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19 Santé conjuguée - juillet 2006 - n° 37 CAHIER COURSE D’OBSTACLES POUR SOINS DE SANTÉ PRIMAIRES ©Sandrine Palmaerts

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19Santé conjuguée - juillet 2006 - n° 37

D ’ O B S TA C L E S

C O U R S E

CAHIER

COURSE D’OBSTACLES

POUR SOINS

DE SANTÉ PRIMAIRES

©S

andrine Palm

aerts

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Un premier texte d’Isabelle Heymans nous accorde sur les termes et les conceptsconcernant les soins de santé primaires, et nous brosse un tableau de ce que disent

diverses institutions publiques et publications scientifiques de l’organisation optimaled’un système de santé et des soins primaires.

Pourquoi des soins de santé primaires ? page 25Isabelle Heymans, médecin de santé publique, membre de la cellule politiquede la Fédération des maisons médicales

Les soins de santé primaires ont bonne presse en Belgique. Certes, les 30 à 40 dernières annéesont été marquées par un développement à la fois fulgurant et continu (c’est dur !) des soinsspécialisés, des hôpitaux, des lignes de second et troisième recours, qui ont amassé un capitalsymbolique, social et financier inestimable. Malgré cela, tout au long de cette période, le discoursélogieux sur les soins de santé primaires n’a jamais faibli. Au début, ce discours sentait un peul’encens, parant le dévoué médecin de famille de toutes les vertus théologales et, dans la foulée,républicaines. Ensuite vinrent les premières productions théoriques sur les soins de santé primaires,cristallisées à Alma Ata puis à Ottawa et Adélaïde, enfin à Ljubjana. Les soins de santé primairesrécoltaient ainsi un vif succès d’estime. Dans les années 90, des études internationales unanimementsaluées montraient que le niveau de santé d’une population est proportionnel au niveau dedéveloppement des soins de santé primaires dont elle bénéficie. Mais ce n’est qu’à la fin du XXème

siècle que se concrétisèrent les premières (timides) (très) retombées du préjugé favorable dont lessoins de santé primaires jouissaient depuis si longtemps. Pour la petite histoire, cela correspond,en Belgique, à l’époque où le Groupement belge des omnipraticiens profita des premières électionsmédicales pour faire entendre la voix des généralistes, au moment aussi où on s’avoua que l’on nepouvait plus suivre la progression des coûts du système de santé (en gros ceux de la médecinehospitalo-centrée et du complexe médico-industriel). Aujourd’hui encore, les avancées en soinsde santé primaires, bien que réelles, demeurent maigres et à tout dire insuffisantes pour que l’onpuisse parler d’un renouveau de notre système de soins.

Mais, remarquerez-vous, êtes-vous en train de dire que les soins de santé primaires se sont nourrisde belles paroles pendant tout ce temps ? Après le silence diplomatique constituant notre réponseà votre question, vous poursuivrez : comment cela est-il possible ? Comment peut-on en mêmetemps claironner l’importance du premier niveau de soins et privilégier, à son détriment, ledéveloppement des autres niveaux ?

C’est, à quelques nuances près, la question que Santé conjuguée vous propose d’explorer. Lesnuances : notre propos n’est pas d’instruire un procès du passé et de désigner des coupables, maisd’identifier quels sont aujourd’hui (et quels seront demain) les freins et obstacles au développementdes soins de santé primaires en Belgique. Notre objectif étant évidemment d’en tirer lesenseignements pour renverser le cours d’une histoire qui, sans cela, mène à leur disparitionprogressive. Démarche que nous soutenons non du désir de préserver un mode d’approche de lasanté qui serait voué à l’obsolescence mais au contraire de la conviction que la santé de lapopulation à tout à gagner à un retournement de paradigme.

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Les cinq auteurs suivants nous entraîneront dans une réflexion socio-politiqueet sociologique qui précisera les différents enjeux de notre question.

Les services de santé de première ligne en Belgique sont-ils sur la voie

du changement ? page 31Jean-Marc Jallay, licencié en sciences de la santé publique, M.Sc. santécommunautaire, conseiller à l’Institut Emile Vandervelde

Le choix de l’assurance sociale et de l’organisation hospitalo-centrée de l’offre de soins.Deux orientations historiques qui expliquent le faible développementdes soins primaires en France page 36

Yann Bourgueil, MD, MPH, MBA, directeur de recherches, Institut de rechercheet de documentation en économie de la santé, Paris

La santé en voie de privatisation européenne page 41Henri Houben, docteur en économie, membre du secrétariat d’Attac-Bruxelles.

Une relecture de notre existence économique.L’exemple de la production pharmaceutique page 44

Christian Léonard, économiste, professeur de politique de santé à l’Institut Cardijn

Ce que nous révèle le manque d’une politique de soins de santé primaires page 48Bernard Francq, sociologue, professeur à l’université catholique de Louvain-la-Neuve

La tendance à assimiler soins de santé et médecine, bien qu’obsolète, est encorevivace. Les trois auteurs suivants recadreront donc notre problématique dans une

perspective moderne, donc pluridisciplinaire, des soins de santé primaires.

La première ligne, ce n’est pas que l’affaire des médecins généralistes ! page 51Coralie Ladavid, assistante sociale à la maison médicale du Gué

Une infirmière en première ligne… pour quoi faire ? page 53Miguel Lardennois, infirmier, président de l’Association belge des praticiens de l’artinfirmier

Vers la transdisciplinarité page 55Micheline Rosière, infirmière indépendante et infirmière de deuxième ligneen soins palliatifs

L’organisation des soins de santé, et donc le choix ou le refus d’une orientation« soins de santé primaires », est avant tout une question de volonté politique :

nous avons demandé à trois hommes publics impliqués dans la politique de santéde préciser les conceptions des soins de santé primaires que prône leur parti

ainsi que leurs perspectives d’avenir.

Pour une culture (politique) des soins de santé primaires page 57Paul Galand, député EcoloInterrogé par Axel Hoffman, médecin généraliste à la maison médicale NormanBethune, coordinateur de rédaction

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Glissement de soins page 61Benoît Dreze, ingénieur industriel, député fédéral cdH et Olivier de Stexhe,juriste, conseiller parlementaire cdH

Du danger des décisions doctrinaires ou administratives page 64Daniel Bacquelaine, médecin, président du Groupe MR à la Chambre desreprésentants, Commission de la santé publique et des affaires sociales

Des représentants de la médecine générale (maisons médicales, Domus medica,Groupement belge des omnipraticiens), et un fonctionnaire de l’INAMI,identifient divers freins au développement des soins de santé primaires,

dont certains, même si cela parait paradoxal, sont actionnés par la professionelle-même, consciemment ou non.

Des obstacles sociologiques mais aussi professionnels page 66Jean-Paul Dercq, médecin, inspecteur général, direction Recherche, Développementet Qualité de l’INAMI

Les soins de santé primaires ne seront jamais « people » page 69Olivier Mariage, médecin généraliste à la maison médicale du Gué

Il faut sauver le médecin généraliste page 71Piet Vanden Bussche, médecin généraliste

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Les freins à un développement des soins primaires… vus par le Groupement belgedes omnipraticiens, principal syndicat de généralistes page 74

Anne Gillet-Verhaegen médecin généraliste, vice-présidente du Groupement belge desomnipraticiens (GBO)

Les interventions suivantes donneront la parole aux organisationsqui représentent les travailleurs et les usagers du domaine de la santé :

syndicats et mutuelles. Ils nous feront entre autres comprendrela difficulté à administrer un système qui se veut à la fois

de grande qualité et accessible à tous, et comment les soins de santé primairesdevraient y prendre leur place.

Soins de santé primaires : ensemble, on est plus fort ! page 78Jean-Marie Léonard, secrétaire fédéral du Syndicat des employés, technicienset cadres (SETCa)

Syndicats de travailleurs et soins de santé primaires :« Je t’aime, moi non plus » ? page 81

Yves Hellendorff, infirmier, secrétaire national du non-marchand à la Centralenationale des employés (CNE)

Changer le monde avec les Mutualités chrétiennes et les généralistes page 83Entretien avec Jean Hermesse, secrétaire national, Christian Léonard, économiste,service d’études, et Yves Van Houte, médecin directeurPropos recueillis par Isabelle Heymans, Pierre Drielsma, médecins, membres de lacellule politique de la Fédération des maisons médicales

Paysage avec hôpitaux, soins primaires et mutualités page 86Bernard Antoine, directeur de l’action sociale à Partenamut

De l’efficience avant toute chose page 88Interview de Jean-Marc Laasman, directeur du service d’études de l’Union nationaledes mutualités socialistes, Michel Boutsen, médecin attaché à ce même service etThierry Poucet, rédacteur en chef du périodique RenouerInterview par Isabelle Heymans, médecin, membre de la cellule politique de laFédération des maisons médicales

Nous terminerons notre interrogation sur la place de soins de santé primairesen prenant de la distance : les soins de santé primaires peuvent-ils assurer une

couverture santé aux populations d’Afriquemalgré l’intervention intempestive des occidentaux ?

Les soins de santé primaires : une stratégie négligée pour l’organisation des servicesde santé en situation de crise complexe page 95

Kahindo Jean-Bosco, médecin, et Porignon Denis, médecin, Centre scientifique etmédical de l’université libre de Bruxelles pour ses activités de coopération - Cemubac

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Enfin, une cueillette bibliographique vous permettrade poursuivre une libre réflexion

Cueillette bibliographique des obstacles à la réforme des soins de santéen faveur des soins de première ligne page 98

Pierre Drielsma, médecin généraliste au centre de santé Bautista van Schowen, membrede la cellule politique, responsable du service d’études de la Fédération des maisonsmédicales

Conclusion page 111Isabelle Heymans et Jacques Morel pour la cellule politique de la Fédérationdes maisons médicales.

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Brève définition des soins desanté primaires

Par soins de santé primaires, nous entendonsles soins de premier niveau, c’est-à-dire leniveau du système de soins qui est la ported’entrée dans le système de soins, qui offre dessoins généralistes, globaux, continus, intégrés,accessibles à toute la population, et quicoordonne et intègre des services nécessaires àd’autres niveaux de soins (Macinko 2003).

Une définition plus complète des missions dessoins de santé primaires est proposée plus loin.

Il nous parait essentiel à ce stade de s’accordersur les mots pour disposer d’un langagecommun mais aussi pour sortir de jugementsde valeur mal à propos. La confusion soins depremière ligne / soins de santé primaires faitpartie de ces difficultés.

Si l’on observe un système de santé à partir del’offre de services, on doit pouvoir y releverdes niveaux d’offre de soins : à sa base, leniveau primaire, non segmenté, ni par âge nipar sexe ni par type de problèmes ni par organe

Pourquoi des soins de santé primaires ?Isabelle

Heymans,médecin de santé

publique, membrede la cellule

politique de laFédération des

maisonsmédicales.

Extrait deHeymansIsabelle,

Argumentairepour un système

de santé fondésur des soins de

santé primaires etpour le soutien au

développementde centres de

santé intégrés,Fédération des

maisonsmédicales et des

collectifs de santéfrancophones,

Vereniging vanWijkgezond-heidscentra,juillet 2005.

○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○

○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○

Que faut-il entendre par soins de santéprimaires, comment en apprécierl’impact sur la santé des populationset quelle lecture peut-on faire dumanque de ressources qui leurs sontallouées.

Mo

ts clefs : politique de santé,soins de santé prim

aires,systèm

e de santé, santé publique.

ni par capacité financière des usagers. Ce niveauprimaire est censé pourvoir répondre à 90 %des problèmes de santé d’une population nonsélectionnée du tout venant. Ensuite le niveausecondaire, niveau de référence, et finalementle niveau tertiaire, celui de la médecine de hautetechnologie (hôpitaux universitaires). Ces deuxderniers niveaux sont par définition spécialiséset donc segmentés.

L’autre angle d’observation est celui de la de-mande, du lieu où le patient prend contact avecle système et dépose son problème. Ce lieu serala première ligne. Particulièrement dans notrepays où l’accès aux différents niveaux n’est paséchelonné et donc libre, la première ligne pourrase situer à beaucoup d’endroits, y compris dansle niveau secondaire et même tertiaire : lesservices d’urgence en sont un exemple, maisun Brussels menopause center aussi.

Le rôle des soins de santé primaires ne doit pasêtre défini isolément mais en relation avec lesautres constituants du système de santé. Lessoins primaires et secondaires, généralistes etspécialisés, ont tous des rôles importants. Ilsne sont pas mutuellement exclusifs maisnécessaires au système. Toutefois, les avancéestechnologiques, l’amélioration de l’éducationet de la formation, les changements de besoinsliés à la transition épidémiologique, les change-ments sociaux et de mode de vie accroissentles besoins en soins de santé primaires, etappellent à une organisation telle que ces soinsprimaires soient dans la plus grande majoritédes cas la première ligne.

Un système de santé basé surdes soins de santé primairesest plus efficace, plus efficientet de meilleure qualité

● Le point de vue des organisationsinternationales

Les soins de santé primaires sont devenus en1978 l’une des politiques clés de l’Organisationmondiale de la santé lors de l’adoption de ladéclaration d’Alma-Ata et de la stratégie de la« santé pour tous en l’an 2000 » (OMS 1978).

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Ainsi, entre autres, l’Organisation mondiale dela santé a émis dans la Lubljana Charter onReforming Health Care, parmi ses principesfondamentaux, la nécessité pour les systèmesde santé européens d’être orientés vers les soinsde santé primaires et de permettre, à travers cessoins primaires, d’assurer la promotion de lasanté, l’amélioration de la qualité de vie, laprévention et le traitement des maladies, laréhabilitation, la prise en charge des douleurset les soins palliatifs, la participation despatients dans la prise de décision concernantleur santé, l’intégration et la continuité dessoins, en tenant compte du contexte culturelspécifique (OMS 1996).

Dans son Rapport sur la santé dans le monde2003 – Façonner l’avenir, l’Organisation mon-diale de la santé encourage fortement à uneimportante évolution vers le modèle de sys-tèmes de santé basés sur les soins de santéprimaires. Ce rapport fait état du fait que vingt-cinq ans après la déclaration d’Alma-Ata, nom-breux sont ceux qui dans le monde de la santéestiment essentiel de privilégier les soins desanté primaires pour une progression équitablede la santé. L’Organisation mondiale de la santéconsidère que les soins de santé primaires cou-vrent des principes-clés dont : l’accès universelaux soins, la couverture en fonction des besoins,l’engagement à garantir l’équité en matière desanté dans le cadre d’un développement orientévers la justice sociale, la participation commu-nautaire à la définition et à l’exécution desprogrammes de santé, l’adoption d’approchesintersectorielles de la santé.Citons : « L’expérience montre que les meil-leurs résultats sont obtenus dans des systèmesde santé dotés de services de soins de santéprimaires intégrés et efficaces, probablementparce qu’ils permettent d’assurer des serviceslongitudinaux plus complets et coordonnés ».

L’OECD Economic surveys - Belgium 2005(OECD 2005), après analyse de la situationbelge en matière de santé, émet ces recom-mandations : « le Gouvernement devrait vigou-reusement encourager les patients à prendrepour principe de consulter leur médecin géné-raliste en premier lieu (sauf en cas d’urgence) ;il devrait pour cela ne pas rembourser les fraismédicaux des patients qui n’ont pas été référéespar leur généraliste ».

Pour l’OCDE, l’absence d’échelonnement enBelgique conduit à une utilisation inadéquatedes ressources médicales par les patients. Lestentatives actuelles d’augmenter les incitants àpasser par le médecin généraliste ne sont passuffisamment fortes. L’augmentation de laresponsabilité des généralistes par l’ajout durôle de gate keeper, induit par l’échelonnement,doit être rétribué. La nécessité d’un systèmeintégré de soins de santé est explicitée, avec unrôle pivot pour le généraliste. Outre ce rôle degate keeper, le rôle de coordination des proces-sus de soins à long terme et le fait d’être lapremière source de contact pour le patient et safamille sont aussi reconnus. Par l’exemple del’octroi de guidelines adéquats, l’OCDE cite lanécessité pour le système de donner aux généra-listes les moyens nécessaires pour assurer leurrôle grandissant.

Au sujet du financement des soins de santéprimaires, nous citerons encore ce rapport del’OCDE (OECD 2005) qui offre un bon résuméde ce qui se passe en Belgique : « En Belgique,les médecins sont payés à l’acte. Ce mode derémunération incite les praticiens à gonfler levolume d’actes par la réalisation de services etprescriptions inutiles. (...) Un système à la capi-tation peut inciter les praticiens à sous-traiterleurs patients, à référer plus rapidement ensecond ligne ou à sélectionner les personnesavec un faible risque de maladie. En réponseaux impasses des deux modes de paiement,certains pays évoluent vers un système depaiement plus complexe qui combine une partiefixe (capitation ou salaire) avec un paiement àl’acte pour certaines interventions spéci-fiques ».

Lors de la conférence informelle de l’Unioneuropéenne Shaping the EU Health community,à Den Haag les 7-9 septembre 2004, pas moinsde 440 experts en soins de santé, provenant desvingt-cinq états membres de l’Union euro-péenne, se sont réunis pour émettre ensembledes recommandations qui ont été exprimées auxministres de la Santé des pays concernés. Parmices recommandations, il était question de lahaute priorité des soins de santé primaires etde la santé publique dans le développement dessystèmes de santé. Il était aussi fait état de lanécessité de postposer le plus possible la dépen-dance des personnes âgées, par la promotion

Pourquoi des soins de santé primaires ?

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de la santé et le maintien autant que possiblede la santé, ce qui nous semble bien être desmissions qui peuvent le mieux, au sein dusystème de soins, être prises en charge par dessoins de santé de premier niveau (VanBennekom 2004).

● Les preuves dans la littératurescientifique

Si l’on recherche dans la littérature scientifiqueinternationale, on peut aussi trouver des argu-ments objectifs en faveurs du développementdes soins de santé primaires.

Starfield et Shi (Starfield 2002) ont classé treizepays industrialisés de plus de cinq millionsd’habitants d’après le niveau d’importanceaccordé aux soins de santé primaires dans leursystème de santé, et les ont comparés pour desindicateurs de la santé de la population, ainsique pour le coût des services de santé. Lesauteurs ont observé que plus le système a uneforte orientation vers des soins primaires, plusles coûts de l’ensemble des services de soinsde santé sont bas. L’impact d’une orientationen faveur des soins primaires est aussi positifsur divers indicateurs de santé de la population,et ce particulièrement dans les premières annéesde vie de la population. Un impact positif semarque également pour les personnes âgées,mais sera plus sensible à l’importance dufinancement global du système de santé et dela coordination entre première et deuxièmeligne, qui doivent permettre des référencesefficaces aux services spécialisés et plus techni-ques en cas de besoin.

Parmi les quinze caractéristiques utilisées pourdonner un score aux pays étudiés, il ressort quetrois caractéristiques liées au système de santéet deux caractéristiques liées aux pratiques desoins primaires distinguent plus particulière-ment les pays les moins performants en termesde soins de santé primaires. Les caractéristiquesliées au système et insuffisamment rempliesdans les pays moins performants sont : ladistribution équitable des ressources, unecouverture assurantielle universelle, et uneparticipation financière personnelle directefaible ; les caractéristiques liées aux pratiquesde soins primaires sont l’offre de services glo-baux et intégrés (compréhensive primary care

services), et orientés sur les familles. D’aprèsStarfield et Shi, une réforme du système desanté qui, en plus d’accorder une importanceplus grande aux soins de santé primaires, sepencherait en priorité sur ces caractéristiques,devrait contribuer à une meilleure santé globale,et à un moindre coût.

Une étude similaire réalisée sur dix pays en1991 (Starfield 1991) concluait également à unimpact positif de soins primaires développés.Il y était en outre indiqué que les résultats desservices de soins de santé sont aussi influencéspar la présence et la performance d’autresservices sociaux, et d’un système d’éducationpublique adéquat.

D’après ces deux études, la Belgique se situeparmi les pays les moins bien cotés pour la placelaissée aux soins de santé primaires.

Toujours d’après Starfield (Starfield 2005), lenombre de médecins généralistes en activitéinfluence positivement les indicateurs de santé,alors qu’une fois dépassé un certain seuil, lenombre croissant de spécialistes a un effetnégatif. Les soins de santé primaires améliorentaussi l’équité des services de santé. Un systèmede santé fondé sur des soins de santé primairessoutenus serait donc plus équitable, plusefficace et plus efficient.

D’après B. Starfield, les acteurs de soins desanté primaires permettent une prise en chargeadéquate des demandes de première ligne, avecune référence après évaluation de la nécessité,par opposition aux spécialistes dont le métierest de rechercher « les zèbres parmi les che-vaux ». Les acteurs de soins primaires per-mettent donc de limiter les examens techniquesinutiles. Les soins de santé primaires permettentaussi une approche globale des différentes co-morbidités présentées par les patients en prenanten compte les particularités sociales, familiales,psychologiques, culturelles de la personne. Lesspécialistes ont pour fonction de se focalisersur des pathologies liées à des sphères précisesde la médecine et de bien les maîtriser. Si lesdeux métiers sont complémentaires, les patientsont énormément besoin de la fonction desynthèse et de suivi des généralistes. Enfin, lessoins de santé primaires sont les mieux placéspour être des observatoires de la santé globale

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de la population, et pour déterminer les besoinsles plus fréquents et les plus importants.

Macinko et al. (Macinko 2003) ont égalementétudié les données de l’OCDE de 1980 à 1998pour étudier la contribution des soins de santéprimaires sur des indicateurs de santé. Leurétude leur permet d’observer que l’importanceaccordée aux soins de santé primaires est inver-sement associée à la mortalité toutes causesconfondues, à la mortalité prématurée pourasthme, bronchite, emphysème, pneumonie,pathologie cardio-vasculaire et maladie cardia-que. L’auteur conclut qu’un système de soinsprimaires solide et des caractéristiques depratique telles que la régulation géographiquede l’offre, la continuité, la coordination, l’orien-tation vers la communauté sont associés avecune meilleure santé de la population.

Les auteurs observent également qu’au fil detoutes ces années, peu de pays ont amélioré lesbases essentielles de leur système de soinsprimaires, et cela s’avère vrai pour la Belgique,qui garde depuis 1980 le même score, parmiles plus bas.

La liste est longue de références biblio-graphiques arrivant elles aussi à une corrélationentre développement des soins de santé pri-maires, meilleurs résultats pour les indicateursde santé (morbidité et mortalité), meilleuresatisfaction des usagers et moindre coût pourles systèmes de sécurité sociale. Citons, auniveau européen, le rapport de synthèse duHealth Evidence Network (HEN), un servicede l’Organisation mondiale de la santé Europe,publié sur base d’une recherche bibliographiqueétendue (plus de cent références) ou encore lerapport European Primary care, édité par leGezondheidsraad néerlandais en 2004 (Gezond-heidsraad 2004) qui fait aussi état d’une longuerecherche bibliographique montrant les plusgrandes efficacité et efficience des systèmes desanté basés sur des soins primaires soutenus.

● La satisfaction des patients

La même étude du Health Evidence Network(HEN 2004) rapporte que, excepté auRoyaume-Uni (probablement pour des raisonsde trop faible budget global alloué au systèmede santé), le niveau de satisfaction est plus élevé

dans les pays qui présentent des soins de santéprimaires importants. Ainsi, le Danemarkprésente le meilleur taux de satisfaction de lapopulation au sujet des soins de santé, satis-faction attribuée à la grande accessibilité dessoins de santé primaires délivrés dans ce pays.Mais la satisfaction des patients dépend aussidu type de services offerts par les soins de santéprimaires : mode de délivrance des soins, acces-sibilité en dehors des heures de bureau, médecintraitant identifié, continuité, prévention.

Une enquête réalisée par Test santé (Test santé2000) auprès d’un échantillon représentatif dela population belge, apporte comme infor-mations, que :

• 95 % des personnes ont déjà un médecintraitant, et 75 % le même depuis plus de cinqans. Parmi les 5 % sans généraliste attitré,plus de la moitié seraient prêts à se limiter àun seul généraliste, soit spontanément, soits’il y a un incitant financier.

• 90 % des personnes interrogées sont favo-rables à un dossier médical centralisé, et par-mi eux, 92 % trouvent que c’est le généralistequi doit être le détenteur de cette tâche. 87 %trouvent que les spécialistes devraient êtreobligés d’envoyer les résultats et rapportsd’examen au généraliste détenteur du dossier.

• L’échelonnement obtient moins d’adhésion.Toutefois, un certain nombre de patientsretourneraient chez le généraliste pour lepremier contact s’il y avait un avantage finan-cier à le faire. On doit remarquer dans lescommentaires de cette enquête, le manque deconnaissances de la population quant auxactivités tant curatives que préventives quipeuvent être avantageusement réalisées enmédecine générale.

Ces informations montrent bien que pour lapopulation aussi, le généraliste, acteur centraldes soins de santé primaires est très important.Ce n’est donc pas de là que doivent s’expliquerdes résistances au développement de soins desanté primaires comme base et fondement duservice à la population en matière de soins desanté.

D’après le même article faisant état d’une en-quête auprès de généralistes, ceux-ci consi-dèrent l’inscription de tous les patients chez un

Pourquoi des soins de santé primaires ?

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médecin de leur choix comme une priorité pourla réorganisation des soins de première ligne.Ce qui signifierait que l’opinion de beaucoupde généralistes ne correspond pas à ce quecertaines voix dans la profession veulent laisserentendre.

Mais alors, pourquoi nedéveloppe-t-on pas plus lessoins de santé primaires�?

C’est la question que se pose le Health EvidenceNetwork (HEN 2004) : malgré l’amoncellementde preuves en faveur des soins de santéprimaires, l’allocation des ressources, dans lamajorité des pays, favorise toujours les hôpitauxet les soins spécialisés.

Cela s’expliquerait en partie, d’après ce rapport(HEN 2004), par la perception de ce que sontles soins de santé primaires, de ce qu’ils ont àoffrir : les décideurs politiques, tout commebeaucoup de professionnels de la santé, lesvoient comme une activité de bas niveau, avecun effet faible sur la mortalité et la morbidité,et comme ayant surtout un rôle de triage pourl’accès aux hôpitaux, plutôt que de considérerleur contribution effective et positive au gainde santé.

Cette inefficience dans l’allocation des res-sources a pourtant des implications pour l’é-quité et l’efficience des services. Cela pourraitexpliquer pourquoi la dépense publiquecroissante pour le système de soins n’amélioreni l’équité d’accès ni les résultats de façonproportionnelle, et a moins d’impact sur le statutmoyen de santé que ce qui pourrait être attendu.Il semble donc que les politiques, les profes-sionnels de la santé, et la population, doiventencore être mieux informés sur le concept desoins primaires et sur les bénéfices qu’ilspeuvent apporter.

En Belgique, les soins de première ligne et lamédecine générale qui en est le pivot sont encrise depuis plusieurs dizaines d’années. Cesmétiers du social et de la santé, pourtant fonda-mentaux, font l’objet d’un désamour tant desprofessionnels que des pouvoirs publics :conditionnement de la formation, absorption de

l’ensemble des soins par les deuxième et troi-sième niveaux (hôpitaux et services universi-taires), faible intérêt politique souligné dansplusieurs études internationales, attributionsfinancières dérisoires pour les missions impar-ties théoriquement aux soins primaires.

Nous faisons le constat de l’existence en Belgi-que de modèles multiples de dispensation dessoins primaires. Sans orientations clairementdéfinies par la politique, les dispensateursindividuels ou collectifs poursuivront chacun,c’est logique et compréhensible, leurs propresobjectifs. Ces modèles peuvent soit convergersi on les organise dans ce sens, soit camper surdes positions inconciliables.

Faute de ces choix, nous craignons que le sec-teur « ambulatoire » général ne se trouve confi-né à remplir par défaut les tâches abandonnéespar le secteur hospitalier ; les services deproximité se tariront et les soins à domicile sestructureront uniquement par rapport à lagestion des flux à l’hôpital. En terme quantitatif,sur le plan financier, on assisterait à l’accrois-sement de la tendance inflatoire actuelle, et enterme qualitatif, sur le plan humain, on hypothé-querait la prise en compte des individus dansleur globalité et l’humanisation des structuresde soins.

L’Organisation mondiale de la santé, dans sonRapport sur la santé dans le monde 2003,

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déclare que si la qualité des soins dépend dansune certaine mesure des caractéristiquesindividuelles du personnel soignant, les niveauxde performance sont bien davantage fonctionde l’organisation du système de soins de santéoù s’effectue le travail. Pour l’Organisationmondiale de la santé, reconnaître que la qualitédes soins de santé est essentiellement liée ausystème est le premier pas vers l’améliorationtant du déroulement que des issues des soinsde santé.

Pourquoi des soins de santé primaires ?

References

Atun R., What are the advantages and disadvantagesof restructuring a health care system to be morefocused on primary care services ?, Health EvidenceNetwork (HEN) Synthesis report. Copenhagen, Whoregional Office for Europe, 2004, 18p.

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Introduction

L’amélioration de l’organisation et de l’offrede services de santé de première ligne est unepréoccupation importante de la plupart des paysindustrialisés ou en développement. L’organi-sation des services de première ligne constitued’ailleurs, aux yeux de plusieurs, l’un des en-jeux majeurs des systèmes de santé. L’Orga-nisation mondiale de la santé en a fait un levierimportant de sa politique de développement dela santé des populations. La Belgique n’échappepas à cette tendance.

Les services de santé de première ligne enBelgique sont-ils sur la voie duchangement ?

Jean-MarcJallay, licencié

en sciences de lasanté publique,

M.Sc. santécommunautaire,

conseiller àl’Institut Emile

Vandervelde.

Mo

ts clefs�: soins de santé primaires,

santé publique.

Notre système de santé est basé sur unmodèle professionnel qui repose sur lemodèle biomédical. Une évolution versun modèle communautaire intégrésemblerait rendre notre système plusperformant à de nombreux point de vue.

○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○

○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○

Plusieurs modes d’organisation des services desanté de première ligne existent, allant de lapratique médicale isolée à l’organisationmultidisciplinaire intégrée. En outre, de plus enplus d’éléments empiriques montrent que lesmodèles organisés autour de la pratiqueinterdisciplinaire sont associés à des résultatssignificativement plus élevés en matière decontinuité des soins, de qualité des soins, desatisfaction des patients, etc.

Pourquoi, alors, les modèles d’organisation deservices de santé de première ligne n’évoluent-ils pas tous, et surtout pas plus vite, vers ce mo-dèle d’organisation qui rassemble les résultatsles plus favorables ? Il est pourtant nombre depays qui ont emprunté cette voie et qui béné-ficient, aujourd’hui, d’un système de soins desanté primaire très intégré.

Les différents modèlesd’organisation des services desanté de première ligne neconduisent pas tous aux mêmerésultats

Un collectif de recherche canadien1 a analyséles caractéristiques des modèles d’organisationdes services de santé de première ligne rencon-trés dans la plupart des pays industrialisés :Canada, Etats-Unis, Europe, Océanie. Il aréalisé une taxonomie de ces modèles en agré-geant les différentes caractéristiques de tous lescas étudiés. Cette taxonomie2 a permis d’iden-tifier quatre grands types de modèles d’organi-sation des services de santé de première ligne.

Ces quatre modèles se différencient en toutpremier lieu par leur vision des services depremière ligne. Deux modèles reposent sur unevision qualifiée de professionnelle. Les deuxautres modèles reposent sur une vision ditecommunautaire.Selon la vision professionnelle, les services de

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première ligne ont comme finalités et respon-sabilités de fournir des services médicaux à despatients qui se présentent pour l’obtention deces services (clients) ou à des personnes qui sesont librement inscrites (adhérents) auprès del’une ou l’autre des entités responsables des ser-vices de première ligne pour l’obtention de leursservices.

Selon la vision communautaire, les services depremière ligne ont pour finalités d’améliorer lasanté de la population résidant sur un territoiredonné et de contribuer au développement de lasanté des gens résidants dans l’entité locale. Ilsont pour responsabilités de répondre auxbesoins de santé de cette population et de luiassurer l’ensemble des services médicaux,sanitaires, sociaux et communautaires requis.

Les modèles communau-taires se différencient parleur intégration aux autrescomposantes du système desoins : intégré ou nonintégré. Plusieurs carac-téristiques de leurs ressour-ces, structure organisation-

Les services de santé de première ligne en Belgique sont-ils sur la voie du changement ?

Efficacité

Continuité

Qualité

Diminution des coûts

Diminution utilisation totale (Substitution)

Accessibilité

Réactivité

Equité-Accès

■ ▲

▲▲

▲▲

Modèles professionnels Modèles communautaires

Modèle professionnel de contact Modèle communautaire non-intégréModèle professionnel de coordination Modèle communautaire intégré

Quatre modèles d’organisation des services de première ligne

nelle et pratiques laissent transparaître leurdegré différent d’intégration.

Les modèles professionnels se différencient àleur tour par les finalités poursuivies quant à lafourniture de services : un modèle professionnelde coordination qui a pour finalités de fournirdes services (médicaux et parfois associés à desservices infirmiers) continus, principalement àdes adhérents ; et un modèle professionnel decontact qui a pour finalité d’assurer l’acces-sibilité aux services (exclusivement médicaux)de première ligne3.

L’analyse de cette taxonomie nous autorise àpenser que l’organisation actuellement domi-nante des services de première ligne en Bel-gique s’inspire du modèle professionnel de

Modèle prof.de contact

Modèle prof.de coordination

Modèle comm.non intégré

Modèle comm.intégré

Performanceoptimale

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contact. Toutefois, les centres de santé intégrésqui se développement au départ des maisonsmédicales en Belgique se profilent plutôt dansle cadre du modèle communautaire intégré.

Au-delà de la taxonomie des modèles, ce sontles effets associés à ces différents modèles qu’ilest utile d’analyser. Globalement, les donnéesempiriques, analyses de cas et méta-analyses,croisées par les avis d’experts, montrent queles modèles d’organisation des soins de santéprimaires orientés vers la pratique interdisci-plinaire sont associés à des résultats de perfor-mance du système de santé significativementplus élevés.Le modèle communautaire intégré ressortcomme le plus avantageux aux plans de l’effi-cacité (de santé et de service), de la qualité(technique et pertinence), du contrôle des coûtset de l’utilisation (effet de substitution entre lapremière ligne et les autres niveaux), ainsi quede l’équité. Il comporte pourtant des lacunessur le plan de l’accessibilité (notamment auxservices de première ligne). Quoi qu’il en soit,le modèle communautaire intégré apparaîtcomme celui qui maximise l’atteinte du plusgrand nombre d’effets.

Les services de santé depremière ligne�: un systèmeorganisé d’action

L’organisation des services de santé de premièreligne peut être perçue comme un systèmeorganisé d’action4. Elle résulte du jeu d’acteursqui, dans un champ social (les services depremière ligne) et un environnement définis(entité géopolitique) interagissent pour mobi-liser et utiliser des ressources afin de produiredes activités, biens ou services, nécessaires àla poursuite de leur projet collectif et à l’atteintede leurs objectifs.

Comme système organisé d’action, les servicesde première ligne se décomposent en six dimen-sions : la vision, les ressources, la structureorganisationnelle, les pratiques, l’environ-nement et les effets.

La forme des organisations se base sur unecohérence qui existe entre les caractéristiquesdes organisations. Une cohérence est suscetibled’exister entre la vision qu’ont les acteurs de lapremière ligne, les ressources qu’ils mobilisent

Résultats associés aux quatre modèles d’organisation des services de santé de première ligne

Vision

Res

sou

rces

Structure organisationnelle

Interventions SoinsPratiques

Acteurs Acteurs

Acteurs Acteurs

Trajectoire souhaitée d’unesituation

Trajectoire observéed’une situation

Système organisé d’action

Environnement

Autre facteursdéterminantsdu phénomène

Effets

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et le cadre organisationnel dont ils se dotentpour assurer la fourniture de ces services. Lespratiques qui guident cette fourniture sontsusceptibles, à leur tour, d’être influencées parla vision des services de première ligne, lesressources qui y sont consacrées ainsi que lastructure organisationnelle.

Un modèle d’organisation est donc une confi-guration particulière de la vision des servicesde première ligne, des ressources, de la structureorganisationnelle et des pratiques qui estconceptuellement distincte et empiriquementobservable, à un moment donné, dans uncontexte défini.

