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Les Études du CERI N° 127 - septembre 2006 Bush et la fin de l'ordre électoral du New Deal La domination républicaine est-elle pérenne ? François Vergniolle de Chantal Centre d'études et de recherches internationales Sciences Po

Bush et la fin de l'ordre électoral du New Deal. La domination … · 2012-05-25 · de l'ordre électoral du New Deal ... O. Key Jr., Elmer E. Schattschneider, James L. Sundquist

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LesÉtudesduCERI

N°127-septembre2006

Bushetlafindel'ordreélectoral

duNewDealLadominationrépublicaineest-ellepérenne?

FrançoisVergniolledeChantal

Centred'étudesetderecherchesinternationales

SciencesPo

Les Etudes du CERI - n° 127 - septembre 2006

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FrançoisVergniolledeChantal

Bushetlafindel'ordreélectoralduNewDealLadominationrépublicaineest-ellepérenne?

RésuméDepuis1964,lepartirépublicains’estconstruituneidentitéenruptureavecleconservatismemodéréquil’acaractérisé jusqu’à cette époque. L’idéologie du parti est désormais populiste, religieuse et nationaliste. Ellerésultede la tactiqueélectorale«sudiste»deBarryM.GoldwaterpuisdeRichardNixon.RécupérantpoursonplusgrandprofitlemécontentementdesBlancsduSudcontrel’intégrationraciale,lepartiafaitdesanciensEtatsconfédéréssonbastion.Cetteévolutionaétéd’unetelleampleurqu’elleconstitueletraitfondamentaldelaviepolitiqueaméricainedesquarantedernièresannées.Depuislorseneffet,l’initiativepolitiqueestpasséedanslecampdeladroite,conduisantàunaffaiblissementdesdémocrates.AveclepassageduSudauGOP(GrandOldParty), la coalition rooseveltienne a subi un choc dont elle ne s’est pas relevée. Récemment, la réactionnationaliste suscitée par les attaques terroristes du 11septembre a fourni aux républicains une assisesupplémentaire.Néanmoins,ceretourenforcenepermetpasd’identifierpourautantlesélémentssuffisammentstablesd’unecoalitionrépublicainedurable.Laforcedesrépublicainsrésidedansl’élanquilesporteet,c’estlànotre argument, dans une incapacité des démocrates à définir une tactique permettant de répondre au défirépublicain. Pourtant, le rapport des forces électorales n’est pas favorable aux républicains. Si les facteursdémographiques et géographiques jouent à leur avantage, les évolutions sociales, elles, bénéficient auxdémocrates.Cesdernierssontcertesdépourvusdestratégiemaispasderessources.Lasituationestprécisémentinversepourlesrépublicains.

FrançoisVergniolledeChantal

BushandtheEndoftheNewDealElectoralOrderAlastingRepublicandomination?

AbstractTheRepublicanParty’sidentityasfashionedsince1964ispolesapartfromthemoderateconservatismthathadcharacterisedthepartyuntilthen.Thepartyideologyhasbecomepopulist,religiousandnationalistic.Itresultsfrom BarryM.Goldwater and later RichardNixon’s "southern" electoral strategy. The party cashed in on thediscontent sownamong the southernpopulationby racial integration, andhas consequentlymade the formerConfederateStatesitsstronghold.ThisshifthasbeensolargeinscopethatitconstitutesthemainfeatureofUSpolitics in the past four decades. Political initiative has since then been primarily rightwing, weakening theDemocrats.WhentheGOPwonamajorityintheSouth,theDemocraticcoalitionsufferedatraumaithasyettorecover from.Thenationalist reaction to the9/11attacksgave theRepublicansasupplementarypoliticalbase.Nevertheless, this comeback does not have sufficiently stable elements allowing for a lasting Republicancoalition.TheRepublicans’strengthresidesinthefervourthatsurroundsthem,aswellas,aswewillargue,intheDemocrats’inabilitytodefineatactictofacetheRepublicanchallenge.Yet,thebalanceof(electoral)powerdoesnottiptotheRepublicans.Althoughdemographicalandgeographicalfactorsfavourtheright,socialevolutionstendtofavourtheDemocrats.Thelattermaylackstrategy,buttheydonotlackresource.ThesituationisexactlytheoppositefortheRepublicans.

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FrançoisVergniolledeChantalUniversitédeBourgogne

Réélu en 2004 contre le sénateur du Massachusetts JohnKerry, GeorgeBush avéritablement pu inscrire son action dans la durée. Après une première électioncontroversée en2000, le Président a su se construire une légitimité démocratique enobtenant à deux reprises, après les attentats du 11septembre2001, le soutien d’unemajorité de la population. A l’occasion des élections de mi-mandat (midterms) denovembre2002, il a renforcé la majorité républicaine au Congrès contrairement auxattentesde tous lesobservateurs.Lorsde ladernièreprésidentielle, ila encoredéjoué lesschémas traditionnels en menant une campagne fondée sur la mobilisation de l’électoratconservateur et en jouant la carte des valeurs traditionnelles (famille, mariage), de lasécurité,delapatriesanschercheràconvaincrelesmodérés.Danscesconditions,ilparaîtdifficile de réduire la présidence Bush aux images d’Epinal qui abondent de ce côté del’Atlantique:une tellevisioncaricaturalenepermettraitpasd’expliquerl’enracinementdupartirépublicain.AuCongrès,lamajoritérépublicainedatede1994.AlaCoursuprême,lesremplacements de WilliamRehnquist et de SandraDayO’Connor par JohnG.Roberts etSamuelAlitoen2005ontencorerenforcé lamajoritéconservatrice: le jugeSamuelAlito,enparticulier,aunengagementidéologiquenettementplusfortqueSandraDayO’Connor.Autotal,àl’été2006,l’ensembledesinstitutionsnationalesaméricainessontauxmainsduGOP(GrandOldParty).Monobjectifestdedépasserlavisiondecourttermequivoudraitquecetteconfigurationfavorableauxrépublicainsnesoitqu’unépiphénomène,unesimpleréactionauxattaquesterroristes contre le World Trade Center. En plaçant les mandats de GeorgeW.Bush enperspective,jetenteraidesavoirsil’onpeutparleràceproposd’unevéritableredéfinitiondu conservatisme. L’élection de 2004 est-elle une élection de «réalignement»(critical

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election)ouvrantlavoieàunepériodededominationrépublicainesurlascènepolitique?Le mandat présidentiel de Bush Jr. place-t-il enfin le parti républicain en position«structurellementmajoritaire»?Detellesinterrogationsnesontpasnouvellessurlascènepolitiqueaméricaine.Depuislafin des années 1960 et l’arrivée au pouvoir de RichardNixon en 1968, la dominationrépublicaineaétéannoncéeparbiendesobservateurs1.Ce fut ànouveau le casdans lesannées1980après lessuccèsélectorauxduprésidentReagan (1981-1989),puis lorsde laprise duCongrès sous la direction deNewtGingrich (Speaker de laChambre de 1994 à1999)aprèsquaranteansdemajoritédémocrate.AvecBushJr.etladéfaitedesdémocratesen2004,laquestiondeladominationrépublicaineestdenouveauàl’ordredujourpourlaquatrièmefoisenquaranteans...Cetteobsessiondesanalystess’expliqueparlesmodalitésdelasociologieélectoraleauxEtats-Unis.Depuisl’apparitiondespartispolitiquesdemasseet l’émergence des partis républicain et démocrate au milieu du XIXe siècle, l’alternancepolitique s’est faite sur lemode du réalignement électoral. La perspective classique a étéformulée par une série de politistes américains dont les plus connussontValdimerO.KeyJr.,ElmerE.Schattschneider,JamesL.SundquistetWalterDeanBurnham2.Elle est fondée sur l’identification d’élections pivot (swing elections) qui marquent laconstitution d’une nouvelle coalition électorale victorieuse. Selon cette perspective, ilexisteraitdescyclespolitiquesorganisésautourd’unsystèmepartisanstable,l’undesdeuxpartis occupant une position «structurellement majoritaire». L’expression en elle-mêmesemblecurieusemaiselleprendtoutsonsensdanslecontextedesEtats-Unis.Lorsquelespartis politiques sont devenus des organisations de masse, ils ont développé des«machines»visantàassurerlerecrutementdemilitantsetlavictoireauxélections.Lepartidémocrate, en particulier, a su intégrer de nombreux groupes d’immigrants (surtout desIrlandais), assurant leur intégration sociale (réseau, logement, emploi) en échange deservicesrendusauparti.Ainsi,l’appartenanceethniqueaétéunfacteurdécisifd’affiliationpartisane.Ajoutéeàdesclivagesplustraditionnels–historiquesousociaux–ladimensionethnique a forgé une identification partisane rigide et être démocrate ou républicainconstituait un élément fondamental de chaque famille américaine. Les deux dimensions,ethnique et partisane, se sont transmises de génération en génération. Certaines régionsétaient ainsi entièrement républicaines ou démocrates. Les cycles électoraux étaient delonguedurée, àpeuprèsunegénération, soit trenteans.Chaquepériodeétait égalementcaractériséeparunenjeupolitiquedominantnontraitéparlesdeuxpartisetquidéclenchaitune élection de réalignement qui marquait le terme du cycle et redistribuait les forcespartisanes autour d’un nouveau clivage. Il était fréquent que cette élection soit précédéed’une remise en cause du duopole républicains-démocrates par l’apparitionmomentanéed’un«tiers-parti»(thirdparty),leplussouventsurcenouvelenjeunonprisenchargepar

1Onpeut noterdès àprésent le travail fondateurdeK.Phillips,TheEmergingRepublicanMajority,NewRochelle, NewYork, Arlington House, 1969. Dernièrement, un journaliste politique, Hugh Hewitt, a publiéPaintingtheMapRed.TheFighttoCreateaPermanentRepublicanMajority,NewYork,RegenryPublishingCo.,2006.D’autresexemplesserontcitésaufildel’Etude.

2Sur cepoint, voirD.R.Mayhew,ElectoralRealignments.ACritiqueof anAmericanGenre,NewHaven,YaleUniversityPress,2002,enparticulierleschapitres1et2.

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lespartis traditionnels :ainsidumouvement«Free-Soil»avant laguerredeSécession,ouencoredupartipopuliste«People’sParty»de1892ou,enfin,del’«IndependentParty»deGeorgeWallaceen1968.Les tenantsde la thèseduréalignementélectoralprésentent lesélectionsderéalignementcommel’équivalentfonctionneldesrévolutionsenEurope,c’est-à-dire un réajustement soudain des équilibres politiques et sociaux, mais, dans le casaméricain,sansviolence...Historiquement, le premier cycle couvre la période allant de la fondation (1787-1791)jusqu’en 1824 avec la première campagne d’AndrewJackson; il oppose les partisans duprojetfédéralistede1787à leursadversairesrépublicains.Apartirde1828,avecl’arrivéed’AndrewJacksonaupouvoir,jusqu’en1860,avecl’électiond’AbrahamLincoln,ils’agitdudeuxièmecycle,marquéparlamontéedelaquestiondel’esclavage.Letroisièmecyclesepoursuit jusqu’en1896 (électiondeWilliamMcKinleycontre lemouvementpopulistedeWilliamJ.Bryan)et se fonde sur lamontéede lapuissanceéconomiquedesEtats-Unis. Ils’ensuit une période de domination républicaine, qu’inaugure l’élection deWilliamMcKinley.Celui-ciafaitduGOPlepartidumondeurbain,industrieletfinancier,mettantuntermeàl’engagementabolitionnistedelaVieilleGarde(OldGuard).Ilacomprisque le parti devait absolument rester en contact avec les nouvelles forces à l’œuvre quiredessinent alors les Etats-Unis. Il rapproche donc le parti des milieux industriels et destrusts, sansnégligerpourautant lesmilieuxouvrierset les immigrants.Cettedéfinitionduparticonnaîtunenouvellejeunessedanslesannées1920,avantd’atteindredéfinitivementson terme en 1932 avec l’élection de FranklinD.Roosevelt. La première électionprésidentielleconsécutiveàlacrisede1929ouvrelavoieàunedominationdesdémocratesquidurerajusqu’en1968.La«coalitionrooseveltienne»unittouteslesvictimesdelacriseéconomique – ouvriers du Midwest et de l’Est, fermiers de l’Ouest, classes moyennesurbaines–auxBlancsduSud,traditionnellementopposésauxrépublicainsdepuis1865,ausein d’un projet de société fondé sur des réformes sociales et économiques, mais nonraciales. Cette coalition s’effondre en trente ans, quelque part entre l’élection deRichardNixonen1968et1994,annéedelavictoirerépublicaineau104eCongrès.La période que j’examinerai ici couvre l’ascension du parti républicain depuis 1968.Toute l’interrogation de la sociologie électorale depuis cette période consiste à identifierl’élection de réalignement qui signerait l’apparition d’une majorité électorale solidefavorableaux républicainspourunepériodedeplusieursdécennies.C’estune rechercheparadoxaledanslamesureoù,depuisquaranteans,l’ascensionrépublicaineestindéniable.Il reste que ce renforcement républicain continue de poser problème à la sociologieélectorale dans la mesure où il s’effectue sur un mode inédit. La majorité républicainerésulted’unesédimentationsurplusieursdécenniesetnonpasd’unréajustementélectoral.Ellea longtempsétédifférenciéeselon les institutionsconsidérées–présidence,Chambredesreprésentants,Sénat,Coursuprême,exécutifsdesEtats,assembléeslégislativesdesEtats.Contrairementàlacoalitionrooseveltienne,lamajoritérépublicaineactuelleestparailleursfragile, mouvante, incertaine: les élections de mi-mandat en novembre2006 nes’annoncent pas, à l’heure où nous écrivons, sous les meilleurs auspices pour lesrépublicains,etunepercéedémocrateestenvisageable.Danscesconditions,lesnouveauxconcepts ne manquent pas pour rendre compte de la situation: «rolling realignment»,«mini-realignement(s)»,«regionalrealignment»ou,etc’estpourl’heurelepluspopulaire,

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«dealignment»3. Dans cette perspective, l’affaiblissement contemporain des partispolitiques rendrait impossible tout retour à la stabilité du cadre traditionnel. En effet, lemanqued’identificationpartisanestableauseindelapopulationnepermettraitplusàunecoalition donnée de s’imposer sur le long terme. Selon le American National ElectionStudies(ANES),centrederecherchedel’UniversitéduMichigan,leschiffressontclairs.En1952, 57% des électeurs s’identifiaient spontanément au parti démocrate, contreseulement34% au parti républicain; 6% se déclaraient indépendants. En 2004, lasituation est radicalement différente. L’identification aux démocrates s’est affaiblie,atteignant à peine les 49%. Côté républicain, elle s’élève à41%. Les indépendantsreprésententdorénavant10%del’électorat.Ceschiffrestraduisentlafluiditécroissantedesattachementspartisans,quicompliqued’autant la formationd’unestructuremajoritairedelongterme.Lependantdecetaffaiblissementdespartisestlapersonnalisationgrandissantedelascènepolitiquequiafaitl’objetd’ungrandnombred’analyses4.Maiscetteperspectivede «désalignement» reste insuffisanteencequ’ellene faitqu’habiller la réalitéélectoralesans vraiment l’expliquer. Autrement dit, elle ne fait que prédire le changement(!), sansrendrecomptedefacteurstelsquelebasculementmassifduSuddanslecamprépublicainnidesconséquencesduchocdesattentatsdu11septembre.Jem’interrogerai ici sur lesélémentsquipourraientpermettred’envisagerunecoalitionrépublicaine durable ou ce qui, à l’inverse, pourrait conduire à limiter l’impact de longtermedesvictoiresélectoralesduGOP.LARÉSISTIBLEASCENSIONDESRÉPUBLICAINS(1968-2000)Historiquement, le parti républicain s’est construit commeune coalition réformatrice etmodernisatrice. L’émancipationdesesclaves, en1854, constitue sonacte fondateur.PourAbrahamLincoln, la nouvelle formation devait réaffirmer les principes républicainstraditionnelsde l’Union,dontl’esclavageconstituaitlanégationabsolue.Parlasuite,danslesannées1900,c’estauseinduGOPque les«progressistes»ontentreprisdesréformesprofondes de la société américaine sous la direction de ThéodoreRoosevelt (1901-1909).Faceàcetélanrépublicain,lesdémocratessonttropsouventapparuscommeunecoalition

3A titre d’exemple, voir B.E.Shafer, (dir).,The End of Realignment? Interpreting American Electoral Eras,Madison, University of Wisconsin Press, 1991. Le livre, déjà cité, de D. Mayhew, Electoral Realignments,op.cit.,offreaussiunecritiquefermedumodèleduréalignement.

4Ces chiffres sont tirés du site Internet de l’ANES (AmericanNational Election Studies) de l’Université duMichigan. Ilssontdisponiblessurhttp://www.umich.edu/~nes/nesguide/toptable/tab2a_2.htm.Aproposde lapersonnalisation (candidate-centered politics), voirM.P.Wattenberg, The Rise of Candidate-Centered Politics,Cambridge,Mass.,HarvardUniversityPress,1991.Lethèmedestransformationsplusgénéralesdesconditionsd’exercicedelapolitiqueneserapasabordéici.Ilconvientnéanmoinsdegarderàl’espritlepoidsdéterminantdelatélévision,desconsultantspolitiquesetdel’argentsurlascènepolitiquedupays.

