M
33
< mouvement d'uaho~tnèquidecMrë&Be!!esd6n~) ~a,
< yat«t<, nous nous régions cOtUthë deàpriaëes. 1) i"
Quand !es chassent du Dauphmê ~M< à !ë cN~se dà~ë !è ~idià
de septembre, ils sont egàtenjfent pourvus de pot~e et de S'ib
tttettt un becSgue de haute gfa~së, its le ptuOttent, Fà~is~tieS~
le portent quetque temps surteurschapeàM et Ïe rangent. Bs
assurent que cet oiseau ainsi traité est encore meiHeur quèrûti.
!)'ai!teurs, si no~ trisaïeul mangeàtetit iëars àM~ents crus, nOus
n'en av0it& pas toùt-à-fait perda !'haMtad6. Les patàia les ptos d6-
ticats s'arrangent très bien des sauctss<Mts d'Artes, des ntortadt~
les, du bœu~ fumé d'Ha&boarg, des anchois, des harengs pecs,
et d'autres parons, qui n'ont pas passé par te tëu et qui n'en ré-
veillent pas moins t'appétit.
~~eemvefte <ha <B<<
125. –Après qu'on se fut régalé assez longtemps à la manièredes Croates, on découvrit le feu et ce fut encore un hasard; carle feu n'existe pas spontanément sur la terre; les habitants des !le~
Mariannes ne le connaissaient pas.
0<t<Mom
126.
t feu une fois connu, l'instinct de perfec-tionnement fit qu'on en approcha.les vian-
M~B~ d P~ les sécher, et ensuite on
~~)~ NN~~ mit charbons pour les cuire.
~~N~N~~ La viande ainsi trahée, fut trouvée bien
meilleure, elle prend plus de consistance,
JF~~S se mâche avecbeaucoup plusde facilité, et
t'ostnazÔme, en se rissolant,, s'aromatiseet
lui donne un parfum qui n'a pas cessé de nous plaire.
MÉDITATION XXV H.158
Cependanton vint à s'apercevoirque la viande cuite sur les
charbons n'est pasexempte de souillure car elle entraîne tou-
jours avecelle quelquesparties de cendre ou de charbondont on
la débarrassedifficilement.On remédia à cet inconvénienten la
perçant avecdes broches qu'on mettait au-dessus des charbons
ardents, en. les appuyant sur des pierres d'une hauteur con-
venable.
C'est ainsi qu'on parvint auxgrillades, préparation aussisim-
ple que savoureuse, car toute viande grillée est de haut goût,
parcequ'elle se -fumeen partie.Les choses n'étaient pas beaucoup plus avancées du temps
d'Bomère etj'espère qu'on verra ici avecplaisir la manière dont
Achillereçut dans sa tente trois des plus considérablesd'entre les
Grecs, dont l'un était roi.
Je dédie aux dames la narration que j'en vais faire, parce
qu'Achilleétait le plus beau des Grecs, et que sa nerté ne l'em-
pêchapas de pleurer quand on tu)enlevaBriséis;c'est aussi pour
elles queje choisis la traduction élégantede M. Dugas-Montbelauteur doux, complaisant, et assez gourmand pour un hel-
léniste
Majorem jam crateram, Mœnctii tili, appone,
Meraciùsque misée, poculum autem para unicnique;
Charissimi enim isti viri meo sub tecto.
Sic dixit Patroclus dilecto obedivit socio;
Sed cacabum ingentem posuit ad ignis jubar;
Tergum in ipso posuit ovis et pingms capree.
Apposuit et suis saginati scapulam abundantem pinguedine.
Huic, tenebat cames Automedon, secabatque nobilis Achilles,
Eas quidem minute secabat, et verubus affigebat.
!gnem Mœnetiades accendebat magnum, deo similis vir;
Sed postquam ignis deflagravit, et flamma exstincta est,Prunas sternens, verua desuper extendit.
Inspersit autem sale cacro, a lapidibus elevans.
At postquam assavit et in mensas culinarias fudit,Patroclus quidem, panem accipiens, distribuit in mensas
Pulchris in canistris, sed carnem distribuit Achilles.
Ipse autem adversus sedit Ulyssi divine,
Ad parietematterum. Mis autem sacrincare jussit
HISTOIRE DE LA CUISINE. w
Patroclum suumsocium. Is in ignem jecit libamentà.
Biin cibosparatosappositosmanusimmiserunt;Sed postquam potùs et cibi desidertutn esemerunt.,
tnnuitAjaxPhœniM:mteUexitautemdivinua Ulysses,
Implensqué vino poculum, propinavit Achilli (1), etc.
U.H.M!.
« AussitôtPatrocleobéitaux ordres de son compagnontidète.« CependantAchilleapprochede la flamme étinceiante un vase
< qui rentermeles épaulesd'une brebis, d'une chèvregrasse; et
< te ~argedos d'un porc succulent. Automédontient les viandes
< que coupe le divinAchille cetui-ciles diviseen morceaux et
< les perce avec des pointesde iër.
< Patrocle, semblableaux immortels,allumeun grand feu,Dès
(1) Je n'ai pas copié le texte original que peu de personnes auraient entendu
mais j'ai cru devoir donner la version latine, parce que cette langue, plus répan-
due, se moulant parfaitement sur le grec, se prête mieux aux détails et à la simr-
plicité de ce repas héroïque.
MÉDITATION XXVII.MO
< que le bois consuménejette plus qu'une flammelanguissante,il posesur le brasier deux longs dards soutenus par deux for-
< tes pierres, et répand le sel sacré.
< Quandles viandessont prêtes, que le festin est dressé. Pa-
trocledistribuele painautourde la tabledans derichescorbeilles;< maisAchilleveut lui-mêmeservir les viandes.Ensuiteilse place
<yis-visd'Ulysse,à l'autre extrémitéde la table, et commande à
son çpmpagnonde sacrifieraux dieux.
<Patrodejefte dans les flammesles prémicesdu repas, et tous
portent bientôt les mains vers les mets qu'on leur a servis et
<préparés, lorsque dans l'abondancedes festinsils ont chasséla
< faimet la soif, Ajaxfaitun signe à Phénix; Ulyssel'aperçoit, il
remplit de vin sa large coupe, et s'adressant au héros Salut,
«Achille dit-il. J
Ainsi, un roi, un filsderoi, et trois générauxgrecs dînèrent
fort bienavecdu pain, du vin et de laviandegrillée.
Il faut croireque si Achilleet Patrocle s'occupèrenteux-mêmes
des apprêts du festin, c'était par extraordinaire, et pour honorer
d'autant plus les Mtps distinguésdont ils recevaient.lavisite car
ordinairement les soins de la cuisine étaient abandonnés aux es-
claveset auxfemmes: c'est ce qu'Homère nous apprend encore
en s'occupant, dans l' Odysséedes repas des poursuivants.Onregardaitalors les entraillesdes animauxfarciesde sang et
de graissecommeun metstrès distingué(c'était du boudin).
A cette époque, et sansdoute longtempsauparavant, la poésie
etlamusiques'étatentassociéesauxdéUcesdes repas. Deschantres
vénéréscélébfa~ntleB merveilles~dela nature, les amours des
dieux et les hauts faitsdesguerriers ils exerçaientune espècede
sacerdoce, et il est probableque le divin Homère lui-mêmeétait
issu de quelques-unsde ces hommesfavorisésdu ciel il ne se fût
pointélevési haut si ses étudespoétiquesn'avaientpas commencé
dès son enfance.
MadameDacierremarquequ'Homèrene parlede viandebouillie
ën aucunendroitde sesouvrages.LesHébreuxétaient plus avan-
cés, à causedu séjour qu'ils avaient fait en Egypte; ils avaient
HISTOIRE DE LA CUISINE. Mi
des vaisseauxqui allaientsur te feu et c'est dans un vasepareilquefutfaitela soupeque Jacobvenditsi cher à son frère Ésau.
Il est véritablementdifficilede deviner comment l'homme est
parvenu à travailler les métaux ce fut, dit-on, Tubal-Caïnquis'en occupale premier.
Dansl'état actuelde nos connaissances,des métaux nous ser-vent à traiter d'autres métaux nous les assmétissonsavec des
pincesen fer, nous les forgeonsavecdes marteaux'de fer; nousles taillonsavec des limesd'acier maisje n'ai encoretrouvé per-sonne qui ait pu m'expliquer commentfut faite la premièrepinceet forgéle premier marteau.
Fee~M deo Orten~ Des Grees.
i27.
t<M~ A cuisine fit de grands prpgrèsquand op eut soiten airain, soit en poterie, des vases qui résistèrent
~au feu. Onput assaisonner les viandes, faire cuire
~~aF$W}S'slégumeson eut du bouillon,du jus, des gelées;
-~r~toutesces chosesse suivent et se soutiennent.
Les ljvres les plus anciensqui nousrestent fontmention hono-
rabtedes festins des rois d'Orient. Il n'est pasd'S!cile de croire
que des monarquesqui régnaientsur despays sifertilesen toutes
choses, et surtouten épicerieset en parfums eussent des tables
somptueuses mais les détailsnous manquent. Onsait seulement
que Cadmus, qui apporta l'écritureen Grèce avait été cuisinier
du roi de Sidon.Cefut chez ces peuplesvoluptueuxet mous que s'introduisit !a
coutumed'entourer de litslestablesdes festins,et de mangercou-
chés,
Ceraffinement qui tientde la faiblesse ne futpas partout éga-lementbien reçu. Lespeuplesqui faisaientun casparticulierde !a
forceet du courage, ceux çhexqui la fruga~téétait une vertu, le
MÉDITATION XXVH.«M!
repoussèrentlongtemps mais il fut adoptéà Athènes,et cet usagefut longtempsgénérât dans té mondecivilisé.
La cuisineet ses douceurs furent en grande faveur chez les
Athéniens peuple élégant et avide de nouveautés les rois, les
particuliersriches les poètes, les savants, donnèrentl'exempleet lés philosopheseux-mêmesne crurentpas devoirse refuseràdes
jouissancespuiséesau seinde la nature.
Aprèsce qu'on lit dans les anciensauteurs, on ne peut pasdou-
ter que leurs festinsne fussentde véritablesfêtes.
La chasse, la pêcheet le commerceleur procuraientune grande
partie des objetsqui passentencorepour excellents, et la concur-
rence les avait faitmonterà un prixexcessif.
Tous les arts concouraientà l'ornementde leurs tables, autour
desquellesles convivesse rangeaient, couchéssur deslits couverts
de richetapis de pourpre.
Onse faisaitune étudede donner encoreplusde prix à la bonne
chère par une conversationagréable, et les proposde table de-
vinrent une science.
Les chants, qui avaient lieu vers le troisièmeservice,perdirentleur sévéritéantique ilsne furent plus exclusivementemployésà
célébrer les dieux, les héroset lesfaitshistoriques on chanta l'a-
mitié, leplaisiret l'amour, avecune douceuret une harmonieaux-
quellesnos langues sècheset dures ne pourrontjamais atteindre.
Les vins de la Grèce, que nous trouvons encore excellents,
avaient été examinés et classéspar les gourmets, à commencer
par les plus douxjusqu'aux plus fumeux;danscertainsrepas, on
en parcouraitl'échelle tout entière, et, au contraire de ce qui se
passe aujourd'hui, les verres grandissaienten raisonde la bonté
du vin quiy étaitversé.
Les plus jolies femmesvenaient encore embellir ces réunions
voluptueuses des danses, des jeux et des divertissementsde
touteespèceprolongeaientles plaisirs de la soirée.Onrespiraitla
voluptépar tous les pores et plus d'un Aristippe, arrivé sous la
bannière de Platon, fit retraite souscelle d'Epicure.
HISTOIRE DE LA CUÏ~ïNE.
Lessavants s'empressèrentà l'envi d'écrire sur un art qui pro-curait de si doucesjouissances.Platon, Athénéeet plusieursautres
nous ont conservé leurs noms. Maishélas leurs ouvrages sont
perdus et s'il faut surtout en regretter quelqu'un, ce doit être la
C<M<roKOMMed'Achestrade,qui fut l'amid'un des filsde Périctès.
Cegrand écrivain, dit Théotime, avait parcourules terres et
les mers pour connaître par lui-mêmece qu'elles produisent de
meilleur. Il s'instruisait dans ses voyages, non des mœursdes
peuples, puisqu'il est impossiblede les changer; mais il entrait
dans les laboratoiresoù se préparent les délicesde la table, et il
n'eut de commercequ'avec les hommesutiles à ses plaisirs. Son
poèmeest un trésor de science,et ne contientun vers qui ne soit
un précepte. »
Tel fut l'état de la cuisineen Grèce; et il se soutintainsi jus-
qu'au momentoù une poignéed'hommes,qui étaientvenuss'éta-
blir sur les bords du Tibre, étendit sa domination'sur les peuples
voisins,et finit par envahir le monde.
Festtmw des Memmtms
128. La bonnechère fut inconnueaux Romainstant qu'ilsne combattirent que pour assurer leur indépendance ou pour
MÉDÎTÀTIÔN XXVtï.'~t
subjuguerleurs voisins,tout aussipauvres qu'eux. Alorsleurs gé-nérauxconduisaientlacharrue, vivaient de légumes, etc.Leshis-
toriens frugivoresne manquentpas de louer cestemps primitifsoù la frugalitéétait alors en grand honneur. Mais quand leurs
conquêtes se furent étenduesen Afrique,en Sicile et en Grèce
quand ils se furentrégalés <wxdépensdes vaincus dans des paysoù la civilisationétait pt«s avancée,ils~emportèrentà Rome des
préparationsqui les avaientcharmés chez les étrangers, et tout
porte à croirequ'ellesy furentbienreçues.Les Romainsavaient envoyé à Athènesune députationpouren
rapporter les lois de Solon; ils y allaientencore pour étudier les
belles-lettreset la philosophie.Tout en polissantleurs mœurs, ils
connurent les délices des festins; et les Cuisiniersarrivèrentà
Romeavec lès orateurs, les philosophes,les rhéteurset les poètes.Avecle temps et ta série de succèsqui firent amuer à Rome
toutesles richessesde l'univers, le luxe de la table fut poussé à
un point presque incroyable.
Ohgoûta de tout, depuis la cigale jusqu'à l'autruche, depuisle loir jusqu'au sanglier (i); tout ce qui put piquer le goût fut
essayé commeassaisonnementou employé commetel, des subs-
tances dont nous ne pouvonspas concevoirl'usage commel'assa
fetida, la rue, etc.
(t) GLIRESFABSt. Glires MtCtoporcino, item pulpis M: omni gfMWMmmembro
tritis, cumpipere, nucleis, lasere, liquamine, farcies. glires, et sutos <? tegfMMposi-
<M; MM«M<? jR<~M<tW,Ntt~M-tM<McMtftM<'0<p<M.
Les loirs passaient pour un mets délicat on apportait quelquefois des balances
sur la table pour en véhûer le poids. On conhatt ce~te épigramme de Martial, au
sujet des loirs, xu!, M.
Tota mihi dormitur hiems, et pinguior illo
Tempore sum, quo me nil nisi somnus alit.
Lister, médecin gourmand d'une reine très gourmande (la reine Anne), s'occu-
pant des avantages qu'on peut tirer pour la cuisine de l'usage des balances, observe
que ~idouM alouettes tte pèsent point douze onces, e<lessont à peine mangeàBIes,
qu'elles sont passables si elles pèsent douze onces, mais que si elles pèsent treize
once~, elles sont grasses et excellentes.
HISTOIRE DE LA CU!8!NE. a«t
L'universconnu fut mis à contribution;par les armées~et!és
voyageurs. On apporta d'Afriqueles pintades et les trùnes, les
lapins d'Espagne, les faisansde la Grèce, où ils étaient venus
des bords du Phase, et les paonsde l'extrémitéde l'Asie.Les plus considérables d'entre les Romains se firent gloire
d'avoir de beauxjardins où ils firent cultiver non-seulementles
fruits anciennementconnus, telsque les poires, les pommes, les
figues, le raisin, maisencore ceuxqui furent apportés de divers
pays, savoir: l'abricotd'Arménie, la pèchede Perse, le coingde
Sidon, la framboisedes valléesdu mont Ida, et la cerise, conquêtede Lucullusdans le royaume de Pont. Ces importations, qui eu-
rent nécessairementlieu dans des circonstances très diverses,
prouventdu moinsque l'impulsionétait générale, et que chacun
se faisaitune gloireet un devoir de contribueraux jouissancesdu
peuple-roi.Parmi les comestibles, le poissonfut surtout un objetde luxe.
Il s'établit des préférencesen faveur de certaines espèces, et ces
préférencesaugmentaientquand la pêcheavait eu lieu dans cer-
tains parages. Le poissondes contréeséloignéesfut apporté dans
des vases pleins de miel, et quand les individusdépassèrent la
grandeur ordinaire, ils furent vendus à des prix considérables
par la concurrencequis'établissaitentredesconsommateurs,dont
quelques-unsétaient plus riches que des rois.
Les boissons ne furent pas l'objet d'une attention moinssuivie
et de soins moinsattentifs.Lesvins deGrèce,de Sicileet d'Italie
firent les délicesdes Romains et commeils tiraient leur prix soit
du canton, soit de l'année où ils avaientété produits, une espèced'acte de naissanceétaitinscritsur chaqueamphore.
0 natamecùmconsuleManlio.
HORACB.
Cene fut pas tout. Par une suitede cet instinctd'exaltationquenous avpno tf&mmdiqué,on s'appliquaà rendre les vinsplus pi-
quan<pHt8~~umés on y fit infuserdes fleurs, des aroma-
/c~ 34rt
4!
~~TATip~ ~yn-?'
des drogua d~darses espèce~,et ~es préparattMsque les
.auteur contemppratnsnous onttrMt8'!usessous le nom de con-
deyatent ~r~er ta bouche yiolèmmentirn~er l'estomac.
C'estainsf que dé}~, à cette époque,les romains rêvaient t'a!.
jCOO~,qui ? a cté d~CQHy~qu'après plus de quinze sièctes.
~a~ ~est surtout %fs les accessoiresdes repas que ce luxe
giga~esque se 'pprtait avecp}usde ~ryeur.
Tous les nieuHes nécessairespour les festinsfurent faits avec
recherche, soit pour !a tnaMèrë,soit pour la main-d'œuvre, Le
nombre des services augmentagradueHementjusques et passé
yingt, et a chaqueserviceon élevait tout ce quiavaitété employé
aux servicesprécédents.
Desesdaves étaient spécialementattachés à chaque fonction
conviviate, et ces fonctionsétaient minutieusemeptdistinguées.
Les parfumslesplus distinguésembaumaientla salledu ~stih. Des
espèces d~hérauts proclamaientle mérite des mets dignes d'une
attentionspéciate; ils annonçaientles titres qu'ils avaientà cette
espèce d'ovation; en6non n'oubliaitrien de ce qui pouvaitaigui-
ser l'appétit, soutenirl'attention et prolongerles jouissances.
Ce luxe avait aussi ses aberrations et ses bizarreries. Tels
étaientces festinsoù les poissons et les oiseauxservis se comp-
taient parmilliers, et ces metsqui n'avaient d'autre mérite que
d'avoir coûtécher, tel que ce plat composéde la cervelle de cinq
Centsautruches, et cet autre où l'on voyait les langues de cinq
mille oiseauxquitous avaientparlé.
D'après c~ qui précède, il me semblequ'on peut facilementse
rendre compts des sommesconsidérablesque LucuMusdépensait
à sa table et de la cherté des i~estinsqu'il donnait dans le sa)on
d'Apollon,où il était d'étiquetted'épuisertous les moyens connus
pour Natterla sensualitéde ses convives.
HïSTOtKE DE LA CCÏStNE.
~<M*e$M~ <? ~MtM.~
i~.
Esjoursde gloire pourraient renaître sousnos
yeux, et pouren renouvelerles merveillesil ne
nous manquequ'un LucuMus.Supposonsdonc
qu'un homme connu pour être puissammentriche voulûtcélébrerun grand événetttentpoM-
tique ou financier, et donner à cette occasion'
une fête mémorable, sans s'inquiéter de ce'
qu'il en coûterait.
Supposon'squ'il àppeHetous lés arts pour orner le lieu de ta
fête d'ans ses diverses parties, et qu'il ordonne aux prépa-rateurs d'employer pour ta bonne chère tdutesles ressourcesde
l'art, et d'abreuver les convivesavec ce que les caveauxcontien-
nent de plus distingué;
Qu'il fasse représenter pour eux, en ce dîner solennet, deux
piècesjouées par les meilleursacteurs;
Que, pendant le repas, la musique se fasse entendre,exécutée
par les artistes les plus renommés, tant pour les voix que pour
les instruments
Qu'il ait fait préparer, pour entr'actes, entre le dîner et le
café, un ballet dansé dans tout ce que l'Opéra a de plus léger et
de Musjoli
Quelà soiréese ~érn'nnëpar un bal qui rassembledeuxcents
femmes choisiesparmi les pîù~ b'él!és,et quatre cents dan'seùrs
chôisis~rmtIespMs'e~
Que' ? Mtnet soit constatent garM de ce qu'on cohna~de
m~è~xènbb~sbns'chaù~â!cMe~~ giti6éeSJ;'
Que, vers ? ntmeOfde la n~, une côMa~fi'on'savantevtenne
rendre a' tou~< vi~'eor nou~en'e';
Queie~ s6ifv~~so!ën~be~ ét~ëtfvé~us'; l'ïinnninà~on~ar-
ses MÉDITATION XXVII.
faite; et, pour ne rien oublier, que l'amphitryon se soit chargé
d'envoyer chercher et de reconduire commodément tout le
monde.
Cette fête ayant été bien entendue bien ordonnée bien
soignéeet bien conduite, tous ceux qui connaissentParis, con-
viendront avec moi qu'il y aurait dans les mémoires du lende-
main de quoi faire tremblerle caissier même de Lucullus.
En indiquantce qu'il faudraitfaire aujourd'hui pour imiter les
fêtesde ce Romain magnifique, j'ai suffisammentappris au lec-
teur ce qui se pratiquaitalors pour les accessoiresobligésdes re-
pas, où l'on ne manquait pas de faire intervenir les comédiens
les chanteurs les mimes, les grimes, et tout ce qui peut contri-
buer à augmenterla joie des personnes qui n'ont été convoquées
que dans le but de se divertir.
Cequ'on avaitfaitchez lesAthéniens,ensuitechez lesRomains,
plus .tardcheznous dans le moyenâge, et enfin de nos jours,
prend sa sourcedans la nature de l'homme, qui chercheavecim-
patiencela finde la carrière où il est entré, et dans certaine in-
quiétude qui le tourmentetant que la sommetotale de viedont il
peut disposern'est pas entièrementoccupée.
~eettateM~mn* et tmeMbMattmm
150.
t? ~OMMEles Athéniens, les Romains mangeaientcou-
6~S~chés; mais ils n'y arrivèrent que par une voieen
quelque façondétournée.
.~Sj~~S~ Ils se servirent d'abord des lits pour les repas
sacrés qu'on offraitaux dieux les premiersmagistratset
les hommespuissantsen adoptèrent ensuitel'usage, et en
peu de tempsil devintgénéral et s'est conservéjusque vers
le commencementdu quatrièmesièclede l'ère chrétienne.
Ceslits, qui n'étaientd'abord que des espècesde bancs rem-
HISTOIRE DE LA CUISINE. Me
bourrés de pailleet recouvertsd~peax~,paFt'Ctpèreat MentAttm
luxe qui envahittout ce qui avait rapport aux festin~.Ils &)Fpnt
faitsdes hois les plus précieux, incrustés d'ivoire, d'or, et quel-
quefoisde pierreries; ils furent formésde coussinsd'une mollesse
recherchée, et les tapisqui les recouvraient furent ornés de mag-
nifiquesbroderies.
Onse couchaitsur te côté gauche, appuyé sur te coude; et or-
dinairement le mêmelit recevaittrois personnes.
Cette manièrede se tenir à table, que. les Romainsappelaient
~c<M<erMtMNt,était-etteplus commode, était-elle plus favorable
quecelle que nous avons adoptée, ou plutôt reprise? Je ne le
croispas.
Physiquement envisagée, l'incubitationexige un certain dé-
ploiementde forcespour garderl'équilibre, et ce n'est pas sans
quelquedouleurque le poids d'une partie du corpsporte sur l'ar-
ticulationdu bras.
Sousle rapport physiologique, il y a bienaussi quelquechose
à dire: l'imbuccationse fait d'une manière moins naturelle; les
alimentscoulent avecplusde peine et se tassentmoins dans l'es-
tomac
L'ingestiondes liquidespu l'action de boire était surtout.bien
plus difficileencore; elle devait exiger une attentionparticulière
pour ne pas répandre mal à propos le vincontenudansces larges
coupesqui brillaientsur la table des grands; et c'est sans doute
pendant le règne du tec<M<efMMMMqu'est né le proverbequi dit quede la coupeà la boucheil y a souventbiendu vinperdu.
II ne devaitpas être plus facilede manger proprementquandon mangeait couché, surtout si l'on fait attention que plusieursdes convivesportaientla barbe longue et qu'on se servait des
doigts, ou tout au plusdu couteau, pour porter les morceaux à
labouche, car l'usagedes fourchettesestmoderne;on n'en a pointtrouvé dans les ruinesd'Herculanum, où l'on a cependanttrouvé
beaucoupde cuillers.
n fautcroire aussiqu'il se faisaitpar-cipar~Iàquelquesoutragesà la pudeur, dans des repas où Fon dépassait fréquemmentles
~ÊMTATÎON MVIÏ.<M
ber~ d6 hc tempéfaMce~sot des lits où tes deaX sexes étaient
ÊMétes~ o~tit ti'était pas rare de voir une partie des convives
eAdOfntie.
Nampransusjaceo,et satursupinusPertundo tunicamque, palliumque.
Aussic'est la morale qui réclamala première.
Dès que la religionchrétienne, échappée aux persécutionsqui
ensanglantèrentson berceau, eut acquisquelque inQuence ses
Ëftimstresélevèrentla vbixcontré les excès de l'intempérance. Ils
se récrièrent contre la longueurdes repas, où l'on violait tous
leufs préceptesen s'entourant de toutes les voluptés;Voués parcho~xà un régimeaustère, ils placèrentla gourmandiseparmiles
pecaés capitaux, critiquèrent amèrementla promiscuitédessexes~
et attaquèrent surtout l'usage de manger sur des lits; usage quileur parnt le résultatd'unemollessecôupableet la causeprincipaledes abcsqu'ils déploraient.
Leur vo!êmenaçantefut entendue: les lits cessèrentd'orner ta
salle des festins, on revint à l'ancienne manièrede manger enêtai de sé8si6'N;etparùn rare bonheur, cette forme, oruôfnnée
par là moraM,n'a pdinhôurnéaMtdétrimentdu pMisïr.
~oéste
i3d. Al'époque dontndus nous twcupbns,la poésie convi-
vialesubit unemodiStiationnouvelle et prit, dàos ta bo~he d'Ho-
race de TibaUeet autresauteurs à peu près côniMnpbr~s, uce
tangoeuret une mollesseque les MuSes~recqué!~ne (ibH~issate~t
pas.
Dutce ridentem Lalagem amabo,
DM&etoqùentem.
N<w.
HISTOtHE M LA CBÏMNK. OM
O~ris quot mi~t jbatM~Opes
T~te, ~bia, smt ~s s~
Pande, puetta, pande capittutos
Fta~os, tucentcs Ut aurumMtidum.
pa!)de, pueMa, !CoU~)m<;apdtd~mproduetum bene candidis humeris.
GALUJS.·
'i~ ;tr:1
~W~~M~
<52.
-(~jL, Escinq ousix siècles que nous venons de parcou-
.~H~rirea un petit nombre de pages furent les beaux
JN~S~ temp.spour la cuisine, ainsi que pour ceux qui
~P~L«~~t'aimpntet la cultivent; mais l'arrivée, ou plutôt
~? l'irruption des peuples du Nord, changea tout, boule-
~ËM versa tout j~ees jours de gloire furentsuivis d'une longueet terrible obscurité.
A l'apparitionde cs~étrangers, t'artatimentaire disparut avec
les aut es sciences'(~~~T'nt'~
et le consolateur. Lales autres sciencesdo gst te compagnonet te consolateur. La
plupart descuisiniers ~f~nt
massacrésdans les palaisqu'ils des-
servaient les autress'~n~rent pour nepas régalerles oppresseursde leur pays et le pet~nombre qui vint offrir ses serviceseut la
hontede les voir refuser, Ces bouchesféroces,ces gosiersbrutes,
étaient insensiblesaux (}ouceur:sd'une chère délicate.D'énormes
quartiersde viandeet devenaison des quantités incommensura-
bles des plus forte~bo}ssqns, suffisaient pour les charmer et
comme les usurpateursétaient toujoursarmés, la plupart de ces
repas dégénéraienten orgies, et la salle des festins vit souvent
coulerle sang.
pependantilestdansta nature des chosesque ce qui est excès"
s;fne dure pas. Lesvainqueursselassèfent en6n d'être cruels ils
M MÉDITATION XXVIÏ.
s'aMièrentavecles vaincus, prirent une teinte de civilisation et
commencèrentà connaîtreles douceursde la vie sociale.
Lesrepasse ressentirentdecetadoucissement.Oninvitases amis
moinspour les repattre quepour les régater les autres s'aperçu-rent qu'on faisaitquelqueseffortspour leur plaire une joie plusdécente les anima, et les devoirs de l'hospitalité eurent quelquechosede plusaffectueux.
CesaméHorations,qui auraient eu lieu vers le cinquièmesiècle
de notre ère devinrentplusremarquablessous Charlemagneet on
voit, par ses capitulaires que cegrand roi se donnait des soins
personnelspour que ses domainespussent fournirau luxe de sa
table.
Sous ce prince et sous ses successeurs, les ietes prirent une
tournure à la foigalanteet chevaleresque;les dames vinrentem-
HISTOIRE DE LA COISïNE. Ma
35
bellir la cour; elles distribuèrentte prix de la valeur et l'on vit
le faisan aux pattes dorées et le paon à la queue épanouie portes
sur les tables des princes par des pages chamarrés d'or, et par de
gentes pucelles chezqui l'innocence n'excluait pas toujours le désir
de plaire;
Remarquons bien que ce fut pour la troisième fois que 'tes
femmes, séquestrées chez les Grecs, chez les Romains et chez
les Francs furent appelées à faire l'ornement de leurs banquets.
Les Ottomans ont seuls résisté à l'appel mais d'effroyables tem-
pêtes menacent ce peuple insociable, et trente ans ne s'écouleront
pas sans que la voix puissante du canon ait proclamé l'émancipa-
tion des odalisques.
Le mouvement une fois imprimé a été transmis jusqu'à nous, en
recevant une forte progression par le choc des générations.
Les femmes, même les plus titrées, s'occupèrent, dans l'inté-
rieur de leurs maisons, de la préparation des aliments, qu'elles
regardèrent comme faisant partie des soins de l'hospitalité, qui
avait encore lieu en France vers la fin du dix-septième sîècle.
Sous leurs jolies mains les aliments subirent quelquefois des
métamorphoses singulières l'anguille eut le dard du serpent, le
lièvre les oreilles d'un chat, et autres joyeusetés pareilles. Elles
firent grand usage des épiées que les Vénitiens commencèrent à
tirer de l'Orient ainsi que des eaux parfumées qui étaient four-
nies par les Arabes, de sorte que le poisson fut quelquefois cuit
à l'eau de rose. Le luxe de la table consistait surtout dans l'abon-
dance des mets; et les choses allèrent si loin, que nos rois se cru-
rent obligés d'y mettre un frein par des lois somptuaires qui
eurent le même sort que celles rendues en pareille matière par les
législateurs grecs et romains. On en rit, on les éluda, on les ou-
blia, et elles ne restèrent dans les livres que comme monuments
historiques.
On continua donc à faire bonne chère tant qu'on put, et sur-
tout dans les abbayes, couvents et moutiers, parce que les ri-
chesses affectées à ces établissements étaient moins exposées aux
M~TATIQM XXVU.t94
chance et aux danger des guerres intérieut'esquiont si longtempsdésoléla France.
Ëtant biencertainqueles damesfrançaisesse sont toujours plus
ou moins mêléesde ce qui se faisait dans leurs cuisine, on doit
en conclureque c'est à leur interventionqu'est due la prééminence
ipdisputable qu'a toujourseue en Europe !a cuisine française, et
qu'elle a principalementacquise par une quantité immense de
préparations recherchées, légères et friandes, dont les femmes
seules ont pu concevoirl'idée.
J'ai dit qu'on faisaitbonnechère <at~~'oo pouvait mais on ne
pouvaitpas toujours. Lesouper de nos rois eux-mêmesétait quel-
quefoisabandonnéau hasard. On sait qu'il ne futpas toujoursas-
suré pendant les troubles civils; et Henri IV eût fait un soir un
bienmaigrerepas, s'il n'eût eu le bon esprit d'admettre sa table
le bourgeoispossesseurheureuxdela seule dindequi existâtdans
une villeoù le roi devaitpasser la nuit.
Cependant ta scienceavançait insensiblement les chevaliers
croisésla dotèrentde l'échalotte arrachée aux plaines d'Ascalon
le persil fut importé d'Italie; et longtemps avant LouisIX les
charcutierset saucisseursavaient fondé sur la manipulation du
porc un espoir de fortunedont nous avons eu sous les yeux de
mémorablesexemples.Les pâtissiersn'eurentpas moins de succès et les produits de
leur industrie figuraienthonorablementdans tous les festins.Dès
avantCharlesIX ils formaientune corporationconsidérable;et ce
princeleur donna des statutsoù l'on remarquele privilégede fa-
briquer le painà chantermesse.
Vers le milieu du dix-septième siècle, les Hollandais apportèrent
le café en Europe (i). Soliman Àga, ce Turc puissant dont raffolè-
(1) Parmi les Européens, tes HpU~ats tarent les premiers qui tir&r~nt d'Arabie
des plants du caRer, qu'ils transportèrent à Batavia, et qu'ils apportèrent ensuite
en Europe.
M. de Reissout, lieutenant-général d'artillerie, en fit venir un pied d'Amsterdam,
e~en Ht cadeau au Jardin du roi c'est le premier qu'on ait vu à Paris. Ce~tarbre,
dont M. Jussieu a fait la description, avait, en 16<3, un pouce de diamètre et cinq
pieds de hauteur le fruit est fort joli, et ressemble un peu à une cerise.
HISTOIRE M LA CUISINE. MB
rent nostrisaieutes,leur en6t prendreles premièrestaSsesen <660;un Américainen vendit publiquementà ta foirede Saint~Germaiaen 1670 et la rue Saint-André~des-Arcseut le premier café orné
de glaceset de tablesde marbre, à peu près commeon le voitde
nosjours.Alorsaussi le sucre commentaà poindre (I) et Searron) en se
plaignantde ce que sa sMur avait) par avarice, fait rétrécir tes
trous de son sucrier, nous à dumoinsappris que de sontempscemeubleétaitusuel.
C'est encoredans le dix-septièmesiècle que l'usage de t'eau~
de-viecommenta à se répandre. La distillation dont là premièreidée avaitété apportée par tes croisés,était jusque-tndemeuréeunarcanequi n'était connu que d'un petit nombre d'adeptes. Vers lecommencementdu règnede LouisXÏV~lesalambicscommencèrentà devenircommuns, mais ce n'est que sous LouisXVque cetteboissonest devenue vraiment populaire; et ce n'est que depuis
peu d'années que dé tâtonnementsen tâtonnementsoh estvenuà
obtenirde l'alcoolen une seuleopération.C'est encore vers la mêmeépoquequ'on commençaà user du
tabac; de sorte que le sucre, le café,l'eàu~de~vieet le tabac, ces
quatreobjets si importants, soit au commerce, soit à la riéhesse
Escale ont à peinedeuxsièclesde date.