Le rôle essentiel de la visiondes acteurs…

Le système organisé d’action nous apprenddonc qu’un système de services de santé depremière ligne ne peut fonctionner avec perfor-mance que s’il s’organise en cohérence avec lavision qu’en ont les acteurs essentiels qui lecomposent. De même, des évolutions fonda-

mentales du système - dans ses ressources etdans sa structure - ont bien plus de chancesd’aboutir favorablement si celles-ci sont enadéquation avec la vision (conception) del’organisation qu’en ont les acteurs. Cette visionenglobe les croyances, représentations, valeurset finalités qui permettent aux acteurs decommuniquer et de se comprendre dans leurrôle, mais aussi de donner du sens à leursactions.

Dans notre système de santé « biomédical » telqu’on le connaît en Belgique, le corps médicalest, au sein des acteurs directs du systèmeorganisé d’action, indéniablement le leaderd’opinion et de valeur le plus influent. Cemodèle biomédical est centré sur la maladie,sur l’organe et sur la causalité biologique. Seloncette logique, l’acteur principal ne peut être etne doit être que le médecin puisque c’est luiseul qui détient le pouvoir acquis du fait de sapossession de l’information et de la connais-sance pour pouvoir donner les réponsesenseignées par le modèle biomédical auxbesoins de santé exprimés par les gens. Commele modèle biomédical est dominant dans notresociété, celle-ci reconnaît le médecin commel’acteur principal de son système de santé. Enoutre, ce modèle se pérennise et n’est pas oupeu remis en question puisque c’est le modèlebiomédical classique qui reste le principal axede formation des médecins.

Dans notre système de santé, le leadershipd’opinion et de valeurs qui s’exerce au départdes syndicats médicaux est fait avec unecertaine efficacité. D’autant que notre systèmeest conçu de telle manière que ce sont lessyndicats qui jouent un rôle important dans lesrapports avec l’Etat, en particulier avec lesinstitutions relevant de l’assurance maladieobligatoire et de la santé publique, puisque seulsles syndicats reconnus comme représentatifspeuvent participer à la négociation.

Tout changement fondamental de modèledominant d’organisation de services de santéde première ligne passera donc, inévitablement,par les acteurs influents du système et, plusparticulièrement, par la vision qu’ils ont dumodèle le plus performant vers lequel il fauttendre. Une des clés de l’évolution du modèlebelge d’organisation des services de santé de

Les services de santé de première ligne en Belgique sont-ils sur la voie du changement ?

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première ligne réside donc, sans doute, dans lacapacité des acteurs, convaincus de l’intérêtgénéral du modèle communautaire intégré àcontinuer à faire évoluer le modèle biomédicaldominant, à éveiller les futurs acteurs princi-paux du système de santé aux avantages et auxintérêts du modèle communautaire intégré (viala formation des médecins, la formation desprofessions de santé, la formation continuée),et dans leur capacité à devenir démocratique-ment les leaders d’opinion au sein des groupesd’influence effectifs.

En guise de conclusion…

De plus en plus d’éléments empiriques, associésaux avis d’experts des systèmes de santé indi-quent que les systèmes de santé de premièreligne organisés autour d’un modèle communau-taire et intégré rencontrent un niveau deperformance en matière de qualité de soins, decontinuité et d’efficience (coût/bénéfice) plusélevé. En Belgique, l’évolution progressive denotre modèle biomédical dominant vers unmodèle communautaire et intégré semble doncêtre pertinent.

Des modifications légales et règlementaires,dans les ressources ou dans les structures, peu-vent introduire des incitants ou des con-traignants pour l’amélioration de notre systèmede services de santé de première ligne. C’est àce niveau que le législateur peut jouer un rôle.Il le fait en partie : forfaitarisation dans lefinancement de certaines pratiques, incitants àla pratique de groupe ou multidisciplinaire,incitant à l’utilisation de la bonne trajectoirede soins qui trouve son origine, dans la plupartdes cas, auprès de son médecin de famille, etc.

Toutefois, ces éléments ne seront pas suffisantsou se confronteront à de sérieuses résistancesau changement si les acteurs du système nes’inscrivent pas favorablement dans cette voie,et ce, parce qu’ils partagent la vision de ce moded’organisation. Le rôle des leaders d’opinion,et notamment des leaders médicaux, constituedonc un facteur clé de la réussite de l’évolutionde notre modèle belge d’organisation des servi-ces de première ligne vers encore plus d’effi-cience, de continuité et de qualité des soins, au

moins aussi important que toutes les disposi-tions légales qui pourraient être prises.

Notes

(1) La réflexion présentée dans cet article s’inspiredes travaux entrepris en 2003 par un collectif derecherche canadien qui a réalisé une analysecomparée des modèles d’organisation des servicesde première ligne. in Lamarche P, Beaulieu MD,Pineault R, Contandriopoulos AP, Denis JL,Haggerty J. Choices for change : the path forrestructuring primary healthcare services in Canada,Canadian Health Services Research Foundation,2003.

(2) Ibidem 1.

(3) Les caractéristiques complètes des quatremodèles présentés dans la taxonomie peuvent êtreconsultées dans le rapport de recherche sur http ://w w w . c h s r f . c a / f i n a l _ r e s e a r c h /commissioned_research/policy_synthesis/pdf/choices_for_change_f.pdf.

(4) Ce concept a été développé et utilisé pourcaractériser d’une façon générale toute interventionpar Contandriopoulos A.P., Champagne F., DenisJ.L., Avargues M.C. (2000), « L’évaluation dans ledomaine de la santé : concepts et méthodes », Revued’épidémiologie et santé publique, 48, 517-539. Ilest en partie emprunté à : Rocher G. Talcott Parsonset la sociologie américaine, Paris, P.U.F. 1972 ;Parson T., Social Systems and the Evolution of ActionTheory, New York : Free Press, 1977 ; Bourdieu P.,Wacquant L., Réponses, Paris, Seuil, 1992 ;Freidberg E. (1993), Le pouvoir et la règle, Paris,Seuil. Il.

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Les soins primaires sont considérés commeinexistants en France. Ils ne se seraient doncpas développés à l’instar de ce qui s’est passéau Royaume-Uni et dans le Nord de l’Europe.Les soins ambulatoires sont néanmoins trèsdéveloppés en France où une large offre de soinsde première ligne existe. Plutôt qu’un défaut

Le choix de l’assurance sociale et del’organisation hospitalo-centrée de l’offrede soinsDeux orientations historiques qui expliquent lefaible développement des soins primaires en France

Yann Bourgueil,MD,MPH, MBA,directeur derecherches,Institut derecherche et dedocumentation enéconomie de lasanté, Paris.

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Le système de santé français fonctionnesur un modèle élaboré au milieu duvingtième siècle, qui soumet l’organi-sation des soins ambulatoires à la con-vention médicale entre assureurssociaux et syndicats de médecins d’unepart et l’organisation de la médecine àl’hospitalocentrisme. Ce système, quin’a pas permis le développement dessoins primaires, montre aujourd’hui seslimites. Mais est-il possible de le réfor-mer autrement qu’à la marge ? Aquelles conditions la diminution annon-cée du nombre de médecins peut-elleconstituer une opportunité pour intro-duire une nouvelle organisation dessoins primaires ?

de développement des soins primaires, nousdevrions parler d’un excès de soins primairespour certains acteurs (densité élevée de méde-cins généralistes, médecins spécialistes de ville,de pharmaciens, de professionnels de villes) etun défaut pour d’autres structures spécifiquescomme la Protection maternelle et infantile, lamédecine scolaire et la médecine du travailnotamment.

Le système de santé français se caractérisesurtout par une absence de coordination etd’organisation planifiée du champ ambulatoire.Il n’existe pas de projet explicite global de soinsprimaires, entendus au sens de soins ambula-toires intégrés et coordonnées organisés dansune logique populationnelle. Dans la conceptioninitiale du système de santé, les patients et lesprofessionnels de santé étaient peu contraints.Le médecin était et reste libre de son choixd’installation, le patient est libre du choix dumédecin et ce dernier reste libre dans son choixde traitement. Les honoraires ont fait l’objetd’une réglementation par le biais du conven-tionnement en laissant toujours ouvert unsecteur à honoraires libres. Dans cette configu-ration, la coordination des soins repose de faiten grande partie sur le patient et/ou sa familled’une part et les modalités d’entente entre lesdifférents professionnels (confiance, formationcommune initiale, conventions plus ou moinsexplicites). Cette absence ou ce mode decoordination selon les points de vue est inscritde manière implicite dans l’enseignementdélivré dans les facultés. Les jeunes profession-nels y construisent traditionnellement leur iden-tité sur le modèle du travailleur indépendant.De fait, l’organisation des soins est un « im-pensé » de la formation des professionnels ausein des écoles de médecine où seul importe lecolloque singulier.

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37Santé conjuguée - juillet 2006 - n° 37

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Des orientations initialesdéterminantes

L’absence de développement des soins pri-maires, au sens d’un projet global rationneld’organisation des soins fondé sur une approchepopulationnelle et hiérarchisée, s’expliqueprincipalement par des orientations majeuresqui ont été prises dans le passé pour définir notresystème de protection sociale d’une part et notresystème de soins d’autre part. Ces orientationsconstituent le cœur d’un accord social qu’ilparaît particulièrement difficile de re-former,eu égard notamment aux conditions historiquesde sa constitution.

Le premier acte fondateur est celui de la créa-tion de la protection sociale en 1945. Préparépendant la guerre par la résistance française,ce projet a confié aux partenaires sociaux dansle cadre de la démocratie sociale, la gestion dela solidarité nationale par l’assurance sociale.L’assurance maladie, comme l’assurancechômage, les retraites et la protection de lafamille est alors inscrite dans un idéal de justice.Le soin est un droit, il constitue également uneforme de redistribution. Les partenaires initiauxsont les représentants des employeurs, lesreprésentants des salariés et passent contrat avecles représentants des médecins. L’Etat intervientpeu dans le jeu, tout du moins au début. C’estd’abord la logique de la prestation aux assurésqui prime et non celle des soins délivrés à lapopulation. Ce faisant, la priorité n’est pasl’organisation rationnelle des soins sur une basepopulationnelle. Pour l’assurance maladie, ils’agit avant tout de défendre les intérêts desassurés. L’ambition initiale de 1945 était de cou-vrir l’ensemble de la population. Cet objectifne sera atteint qu’au milieu des années 90. Le

choix de l’assurance, qu’elle soit volontaire ouobligatoire universelle comme mécanisme definancement du risque maladie a inscrit lefinancement des soins dans les rapports sociauxdu travail. De notre point de vue, cette orienta-tion a constitué un obstacle majeur au dévelop-pement d’une approche territoriale et popula-tionnelle de l’organisation des soins qui carac-térise l’organisation des systèmes de soinsprimaires. Les élus de la démocratie sociale nesont pas élus sur une base territoriale maisprofessionnelle. L’état légitime pour protégerla santé des populations ne disposait pas dulevier des soins ambulatoires. Le morcellementinstitutionnel de la santé a ainsi naturellementlimité le développement de l’approche territo-riale intégrée des soins et actions de santéprimaires. Les pays où l’état gère le systèmede santé (béveridgiens) dans le cadre d’unservice public de santé, qu’il soit décentralisécomme en Norvège, Finlande, et Suède, ou cen-tralisé comme au Royaume-Uni, ont développéune organisation territorialisée des soins ambu-latoires. A l’inverse, la plupart des pays qui ontdes systèmes à assurance sociale (bismarckiens)comme l’Allemagne et la Belgique ou à assu-

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C A H I E R

rance privée comme les Etats-Unis n’ont pasdéveloppé de façon systémique les soinsprimaires.

Le deuxième acte fondateur qui a porté essen-tiellement sur le système de soins est constituépar la réforme Debré de 1958. Cette réforme,également préparée pendant la deuxième guerremondiale (Jamous 1969) a été imposée aux mé-decins par ordonnance sans discussion devantle Parlement. Elle a créé les centres hospitaliersuniversitaires sur le modèle des AcademicHealth Centers imaginés au début du XXème

siècle (Flexner 1910) aux Etats-Unis. Elleorganise le système de soins français selon unmodèle qui ne laissera pas de place aux soinsprimaires. Mais surtout, cette réforme introduitune hiérarchie au sein de la profession médicale,au sommet de laquelle se trouvent placés ceuxqui en constituent aujour-d’hui toujours l’élite :les professeurs de méde-cine dotés d’un doublestatut d’hospitalier et d’universitaire. La grandetradition anatomo-clinique française du XIXème

siècle se prolonge donc alors dans le domainede la biomédecine avec de nombreux succès etun développement remarquable. Le soin ducorps, sa mise en image, son analyse scienti-fique par organes et systèmes ainsi que saréparation sont les moteurs premiers de lamédecine hospitalière qui se spécialise ets’étend dans le secteur ambulatoire où elleoccupe une place croissante. La médecineomnipraticienne devient générale et se trouveprogressivement reléguée au bas de l’échellemédicale. L’équivalence introduite dans lesannées 80 entre le prestigieux concours del’internat qui distinguait les meilleurs et l’accèsunique à la médecine spécialisée assi-milera lesmédecins généralistes aux étudiants ayantéchoué à l’internat. La médecine généraleconstitue désormais dans l’imaginaire de lapopulation et des médecins eux-mêmes lerésidu des générations d’étudiants qui n’ont pasréussi à accéder au statut de spécialiste. Cettehiérarchisation est encore retrouvée dans lechoix des étudiants avant le troisième cycle desétudes médicales (Billaut 2006). La médecinegénérale, marquée par l’image de l’officier desanté décrit par Flaubert dans Mme de Bovary,n’a pas de relais institutionnels ou profession-nels. De fait, il n’y a pas de recherche ni d’en-seignement en médecine générale pendant denombreuses années. La pratique de la médecine

générale n’est pas conceptualisée et n’est doncpas enseignée pendant de nombreuses années.Il n’existe aujourd’hui aucun poste titulaire deprofesseur en médecine générale au sein del’université. On dénombre 104 postes deprofesseurs associés en médecine généraletravaillant à temps partiels pour un objectif deformation de 50 % de médecins généralistesavec des promotions de 7.000 étudiants par an.L’élite hospitalo-universitaire constituée par lesprofesseurs de centres hospitaliers universi-taires est très proche de l’administration del’Etat. Elle poursuit ses intérêts propres qui sontprincipalement hospitaliers et universitaires(Jobert 1994). Le champ ambulatoire reste ledomaine des partenaires sociaux qui négocientla convention médicale avec les syndicats demédecins libéraux. La création du syndicat MGFrance au début des années 80, vécue commeune trahison par les syndicats médicaux tradi-tionnels illustre la progressive division du corpsmédical et la divergence d’intérêts entre les dif-férents sous-groupes de médecins. Le syndicatMG France revendique depuis sa création unrôle de gate keeper pour les généralistes dansle but d’une meilleure efficience du systèmede soins. On observe un mouvement équivalenten Belgique francophone. Les soins primairessont largement assimilés à cette revendicationet se retrouveront dès lors pris dans les affronte-ments syndicaux relayés par les grandes forma-tions politiques.

Dans ce contexte, les soins primaires sont placésà la marge du monde médical et de l’assurancemaladie. Ils sont pris en charge par les collec-tivités locales comme le Conseil général quigère la Protection maternelle et infantile puisla prise en charge de la dépendance, les muni-cipalités qui développent les services de soinsinfirmiers à domicile, la lutte contre les mala-dies vénériennes, l’hygiène. Certaines villes,majoritairement communistes et socialistesfavoriseront le développement de centres desanté dans une logique de soins primaires. Leursactions resteront marginales. Certainesspécialités ou secteurs d’intervention sanitairesseront créés en France, comme la psychiatrieavec la création des secteurs, la médecine sco-laire et la médecine du travail. Ces initiativespeuvent être considérées comme des démarchesde soins primaires qui restent néanmoinslimitées.

Le choix de l’assurance sociale et de l’organisation hospitalo-centrée de l’offre de soins

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D’un modèle devenu inadéquatà une nécessaire refondation

Le champ des soins primaires ne s’est donc pasdéveloppé de façon importante en raison dumorcellement institutionnel des populationsconcernées et de l’éparpillement des compéten-ces à intervenir sur la santé entre de multiplesinstitutions et acteurs. L’orientation majoritairede l’élite médicale vers l’hôpital a contribué àdévaloriser symboliquement les soins depremière ligne.

Depuis vingt-cinq ans, plusieurs constats ontobjectivé l’inadéquation entre l’organisation denotre système de soins et l’évolution des be-soins et de la demande de soins. L’épidémie deSIDA, l’émergence des associations de patients,le développement de l’économie de la santépointent à leur façon les différents travers d’unsystème morcelé, construit principalement surle soin technique au corps malade et considérécomme assez peu efficient. Les politiques desoutien à l’innovation organisationnelle par lebiais des réseaux de santé ou des fonds d’amé-lioration de la qualité des soins de ville ontpermis la réalisation de projets innovants maisleur impossible généralisation (Robelet 2005)illustre parfaitement les limites liées à la struc-ture même du système de soins.Plusieurs réformes ont cherché à introduire uneapproche populationnelle, dans le cadre de laplanification hospitalière (schémas régionauxd’organisation sanitaire 3ème génération) oumême de l’organisation des soins en ambula-toire avec la récente réforme du médecintraitant. Néanmoins, les compromis que doiventnégocier leurs promoteurs reviennent fréquem-ment à amoindrir leur portée réformatrice dansle but de préserver l’ordre institué en 1945 eten 1958 (Bras 2004, Bras 2006). Un élémentnouveau issu de la politique soutenue depuisles années 70 de réduction du numerus claususà l’entrée des études de médecine peut consti-tuer une opportunité de réorganisation forte dessoins ambulatoires. Il s’agit de la baisse à venirdu nombre de médecins dans les dix ans quiviennent (ONDPS 2004). Cette situation inéditeouvre une période propice à la renégociationéventuelle des rôles respectifs des différentsacteurs. Il paraît donc raisonnable d’anticiperle possible développement des soins primaires

en France. Cependant, à l’instar de ce que lesCanadiens constatent (Abelson 2001) sur lerésistible développement des soins primaires auCanada, tant que les conditions d’une re-forma-tion des accords sociaux fondateurs n’est pasenvisageable ou politiquement assumée, c’estle développement à la marge, parcellaire et surun mode décentralisé des soins primaires quiparaît le scénario le plus probable en France.On peut le regretter, on peut aussi s’en réjouirquant au regard de l’évolution des soins pri-maires dans les pays qui les ont tradition-nellement mis en place. En effet, ces dernierssemblent eux-mêmes évoluer vers une remiseen cause de l’organisation traditionnelle dessoins primaires (Bourgueil 2006). Plusieursréformes sont menées afin d’élargir la gammedes services offerts en première ligne. Dévelop-per des consultations de médecins spécialistesen soins primaires est désormais un objectif auRoyaume-Uni. Le Québec, qui a fait le constatd’une collaboration interdisciplinaire difficiledans les Centres locaux de santé communautaire(CLSC) met en œuvre une politique visant àregrouper les médecins au sein de groupes demédecins de famille et à améliorer leurarticulation avec les CLSC, en permettant à uneinfirmière de CLSC de venir consulter au seindu groupe de médecins de famille. L’Ontariofavorise le regroupement des médecins enéchange d’une plus grande plage d’ouverturedes cabinets et d’une meilleure organisation dela permanence des soins. Les centres de santéfinlandais introduisent le principe de la clientèleauprès des médecins salariés des centres. D’unefaçon générale, il s’agit de délivrer une plusgrande gamme de soins, dont des soins spécia-lisés en ambulatoire à des patients revendiquantpar ailleurs une prise en compte plus grande deleur individualité. Dès lors, la présence denombreux spécialistes en ambulatoire en Francedans un contexte de réduction du nombre demédecins peut constituer une opportunité pourorganiser enfin, dans une logique population-nelle des new primary care. Ceci ne paraît néan-moins envisageable qu’à la condition de pour-suivre et d’accélérer l’évolution de l’organisa-tion à la fois de la médecine et de l’assurancemaladie. Tout un programme ! ●

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Le fait est que cela ne se passe pas toujours decette manière et il y aurait beaucoup à dire surla gestion et la philosophie poursuivies par lespouvoirs publics dans les firmes publiques. Lesaffaires récentes de corruption sont là pour nousle rappeler. Néanmoins, c’est une possibilité etc’est une tâche citoyenne pour qu’il en soitainsi : accroître le contrôle réel syndical dansles entreprises publiques et créer une colla-boration active avec la population dans le sensde l’intérêt de tous.

La santé en voie de privatisationeuropéenne

Henri Houben,docteur enéconomie,

membre dusecrétariat

d’Attac-Bruxelles.

Mo

ts clefs�: politique de santé,

soins de santé primaires,

économie de la santé, solidarité.

Qui peut être contre le droit à la santé ?Il s’agit incontestablement d’un prin-cipe humain général : tout homme a ledroit d’être soigné s’il est malade oublessé. C’est l’objet de l’article 25 dela Déclaration universelle des Droitsde l’Homme.Mais comment assurer ce droit si l’onveut que celui-ci soit réellement univer-sel, accessible à tous, sans restrictions,si ce n’est en l’assurant par un servicepublic ? C’est-à-dire par un monopoleaccordé à une entreprise publique, dontles capitaux sont détenus par les pou-voirs publics. Pourquoi ? Parce qu’unetelle firme n’a pas d’obligations strictesde respecter les règles de la rentabilité,des règles de plus en plus définiesaujourd’hui par les sociétés financières,qui exigent des rendements de 15 % aumoins. Elle peut ainsi offrir un servicecomplet et identique à tous, indépen-damment de la fortune de la personneaidée ou de son lieu d’habitation.

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L’Europe à l’heure desprivatisations

Il est clair que ce n’est pas dans cette directionque sont poursuivies les politiques actuelles.Dans le secteur de la santé, elles s’orientent versla libéralisation et la privatisation, en premierlieu pour des raisons budgétaires. L’Etat veutse désengager, parce que la santé coûte tropcher. En outre, au nom de la compétitivité, lesentreprises veulent réduire les « coûts » de lamain-d’œuvre, autrement dit empêcher que lescotisations à la sécurité sociale (qui financenten Belgique le régime de santé, entre autres)n’augmentent.

L’acteur central de cette stratégie est l’Unioneuropéenne. Dans son livre Privé de public,Gérard de Sélys explique, à partir de l’exempledes télécommunications, comment « l’Europe »a progressivement transformé les entreprisespubliques en des firmes comme les autres,devant être dirigées selon les mêmes principes.Cette politique de démantèlement continueaujourd’hui. Les experts de la Commissioneuropéenne, l’instance « gouvernementale » del’Union, ont changé le terme de services publicsen services d’intérêt général. Cette modificationn’est pas innocente, car elle fait glisser ladéfinition de la question centrale de la propriétédu capital à celle de l’objectif. Or, celui-ci estvague, général... Toute production ou presquepeut se définir comme d’intérêt général. Nourrirla population de pain et d’eau, la loger, la vêtir,ne sont-ce pas là des services d’intérêt général ?

Qui va définir cet intérêt général ? La Commis-sion répond : ce sont les Etats nationaux. Maisdes Etats qui dépendent du droit communautaireeuropéen.C’est là que tout se complique. En effet, l’Unioneuropéenne a un programme de priorité aumarché, à la libre entreprise et à la compétitivité,ce qui est le cadre du processus de Lisbonne,objectif stratégique de l’Union pour la décennieen cours. Donc les règles qui doivent s’appli-quer, y compris aux services publics, sont cellesde l’économie capitaliste concurrentielle. Ellessont prépondérantes.En conséquence, la Commission souligne que

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« la quasi-totalité des services prestés dans ledomaine social peuvent être considérés commedes activités économiques », donc soumis à laconcurrence, au libre marché.De plus, elle affirme que, comme activité éco-nomique, le privé peut très bien fournir cesservices : « Le marché assure habituellementla répartition optimale des ressources aubénéfice de l’ensemble de la société ». Le rôledes pouvoirs publics peut se limiter à prendreen compte les cas où le marché ne suffit pas.Autant permettre au privé de remplir lesmissions de services d’intérêt général.

Dès lors, qui dit « libéralisation » pousse à laprivatisation. Quel peut être encore l’intérêt deconserver des firmes publiques, qui, de toutefaçon, doivent fonctionner comme des sociétésprivées ? Surtout que, pour les pouvoirs publics,elles peuvent être sources de déficits, de pro-blèmes de management, etc.

Quel modèle social européen�?

Les dirigeants européens aiment à rappeler leurattachement au « modèle social européen »auquel, en général, ils n’ont pas contribué. Mais,imperceptiblement, ils le modifient de fond encomble.D’abord, le garant du service public était aupa-ravant l’Etat, au nom de l’intérêt général. Il estclair que cette fonction était remplie trèsimparfaitement. Mais les autorités politiquespouvaient être tenues comme directement res-ponsables vis-à-vis des citoyens. Aujourd’hui,la conception de service est assurée par le privéet l’Etat n’intervient que pour corriger, dans lemeilleur des cas, les imperfections du marché.Qui est garant, si cela ne fonctionne pas ? Lemarché ? Comment peut-on être sûr que lespouvoirs publics vont effectivement colmaterles brèches de l’économie privée, qu’on peutcraindre nombreuses, alors que leur préoc-cupation majeure est de réduire les déficitsbudgétaires ?

Ensuite, la sécurité sociale, dont fait partie lesystème de santé, reposait sur le principed’assurance : si une personne perd son emploi,que ce soit momentanément ou durablement,pour des raisons de maladie ou d’invalidité, lasolidarité joue et cette femme ou cet hommebénéfice d’une allocation de subsistance.Certes, celle-ci est moins importante qu’unsalaire normal, mais elle permet de vivrequelque peu décemment. De plus en plus, ons’oriente maintenant vers un régime d’assis-tance. Ce ne sont que les personnes en situationde besoin qui seront aidées. Ce n’est plus undroit universel. Cela dépend du revenu du mé-nage, de la place dans celui-ci, etc.

Enfin, en même temps, les autorités euro-péennes (et donc belges, qui participent auxdécisions de l’Union) promeuvent des systèmes

La santé en voie de privatisation européenne

Enfin, selon les instances européennes, deuxprincipes doivent être absolument respectés :la non-discrimination entre sociétés et entrenationaux et étrangers ; la liberté d’établis-sement, permettant à tout entrepreneur des’installer dans un pays de l’Union. Selon lepremier aspect, l’Etat ne peut plus fournir d’aideen général à ses entreprises que si un actionnaireprivé avait agi de même, c’est-à-dire suivantles critères de rentabilité de la firme et nond’intérêt général de la population. Selon lesecond point, la compagnie publique peut êtreconcurrencée par n’importe quelle sociétéprivée.

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de sécurité sociale et de santé à plusieursvitesses. A l’échelon le plus élevé, il y a ceuxqui ont des revenus élevés et des fortunespersonnelles tirées généralement de leurs avoirsfinanciers. Ceux-là pourront se permettre desservices de santé privés, payants, performants,développés, car évidemment les cliniquesessaieront de se les arracher. Et les firmespharmaceutiques, dont les douze premièresdans le monde assuraient en 2004 60 % dumarché planétaire, réalisaient un profit totalcumulé de 58 milliards de dollars et distri-buaient 28 milliards de dollars à leurs action-naires, pourront écouler leurs médicamentscoûteux. A l’autre bout de la pyramide, il y a etaura ceux qui ne peuvent rien payer et qui aurontdroit au service minimum dans un hôpitaldégradé, car à cours de fonds.Est-ce ce modèle que l’on souhaite ? En Suèdedéjà, pays du fameux modèle scandinave, l’Etata procédé, dans les années 90, à la privatisationde nombreux services dont celui de la santé.Résultat : le nombre de lits a été réduit radica-lement, de 136.000 en 1975 à 29.000 en 2000,parce que cela coûte cher. La politique desmédecins est dès lors de se débarrasser despatients pour libérer la place plutôt que de lessoigner. Elle est aussi de mettre les gens autravail, notamment les handicapés ou malgréla maladie. Certains hôpitaux reçoivent dessubsides en fonction du nombre de patients quisont ainsi remis directement au travail. EnBelgique, des cas similaires de réduction deslits, de chasse à la place libre, de retour rapidesur le marché du travail sont constatés.Inquiétant ! ●

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La logique économique fonctionne entermes de produits et de profits. Le sec-teur de la santé n’échappe pas à cettelogique, mais montre des spécificités,et même des ambiguïtés, liées aufinancement public d’un bien produitde manière privée. La recherche et laproduction de médicaments illustrentparfaitement cette problématique. Ici,face aux priorités économiques desfirmes, la « première ligne » pourraitêtre constituée par « le collectif » desusagers et de leurs représentants qui,au nom du financement solidaire dusecteur, détermineraient les priorités dela recherche et de la distribution enfonction non plus de dividendes finan-ciers mais de dividendes sociaux etsolidaires.

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Une relecture de notre existence économiqueL’exemple de la production pharmaceutique

ChristianLéonard,économiste,professeur depolitique de santéà l’InstitutCardijn.

Quand la santé et les soins sont«�un produit�»

Il semble qu’il devient de moins en moins ico-noclaste de remettre en question une existencefondée sur l’économie et la finance. Les thèsesdes objecteurs de croissance font l’objet delivres, articles et colloques qui regroupent deséconomistes, mais aussi des agronomes ou desphilosophes, tous soucieux, non seulement del’équilibre écologique de la planète, mais aussidu développement de la personne et du respectdu principe d’humanité en dehors des règlesétablies par le marché1. Le lecteur attentifpourrait toutefois s’étonner que les lignesintroductives à un article relatif aux soins desanté soient consacrées à la critique de l’exis-

tence capitaliste. Nous comprenons l’embryonde désarroi qui peut le pénétrer mais le liendevient plus évident dès que l’on se réfère auconcept de « marché de la santé ». Et l’éton-nement suscité par le rapprochement de la santéet du monde capitaliste résulte sans doute de laconjonction de malentendus qui s’expriment àtrois niveaux. Tout d’abord, il existe une confu-sion entre « production de santé » et « produc-tion de soins de santé ». De plus, en fonctionde l’origine des protagonistes, la production desoins de santé sera présentée comme un handi-cap de compétitivité, une valeur ajoutée socié-tale ou simplement un marché juteux. Enfin, laproduction médicale et particulièrementpharmaceutique est l’objet d’un processus quicontient une contradiction interne de taille. Eneffet, il s’agit pour les firmes de maximiser leprofit généré par la vente d’un bien produit demanière privée, alors que ce bien devient, parson financement et sa finalité, un bien public.Nous nous proposons de lever ici ces malenten-dus et de proposer une autre voie pour sortird’une existence très fortement conditionnée parla marchandisation.

Il n’est pas nécessaire de s’étendre longuementsur la différence entre la santé et les soins desanté. Sans aller nécessairement jusqu’à lacritique illitchienne du système médical iatro-gène, on peut aisément comprendre quel’ensemble des mesures de promotion de lasanté et de prévention, parents pauvres de lapolitique de santé, sont pourtant déterminantesau sens où elles constituent des déterminantsde la santé. Le niveau social, l’environnement,l’hygiène de vie déterminent également notresanté et l’inégalité qui caractérise sa « répar-tition » au sein de la société. On ose enfin incri-miner les conditions de travail pour expliquerdes maladies telles que la dépression ou certainscancers. Les velléités de combat contre la puis-sance de l’agroalimentaire, des cigarettiers oudes viticulteurs constituent certainementl’expression d’une certaine volonté de cohé-rence entre des propos responsabilisantsadressés au citoyen, et en particulier au patient,et l’exigence d’une croissance débridée dont lafinalité semblerait justifier les moyens2. Il esten effet paradoxal d’inviter le citoyen à veillersur sa santé en adoptant un comportementM

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responsable doublé d’une attitude économe desdeniers publics investis dans les soins de santéet de souhaiter qu’il soit un consommateur debiens privés inféodé aux messages publicitairesqui l’encouragent à consommer toujours plussans trop de discernement. On le voit, produirede la santé relève de décisions prises princi-palement en dehors du champ de la médecine.Il est alors primordial que les décideurs publicsmais aussi privés prennent conscience de ce quesignifie le terme globalisation. Chaque activitéde production et de consommation peut s’avérerproductrice ou destructrice de santé, ce seraalors au système de soins qu’il incombera deréparer les dégâts en partie évitables. Ce constatest évidemment affligeant car il montre que lapoursuite de la croissance économique est pre-mière et que, d’une certaine manière, le systèmemédical est devenu un secteur d’activités pro-ductives à l’instar des autres, il participe aussià la croissance du produit intérieur brut.

Un marché gigantesque

Nous en arrivons alors à nous interroger sur lestatut de cette activité médicale. Elle estclairement une source de revenus. Le chiffred’affaires des firmes pharmaceutiques est à cetégard édifiant. En 2004, les cinq plus grandslaboratoires totalisent un chiffre d’affaire de 166milliards de dollars, ce qui ne présente toutefoisqu’un bon tiers du marché total. Ce secteur sesitue à la troisième place des activités les plusrentables avec un taux de profit de près de 16 %des recettes totales. Activité importante etrentable, la production pharmaceutique utiliseégalement les « emplois de connaissance » pourassurer la recherche et le développement (R&D)de nouvelles molécules... un argument trèssouvent avancé pour mettre en évidence leurparticipation à la création de richesses et d’em-plois et, accessoirement, pour lutter contre ledéveloppement des médicaments génériques.En Belgique, l’industrie assurait 16,2 % desdépenses totales de recherche et le dévelop-pement en 2000, en 2003 cette part a atteint21,6 %. Notre pays investit à cet égard bien plusque la moyenne3. Le plan de relance écono-mique wallon a d’ailleurs octroyé au secteur

pharmaceutique un statut de pôle decompétitivité prioritaire, l’agroalimentaire étantun des quatre autres pôles reconnus. L’emploi,la croissance du chiffre d’affaires, les profits,tous les indicateurs d’une bonne santé écono-mique et financière sont au rendez-vous. Quipourrait alors contester un tel succès ?

Toutefois, les chiffres peuvent être trompeursou du moins faire l’objet d’une lecture critique.Si les dépenses de R&D sont importantes etcréatrices d’emplois, les dépenses de marketingle sont bien d’avantage. En 2001, le magazineFortune publiait un étonnant tableau quimontrait que la part des revenus consacrés parles laboratoires au marketing était deux à troisfois plus importante que celle des dépenses deR&D. Comment se fait-il qu’il faille libérer tantde moyens financiers pour vendre des produitsdont l’utilité relève de l’évidence, ne nouspermettent-ils pas de recouvrer la santé voirede sauver notre vie ? Est-ce si compliqué d’enconvaincre médecins et patients ? Même lemontant absolu consacré à la R&D est mis endoute par certains spécialistes. Les laboratoiresestimaient en 2001 qu’un nouveau médicamentexigeait 802 millions de dollars d’investis-sements en R&D, mais ces montants sontconsidérés comme des black boxes qui com-prennent notamment les frais liés aux essais dephase IV, des études menées sur des médi-caments déjà présents sur le marché et quiviseraient à familiariser médecins et patientsavec le produit4. Les moyens d’influencer lesprescripteurs peuvent être plus implicites etpeut-être plus efficaces quand ils passent parl’établissement de règles de bonnes pratiques,connues également sous le nom de guidelines,qui peuvent jouer un rôle parfois déterminantsur l’étendue du marché dont peut bénéficierun produit. Ces règles sont fondées sur des élé-ments objectifs ou du moins « objectivables »5,et jouent un rôle bien plus qu’indicatif pour lesprestataires et prescripteurs. Un article de larevue Nature paru en octobre 2005 illustrait lespossibles conflits d’intérêt qui peuvent appa-raître lors de la rédaction de ces recommanda-tions par des experts internationalement recon-nus6. L’analyse portait sur 215 textes émanantdu monde entier et rédigés au cours de l’année2004. Seuls 90 de ces textes contenaient des

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détails relatifs à des possibles conflits d’intérêtet 31 les excluaient de manière explicite. Celasignifie d’une part, que pour 125 textes, l’infor-mation manquait et que, d’autre part, 59 recom-mandations étaient caractérisées par unecertaine « ambiguïté ». Les auteurs, auxquelsil faut reconnaître une certaine franchise, ontmentionné des détails qui ont permis de consta-ter que dans 50 % des cas, au moins un expertoccupait un poste de consultant auprès d’un

biaisés, on ne peut exclure une « influence »,au moins implicite ou inconsciente, matérialiséepar l’utilisation du pouvoir financier considé-rable des firmes. Si l’on ne peut réduire le rôledes délégués médicaux aux seules actions delobbying, il relève toutefois de la lucidité dereconnaître qu’une certaine influence se mani-feste au travers de leur nombre et du budgetdont ils disposent. L’action qu’ils exercent doitinévitablement faire réfléchir les responsablesde la politique de santé quant à l’exigence d’uneinformation la plus indépendante et objectivepossible.