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demécontents.Lepoidsdeleurbranchesudiste,enparticulier,permettaitauxrépublicainsdedépeindreleursopposantscommeincapablesdeformulerunealternativecrédible,voirede les assimiler à un groupement fondamentalement éloigné des principes de base surlesquelsreposelasociétéaméricaine.AlafinduXIXesiècle,l’intégrationdesminoritésausein des «machines» démocrates ne fit que confirmer cette impression diffuse parmi lesrépublicains.La victoire du démocrate FranklinD.Roosevelt en1932 doit être replacée dans cecontexte. Le choc du krach de1929 ainsi que l’incapacité des républicains au pouvoir àsortir de la crise économique ont conduit à un renversement de la scène politique:Rooseveltréussitàunirdansunecoalitionstabledespopulationsdontl’éparpillementavaitété problématique pour les démocrates depuis la guerre de Sécession, à savoir lesconservateurs blancs du Sud, les milieux ouvriers duMidwest et duNord-est, les classesmoyennesdescentresurbains,et,enfin,lespaysansdel’OuestetdesPlaines.Lemaintiend’une coalition aussi hétérogène – en Europe continentale, quatre partis auraient éténécessaires!–jusqu’auxannées1960estunsuccèsincontestablequivaut,àluiseul,queRooseveltsoitconsidérécommeleplusgrandprésidentaméricainduXXe siècle.Pendanttrente ans, le parti républicain a été condamné à une forme de «suivisme» idéologique(«me tooism»). Seule la présidence Eisenhower a interrompu quelque temps cettedominationdémocrate,mais,commeen témoigne lapriseduCongrèspar lesdémocratesen1954, cetteparenthèseétait essentiellementdueà lapersonnalitéde l’ancienchefdesforcesalliéesenEurope.La coalition rooseveltienne s’est effondrée au début des années 1960. De nos jours,l’Ouest,lesPlainesetleSudsontdesbastionsdupartirépublicain.CedernierasujouerduressentimentracialdesBlancsduSuddanslesannées1960pours’implanterdurablementdanslesanciensEtatsconfédérés.LesEtatsdesRocheusesetdesPlainesvotentégalementsensiblement plus souvent républicain que démocrate par méfiance enversl’interventionnisme fédéral. Lesmilieux ouvriers ne sont pas un électorat gagné d’avancepourlesdémocrates.L’électiondeRonaldReaganaprouvédanslesannées1980quedesquestions morales ou culturelles pouvaient les inciter à voter contre leurs intérêtséconomiques. Par ailleurs, une part croissante des petites classes moyennes, inquiètesdevant les développements de la mondialisation, est sensible à la simplicité du discoursrépublicain. Seules les classes moyennes urbaines aisées des côtes Est et Ouest restentfidèlesauxdémocrates,commel’ontmontrélesrésultatsdelaprésidentiellede2004.Resteàsavoirquandcettecoalitiondémocrates’esteffondrée.Aucunspécialisten’estenmesure d’identifier une élection décisive sur le modèle de 1896 ou de 1932 permettantd’expliquer la chute, ou plutôt l’effritement, de la coalition rooseveltienne. Par ailleurs,personne n’a repéré pour l’instant de véritable domination républicaine, même si lesconseillersduparti,deKevinPhillips àKarlRove, s’évertuentdepuisplusde trenteansàsoutenir le contraire. Il convient donc de s’interroger sur les raisons des limites de lapuissance républicaine. A mon sens, le parti républicain actuel demeure essentiellementunecoalitiondemécontentsquipeineàélaborerunprojetpositif.Lesquarantedernièresannées qui ont vu l’ascension du conservatisme républicain sont en effet ponctuéesd’échecspolitiquesetinstitutionnelsretentissants.

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LapercéedeRichardNixon(1968-1974)Enarrivantaupouvoiren1968,RichardNixonrécolteenfaitlesfruitsdelacampagnede1964dusénateurrépublicaindel’Arizona,BarryM.Goldwater.Enécartantlesprétendantsmodérésà ladésignation (nomination),BarryM.Goldwatera imposéune tactiquepour laprésidentielle,unestratégiepourlerenouveaudupartietunerhétorique.Ilaeurecoursàunanticommunismevirulentafinderassemblersursonnomlescomposantesde ladroiteconservatrice. Idéologiquement divisée – notamment entre les libertariens et lestraditionalistes– ladroite s’est rassembléederrière la figurecharismatiquedu sénateurdel’Arizona. Le candidat républicain a également entrevu le potentiel électoral quereprésentait le sud des Etats-Unis. Il a été le premier responsable politique républicain àcomprendreque lepartidevaitrécupérerlesBlancsconservateursduSud,désorientésparl’action favorable aux droits civiques du parti démocrate. Ce pari initial a constitué letournantdelaviepolitiquecontemporainedesEtats-Unis.Le«solidSouth»démocrateissudelaguerredeSécessions’esteneffeteffondréenmoinsdedixans.Lechangements’estamorcélorsdelapromulgationparleprésidentLyndonJohnsondurantl’été1964delaloisur lesdroitsciviques (CivilRightsAct)garantissantauxNoirs lespromesses figurantdansles grands amendements de 1865 (13e amendement interdisant l’esclavage), 1868(14eamendement créant une citoyenneté commune auxBlancs et auxNoirs et initiant leprocessus «d’incorporation»duBillofRights) et1870 (15e amendement interdisant touteformedediscrimination).LarésistanceaétéfortechezbeaucoupdeBlancsduSud,d’oùlaconvictiondecertainshommespolitiquesdémocratesdelarégionquelevotedelaloiallaitgonfler les rangs des républicains: le président Lyndon Johnson lui-même reconnut quecette loi conduisait à la perte du Sud pour les démocrates5. BarryM.Goldwater aimmédiatemententrevulespossibilitésd’évolutiondel’électoratduSud.Sastratégiesudisteafournilabaseélectoraledontlepartiavaitbesoinpoursefaireentendre.Enfin,pourtenircomptedecetobjectif,laformedumessagerépublicains’estmodifiée:lediscourss’estfaitpopuliste et nationaliste. Les termes associés à l’image du parti républicain depuis safondation–élitisme,patriotisme,unecertainesophistication liéeauNord-Est–ontconnuune inflexion spectaculaire. Depuis lors, la communication du parti se fonde sur unpopulismenationalisteagressifàl’accentsudiste…En1964,cetteévolution,tropbrutale,aétéunevéritablecatastropheélectoralepourlesrépublicains. BarryM.Goldwater s'est fait balayer par le candidat démocrateLyndonJohnson,quiarecueillilevotedesNoirsdansleSudpourlapremièrefoisdepuislaguerredeSécession.Lesproposoutranciersdusénateurdel’Arizona,enparticuliersurlesquestions raciales et les relations avec l’URSS, en ont fait une cible aisée. Accusé d’êtreincompétent,ségrégationnisteetbelliqueux,BarryM.Goldwaters’estimmédiatementeffacéaprèsl’élection.C’estnéanmoinsdansladroite lignedecetteélectionqueRichardNixon,quatreansplus tard, inscrit saproprecampagne.Entre lesdeuxéchéancesélectorales, eneffet, lepaysagepolitique s’estprofondémentmodifié. LesAméricainsontété traumatisés

5LejouroùLyndonJohnsonsignalaloisurlesdroitsciviques,ildéclaraàsonassistantBillMoyers«IthinkwejustdeliveredtheSouth to theRepublicanParty fora longtimetocome» («JecroisquenousvenonsdelivrerleSudauxrépublicainspourunlonguepériode»).

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parlaguerreduVietnamet,dansunemoindremesure,parlesémeutesurbaines.IlsontdûfairefaceàlaremiseencauseradicaledesvaleursessentiellesdelasociétéaméricaineparlesjeunesétudiantsnésimmédiatementaprèslaSecondeGuerremondiale–lesenfantsdubabyboom–(apparitiond’unecontre-culture,développementduféminisme,del’écologie,demouvementsgauchistesetanarchistes).Rattachésàl’évolutionduSud,ceschangementsdes années1960 témoignent d’une radicalisation et d’une idéologisation communes auxdémocratesetauxrépublicains.Faceàune«nouvellegauche»revendicatricequiirriguedeplusenpluslepartidémocrate,unnombrecroissantderépublicainscomprennentqueleurpartiatoutàgagneràsepositionnercommedéfenseurdelatradition.Ainsi,àpartirdelafin des années1960, les questions culturelles et les débats sur les valeurs occupent lepremierplandelaviepublique:ladénonciationdel’ordreétablietdel’impérialisme,lesrevendicationsdesfemmes(enparticulierpourledroitàl’avortement),lesrelationsraciales.Sur la droite de l’échiquier politique, ces évolutions nourrissent un puissant retourconservateur (conservative backlash), dont RichardNixon est le premier bénéficiaire enfaisantcampagnesurlethèmedelaloietdel’ordre.S’ilremportelescrutinde1968avecune marge extrêmement étroite, son élection est importante parce qu’elle constitue lapremièrepreuve tangiblede la finde la coalition rooseveltienne.GrâceàRichardNixon,l’implantation des républicains dans le Sud se poursuit. Moins en termes de gains net –RichardNixon,toutcommeBarryM.Goldwater,remportecinqEtatsdanslarégion–qu’entermes d’affaiblissement de l’adversaire démocrate6. En effet, le cœur du Sud – le deepsouth (Arkansas, Louisiane, Mississippi, Alabama, Géorgie) – vote pour le candidatindépendant, ex-démocrate, GeorgeWallace, illustrant ainsi l’éloignement du Sud enverslesdémocrates.Unefoisinstalléàlaprésidence,RichardNixons’estposéenreprésentantdela«majoritésilencieuse»–l’expressionestdePatrick(«Pat»)Buchananquiestalorsl’undesrédacteursdes discours présidentiels. RichardNixon a lui aussi centré sa tactique populiste sur larécupération de l’électorat blanc du Sud. Deux consultants républicains de l’époque ontthéorisé cette tactique : KevinPhillips dans The Emerging Republican Majority (1969) etBenjaminWattenberg dans The Real Majority (1970). Ce dernier explique que le partirépublicainpeutcréerunenouvelledynamiquepolitiqueens’appuyantsurlesélecteursquinesontnijeunes,nipauvres,ninoirs(unyoung,unpoorandunblack).KevinPhillips,quantàlui,soulignetoutel’importancedesélecteursayantvotépourlecandidatindépendanten1968,GeorgeWallace.Ayantdorénavantrompuleursliensaveclesdémocrates,ilssontenquelquesortedansl’attented’uneoffrepolitiquesatisfaisantequelepartirépublicainsedoitde fournir. Selon KevinPhillips, l’abandon du soutien des Noirs devrait être largementcompensépar l’élanquecréera l’adhésiondesBlancsconservateurs. Lechoixde l’anciengouverneurduMaryland,SpiroAgnew,commevice-présidentsur le ticketde1968reflètecette orientation. La question est jugée suffisamment importante pour que l’un des

6En 1964, Goldwater avait remporté, outre son Etat d'origine, l'Arizona, la Lousiane, le Mississippi,l'Alabama,laGéorgieetlaCarolineduSud,c'est-à-direle«deepSouth»,quivotepourGeorgeWallacequatreansplustard(àlaseuleexceptiondelaCarolinebasculantpourNixon).Nixonpercedansd'autresEtatsduSud:laFloride,lesdeuxCarolines,leTenesseeetlaVirginie.Ilremporteaussil'OklahomaetleKentucky.

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conseillersprésidentiels,HarryDent,ensoitchargéàpleintemps7.RichardNixon cherche également à modifier l’image des démocrates, décrits dans lediscours républicain comme une coalition unissant ceux qui ne veulent pas travailler etviventdel’aidesocialeauxminorités.LesénateurrépublicainHughScottdePennsylvaniedéfinit ainsi la formation démocrate comme le parti des «Trois A» (Acid, Abortion, andAmnesty). Le choix du sénateur du Dakota du Sud, GeorgeMcGovern, comme candidatdémocrate à la présidentielle de1972 facilite le positionnement républicain.GeorgeMcGovern est en effet très engagé à la gauche du parti, de sorte quePatrickBuchanan peut le décrire comme le BarryM.Goldwater démocrate. Dans lecontexte de l’époque, cette candidature extrémiste joue en faveur du camp adverse.L’annoncede l’arrêtdeshostilitésauVietnamà la toute findumoisd’octobre1972ôteàGeorgeMcGovernsonprincipalargumentélectoral.RichardNixonl’emportedans49Etatsen obtenant 61% des suffrages, contre 38% pour GeorgeMcGovern; seuls leMassachusetts et le district de Columbia votent en faveur du candidat démocrate.RichardNixon a aisément fait de McGovern le symbole d’une certaine «gauche caviar»(liberal) n’ayant aucun contact avec l’Amérique profonde (mainstream America) et nereprésentant que les pacifistes et les agitateurs des campus universitaires.Néanmoins, auCongrès, les démocrates se maintiennent: ils conservent unemajorité de 243 sièges à laChambredesreprésentants(contre192),et,auSénat,de57siègescontre43.AuniveaudesEtats,lesdémocratesremportentunsiègesupplémentairedegouverneur.Ledécalageentre,d’unepart,lesélectionsduCongrèsetcellessedéroulantdanslesEtatset,d’autrepart,lescrutin présidentiel atteint un niveau encore inégalé. 30% de l’électorat a voté pour unprésident républicain tout en se prononçant pour les démocrates au niveau local et auCongrès. C’est le début du phénomène électoral dit de ticket-splitting qui restera unecaractéristiquedelaviepolitiqueaméricainejusqu’àlafindesannées1990etquiapermisaux démocrates de conserver le Congrès jusqu’en 1994 alors que les républicainsremportaientrégulièrementlesprésidentielles8.Lamajoritédémocrateutiliseàsonprofit lescandaleduWatergatequidevientpublicàpartirdemars1973.Menacédedestitution (impeachment)par leCongrès,RichardNixondoitdémissionnerenaoût1974.IlestremplacéparGeraldFord,sonvice-présidentdepuisoctobre1973etl’anciensénateurduMichigan.Pourenfiniraveclescandale,Forddécidetrès rapidement de gracier RichardNixon (septembre1974), évitant ainsi à l’ancienprésident tout risquedepoursuites judiciaires.Cettedécisionades effetsdévastateurs sur

7Danslaperspectivedel’électionprésidentiellede1972,Nixonmetenplaceune«taskforce»dirigéeparunautre conseiller, WilliamSafire, afin d’anticiper les conséquences d’une éventuelle nouvelle candidature deWallace.LedestinsechargeraderéduirelescraintesprésidentiellesquandWallacetomberasouslesballesd’undéséquilibré,ArthurBremmer,auprintemps1972.

8Onl’opposeauphénomènedu«straight-ticket»,c’est-à-direlevotecohérent,pourlemêmeparti,entrelelocal,leCongrèsetlaprésidence.Apartirde1996,le ticket-splittingretrouvesonniveaude1960,c’est-à-direqu’il concerne un peu moins de 25% de l’électorat. Se reporter au tableau 7.2 in J.Q.Wilson, J.J.DiIulio,American Government. Institutions and Policies, HoughtonMifflin Co., Boston, 2004, p. 162. Avec cettenouvelle évolution du vote, les institutions nationales ont fonctionné sur lemode du «divided government»pendant quasiment trente ans, chaque parti contrôlant une institution. Ce n’est qu’en2000 que l’alignementidéologiqueentrelaprésidenceetleCongrèsaétérétabli.

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l’opinion publique: l’idée d’une collusion des gens de pouvoir se répand comme unetraînéedepoudre,profitantlargementauxdémocrates.Lorsdesélectionsdemi-mandatennovembre1974, le parti républicain perd 49sièges à la Chambre des représentants(majoritédémocratede291sièges),et4siègesauSénat(majoritédémocratede61sièges).Lesdémocratesobtiennent20gouverneurssupplémentaires(soitunemajoritéde36).Cettegénération d’élus entreprend une profonde réforme duCongrès et devient l’une des plusengagéesdel’après-guerre.Deuxansplustard,en1976,unrestedecolèreetlafaiblessedel’économie,notammentl’inflationgalopante,contribuentàladéfaitedeFordfaceàl’anciengouverneur démocrate de Géorgie, JimmyCarter. Ford a dû également faire face à uneoppositioninternedeladroitedupartiemmenéeparRonaldReagan.JimmyCarterdevancesonrivaldepeuenobtenant50%desvoix,contre48%àFord(297membresducollègeélectoral contre 240). JimmyCarter a su utiliser le besoin de renouveau exprimé par lapopulation après le Watergate. Il a mis en avant sa conversion religieuse, son refus dumensongeetsadimensiond’«outsider»deWashingtonDC.LesdémocratesobtiennentunsiègedeplusàlaChambredesreprésentants(292élus),ilsconserventleurs62sénateursetremportentunsiègesupplémentairedegouverneur(37).Enmoinsde4ans,lesrépublicainssontpassésdelaconvictiond’uneimminencedelasuprématiedeleurpartiàlaperspectived’une longue période de reconstruction. En d’autres termes, le scandale duWatergate etl’effondrement de l’administration Nixon constituent le premier grand revers desconservateurs.Quantauschématraditionnelde lasociologieélectorale, iln’expliquepluslesévolutionspolitiques.Lesélectionsprésidentiellesde1968et1972comportaientcertesdes éléments importants de changement – notamment l’évolution du Sud – mais sansqu’aucun d’entre eux n’entraîne de réajustement national durable qui permette de lesqualifierderéalignement.Leticket-splittingconstitueparailleursunphénomènetoutàfaitnouveau qui complexifie considérablement la configuration politique. Le glissementfavorable aux républicains semble se limiter à la présidence. La marge de victoire deJimmyCarter est cependant la plus faible obtenue par un candidat démocrate en sixdécennies. L’ordre rooseveltien ne fonctionne plus et la présidence Carter apparaîtrétrospectivementcommeuneréactionfaceauchocduWatergate.En1976,lesdémocratesontsuprofiterdurejetbrutaldesadministrationsNixonpuisFord.Quatreansplustard,lasituation est tout à fait différente. Le bilan de JimmyCarter est jugé faible et le Présidentindécis. Les mauvais résultats de l’économie et la difficile libération des 55otagesaméricainsdétenusenIranontfaituntortconsidérableàJimmyCarter.L’anciengouverneurrépublicaindeCalifornie,RonaldReagan,enprofiteetestéluPrésidenten1980.Lorsdecescrutin,lesrépublicainsadoptentànouveaulastratégiepopulisteetsudistequileuradéjàpermis de s’emparer de la MaisonBlanche à deux reprises. En rassemblant ainsi lesmécontentsdubilandel’administrationCarter,RonaldReaganouvreunenouvellepériodededominationrépublicaine.Maislàencore,cettedomination,réelle,nesignifiepasqueleGOPaitobtenuunemajoritédurable.LesmandatsdeRonaldReagans’inscriventàleurtourdansuneconfigurationinédite.