Mèetet <te ~w~ X~ et de t~Mtio XV
153.
E nit sous ces auspices que commença le siëcÏe dé
LouisXÏV et sousce règne br!Hàntlà sciencedès fes-
tins obéità t'impu)sionprogressivequint avancertoutes
les âutressciences.
(1) Quoi qu'ait dit Lucrèce Jes anciens ne connurent pasle sucre. Le sucre est un
produit dé t'art; et sans tacristàttisàt)on,ta canne ne donnerait qu~ùnë MiSsOn
fadëets~tttHM.
MÉDITATION XXVU.M6
On a point encoreperdu la mémoirede ces fêtés qui firent ac-
courir toute l'Europe, ni de cestournoisoùbrillèrentpour la der-
nière foisleslancesqûelabaïonnette-asi énergiquementremplacées,et cesarmures chevaleresques, faiblesressourcescontre la bruta-
litédu canon.
Toutesces fêtesseterminaientpar de somptueux'banquets,quien étaientcommele couronnement; car telle estla constitutionde
l'homme, qu'il ne peut point être tout-à-faitheureux quand son
goûtn'a point été gratifié;et ce besoinimpérieuxa soumisjusqu'àla grammaire,teHementque,pour exprimerqu'une chosea été faite
avec perfection,nous disonsqu'ellea été faiteavecgoût.Par une conséquencenécessaire, les hommes qui présidèrent
auxpréparations de ces festinsdevinrentdes hommesconsidéra-
bles, et ce ne futpas sans raison car ils durent réunir bien des
qualités diverses, c'est-à-dire le génie pour inventer; lé savoir
pour disposer, le jugementpour proportionner, la sagacitépour
découvrir, la fermetépour se faireobéir, et l'exactitude pour ne
pas faireattendre.
Cefutdansces grandes occasionsque commençaà se déployerla magnificencedessurtouts,art nouveauqui, réunissant la pein-ture et la sculpture, présente à l'œil un tableauagréable et quel-
quefoisun siteappropriéà la circonstanceou au hérosde la fête.
C'étaitlà legrand et mêmele gigantesquede l'art du cuisinier
mais bientôt des réunions moins nombreuseset des repas plusfinsexigèrentune attention plusraisonnéeet des soins plusminu-
tieux.
Cefutau petit couvert,dans le salon des favorites et aux sou-
pers finsdescourtisanset desfinanciers queles artistesfirentad-
mirer leursavoir, et, animésd'une louableémulation,cherchèrent
à se surpasser les uns lesautres.
Surla fin de ce règne, le nomdes cuisiniersles plus fameux
était presquetoujoursannexé à celui de leurs patrons cesder-
niersen tiraient vanité.Cesdeux mérites s'unissaient;et les noms
les plusglorieuxfigurèrentdansleslivresdé cuisineà côté des pré-
parationsqu'ilsavaient protégées, inventéesou misesau monde.
HISTOIRE DE LA CUISINE. tTF
Cetamalgamea cessé de nosjours nousne sommespas moin~
gourmandsque nos ancêtres, et bien au contraire; mais nous
nous inquiétonsbeaucoupmoinsdu nomde celui qui règne dans
les souterrains. L'applaudissement par inclinationde l'oreille
gaucheest le seul tribut d'admirationque nous accordonsà t'ar-
tiste quinousenchante; et les restaurateurs, c'est-à-diretes cuisis
niers du public,sontles seulsqui obtiennentune estime nominale
qui lesplacepromptementau rang des grands capitalistes, Utile
dulci.
Cefutpour LouisXIVqu'on apporta des Échellesdu Levantl'é-
pine d'été, qu'il appelait la bonnepoire; et c'est à savieillessequenous devons les liqueurs.
Ceprinceéprouvaitquelquefoisde lafaiblesse,et cettedifficulté
devivre qui semainfestesouventaprès t'âge de soixanteans on
unit l'eau-de-vieau sucre et auxparfums,pourlui en fairedespo-tions qu'on appelait, suivant l'usage du temps,potions cordiales.
Telleest l'origine de l'art du tiquoriste.H està remarquer qu'à peuprès vers le mêmetemps l'art de la
cuisineflorissaità la cour d'Angleterre.La reine Anne était très
gourmande; ellenedédaignaitpas de s'entretenir avec son cuisi-
nier, et les dispensairesanglaiscontiennent beaucoupde prépa-rations désignées (after queen'sAnnfashion)à la manièrede la
reineAnne.
La science,qui était restée stationnaire pendant la domination
de madamede Maintenon continuasamarcheascensionnelleso~s
la régence.Leduc d'Orléans, princespirituelet digned'avoir desamis, par-
tageaitaveceux des repas aussi fins que bien entendus. Des ren-
seignementscertains m'ont apprisqu'on y distinguaitsurtout des
piquésd'une finesseextrême, des matelotes aussi appétissantes
qu'au bord de l'eau et des dindesglorieusementtruSées.
Desdindes truSées dont la réputation et le prix vont tou-
jours croissant!Astresbéninsdont l'apparitionfait scintitter,radier
et tripudierlesgourmandsde touteslescatégories.Le règne de LouisXVne fut pas moinsfavorableà l'art alimen-
MtbttATto~ xxvn,<M
taire. Dix.huitans de paix guérirent sans peine toutes tes plaies
qu'avaient faites plus de soixanteans de guerre les richesses
Grééespar l'industrie, et répanduespar le commerceou acquises
par les traitants firent disparattre rinégalité des fortunes,et
l'espr it de convivialitése répandit dans toutesles classesde !asociété.
C'està dater de cette époque (i) qu'on a établigénéralement
(1) D'après les informations que j'ai prises auprès des habitants de plusieurs dé-
partements, vers 1740 un diner de dix personnes se composait comme il suit:
le bouilli;ter
Mrotce. une entrée de veau cuit dans son jus;un hors d'œuvre.
f unCindoh;
otj~t~~ un piat de légumes;
~unesatade;
1 une crème (quelquefois).
t du fromage;DeMM-t. du fruit;
un pot de confitures.
On ne onangettt que trois Ma d'ftssiéttM) savoir après le potage, au second ser-
vice et au dessert.
On servait très rarement du café, mais assez souvent du rataBa de cerises ou
a'œutets, qu'on rie connaissait que Depuis pën d<!temps.
HISTOIRE DB LA COÏ8ÏNE. <M
dans toustes repas plus d'ordre de propreté, d'élancé, et ces
divers'raffinementsqui, ayant toujoursété en augmentantjusqu'ànosjours, menacentmaintenant de dépasser toutes les limites et
de nousconduireau ridicule.
Sousce règneencore, les petitesmaisonset tes femmesentre-
tenuesexigèrentdes cuisiniersdeseffortsqui tournèrent au profitde la science.
On a de grandes facilitésquand on traite une assemMéenom-
breuse et des appétitsrobustes; avecdela viandede boucherie,du
gibier, de la venaisonet quelquesgrossespiècesde poisson, on a
bientôtcomposéun repas pour soixantepersonnes.Maispour gratifierdes bouchesqui ne s'ouvrent que pour mi-
nauder, pour allécher des femmes vaporeuses pour émouvoir
des estomacs de papier mâché et faire aller des efflanquéschez
qui l'appétit n'est qu'une velléité toujours prête à s'éteindre il
faut plus de génie, plus de pénétration et plus de travail que
pour résoudre un des plus difficilesproblèmesde géométrie de
l'tnShi.
t<<m<a XVt
i54.
~T~Sa~~ZMRMYÉmaintenant au règne de Louis XVIet aux jours
~9j~& de la révolution, nous ne nous traînerons pas mi-
~j nutieusement sur les détails des changements dont
nous avons été témoins; mais nous nous contente-
rons de signaler à grands traits les diverses améliorations
qui, depuis 1774, ont eu lieu dans la science des festins.
Ces améliorations ont eu pour objet la partie naturelle
de l'art, ou les mœurs et institutions sociales qui s'y rattachent;
et quoique ces deux ordres de choses agissent l'un sur l'autre
avec une réciprocité continuelle, nous avons cru devoir, pour plus
de clarté, nous en occuper séparément
MÉDITATION XXVit.<M(
AmeMm~<t<m <MMMle m~pp~rt de ËM~
i55.
jS~ ocTESles professions dont le résultat est de pré-
.UL~ parerou devendredesaliments,tellesquecuisiniers,
< traiteurs, pâtissiers,conSseurs, magasinsde comes-
<~SB!P tibtes et autres pareils,se sont multipliéesdansdes
proportions toujours croissantes; et ce quiprouve
que cette augmentation n'a lieu que d'après des besoins réelsc'est que leur nombre n'a point nui à leur prospérité.
La physique et la chimie ont été appelées au secours de l'art
alimentaire: les savants les plus distingués n'ont point cru au-
dessous d'eux de s'occuper de nos premiers besoins, et ont intro-
duit des perfectionnements depuis le simple pot-au-feu de l'ouvrier
jusqu'à ces mets extractifs et transparents qui ne sont servis que
dans l'or ou le cristal..
Des professions nouvelles se sont élevées; par exemple, les
pâtissiers de petit four, qui sont ta nuance entre les pâtissiers pro-
prement dits et les confiseurs. Ils ont dans leurs domaines les
préparations où le beurre s'unit au. sucre, aux œufs, à la fécule,
telles que les biscuits, les macarons, les gâteaux parés, les me-
ringues, et autres friandises pareilles.
L'art de conserver les aliments est aussi devenu une profession
distincte, dont le but est de nous offrir dans tous les temps de
l'année, les diverses substances qui sont particulières à chaquesaison.
L'horticulture a fait d'immenses progrès, les serres chaudesont
mis sous nos yeux tes fruits des tropiques; diverses espèces de
légumes ont été acquises par la culture ou l'importation, et entre
autres l'espèce de melons cantaloups qui, ne produisant que de
bons fruits, donne aussi un démenti journalier au proverbe (1).
()) Il fauten essayercinquanteAvantqued'entrouverunbon.
11parattque les melonstels que nousles cultivonsn'étaientpasconnusdes
HISTQIRE tA CPÏ8!NE. <M
Qn acu!t;yé, importé et pré~nté d<tM~n ordr~ r~;@r teavinadetous les pays: te madèrequi ouvreta tranchée. !ea vintde France qui se partagent tes servie, et ceux d'Espar 6t
d'AfriquequiCouronnent i'œuvre.
La cuisine française~'est approprié des mets de préparationétrangère, co!nmelekartketlebee<steak; des Msaisohnbtnents,commele çaviar et tesoy; des boissons, comme !e punc~, te
négus et autres.
Le caféest devenupopulaire !e matincommeatiment,et aprèsdîner comme boisson égarante ettonique~ On a inventé une
grande diversitéde vases, ustensites et autres accessoires, quidonnent au repas une teinte plus ou moins marquée de luxe etde festivité;de sorte que les étrangers qui arrivent a Paris trou"vent sur les tablesbeaucoupd'objets dont ils ignorent lé nom etdont ils n'osent souvent pas demanderFusage.
Et de tous ces faitson peut tirer la conclusion générale queau momentoù j'écris ces lignes, tout ce qui précède, accompagneou suit les festins, est traité avecun ordre, une méthodeet unetenuequi marquentune envie de plaire tout-à-iaitaimable pourdes convives.
mormterw petpfeettMmemento
i56.
Na ressuscité du grec te mot de gastronomie; il a
paru doux aux oreilles françaises; et quoiqu'à
peine compris, il a suffi de le prononcer pour por-ter sur toutes les physionomies le sourire de l'hi-
tarité.
On a commencéà séparer la gourmandise de la voracité èt dela goinfrerie; on l'a regardéecommeun penchant qu'on pouvait
RoBf~tM;cequ'ilsappelaientM<toet~pon'étaientquedesconcombre~qu'iisman.gèrent~vecuessauctisextrétnetmetttretev~. Ap<ctM, co~M<tW<t.
MtMTATîON XXVH<M
avouer, commeune qualitésoèiale, agréableà l'amphitryon, pro-fitableau convive, utileà la science, et ona misles gourmandsa
côté detoustes autres amateurs qui ont aussi un objet connu de
prédilection.Unesprit générât de convivialités'est répandu dans toutes tes
classes dela société; les réunionsse sont multipliées, et chacun,
en régalant ses amis, s'est enorcé de leur offrirce qu'il avait re-
marqué de meilleurdans les zones supérieures.
Par suitedu plaisirqu'on a trouvé à être ensemble, on a adopté
pour le temps une divisionplus commode, en donnant aux affai-
res:le tempsqui s'écoutedepuisle commencementdujour jusqu'àsa chute, et endestinantle surplus aux plaisirsqui accompagnentet suiventtes festins.
On a instituéles déjeuners à la fourchette,repas qui a un ca-ractèreparticulierpar les mets dont il est composé, par la gaité
qui y règne, et par la toilettenégligéequi y est tolérée.
On a donné des thés,genre de comessationtout-à-taitextraor-
dinaire., en ce que, étant offerteà des personnes qui ont bien
HISTOIRE DE LA CUISINE. Mt
dîné, ellene supposeni l'appétit ni la soif; qu'elle n'a pour but
que la distractionet pour base que la friandise.
Ona créé les banquets politiques,qui ont constammenteu lieu
depuis trente ans toutes les foisqu'il a été nécessaired'exercer
une influenceactuelle sur un grand nombre de volontés; repas
qui exigentune grande chère, à laquelle on ne tait pas attention,
et où le plaisirn'est comptéque pour mémoire.
EnSn les restaurateursont paru: institutiontout-à-faitnouvelle
qu'on n'a point assez méditée, et dont l'effet est tel, que tout
homme qui est maître de troisou quatre pistolespeut immédiate-
ment, infailliblement,et sans autre peine que celle de désirer,
se procurertoutes les jouissances positivesdont le goût est sus-
ceptible.
JOM ~Mt<MM'OtCttrS.
d57.
N restaurateur est celui dont le commerce
consiste à offrir.au public un festin toujours
prêt, et dont les mets se détaillent en por-
tions à prix fixe sur la demande des con-
sommateurs.
L'établissement se nomme restaurant; ce-
lui qui le dirigeest le restaurateur.On appelle simplementcarte
l'état nominatifdes mets, avec l'indicationdu prix et carte à
payer la note de la quantité des mets fourniset de leur prix.
Parmiceuxqui accourenten foulechez les restaurateurs, il en
est peu qui sedoutentqu'il est impossible que celui qui créa le
restaurant ne fût pas un homme de génieet un observateurpro-
fond.
Nous allons aider la paresse, et suivre la filiationdes idées
dont la successiondutamenercet établissementsi usuelet si com-
mode.
DES MSTAMAtËOâS.
~M~MËMemetMt
d~.
I?7<),après les jours glorieux'de Louis~tV, les
roueries de là régenceet la~ longuetranquillité du
ministèredu cardinal de Fleury, les étrangersn'a-
vaient encore à Parisque biëhpeu8eressourcessous
le rapportde la bonne chère.
Ilsétaient forcésd'avoir recours à la cuisinedesaubergistes,qui
était généralementmauvaise.11existaitquelqueshôtels avectable
d'hôte, qui, à peu d'exceptionsprès, n'offraientquele strict né-
cessaire, et quid'ailleursavaientune heure fixe.
On avait bien la ressource des traiteurs mais ils ne livraient
que des piècesentières, et celui qui voulaitrégalerquelquesamis,
était ibrcé de commande!à l'avance, de sorte que ceux qui n'a-
vaientpas lebonheurd'être invitésdans quelquemaisonopulente,
quittaientla grande villesans connattreles ressourceset les dé-
licesde ia cuisineparisienne.Unordre de choses qui blessait des intérêts si journaliers ne
pouvaitpasdurer, et déjà quelques penseurs rêvaient une amé-
lioration.
Enfin il setrouva un hommede tête quijugea qu'une causeac-
tivene pouvait rester sans eSet; quele méMebesoinse reprodui-sant chaquejour vers les marnesheures, (Mconsommateursvien-
draient en foule la où ils seraient certa!~ qMece besoin serait
agréablementsatisfait;que, si l'on détachait «aë~iledevolailleen
faveurdu premiervenu, il ne manquerai pa~@n présenter un
second qui se contenterait de 1$ <;e!!sse;que l'~bscisiond'une
premièretrancheda~s roba~ur'~ de }t(~)Mne ne déshonorerait
pas le restant delà pièce; qu'~n né régarderait pas à une légère
augmentationde paiementquand on aurait été bien, promptementet proprementservi; qu'onn'en finiraitjamais dans un détailné-
cessairementconsidérable, s! !esconvivespouvaientd!sputërsur
le prix et la qualitédes platsqu'ils auraient demandés qued'att-
MÉDITATION XXVIII.M<
leurs la variété des mets, combinéeavec la 6xité desprix, aurait
l'avantagede pouvoirconvenirà toutesles fortunes.
Cethommepensa encoreà beaucoupdechosesqu'Hest facilede
deviner. Celui-làfut le premiert'e~taitra(e«r,et créa une profession
qui commandeà la fortunetoutes les fbisqueceluiquil'exerceadela bonnefoi, de l'ordre et de l'habileté.
AvMtta~es des Meet~nMmtw
139.
'ADOPTIONdes restaurateurs,qui de Francea faitle
tour de l'Europe, estd'un avantage extrêmepour
toustes citoyens,et d'une grande importancepourla science.
10 Parce moyen,tout hommepeut diner à l'heure
qui luiconvient, d'après lescirconstancesoù il se trouveplacépa)
sesaffairesou ses plaisirs.
DES RESTAURATEURS. M*T
2"Hest certainde ne pas outrepasser la sommequ'H a jugé à
proposdefixer pour son repas,pàrcequ'ilsait d'avancele pfix de
chaqueplatqui luiest servt.
3°Lecompteétantune foisfaitavecsa bourse,leconsommateur
peut, à sa votonté, faireun repas solide, délicatoufriand .t'ar-
roser des meilleursvins français ou étrangers, l'aromatiserde
moka etle parfumerdesliqueurs des deux mondes, sans autres
limitesque !a vigueurde sonappétitoulacapacitédeson estom~.
Le salond'un restaurateurest l'Édendes gourmands.4°C'estencoreunechoseextrêmementcommodepour les voya-
geurs, pour les étrangers, pour ceux dont la familleréside mo.
mentanémentà la campagne, et pour tous ceux, en un mot, quin'ont point de cuisinechez eux ou oui en sontmomentanément
privés,
~tMT~Qt! XXVtH.
Avantl'époquedont no~avons parlé (1770), lea genfriches et
passants jouissatentpresque exclusivementde deux grands avan'
tages ilsvoyageaientavecrapiditéet faisaientconstammentbonne
chère,
t.'etabHs8ementdesnouvellesvoitures qui font cinquantelieues
en vingt-quatre heures a effacéle premier privitége Fétablisse-
mentdes restaurateursa détruit le second par eux, la meilleure
chèreest devenuepopulaire.Touthommequi peut disposerde quinzeà vingt francs, et qui
s'assied à la table d'un restaurateurde premièreclasse, est aussi
bien et mêmemieux traité que s'il était à la table d'un princecar le festinqui s'offreà lui est tout aussisplendide et ayant en
outre, tous les metsà commandement,il n'est gêné par aucune
considérationpersonnelle,
Bx~omem du w~em
140.
Esalon d'un restaurateur, examinéavecun peude détail, offreà l'oeilscrutateurdu philosophe
~SSMENNLIK~tableau dignede son intérêt par la variété
~Mt~~d~Sttuat~ns qu'il rassemble.
~~3~ fondest occupépar la fouledes consom-
!T7~<)j~ mateurs solidaires, qui commandent à haute
voix, attendent avec impatience mangent avec précipitation,
paientet s'en vont.Onvoitdes famillesvoyageusesqui contentesd'un repas frugal,
l'aiguisentcependantpar quelquesmetsqui leur étaient inconnus,
et paraissentjouir avec plaisir d'un spectacletout-a-faitnouveau
pour elles.
Prèsdelà sont deux épouxparisiens on lesdistinguepar le cha-
peau et le schall suspendus sur leur tête; on voit quo, depuis
longtemps,ils n'ont plusrien à se dire ils ont fait lapartie d'aller
D~S MSTA~RATMNS.
37
àquetquepetItspectacté~etHy a a: paMef~et'~B~deM~y
dormira. -i~PlusMasoàt deuxaman~') onen juge par FetnpHessetMntd&
t'un, les petitesmignardisesde t'aa~reet ta goupmaadis~de t0t<s
tes deux.Leplaisir britté dans leurs yettx; e~ par!edhoM}qui) pré-side à la compositionde leur repas, te présent sMt&dt~inëBfje
passéetaprévoirravenir.. l, ti
Aucentre est une tablemeublée d'habituésqui, le plus souvent,
obtiennentun rabais et dînent à prix 6xe. Ils connaissentpar leur
nom tous les garçonsde sàlte, et ceux-cileur indiquent en secret
ce qu'il y a deplus frais et de plusnouveau; ils sont là commeun
fondsde magasin, comme un centre autour duquel les groupesviennentse former, ou, pour mieuxdire, commeles canardspri-vés dontonse sert ehBretagnepourattirer les canardssauvages*
Onyrencontre aussides individusdonttoutiemÔndecon~tttaS-
gure, et dont personne ne saitle nom. Ilssont à t'aise comtn~ttez
eux, et cherchentassez souvent à engager la conversation avec
jteursvoisins, ïb appartiennent à quetques-unes'de ces espèces
qu'on ne rencontre qu'à Paris, et qui), n'ayant ni propriéSeS.hi
capitaux ni industrie, n'en font pas moinsune forte dépende; i
Bn6n, on aperçoit çaet là des étrangers, et surtoutdes!Angtaisces derniers se bourrent de viandesà portions doubles:, deoMUM-dent toutcequ'il a deplus cher, boiventles vinslesplus fumeux~et
ne se retirent pas toujourssans aides.. in
Onpeutvérifierchaquejour l'exactitudedece tabléaui et s'Sie~faitpour piquerla curiosité peuttôtrëpounrait-HaNiger la morales
tne<Mtvémtcmt)t.
i4i. Nu! doute que F occasion et !a toute-puissance des ob-
jets présents n'entraînent beaucoup de personnes dans des ~dé-
penses qui excèdent )eurs facultés. Peut-être les estomacs délicats
tui ()otven(.s quelques in~gesttqns, et ta Vepus tn~nie q~qùjes
sacriSces intempestifs.
MtûtTATtON XXVïït.w
Ma!scequièstbienptus iuneste pOurt'ordresociat, c'est quenous regardonscommecertain que la réfectionsolidairerenforce
t'égoïsme; habitueFindividuà ne regarder que soi à s'isoler detout cequi l'entoure, à se dispenserd'égards et parleur conduite
avant, pendant et après !e repas, dans la sociétéordinaire, il est
tacite de distinguer parmites convives, ceuxqui viventhabituel-
lement chez le restaurateur (i ).
<!tMM)tt«<Mt
142.
ousavonsdit que rétablissementdes restaurateurs avait
été d'une grande importancepour l'établissementde la
science.a
En'ectivement,dès que l'expériencea pu apprendre
qu'un seulragoût éminemmenttraitésumsaitpour faire la fortune
de l'inventeur, l'intérêt, ce puissant mobile, a allumé toutes les
imaginationset mis en œuvre tous les préparateurs.
L'analysea découvertdespartiesesculentesdansdessubstances
jusqu'ici réputéesinutiles descomestiblesnouveauxont été trou-
vés, les anciensont été améliorés, les uns et les autres ont été
combinésde mille manières.Les inventionsétrangères ont été im-
portées l'univers entier a étémis à contribution, et il est tel de
nos repas où l'on pourrait faireun cours completde géographiealimentaire.
MeattMMMtteuM à prix Mxe
i45 Tand!s que l'art su!vait ainsi un mouvement d'ascen-
(1) Entre autres, quand on fait courir nne assiette pleine de morceaux tout dé-
coupés, us se servent et la posent devant eux sans la passer au voisin, dont ils
n'ont pas coutume de s'occuper.
DES RESTAURATEURS. ~t
sion, tant endécouvertesqu'en cherté(cap HCtUt to~oura~aet~nouveautése paie), le mêmemotif, c'est-à-diret'ëspOr dut gahïlui donnait un mouvementcontraire, du moinsrelativementà t&
dépense.
Quelques restaurateurs se proposèrent pour but de joindre îà
bonne chère à l'économie, et en se rapprochantdesfortunes mé-
diocres, qui sont nécessairementles plusnombreuses,de s'assuL
rer ainsi de la fouledes consommateurs.Ils cherchaientdans les objetsd'un prix peu élevé, ceuxqu'une
bonne préparation peut rendre agréables.Ils trouvaient dans la viande de boucherie, toujours bonneà
Paris, et dans le poissonde merqui y abonde, une ressourceiné-
puisable et, pour complément, des légumeset des fruits, que la
nouvelleculturedonne toujoursà bon marché.Ilscalculaientce quii
est rigoureusementnécessairepour remplir un estomacd'une ca-
pacité ordinaireet apaiserune soifnon cynique.`'
Ils observaient qu'il est beaucoupd'objets qui ne doivent leur
prix qu'à la nouveautéou à la saison et qui peuventêtre offerts
un peu plus tard et dégagésde cet obstacle; enfin, ils sont venus
peu à peu à un pointde précisiontel, qu'engagnant 25ou 50 pour
cent, ils ont pu donner à leurs habitués, pour deux francs, et
mêmemoins,un dîner sufEsant,et dont touthommebien né peutse contenter, puisqu'il coûterait au moinsmille francs par mois
pour tenir, dans une maison particulière, une table aussi bien
fournieet aussi variée.
Lesrestaurateurs considéréssouscedernier point de vue, ont
rendu un servicesignaléà cettepartie intéressantede la populationde toute grande villequi se composedesétrangers, des militaires
et des employés, et ils ont étéconduitsparleur intérêt à la solution
d'un problèmequi y semblaitcontraire, savoir de faire bonne
chère, et cependantà prixmodéré, et mêmeà bon marché.
Lesrestaurateursqui ont suivi cetteroute n'ont pas été moins
bien récompensésque leurs autresconfrères ils n'ont pas essuyéautantde reversque ceuxqui étaientà l'autreextrémitédel'échelle;
et leur fortune, quoiqueplus lente, a été plus sûre car, s'ils ga-
MUTATION XX VU!.
gpaMBtaaotns ~,1~f&ia, i~ gagaaiehttous tes jours; et Hest de
yé~it~~ath6mati<tuequ6, quand un nombreégald'unités sontras'.
t~Mées, e~ un point, eues donnent un total égal soit qu'elle~
aientété réuniespar dizaines, soit qu'elles aient été rassemblées
tjtne~une.
JLesatnateurs ont retenu les nonis de plusieursartistes qui ont
l~riHéARansdepuis radpption desrestaurants. Onpeut citerBeau-
viHiers,Méot, Robert, Rpse,Legacquêtles ffèresVéry, Henheveu
et Baleine.
Quelques-unsde ces établissementsont dû leur prospérité à des
~ausj~sspéciales, savoir: leFei!tM~tn<e«e,aux pieds de mouton;
le.. au gras-doublesur le gril lesJFfëre~Fro-
oe~<t~.B,à la morue à l'ail F~ry, aux entrées trunées ~o&ert,
jauxdtnerspQ~nmandés;~etM~ aux soins qu'il se donnait pour
ay~r d'excellentpoisson; etNc~cceM,auxboudoirs mystérieuxde
son quatrième étage, )t9~ ds tous ces héros de la gastronomie,
n~ n'a ptns le droit à une noticebiographique que Beauviltiers,
donf lesjournaux de 4880ont annoncéla mort.
Be<Mtv<MieMt.
i27.
,L–j.– EACYtLHEM,qui s'était étab~vers 1782, a été,
HMÏM~ pendant plus de quinze ans, }e phis fameux
jX~H~' restaurateur dépars.
~SS~ prepaier, it eut un sa!on étégant, des
~m, garçons biennus, un caveausoignéet une cui-
,S~)~° supérieure et qpandplusieurs de ceux
7"~ que nousavonsnotâmesont cherchéà t'égaler,
!t asoutenulahitte sans désavantage, parcequ'u n'a eu que quel-
ques pas à fa~reppur suivreles progrès de la sctence.
pen<ian~!esdeu~ occupationssuccessivesde Pans, en i8i4.et
i8i~, on voy~t censtatnoient dey~ntson ~&teldesyehic~es de
D~S RESf~~rEP~S.
toutes les nations il connaissait tous les chefs des corps étrangers
et avait fini par parler toutes ~eurslangues, autant qu'~1 était né-
cessaire à son commerce,
Beauvilliers publia, vers la fin de sa vie, un ouvrage en deux
volumes in-8", intitulé l'Art ff~ <AtMMMer.Cet ouvrage, fruit d'une
longue expérience, porte le cachet d'une pratique éclairée, et
jou~t encore de toute t'estime qu'on lui accorda dans sa nouveauté.
Jusque-là l'art n'avait point été traité avec autant d'exactitude et
de métnode. Ce livre, qui a eu plusieurs éditions, a rendu bien fa-
ciles les ouvrages qui t'ont suivi, mais qui ne l'ont pas surpassé.
Beauviltiers avait une mémoire prodigieuse il reconnaissait et
accueillait, après vingt ans, des personnes qui n'avaient Mangé
chez lui qu'une fois ou deux il avait aussi, dans certains cas,
une méthode qui lui était particulière. Quand il sayait qu'une so-
ciété de gens riches était rassemblée dans ses salons, il s* appro-
chait d'un air officieux, faisait ses baisë-thains; et il paraissait
donner à ses hôtes une attention toute spéciale.
Il indiquait un plat qu'il ne fallait pas prendre, un autre pour
lequel il fallait se hâter, en commandait un troisième auquel per-
sonne ne songeait, faisait venir du vin d'un caveau dont lui seul
avait la clef; enfin, il prenait un ton si aimable et si engageant,
que tous ces articles Mctraavaientl'air d'être autant de gracieusetés
de sa part. Mais ce rôle d'amphitryon ne durait qu'un moment
il s'éclipsait après l'avoir rempli et peu après, l'enflure de la carte
et l'amertume du quart d'heur de Rabelais montraient sumsam-
ment qu'on avait diné chez un restaurateur.
Beauvilliers avait fait. défait et fêtait plusieurs fois.sa fortune
nous ne savons pas quel est celui de ces divers étais où la mort
l'a surpris mais il avait de tels exutoires que nous ne pensons
pas que sa succession ait été une dépouille opime.
MÉDITATION XXVHï.
QQf!j~_ t résulte de l'examendes cartes de divers restau-
~jE§~ rateurs de premièreclasse, et notammentde cette
~KSiBS' des "ères Yéry et des Frères Provençaux, que le
consommateurqui vients'asseoirdans le salon a
sous la main, commeéléments de son dîner, au
moins
d'au moins trente espèces de vins à choisir, depuis le vin de
Bourgogne jusqu'au vin de Tokàiou du Cap; et de vingt ou trente
espèces de liqueurs parfumées sans compter le café et les mé-
langes tels que le punch le négus, le sittabud et autres
pareils.Parmi ces diverses parties constituantes du diner d'un ama-
teur, les parties principales viennent de France, telles que la
viande de boucherie, la volaille, les fruits; d'autres sont d'imita-
tion anglaise telles que le beefsteak le welchrabbet le
punch, etc. d'autres viennent d'Allemagne, comme le sauer-
i2 potages,24 hors-d'œuvre,
15 ou 20 entrées de bœuf,
20 entréesde mouton,
50 entréesde volailleet gibier,
16
i2
24
i5
50
50
En
ou 20 de veau,
de pâtisserie,
de poisson,
de rôts.
entremets,
desserts.
outre, le bienheureux gastronome peut arroser tout cela
iLe CtMttfMMMMe ehez Me Re*<<mf~e<tf.
i45.
DES RESTAURATEURS. <95
kraut, le bœufde Hambourg, tes Sietsde la for~tNoire;d'autres
d'Espagne, commet'oUa-podrida,tes garbancos~tes raisinsB6!cs
deMataga, les jambons au poivre deXenca,et !eS vins de M-
queur d'autres d'Italie, comme le macaron!, le parmesan, tes
saucissons de Bologne la polenta, les glaces, les tiquetés;<fautres de Russie, commeles viandes desséchées, tes an-
guillesfumées, le caviar; d'autres de Hotlande, comme!aato-
rue, les fromages, les harengs-pecs,le caraçao, l'anisette; d'au-
tres d'Asie, commele riz de t'tnde, le sagou, le karrik, te soy,le vinde Schiraz, le café; d'autres d'Afrique, commele vin du
Cap; d'autres enfind'Amérique, commeles pommesde terre, les
patates, les ananas, le chocolat la vanille, le sucre, etc.: ce
qui fournità suffisancela preuvede la propositionque nousavons
émiseailleurs savoir: qu'un repas tel qu'on peut t'avoir à Paris
est un tout cosmopoliteoù chaquepartie dumondecomparaitparses productions.
MMBBtt AetMN.
Distoire de M de Bo~oae
i46.
DEBoMSËnaquit vers 1780. Son père
était secrétaire du roi. Il perdit ses pa-
rents en bas âge et se trouva de
~onne heure possesseur de quarante
i~Ie livres de rentes. C'était alors une
beue fortune maintenant ce n'est
que ce qu'il faut tout juste pour ne pas mourir de faim.
Un oncle paternel soigna son éducation. H apprit le latin, tout
en s'étonnant que, quand on pouvait tout exprimer en français,
on se donnât tant de peine pour apprendre à dire les mêmes cho-
ses en d'autres termes. Cependant il fit des progrès et quand il
fut parvenu jusqu'à Horace, il se convertit, trouva un grand plai-
LA GOURMANDISE CLASSIQUE. M?
sir à médite:'sur des idées si élégammentrevêtues, et fit de vé-
ritableseffortspour bien connaître la langue qu'avait parlée ce
poètespirituel.H apprit aussi la musique; et après plusieursessais, se fixaau
piano. H ne se jeta point dans les difficultésindéfiniesde cet ou-
til musical(i) et, le réduisantà son véritableusage, il se con-
enta de devenirassezfort pour accompagnerle chant.
Mais, sous ce rapport, on le préféraitmêmeauxprofesseurs,
parce qu'il ne cherchait pas à se mettre sur le premier plan; ne
faisaitni les bras ni les yeux (2); et qu'il remplissaitconsciencieu-sementle devoir imposé à tout accompagnateur, de soutenir et
faire briller la personnequi chante.
Sousl'égidede son âge, il traversa sans accidentlestemps les
plusterriblesde la révolution maisil futconscrità sontour, acheta
un homme qui allabravementse faire tuer pour lui; et bien muni
de l'extrait mortuaire de son Sosie, se trouva convenablement
placé pour célébrernos triomphes, ou déplorernos revers.
M.de Boroseétait de taillemoyenne, mais il était parfaitementbien fait. Quantà sa figure, elle était sensuelle, et nous en don-
nons une idée en disant que, si on eût rassembléaveclui dans le
mêmesalon, Gavaudandes Variétés, Michotdes français, et le
vaudevillisteDésaugiers, ils auraient tous quatre eu l'air d'être
de la mêmefamille.Sur le tout, il était convenude direqu'il était
joli garçon, et il eut parfoisquelque raison d'y croire.