Enfin, toutes ces dépenses pourraient présenterun caractère plus acceptable si elles permet-taient de rendre disponible de véritables inno-vations. Mais à cet égard également, le douteest permis, car il semble que près de 85 % desnouveaux médicaments mis sur le marché nesoient que des mee too, des médicaments quin’apportent aucune plus value thérapeutique7.Ces quelques considérations permettent deconfirmer que le médicament est l’objet d’unmarché très « intéressant », que son apport pourla société doit être relativisé et que le coût dessoins de santé n’est pas uniquement un coût quigrève la compétitivité des entreprises. Cedernier point mériterait à lui seul de plus amplesdéveloppements, mais il faut au moins signalerque les soi-disant « charges sociales » sont enfait des contributions (sociales) à l’élaborationd’un système solidaire de couverture des aléassociaux dont l’efficacité apparaît notamment autravers du renforcement d’un sentiment desécurité lui-même moteur de productivité et decroissance mais surtout de lien social.

Pour des dividendes sociaux etsolidaires

Il nous faut à présent, et de manière sommetoute logique, terminer par le statut du bien dontil est question. Nous focalisons notre réflexionsur la production pharmaceutique, mais touteproduction médicale peut être analysée avec lamême grille. Personne ne peut contester que leprocessus qui consiste à concevoir, produire,distribuer et vendre un médicament est uneactivité privée. Toutefois, une partie des ventestotales est prise en charge par la collectivité.

Une relecture de notre existence économiqueL’exemple de la production pharmaceutique

laboratoire concerné. Dans la même proportiondes cas, la firme pharmaceutique avait financéune activité de recherche de l’un des auteurset, dans 43 % des cas, l’un des spécialistes avaitété rémunéré comme orateur. Enfin, et c’estpeut-être l’information qui pourrait susciter leplus de suspicion quant à l’objectivité ducontenu des textes, dans 11 % des cas, l’un aumoins des médecins détenait des actions enbourse d’une firme productrice d’un médica-ment faisant l’objet de la recommandation. Tousces résultats sont confirmés par une étuderéalisée par des chercheurs de Toronto qui ontinterrogé 192 auteurs de guidelines par courrier.Même si l’existence d’un lien, quel qu’il soit,entre l’industrie pharmaceutique et les expertsne constitue en rien une preuve que les avis sont

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En Belgique, on estime que la moitié des achatsde médicaments au sens large du terme estremboursé par l’assurance maladie. Dans lecadre de la gestion globale de la sécurité sociale,les trois-quarts des recettes sont constituées decotisations sociales diverses essentiellementproportionnelles aux revenus. Environ 15 %sont fournis par le financement appelé « alter-natif », il s’agit principalement d’une part desrecettes de TVA, et le reste, une dizaine depourcents, est assuré par les subsides de l’Etat.De manière un peu approximative, on peutavancer que chacun contribue en fonction deses capacités contributives et bénéficie en fonc-tion de ses besoins au travers des prestations.Il nous semble donc légitime de considérer quele médicament présente toutes les caractéristi-ques d’un bien mixte, à la fois privé et public.La survie financière, ou du moins le taux deprofit des laboratoires est assuré par la solidari-té, il serait par conséquent logique que le« collectif » puisse avoir voix au chapitre dansla fixation de certaines priorités de ces firmes.Comme le propose Philippe Pignarre8, il estpeut-être temps que la population investisse ledomaine de la recherche, non pour en retirerdes dividendes financiers, mais bien pour enextraire des dividendes sociaux et solidaires.C’est en effet en contribuant à l’établissementde priorités de la recherche fondamentale quenous pourrons assurer l’accès au plus grandnombre à des médicaments nécessaires et dequalité.

Si nous n’avons pas levé toute ambiguïté, nousavons tout de même mis à jour des malentendusà la base desquels nous percevons l’action,souvent implicite, des apories de l’existenceéconomique. De nombreuses maladies, de mul-tiples maux sont liés plus ou moins étroitementnon seulement aux modes de production et deconsommation mais aussi à leur contenu, à leursens.Que la santé soit importante, nous ne pouvonsle contester, que tout soit réalisé pour la sauve-garder, c’est une aspiration légitime. Mais ilnous faut nous interroger sur ce « tout ». S’agit-il de rechercher et développer une pilule pourchaque problème lié à la santé au risque d’am-plifier le phénomène déjà bien présent demédicalisation de l’existence ? S’agit-il d’entre-prendre des recherches sans se préoccuper del’effet de leurs issues sur ce qui fait l’essence

Notes

(1) Le 25 mars 2006, le supplément du journal LeMonde, Le Monde 2, consacrait un dossier spécialaux « objecteurs de croissance ». Le numéro de mai2006 de la revue futuribles consacre un article intituléBonheur et développement économique au livre deRichard Layard : Happiness : lessons from a NewScience et le numéro de mars 2006 de la très sérieusepublication de l’Institut de recherches économiqueset sociales de l’UCL s’intitulait La croissance ne faitpas le bonheur : les économistes le savent-ils ?.

(2) Nous renvoyons le lecteur intéressé au livre quenous publions chez « Couleurs Livres » intituléCroissance contre santé pour une analyse approfon-die du concept de responsabilisation du malade.

(3) L’indice RTA (Revealed technological Advan-tage) qui représente le rapport entre l’investissementen R&D d’un secteur donné en Belgique et l’investis-sement en R&D d’un groupe de sept autres pays,s’élevait à 1,44 en 2002. Ce qui traduit le dynamismede la R&D pharmaceutique en Belgique. Voir laLettre mensuelle socio-économique du Conseilcentral de l’économie, N°114, avril 2006.

(4) Voir l’excellent ouvrage de Marcia Angell, ‘TheTruth About the Drug Compagnies’, Random House,New York, 2004.

(5) On parle très souvent d’Evidence-based medicine.

(6) Nature, Volume 437, N° 7062, 20 octobre 2005,pp. 1070 – 1071.

(7) Voir notamment Van Duppen Dirk, De choles-teroloorlog waarom genessmiddelen zo duur zijn,EPO, 2004.

(8) Voir Pignarre Philippe, Comment sauver(vraiment) la sécu, La découverte, 2004.

de l’être humain ? Il ne nous apparaît pas plussalutaire d’adopter une telle démarche que detomber dans le dolorisme. Toutefois, il estpossible d’éviter les affres de ces deux extrêmesen recentrant notre existence sur l’essentiel. Lesuccès de la médicalisation et de la para-médicalisation de l’existence est sans doute liéà l’image de l’homme véhiculée par la publicitéqui trouve un terreau idéal dans l’individua-lisme qui caractérise les sociétés hypermoder-nes. Nous sommes convaincus que nous nepourrons sortir réellement libérés de ce carcansans passer par une vie plus sobre. L’écologievéritable nous y invite, la perte de repères etune certaine déréliction peut-être nous yengagent. ●

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C A H I E R

Qu’est-ce qu’on entend par«�soins de santé primaires�»�?

Qu’est-ce qu’on entend par « soins de santéprimaires » ? Le fait de pouvoir rester dans sonquartier quand on a une mobilité réduite ou derester chez soi quand, à plus de 70 ans, on n’apas envie – ou pas les moyens – d’aller vivreen maison de retraite. Le fait de ne pas fumerdans les espaces publics, d’avoir une consom-mation d’alcool modérée, de maîtriser samanière de manger de façon diététique sansfaire des régimes à répétition. Le fait aussi depouvoir se reposer par rapport à un rythme detravail de plus en plus marqué par la flexibilitéet générateur de dépression, stress, etc. Soit une

Ce que nous révèle le manque d’unepolitique de soins de santé primaires

BernardFrancq,sociologue,professeur àl’universitécatholique deLouvain-la-Neuve.

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Qu’est-ce qu’un sociologue qui tra-vaille sur les problèmes d’emploi et lesactions urbaines a à dire sur les soinsde santé primaires ? Des choses diver-ses qui ne se combinent pas nécessaire-ment les unes par rapport aux autres.D’abord, que c’est un problème de défi-nition. Ensuite, que c’est un problèmede coordination et de qualité. Enfin quec’est un problème de santé publiqueplus que de politique de soins quiinterroge des modes de participation.

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infinité de pratiques quotidiennes qui nousamènent souvent à nous « sentir responsable »,à chercher en tout cas à éviter la cohorte desaccidents – diabète, hypertension, problèmescardiovasculaires, obésité, … – qui nous fontentrer dans des circuits de soins et leurs dif-férents référents : médecin généraliste, kinési-thérapeutes, spécialistes divers. Ici, les soins desanté primaires posent vraiment un problèmeparce que la question tient toute entière dansun manque : qui fait le lien pour assurer uneunité non pas de traitement mais de vie ? Laquestion est plus anthropologique par rapportau maintien de son corps qu’elle n’est médicale.Certains pensent d’ailleurs que les soins desanté primaire sont sans consistance et qu’ilsrelèvent des différentes maladies imaginairesqui semblent prendre pied dans la culture dunouveau capitalisme. Nous sommes alorsrenvoyés à nous-même soit sur le mode del’injonction « faites donc attention à votresanté », soit sur le mode du traitement entranche. Au-delà du problème de définition quiengage toujours à mettre l’accent sur les risquesdes situations de travail, de loisirs, de vie com-mune, il faut bien admettre que les soins desanté primaires ne font pas l’objet d’une valori-sation ni technique ni scientifique. Qui s’enpréoccupe mis à part chacun de nous en faisantattention à sa santé ? C’est bien ici le deuxièmeproblème.

Un problème de coordination etde qualité

C’est celui de la coordination et de la qualitéqui renvoie à des pratiques institutionnelles etprofessionnelles. Car c’est plus dans l’ordre dessouhaits divers que les soins de santé primairesapparaissent. Comme la nécessité d’une colla-boration dans le maintien de la diversité desinstitutions et des services tout en mettant enévidence le maquis institutionnel où personnen’est à même ni d’expliquer les modes desubventionnement ni de mettre en perspectivece que produisent les missions des différentesinstitutions. Ainsi, il n’y a pas de définition sub-stantielle de ce qu’est un réseau de soins desanté primaires si ce n’est qu’il suppose une

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mise en complémentarité des différents seg-ments qui sont censés le composer. On pourraitdire qu’un réseau est toujours à géométrievariable mais que sa mise en œuvre estrévélatrice des rapports de force. Ici, c’estl’affaire d’une ré-articulation de l’architecturedes interventions à partir d’une interrogationsur les ECHELLES d’action – celle de lapersonne qui vit une situation de handicap, cellede son entourage familial ou amical, celle desinstitutions existantes et de leurs missions(plutôt que de leur offre), celle du quartier, celledu bassin d’emploi… Comment s’articulent ceséchelles autour d’un travail séquentiel qui viseà répondre au différentiel de situation dehandicap, telle est la question majeure à laquelleil faut répondre, au-delà du outreaching ou, plussimplement, de l’intention de « traiter leproblème là où il se pose ». Avant de parler de« pool de personnel », de mise en réseau, ilsemble impératif de devoir s’interroger sur lesjeux d’échelle – et les rapports de dominationdont ils sont porteurs – pour clarifier lamultiplicité des intervenants. Une remarque(pas innocente) : l’Organisation mondiale de lasanté cherche à développer le réseau des villes-santé. Cette option est peu présente en Com-munauté française. Pourquoi ne pas envisagerles apports d’un tel projet qui repose sur unecoordination des projets et des actions qui sedéveloppent pour rencontrer les situations –primaires – de soins et mettre un frein auxdifférents processus ségrégatifs qui existentactuellement ? Une certitude en tout cas : lesinnovations ne seront pertinentes que si ellesenvisagent une complémentarité civiquecentrée sur la reconnaissance de « tous égauxmais différents » dans le développement d’unepolitique de santé publique. C’est la base mêmede l’idée de réseau et la plus-value qu’il peutapporter, à savoir mettre de la distance parrapport aux découpages spécialisés sans lienentre eux. La question du vieillissement de lapopulation handicapée est cruciale dans cetteoptique. C’est affaire de qualité et c’est sansdoute par rapport à cet objectif prioritaire quel’agenda politique devrait se structurer à moyenterme car il est porteur – plus, révélateur – d’unproblème non résolu et qui implique que l’onenvisage séquentiellement les modes d’inter-vention. Rien de plus que ce que les sociologues

qui cherchent à rendre compte des nouveauxmodes de vie en ville essaient de saisir.

Quand standardisation etdivision du travail ne laissentpas de place pour laparticipation des usagers

Une politique de soins de santé primaires, c’estun problème de santé publique plus que depolitique de soins qui met en œuvre des modesde participation. Constatons que l’oscillation estpermanente entre améliorer l’existantspécifique et particulier en matière de soins desanté et créer des alternatives à celui-ci. Cetteoptique reflète des logiques communes : d’unepart, des logiques de standardisation de la« production » (les services qui occupent lamême place aux yeux de la réglementation, avecle même agrément, doivent tous faire la mêmechose) ; d’autre part des exigences normativesconsistant à assurer une prise en charge linéairede la trajectoire individuelle de l’usager àtravers l’offre. Il faut souligner les caractèresdu paysage qui s’est mis en place à travers une

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forte externalisation des missions confiées auxassociations et par des redéfinitions de ladivision du travail entre les services socio-sanitaires. On mise notamment sur le diagnos-tic, l’accueil et l’orientation à travers la miseen œuvre de deux principes complémentaires,de façon plus ou moins aiguë : un suivi indivi-dualisé (un professionnel négocie avec unusager, voire contractualise, puis suit un pro-gramme d’évolution à travers l’offre) néces-sitant un important travail d’interface et doncd’engagement de la part des travailleurs ; uneséquentialisation/segmentation de l’offrestandardisée en filières-types (tout passage parle service de type A doit donner une passerellevers tout service de type B ; ainsi du parcoursd’insertion wallon). Standardisation et divisiondu travail1 sont les deux dimensions qui déli-mitent – implicitement – des normes de qualitéinduites par le politique ou par les secteursinstitutionnels ou encore par les organisationsrelevant des différentes familles idéologiquesqui constituent le paysage institutionnel belge.Il n’y a guère de place pour la participation despremiers concernés, ceux qui se sentent mal,qui ont des problèmes de dos, de stress, demanque de temps…C’est pourtant là que résidel’enjeu essentiel d’une politique de soinsprimaires au plus près de la vie quotidienne.Cela exige une sérieuse transformation desmodes d’interpellation de « ceux qui ne vontpas bien ». Aller mieux, c’est bien sûr réfléchirà son mode de vie mais plus encore avoir dessupports qui ne fonctionnent pas à la séparationsectorielle ou aux conseils moralisateurs. Lesmédecins et le personnel soignant ne doiventpas se limiter à être des « entrepreneurs demorale ». C’est un défi pour eux et ça nécessiteune sérieuse formation pour savoir commentdévelopper des apprentissages collectifs autourdes savoirs et des pratiques quotidiennes ducorps.

Ainsi, les soins de santé primaire sont plusrévélateurs qu’il n’y paraît des problèmes defond qui concerne nos relations avec notre corpset les professionnels qui sont supposés s’enoccuper. ●

Ce que nous révèle le manque d’une politique de soins de santé primaires

(1)Standardisationet division dutravail, à quoi ilfaut souventajouter unsystème degestion del’information parles nouvellestechnologies, dutype dossierunique comme lerésumépsychiatriqueminimum et uneredéfinition descritères normatifsdéfinissant lespublics-cibles lesplus difficilesdontl’administrationpublique veut semaintenir àdistance.

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Et pourtant, de plus en plus de problèmespsychosociaux sont médicalisés et aboutissentau cabinet du médecin ; la plainte étant sansdoute moins honteuse à mettre du côté médicalque du social. En effet, toute personne estamenée à consulter un médecin quelle que soitsa classe sociale. Par contre, les personnes ayantrecours aux services sociaux sont quant à ellesessentiellement issues de classes plus défavori-sées. Pousser la porte d’un service social estdonc plus stigmatisant. De plus, notre sociétéprône les prouesses de la médecine (tout paraîtguérissable, et pourquoi pas les maux so-ciaux ?). Les médecins sont alors confrontés àdes demandes diverses, complexes, multi-facto-rielles et souvent masquées dans un premiertemps.

La première ligne, ce n’est pas quel’affaire des médecins généralistes !

Coralie Ladavid,assistante sociale

à la maisonmédicale du Gué.

Mo

ts clefs�: politique de santé,

soins de santé primaires, systèm

e de santé.

Depuis des années, on reconnaît l’im-portance des déterminants non médi-caux de la santé. Les soins médicauxn’agissent que de façon marginale dansle bien-être de la population. L’accèsau logement, à l’éducation, à la cultureconstituent des déterminants fonda-mentaux au même titre que les aspectséconomiques et environnementaux. Lasanté de première ligne, c’est doncautant l’animateur d’une maison dejeunes que le médecin généraliste duquartier.

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Mais que peut faire le médecin avec ces pro-blèmes sociaux (quand il a pu les décoder) ? Iln’est évidemment pas outillé et il n’a ni laformation ni le temps nécessaire. Il peut doncmédicaliser la plainte et agir sur les consé-quences des problèmes sociaux vécus par lepatient mais il peut très difficilement agir surles causes. Il peut également envoyer le patientvers le réseau social existant mais encore faut-il que le médecin le connaisse et que le patientfasse les démarches nécessaires sur base d’unsimple conseil. Les patients souffrant deproblèmes sociaux peuvent être déstructurés oupratiquer « la politique de l’autruche », ils n’ontplus confiance en la société et pour eux lesservices sociaux sont souvent des alliés de lasociété.

Difficile et indispensable�: lacoordination

Face à ces problèmes complexes et multi-factoriels, une prise en charge globale incluantle psycho-médico-social est fondamentale. Cetype d’approche demande inévitablement lacomplémentarité de plusieurs disciplines. Maispour obtenir véritablement une complé-mentarité, les intervenants doivent travaillerensemble et se concerter. Si chacun reste dansson champ et dans sa logique, les chosespeuvent se chevaucher et donner certainsrésultats mais elles peuvent surtout entrer enconcurrence et ne pas aider le patient à sestructurer. Des lieux de coordination formelset/ou informels sont incontournables pour avoirune démarche cohérente dans le sens d’une priseen charge globale. De plus, l’éclairage dechaque discipline aide l’autre dans sa relationavec le patient.

Sur le terrain, les choses ne sont pas si simples.Les médecins sont souvent très peu disponibleset les coordinations ne sont pas reconnuesfinancièrement si ce n’est dans de rares cas desoins palliatifs. Du côté social, la coordinationreprésente souvent l’essence même du travail.Ces pratiques sont beaucoup plus courantes etreconnues financièrement. De plus, les méde-cins sont culturellement amenés à rester dans

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un cercle très restreint de « confrères » ayantle même jargon et les mêmes référencesdéontologiques. Le secret médical serait-il unfrein à la coordination ? Une certaine hiérarchieentre les disciplines existe toujours pouvantainsi freiner la mise en place d’une relation decollaboration.

La première ligne, ce n’est pas que l’affaire des médecins généralistes !

Les médecins de maison médicale sont davan-tage habitués à ce genre d’exercice puisqu’ilstravaillent quotidiennement en équipespluridisciplinaires et dans un esprit de non-hiérarchie. Des co-consultations sont parfoisorganisées et des réunions de coordinationquotidiennes permettent d’aborder la situationdans son ensemble. Des coordinationsextérieures sont également organisées que cesoit avec la famille ou avec les services sociaux.Une prise en charge globale est largementfacilitée par le mode d’organisation.Cependant, dans un certain nombre d’équipes,on constate que la fonction de l’assistant socialpar exemple n’est pas toujours bien compriseet que les médecins envoient parfois les patientsen dernier recours après avoir tout essayé seul.

La situation s’est alors parfois dégradée dansl’intervalle et l’intervention du travailleur socialest d’autant plus complexe. Dans ce cas, quelparamètre met à mal la coordination et latransdiciplinarité ? Serait-ce dans la formationdu médecin de développer un sentiment de« toute puissance » ou de « tout savoir » ? Il estun fait certain que leur formation ne développepas le travail en réseau et en pluridisciplinaritéalors que les formations paramédicales etsociales le développent davantage. Et pourtanton a tous à y gagner intervenants professionnelscomme patients !

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Les praticiens de l’art infirmier, plus commu-nément appelés « infirmières », sont des per-sonnes qui ont été formées après leurs étudessecondaires pendant trois ans afin d’être enpremière ligne dans le système de santé.Non seulement dans ce que nous appelons enBelgique « la première ligne » (les lieux où l’ona besoin de professionnels de la santé, générale-ment non-spécialisés, avant d’aller dans unhôpital : son domicile, le cabinet du généraliste,une maison médicale, …), mais aussi « enpremière ligne » - au sens réel du terme - dansles lieux qui sont plutôt identifiés comme étantde la deuxième ou troisième ligne (hôpitaux etautres institutions de santé).En effet, être au chevet du patient 24h/24 et 7j/7, pouvoir être attentif à ses demandes, besoins,problèmes, pouvoir faire appel immédiatementà un médecin en cas de problème, pouvoir allermême jusqu’à lui conseiller la bonne conduiteà tenir (il est souvent candidat spécialiste etdonc peu expérimenté)… donne aux infirmièresl’impression d’être « en première ligne »… saufque l’on est dans une institution et que le patientn’est pas là parce qu’elles l’ont choisi mais bienparce qu’un médecin l’a prescrit.

Une infirmière en première ligne… pourquoi faire ?

MiguelLardennois,

infirmier,président de

l’Associationbelge des

praticiens de l’artinfirmier.

Mo

ts clefs�: politique de santé,

soins de santé primaires,

soins infirmiers, form

ation.

En Belgique, les praticiens de l’artinfirmer sont formés pour réaliser unlarge éventail d’objectifs. Dans lapratique, nombre de ces capacités sontnégligées ou même entravées par desréglementations incohérentes. Il enrésulte non seulement une frustrationdes praticiens et une désaffection pourla profession, mais aussi une perted’efficacité de la première ligne desoins.

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En tous cas, il semble que cette impressiond’être au front, d’être la première ligne, d’êtrele radar à problèmes des patients et d’essayerde répondre à ceux-ci, soit un rôle qui colleparticulièrement bien à la peau de l’infirmière.Et pour cause…

Un potentiel gaspillé

Les définitions les plus modernes et complètesde l’art infirmier conviennent que les objectifsdes soins infirmiers sont :

• La protection, le maintien, la restauration etla promotion de la santé de la personne, de lafamille, du groupe ou de la collectivité ;

• La réponse aux problèmes de santé mis enévidence par une étape préliminaire deconsultation, d’analyse et de formulation dediagnostiques infirmiers ;

• La sauvegarde des fonctions vitales, la pré-vention de la dépendance et la promotion del’autonomie ;

• La contribution aux méthodes de diagnosticmédical et au traitement prescrit par lemédecin ;

• La participation à la surveillance clinique del’état de santé, l’appréciation de l’évolutionde cet état de santé et la participation au seinde l’équipe pluridisciplinaire des profession-nels de la santé à l’application des prescrip-tions thérapeutiques mise en œuvre ;

• La coordination des interventions de soins desdifférents professionnels de la santé ;

• La prévention et l’évaluation de la douleur,de la souffrance et de la détresse et la partici-pation à leur soulagement ainsi qu’à celui dudeuil ;

• L’accompagnement notamment dans lesderniers instants de vie.

C’est à cette approche, ainsi qu’aux démarcheset interventions qui en découlent que sontactuellement formées les infirmières. Le lecteurattentif aura remarqué que ce qui est souventattendu de l’infirmière par les autres profes-sionnels, à savoir l’aide à la détermination dudiagnostic médical et l’application de traite-ments prescrits, ne représente que deux ou troisaspects du travail que celle-ci s’attend à réaliser

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à la fin de son parcours scolaire. Ceci rendcompte d’une frustration grandissante au coursde la carrière de l’infirmière et de ce sentimentde « rupture avec mon idéal » que nombred’entre elles mettent en avant lorsqu’ellesquittent un emploi.Cette formation très large explique aussiqu’elles pensent pouvoir s’épanouir plus facile-ment en dehors des institutions de soins, dansce qui est appelé la première ligne, tels que lessoins à domicile ou les maisons médicales, oùelles pourraient enfin accomplir les cinq ou sixaspects de leur profession qui ne sont pashabituellement pris en compte.

Une réglementation incohérente

Malheureusement, notre système de santé n’estpas ainsi fait… La législation reconnaît vial’arrêté royal n°78 de 1974 l’autonomie et lacompétence de l’infirmière dans tous les aspectsde l’art infirmier décrits plus haut. Un arrêtéroyal de 1990 décrit clairement la liste des actesque l’infirmière peut exécuter, dont une bonnemoitié (appelés B1) ne nécessite pas de pres-cription médicale. Mais l’organisation des soinsde première ligne et les différentes législationsqui la réglemente (principalement INAMI)semblent ignorer ces textes de base.N’est-il pas étonnant, bizarre, incohérent, par-fois dangereux, que parfois ce soient des per-sonnes non formées pour cela qui évaluent

certains besoins du patient, ou que le patientsoit obligé de passer par un autre professionnel(et de le rémunérer) pour obtenir le passaged’une infirmière (et le remboursement des fraisqui y sont liés).C’est pourquoi, dans un premier temps, il noussemble que cette incohérence, voire injustice,devrait être corrigée. Les infirmières devraientpouvoir consulter des patients à leur simpledemande, évaluer leurs besoins de santé telqu’elles l’ont appris et tel que prévu dans lalégislation, et devraient au moins pouvoirprescrire les soins infirmiers qui légalement nenécessitent pas de prescription médicale selonl’arrêté royal n°78.

Un art au service de la premièreligne et des patients

Que pourraient devenir les soins infirmier depremière ligne ? Certaines expériences étran-gères (anglaises, canadiennes, suédoises, néer-landaises) sont intéressantes et devraient êtretentées chez nous. Dans ces pays, les infirmièressont les premières à évaluer l’état du patient età éventuellement le diriger vers le médecingénéraliste (fonction de « tri »/ soins de pre-mière ligne), elles sont autorisées à prescrireles actes et interventions qui relèvent de l’artinfirmier (réelle autonomie/ respect des compé-tences), et elles sont autorisées à réaliser etprescrire une liste précise d’actes médicaux etde médicaments en respectant certains proto-coles réalisés en collaboration avec les sociétésde médecine générale (économie médicale). Lesmoyens de télécommunication modernesfacilitent d’ailleurs ce type de fonctionnement.

Dans ces pays, ces mesures ont évité un impactnégatif de la pénurie des professions de santésur les patients, ont amélioré le temps dedétection et de réponse de la première ligne auxproblèmes de santé, ont amélioré la satisfactiondes patients vis-à-vis des soins de premièreligne, amélioré l’image de la profession infir-mière au sein de la société, augmenté le tauxd’emploi dans la profession infirmière,… etamélioré la perception de santé et de maîtrisede sa santé dans la population.Finalement, n’est-ce pas tout ce que nous vou-lons pour le patient et pour nous-mêmes ?

Une infirmière en première ligne… pour quoi faire ?

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D ’ O B S TA C L E S

C O U R S E

Les prestataires de soins se rendent comptequ’ils ont tout intérêt à collaborer pour rendreun meilleur service au patient1. Sur le terrain,paramédicaux comme médecins généralistes seregroupent de plus en plus pour former desdispensaires ou cabinets médicaux.Pluridisciplinarité, interdisciplinarité, trans-disciplinarité sont des mots nouveaux quidemandent à être précisés ; ils ne sous-enten-dent pas nécessairement « équipe structurée ».Alors que la pluridisciplinarité juxtaposeplusieurs disciplines sans chercher à établir desrapports entre elles, l’interdisciplinarité tend àintégrer les savoirs des disciplines différentes,à les mettre en interaction. L’interdisciplinaireva permettre de répondre de manière plusadéquate aux besoins et aux demandes despatients, et tenir compte de la globalité de leurvécu.Elle exige la compétence des intervenants, unebonne communication, une organisation et unecoordination. La confidentialité et la souplessede fonctionnement sont nécessaires et aident àtravailler ensemble. Dans ce dispositif, il estimportant de donner une place aux intervenantset au patient pour exprimer les difficultésrencontrées, les nommer, les reconnaître et parla même occasion chercher à comprendre com-ment il est possible d’y trouver une solution.Enfin, l’évaluation est une étape indispensable.

Vers la transdisciplinaritéMicheline

Rosière,infirmière

indépendante etinfirmière de

deuxième ligne ensoins palliatifs.

Mo

ts clefs�: politique de santé,

soins de santé primaires, soins infirm

iers,interdisciplinarité.

○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○

○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○

Des soins de santé primaires efficientsimpliquent une collaboration structuréeentre intervenants. Si la pratique« solo » traditionnelle perd du terrainface aux différentes formes de collabo-ration, le travail en inter- ou en trans-disciplinarité rencontre néanmoins denombreux obstacles.

L’interdisciplinarité peut et doit s’apprendre. Undes modèles possibles que nous utilisons sur leterrain est le travail en réseaux. Depuis 1988,beaucoup de médecins généralistes et deparamédicaux se sont rassemblés bénévolementpour créer des coordinations de soins indépen-dantes. Ces méta–articulations vont permettreaux réseaux de fonctionner, d’assurer la con-nexion entre eux et de mettre en relation unestructure pyramidale (hôpital) avec une struc-ture en réseau (domicile).Différentes des coordinations intégrées dontnous parlerons plus loin, ces coordinationsindépendantes (réparties par région) informentsur les aides possibles, évaluent les besoins,mettent en place les soins et les services.L’assistante sociale coordonne les différentsintervenants tout en respectant le choix dupatient, sa mutuelle, le coût, et lui fait bénéficierd’un encadrement adapté et sécurisé audomicile. La coordinatrice est chargée desréunions d’intervenants, espaces de rencontreoù chacun pourra exprimer ses difficultés,apprendre à rencontrer et communiquer avecl’autre et être reconnu dans son travail et sarelation soignant/soigné (service gratuit).

Peu connue et peu utilisée, la fonction duService intégré des soins à domicile (SISD) estd’organiser une concertation multidisciplinaireau sujet d’un patient en perte d’autonomie.L’arrêté royal du 8 juillet 2003 a fixé les normespour l’agrément des Services intégrés des soinsà domicile. Pour qu’il y ait réunion deconcertation, le patient doit revenir de l’hôpitalen perte d’autonomie ou être depuis trente joursau domicile. Elle nécessite au moins la présencede trois prestataires de soins (nomenclatureINAMI) et ne peut être portée en compte qu’unefois par patient et par année.Malgré l’intervention financière forfaitaire, ily en a très peu car le patient ne remplit pastoujours les conditions. De plus, les prestatairespréfèrent souvent les réunions d’intervenants(souvent moins de trois prestataires), les ren-contres informelles, les conversations télépho-niques, le carnet de liaison… sans oublier lalourdeur administrative pour la coordinatrice desoins qui n’est pas rémunérée pour cet aspectdu travail.

On parle aussi d’interdisciplinarité avec leséquipes de seconde ligne en soins palliatifs. Ces

(1) La tendance àse regrouper

répond en fait àun double

mouvementconvergent. Il y a

à assurer laqualité de soinsqui sont de plusen complexes et

doivent répondreà une notion de

continuité. Maisle travail en

collaborationpermet aussi aux

intervenants derépondre au souci

croissant dequalité de leur

propre vie.

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56 Santé conjuguée - juillet 2006 - n° 37

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équipes, créées en 1999, sont réparties parprovince suivant le nombre d’habitants. Ellesaccompagnent et soutiennent le patient, lafamille et les intervenants de première ligne.L’équipe de deuxième ligne va apporter unregard extérieur et complémentaire quant àl’évaluation et au suivi de la douleur et autressymptômes d’inconfort, de l’aide et des conseilssur les plans techniques, matériels et adminis-tratifs. Ces équipes peuvent vraiment poten-tialiser l’interdisciplinarité par leur rôle de tiersen permettant entre autre l’expression du vécude chacun.

Vers la transdisciplinarité

Bibliographie

L’éthique en chemin, C. Bolly et V. Grandjean,Weyrich Édition, 2004.

L’interdisciplinaritérencontre de nombreuxobstacles, parmi les-quels l’absence demotivation due auxhabitudes, la peur derencontrer l’autre, deperdre sa place, d’êtrejugé, la recherche dupouvoir que ce soit surle patient ou sur lescollègues, le manquede formation, le coûtdes formations, lemanque de commu-nication et surtout lemanque de temps,élément capital pourune bonne pratique et formation. Je ne parleraipas de la lourdeur administrative pour lesdossiers, les demandes de soins et la facturation.

Et pourtant, beaucoup de prestataires serencontrent bénévolement pour partager leursvaleurs, soutenir ces réseaux et espèrent arriverà une transdisciplinarité qui leur permettra depasser au-delà des frontières entre les diffé-rentes disciplines et d’accéder à une nouvelledimension, à un savoir nouveau.

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57Santé conjuguée - juillet 2006 - n° 37

D ’ O B S TA C L E S

C O U R S E

Un retard culturel

❍ Santé conjuguée : En tant que médecin etdéputé Ecolo, vous êtes fortement impliqué dansles questions de politique de santé. Quelle estvotre lecture du « désamour » pour les soinsde santé primaires ?

● Paul Galand : La médecine a plusieursvisages. De façon un peu réductrice, il y a d’uncôté une médecine « triomphante », brillante etpleine de réussites. Elle profite à la fois du pro-grès scientifique et de l’idéologie de la crois-sance, du « toujours plus ». De l’autre, il y aune médecine qui est proche des gens et qui,elle, continue à affronter l’échec devant la mortet la souffrance. Une souffrance qui ne seconfond pas avec la douleur : si la médecine

Pour une culture (politique) des soins desanté primaires

Paul Galand,député Ecolo.Interrogé par

Axel Hoffman,médecin

généraliste à lamaison médicale

Norman Bethune,coordinateur de

rédaction.

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Mo

ts clefs : soins de santé primaires,

politique de santé, formation,

recherche en soins de santé primaires.

Les soins de santé primaires souffrentd’un déficit culturel tant au niveau dupublic qu’à l’intérieur du secteur de lasanté, ce qui se marque notamment parla difficulté à développer une formationet une recherche spécifique. Ils pâtis-sent également d’un manque de visibi-lité et de reconnaissance au niveaupolitique. Des solutions à ces problè-mes se mettent en place, mais il faudraencore du temps et de la volonté pourque les soins de santé primaires soientsoutenus à leur juste importance.

parvient à mieux contrôler la douleur, il n’enva pas de même avec la souffrance, avec toutce qu’elle véhicule de moral, d’existentiel. Legénéraliste, c’est celui qui maintient la souf-france au milieu de la cité, qui maintient cettequestion dans la cité, dans la famille, parmi lesproches. C’est un gêneur, il contrevient au désirsubconscient de la société de cacher la souf-france derrière des murs, comme naguère onenfermait la folie. Si on se bat pour la médecinegénérale, pour maintenir des malades chroni-ques près des leurs dans la cité, pour accom-pagner le patient en fin de vie à la maison, onn’est pas dans l’idéologie et dans la culturedominantes.

Il y a donc une dimension culturelle, qui ne selaisse pas réduire à une opposition simplisteentre par exemple médecine triomphante etmédecine pauvre. Le progrès scientifique a étéplus rapide que le progrès philosophique etculturel, à la limite il devient en porte à fauxavec lui-même. On prend des risques quand onfait des progrès en sciences et en santé sans fairesimultanément un travail d’évolution culturelle,de renforcement philosophique, d’humanisa-tion. Une idéologie de la croissance pour lacroissance, n’est pas une idéologie porteuse,c’est une course folle en avant, sans but au-delàd’elle-même. Il faut une réflexion collective surl’idéologie de la croissance, car livrée à elle-même elle aboutit à des effets contraires à cequ’elle promet.

Formation et recherche ensoins de santé primaires, lesparents pauvres

❍ La critique écologique d’un progrès nonréfléchi trouve ici un terrain d’application toutà fait pertinent. Mais le manque de visioncohérente du champ de la santé suffit-il àexpliquer la dévalorisation des soins de santéprimaires ?