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LaprésidencedeRonaldReagan(1981-1989)etsessuitesEncouragés par les progrès du GOP lors des élections de1978, les républicainsmultiplient leurs attaques contre les démocrates. JimmyCarter est également gêné par lacandidature d’EdwardKennedy (sénateur du Massachusetts) lors de la désignation(nomination)ducandidatdémocrate.C’estainsiqueRonaldReaganobtientuneavancede10points, totalisant51%des suffragescontre41%à JimmyCarter (le résultat est encoreplusimpressionnantaucollègeélectoralavec489déléguéspourRonaldReagan,contre49pourJimmyCarter)9.Lesdémocratesperdentnonseulementlaprésidence,maiségalement12siègesauSénatetlecontrôledelaChambrehaute(avecunemajoritéde53contre47).Ilsperdentaussi34siègesàlaChambredesreprésentants(oùleurmajoritén’estplusquede243sièges).Enfin,laprogressiondesrépublicainsestsensibleauniveaudesEtatsoù,làaussi,lamajoritédémocrateestréduite(27démocrateset23républicains).L’élection de1976 a été la dernière où les modérés du parti républicain contrôlaientsuffisamment l’appareil pour déterminer le choix du candidatsans avoir à faire decompromis avec les conservateurs les plus stricts: l’affrontement entre Ford et son ailedroite a constitué lebaroudd’honneurdescentristes au seinduGOP.Le renouveaudesannées1980aétébeaucoupplus idéologique.En quelquesannées, alorsque la criseduWatergate redonnait espoir aux démocrates, la base du mouvement conservateur s’esttransforméeenprofondeur.Danscesconditions,leretouraupouvoirdesrépublicainsavecRonaldReaganne s’expliquepasuniquementpar le rejetde JimmyCarter.Contrairementauxdémocratesquatreansauparavant,lesrépublicainsontsuutiliserleurstatutd’opposantspourseconstruireuneidentitéidéologiqueforte.RonaldReaganapuseprésentercommeincarnantlarupture,cequeJimmyCartern’avaitpasréussiàfaire.En1976,lesdémocratess’étaientlaissésporterparlemécontentementalorsqu’en1980,lesrépublicainsprésententune alternative claire. Comment s’explique cette différence? Pourquoi et comment lesrépublicainsont-ilsréussilàoùlesdémocratesontéchoué?Denombreuxobservateursontrenducomptedelavitalitédecerenouveauconservateuraucoursdesannées198010.Ilconvienticiden’enretenirquelesprincipauxéléments.Lacapacité de mobilisation, la richesse du débat intellectuel, et, surtout, l’union entre sesdifférentescomposantessontlescaractéristiquesprincipalesdecerebondconservateur.Ladroite religieuse, en particulier, se renforce considérablement après la décision de laCoursuprême légalisant le droit à l’avortement au niveau national (Roe v. Wade, 1973).Cette«nouvelledroite»(NewRight)estdésormaisunélémentincontournabledelascènepolitique nationale. La rhétorique religieuse devient partie intégrante du discours des

9LecandidatindépendantJohnAnderson(unrépublicainmodéré)afaitbeaucoupdetortsàJimmyCarterenrecueillant8%dessuffrages.C’estaussien1980quelesénateurGeorgeMcGovernperdsonsiège.

10JerenvoieenparticulieràT.B.Edsall,M.D.Edsall,ChainReaction:TheImpactofRace,Rights,andTaxeson American Politics, New York, W.W. Norton, 1991;ainsi qu’à S.Blumenthal, The Rise of the Counter-Establishment :FromConservative Ideology toPoliticalPower,NewYork,TimesBook,1986.VoirégalementJ.Micklethwait,A.Wooldridge,TheRightNation.ConservativePower inAmerica,NewYork,PenguinPress,2004.

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républicains,alorsquedixansauparavant,BarryM.Goldwaterétaitnettementpluséloignédes questions religieuses. Des groupes comme la Christian Coalition accroissent lescapacitésdemobilisationdupartirépublicainauseindelasociétéciviletoutendéployantdes problématiques culturelles fondées sur des questions de valeur (lutte contre lapornographie, l’avortement et le féminisme, défense de la famille). Par ailleurs, les idéeslibertariennes ont circulé dans les milieux d’affaire et chez les économistes. Ellesconvainquent un certain nombre d’industriels de financer des fondations de recherche(think tanks) représentant un vaste éventail d’options conservatrices, comme la HeritageFoundationou leCatoInstitute,etpermettentainsi auxconservateursdedonneruneplusgrande substance à leurs principales prises de position. Certains économistes mettent enavantunenouvelledoctrinedel’offre(supply-sideeconomics)reprisepardegrandsorganesdepresse(WallStreetJournal)etpréconisantlabaissedesimpôtsetunepolitiquemonétairerestrictive. Combinées, ces deux options doivent mettre un terme à la stagflation enstimulantl’offre,etnonpluslademande,commeleveutladoctrinekeynésienne.Enfin,lemouvementnéoconservateurquis’étaitesquissédanslesannées1960,atteintunevisibilitéréelle sur la scène politique nationale. Ces intellectuels, anciennement classés à gauche,donnent une nouvelle dimension à la pensée de droite. Leur dénonciation de la «newclass» et leur message de réforme de l’Etat providence s’intègrent parfaitement avecl’orientation générale du conservatisme, populiste et critique, des réformes sociales desannées1960. Enfin, les méthodes de campagne du parti se modifient également, sousl’influencedeconsultantscommeRichardViguerie,promoteurdupublipostage(directmail)dans les campagnes électorales. Ainsi, dans la seconde moitié des années1970, lesactivistes conservateurs s’emparent définitivement du parti. Face à ce renouveau de ladroite,lesdémocrates,eux,semblentaffaiblis.LavictoiredeJimmyCartermasquecetétatde fait jusqu’au début des années1980. Si les républicains ont réussi à s’imposer unediscipline partisane en désignant clairement leurs cibles, les démocrates voient leursdivisionss’accroître.LesconservateursduSudsesontdéjàéloignésdefaçondéfinitiveduparti.Dans les années1980,unenouvelle fracture se fait jour. Lesmilieuxouvrierset lesmilieuxintellectuelssemblentrépondreàdeuxlogiquesdifférentes:danslepremiercas,lelibéralismeclassique (celuiduNewDealorganisé autourde l’influencedes syndicats) et,dans lesecond, le libéralismeculturel (mobilisépar lecombatpour lesdroitsciviques, leféminisme, l’environnement et la contre-culture)11. Ces différentes composantes ontgraduellementperdudevuelanécessitédeladisciplinepartisane.Etcen’estpastout: lacohérencemêmeduprojetintellectueldémocratesembledeplusenplusproblématique.C’est dans ce contexte que les républicains achèvent la construction de leur messagepolitique.Si l’orientationgénéralepopulisteet sudisteaétéconservée, lespropositionssesont faites plus concrètes.Contrairement à RichardNixon, RonaldReagan se lance sur lavoie d’une véritable remise en cause de l’héritage social de la «Grande Société» deLyndonJohnson. Là où RichardNixon s’était borné à rationaliser la gestion, voire àdévelopper les programmes de son prédécesseur, RonaldReagan tente de formuler unealternative. Sa critique véhémente contre le tout-Etat (biggovernment), c’est-à-dire sadénonciation des méfaits de l’activisme de l’Etat central, permet de baisser les impôtsfédéraux et de remettre en cause les dépenses occasionnées par les programmes sociaux

11Leterme«libéralisme»esticiàprendredanssonsensaméricaindecentre-gauche.

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(welfare). Pour les conservateurs, l’aide sociale ne fait qu’aggraver la situation des pluspauvres en créant une culture de la dépendance profondément nocive. Le message anti-impôt, qui était dans la lignée de la Proposition 13 en Californie (1978), est alorsparticulièrement populaire.Demême, comme RichardNixon, RonaldReagan dépeint lesdémocrates comme un parti à la gestion inefficace qui distribue les subventions auxfraudeursdel’aidesociale…Lerebondconservateuresttelqueledébutdeladécennieestmarquéparundébat sur ladominationàvenirdes républicains.Cesderniersmettent enavant le «mandatpopulaire»quivientde leurêtre confié.Comme l’explique l’unde sesconseillers, PeggyNoonan, RonaldReagan a su trouver un discours optimiste et positifreprisparl’opinionpubliqueetqu’ilaérigéenvéritablearticledefoi.Cependant,lesdébutsdel’administrationReagansontdifficiles.Lorsdesélectionsdemi-mandatennovembre1982,lesrépublicainssontsanctionnésàcausedelamauvaisesantédel’économieetdeladécisionprésidentielled’augmenterlesimpôtsen1982.Enoutre,lechômage atteint les 10% quelques semaines avant le scrutin. A la Chambre desreprésentants, les républicainsperdent26sièges,concédantunenouvelle fois laChambrebasse aux démocrates, et 6 au Sénat, affaiblissant dangereusement leur majorité à laChambrehaute.Mais le rétablissementprogressifde l’économiedans lesdeuxannéesquisuiventfaitremonterlapopularitéduprésidentReagan.Sonslogandecampagneen1984–«It’s Morning Again in America» – marque le réveil du patriotisme qui, combiné àl’amélioration de la situation économique, lui permet de l’emporter dans 49Etats.RonaldReaganaffaiblitencoreunpeupluslecampdémocrateenremportantlesoutiendesclassesouvrièresdans les régions industrielles.Déjà sensibleen1980, lephénomènedes«ReaganDemocrats»seconfirmelargementquatreansplustard:aprèslesBlancsduSud,il s’agit là du second groupe faisant défection à la coalition démocrate au bénéfice desrépublicains12. Ainsi, RonaldReagan bat l’ex-vice-président de JimmyCarter,WalterMondale, par 59% des suffrages contre 41% (regroupant le chiffre record de525membres du collège électoral). A partir de là, les démocrates se retrouventdéfinitivement prisonniers de l’image d’eux-mêmes construite par leurs adversaires: enaoût1984, JeaneKirkpatrick,qui futpourtantelle-mêmedémocrate,prononceundiscoursviolentcontresonancienparti,quivautauxdémocratesd’êtredésignéscommelepartidudénigrement des intérêts américains (BlameAmerica First) ou un ensemble de privilégiés(SanFranciscoDemocrats)pendanttoutelacampagne13.LesrésultatssontplusmodestesauniveaudesEtatsetduCongrès.AuSénat,lesrépublicainsperdentdeuxsiègesetvoientleur

12L’étude de référence sur ce point est celle d’un consultant démocrate, StanleyGreenberg, dansMacombCounty(1985).Danscetravaildesociologieélectorale,S.Greenbergétudielesvotesd’ouvriersblancs(syndiqués) de l’industrie automobile dans le comté deMacomb au nord deDétroit (Michigan). En 1960, lecomtévotait à63%pour J.F.Kennedy,mais à66%pourReaganen1984. SelonS.Greenberg, l’explicationrésidedansun sentimentd’aliénationde ces électeurspar rapport auparti démocrate.Cedernier soutiendraitmoinsleursaspirationstraditionnellesdepromotionsocialeetseconsacreraittropàlapromotiondeminoritésraciales et sociales ainsiqu’auxquestionsde libéralismeculturel. Les «ReaganDemocrats» étaient égalementsensiblesaupatriotismemartialdel’administrationReagan.

13C’estenréactionàcesattaquesqueseformedès1985leDemocraticLeadershipCouncil(DLC),destinéàdoter le parti d’une nouvelle identité idéologique. C’est en son sein que les «nouveaux démocrates», sousl’impulsiondeBillClinton,deviendrontunecomposantecléduparti.

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majorité réduite (53contre47); à la Chambre des représentants, ils n’obtiennent que 14siègessupplémentaires,unchiffremodesteparrapportàlavagueprésidentielle,etqui,parailleurs,neremetpasencauselamajoritédémocrate(253contre182).Lesrépublicainsneremportentqu’unseulnouvelEtat.End’autrestermes,ledécalageestavéréentrelamajoritéprésidentielleet lesrépublicainsauCongrès.Cesderniersnesontsolidement installésquedans le Sud où se poursuit l’évolution entamée à partir de la fin des années1960. LaprésidencedeRonaldReaganrenforceeneffetladominationdupartidanslesanciensEtatsconfédérés: en1984, seuls25%desBlancsduSudvotentpourMondale.Dès1981, lanouvelleadministrationad’ailleursobtenulesoutiend’unnombrecroissantd’élussudistesanciennementdémocrates.RonaldReaganaaussiété lepremierà reconnaîtreetàutiliserles ressourcesde ladroite religieuse.Unepart essentiellede sacommunicationpolitiques’est articulée autour des principales idées des groupes fondamentalistes (sur la prière,l’avortement, etc.). Néanmoins, aucune de leurs propositions n’a jamais abouti.RonaldReagan a donc très largement utilisé les ressources de ces groupes en termes demobilisation,sanssatisfairepourautantleursattentes.Al’approchedesélectionsdemi-mandatde1986,l’élandelaprésidentielleestretombé.Leparti républicainprésenteaux élections sénatoriales, contrairement à sonhabitude,ungrand nombre de candidats très peu expérimentés qui ont été élus lors de la victoire deRonaldReagan en1980 mais ne l’auraient jamais été dans des circonstances normales,c’est-à-dire en l’absence d’un candidat populaire à la présidence. Le jour du vote, lesrépublicains reculent de 8sièges au Sénat, ce qui entraîne la perte de leur majorité à laChambrehaute (majoritédémocratede55contre45)14.Pouraggraverencore la situation,quelques jours après cet échec électoral éclate le scandale dit de l’Irangate, dans lequell’administrationReaganestaccuséed’avoirillégalementutiliséleproduitdeventesd’armesà l’Iran pour soutenir lesContras duNicaragua. L’affaire entame encore un peu plus soncrédit.LecontrôleduSénatparlesdémocratesempêcheégalementlePrésidentd’imposerle juge RobertBork à la Cour suprême en1987. A la fin de son second mandat,RonaldReagan reste certes extrêmement populaire – 68% d’opinions favorables enjanvier1989,soitleniveauleplusélevépourunprésidentdepuisFranklinD.Roosevelt–mais le Sénat bloque l’essentiel de ses propositions. En dépit de cet affaiblissement, laconfiguration politico-institutionnelle est porteuse de signes favorables aux républicains,notamment au niveau des nominations judiciaires: RonaldReagan désigne avec succès400juges fédéraux, soit lamoitiédunombre total en1988;par ailleurs, il réussit à faireaccepter trois juges à la Cour suprême – SandraDayO’Connor (1981), AntoninScalia(1986)etAnthonyKennedy (1988)–et choisitWilliamRehnquist commeprésidentde laCour(1986).OnpeutfairelemêmeconstatàpartirdurenforcementrépublicainauniveaudesEtats,enparticulierdansleSud.Cetteévolutionillustrelesimportantestransformationsà l’œuvre,notamment l’enracinementconstantduGOPdans les anciensEtats confédérésque l’on constate en observant les résultats électoraux des Assemblées d’Etat – quiconstituent un indicateur tout à fait stable des évolutions de l’électorat. Au cours desannées1980,lesmajoritésdémocratess’érodentàtouslesniveaux,saufàlaChambre,alors

14A laChambre, les républicainsperdent5sièges,accroissant lamajoritédémocrateà258.Anoterque lasituationestmeilleureauniveaudesEtats:lesrépublicainsontgagné8gouverneursdeplus,enparticulierdansleSud.