Prendre un état fut pour lui une grande affaire il en essaya
plusieurs mais, y trouvant toujoursquelquesinconvénients,il se
réduisit à une oisivetéoccupée, c'est-à-dire qu'il se fit recevoir
(1) Le piano est fait pour faciliter la composition de la musique et pour accom-
pagner le chant. Joué seul, il n'a ni chaleur ni expression. Les Espagnols indiquent
par tofdotiear l'action de jouer des instruments qui se pincent.
(9) Terme d'argot musical faire les bras, c'est soulever les coudes et les arrière-
bras, comme si on était étouffé par le sentiment faire <M~eM<B,c'est les tourner
vers le ciel, comx!m )p <S!t~isepâmer; faire des bWoc~M, c'est manquer un
trait, uneintM<trait, une
_~` *t&t~
38
f t C t< t
MÉDITATION XXIX.11, i ',1
:M
dans quelques sociétés littéraires; qu'il fut du comité debienfa~-sance de son arrondissement, souscrivit à quelques réunions phi-
lanthropiques et, en ajoutant à cela le soin de sa fortune, qu'ilil
régissait à merveille, H eut tout comme un autre ses aSaires, sa
correspondance et son cabinet.
Arrivé à vingt-huit ans, il crut qu'il était temps de se marier,
ne voulut voir sa future qu'à table, et, à la troisième entrevue
se trouva suffisamment convaincu qu'elle était également joliebonne et spirituelle.
Le bonheur conjugal de Borose fut de courte durée: à peine yavait-il dix-huit mois qu'il était marié, quand sa femme mourut
en couches, lui laissant un regret éternel decette séparation si
prompte, et pour consolation une fille qu'il nomma I~erminie, et
dont nous nous occuperons plus tard.
M. de Borose trouva assez de plaisirs dans les diversesoccupa-
tions qu'il s'était faites. Cependant il s'aperçut à la longue que,même dans les assemblées choisies, il y a des prétentions, des
protecteurs, quelquefois un peu de jalousie. Il mit toutes ces mi-
sères sur le compte de l'humanité qui n'est parfaite nullepart
n'en fut pas moins assidu, mais obéissant, sans s'en douter, à
l'ordre du destin imprimé sur ses traits, vint peu à peu à se faire
une affaire principale des jouissances du goût.
M. de Borose disait que la gastronomie n'est autre chose que la
réflexion qui apprécie, apptiquée à la science qui améliore.
11disait avec Ëpicure (i) < L'homme est-il donc fait pour dé-
< daigner les dons de la nature? N'arrive-t-il sur la terre que pour
<;y cueillir des fruits amers? Pour qui sont les fleurs que tes
« dieux font croître aux pieds des mortels?.. C'est complaire à la
< Providence que de s'abandonner aux divers penchants qu'elle< nous suggère nos devoirs viennent de ses lois; nos désirs, de
ses inspirations.H disait avec !e professeur setwsien, que les bonnes choses
sont pour !es tonnes geps autrement H faudrait tomber dans
(<)AUBEBT,Physiologie~MpOMtOM~,t. I,p.941.
LA GOURMANDISE CLASSIQUE. 9M
l'absurdité, et Croireque D~eune iës a crééesque pour tes mé-
bnan~s.
Le premier travail de Borbsë eut lieu avec soncuisinier, et
eut pour butde lui montrer ses (onctionssou§leur véritablepoint
de vue.
Il lui ditqu'uncuisinierhabite, qui pouvait être un savant par
la théorie, Fêtait toujoursparla pratique; quêta nature de ses
(onctionsle plaçaiteh),rele chimisteet le physicien; il alla même
jusqu'à lui dire que te cuisinier chargéde l'entretien du méca-
nismeanimal, étaitau-dessusdu pharmacien dont l'utitité n'est
qu'dccasidnnëuë.Il ajoutait, avecun docteuraussispirituelque savant (i), < que
te cuisiniera dû approfondir l'art de mdditierles alments par
l'action du (eu, art Inconnu aux anciens. Cet art exigede nos
<jours des étudeset des combinaisonssavantes, it fautavoir ré-
< Qéchitbngtëmpssur les productionsdu globe pour employeravec habitëté les assaisonnements,et déguiser l'amertume de
< certains mets, pour en rendre d'autres plus savoureux, pourt mettre en œuvreles meilleursIngrediens.Lecuisiniereuropéen
< est celuiqui bri!të surtout dans l'art d'opérer ces merveilleux
< mélanges. »
L'allocution6t son ënët, et le chef(2), bien pénétré de son
Importance, se tint toujoursà la hauteur de son emploi.
Unpeu de temps, deréflexionet d'expérienceapprirentbientôt
a !it.de Moroseque, le nombre desmetsétant à peu près nxépar
l'usage, un bon cuhërn'est pas de beaucoupplus cherqu'un mau-
vais qu'il n'en coûte pas cinqcentsirancsdeplus par an pour ne
boirejamaisque de ~rësbon vin; et quetout dépend dela volonté
du maître, de l'ordrequ'il met dans sa maison et du mouvement
quil Imprimeà tous ceuxdont il paieles services.
j;l) AuMRT, P~tOtO~e des pOMtOtM,t. 1, p. 196.
C2)Dans une maison bieii organisée, 1~ ctusiniër se hdmnie c/te/ il a sous lui
l'aide aux entrées, le pâtissier, te rôtisseur et les fouiUë-ati-pot (roHiceestunb
institution à part). Les fouille-au-pot sont ;es mousses de la cuisine comme eux,
ils sohi souvent battus: et comme eux, ils font quelquefois leur chemin.
MÉDITATION XXIX.300
A partir de ces points fondamentaux tesdîners de Borose pri-rent un aspectclassiqueet solennel la renomméeen célèbrerales
délices;on se fitune gloired'y avoirété appelé; et tels en vantè-
rent les charmes, qu'ils n'y avaient jamais paru.
Iln'engageaitjamaiscessoi-disantgastronomesquinesontquedes
gloutons, dont le ventreest un abîme, et qui mangentpartout, de
tout et tout. 11trouvait à souhait, parmi ses amis, dans les
troispremièrescatégories, des convivesaimablesqui, savourant
avec une attention vraiment philosophique, et donnantà cette
étude tout le temps qu'elleexige, n'oubliaientjamaisqu'il est un
instant où la raison dit à l'appétit Nonprocedesamplius(tu n'iras
pas plus loin).Il luiarrivait souventque desmarchandsde comestibleslui ap-
portaientdes morceauxde haute distinction,et qu'ils préféraientles lui vendre à un prixmodéré, par la certitudeoù ilsétaientqueces metsseraientconsommésaveccalmeet réflexion, qu'il ense-
rait bruit dans la société, et que la réputationde leurs magasinss'en accroîtraitd'autant.
Le nombredes conviveschez M. de Boroseexcédait rarement
neuf,etlesmets n'étaient pas très nombreux;mais l'insistancedu
maître et son goût exquisavaient fini par les rendre parfaits.La
tableprésentaiten touttempsceque la saisonpouvaitoffrirdemeil-
leur,soitpar la rareté, soit par la primeur; et le servicese faisait
avec tant de soinqu'il ne laissait rien à désirer.
La conversationpendant le repas était toujours générale,gaieet souventintructive cette dernière qualité était due à une pré-caution très particulièreque prenaitBorose.
Chaquesemaine, un savantdistingué, mais pauvre, auquel il
faisaitune pension, descendaitde son septièmeétage, et lui re-
mettaitune série d'objets propres à être discutésà table. L'am-
phitryon avait soin de les mettre en avant quand les propos du
jour commençaientà s'user, cequiranimaitla conversationet rac-
courcissaitd'autant les discussionspolitiquesqui troublent égale-ment l'ingestionet ladigestion.
Deuxfoispar semaine, il invitaitles dames,et il avait soind'ar-
LA GOURMANDISE CLASSIQUE. 80t
ranger les choses de manière que chacune trouvait parmi tes con-
vives un cavalier qui s'occupait uniquement d'elle. Cette précaution
jetait beaucoup d'agrément dans sa société, car la prude même la
plus sévère est humiliée quand elle reste inaperçue.
A ces jours seulement, un modeste écarté était permis les au-
tres jours, on n'admettait que le piquet et le whist, jeux graves,
réfléchis, et qui indiquent une éducation soignée. Mais le plussouvent ses soirées se passaient dans une aimable .causerie, entre-
mêlée de quelques romances nouvelles que Borose accompagnaitavec ce talent que nous avons déjà indiqué, ce qui lui attirait des
applaudissements auxquels il était bien loin d'être insensible.
Le premier lundi de chaque mois, le curé de Borose venait di-
ner chez son paroissien; il était sûr d'y être accueilli avec toutes
sortes d'égards. La conversation, ce jour-là, s'arrêtait sur un ton
un peu plus sérieux, mais qui n'excluait cependant pas une inno-
cente plaisanterie. Le cher pasteur ne se refusait pas aux charmes
de cette réunion et il se surprenait quelquefois à désirer que cha-
que mois eût quatre premiers lundis.
C'est au même jour que la jeune Herminie sortait de la maison
de madame Migneron (i), où elle était en pension cette dame
accompagnait le plus souvent sa pupille. Celle-ciannonçait, à cha-
que visite, une grâce nouvelle elle adorait son père, et quand
il la bénissait en déposant un baiser sur son front incliné, nuls êtres
au monde n'étaient plus heureux qu'eux.
Borose se donnait des soins continuels pour que la dépense qu'ilil
faisait pour sa table pût tourner au profit de la morale.
Il ne donnait sa confiance qu'aux fournisseurs qui se faisaient
connaître par leur loyauté dans la qualité des choses et leur mo-
dération dans les prix il les prônait et les aidait au besoin, car il
(<)MadameMigneronRemydirige,ruedeValois,faubourgduRoule,no4, unemaisond'éducationsousla protectiondeMadamela duchessed'Orléansle localest superbe,la tenueparfaite,le tonexcellent,lesmaîtreslesmeilleursdeParis,etcequitouchesurtoutle professeur,c'estque,avectantd'avantages,leprix esttelquedesfortunespresquesmodestespeuventyatteindre.
~ÉDItÂT!0~ XXIX.Ma
avaitencorecoutumedé dire due tes gens trop presses de faire
leur fortunesont sbuventpeu détiens sur te choixdes moyens.Sonmarchandde vin s'ëhribhit assez prbmptementparcequ'il
fut proclamésans mélange, qualitédéjà rare mêmechezles Athé-
niens du temps de Périclès,et qui n'est pas communeàu dix-neu-
vièmesiècle.
On croit que c'est lui qui, par ses conseils, dirigea la conduite
d'Hurbain, restaurateur au Palais-Royal Hûrbain, chez qui l'on
trouve pour deuxfrancs un dîner qu'on paièrâit ailleurs plus du
double, et qûimarche à la fortune pai- une rouie d'autant plussûre que la foulecroît chezlui enraison directede la modération
de ses prix.Lesmctsenlevésdedëssus là tabledugastronomen'étaientpoint
livrés à la discrétion des domestiques, amplementdédommagés
d'ailleurs tout ce qui conservait une belle apparence avait une
destination indiquéepar le maître.
Instruit par sa placeau comité de bienfaisance, des besoins
etde la moralitéd'un grand nombredeses administrés, il était sûr
debiendiriger ses dons, et des portions de comestibles, encore
très désirables, venaientde temps en tempschasser le besoin et
fairenaître la joie par exemple, ia queue d'un gras brochet, la
mitre d'un dindon, un morceaude filet, de la pâtisserie, etc.
Maispour rendre cesenvois encoreplusprofitables, il avait at-
tentionde lesannoncer pour le lundi matin, ou pour le lendemain
d'une fêteobviant ainsi à la cessationdu travailpendant lesjours
fériés, combattantles inconvénientsde la MMttlundi(1), et faisant
de la sensualitél'antidotede la crapule.
(i) La plupart dés ouvriers, à Paris; travaillent te dimanche matin pour Unir l'ou-
vrage commencé, le rendre à qui de droit, et en recevoir le prix après quoi ils
partent et vont se divertir le reste du jour.
Le hindi matin, ils s'assembtent par coteries, mettent en commun tout ce qui
leur reste d'argent, et ne se quittent pas que tout ne soit dépense.
Cet état de ctioses qui était rigoureusement vrai il y à dix ans, s'est un peu amé-
liore par les soins des maîtres d'ateliers et par les établissements d'économie et
d'accumulation; mais le mat est encore très grand, eUl y a beaucoup de temps et
LAGOUB~ANp!~ pLAS~IQUE. 9~
Quand M. de Bprpse avait découvert dans ~a ~Otsi~me q~ qua-
trième classe descommerçants unjeunp ménage b'pn un~, et don~
la conduire prudente apnonçantles quaittéssurlesque~sse ~opde
la prospérité des nattons, il leur&tsaitla prévenant d'une ~S}te,et se taisait un devoir de tes engager à dîner.
Au jour indiqué, la jeune femme ne manquait pas de trouver
des dames qui lui partaient des soins tnjtérieurs d'une maisoq
et le mari, des hommes pour causer de commerce et de manu-
factures.F
Cesinvitations dont le mpt'f était connu, Ënirent par devenir
une distinction, et chacun s'empressa de les mériter.
Pendant que toutes ces choses se passaient, la jeune Herminie
croissait et se développait sous les ombrages de la rue de Valois
et nous devons à nos lecteurs le portrait de la .fille comme partie
intégrante de la biographie du pèret
Mademoiselle Herminie de Boroseest grande (5 pieds i pouce)
et sa taille réunit la légèreté d'une nymphe à la taille d'une déesse.
Fruit unique d'un mariage heureux, sa santé est parfaite sa
force physique remarquable; elle ne craint ni la chaleur ni le haie,
et les plus longues promenades ne l'épouvantent pas.
De loin on la croirait brune mais en y regardant de plus près,
on s'aperçoit que ses cheveux sont châtain ~ncé, ses cils noirs et
ses yeux bleu d'azur.
La plupart de ses traits-sont grecs, mais son nez est gaulois; ce
nez charmant fait un effet si gracieux, qu'un cotnité d'artistes,
après en avoir détibéré pendant trois dmers, a décidé que ce typetout français est au moins aussi digne qu~ tout autre d'être im-
mortalisé parle pinceau, le ciseau et le ~unn.
Le pied de cette jeune 611eest remarquablementpetit et bien fait
le professeur l'a tant louée et même cajolée ce sujet, qu'au jour
de l'an 1825, et avec l'approbation de son père, elle lui a fait
cadeau d'un petit soulier de satin noir, qu'il montre aux élus, et
de travailperduauprofitdesTj~votis,restaurateurs,cabaretierset tavemiersdes
fautMùrgsetla banlieue.
MÉDITATION XXIX.«4
dont!! se sert pour prouver que l'extrêmesociabilitéagit sur les
formescomme sur les personnes; car il prétend qu'un petitpiedtel que nous te recherchonsmaintenant, est le produit des soins
et de la culture, ne se trouve presquejamaisparmi les villageois,et indiquepresque toujours unepersonne dont tes aïeuxont long-
temps,vécudans l'aisance.
QuandHerminiea relevésur son peignela forêtde cheveuxquicouvre sa tête et serré une simpletunique avecune ceinturede
rubans, on la trouvecharmante, et on ne &efigurepas que des
fleurs, des perles ou desdiamantspuissentajouter à sa beauté.
Sa conversationest simple et facile, et on ne se douterait pas
qu'elle connaît nos meilleursauteurs; mais dans l'occasion elle
LA GOURMANDtSE CLASStQtIE. 3M
s'anime, et la finessede ses remarquestrahit son secret: aussitôt
qu'elle s'en aperçoitelle rougit, ses yeux se baissent, et sa rou-
geur prouve sa modestie.
Mademoisellede Borosejoue égalementbien du pianoet delà
harpe mais ellepréfèrece dernier instrument par je ne saisquelsentimententhousiastiquepour les harpescélestesdont sont armés
les anges, et pour les harpes d'or tant célébréespar Ossian.
Sa voix est aussi d'une douceur et d'une rectitudecélestes; ce
qui ne l'empêchepas d'être un peutimide cependantelle chante
sans se faireprier, maisellene manquepas, eh commençant,de
jeter sur son auditoireun regard qui l'ensorcelle de sortequ'elle
pourrait chanter faux commetant d'autres, qu'on n'aurait pas la
forcede s'en apercevoir.
Elle n'a pointnégligéles travaux de l'aiguille source de jouis-
sancesbien innocenteset ressourcestoujoursprêtescontrel'ennui;
elle travaillecomme une fée, et chaque foisqu'il parait quelquechose de nouveau en ce genre, la première ouvrièredu Père de
familleest habituellementchargée de venir le lui apprendre.
Lecœur d'Herminien'a point encoreparlé et la piété filialea
jusqu'icisuffià son bonheur maisellea unevéritablepassionpour
la danse, qu'elle aime à la folie.
Quand elle se place à une contredanse, elle paraît grandir de
deux pouces, et on croirait qu'elle va s'envoler cependant sa
danse est modérée, et ses pas sans prétention elle se contente
de circuleravec légèreté, en développantses formesaimableset
gracieuses; mais à quelqueséchappéeson devinesespouvoirs, et
on soupçonneque si elle usaitde tous sesmoyens, madame Mon-
tessu aurait une rivale.
Même quand l'oiseau marche on voit qu'il a des ailes.
Auprèsde cette fillecharmantequ'il avait retiréede sa pension,
jouissant-d'une fortunesagementadministréeet d'une considéra-
tionjustementméritée, M.de Borosevivaitheureux, et apercevait39
MÉDtTATtON XX!X<M
encoredevantlui une longuecarrièreà parcounr ma!stouteespé-r~tnr,~Psttrônipetïsè; èt ôii .nèjieu~p~i~ré~ôüijc~d̀~ l'~venir:rance est trompeuse,et on ne peu); pas répondrede l'avenir.
Verste milieudu moisde mars dernief, de Borosefut invité
à aller passer une journée à la campagneavecquelquesamis.
On était à un de Cesjours prématurémentchauds; avant-cou-
reurs du printemps et on entendaitaux bornes del'horizonquel-
ques-unsde ces grondementssourdsqui fontdire proverbialement
que l'hiver se cassele cou ce qui n'empêchapas qu'on se mîten
route pourla promenade.Cependantbientôt le ciel prit une lace
menaçante, les nuages s'amoncelèrent,et un orage épouvantable
éclataavectonnerre, pluieet grêle.Chacunse sauvacommeil put et où il put M.de<Borosechercha
un asile sousun peuplierdont les branchesinférieures inclinées
en parasol, paraissaientdevoir le garantir.
Asilefuneste1 la pointede l'arbre allaitchercher le Quideélec-
trique, jusquedans les nuages, et la pluieen tombant le longdes
branches, lui servait de conducteur. Bientôtune détohnation
effroyable se 6t entendre et l'infortuné promeneur tomba mort
sans avoir eu le temps de pousser un soupir.
Entevé ainsi par ce genre de mort que desirait César, et sur le-
quel il n'y avait pas moyen de gloser, M. de Borose fut enterré
avec les cérémonies du rituel le plus complet. Son convoi fut suivi
jusqu'au cimetière du Père-Lachaise par une foule de gens à piedet en voiture son éloge était dans toutes les bouches, et quandune voix amie prononça sur sa tombe une allocution touchante il
y eut échodans te cœur de tous tes assistants.
~erminie fut atterrée d'un malheur s! grand et si inattendu
elle n'eut pas de convutsions, elle n'eut pas de crises de nerfs, elle
n'alla pas cacher sa douleur dans son lit mais elle pleura son pèreavec tant d'abandon de continuité et d'amertume, que ses amis
espérèrent que l'excès de sa douleur en deviendrait te remède,
car nous ne sommes pas assez fortement trempés pour éprouver
pendant longtemps Un sentiment si vif.
Le temps a donc t~it sur ce jeune co6ur son enët Immanquable;Herminie peut nommerson père san~ ïbndrë en tarmes; mais enë
LAGOURttA~Dt~ CLA~QU~. "?
en parte avecune piétédouce, un regret si !n~nu, un anaour siactuelet un accent.si profond qu'il est imposstbte de Fentendreet de ne pas partager son attendnssement.
Heureuxceluià quiHerminiedonnerale droit de !'accon)pagneret de porter avecelleune couronne funérairesur ta tombede teur
père
Dansune chapellelatéralede t'égtisede. on remarquechaquedimanche,à la messede midi,une grande et bellejeune personneaccompagnéepar une dameâgée.Satournure estcharmante, maisun voileépaiscache son visage.Il fautcependantque les traitsensoientconnus, car on remarque tout autour de cettechapelleunefoulede jeunes dévôtsde fraîchedate, tous fort élégammentmis,et dont quelques-unssont fortbeaux garçons.
Cmrté~e d nme hétfMè~e.
f47.
AssAmun jour de la rue de la Paix à la placeVen-
~gQ~~ dôme, je fus arrêté par le cortège de la plusriche
~jj~héritièrede Paris, pour lors à marier et revenant
~t~jjj~dubois de Boulogne.
~$~ Il était composécommeil suit
i" La belle objet de tous les vœux montée sur un très beau
chevalbai, qu'ellemaniaitavecadresse amazonebleue à longue
queue, chapeaunoir à plumesblanches
3° Son tuteur, marchantà côtéd'elle avecla physionomiegraveet le maintienimportantattachéà sesfonctions
3° Groupede douze à quinzepoursuivants,cherchanttous à se
faire distinguer, qui par son empressement,qui par son adresse
hippiatrique, qui par sa méIancoHe
4° Unenca<magnifiquementattelé, pour servir en cas de pluie
MÉDITATION XXIX. LA GOURMANDISE CLASSIQUE!M
ou de fatigue; cocher corpulent, jokey pas plus gros que le
poing;5*Domestiquesà chevalde toutesles livrées,en grand nombre
etpéte-méle.Ils passèrent. et je continuaide méditer.
0<nt<)Mft.
150.
~EM~~J~ ASTÉRÉAestla dixièmemuse ellepréside aux
)~f' jouissancesdu goût.
~~N~. Elle pourraitprétendreà l'empirede l'uni-
<(~a~\ vers; car l'univers n'est ~riensans la vie, et
~t~~toutce qui vit se nourrit.
~~) Elleseplaitparticulièrementsur lescoteaux
où la vignefleurit, sur ceux que l'oranger parfume,dans les bos-
quets où la truffe s'élabore, dans les pays abondants en gibier et
en fruits.
Quandelledaignese montrer, elleapparaît sous la figure d'une
jeunentte: sa ceintureestcouleurde feu; ses cheveuxsontnoirs, ses
yeux bleu d'azur, et ses formespleinesde grâces bette comme
Vénus, elle est surtout souverainementjolie.Ellese montre rarementauxmortels mais sa statuelesconsole
MÉDITATION XXX.810
de son invisibilité.Unseu~sculpteura été admisà contemplertant
de charmes, et têt aé~ !e succèsde cet artisteatmédes dieux, que
quiconque vp~ son ouvrage, croity reconnaîtra )es traits de la
femmequ'ilaie plus année.
Detous les lieux pu pastéréa a des autels, celui qu'elleprêtreest cettp ville remedu monde, qui emprisonnela Seineentre les
n'J~P1~ dg fés ~à\àis,'o,.
Stpn~mpie est bâ),isur cettemontagnecélèbreà laquelleMarsà
donn~ sop nom~it est ppsé sur un socle immense de marbre
~9~ !sa~t ? montede tous c~és par cent marches.
"ans b)pc révéré quesont percésces souterramsmys-térieux Oùt'art interrogela nature et la soumetà ses lois.
C'est ta que F air, l'eau, lefer et le feu mis en actionpar des
mainshabiles, divisent,réunissent,triturent, amalgamentet pro-duisentles enëts dont le vulgaire neconnaît pas la cause.
C'estde là enfinque s'échappent, à des époquesdéterminées
des recettesmerveilleusesdont les auteurs aiment à rester incon-
nus, parce que leur bonheurestdans leur conscience, et queleur
récompenseconsisteà savoirqu'ilsont reculélesbornesdelàscience
et procuré auxhommes des jouissancesnouvelles.
Le temple, monument unique d'architecturesimple et majes-
tueuse, estsupportépar centcolonnesdejaspe oriental et éclairé
par un dômequi imitela voûte des cieux.
Nousn'entrerons pas dansle détaildes merveillesquecet édifice): L.t '!)" t:
renferme, il suffirade dire que les sculptures qui en ornent tes
frontons, ainsi queles bas-reliefsqui endécorent l'encemte, sont
consacréesà la mémoiredeshommesqui ont bien méritéde leurs
semblabtespar des inventionsudies, telles que l'applicationdu
feuauxbesoinsde la vie, l'inventiondela charrue, et autres pa-f''t.reules.
Bien loin du dômeet dans le sanctuaire on voitla statue de la
déesse elle a la main gauche appuyéesur un fourneau, et tient
de la droite la productionlaplus chère ses adorateurs.
Le baldaquinde cristalqmla couvre est soutenu par huijtco-
lonnes demêmematière, et
ces colonnes cpn~nue~eme~ }non-
,); -~I;':(';'ïBO~ËT.
~?,¡tu
deesde flammeélectrique, répandent dans lé uëu saintune Marte
qui à quelquechose ded~vih.
Lëcuttëdë là déesse est smiple:cnâquë {ôur, au lever au so-
leil, ses prêtresviennent enlever la couronnede ueurs qui ornesa statue, en placent une nouvelleet chantent en cho&urun des
hymnes nombreuxpar lesquels la poésie a célébréles biens dont
l'immortellecomble!e genrehutham.
Cesprêtressont au nombre de douze, présidespar te plusâgeils sont choisisparmiles plus savants; et les plus beaux, toutes
choseségales, obtiennentla prétérencë. Leur âge est celui de là
maturité; tts sont sujets à là viëuleâsë, ma!sjamaisa ta caducité;
t'air qu'i! respirent dans!ëtempte!es en défend
Les ietës de !a déesseégàtehtle nombre dès jours de l'année
car elle ne cessejamais de verser ses biehiaits mâts pàrm! ces
jours il en est Unqui lui est spéciàtementconsacré c'est te viNGT-
M SEPTEMBRE,appëiéi'e~raM~A<Ke!y~<rbmOMtt~t<e.En Cejour sotënnël, !a vitte-rëihëest, dès le mat)~ environnée
d'un nuage d'encens; te peuple, couronnede ueurs, parcourt tes
rues en chantant les louangesde la déesse; les citoyens s'appel-lent par les titres de là plus aimableparenté tousles Cteurssont
émusdes plusdoux sentiments l'atmosphèrese charge de syhi-
pathie, et propage partoutl'amour et l'amitié.
Unepartie de la journée se passe dans ces épàhchemehts, et
à l'heure déterminéepar l'usage, là foule se porte vers le templeoù doit secélébrer le banquetsacré.
Dansle sanctuaire, auxpiedsdelà statue, s'étèveunetabledes-
tinéeaux collègedes prêtres. Uneautre table de douzecents cou-
vertsa étépréparéesousledômepour desconvivesdesdeuxsexes.
Tousles arts ont concouruà l'ornementde cestablessolenneltesrien de siélégantne parutjamaisdansle palaisdes rois.
Les prêtresarrivent d'unpas graveet d'un air préparé; ils sont
vêtus d'une PuniqueHanche de laine de cachemire, une broderie in
carnat en orne les bords, et une ceinture de mêmecouteur en ra
masse les plis )eur physionomie annonce la santé et la bienveil
tance; ils s'assoient après s'être réciproquement salués.
MÉDITATION XXX.<M
Dé}àdes serviteurs, vêtus de fin Un, ont-placéles mets devant
eux ce ne sont pointdes préparationscommunesfaitespourapai-ser des besoins vulgaires; rien n'est servi sur cette table auguste
qui n'en ait été jugé digne, et qui ne tienne à la sphère transcen-
dante, tant par le choixde la matière que par la profondeurdu
travail.
Les vénérables consommateurssont au-dessus de leurs fonc-
tions leur conversationpaisible et substantielle roule sur les
merveillesde la créationet la puissancedel'art ils mangentavec
lenteur et savourent avec énergie le mouvementimpriméà leur
mâchoireà quelquechosede moelleux on dirait que chaquecoup
de dent a un accentparticulier, et s'il leur arrive de promener la
langue sur leurs lèvres vernissées, l'auteur des metsen consom-
mation en acquiertune gloireimmortelle.
Les boissons, qui se succèdentpar intervalles,sont dignesde ce
banquet; elles sontversées par douze jeunes filleschoisies pource jour seulement,par un comitéde peintreset desculpteurs elles
sont vêtuesà l'athénienne,costumeheureuxqui favorisela beauté
sans alarmer la pudeur.
Les prêtres de la déesse n'affectentpointde détournerdes re-
gards hypocrites, tandis que dejolies mains fontcoulerpour eux
les délices des deux mondes mais tout en admirant le plus bel
ouvrageduCréateur, la retenuede la sagessene cesse pas de sié-
ger sur leur front la manièredont ils remercient, dont ils boi-
vent, exprimece doublesentiment.
Autourde cette tablemystérieuseon voitcirculerdes rois des
priaceset d'illustresétrangers, arrivés exprèsde toutesles partiesdu monde ils marchent en silence et observent avec attention
ils sont venus pour s'instruire dans le grand art de bienmanger,art difEcile, et que des peuplesentiersignorentencore.
Pendantqueces chosesse passentdans le sanctuaire une hila-
rité générale et brillante anime les convivesplacés autour de la
table du dôme.
Cettegaitéest due surtout à ce qu'aucund'entre euxn'est placé
BOUQUBTf M'
40
à côté de la iemme l~que~eHa d~ ~t dit, A~sil'a voulula
déesse.
Acettetable 'mmense pot été appelés, par ç~qm,, savantsdes de~x sexes qm qpt enncM l'art par leurs déc~~Yertes, les
maitres de matspnsqui remplissentaveq tant de gr~celes devoirs
de l'hospitalitéfrançaise, les savants cosmopol~esa qwla sociétédoit des importationsutiles ou agréables, et ces hommesmiséri-
cordieux qui nourrissent le pauvre des dépouillesopimesde leur
superQu.Le centreen est évidé, et laisseun g~andespacequi est
occupé
par une fou!§de prosecteurset de distributeursqui offrent et voi-
turent despartiesles pluséloignéestoutcequeles convivespeuvent
désirer.
Là se trouve ptacéavecavantagetout ce que la nature, dans sa
prodigalité,a créé pour la nourriture de l'homme. Cestrésorssont
centuplés, non seulementpar leur association, mais encore parlesmétamorphosesquel'art leura fait subir.Cetenchanteuraréuni
les deuxmondes, confondules règnes et rapprochéles distances
le parfumqui s*élèvede ces préparationssavantes embaumel'air
et le remplitde gaz excitateurs.
Cependantde jeunes garçons, aussi beauxque bienvêtus, par-courent le cercle extérieur, et présententincessammentdes cou-
pes remplies de vin délicieux, qui ont tantôt l'éclat du rubis,tantôt ta couleurplus modestede la topaze.
De temps en temps, d'habités musiciens, placésdans les ga-leriesdu dôme, fontretentirle templedes accentsmélodieuxd'une
harmonieaussisimpleque savante.
Alors les têtes s'élèvent, l'attention est entraînée, et pendantces courts intervalles, toutes les çonversattpnssont suspendues;mais elles recommencentbientôt avec plus de charme; il semble
que ce nouveauprésent des dieuxait donnéà t'nnaginationplusde fraicheur,et tous tes cœurs plus,d'abandon.
Lorsquele plaisirde la table a rempli le temps,qui lui est'as-
a~, !e collègedpsprêtes s'avances~urte,bord~de t'ence~a; ils
viennent prendrepart a~ubanquet,se m~er avec tes~çon~ve~ et
MÉDITATION XXX.3<t
Koire avec euxle mokaque le législateurde l'Orient permetà ses
disciples. La liqueur embaumée fume dans des vases rehaussés
d'or; et les'belles acolytesdu sanctuaire parcourent rassemblée
pour distribuerle sucrequien adoucitl'amertume.Ellessont char-
mantes, et cependant telle est l'influencede i'air qu'on respiredans le templede Gastéréa, qu'aucuncœur de femmene s'ouvre
à la jalousie.
Enfin le doyen des prêtres entonnel'hymne de reconnaissance;toutes tes voix s'y joignent, les instruments s'y confondent cet
hommagedes cœurs s'élèvevers le ciel, et le serviceest fini.
Alors seulementcommencele banquet populaire, car il n'est
point de véritablesfêtesquand le peuplene jouit pas.
Destables, dontt'œit n'aperçoit pas la fin, sont dresséesdans
toutes les rues, sur toutesles places, au-devantde tous les palais.Ons'assied où l'on se trouve; le hasard rapprocheles rangs, les
âges, tes quartiers toutes les mainsse rencontrentet se serrent
aveccordialité on ne voit que des visagescontents.
Quoiquela grandevitte ne soit alors qu'un immenseréfectoire,la générosité des particuliers assure l'abondance, tandis qu'un
gouvernementpaternel veilleavecsollicitudepour le maintien de
l'ordre, et pour que les dernièreslimitesde la sobriéténe soient
pas outrepassées.
Bientôtune musiqueviveet animée se faitentendre; elle an-
nonce la danse, cet exerciceaimé de la jeunesse.
Des sallesimmenses, des estrades:élastiquesqui ont été pré-
parées, et desrafraîchissementsde toute espèce, ne manqueront
pas.
On y court en foule, les uns pour agir, tes autrespour encou-
rager et comme simples spectateurs. On rit en voyantquelques
viéittards,animés d'un feupassager, offrir à la beauté unhom-
mageéphémère mais le cultede la déesse et la solennitédujourexcusent tout.
Pendant longtempsce plaisir se soutient; l'allégresseest géné-rale, le mouvementuniversel, et on entendavec peinela dernière
BOUQUET. Mt
heure annoncer le repos. Cependant personne ne résiste à cet
appel; tout s'est passé avecdécence; chacun se retire content de
sa journée, et se coucheplein d'espoirdans les événementsd'une
annéequi a commencésous d'aussi heureuxauspices.
PHYS)OLOE)EDUGOUT.
SECONDEPARTIE.
second, de définiravecprécisioncequ'on doitentendrepar gour-
mandise et de séparer pour toujourscette qualité sociale de la
gloutonnerieet de l'intempérance,avec lesquelleson l'a si mal à
propos cohtbndue.
Cetteéquivoque a été introduitepar des moralistesintolérants
qui, trompés par un zèle outré, ont vouluvoir des excèslà oui!
n'y avait qu'une jouissance bien entendue; car les trésors de la
création ne sont pas faitspour qu'on les foule aux pieds. Il a été
t l'on m'a lu jusqu'ici aveccette attention que
j'ai cherchéà fairenaître et à soutenir, on a dû
voir qu'en écrivant j'ai eu un double but que
je n'ai jamais perdu de vue le premier a été
de poser les bases théoriquesde la ~<roMOM<e,afinqu'ellepuisse se placer,parmi les sciences,
au rang qui lui est incontestablementdû le
TRANSITIO N.MO
ensuitepropagépar desgranMoaMensinsociaMes,qutdéBnissaient~n aveugles~tjuntieot~~atKa~n.
n est tempsqu'une pareille cTeur Rnisse, caf maintenanttout
le monde s'eo~ed; ce qui est si vrai, qu'en même temps qu'il
n'et~ personnequi n'avoue une petiteteintede gourmandiseetne
a~en~tssegloire, il n'est personne non plus qui ne prit à grosse
injure l'accusation de gloutonnerie de voracité ou d'intem-
pérance.