● Il y a bien sur d’autres éléments, notam-ment en termes de santé publique. Dès « ledébut », la formation médicale est conçue selon

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une approche dominante qui est le résultat d’unequasi fusion entre faculté de médecine et hôpitaluniversitaire. La première ligne de soins a unchamp d’action spécifique qui n’est absolumentpas celui de la médecine hospitalo-universitaire,spécificité que la formation de base a oubliéallègrement depuis longtemps. Dénoncer celane signifie pas critiquer l’hôpital universitaire,qui a sa place, mais il ne doit pas être la référen-ce de la faculté de médecine qui déborde de cecadre étroit et a pour mission de former à chaqueligne de soins. On pourrait imaginer, et ici jepropose des idées « à casser » pour faire avancerla réflexion, que tout le monde fasse un stageen médecine générale, un en « prévention », unen hôpital universitaire, un en hôpital général,et passe quelques heures dans le bureau d’unmédecin conseil, pour vivre ce que c’est. Il y ades ambiances et des vécus différents, le patientne se présente pas de la même façon à la consul-tation d’un médecin généraliste, en radiologieà l’hôpital, ou chez le médecin conseil.

Il en va de même pour la recherche en médecinede première ligne, qui devrait aussi être trèspointue mais n’est actuellement pas assezdéveloppée. La recherche en prévention restele parent pauvre dans les choix budgétaires.

Les politiques doivent se confronter à ce pro-blème puisque c’est à eux que revient de veillerà la subsidiation adéquate des facultés.

❍ L’aspect hospitalo-universitaire seraithypertrophié, aux dépens des autres aspects dessoins de santé ?

● Je ne dis pas que l’hôpital est hypertrophié,mais que la faculté de médecine est trop àl’étroit dans sa référence à l’hôpital universi-taire. Elle doit enrichir sa perception « glo-bale ». Ainsi, on sent bien que les Centresuniversitaires de médecin générale (CUMG) nesont encore trop souvent qu’un appendice quel’on a accolé à la faculté ! Ils ne sont pas vrai-ment un pivot de la faculté et cela ne va pas :tout le monde dans la faculté devrait être porteurde la médecine générale comme tout le mondel’est de la médecine spécialisée, quelle que soitl’orientation qu’on va prendre.

Clés pour une implicationpolitique

❍ Comment le politique pourrait-il redresserla situation ?

● Peu de gens venant de la médecine généraleassument un mandat politique. Certains vien-nent de la coopération. Les relais dans le milieuparlementaire sont peu établis de façon regu-lière et plualiste. Les relations entre les syndi-cats comme le Groupement belge des omnipra-ticiens (GBO) et les parlementaires commen-cent seulement à s’organiser. Je parle du pouvoirlégislatif, pas de l’exécutif. Pourtant, c’est lepouvoir législatif qui pense la politique à moyenterme et vote les budgets.

Un groupe de médecin a pu établir de bonsrelais, ce sont les maisons médicales. Elles ontobtenu beaucoup par rapport à d’autres maisc’est insuffisant parce que limité au créneaumaisons médicales. Il faudrait généraliser leurexpérience, la partager avec les associationslocales de médecins généralistes. Les maisonsmédicales ont fait comprendre aux politiquesque le travail en solo est dépassé, mais l’alterna-tive ce n’est pas seulement la maison médicale,c’est aussi l’association locale ou d’autres for-mes. Chacun a à s’insérer à sa façon dans unréseau qui est plus large que lui, et, ensemble,ils doivent organiser leurs relais vis-à-vis dupouvoir législatif.

Il est important que chaque niveau d’orga-nisation de médecins généralistes situe bien oùest son niveau d’intervention le plus adéquat :le GBO pour négocier au niveau de l’assurancemaladie invalidité et du statut professionnel, lesassociations locales au niveau du pouvoircommunal ou régional pour ce qui concernel’organisation locale de soins, le travail avecles CPAS, le réseau d’hôpitaux régionaux, lesServices intégrés de soins à domicile (SISD).

Il importe aussi de se faire entendre dans leslieux adéquats où tous les partis démocratiquessont présents, pour ne pas tomber dans les jeuxpartisans : il y a des choses que les partis démo-

Pour une culture (politique) des soins de santé primaires

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cratiques peuvent défendre ensemble parcequ’il y a un intérêt général, un bien commun.Faire de petites étapes ensemble permet souventde plus grandes avancées. Prenons l’exempledu budget de la Commission communautairefrançaise pour la santé mentale en Région Bru-xelloise. Le budget de ce secteur est propor-tionnellement plus élevé à Bruxelles qu’enWallonie, parce qu’un noyau de parlementairesfrancophones de tous les partis démocratiques,majorité et opposition, à l’écoute des gens deterrain, a défendu l’option ambulatoire.

❍ Cela signifie-t-il que si les soins de santéprimaires sont peu développés c’est en partieen raison de leur manque de visibilité publique,de communication politique ?

● Le non-marchand tend à se référer au pou-voir subsidiant, à l’exécutif, en oubliant un tiers,c’est-à-dire le législatif. Réciproquement, lelégislatif lui aussi aurait pu penser à s’investirdavantage. C’est difficile parce que le travaildu généraliste, par exemple toute son activitéde prévention, n’est pas théorisé, ni même con-nu, ni a fortiori, suffisamment reconnu.

Quand on a fait signer par tous les partis démo-cratiques la résolution organisant le dépistagesystématique par mammotest, on voyait bienque pour mobiliser les femmes, les acteursprivilégiés étaient le généraliste et le gynéco-logue. Qui a-t-on le plus entendu? Le point devue des radiologues. Et dans Le journal dumédecin, et même au Parlement, on parle declinique du sein, pas assez des femmes ! L’actu-alité est dominée par un débat entre radio-logues, sénologues et gens de santé publique.Mais question actuelle est : comment amener30% de femmes en plus au mammotest ? Si onavait interrogé les généralistes sur leur expé-rience, ils auraient indiqué comment les femmesreçoivent les messages de prévention, suggéréles meilleurs moyens de les toucher... Il auraitfallu qu’à la faculté de médecine, des généralis-tes, des sociologues de la santé, des anthropo-logues se demandent ensemble comment testerla communication.

Mais tout ceci évolue, non sans combat, et on

voit de plus en plus de commissions inviter desgénéralistes parce que des gens du législatif s’ensont préoccupés, d’eux-mêmes ou poussés parles généralistes. C’est maintenant une préoc-cupation que les généralistes soient non seule-ment appelés en consultation et écoutés, parexemple lors d’auditions parlementaires, maisaussi représentés, par exemple au conseild’administration de BRUMAMMO ou aucabinet d’un ministre (même si actuellement cen’est le cas que dans un seul cabinet). Il y a dixans, cela n’arrivait pas ! Mais ce « démarrage »arrive fort tard, au moment où la situation estdevenue très grave et continue à s’aggraverpendant que les éléments positifs se mettent enplace. Les effets bénéfiques ne vont pas se fairesentir tout de suite. Et avant que la tendance nes’inverse, il faut continuer l’effort pendant desannées.

Autre exemple de déficit en soins de santé pri-maires, l’école sans tabac. Il faut sans cesse ta-per sur le clou pour rappeler qu’il y a la méde-

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cine scolaire et rappeler que la médecinescolaire doit servir aussi à faire le lien avec lemédecin traitant. L’enchaînement positif, c’estque lors des examens de médecine scolaire, lemédecin s’enquiert de savoir si le jeune fume,s’il a vraiment un problème de tabagisme,conseille de contacter le médecin famille et dansles semaines suivantes, lui ou l’infirmière re-contacte le jeune pour savoir s’il a vu son méde-cin traitant et, si nécessaire, contacte ce dernier.C’est comme cela que le médecin scolaire varetrouver plus de crédibilité.

Les décrets sont souvent bien faits mais lesarrêtés d’application laissent souvent à désirer.La loi donne le cadre, la philosophie, maisquand on veut faire, par exemple, de la bonnerécolte de données, il faut pas se fier aux cabi-nets ou à l’administration, il faut confier ça auxmédecins et à des instances de santé publiquecompétentes et ayant une expertise du terrain.Les facultés de médecine auraient du déjàétudier tout ça plus à fond.

❍ Il y a beaucoup de forces d’inertie ?

● Comme dans toute activité humaine, maison se bat pour que les coordinations de généra-listes aient des subsides, pour que celui qui sedévoue pour représenter ses collègues et négo-cie avec le pouvoir ait les moyens de remplircette mission. L’appui logistique à la représen-tation et à la concertation est très important, ycompris au niveau des soins primaires, ce qu’onoublie trop souvent. Par exemple en Régionbruxelloise, on a 20.000 euros pour la coordi-nation des médecins généralistes et 958.000euros pour la coordination hospitalière. C’estmieux qu’avant, quand il n’y avait rien pourles généralistes... mais quel déséquilibre, quin’est pas là par hasard !

Il faut sensibiliser les partis car lorsqu’un minis-tre de la Santé est nommé, il n’a pas le réflexede prendre un médecin de famille expérimentédans son cabinet. C’est comme cela que pourle tabac, on parle des pneumologues et pas dela personne qui voit le plus de gens, le géné-raliste. Il faut donner des moyens aux Groupeslocaux d’évaluation médicale (GLEM) et auxgénéralistes, il faut gagner ça culturellement carau niveau de l’opinion publique, sans s’enrendre compte, on dévalorise sans cesse le géné-

Pour une culture (politique) des soins de santé primaires

raliste. D’autant que de leur côté, les médecinsgénéralistes ne perçoivent peut-être pas encoreassez l’importance de leur expertise acquisedans le contact humain et combien cette exper-tise est essentielle pour bien ajuster lespolitiques de santé aux différents niveaux depouvoir.

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Glissement de soinsBenoît Dreze,

ingénieurindustriel, député

fédéral cdH etOlivier de

Stexhe, juriste,conseiller

parlementairecdH.

Mo

ts clefs�: politique de santé,

soins de santé primaires, financem

ent des soins.

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Quels sont les obstacles importants audéveloppement des soins de santé pri-maires en Belgique ? La question poséepar les concepteurs de la revue pré-suppose l’existence d’un paradoxe : lessoins de santé primaires sont consi-dérés comme importants dans notrepays et pourtant ils n’ont pas la placequ’ils méritent.Ce paradoxe pourrait aussi être for-mulé dans les termes suivants : onassiste progressivement à un glissementdes soins donnés par une première lignede thérapeutes qui se caractérisent parleur facilité d’accès – les médecinsgénéralistes, les pharmaciens, lesinfirmier(e)s, les kinésithérapeutes, lesdiététiciens, etc. – vers des soins plusspécialisés et plus techniques, qui sontpourtant plus difficiles d’accès.Nous proposons, dans la présentecontribution, de donner en premier lieules raisons qui, selon nous, peuventexpliquer un tel glissement, en secondlieu, de mettre en lumière quelquesconséquences concrètes et, en troisièmelieu, de proposer des pistes de solutionslorsque ce glissement s’avère injustifié.

Du glissement vers la deuxièmeligne

Ce glissement s’explique selon nous par laconjonction de trois phénomènes : il y a d’abordun élément historique et culturel ; il y a ensuiteune crise identitaire qui en découle et, enfin,un élément lié à la formation de base et conti-nue.Du point de vue historique et culturel d’abord,le XXème siècle a connu, dans le domaine médi-cal comme dans d’autres domaines, undéveloppement technologique et scientifiqueextraordinaire. Ce développement permet sansconteste dans bon nombre de cas une prise encharge plus pointue et plus appropriée, enparticulier dans des pathologies ciblées ou quirequièrent des traitements de pointe. Cedéveloppement technologique contribue auprogrès médical et doit donc être soutenu à cettefin.Par ailleurs, depuis la fin du XIXème siècle, larelation entretenue par le patient avec sonmédecin a profondément évolué. L’affirmationde plus en plus marquée des droits fondamen-taux s’est propagée au secteur médical et aconduit le patient à revendiquer davantage dedroits dans la relation soignant/soigné, à exigerd’être mieux pris en compte, d’être mieuxinformé tant sur la maladie que sur lestraitements possibles (voir la loi du 22 août 2002relative aux droits du patient). Les patients,regroupés le cas échéant en associations,exigent les traitements les plus pointus pour leurpathologie. Or, force est de constater que lessoins spécialisés offrent certaines réponses à cesattentes.La donne historique et culturelle se doubled’une crise identitaire. Chaque soin spécifiquea son thérapeute spécialisé aux compétencesciblées et reconnues. Les soins de santé pri-maires se définissent dès lors de plus en plus« en creux » ou « par défaut », à savoir tous lessoins non spécialisés, un territoire flou habitéde relations humaines vaguement thérapeuti-ques.Comme troisième élément, la formation desprofessionnels de la santé de première lignepourrait sans doute favoriser davantage ledéveloppement de ces soins. Car en effet, lesmédecins généralistes ont parfois tendance àvouloir se considérer comme des spécialistes

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de tout plutôt qu’à mettre en valeur les poten-tialités offertes par la transversalité de leursacquis et de leur expérience.

Des conséquences duglissement

Le recours à des soins de plus en plus techniqueset spécialisés se répercute dans une séried’évolutions récentes de notre système de soins.Selon la dernière enquête de santé des Belges,le nombre moyen de contacts avec un médecingénéraliste par personne et par an est passé de5,3 en 2001 à 4,5 en 2004. Le nombre moyende contacts avec un dentiste suit cette tendanceà la baisse : de 1,7 en 2001 à 1,4 en 2004. Parcontre, le nombre moyen de contacts avec unmédecin spécialiste par personne et par an eststable voire en légère augmentation (il resteautour de 2,3). A noter également que la propor-tion de contacts avec un service d’urgencehospitalier sans référence de la part d’unmédecin est passée de 76 % en 2001 à 82 % en2004.

Par ailleurs, le nombre décroissant de jeunesqui se destinent à la médecine générale estcertainement révélateur du manque d’attraitdont souffre aujourd’hui cette profession auprèsde la jeune génération.

L’organisation de notre système de soins desanté fait « boule de neige » :

• depuis plusieurs années maintenant, lenumerus clausus qui frappe les médecins etla mauvaise répartition des prestataires surle territoire entre les régions rurales et lesrégions urbaines créent des effets de pénurie,dont les effets se font sentir tant en milieuambulatoire (problème des gardes médicales)qu’en milieu hospitalier (appel à des profes-sionnels étrangers) ;

• le morcellement des organisations de presta-taires de soins (syndicats, associations,groupements divers) et l’existence de réseauxhospitaliers aux intérêts divergents créent desoppositions et ralentissent la mise en placed’une politique de gestion cohérente et effi-ciente ;

• le système de financement des prestations desoins fait plus que jamais la part belle aux

« actes techniques » plutôt qu’aux « presta-tions intellectuelles », ce qui entraîneinévitablement une multiplication des pre-miers et un délaissement progressif dessecondes.

En soi, l’offre de soins spécialisée n’est pas unmal ; au contraire, avons-nous écrit, elle contri-bue au progrès médical. Le glissement susvisécomporte néanmoins des risques s’il induit undéplacement non rationnel de la prise encharge : approche parfois trop compartimentéeet, de ce fait, moins efficace en termes de santépublique, augmentation des coûts, etc. Ainsi,selon le professeur Barbara Starfield, l’espé-rance de vie, de même que l’état de santé globaldes populations, seraient supérieurs dans lespays qui accordent à la médecine générale unpoids plus important (tels que le Danemark, laFinlande, les Pays-Bas, l’Espagne et leRoyaume-Uni). Elle affirme, de façon générale,« qu’un système de soins de santé centré surles soins primaires améliore les résultats entermes de santé »1.

Pour une prise en chargeprimaire adéquate

Il apparaît donc crucial pour l’avenir de notresystème de soins de santé de créer les conditionsnécessaires pour éviter tout déplacement versune prise en charge technique non justifiée etpour valoriser dans ce cas une prise en charge« primaire » adéquate. Sans entrer dans lesdétails (cela ferait l’objet d’un autre article),les pistes suivantes nous semblent à ce sujetprioritaires :

• au niveau de la formation tout d’abord, ilparaît indispensable que davantage demédecins généralistes intègrent les facultésde médecine, afin de transmettre aux futursdiplômés les savoirs et le savoir-faire propresà cette discipline ;

• l’organisation du système de soins doit êtrerepensée comme un ensemble cohérent, pourfavoriser la complémentarité plutôt que laconcurrence.

A ce sujet, le plan de revalorisation de la méde-cine générale présenté par le ministre RudyDemotte dans le cadre de la loi programme de

Glissement de soins

(1) B. Starfield,Outcome ofdifferent healthsystemsdependant on therole andorganization ofprimary care,<http://www.praxistest.de/fileadmin/pdf/Starfield-Berlin-Jan05.pdf>.

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décembre 2005 peut être encouragé. Nous ren-voyons ici notamment aux travaux en cours enmatière de trajets de soins et de Dossier médicalglobal (DMG). Nous sommes également favo-rables à la constitution d’un « Fonds d’impul-sion pour la médecine générale » destiné àinciter à l’installation de pratiques (de groupeou individuelles) dans des régions « àproblème ».

Nous regrettons néanmoins jusqu’ici le manquede réalisations concrètes. Les mesures suivantesdevraient être prises au plus vite :

• révision intégrale de la nomenclature en vuenotamment de faire correspondre les tarifsaux coûts réels et de revaloriser financière-ment l’acte intellectuel (en tenant compte,dans ces prestations, de l’importance dufacteur humain) ;

• mise en réseau, par le net, des dossiers médi-caux, tout en garantissant le respect de la vieprivée et du secret médical ; cette mise enréseau doit concerner tous les prestataires desoins susceptibles d’intervenir pour le patientconcerné, par delà les réseaux (médecinsgénéralistes, médecins spécialistes, hôpitaux,kinésithérapeutes, etc.) ; ceci implique unepolitique volontariste de mise à niveau desdifférents réseaux hospitaliers ;

• valorisation financière et systématique dupassage premier du patient par son médecin ●

généraliste dans toutes les pathologies où celase justifie ;

• suppression (ou réévaluation fondamentale)du numerus clausus en médecine ;

• évaluation et adaptation de l’organisation dusystème des gardes médicales pour répondreà l’évolution de la profession (féminisation,etc.) et aux besoins légitimes de conciliationentre la profession et la vie privée ;

• amélioration des conditions de travail et dela qualité de vie du personnel infirmier(augmentation de personnel, horaires detravail, fins de carrières, etc.) ;

• simplification administrative des procéduresde remboursement des prestations de soins :prescriptions médicamenteuses, travailquotidien du kinésithérapeute, … ;

• etc.

Les phénomènes de déplacement non rationneldes prises en charge vers des soins techniqueset spécialisés s’expliquent grandement par deséléments historiques et culturels. Ces phéno-mènes ont néanmoins trouvé une caisse derésonance dans la façon dont notre système desoins s’est organisé. Nous pensons aujourd’huique la tendance inverse peut être amorcée :organisons notre système de soins d’une ma-nière telle que chaque type de soin soit presté àbon escient et de la manière la plus efficace quisoit. Dans cette organisation, les soins primairesont leur place et doivent être valorisés.

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Donner aux soins de santé primaires, dits de« première ligne » une plus grande efficacitépar le moyen d’une meilleure organisation etd’une aide financière est un objectif digne duplus grand intérêt. Il a comme mérite essentield’augmenter l’efficience des soins de santé, àsavoir une utilisation optimale des moyensfinanciers mis à la disposition des prestataireset de leurs patients. Les soins de premièreslignes présentent l’avantage essentiel de laproximité. En effet, le prestataire est proche deson patient, de son milieu, de ses problèmesfamiliaux, professionnels, environnementaux etfinanciers. C’est dans cette relation que peut lemieux se développer le rapport humain.

Du danger des décisions doctrinaires ouadministratives

DanielBacquelaine,médecin,président duGroupe MR à laChambre desreprésentants,Commission de lasanté publique etdes affairessociales.

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M. Bacquelaine, député MR, soutientles soins de santé primaires en tantqu’acteur de proximité et permettantune utilisation optimale des moyensfinanciers. Considérant que les objec-tifs des soins de santé primaires sontactuellement rencontrés, il estime queleur développement passe par la revalo-risation des acteurs, une réduction descharges administratives, une collabora-tion entre les prestataires et le maintientde la liberté de choix du patient. Ildénonce le danger potentiel de struc-tures rigides et doctrinaires.

D’autre part, la relation directe avec le patientet son approche holistique constituent lameilleure garantie d’une utilisation rationnelledes moyens de la santé laquelle répond auconcept de l’Evidence based medecine quifavorise un rapport logique (cohérent) et pro-gressif entre le cas clinique et les moyensdiagnostiques et thérapeutiques mis en œuvre.Indépendamment du coût croissant destechnologies médicales, l’hôpital constitue leposte le plus important du budget des soins desanté - plus de la moitié dans sa globalité.Privilégier tant le diagnostic que le traitementdu patient en ambulatoire, par l’optimisationdes prestations de la première ligne ne peut queconstituer une économie de moyens non négli-geable et un plus grand confort pour le patient.

Il y a lieu de considérer qu’en l’état actuel cesobjectifs sont en principe rencontrés par lamédecine de première ligne. Il reste en fait àparfaire cette politique notamment en luidonnant les moyens adéquats d’une part et enrevalorisant cette mission d’autre part.Ces moyens sont, notamment, de valoriser lesacteurs (médecins généralistes, spécialistesextrahospitaliers, infirmiers, kinésithéra-peutes…) par la détermination d’honorairesadéquats, d’accroître leur disponibilité par unemodification drastique des charges administra-tives de plus en plus lourdes et envahissantes,de favoriser la collaboration entre les diversacteurs et de favoriser l’échelonnement dessoins non pas dans une structure rigide maisdans un suivi logique, en respectant le librechoix.

Lorsque l’on veut favoriser une meilleure orga-nisation des soins de première ligne, il échetd’éviter certains aléas potentiels telle qu’uneorganisation trop rigide qui verrait des struc-tures trop lourdes d’essence doctrinairehypothéquer l’efficience réelle d’une premièreligne rénovée. On ne peut tolérer que pour desraisons démagogiques ou mercantiles, desservices organisés s’imposent comme acteurspréférentiels de la première ligne, notammentpar le bénéfice de financements injustifiés etpartisans.S’agissant de l’aspect humain et personnalisé,atout de la médecine de proximité, il est aussi à

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craindre qu’une trop grande structuration àvocation administrative aille en fait à l’encontrede semblable approche.Il est habituel que l’embrigadement administra-tif du patient soit assorti d’une politique deforfait. Or, il y a lieu de réserver la politiquedes forfaits aux domaines qui peuvent s’y prêter(exemple : certaines pathologies à l’hôpital), deles définir sur base d’étude préalable d’effica-cité et de faisabilité, d’en définir de manièrestricte les contenus afin de ne pas hypothéquerla qualité des soins et d’exercer un contrôlestrict et objectif quant à leur utilisation et quantà leur impact budgétaire réel.

Des craintes peuvent aussi être formulées ausujet du libre choix, lequel doit être préservécomme l’un des piliers de notre système desoins de santé. En d’autres termes, il ne peutêtre imposé à l’assuré telle forme de soins oude structures dont il n’est pas en fait demandeur.Le libre choix du médecin et des prestatairesde soins par le patient constitue un droit fonda-mental, une garantie indispensable à ladispensation de soins performants et de qualitéet d’autre part à l’établissement de la nécessairerelation de confiance entre le patient et leprestataire.

Sur la base de ces réflexions et de ces réserves,il s’avère qu’une optimisation de la médecinede première ligne ne peut que répondre auxobjectifs sanitaires et sociaux de la médecine.Il apparaît que pour réaliser efficacement cesobjectifs, l’on doit se garder de décisions doctri-naires ou administratives. Ceci suppose quel’évolution se pratique en réflexion et en accordavec les acteurs de terrain. ●

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Premier point de contact des gens avec le sys-tème de santé, les soins primaires soutiennentles personnes et les familles et les aident àprendre les meilleures décisions possibles pourleur santé. Ils incluent la promotion de la santéet la prévention de la maladie, les évaluationsde la santé, le diagnostic et le traitement demaladies épisodiques et chroniques, ainsi queles soins de soutien et de réadaptation. Lesservices sont coordonnés, accessibles à tous etofferts par des professionnels de la santécompétents qui facilitent au besoin le recours àd’autres services connexes à la santé.Certains freins et obstacles sociaux et profes-sionnels entravent le développement des soinsprimaires.

Des obstacles sociologiques mais aussiprofessionnels

Jean-PaulDercq, médecin,inspecteurgénéral, directionRecherche,Développement etQualité del’INAMI.

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Vu de l’administration, les obstacles audéveloppement des soins de santé pri-maires sont à rechercher certes dans uncertain contexte sociologique, maisaussi à l’intérieur de la professionmédicale.

Freins sociaux

Un certain nombre de comportements etcroyances du public et des usagers fait obstacleau développement des soins de santé primairestels que décrits ici. Il en va de même de certaineshabitudes propres aux professionnels.

1. Séduction et prédominance de la techno-logie médicale, apanage des secondeslignes de soins, sur les actes intellectuelsqui constituent l’essentiel des interventionsen soins de santé primaires.

2. Difficulté pour l’individu de privilégier uncomportement de prévention-anticipation-responsabilité-organisation par rapport àdemande passive-curative.

3. Difficultés d’implémentation du multi-professionnalisme dans la formation et dansl’exercice des professions de santé.

4. Lenteur de la progression de l’informati-sation de la santé. La communication entreprofessionnels et la consultation de ressour-ces bibliographiques ou scientifiques estessentielle et repose, pour les soins pri-maires, davantage sur l’équipement indivi-duel. La clé de l’intégration des servicesde soins de santé réside dans les techno-logies facilitant l’échange d’informations.

Obstacles professionnels

D’autres facteurs liés à la profession elle-mêmeet à ses conditions d’exercice contribuent àfreiner le développement des soins de santéprimaires. Ils répondent « en miroir » aux ob-stacles sociologiques.

● Le paiement à l’acte

Parallèle à l’attirance « séductrice » que le pu-blic éprouve pour la technique (donc les secon-des lignes), les professionnels y trouvent unintérêt tout aussi puissant. Le paiement à l’actefavorise en effet l’acte technique, multipliableà souhait, au détriment de l’acte intellectuel.

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Cet obstacle commence à être contourné grâceà l’introduction de mécanismes derémunération de type forfaitaire (primeinformatique, accré-ditation, honoraires dedisponibilité, finance-ment des services degardes, Dossier médical global, passeportdiabétique, soutien financier à l’installation etau regroupement de méde-cins). Une volontéplus marquée de renforcer la rémunération desactes intellectuels est également observée.

● Insuffisance de développement desprocessus de mesure et d’amélioration dela qualité

Actuellement le processus d’accréditation repo-se essentiellement sur la formation continue etle peer-review ; il y a peu d’éléments probantsdémontrant que ces mécanismes ont produit desavancées en matière de mesure et d’améliora-tion de la qualité des soins. Il y a pourtant unedemande croissante des professionnels de lasanté pour développer des projets de qualité desoins basés sur des enregistrements spécifiquesde données médicales qui, anonymisées pourle prestataire et le patient, devraient être soumisaux professionnels de la santé eux-mêmes.

● Difficultés de collaboration entreprestataires

Aucun médecin ne peut espérer maîtrisercomplètement toutes les connaissances sur lesdiagnostics et les traitements de plus en plusnombreux, sans parler des florissantes publica-tions de recherche sur les déterminants sociauxde la santé.La collaboration, notamment au sein de trajetsde soins, entre médecin spécialiste et médecingénéraliste ainsi qu’avec d’autres profession-nels de la santé est indispensable. Il s’agit plusparticulièrement du renforcement de la colla-boration entre les médecins généralistes et lesmédecins spécialistes dans le cadre de l’intro-duction des trajets de soins en faveur despatients qui ont besoin de soins complexes.L’organisation des soins pour les patients quiont besoin de soins lourds contribue à l’amé-lioration de la collaboration des médecins s’oc-cupant d’un même patient et elle a pour avan-

tage d’améliorer la qualité des soins donnés aupatient.Il faut éviter le cumul des rôles de chaque acteurdans le domaine de la santé (répondant descoûts, fournisseur de prestations, autorité habi-litée à légiférer, planificateur de l’offre sanitaire,instance de recours). Les conflits d’intérêtsdoivent être atténués par des mesures juridiquesappropriées.

● Difficultés de développement dumultiprofessionnalisme

Les médecins sont formés surtout pour établirdes diagnostics et fournir des traitements auxpersonnes, en mettant l’accent sur certainesparties précises du corps. Ils sont orientés versl’intervention médicale, les soins de préventionmédicaux et les moyens médicaux pour pré-server la santé. Pourtant, la recherche sur lapromotion de la santé et la prévention de lamaladie montre clairement que la santé estdéterminée par des facteurs multiples qui

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doivent être abordés de différentes façons.Beaucoup de ces déterminants exigent des com-pétences multiprofessionnelles organisation-nelles, et non-médicales (par exemple : socio-logie, communication) qui dépassent de loin lessoins médicaux et dont certains exigent unecompréhension des collectivités dans lesquellesvivent les gens. L’importance encore accordéeactuellement aux pratiques médicales en solone permet pas de tirer profit de l’ensemble descompétences des professionnels de la santé,compétences qui sont critiques tant pour lapromotion de la santé que pour le traitement demaladies ou d’incapacités.

La difficulté à partager les activités et à définirde manière complémentaire les rôles desdifférents acteurs de la santé est un défi à releversans délai.

● Difficultés d’implémenter des soinsintégrés

Il ne suffit pas de développer les collaborationsentre acteurs de santé continuant par ailleurs àexercer chacun en autarcie, une approche inté-grée nécessite un regard intégré sur les diversesfacettes des problèmes de santé. Elle requiertune disponibilité, une organisation du travailet une formation qui risquent de dépasser lespossibilités de praticiens isolés, et peuvent êtremieux rencontrées par la réunion de profes-sionnels issus de formations différentes. D’oùl’idée d’offrir des soins globaux, intégrés etcontinus, à partir d’une équipe pluridisci-plinaire.

C’est en outre une des solutions essentiellespour améliorer l’accès aux soins et gérer lespénuries de main-d’œuvre à venir, notammentl’outsourcing, l’importation de main-d’œuvreétrangère, la transformation des hôpitaux (avecinterfaces entre petites institutions et hôpitauxgénéraux), télémédecine et soins à domicile.

La capacité à organiser des soins devient essen-tielle et ne peut être remplacée par la capacité àdélivrer des soins ; le management des soinsest une discipline peut répandue et qui imprègneassez peu les facultés de médecine.

Des obstacles sociologiques mais aussi professionnels

Les technologies de l’information sont la char-pente des soins du futur étant entendu que lemanque de « soins intégrés » et le manque departage des informations sont les problèmes lesplus aigus auxquels les systèmes de soinsdoivent faire face. Le National Health Servicebritannique projette d’investir douze milliardsde dollars dans la construction d’un réseauintégré électronique de données médicales.

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Dans les hautes sphères de la santé publique,comme du côté des politiques, on se plaît à diredepuis des années qu’il faut donner une placecentrale aux soins de première ligne, à lamédecine générale, aux soins de proximité.Crise budgétaire chronique oblige, ou plutôtexplosion continuelle des coûts, une conver-gence de vue s’est opérée entre acteurs etdécideurs. En théorie, car dans les faits, la partdes budgets que l’on y consacre n’augmenteguère : l’hôpital, les médicaments et la techno-logie médicale continuent à absorber une partcroissante du gâteau de l’assurance maladie.

«�Primaires�»�? Vraiment�?

Dans une société démocratique où les médiaspèsent de plus en plus lourd dans la décisionpolitique, force est de constater que les « soinsde santé primaires » n’ont pas la cote.En français, les termes sont pour le moins mal-heureux. Le concept de santé publique, traduit

Les soins de santé primaires ne serontjamais « people »

Olivier Mariage,médecin

généraliste à lamaison médicale

du Gué.

Mo

ts clefs�: politique de santé,

soins de santé primaires, systèm

e de santé.

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L’image que donnent d’eux-mêmes lessoins de santé primaires est dévalori-sante. Ce déficit symbolique renforceet reflète leur infériorisation dansl’organisation réelle du système desoins. Au-delà d’une réorganisationrationnelle de ce système, c’est aussid’une révolution culturelle que nousavons besoin.

de l’anglais (primary care), passe mal enfrançais. Le petit Robert définit ainsi le mot« primaire » : « du premier degré… simplisteet borné… ». Notons la similitude avec lesystème scolaire : du primaire à l’universitairepour indiquer la hiérarchie du savoir, profon-dément ancrée dans notre culture. Lesspécialistes ont eu, par contre, la précaution dene pas qualifier leurs soins de « secondaires » :« spécialisé », c’est tellement mieux. Et latechnologie de pointe se trouve dans les « ser-vices universitaires ». Pourquoi plus universi-taires que les autres ? La médecine générale esttout aussi universitaire que je sache.

Dans une société où Dieu a largement cédé saplace à la science, le peuple s’accroche désespé-rément aux nouvelles avancées technologiquespour tenter d’échapper à la mort. Le systèmecapitaliste l’a bien compris et s’en est habile-ment servi : le marché de la santé, et particu-lièrement celui des médicaments, est le plusjuteux de tous sur les places boursières. Dansce contexte, on se demande quelle pourrait êtrela place des soins primaires, globaux et conti-nus : tout au plus serviront-ils aux responsablespolitiques à tenter de contenir l’hémorragie desdépenses de santé, sans peut-être d’ailleursjamais y arriver vraiment.

Mais que font les politiques ? Même ceux quien auraient la meilleure volonté sont biendémunis pour contrecarrer cette terriblemachine dont on se demande où elle va s’arrêter.Quand on fait de la politique, si on n’est paspeople, on n’existe pas. Et les soins de santéprimaires ne le sont vraiment pas.

D’autres termes que nous chérissons sont aussidévastateurs, ou à tout le moins révélateurs : leconcept de l’« échelonnement » par exemple.Non pas qu’il faille remette en question son bienfondé, que du contraire, mais le mot révèle ànouveau cette « pyramide » du savoir (en jargonde la santé publique on parle de pyramide dessoins). Tout en haut, le savoir pointu de latechnoscience dernier cri ; en bas de l’échelle,le généraliste… avec sous ses pieds, pour pour-suivre la caricature, les paramédicaux, et encoreen dessous, le patient…

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Décidément les vieux schémas ont la vie dureet il faut se rendre à l’évidence, en termed’organisation des soins de santé, la modernitén’est pas vraiment au rendez-vous.

Ceci se traduit encore dans d’autres choses :quand les généralistes organisent des forma-tions, à qui font-ils appel ? Le plus souvent, àdes spécialistes ou à des professeurs d’univer-sité.

Et les termes de « soins de première ligne » nesont pas nécessairement plus heureux : on peutse demander pourquoi on est aller chercher dujargon militaire, structure hiérarchisée parexcellence, alors que la médecine générale estd’abord un travail d’accompagnement dupatient, plutôt qu’un front de lutte contre lamaladie.

Le « médecin traitant », ce n’est guère mieux :dans l’administration, l’agent traitant est unexécutant qui traite le dossier… et mon voisinagriculteur, quand il pulvérise ses pommes de

terre, dit qu’il « traite » ses cultures… Nos pa-tient méritent mieux que cela. Quant au médecinde famille, c’est un peu plus chaleureux, maisavouons que dans le contexte actuel, c’est unpeu désuet.

Bref, les mots nous trahissent partout : les ac-teurs de soins de base (encore un, très basi-que…) n’arrivent pas à se vendre. Ils ont unepiètre image de leurs très nobles métiers. Leprofond malaise de la médecine générale n’yest sans doute pas étranger. Quand cesserons-nous de penser que nous ne sommes que des« médecins traitants primaires basiques en basde l’échelle » ?

Pour une vision systémiquerésolument humaniste etmoderne�: est-ce possible àtravers les mots�?

Le patient est le centre du système de santé,dit-on un peu partout. Belle déclaration d’inten-tion dans un système qui continue, dans les faits,à largement mépriser le patient. Mais l’intentiony est quand même. Ce peut être le point dedépart d’une nécessaire « révolution culturelle »des soins de santé. Juste à côté du patient quiest au centre, le médecin (tout court) et les autresintervenants de l’ambulatoire. Cette place estessentielle parce qu’elle est la seule qui permetde véritablement accompagner l’être humain ensouffrance, dans le respect de son histoire et desa singularité, dans la continuité.Autour de ce premier cercle, un deuxièmeconstitué par la médecine spécialisée, l’hôpital,la technologie médicale. Et plus loin encore,un troisième constitué de la médecine hyper-spécialisée et la technologie de pointe. Pas plusuniversitaires que les autres.