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que jusque là le soutien aux républicains se limitait aux élections présidentielles.Finalement, la stratégiepopuliste fondée sur ladénonciationdesexcèsde l’Etat fédéral etsurladéfensedesvaleurstraditionnellesprouveunefoisencoresonefficacitépouratteindrelepouvoir.Seslimitessontcependantbienvisibles.Lesrépublicainssontdansl’incapacitéde former une coalition durable sur lemodèle de ce que FranklinD.Roosevelt avait faitavec sonpropreparti.A ladifférencedesdémocrates entre1932et les années1960, eneffet,lesrépublicainssontprisaupiègedeleurstratégiepopulisted’«outsiders».Utilepourgagner lesélections,celle-ciest insuffisantepourconserverunepositiondominantesur lelongterme.C’est ce qu’illustre très largement la présidence de GeorgeH.W.Bush (1989-1993).Certes, les républicainsrestentà laMaisonBlanchequatreannéessupplémentaires.Aprèsavoir battu le candidat de la droite religieuse, PatRobertson au cours des primaires,GeorgeH.W.Bush l’emporte avec 53% des voix, contre 47% au gouverneur duMassachusetts, MichaelDukakis. BushSr. obtient la majorité populaire dans 40Etats,recueillantunnombredevoixparticulièrementélevéparmileshommesblancsetdanslesEtats du Sud. Néanmoins, les républicains enregistrent un recul à la Chambre desreprésentants (les démocrates obtiennent deux sièges supplémentaires et une majoritéde260). Au Sénat, les démocrates conservent leur majorité de 55sièges. Au niveau desEtats, ilsobtiennentungouverneursupplémentaire.Les républicainséchouentà reprendrelecontrôleduCongrès.L’explicationdecesuccèsrelatif semblerésiderdansuneréussitetactiqueplusquedansunevéritableadhésionpopulaire.LeeAtwater,redoutableconsultantpolitique républicain, a réussi à imposer l’image d’un candidat démocrate très à gauche,représentantjusqu’àlacaricaturela«gauchecaviar»delacôteEst.Parailleurs,lafaiblessedu candidatMichaelS.Dukakis peut également expliquer le succès du parti adverse. End’autrestermes,cetteélectionnechangerienauxgrandséquilibresnationaux.Lamajoritérépublicaine reste limitée à la présidence, obtenue grâce à l’appui décisif du Sud. Ellemontrequelesrépublicainspossèdentessentiellementunerecettepourgagnerlesélectionsmais que celle-ci est plus ou moins efficace selon les capacités de leader du candidatprésidentiel.Dans le cas de BushSr., contrairement à RonaldReagan, le résultat est toutjustepassable.Soninvestiturereprésentelederniersursautdesrépublicainsmodérés.Malàl’aise avec les discours populistes de son prédécesseur, BushSr. cherche à mener unepolitiquedecompromis,raisonpourlaquelleilneserajamaisvéritablementacceptéparlesplusengagésdesconservateurs.Sonactionrévèlelafragilitédeladominationrépublicaine.L’élanconservateurreposesurunedénonciationmaximalistedesréalisationsdémocratesaucours des années1960, en particulier de l’interventionnisme de l’Etat fédéral. Cepositionnementesthabilléd’unevolontédedéfensedesvaleurstraditionnelles.Danscettelogiquededénonciationetdemoralisme, ilest impératifd’aller toujoursplus loinafindenourrir lamobilisation desmilitants. Pour reprendre les termes deMaxWeber, c’est unerationalité en valeur qui fournit son énergie à la vague conservatrice. Celle-ci restenéanmoins incapable d’aboutir à un ancrage durable. Toute tentative de modération – àl’instardecelledeBushSr.–vaàcontre-courantetrisquefortd’êtreemportée.Lamajoritéconservatrice qui s’emparera duCongrès en1994 s’inscrit au contraire tout à fait dans lalogiqueascendantedupartirépublicain.

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LeCongrèsrépublicainde1994:lafind’uncycle?Au début des années1990, la surprise vient de la gauche. Le candidat démocrate,BillClinton, ancien gouverneur de l’Arkansas, a réussi un parcours sans faute en seprésentantcomme«nouveaudémocrate»centristeaucoursdelacampagnede1992.Alasuite de la réflexion menée au sein du Democratic Leadership Council, il parvient àreconquérir les classesmoyennes des banlieues qui avaient déserté les rangs démocratesdans les années1980 enmettant l’accent sur les questions économiques. Il bat aisémentBushSr.quinepeutsurmonterlesattaquesvenantdesonproprecamp–précisémentdeladroiteduparti–etlacandidaturedumilliardairetexan,RossPerot,qui,surunprogrammederéformesbudgétaires teintéesdepopulisme,obtient le résultat impressionnantde19%des voix, prises essentiellement aux républicains. Mais une fois BillClinton élu, sous lapressiondelabasedupartiquiaccuselePrésidentd’avoirrenié lesprincipesdémocratespour accéder au pouvoir, la nouvelle administration gouverne à gauche durant les deuxpremières années. Des thèmes chers au libéralisme culturel, comme celui du statut deshomosexuelsdans l’armée,occupentunegrandepartdesdébats. La tentativedemiseenplaced’unprogrammenationald’assurancemaladie (health-care) réveille lescraintesd’uninterventionnismefédéral troppoussé.Cescoupsdebarrerépétésàgauche fontchuter lenombred’opinionspositives à l’égardde l’actionprésidentielleà39%dans les sondagesGallup.Parallèlement,lereprésentantrépublicaindeGéorgie,NewtGingrich,entraînesonparti dans une vibrante campagne sur le thème du changement. Il s’appuie sur lamobilisation idéologique des républicains du Congrès depuis les années 1980. En 1989déjà,NewtGringrichavaitutilisélerefusduSénatd’accepterJohnTowercommesecrétaireà la Défense pour lancer une campagne des plus douteuses contre le Speaker de laChambrebasse,JimWright,undémocrateduTexas.Avecl’aidedeLeeAtwater,présidentdu Republican National Committee, le Speaker démocrate avait dû démissionner. Cettecampagne avait eu un fort écho venant après une succession de scandales au Congrès.Quelquesannéesplustard,lamajoritédémocrateduCongrèssembleavoirperdulecontactaveclesélecteurs.Majoritairesdepuisprèsdequaranteans,lesdémocratesprésententuneimagearrogante,ne semblantguère sepréoccuperde la colèregrandissantede l’opinionpubliqueà l’égardduCongrèsetdupartiqui lecontrôledepuissi longtemps.La tactiquepopulistedesrépublicainspeutalorssedéployer.LescandidatsrépublicainsàlaChambredes représentants concluent un «Contrat avec l’Amérique» rédigé par NewtGingrich,détaillant un ensemble de réformes à engager au sein du Congrès ainsi que les mesurespolitiquesqu’ils seproposentd’adopter. Les républicains laissent entendrequececontratavec l’Amérique est un accord liant le parti à sesélecteurs. Il s’agit d’un contrat de typeparlementaire:une fois aupouvoir, les républicainsassurentqu’ils s’acquitterontde leursengagements.Ledocumentfaitl’objetd’unefortemédiatisation.CespropositionsséduisentunpaysconvaincudelagabegieetdelacorruptionrégnantàWashingtonDC.Enétanttrèsprécissurlesactionsàengager,lesrépublicainsdonnentàleurdiscoursuneauthenticitédebon augureà unmoment où l’opinion publique témoigne d’un fort scepticisme face auxdéclarationsdespolitiques.Trenteansaprèsl’inventionduconcept,la«majoritésilencieuse»s’exprimemassivementenfaveurdesrépublicainslorsdesélectionsdemi-mandatennovembre1994.LadéferlanterépublicaineoffreauGOPlecontrôleduSénat(majoritéde53contre47),avecungainnet

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de8sièges (sans compter l’obtention d’un neuvième, après le revirement d’un éludémocrate,RichardShelbyd’Alabama,passéauGOPau lendemainduscrutin;puisd’undixième, quelques mois plus tard, en la personne de BenNighthorseCampbell duColorado). Avec 52sièges républicains supplémentaires (majorité républicaine de230contre204),lecontrôledelaChambredesreprésentantsestencoreplusspectaculaire.Pourlesdémocrates,ils’agitdelaplusimportantepertedevoixàlaChambrebasseenquarante-sixans (et vingt-trois élections). Au niveau des Etats, les républicains obtiennent11gouverneurs supplémentaires (et une majorité de 30contre19). Chose encore plusremarquable,aucuntitulaire (incumbent) républicainneperdsonposte!Pour lapremièrefoisdepuislaReconstructionduXIXesiècle,lesrépublicainscontrôlentlesdeuxChambresdu Congrès ainsi qu’une majorité des gouverneurs et des Assemblées des Etats. Lesdémocrates paraissent s’enfoncer dans la crise, et ce d’autant plus que l’élection de mi-mandat de1994 signe la fin de toute domination démocrate dans le Sud. L’ancienneconfédérationest,depuislors,unerégionlargementauxmainsdesrépublicains,àtelpointque les analystes de l’époque voient dans l’élection de1994 le fameux scrutin deréalignement tantespéré15.En1954,8%desmembressudistesdelaChambreétaientdesrépublicains; ils étaient53%en1994.Pour lapremière foisdepuis laReconstruction, lamajoritédes représentantset sénateursdesEtatsduSud sontdes républicains.Autrementdit,lesélectionsdemi-mandaten1994représententunepercéemajeuredesrépublicainsàtous lesniveauxde responsabilité.Par ailleurs, l’identificationpartisanedes électeurs leurestdeplusenplus favorable:de1978à1994, la proportiondes électeursqui s’identifieaux démocrates est passée de 54% à 48%, tandis que pour les républicains, cepourcentageestpassé,surlamêmepériode,de32%à41%.Laréactionprésidentielleestàlahauteurdel’enjeu.BillClintoncomprendlerejetmassifdesapersonneetdesonparti.Augranddéplaisirdesrépublicains,qui lui reprochentdeleuravoir«volé» leurssujetsdeprédilection, lePrésidentutilise les thèmesconservateurs(budget, aide sociale) pour se positionner au centre – ce centre où il s’était déjà situélorsqu’ilavaitvaincuBushSr.deuxansplustôt.CettestratégiesuggéréeparsonconseillerDickMorris et baptisée «triangulation», commande àBillClinton de se placer à égaledistanceàlafoisdesrépublicainsduCongrès,sursadroite,etdesdémocratesduCongrès,sur sa gauche. L’élection présidentielle de 1996 témoigne du relatif succès de cepositionnement. Après un ultime baroud de PatBuchanan, les républicains désignentBobDole (qui choisit JackKemp comme vice-président). BillClinton réussit à battre lecandidat républicain avec 49% des voix (contre 41%) et 379 membres du collègeélectoral,contre159pourBobDole.RossPerot,ànouveaucandidat,obtient9%desvoix.BillClintonl’emporteparmilesfemmes,danstouslesgroupesd’âge,chezlesindépendantsetdanstouteslesrégions,saufleSud,oùlesdeuxcandidatssontàégalité.AlaChambre,les républicains perdent trois sièges (mais conservent bien sûr leur majorité de227contre207); au Sénat, ils obtiennent deux élus supplémentaires (majorité de55contre45). Les deux partis se retrouvent donc dans une situation d’équilibre et deblocage.

15VoirsurcepointE.Black,M.Black,TheRiseofSouthernRepublicans,op.cit.,enparticulierlechapitre11«TheRepublicanSurge»,pp.328-368.

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Faceaurelatif succèsde la tentativederécupérationprésidentielle, lediscourspolitiquede NewtGingrich et de sa majorité devient de plus en plus violent. La haine contreBillClintonatteintdessommets:cedernierincarnelaculturedesannées1960,honnieparles républicains. A leurs yeux, BillClinton est quasi illégitime, un usurpateur de laprésidence…Fortsdeleurmandatpopulaire,lesrépublicainsduCongrès–surtoutceuxdelaChambre des représentants, les sénateurs étant plusmodérés – refusent de croire à unsimplevote sanctiondesdémocrates après les scandaleset augauchissementde l’équipeprésidentielle;ilssontconvaincusdel’adhésionpopulaireàleurorientationidéologique.Ladénonciationdel’activismedel’administrationClintons’estexpriméeparunrejetdel’Etatfédéral(biggovernment).Cependant,sil’opinionpubliqueestdanssonensemblefavorableà une limitation du champ d’action de l’Etat fédéral, elle est plus partagée lorsque lediscourspolitiquedénoncecertainsprogrammesspécifiquesetlespersonnesoulesgroupesqui en bénéficient. L’idée de supprimer le département de l’Education est ainsi jugéeexcessive.Demême, laconfrontationsur lebudget,quiaconduità la fermeturede l’Etatfédéral (government shutdown) àdeux reprises, endécembre1995et janvier1996, aétémalperçue.Laduretédumessagerépublicainafaçonnél’imaged’unpartiàforteidéologie.Cette perception s’accroît à partir de l’hiver1998. Lors du scandaleMonicaLewinski, lesreprésentantsrépublicainsdéposentuneprocédurededestitutionafind’engrangerdesvoixpour l’électiondenovembre1998.Leur tentativeest ressentiepar lesdémocrates commeundétournementdusystèmejudiciaireetunemanipulationpourrevenirsurlerésultatdel’électionde1996!Certainsmédias–commeFoxNewsdeRupertMurdoch–contribuentàrenforcercettesituation.Enfait,encherchantàdestituerBillClinton,lesrépublicainsduCongrès vont aller trop loin. Leur attitude est vécue comme un acharnement contre unepersonne,alorsquelesfondamentauxdel’économieaméricainesontsains.Lesélectionsdemi-mandaten1998sontunréférendumsur ladestitutionduPrésident. Lagrandevictoirequ’espéraient les républicainsse soldeendéfinitivepar lapertede6siègesà laChambredes représentants (majorité de221contre213), même s’ils maintiennent leur majorité auSénat (55contre45). Le revers pour les républicains du Congrès est cinglant:NewtGingrich démissionne en 1999. Une fois de plus, ils ont laissé passer l’occasiond’installerleurdominationpolitique.La confrontation entre un Congrès républicain fortement idéologisé et la présidenceClinton jusqu’en2000 illustre les limites du retour des conservateurs. Plus précisément,nous pouvons dégager deux conclusions des événements des années 1990. Le risquepermanentquipèsesurlesrépublicainsestd’allertroploinenrefusanttoutcompromisavecles modérés, au risque de s’aliéner le soutien de l’opinion publique. Les analystesaméricainsdésignentcetexcèssous lenomdemenaced’«outreach».L’idéologisationesten effet un phénomène largement confiné aux élites politiques qui n’affecte que peul’opinion publique16. Ce décalage est extrêmement important pour rendre compte de laprincipalelimiteàlamontéeduconservatisme.Lesfortesrivalitéspartisanes(partisanship)existant à la Chambre des représentants reflètent très largement les préoccupations desmembresducorpslégislatifquicherchentàmobiliserleursmilitantsmaisnetraduisentpasles mouvements de l’opinion publique. Par ailleurs, l’implantation grandissante du GOP

16OnlirasurcepointM.P.Fiorina,S.J.Abrams,J.C.Pope,CultureWars?TheMythofaPolarizedAmerica,NewYork,PearsonLongman,2005.

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dansleSudn’interditpaslebasculementdecetterégiondanslecampdémocrate:en1992,BillClintonl’aemportéenLouisiane,dansl’Arkansas,etenGéorgie,tandisqu’en1996,laGéorgieest remplacéepar laFlorideets’ajoute toujoursà laLouisianeetà l’Arkansas.LeSudestdoncune régionoù ladomination républicainepeutêtre remiseencauseparuncandidat démocrate sudiste et suffisamment habile. En fin de compte, les anciens Etatsconfédérés semblent surtout rejoindre le reste de la nation en pratiquant à leur tour uneformed’alternance.LesfragilitésdupopulismerépublicainLaquestionracialeetl’émancipationdesNoirsaveclemouvementdesdroitsciviquesestàl’originedelaremontéeélectoraleetpolitiquedesRépublicainsdepuis1964.L’impactdecemouvementhistoriqueesttelqu’ilaentièrementrecomposélascèneélectorale.Commel’explique GodfreyHodgson, le mouvement des droits civiques est aussi important pourcomprendre laviepolitiqueactuelleque l’aété la guerredeSécessionpourcomprendrecelle des quaranteannées suivantes17. La reprise des idées du mouvement des droitsciviquespar lamajoritédesdémocrateséloigne lesconservateurssudistesduparti jusqu’àles faire basculer dans le camp adverse. A l’inverse, les républicains ont profité de cettevague de ressentiment raciste pour acquérir une dynamique conquérante. Par la suite, laquestionracialeaétémêléeàd’autresthèmes,commelacriminalitéoul’aidesociale.Lesconservateursontsuutilisercettenouvelleconfigurationpourstigmatiserla«permissivité»des libérauxvis-à-visdescriminelsetdecertainescatégories sociales. Enmême temps, lelien avec la dénonciation de la contre-culture s’est fait assez naturellement parmi lesrépublicains.End’autrestermes,laraceaétélepointdedépartdel’affrontement«culturel»desdeuxgrandspartisautourdesvaleursfondatricesdelanationaméricaine.Historiquement, le rebond républicain s’est donc nourri d’un ressentiment contre lesprogrès sociaux et raciaux des années1960.C’est une coalition desmécontents qui s’estagrégée autour de l’appareil partisan duGOP, redéfinissant ainsi totalement son identité.Cetteuniondemeurenéanmoinsextrêmementhétérocliteetlestensions,parexempleentrelesnéoconservateursetladroitereligieuse,sontréelles.Lemouvementsurvitpolitiquementgrâceàdespersonnalitéscapablesderéaliserunesynthèseou,plusfréquemmentgrâceàladésignation de boucs émissaires qui varient selon les périodes – le communisme, l’Etatfédéral, les minorités raciales, les élites politiques et culturelles, autant de figures del’Ennemi qui sont quasiment interchangeables dans la communication politique desrépublicains.Lanotiondepopulismeestdoncaucœurdelatactiqueduparti.Elleconstituesonmode de persuasion privilégié depuis quarante ans, fournissant discours et cibles, enbrefunmoyendemobiliserlesélecteurs.C’estainsiquelesrépublicainsontpudevenirunpartidominant.LeurcontrôledestroisinstitutionsnationalesetleurimplantationdansleSudconstituentlestraitslesplusvisibles

17Voir G.Hodgson, «La nouvelle Amérique conservatrice: entretien avec Godfrey Hodgson», Le Débat,n°133,janvier-février2005,pp.12-26.Lacitationestpp.17-18.