Sur ces deuxpointscardinaux,il me semblequece quej'ai écrit
jusqu'à présentéquivautà la démonstration, et doit sumre pour
persuader tous ceux qui ne se refusent pas à la conviction. Je
pourrais donc quitter la plume et regarder comme nnie la tâche
que je me suis imposée; mais en approfondissantdes sujets quitouchent à tout, il m'est revenu dans la mémoirebeaucoupde
chosesqui m'ont paru bonnes à écrire, des anecdotes certaine-
ment inédites, des bons mots nés sous mes yeux, quelques re-
cettesde haute distinctionet autreshors-d'œuvrepareils.
Semésdans la partie théorique, ils en eussent rompu l'ensem-
ble réunis, j'espère qu'ils seront lus avec plaisir, parce que,tout en s'amusant, on pourra y trouver quelques véritésexpéri-mentaleset développementsutiles.
Il fautbien aussi, commeje l'ai annoncé, queje fassepourmoi
un peu de cettebiographiequi ne donne lieu ni à discussionni à
commentaires.J'ai cherché la récompense de mon travail dans
cettepartie oùje me retrouveavecmes amis. C'estsurtoutquandl'existenceest près de nous échapperquele moinousdevientcher,et les amisen fontnécessairementpartie.
Cependant, en relisant les endroits qui me sont personnels,je ne dissimuleraipas que j'ai eu quelques mouvements d'in-
quiétude.
Ce malaise provenait de mes dernières, tout-à-(aitdernières
lectures, et des.glosesqu'on a lattes sur des mémores qui sont
dans les mamsdptout le monde,
TRANSITION. SM
J'ai craint que quelquemalin,qui aura mal digéréet maldormi,
ne vienne à dire Mais voilà un professeurqui ne se dit pas< d'injures voilà un professeurqui se fait sans cessedes com-
pliments voità un professeur qui. voilà un professeur< que.
Aquoi je répondsd'avance, en me mettanten garde, quecelui
qui ne dit de mal de personne a bien le droit de se traiter avec
quelque indulgence; et que je ne vois pas par quelle raison jeserais exclu de ma propre bienveillance, moi qui ai toujoursété étranger aux sentimentshaineux.
Aprèscette réponse, bien fondéeen réalité, je crois pouvoirêtre tranquille, bienabrité dans mon manteaude philosophe; et
ceux qui insisteront, je les déclare mauvaiscoucheurs. Mauvais
coMcAeMMinjure nouvelle, et pour laquelle je veux prendre un
brevet d'invention parce que, le premier, j'ai découvert qu'elle
contienten soi une véritableexcommunication.
'l'l~ ei~3-"ë-
~~Md~ bu CM~
~ac~S~opT !emondesaitquemadameR"*aocc~p~peo-
~dantvbgtans, sans contradiçt)on,Je tr~nede
\(r~1 !a beauté à Paris. On sait aussi qu'eUepst e~-trémement charitable, et qu'à une sertaine
~tJjt~j~ époque e!te prenait mtérét dans !aptupartdes
~Y entreprisesqui avaient,pour but de soutagertamisère, quelquefoisptus poignantedans ta ca'-
pita)eque partoutaitteurs(t).
Ayant à conférerà ce sujet avecM.le curé pttese rendit
~) Çeu~ surtout sont Plainte, doutes !!eso;ns so)tt ~o~B';cafM fautrendre justice aux Parisiens, et dire (;u'Us so<ttcharttabteg etau~Amers. Je ~ism~,en t'ait i, une petite pension hebdomadaire à une vieille religieuse qui gisait à un
si~tn~tege, paratyxAede la mpttté da corps. Gettë brave aUe recevait asse~ de
1~btMfM~M d~ vo~~ B~W ~re t peMp~s M~p~b~9''t et pour ttf~Fune sœur converse qui s'était attachée à son sort.
M4 VARIÉTÉS.
chez lui versles cinq heures de l'après-midi, et fut fort étonnée de
le trouvcrdéjàà table.La chère habitante de la rue du Mont-Blanccroyait que tout le
monde, à Paris, dînait à six heures, et ne savait pas que les ec-
clésiastiques commencent en général.de bonne heure, parce qu'ilen est beaucoup qui font le soir une légère collation..
Madame R' voulait se retirer; mais le curé la retint, soit parce
que l'affaire dont ilsavaient à causer n'était pas de nature à l'em-
pêcher de dîner, soit parce qu'une jolie femme n'est jamais un
trouble-fête pour qui que ce soit, ou bien enfin parce qu'il vint a
s'apercevoir qu'il ne lui manquait qu'un interlocuteur pour faire
de son salon un vrai Elysée gastronomique.
Effectivement le couvert était mis avec une propreté remar-
quable un vin vieux étincelait dans un flacon decristal la
porcelaine blanche était de premier choix les plats tenus chauds
par l'eau bouillante; et une bonne, à la fois canonique et bien
mise, était là prête à recevoir les ordres.
Le repas était limitrophe entre la frugalité et la recherche. Un
potage au coulis d'écrevisses venait d'être enlevé, et on voyaitsur la table une truite saumonnée, une omelette et une salade.
« Mondîner vous apprend ce que vous ne savez peut-être pas,« ditle pasteur en souriant; c'est aujourd'hui jour maigre suivant
« les lois de l'Église. Notre amie s'inclina en signe d'assentiment;
mais des mémoires particuliers. assurent qu'elle rougit un peu, ce
qui n'empêcha pas le curé de manger.
L'exécution avait commencé par la truite, dont la partie supé-
rieure était en consommation la sauce indiquait une main habile
et une satisfaction intérieure paraissait sur le front du pasteur.
Après ce premier plat, il attaqua l'omelette, qui était ronde,
ventrue, et cuite à point.
Au premier coup de la cuiller la panse laissa échapper un juslié qui flattait à la fois la vue et l'odorat; le plat en paraissait pleinet la chère Juliette avouait que l'eau lui en était venue à la bouche.
Le mouvement sympathique n'échappa pas au curé, accoutumé
à surveiller les passions des hommes et ayant l'air de répondre à
L'OMELETTE DU CURÉ. MM
une questionque madameR*"s'étaittien gardéede faire: <C'est
< uneomeletteau thon, dit-il;ma cuisinière les entend à mer-
<vett!e, et peu degensy goûtentsans m'en fairecompliment.< Jen'en suispas étonnée, répondit l'habitante de la Chaussée-
d'Antin;etjamaisomelettesi appétissantene parut sur nos tables
<mondaines.
Lasaladesurvint. (J'en recommandeF usageàtous ceuxquiont
confianceen moi, la saladerafraîchitsans affaiblir, et conforte
sans irriter j'ai coutumede direqu'elle rajeunit.)
Ledîner n'interrompitpas la conversation.Oncausade l'affaire
qui avaitoccasionnéla visite, de la guerre qui faisaitalors ragedesaffairesdu temps, des espérancesde l'Église,et autrespropos
de tablequifontpasserun mauvaisdîner pt en embeUisentun bon.
Le dessertvint en son lieu il consistaiten un fromagede Sept-
moncel,trois pommesde calvilleet un pot de confitures.
Enfin la bonne approchaune petite tableronde, teUequ'onen
avait autrefoiset qu'on nommaitguéridon,sur,laquelleelle posaune tasse de mokabien limpide, bienchaud, et dont l'arômerem-
plit l'appartement.
Après Favoir siroté ( Mpe<!), le curé dit ses grâces et ajouta en
se tevant <Je ne prendsjamaisdeliqueursfortes c'estun supen*
VAR!~ÈB.
< Ququej'o~ toujours à mes convives, maisdont je ne faisau-
< cun usageperponnet. te me réserveainsi un secourspour t'ex-
< trefnevieillesse, si pieu mefaitla gr~eed'y parvenir. »
Pendant que ceschosesse passaient, le temps avaitcouru, six
heures arrivaient madame P* se bâta donc de remonteren voi-
ture, car elleavait ce jour-!à à dîner quelquesamisdontje Msais
partie.Ellearriva tard, <Mt<?am<sa coutume mais enfineHearriva,
encoretout émuede ce qu'eue avait vu et ûairé.
Il ne fut question, pendanttoutle repas, que du menu du curé
et surtout de son omeletteau thon.
MadameR* eut soinde ta louer sous les diversrapportsde la
taitte, de la rondeur, de la tournure, et toutes ses donnéesétant
certaines, il nit uaan!!a~snt concluqu'eue devaitêtre exceHente.
C'étaitunevéritableéf!Mt!posensuettaque chacunfit à sa manière.
Le sujet de la cooy~a~n épuisé, on passa à d'autres et on
n'y pensa plus. Qua~; ~o{, propagateur de vérités utiies, jecrus devoir tirer de t'o~M~ ~pppréparationque je crois aussi
saine qu'agréable.Je chargeaimon maître-queuxde s'en procurerla recette avecles détaHsles plus minutieux, etje la donned'au-
tant plus volontiersauxamateursqueje ne l'ai trouvéedansaucun
dispensaire.
Prép~M~om de t omelette an them
MNE!, pour sixpersonnes,deuxtaitancesdecarpes
bien lavéesquevousferezblanchir,en les plongeant
pendant cinq minutes dans l'eau déjà bouillanteet
légèrement salée.
Ayez parpittementgros commeun œuf de poule
de thon nouveau, auquel vous joindrez une petite échatottedéjà
coupéeen atomes.
Hachezensembleles laitanceset te thon, de manièreà les bien
meter, et jetez le tout dans une casserolleavecun morceausuffi-
sant <~?~6 bon beurre, p~uf t'y sautepjusqu'à ce que le beurre
soit fondu, S'est }9? qui <~tttM ta gpeeiatitéde t'emetette.
L'OMEtMtË! CURÉ. 'lit
Prenezencoreun secondmorceaude beurre à discrétion,mariez-
le avecdu persil et de la ciboulette, mettez-ledans un plat pisci-formedestiné à'recevoirl'omelette arrosez-ledujus d'un citron t
et posez-lesur la cendre chaude.
Battezensuitedouze(Buis(tes ptusfrà!s sontles meilleurs) le
sauté de laitance et dethon y sera versé et agitéde manièrequele mélangesoit bien fait.
Confectionnezënstutet~ometetteàiâ mahtèreordinatre,et tâchez
qu'elle soitalongée,épaisseet mbttëttë.Ëtàtez-taavecadressesur
)e plat que vous avez préparé pour ta recevoir et servez pourêtre mangéede suite.
Ce metsdoit être réservépour tes déjeuhërsfins; pour les réu-
nionsd'amateursou t'oh sait ce qu'on ~nt et où l'on mangeposé-ment qu'ôa t'arrose surtout dé bonvin viëdx, et on verra mer-,vëittës.
Notes <hé<n'i~meo pour tes prépair~t<mw
.t~~ft Ndoit sauter tés laitanceset le thon sans les
faire bouillir, afinqu'i!s ne durcissent pas-'j
~SB~ ce qui les empêcheraitde se bienmêler avec
`` les œufs;
~S~ ~~S~~ ~°Leplat doitêtre creux, afin quela sauce
se concentreet puisseêtre servieà la cuiller;
Lep)!atdottêtre légèrementchauSë car s'ilétait froid,la porfcetainesoustrairaittout le caloriquede l'omelette, et il ne lui en
resterait pas assez pour tondrelà maitre-d'hôtel,sur laquelleelle
est assise.
VAMÉTÉS.M
II.
Ces fKttte M!<?.
E voyageais un jour avec deux dames que je
conduisais a Melun.
Nous n'étions pas partis très matin, et nous
arrivâmes à Montgeron avec un appétit qui me-
naçait de tout détruire.
Menaces vaines l'auberge où nous descen-
dîmes, quoiqued'uneassez bonne apparence, était dépourvuede
provisions troisdiligenceset deuxchaisesde poste avaientpassé,
et, semblablesauxsauterellesd'Egypte, avaienttout dévoré.
Ainsidisait le chef.
Cependantje voyais tourner une brochechargéed'un gigottout
à-faitcommeil faut, et sur lequel les dames,par habitude,jetaientdes regards très coquets.
Hélas elles s'adressaientmal le gigot appartenaità trois An-
glais qui l'avaient apporté, et l'attendaientsans impatienceen bu-
vant du Champagne(pr<t<M~overa 6o«!eo~c&(MHp<MM).< Mais du moins, dis-je d'un air moitié chagrin et moitié sup-
< pliant, ne pourriez-vous pas nous brouiller ces œufs dans le jus< de ce gigot? Avecces œuis et une tasse de café à la crème nous
nous résignerons. Oh très volontiers, repondit le chef, le
jus nous appartient de droit public, et je vais de suite faire votre
aSaire. Sur quoi il se mit à casser les œuts avec précaution.
Quand je le vis occupé, je m'approchai du feu, et tirant de ma
pocheun couteau de voyage,je fis au gigotdéfenduunequinzainede profondesblessures, par lesquellesle jus duts'écoulerjusqu'àla dernièregoutte.
Acettepremière opération je joignis l'attentiond'assister à ta
concoctiondes œu<s,de peur qu'il ne fût faitquelquedistractionà
VtCTOïM: ]~Atï6NALE. <M
42
notre préjudice.Quànous turent à pNiM,je i&'ën ëMp~iet lee
~bftai à t'àppdrtëihëntqu'on houea~aitpt'épat'6.
Là, nous nous en régalâmes, et rîmes comme des fousde ce
qu'en réaliténous avalionsla substancedu gigot,en ne laissantà
nos amis les Anglaisque la peinede mâcher le résidu.
m.
M~ nattent
t~ ENDAMmon séjour à New-York, j'allais quelquefois
passer la soirée dans une espèce de café-taverne tenu
par un sieur Little, chez qui on trouvait le matin de
~~r1~soupe à là tortue, et lé soir tous les rafraîchissements d'u-
sage aux Ëtats-Unis.
J'y conduisais le plus souvent le vicomte de la Massue et
.Jean-Rodolphe Fehr, ancien courtier de commerce à Marseilte,
l'un et l'autre émigrés comme moi; je les régalais d'Unicef rat-
bet (~) que nous arrosions d'ale ou de cidre, et la soirée se pas-
sait tout doucement à parler de nos malheurs, de nos plaisirs
et de nos espérances.
Là je fis connaissance avec M. Wilkinsdn, planteur à là Ja-
maïque et avec un hommequi était sans doute un de ses amis
car il ne le quittait jamais. Ce dernier, dont je n'ai jamais su le
nom, étatt un des hommes les plus extraordinaires que aie rën-
(1) Les Anglais appellent épigrammatiquement Motet f<t66et (lapin gallois), un
morceau de fromage grillé sur une tranche de pain. Certes, cette préparation n'est
pas si suDstantieUequ'un lapin mais étië invite a toirë, fait trouver le vm Hon, et
tie8(<brt~ens&plaM an dMsërt en petit comité.
VARtÈTÉS.MO;
contrési il avaitle visagecarré, les yeux vifs, et paraissait tout
examineravecattention; mais il ne parlait jamais, et ses traits
étaientimmobilescommeceuxd'un aveugle.Seulement, quand'ilentendaitune saillieou un trait comique, son visage s'épanouis-sait, ses yeux se fermaient, et ouvrant une bouche aussi large
que le pavillond'un cor, il en faisait sortir un son prolongé, quitenait à la foisdu rire et du hennissementappeléen anglais~or~e
!aM~A,après quoi tout rentrait dans l'ordre, et il retombaitdans
sa taciturnitéhabituelle: c'était l'effetde la durée de réclair quidéchire la nue. Quant à M. Wilkinson, qui paraissait âgé d'en-
viron cinquanteans, il avait les manières et tout l'extérieur d'un
homme commeil faut (of a gentleman).
~Ces deux Anglais paraissaient faire cas de notre société, et
avaientdéjà partagé plusieurs fois, de fortbonne grâce, la col-
lation frugaleque j'offrais à mes amis, lorsqu'un soir M.Wilkin-
son me prit à part, et me déclara l'intention où il était de nous
engager tous trois à dîner.
Je remerciai et me croyant suffisammentfondé de pouvoirdans une affaireoù j'étais évidemmentta partie principale, j'ac-
VICTOIRE NATIONALE. Mi
ceptaipour tous, et l'invitationresta 6xéeau surlendemainà trois
heures.
La soirée se passa commeà l'ordinaire; maisau momentoùjeme retirais, le garçonde salle ( tcatter)me prit à part et m'apprit
queles Jamaïcainsavaientcommandéun bon repas; qu'ils avaient
donné des ordres pour que les liquides fussent soignés parce
qu'ils regardaient leur invitationcommeun défi à qui boirait le
mieux, et que l'homme à la grande bouche avait dit qu'il espé-rait bien qu'à lui seul il mettrait les Français sous la table.
Cettenouvellem'aurait fait rejeter le banquet offert, si je l'avais
pu avechonneur; car j'ai toujours fuide pareillesorgies; mais la
choseétait impossible.LesAnglaisauraient été crier partout quenous n'avionspas osé nous présenter au combat, que leur pré-sence seule avait suffi pour nous faire reculer; et, quoique bien
instruits du danger, nous suivîmesla maxime du maréchal de
Saxe levin était tiré, nous nous préparâmesà leboire.
Je n'étaispas sansquelques soucis mais en vérité, ces soucis
ne m'avaient pas pour objet.Je regardaiscommecertain qu'étant à la fois plus jeune, plus
grand et plus vigoureuxque nos amphitryons, ma constitution,
vierged'excèsbachiques,triompheraitfacilementde deuxAnglais,
probablementuséspar l'excèsdes liqueursspiritueuses.Sans doute, resté seul au milieudesquatre autres réservés, on
m'auraitproclamévainqueur mais cettevictoirequi m'aurait été
personnelle,aurait été singulièrementaffaibliepar la chutede mes
deuxCompatriotes,qu'on aurait emportés avec les vaincus dans
l'état hideuxqui suitune pareilledéfaite.Je désiraisleur épargnercet affront en un mot, je voulaisle triomphe de la nation et non
celuide l'individu.En conséquence. je rassemblaichez moi Fehr
et la Massue, et leur fis une allocutionsévère et formellepourleur annoncermes craintes; je leur recommandaide boire à petits
coups autant que possible, d'en esquiver quelquesuns pendant
que j'attirerais l'attentionde mesantagonistes,et surtoutde man-
ger doucementet de conserverun peu d'appétit pendant toute la
séance, parce queles alimentsmêlés aux boisson~eh tempérént
y~ïÉT~,?
~'ardeuret te§ empêchent de se porte}'au cepveauavec tant deviolence; en6n nouspartageâmesune assietted'amandesamères,
dontj'avatS entenduyanter la propriétépour modérer les fumées
du ~tn.
Atn~Iarmé au physiqueet au moral, nous nous rendîmeschez
L~ttle, o~ noqstrouyâmes les Jamaïcains, et bientôt après le
diner <utservi. Mcpns~staiten une énprme pièce de ro<(6M~,un
d~ndpnpui(.dans son jus, des racines bouillies, une salade de
choux crus et une tarte aux con6tures.
On but à la française, c'est-a-dtreque le vin fut servi dès le
ppmmencement c'étaitdu fortbon clairetqqi étaitalors bien meil-
leur marchéqu'en France, parce qu'il en était arrivé successtve-
mpnt plusieurs cargatsons dont les dernières s'étaient très mal
vendues.
Wt)ktnsonlisait ses honneurs à merveille, nous mvttant a
manger et npus donnant l'exemple; sonamiparaissaitabimé dans
spn assiette, ne disait mot, regardait de côté, et riait du coin
des lèvres.
Pour moi, j'étais charmé de mes deux acolytes. La Massue,
quoiquedoué d'un assez vasteappétit, ménageattses morceaux
commeune petitemaitresse etFehr escamotaitde tempsen temps
quelquesverres de vin qu'il faisaitpasser avec adressedans un
ppt à bterre qui éta<tau bout de la table. Demoncôté, je tenais
rondementfêteaux deuxAnglais,et plus le repas avançait, plusjemesentaispletn de confiance.
Aprèsle clairetvint le porto, aprèsle porto le madère, auquel
nous nous tînmeslongtemps.Le dessertétait arrivé, composéde beurre, de fromage,de noix
de coco et d'ycory. Ce fut alors le momentdes toasts et nous
bûmes amplementau pouvoir desrqts, à la liberté des peuples
ef a la beauté des dames nous portâmes, avpc Wilkinspn,la
santé de sa ElleMariah,qu'tl nous assura être la plus belle per-
sonne de toute l'!)ede la Jamaïque.
Apresle vin arDvèrenfles ~tn~, c'est-à-dire le rhum ef les
<MM)x.de-~iede de grains et de fr~tnbptses ~c !epsptftts,
VICTOR Ï~TtpNALE. lie
tes chansons e<;je vis qu'Hallait fairechaud, Je cra~ats~es spi-
rits; je les éludât et) demandant du punch; et I~ttle lui-mêmenous en apportaun bowl, sans douteprépare d'avance, qu' auraitsuffipour quarante personnes. Nous n'ayons point en frapce d~vasesde cettedimension.
Cettevue merendit te courage je mangea'cinqa sixrôtiesd'un
beurre extrêmementfrais, et je sentts renaître mes forces.Alors
je jetai un cpup d'œi) scrutateur sur tout ce qui m'environnaiticar je commençaisà être inquiet sur la manière dont tout celaËnirait. Mesdeux amisme parurent assez frais; ils buvaient en
épluchant des noix d'ycory. M.Wilkinson avait la face rouge-
crampisi, ses yeux étaienttrpubles, il paraissaitaffaissé;sonami
gardait le silence mais sa tête fumait comme une chaudière
bouittante, et sa boucheimmense s'était forméeen cul de poule.Je vis bienque la catastropheapprochait.
Effectivement,M. Wilkinson, s'étant réveillécomme en sur-
saut, se leva et entonnad'une voixassez fortel'air national.RttJe
i?rt<aMMMt;mais il neput jamais aller plus loin ses forces le
trahirent; il se laissaretombe?sur s~ghaise, et de là coula sous
la table. Son ami, le voyant~!ans pet état, laissa échapperun de ses plusbruyants ricanements, et s'étant baissé pour l'ai-
der, tomba à côté de lui.
Il est impossibled'expftn~ep!a safis~ctionque me causa ce
brusque dénouement et le ppids dont il me débarrassa. Je me
hâtai de sonner. Littlemonta, et après lui avoir adresséla phraseofficielle < Voyeza ce que ces gentlemensotpntconvenablement
« soignés, nousbûmes avechn un dernigpyppFede punch à
leur santé. Bientôtle wa~parriva, aidédp ses sous-ordres, et ils
s'emparèrentdes vaincus, qu'ils transportèrentchez euxles piedsles premiers, suivant la règle the/ee</bremo&<(i), l'ami gardantune immobilitéabsolue et M. Wilkinson essayant toujours de
chanterl'air At!e JSn<amnta.
(1)Onsesert,enanglais,decetteexpressionpourdésignerceuxqu'onemportemortsouivres.
VARIÉTÉS.Mt
Le lendemain les journaux de New-York,qui furent ensuite
successivementcopiés par tous ceux de l'Union, racontèrentavec
assez d'exactitudece qui s'était passe, et ayant ajouté que les
deuxAnglaisavaient étémalades des suitesde cetteaventure,j'al-lai les voir. Je trouvai l'ami tout stupéfiépar les suitesd'une forte
indigestion,et M.Wilkinson retenu sur sa chaise par un accès
de goutte que notre lutte bachiqueavait probablement réveillée.
lt parut sensibleà cette attention, et me dit, entre autres choses
<Oh dear sir, you are verygoodcompany indeed, but tood a
drinker for us (i).
(<) Mon cher monsieur, vous êtes en \ént6 de très bonne compagnie, mais vous
êtes trop fort buveur pour nous.
LES ABLUTIONS.
IV.
~0 ~MuttCtM.
<XjL~~ 'AtécntquetevomitoiredesRomainsrépugnaità
~~M~X~Ia déticatessedenosmœursj'ai peurd'avoirencela
commisune imprudenceetd'êtreobligéde chanter
JS~j~a palinodie.
~a~yJe m'explique.~Mak Uy aà peuprèsquaranteansquequelquespersonnesde
tahautesociété,presquetoujoursdesdames,avaientcou-tume de se rincer la bouche après le repas.
A cet effet, au momentoù ellesquittaient la table, elles tour-
naientlé dos à la compagnie un laquaisleur présentaitun verre
d'eau ellesen prenaient une gorgée qu'elles rejetaientbien vite
dans la soucoupe; le valetemportait le tout; et l'opération était
à peu près inaperçuede la manièredontelle se faisait.
Nousavonschangé tout cela
Dansla maisonoù F onse piquedes plus beauxusages, des do-
mestiques, vers la tin dudessert, distribuent aux convivesdes
tÂid&iɧ.
bowls pleinsd'eau froide, au milieudesquelsse trouve un gobe-let d'eau chaude.Là, en présence les uns des autres, on plongeles doigtsdans l'eau froide, pour avoir l'air de les laver, et on
avale l'eau chaude, dont on se gargariseavec bruit, et qu'on vo-
mit dans le gobeletou dans te bowl.
Jene suis pas le seulqui se soit élevécontre cette innovation
égalementinutile, indécenteet dégoûtante.
fttMHte~car chez,tous ceux qui savent manger, la bouche est
propre à la fin du fëpas elles'est nettoyéesoitpar le fruit soit
par les derniers verres qu'on a coutume de boire a<i dessert.
Quantaux mains on ne doit pass'en servirde manièreà les saliret d'ailleurs chacunn'a-t-il pas une serviettepour les essuyer ?
7<MMceM<e;car il est de principe généralement reconnu quetoute ablutiondoitse cacher dans le secret de la toilette.
Innovation<~<xK&M<esurtout car la bouche la plusjolie et la
plus fraîcheperd tous ses charmes quandelle usurpeles fonctions
dès organesévacuateurs: que sera-ce donc si cette bouchen' est
ni jolie ni fraîche?Maisque dire de ces échaaCruresénormes quis'évidentpourmontrer des abîmesqu'on croirait sans fond si on
n'y découvraitdes pics uniformes que le temps a corrodés? Proh
pM<~or!1
Telle est la positionridiculeoù nous a placésune affectationde
propreté prétentieuse qui n'est ni dans nos goûts ni dans nos
mœurs.
Quandon à une foispasse certaines listes, on ne sait plusoù
l'on s'arrêtera, et je ne puis dire qoe~ë pu~cation on ne nous
imposerapas.
Depuis l'apparition omcieMe dëcesbo~sïtthoves, je me désole
jour et nuit. Nouveau Jérêmie, je déplore les aberrations de la
mode, et, trop instruit par mes voyages, je n'entre plus dans un
salon sans trembler d'y rencontrer l'abominable chamberpot (1).
(1) On sait qu'il existe ou qu'il existait il y a peu d'années, en Angleterre, des
sailles & mander ou l'on pouvait faire son petit tour sans sortir de l'appartement»
facilité étrange, mais qui avait un peu moins d'inconvénients dans un pays où les
dames se retirent aussitôt que les hommes commencent a~Moiredu vin.
MYSTIFICATION ET DÉFAITE. 397
A3
v.
~M~t~ottcn bu ~roff~~Mttt Défaiteyun <~<n~t.
\SsS&y a quelques années que les. journaux nous an-
~~M~rnoncèrentla découverte d'un nouveau parfum, ce-
~NN! lui de l'hémérocallis, plante bulbeuse qui a eSect!-
vement une odeur fort agréaNe, ressemblant assez
à celle du jasmin.
Je suis fort curieux et passablement musard, et ces deux causes
combinées me poussèrent jusqu'au faubourg Saint-Germain, où je
devais trouver le parfum, charme des narines, comme disent les
Turcs.
Là je reçus l'accueil dû à un amateur, et on tira pour moi du
tabernacle d'une pharmacie très bien garnie une petite boîte bien
enveloppée, et paraissant contenir deux onces de la précieusecristallisation politesse que je reconnus par le délaissement de
trois francs, suivant les règles de compensation dont M. Azaïs
agrandit chaque jour la sphère et les principes.Un étourdi aurait sur-le-champ déployé, ouvert, flairé et dé-
gusté. Un professeur agit différemment je pensai qu'en pareil cas
le retirement était indiqué; je me rendis donc chez moi au pas of-
ficiel et bientôt calé dans mon sofa je me préparai à éprouverune sensation nouvelle.
Je tirai de ma poche la boite odorante, et la débarrassai des
langes dans lesquels elle était encore enveloppée c'étaient trois
imprimés diiïérents, tous relatifs à l'hémérocallis, à son histoire
naturelle, à sa culture, à sa fleur, et aux jouissances distinguées
qu'on pouvait tirer de son parfum, soit qu'il fût concentré dans
des pastilles, soit qu'it fût mété à des préparations d'office, soit
enfin qu'il parût sur nos tables dissous dans des liqueurs alcoo-
tiquesj)<B~ crèmes glacées. Je lus attentivement tes
trois~m~rimésacë~~ires 1° pour m'indemniser d'autant de la
VARtÉTÉS.1'.1. ;·· '}\; 1 ~Ï a
<«8
compensation dontj'ai parlé plus haut; 2° pour me préparerconvenablementà l'appréciation du nouveau trésor extrait du
règne végétal.J'ouvris donc, avecdue révérence, la botte que je supposais
pleine de pastilles.~s. ô surprise! ~douleuc!j'y trouvai, en
premier ordre, un second exemplairedes trois imprimésque jevenais de dévorer, et, seulement comme accessoires, environ
deux douzainesde ces trochisquesdont la conquête m'avait fait
faire le voyagedu noble faubourg.,L `
Avanttout, je dégustai; et je dois rendrehommageà la vérité
en disant queje trouvaicespastillesfort agréables; mausje n'en
regrettai que plus fort que, contrel'apparence extérieure, elles
fussenten si petit nombre, et véritablementplusj'y pensais, plus
je me croyais mystiSé.Je melevai donc avec l'intention de reporter la boîte à son
auteur, dût-il en retenir le prix mais à ce mouvement, une.e
glàce me montra mes cheveuxgris je me moquai de maviva-
cité, et me rassis,.rancune tenante: on voit qu'elle a duré long-
temps.railleurs une considérationparticulièreme retint il s'agissait
d'un pharmacien, et il n'y avait pas quatre jours quej'avais été
témoin de l'extrêmeimperturbabilitédes membres de ce collège
respectable.C'estencoreune anecdote qu'il fautque mes lecteurs connais-
sent. Je suis aujourd'hui(17 juin 1825) en train de conter. Dieu
veuilleque ce ne soit pas une calamitépubliqueOr donc, j'allai un matin faireunevisiteau généralBouvierdes
Ëclats, mon ami et moncompatriote.Je le trouvai parcourant son appartementd'un air agité, et
froissant dans ses mains un écrit que je pris pour une piècede vers.
<Prenez, dit-ilen me le présentant, et dites-moivotre avisi< vousvousy connaissez.
¡! l
Je reçusle papier, et, l'ayant parcouru, je fusfort étonné de
voir que c'était une notede médicamentsfournis de sorteque ce
MYSTIFICATION ET DÉFAITE. 339
n'était point en ma qualité de poète que j'étais
m
requis, mais comme
pharmaconome.
Mafoi mon ami, lui dis-jeen lui rendantsa propriété, vous
< connaissezl'habitude de la corporatidh quevous avezmise en
œuvre; les limitesont bien été peut-et~eun peu outre-passées< mais pourquoiavez-vousun habitbrode) troisordres, un cha-
peau à gramesd'épinaras? YoHàtr~ circonstances aggravan-< tes, et vous vousen tirerez mal. -*2 t~sëz-vousdonc, me dit-
< il avechumeur, cet état est épouvaMaBte.Aureste, vous allez
< voir mon écorchèur,je l'ai faitappâter; it vavenir, et vousme
< soutiendrez. J
Il parlait encorequand la porte s'ouvrit, et nous vimesentrer
un hommed'environCinquante-cinqans vêtu avecsoin il avait
)a taille haute, la démarchegrave, et to~ë sa physionomieau-
rait eu une teinteuniformede sévérité, st terapport de sabouche
à ses yeux n'y avan pas introduitquelquechosede sardonique.Il s'approcha de la cheminée, refusade s'asseoir, et je fus té-
moin auditeurdu dialoguesuivant, quej'ai fidèlementretenu
LEGÉNÉRAL.Monsieur;la note que vousm'avez envoyéeest
un véritablecompte d'apothicaire, et.
L'HOMMENom.-Monsieur, je ne suis point apothicaire.LEGÉNÉRA! Et qu'êtes-vousdonc, Monsieur?
L'HoMMENom. Monsieur,je suis pharmacien.LEGÉNÉRAL.Eh biëfi, monsieurte pHarmacien,votregarçon
a dû vous dire.
L'HOMMENOIR. Monsieur,je n'ai pointde garaon.
LeGÉNÉRA! Qu'étaitdonc ce jeune homme?
L'HqMMENO!R. Monsieur, c'est un étève.
LE GÉNÉRAL.–Jevoûtaisdonc vous dire, Monsieur;que vos
drogues. Ó
L'HQMMENom. Monsieur, je ne vendspoint de drogues.LEGÉNÉRAL;Quevendez-vousdonc. Monsieur?
"i.' t c,.t'HoMMENom. Monsieur,je vends desmédicaments.
L~JSnittadisçusston.Le général honteux d'avoir faittant de
solécismes et d'être si peu avancédans la connaissancede la
VARIÉTÉS.940
languepharmaceutique,se troubla, oubliacequ'il avait à dire, et
paya tout ce qu'on voulut.
Vt.
~p~t y~n~Nti~
t. existait à Paris, rue de la Chaussée-d'Anhn, un
'E~ particulier nommé Briguet, qui, ayant d'abord été
~J~ cocher, puis marchand de chevaux, avait fini par
faire une petite fortune.
Il était né à Talissieu et ayant résolu de s'y
~~gjg~ retirer, il épousa une rentière qui avait autreibis
étécuisinière chez mademoiselle Thevenin, que
tout Parisa connuepar son surnom d'Asdepique.
L'occasionse présenta d'acquénr un petit domaine dans son
LE PLAT D'ANGOÎLLE. M
villagenatal; H en profita et v!nt s'y établir avec sa femme
vers la fin de 1791.
Dans ces temps-tà. les curés de chaque arrondissement archi-
presbytéralavaient coutumede se réunir une foispar mois chez
chacund'entre eux tour-à-tour pour conférersur les matièresec-
clésiastiques.Oncélébraitune grand'messe, on conférait, ensuite
on dînait.
Le tout s'&ppetaitla conférence;et le curé chez qui elle devait
avoir lieune manquaitpas de se préparer à l'avance pour bien et
dignementrecevoirses confrères.
Or, quand ce futle tour du curé de Talissieu il arriva qu'unde ses paroissiens lui fit cadeau d'une magnifique anguiUe prise
dans les eaux,limpidesde Serans et de plus de trois pieds de
longueur.Ravi de posséder un poisson de pareille souche, le pasteur
craignitque sa cuisinièrene fut pas en état d'apprêter un metsde
si haute espérance il vint donctrouver madameBriguet, et ren-
dant hommageà ses connaissancessupérieures, il la pria d'im-
primer son cachetà un platdigned'un archevêque, et qui feraitle
plus grand honneur à son diner.
1 .( t t'
VARIÉTÉS.itt684t
L~bùaiuedocne y consentit sans dimculté, et avec d'autant plus
de plaisir, disait-elle, qu'il lui restait encore une petite caisse de
divers assaisonnements rares dont elle faisait usage chez son an-
cienne mahresse.
te plat d'anguille iutconfectionné avec soin et servi avec distinc-fL ( n.tion. Non-seulement )I avait une tournure élégante, mais encore
un fumet enchanteur et quand on l'eut goûté, Ie& expressionsi, '4.< '<
maïiquàiéïït pba en fâiré l'élôâe aussidisparut-il, corps etsaucemahquatënt pour en faire l'éloge aussi disparut-il, corps et sauce
jusqu'à la dernière particule.