Véritable révolution culturelle disais-je carpréalablement il faut que nous prenions con-science de cette place essentielle, et que nousla traduisions dans notre langage. Les motspourront-ils nous aider à faire avancer leschoses ?

Les soins de santé primaires ne seront jamais « people »

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La qualité des soins, uneincantation

Depuis trop longtemps, dans le domaine de lasanté, on considère que la qualité supérieuredes soins dans notre pays (certainement du pointde vue du patient) est un fait acquis et peut êtremaintenu sans changement. Aujourd’hui, ilapparaît de plus en plus clairement que c’estloin d’être le cas et que le système actuel aatteint ses limites. Des réformes fondamentaless’imposent.

Tout d’abord, le niveau de qualité n’est pas aussiélevé qu’on le prétend. Les patients sont effecti-vement satisfaits de l’accessibilité des soins etde l’accès aisé à des moyens techniques avan-cés, mais les données objectives de morbiditéet de mortalité ne traduisent pas cet optimisme.Ainsi, il ressort d’une étude internationale,qu’en comparaison avec bon nombre de paysvoisins européens, la Belgique est loin de brilleren matière d’organisation et d’optimisation dela première ligne. Une série d’études démon-trent que la qualité et le rendement des soinstendent à pâtir de ces manquements. Lesresponsables politiques sont d’ailleurs bien

Il faut sauver le médecin généralistePiet Vanden

Bussche,médecin

généraliste.

Mo

ts clefs�: politique de santé,

soins de santé primaires, m

édecine générale.

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La profession de médecin généraliste,et avec elle la première ligne de soinsest en danger. In fine, c’est la qualitédes soins qui est en jeu. Quelles mesu-res sont à prendre pour enrayer cettemenace ? Le point de vue néerlando-phone, et plus spécifiquement celui deDomus medica.

conscients de ce fait puisque dans pratiquementchaque déclaration gouvernementale, ils insis-tent sur l’importance de renforcer cette premièreligne. Or, le Gouvernement ne parvient pas àréaliser une réorientation structurelle systé-matique des moyens à mettre en œuvre, ni àmettre en place un cadre de travail de qualitépour cette première ligne.

Le développement des soins de santé de pre-mière ligne est donc loin d’être garanti. Unedes plus grandes menaces planant sur ce projetest la pénurie de médecins qui s’annonce. Lenombre insuffisant de candidats généralistes, ladésertion de certains collègues qui partent s’ins-taller à l’étranger, l’inversion de la pyramidedes âges dans de nombreux services de garde,tous ces facteurs font penser que d’ici unedizaine d’années, il n’y aura plus assez de jeunescollègues pour assurer une permanence con-venable. Comme dans de nombreux autres payseuropéens, les généralistes pourraient fairepartie à court terme de la liste des « fonctionscritiques ». Apparemment, cette profession,pourtant passionnante en soi et pleine de défis,ne présente plus beaucoup d’attrait pour denombreux jeunes et leur entourage.

A moyen terme, cette tendance peut s’avérerdangereuse pour la qualité des soins : il fautdonc veiller à élaborer des stratégies pourintervenir à ce niveau. A l’avenir, il sera capitalde développer une première ligne solide afinde pouvoir assurer des soins de qualité. C’estl’unique option pour pouvoir continuer àgarantir des soins de santé solidaires à tous lespatients sans perte de qualité et dans uneenveloppe budgétaire de plus en plus restreinte.En outre, ces objectifs se présentent comme devéritables défis à relever lorsque l’on considèred’une part le vieillissement de la population etl’augmentation du nombre de pathologieschroniques et de confort, et d’autre part l’atten-tion croissante prêtée aux risques d’infectionset aux pandémies et le caractère de plus en plusexigeant des patients qui réclament des traite-ments préventifs et des soins à domicile dequalité, adaptés à leurs besoins.

Globalement, les mesures à prendre peuventêtre résumées en deux points : d’une part,soutenir suffisamment la profession d’un pointde vue financier, et la rendre attractive pour ces

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experts de haut niveau ; d’autre part, amélio-rer le cadre de travail structurel du médecingénéraliste.

La paupérisation de la premièreligne

En premier lieu, considérons l’aspect financier.On ne peut nier que d’importants efforts ontété réalisés ces dernières années afin de revalo-riser le revenu des généralistes (qui avait atteintun niveau honteusement bas). On a cependantnégligé de prendre les mesures structurellesnécessaires pour que cette revalorisation soitassurée à plus long terme. Si l’analyse des faitsdémontre que la structure actuelle des accordstarifaires définis par l’accord Medicomut estresponsable de cette débâcle et que, sanschangement, cette situation peut et va se repro-duire, il apparaît cependant qu’aucun enseigne-ment n’ait été retiré des expériences passées.Aussi demandons-nous depuis des années deréformer ce système. Les généralistes doiventpouvoir désigner leurs représentants et leursmandataires de façon autonome. Dans lesnégociations, il faut également définir claire-ment le budget attribué à la première ligne etdans celui-ci, la part réservée aux généralistes.En outre, ceci doit être négocié et fixé avec desreprésentants de la première ligne et desgénéralistes. Des politiciens éminents (Leuven :Débat sur la première ligne, symposium deseptembre 2005) ont été obligés d’admettre quele règlement global fédéral lié à la législationsur les hôpitaux relatif aux tarifications etindemnités, n’est pas adapté à la première ligne.En effet, ce règlement ne tient pas compte ducadre de travail et des moyens dont les dispensa-teurs de soins à domicile et la première ligneont besoin pour pouvoir remplir et assurer defaçon indépendante leur encadrement et leursbesoins. Un réaménagement global des fluxfinanciers s’impose avec une répartition clairedes budgets dédiés respectivement à la pre-mière, à la deuxième et à la troisième ligne.Pour l’instant, c’est précisément l’inverse quise produit : via des augmentations linéaires etdes « estimations ou tendance », la majeurepartie du budget global est déjà définie avantles négociations. En outre, c’est en général legroupe qui dispose déjà du budget le plus

important qui voit encore augmenter sesmoyens de fonctionnement en priorité (EffetMattheus). Par conséquent, les négociations neportent plus que sur les « miettes » qui doiventen outre être réparties entre les innombrablesbesoins et nouvelles demandes. Les institutionsqui emploient beaucoup de personnel (étantdonné les conséquences pour le marché dutravail et les engagements déjà convenus par laconvention collective de travail) ainsi que lessoins hautement techniques sont donc encoresouvent prioritaires.

Finalement, les efforts mis en oeuvre depuisplusieurs années pour soutenir les généralistesmenacent d’être à nouveau rapidement anéantis.D’ici quelques années, les problèmes de dys-fonctionnement de la première ligne se poserontà nouveau par manque de moyens structurelspermettant d’investir de façon permanente etprioritaire.

De plus, en raison d’une réforme d’Etat incom-plète, la première ligne s’est retrouvée dans unezone grise, entre le niveau fédéral et les commu-nautés. Ce statut est devenu par conséquentencore moins attrayant et extrêmement obscur.Les responsabilités sont diluées et chacun agitsans accord clair préalable.

Des conditions de travail «�àl’ancienne�» pour uneprofession en pleine mutation

En second lieu, le cadre de travail du généralisteet de toute la première ligne doit être adaptéaux nouvelles attentes et aux nouveaux besoins.Ces derniers sont extrêmement nombreux etsont définis d’une part par des phénomènes so-ciaux, et d’autre part, par l’évolution du contenuet de la réglementation des soins. Par exemple,le temps de contact par patient a considé-rablement augmenté (doublé ou même triplé)sans que les honoraires ne suivent. En outre,on assiste à une inflation évidente de la chargede travail qui n’est pas directement liée aucontact avec le patient : l’augmentation de lacharge administrative, les contacts et la per-manence téléphoniques, la gestion qualitativedes dossiers dans le cadre de la prévention etdes problèmes de soins chroniques, le temps

Il faut sauver le médecin généraliste

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dédié à l’étude et la formation. A cela s’ajoutentd’autres facteurs tels que l’avènement d’inter-net, les exigences du patient, l’arrivée du GSM,la disparition du conjoint aidant, la féminisationde la profession, le droit à une vie sociale etfamiliale, l’engagement social et le dévelop-pement personnel. Tous ces facteurs ont consi-dérablement évolué en l’espace d’une généra-tion. A l’inverse, la réglementation et le soutiende la pratique médicale n’ont quasiment pasévolué pendant ce temps, à l’exception de l’ap-parition capitale du Dossier médical global.

Entre-temps, la médecine générale est prati-quement la seule profession libérale qui nebénéficie pas d’un support en matière de secré-tariat ; l’accord du tiers-payant ne peut êtreinvoqué que de façon très limitée ; la colla-boration réciproque est découragée et parfoismême réprimée (par exemple dans le cadre duDossier médical global).De gros efforts sont fournis dans le cadre de laformation, qui est effectivement d’une qualitéexceptionnelle (ce que confirme l’enquête euro-péenne). Mais au terme de ces études, force estde constater par ces jeunes médecins qu’unepartie des pathologies et des connaissancesqu’ils ont acquises ne peut être exploitée, étantdonné que les patients s’adressent directementà la deuxième ligne, et ce en toute impunité. Lecoût supplémentaire non justifié, engendré parce phénomène, est assumé par les autoritéscomplaisantes, sans que l’utilisateur ne soitplacé devant ses responsabilités.

Les réponses de Domus medica

Au vu de tout ceci, nous avons pris nos respon-sabilités en tant que groupe de généralistes enFlandre. Laborieusement et non sans difficultés,nous essayons de concilier les divergencesmutuelles. Nous évoluons dans le sens d’uneDomus medica unique, afin d’être en mesurede traduire ensemble nos desiderata et d’essayerde créer une représentation unique. Le pouvoirpolitique va-t-il reconnaître cette probléma-tique ? Cela reste un grand point d’interroga-tion. Ce qui démontre à quel point nous sommespeu conscients des problèmes qui se posent etdes solutions possibles.Au sein de la Domus medica, nous avons défini

un programme d’exigences communes. Leconsensus Nord-Sud d’il y a quelques annéesconstitue une étape très importante à ce niveauet s’impose comme un signe avant-coureur.Cette organisation peut être décrite comme suit :une association professionnelle qui voue uneprofonde estime à la science et à l’étude scienti-fique, vise à offrir un soutien solide au généra-liste dans sa pratique et à soutenir la qualité deson travail, et peut agir, en tant qu’associationprofessionnelle, comme point de contact pourtoutes les parties externes impliquées. Nousavons également créé notre propre groupe dejeunes, précisément pour apprendre à mieuxconnaître leurs désirs et leurs besoins et ainsiaider à assurer l’avenir de notre profession.

Les solutions que nous préconisons découlentde l’analyse décrite ci-dessus. En bref et defaçon non exhaustive, en voici les points impor-tants :

• Des réformes structurelles qui garantissent unfinancement correct de la première ligne etde la médecine générale ;

• Un financement mixte de la médecine géné-rale via le nombre de contact patients, lagestion des dossiers, le soutien de la pratiqueet une indemnité pour la formation et laqualité ;

• La poursuite du développement d’un réseaucollégial via les Cercles, les Groupes locauxd’évaluation médicale (GLEMS) et une colla-boration entre les généralistes et les cabinetsde généralistes ;

• Un argument financier sérieux pour encoura-ger le patient à utiliser les soins par paliers età recourir en première instance à la premièreligne ;

• La reconnaissance et le financement de latâche et du rôle de la première ligne dans lespathologies de soins chroniques.

Il est essentiel et urgent de prendre ces mesuresafin d’assurer l’avenir du généraliste et de lapremière ligne. ●

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Le système des soins de santé,les pouvoirs en place etl’échelonnement à l’envers

Notre système de soins de santé belge se carac-térise par :• une conception libérale de la médecine : la

plupart des prestataires de soins sont indé-pendants, payés à l’acte et jouissent de laliberté diagnostique et thérapeutique ;

• un régime d’assurance obligatoire soins desanté dont la gestion fait l’objet d’une impor-tante concertation entre les différents acteurs

Les freins à un développement des soinsprimaires…vus par le Groupement belge des omnipraticiens,principal syndicat des généralistes

Anne Gillet-Verhaegenmédecingénéraliste,présidente duGroupementbelge desomnipraticiens -GBO.

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Jusqu’aux premières élections syndi-cales en 1998, les représentants desspécialistes et en particulier du lobbyhospitalier ont dominé l’organisationdes soins en Belgique, de la formationdes professionnels au financement desprestataires. Depuis, le paysage syndi-cal a bougé, et bouge encore. La voixdes généralistes est enfin entendue etles besoins en soins primaires com-mencent à être pris en considération.Mais ce combat est loin d’être terminé.

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du secteur : organismes assureurs, profession-nels de la santé, « financeurs », autoritéspubliques ;

• le libre choix des patients, tant en ce quiconcerne le prestataire de soins que l’établis-sement de soins, ce qui implique égalementle libre accès au médecin spécialiste1.

Dans ce contexte, est née une dynamiqueconcurrentielle entre les prestataires, en lieu etplace d’une dynamique qui aurait dû être com-plémentaire.Le paradigme biomédical valorisant l’usage dela technologie, l’hôpital comme lieu privilégiédes soins et la spécialisation des praticiens s’estimposé au fil du temps au détriment du dévelop-pement des soins primaires. Et cela dans unelogique techno-scientifique mais aussi depouvoir et d’intérêts économiques (matérielmédical, bâtiments hospitaliers…).Dans ce contexte de concurrence, la créationde syndicats différents s’est basée sur la dif-férence des conceptions qu’ils défendent pourarticuler les différentes lignes de soins et desliens qu’ils entretiennent avec l’Etat et lesystème des soins de santé.

Le Cartel (ASGB-GBO)2 a une conception d’unsyndicalisme médical défendant les intérêts desmédecins généralistes et des spécialistes (dansune dynamique favorable à la revalorisation del’acte intellectuel et à l’échelonnement dessoins) tout en participant à la mise en œuvre dela politique sociale et de santé publique, con-vaincus que des alliances sont possibles parcequ’il y a intérêts communs dans la sauvegardedu système.

L’Association belge des syndicats médicaux(ABSyM3) quant à elle, défend le caractèrelibéral absolu de la profession. « En filigranede cette défense de la liberté d’exercice se pro-file une volonté de combattre toute mainmisede l’Etat sur une profession libérale »1 dont lesgroupes les plus forts ont accaparé le pouvoir,

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75Santé conjuguée - juillet 2006 - n° 37

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principalement financier, au détriment des plusfaibles : les médecins généralistes en particulier.

Dans cet esprit de rivalité, a été organisée la« négligence » vis-à-vis de la spécificité de lapremière ligne et en particulier celle de lamédecine générale.

En effet, dès la formation, la médecine généraleest malmenée dans sa dimension globalisantepar des études universitaires encore tropinfluencées par le courant dominant spécialiséhospitalier malgré les efforts remarquables desCUMG4. L’élite hospitalo-universitaire diffuseun savoir très parcellisé, dont on ne contestepas la pertinence, mais au détriment d’une vuetransversale, holistique, globale, et de santépublique, nécessaire aux soins primaires.La question se pose aussi du manque de forma-tion à l’interdisciplinarité dans les divers lieuxet temps de formation sachant que l’organisa-tion du travail s’élabore aujourd’hui plusfréquemment en équipe mono- ou pluridisci-plinaire, ajoutant la nécessaire gestion desrelations interpersonnelles professionnelles.Soulevons un problème de taille révélant l’étatd’indigence auquel est confiné l’apprentissageaux soins primaires : la nécessité pour lesCUMG de se faire subsidier par les firmespharmaceutiques, le financement étatique étantréellement insuffisant. L’interrogation endécoule quant à la garantie d’indépendance del’apprentissage à la spécificité de la médecinegénérale.Les mêmes problèmes et questionnements sontde mises pour notre Société scientifique demédecin générale (SSMG).

Financièrement, la médecine générale est défa-vorisée par notre Commission nationalemédico-mutuelliste (CNMM), qui a choisi,pendant de trop longues années, grâce à lasuprématie des spécialistes et des hospitaliers,en accord avec les mutuellistes, d’investir préfé-rentiellement dans la médecine technique,

spécialisée, la mettant, elle, en première ligneet au hit parade de l’offre de soins, « en rédui-sant, de facto, les missions de la médecine géné-rale à des rôles subalternes : soins de dépan-nage, tâches administratives, médecine depauvres, médecine économique… ».

L’ABSyM est toujours majoritaire dans une vueglobalisante des suffrages : c’est pourquoi lamajorité des spécialistes peut s’imposer ennégociation à la majorité des médecins géné-ralistes, représentés par le Cartel. Notons quecertains présidents de l’ABSyM sont aussigestionnaires d’hôpitaux.

Dans ce processus de négociation, les mutu-alités y jouent un rôle particulier. Elles ont certesclairement à l’esprit la maîtrise du volume desdépenses de l’Assurance madadie-invalidité etla sécurité tarifaire des patients, mais au fil dutemps, elles sont devenues, elles aussi, organi-satrices de soins avec leurs polycliniques etleurs hôpitaux, ce qui a complexifié leur posi-tion dans les négociations...

Les partenaires à la table des négociations ontdonc été trop longtemps trop peu intéressés parla défense de la première ligne… bienqu’aujourd’hui nous constatons un changement

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d’attitude. Il est vrai que le budget des soins desanté s’emballe. La scission communautaire etla privatisation menacent. Les pouvoirs publicssont contraints de chercher des solutions poursauver le système solidaire. La première ligneretrouve certaines grâces aux yeux des politi-ques et des mutuellistes qui l’entrevoientcomme un instrument de maîtrise des coûts sansencore lui accorder son réel statut d’utilité ensanté publique. On assiste à des ébauchesprometteuses de revalorisation de la médecinegénérale par les deux derniers ministres,rejoignant les thèses du Cartel, introduisant,entre autres, une politique d’installation et uneébauche timide d’échelonnement « à l’endroit »des soins.

Parce que, insidieusement, c’est un véritablesystème d’échelonnement « à l’envers » quis’est structuré. Dans le domaine des maladieschroniques, les pouvoirs publics subsidient descentres multidisciplinaires spécialisés « de réfé-rence » accessibles en première ligne, et exclu-sifs dans certains de leurs avantages (certainsremboursements leurs sont exclusivement réser-vés). Des équipes hospitalières sont déléguéesà domicile, poussant peu à peu du pied lessoignants naturels du domicile : les généralistes,les infirmiers et kinésithérapeutes indépendants,parfois soignant de longue date les patientsconcernés. On ne compte plus le nombre demédicaments, parmi les plus chers, soumis àdes règles contraignantes de prescription,organisant le recours obligé et systématique àla médecine spécialisée.

Règlements et contrôles,interdépendances etresponsabilités collégiales

Pour protéger notre système de soins parti-culièrement efficace et généreux, la société ainvesti l’Etat d’une mission de tutelle afind’éviter le gaspillage des fonds publics par unerégulation économique et de protéger lespatients par une surveillance de la qualité dessoins…La maîtrise du budget a imposé son « ver-rouillage » et la récupération des dépensesexcédentaires.L’établissement de règlements et de moyens de

contrôles sophistiqués a mené, entre autres, auxfameux profils de prestations et de prescrip-tions, individuels pour chaque prestataire etcollectifs au sein des Groupes locaux d’évalua-tion médicale (GLEM), avec obligation pourles médecins de s’auto-évaluer individuel-lement et collégialement. Se met ainsi en placeune interdépendance responsable.C’est toute la mise en question de l’autonomieindividuelle et du monopole de la professionqui se révèle dans l’établissement de cette tutel-le sur la profession. Certains, plutôt absymistes,« la vivent comme signe de défiance vis-à-visde leur profession »1, d’autres, plutôt du Cartel,« comme instrument de régulation globale auservice de l’intérêt général »1.

Fragmentation de lareprésentation de la médecinegénérale

Bien que toujours minoritaire, la représentationgénéraliste a pu faire entendre sa voix depuisles élections syndicales en 1998 et obliger àl’amorce d’une réelle revalorisation de lapremière ligne et prise en compte de son utilitéen santé publique.Mais en 2005, le SVH a quitté le Cartel, voulantcréer en Flandre une structure unique des seulsgénéralistes pour tenter de défendre plusradicalement la médecine générale.Les résultats de l’essai sont malheureusementcatastrophiques. Ils ont provoqué l’éclatementtotal de la représentation syndicale néerlando-phone, l’incertitude quant à leur possibilité dese présenter aux élections de 2006 et l’af-faiblissement de toute la représentationgénéraliste nationale.

A côté des organisations représentatives profes-sionnelles œuvre une série d’organisationsvoulant rencontrer plus largement les intérêtsdes médecins généralistes. Ces organisationss’invitent de plus en plus fréquemment enréunion avec les instances de l’Etat, court-circuitant les syndicats, seules instances éluesdémocratiquement. Le défi pour les syndicatssera de trouver des accords de collaborationavec ces différentes organisations pour éviterune autre voie de fragmentation de la parolegénéraliste.

Les freins à un développement des soins primaires…

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D ’ O B S TA C L E S

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Enjeux

On peut penser que l’enjeu sera de trouver unéquilibre entre les revendications de chaqueligne de soins et la nécessité d’une articulation,reconnue et financée, entre elles. Ceci nécessiteune refonte totale du fonctionnement de laCNMM pour qu’elle devienne un réel outil depolitique de santé et non un lieu d’entérinementdes revendications des groupes professionnelsles plus puissants.L’enjeu sera aussi de trouver un équilibre entreles revendications de la profession médicale,attachée à ses libertés et son autonomie, et lesimpératifs d’ordre économiques et de santépublique de l’Etat.La qualité des soins ne serait-elle garantie quedans l’assurance… des libertés diagnostiqueset thérapeutiques des médecins et de libre choixde médecin par le patient ? N’est-elle donc pasparticulièrement garantie aussi par l’investis-sement des acteurs de santé dans une démarchecollective éclairant les soins individuels,soucieux des meilleurs soins au meilleur endroitpar le meilleur acteur, soucieux de la préser-vation du système solidaire le plus largepossible ? Et dans la recherche de plus-valueque les soins primaires peuvent offrir en santépublique, tant dans les démarches curatives quepréventives, palliatives et d’éducation à lasanté ?L’enjeu pour les médecins sera la réussite de la« gestion de leurs dépendances »1 au systèmede santé auquel ils doivent leur pérennitéfinancière et la réussite de la « gestion de leursinterdépendances » entre confrères, partenairesde négociations, autres professionnels de lasanté et patients-citoyens. ●

Notes

(1) Christophe Buret : « Une profession libérale danstous ses états », La Médecine Générale, Etude d’undispositif de régulation, 2004-2005.

(2) GBO : Groupement belge des omnipraticiens,principal syndicat généraliste francophone.Le Cartel rassemble le GBO, l’ASGB, syndicatnéerlandophone rassemblant des spécialistes et desgénéralistes et jusqu’à sa récente sécession et le SVH,équivalent néerlandophone du GBO.

(3) ABSyM : Association belge des syndicats médi-caux, syndicat largement dominé par les médecinsspécialistes et principalement par les hospitaliers.

(4) CUMG : Centre universitaire de médecinegénérale.

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Mettre le patient au centre du système de soinsou mieux au centre de la politique de santé, estun principe fondamental pour le SETCa.Dans ce but, oeuvrer au développement d’unepolitique de santé, à la fois au niveau préventifet curatif, c’est aussi notre choix. Et pour cefaire, travailler en équipe pluridisciplinaire surbase du dossier du patient est le moyen indis-pensable pour développer un objectif global desanté. Enfin, nous pensons qu’il faut privilégierun financement « au forfait ».

Un soutien de longue date auxsoins de santé primaires

Au-delà des principes, le SETCa s’est investices dernières trente années dans diversesinitiatives comme le soutien en 1979 à ceux quicontestaient concrètement le bien fondé de lagrève des médecins et comme la participationaux travaux du Groupe d’étude pour uneréforme de la médecine (GERM). En 1981, dansLe bulletin des travailleurs de la santé, la secré-

Soins de santé primaires : ensemble, onest plus fort !

Jean-MarieLéonard,secrétaire fédéraldu Syndicat desemployés,techniciens etcadres (SETCa).

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Au travers des mutations du paysagedes soins de santé et des contradictionsinhérentes à la position syndicale, laboussole qui guide le SETCa est aiman-tée par le droit du Citoyen à la Santé etles moyens de traduire ce droit dans lesfaits.

taire nationale écrivait que « les travailleurs dela santé du SETCa, ont, au-delà de préoccu-pations sectorielles plus immédiates, la capacitéde réfléchir à des questions aussi fondamentalesque le droit du Citoyen à la Santé et les moyensde traduire ce droit dans les faits ». C’est unextrait de l’éditorial introductif à la présentationd’un livre blanc élaboré, notamment, avec laparticipation de médecins affiliés au SETCa. Ilmettait en exergue la place essentielle des soinsprimaires dans la politique de santé. C’estl’époque également où naissaient les maisonsmédicales grâce à des médecins et des infir-mières qui faisaient ainsi un choix « militant »- il faut le souligner - dans un environnementessentiellement hostile à une certaine concep-tion de la médecine et donc en opposition à unemédecine libérale et individualiste financée à« l’acte ».

En même temps toutefois, et malgré la tentativede développer une politique de santé alternative,on voyait se renforcer une médecine hospita-lière de deuxième ligne en concurrence entrele public et le privé et entre des structures très« pilarisées ». A la fois, on construisait ou réno-vait à grand frais des hôpitaux offrant une hôtel-lerie soucieuse de ses « étoiles » et à la fois oninvestissait dans les nouvelles technologiesextrêmement coûteuses, notamment en radiolo-gie et en analyses biologiques. On le faisait demanière anarchique sans programmation. Lescoûts exponentiels que cela a engendrés et lacrise de la fin des années 80 ont obligé à revoirles systèmes qui s’étaient mis en place pour enarriver à ce jour à penser « bassins de soins »après avoir élaboré des systèmes de finance-ment davantage conçus forfaitairement. A maconnaissance, les « bassins de soins » n’intè-grent pas les soins primaires. Entre-temps,l’importance du médicament a pris l’ampleurque l’on sait avec les succès et les limitesthérapeutiques que l’on connaît, engendrant lesdébats actuels sur le caractère commercial decette expansion.

Soulignons en passant que, parallèlement, sesont développés des services de soins infirmiersà domicile qui tentent encore aujourd’hui dedépasser une pratique basée sur la succession

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d’actes infirmiers au profit d’une approchepluridisciplinaire et globale visant une approchedu patient dans ses besoins autant sociaux quede santé. La première Centrale de soins àdomicile est née à Bruxelles à l’initiative detravailleurs qui avaient perdu leur emploi suiteà la faillite de l’Institut Edith Cavell. Cettedémarche était accompagnée du permanentrégional du SETCa, un des auteurs par ailleursdu livre blanc évoqué plus haut et qui joignaitainsi l’action à la théorie. Ce n’était pas unhasard.

Sur le terrain des entreprises, les organisationssyndicales, grâce aux Comités de sécurité etd’hygiène, devenus Comités de protection etde prévention, ont agit davantage en termed’analyse et de suppression des risques sur lelieu de travail tout en garantissant une meilleureprise en charge des conséquences des accidentsde travail et des maladies professionnelles.Cette évolution intéressante s’est faite en dehorsde toute intégration à une politique de santé,contrairement à ce qui se fait dans d’autres pays.

Les dernières revendications des travailleurs dela santé et les actions qu’ils ont dû mener cesdernières années ont été empreintes d’un soucide qualité et de refus de la commercialisation(cfr. l’engagement anti Bolkenstein). S’ils’agissait d’une amélioration de la qualité desconditions de travail, celles-ci contribuent defacto, nous en sommes convaincus, à l’amélio-

ration de la qualité du serviceaux usagers. Les accords de2000 ont eu la particularitéd’harmoniser ces conditions detravail entre tous les secteurs dela santé et donc également auprofit des services de soins infir-miers à domicile ainsi qu’auxtravailleurs des maisons médi-cales. Cela contribue quelquepart à faire reconnaître la placeet l’importance des soins pri-maires. La structuration de laconcertation dans ces secteursest aussi de nature à impliquerdavantage les organisationssyndicales.

Ce bref rappel historique me paraissait utilepour montrer l’implication syndicale dans unepolitique de santé progressiste.

Des difficultés de prendre placedans le débat de la politique desanté

Mais les enjeux restent de taille. Commecentrales syndicales dans les soins de santé, leurimplantation reste essentiellement le fait deshôpitaux et des maisons de repos et maison derepos et de soins. Comme organisations syndi-cales interprofessionnelles en charge notam-ment de la participation à la gestion globale dela sécurité sociale1, celles-ci ont beaucoup dedifficultés à sortir d’un rôle de gestionnairepurement budgétaire au profit d’une réellepossibilité et/ou volonté d’influer une politiquede santé qui donne place au développement dessoins primaires.

Par ailleurs, des centrales syndicales sontégalement présentes et agissent dans dessecteurs indirectement impliqués dans la santé.Il s’agit particulièrement du secteur de l’indus-trie pharmaceutique dont l’impact est prépon-dérant, comme chacun le sait. Mais l’impactde l’appareillage en nouvelles technologiesn’est pas négligeable non plus dans le secteur

(1) suite à la loiMoureaux qui lesa évacuées de la

participation à ladécision dans les

secteurs del’INAMI.

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hospitalier. Il faut reconnaître qu’il y a là unconflit d’intérêt entre politique de santé et politi-que d’emploi. Ce conflit d’intérêt est inéluc-table. Le problème réside davantage dans l’in-capacité ou dans la « non volonté » d’amenerle débat sur cette question.

Une autre difficulté existe. Les médecins –généralistes en l’occurrence – se sont organiséssyndicalement de manière « corporatiste » et endehors des organisations syndicales tradition-nelles. Cela n’a pas toujours été le cas. C’estun fait et non un jugement de valeur. Maisaujourd’hui, ce sont deux mondes qui s’ignorentet qui ne peuvent donc s’entendre sur certainschoix qui pourraient être communs en termede politique de santé. Quand, dans la pressesyndicale, on développe une information sur lessoins de santé, c’est essentiellement sur la ques-tion du financement ou des conditions d’acces-sibilité et épisodiquement seulement sur lapolitique de santé et donc sur l’importance dessoins primaires et des maisons médicales enparticulier.

Exprimer ce type de constats, c’est dire un cer-tain regret mais, en même temps, c’est évoquerquelques pistes pour favoriser une perspectivede changements.

Soins de santé primaires : ensemble, on est plus fort !

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D ’ O B S TA C L E S

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Pensez-vous que le discours syndical soitidentique quand il s’agit de défendre les« cotisants » à la sécurité sociale (donc lesfinanceurs de l’INAMI) ou quand il s’agit dereprésenter les travailleurs des hôpitaux, dessoins à domicile ou de l’industrie pharmaceu-tique ? Le discours syndical a cela de spécifiquequ’il se situe systématiquement à l’intersectiondes intérêts particuliers et de la recherche dubien commun, de l’intérêt du plus grand nombreet surtout du plus faible.Mais en même temps, l’organisation syndicaleest un outil d’expression des intérêts profession-nels. Elle trouve sa légitimité dans la prise encompte démocratique des positions destravailleurs, exprimées par leurs représentantsdans les instances.

Syndicats de travailleurs et soins de santéprimaires : « Je t’aime, moi non plus » ?

Yves Hellendorff,infirmier,

secrétairenational du non-

marchand à laCentrale

nationale desemployés (CNE).

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ts clefs�: politique de santé,

soins de santé primaires, syndicalism

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Il ne doit pas être facile pour les syn-dicats de soutenir les soins de santéprimaires. Par exemple, comment gérerles contradictions entre la défense dece secteur et celle d’autres secteursautrement plus lourds en emplois,comme le monde hospitalier ou l’indus-trie pharmaceutique. Yves Hellendorfmontre comment la CNE a fait de cettecontradiction une force au service dusocial.

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L’organisation syndicale ne peut donc releverses défis essentiels que si elle parvient à arbitrerles trois axes de sa pertinence :

• elle est une organisation progressiste visantà faire valoir ces idées progressistes au niveausocial et au niveau du projet de société (doncpolitique) ; en cela elle est un acteur social etpolitique ;

• elle est un outil au service des travailleurs ;en cela, elle n’exprime légitimement que lespositions démocratiquement conçues dans sesinstances ;

• elle ne peut concilier ces deux aspects qu’enintégrant son rôle d’éducation permanente,de processus de développement de la con-science du monde citoyen, participatif etcollectif.

Les soins de santé primaires

Quand il y a plus de vingt ans, la CNE adoptaitun mémorandum « pour une autre politique desanté », elle n’était encore active et représen-tative que dans les gros secteurs du non-mar-chand, à savoir les éducateurs et les hôpitaux(et un tout petit peu les soins à domicile).Et pourtant, l’option était claire, sans ambi-guïté : contre hospitalocentrisme, et pour desservices de santé de première ligne.Cette position était massivement supportée parle personnel hospitalier qui dénonçait à la foisla charge de travail croissante, la déshuma-nisation des soins, l’entrée des logiques mar-chandes dans la santé et le « pouvoir absolu »de droit divin, du corps médical. Les revendi-cations visaient à changer de système, faute depouvoir le modifier à l’intérieur.

En 2006, le syndicat a changé. La CNE non-marchand représente valablement la plupart dessecteurs du non-marchand. Les débats ont étédifficiles. Entre les grosses équipes syndicalesexpérimentées et pourvoyeuses de nombreuxaffiliés, situées dans les hôpitaux, et les petiteséquipes des secteurs émiettés du reste du non-marchand, l’accord 2000 a créé une tensionénorme. Cet accord a consacré l’harmonisation

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barémique via le rattrapage du barème hos-pitalier. Résultat, 1 % d’augmentation pour lepersonnel hospitalier de 1996 à 2006 ! Tandisque les maisons de repos, les éducateurs, lesocioculturel voyaient les barèmes dépasserparfois une croissance de 20 à 30 % ! Sesaffiliés ont reconnu le travail syndical. Ainsi,le nombre d’affiliés a doublé dans le non-marchand en moins de cinq ans, au point quele secteur représente maintenant un tiers desaffiliés de tous les secteurs couverts par la CNE.

Syndicats de travailleurs et soins de santé primaires : « Je t’aime, moi non plus » ?

Par contre, si l’hôpital a changé, il a surtoutamplifié les défauts perçus depuis les années80. Le turn-over des patients, la marchan-disation avec sa sous-traitance, ses faux indé-pendants, le lobbying des firmes pharma-ceutiques et de matériel médical, la gestion parenveloppe sans balises en terme de surchargede travail ou de sousconsommation,… sontautant de points de lutte des délégués syndicauxhospitaliers.

Mais les traces de l’accord 2000 restent encorevives. Si aujourd’hui, la CNE non-marchandpeut continuer à défendre un projet de politique

de santé basé sur les soins de santé primaires,c’est aussi parce qu’elle a dans ses instancesune série de délégués hors du champ de la santé,qui considèrent non seulement que les soins depremière ligne doivent être favorisés, maissurtout que le Social doit passer avant le Sani-taire, que la Santé doit retrouver ses lettres denoblesse dans des conditions de vie et de travailplus dignes, et que la société tout entière doitretrouver les valeurs humaines de préventionet de solidarité plutôt que de curatif etd’assistance.

Nul doute que, défendant ce point de vue, laCNE développe un esprit critique chez les délé-gués hospitaliers. Il leur permet de s’inscriredans une revendication d’amélioration desconditions de travail permettant une approcheplus humaine : « plus de mains pour des soinsplus humains ! ».

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❍ Santé conjuguée : La valeur des soins desanté primaires est reconnue, notamment entermes d’efficience. Comment expliquer que laBelgique ne les développe pas davantage ?

● Nous avons de superbes études sur la santédes Belges, et aussi sur les déterminants sociauxde la santé : logement, emploi, environnement,éducation, enseignement, mais nous n’avonsjamais eu un véritable débat sur la santépublique, c’est-à-dire sur la santé dans tous sesaspects et pas uniquement sur les soins de santé.Nous fonctionnons selon une logique mar-chande, finalisée par la vente de produits etservices dans les soins de santé, l’équipement,l’agroalimentaire ou les médicaments. Lamarchandisation universelle conduit à desattitudes consuméristes qui sont dépensières etinefficaces dans les soins de santé.