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de cet état de fait. Mais leur domination a mis quarante ans pour s’imposer. Dans cesconditions,lacapacitéexplicativedumodèleélectoralduréalignementestnulle.Leschématraditionnel est d’autant moins pertinent que la domination républicaine n’a rien destructurel.L’électoratnefonctionnepluspar«blocs»(géographiques,ethniquesousociaux)dont les affiliations partisanes seraient stables. Les républicains en ont fait l’expérience àplusieursrepriseslorsqueleursvictoiresontmenéàdesexcès(Watergate,104eCongrès),oubienlorsqueleleadershipdupartis’estaffaibli(BushSr.).Achaquefois,lesdémocratesontpurebondirenréussissantàpercersur les terresélectoralesduparti républicain.Danscecontexte d’incertitude électorale, le GOP a tendance à jouer la carte de la surenchèreidéologique au risque de s’aliéner le soutien de l’opinion publique. Sous la direction deBillClinton,lesdémocratesontd’abordtentéderépondreparlatactiquedelatriangulationqui les a conduits à modérer leur programme. Mais à partir de l’élection de 2000, laradicalisationest repartiedeplusbelle, affectant cette fois lesdeuxpartis.Depuis lors, labipolarisation,l’affrontementdesextrêmes,semblentêtrelacaractéristiqueprincipaledelascène politique américaine. Cette situation traduit en fait les limites de la positiondominantedes républicains. LesdeuxmandatsdeBushJr.,malgré leseffortsprésidentielspouraffaiblirlesdémocrates,n’ontpasfondamentalementchangéladonne.Lesgainspourles républicainsdans lesannées2000sont très limitéset,dans tous lescas,nepermettentpasd’évoquerunréalignement.LESPERSPECTIVESÉLECTORALESDESANNÉES2000Labipolarisationest laréalitépremièredelascènepolitiqueaméricaine.Lesspécialistesdébattentencoresurlaprofondeurdecettebipolarisationmaisilresteincontestablequ’undegrécertaindepolarisation idéologiquecaractérise lesEtats-Unis18.Cephénomène,déjàsensible dans les années1980, s’est puissamment renforcé au début des années1990,lorsquelesrépublicainsontremportélesélectionsduCongrèssurunprogrammefortementidéologique. Certes, le parti démocrate s’est alors largement recentré sous l’influence deBillClinton et a cherché à se rapprocher des modérés, une orientation qu’il poursuittoujours aujourd’hui.Ainsi, lorsde l’électionde2004, lesdémocratesont-ils repris à leurcompte les thèmes de la sécurité ou de la baisse des impôts fédéraux, ce qui semble àpremièrevuecontredirelathéoriedelabipolarisation.Mais celle-ci est un phénomène militant. C’est la base du parti démocrate qui estfortement engagée à gauche alors qu’à l’inverse, les «nouveaux démocrates» sont lesreprésentants des plus hautes sphères du parti. Par ailleurs, le mouvement vers plus de

18Atitred’exemple,onpeutsereporteràunenoted’actualité(policybrief)n°139:P.S.Novela,«ThinkingAbout Political Polarization», 2005. Disponible sur le site Internet de la Brookings Institution:www.brookings.edu. Je renvoie aussi à un récent rapport de W.A.Galton, E.C.Kamarck, The Politics ofPolarization,ThirdWayReport,octobre2005.

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modérationsefaitàsensuniqueetn’apasvraimentd’équivalentchezlesrépublicains.Aucontraire, les modérés ont du mal à s’imposer au sein de l’appareil du GOP. L’ancragegéographiquedelaformationdansleSudetl’Ouestestsiprofondquel’identitépartisanesedoitd’êtreorthodoxe.Ilyarelativementpeudeplacepourlesmodérésetlescompromissont souvent assimilés à des compromissions. Cette atmosphère de rivalité permanentesuscite un mécontentement et une méfiance qui imprègnent l’ensemble de la scènepublique,commelesoulignait le journalistepolitiqueE.J.Dionneen1991dansson livre,WhyAmericansHatePolitics.Lepoidsdelareligionatendanceàexcluretouteformededébat et les médias aiment construire une vision exclusive des problèmes sociaux etculturels. Dans ces conditions, les élites partisanes tendent à présenter aux électeurs deschoix relativement clairs et tranchés. Comme le souhaitait BarryM.Goldwater lors del’élection de1964, les électeurs se voient offrir un choix véritable, et non pas un simpleécho («a choice, not an echo»), c’est-à-dire une alternative et non pas une simplealternance. C’est la raison pour laquelle les partis politiques ont subi une puissanteréorganisation depuis plusieurs années. Ils se sont certainement «européanisés» dans lesensoùleursstructuressontpluscentralisées,unifiéesetdisciplinées.Lamultiplicationdesprimairesfavoriseégalementlaradicalisationdespositionsenlaissantlechoixdescandidatsauxélecteursdelabase,plusidéologisés.La stratégie électorale des quinze dernières années a toujours reposé sur les mêmesexigences, pour les démocrates comme pour les républicains. Les candidats ont d’abordcherché à mobiliser leurs militants et sympathisants en prenant des engagementsorthodoxes.Ledébats’estsouventorganiséautourdequestionsextrêmementmobilisatrices,désignées comme culturelles, sociales ou symboliques. En2004, la question du mariagehomosexuelenaétéuntrèsbonexemple.Maisonpeuttrouverdesexemplessemblablespourtouteslesélectionsdesannées1990.Chaquepartiestenmesuredeconstruiresurcesbases un soutien d’une force à peu près équivalente, de l’ordre de 35% des voix. Lesobservateursont alors faitdupositionnement sur cesquestionsunevariabledéterminantedu comportement électoral. Depuis les années1960, une importance croissante a étéaccordéeàces thèmesculturels (avortement, armesà feu, environnement,mariage,droitsdes homosexuels). Certes, les questions socio-économiques (niveau d’imposition,intervention de l’Etat fédéral) constituent toujours un important déterminant du vote: leshauts revenus votent républicain et les bas revenus plutôt démocrate. Néanmoins, lesquinzedernièresannéesontmontréqu’uneproportionsignificativedesélecteursdisposantdehauts revenus, certesmodérés/conservateurs sur lesquestions économiques,pouvaientêtre modérés/libéraux sur les questions sociales. A l’inverse, un nombre importantd’électeurs disposant de faibles revenus vivant dans des villes rurales ou des quartiersouvriersvotentpourlesrépublicainsàcausedeleurspositionssurlareligionetlesvaleurs.Pourneprendrequequelquesexemples,c’estcettevariablequiexpliquequeBushaitpus’imposeren2000et2004enVirginieoccidentale,alorsque les facteurspurementsocio-économiquesauraientdûfairepencherl’Etatverslesdémocrates.Al’inverse,desbanlieuesnormalementrépublicaines(selonleniveauderevenusperçuparlesrésidents)–commelescomtés de Montgomery, Bucks, et Delaware, en banlieue de Philadelphie – ont votédémocrate en2000 puis à nouveau en2004. Lors de cette dernière présidentielle, unsondage sortie des urnes réalisé au niveau national a indiqué que les «valeursmorales»avaientconstituélaprincipalemotivationdevotede22%desélecteurs.Cettemobilisation

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sur les valeurs a fonctionné à l’avantage des républicains. Ainsi, en 2004, même sil’expression «valeurs morales» est suffisamment ambiguë pour être critiquée, il n’endemeurepasmoinsque80%desélecteurscitantcelle-cicommeleurpremièremotivationdevotesesontprononcésenfaveurdeGeorgeW.Bush,alorsqueseulement18%ontvotépourJohnKerry19.C’estavecunetactiquesimilairequ’entre1968et1988,lesrépublicainsont remporté quatre des cinq scrutins présidentiels (leur seul échec étant 1976). Mais lamobilisationidéologiquenesuffitpaspours’imposer.Dansuncontextedemobilisationdessoutiens sur des questions dites culturelles, il est ensuite nécessaire de convaincre lesmodérés et les indépendants pour obtenir unemajorité. En d’autres termes, les banlieuesconstituentl’électoratleplusimportantàcapterpouremporterlesélectionsprésidentielles.Là aussi, les républicains ont longtemps été les plus habiles. La progression républicainedans le vote des classes moyennes de banlieues, qui représente un peu plus du tiers del’ensembledessuffrages,aétéquasimentconstantejusqu’auxannées1990oùBillClintonet les nouveaux démocrates se sont à leur tour imposés dans cet électorat.Depuis1992,c’est là tout l’enjeudesprésidentielles.Cetteannée-là,BillClintonaremporté levotedesbanlieuesdedeuxpoints,avec41%desvoixcontre39%àBush.En1996,ilarécidivé,gagnantde5pointscettefois,avec47%dessuffragescontre42%àBobDole.Lasituations’inverse en faveur des républicains en2000. GeorgeW.Bush l’emporte de deux pointsdans les banlieues, avec 49% des voix contre 47% à son adversaire. Ce schéma demobilisationpuisdeséductiondesbanlieues s’est répété sansdiscontinuerpendant touteslesannées1990.IlconvientmaintenantdevoirsileschosesontchangésouslaprésidenceBushJr.,etnotammenten2004.LaprésidencedeBushJr.L’électionprésidentiellede2000relance labipolarisation.Le jourde l’élection,AlGoreremporte le vote populaire national de justesse – avec 48,4% des voix. MaisGeorgeW.Bushs’imposeenFlorideavecunécartde537voixsuruntotalde6millions!Au total, il l’emporte au collège électoral avec 271délégués contre266. Ce résultat estavaliséparlaCoursuprême–Bushv.Gore–quiordonned’arrêterlerecomptedesvoixenFloride. C’est la quatrième fois dans l’histoire du pays qu’un président est élu en étantminoritaire en voix20. Le seul précédent d’une telle controverse remontait à l’électionde1876. Les résultats de l’élection de2000 laissent une nation divisée à parts égales endeux camps fortement opposés. Le Sénat compte 50républicains et 50démocrates, bien 19CesdonnéessonttiréesdeC.E.CookJr.,«L’avenirest-ilrépublicain?»,pp.56-80,inG.Parmentier(dir.),LesEtats-Unisaujourd’hui.Chocetchangement,Paris,OdileJacob,2004.

20PatBuchanan obtient 1% des voix et RalphNader, le candidat des écologistes, 3%, dont 97000 enFloride, enlevant ainsi la présidence àGore… A noter aussi que les responsables religieux n’ont pas gêné lacandidature du gouverneur du Texas. PatRobertson et JerryFalwell sont restés relativement discrets.Quant àPatBuchanan, il a quitté le GOP afin de prendre le contrôle des restes du Parti de la Réforme fondé parRossPerot.

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que les républicains obtiennent le contrôle de cette assemblée en raison du pouvoir dedécision qu’y détient le vice-président. La Chambre des représentants comprend229républicains pour 216démocrates (soit une proportion de 51,3% contre 49,7%). Apeineunanaprès l’acquittementdeBillClintonpar leSénat, lesdémocrates voientdansl’interventiond’uneCoursuprêmeconservatriceunepreuve supplémentairede lavolontérépublicainededétournerlesinstitutionsjudiciairesauprofitdeleursobjectifspolitiques.Lapresse abonde en dénonciations véhémentes par des observateurs connus de la scènepolitique21.Ladécisionde laCoursuprême, institution façonnéedepuis trenteanspar lesrépublicains, a un parfum de collusion dans certains cercles démocrates. Le fait que lepropre frèreduPrésident, JebBush,soitgouverneurdeFlorideaggraveencore leschoses.Depuislors,lahainedesconservateursàl’égardducoupleClintonn’aeud’égalequecelledes libéraux à l’égard de George W.Bush. Contrairement à ce que laissait entendre sonthèmedecampagne–le«conservatismeàvisagehumain»(compassionateconservatism)22,l’attitude du Président durant sa première année de mandat contribuera largement àrevivifierlesénergiesdémocrates.Il y a deux façons de lire l’épisode de la présidentielle de2000. La difficulté de cetteélectionaétéperçuecommeunéchecpourlesrépublicains.Maisl’étroitessedelamargeenelle-mêmeétait certainement le signed’uneévolutionencours. Lorsde la réuniondel’APSA(AmericanPoliticalScienceAssociation)enaoût2000,unpanelprévoyaitl’électiondeAlGorequidevaitobtenirentre52,9%et60%desvoixensuivantlemodèletracéparBillClintonen1992et1996….Lebonétatdel’économiedevaitassureràGoredepasseraisément l’épreuve du feu et une campagne modérée lui permettre de rallier les classesmoyennesetlesbanlieues.Enfin,l’ancragedelafamilleGoredansleTennesseerendaitsacandidature plus crédible dans le Sud. Le fait que Bush se soit imposé alors que lesconditionsétaientidéalespourlesdémocratestémoigne-t-ildelamiseenplaced’uneréelledominationdesrépublicains?CetteperspectiveaétéentoutcascelledesprincipauxconseillersdeBush,enparticulierde KarlRove. Pour ce dernier, les républicains sont en train de devenir un partistructurellementmajoritaire.LeurancragerégionaldansleSudestsuffisammentsolideetlatactiquepopulistea largementdémontré sonefficacitépouratteindre laprésidence.SelonRove, il convient dorénavant de donner une assise solide au parti. Mais comment?L’originalitédeRoverésidedanslechoixqu’ilfaitdemobiliserlesmilitants,deradicaliserlabaseafindeconstruireunecoalitionélectoraledurable. Il inverse la logiqueélectoraledes quinze dernières années: au lieu de chercher à établir des compromis avec lesmodérés,ilchercheàlesrendrepluspartisans.Lechoixdelamodérationcontrel’idéologieneferaitquedécevoirlesattentesdessoutienslesplusfermes,sansassurerlapermanencedescentristes.Lechoixinverse,enrevanche,satisfaitlabase,etlaisseouvertelapossibilité

21Surl’élection,onpeutsereporteraunumérospécialdelaRevueFrançaised’EtudesAméricaines(RFEA),n°90,octobre2001.Voirenparticulierl’articledeV.Michelot,«LaCoursuprêmedansBushc.Gore:duconflitentredroitetpolitique»,pp.61-79.

22L’expressionestdeMarvinOlasky,auteurdeTheTragedyofAmericanCompassion,NewYork,RegneryPublishingInc.,1995.Surcepoint,onliral’articledeD.Lacorne,«GeorgeW.Bush,un‘conservateuràvisagehumain’»,inCritiqueInternationale,n°6,hiver2000,pp.6-11.

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deciblerdesactionsconcrètespour s’assurer le soutiend’une fractiondegroupesprécis,traditionnellement démocrates. Plus modeste, plus ponctuelle, mais aussi plus intense etplus ciblée, cette tactique ne conduit pas à se renier idéologiquement et resteélectoralementpertinente.Eneffet,unaffaiblissement,mêmemineur,dequelquesgroupesclésdelacoalitiondémocratepeutpermettreauxrépublicainsdes’assurerunepositiondedomination de long terme. L’ambition de KarlRove consiste donc à casser l’aller-retouridéologues/modérés caractéristique des derniers scrutins présidentiels. Pour cimenter unemajoritérépublicainesolide,ilfautd’abordsatisfairelabase.Concrètement, il s’agit pour le nouveau président de forcer le passage des politiquesconservatrices. Sans tenir compte des controverses autour de son élection, Bush se lancedans une politique de confrontation avec les démocrates, s’occupant des priorités de sacampagne,notamment lesbaissesd’impôts.A l’exceptionde la réformesur l’éducation,àlaquellelesénateurTedKennedyseraétroitementassociée,lePrésidenttourne ledosàladémarche collégiale qu’il avait adoptée en tant que gouverneur. Il prend nettement sesdistancesvis-à-visdesmodérésduCongrèsetsemontrepeuenclinàtrouveruncompromisaveclesdémocrates,quil’accusentdefairepassersesloisenforce,notammentlapremièrephasedesbaissed’impôts,dansunCongrèsdivisépresqueàégalitéentre lesdeuxpartis.Cetteoptionéconomiqueestprésentéecommeimpérativepourremédieràlarécessiondumoment.Sil’opinionpubliqueesttoujourstrèsfavorableauxbaissesd’impôts,lessondagesrévèlentunmanqued’enthousiasmecertainà l’égarddesmesuresprisesdansce sensparGeorgeW.Bush.Alafindel’été2001,lenombredepersonnessedéclarantsatisfaitesdelagestion du Président chute brusquement. Un sondage Gallup réalisé pour CNN et USATodayetachevéle10septembre2001indiquequecetauxesttombéà51%,soitlechiffreleplusbasenregistréparGeorgeW.Bushenhuitmoisdefonction23.Lesattentatsdu11septembre2001donnentauprésidentBushl’occasiondefairepreuved’autorité,maiségalementdesecréerunelégitimité.Lacriseprovoquéeparlesattentatsaeneffetsoudé lepayset fait grimper lacotedepopularitédeGeorgeW.Bushquiatteint90%, un record pour un président en exercice. Popularité renforcée et prolongée par lavictoireéclairdel’arméeaméricaineenAfghanistan.Laquestiondelasécuritéetdelalutteanti-terroriste permet à l’équipe en place de faire oublier à l’opinion publique desproblèmes aussi sérieux que le déséquilibre budgétaire ou les mauvais résultatséconomiques. Aux élections de mi-mandat en novembre2002, les républicains gagnentdeux sièges au Sénat et six représentants à la Chambre. Il s’agit d’une performance dedimensionhistorique:c’esteneffetlatroisièmefoisdepuislafindelaguerredeSécessionen1865 que le parti au pouvoir à la Maison Blanche ne recule pas à la Chambre lorsd’élections de mi-mandat, et la première fois depuis1934 qu’à l’occasion des premièreslégislatives de son mandat un président n’enregistre pas de repli au Congrès. Lesrépublicains tirent profit de l’incohérence des démocrates, incapables de formuler unealternativeà leurpolitique etqui critiquent lesmodalitésdesbaissesd’impôts touten enapprouvant leprincipe. Ilsbénéficientpleinement de lamobilisationde leur électorat. LastatureacquiseparGeorgeW.Bushaprèsle11septembreetlesoutienqueluiapportentles 23Ces chiffres sont tirés de C. Cook, «L’avenir est-il républicain?», chap.cit. Les résultats des sondagesréalisésparGallupsurlestauxd’approbationdelapolitiquedeGeorgeW.BushpeuventêtreconsultéssurlesiteInternet:www.gallup.com