Mais il arriva qu'au dessert les vénérables se sentirent émus"J l 1.' l
d'une manière inaccoutumée, et que par suite de l'influence né-
cessaire du physique sur le moral, les propos tournèrent a la gail-
lardise.
Les uns faisaient de bons contes de leurs aventures du séminaire;
d'autres raillaient leurs voisins sur quelques on dit de chronique
scandaleuse; bref, la conversation s'établit et se maintint sur le
plus mignon des péchés capitaux et ce qu'il y eut de très remar-
quable c'est qu'ils ne se doutèrent même pas du scandale, tant
le diable était màllUi
Ils se séparèreHt ~ard et ïnes mémoires secrets ne vont pas plus
loin pour ce jour-ta. Maisà là conierëncë savante, quand les con-
vives se revirent ils étaient honteui aë ce qu'ils avaient dit, se
demandaient exc~ëë ce qu'ils s'ptaiëtit reproché, et finirent par
attribuer le tout nËu~ncë du plat d'anguille, de sorte que, tout
en avouant qu'il était délicieux, cependant ils convinrent qu'il ne
serait pas prudent de mettre le savoir de madame Briguet à une
seconde épreuve.
J'ai cherché vainement à m'assurer de la nature du condiment
qui avait produit de si merveilleux eSets, d'autant qu'on ne s'était
pas plaint qu'il fût d'une nature dangereuse ou corrosive.
L'artiste avouait bien un coulis d'écrevisses fortement pimenté;
mais je regarde comme certain qu'elle ne disait pas tout.
L'ASPERGE.,oT;'t 'i;, >
~1.
f~p~~
~~<~ j~<~vintdire unjour à monseigneurCourtoisdeQuin-
cey évoquedeBetley, qu'une asperged'une gros-S~~M~seurmerveilleusepointait dans un des carrés de
sonjardin potager.
~St~NS~ Al'instant, toute la sociétése transporta sur les
lieux pour vérifierle fait; car dans les palais épiscopauxaussi,
on est charméd'avoirquelquechoseà faire.
La nouvellene se trouva ni fausseni exagérée. La planteavait
percéla terre, et paraissaitdéjà au-dessusdu sol la tête en était
arrondie, vernissée, diaprée, et promettaitune colonneplus quede pleinemain.
Onse récriasur ce phénomèned'horticulture on convint qu'à
monseigneurseul appartenait le droit de le séparer de sa racine
et le couteliervoisinfut chargéde faireimmédiatementun couteau
approprié à cettehaute fonction.
Pendant les jours suivants l'aspergene fit que cro~e ep grâceet en beauté sa marcheétait lente, maiscontinue, et bientôton'~tcommençaà apercevoirla partieblancheoù nntt laproarté~éescu-
lente de ce légume.Letempsde la moissonainsi indiqué, on s'y préparapar un bon
diner, et'on ajournal'opération au retour de là prameM~e.Alorsmonseigneurs'avança armé du couteauQ~c~, se baissa
avecgravité,et s'occupaà séparer desa tigele végétalorgue~eux~tandis que toute la cour épiscopalemarquaitquelque in~pattencgd'en examinerles fibréset la contexture.
Mais, ô surprise! 6 désappointement!ô douleur! le prélat se
releva les mains vides. L'aspergeétait de bois.
Cette plaisanterie, peut-être un peu forte, était du chanoine
VARIÉTÉS.M4
Rosset qui, né à Saint-Claude,tournaità merveilleet peignait
fort agréablement.tl avait conditionnéde tout point la fausseplante, l'avait en-
foncéeen cachette, et la soulevaitun peu chaquejour pour imiter
la croissancenaturelle.
Monseigneurne savait pastrop dequelle manièreil devaitprendre
cettemystification (car c'en était bien une); mais voyant déjàl'hilarité se peindre sur la figure des assistants, il sourit; et ce
sourire futsuivide l'explosiongénéraled'un rire véritablementho-
mérique onemportadoncle corpsdu délit, sans s'occuperdu dé-
linquant et pour cette soirée du moins, la statue-aspergefut
admiseauxhonneurs du salon.
Lvm.
ptt~f.
E chevalier de Langeac avait une assez
beUefortune qui s'était écoulée parles
exutoires obligés qui environnent tout
homme qui est riche, jeune et beau
garçon.t1en avait rassemblé les débris, et au
moyen d'une petite pension qu'il rece-
vait du gouvernement, il avait à Lyon
une existence agréable dans la meil-
leure société, car l'expérience lui avait
donné de l'ordre.
Quoique toujours galant, il s'était ce-
pendant retiré de fait du service des
dames, il se ptaisuitencore à faireleur partieà tous lesjeux de
·. i tri "S'
44
commerce, qu'il jouait égalementbien, ma~tl détendaitcontre
ellesson argent, aveclesang-frotdqutcaracténse ceuxquiont r~
nonceà leurs bontés.
La gourmandise s'était enrichiede la perte de ses autres pen-
chants on peut dire qu'il en taisait protessipn;et commeil était
d'ailleurs fort aimable, il recevait tant d'invitationsne
pou-
vaity suffire.
Lyon est une ville de bonne chère; sa positiony (ait abonder
avecune égalefacilitéles vinsde Bordeaux,ceuxde l'Ërmttageet
ceuxde Bourgogne;le gibierdescoteauxvoisinsest excellent on
tire des lacs de Genève et du Bourgetles meilleurspoissonsdu
monde, et les amateurs se pâment à la vue des poulardes de
Bressedontcettevilleest l'entrepôt.
Le chevalierdeLangeacavaitdonc sa place marquéeaux meil-
leures tables de la ville mais celle où il se plaisaitspécialement
VARIÉTÉS.M
était cettede M.A* banquierfort richeet amateurdistingué.Le
chevaliermettaitcette préférencesur le comptede la liaison qu'ilsavaientcontractéeen faisantensembleleurs études.Lesmalins(car
il yen a partout)l'attribuaientà cequeM.A* avaitpour cuisinier
le meilleurélève de Ramier, traiteur habilequi florissaitdans ces
tempsreculés.
Quoiqu'il en soit, versla fin de l'hiver de 1780, le chevalierde
Langeacreçut un billet par lequelM.A* l'invitaità souper à dix
jours de là (car on soupaitalors), et mesmémoiressecretsassu-
rent qu'il tressaillitde joie en pensant qu'une citation à si longs
jours indiquait une séancesolennelleet une festivitéde premierordre.
Il se rendit au jour et à l'heure fixés,et trouvales convivesras-
semblés au nomble de dix, tous amis de la joie et de la bonne
chère; le mot gastronomen'avait pas encore été tiré du grec, ou
du moins n'était pasusuel commeaujourd'hui.Bientôtun repas substantielleur futservi on y voyaitentr'au-
tres un énormealoyaudans son jus, une fricasséede pouletbien
garnie, une tranche de veau de la plus belle apparence, et une
très belle carpe farcie.
Tout cela était beau et bon, mais ne répondait pas, aux yeuxdu chevalier,à l'espoir qu'il avait conçu d'après une invitation
ultrà-décadaire.
Uneautre singularitéle frappait les convives,tous gens debon
appétit, ou ne mangeaientpas, oune mangeaientque du boutdes
lèvres; l'un avait la migraine, l'autre se sentait un frisson, un
troisièmeavait dîné tard, ainsides autres. Le chevaliers'étonnait
du hasard qui avait accumulésur cette soirée des dispositionsaussi anticonvialés,attaquaithardiment, tranchaitavaitprécision,et mettait en actionun grand pouvoird'intussusception.
Le second service ne fut pas assis sur des basesmoinssolides;un énorme dindonde Crémieufaisaitface à un très beaubrochet
au bleu, le tout flanquéde six entremetsobligés(saladenon com-
prise), parmi lesquels se distinguaitun ample macaroni au par-mesan.
LE PIÈGE. 947
Acette apparition,le chevaliersentit se ranimer sa valeurexpi-
rante, tandis que les autres avaient l'air de rendre les derniers
soupirs. Exalté par le changementde vins, il triomphait de leur
impuissance,et toastaitleur santédes nombreusesrasades dont il
arrosaitun tronçon considérablede brochetqui avait suivit'entre-
cuissedu dindon.
Les entremets furent fêtés à leur tour, et il fournit glorieuse-mentsacarrière, ne se réservant,pour le dessert,qu'un morceau
de fromageet un verre de vin de Malaga car les sucreriesn'en-
traient jamaisdans sonbudget.On a vu qu'il avait déjà eu deux étonnementsdans la soirée
le premier, de voir une chère par trop solide; l'autre, de trouver
desconvivestropmal disposés; il devaiten éprouverun.troisième
bien autrement motivé.
Effectivement,au lieude servir le dessert,les domestiquesenle-
vèrent tout ce qui couvraitla table, argenterieet linge, en don-
nèrent d'autres aux convives,et y posèrent quatre entrées nou-
velles, dont le fumets'élevajusqu'aux cieux.
C'étaient des riz de veau au coulis d'écrevisses,des laitances
aux truffes, un brochetpiqué et farci,et desailesde bartavellesà
la puréede champignons.Semblable à ce vieillard magicien dont parle l'Arioste qui,
ayant la belle Armideen sa puissance,ne fit pour la déshonorer
que d'impuissantsefforts, le chevalierfut atterré à la vue de tant
de bonnes choses qu'il ne pouvait plus fêter, et commença à
soupçonner qu'on avait eu de méchantesintentions.
Par un effetcontraire,tous les autres convives se sentirent ra-
nimés l'appétit revint, les migrainesdisparurent,un écartement
ironique semblaitagrandir leurs bouches; et ce futleur tour de
boire à la santédu chevalier,dont les pouvoirsétaientfinis.
11faisaitcependantbonne contenance, et semblaitvouloirtaire
tête à l'orage mais à la trotsièmebouchée,la nature se révolta,et son estomac menaça de le trahir. Il fut donc forcé de rester
inactif,et, commeon dit en musique,il comptades pauses.Que ne ressentit-ilpas,' au troisièmechangement,quandil vit
VARIATES.M
arriver par douzaines desbeccassines, blanches de graisse, dor-
mant sur des rôtiespfncieties; un faisan, oiseautrès rare alors et
arrivédesbordsde ta Seine; un thon trais, et toutce quela cuisine
du tempset le petit-fourprésentaientdéplus éléganten entremets'
li délibéra, et fut sur le point de rester, de continuer, et de
mourir bravementsur le champde bataille ce fut le premier cri
de l'honneur bien ou mal entendu. Maisbientôt l'égoïsmevint à
son secours,et l'amenaa des idéesplusmodérées.
Il réuéchit qu'en pareil cas la prudence n'est pas lâcheté;
qu'une mort par indigestion prête toujours au ridicule, et quel'avemr lui gardait sans doute bien des compensationspour ce
désappointement;il pritdoncson parti, et jetantsaserviette:'Mon-
sieur, dit-il auSnancier.on n'exposepasainsi ses amis; it y a per-fidiedevotrepart,et jene vousverrai demavie. IIdit, et disparut.
Son départ ne fitpas une très grande sensation il annbnçaitle
succèsd'une conspirationqui avait pour but de le mettre eh laceé
d'un bon repas dont il ne pourrait pas profiter, et tout le ntbnde
était dans le secret.
Cependantle chevalier bouda plus longtempsqu'on n'aurait
cru il fallutquelquesprévenancespour l'apaiser enfin il revint
avec lesbecfigues,et il n'y pensaitplus à l'apparition des trunes.
IX.
~urbct.
ÀDiscordeavait tentéun jour de s'introduire
dans le sein d'un des ménages!esplusunis
de)acapitàtë. G'étaitjustement un samedi,
jour de sabëàt il s'agissait d'un turbot à
cuire; c'était S la campagne, et cette cam-
pagne était ViUecrëne.
Ce poisson, qu'on disait arraché à une
destinéebienplus glorieuse,devaitétrëservt
/1'LE TOK~Ot.
te lendemain&une réunion de bonnetgensdont je !a~saispar~e;il était irais, dodu, bridant à satisfaction niai~ ses dioiënstbns
excédaient ~enemëhttous les vases dont on pouvait disposer,
qu'on ne savait comment le préparer.< Ëh bien, on te partageraen deux, disaitte mari. Osérà)S-
< tu bien déshonorer~insicettepauvre créature?disattta tetBmë.
< it !ë faut bien, ma cnere; puisqu'It n'y a pas moyenoë iatrê
< autrement. Allons,qu'on apporte le couperet,et bientôt ce sera< chosefaite. Attendonsencore, monami, on y sera toujours
à temps; tu sais bien d'ailleursque le cousinva venir; c'est un
< professeur,et il trouvera bien le moyende nous tirer d'ànaire.
Un professeur. nous tirer d'affaire. Bah! Et un
rapport ndete assure que celuiqui parlait ainsi ne paraissait pasavoir grandeconfianceau professeur; et cependantce professeurc'était moi! .ScAtoerMotAf
La difficulté allait probablement se termmer &la maniéré
d'Alexandre,lorsquej'arrivai au pas de charge, le nezau vëhi,et avec l'appétit qu'on a toujours quand on a voyagé, qu'il est
sept heures du soir, et que l'odeur d'un bon dîner salue l'odorat
et sollicitele goût.&mon entrée, je tentai vainement dé faire les compliments
d'usage;on ne me répondit pomt, parce qu'on ne m'avait pas
VARIÉTÉS.B50
écouté. Bientôtla question qui absorbait toutes les attentions me
fut exposée à peu près en duo; après quoi les deux.parties seturènt commede concert; la cousineme regardant avec des yeux
qui semblaientdire J'espère que nous nous en tirerons; le cou-
sin ayant au contraire l'air moqueur et narquois, comme s'il eût
été sûr que je ne m'en tirerais pas,tandis que sa maindroiteétait
appuyéesur le redoutable couperet, qu'on avait apporté sur sa
réquisition.Cesnuances diversesdisparurent pour faireplaceà l'empreinte
d'une vive curiosité, lorsque, d'une voix grave et oraculeuse,je
prononçaices parolessolennelles < Leturbot restera entier jus-« qu'à sa présentationofficielle.»
Déjàj'étais sûr de ne pas me compromettre, parcequej'aurais
proposé de le faire cuireau four maisce modepouvantprésen-ter quelquesdifficultés,je ne m'expliquaipoint encore, et me di-
rigeai en silencevers la cuisine, moi ouvrantla procession, les
épouxservant d'acolytes, la famillereprésentantles Ëdèles, et la
cuisinièrein ~occMfermant la marche.
Lesdeuxpremièrespiècesne me présentèrentrien defavorable
à mes vues mais arrivéà la buanderie, une chaudière, quoique
petite, bienencastréedans son fourneau, s'offrità mes yeux; j'en
jugeai desuitel'application et metournantvers masuite « Soyezsans inquiétude, m'écriai-je aveccette foi qui transporte les
«montagnes le turbot cuira entier; il cuira à la vapeur il va
<cuire à l'instant.«
Effectivement,quoiqu'il fûttout-à-faittemps de dîner, je mis
immédiatementtout le mondeen œuvre. Pendantquequelques-uns
allumaient le fourneau, je taillai, dans un panier de cinquante
bouteilles, une claiede la grandeur précisedu poissongéant. Sur
cetteclaie, je 6s mettreun lit de bulbes et herbes de haut goût,
sur lequel il fut étendu, après avoir été bienlavé, bien séché et
convenablementsalé. Un secondlit du même assaisonnementfut
placésur ledos. Onposala claie, ainsichargée, sur la chaudière
à demi pleined'eau on couvrit le tout d'un petit cuvicr autour
duquel on amassadu sable sec, pour empêcher la vapeur de s'é-
LE TURBOT. «t
chappertrop facilement.Bientôtla chaudièrefut en ébultitton la
vapeur ne tarda pas à remplirtoute la capacitédu cuvier, qu'onenleva auboutd'une demi-heure, et la claie fut retirée de dessus
la chaudièreavec le turbot cuit à point, bien htanc, et de la plusaimableapparence.
L'opérationSnie, nouscourûmesnousmettre à tableavec des
appétitsaiguiséspar le retard par le travail et par le succès, de
sorte que nousemployâmesassez de tempspour arriver à ce mo-
ment heureux, toujoursindiqué par Homère, où l'abondance et
la variété des metsavaientchasséla faim.
Lelendemain, a dîner, le turbot fut serviaux honorablescon-
sommateurs, et on se récria sur sa bonnemine. Alors le maître
de la maisonrapporta par lui-mêmela manière inespérée dont il
avaitétécuit etje fusloué non-seulementpour l'à-proposde l'in-
vention, maisencorepour son effet car après une dégustation
attentive, il fut décidé à l'unanimité que le poisson apprêté de
cette manièreétait incomparablementmeilleurque s'il eût été cuit
dans une turbotière.
Cettedécision n'étonna personne, puisque, n'ayant pas passédans l'eau bouillante, il n'avait rien perdu de ses principes, et
avaitau contrairepompétoutl'arome del'assaisonnement.
Pendantque mon oreille se saturait à satisfactiondes compli-mentsquim'étaientprodigués, mes yeux en cherchaient encore
d'autres plussincèresdans l'autopsiedesconvives, et j'observai,avecun contentementsecret, que le général Labasséeétaitsi con-
tent qu'il souriaità chaquemorceau que le curéavait le coutendu
et les yeux fixés au plafonden signe d'extase: et que, de deux
académiciensaussi spirituels que gourmands qui se trouvaient
parmi nous, le premier M. Auger, avaitles yeux brittants et la
face radieusecomme un auteur qu'on applaudit, tandis que le
deuxième, M. Villemain, avait la tête penchée et le menton à
l'ouest commequelqu'unqui écouteavec attention.
Toutceci estbon à retenir .parcequ'it est peu de maisonsde
campagne où l'on ne puisse,trouver tout ce qu'it est nécessaire
pourconstituer l'appareildontje meservisdanscetteoccasion, et
y~$T~
qu'on y avoi~recours toutes tes t~s qu'U est t~esttonde
&iMccire quetque pbjetqui surytent inopinémentet qui dépasse
les dtmensiqnsordinaires.
Cependantmeslecteursauraient été pnvés de la connaissance
de cettegrande aventure, si elle ne m'avait pas paru devoir çon-
dtnre a des résultatsd'une utilitéplus générale,
Effectivement,ceux qui connaissent la nature e~~eseffetsde
la vapeur savent qu'elle égale en température le liquidequ'elle
abandonne qu'elle peut même s'élever de quelquesdegrés par
une légèreconcentration, tant qu'elle ne trouve pas d'issue.
Il suit de là que toutes chosesrestant lesmêmes, en augmen-
tant seulementla capacitédu cuvierqui couvraitle tout dans mon
expérience, et en y substituantpar exempleun tonneau vide, on
pourrait, au moyen de la vapeur, faire cuirepromptementet
peu de fraisplusieursboisseauxde pommes de terre, des racines
de toute espèce, enfin tout ce qu'on aurait empilésur la claie et
recouvert du tonneau, soit pour les hommes soit à l'usagedes
bestiaux et tout celaserait cuit avecsixfoismoinsde tempset six
foismoins de bois qu'il n'en faudraitpour mettre seulementen
ébullitionune chaudièrede la contenanced'un hectolitre.
Je crois que cet appareilsi simplepeut être de quelqueimpor-
tancepartout où il existeune manutentionun peu considérable
soit à la ville soit à la campagne et voilàpourquoije l'ai décrit
de manièrequetout le mondepuissel'entendreet en profiter.
Je crois encore qu'on n'a point assez tourné au profit de nos
usagesdomestiques'lapuissancede la vapeur et j'espère bienque,
quelquejour, le bulletinde la Sociétad'encouragementapprendra
aux agriculteursque je m'en suis ultérieurementoccupé.
P. S. Unjour que nous étionsassemblésen comitéde profes-
seurs, rue de la Paix, n<'44,je racontai l'histoire véritable du
turbot à la vapeur. Quand j'eus fini, mon voisin de gauche se
tourna versmoi <N'yétais-jedonc pas? médit-ild'un air de re-
< proche. Et moi donc, n'ai-je donc pas opiné tout aussibien
< oue les autres? Certainement, lui répondis-jp,vousétiez làP !M')<) '?. -°"
MAQÏSTÈRES RESTAURANTS '<M
45
'tout près du curé, et, sans reproche, vousen avez bien pris< votre part; ne croyez pasque.
LeréclamantétaitM.Lorrain, dégustateurfortementpapiiïé,fi-
nancieraussi aimableque prudent, qui s'est bien catédans1eport
pourjuger plus sainementdes effets.de la tempête, et conséquem-
ment digneà plusd'un titre de la nomination.en touteslettres.
X.
~bfM ~<~th*M y~t~Nfonte,
&aa M &aoM88aoa.o
improvisés pour le cas de la Méditation XXV.
MUEZsix gros oignons, trois racinesde carottes,une poignéede persil hachez le tout et le jetez
dans une casserole, où vous le ferez chaufferet
roussirau moyen d'un morceau de bon beurre
frais.
Quandce mélangeest bienà point, jetez-y six
oncesde sucre candi, vingt grains d'ambre pilé,
avecune croûte de'pain griné et trois bouteilles.d'eau, que vous
ferezbouillir pendant trois quarts d'heure en,y ajoutant de nou"
velleeau pour compenserla perte qui se fait par l'ébuuition de
manièrequi! y ait toujourstrois bouteillesde liquide.Pendantque ces chosesse passent, tuez, plumez et videz un
vieuxcoq que vous pilerez chairet os dans un mortier, avecle
pilonde fer hachezégalementdeuxlivres de chair de bœuf bien
chpiste.
VARIÉTÉS.tt4
Celafait, on mêle ensembleces deux chairs, auxquelleson
ajoute suffisantequantitéde sel et de poivre.Oh les met dana une casserolle, sur un feu bien vif, de ma-
nière à se pénétrer de calorique et on y jette de tempsen tempsun peu de beurre frais, afin de pouvoirbien sauter ce mélangesans qu'il s'attache.
Quand on voit qu'il a roussi, c'est-à-dire que l'osmazône est
rissolée, on passe le bouillonqui est dans la première casserolle.
Onen mouillepeu à peula seconde et quand tout y est entré, on
fait bouillir à grandes vagues pendant trois quarts d'heure en
ayant toujours soin d'ajouter de l'eau chaude pour conserverla
mêmequantitéde liquide.Aubout de ce temps, l'opération est finie et on a une potion
dont l'effetest certain toutesles foisque le malade, quoiqueépuisé
par quelqu'unedes causesque nous avons indiquées, a cependantconservéun,estomacfaisantses fonctions.
Pour en faireusage, on en donne, le premierjour, une tasse
toutes les trois heures, jusqu'à l'heure du sommeilde la nuit les
jours suivants, une fortetasseseulementlematin, et pareillequan-tité le soir, jusqu'à l'épuisement de trois bouteilles. On tient le
maladeà un régimediététiqueléger, maiscependantnourrissant,
Commedes cuissesde volaille du poisson, des fruits doux, des
confitures;il n'arrive presquejamais qu'on soit obligé de recom-
mencer unenouvelleconfection.Vers lequatrièmejour il peut re-
prendre ses occupationsordinaires et doit s'efforcerd'être plus
sage à l'avenir, <~(~<j)oMt6!e.En supprimantl'ambte et le sucre candi, on peut, par cettemé-
thode, improviser un potage de haut goût et digne de figurer à
un dîner de connaisseurs.
On-peut remplacerle vieuxcoq par quatre vieillesperdrix, et
le bœufpar un morceaude gigotde mouton la préparationn'en
sera ni moinsefficaceni moins agréable.La méthodede hacherla viandeet de la roussir avant que de la
mouiller peutêtre généraliséepour tousles cas où l'on est pressé.
Elle est fondéesur ce que les viandestraitéesainsi se chargentde
MAGISTÈRESRESTAURANTS. 3M
beaucoup-plusde catonque que quand eues~nt dao$t'eaa <M
s'en pourradonc servir toutesles foisqu'on aura besoin d'un boa
potagegras,sans être obligéde t'attendre cinq ousixheure~, ce
qui peut arriver trèssouventsurtout à la campagne~Bienentendu
que ceuxqui s'en servirontglorifierontle pr~tesseur.
p.
H est bien que tout le mondesache quiesi l'ambre, considéré
commeparfum, peut être nuisibleaux prêtant qni ont les nerfs
délicats, pris intérieurementil est souverainementtoniqueet exhi'
tarant nos aïeuxen faisaientgrandusagedans leur cuisineet ne
s'en portaientpas plus mal.J'ai suque le maréchalde Richelieu,de gloneuse mémoire,m&-
chait habituellementdes pasti!tesambrées et pour mci, quand
je metrouve dans quetqu'un de cesjours où le poids de l'âge se
faitsentir, où l'on penseavecpeine et où l'on se sent opprimépar
une puissanceinconnue, je mêle avecune forte tasse de chocolat
groscommeune fèved'ambre pilé avec du sucM.etje m'en suis
toujours trouvé à merveille.Au moyen de <?tonique, l'actionde
la viedevient aisée, la pensée se dégage avec facilité, et je n'é-
prouve pas l'insomniequi serait la suite infaillibled'une tassede
caféà l'eau, prise avecl'intentionde produire le mêmeeffet.
c.
Le magistère A est destinéaux tempéraments robustes, aux
gens décidés, et à ceuxen générâtq~i s'é~sent par action.
J'ai été conduitpar l'occasion ~ncoa~s~ un autre beaucoup
plus agréableau go~t, d'un effetplusdettX «~j~ réservepour
les tempéraments~btes, pour~es~ractéMS!a!~<~s pour ceux,
en un mot, qui s'épuisent Ape~ds&H~~te vo<ci
Prenezun jarret de veaupesantau moinsdeuxlivres, fendez-le
en quatresur sa longueur,os et chair, faites-leroussir avecquatre
oignonscoupés en trancheset une poignéedecressonde fontaine,
VARIÉTÉS.M<
et quand il s'approched'être cuit, mouillez-leavec troisbouteilles
d'eau que vous ferezbouillirpendantdeux heures avecla précau-tion de remplacerce qui s'évapore, et déjà vous aurez un bon
bouillonde veau poivrezAtsalezmodérément.
Faites piler séparément trois vieuxpigeons et vingt-cinqécre-
vissesbien vivantes Réunissezle tout pour faire roussir comme
j'ai dit au numéro A,et quand vous voyez quela chaleura péné-tré le mélangeetqu'il commenceà gratiner, mouillezavecle bouil-
t onde veau et poussez le feu pendant une heure; on passe ce
bouillonainsienrichi, et on peut en prendre matin et soir, ou
plutôt le matin seulement, deuxheuresavant déjeuner. C'estaussi
un potagedélicieux.
J'ai été conduità ce dernier magistèrepar une paire de littéra-
teurs qui, mevoyantdansun état assez positif, ont prisconfianèe
en moi, et commeils disaient, ont eu recours à meslumières.
Ils en ont fait usageet n'ont pas eu lieu de s'en repentir. Le
poète qui était simplementétégiaque, est devenu romantique la
dame, qui n'avait faitqu'un roman assez pâle et à catastrophemalheureuse, en a faitun secondbeaucoupmeilleur et qui finit
par un beau etbon mariage.On voit qu'il y a eu, dans l'un et
l'autre cas, exaltationde puissances, et je crois, en conscience,
queje puism'en glorifierun peu.
LA POULARDE DE BRESSE. MT
XL
~OM~rb~ïtC 0MMC.
Ndes premiers jours de janvier deTannée cou
rante i82S, deux jeunes époux, Madame et
M. de Versy, avaient assisté à un grand dé-
jeuner d'huîtres scelléetbridé; on sait ce que
cela veut dire.
Cesrepas sont charmants, soit parce qu'ils
sont composésde metsappétissants, soit par la gaîtéqui ordinai-
rement y règne mais ils ont l'inconvénient de déranger toutes
les opérationsdela journée. C'estcequiarrivadans cetteoccasion.
L'heure du dîner étant venue, les époux se mirent à table; mais
ce ne futquepour la forme.Madamemangea un peu de potage,monsieurbutun verre d'eau rougie quelquesamissurvinrent, on
fit une partie dewhist, la soiréese passa, et le mêmelit reçut les
deux époux.Versdeuxheuresdu matin, M.de Versyse réveilla il était mal
à son aise, il bâillait il se retournait tellementque sa femmes'en
inquiétaet lui demandas'il étaitmalade. Non, ma chère mais
il me semble que j'ai faim, et je songeaisà cette poularde de
'Bresse si Manchette, sijoliette, qu'on nousa présentée à di-
<ner, et à laquellecependant nous avons faitun si mauvais ac-
cueil. S'il faut te dire ma confession, je t'avouerai, mon
< ami, que j'ai tout autant d'appétit que toi, et puisque tu as
«songé à la poularde ilfaut la fairevenir et lamanger. Quelle<folie!tout dort dans la maisonet on se moquera de nous. –Si
tout dort, tout se réveillera, et on ne se moquera pas de nous
< parcequ'on n'en saura rien.D'ailleurs, qui sait si d'icià demain
< l'un denous ne mourrapas de faim? je ne veux pas en courir
<la chance. Je vais sonner Justine. ·
Aussitôtdit, aussitôtfait, et onéveillala pauvre soubrette, q~i,
V~RtËTÉS.M~
ayant bien soupe, dormaitcommeon dort à dix-neufans quandl'amour ne tourmentepas (<).
Ellearriva tout en désordre, les yeux bouffis,bâittant, et s'as-
sit en étendant les bras.
Maisce n'était là qu'une tâche facile il s'agissaitd'avoir la cui-
sinière et ce fut une affaire.Celle-ciétait cordon bleu et partant
souverainementrechignseuseelle gronda,hennit, ~ognà, rugitet
penâcta;cependanteUesetevaàtaSn, et cettecircontêrenceénonne
commençaà se mouvoir.
Sur ces entrefaites,madamede Versyavait passéune camisole,
son mari s'était arrangé tant bien que mal; Justineavait étendu
sur le lit une nappe, et apporté les accessoiresindispeasaMesd'un festinimprovisé.
Toutétant ainsi préparé, on vitparaître la poularde, qui fut à
l'instant dépecéeet avaléesans miséricorde.
Aprèsce premier exploit, les épouxse partagèrentune grosse
poire de Saint-Germain,et mangèrentun peu de confituresd'o-
ranges.Dans les entr'actes, ils avaientcreusé jusqu'au fond une bou-
teille de vin de Grave, et répété plusieurs fois, avec variations,
qu'ils n'avaient jamaisfait un plus agréable repas.Ce repas finitpourtant eartout finitdans ce has monde. Jus-
(i)~F<eftM&!tMH<<«.(Esp.)
LE FAï8A~. <?
tine otale couvert,fit disparaîtreles piècesdeconviction,rt~agaàson lit, et te rideau conjugaltomba sur tes convives.
Lelendemainmatin, madamede Yersycourut cheS!son amie
madamedé Franval et lui raconta tout ce qui s'était pa~sé et
c'eatà t'indiscrétionde celle-cique le publicdoit la présentecon-
fidence.
Elle nemanquaitjamais de remarquer qu'en finissantson récit,
madame de Versy avait toussé deux fois et rougt très positi-vement.
xu.
-~tStHt.
t iaiaan est une énigmedont le mot n'est ré-
vélé qu'aux adeptes eux seuts peuventle sa-
vourer dans toute6a bonté.
~t~ Chaque substancea son apogée d'esculence:
quelques-unes y sont déjà parvenuesavant leur
~r entier développement, commeles câpres, les
asperges, les perdreaux gris, les pigeons à la cuiller, etc.; les
autres y parviennentau momentoù elles ont toute la perfection
d'existencequi leur est destinée, commeles melons, la plupart
des fruits, le mouton, le bœuf, le chevreuil, les perdrix rouges
d'autres en6n quand elles commencentà se décomposer, telles
que les nèfles, la bécasse et surtout le faisan.
Ce dernier oiseau, quand il est mangé dans les trois jours qui
suiventsa mort, n'a rien qui le distingue. Mn'est ni si délicat
qu'une poularde, ni si parfuméqu'une caille.
Pris à point, c'est une chair tendre, sublimeet de haut goot,
car elle tient à la foisde la volailleet de la venaison.
Cepoint si désirableest celui où~le &isan commenceà se dé".
.VARIÉTÉS.~M
composera alorsson arôme se développeet se joint à une huite
qui, pour s'exalter avait besoin d'un peu de' fermentation,
commel'huite du café, que l'on n'obtient quepar la torréfaction.
Cemomentse manifesteaux sens des profanes, par une légère
odeuret par le changementde couleurdu ventre de l'oiseau mais
les inspirés te devinentpar une sorte d'instinct qui agit en plu-
sieurs occasions,et qui fait, par exemple, qu'un rôtisseur habile
décide, au premier coup d'œi!, qu'il faut tirer une volaillede la
brocheou lui laisserfaireencorequelquestours.
Quand le faisanest arrivé là on le plume et non plus tôt, et
on le pique avecsoin, en choisissantle tard te plus fraiset leplusferme.
H n'est point indifférentde ne pas plumer te faisantrop tôt;
des expériencestrès bienfaites ont apprisque ceux qui sontcon-
LE FAtSAH. m
46
servés dans la plumesont bienplus parfumés que ceuxqtn sont
restés longtemps nus, soit que le contact de t'air neutralise
quelquesportions de l'arôme, soit qu'une partie du sue destiné
à nourrir les plumessoit résorbé et serve à relever la chair.
L'oiseau ainsi préparé, il s'agit de t'étoSèr, ce qui se fait de là
manière suivante
Ayezdeuxbécasses, désossez-leset videz-les de manièreà en
faire deux lots le premierde la chair, le seconddes entrailleset
des foies.
Vousprenez la chairet vous en faites,une farceen la hachant
avec de la moellede bœuf cuiteà la vapeur, un peu detard râpé;
poivre, set, fines herbes, et la quantité de bonnes trunês sufB-
sante pour remplir la capacitéintérieuredu faisan;
Vousaurez soin de fixer cette farcede manière à ce qu'elle nese répandepas en dehors, ce qui est quelquefoisassez difBcite,
quand l'oiseau est un peu avancé. Cependanton y parvient pardivers moyens, et entre autres en taillant une croûte de pain
qu'on attacheavecun ruban de fil et qui faitt'omce d'Obturàteuir.
Préparez une tranche de painqui dépasse de deux pouces de
chaquecôtéle faisancouchédans le sens de sa longueur; prenezalors les foies, les entrailles debécasses et pilez-lesavec deux
grosses truffes un anchois, un peu de lard râpé, et un morceau
convenablede bon beurre'frais.
Vous étendez avec égalité cette pâte sur ta rôtie et vous la
placez sous le faisanpréparé comme dessus, de manièreà êtrearrosée en entierde tout le jus qui en découlependant qu'il rôtit.
Quand le faisan est cuit, servez-le couché avec grâce sur sa
rôtie; environnez-led'oranges amères, et soyez tranquille sur
l'événement.
Cemetsde haute saveur doit être arrosé, par préférence< devin du crû de la haute Bourgogne;j'ai dégagé cettevérité d'unesuite d'observationsqui m'ont coûté plus de travail qu'une table
de logarithmes.Un faisan ainsi préparé serait digned'être servi à des anges
s'ils voyageaientencore sur la terre commedu tempsde Loth.