Il est difficile de faire prendre conscience decela. Si le public et les décideurs étaient con-scients que les services collectifs, le logement,l’enseignement, la cohésion sociale sontessentiels pour la santé, la première ligne, quiest en contact avec les problèmes sociaux, seraitplus reconnue et valorisée.

La première ligne a conscience que la détressesociale rend malade. Ces aspects sociaux etl’approche de santé publique sont peu présentsdans le curriculum de formation des universitéset le médecin généraliste acquiert cette forma-tion sur le tas, souvent de manière isolée. Ellesait aussi que les soins de santé suppléent mais

Changer le monde avec les Mutualitéschrétiennes et les généralistes

Entretien avecJean Hermesse,

secrétairenational,

ChristianLéonard,

économiste,service d’études,Yves Van Houte,

médecindirecteur.

Propos recueillispar IsabelleHeymans et

Pierre Drielsma,médecins,

membres de lacellule politiquede la Fédération

des maisonsmédicales.

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utualités,soins de santé prim

aires, médicam

ents,solidarité.

Le paysage de la santé change lente-ment mais radicalement. La Mutualitéchrétienne prend acte de cette évolutionet invite les généralistes à s’y impliquer.

ne résolvent pas les problèmes à la source. Il ya mieux à faire qu’injecter de l’argent dans lessoins : il faut investir dans moins d’exclusion,dans plus d’emplois, dans l’amélioration desconditions de travail.

Dans ce contexte, est-ce qu’on investit peu oubeaucoup en soins de première ligne ? La pre-mière ligne ne se réduit pas qu’aux honorairesdes médecins généralistes, c’est aussi le main-tien des patients à domicile, les soins infirmiers,la kinésithérapie, les services d’aide pour lemaintien à domicile, les aidants naturels.Globalement, les soins de santé représentent enBelgique 9,5 % du produit national brut. Nousnous situons au-dessus de la moyenne des paysde l’Organisation de coopération et de dévelop-pement économiques - OCDE. On ne peut doncpas parler de sous-investissement mais l’analysede la répartition des dépenses montre que la partréservée au secteur des médicaments estnettement plus élevée que dans d’autres pays.On pourrait réallouer une partie de ce budgetpour valoriser les actes intellectuels défavoriséspar rapport aux actes techniques.

On observe aussi une évolution de la pratique,la médecine solo est en diminution. Les méde-cins généralistes travaillent de plus en plusensemble, participent à des cercles de qualité.Ils aspirent à une vie plus équilibrée entretravail, famille et loisir. C’est une bonne chose,un médecin détendu est un médecin plusdisponible. La féminisation de la profession aégalement des conséquences en termes dedisponibilité.Le changement des habitudes de travail et dedisponibilité des médecins généralistesnécessitera aussi un changement des habitudeset attentes des patients. Le nombre des visites àdomicile a déjà diminué et ce mouvement vacertainement se prolonger. Il faudra égalementavoir une autre approche de la première ligne.Par ailleurs, avec les nouvelles pratiques degroupe, demain, on n’aura plus 9000 médecinsgénéralistes actifs mais peut-être 3000 pratiquesde groupes dans lesquels les médecins ne ferontpas seulement du curatif, mais seront aussianimateurs, acteurs de prévention et auront uneplus grande capacité d’outils informatiques.Cette tendance est mise en valeur par les der-

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nières mesures d’encouragement des pratiquesde groupe. Par le renforcement des capacitésadministratives, les médecins généralistespourront être déchargés de ces tâches adminis-tratives1.

● Un autre obstacle est la Belgique institution-nelle, coupée en morceaux, par exemple lesassociations de santé intégrées sont subsidiéspar la Région wallonne, mais leur fond d’impul-sion est au fédéral. Autre exemple, les Servicesintégrés de soins à domicile (SISD), qui va lespayer ? Il n’y a aucune coordination entreniveaux de pouvoir, sans parler des différencesNord-Sud.

D’autre part, la place que prend l’hôpital dansle système de soins est très importante. Le grosmarché se trouve là, très bien relayé. Prenonsl’exemple d’un nouveau médicament accessibleseulement en milieu spécialisé, l’herceptine :le coût est énorme mais on a trouvé les30.000.000 d’euros, malheureusement audétriment d’autres actions socio-sanitairesmoins spectaculaires mais plus efficientes. Idempour les PET-scan. Actuellement, c’est l’offrequi régule la dépense, on paie très cher pour uneffet modéré, on concentre les ressources dansdes centres spécialisés, pour un jeu specta-culaire qui déforce la première ligne. Quellemédecine voulons-nous ? Le débat devrait avoirlieu.

● Pour changer le monde, il faut développerune vision alternative du monde. Le dévelop-pement de la médecine de groupe constitue unealternative mais elle doit aller au bout de salogique. La médecine de première ligne peutparticiper à la lutte contre un modèle d’hyper-consumérisme dans lequel le système médicalest progressivement devenu un rouage écono-mique. Le médecin généraliste peut donc s’op-poser à cette logique, il doit aussi s’en donnerles moyens, son rôle ne se limite pas à la pres-cription de médicaments ou d’actes techniques,il doit également prendre conscience de seslimites et de celle du système de santé. Il peutmener un combat formidable pour replacerl’essentiel dans la vie des gens, modifier lesperceptions des patients sur les loisirs, sur lesliens sociaux et affectifs, sur la santé... Il peutparticiper à la sortie du productivisme, tenir undiscours sur la normalité, sur ce qui est normal

en termes de santé et ainsi éviter la médicali-sation de problèmes ou phénomènes humainset sociaux ; le médecin généraliste a indiscu-tablement un rôle de conscientisation du patientà jouer afin de l’impliquer plus dans le maintiende sa santé, sans pour autant l’enfoncer dansun processus de responsabilisation qui a plutôttendance à renforcer les inégalités sociales desanté.

Une première ligne qui doit semobiliser�!

❍ Responsabiliser le médecin généraliste ?

● Les mutualités ont permis une revalorisationde la première ligne, et des soins infirmiers àdomicile. Ce sont des réformes concrètes, ilfallait faire des choix entre beaucoup de deman-des, en commission nationale médico-mutualis-te et nous avons veillé à ce que les marges nesoient pas absorbées par la seule deuxièmeligne.

❍ Mais on observe une chute des contacts, enparticulier de la visite à domicile ?

● Oui, mais le médecin généraliste n’est plusobligé de faire tant d’actes pour garder unerémunération convenable. Les visites à domicilevont probablement continuer à baisser, mais enmême temps la disponibilité des MG devientproblématique. Le problème des gardes est réel.

❍ Nombre de dossiers avancent lentementdans les dédales de la commission techniquemédicale, structure dévouée aux intérêts desmédecins spécialistes : passeport diabète,spirométrie, taping de la cheville...

● Il faut aussi que les médecins généralistesse mobilisent, notamment pour les médicamentsmoins chers. Les mutualités chrétiennes ontréalisé une étude qui montre que nombre demédecins généralistes prescrivent sans aucunsouci du prix des médicaments et ce sansexplication logique. Pourtant les lieux deperfectionnement existent : Groupes locauxd’évaluation médicale (GLEM), Cercles, profilsde prescription disponibles. De même, uneétude sur 2000 maisons de repos montre de

Changer le monde avec les Mutualités chrétiennes et les généralistes

(1) Ndlr : cetteévolution lèveraitunecaractéristiquenégative de lasituation actuelledes soins de santéprimaires souventdécrite commeobstacle : leurfragmentation.

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grands écarts de prescription, d’où viennent lesdifférences ? Ce n’est pas dans l’organisationde la maison de repos pour personnes âgéesmais chez le médecin généraliste.

● Pour les mutualités chrétiennes, les soins àdomicile sont une priorité qui s’est concrétiséepar le lancement et le développement de laCroix jaune et blanche, devenue Aide et soinsà domicile (ASD). Ces services ont connu desmoments difficiles, nous les avons soutenus etpoussés à la collaboration avec les aides fami-liales. Ensuite avec Vitatel (bio-télé-vigilance)qui compte plus de 7000 abonnés, et les prêtset ventes de matériel, Solival. A l’avenir,l’hôpital sera de moins en moins un lieu de rési-dence, et de plus en plus un plateau technique.Le séjour à l’hôpital peut aussi, parce que sourced’infection multi-résistantes, comporter unrisque. Les soins à domicile sont donc appelésencore à se développer entre autres grâce à latélémédecine, permettant la mise en oeuvre desoins spécialisés à domicile. L’organisationpratique des soins à domicile évoluera aussi,par exemple via des trajets de soins où lemédecin généraliste devra être impliqué en tantqu’organisateur de soins et service.

❍ Pourquoi s’impliquer tant dans leshôpitaux ?

● L’hôpital doit rester accessible. Les hôpi-taux associatifs chrétiens sont des institutionsà but social, une réponse aux dérives marchan-des. Par cet engagement et investissementsocial, nous maintenons un réseau d’institutionsde soins avec un objectif social et accessible àtous. A l’inverse, la privatisation (l’introductiond’institutions à but lucratif) pourrait avoir deseffets dramatiques sur l’accès aux soins que cesoit dans la première ou la deuxième ligne.

Par ailleurs, nous constatons que les médecinsgénéralistes sont choyés par les hôpitaux. Ceux-ci offrent une plus grande circulation de l’infor-mation et la transmission électronique.L’hôpital se rend compte qu’il ne peut plustravailler sans la collaboration des médecinsgénéralistes. Cela peut aller très loin comme lemontre l’analyse du rapport Rutsaert sur lagarde structurée avec les hôpitaux, pas pouramener les patients à l’hôpital, mais pourorganiser les soins. Peut-être est-il plus efficace

de disposer d’une permanence de premièreligne, proche de l’hôpital qui renvoie le patientchez lui et son médecin traitant s’il n’y a riende grave.

❍ Quelle est la place des médecins généra-listes en marge des Aides et soins à domicile /Centrale de services à domicile ?

● En Flandre, la Communauté flamandeinvestit mais du côté francophone, l’argent estmoins utilisé. Les coordinations sont peunombreuses. Il faudrait que les généralistess’impliquent plus. L’organisation du systèmeoffre des possibilités aux soins de premièreligne, elle offre des soutiens financiers…

❍ Et les trajets de soins ?

● On y a beaucoup travaillé dans le groupede travail présidé par Philippe Vandermeerenmais l’Association belge des syndicatsmédicaux (ABSyM) a démoli le projet enplénière, ce qui n’était pas tout a fait inattendu.C’est décourageant car c’est un modèled’avenir, il faut réaliser le partage des soins. Lamédicomut devra remettre une proposition...

❍ Devant les blocages réalisés par les méde-cins spécialistes dans l’avancement des dossiersde médecine générale ne pourrait-on pasmodifier les mécanismes : actuellement lesmédecins généralistes disposent d’un droit deveto mais pas d’un droit de peto.

● Les alliés de la réforme sont les médecinsspécialistes, faut-il changer les règles du jeu dela médicomut ? Il s’agit d’une mesure « àdouble tranchant », quand une mesure n’est pasportée par les partenaires, il existe un risqued’enlisement et d’installation aléatoire desréformes. ●

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86 Santé conjuguée - juillet 2006 - n° 37

C A H I E R

❍ Santé conjuguée : Plusieurs grandesmutualités sont gestionnaires d’hôpitaux. Onpeut penser que, de ce fait, elles ont peu d’inté-rêt à soutenir les soins de santé primaires.

● Bernard Antoine : Une remarque prélimi-naire : toutes les mutualités ne sont pas gestion-naires d’hôpitaux, tant s’en faut. Par exemple,les mutualités libres (troisième grande unionnationale mutualiste en Belgique) ont choisi dene pas être gestionnaires d’hôpitaux et ce envertu du principe de libre choix du patient.La question doit être envisagée dans le contexteactuel : la plupart des mutualités tendent à sedéfaire des hôpitaux dont elles sont directementgestionnaires. Dernier exemple en date, Césarde Paepe, hôpital des mutualités socialistes, afusionné avec Saint-Pierre et est ainsi passédans le réseau IRIS des hôpitaux publics deBruxelles. On peut le comprendre : le mondehospitalier est complexe et ses intérêts ne sontpas toujours convergents avec ceux des mutuali-tés. Les soubresauts réguliers des commissionsde convention à l’INAMI en sont une illustra-tion : l’harmonie est loin de régner en maîtreentre les médecins (les hôpitaux) et les mutuali-tés. Les institutions hospitalières directementliées à l’une ou l’autre mutualité sont donc deplus en plus rares. Toutefois, les mutualitéssocialistes et chrétiennes qui sont celles chez

Paysage avec hôpitaux, soins primaires etmutualités

Bernard Antoine,directeur del’action sociale àPartenamut.

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L’évolution du contexte économiqueglobal entraîne une modification durôle des mutualités. Dans le nouveaupaysage, les soins primaires passent ausecond plan.

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qui la culture de gestion hospitalière est la plusprésente (c’est explicable historiquement),maintiennent - voire renforcent - leur influencedans le secteur hospitalier au travers des organesde gestion et des piliers politiques en occupantsystématiquement des postes de pouvoir dansles fédérations hospitalières (AFIS, AEPS,FIHw...) et les fédérations du non-marchand(CENM, UFENM, UBENM...). Leur influencedans les cabinets ministériels est égalementextrêmement prégnante.

❍ Comment s’explique cette transformationdu rapport entre hôpitaux et mutualités ?

● Pas seulement par la volonté d’occuper despostes symboliquement et politiquement « por-teurs ». Le monde mutualiste est en pleinemutation, il est actuellement confronté à laréalité de la concurrence commerciale. En effet,le core-business mutualiste sera de moins enmoins l’assurance obligatoire et de plus en plusl’assurance complémentaire, le bien-être, laprévention plutôt que la santé pure et dure.Pourquoi ? Parce que les technologies de com-munication raccourcissent les procédures entreprestataires et INAMI et diminuent les fluxinformatifs opérationnels ce qui implique queles mutualités - institutionnellement parlant -perdent progressivement leur raison d’êtrehistorique. Elles sont donc confrontées à lanécessaire mutation, d’autant que le splitsingcommunautaire des soins de santé est inscritdans les astres, que la concurrence avec le sec-teur privé est effrénée et que les rapprochementsau niveau européen pointent lentement leur nez.Donc, toujours très pragmatiques - malgré leshabituels discours idéologiques solidaristes - lesmutualités dites politiques (socialistes et chré-tiennes) occupent le terrain institutionnel afinde peser sur la gestion politique des soins desanté et de rester à la manoeuvre dans unenvironnement manifestement très secoué et quiva le rester.

❍ Dans ce paysage en recomposition, quelsseront les rapports entre soins de santé pri-maires et mutualités ?

● La difficulté à soutenir les soins primairesdoit se lire au travers de la réalité de cette muta-

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tion : le monde de la santé et des soins n’échap-pe pas à la globalisation et à la marchandisation.Le secteur des mutualités est dès lors écarteléentre ses positions doctrinales et ses objectifshistoriques d’une part et le pragmatismecommercial imposé par le libéralisme ambiantd’autre part. C’est manifestement ce dernier quia gagné la partie. Qu’on le veuille ou non. Dansces conditions, certaines mutualités peuventjuger que leur intérêt immédiat consiste à s’al-lier à des structures fortes à haute valeur écono-mique ajoutée à savoir les institutions hospita-lières qui sont les seules à appliquer de latechnicité de pointe en matière de soins. Dansce cadre, les soins primaires passent au secondplan : ils sont moins rentables économiquement,moins maîtrisables socialement (les prestatairesde soins primaires sont pour la plupart indépen-dants et « solistes ») et moins chargés de senssymbolique.Ceci étant, puisque la demande en matière deprévention, d’approche santé élargie au bien-être (assurance complémentaire) est une réalitéde plus en plus prégnante et que les opérationsrelatives à l’assurance obligatoire (les rembour-sements de soins, les problématiques d’invalidi-té, d’incapacité etc.) sont en diminution con-stante, la mise en place de nouvelles synergiesentre mutualités et secteurs de santé primairesera un des challenges à relever dans les annéesà venir. Cela nécessitera l’ouverture d’un dialo-

gue franc et transparent entre prestataires (legénéraliste au premier chef) et mutualités.Chacun y sera-t-il déterminé ? Le libre choixsera-t-il demain un concept partagé parl’entièreté des mutualités ? Chacun demande àvoir… ●

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De l’efficience avant toute choseInterview deJean-MarcLaasman,directeur duservice d’étudesde l’Unionnationale desmutualitéssocialistes,Michel Boutsen,médecin attachéà ce mêmeservice, etThierry Poucet,rédacteur en chefdu périodiqueRenouer

Interview parIsabelleHeymans,médecin, membrede la cellulepolitique de laFédération desmaisonsmédicales.

❍ Actuellement, les chercheurs en santé pu-blique, les économistes, les politiques, mêmedes organismes comme l’Organisation decoopération et de développement économiques(OCDE), plaident en faveur d’un renforcementdes soins de santé primaires.Si tout le monde a l’air d‘être d’accord, pour-quoi les soins de santé primaires ne se dévelop-pent-ils pas plus vite, ou plus fort ? (Même sion reconnaît qu’il y a eu des avancées). Quepercevez-vous comme freins à un dévelop-pement des soins de santé primaires, et surtoutde votre point de vue de mutuelles, quelle estvotre place, votre opinion par rapport à cettequestion ?

● (Jean-Marc Laasman) : Depuis une dizained’années, les mutualités, en particulier lesmutualités socialistes, ont soutenu nombred’initiatives en direction de la première ligne.Une longue bataille a permis d’instituer leDossier médical global et donc de reconnaîtrele rôle central du médecin généraliste dans lagestion des données du patient et de le financer.

Ensuite, du côté financier, il y a eu toutes lesrevalorisations d’honoraires.

Enfin, c’est tout récent, l’arrêté royal sur l’éche-lonnement vient d’être adopté, difficilement,par le comité de l’assurance. Les mutualitéssocialistes et chrétiennes ont voté pour, lesmutualités libres ont voté contre, et sur le bancdes prestataires de soins, on a vu un clivage,entre d’une part les représentants de la médecinegénérale (pour), et de l’autre, l’Associationbelge des syndicats médicaux (ABSyM) et lebanc hospitalier (contre).

La médecine libérale, et une partie du corps mé-dical, voient assez mal les systèmes d’incitantstels que l’échelonnement, même la propositionactuelle qui est tout à fait soft. Elle consiste àréduire le ticket modérateur sur la premièreconsultation chez le spécialiste lorsque lepatient est référé par un généraliste. Ce n’estdonc pas du tout un échelonnement pur et dur,ce n’est pas obligatoire, il s’agit simplementde ne pas pénaliser le patient qui va d’abordvoir son généraliste par rapport à celui qui vadirectement chez le spécialiste. Même cesystème soft connaît beaucoup d’opposition dela part d’une partie du corps médical.M

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L’efficience, boîte noire etpomme de discorde

❒ (Michel Boutsen) : Si on revalorise l’acte,ceux qui prennent le temps pour une consul-tation sont pénalisés. Les systèmes de finance-ment à la capitation, comme le Dossier médicalglobal, permettent de rééquilibrer quelque peules choses.Le problème c’est que le volet efficience quiintéresse les mutuelles, c’est-à-dire la qualitéau moindre coût, on ne peut pas le mesurer par-ce qu’on n’a pas d’indicateur de qualité. Lesystème à la capitation permet de mieuxcontrôler les coûts, mais la qualité reste uneboîte noire, on doit faire confiance. Les soinsne sont pas mauvais en Belgique comparés à lamoyenne européenne. Mais on n’a pas de visionde la qualité. Il faudrait aussi pouvoir dévelop-per les indicateurs non médicaux, intégrant laprise en charge sociale, ce qui pourrait justifierune meilleure valorisation financière.

● On a calculé la valeur de ce que prescrit lemédecin généraliste en médicaments : celareprésente deux à trois fois ses honoraires. Enmédicomut, on travaille dans un objectif budgé-taire, les ressources étant limitées. On a envisa-gé de responsabiliser les médecins et de lier laqualité à un financement. Le corps médical aestimé que conditionner un financement à unepratique revenait à s’immiscer dans une prati-que individuelle, et qu’une revalorisation indi-viduelle liée à la qualité des soins était contraireà l’éthique. Finalement, la médicomut a mis enplace une sorte d’incitant collectif : on a condi-tionné l’indexation des honoraires au trend decroissance de la prescription d’antibiotiques etd’antihypertenseurs. Le résultat a été un conflit,l’ABSyM a demandé aux médecins de sedéconventionner.A ce moment, nous avons proposé de lier unepartie de l’accréditation à la démonstration d’unengagement dans une pratique qualitative etrationnelle. En effet, l’accréditation, ce n’estpas uniquement la qualité des soins, mais aussil’économie des soins. Cela paraissait assez logi-que que le prestataire qui s’engage dans uneévaluation de la qualité et de la rationalité desa pratique, de manière volontaire, reçoive unsurplus par rapport à l’accréditation classique.Je pense qu’on est le seul pays à financer l’ac-

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créditation sur base des fonds publics. Nousplaidons pour une augmentation de son budget,qui est déjà conséquent, à partir du moment oùon donne plus de contenu à cette accréditation.Ce qu’on demande c’est de modifier la manièredont on attribue cet honoraire, en tout cas unepartie de cet honoraire d’accréditation, enfonction de l’engagement du prestataire dansune évaluation qualitative de sa pratique.

❒ Les mutuelles sont responsables de l’utili-sation des deniers publics. Nous devrions dèslors avoir des garanties fournies par les méde-cins comme quoi ils travaillent bien, sans devoircontrôler nous-mêmes. Nous n’avons pas cesgaranties. C’est indéniable qu’on prescrit tropd’antibiotiques, mais nous avons essuyé unrefus de responsabilisation. Chaque fois qu’onentre dans cette discussion, on est en échec. Ilfaut en sortir. On devrait pouvoir valoriser ceuxqui donnent des garanties de qualité dans desdomaines onéreux (antibiotiques, antihyper-tenseurs, statines) par une accréditation plussubstantielle. Mais je comprends que l’aspectcontrôle soit énervant pour les médecins.

● Une partie du corps médical invoque l’éthi-que. Mais quand on finance de manière collec-tive les soins de santé, c’est aussi éthique des’interroger sur la manière dont les ressourcessont allouées, pour que les gens continuent àavoir accès aux soins de santé...

❍ Il y a parfois un problème de significationderrière le mot qualité. Quand vous parlez dequalité vous parlez d’efficience. Nous consi-dérons que l’efficience est un critère de qualitéimportant, puisqu’on a affaire à des denierspublics. Mais les médecins, lorsqu’ils parlentde qualité, élargissent le champ et considèrentaussi d’autres critères de qualité que l’effi-cience. Dans certains cas, ils peuvent même êtreen contradiction avec des soucis d’économie.Le problème de l’éthique est aussi lié à cela :un risque de conflit d’intérêt entre leur intérêtà ne pas prescrire, et l’intérêt du patient quipourrait être contraire. C’est le problème d’unerevalorisation individuelle liée à un critèreuniquement économique.

◆ (Thierry poucet) : Deux remarques pourajouter encore un peu de nuances au tableau.Primo, parmi les médecins a priori méfiants

envers l’économie de la santé, on invoquesouvent l’éthique et les conflits d’intérêt dèsque les incitants risquent d’amener à réfrénerl’interventionnisme professionnel. Mais on sedresse beaucoup moins spontanément ouviolemment contre les incitants qui risquent dedoper cet interventionnisme. Tel le paiement àl’acte qui, si l’on y songe bien, est à ce pointbanalisé qu’on finit oublier qu’il incarne en soiune sorte de conflit d’intérêt constant. Seconderemarque : s’il est vrai que les mutualités atta-chent beaucoup d’importance à la notion d’effi-cience, entre autres pour faire contrepoids àcette allergie sélective et assez partiale decertains prestataires libéraux, il serait vraimentcaricatural d’en déduire qu’elles ne rêvent qued’économies (au sens d’une réduction absoluedes dépenses). Un de leurs principaux chevauxde bataille est traditionnellement le renforce-ment de l’égalité dans l’accès aux soins requis.Dans beaucoup de domaines où les publicsprécarisés manquent de soins, parfois à leurinsu, ou y renoncent, malgré eux et en toute lu-cidité, elles dénoncent ces mécanismes sociauxdégradants et font pression pour que l’oninvestisse davantage dans la couverture de leursbesoins. Ce qui peut même constituer sur le longterme une forme d’efficience (songeons auximpacts positifs à vie de l’accessibilité aux soinsdentaires précoces !).

● Ce n’est pas aux mutualités de dire aux mé-decins ce qu’est un critère de qualité. C’est auxmédecins à mettre cela au point. Nous nous oc-cupons effectivement d’efficience. Il y apossibilité de responsabiliser sur une baseindividuelle à partir du moment où on parle dedeux traitements médicamenteux de valeurthérapeutique identique. Là on peut travaillersur une rationalité purement économique. Laqualité, c’est plus complexe et difficile, et làc’est aux médecins de mettre au point desrecommandations de bonne pratique et desindicateurs. Je rappelle que c’est la tâche duConseil national pour la promotion de la qualité(CNPQ) qui depuis sa création n’a pas sortibeaucoup de recommandations.

❒ C’est parce qu’on fonctionne sur un princi-pe de consensus, qu’il y a beaucoup de parte-naires, et que chez les médecins, le syndical semêle aux problèmes de qualité. La qualitédevrait être définie par les médecins. Ce n’est

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pas notre rôle de définir les critères de qualité,ni de les contrôler. Il y a un problème éthique :le financeur ne devrait pas pouvoir dire autravailleur comment il doit travailler. Mais onne peut pas nous reprocher de vouloir l’effi-cience alors qu’elle est légitime.

Le problème des génériques est clairement unproblème d’efficience : quand deux moléculessont identiques, c’est la moins chère qu’il fautprescrire. Je peux comprendre les réticencesépidermiques de certains médecins face aucontrôle. Ils peuvent aussi avoir des refus de lapart de patients qui veulent « le meilleur pourma santé ». Nous on ne voit pas les argumentsqui justifieraient de ne pas prescrire un géné-rique.

◆ Ca peut aussi être une modestie de direqu’on se pique d’efficience. Cela mériterait entout cas d’être entendu intelligemment et paci-fiquement par les soignants comme une volontéd’admettre qu’on doit se limiter à cela, qu’onn’est pas en position de se mêler de qualité pure.

Sortir des blocages du passé

◆ Pendant des années, à la grande époque desleaders médicaux plus ou moins auto-proclaméset appréciant le pouvoir, il y avait une fractureentre l’intérêt de la société et le rôle syndicalcomme le concevaient ces leaders, attachés àla défense sans concession des intérêts de laprofession. Sous Wynen, il n’y avait jamais deprojet émanant des leaders médicaux, il n’yavait que du rejet et des coups de gueule. Enface, les autres essayaient de gérer le systèmeet c’était le clash. La pax medica, c’était sauverles meubles, mais avec des pitreries, des com-promis au pire sens du terme, c’est-à-dire de lastagnation rafistolée. J’ai l’impression qu’onsort de cela. Le cabinet Demotte prend desmesures pour renforcer l’accessibilité etrationaliser, le KCE (Kenniscentrum voor deGezondheidszorg - Centre fédéral d’expertisedes soins de santé) apporte de l’eau au moulin,comme l’Agence intermutualliste, ce sont deschoses qui vont dans le bon sens.Il n’empêche que c’est avec l’héritage de cepassé qu’on négocie, prudemment, à très trèspetits pas… Ces dernières années, les petits pasvont dans le sens d’une certaine rationalité. On

dirait que les politiques deviennent un peu pluséclairés, tiennent compte d’une série de con-traintes des médecins et mettent aussi de l’eaudans leur vin à l’occasion, non plus par craintemais par souci de tenir compte des réalités. Etles médecins, certes avec leurs importantsclivages, campent de leur côté un peu moinssur leur superbe, où ils rejetaient toute velléitéd’organisation du système par principe.On sort d’un embourbement qui a duré de 1964au milieu des années 1990.Les mutualités aussi ont évolué. Avant, ellesgéraient le système, puis il y a eu des grandsscandales dans les années 80. Maintenant, ellessont éprises de scientificité, pas en se prétendantplus scientifiques que les médecins pour ce quiest de l’art de guérir, mais pour gérer le systèmede manière rigoureuse. Cela suppose d’étudierce qu’on fait. Quand on demande de la qualitéaux autres, il faut prouver qu’on essaie soi-même d’être nuancés et rigoureux. Là on a pro-gressé par rapport aux mutualités de jadis quiétaient un peu « pachydermes »…

Le pire, et c’est pour cela que l’on peut encoreressentir parfois les relents de la tradition histo-rique, c’est quand les volontés de réforme oud’adaptation, plutôt que d’être affinées voireredessinées avec des arguments solides etrigoureux, sont battues en brèche par certainslobbies sur la scène publique à coups d’argu-ments du plus bas niveau, qui ravalent la respon-sabilité politique au rang d’une fonction degardiennage des prés carrés.

On ne peut plus se permettre ces attitudes, parcequ’il y a une situation internationale qui portela volonté de casser le système de protectionsociale. Chez les médecins aussi il y a conscien-ce de ce danger, c’est peut-être pour cela qu’ilssont plus souples sur certains dossiers. Ils scie-raient la branche sur laquelle ils sont assis s’ilsdevaient gérer le système avec l’entente directesur les honoraires comme c’était le cas avantguerre : les gens qui savent payer paient plus,et ceux qui ne savent pas payer ne paient pasou très peu (mais sont secourus quand même).

❒ L’efficience, c’est aussi le souci de nos affi-liés. Par exemple, on assiste à une envolée desprix des implants, avec des variations de prixpouvant aller de un à quatre ou cinq. Les mutu-elles ont donc négocié le prix avec les hôpitaux,les prestataires de soins et parfois les firmes.

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Là on est dans notre fonction : il y a un rapportde force entre les firmes, les médecins et lespatients, nous intervenons pour défendre lepatient qui est le plus faible. Mais pas pourdéfinir les garanties de qualité qui sont à fournirpar la profession et par les universités, nousn’avons pas à jouer aux pseudo-scientifiques.

C’est vrai que le KCE, malheureusement, faitle travail qui devrait être fait par les universités,de façon autonome par rapport au lobbypharmaceutique.

● La mise en place du centre d’expertise étaitnécessaire, et chaque fois qu’il sort une étude,il y a du remous, comme dernièrement avec lePSA !

❒ Ce n’est pas normal qu’il ait fallu mettreen place un KCE pour mobiliser un savoir quiaurait dû être donné par les universités.

● L’approche de l’efficience n’est pas assezenseignée dans les universités.

❒ Je peux comprendre l’irritation des méde-cins, nous avons la faiblesse de croire qu’ilspeuvent contrôler, lutter contre la demande dupatient ou la pression des firmes. Là il fautreconnaître que nous avons tendance à leurdemander beaucoup…

◆ Il faudrait accepter d’identifier, par dossier,nos adversaires et nos alliés communs. Lesoignant, réellement soucieux de bien faire, estquand même enrôlé culturellement dans unevision magnanime par rapport à l’industrie etcritique par rapport à ceux qui parlent d’effi-cience, venant d’un bord plus administratif ouplus politique. Là il y a du chemin à faire.

Le travail avec les usagers

❍ L’attitude des patients, attirés par lesspécialistes et les soins prestigieux, influenceaussi le travail des généralistes. Les campagnesfaites vers le public, comme pour les antibio-tiques ou les génériques ont un impact, indui-sent un changement dans les demandes despatients. Quel rôle jouez-vous dans la responsa-bilisation des usagers quant à l’utilisation dusystème de santé, et quant à l’importance de la

première ligne et des soins de santé primairesdans la prise en charge des individus ?

● L’information des usagers est une missionessentielle des mutualités. La plupart font déjàpas mal de choses. Et on voudrait aller plus loin.Mais paradoxalement, certains estiment que cen’est pas notre rôle.

Un exemple récent ? Nous avons proposé queles mutualités puissent disposer d’outilsd’informations des affiliés et des prestatairesde soins sur une base individuelle. Qu’on puisseutiliser nos données, et notamment les donnéesde prescription des médicaments, pour informerindividuellement les patients, mais aussi leursmédecins traitant sur les conséquences finan-cières de la prescription. Un arrêté royal en cesens a été proposé par le ministre Demotte. Encomité de l’assurance, nous avons été les seulsà voter pour cet arrêté royal. Evidemment, celadevrait se faire de manière prudente, après ac-cord de la commission vie privée, avec l’accorddu patient aussi. Le banc médical a estimé quece n’était pas le rôle des mutualités, qu’elless’immiscent dans la relation médecin-patient.Ce rôle qui pour nous a l’air évident n’est pasdu tout clair dans l’esprit des partenaires de l’as-surance maladie. Et même certaines mutualitéstrouvent qu’on ne doit pas aller aussi loinaujourd’hui.

❍ Concernant les soins de santé primairesvous avez déjà fait des sensibilisations pourencourager les usagers à aller chez le médecintraitant, à demander un Dossier médical global,etc. ?

◆ Avec Renouer, on a envoyé des affiches ence sens pour les salles d’attente. Des affichesneutres, sans notre logo, parce qu’on ne voulaitpas que le médecin ait l’impression de faire dela publicité pour une mutuelle.Mais surtout il y a un travail d’éducation perma-nente, qui n’est pas reconnu. En particulier viales associations, comme les Femmes pré-voyantes socialistes, qui font énormément deformations pour les femmes, par exemple à lagestion d’un carnet de santé. Il y a eu plein deprogrammes où on formait des groupes desvolontaires au dialogue avec les prestataires.Nous avons travaillé sur un carnet version pa-tient. Quand on a commencé à parler de géné-riques, le premier guide qu’on a produit a été

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testé dans des groupes des gens concernés, despensionnés, des milieux très populaires. L’asso-ciation Espace Santé à Liège a été pionnièredans ce domaine et continue toujours. Le feed-back a servi à remanier les éditions ultérieures.L’éducation permanente est un travail fonda-mental qui n’est guère valorisé, ce n’est pas del’information d’actualité fracassante, c’est del’information de base où on rend service aux gens.On a même fait auprès de jeunes un recueil detémoignages sur ce qu’ils aiment ou n’aimentpas quand ils sont en contact avec des soignantsde tous genres, que ce soit la médecine scolaire,le dentiste, le généraliste. De tout cela est sortiune charte, mais avec les paroles des mômes.Une demande importante était par exemple dene pas être en slip dans un couloir ou une salled’attente ! Cette charte a été envoyée à toutesles institutions de soins concernées, pour attirerleur attention. On a aussi produit un carnet desanté adapté aux enfants de primaire. C’est untravail de fond qui cherche à planter des grainesdans la tête des gens côté consommateur.

❒ Mais ce qu’on a comme moyens, ce sontdes timbres et du papier, ce qui est peu par rap-port à des objectifs de modification de compor-tement. Pousser les gens à moins consommer,alors que d’un autre côté, ils sont inondés destimulations à consommer... nous n’avons pasbeaucoup de moyens à opposer. Il faut rappelerque notre mission est de veiller à l’efficience etde rembourser les soins. L’argent sert d’abordà rembourser, donc on doit prendre un peu surle côté tout ce qui est budget pour éduquer etmodifier les comportements. On peut se deman-der qui doit faire cela. Je plaide plutôt pour unpartenariat, pour sortir d’une logique de con-frontation et arriver à une certaine qualité.

Les divisions du banc médical

● Un frein au développement de la médecinegénérale est aussi à mon avis la division au seindu syndicat majoritaire parmi la médecine géné-rale. Le Cartel est un syndicat actuellementécla-té, puisque le SVH a fait sécession.

Il y a aussi un fort clivage Nord-Sud, dans lessoins de santé de manière générale, mais parti-culièrement en médecine générale. Par exem-ple, le Dossier médical global perce plus fort

au Nord qu’au Sud. Y a-t-il une manière diffé-rente de travailler au Nord et au Sud ?

❒ Il y a aussi la pléthore qui porte préjudiceaux médecins généralistes. Les gens essaientde tirer leur plan, de tirer leur épingle du jeu.Le meilleur moyen de détricoter un mouvement,c’est d’organiser la pléthore.

❍ A la médicomut, même si depuis deux élec-tions, les généralistes votent en masse pour unsyndicat, c’est l’autre syndicat qui fait la pluieet le beau temps, y compris pour des questionsqui touchent exclusivement à la médecine géné-rale. C’est énervant : même si tous les acteurssont d’accord, sauf l’ABSyM, cela ne passe pas.Quid d’une réforme de la médicomut qui per-mette à la médecine générale de s’autodéter-miner effectivement ?