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membresde sonparti, conjuguésà l’apathiededémocrates incapablesde fairepasserunquelconquemessage, expliquent ce succès inattendu des républicains au vu de l’histoireélectorale. Alors qu’un tiers seulement de la population en âge de voter se rendhabituellement aux urnes pour ce type de scrutin, contre la moitié à l’occasion d’uneélection présidentielle, la participation atteint un taux quasi-présidentiel dans certainsbastionsrépublicains,enparticulierdanslespetitesvilles,leszonesruralesetlesbanlieuesdesrégionsduSud.A l’inverse, lamobilisationdesdémocratesestplus faible,c’est-à-direplus proche de la normale, ce qui annule l’avantage que constituait pour eux lefléchissementdel’économie.Peude tempsaprèscettevictoire, le tauxd’approbationde l’actiondeGeorgeW.Bushcommencenéanmoinsàdécliner,tombantà58%.Sesstratègesavancentàjustetitrequeles chiffres enregistrés après la tragédie du 11septembre avaient atteint des niveauximpossiblesàmaintenir.IlsestimentqueleurreculdoitêtreconsidérécommeunretouràlanormaleplutôtquecommeunebaissedepopularitéduPrésident.Maisilnes’agitpasd’unsimple retour à la normale. L’opinion publique s’inquiète des mauvais résultats del’économie.Silarécessionestofficiellementterminéedepuisnovembre2001,l’emploin’aguèreredémarré.Faceàceshésitations,lastratégierépublicaineestdemettrel’accentsurlesquestionsde sécuritéetsur la lutteanti-terroristes.C’estunevéritablemanipulationdel’opinion publique qui est menée afin de créer un lien – artificiel – entre la menaceterroristeetl’Irak.Etl’opérationestunvéritablesuccès:audébutde2003,unconflitenIraksembleinévitable.L’opinionpubliques’estdétournéedel’économieetaprèsl’invasiondel’Irak, la popularité de GeorgeW.Bush grimpe à 71%. Mais l’embellie ne dure pas.L’absence de toute arme de destruction massive ou de lien entre l’Irak et les terroristesentament considérablement la crédibilité présidentielle. Les développements del’occupation de Irak – en particulier le coût de la reconstruction annoncé en septembre2003 – et l’affaire des sévices de la prison d’AbuGraib dégradent encore l’image duPrésident. GeorgeW.Bush continue néanmoins à jouer la carte de la sécurité contre leterrorismeafind’effacerlesconséquencesdésastreusesdelaguerre.Al’automne2003,lestauxdesatisfactionàl’égarddesonactionsonttombésà50%d’aprèsGallup,soitunpointdemoinsquejusteavantlatragédiedu11septembre24.LavictoiredeGeorgeW.Bushen2004illustrel’efficacitédelatactiquerépublicainedanslesmoisquiontprécédél’élection.Lerebond,habilementconstruitautourdescapacitésdeleaderdeGeorgeW.Bushdanssaluttecontreleterrorisme,aétésuffisammentimportantpourêtrequalifiéderéalignementdéfinitifdelaviepolitique.Savictoireestindéniableetsymboliquementpuissante.Ainsi,TomDaschle, responsablede laminoritédémocrateauSénat(SenateMinorityLeader),estbattudansleDakotaduSud,unepremièredanscetEtatdepuiscinquante-deuxans.Deceseulpointdevue,aucunecomparaisonnepeutêtrefaiteaveclerésultatdel’électionde2000:GeorgeW.Bushaétéélugrâceàsescapacitésetàsatactiqueélectorale.Lesobservateursontnotéqu’ilaprogresséparmitouteslescatégoriesélectorales,ycompriscellesquivotentgénéralementengrandnombrepourlesdémocrates,àl’imagedesHispaniquesparmilesquelsilobtient40%desvoix(contre35%en2000et21% en1996). D’autres groupes traditionnellement démocrates ont été séduits par lecandidat républicain: parmi les électeurs juifs, pourtant solidement démocrates, le vote 24Ibid.

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républicainatteint25%,soituntiersdeplusqu’en2000.Ilfautremonterauxannées1920pourtrouveruncandidatrépublicainrecueillantunepartaussiimportanteduvotejuif.Lescatholiques eux-mêmes ont pris leurs distances avec le candidat démocrate, pourtantcatholique lui-même,puisqu’unemajoritéd’entreeux (lespluspratiquants)avotépour leGOP. Quant aux femmes, elles sont restées majoritairement démocrates, même siGeorgeW.Bushaamélioré le résultatdes républicainsau seindecet électorat,obtenant48%duvotedesfemmes(contre43%en2000)et55%duvotemasculin(contre53%en2000)etréduisantle«gendergap»de10%à7%.Selonlesanalystes,c’estlethèmedelasécurité qui a permis à GeorgeW.Bush de renforcer sa présence au sein de l’électoratféminin,ouplusprécisémentparmi lesmèresde famille (securitymoms). Seuls lesNoirsrestentd’indéfectiblessoutiensauxdémocrates.Néanmoins, la marge de victoire de Bush est la plus faible de toute l’histoire pour uncandidat réélu25. Un glissement relativement limité de voix dans un Etat comme l’Ohioaurait suffi à inverser le résultat (du moins en termes de grands électeurs). Dans cesconditions,lesuccèsde2004doitêtrerelativisé.ContrairementàcellesdeLyndonJohnsonen1964oudeRonaldReaganen1980,lavictoiredeGeorgeW.Bushnes’estpasétendueauCongrès.AlaChambre,lesrépublicainsontobtenu3siègessupplémentaires,maiscelarésultedu«redécoupage»exceptionneldesdistrictsélectoraux (redistricting)quiaeulieuau Texas avec le soutien de TomDelay. Les résultats sont également modestes si l’onconsidère lesélectionsdans lesAssemblées législativesdesEtats,quisontsansdoute l’undes indicateurs lesplusperformantsde l’électorat. Les républicainsenregistrentunepertesèchede66siègessuruntotalde7382siègesauniveaunational.Autotal,lesdémocratesbénéficient d’une microscopique majorité de 4sièges (3660 contre 3656). Avant lesélections,lesrépublicainscontrôlaientlesdeuxChambresdesAssembléeslégislativesdans21Etats; les démocrates dans 17Etats; 11Etats étaient divisés (le Nebraska n’a qu’uneseule Chambre). Après le scrutin, les républicains sont majoritaires dans 20Etats, lesdémocrates dans 19, et 10Etats sont divisés. Si l’élection de2004 avait été un véritableréalignement,lesrésultatsauniveaudesEtatsauraientétéplusfavorablesauxrépublicains.Au Sénat, les gains républicains sont sans doute plus impressionnants avec 5siègessupplémentaires.Néanmoins,ilsproviennentdesEtatsduSud(Floride,Géorgie,Louisiane,CarolinesduNordetduSud)etconstituentleprolongementdubasculementdelarégiondanslecampduGOP.Al’inverse,danslerestedupays,lesrépublicainssubissentlaperted’unsiège:ilssontbattusauColoradoetdans l’Illinois,maisremportentunsiègedans leDakota du Sud. Au niveau présidentiel, seuls trois Etats ont voté différemment en2004et2000. GeorgeW.Bush l’emporte dans deux Etats qui avaient auparavant voté pourAlGore–l’IowaetleNouveauMexique–maisperdleNewHampshireoùils’étaitimposéquatreansplustôt.Si l’ampleur de la majorité républicaine est limitée, il n’en reste pas moins, comme ledésirait KarlRove, que ce résultat découle d’une forte mobilisation partisane. Dans les

25CeconstatestfaitparC.E.CookJr.,dans«Did2004transformUSpolitics?»,inTheWashingtonQuarterly,Vol.28, n°2, printemps 2005, pp.173-186. Voir aussi P.R.Abramson, J.H.Aldrich,D.W.Rohde, «The 2004presidential election: The emergence of a permanent majority?», pp. 33-57, in Political Science Quarterly,Vol.120, n°1, printemps 2005. Sur le vote juif, on lira J.Lefkowitz, «The election and the Jewish vote»,Commentary,février2005,Vol.119,n°2,pp.61-65.

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douzeEtatsdans lesquels l’issuede l’électionétait laplus incertaine, laparticipation s’estaccrue de 17%par rapport à 2000.Dans les Etats «rouges», classés républicains, elle aaugmentéde14%;dans lesEtats«bleus»classésdémocrates, lahausseestde11%.End’autrestermes,lespartisansdeGeorgeW.Bushsemblentavoirétéplusmotivésqueceuxde JohnKerry. Au total, 105millions d’Américains avaient voté en2000; ils ont été122millions en2004. L’équipe de campagne de Bush-Cheney a travaillé en étroitecollaborationavec leRepublicanNationalCommitteeetdesorganismesd’Etat,commelaUSChamberofCommerceetleBusiness-IndustryPoliticalActionCommittee,ainsiqu’avecdes associations religieuses de la société civile. Au total, les analystes estiment que4millions de nouveaux électeurs conservateurs ont été convaincus d’aller voter et passeulementdesBlancsévangéliquescomme leveut la représentationcourante.L’écrasantemajorité était constituée d’électeurs des classes moyennes et de la partie continentale dupays qui considèrent tout simplement que le pays change trop vite et qui imputent ceschangementsaupartidémocrate.Chez lesdémocrates, l’effortaété toutaussi intense. LeDemocratic National Committee, l’AFL-CIO, les groupes écologistes, et toutparticulièrement America Coming Together (ACT), ont fait des efforts gigantesques pourmobiliserleurstroupes,seconcentrantsurlesEtats-pivots(swingStates)commel’OhioetlaFloride,unedouzained’Etatsautotal.Ace jeu, les républicainsontconnuplusdesuccèsquelesdémocrates.JohnKerryrecueillelesoutiende16%d’électeurssupplémentairesparrapportàAlGore;GeorgeW.Bush,lui,obtient23%devotessupplémentairesparrapportà2000.Lenombred’électeursquiontvotépour lecandidatdémocrateestpasséde51à59millions mais ceux qui se sont prononcés pour GeorgeW.Bush sont passés de 50à62millions26.Cependant,cettemobilisationn’estàl’origined’aucunbasculementélectorald’ampleur.Lepassageenforcede2004estvictorieuxsansêtredécisif.Ainsi,lediagnosticfait à propos de l’élection de2000 selon lequel les Etats-Unis sont une nation polarisée,partagée entre 49% de démocrates et 49% de républicains, semble toujours valableen2004.Lavictoireàlaprésidentiellen’apaspermispourautantdeconstituerunemajoriténationalestructurelle.Autrementdit,lacréationd’unemajoritérépublicainedelongtermedemeureunevuedel’esprit.LeprojetdeKarlRoven’atoujourspasaboutietiln’existepasderéalignementdurableenfaveurdesrépublicains.Ilconvientmaintenantd’expliquerleslimitesdecettedominationrépublicaine.L’ascendantrépublicainsurlalonguedurée:quelbilan?Lascènepolitiqueneprésentepaslessignesd’unalignementfavorableauxrépublicains.La majorité qui s’est lentement construite au sein du GOP reste fragile et instable. Lesmargesdevictoirede2000et2004montrentquel’avantagerépublicain,réel,n’apourtantrien de massif. La majorité républicaine est essentiellement réactive, elle rassemble desgroupesfortdifférentsquin’ontqueleursboucsémissairesencommun.Depuislesattentats

26Chiffres tirésdeM.Barone,TheAlmanacofAmericanPolitics -2006,WashingtonDC,National JournalGroup,2005,p.22.

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de2001,lenationalisme,lasécuritéetlaluttecontreleterrorismedonnentsacohérenceàl’actionrépublicaine.Surcettebase,lesobservateursontconcluàunavantagerépublicaindécisif, sans pour autant employer le terme, trop controversé, de réalignement.MichaelBarone, dans son introductionà l’Almanac ofAmerican Politics-2006, semontreainsioptimistepourleGOP.Sonargumentsefondesurlefaitquelescomtésrépublicainsconnaissentuneplusfortecroissancedémographiquequelescomtésdémocrates.C’esttoutparticulièrement le cas pour les banlieues les plus éloignées des centres-ville (exurbs),notammentdansleSud.Parmiles100comtésdontlapopulationaugmenteleplusvite,97ont voté majoritairement pour GeorgeW.Bush en200427. Plus généralement,l’accroissement de la population dans les régions du Sud et du Sud-Ouest, plusconservatrices et républicaines, aux dépens de celles du Nord-Est et du Midwest, pluslibérales et démocrates, renforce le poids des républicains au sein de la Chambre desreprésentants.Demême,entre2001et2003,leseffortsmisenœuvrecôtérépublicainpourgagner des circonscriptions dans les Etats que le parti contrôlait ont été plus souventcouronnés de succès queceux des démocrates dans les Etats où ils étaientmajoritaires28.Pourtant,l’argumentestcritiquable,neserait-cequeparcequecescomtéssontsituésdansdesEtatsdéjàsolidement républicains. L’évolution seraitnettementplussignificative sionl’observaitégalementdansplusieursEtatsdémocrates,cequin’estpaslecas29.En fait, il n’existe pas de base stable pour l’installation d’une majorité pérenne desrépublicains.Sicesderniersont trouvéune formulepourarriveraupouvoir–populisme,mobilisation surdesquestions soitdisant culturelles, ressentiment– ilsn’ontpas réussi àallerplusloin.Lesdonnéesdisponiblesàl’observateurindiquentcertesunerecompositionpartisane,maiscelle-cin’estpasforcémentsurlelongtermefavorableauxrépublicains.Lesvictoires limitées du GOP en2000 et en2004 ne sont pas suffisamment concluantes. Ilexistebienunprojetmajoritaire–orchestréparKarlRove–mais iln’apasabouti.L’idéeprésidentielle, affichée au lendemain de l’élection de2004, de créer une «société depropriétaires» (ownership society) évoquait une volonté de mettre un terme à l’héritagesocialetpolitiqueduNewDeal.Lebutpolitiqueconsistaitàdonneruncontenuconcretà

27Ibid,p.31.

28Lesobservateursontaussirelevéquelesdistrictsélectorauxfavorisentlesrépublicainsdanslamesureoùleurélectoratestpluségalementrépartisurleterritoirequedanslecasdesdémocrates.Lesélecteursdegauchesont en effet plus concentrés dans des grands centres urbains. Ainsi, en 2000, 53% des districts votant pourAlGore avaientunemajoritédeplusde60%d’électeursdémocrates.A l’inverse, àpeine 41%desdistrictsayant majoritairement voté pour GeorgeW.Bush comportaient une majorité de plus de 60% d’électeursrépublicains.L’homogénéitéélectoraledesdistricts,phénomèneenforteprogressiondepuisledébutdesannées1990, bloque ainsi les démocrates dans une position défavorable. Ce constat est fait parG.C.Jacobson,ThePoliticsofCongressionalElections,Pearson,NewYork,6eéd.,2004,p.251.

29La Californie offre des évolutions intéressantes de ce point de vue: au clivage traditionnelNord-Sud sesuperpose un clivage Ouest-Est au fur et à mesure que l’arrière-pays, désertique, se transforme en banlieuesrepliéessurelles-mêmesdontl’orientationidéologiqueestrépublicaine.Ceclivagerégionalreproduitleclivagenational entre les côtes et lamasse continentale du pays. L’enjeu politique estmajeur dans lamesure où laCalifornieestl’Etatlepluspeuplédel’Unionetunbastiondémocratedepuislesannées1960.Surcethème,jerenvoieàl'articledeF.Douzet,«SégrégationetbalkanisationpolitiquedelaCalifornie»,Hérodote,n°122,3etrimestre2006.

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la «révolution conservatrice». Il s’agissait de réussir un «NewDeal républicain», c’est-à-direunetransformationaussiprofonde,bienqu’allantdansunedirectionopposée,quecelleréalisée par Franklin D.Roosevelt dans les années1930. GeorgeW.Bush proposait deréécrire le contrat social américain30. La mesure phare de l’administration, entre2004et2005, a ainsi été la réforme du système de retraite par répartition – Social Security –datantd’uneloide1935,etlapoursuitedelaréformedel’assurancemaladie.Cesmesuresdevaientmodifierlesrelationsdesrépublicainsavecdesgroupesciblésd’électeurscommeles Hispaniques, les Noirs ou encore les retraités. Tout comme la création de l’EtatprovidenceparFranklinD.Rooseveltdans les années1930avait fait,petit àpetit,decesgroupes des soutiens déterminants du parti démocrate, la réforme républicaine a pourobjectif de les faire basculer dans le camp conservateur. Les républicains ont essayé demodifierl'équilibredèsqueleurassiseauniveauprésidentielaétésuffisammentforte.C’estce que diagnostiquaient déjà BenjaminGinsberg et MartinShefter en 199031. LesdémocratesavaientconstituéunréseaudeclientèlesélectoralesàpartirduCongrès,maisaussidel’Etatprovidencefédéral,desagencesréglementaires,delabureaucratiefédéraleetenfin des organismes locaux chargés de gérer les programmes sociaux définis au niveaunational.Ceréseaus’étaitconstituéaprèslesréformesdesannées1930et1960.Ilrésultaitaussi,bienévidemment,delamainmisedémocratesurleCongrèsetdescréditsélectorauxdont ils pouvaient bénéficier32. Les républicains ont créé un réseau similaire autour ducomplexemilitaro-industriel,de laprésidenceetdespartiesde lasociétéaméricainedontles revenus ou les valeurs étaient remis en cause par les organismes sociaux etréglementaires nationaux. Au fur et à mesure de leurs propres victoires au sein desinstitutions nationales – la présidence d’abord, puis le Congrès – les républicains ontconstammentcherchéàaffaiblirleréseaudémocrate,notammentparladéréglementationetles baisses d’impôts qui constituent leurs armes de prédilection. Dans ce contexte, lesréformessocialesenvisagéesparl’équipeBushprennenttoutleursensélectoral.Ceprojetreposesurdesévolutionsquiévoquentunréalignement,maissanspourautantrésulter en une configuration durablement favorable aux républicains. Rappelonsrapidement ces évolutions, déjà abordées dans les pages précédentes. En 2004,l’identification partisane se partage à parts égales entre les républicains et les démocrates(37%pourchacun);c’estunenetteévolutionsil’onconsidèrel’avantagetraditionneldesdémocrates sur ce plan33. Mais au-delà de ce facteur subjectif, des données objectives

30Cesthèmesontétéabordésdansdifférentsarticlesdepresse.Atitred’exemple:J.Harding,«Thevanishingdemocratic majority», Financial Times, 7novembre2003; ou encore, du même auteur, «A RepublicanRoosevelt», Financial Times, 19janvier2005. Le Congressional Quarterly y a aussi consacré un dossier:D.Nather,«ReinventingBushcountry»,24janvier2005,pp.174-183.JerenvoieenfinàB.Tertrais,Quatreanspourchangerlemonde:l’AmériquedeBush:2005-2008,Paris,Autrement,2004.