VARIÉTÉS.Ma
Quedis-je! l'expénencea été faite.Un faisanétonéaété exécuté,
sous mes yeux, par le dignechefPicardau châteaude la Grange,
chezmarchandante amiemadamede Ville-Plaine,apporté sur la
table,par le.majordomeLouis, marchantàpas processionnels.On
l'a examinéavecautant de som qu'un chapeaude madameHer-
bault on l'a savouré avecattention, et pendant ce docte travail,
les yeux de ces damesbrillaient comme des étoiles, leurs lèvres
étaient vernisséesde corai), et leur physionomietournaità l'ex-
tase. (Voyez les Éprouvettes~<M<roMOBM<j'Mes.)J'ai fait plus j'en ai présentéun pareil à un comitéde magis-
trats de la cour suprême, qui saventqu'il fautquelquefoisdéposerlà toge sénatoriale, et a qui j'ai démontrésanspeineque la bonne
chèreest unecompensationnaturelledes ennuisdu cabinet.Aprèsun examen convenable, le doyen articula, d'une voix grave le
mot e.Me!<cM</Toutes les têtes se baissèrenten signe d'acquiesce-
ment, et l'arrêt passa à l'unanimité.
J'avais observé, pendantla délibération,que les nez de cesvé-
nérablesavaient été agités par des mouvementstrès prononcés
d'olfaction,que leurs fronts augustesétaientépanouispar une sé-
rénitépaisible, et que leur bouchevéridiqueavait quelquechose
de jubilant qui ressemblaità un demi-sourire.
Au reste, ceseffetsmerveilleuxsont dans la nature des choses.
Traitéd'après la recetteprécédente le faisan, déjà distinguépar
lui-même, est imbibé,à l'extérieur, de la graisse savoureusedu
lard qui se carbonise; il s'imprègne, à l'intérieur, des gaz odo-
rants qui s'échappentde la bécasse et dela. truffe.La rôtie, déjàsi richementparée, reçoit encoreles sucsà triplecombinaisonquidécoulentde l'oiseauqui rôtit.
Ainside toutesles bonnes chosesqui se trouvent rassemblées,
pas un atome n'échappeà l'appréciation, et attendu l'excellence
de ce mets, je le crois dignedes tables les plus augustes.
Parve,necinvideo,sinemeliberibisinaulam.
INDUSTRIE GASTRONOMIQUE. 3M
xm.
3tt~M9ine~<t9ttonoMt<)M<bf&hM~r~
Toute Française, à ce que j'imagine,
Sait, bien ou mal, faire un peu de cuisine.
BeRe~r~.act.UL
'A!exposédans unchapitreprécédent les avantagesimmensesque la France a tirés de ia gourmandise
tdans les circonstancesde 1818. Cettepropensionsi
générale n'a pas été moins utile aux émigrés; et
ceuxd'entre eux qui avaient quelquestalents pour
l'art alimentaireen ont tiré de précieuxsecours.
En passant à Boston, j'appris au restaurateurJulien (1) à faire
des œufsbrouittrsau fromage.Ce mets, nouveaupour les Améri-,
cains, fit tellementfureur, qu'il se crut obligéde me remercier,en
m'envoyant, à New-York le derrière d'un de ces jolis petitsche-
vreuils qu'ontireen hiver du Canada, et qui futtrouvé exquispar
le comitéchoisique je convoquaien cetteoccasion.
LecapitaineColletgagna aussi beaucoupd'argent à New-York
en i794 et 1795, en faisantpour les habitantsde cettevillecom-
merçantedesglaceset des sorbets.
Lesfemmessurtout ne se lassaientpas d'un plaisir si nouveau
pour elles rien n'était plus amusantque de voir les petites mines
qu'ellesfaisaienten y goûtant.'EtIesavaientsurtoutpeine à conce-
voir commentcela pouvait se maintenir si froid par une chaleur
de vingt-sixdegrés de Réaumur.
En passantà Cologne j'avais
rencontré un gentilhomme bre-
ton qui se trouvait très bien de s'être fait traiteur, et je pourrais
multiplier indéfiniment les exemples mais j'aime mieux conter,
(<) Julien florissait en 794. C'était un habile garçon, qui avait, disait-il, ét~ cui.
sinièr de l'archevêque de Bordeaux. Il a dû faire une grande fortune, si Dieu lui a
prêté vie,
VARtËTÉS.
comme plus singulière, l'histoire d'un Français qui s'enrichit à
Londres par son habiteté à faire de la salade.
Il était Limousin, et si ma mémoire est fidèle, il s'appelait d'Au-
bignac ou d'Albtgnac.
Quoique sa pitance fût fortement restreinte par le mauvais état
de ses finances, it n'en était pas moins un jour à diner dans une
des plus fameuses tavernes de Londres il était de ceux qui ont
pour système qu'on peut bien dîner avec un seul plat, pourvu qu'il
soit excellent.
Pendant qu'il achevait un succulent rostbeef, cinq à six jeunes
gens des premières familles ( dandies) se régalaient à une table
voisine, et l'un d'eux s'étant levé s'approcha et lui dit d'un ton
poli « Monsieurle Français, on dit que votre nation excelle dans
« l'art de faire la salade (1); voudriez-vous nous favoriser et en ac-
commoder une pour nous ? »
D'Albignac y consentit après quelque hésitation, demanda tout
ce qu'il crut nécessaire pour faire le chef-d'œuvre attendu, y mit
tous ses soins et eut le bonheur de réussir.
Pendant qu'il étudiait ses doses, il répondait avec franchise aux
questions qu'on lui faisait sur sa situation actuelle il dit qu'il était
émigré et avoua, non sans rougir un peu, qu'il recevait les se-
cours du gouvernement anglais, circonstance qui autorisa sans
doute un des jeunes gens à lui glisser dans la main un billet de
cinq livres sterlings qu'il accepta après une molle résistance.
Il avait donné son adresse et àquelque temps de là il ne fut
que médiocrement surpris de recevoir une lettre par laquelle on le
priait, dans les termes les plus honnêtes, de venir accommoder
une salade dans un des plus beaux hôtels de Grosvenor-Square.
D'Albignac commençant à prévoir quelque avantage durable,
ne balança pas un instant, et arriva ponctuellement après s'être
muni de quelques assaisonnements nouveaux qu'il jugea conve-
nables pour donner à son ouvrage un plus haut degré de perfection.
(i) Traduction mot a mot du compliment anglais qui doit être fait dans cette
occasion.
INDUSTRIE G~S~ONpMiQUE. !MM
n avaiten le ~empsde songer.à la besogneq~'il avaità Mpe il
eut doncle bonheur de réussir encore, et reçut, pourcette fois,tune gratificationtelle qu'il n'eût pas pu la refuser sans se nuire.
Lespremiersjeunes gens pourqui ilavaitopéréavaient, comme
on peut le présumer, vanté jusqu'à l'exagération le mérite de la
salade qu'il avait assaisonnéepour eux. La secondecompagniefit encore plus de bruit, de sorte que la réputationde d'AIbignacs'étenditpromptement on le désigna&ousla qualificationde /<M-hionablesalat-maker;et dans ce pays avidede nouveautés,toutce
qu'il y avait de plus étégantdans la capitaledes trois royaumesse
mouraitpour une saladedela façondu gentlemanfrançais 1 <He
for it, c'est l'expressionconsacrée.
Désir de t!<Mtteest un feu qui dévore,
Désir d'~M~<t<Mest cent fois pire encore.
D'Albignacprofita en hommed'esprit de l'engouement dont il
était l'objet bientôt il eut un carrik pour se transporter plusvite dans les divers endroitsoù il était appelé, et un domestique
portant,dans un nécessaire d'acajpu, tous les ingrédientsdont il
avaitenrichisonrépertoire, tels quedes vinaigresà différentspar-
fums, deshuilesavec ou sans goût de fruit, du soy, du caviar,des
truffes, des anchois, du calchup, du jus de viandes, et mêmedes
jaunesd'œufs, qui sontle caractèredistinctifde la mayonnaise.Plustard, il fit fabriquerdesnécessairespareils,qu'ilgarnitcom-
plètement,et qu'il vendit par centaines.
Enfin,en suivantavecexactitudeet sagessesa ligned'opération,il vint à bout de réaliser une fortune de plus de 80,000 fr. qu'il
transportaen France quandles tempsfurentdevenusmeilleurs.
Rentrédans sa patrie, il ne s'amusapoint à brillersur le pavéde
Paris mais il s'occupade son avenir.Il plaça 60,000 fr. dans les
fondspublics,quipour lors étaientà cinquantepourcent, et acheta
pour20,000 fr. une petitegentilhommièresituée en Limousin,ou
probablementil vit encore, content et heureux, puisqu'ilsaitbor-
ner ses désirs.
VARIÉTÉS.B6<
Ces détaits me furent donnésdans !e temps par un de mes amis
qui avaitconnu d'Âtbignac à Londreset qui l'avait tout nouveUe-
ment rencontrélors deson passageà Paris.
XIV.
~MtrM sonnnurs b'nnt~f~tMn.
~e TttM~ffm~
Ëni794, nous étions en Suisse, M. Rostaing (t) et moi, mon-
(1 ) M..lebaron Rostaing, mon parent et mon ami, aujourd'hui intendant mili-
taire à Lyon. C'est un administrateur de première force. Il a dans ses cartonsun
système de comptabilité militaire tellement clair, qu'il faudra bien qu'on y vienne.
SOUVENIRS D'ÊMISRATtON. <M
trant un visage serein à la fortunécontraire, et gardant notfe
amour à la patrie quinous persécutait.
NousvînmesàMondon,oùj'avais desparents, etfumesreçusparla famil.letrollietavecune bienveillancedontj'ai gardé chèrement
le souvenir.
Cette famille;une des plus anciennesdu pays, est maintenant
éteinte, le dernierbailli n'ayant laissé qu'une fille,qui elle-même
n'a pointeu d'enfant mâle.
Onmemontra,en cetteville, un jeuneofHcierfrançaisqu! yexer-
çaitla professionde tisserand et voicicommentil en était venula:
Cejeune homme,d'une très bonne famille, traversant Mondon
pour se rendre a l'arméede Coudée,se trouva à table a côté d'un
vieillardporteurd'unede cesSguresàla fbisgràvesetanimées, telle
queles peintresla donnentauxcompagnonsdeGuillaumeTell.
Audessert, on causa l'officierne dissimula passa position;et
reçutdiversesmarquesd'intérêtde la part desonvoisin. Celui-cile
plaignaitd'êtreobligéde renoncer, si jeune, à tout ce qu'il devait
aimer, et luifitremarquerlajustessede la maximede Rousseàuqui
voudrait quechaquehommesut un métierpours'èn aiderdans l'ad-
versitéet senourrirpartout.Quant à lui, il déclara qu'il était tisse-
rand, veuf sansenfants,etqu'il étaitcontentdesonsort.
La conversationen resta là; le lendemain l'officierpartit, et
peu de tempsaprès se trouva installédans les rangsde l'armée de
Condé.Maisà tout ce,qui se passait, tant au dedansqu'au dehors
de cette armée, it jugea facilementque ce n'était pas par cette
porte qu'il pouvaitespérerde rentrer en France. H ne tarda pas à
y éprouver quelques-unsde ces désagrémentsqu'y ont quelque~fois rencontrés ceux qui n'avaient d'autres titres que leur zèle
pour la'cause royale; et plus tard on lui fit un passe-droit, ou
quelquechose dp pareil, qui lui parut d'une injusticecriante.
Alors le discours dutisserand lui revintdans la mémoire;il yrêva quelque temps; et ayant pris son parti, quitta l'armée, re-
vintà Mondon,et se présenta au tisserand, en le priantde le re-
cevoir commeapprenti.<Je ne laisserai pas échapper cette occasion-de faire une
VARIÉTÉS.tes
<bonneaction, dit le vieillard; vous mangerezavec moi; je ne
< saisqu'une chose, je vous l'apprendrai je n'ai qu'un lit, vous
< le partagerez vous travaillerezainsipendant un ah, et au bout
de ce temps vous travaillerez à votre compte et vous vivrez
< heureuxdans un pays où le travail esthonoré et provoqué.Dèslélendemain, l'omcier se mit à l'ouvrage et y réussit
si bien, qu'aubout de sixmoisson maîtrelui déclaraqu'il n'avait
plus rien à lui apprendre, qu'il se regardaitcommepayé dessoins
qu'il lui avait donnés, et que désormaistoutcequ'il ferait tourne-
rait à son profit particulier.
Quandje passai à Mondon, le nouvel artisan avait déjà gagnéassez d'argentpour acheterun métieret un lit; il travaillattavecune
assiduitéremarquable, et on prenait à lui,un tel intérêt, que les
premièresmaisonsde la ville s'étaient arrangées pour lui donner
tour-a-tour diner chaquedimanche.
Cejour-là il endossaitson Uniterme,reprenait ses droits dans
la société et commeil était fort aimable et fort instruit, il était
fêtéet caressé par toutle monde.Maisle lundi, il redevenaittisse-
rand, et, passant le tempsdans cettealternative, neparaissait pas
trop mécontentde son sort.
~<nr<Mmé.
~M6. ce tableau des avantagesde l'industriej'en vais ac'
'm" coler un autre d'un genre absolumentopposé.-<3~'L~~ Je rencontrai à Lausanne un émigré lyonnais
grand et beau garçon, qui, pour ne pas travailler,
~jjj~~ s'était réduit à ne manger que deux fois par se-
maine.Userait mortde faimde la meilleuregrâce du monde, si
un brave négociantdeta ville nelui avaitpas ouvertun crédit chez
un traiteur pour y dtner le dimancheet le mercredi de chaquesemaine.
t/émigréarrîyait aujour indiqué, se bourraitjusqu'à l'œsophageet partait, non sans emporter aveclui un assez gros morceau de
patim;c'étaitchoseeotventfe.
LSOUVENtRS D~t~GRATtON. 969
H ménageaitle mieuxqu'il pouvaitcette provision supp~mea-ttaire, buvaitde l'eau quandl'estomaclui faisaitmal, passait ;une
partiede son tempsau lit dans une rêvasseriequin'était pas sans
charmes, et gagnait,ainsile repas suivant.I! y.avait trois moisqu'il vivaitainsiquandje le rencontrai: il
n'était pasmalade maisil régnaitdans toutesa personneune telle
langueur, ses traits étaienttellementétirés, et il yavaitentre son
nez et ses oreillesquelquechose de si. hippocratique,qu'il faisait
peine à voir.
Je m'étonnaiqu'il se soumtt à de telles angoissesplutôt quede chercher à utiliser sa personne, et je l'invitai à diner dans
mon auberge, où il officiaà faire trembler. Maisje ne récidivai
pas, parce que j'aime qu'on se raidisse contre l'adversité, et
qu'on obéisse, quand il le faut, à cet arrêt porté contre l'espècehumaine: 2M<f<KMMHer<M.
te Non d Argent1
<~A~~l.~ CELSbons dîners nous faisionsence tempsà
JH~ ~~w~ Lausanne, aMl.Mtt~r~eM</
~~SK "H~\ Moyennantquinzebatz ( fr. 25 c.) nous
~~Nr ~BB~ passions en revue trois services comptets,
où l'on voyait, entre autres, le bon gibier
/t~ des montagnes voisines, FexceHentpoisson
/~e~~ du lac de Genève, et noushumections tout
cela, ai ootoatee<a <<Mcrë<MMt,avec un petit vin Manc timpide
commeeau de roche, qui aurait faitboire un enragé.
Le haut bout de ta table était tenu par un chanoinede Notre-
Dame de Paris (je souhaitequ'it viveencore), qui était là comme
chez lui, et deyantqui le ketler ne manquaitpas de placer tout
ce qu'il y avait demeilleurdans le menu.
H mefit rhun~m~rdeme distingueret de m'appeler, enqualité
d'aide~e-cad~Q~i~égion qu'il haMmais je neproStai
pas longt~Mtbsde cet a~Mtage;les événementsm'entraînèrent,
~t ~AtH&TÉS.
et je partispMfles Etats-Unis,oc je trouva;uh dsite, du n'avait
<!ttdeta tMu'quittité.
~<ttMf<MtAi)té<t~e.
<
<
t
HttO~me
~~j~Ë 6o!scechapitt-een racontantunecilMOnstance
\)<~J~ demà~ie qui pfOuvebien que rien n'est sur
en ce bas monde,et que !e malheurpeutnous
~RM surprendre au moment où on s'y attend le
4 moi~s,Je partais pour la France,. je quittais les
Etats-Unisaprès trois ans de séjour, et je m'y étaissi bien trouvé
quetout ce que je demandaiau die!(et it m'aexaucé) dans ces
momentsd'attendrissementqui précèdentle départ, fut dene pas
être ptus matheureuxdans Fancienmonde que je ne l'avais été
dans le nouveau.
Ce bonheur, je t'avaisprincipalementdû à ce que, dès que je
fusarrivé parmi les Américains,je parlai comme eux (I), je
m'habittai commeeux, je megardai bien d'avoir plus d'esprit
qu'eux, et je trouvai bon tout ce qu'Usfaisaieht; payant ainsi
t'hospitatité que je trouvais parmieux par une condescendance
queje crois nécessaireet que je conseitle à tous fieuxqui pour-
raient se trouver enpareitteposition.
(<) Je d!mis un jour à côté d'un créole qui dëme~t Ne~-YoFk depuis deut
an~, et qui ne savait pM assM datais ~qr demander du pain et je tui en té-
moignai monetonnëment. «Bah dH-il en levant tes épautes, croyez-vousque je
« s~s assez bon pour medonner ta peine d'etudter la tàn~ie d'un peuple àusst
«mautBadë?*
SOUVENIRS D'ÊMICRATÏON. <M
Je quittais done paisiblementUnpays où j'avais vécu en paixavectoutle monde et il n'y avait un bipèdesans plumeadanstoute la créationqui eût plusactuellementque moi l'àmouf deaè$
semblables, quand il survintun incident tout-à'faitindépendantde ma volonté, et qui faillit à me rejéter dans les événements
tragiques. ',)J'étais sur le paquebotqui devait me conduiredëNe~Tbrk
PMadetphie; il faut savoirque.pour fairece voyageavecsûreté
et certitude, il fautprofiterdu momentou la marée descendi.
Or la mer était étale, c'est-à-direqu'elle allaitdescendre~et le
momentde partir était venu sans qu'on se mtt le moinsdumonde
en mouvementpour démarrer
Nousétions là beaucoup de Français, et entre autres un sieur
Gauthier, qui doit être encore en ce momentà Paris; brave gar-
çon qui s'est ruiné en voulantbâtir «Wa <WMta maison qui fait
l'angle sud-ouestdu palais du ministèrede~finances.
La causedu retard fut bientôtconnue etteprovenait dt) deux
Américainsqui n'arrivaientpoint, et qu'onavait ta bontéd'atte)~
dre; ce qui nous mettaiten danger d'être surpris par ta ma)fée
basse et de mettrele doublede tempspourarriver à notre des-
tination car ta mern'attend personne.
De ta grands murmures et surtout de ta part des Français,
qui ont les passions bien autrementvives que les habitantsde
l'autre bord de l'Atlantique.Nonseulement je ne m'en mêlaispas,mais à peinem'en aper-
cevais-je, car j'avais le cœur gros, et je pensais au sortqui m'at-
tendait en France de sorte que je ne sais pas bien ce qui se
passa. Maisbientôt j'entendis un bruit éclatant, et je vis qu'il
provenait de ce que Gauthieravait appliquésur la joue d'un Ame'
ricain un souffletà assommerun rhinocéros.
Cetacte de violenceamena une confusion-épouvantable. Lès
mots /WMtpa~et a<Mt'<c<KtMayant été plusieurs fois prononcéseh
opposition la querelledevintuationate; etit n'était pas moins
questionque de nousjeter tous à la met ce qui eût été oepen*dantune opérationdifficile,car nous étionshuit contreonze.
V~RtÉTÉSM
J'étais~ par mon extérieur, celui qui annonçait devoir faire le
plus de résistance a ta <t'aM<&<MM;car je suis carré, de haute
taitte, et je n'avais alors que trènte~neuf ans. Cefut sans doute par
cette raison qu'on dirigea sur moite guerrier le plus apparènt de
la troupe ennemie, qui vint me faire en iace une attitude hostile.
H était haut comme un clocher, et gros en proportion; mais
quand je le toisai avec ce regard qui pénètre jusqu'à la moelle des
os, je vis qu'il était d'un tempérament lymphatique, qu'il avait
le visage bôursouNé, les yeux morts, la tête petite et des jambes
de femme.
JMeM<moMa~<a<wto!ent~dis-je en moi-même; voyons ce qu'il
tient, et on mourra après, s'il le faut. Alors voici textuellement ce
que je lui dis, à la manière des héros d'Homère
Do you believe (i) to bully me? you damned rogue. By God
it witt not be so. and l'tt overboard you tike a dead cat. If I
find you too heavy, rtl cling to youwith hands, legs, teeth, nails,
e~ery thing, and if i cannotdo better, wewill sink to get her to
the bottom my life is nothing to send such dog to hett. Now, just
now.
< Croyez-vous m'effrayer, damné coquin?. par Dieu! il n'en
< sera rien, et je vous jetterai par-dessus le bord comme un chat
< crevé. Si je vous trouve trop lourd, je m'attacherai à vous avec
< les mains, avec les jambes, avec les ongles, avec lés dents
< de toutes les manières, et nous irons ensemble au fond. Ma
< vie n'est rien pour envoyer en enfer un chien comme vous.
Allons. (2)
(<) On ne se tutoie pas en anglais; et un charretier tout en rouant son cheval de
coups de fouet, lui dit « Go; sir; go, sir; 1 say (allez, monsieur; allez, monsieur,
« vous dis-je). »
(~) Dans tous les pays régis par les lois anglaises, les batteries sont toujours pré-
cédées de beaucoup d'injures verbales, parce qu'on y dit «que les injures ne cassent
pas tes os (high words break no bones). Souvent aussi on s'en tient là, et la loi
fait qu'on hésite pour frapper car celui qui frappe le premier rompt la paix pu-
blique, et sera toujours condamné à l'amende, quel que soit l'événement du com-
bat.
SOUVENIRS D'ËMÏ&RATION. .MB'
Acesparoles, aveclesquellestoutemapersonneétait sansdoute
en harmonie (car je me sentais ta force d'Hercule), ~a vis mon
hommesé~raceourcird'un pouce, ses bras tombèrent, ses joues
s'aplatirent; en un mot H donna des marques si évidentesde
frayeur, que celuiqui l'avait sans doute amenés'en aperçut, et
vintcommepour s'interposer; et il fitbten, car j'étais lancé, et
l'habitantdu nouveaumondeallait sentir que ceuxqui se baignentdans le Furens(i) ont les nerfsdurementtrempés.
Cependantquelquesparolesde paix s'étaientiait entendredans
l'autre partie dunavire l'arrivéedes retardatairesfit diversion il
falluts'occuperà mettre à là voile;de sorte que, pendantquej'é*
tais en attitude delutteur, le tumultecessa tout d'un coup.
Les chosesse passèrent mêmeau mieux car lorsque tout fut
apaisé, m'étant occupéà chercherGàuthierpour le gronder de sa
vivacité je trouvaile souNetéassisà la mêmetable, en présence
d'un jambon de la plus aimableapparenceet d'un pitcherde bière
d'une coudéede hauteur.
(i) Riyière limpide qui prend sa source aN-~iessits de Rossitton, passe près deBeHeY.etséjette dans le Rttûne au-dessus de Peyrieux. Les truites'qu'ohy y prend'ont la chair couleur de rose et les brochets l'ont comtne ivoire. Gutt y<(f/ ~«</(autem).
VARIÉTÉS.Mt
XV.
ta botte y~~r~M.
«~ AS8ANTau Palais-Royal, par un beau jour du mois
de février, je m'arrêtai devant le magasinde ma-
dame Chevet, la plus fameusemarchandede co-
~~JtS~~mestiblesde Parist qui m'a toujoursfaitl'honneur
de nie vouloirdu bien et y remarquantune botte
d'asperges dont la moindre était plus grosseque mon doigt indi-
cateur, je lui en demandaile prix. <–Quarante francs, monsieur,
< répondit-elle. Elle~sont vraimentfortbelles mais à ce prix,
il n'y a guère que le Toi ou quelque prince qui pourront en
< manger. Vousêtesdans l'erreur, de pareilschoixn'abordent
jamais les palais on y veut d~beau etnon du magniSque,ma
< botte d'aspergesn'en partira pas moins, et voici comment
<Aumomentoù nous parlons, il y a danscette villeau moins
trois cents richards, financiers capitalistes, fournisseurset
< autres, qui sont retenuschez eux par la goutte, la peur des ca-
tarrhes, les ordres du médecin, et autres causes qui n'empê-
< chentpas demanger; ils sont auprès deleur feuà se creuser le
cerveaupour savoirce qui pourra)!les ragoûter, et quandilsse
< sont bien fatigué?sans réussir, ilsenvoientleurvaletdechambre
< à la découverte celot-Mviendrachez moi, remarqueraces as-
< perges, fera sonrapport; et elles seront enlevéesà tout prix.
< Oubienœseraunejoliepetiteiemmequipasseraavpcsonamant,
cet qui lui dira Ah! mon ami, les bellesasperges achetons-les;
< vous savezque mabonne en faitsi bien la sauce' Or, eo pareil
< cas, un amant commeil faut ne refuse ni ne marchande.Ou
< bien c'est une gageure, un baptême, une haussesubitede la
< rente. Que sais-je, moi? En un mot, les objetstrès chers s'é-
< coulentplusvite que les autres, parce qu'à Paris le coursde la
< vie amène tant de circonstancesextraordinairesqu'il y a tou-
< jours motifssuffisantspour les placer. »
DEt~JF~DUE.
Cûtnoieelle partaitatnsi, dem<gros Â~gtats, qui pt~SjMeat~e~se tenant sous le bras s'arrêtèrent auprèsde mous~ot;tew «sage
pnt a t'mstaot 'uneteinte adaurattve.~'un d'eux Rt eayetoppefla
botte miraculeuse,même sansen demander le prix., la paya, tamit sousson bras et l'emportaen situant t'air Co~ MM~e Mt~.
t Yoita,monsieur,medit en riant madameChevet,une chancetout aussi communequeles autres, dont je ne vous avais pas
<!encoreparlé. t
XVI.
<<tK&UC.
,~j~~<~d"s est originaire d6 ta Suisse. Cen'estautre chose que des œufs bt-oui)tés
~~j~ aufromage, dans certainesproportions
~N~' que le temps et l'expérienceont révélées. J'endonnerai la recetteofficielle.
~y~C'est un mets sain, savoureux, appétissant, de
_~j~~ <y prompteconfection,et partant toujours prêt à fairefaceà l'arrivée de quelquesconvivesinattendus.Au
reste je n'en faismentionicique pour masatisfactionpar-
VX&1ÈTÈS.??
ticulière, et parcequece~motrappelle unfaitdont les vieillardsdu
district dë~ëMeyont gardéle souvenir.VetSla nn dudix-septièmesiècle, un M.de Madotfutnomméà
l'évêchéde Belley et yarrivaitpour en prendre possession.Ceuxqui étaient chargésde le recevoir et de lui faire les hon-
neurs de son propre palaisavaientpréparé un festindignedel'oc-
casion, et avaient faitusage de toutes les ressourcesde la cuisine
d'alors pour fêter l'arrivéede monseigneur.Partni les entremetsbrillaitune amplefondue dont le prélat se
servit copieusement.Mais,ô surprise se méprenantà l'extérieur
et la croyant une crème, il la mangea à la cuiller, au lieu de se
servir de la fourchette,de tempsimmémorialdestinéeà cet usage.Tous les convives, étonnésde cetteétrangeté, se regardèrent
du coinde l'œil, et avecun sourire imperceptible.Cependantle
respectarrêta toutesles langues, car tout ce qu'un évêquevenant
de Paris fait à table et surtout te premier jour de son arrivée,ne peut manquerd'être bienfait.
Mais ta choses'ébruita, et.dès le lendemainon ne se rencontrait
point sans se demander <Eh bien, savez-vouscommentnotre
nouvelévêquea mangéMerau soir sa fondue?–Eh oui, je
le sais il t'a mangéeavec une cuitter. Je le tiensd'un témoin
oculaire,etc. La villetransmitle faità la campagne et aprèstrois moisil était publicdanstoutle diocèse.
Cequ'ily a deremarquable,c'est que cetincidentfaillitébranler
la foi de nos pères. 11y eut des novateursqui prirent le parti de
la cuiller, mais ils furentbientôtoubliés la fourchettetriomphaet aprèsplusd'un siècle, undemes grands-oncless'en égayaiten-
coreet mecontait.en riantd'un rire immense,commequoiM. de
Madotavaitune foismangéde la fondueavecune cuH!er.
DÈSApPptNT~ENT. M<
48
DteeeMe<te la ~mdme
TeUequ'ettea étéextraite(tespapMKdeM.Tt<omn,haiUideMondon,
aucantondeBerne.
~Esez le nombre d'œu&que vousvoudrezemployer
d'aprèsle nombre présumé de vos convives.
< Vousprendrez ensuiteun niorcean de bon ~0-~
magede Gruyprepesant le tiers, et un morceau de beurre
pesant le sixièmede ce poids~
Vous casserez et battrez bien les œuis dans une casse-
rolle après quoi vous y mettrez le beurre et le fromagerâpé ou
émincé.
Posezla casserollesur un fourneaubien allumé,et tournezavec
une spatule,jusqu'àce que ;e mélangeso~convenablementépaissi
et mollet mettez-yun peu pu pQtRtde sel, suivantque le fromage
sera plus ou moinsvieux et une fortepor~onde poivre, qui est
un des caractèrespositifsde ce metsantique (servezsur un plat
légèrementéchauSé faites apporter le memeurvin qu'on boira
rondement, et on verra merveilles.
–~t.M«–
XVtL
~CMppCtntCMtfttt.
~S~opTÉtait tranquitte un jour dans fauberge de
(~t'~cM de France, a pp~~ en ~res~, quan~ ~n
V ~3aE~~ ërap4 FO~enient se fit en~ndpe et qu'op vit
par~!tFeune superbe berHne, forme anglaise, à
quatre chevaux, retnarquaple surtput par deux
tresjplie~ 4p~!s qui étaient cachées sur )e si~ge
du cocher, bien ployées dans une ample enveloppe de drap écar~
tate < doubleet brodée ep Meu,
VARIÉTÉS.M&
A cetteapparition, quiannonçaitun milordvoyageantà petites
journées, Chicot(c'était le nom de l'aubergiste)accourut, le bon-
net à la main sa femmese tint sur la porte de l'hôtel les filles
faillirentse romprele cou en descendantl'escalier, et les garçonsd'écurieseprésentèrent, comptantdéjà sur un ample pour-boire.
Ondéballales suivantes, non sans les faire rougirun peu, at-
tendu les difficultésde la descente; et la berlineaccoucha: 1°d'un
milordgros, court, enluminéet ventru; 2°de deuxmiss, longues,
pâles et roussis 3°d'une miladyparaissantentre le premier et le
seconddegréde la consomption.
Cefutcette dernièrequiprit la parole
< Monsieurl'aubergiste, dit-ette, faites bien soigner mes che-
< vaux;donnez-nousune chambrepour nous reposer, et faites
<rafraîchirmesfemmesde chambre mais je ne veuxpas que le
<tout coûte plus de six francs prenezvosmesures tà-dessus.
Aussitôtaprèsla prononciationde cette phrase économique,Chicotremit son bonnet, madamerentra, et lesSitesretournèrent
à leur poste.
Cependantles chevauxfurentmis à l'écurie, où ils lurent la ga-
M~9
t
EFFETS D'UN DtNER CLASSIQUE.
zette; on montraaux dames une chambreau premier(up <<atf<),0
et on offritaux suivantesdes verreset une carafed'eau bien claire.
Maisles six francsobngésne furent reçus qu'en rechignant, et
comme une mesquine compensation pour l'embarras causé et
pourles espérancesdéçues.
xvm.
Cfffts mc~dUcux ~'im b~ff dM9i<)Uf.
HÉLAS que je suis à plaindre! disait d'une voixélégiaqueun<gastronome de la cour royale de la Seine. Espérant retourner
< bientôt à ma terre, j'y ai laissé mon cuisinier les affaires me
< retiennent à Paris, et je suis abandonné aux soins d'une bonne
< officieuse dont les préparations m'affadissent le cœur. Mafemme
< se contente de tout, mes enfants n'y connaissent encore rien:
< bouilli peu cuit, rôti brûlé, je péris à la fois par la broche et par
la marmitte, hélas »
Il parlait ainsi, en traversant d'un pas douloureux la place
Dauphine. Heureusement pour la chose publique, le professeur
entendit de si justes plaintes, et dans le plaignant reconnut un
ami. < Vousne mourrez pas mon cher, dit-il d'un ton affectueux
au magistrat martyr non, vous ne mourrez pas d'un mal dont
« je puis vous offrirle remède. Veuillez accepter pour demain un
dîner classique, en petit comité après dîner une partie de pi-<quet que nous arrangerons de manière à ce que tout le monde
< s'amuse et commeles autres, cette soirée se précipitera dans
<l'aMme du passé.
L'invitation fut acceptée le mystère s'accomplit suivant les cou-
tumes, rites et cérémonies voulus et depuis ce jour (25 juin i825),
le professeur se trouve heureux d'avoir conservé à la cour royale
un de ses plus dignes soutiens.
VÀJMËTËS.
XIX.
@ffft8et ~nQcrs b~ U~CMcsfortes.
~~f~ë'3 soif factice dont nous avons fait mention (Mé-
~j~ditationVMI, page 150), celle qui appelle les li-
~<queurs fortes comme soulagement momentané,
devient, avec le temps, si intense et si habi-
TiS~s~K tuelle, que ceux qui s'y livrent ne peuvent pas
passer la nuit sans boire, et sont obligés de quit-
ter leur lit pour t'apaiser.
Cette soif devient alors une véritable maladie; et quand l'indi-
vidu en est là on peut pronostiquer avec certitude qu'il ne lui reste
pas deux ans à vivre.
J'ai voyagé en Hollande avec un riche commerçant de Dantzick
qui tenait, depuis cinquante ans, la première maison de détail en
eaux-de-vie.
ï Monsieur, me disait ce patriarche, on ne se doute pas en
< France de l'importance du commerce que nous faisons, de père
< en fils depuis plus d'un siècle. J'ai observé avec attention les
< ouvriers qui viennent chez moi et quand ils s'abandonnent
< sans réserve au penchant, trop commun chez les Allemands
< pour les liqueurs fortes, ils arrivent à leur fin tous à peu près
t de la même manière.
<D'abord ils ne prennent qu'un petit verre d'eau-de-vie le ma-
< tin, et cette quantité leur sumt pendant plusieurs années ( au
< surplus ce régime est commun à tous les ouvriers, et celui qui
< ne prendrait pas son petit verre serait honni par tous les cama-
< rades ) ensuite ils doublent la dose, c'est-à-dire qu'ils en pren-
< nent un petit verre le matin et autant vers le midi. Ils restent à
ice taux environ deux où trois ans puis ils en boivent réguliè-
< rement le matin, &midi et le soir. Bientôt i's en viennent prendre
< a toute heure, et n'en veulent plus que de celle dans laqueue
< on a fait infuser du giroue aussi .lorsqu'ils en sont là, il y a
LES CHEVALIERS Ët LES ABBÉS. <M
e certitud~eqü'ils dnt tdut a~~~ilussixtndi5 à ~i~i~t~b;il~sd ~dd~< ceirtttudëqu'Hsont tbùt sut pt<Msixmoisà ~tSB; !t896 d~së*
< chent, ta Sèvifeles pt'end, ils ~Ohtà l'h6~, et OtHiël@s?'