● On a donné plus de poids aux généralistesde la médicomut pour les questions qui con-cernent la médecine générale et inversementpour la médecine spécialisée. Un arrêté a étépris dans ce sens.

❒ Dans la question, il y a implicitement unedemande d’arbitrage. Je ne suis pas sûr que cesoit la bonne solution que l’arbitrage vienne del’extérieur à la profession. Cela veut dire quedans la profession, les généralistes ne parvien-nent pas s’entendre avec les spécialistes, est-ceaux mutuelles ou aux pouvoirs politiques derégler cela ?

Comment peut-on à la fois êtregestionnaires d’hôpitaux etdéfendre les soins de santéprimaires�?

❍ Comment peut-on à la fois être gestion-naires d’hôpitaux et défendre les soins de santéprimaires ? Il y a un conflit d’intérêt financier.Comment jongler avec ces deux choses là ? Quese passerait-il s’il y avait une politique trèsvolontariste, qui ramènerait des budgets de ladeuxième ligne vers la première ligne ?

● Les mutuelles gestionnaires d’hôpitaux,c’est historique, comme nos rapports avec lessoins infirmiers ou le monde des pharmacies

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coopératives. Les mutualités ont développé cesinfrastructures pour répondre à une demandede soins, à caractère social bien souvent.Il n’y a pas ici de clivage entre première oudeuxième ligne et cela n’interfère pas sur notremanière de voir l’organisation de la politiquede soins de santé globalement.

◆ Il faut voir pour quelle raison sociale ontété créés ces hôpitaux. Il y avait jadis un déficitd’accès à la médecine spécialisée, qui n’étaitpas aussi omniprésente et omnipotente qu’ellel’est aujourd’hui. Au sortir de la deuxièmeGuerre mondiale, lors de l’universalisation dusystème d’assurance maladie en Belgique, onse rend compte que dans les bassins industrielstouchés par les maladies pulmonaires, lasilicose, etc. il y a une difficulté d’accès auxinfrastructures pour les gens les plus modestes.Donc la priorité de l’époque a été d’avoir sespropres institutions. Après on peut voir duclientélisme là-dedans, comme dans les piliersou les clubs sportifs. Mais au départ c’était uninvestissement social et de santé publique.

Comme 20-30 ans plus tard, créer des centralesde service à domicile a paru être un combatutile, non seulement pour trouver du boulotpour les gens de Cavell licenciés en bloc, maisaussi pour offrir ce type de service à la popula-tion, avec tous les « auxiliaires » qui permettent,si possible, d’éviter ou de raccourcir deshospitalisations.

Avant de travailler dans une mutualité, j’ai réa-lisé un courrier du CRISP avec un autre auteursur ce secteur. C’était fin des années 80, on avaitévalué à l’époque que 7% des lits d’hôpitauxétaient aux mains des mutuelles, donc c’étaitune nette minorité dans l’ensemble.Jean Hallet, à l’époque où il dirigeait les mutu-alités chrétiennes, disait : il nous faut un brochetparmi les carpes. Entendez : il faut qu’on aitaussi l’une ou l’autre institution de soins poursavoir comment cela fonctionne et se gère, quecela soit un observatoire. Alors en négociation,on est plus fort quand on comprend les mécanis-mes. Je pense qu’il embellissait un peu letableau en limitant cette motivation à cela, maisil y avait du vrai là-dedans aussi. Par ailleurs,les choses évoluent, mais toujours avec un effetretard. Quand la structure n’incarne plus lapriorité sociale ou de santé publique, il fautparfois longtemps avant de passer à autre chose.

Dans ce courrier du CRISP, ce qu’on reprochaitdavantage aux mutualités, ce n’était pas d’avoirdes institutions, mais de ne pas en avoir faitdes pôles d’excellence d’innovation, d’exem-plarité en matière d’évaluation des soins, d’hu-manisation des services, d’efficience, voired’organisation de la coopération harmonieuseavec le premier échelon. On y gérait les hôpi-taux comme les autres. Sans audace particulière.C’était lié à une idéologie forte dans la gauchedu passé : la croyance que l’important pour lasanté de la population était essentiellementl’accès financier, et pas du tout le système oucomment il doit articuler ses éléments entre eux.Pour la qualité des soins, on faisait confiance,on se disait, avec a foi du charbonnier, que lemédecin sait.

● Il n’y a plus beaucoup de ces hôpitaux, etl’accès y reste le point essentiel. Les médecinsqui viennent y travailler savent qu’ils serontlimiter en termes de suppléments d’honoraires.

❍ La dernière question concerne les prati-ques de groupe de première ligne que sont lesmaisons médicales. Vous avez créé des hôpi-taux, puis des centrales de service à domicileaux moments où cela paraissait utile. Nedevriez-vous pas soutenir aujourd’hui un mo-dèle de soins de santé primaires qui est défendudans la littérature internationale ?

● C’est important que la médecine généralese structure dans sa pratique, parce que c’est làsa faiblesse par rapport à la médecine spécia-lisée. La pratique de groupe quelle que soit saforme, en réseau par exemple, doit être soute-nue. C’est aussi ce que vise le fond d’impulsionqui doit être mis en place par le ministreDemotte et la médicomut.

❒ Nous sommes convaincus que c’est unebonne solution. Le problème c’est qu’on n’apas d’arguments par rapport aux autres parte-naires, qui pourraient dire dès lors qu’on financesur base d’un pari, d’une profession de foi. Lemeilleur exemple, c’est l’analyse de la prescrip-tion d’antihypertenseurs et d’antibiotiques.Dans les maisons médicales, on prescrit plusd’antibiotiques que dans les populations géné-rales à l’acte mais moins d’antihypertenseurs.On peut analyser cela positivement : les patientsen maison médicale sont plus malades et doncon prescrit plus d’antibiotiques ; et on prescrit

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De l’efficience avant toute chose

moins d’antihypertenseurs, parce qu’il n’y a pasbesoin d’en prescrire plus. Mais on pourraitconclure à l’inverse que vous ne donnez pasd’antihypertenseur aux gens qui en ont besoin,et que vous donnez trop d’antibiotiques.On n’a pas beaucoup d’arguments pour soutenirdavantage les maisons médicales. Nous nevoulons pas entrer dans un conflit capitation/acte ou généraliste/spécialiste.

❍ Les deux particularités des maisons médi-cales par rapport aux pratiques de groupesoutenues par le ministre Demotte, ce sont lesouci d’accessibilité aux soins, que vouspartagez, et la pluridisciplinarité : les soins desanté primaires ne sont pas exclusivement dela médecine générale mais font partie d’unpartenariat entre divers acteurs. Cet aspectpluridisciplinaire est totalement atypique. Laquestion est de savoir qui est derrière nous sion lance la discussion sur la pratique pluri-disciplinaire qui serait un plus par rapport àune pratique mono-disciplinaire.◆ Pour instaurer le forfait à l’INAMI, unedynamique s’est installée. A cette époque-là onpouvait reprocher aux mutualités de ménagerle syndicat dominant. Pourtant elles ont soutenuce projet, et ses développements tels que lescompensations pour les populations parti-culières.

Maintenant, « être derrière vous », ça veut direquoi ? Etre derrière les maisons médicalesexistantes, ou être derrière l’essaimage, la multi-plication, le soutien privilégié, à la limite, à desgens qui font partie des généralistes classiques,solistes, mais qui voudraient bien se lancer dansun groupe ? Ce n’est pas tout à fait la mêmechose. La Fédération, c’est normal, a ses pro-pres revendications et voudrait consolider lesmoyens de ses propres équipes, mais il n’estpas sûr que le label du soutien mutualiste soitun atout dans le paysage médical.

S’il y a encore des caps délicats à franchir, siles maisons médicales sont encore des labora-toires, j’imagine que la tendance serait de les

appuyer comme on l’a fait dans le passé.

On a organisé une table ronde parue dansRenouer il y a quelques années avec desmédecins généralistes de toutes générations etrégions, et on leur a demandé comment ilsvoyaient la médecine générale depuis leursdébuts et pour l’avenir. Ceux de l’âge médiandisaient : « si c’était à refaire, on se mettrait enéquipe ». Et ce n’était pas par idéologie.Même en maison médicale, il y a des différencesde sensibilité, avec ceux qui veulent y fonction-ner pour la convivialité, pour les assurancesprofessionnelles en termes d’échanges, pour lesinteractions, et pour le confort de travail : cen’est plus la foi militante qui tient lieu de via-tique.

❒ Il faut distinguer les pratiques de groupepour diminuer ou partager les coûts et le travailen groupe avec un projet, comme les maisonsmédicales. On pourrait très bien travailler enpartenariat avec des gens décidés à jouer la cartemaison médicale, forfait et pluridisciplinarité,avec un maximum de qualité.

❍ La justification peut être politique. Toutcomme lors de l’ouverture d’hôpitaux à l’épo-que, la justification peut être une volontéd’accessibilité aux soins, il peut y avoir le faitde défendre un mode d’organisation. Il y a dessignes que la pratique de groupe apporte desplus, notamment en termes de qualité. Et lesmaisons médicales ont déjà montré qu’ellespeuvent être des laboratoires. On peut choisird’investir dans un nouveau projet, avec lavolonté de l’évaluer.

❒ On peut investir dans un système quis’auto-évaluerait et serait capable d’apporterdes arguments d’efficience.

Il y a un besoin d’évaluation et pas un besoin decontrôle, on voudrait être sûr que ce qu’on financesont des soins de qualité et efficients.

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Les soins de santé primaires ont été retenus dansde nombreux pays en voie de développementcomme stratégie visant à soustendre la mise enœuvre de politiques sanitaires basées sur lesnotions de participation, d’accessibilité, d’effi-cience et d’équité. L’évolution sociale etpolitique dans ces pays a profondément modifiél’opinion que l’on pouvait se faire de leurapplication au fil des décennies. L’obstinationdes partisans d’un modèle d’organisation dessoins de santé emprunt d’hospitalo-centrismeet de médecine spécialisée soucieuse d’hyper-efficacité, la pauvreté des populations et desgouvernements, la survenue de multiples criseset autres guerres civiles, l’émergence de pro-blèmes de santé nouveaux ainsi que la persis-tance de défis majeurs liés à certains groupescibles (notamment la mère et l’enfant) semblentvouloir mettre de plus en plus en cause le bien-fondé de cette stratégie. Notre propos est d’unepart de montrer comment certains courantsactuels en matière d’organisation des services

Les soins de santé primaires: une stratégienégligée pour l’organisation des services desanté en situation de crise complexe

Kahindo Jean-Bosco, médecin,

et PorignonDenis, médecin,

Centrescientifique et

médical del’université libre

de Bruxelles pourses activités de

coopération -Cemubac.

Mo

ts clefs�: politique de santé,

soins de santé primaires, santé publique.

Considérés comme la base du systèmede santé dans les pays en voie dedéveloppement, les soins de santéprimaires sont victimes d’ingérenceshumanitaires déstructurantes, d’inter-ventions technocratiques débilitantes etd’un sous-financement chronique. Ilsconstituent néanmoins la voie privi-légiée pour l’avenir de la santé dansces pays.

○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○

○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○

de santé dans les pays en développement etprincipalement en Afrique centrale entravent lerenforcement des politiques sanitaires baséessur les soins de santé primaires et d’autre partd’argumenter la pertinence de la stratégie dansles contextes les plus défavorisés de la planète.

Les catastrophes del’humanitaire

Le premier point méritant une attention parti-culière est relatif aux interventions d’urgence.Les conséquences d’une catastrophe sur lessoins de santé primaires sont de deux ordres :le ralentissement, voire l’arrêt des activités desoins dans les établissements sanitaires et laréponse apportée par la communauté inter-nationale.

Dans les contextes soumis à des crises com-plexes, des stratégies spécifiques efficaces ontété développées pour la prise en charge sanitairedes populations. Les interventions humanitairesd’urgence ont été développées par des organisa-tions non gouvernementales d’abord, relayéespar les agences onusiennes puis par les gouver-nements eux-mêmes dans de nombreux endroitsdu monde, et particulièrement en Afriquecentrale. Le souci d’efficacité justifié par lagravité, en termes de mortalité, des situationsrencontrées et celui d’indépendance censégarantir une certaine neutralité, ont tous deuxlégitimé des interventions, certes efficaces àcourt terme, mais également très déstructurantespour les services de santé locaux qui voient semettre en œuvre des interventions dont ils sont,la plupart du temps, exclus. En outre, cesorganismes attirent les professionnels de santélocaux avec des perspectives souvent éphé-mères d’un avenir meilleur altérant ainsi un peuplus une capacité potentielle humaine déjàpréalablement fragilisée par un contexte socio-économique défavorable. Lorsque l’urgences’estompe, les interventions humanitairess’arrêtent, les ressources financières diminuent

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96 Santé conjuguée - juillet 2006 - n° 37

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et les services de santé locaux ainsi que leursacteurs se retrouvent le plus souvent affaiblisdevant une population chez qui des besoins ontété créés dont le moindre n’est pas la gratuitéde l’accès aux soins. Une demande accrue despopulations doit ainsi être satisfaite par uneoffre de soins que la rareté des ressources restantalors disponibles rend encore plus difficilementabordable qu’avant la crise. Aux difficultésrencontrées par les services de santé locauxsuite à l’émergence de la crise, il faut ajoutercelles liées à la gestion de l’après « interventionhumanitaire » pendant laquelle la prise encharge des populations doit s’opérer avec unecapacité technique souvent significativementamoindrie.

Plusieurs auteurs ont toutefois montré que lesservices de santé locaux sont à même derépondre partiellement du moins aux besoinsdes populations vivant en situation critique.

Dans certains contextes, notamment en Répu-blique démocratique du Congo, nous avons puégalement montrer qu’une contribution desservices de santé locaux était efficace maiségalement efficiente. Le coût de la prise encharge des réfugiés rwandais pendant la crisede 1994 était cinq à dix fois moindre lorsquecelle-ci était opérée par les services de santélocaux par rapport aux services organisés dansles camps par les organisations humanitairesd’urgence. Sans vouloir réfuter le bien fondéde certaines interventions d’urgence, nousplaidons encore pour une possible meilleurecomplémentarité aboutissant à terme à unrenforcement réel des services de santé locauxplutôt qu’à leur affaiblissement si souventconstaté dans de nombreux contextes.

Préservez-nous destechnocrates

Le second argument est plus général et relèvede l’opposition cristallisée après la conférenced’Alma Ata entre soins de santé globaux et soinsde santé sélectifs. Depuis les indépendancesdans les années ‘60, la question se pose sanscesse de savoir s’il vaut mieux organiser avecune efficacité réelle un peu de soins de santépour un nombre limité de bénéficiaires ou s’ilest possible d’améliorer globalement le niveaude santé des populations en s’attaquant auxprincipaux problèmes de santé avec le risque,en cas de sous financement, d’une plus grandedispersion et d’une moindre efficacité.

Cette question revient à l’avant-scène desdébats internationaux depuis le début desannées ‘90 sous l’impulsion de différentsorganismes internationaux comme la Banquemondiale qui, à travers ses rapports de synthèse,a entraîné la communauté internationale dansla lutte contre trois maladies jugées prioritaires :la malaria, la tuberculose et le SIDA. La réac-tion de la communauté internationale a été, dansun premier temps, de prôner le renforcementspécifique du contrôle de ces trois maladiesdans les parties du monde où elles étaient lesplus meurtrières, c’est-à-dire principalement surle continent africain. Dans la seconde moitiédes années ‘90, de vastes programmes, dont leFonds mondial (initiative des Nations-Unies

Les soins de santé primaires : une stratégie négligée pour l’organisation des services desanté en situation de crise complexe

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destinée à assurer le financement de la luttecontre le SIDA, la malaria et la tuberculose),ont été lancés et des objectifs ont été définispour le troisième millénaire. Pour intéressantqu’il soit, ce courant a abouti d’une part certesà la mobilisation relativement rapide de som-mes d’argent colossales (se chiffrant en cen-taines de millions de dollars), mais d’autre part,par la mobilisation inadéquate de ressourceshumaines locales et l’imposition de stratégiesspécialisées distinctes et parallèles à cellesexistant dans le cadre des soins de santé pri-maires, il a également conduit à une déstruc-turation profonde du fonctionnement desservices de santé locaux. Le développementd’équipes certes multidisciplinaires maisspécialisées pour la lutte contre le SIDA parexemple (conseils, dépistages, diagnostics,traitements,…) a imposé du personnel(para)médical spécifique dans des centres desanté ne disposant pas par ailleurs de l’équipe-ment et des médicaments élémentaires pour laprise en charge des diarrhées de l’enfant.

Encore une fois, le souci de la communautéinternationale pour une efficacité immédiate asérieusement altéré des dizaines d’annéesd’efforts menés par des professionnels de santésous-payés disposant de moyens matériels etfinanciers dérisoires au profit de technocratessouvent expatriés qui ont mis dix ans pouridentifier l’impérieuse nécessité d’un renforce-ment global des systèmes de santé pour enrayerla morbidité et la mortalité liées à la malaria, àla tuberculose et au SIDA. Ici également, lalittérature internationale a relevé le potentiel desservices de santé locaux pour jouer un rôlesignificatif dans l’amélioration de la santé despopulations, notamment en termes de réductionde la mortalité maternelle et infantile.

De l’urgence de réorienter lesmoyens vers les soins de santéprimaires

Le troisième point est relatif à l’accessibilitéfinancière et à la qualité des soins. Les systèmesde santé basés sur les soins de santé primairestels que mis en place dans les pays du Sud souf-frent d’un sous-financement chronique depuisdes décennies. Cette carence trouve, dans

beaucoup de pays, son origine dans la faiblepart des ressources nationales octroyées à lasanté (moins d’1 % du produit intérieur brut)ainsi que dans la pauvreté profonde parti-cularisant une population qui n’a donc pas lesmoyens de payer les soins de santé dont elle abesoin. La Banque mondiale et l’Organisationmondiale de la santé recommandent toutes deuxune dépense moyenne de 15 à 30 USD parhabitant et par an pour assurer des services debase dans les pays les moins avancés. Celle-cine dépasse guère les 5 USD par habitant et paran dans la plupart de ces pays, notamment enAfrique centrale. Une des conséquencesimmédiates de ce sous-financement est lamauvaise qualité des soins liée entre autres àune faible motivation du personnel (souventpayé moins de 100 USD par mois), à un souséquipement des infrastructures sanitaires ouencore à des ruptures de stocks en médicamentsessentiels. Ce point nous paraît d’une impor-tance essentielle car il constitue un goulotd’étranglement empêchant le développementdes soins de santé primaires en tant que stratégiede réponse aux problèmes de santé despopulations. En outre, il justifie en partie lerecours à des stratégies humanitaires d’urgenceou à des programmes spécialisés tels qu’expo-sés ci-dessus lorsque les conditions deviennentà ce point critiques que la seule issue qui paraîtenvisageable est celle de l’efficacité à courtterme.

Nous pensons que le développement de soinsde santé globaux et intégrés permettant d’offriraux populations des solutions cohérentes à leursproblèmes de santé reste la voie privilégiée pourl’organisation des services de santé, y comprisen situation critique. Elle seule en effet permetune appropriation à long terme, une efficienceoptimale et une équité permettant ainsi decontribuer à la stabilisation politique de cesrégions du monde où il importe non seulementde sauver des vies mais également de construireun futur pour l’ensemble de la société. ●

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Identifier les obstacles

Le changement social dans les soins de santén’est qu’un aspect du changement social engénéral. Nous reprenons l’hypothèse centralede Bajoit (Le changement social, 2003) : selonnous, ce sont les conflits, les contradictions etles compétitions qui constituent les seulespratiques génératrices de changement social,le moteur de l’histoire. Nous sommes bienconscients que cette position n’est pas partagéepar tous les sociologues…Nous considérerons donc, comme l’auteur, cepoint de vue comme une simple hypothèseheuristique. Il est vrai que pour les acteurs dela réforme cette hypothèse correspond assezbien à leur expérience concrète personnelle.Bajoit propose la typologie des formes dechangement social suivante :

○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○

○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○

Les recherches théoriques et lesexpériences de nombreux pays sontriches d’enseignement qui permettentde mieux identifier les obstacles à laréforme des soins de santé en faveurdes soins de première ligne.

On voit que nous pouvons à bon droit parler deréforme des soins de santé. Les moyens dontdisposent les acteurs qui veulent changer lesystème sont trop modestes pour être porteurd’une révolution. De plus, une révolution pouraméliorer le seul système de soins, ce seraitdisproportionné.Par contre, les acteurs de la réforme sontorganisés et gagnent progressivement duterrain. De ce point de vue, on peut dire que lesmédecins généralistes qui se révoltentpériodiquement rendent probablement laréforme encore plus difficile, parce qu’au lieud’utiliser leur colère pour aider les réformateurs,ils s’opposent à eux et souhaitent prendre leurplace malgré leur incompétence notoire en lamatière.

Les obstacles à la mise en œuvre de réformesdes soins de santé primaires sont biendocumentés. Ce sont les valeurs et les intérêtsde tous les intervenants, le public y compris ;

Inorganisé Organisé

Progressif Evolution (naturelle) Réforme

Brutal Révolte Révolution

Pierre Drielsma,médecingénéraliste aucentre de santéintégré Bautistavan Schowen,membre de lacellule politiquede la Fédérationdes maisonsmédicales,responsable duservice d’étudesde la Fédérationdes maisonsmédicales.

Cueillette bibliographique des obstacles àla réforme des soins de santé en faveurdes soins de première ligne

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Avertissement

Nous avions projeté de réaliser une vastebibliographie de la question, nous avonsvaillamment commencé ce travail. Mais la vued’un livre récent qui réalisait déjà une synthèseapprofondie de la question nous a poussé àcommander ce livre qui malheureusement acheminé lentement entre les Pays-Bas et laBelgique. Une fois ce livre dans nos mains,nous avons traduit et résumé l’essentiel de soncontenu. Nous n’avons cependant pu résisterau plaisir de vous confier les quelques extraitsd’articles que nous avions déjà glanés. Il fautdonc bien séparer les deux parties de cetarticle, quoiqu’un lecteur averti y trouvera sansnul doute là cohérence globale.

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les questions liées aux ressources humainesdans le domaine de la santé, notamment laplanification, la formation et l’offre ; les rôleset le nombre de soignants qui ne sont pas desmédecins ; l’ampleur de la pratique pour chaquesoignant et la confusion qui entoure l’envergureprofessionnelle de la pratique lorsqu’ilstravaillent en équipe. À ces obstacles s’ajoutentles modes de rémunération et les mesures d’in-citation financière qui sont fortement ancréesdans le système de rémunération à l’acte desmédecins ; les problèmes médico-légaux ; lesdifférences dans les pouvoirs de réglementationdes compétences, délégués à chaque profes-sion ; la nécessité d’avoir plus de renseigne-ments utiles sur les patients et le partage del’information entre les soignants ; la nécessitéd’améliorer la qualité des systèmes d’infor-mation ; la diminution du dédoublement et lecompte rendu des progrès accomplis et desprincipaux résultats, de même que l’absenced’approche systématique qui comprenne toutl’éventail des soins de santé, notamment lesservices de soins de santé mentale, les soins delongue durée et les soins à domicile.

Revue de la littérature

● Méthodologie

Nous avons cherché les articles dans la base dedonnées Medline, via Pubmed, Medscape,BMC, ainsi que sur des moteurs non spécifiques(comme Google) ce qui permet parfois deretrouver des données intéressantes non-indexées dans les bases de données médicales.Nous avons utilisé les mots clés suivants :

Primary care reformHealth care reformResistance, obstacle, difficulties, barriersPrimary care organization reformHealth care organization reformPrimary care team

Nous avons surtout privilégié les articles quifont état d’analyses concrètes de terrain et ceux

qui s’enquièrent directement de la réformeplutôt que des descriptions et analyses géné-rales.

Pour surmonter les obstacles, il faut d’abordpréciser de quelles réformes il s’agit. La réformedans les soins de santé est stimulée par desobjectifs économiques : diminuer la part desbudgets publics qui va vers les soins de santé.Pour obtenir ce résultat plusieurs possibilitésexistent : diminuer les services offerts pour lemême prix payé par l’usager, donner le mêmeservice mais augmenter la part payée par lemalade, ou améliorer l’efficience, c’est-à-direoffrir le même service pour un moindre prix.

Les deux premières options sont impopulairesvis-à-vis de la population générale et frappentplus particulièrement les plus démunis. Latroisième touche peu aux intérêts de patientsmais rebute certains groupes d’intérêts quivivent des gaspillages.

Les obstacles à la réforme peuvent d’abords’analyser sur le plan théorique. Nous distin-guerons plusieurs groupes d’obstacle :

• Les lobbies de ceux qui risquent de perdrequelque chose (à qui profite le crime) ;

• Les usagers bénéficiaires mais... : négociationentre liberté, efficience et équité dans lessoins ;

• Les perceptions des bénéficiaires putatifs dela réforme : les soignants de première ligne ;

• Les perceptions des décideurs (politiquesorganismes assureurs).

● Les acteurs

1. Les lobbies… de ceux qui risquent deperdre quelque chose (à qui profite lecrime)

Nous avons regroupé dans cette catégorie ceque nous appelons le complexe médico-indus-triel : les prestataires de soins spécialisés, lesfournisseurs d’appareillage lourd et l’industriepharmaceutique.

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L’Organisation mondiale de la santé-Europe(European Health Care Reform, 1997) sépareces catégories alors que leurs intérêts conver-gent globalement.A propos des professionnels, les sociologuesont souvent décrit que les professions de santéjouent un rôle injustifié dans le développementet la mise en place de politique de santé. Cettedominance professionnelle reflète des carac-téristiques clés des médecins et du secteur dela santé. Un facteur critique est le rôle centraljoué par les médecins dans le service de soins.Le statut social élevé des médecins est unequestion liée à la précédente. Il en résulte queces professionnels influencent pour assurerleurs intérêts plutôt que les intérêts publics.La croissance en nombre de tels groupes d’in-térêts a conduit à un environnement politiqueencombré.Dans le rapport « Belgique » de l’Organisationmondiale de la santé, la question des lobbiesest clairement posée pour les réformes des soinsde première ligne.

D’autre part, le Gouvernement tente de réduireles services couverts par l’assurance soins desanté, ou basculer le payement vers la capitationplutôt que la prestation. Mais ce sera difficilepolitiquement. Le plus difficile sera d’introduirel’échelonnement. Il existe un puissant lobbydans le pays qui affirme que l’échelonnementaugmente le nombre total de contacts et doncles coûts.Le solide contre-argument que les soinsspécialisés coûtent plus1 (et qu’il est inefficientd’utiliser les soins spécialisés alors que les soinsde première ligne suffisent) mettra du temps àse frayer un chemin.

2. Les usagers bénéficiaires mais…(négociation entre liberté, efficience etéquité dans les soins)

L’Organisation mondiale de la santé signale lepouvoir des lobbies de patients dans la politiquede santé, mieux représentés en Irlande, auxPays-Bas, au Royaume-Uni et dans les paysscandinaves. Elle ajoute cependant : en général,les vues des patients sur la réforme du systèmede soins sont souvent lacunaires. Tout celarédigé en pur style diplomatique.

Dans l’article The future of family medicine les

auteurs ont colligé plusieurs enquêtes auprèsdes usagers. On peut y lire : les médecins defamille ne sont pas reconnus ni pour ce qu’ilssont ni pour ce qu’ils font…. En effet, les termesfamille et médecin portent à confusion etsuggèrent que les médecins de famille manquentde formation et de compétences scientifiques.Plus bas encore : il existe un certain scepticismeà propos du concept de globalité (compre-hensive care) qui traite d’un vaste champ deproblème. Une part de cette réaction est baséesur la croyance qu’il est irréaliste d’attendred’aucun médecin qu’il maîtrise et conserve sescompétences sur l’ensemble de la médecine.

Par contre, les publics interviewés manifestentune grande satisfaction sur les variables rela-tionnelles :

• ne pas juger, comprendre et soutenir ;• être honnête et direct ;• agir comme un partenaire pour la santé ;• écouter efficacement ;• être attentif à la santé émotionnelle et physi-

que du patient.

Van Doorslaer2 confirme que la première lignes’occupe préférentiellement des patients écono-miquement faibles.

3. Les bénéficiaires putatifs de la réforme,les soignants de première ligne

Les médecins de famille sont manifestement legroupe le plus désemparé. Dans l’article Thefuture of family medicine on peut lire : malgréces indicateurs apparemment positifs del’importance de la médecine de famille, il y ades tendances perturbantes : la quantité deconsultations (aiguë, chronique et préventive)de médecine de famille décroît partout. De plus,il y a un déclin permanent et progressif de 1980à 1999 du pourcentage de médecins qui choisitla médecine générale.

4. Les décideurs (politiques, organismesassureurs, administration…)

L’Organisation mondiale de la santé déclare :les questions clés tournent souvent autour durapport de force et des intérêts de chaquegroupe. Les politiques qui porteront leur fruitseulement à long terme sont perçues négative-ment par ceux qui doivent les mettre en œuvre.

Cueillette bibliographique des obstacles à la réforme des soins de santéen faveur des soins de première ligne

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Le conseil de la santé du Canada incrimine lespolitiques : Les gouvernements ont tardé àsoutenir les nouveaux modèles de prestationmême lorsqu’ils s’étaient révélés positifs. Desinnovations, évaluées positivement, ont vu lejour dans différentes organisations comme leGroup Health Centre à Sault Sainte-Marie, leWomen’s Health Centre à Winnipeg et danscertains Centres de services communautaires(CLSC) au Québec. Ces modèles correspondentgénéralement à l’objectif énoncé dans l’Accordde 2003 et devraient être maintenus de façondynamique. Le maintien du statu quo desmédecins de famille ayant une pratiquetraditionnelle ralentit le renouvellement.

L’Australian family physician (1999)3 estimeque les barrières à l’intégration sont perçuesprincipalement comme des conflits entre lesdifférents niveaux de pouvoirs gouverne-mentaux et leurs services, la manière dont lerôle du médecin généraliste est défini et lesystème de rémunération du médecin géné-raliste.

Le même journal (2001)4 observe que pour im-planter le paquet de soins de base une formationcomplémentaire des médecins généralistes estnécessaire.

L’Australian health review (2001)5 signale quele passage de soins réactifs (à la demande) àdes soins prospectifs (au besoin) après unenthousiasme de départ s’est mué en anxiétédevant la complexité de la tâche.

Le Journal of Interprofessional Care (2001)6 aétudié les opinions et attitudes de trois types deprofessionnels : médecin généraliste, infir-mières et gestionnaires en santé. Les sous-cultures actuellement divergentes des troisprofessions rendent leur collaboration difficile.L’auteur rejoint Einstein quand il dit qu’ilfaudra une nouvelle génération (avec uneculture plus commune) pour arriver au but. Cepoint de vue appelle une proposition de cursuspartiellement commun entre les différentesprofessions de la première ligne.

Dans le British Journal of General Practice(2002)7 Marshall et al. concluent que les chan-gements culturels sont les pré-requis centrauxà une réforme des soins primaires qui conduise

à un engagement des prestataires vers uneresponsabilité publique.

L’OMS Europe dans son ouvrage Europeanhealth care reform, analysis of reccurentstrategies ; europena series n°72 ; chapitre 6delivering services efficiently synthétise lesobstacles et facteurs favorisants rencontrés : Lesavantages potentiels des politiques de substi-tution incluent la satisfaction accrue despatients, les meilleurs résultats (outcomes), laplus grande efficience et la meilleure prise encharge (management) de certaines maladies...Trop souvent, la substitution ne contient que lechangement de lieu, sans le transfert de savoir-faire et de technologies ou sans nouvelleallocation de ressources !!

J.D. Kleinke dans le journal Health affairs(1998) profite de l’enquête sur une compagniecommerciale de soins (Columbia-HCA) pourstigmatiser les pouvoirs publics qui ont laisséfiler les coûts dans les années 50-60 en multi-pliant les hôpitaux et la production de médecins,et qui ont ensuite, lors de la crise des coûts desannées ‘80, confié au privé l’honneur de ratio-naliser (rationner ?) l’offre.Il ajoute que lorsqu’on ne paye plus les hôpitauxà la prestation mais de façon forfaitaire, le profitne se fabrique plus en multipliant les actes,quelle que soit leur utilité, mais au contraire enrationalisant les coûts et en améliorant l’effi-cience des soins délivrés. La Columbia-HCApeut ajuster son offre au besoin.Une autre stratégie de C-HCA fut de résoudrele conflit d’intérêt entre les gestionnaires et lesmédecins en particulier pour ce qui concerneles patients nécessiteux (medicaid).Une troisième stratégie de C-HCA fut deréaliser une intégration verticale des soins entrepremière et deuxième ligne par le dévelop-pement de centre de santé (surgery centers) etde soins à domicile (home care health agen-cies). Cette technique a fortement amélioré lacontinuité des soins et le flux d’information.Quand on regarde de près, il ne s’agit pas d’uneintégration verticale dure mais plutôt d’unecorrection de l’actuelle atomisation des soins.Les instances de régulation critiquent cetteintégration comme une perte de liberté de choix,malgré l’amélioration de la qualité ! Cela s’ex-plique en partie par le payement à l’acte quifait craindre la demande induite.

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Le paragraphe suivant s’intitule vaillamment :« En attendant (la capitation de) Godot ». Notreauteur affirme que les réformes engrangées parle C-HCA sans la capitation ne peuvent queconduire au clash avec les pouvoirs publics. Enparticulier pour l’intégration verticale, maisaussi pour l’intégration des médecins dansl’intérêt de la gestion. En particulier, tant quele système sera payé à l’acte, il sera soupçonnéde surfacturer. Pourtant, le maintien du paye-ment à l’acte est dépensier ce qui conduit lepouvoir à geler les prix ce qui pousse d’autant,prestataires et gestionnaires à multiplier lesactes : spirale infernale.

Il conclut que l’enquête sur C-HCA a pourfonction d’effrayer tous les réformateurs et deles mettre en position de capitulation dans lesrapports avec les pouvoirs publics.

Le résumé d’un article canadien (Journal ofhealth & social behavior, 1995)8 permettra devoir certaines convergence de situation entreici et là-bas. Cet article analyse une cohorte dejeunes praticiens à dix ans d’intervalle enOntario. Il évalue dans quelle mesure les posi-tions politiques des praticiens se sont adoucies

et la résistance à l’assurance publique. Il s’agitde la génération entrée dans le nouveau systèmeet installée après la grève d’un mois des méde-cins ontariens de 1986. Un des facteurs qui acontribué à l’adoucissement des positions estla féminisation de la profession. Nos donnéessuggèrent que l’opposition à Medicare (onta-rien) diminue et que de moins en moins de mé-decins souhaitent le retour à l’ancien système.Nous assistons à la fin d’un cycle de conflitentre les médecins et le gouvernement et nousentrons dans une politique d’accommodation.

Les soins primaires auxcommandes�?

Le livre Les soins primaires aux commandes ?9

est une revue exhaustive de la littérature surles changements en soins primaires et leursdifficultés. Il est récent (2006), rédigé par desspécialistes reconnus en soins primaires etdisponible librement sur le net. A la lecture desextraits et résumés commentés que nous vousproposons, nous espérons que vous aurez enviede consulter l’ouvrage.

Cueillette bibliographique des obstacles à la réforme des soins de santéen faveur des soins de première ligne

Facteurs favorisants

Financement basé sur les besoins des patients

Financement basé sur les réalisations (outputs) et les résultatsattendus (outcomes).Insister sur la mesure du mieux social, tant pour la quantitéque la qualité de vie

Fond coordonné ou managed care�: aller dufinancement vertical vers l’horizontal, auprès de multiplesdispensateurs travaillant ensemble�: première et deuxièmeligne, bénévole et travailleurs sociaux

Développer scientifiquement un management descentres de santé de première ligne. Modifier activement lacomposition et le savoir-faire des travailleurs. Evaluersystématiquement la possibilité de déplacer les technologieset le personnel de l’hôpital vers la première ligne. Brouiller lesfrontières entre première et deuxième ligne. Utiliser le savoir-faire des infirmières.