31B.Ginsberg,M.Shefter,PoliticsbyOtherMeans.TheDecliningImportanceofelectionsinAmerica,NewYork,BasicBooks,1990.Voirenparticulierleschapitres3et4,pp.77-130.

32Lephénomènedu «credit-claiming» (crédits électoraux) est relié à lapratiqueditedu «pork-barrel»quiconsisteàinsérerdanslestexteslégislatifsdesbénéficesdirectspourlesdistrictsdesélus(constructionsdiverses,subventionsetc.).C’estainsiquetoutéluassuresasurviepolitique,c’est-à-diresaréélection.

33Chiffres tirés deM.Barone, Almanac 2006,op.cit., p.25. En 1996 et en 2000, les démocrates avaient

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indiquent aussi qu’une évolution est à l’œuvre. Géographiquement, le Sud constitue unbastion républicain; c’est même la base de la position dominante du GOP. Le parti estencore un peu plus renforcé par son assise dans les Etats des Plaines et des Rocheuses.Socialement, le parti républicain a progressé dans des groupes traditionnellementdémocrates,toutenconservantsesattacheshabituellesdanslesbanlieueslespluséloignéesdes villes ainsi que dans le monde rural. Par ailleurs, d’un strict point de vue politique,l’apparitiond’un tiers-partiavecRossPerotdans lesannées1990illustre l’insatisfactiondupublic vis-à-vis de l’équilibre républicain/démocrate. Enfin, les attentats du11septembre2001 pourraient, pour certains républicains, avoir été le «choc» qui,traditionnellement,conduitauréajustementélectoral.Ces éléments ne permettent pourtant pas d’identifier une majorité républicaine stable.Celle-ci,réelleàtouslesniveauxdugouvernement,demeuretrèsfragile.S’ilexistebienunedominationrépublicaine,ellerestedépourvued’assisenationalepérenne.Lesrépublicainsdoivent faire face à un double danger. La tactique sudiste utilisée depuis1964 pourraits’avérerêtreunpiège.Parailleurs,ladiversitédumouvementconservateuresttellequ’ilestmenacédedivisiondès lorsque «l’Ennemicommun»mis en scènepar les responsablesconservateursneremplitplussonrôle.Enfin,lerisquedemeured’allertroploinsousl’effetd’unetropforteidéologisation.En apparence, la stratégie mise en place dans le Sud a été un succès réel: la«southernization»de laviepolitiqueaméricaineest indéniable34. Lesvaleurssudistesontenvahilascènepolitiquenationale.LesresponsablespolitiquesrépublicainsdeladernièredécenniesontissusdesanciensEtatsconfédérés(ouyontfaitleurcarrière):NewtGingrich,TomDeLay, DickArmey, TrentLott, et , bien sûr, GeorgeW.Bush qui est le premiercandidat républicainà la présidentielle venu du Sud. L’identité du parti de Lincoln a étéprofondément redéfinie au cours des quarante dernières années. Néanmoins, la stratégiesudisteatteintpeut-êtreseslimites.Laquestionracialen’apluslaportéequ’elleavaitilyaquaranteans.Elles’estcertesreformuléeautourdethèmescommeladiscriminationpositive(affirmativeaction)oul’aidesociale(welfare)maissansatteindrel’intensitédudébatracialdesannées1960.Lesautresenjeuxculturels régulièrementmobilisésmontrentdessignesdefaiblesse.Ainsi, laquestionde l’homosexualité: l’oppositionrépublicaineauxmariageshomosexuelsestcertespopulairedansleSud(etdanslesrégionsruralesduMidwest)maislerestedupayssemontrenettementplustolérant.Déjàen1998,l’attitudedesrépublicainsfaceauscandalesexuelimpliquantBillClintonavaitsuscitédesaccusationsdepuritanismeetd’intoléranceàleurencontre.End’autrestermes,lastratégiesudistepourraits’avérerêtreunpiègepourlepartirépublicainenlelimitantàunebaserégionaleexclusive.Commelenotent JohnMicklethwait et AdrianWooldridge, la perte de la Californie dans lesannées1990montreleslimitesdelatactiquerépublicainequiasibienfonctionnédansleSud35. Les thèmesde la raceetde la religionont finalement conduit les républicainsà ladéfaite.Ledébatde1994autourdelaProposition187contrel’immigrationillégaleleuratoujoursl’avantage(39%contre35%).L’écartétaitencoreplusimportantdanslesannées1970et1980.

34Atitred’exemple,onpeutsereporteràP.Applebome,DixieRising.HowtheSouthisShapingAmericanValues,PoliticsandCulture,NewYork,RandomHouse,1996.

35J.Micklethwait,A.Wooldridge,TheRightNation,op.cit.,pp.123-126.

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coûtécherentermesdesoutienhispanique.Orprécisément,certainsstratègesrépublicainsconsidèrent qu’il est particulièrement préoccupant pour l’avenir du parti de ne pas avoirdavantage percé parmi les minorités, en particulier chez les Hispaniques. L’élection durépublicainArnoldSchwartzeneggeren2003aprèslacampagnede«rappel»(recall)contreGrayDavis ne doit pas faire illusion. Le nouveau gouverneur est bien trop modéré pourrépondreauxcritèresidéologiquesnationauxdupartirépublicain.L’autre problème auquel doit faire face lamajorité républicaine est la division. Sous lapression des réalités politiques, le risque de scission est croissant, voire imminent. Lesconservateurs,quiformentungroupeextrêmementhétérogènesurunnombreimportantdeproblèmes fondamentaux,ne sontpasd’accordentreeux sur cequedoit être l’actiondel’Etatfédéral.LeslibertariensveulentunEtatminimal–commeGroverNorquist,pourquiiln’estpasquestiondepermettreàl’Etatfédéraldes’immiscerdanslavieprivéedescitoyens.Ilsdésirentégalementun faibleniveaud’imposition fiscaleet insistentsur laneutralitédel’Etatencequiconcernelesquestionsculturelles.Celalesplaceenoppositiondirecteavecles traditionalistes ou la droite religieuse, qui veulent que les pouvoirs publics soientpleinementactifs afind’inculquer les valeursessentielles à lapopulation. Jusqu’àprésent,lesdeuxgroupessesontopposéssurdesquestionscommel’avortement,laréglementationdutabac,lapornographiesurInternet,lecréationnismebiblique.Ledébatactuelautourdesmesures de protection anti-terroristes est une autre illustration de cette division. Lesdifférentes figuresde l’Ennemiqui se sont succédées jusqu’àprésentontpermisd’assureruneuniontoujoursplusforte.Maisriennegarantitquecelapuissedurer.Orlemaintiendecette alliance est fondamental pour la survie de la majorité républicaine. Et ce n’est pastout:ilestégalementnécessairequelesrépublicainss’imposentparmilesminoritésafinderéaliserunevéritablecoalitionnationale.Mais les responsablesmodérésdupartin’aurontpas la tâche facile. Ainsi, le sénateur JohnMcCain (Arizona) aura-t-il fort à faire pourdépasser l’oppositionde ladroite religieusequidemeureunélémentdéterminantpour leparti républicainauvude ses capacitésmobilisatrices. Lechoixd’uncandidatdémocratequisusciteraituneoppositionfarouchedesrépublicains,commelasénatricedeNewYork,HillaryClinton, permettrait de surmonter cet obstacle. Face à une telle candidature, lesprobabilités d’un rassemblement du GOP derrière un candidat de compromis commeMcCainseraientbeaucoupplusfortes.Enfin,lamobilisationidéologiquequicaractériselesrépublicainsrisquetoujours,commedans les années1990, d’être rejetée par l’opinion publique. D’après SarahBinder, lafaiblesse des majorités républicaines au Congrès les pousse à la faute36. En effet, à longterme, les électeurs ne devraient pas soutenir un parti qui joue sur une polarisationidéologique grandissante dans l’espoir de pallier sa relative faiblesse numérique. Lesrépublicainsparlentconstammentdumandatqu’ilsont reçudupeuple,undiscoursquiaétéceluideGeorgeW.Bushaprèssaréélection.Lorsdesonpremiermandat,ilad’ailleursimposédesmesurestrèsconservatrices,sanstenircomptedelafaiblessedesalégitimité.AuCongrès, les rapports sont plus que tendus. Les règles de procédure spécifiques au108eCongrès, comme le note SarahBinder, ont fortement limité la possibilitéd’amendementdesdémocrates,conduisantàunventderévolte.L’idéologisationdesdébats

36S.A.Binder,«TenmoreyearsofRepublicanrule?»,PerspectivesonPolitics,septembre2005,Vol.3,n°3,pp.541-543.

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du Congrès déborde très largement sur le microcosme washingtonien: au milieu desannées1990, TomDelay (Republican Whip à l'époque) a lancé avec l’aide deGroverNorquistleProjetK-Street.Ils’agissaitd’obligerleslobbiesàengagerunplusgrandnombrederépublicains,souspeinedevoir leursaccèsauCongrèsse fermer.TomDeLay(cette fois Speaker de la Chambre des représentants) a appliqué une tactique similairelorsqu’ila faitunnouveaudécoupagedesdistricts électorauxduTexas,afind’assurerdessièges supplémentaires aux républicains. Sa démission en septembre2005 indique lesrisquescontenusdansunedémarchedece genre. End’autres termes, les républicains sesontlancésdansuneguerred’ampleurauseindumicrocosmewashingtonien.Cetteattitudede confrontation n’a pas, jusqu’à présent, suscité de vague de réaction dans l’opinionpublique.Lepeud’estimedanslaquellelesAméricainstiennentleCongrèsetlesélitesdelacapitale en général explique sans doute leur manque de réactivité face aux outrancesrépublicaines. Néanmoins, il est possible que la situation soit en train de changer. Lesrépublicainssontpeut-êtredevenus,sanss’enrendrecomptesuffisammentvite,lemodèlemêmedes«insiders»qu’ilsdénonçaientpourtanteux-mêmesen1994.Decepointdevue,unscandalecommeceluidans lequelaété impliqué le lobbyisteAbramoff réduitànéantleseffortsrépublicainspourseconstruireuneidentité«anti-establishment»37.MêmesileGOPaeffectivementréussiàélaborerunetactiqueélectoraleefficacequiluiapermisde remporterunnombrede scrutinsdéterminants, il restedifficiled’identifierunemajoritérépublicainedurablementimplantéedanslepays.Leréalignement«enpointillé»quel’onperçoitnedébouchepassurunréajustementpermanentdeséquilibresélectoraux.Lecontextepartisans’estprofondémentmodifié,desortequelabipolarisationidéologiquesembleêtredésormais la règle.En fait, l’impressiond’unedominationrépublicainerésultesurtout de l’affaiblissement des démocrates. Il semble plus convainquant de parler d’unecriseprofondedelacoalitiondémocratequed’unancragedurabledupartirépublicain.Cedernier a certes une tactique, mais pas d’implantation pérenne. Les démocrates, aucontraire, conservent une implantation sociale solide, sans pour autant avoir de stratégiepourcombattreefficacementlepopulismerépublicain.Silacoalitionrooseveltienneestbelet bien morte, les démocrates bénéficient d’une assise réelle dans la société américainequ’ilsneparviennentcependantpasàvaloriser.Dèsqu’ilsdéfinirontunetactiqueprécise,laconfigurationpartisanesembleranettementmoinsfavorableauxrépublicains.Quelrebonddémocrate?Al’instardesgrandspartisdegaucheenEuropedel’Ouest,lepartidémocratesubitunecrise d’identité profonde. La mise en application de l’essentiel de ses idées entre lesannées1930 et1960 a tari ses capacités d’innovations intellectuelles et provoqué son 37JackA.Abramoffestunconsultantpolitiquerépublicainquiaétécondamnéenmars2006àplusdecinqans de prison pour corruption. Il doit aussi rembourser plus de 21millions de dollars. L’affaire a éclaboussél’establishmentrépublicainàWashingtonDC.Aumêmemoment,leSénataadoptéunelégislationrenforçantlecontrôle des lobbyistes, le Legislative Transparency andAccountability Act, qui s’ajoute à la loi de 1995. LaChambredesreprésentantsdoitencoreseprononceravantqueletextenesoitenvoyéauPrésident.

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affaiblissement électoral et l’effondrement de la coalition rooseveltienne. L’initiativepolitique – et aussi largement intellectuelle – est passée dorénavant du côté desrépublicains.C’estcequiexpliquequeceux-cisoientconsidéréscommeétantenpositionde domination durable par rapport aux démocrates. Mais il s’agit là d’une exagérationrésultantd’unemauvaiselecturedelascènepolitiquedupays:silesrépublicainsontunerecette pour gagner les élections, ils ne bénéficient pas pour autant d’un réajustementstructureldel’électorat.Il est vrai que la démographie semble jouer à l’avantage des républicains.Nous avonsdéjàévoquélacroissancedémographiquedeszonesoùlaprésencedesrépublicainsestlaplusimportante,enparticulierlesbanlieueslespluséloignéesdescentres-ville.Enregardantles cartes électorales des élections de2000 et2004, on constate que les démocrates sontdevenuslepartideshabitantsdesmétropoles.Lesvilles,lesbanlieuesquileursontprochesetlescomtésquisontcomposésdeminoritéssontdeszonesàmajoritédémocrates;lerestedupays(zonesrurales,petitesvilles,banlieueséloignées)penchepourlesrépublicains.Larépartition plus égalitaire des électeurs républicains sur l’ensemble du pays facilite lasituationduGOP.Cetteconfigurationmènelesdémocratesà48%desélecteurs–commeJohnKerryen2004–oumême48,4%commeAlGoreen2000.Maislesfacteurssociaux,pourraient bénéficier sur le long terme aux démocrates. Dans leur livre, JohnB.Judis etRuyTeixeira présentent l’argument selon lequel les changements sociaux à l’œuvre auxEtats-Unis jouenten leur faveur38. Ilsmettent enavant l’existenced’unenouvellecoalitiondémocrate.Ilssoulignentparexemplequelesdémocratesontrécupérélesélecteursblancsouvriers,lesfameux«ReaganDemocrats»perdusdanslesannées1980,enmettantl’accentsur les questions sociales et économiques. Ils montrent par ailleurs que les réservesélectorales démocrates sont fondées sur trois groupes en expansion: les femmes (enparticulierlescélibatairesdiplômées),lesminoritésetlesprofessionslibérales.Le comportement électoral des femmes a beaucoup changé au cours des quarantedernièresannées.Lesfemmesontlongtempsétédessoutiensdupartirépublicain,aumoinsjusqu’en1960:lorsdelaprésidentielledecetteannée-là,lesfemmesontsoutenuNixon(à53% contre 46% pour Kennedy). Mais à partir de 1964 avec la candidature de BarryGoldwater,ellesontcommencéàs’éloignerduGOP.Leconservatismesocialdupartineleur convient pas. Leur décrochage d'avec le parti républicain date du début des années1980aumomentdelacontroverseàproposduERA(EqualRightsAmendment)39.Toutaulongdesannées1990,lesfemmesonttrèsmajoritairementsoutenulesdémocrates.Lorsdelaprésidentiellede2000,ellessesontprononcéesenfaveurdeAlGoreàhauteurde54%.L’intégration des femmes sur le marché du travail constitue le facteur explicatif de cetteévolution ; le féminisme a également conduit à politiser certains enjeux et suscitél’engagement politique de nombreuses femmes. Il est d’autant plus compliqué pour lesrépublicainsde gérer cette situationque la catégoriede femmesqui connaît laplus fortecroissance est aussi celle qui est la moins susceptible de voter pour eux. Les femmes

38J.B.Judis,R.Teixeira,TheEmergingDemocraticMajority,NewYork,Scribner,2002.

39L’amendementaétéproposéparleCongrèsen1972.Ilvisaitàinséreruneclauseinterdisanttouteformedediscriminationfondéesurlesexe.Lamajoritéd’Etatsnécessaireàsaratificationn’ayantpasétéatteinteavantladatebutoir(1979),l’amendementaétéabandonné.