< voitptus. t
XX.
Cce c~MUff9 tt tt9 abbtS.
J'ai déjà cité deux fois ces deux catégories gourmandes que !e
temps a détruites.
Comme eues ont disparu depuis plus de trente ans, la plus grande
partie de la génération actuelle ne les a pas vues.
Ëttes reparaîtront probablement vers la fin de ce siècle
mais commeun pareil phénomène exige la coïncident <~eMën
VARIÉTÉS.aM
des futurs contingents, je crois que bien peu, parmi ceux qui vi-
vent actuellement seront témoins de cette palingénésie.Il faut donc qu'en ma qualité de peintre de mœurs je leur donne
le dernier coupde pinceau et pour y parvenir plus commodément,
j'emprunte le passage suivant à un auteur qui n'a rien à me refuser.
« Régulièrement, et d'après l'usage, la qualification de cheva-
lier n'aurait dû s'accorder qu'aux personnes décorées d'un ordre,
ou aux cadets des maisons titrées mais beaucoup de ces cheva-
liers avaient trouvé avantageux de se donner l'accolade à eux-
mêmes (i), et si le porteur avait de l'éducation et une bonne tour-
nure, telle était l'insouciance de cette époque que personne ne s'a-
visait d'y regarder.< Les chevaliers étaient généralement beaux garçons, ils por-
taient Fépée verticale, le jarret tendu, la tête haute et le nez au
vent ils étaient joueurs, libertins, tapageurs, et faisaient partieessentielle du train d'une beauté à la mode.
« Ils se distinguaient encore par un courage brillant et une faci-
lité excessive à mettre l'épée à la main. Il suffisait quelquefois de
les regarder pour se faire une affaire. J
C'est ainsi que finit le chevalier de S. l'un des plus connus de
son temps.
Il avait cherché une querelle gratuite à un jeune homme tout nou
vellement arrivé de Charolles, et on était allé se battre sur les der-
rières de la Chaussée-d'Àntin, presque entièrement occupée alors
par des marais.
A la manière dont le nouveau venu se développa sous les armes,
S. vit bien qu'il n'avait pas à faire à un novice il ne se mit pas
moins en devoir de le tâter mais au premier mouvement qu'il fit,
le Charollais partit d'un coup de temps et le coup fut tellement
fourni que le chevalier était mort avant d'être tombé. Un de ses
amis. témoin du combat, examina longtemps en silence une bles-
sure si foudroyante et la route que l'épée avait parcourue Quel
beau coup de quarte dans les armes dit-il tout-à-coup, en s'en
(i)Setfcreated.
LES CHEVALIERS ET LES ABBÉS. B~
< allant, et que ce jeune homme a la mainbien placée! Le
défuntn'eut pas d'autre oraisonfunèbre.
Aucommencementdésguerresde ta révolution la plupart de
ceschevaliersseplacèrentdans lesbataittons,d'autres émigrërent,leresteseperditdans ta toute.Ceuxqui survivent,en petitnombre,sont encorereconnaissables.à t'air de tête; mais ils sont maigreset marchentavecpeine ils ont la goutte.
Quand il y avait beaucoup d'enfants dans une famille noble on
en destinait un à l'église il commençait par obtenir les bénénces
simples qui fournissaient aux frais de son éducation; et dans la
suite, il devenait prince, abbé, commendataire ou évéque, selon
qu'il avait plus ou moins de dispositions à l'apostolat.
C'étaitlà le type légitimedes abbés maisil y en avaitde fauxet beaucoupde jeunes gens qui avaient quelqueaisance, et qui
V~Rt$TE8.
ne se spuciajien~pasdecourir leschancesde la chevalerie,se don~
naientle titre d'abbéen venantà Paris.
Rien notait plus commode avec une légère altérationdans la
toilette, on se donnaittout-à-coupl'apparenced'unbénéScier on
se plaçait au niveaude tout le monde on était tête, caressé,
couru car il n'y avaitpas de maisonqui n'eût son abbé.
Les abbés étaient petits, trapus rondelets, bienmis, câlins,
complaisants, curieux, gourmands, alertes, insinuants ceuxquirestent ont tourné à la graisse ils se sont faitsdévots.
Hn'y avait pasde sort plusheureuxque celuid'un riche prieurou d'un abbé commendataire its avaient dela considération de
l'argent point de supérieurs et rien à faire.
Leschevaliersse retrouverontst ta paixesttonauo, Gpxnn;~on
peut Fespéfer mais à moinsd'un grandchangementdans t'admi-
MIS,CELLANEA. 386
4't
nïstration ecctésiastique,Fëspëcedes abbésest perduesans retour;H n'y a plusde MN~cMfMet on est revenuaux principesde la pr!-mitiveêglise :tet!~ct<ttMjM'op<M'o/)!e<wm.
XXI.
~U9f(Han~.
~Ka& ~WB~}"ONSiECR!eeotispiuer,disaitunjourd'un
~r~& boutd'unetableà l'autre,unevieiHe
J~~a~ ""arquisedufaubourgSaint-Germain,
~Mw~~B~«!€quetpré<ërez-vousdubourgogneou
'e~ ~F~~ bordeaux? Madame,répondit~'j~ <d'une voixdruidique!e magistrat
ainsi interrogé,c'estun procèsdontj'ai tant.deplaisirà visi-ter lespiècesquej'ajournetoujoursà huitaine!aprononciation« del'arrêt.
Un amphitryon de ~a Cbaussée-d'Antmavait faitservir sur sa
table unsaucissond'Arlesde taillehéroïque. < Acceptez-en une
« tranche, disait-ilà sa voisine;voilàun meublequi, je l'espère,< annonceune bonne maison. Il est vraimenttrès gros, dit la« dameenle lorgnantd'un air matin c'estdommageque celane
ressembleà rien.
Ce sont surtout les gensd'esprit qui tiennent ta gourmandiseàhonneur les autres ne sont pas capables d'une opération qui con-
siste dans une suite d appréciations et de jugements.
Madame la comtesse de Genns se vante, dans ses Mémoires,
d'avoir appris à une AHemande qui l'avait bien reçue la manière
d'apprêter jusqu'à sept plats déticieux.
VA~fÊTÉS.
C'est M.le comtedé ta ~lacé qai a découvertune manière très
relevéed'ac~ommpdertes ~ise~, qui consisteà lesmouineravec te
jus d'une orangedouce(pommedes Hospéndes).Un autre savant a encoreenchéri sur le premier, en y ajoutant
lejaune de l'orange, qu'i! enlèveen la frottantavec un morceau
desucre et it prétend prouver, au moyend'un lambeauéchappéaux Gammesqui détruisirent ta bibliothèqued'Alexandrie, quec'est a!nsiassaissonnéque ce fruitétait servi dans les banquets du
montIda.
t lé n'ad pas grande idée de cet homme, disait te comte de
<M en parlant d'un candidatqui venaitd'attraper uneplace;<it n'a jamais mangéde boudinà taRicheMeu,et ne connaîtpas
les côtelettesà la Soùbise. t
Un buveur était a table, et au dessert on lui offrit du raism, « Je
< vous rcmercte, dit-il en repoussant l'assiette je n'ai pas cou-
< tume de prendre mon vin en pilules.
On incitait un amateur qui venait d'être nommé directeur des
contributionsdirectës à Perigtieux; Q~t'entretenait dupla'~irqu <)
aurait à vivre au centre de la bonne ç~ère, dans le pays des
tmN&s<dea bartave!!e8t des dindes tt-nSees, etc.. etc. < Hé)as dit
« en soupirant le gastronome contristé, est-il bien sûr qu'on puisse
« vivre dans un pays où ta marée n'arrive pas?
XXH.
Mttf;c'MrHMd)~~ S~~rBtn~.
Il était près d'une heure du matin; il faisaitune bcUenuit d'été
LES JBBRN~DÏNS.
et nous étions tbrbtégenoalyacade.~B san~avoif donne une vi-
goureusesérénade au~bellesqui avaiet~lebonbeur~enous inté-
resser(c'e&tyers~8S!),Nouspartionsde Belley, et nousallion&à Saint'Sulpice abbaye
de Bernardinssituéesur unedes plus hautes montagnesde l'ar-
rondissement, au moinscinq millepieds au-dessusdu niveaude
la mer.
J'étais alors chefd'une troupe de musiciensamateurs,tous amis-
de la joie et possédantà bau~edose toutes les vertus qui accom-
guentla jeunesseet la santé.
<Monsieur, m'avaitditun jour l'abbé de Saint-Sulpice, en me
< tirant, après dîner, dans l'embrasured'unecroisée,vousseriez
<bien aimablesi vousveniez a~ecvos amisnousfaireun peu de
<musiquele jour de Saint'BcHtard le samt en serait plus com-
<plèteméntglorifié,nosvoisinsenseraientréjouis, et vousauriez
<l'honneur d'être les premiersOrphéesqui auraientpénétré dans
<ces régionsélevées.)t
Je ne fis pàs répète)*une demande qui promettaitune partie
agréable, je promisd'un signede tête, et le salon en futébranlé.
Annuit,et totumnututremefecitolympum.
Toutesprécaution étaientprises d'avance; et nouspartions debonn~heure, parceque nous avionsquatre lieuesà {aire par deschemins capablesd'effrayef mêmeles voyageurs audacieuxquiontbravé les hauteursde la puissantebutte Montmartre,
Lemonastèreétait bâti dans une vallée ferméeà l'ouest par le
sommetde la montagne, et a l'est par un coteaumoinsélevé.
Le pic de l'ouest était couronné par uneforêt de sapinsoh un
seul coup deveMten inversa un j~uptrente-septmille (1). Le<badde la valléeétait occupépar une vasteprairie, où des bois-
(<) Là ntattti')ëde< eauxet tëfèta les compta, les vendit; té cetnmefceen pi~o-
û~, ;e~ta<);BM<? pte~~e~t gr~m~aMétaux f~pt c!)to ea eircutatto~,e~
personnene se plaignit de l'ouragan.
VARtÉTÉS.<M
sons dehêtres formaientdiverscompartimentsirréguliers,modètt's
impenses de cespetitsjardins anglaisque nous aimonstant.
Nous arrivâmesà la pointedu jour, et nousfûmesreçuspar le
pèreceUérier, dont le visage était quadrangulaireet le nez en
obélisque.
t Messieurs, dit le bon père. soyez les bienvenus notre ré-
< vérend abbé sera bien çontent quand il saura que vous êtes ar-
< rives il est encore dans son lit, car hier il était bien fatigué
mais vous allez venir avec moi, et vous verrez si nous vous
« attendions.
Hdit, se mit en marche, et nous le suivîmes, supposant avec
raison qu'il nous conduisait,vers le réfectoire.
Là tous nos sens furent envahis par l'apparition du déjeuner !e
ptùs séduisant, d'un déjeuner vraiment classique..
Au milieu d'une table spacieuse, s'élevait un pâté grand comme
une église il était Qanqué au nord par un quartier de veau froid,
au sud par un jambon énorme, à t'est par une pelotte de beurre
monumentale, et à l'ouest par un boisseau d'artichauts à la poi-
vrade.
LES BERNAMtNS. 889
On y voyait encorediverses espèces de fruits; des assiettes,
des serviettes, des couteaux, et de l'argenterie dans des cor-
beilles et au bout de la table, des frères tais et des domestiques
prêts à servir, quoique étonnés de se voir levés si matin.
En un coin duréfectoire, on voyait une pile de plus de cent
bouteilles, continuellementarrosée par une fontainenaturelle,
qui s'échappaitenmurmurantEvohe~accAe;et si l'aromedu moka
ne chatouillaitpas nos narines, c'est que dans ces tempshéroï-
ques on ne prenait pas encore de café si matin.
Le révérendceltérierjouit quelque tempsde notre étonnement;
après quoiil nousadressa l'allocutionsuivante, que, dans notre
sagesse, nous jugeâmesavoir été préparée
< Messieurs, dit-il, je voudrais pouvoir vous tenir compagnie,
mais je n'ai pas encore dit mamesse, et c'est aujourd'hui jour
de grand office. Je devrais vous inviter à manger; mais votre
< âge, le voyage et l'air vif de nos montagnes doivent m'en dis-
< penser. Acceptez avec plaisir ce que nous vous offrons de bon
cœur; je vous quitte et vais chanter matines. »
A ces mots, il disparut.
Ce fut alors le moment d'agir; et nous attaquâmes avec l'énergie
que supposaient en effet les trois circonstances aggravantes si bien
indiquées par le ceUérier. Mais que pouvaient de faibles enfants
d'Adam contre un repas qui paraissait préparé pour les habi-
tants de Sirius! nos efforts furent impuissants; quoique ultra-
repus, nous n'avions laissé de notre passage que des traces
imperceptibles.·
Ainsi, bien munis jusqu'au dîner, on se dispersa; etjj'allai me
tapir dans un bon lit, où je dormis en attendant !a messe, sem-
blable au héros de Rocroy et à d'autres encore, qui ont dormi
jusqu'au moment de commencer la bataille.
Je fus réveillé par un robuste frère, qui taiiïit m'arracher
le bras, et je courus à régtisé, où je trouvai tout le monde à
son poste. <
Nous exécutâmes une symphonie à, roSortoire; enchanta un
VARtATtS.~M.
mp~et fé~at'o~, et j&nSuit par un quatuor d'instrumenté à
vent. !oa!gré ~mauvaises ptaiaanteries contre la musique.d'amatou)s. te respectque je dois a !a vérité m'oMiged'assurer
que nous nousen tirâmesfort b!en<
Je remarque cette occasionque tous ceuxqui ne sontjamais
contenta der~en, sont presque toujours deeignorantsqui ne tran-
chent bardtment queparcequ'its e~p~reotqueleur audacepourraleur faire supposer des connaissancesqu'ils n'ont pas eu !e cour
rage d'acquérir.
Nou§reçûmes avecbénignité tes éloges qu'onne manqua pas
de nous prodigueren cette ocoa&ion,ef, après avoir reçu les re~
mercimentsde !'abbé, nous aUâmesnous mettre~ taMe.Le dîner futservi dans te goût du quinzièmesiècle; peu d'en-
tremets, peu de superuuités mais un exceMentchoixde viandes,dés ragoûts simples substantiels,,une bonne cuisine, une cuis-
son parfaiteet surtoutdes !égumesd'upe saveurin<?onnuedanstesmarais, empêchaientde désirer ce qu'onne voyait pas.
Onjugera, au surplus de Tabondancequi régnait en ce bon
lieu, quand on saura que le secondserviceoiTritjusqu'à quatorze
ptats de rôt.
Le dessert M d'autant plus remarquaNequ'H était composéen
partiede fruitsqui ne croissent point à cette hauteur, et qu'onavaitapportés du pays bas car on avait mis a contributionles
jardins de Machuraz, !a MorQent,et autres endroits iavorisésde
t'astre père de la chateur.
Les tiqucursne manquèrentpas; mais le café mérite une men-
tion particulière.Hétait Mmpide,parfumé, chaud à mervei!!e mais surtout il
n'était pas servi dans ces vases dégénérés qu'on ose appetertaMMsur tea tives de la Seine, mais dans debeaux et profondsbowls où se plongeaient à souhait !es tèvres épaissesdes révé-
renda, qui en aspiraientle MquideviviSantavecun bruit qui au-
rait faithonneur à des cachatot!!avant forage.
Après dîner, nous aHâmesà vêpres, et nous y exécutâmes,
ejatre]te&psaumes,de&antiphoaeeqtw~a~aas cempeeésexprès.
LES~~JÙ~ÏNS. m
("était de ta mu~uecourante cotttmèon en ~att aMra~et Jbn'en dis ni bien ni mat, de peur d'être arrêté parta modestie;oit
ihQ~ehcépar !a pàtët'ntt~.
La jeutrnéeûCRciëHeétantâ!h~!tënn~nêë, ~ësvoismscbmnten-'6èr6ntà déntef; tes autt~ss'ari'angët'en~ pour~ire quelquespar-tiel à desjéox de CbntnIeMe.
Pour moi, je préféraila promenade et ayant r~nt ~ùetques
am!s,j'aUai foulercegazonsi doux et si serré qui vaut bien tep
tapis de la Savonnerie,et respirer cet air purdes hauts lieux,quirafraîchit t'ame et dispose l'imagination à la méditation et au
romantisme(t).
Il était tard quand nous rentrâmes. L'abbévint a moipour mesouhaiterle bon soir et une bonnenuit. < Je vais, me dit~it~
rentrer chez moi, et vous laisser finir la soirée. Ce n'est pas
que je croie que ma présence pût être importune à nos pères;mais je veux qu'ils sachent bien qu'ils ont liberté plénière., Ce
n'est pas tous les jours Saint-Bernard demain nous rentrerons
dans l'ordre accoutumé of<Mt<er<t~<KMs<~Mor.
Effectivement après le départ de l'abbé, il y eut plus de mou-
vementdans l'assemble; el!edevintplusbruyante, et on fit plusde ces plaisanteriesspéciales aux cloîtres qui ne voulaient pasdire grand'chose, et dont on riait sans savoirpourquoi.
Versneufheures, le souper fut servi souper soigné délicat,et éloignédu dîner de plusieurssiècles.
On mangeasur nouveauxfrais, on causa, on rit, on chanta
des chansonsde table; et un des pères nous lut quelquesversde
~à façon, qui vaiment n'étaientpas mauvaispour avoir été fatM
par un tondu.
Sur !a En de ta soirée, une voix s'éleva et cnà < Père ceï!
(<) J'ai cotMttamment éprouv6 cet effet d~M tes tnêntes Mrconstances, et~x
porté à croire que ta légèreté de t'air, dans les montagnes, laisse agir ceO~~L
putssanCescéré~ralesqdèsapesanteUtOpprimedansiaplaiNé.
Mt VARIÉTÉS.
rier, où est doncvotre plat?–C'est trop juste,réponditleré-< vérend je ne suis pascellérier pour rien.
H sortit un moment, et revint bientôt après, accompagné de
trois serviteurs, dont le premier apportait des rôties d'excellent
beurre, et les deux autres étaient chargésd'une table sur laquellese trouvaitune cuved'eau-de-viesucréeet brûlante ce qui équi-valait presque au punch, qui n'était point encoreconnu.
Lesnouveauxvenus furentreçus,avecacclamation on mangeales rôties, on but l'eau-de-viebrûlée et quand l'horloge de l'ab-
baye sonna minuit, chacunse retira dansson appartementpour y
jouir des douceursd'un sommeilauquel les travaux de la journéelui avaientdonné des dispositionset des droits.
~V.B. Le père cellérierdont il est faitmentiondans cettenarra-
tion véritablementhistorique, étant devenuvieux on parlait de-
vant lui d'un abbé nouveltëmentnommé qui arrivait de Paris, et
dont on redoutait la rigueur.Je suis tranquilleà son égard, dit le révérend qu'il soitmé-
< chant tant qu'ilvoudra, il n'aura jamaisle courage d'ôter à un
< vieillardni le coin du feuni la clefde la cave. a
xxm.
0Cttt)<WCttW0})tt$f.
'ÉTAISun jour monté sur mon cheval la Joie et je
< parcourais les coteaux riants du Jura.
C'était dans les plus mauvais jours de la révolu-
tion; etj'allais à Dcte, auprès du représentant Prôt,
~~Spouren obtenir un sau~conduit qui devait m'empêcher d'al-
~NËMter en prison, et probaMement ensuite à t'échafaud.
En arrivant, vers onze heures du matin/à une auberge du
petit bourg ou village de Mont-sous-Yaudrey, je fis d'abord bien
BONHBUR BM VOYAGE. '?.
sonner ma monture et de !à, passant&!a c~isiité,j'y ~8trapped'un spectaclequ'aucunvoyageur n'eut pu voir sans
ptai~f.Devantun feu vif et brillanttournaitune broché admiraMe~nt
garniede caittes, fois de caiMes,et de ces petitsrates a pied verts
qui sont toujourssi gras. Ce,gibierde choixrendait ses dernières
gouttes sur une immenserôtie, dont la factureannonçaitta main
d'un chasseur et tout auprès, on voyait déjà cuit un dé ceë le-
vrauts côtes rondes, que les Parisiensne connaissent pas et
dont le fumetembaumeraituneéglise.
~OR dis-je en moi-même, ranimé par cette vue la Proyi-f denc~ ne m'abandonne pas tout'a-tait. CueiHonsencore cette
< ~eur eu passant il sera toujourstempsde mourir.
Alors, en m'adressant à l'hôte qui, pendantcet examensift!a!).,
les tnainsderrièrele dos, en promenantdans la cuisinesa statue
de géant, je lui dis Mon cher, qu'aUez-vousmedonner debon
î pour mon diner~–Rien que de bon, monsieur; bon bouiUi,
bonne soupa~ux pommesde terre bonne épaulede mouton
w ethonsharta~
Açet~eréponseinattendue, un frissonde désappointementpar-courut tout moncorps o~ sait que je ne mangepoint de bouitu,
parce qup c'est de la viand<*moins son jus les pommesde terre
et les haricotssontobesigènes je nemesentais pas desdents d'a-
Oer pour déch)rerl'épanche t ce menuét~it fait exprès pour me
déso!er, et tousmes mauxretombèrentsur moi.
1~'hôteme regardait d'un air sournois, et avait t'air ded~iser
)a f~aussdp mon désapap~ement. <Etpour qui réservez-vous
donc to~t ce jqlt gtb~rl !ui dis-jed'un air tout-a~aitcontrarié.
-–Bêtas 'monsieur, répondit-it d'untonsympathique,je nepuis
)<~ndispospr tput ~a appartient à des messieursdejustice qui
o sont icidepuis dix jours, pou)! Mneexpertisequi iatéMSseUBe
< dame fort riche Mspnt ~M~hte''et se régatentpour cétébrer cet
<; événement heurpux c'~ )? quenous appe!onsici <aire!a ré-
< yq!te. ~pnsjneur répliquaineaprèsavoir muséquelquesins*
f ~ants, j~ites-moHeptaMurdedife oeamessieursqu'au homm~
a de bonne compagnie amande eemBMuna faweMP,d'~M
80
VAmETÉS.M*s
<[admis à diner avec eux, qu'il prendra sa part de la dépense,« et qu'il leur en aura surtoutune extrêmeobligation. Je dis
il partit, et ne revint plus.
Mais peu après je visentrerun petit hoa"megras, frais,jouf-
Qu, trapu, guilleret, qui vint rôder dans la cuisine, déplaça
quelques meubles, levale couvercled'une casserolleet disparut.
Bon, dis-je en moi-même, voilà le frère tuileur qui vientme
« reconnaître Et je commençaià espérer, car l'expériencem'a-
vait déjà apprisque monextérieurn'est pas repoussant.Lecœur ne m'en abattitpas moinscommeà un candidat sur la
fin du dépouillementdu scrutin, quandl'hôte reparut et vint m'an
noncer que cesmessieursétaient très nattés de ma proposition,et
n'attendaientque moi pour semettre à table.
Je partis en entrechats; je reçus l'accueille plusflatteur et au
bout de quelquesminutesj'avais pris racine.
Quelboa d!ner Je n'en ferai pas -ledétail; maisje dois une
mention honorable à une fricasséede poulets de haute facture,
tellequ'on n'en trouvequ'en province, et si richementdotée de
truffes qu'il y en avait assez pour retremperle vieuxTithon.
Onconnaît de}àle rôt; son goût répondait à son extérieur il
était cuità point, et ladifScultéquej'avais éprouvéeà m'en appro-
cher en rehaussaitencore la saveur.
Le dessertétait composé,d'une crème à la vanille, de fromagede choixet de fruitsexcellents.Nous arrosions tout cela avec un
vinlégeret couleurdegrenat plus tard avecdu vinde l'Ermitage
plus tard encore, avecdu vin de paille, égalementdouxet géné-
reux le tout fut couronnépar de très bon café, confectionnéparle tuileurguilleret, qui eut aussi l'attention de ne nouslaisser pas
manquerde certainesliqueursde Verdun,qu'il sortit d'une espècede tabernacledont il avait la clef.
Nonseulement le dtner fut bon, maisil futtrès gai.
Aprèsavoir parléaveccirconspectiondes affairesdu temps, ces
messieurss'attaquèrentde plaisanteriesqui memirentau faitd'une
partiede leur biographie ils parlèrentpeu de ~aSairequi lesavait
réunis on dit quelques bons contes, on chanta je m'y joignis
BONHEUR EN VOYAGE. <?
par quelquescoupletsinédits j'en fis mêmeun en impromptu, et
qui futfort applaudisuivant l'usage le voici
Am du maréchal /<<v<tttt.
Qu'u est doux pour les voyageurs
De trouver d'aimables buveurs
C'est une vraie (t) héatitude.
Entouré d'aussi bons enfants,
Ma foi je passerais céans,
Libre de toute inquiétude,Quatre jours,
Quinzejours,Trente jours,
Une année,
Et bénirais ma destinée.
Sije rapporte ce couplet ce n'est pas queje le crois excédent,
j'en ai fait, grâce au ciel de meilleurs, et j'aurais refaitcelui-làsi
j'avaisvoulu;maisj'ai préfèrelui laissersa tournure d'impromptuafinque lelecteur conviennequeceluiqui, avecun comitérévolu-
tionnaire en croupe, pouvait se jouer ainsi, celui-là, dis-je,avaitbiencertainementla têteet le cœur d'un Français.
Hy avait bien quatre heures que nous étionsà table, et on
commençaità s'occuperde la manièrede finirla soirée on allait
faireune longuepromenadepour aiderla digestion et en rentrant
on feraitune partiede bête hombréepour attendrele repas du soir
qui se composaitd'un plat de truites en réserve, et des reliefsdu
dînerencore très désirables.
A toutes cespropositionsje fus obligéde répondre par un refus
le soleilpenchantversi'horizonm'avertissaitdepartir. Cesmessieurs
insistèrentautant que lapolitesselepermet, et s'arrêtèrent quand
je leur assuraiqueje ne voyageaispas tout-s-faitpourmon plaisir.Ona déjàdeviné qu'ilsne voulurentnasentendreparlerde mon
(<) II Ya ici une faute que nous conservons par respect pour le texte de l'auteur,
le passage qui suit le couplet fait voir d'ailleurs que nous ne faisons en cela que
suivre son intention,
VARIÉTÉSt
écpt: ainsi, sapametaire de questions importunes ils vouèrent
me voirmonter à cheval, et,nous nousséparâmesaprès avoirfâH
et reçules adieuxles plus affectueux.
Siquelqu'unde ceuxqui m'accueillirentsi bien existe encoreet que celivretombeentresesmains,je désirequ'il sache,qu'après
plus detrenteans, cechapitrea été écritavecta plusvivegratitude.Unbonheur ne vientjamais seul et mon voyagéeut un succès
queje n'aurais presque pas espéré.Je trouvai, à la vérité, le représentantPrôt fortement prévenu
contremoi il me regarda d'un air sinistre; et je crus qu'il allait
mefairearrêter maisj'en fusquittepourla peur, et aprèsquelques
éclaircissements,il me semblaquesestraitssedétendaientun peu.Je ne suis pointde ceuxque la peur rend cruels et je crois que
cethomme n'était pas méchant mais il avait peu de capacitéet
ne savaitque fairedu pouvoir redoutablequilui avaitété confié
c'était un enfant armé de la massued'Hercule.
M.Amondru, dont je retrace ici le nom avecbien du plaisir;
eut véritablementquelquepeine à, lui faireaccepterun souperoù
il étaitconvenu que je me trouverais cependantil y vint et me
reçutd'une manière qui étaitbien loin de me satisfaire.
Je fus un peu moinsmal accueillide madamePrôt, àqui j'allai
présenter mon hommage.Lescirconstancesoù je me présentais
admettaientau moinsun intérêt de curiosité;
Dès les premièresphrases, elleme demandasij'aimais la mu-
sique.Ohbonheur inespéré elle paraissaiten faireses délices~et
commeje suismoi-mêmetrès bon musicien,dès ce momentnos
coeursvibrèrent à l'unisson.
Nouscausâmesavant souper, et nousfîmes ce qu'on appelle
une main à fond.Elle me parla des traités de composition;je les
connaissaistous elleme parla des opérasles plus à la mode; je
les savaispar cœur elleme nommales auteursles plus connus,
je lesavaisvus pour la plupart. Elle ne finissaitpas, parce que
depuis longtempselle n'avait rencontré personne avec qui traiter
ce chapitre, ctonteue pàr~t en amateur, quoiquej'aie su depuis
qu'elle avaitprofessécommemaîtressede chant.
BONHEOtBN VOYAGE. w
Aprèssouperelleenvoyachercherses cahiers elle chanta je
chantai, nouschantâmes jamâtsjë n'y mis plus de zèle, jamais
je n'y eus plus de plaisir.M.Prêt avaitdéjà parlé plusieurs fois
de se retirer qu'ellen'en avaitpas tèhu compte,et nous sonnions
'commedeuxtrompettesleduo de laFausseMagie.
Voussouvient-ilde cette fête.
quand il fit entendre t'erdre du départ.Il faUutbien 6mr; tnà!é à~ mbmehtou nOusnous quittâmes.
madamePrôt me dit < Citoyen quand on cultivecommevous
< les beaux-arts, on ne trahit pas soh pay~.}eSaisque vousde-
« mandezquelquechose&moni~âr! voù8~aurêÉ ~est moiqui« vousle promets.
Ace discoursconsotaht, je tu! M!§at!à main du plus chaud de
mon cœur et effectivementdès !e!endemainmatinje reçus mon
sauf-conduit,bien signée~magniBquemëntcacheté.
Ainsifut rempnte but de mon voyage, ~erevinscheXmoi !à
têtehaute; et grâcea l'harmonie, cette aimaMenne du tCiet,mon
ascensionfut retardéed'un bon nombre d'années.
VARIÉTÉS.tM
XXIV.
~jh~tquf.
Nulla placere diu, née .vivere carmina possunt,
Quaescribuntur aquae potoribus. Ut male sanos
Adscripsit Liber Satyris Faunisque poetas,
Vina fere dulces oluerùnt mane Camoanae.
Laudibus arguitur vini vinosus Homerus
Ennms ipse paternunquam, nisi potus, ad arma
Prosi)uit dicenda « Forum putealque Libonis
« Mandabosiccis; adimam cantare severis. »
Hoc simul edixit, non cessavere poetai
Nocturno certare mero, dotare diumo,
HoMT. ~ptrt. I, <9.
Sij'avais eu assez de tempsj'aurais fait un choixraisonnéde
poésiesgastronomiquesdepuis les Grecset les Latinsjusqu'à nos
jours, et je l'aurais divisé par époqueshistoriques, pour montrer
l'allianceintimequi a toujoursexistéentre l'art debiendireet l'art
de bienmanger.Ceque je n'ai pas fait.un autre le fera(i). Nousverronscom-
ment la table a toujours donné le ton à la lyre, et on aura une
preuveadditionnelledel'influencedu physique sur le moral.
Jusquevers le milieu du dix-huitièmesiècie, les poésiesde ce
genreont eu surtout pour objetde célébrer Bacchuset ses dons,
parce qu'alorsboire du vinet eriboire beaucoupétait le plushaut
degréd'exaltationgustuelleauquelon eûtpu parvenir.Cependant,
pour rompre la monotonieet agrandir la carrière, on y associait
l'Amour associationdont it n'est pas certain que l'amour se
trouve bien.
La découvertedu nouveaumondeet les acquisitionsqui en,ont
été la suiteont amenéun nouvelordre de choses.
(i)Voilà,sijene me trompe, le troisième ouvragequejedélegueauxtravaiileurs:
1" Monographie de l'Obésité 2" Traité théorique et pratique des Haltes de chasse
30 Recueil chronologique de Poésies gastronomiques.
POÉTIQUE. S9t
Le sucre, le café lethé, te chocolat, les liqueursalcooliqueset
tous les mélangesqui en résultent ont fait de la bonne chère un
tout pluscomposé dont le vinn'est plus qu'un accessoireplusou
moins obligé; car te thé peut très bien remplacer le vin à dé-
jeuner (1).
Ainsiune carrière plus vaste s'est ouverte aux poètes dé nos
jours ils ontpuchanter lesplaisirsde ta tablesans être nécessai-
rementobligésde se noyer dans la tonne. et déjàdes pièceschar-
mantes ont célébréles nouveauxtrésors dont ta gastronomies'est
enrichie.
Commeun autre j'ai ouvertles recueils,et j'ai jouidu parfumde
ces om'andeséthérées.Mais,touten admirantles ressourcesdu ta-
lentet goûtantl'harmoniedes vers. j'avais unesatisfactionde plus
qu'un autre en voyant tous cesauteurs se coordonnerà monsys-
(1)LesAnglaisetlesHollandaismangentà déjeunerdupain,dubeurre,du
poisson,dujambon,desœufs,etne'boiventpresquejamaisqueduthé.
GAMÈTES.4M
tème~voft caria plupart de ces jotieschosesont été faites pourdmef. en dînant ou après dtner.
J!espèMbien que tes ouvriershabiles exploiterontla partie de
mondomainequeje leur abandonne et je me contenteen ce mo-
ment d'offrirà mes lecteurs unpetit nombre de pièceschoisiesau
gréde moncaprice,accompagnéesde potes très courtes,pour qu'onne se creuse pas la tête pourchercherla raison de monchoix.
GHA~N
DE DÉMOCARES AU JUSTIN DE DE~Àg.
Cette chanson est }.!réedu ~oya~ ~Mj~jjj ~m~ar&M cette
raison suffit.
~t~ns, chants Baechus,
Il se plaît à nos~Mses,
il se pta!t à nos chants; il étouffe t'~te, la haine et les
chagrins. Aux Grâc~) ~(tuK~tes, aux Amours enchanteurs,~ donna la naissance.
Aimons, buvons; chantons Bacchus.
L'avenir n'est point encore le présent [n'est bientôt plus le seul instant de la
vie est t'instant de la jouissance.
Aimons, buvons; chantons Bacchus.
Sages de nos folies, riches de nos plaisirs, foulons aux pieds la terre et ses vaines
grandeurs; et dans la douce,ivresse que des moments si beaux font couler dans
nos âmes,
Buvons, chansons Bacchus.
(Fot/<~ 4« ~~OMM ett Gf<!pe,tom, tt, ct<ap. S!)
Celle-ciestdeMotin, qui, dit-on, fit le premier en France des
chansonsà boire. Elleest du vraibon tempsde l'ivrognerie et ne
manque pas de verve.
Ant:
Que j'aime en tout temps la taverne!
Que librement je m'y gouverne
Elle n'a rien d'égal à soi
J'y vois tout ce que je demande
POÉTIQUE. Mt
51
Et les torchons y sont pour moi
De une toile de Hollande.
Pendant que le chaud nous outrage,
On ne trouve point de bocage
Agréable et frais comme elle est;
Et quand la froidure m'y mène,
Un malheureux fagot m'y ptatt
Plus que tout le bois de Vincenne.
J'y trouve à souhait toutes choses;
Lès chardons m'y semblent des roses,
Et les tripes des ortolans;
L'on n'y combat jamais qu'au verre.
Les cabarets et les.brelans
Sont les paradis de la terre.
C'est Bacchus que nous devons suivre;
Le nectar dont il nous enivre
A quelque chose de divin,
Et quiconque a cette louange
D'être homme sans boire du vin,
S'il en buvait, serait un ange.
Le vin me rit, je le caresse;
C'est lui qui bannit ma tristesse,
Et réveille tous mes esprits
Nous nous aimons de même force.
Je le prends, après j'en suis pris;
Je le porte, et puis il m'emporte.
Quand j'ai mis quarte dessus pinte,
Je suis gai, l'oreille me tinte,
Je recule au lieu d'avancer:
Avec le premier je me frotte,
Et je fais, sans savoir danser,
De beaux entrechats dans la crotte.
Pour moi. jusqu'à ce que je meure,
Je veux que le vinblanc demeure,,
Avec le clairet dans mon corps,
Pourvu que la paix les assemble
Car je les jetterai dehors,
S'ils ne s'accordent bien ensemble.
La suivanteest de Racan un de nos plus anciens poètes elle
VARtÉTÉS
est pteine degrâceet de pMosophie, a servide modëteà beaucoup
d'autres et paraît plusjeune que son extrait de naissance.
A MAYNARD
Pourquoi se donner ~ant ~e Be)me?f
Buvons plutôt perdre t~d~mg,De ce nectar délicieux,
Qui, pour l'exceHence, pr~deCelui
même ~ue Q~nt~aVerse dans la coupe des (Meux,
C'est tmqui fait que les années)
Nous durent moinsque
tes journées.
C'est lui qui nous fait rajeunir,
Et qui bann~ de n<~ nens~sLe regret des choses p&ss~Et la crjinte de l'avenir,
Buvons Maynard, ~ei~e tasse
L'Age insensiblement se passe
Et nous mène à nos derniers jours
L'on a beau faire des ~!4~e%,
Les ans, non ntus que te~n~Ms~
Jamais ne rebrousser teureOMM.
Leprintemps, ~u de, ~du~
Chassera bientf~ ~r<~d~re.
La mer a son flux et reflux
Mais, depuis que Botee jeunesse
Quitte la place à ta ~teiHesse,
Le temps ne la ramené plus.
Les lois de la mort.ijfmt&tatM
Aussi bien au maiooaa MyatM
Qu'aux taudis couverts de roseaux;
Tous nosjouM sont sujets aux Parques;4
Ceux des ber~rs et des monarques
Sont coupés des mêmes ciseaux.
Leurs rigueurs, par qui tout s*e(face,
Ravissent, en bien peu d'espace,
Ce qu'on a de mieux établi,
Et bientôt août tt~BMbmtbûi)~,
PO~TtS! 4~
Au-dett de la rive n<)ure,
DaM les eaux du fleuve d'o~Mh
Celle-ciest du professeur qui l'a auss~m~e en musique. Il a
reculédevantles embarras de !a gravure <matgrele plaisir qu'ilaurait eu de se savoir sur tous les pianos mais par un bonheur
inouï, elle peut se chanter et onla cAaM<efasur Fair du~att~tHe
F~are,
LE CHOIXDES SCIENCES.
Ne poursuivons plus la gloire
Elle vend cher ses &veuM i
Tâchons d'oublier l'histoire
C'est un tissu de malheurs.
Mais appliquons-nous <)boire
Ce vin qu'aimaient nos ateùx.
Qu'il est bon, quand il est vieux (M~)
J'ai quitté l'astronomie
Je m'égarais dans les cieux
Je renonce à la chimie,
Ce goût devient trop coûteux.
Mais pour la gastronomie
Je veux suivre mon penchant.
Qutt est doux d'être goHrmhnd! (Mt.)
Jeune, je lisais sans cesse;
Mes cht~MX en sont tout gris i
Les sept sages de la Grëee
Ne m'ont pourtant rien appris.
Je tràvàiMe la paresse
C'est un aimable péché,
Ah! comme on est bien couché! (Mt.)
J'étais fort en médecine
Je m'en tirais à plaisir <
Mais tout ce qu'elle imagine
Ne fait qu'aider à mourir.
Je prêtre la cuisine
C'est un art réparateur.
Quel grand homme qu'un traiteur! ~)
VÀtHÉTÉS.Mt4
.t'ai vumaîtrele couptetsuivant, et voilàpourquoije l'<KptaMM.Les truffes sont la divinitédu jour et peut-êtrecette idolâtriene
nous fait-ellepas honneur.
Je finis par une pièce de vers qui appartient à la Médita-
tion XXVI.
J'ai voulu la mettre en musique, et n'ai pas réussi à mon gré;un autrefera mieux, surtout s'il se monte un peu la tête. L'har-
moniedoiten être forte,et marquer au deuxièmecouplet que le
maladeexpire.
Ces travaux sont un peu rudes,
Mais sur le déclin du jour,
Pour égayer mes études,
Je laisse approcher l'amour.
Malgré les caquets des prudes,
L'amourestunjoHjeu
Jouons-te toujours un peu (bis.)
IMPROMPTU.
Buvons à la truffe noire,
Et ne soyons point ingrats
Elle assure la victoire
Dans tes plus charmants combats.
Au secours
Des amours,
Du plaisir, la Providence
Envoya cette substance
Qu'on en serve tous tes jours.
Par M. B. de V. amateur distingué,
et étëve chéri du professeur.
L'AGONIE.
Nomottce p~<<o<o~<9«e.
Dans tous mes sens! hélas! faiblit la vie,
Mon œUest terne et mon corps sans choeur.
Louis en pleurs, et cette tendre amie
En frémissant met la main sur mon cœur.
POÈttÛUE. à
Des visiteurs la troupe fugitive
A pris congépour ne plus revenir
Le docteur part et le pasteur arrive:
Je vais mourir.
Je veux prier, ma tête s'y refuse,
Je veux ttarler, et ne puis m'exprimer,
Un tintement m'inquiète et m'abuse,
Je ne sais quoi me pairait voltiger,
Je ne vois plus. Ma poitrine oppressée
Va s'épuiser pour former un soupir
M errera sur ma bouche glacée.
Je vais mourir.
Par le PMMSsEUtt.
XXV
HL ~~tCtOtt!tC~ftt9~.
Jecroyais de bonnefoi être le premier qui eût conçu, de nos
jours, Fidéede t'Âcadémiedes Gastronomes maisje crainsbien
d'avoir été devancé commecela arrivequelquefois.On peut en
juger par te faitsuivant,qui a près de quinze ans de date.
Y~Rt&TÉS.4M
M.le présidentHenrionde Pensey,dont l'enjouementspirituela
bravé les glacesde l'âge, s'adressant à trois des savants les plus
distinguésde l'époque abtuelte(MM.de Laptacë, Chaptal et Ber-
tholet), leur disait, en i8i2: < Jeregardela découverted'un mets
« nouveau,qui soutientnotre appétitet prolongenos jouissances,«comme un événement bien plus intéressant que ta découverte
<d'uneétoile on en voit toujoursassez.
«Je ne regarderai point, continuaitce magistrat les sciences
«comme suffisammenthonorées, ni Commeconvenablementre-
<présentées,tant queje ne verrai pas un cuisiniersiégeràla pre-<mière classede l'Institut.
Cecherprésidentétaittoujoursenjoie quandilsongeaità l'objet
demon travail; il voulaitme fournirune épigraphe, et disaitquece ne fut pas l'Esprit desLoMquiouvrità M. de Montesquieules
portes de l'Académie.C'estd~lui quej'ai appris que le professeurBerriatSaint-Prixavait faituBjroman; et c'est encorelui qui m'a
indiqué le chapitre où Ûest p~rlé de l'industrie alimentairedes
émigrés.Aussi, commeil fa~tqu&justicese fasse, je lui ai érigéle quatrainsuivantqui contint la foisson histoireet son éloge.
~ËRS
POURËTM ttMA<!M* M POMHAtTDBX. MNMONDEPENSEY.
Dans ses doctes travaux il fut MtttptNe
Il eut de grands emplois, qu'il remplit dignement:
Et quoiqu'il fût profond, érudit et savant,
Il ne se crut jamais dispensé d'être aimable.
M.le présidentHenrionreçut, en i8i4, Ie'portefëuiHede la jus-
tice, et les employésde ce ministèreont gardé la mémoirede la
réponse qu'il leur fit, lorsqu'ils vinrent en corps lui présenterun
premier hommage.« Messieurs,leur dit-ilavecce ton paternelqui siedsi bien à sa
« hautetailleet à songrand âge, il est probableque je ne reste-
< rai pasavecvous assez de temps pourvous fairedu bien; mais
« du moinssoyez assurésque je ne vousferaipas de mal.
ÏNMÛÀTtONS. 4~
X~Vt.
MttfttMt~
Voilàmon ouvrage fini; et cependant,pour montrer que jen~suis pas hors d'haleine,je vais faired'une pifrfe trois coups.
Je donnerai à mes lecteurs de tous les pays des indications
dont ils feront leur profit je donnerai à mes artistesde prédilec-tion un souvenirdont ils sont dignes, et je donneraiau publicun
échantillondu bois dont je me chauffe.
1"MadameCBEVET,magasinde comestibles,Palais-Royal,320,
près du Théâtre-Français.Je suis pour elle un client plus fidèle'
que gros consommateur nos rapports datent de son apparitionsur l'horizon gastronomique, et elle a eu la bonté depleurer ma
mort; ce n'étaitheureusementqu'une méprise par ressemblance.
MadameChevetest l'intermédiaireobligéentre la hautecomes-tibilitéet les grandes fortunes. Elle doit sa prospéritéà là puretéde sa foicommerciale tout ce quele tempsa atteint disparaîtde
chezelle commepar enchantement.La nature de son commerce
exigequ'elle fasseun gainassez prononcé; mais le prix une fois
convenu, on est sûr d'avoir de l'excellent.
Cettefoisera héréditaire; et ses demoiselles,à peineéchappéesà l'enfance, suiventdéjà invariablementles mêmes
principes.Madame Cheveta deschargés d'affairesdans'tous les pays où'
peuventatteindreles voeuxdu gastronomele plus capricieux;et
plus ellea de rivaux,pluselles'est élevéedansl'opinion.2° M. ACHARD,pàtissier-petit-fourmer,ruede~rammoat, n" 9,
Lyonnais,établidepuis environdix ans, a commencésa réputa-tion par des biscuitsde féculeet des gaufresà la vanillequi ont
été longtempsinimitées.
Tout cequiest dans son magasina q~lque chose de finiet de
coquetqu'on chercheraitvainement ailleurs; la mainde l'homme
n'y paraît pas. On dirait des productionsnaturelles de quelque
VARtÉTÉS.4M
pays enchanté aussi, tout cequi se faitchez lui est enlevéle jour
même,on peutdire qu'il n'a point de lendemain.
Danslesbeaux jours équinoxiaux,on voit arriverchaque ins-
tant rue de Grammont quelque brillant carricle ordinairement
chargéd'un beautitus et d'une jolie emplumée.Lepremierse pré-
cipite chezAchard, où il s'arme d'un gros cornet de friandises.A
son retour, il est salué par un < 0 mon ami! que cela a bonne
< mine! ou bien, <0 tfearf A<MCt<looksgoodtny tKOM<
Et vite le cheval part, et mène tout cela au bois de Boulogne.
Lesgourmandsont tant d'ardeur etde bonté, qu'ils ont supporté
pendant longtemps les aspérités d'une demoiselle de boutique
disgracieuse.Cetinconvénienta disparu; le comptoirestrenouvelé
et la joliepetitemainde mademoiselleAnnaAcharddonneun nou-
veaumériteà despréparationsqui se recommandentdéjàpar elles-
mêmes.
5" M. LtMN,rue de Richelieu,n°79, mon voisin, boulanger
de plusieursaltesses, a aussi fixé mon choix.
Acquéreur d'un fonds assez insigninant, il l'a promptement
élevé à un haut degré de prospéritéet de réputation.
Ses pains taxés sont très beaux et il est difficilede réunir
dans lespains deluxe tant de blancheur, de saveur et de légèreté.
Lesétrangers, aussi bien que les habitants des départements
trouventtoujourschezM.Limetlepainauquel ilssontaccoutumés.;
aussi les consommateursviennent en personne, dénient et font
quelquefoisqueue.Cessuccèsn'étonneront pas quand on saura que M. Limet ne
se traine pas dans l'ornière de la routine, qu'il travailleavec as-
siduitépour découvrirde nouvellesressources, et qu'il est dirigé
par des savants du premier ordre.
LES PRtVATtONS. 4M
62
xxvn
€? privations.
titée'e h<wt<M~)M
~s~REMMsparents du genre humain, dont ta gpur-
~Q~mandise est historique, quivousperdîtespour une
~t~pnmme. que n'auriez-vouspasfaitpour une dtttde
aux trunies?mais il n'était danste paradistcrfe~tre
ni cuisiniersni conËseurs.
Queje vous plains!
Ppts puisants quirumâtes ta ~upeFt)eTpQte~votre yateu~pas-
sera d'~een ~e~ n)~s yotre~Me ~jtait atauya~e,~duitts ;a
cuisse de <J(pufet au dos de cpc~pn, vous ignora ~ujqurs ~scharmes de ta matptot~ et les i~ices de ia fr;cas8eede poulets;
Queje vousplains!
Aspasie, CMoe, et vous toutesdont le ciseaudes Grecs éter-
nÎMles tonnes pour te désespoirdes bettesd'aujourd'hui, jamais
votre bouchecharmante n'aspira la suavitéd'une mennguela
vanille ou à ta rosé; à peine vous étevâtes-vousjusqu'au pain
d'épice.
Queje vous plains!
Poupes pr~resses de Ves~a,pombtéos fa ~!S detanjt d'hon-
neurs et menacées ds hprrib)es supp}ipes,si d~ mp~n~ypus
ayte~go~ ces siropsatmab)esqui ra~a~hissen).}'~mp,<~8~ts
cpn~tsqu)braver les sa~QHS,pes !Bf-emesDar~mé~, mer~ttj~
d§ P9~d!}P9~~M 7~<~
Quei~<~ptams~y\*F~ \~t
MO VARtËTÉS.
Financiersromainsquipressurâtestout l'universconnu, jamaisvos salons si renommésne virent parattre ni ces geléessuccu-
lentes, délicesdes paresseux; ni ces glacesvariées, dont le froid
braverait la zone torride.
Queje vousplains1
Paladinsinvincibles,célébréspar des chantresgabeurs, quandvous auriezpourfendudes géants, délivrédes dames, exterminé
des armées, jamais, hélas! jamais une captiveaux yeux noirs ne
vous présentale champagnemousseux, le malvoisiede Madère,
les liqueurs, créationdu grand siècle; vousen étiez réduits à la
cervoiseou au suréne herbé.
Queje vousplains!1
Abbéscrossés, mitrés, dispensateurs des faveursdu ciel et
vous, templiersterribles, qui armâtes vos bras pour l'extermi-
nation des Sarrazins, vousne connûtespas les douceursdu cho-
colat qui restaure ou de la fèvearabiquequi faitpenser.
Queje vous plains!
Superbeschâtelaines, qui, pendant le videdes croisades, éle-
viez au rang suprêmevos aumônierset vos pages, vous ne par-
tageâtes point avec eux tt's charmesdu biscuit et les délices du
macaron.
Queje vous ptains!
Et vousenfin, gastronomesde 1825, quitrouvezdéjàla satiétéau sein de l'abondance, et rêvezdes préparationsnouvelles,vousne jouirez pas des découvertesque les sciencespréparent pourl'an i900, tellesqueles esculencésminérates, lesliqueurs, ré-
sultat de la pressionde cent atmosphères vous ne verrez pas ies
importationsque desvoyageursqui ne sont pas encorenés feront
ENVOI AUX GASTRONOMES. 4U
arriver de cettemoitiédu globequi resteencoreà déco~vrtroo à
explorer.
Queje vous plains!
ENVOI
AUX GASTRONOMESDESDEUXMONDES.
EXCELLENCES
s travail dontje vous fais hommagea pourf ~~S~ but de développerà tous les yeux les prin-
~~B ~St~~c'pesde la sciencedontvousêtes l'ornemént
et le soutien.
w~iM~jt~ J'oifreaussi un premierencens à la Gas-
~M~v'tronomip,cette jeuneimmortelle,qui, à peine
parée de sa couronned'étoites, s'élèvedéjàau-dessusdeses sœurs, semblableà Calypso,
ENVOÏAUXGASTRONOMES.<M
qui dépassait de toute la tête le groupe charmant des nymphesdontelle était entourée.
Le templede la Gastronomie, ornement de la métropole du
monde, élèverabientôtvers le ciel sesportiques immenses;vous
les.ferezretentir de vos voix; vous les enrichirezde vos dons; et
quand l'académiepromisepar les oracless'établirasur les bases
immuablesdu plaisiret de ta nécessité, gourmandséclairés,con-
vivesaimables,vous en serezles membresou les correspondants.
En attendant levez vers le ciel vos faces radieuses; avancez
dans votre forcéet votre,majesté l'univers esculent est ouvert
devant vous.
Travaillez, Excellences~professezpour le bien de la science;
digérez dans votrein~r~particulier et si dans le cours de vos
travaux, il vousarrive de (direquelquedécouverte importante
veuillezen fairepart au p~ushumblede vos serviteurs.
L'AuteurSe! MeditatMnsgastronomiques.
TMM BM IMAHÊM~
t'M~taL~~ BUBOUT.
ÏNTROttUCTMN, PAR ALPHONSE
KARR.
ÂPHOMsMMdh Professeur,pourservirdé j~'dtegomenësason
ouvrageet de haseéternelleà la science.
DIALOGUEentré l'Auteur et sonAmi.
BtOGRAPHIE.PREFACE.
MÉDITATIONt.
i'ËSSENS.NombredesSens,tis6en action,dèsSens.PerfectionnementdesSens.
'uissançedûGoût.But de t'àctibhdésSens.
MËBITATIONH.
DbGocT.Définitiondu Goût
Mécaniquedu Goût.Sensationdu Goût.DesSaveurs.Induence de lt)dorat sur le
Coût..Ànatyse de la sensation du
Goût.Ordredes diversesimpressions
du Goût.JouissancesdonttëtÏbutësU'oc-
CMion.
Stiprëmatiëdét'Homme.Méthodeadoptéepar t'Auteur:
MÉDITATIONm.
BX LA GASTRONOMIE.
Origine des acieniEes.
[)rig!nede!aGMtfChotnie. 26
t pënnitiondetaGastxtnbmïe.
Objets divët s dont s'o~upe laGastrbnomie. 29
tftiHtédes connaissances gastro-M nomi~es. 36
InSueneë de la: Gasttbnomiett danstësaBah-es 31xt AbadcmiettësGaStt'ëtiëthes: 32
~M~MNIV.t)Et.'Af PETIT.. 33
;,i DëSnition de rAppëttt. ?.?, Anecdote. 54
2 Grands Appétits. 37
c MEDITATIONV.
DESAtt)ttM)TSENCENERAL. 'H
jSectMMtpretM~re.
9 DEF)NtTM!<9. Des AHttents. t&.
Travaux analytiques.
iQ0 jfJsmazôme. 42
JP'nncipedesaHments. 4814 ~"e vëgétah
D!nerenee du gras au thaigre. 46
Observati6hspârt)ëut;ÈH~ 47
MÉDITATIONVI.
~C<tOM~.
SPECIAUTES. 49
§ I" Pot-au-feu~ Po-
tage, etc.
<? § Du bouilli: §23 § ;)!. VotaHies. ?
§ tV. auCoq-d~nde.
DindonipBitës.&
28 M&uehce6aa8de~it~ du Bindon. <tH
414 TABLE DES MATIÈRES.
Exploit du Protcs- MÉDITATIONXI.
seu! 86 DI LAGOURMANDISE. i20§ V. Du Gibier. 61 Définitions. ib.
§ VL Du Poisson. 64 Avantages de la Gourmandise. 122Anecdote. 66 Suite. 123
–-Af«tta.–CafMtM. 67 Pouvoir de la Gourmandise. ib.Rénexion philoso- Portraitd'unejotieGourmande. 125
phique. 70 Anecdote. 126
§ VtL -Des TruSes. ib. Les femmes sont gourmandes. 127De lavertu érotique Effets de la Gourmandise sur ta
des Truffes. 71 Sociabilité. ib.Les Truffes sont-ettes Influence de' la Gourmandise
indigestes?p 75 sur le bonheur conjugal. 128
§Vm.–Du Sucre. 77 Note d'unGastronome patriote. 150Du Sucre indigène. 78
MÉDITATIONXII.-Divers usages du Su-'
MEDITATIONXII.
cre. 80 DES GouRMAKDs. 131
§ IX. Origine du Café. 85 N'est pas gourmand qui veut. ib.Diverses manières Napoléon. ib.
de faire le Café. 85 Gourmands par prédestination. 132–ESët<id"Café. 86 Ptëdestinationsensuette. 133
§ X. Du Chocolat. Gourmands par état. 137Son origine. 89 Les Financiers ib.
–Propriétés du Cho- Les Médecins. 138cofat 91 Objurgation. 159
Difncuitéspourfaitc Les Gens de lettres. 141du bon Choco- Les Dévots. 142iat. 93 Les Cheva)iersettes Abbés. 144
Manière omcieDe de Longévité annoncée aux Gour-
préparer le Cho- mands. 145colat. 96 M. du Belloy archevêque de
MÉDITATIONVU. 's. 147
THEOtUEDELA FRITME. 98 MÉDITATIONXIII.
Allocution. 99 EpKOUVETTESGASTRONOMIQUES.148
§!Chimie. 100 1"série. 5,000 fr.
§ M. Application. 101 t (Médiocrité). 151
MÉDITATIONVIII. ~? sérit.15,000fr.
LA Sola,pf~ame.t (Atsance). t6.
DE LASon.. 104< 3'série-50,000 fr.
Diverses espèces de Soif. 10S(Richesse), t6.
Causesde la Soif. ~07Observation générale.
Exemple.
MÉDITATIONIX.108 MÉDITATION XIV.
MÉDITATIONIX.MÉDITATIONXIV.
Ft~ M~ jt~aDuPLAISIRnE LATABLE. lo5
Eau.BOISSONS.
112du p, Table. ~g
~u. liDifférence entre le plaisir de
Prompt effet des Buissons. l'j33 DiB-é.enceentreteptais.rde
Boissons fortes. H4 P'Boissons fortes. 1 t4 Table. {57MÉDITATIONX ET ÉPISODIQUE. Effets. 158
SURLAFIN DUMONDE. 1177 Accessoires industriels. ib.
TABLE DES MATIÈRES. Mt
Dix-huitième et dix-neuvième MEDITATIONXXII.
siècle. iM TRAtTEMENTPKÉSMVATtFOUCO-
Esqui&Se. 1~ X\T~ BELOBESITE. 322
~.cMTtTtm<rvv Génératités.225
Das MEDITATION
XV.
.QSu)tec j durégime. 9ff7zx'
DESHALTESDECHASSE. 169Danger des Acides.
Les Dames, niCeinture antiohésique. 230
MÉDITATIONXVI. Du Quinquina. 231
DELADMESTïON. MEDITATIONXXIII.
Ingestion. DE LAMAtGREUR. 233
OfHcedet'Estomac. 176 Définition. ib.
tnn.uence de la Digestion. i19espèces. ?.
MÉDITATIONXVII. Rncts de la Maigreur. 254
De REPOS. 183 Prédestination nat'ueue. 25S
Temps du Uepos. i86 Régime incrassant. ib.
MEDITATIONXVIII.MEDITATIONXXIV.
DU S ~RHDu JECNE. XOU
Définition. ib.Définition.
Ongine du Jeûne.Origine du l'une, iL.MÉDITATIONXIX; Comment on jeûnait. 24t
DESREVES, t~ Origine du relâchement. 245
Recherche à faire. 192 MEDITATIONXXV.Nature des Songes. t9<!
DE L'ÉFU'sENENT 2A6Système du docteur Gall. i94
Traitement. 247Première Ob~el'vation. ib.
,J'al opérée par le Professeur. ib.Prem.ere0bser.at.pn. Cure opérée par te Professeur.DeuxièmeObservation. 19a .r~r~vTrrRésultat. 197
DELAMEDITATIONXXVI.
uInfluence de l'âge. 198
~HPhénomène des Songes. < H.TO.LOso~o~E' LA11 Ob f 0 ib,
HISTOIRE PHILOSOPHIQUE DE LA
~-em.ereObservahon. ~5~Deuxième Observation. ~9
Ordre d'a)im.nt.tion. 285T~s.eme Observation. 200
Découverte du feu. 287MEDITATIONXX. Cuisson, ib.
DE L'INFLUENCEDSLAMÈTESUR Festins des Orientaux. Des
LEREPOS,LESOMHEtLETLES Grecs. 26~
SONGES. 203 Festins des Romains. 263
Effets de la Diète sur le Tra- Résurrection de Lucullus. 267
vail. ? Lec<t~enMMmet.jfttCtt&t(<t(MtNt.268
Effets dela Diète sur les Rêves 208 Poésie. 270
Suite. '< Irruption desBarba)es. 271
Résultat. 206 Siècles de Louis XtV et de
MEDITATIONXXI. Louis XV. 275
DEL'OBEstTE. 209 Louis XVI. 279
Causes de l'Obésité. 214 Amélioration sous le rapport deSuite. 215 Fart. 280
Suite. 2i6 Derniers perfectionnements. 28t
Anecdote. 2t7 MEDITATIONXXVIII.
Inconvénients de t'Obésité. 218 DESRESTAURATEURS. 286
Exemptes d'Obésité. 219 Etablissement. 287
T~B~E PEg MATURES,
Avantage!)des Restaurants. 286 xi. Pow~a~e ~r«M. 3M
Exame~ d<)~atpn, 288 M'. Le FaMOM. :89
tpcQnvénientsdu~a~n. 389 XMt./Ma<M<rMya.!<roKomt~Bmutation. S9a ~E~t~<. 565
restaurateurs à prix 8xe. ?. xty. ~«(t'e< <oMeeMtr<~'emt-
BeauYiUiers. 399 grattOH. 566
Le Gastronome phez le R~tau- Le Tisserand. t&.
rateur. 994 L'ASamé. 568
MÉDITATION~X)X.Le Lion d'Argent. 3~9
Lt MtjRMANDisECLAsstQ~E~ts~ Séjour en Âmërique. 57Q
'EN ACTioo. 296 Bâtante.
Histoire de M. de Borose. ?. "~(e a'4<pt~M. 57~
Cortège d'une Héritière. ~Q? De<<'
~~e.575
M~MTtTtnNRecette de la Fondue. 577ME~TATtONXXX.Désappointement. tt.
BQttQUET. merveilleux d.~Mythotog.e gastrpnpm.que ~aM, 579
SEC~BEfART~. ~.E~~<~MeMr~/f)r<«. 5~0
TRtNsmoN. 319 xx.LM~et!a<<e~&-
VARIÉTË~xxt. JMMMMattea. 388
Préparatiop de ~~tpelette au xxn. !7t)eJbMrnMcAez<MBer-
thon. 326 Mar~M~. 586Notes théoriques pour les pré- xxtH. BoHAeMfcMFoya~. 392
parations. 527 xxtx. FoettOMe. 598i. L'0me!e«e d''<CMre. <t. Chanson de Dë!nocarës
LesOEM~aMjtM. 328 au festin de Dénias. ~QOm. ~c<o~Ma<MMf[~. 529 Chanson de Motin. t&.
tv. I.M~6!)tttfm~. 538 Chanson de RacanàMay-Y. ~~cat~M du Pro- nard. 4.02
/<;MeMret df/'at~ <«!) ZLeCAat~jM.Scn'MCM,Generftt. 55'? chanson par le Profes-
y!. Le plat <~t~Mt~e. 5~0 sem'. 403
tn.peroe. 3~5 /Htpr<p~M,parM.Bos-ytu. t.isP'e~e. 5~ carydeYit)en)an!e. 404
~x. feï'Mftot; 5~8 .t/~oKM, romance nh~$. Dtwr~Jtf~~rej! s'o)pg}que,par)ePro.
M;tr(t)~ parle P) p- fessenr. <6.
fesseur improvises x~. ~e~r< PMM~. 405
pour le cas de )a xxv!. /H~c<t<MM~. 407ditation xxy. 8S~ xxyn. JLMPft)a<tOM.–E)ëgie
A. )6. htstprique 409B. 3~ Et~'fM aux G<t~<ronotMM~<C. t&. ~etta' MnMW<.< 4~1J
FtN DE LATABLE. ~t
PHYSIOLOGIE DU GOUTINTRODUCTION, PAR ALPHONSE KARRAPHORISMES du Professeur, pour servir de prolégomenes à son ouvrage et de base éternelle à la scienceDIALOGUE entre l'Auteur et son AmiBIOGRAPHIEPREFACE
MEDITATION IDES SENSNombre des SensMise en action des SensPerfectionnement des SensPuissance du GoûtBut de l'action des Sens
MEDITATION IIDU GOUTDéfinition du GoûtMécanique du GoûtSensation du GoûtDes SaveursInfluence de l'Odorat sur le GoûtAnalyse de la sensation du GoûtOrdre des diverses impressions du GoûtJouissances dont le Goût est l'occasionSuprématie de l'HommeMéthode adoptée par l'Auteur
MEDITATION IIIDE LA GASTRONOMIEOrigine des sciencesOrigine de la GastronomieDéfinition de la GastronomieObjets divers dont s'occupe la GastronomieUtilité des connaissances gastronomiquesInfluence de la Gastronomie dans les affairesAcadémie des Gastronomes
MEDITATION IVDE L'APPETITDéfinition de l'AppétitAnecdoteGrands Appétits
MEDITATION VDES ALIMENTS EN GENERALSection première
DEFINITIONS. - Des AlimentsTravaux analytiquesOsmazômePrincipe des alimentsRegne végétalDifférence du gras au maigreObservations particulières
MEDITATION VI. Section IISPECIALITES§ Ier
Pot-au-feu, Potage, etc§ II
Du bouilli§ III
Volailles§ IV
Du Coq-d'IndeDindoniphilesInfluence financière du DindonExploit du Professeur
§ VDu Gibier
§ VIDu PoissonAnecdoteMuria. - GarumRéflexion philosophique
§ VIIDes TruffesDe la vertu érotique des TruffesLes Truffes sont-elles indigestes ?
§ VIIIDu SucreDu Sucre indigèneDivers usages du Sucre
§ IXOrigine du CaféDiverses manières de faire le CaféEffets du Café
§ XDu Chocolat. - Son originePropriétés du ChocolatDifficultés pour faire du bon ChocolatManière officielle de préparer le Chocolat
MEDITATION VIITHEORIE DE LA FRITURE Allocution
§ Ier Chimie§ II Application
MEDITATION VIIIDE LA SOIFDiverses espèces de SoifCauses de la SoifExemple
MEDITATION IXDES BOISSONSEauPrompt effet des BoissonsBoissons fortes
MEDITATION X ET EPISODIQUESUR LA FIN DU MONDE
MEDITATION XIDE LA GOURMANDISEDéfinitionsAvantages de la GourmandiseSuitePouvoir de la GourmandisePortrait d'une jolie GourmandeAnecdoteLes femmes sont gourmandesEffets de la Gourmandise sur la SociabilitéInfluence de la Gourmandise sur le bonheur conjugalNote d'un Gastronome patriote
MEDITATION XIIDES GOURMANDSN'est pas gourmand qui veutNapoléonGourmands par prédestinationPrédestination sensuelleGourmands par étatLes FinanciersLes MédecinsObjurgationLes Gens de lettresLes DévotsLes Chevaliers et les AbbésLongévité annoncée aux GourmandsM. du Belloy, archevêque de Paris
MEDITATION XIIIEPROUVETTES GASTRONOMIQUESRevenu présumé. 1re série. - 5,000 fr. (Médiocrité)Revenu présumé. 2e série. - 15,000 fr. (Aisance)Revenu présumé. 3e série. - 30,000 fr. (Richesse)Observation générale
MEDITATION XIVDU PLAISIR DE LA TABLEOrigine du plaisir de la TableDifférence entre le plaisir de manger et le plaisir de la TableEffetsAccessoires industrielsDix-huitième et dix-neuvième siècleEsquisse
MEDITATION XVDES HALTES DE CHASSELes Dames
MEDITATION XVIDE LA DIGESTIONIngestionOffice de l'EstomacInfluence de la Digestion
MEDITATION XVIIDU REPOSTemps du Repos
MEDITATION XVIIIDU SOMMEILDéfinition
MEDITATION XIXDES REVESRecherche à faireNature des SongesSystème du docteur GallPremière ObservationDeuxième ObservationRésultatInfluence de l'âgePhénomène des SongesPremière ObservationDeuxième ObservationTroisième Observation
MEDITATION XXDE L'INFLUENCE DE LA DIETE SUR LE REPOS, LE SOMMEIL ET LES SONGESEffets de la Diète sur le TravailEffets de la Diète sur les RèvesSuiteRésultat
MEDITATION XXIDE L'OBESITECauses de l'ObésitéSuiteSuiteAnecdoteInconvénients de l'ObésitéExemples d'Obésité
MEDITATION XXIITRAITEMENT PRESERVATIF OU CURATIF DE L'OBESITEGénéralitésSuite du régimeDanger des AcidesCeinture antiobésiqueDu Quinquina
MEDITATION XXIIIDE LA MAIGREURDéfinitionEspècesEffets de la MaigreurPrédestination naturelleRégime incrassant
MEDITATION XXIVDU JEUNEDéfinitionOrigine du JeûneComment on jeûnaitOrigine du relâchement
MEDITATION XXVDE L'EPUISEMENTTraitementCure opérée par le Professeur
MEDITATION XXVIDE LA MORT
MEDITATION XXVIIHISTOIRE PHILOSOPHIQUE DE LA CUISINEOrdre d'alimentationDécouverte du feuCuissonFestins des Orientaux. - Des GrecsFestins des RomainsRésurrection de LucullusLecti sternium et IncubitatiumPoésieIrruption des BarbaresSiècles de Louis XIV et de Louis XVLouis XVIAmélioration sous le rapport de l'artDerniers perfectionnements
MEDITATION XXVIIIDES RESTAURATEURSEtablissementAvantages des RestaurantsExamen du SalonInconvénients du SalonEmulationRestaurateurs à prix fixeBeauvilliersLe Gastronome chez le Restaurateur
MEDITATION XXIXLA GOURMANDISE CLASSIQUE MISE EN ACTIONHistoire de M. de BoroseCortége d'une Héritière
MEDITATION XXXBOUQUETMythologie gastronomique
SECONDE PARTIETRANSATION
VARIETESPréparation de l'Omelette au thonNotes théoriques pour les préparationsI L'Omelette du CuréII Les OEufs au jusIII Victoire nationaleIV Les AblutionsV Mystification du Professeur et défaite d'un GénéralVI Le plat d'AnguilleVII L'AspergeVIII Le PiégeIX Le TurbotX Divers Magistères restaurants, par le Professeur, improvisés pour le cas de la Méditation XXV
A B CXI La Pouarde de BresseXII Le FaisanXIII Industrie gastronomique des EmigrésXIV Autres souvenirs d'émigration Le Tisserand L'Affamé Le Lion d'Argent Séjour en Amérique BatailleXV La Botte d'AspergesXVI De la Fondue Recette de la FondueXVII DésappointementXVIII Effets merveileux d'un Diner classiqueXIX Effets et dangers des liqueurs fortesXX Les Chevaliers et les AbbésXXI MiscellaneaXXII Une Journée chez les BernardinsXXIII Bonheur en VoyageXXIX Poétique Chanson de Démocarès au festin de Dénias Chanson de Motin Chanson de Racan à Maynard Le Choix des Sciences, chanson par le Professeur Impromptu, par M. Boscary de Villeplaine L'Agonie, romance physiologique, par le ProfesseurXXV M. Henrion de PenseyXXVI IndicationsXXVII Les Privations. - Elégie historique Envoi aux Gastronomes des deux Mondes