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célibataires qui travaillent constituaient 19% de la population féminine adulte en 1970,ellessont29%denosjours;ellesontsoutenuAlGoreàhauteurde67%en2000.Cellesquiontundiplômeuniversitaire–8%des femmesdeplusdevingt-cinqansen1970,àcompareraux24%d’aujourd’hui–ontété67%àvoterpourGore.Al’inverse,lesgroupesdefemmesquivotentrépublicain–lesfemmesaufoyervivantdanslesbanlieueslespluséloignées–constituentunélectoratenconstantediminution.Ledeuxièmegroupeestceluidesminorités.Cetermerassembledesgroupesauxparcourshistoriques extrêmement divers. Les relations entre les minorités et l’appareil démocratedatentduXIXesiècle:les«machines»politiquesontnonseulementpermisl’intégrationdepuissantesvaguesd’immigrationmaisleurontégalementfourniuneforteidentitépartisanedémocrate. Ce fut tout particulièrement le cas pour les Irlandais. Historiquement, lesItaliens,dontlesrapportsaveclesIrlandaisontlongtempsétéconflictuels,constituentsansdoutelaseulepopulationàavoirfaitexception.Alasuitedel’adoptiondelagrandeloisurlesdroitsciviquesen1964,lesNoirsontconstammentvotédémocrateàplusde80%.LesAsiatiquesconstituentungroupeambigu.Les Japonaisontvotéen faveurdesdémocratesaprès l’engagement du parti pour les droits civiques ; les Philippins, eux, votent pour lesdémocrates en qui ils voient les représentants de la classe ouvrière. Les Chinois, enrevanche, soutiennent les républicains par anti-communisme et parce que le parti estfavorableauxpetitscommerçants.Néanmoins, ils sesont tournésdepuisquelquesannéesvers le parti démocrate : la fin de la guerre froide, le recentrage des démocrates et laméfiancecroissanteduGOPvis-à-visdel’immigrationsontautantdefacteursquiexpliquentcette évolution. En 2000, deuxAsiatiques surtrois ont voté pour AlGore. Tout l’enjeuactuellementconsisteàsavoircommentvontvoter lesHispaniques– le«géantendormi»delascènepolitiqueaméricaine.Auseindecegroupe,seulslesCubains,quiconstituent4%du total, votent en faveur des républicains. La plupart desHispaniques sont soit desMexicains (59%) soitdesPorto-Ricains (10%)etcesdeuxgroupesontsystématiquementvotédémocratedepuis lesannées1930.MaislatactiquerépublicainedeGeorgeW.Bushviseàrécupérercegroupeenmettantl’accentsurlesquestionsreligieusesetmorales.Ainsien2000,lePrésidenta-t-ilrecueilli28%duvotedesHispaniquesdeCalifornieetjusqu’à43%deceuxduTexas. En2004, lapercéerépublicaineaétéencoreplusmarquée.Elleatteintauniveaunational40%dutotalduvotehispanique(àcompareraux21%deBobDoleen1996).Lederniergroupeestceluides«professionals»correspondant trèsapproximativementànotrecatégoriedesprofessionslibérales.Plusprécisément,ontrouvesouscetteexpressiondes Blancs hautement diplômés et producteurs de services et d’idées, universitaires,architectes, ingénieurs, scientifiques, informaticiens, avocats, médecins, professeurs,psychanalystes,éditeurs,acteurs,artistes.Aucoursdesannées1950, ilsconstituaient7%delapopulationactive,contreplusde15%aujourd’hui.Endevenantplusnombreux,cesacteursontmodifiéleurorientationpolitique.Jusqu’auxannées1960,ilsétaientprochesdupartirépublicaincarilsvalorisaientlapetiteentrepriseetseméfiaientdesinterventionsdel’Etatfédéral.Lorsdelaprésidentiellede1960,ilsontvotépourRichardNixonàhauteurde61%(contre38%pourKennedy).Depuis lors,unenettemajoritéd’entreeuxestpasséedans le camp démocrate. Pour JohnB.Judis et RuyTeixeira, l’explication semble résiderdansleurévolutionsocio-économique:ens’intégrantdeplusenplusauseindestructurescommelescabinetsoulescentresderecherche,ilsontfaitlapartdeschosesentelalogique

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individuelledemarchéetlaqualitédeleurproductionintellectuelleoudesservicesqu’ilsmettaient en œuvre. Leur sensibilité aux orientations culturelles libérales sont aussi unfacteuràprendreencompte.Cegroupealargementcontribuéentermesdevote,maisaussid’idéesetd’orientationidéologiqueàlatransformationdupartidémocrate.Leurperspective– libérale au plan culturel,modérée au plan fiscal, critique vis-à-vis du marché sans êtrepourautantanticapitaliste– s’est incarnéedans l’émergencedes «nouveauxdémocrates»toutaulongdesannées1990.Cesfacteurssociauxdessinentunemajoritédémocrateendevenir.Certes,cesévolutionsne sontpasautomatiquesetpeuventêtre remisesencausepar lesévénements.Ainsi, lesattentats du 11septembre ont-ils fourni un prétexte inespéré pour rallier autour dupatriotisme les différents éléments de la coalition républicaine, donner une nouvelleimpulsionàladroiteetretarderd’autantlerenouveaudémocrate.Cettesituationtémoignede la vraie faiblesse des démocrates, de leur absence de tactique et de leur incapacité àdéfinir une alternative aux républicains. C’est pourquoi ils ne semblent pas en mesured’obtenir la majorité des suffrages aux élections et, a fortiori, la majorité des voix des270membresducollègeélectoral.Lesdémocratesdoiventdoncdéfinirunestratégiepourretrouverlepouvoir40.Auseinduparti,lesdébatssurl’avenirdivisentlaformationendeuxgroupes.Dans la lignée des «nouveaux démocrates» des années1990, la thèse du recentragepossède encore beaucoup d’attraits. Certains observateurs, comme par exempleWillMarshall, directeur du Progressive Policy Institute (PPI), notent que des tensionsstructurelles existent à l’intérieur du parti, ce qui traduit une profonde crise d’identité.L’imagedupartiauprèsdugrandpublicestcelled’unesimplecoalitiond’intérêtsdontlesobjectifs sont passéistes. Il conviendrait de partir des représentations du peuple pourremédieràlacrisequiestd’autantplusindéniablequelespertesdupartirépublicainnesetraduisentpasforcémentengainspourlesdémocrates.LepartidoitseredéfinirentournantlapageduNewDeal.Pourcettebranchedesdémocrates,unefortepolarisationn’estsansdoutepaslameilleurestratégieàsuivrecarellerevientàaccepterlesrèglesposéesparlesrépublicains.Lesdémocratesdoiventaucontraireretrouvereninternedesthèmesquileurpermettent de faire face à l’offensive républicaine. Il s’agit pour eux de mobiliser leurélectorat,notammentdanslesrégionsduCentreetdel’Ouest,quisontàconquérir.Pourcefaire, quatre directions doivent être explorées. En premier lieu, la question de la sécuriténationale.Surcesujet,lesrépublicainsontl’avantageetlesthèsesd’unMichaelMoorenefacilitent pas les choses pour les démocrates. Ceux-ci devraient s’inspirer de la tradition«faucons libéraux» qui va de HarryTruman à JohnF.Kennedy. En deuxième lieu, ilsdoivent reprendre le flambeau sur la réforme du système de retraite ou de santé. Entroisième lieu, les démocrates doivent récupérer l’électorat des classes moyennes que lesrépublicains ont su séduire. Ils peuvent le faire en cultivant leur image de parti de laredistribution auprès des populations fragilisées par les développements de lamondialisation. Enfin, les valeurs figurent au cœur de la redéfinition du parti et lesdémocrates doivent combler le «fossé patriotique» qui est le leur par rapport aux

40LeCentreFrançaissurlesEtats-Unis(CFE)del’InstitutFrançaisdesRelationsInternationales(Ifri)aorganiséuneconférencesur«Lacrisedupartidémocrate»enoctobre2005.Lecompte-renduestdisponiblesurlesiteInternetdel’Ifri:www.ifri.org

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républicainsetreprendrel’avantagesurlesquestionsdesvaleursfamiliales.Lesdémocratesaméricains pourraient s’inspirer dumodèle des travaillistes britanniques de TonyBlair. Ilsdoivent en fait lutter contre deux conservatismes : celui des républicains et celui d’unegaucheplusextrême.A l’inverse,d’autresexperts, commeStanleyGreenberg, sont favorables àun retourauxvaleurschèresaucœurdesmilitantsdémocrates.Lesélecteursdesclassespopulairesetdesmilieux ruraux ont rejoint le camp républicain. BillClinton a, sans doute volontairement,négligécesélecteurs41.Orc’estsureuxquel’ondoits’appuyerpourretrouverunemajoritédurable. Le problème est donc de savoir comment les ramener au sein de la coalitionprogressiste.Lesdémocratessedoiventdedevenirdesoutsidersafindeprofiterducontextedeméfiancegénéraliséeenverslespartispolitiques.Ilsdoiventfairepasserunmessageantiélites selon lequel ils souhaitent assainir Washington DC et se positionner de façon àrécupérerlesentimentd'unepartiedelapopulationquel’Etatfédéralnetravaillequepourunepetiteminorité.Ilsdoiventégalementrécupérerlesvaleurspatriotiquesetfamilialesetenfin retrouver confianceeneux.Cette tactique serait sansdouteefficacepour limiter lespercées des républicains parmi les minorités, en particulier chez les Hispaniques. C’estl’argument défendu par un rapport remarqué sur les liens de ces derniers avec le partidémocrate42. Selon StanGreenberg et ses collègues, les Hispaniques ayant voté pourGeorgeW.Bushen2004nesesontquetemporairementéloignésdupartidémocrate.Cetéloignementrésultedel’attituderelativementouvertedeGeorgeW.Bushsurlesquestionsd’immigration, son soutien à la famille (son opinion sur le droit à l’avortement et sur lemariage) et sa position sur la sécurité alors que par ailleurs, les démocrates sont restésobscursetconfussurlesthèmesqu’ilsdéfendaient.Maiscettesituationnedevraitpasdurer.Les intérêts et les valeurs des Hispaniques devraient les faire revenir dans le girondémocrate. En d’autres termes, la percée républicaine de 2004 ne devrait pas avoir delendemain.LerapportdeStanGreenbergsoulignel’engagementdesHispaniquesenfaveurde valeurs qui peuvent aisément faire partie du programme démocrate : la protectionéconomique de la famille, la lutte contre la pauvreté, l’amélioration des conditions detravail,ladéfensedelaclassemoyenne,l’importancedelacommunautéetlanécessitéd’unEtatfédéralfort,ladéfensedesopportunitéssociales,del’éducationet,plusgénéralement,laréalisationdu«rêveaméricain».Danscesconditions,cequelesdémocratesontàfaireestsimple:ilsdoiventsesouvenirdequiilssont!Pourl’instant,lepartidémocraten’apaschoisisastratégiedéfinitive.Aladifférencedecequis’estpasséchezlesrépublicains,aucuncandidatetaucunetactiquenesesontimposés.Depuis2000,lescandidatsàlaprésidence–AlGorepuisJohnKerry–sesontcontentésdepoursuivre la tactiqueélectoraledeBillClinton,maissanssepositionnerexplicitementenhéritiers.Lepremiernevoulaitpasêtreassociéàla«Clintonfatigue»(lalassitudevis-à-visdesscandales)etlesecondétaitprisdansuncontextedeguerreoùlepatriotismeétaitunevaleur fondamentale.Mais quelle que soit la raison, le résultat est le même: lemessage

41MêmesiBillClintonavaitpubliéen1992unlivreautitreéloquent,PuttingPeopleFirst.Peut-êtrefaut-ilyvoirl’influencedel’undesesconseillersdel’époque,StanleyGreenberg.

42S.Greenberg, M.Alvarez, M.Hogan, J.Nagler, «Hispanics – Dead center in the democratic world»,DemocracyCorps,WashingtonDC,août2005.

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démocrate n’est pas lisible. Le manque de leadership est donc bien au cœur de la crised’identité des démocrates pour qui il est fondamental de définir une stratégie précisecapable de pallier les initiatives républicaines. Le parti pourrait s’appuyer sur sonimplantation au sein des groupes dont la démographie et la sociologie annoncentl’expansion. Le manque d’initiative du camp démocrate est sans doute ce qui donnel’impression d’une domination durable des républicains. Dans les faits, ces derniers ontcertestrouvéunerecettepourmobiliserleurstroupesetremporterlesélections,maissansaboutirpourautantàunecoalitionpérenne.L'échecd'uneimplantationrépublicainedurableLes mandats du président Bush ne représentent pas de gains substantiels pour le partirépublicain.Ilss’inscriventdansuncyclerelativementprévisible,communicationpolitiquepopulisteetpolarisationidéologique.Forceestdeconstaterquelesprojetsinscritsdansleprogrammedusecondmandatn’ontpasétéréalisésauniveaudomestique.L’administrationrépublicaineestactuellementsurladéfensive,sansespoird’unrebondpourlesélectionsdemi-mandatennovembre2006.Quelquesoitlerésultatduscrutin,ilestpeuvraisemblablequeleprésidentBushsoitcapabledemeneràbienuneréformeaussiamplequecelledelasécuritésocialedanslesdeuxansquiviennent.Lesattentatsdu11septembreluiontpermisde rassembler les différentes composantes de sa majorité et fourni une cible aisée qui aavantageusement remplacé le communisme ou l’Etat fédéral sans pour autant souder lesrépublicains en une coalition électorale durable. Les éléments à la disposition del’observateurpermettentd’évoquerunrelatifréalignementrégionaldansleSud(quipourraitcependant basculer dans le camp démocrate) et une percée au sein de certains groupesminoritaires traditionnellement démocrates. Mais la logique qui anime cette coalition estrestéetroplongtempslimitéeàunecommunicationdemodepopuliste.Silesattentatsontété ponctuellement utiles, ils n’ont pas entraîné de basculement national qui aurait été àl’origined’unnouvelalignement.Leurimpactsocialetnationaln’apasétédemêmenaturequelavaguepopulistedelafinduXIXesiècleoulacriseéconomiquedesannées1930.Eneffet,lacoalitiondeFranklinD.Roosevelts’estconstruitesurlacrisede1929,passurPearlHarbor. En fait, l’illusion d’une domination républicaine durable provient dumanque delisibilité du message des démocrates, de leur positionnement peu clair et de leur crised’identité réelle faceaux initiatives républicaines.Néanmoins, lavisibilité républicainenedoitpasêtreconfondueavec l’ancragedurabled’unedominationduparti. Iln’yapasderéalignementrépublicain.LamontéeenpuissanceduGOPrestefragile.

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QUELLEALTERNATIVEPOLITIQUE?L’ascension du parti républicain au cours des quarante dernières années constitue untournantfondamentaldelaviepolitiqueaméricainecontemporaine.LeGOPs’estconstruitune identité populiste, religieuse et nationaliste sur la base de la puissante réactionconservatrice des Blancs du Sud à l’émancipation des Noirs à partir du milieu desannées1960. L’initiative politique est alors passée dans le campde la droite, conduisantainsiàuneffritementdelacoalitionrooseveltiennedesannées1930.Néanmoins,ceretouren force ne permet pas pour autant d’identifier les éléments permettant de parler d’unecoalitionrépublicainedurable.Laforcedesrépublicainsrésidedansl’élanquilesporteet,c’est là notre argument, dans une incapacité des démocrates à définir une tactiquepermettant de répondre au défi républicain. Les attentats du 11septembre2001 ontcertainementcompliquélatâchedesdémocrates,l’avantagerépublicainsurlesquestionsdesécuritéétant indéniable.Lesdémocratesenontétéréduitsàessayerdenepasse laisserdistancer.End’autres termes, la réactionnationalistesuscitéeparcesattaques terroristesafourniauxrépublicainsuneassisesupplémentaire.Ilsontdorénavantàleurdispositionunenouvelle figurede l’Ennemisur lequelconcentrer leurs forces.Pourtant, lesattentatsn’ontpas fondamentalementaltéré le rapportdes forcesélectorales.Commenous l’avonsvu,siles facteurs démographiques et géographiques jouent à l’avantage des républicains, lesévolutionssociales,elles,bénéficientde façondécisiveauxdémocrates.Cesderniers sontcertesdépourvusdetactiquemaispasderessources.Onpourraitdirequelesrépublicainsconnaissentunesituationprécisémentinverse.Laconfigurationpolitiqueactuellepeutêtreutilementéclairéeparleprécédenthistoriquedes années1920. A l’instar des «roaring twenties», la période contemporaine donnel’impression d’une domination de la droite. De même, les questions «culturelles» ou«sociétales» occupaient, à cette époque comme de nos jours, une place fondamentalecomme l’illustre le retour de l’interrogation autour du darwinisme. La libéralisation et lemarché constituaient, à l’époque comme aujourd’hui, l’alpha et l’oméga du modèleaméricain.Dans les années 1920 encore, l’AmériqueWASP célébrait son triomphe et sedésintéressaitde l’Europe.Les républicainsétaient pleinement enphaseavecunpaysquiétaitpourtant sur lepointde sombrer. LeGOP représentait en effet l’Amériquedupassé,celledudécollageindustrieldelafinduXIXesiècle,del’isolementdurestedumonde,ce«gilded age» ou cette période de «normalcy» tant désirée après le traumatisme de laPremièreGuerremondiale.Al’inverse,lesdémocratesétaientsurlepointderassemblerenunemêmecoalitionlamajoritédeslaissés-pour-comptedecemodèle–paysans,ouvriers,petites classes moyennes – et des immigrants (seuls les Noirs seront exclus jusqu’auxannées1960).Illeurmanquaitpours’imposerunleaderetuneopportunité,deuxélémentsquileurserontfournisentre1929et1932.Denosjours,lesrépublicainsassoientaussileurdominationsurunregret,celuiquis’exprimepourl’Amériquedesannées1950,voirecelledes années1920. Ils ontmobilisé contre le double héritage duNewDeal et de laGreatSocietyavantdediversifierleursidées.Iln’enrestepasmoinsqueleurorientationgénéraleest celle du rassemblement des mécontentements. Leurs soutiens électoraux, blancs etsudistes, sontenpassededevenirminoritairesdans lesdécenniesàvenir. Les évolutionssociologiques travaillent en effet pour les démocrates. A eux de savoir les utiliser endéfinissant une stratégie et une orientation. La majorité républicaine, réelle, est faible etfragile.Amoyenterme,ellepourraits’avérerêtreunleurre.

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Annexes

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Les Etudes du CERI - n° 127 - septembre 2006

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Figure4.L’électiondu104èmeCongrèsSource:FederalElectionCommission *LeSénat

103èmeCongrès:CompositionduSénat 104èmeCongrès:CompositionduSénat

Légende:RépublicainsDémocrates

*LaChambredesReprésentants

Sièges Partipolitique

1992 Elus Evolution

Pourcentagedessièges

Pourcentageenvoix

Partidémocrate 258 204 -54 46.8% 44.7%

Indépendant 1 1 +0 0.2% 0.7%

Partirépublicain 176 230 +54 52.8% 51.5%

Total 435 435 +0 100.0% 100.0%