Obstacles et facteurs favorisants du virage ambulatoire

Obstacles

Un incitant financier pour lescentres de santé de premièreligne trop faible pour réaliser le transfert

Financement lié aux ressources des gens

Le financement ne reconnaît pas la naturecomplexe et globale des problèmes des gens

Qu’une majeure partie du transfert deressources soit absorbé mais pas utilisévers la plus grande efficience

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L’ouvrage pose une série de questions. Quelleest la meilleure manière de structurer desservices de soins primaires ? Comment amélio-rer la coordination entre les soins primaires etles autres parties de systèmes de santé ?Comment intégrer les nouvelles technologiesdans les soins primaires ?Parmi les décideurs nationaux en Europe, il y aun accord de principe pour dire que les soinsprimaires devraient être la charnière d’unsystème de santé bien organisé. Cet accordcependant, ne décrit pas les mécanismes d’orga-nisation à poursuivre pour atteindre cet objectifcommun. À travers « les Europe », les soinsprimaires présentent un large éventail deconfigurations institutionnelles, financières,professionnelles et cliniques. Ce livre étudie lesréformes des soins primaires en Europe et leursimpacts sur les systèmes européens de santé. Ilfournit également des suggestions pour desstratégies efficaces pour la future améliorationde la réforme de système de santé.

● Etat des lieux

Macincko, dans son étude sur les systèmes desanté au sein de l’Organisation de coopérationet de développement économiques (OCDE),observe que peu de pays ont été capablesd’améliorer les caractéristiques de leurs soinsprimaires depuis 1970. Cela reflète-t-il la forterésistance au changement ou l’insuffisance demotifs pour le réaliser ? Les décideurs, lesprofessionnels et le public dans les pays retar-dataires ne semblent pas attirés par l’idée. Ilspeuvent voir les soins primaires comme utilespour limiter les dépenses mais considèrentgénéralement qu’il s’agit de soins d’un niveauinférieur aux soins spécialisés. En fait, pour lamajorité des pays d’Europe, ni l’extension dessoins de première ligne, ni celle de la médecinegénérale spécifiquement n’est justifiée pourconstituer la base du système de soins de santé.Au contraire, les soins primaires et les médecinsgénéralistes offrent un paquet de serviceshétérogène souvent en compétition avec lessoins spécialisés (Boerma et Fleming, 1998).Dans les pays où les frontières entre les lignessont floues, il est difficile d’assurer la continuitédes soins, et la possibilité pour la première lignede piloter le système est fortement limitée. Maismême dans les pays où les patients sont inscritset où l’échelonnement est strict, les soins pri-

maires restent l’élément faible du système !Ceci crée une situation paradoxale : la tensionentre la faiblesse et le peu d’attractivité de ceniveau de soins par opposition au rôle stratégi-que qui lui est assigné. Ce paradoxe des soinsde première ligne représente la question centralequi traverse tout le livre. Nous avons besoind’une stratégie qui permette de renverserl’équilibre actuel vers les soins primaires.

Du point de vue organisationnel au début desannées 70, les soins primaires étaient délivrésde deux manières géographiquement détermi-nées. En Europe de l’Ouest, c’était le modèledu médecin généraliste soliste avec une orien-tation exclusivement curative. En Europe cen-trale et orientale, le modèle était baptiséSemashko, avec un premier contact chez lespécialiste de polyclinique ambulatoire. Dansces deux modèles, les soins primaires consti-tuaient la périphérie d’un système de santécentré sur l’hôpital et la médecine spécialiséetant pour l’établissement d’une politique quepour la délivrance des services.

Le premier changement eu lieu en 1972, enFinlande par le primary health care act. quiorganisait les soins primaires autour de grandscentres de première ligne préventifs et curatifscomposés de médecins généralistes, infirmières,travailleurs sociaux, promoteurs de santé. LaSuède adopta un système semblable, puis vintAlma-Ata en 1978 : à la fin des 70, les pre-mières ruptures avec le modèle du médecingénéraliste soliste ne se voyaient plus seulement

La crédibilité

La confiance du patient est une dimension essentielle desoins de santé primaires efficace.Alors que de récentes études montrent que le médecingénéraliste dans les systèmes bien développés en soins desanté primaires comme les Pays-Bas ou la Suède, reçoiventune bonne appréciation des patients, ils semblent qu’ilsperdent en légitimité auprès des médecins spécialistes. Bienque de nombreux experts en soins de santé primaires netrouvent pas le problème grave, il semble clair que lemédecin généraliste requière une crédibilité adéquate dela part des médecins spécialistes comme des patients s’ilsdoivent gérer des problèmes complexes trans-lignes enréseau, type de prise en charge en croissance.

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dans le Tiers-Monde mais aussi dans les paysnordiques. Dans les années 80, le nouveaumodèle s’implanta en Grèce, Pays-Bas,Espagne et Royaume-Uni. L’OMS Europesponsorisa une recherche-action auprès de sixpays pour incliner le plateau de la balance versles soins primaires.

Durant cette période, peu de changement inter-vinrent dans les services délivrés par les soinsde santé primaires dans le cadre de sécuritésociale : malgré quelques réflexions sur lesrapports soins de santé primaires / hôpital,médecin généraliste et autres, l’émergence deregroupements fonctionnels (garde, …), lessoins de santé primaires continuaient d’êtredélivre par des médecins généralistes solo.

● Si les soins primaires étaient auxcommandes...

Une question devrait probablement précéder lesautres : si les soins primaires étaient aux com-mandes, comment cela serait-il réalisé ? Et est-il souhaitable de le faire ?

La délégation de pouvoir aux soins de premièreligne ne risque-t-elle pas de dédoubler le rôledu médecin généraliste, comme coordinateuret dispensateur de soins, ce qui pourrait générerun conflit d’intérêt. Autre formulation : les soinsprimaires peuvent-ils investir leur nouvelle etcomplexe tâche sans délaisser le noyau de leurmétier qui est le soin.D’abord et avant tout, les médecins généralistessont au service de leurs patients, avec desvaleurs professionnelles qui requièrent uninvestissement de ressources aussi grand quepossible pour ceux-ci. D’autre part, pourdevenir des coordinateurs efficaces, ils doiventincorporer un haut niveau d’implicationpublique, et peuvent se retrouver écartelés entreleurs deux responsabilités. De même, on peuts’émerveiller devant l’influence du rôle demédecin coordinateur sur ses valeursprofessionnelles. Une bonne division des tâchesau sein des équipes de première ligne pourraitoffrir une solution à ce conflit d’intérêt.

Les soins de santé primaires son-ils capablesde prendre un rôle dominant dans la gestiond’ensemble des soins de santé ?Dominance : statut d’un individu dans une so-

ciété animale qui lui donne un accès prioritaireà la nourriture et aux femelles (s’il est mâle)par rapport au dominés.Leadership (guidage, guidance, pilotage) :statut d’un individu dans une société animalequi lui permet de guider les autres vers un lieu(pâturage, terrain de chasse) ou un compor-tement de sauvegarde (fuite).Chez les animaux, les deux statuts peuventcohabiter chez le même individu ou bien êtredisjoints ?

On s’interroge sur le coût en temps de travailde ce rôle de coordination, d’agent de l’Etat,vis-à-vis des soins directs aux personnes. Pourremplir ces nouvelles tâches (gestion des soins)le médecin généraliste devra diminuer sonimplication dans les soins concrets. Si son rôlefinancier et de gestion est reconnu, son pouvoirsera accru vis-à-vis de l’hôpital, des médecinsspécialistes et des patients et il y a une petiteprobabilité qu’il progresse en statut, respect, ouautorité. Il est difficile d’être certain de laconfiance que lui accorderont les patients danscette configuration.

Il faudra tenir compte aussi des préférences desmédecins : la plupart se ressentent commesoignants et pas comme gestionnaires du budgetdes soins de santé. Plusieurs commentateurs ontsuggéré que seule une minorité de médecinsgénéralistes souhaite renforcer leur rôle degestion, la majorité ne le souhaiterait pas.

Une solution serait de mettre les soins primairesen tant qu’organisation dans le siège du pilote.Et le médecin généraliste sur le siège arrière…Cela donnerait au médecin généraliste un rôlede conseil mais d’autres prendraient le rôle dedécideur, comme cela existe déjà : des respon-sables politiques locaux font ce job en Suèdeet en Finlande ou encore les primary care trusts(Royaume-Uni).

Il faut noter que ces modes les plus développésd’organisation de soins primaires apparaissentdans des systèmes beveridgiens10. Aux Pays-Bas, on envisage trois formes d’évolutionpossible : des soins primaires basés sur descentres de santé (health care centre), des soinsprimaires basés à l’hôpital, et enfin des soinsprimaires basés sur des coordinations intégréesde soins à domicile. L’évolution dépendra de

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nombreux impondérables. Le plus important estl’équilibre qui sera trouvé entre les fonctionsmanagériales et la fonction de soins. Il enémergera peut être un nouveau paradigme dessoins primaires en Europe.

● Le défi de la coordination

La demande des patients va clairement vers unemeilleure coordination entre les lignes de soins.Comment fonctionnera le rôle des profes-sionnels de première ligne dans la promotionde l’intégration trans-ligne ?Il faudra passer d’une organisation centrée surles services (qualité, accessibilité, disponibilité,etc.) vers une organisation centrée sur le patient(les besoins du patient définissent le service àrendre). Cela signifie que les services doiventêtre conçus pour rencontrer les besoins et lacoordination qu’ils nécessitent. Cela aura desconséquences sur le virage ambulatoire d’autantplus que les nouvelles technologies (télé-médecine, télésurveillance, miniaturisation,…)permettront de soigner des cas plus lourds àdomicile.

Se pose ici le problème de l’échelonnement.L’échelonnement remplit deux fonctions :

• Il contrôle l’accès aux spécialités et doncles dépenses occasionnées lors des contactsspécialisés. Le médecin généraliste agitalors comme un mécanisme de ration-nement des services ;

• Il a pour fonction d’améliorer la qualité dessoins délivrés par le rôle coordinateur etd’intégrateur qu’il peut jouer. Le médecingénéraliste devient le coordinateur généraldes soins, il est en mesure d’en améliorerla continuité.

Il résulte de ses deux aspects que l’échelon-nement peut être perçu comme une restrictionde l’accès aux soins pour diminuer les coûts.D’autre part, la sécurité du patient nécessite queles seuls soins opportuns sont délivrés. L’éche-lonnement peut être vu comme un mécanismeinstitutionnel d’intégration optimale des soins,quoique des problèmes puissent exister dans lamise en place de ce mécanisme.

Certaines études apportent des arguments pourl’efficacité de l’échelonnement11. Cependant enaccord avec Halm et al., (1997), nous pensons

qu’il est encore impossible de démontrer queles deux objectifs de l’échelonnement, dimi-nution des coûts et amélioration de la qualité,sont atteints.

Un problème supplémentaire est la largeur destâches du médecin généraliste : préventif,curatif, suivi des chroniques, garde et urgence.Il est difficile de coordonner toutes ces tâchesavec des listes de 2.250 patients. Une étudehollandaise (Hutten, 1998) a montré que la char-ge de travail était corrélée négativement aveccertaines prises en charge : consultations pluscourtes, moins d’actes techniques, plus de médi-caments, plus de référence à d’autres presta-taires de première ligne (les kinésithérapeutessurtout). La charge de travail est considéréecomme une lourde menace sur le rôle depremier contact et de portier (gate-keeper) dumédecin généraliste aux Pays-Bas.

Dans les pays qui ne connaissent pas l’échelon-nement (Belgique, France, Allemagne, Luxem-bourg, …), les patients ont souvent un médecingénéraliste auquel ils sont fidèles, il y auraitpeu de shopping médical. Il y a cependant desmodes de consultations suivant les classessociales, les classes supérieures s’orientant chezle spécialiste tandis que les classes modestesoptent pour la médecine générale. L’absenced’échelonnement entraîne une faible coordi-nation et une insatisfaction du patient. EnFrance, la loi sur le médecin référent est envigueur depuis le 1er janvier 2005, il reste àl’évaluer. Cette faible coordination a un impactsur les soins puisque le fond des maladies chro-niques observe que seuls 40 % des diabétiquesont un fond d’œil annuel, et le même pour-centage un contrôle biologique semestriel.

● Expériences

Pour améliorer la coordination dans un systèmefragmenté, la France a tenté l’expérience desréseaux. Cela a commencé avec le SIDA, lemédecin généraliste devait pouvoir soignerefficacement ce type de pathologie complexe.Sur ce modèle d’autres réseaux se sont dévelop-pés pour les toxicomanes, l’hépatite C, et lespatients précarisés. Le plus souvent, les méde-cins généralistes concernés sont très engagéssocialement ou politiquement. Les réseaux sontsubsidiés mais le système global n’est pas

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changé, la France a tenté de créer un médecinréférent. Après des débuts prometteurs, l’expé-rience a capoté. Et le syndicat de médecinsgénéralistes qui portait la réforme a perdu lesélections. Depuis peu un nouveau système a étéinstauré.

Aux Pays-Bas, la pratique en solo a longtempsété majoritaire, ce n’est que récemment que lenombres de médecins généralistes en pratiquesde groupes a dépassé les solistes. Cela expliquela faiblesse des médecins généralistes face àl’hôpital, aux coordinations de soins (homecare) et aux groupes d’infirmières à domicile.Une étude de Kersten (1991) démontre quemalgré l’échelonnement, l’influence du méde-cin généraliste néerlandais envers l’hôpital estlimitée. Les services de gardes ont changé, ilssont passé de garde patientèles à des gardespopulations, type poste de garde avec voitureet chauffeur.

Depuis 1995, on a tenté de créer des soins inté-grés trans-ligne. Le problème était de comblerle fossé entre les soins de première et dedeuxième ligne dans un nouveau concept : lessoins trans-muraux. Une collaboration étroitesuppose une base structurelle formelle et desrencontres régulières entre les deux lignes.

Il existe actuellement sept modalités de soinstrans-muraux :

• Des cliniques infirmières pour les patientschroniques : asthme, diabètes et rhuma-tismes ;

• Développement de guidelines au niveaunational (asthme et fertilité) ;

• Technologie à domicile pour délivrer dessoins spécialisés à domicile ;

• Plan de sortie de l’hôpital par l’introductiond’infirmière de liaison ou de transfert ;

• Consultance de médecine spécialisée par lesmédecins généralistes et utilisation deséquipements hospitaliers par les médecinsgénéralistes : interprétation de tests, prescrip-tion de médicaments, etc.

• Salle de réhabilitation pour patient en revali-dation (post accident cardio-vasculaire parexemple) ;

• Initiatives pour rationaliser la prescription etla délivrance des médicaments.

L’expérience anglaise est abordée avec le

fundholding. Le fundholding a augmenté lepouvoir de négociation du médecin généralistepar rapport au médecin spécialiste hospitalierdans l’intérêt du patient (raccourcissement desdélais) mais n’a pas démontré une efficiencesupérieure à cause du surcoût administratif etd’une inégalité d’accès. Le pouvoir de négo-ciation dépendait aussi de choix possibles pourles soins spécialisés et malheureusement enplusieurs endroits, il n’existait qu’un hôpital deréférence.

Malgré ces initiatives, il n’y a guère de preuvequ’il y ait un glissement de ressources et deservices vers la première ligne. Il existe desobstacles importants au changement, y inclusles attitudes des consultants (médecin spécia-liste) et la culture individualiste des médecinsgénéralistes. La conclusion est amère : mêmelà où règne l’échelonnement, la coordinationest insuffisante. En cas d’échelonnement, lemédecin généraliste tient la porte, mais une foisque celle-ci est franchie, il perd le contrôle dela situation.En absence d’échelonnement pourtant, lasituation est pire.

● Conclusion

La littérature sur la place et l’avenir des soinsde santé primaires abonde. De nombreuxaspects non évoqués ici auront une influencemajeure sur cet avenir. Citons l’impact de lapoussée néo-libérale, les changements deconfiguration professionnelle, les mutations desdifférentes formes d’enseignement, les nou-veaux modes de financement de soins, ou lerenforcement des standards de qualité. Lebagage théorique et les premières expériencesd’orientation vers un système basé sur les soinsprimaires nous incitent à poursuivre dans cettedirection. Malgré freins, obstacles et inerties...

Je ne résiste pas au plaisir de vous traduire untableau des dix compétences essentielles aumédecin généraliste en informatique clinique :

• Comprendre la dynamique et la nature incer-taine du savoir médical.

• Savoir comment chercher et évaluer un savoiren accord avec les bases statistiques de lapreuve scientifique (scientific evidence).

• Comprendre quelques modèles logiques etstatistiques du processus diagnostique.

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• Interpréter des données cliniques incertaineset négocier avec l’artefact et l’erreur.

• Structurer et analyser les décisions cliniquesen termes de risque et bénéfices.

• Appliquer et adapter le savoir clinique auxcirconstances individuelles des patients.

nement, s’il saute le pas, notre médecin généra-liste risque d’être écartelé entre son rôle desoignant et son rôle de gestionnaire local res-ponsable du système de soins. Pour reprendrele carré magique de Monique Vandormael.Nous voyons l’aspect collectif de notre métier

• Accéder, évaluer, sélectionner etappliquer une recommandation(guideline) de traitement, adapteraux circonstances locales, etcommuniquer et enregistrer lesmodifications des plans de traite-ment et les résultats.

• Structurer et enregistrer lesdonnées cliniques dans une formeappropriée pour une tâche clini-que, une communication entrecollègue, ou un usage épidémio-logique.

• Sélectionner et mettre en œuvrela méthode de communicationappropriée pour une tâche donnée(face à face, téléphone, courriel, vidéo, voice-mail, lettre).

• Structurer et communiquer des messages dela manière la plus appropriée pour le récep-teur, la tâche et le médium choisi.

Après avoir refermé ce livre passionnant, il estpermis de relever quelques notions centrales dela problématique des soins de santé primaire

La diversité des structurations (actuelle) enEurope (et dans le monde) rend difficile l’émer-gence d’un modèle unique ou central, mal-heureusement l’intervention des pouvoirspublics ne semblent pas actuellement générerune convergence, il y a manifestement pas enEurope, de force qui permettent de stimuler unetelle convergence.

Un deuxième point qui rend difficile la struc-turation des soins de première ligne, c’est lerôle du médecin généraliste, en effet pour opérercomplètement le virage ambulatoire, il faut yintégrer le médecin généraliste de plein droit.Il est même probablement souhaitable que lemédecin généraliste dispose d’une placecentrale (voire de la place centrale12) dans ledispositif. Or, il s’agit d’une profession quisociologiquement n’est probablement pas prêteà se mouler dans un travail d’équipe intégrée.

Par ailleurs, comme nos auteurs l’analysent fi-

en tension avec l’aspect individuel, mais aussidu moins en partie l’aspect subjectif en conflitavec les données objectives.

Une façon de ramasser ce paradoxe serait dedire que c’est parce que le médecin généralisteest en position centrale qu’il est écartelé ; c’estparce qu’il est écartelé qu’il est incapabled’occuper cette position centrale.

Evidement s’ajoute à cette difficulté intrin-sèque, tout les bienveillants qui souhaitent lamort du malade, tous ceux qui craignent quedes soins de santé basés sur la première ligneleur fassent perdre des parts de marché, despositions ou des statuts. Enfin tous les décideurstimorés trop heureux de trouver là le prétextequi leur permettent d’affirmer : vous voyez bienils ne veulent pas leur propre bonheur…

Quelques propositions de solutions :

1. Dans la formation, cliver plus rapidementle médecin généraliste de la médecine spé-cialisée par contre organiser des cursusentremêlés avec les autres acteurs de pre-mière ligne afin de favoriser une cultured’équipe multidisciplinaire (voire trans-disciplinaire) ;

2. Augmenter fortement le revenu moyen desmédecins généralistes de telles sortes qu’ils

OBJECTIVITÉ

Bio-médecine

Médecine socialeEpidémiologie

INDIVIDUEL

COLLECTIF

SUBJECTIVITÉ

Psychodynamique

Anthropologiepolitique

SOINS DE SANTÉPRIMAIRES

Le potentiel d’articulation des soins de santé primaires (Van Dormael M.)

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Notes

(1) Surtout en actes techniques induits.

(2) Van Doorselaer E., Masseria C. and al., Income-related inequality in the use of medical care in 21OECD countries, OECD, may 2004.

(3) Australian family physician, 1999 aug, 28(8) :858-63.

(4) Australian family physician, 2001 jan, 30(1) :75-7.

(5) Australian health review 2001 ; 24(2) :172-8.

(6) Journal of Interprofessional Care, 2001 feb ;15(1) 19-27.

(7) British Journal of General Practice 2002 aug ;52 (481) : 641-5

(8) Journal of health & social behavior, 1995, vol.36 (december) : 303-321).

(9) Les soins primaires aux commandes ?, SaltmanRichard B., Rico Ana & Boerma Wienke, Europeanobservatory on health systems and policies series(OMS Europe).

Richard B. Saltman est professeur de politique desanté et gestion à l’école de santé publique de Rollins,

atteignent la médiane des revenus desmédecins spécialistes ;

3. Que chaque équipe de soins de santé pri-maires devienne un mini centre de recher-che soit solitaire soit mieux, multicentriquepour toute une série de question de santépublique y compris sur la sécurité dumédicament ;

4. Un renfort administratif sérieux du mé-médecin généraliste qui lui permettent deconsacrer l’essentiel de son temps curatifau contact face à face ce qui lui dégageradu temps pour ses rôles scientifiques et degestion-naires de soins ;

5. Sur le plan organisationnel, le modèleprofessionnel (les soins de santé primairesmenés par les organismes professionnelsde médecin généraliste) de gestion semblele plus performant pour promouvoir laposition du médecin généraliste dans lesystème et donc in fine l’intégration dumédecin généraliste dans une équipe desoins.

Cueillette bibliographique des obstacles à la réforme des soins de santéen faveur des soins de première ligne

à l’université d’Emory à Atlanta, Etats-Unis, etdirecteur de recherches à l’Observatoire européendes systèmes et des politiques de santé.Ana Rico est professeur associé de la politique desanté au département des sciences économiques desanté et la gestion de l’université d’Oslo, Norvège.Wienke Boerma est chercheur senior à l’Institutnéerlandais de la recherche de services de santé(NIVEL) à Utrecht, PAYS-BAS.

(10) On distingue en Europe occidentale deux modesglobaux de financement pour la sécurité sociale etpartant les soins de santé : le premier le modèle estbismarckien (la loi de 1883 rend obligatoire lesassurances maladies). Il s’agit donc d’assurancessociales obligatoires.Au sortir de la guerre 39-45, l’Angleterre a opéré unvirage à 180° en abandonnant le concept d’assurancepour un système de droit universel et fiscalisé. C’estle système beveridgien.Depuis les années 1980, il y a convergence lente desdeux systèmes.

(11) Starfield, 1991 ; Gervas et al, 1994 ; Shi et al,1999 ; Delnoij et al., 2000 ; Gross et al., 2000.

(12) Le généraliste est le seul clinicien qui opère auxneuf niveaux de soins : prévention, détection pré-symptomatique, diagnostic précoce, diagnostic demaladie manifeste, suivi de maladie, suivi descomplications, réhabilitation, soins palliatifs etconseils (HEN OMS Europe).

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Cueillette bibliographique des obstacles à la réforme des soins de santéen faveur des soins de première ligne

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Certains nous diront que si on regarde le passé,l’organisation des soins de santé primaires etleur place dans le système belge sont enprogrès : des réformes se mettent en place, petità petit, les mentalités évoluent, il y a moinsd’« oublis ». C’est vrai. Mais nous ne sommespas encore satisfaits. Et nous sommes impa-tients : il est urgent d’améliorer l’offre deservice pour une amélioration de la santé(globale) de la population Alors pourquoi celan’avance-t-on pas plus vite ? Pour explorer lesfreins au développement des soins de santéprimaires, nous avons voulu demander leur avisà de multiples acteurs et auteurs. L’ensembleconstitue un fameux brainstorming desdifférents points de vue, d’où ressortentquelques thématiques.

Les soins de santé primaires,ce n’est pas que la médecinegénérale�!

Force est de constater que même si plusieursévoquent les autres professions des soins desanté primaires, chez la plupart de nosinterlocuteurs, le débat dérive systémati-quement vers un discours ne considérant quele médecin généraliste, versus le médecinspécialiste et l’hôpital. Sans parler de tous lesdéterminants autres que les soins, qui sontrappelés par quelques-uns, mais sans quepersonne ne semble considérer qu’ils puissentêtre pris en compte dans une réflexion globalesur les soins (services ?) de santé primaires.Pourtant, le maillage des services de premierniveau pour améliorer et soutenir la santé (ausens globalisant du terme) des communautéset des individus ne se passera pas d’une meil-leure coopération entre les différents acteurs.Les rôles des différents professionnels etassociations doivent être mieux articulés etcoordonnés, à condition que ce soit dans un réelsouci de complémentarité et de subsidiarité.Cela est vrai au sein du secteur de la santé, maisaussi avec d’autres secteurs déterminants dubien-être : du social, de l’environnement,culturel, etc. Cela apportera une plus-value pourles usagers, mais aussi pour les travailleurs.

Mais coordination et pluridisciplinaritérencontrent de nombreuses difficultés, dont

ConclusionsIsabelle

Heymans etJacques Morelpour la cellulepolitique de la

Fédération desmaisons

médicales.

l’éclatement institutionnel des compétencessanté n’est pas la moindre, excluant de factoune politique de santé intégrée (soins, préven-tion, revalidation, promotion de la santé).

Les soins de santé primaires nesont pas «�tendance�»

C’est dans l’air du temps : les critères de qualitédes soins aux yeux de la plupart sont devenusle coût et le niveau de technicité. La technologieet l’hyper-spécialisation, poussées en avant parla publicité, ont le haut du pavé. Les soinsprimaires ont choisi d’autres critères, moinspopulaires. Interpellant : les usagers plébiscitentpourtant les soins de santé primaires pour laqualité relationnelle, l’aspect qui probablementfait le plus défaut dans le système hypertechni-cisé. Mais ils reconnaissent moins facilementune compétence ou « expertise » suffisante àleur médecin généraliste. Il est évoqué que lessoins de santé primaires sont plus fréquentéspar les populations plus défavorisées (et doncmoins par les classes moyennes et élevées). Toutcomme les maisons médicales ont une répu-tation de faire de la « médecine sociale », nonen sens globalisant et interdisciplinaire duterme, mais plutôt comme de la médecine « pro-duit blanc ».Les politiques n’échappent pas à la cultureambiante concernant la meilleure façon d’êtresoigné et de soigner. Ils considèrent trop souventles soins primaires uniquement pour leurcontribution à réduire les coûts d’une médecinespécialisée trop en expansion. Ce problèmerègne partout, au Nord comme au Sud : malgréles voix des acteurs qui soutiennent et démon-trent que les soins de santé primaires bien orga-nisés ont une réelle plus-value, les financeurset décideurs n’arrivent pas à « croire » aux soinsde santé primaires globaux, continus, présents,pour un service de qualité et efficient aux popu-lations. Les organismes nationaux et inter-nationaux ont encore souvent tendance àprivilégier donc les programmes verticaux, latechnologie, l’« expertise » venant d’ailleursque du terrain.

La médecine générale elle-même déprime. Ellea du mal à revendiquer sa valeur, son expertisespécifique, elle a tendance à se définir « par

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défaut ». Elle est reléguée au bas de l’échelledes soins, considérée comme le choix « pardéfaut » des médecins qui n’ont pas pu accéderà une spécialité. Elle se paupérise, trouve diffi-cilement à se renouveler, entre dans une crisede plus en plus grave.

De l’influence macro-économique et consumériste

Ceci n’est pas sans lien avec l’idéologie domi-nante, consumériste, individualiste et privati-sante, imprégnée de capitalisme néolibéral, quienvahit le monde entier comme une maladiequi ne trouverait pas de traitement.Le développement des systèmes de santé au seindes cadres de la sécurité sociale représente unenjeu essentiel en terme de projet de sociétésolidaire ; ce qui effectivement est largement àcontre courant du raz de marée néolibéral.Parmi tant, deux conséquences graves : l’intru-mentalisation et le détournement de la solidaritécollective pour apporter des moyens complé-mentaires à un privé lucratif (actionnarial débri-dé), générateur de produits de consommationliés aux « soins », et une pression croissante en

faveur d’une privatisation, même des secteursdu social et de la santé. Dans cette conjoncture,des soins primaires ne seront mis en oeuvre,s’ils le sont, que par une volonté de contrôledes coûts, en privilégiant la ligne de soins lamoins chère.

Nous voulons souligner que la production desanté n’est pas lucrative dans une logiqueconsumériste et individualiste et qu’une tenta-tive de la rendre lucrative malgré tout se feraitau détriment d’une accessibilité pour tous. Deplus, il s’agit de parler de santé, et de sortir dela logique du médicament ou de la machine pourtout, pour revenir à une définition positive dela santé, par opposition à « la maladie quis’ignore ». C’est pourquoi la prise en chargede la santé doit rester dans le champ public.

Intérêt individuel et consciencecollective�: une conciliation quin’est pas simple

Monique Vandormael l’avait déjà montré il y apas mal de temps, la littérature en parle encore,et les difficultés de dialogue entre généralisteset mutualités le montrent bien : ce n’est pasfacile de concilier l’intérêt singulier, du presta-taire, face à un patient, singulier lui-aussi, etl’intérêt de la collectivité. Il faut dire que dansle système et la société dans laquelle onfonctionne actuellement, rien n’est fait pourentraîner les citoyens, qu’ils soient prestatairesou usagers, dans une démarche de responsa-bilité par rapport à la collectivité : citons lacroissance d’une culture individualiste descitoyens (soignants ou usagers), qui s’inscriventde plus en plus difficilement dans une logiquede solidarité collective, ou un mode de finan-cement à la prestation qui donne la priorité à lademande de l’individu. Même bien intentionné,le prestataire se trouve parfois au cœur d’unconflit d’intérêts qui peut le mettre mal à l’aise.Et ce même quand il sait et admet que l’intérêtde l’individu, chez nous, passera inévitablementà un moment donné par l’intérêt de lacollectivité. Il semble pourtant que l’acceptationde cette prise en compte par les prestataires depremière ligne devienne une condition pour leursoutien par les décideurs ou partenaires. Il fautpeut-être rappeler que le revenu des prestataires,

Conclusions

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même « indépendants » et libéraux, reposeénormément sur la sécurité sociale.

Un secteur en pleine mutation

Pluridisciplinarité voire inter- ou transdisci-plinarité, travail collectif, nécessité de consi-dérer l’intérêt collectif, auto-évaluation, effi-cience, Evidence-based-medecine-kiné-soinsinfirmiers, informatisation, transmissiond’informations, mission d’observatoire de lasanté, responsabilisation et augmentation ducontrôle de l’état, médicalisation des problèmessociaux, détresse croissante et plurifactoriellede la population, vieillissement, va et vient entreprépondérance de la médecine spécialisée etretour de la technologie à domicile, droitsreconnus des patients, augmentation et com-plexification du travail administratif, etc. etc.etc. Autant de facteurs à intégrer par lestravailleurs des soins primaires qui, il fautl’admettre, n’y sont absolument pas préparés.Comment gérer une mutation qui ne les attendpas et se poursuit, avec ou sans eux ? Certainesprofessions ont tenté ces dernières années deredéfinir leur fonction, mais sans articulationtransversale ni mise en perspective dans le cadred’un projet politique global de santé. De plus,ni l’organisation du système, ni le systèmelégislatif, ni le découpage des compétences desanté entre différents niveaux de pouvoir, nes’adaptent pour permettre l’intégration de cesdonnées nouvelles.

Une nécessaire interpellationde la formation

Le message véhiculé dans les universités seconcentre sur un mode de travail individualiste,hiérarchisé, et hospitalocentrique, exclusive-ment basé sur le colloque singulier et la maladie,particulièrement somatique. Quand on dithiérarchique, c’est entre médecins spécialisteset généralistes, entre hôpital et ambulatoire, etentre médecins et professions dites « paramédi-cales ». Il y aurait également long à dire sur laformation continuée, qui se poursuit sur lemême mode hiérarchisé et monodisciplinaire.Si les départements et centres académiques de

médecine générale tentent d’apporter une autreconception du travail des acteurs de la santé, ily a encore beaucoup de chemin à faire pourredonner à la première ligne sa vraie valeur dansles (dis)cours universitaires. Une coordinationet une concertation de qualité sur le terrainpasseront obligatoirement par une formation quimettra ensemble sur les bancs les différentsfuturs professionnels, et ce pour parler de santéau moins autant que de maladie.Faut-il ajouter que le financement insuffisant,particulièrement de la formation continuée, lais-se une grande place à l’influence inacceptableet sans mesure, de l’industrie pharmaceutique.

Un manque de politique globaleet une crise d’alternatives

Actuellement, parmi nombre de politiquescomme parmi les scientifiques la question resteouverte : s’ils conviennent qu’il faut renforcerles soins de santé primaires, quelles stratégiesemployer ? Comment les organiser ? Quelleréforme apportera réellement du mieux ?Cela a été dit (et pas par nous), il n’y a jamaiseu en Belgique de véritable débat sur la santépublique. Pas non plus sur l’organisation glo-bale d’un système de santé, plus largement quele système de soins, considérant la santé danstous ses aspects et ses déterminants. Cetteabsence de politique et de système conduit àdes choix par défaut qui n’ont fait que renforcerl’existant hospitalo-centré.Ce manque d’une alternative forte au systèmeactuel touche apparemment de nombreuxacteurs progressistes importants de la concer-tation belge. De craintes d’effets inattendus desréformes, en attentes d’une solution miracle,tous avancent « à petits pas » dans le meilleurdes cas, et piétinent malheureusement encoretrop souvent.Cette difficulté n’épargne pas les professionnelseux-mêmes. S’ils semblent relativement unispour dire qu’ils ne sont plus d’accord avec lafaçon dont le système les traite, les syndicatscorporatistes sont divisés soit par des diver-gences de valeurs fondatrices, soit par des choixstratégiques différents pour atteindre un objectiféventuellement commun. Outre les deux organi-sations de généralistes qui ont écrit dans nospages, d’autres lobbies existent dans le paysage,

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qu’ils soient syndicaux, ou auto-proclamés, quidéfendent des positions tout à fait différentes.Cet éclatement de la représentation des généra-listes face à une représentation spécialiste forte,est contre-productive : elle offre aux pouvoirspublics et aux interlocuteurs l’opportunité dechoix parcellaires (ou d’absences de choix), etpermet que rien ne se décide.

La place des citoyens/usagers/patients dans tout ça�?

On doit bien constater que le système actuellaisse encore beaucoup trop peu de place aupatient. Il s’agit de laisser plus de place à leurparole. De quelles idées sera-t-elle porteuse ?En tant qu’utilisateurs, les citoyens ont beau-coup de choses à dire sur la qualité des servicesqui leur sont proposés. En tant qu’utilisateurset citoyens, ils peuvent aussi avoir uneresponsabilité par la manière dont ils se serventet utilisent le système. Comme les travailleurs,ils ont à apprendre, accepter et intégrer certainschangements. Ce qui n’est pas nécessairementplus facile pour eux.En tant que groupes de pression, ils peuvent etvont constituer un lobby incontournable à pren-dre en compte dans les volontés de réformes.Certains craignent l’instrumentalisation de cesgroupes par les firmes privées, avec la facilitéde surfer sur la vague de la souffrance et de laculture dominante décrite ci-dessus. Mais peut-être ceci est-il aussi une conséquence du peude place (et de moyens) qu’on leur laisse pours’organiser, réfléchir, et s’exprimer. Lesmaisons médicales ont parfois les plus ardentsdéfenseurs de leur mode de travail, parmi leursutilisateurs.Les syndicats interprofessionnels rassemblentsurtout des travailleurs, de secteurs concernésou non. Ils représentent à la fois l’intérêt destravailleurs, et l’intérêt de la population en tantque bénéficiaire de la sécurité sociale. Onn’oubliera pas qu’ils sont aussi co-gestionnairesde la sécurité sociale et l’assurance maladie-invalidité. Ils ont parfois des difficultés à marierles deux intérêts, lorsqu’ils divergent, mais ilsont déjà montré leur capacité à avancer dans cesens.Et puis il y a les mutuelles, qui partagent cecopilotage de l’assurance maladie et qui ont été

et restent les « inspirateurs » de nombreux cabi-nets de la santé et des affaires sociales.Leur forte liaison avec le mouvement social neles met à l’abri de dérives assurantielles com-merciales ou bureaucratiques. Elles ont le rôled’informer leurs affiliés et de représenter leursintérêts, de rechercher un système qui tiennecompte d’eux. Elles tentent aussi de continuerà jouer leur rôle d’éducation permanente. Peut-être devraient-elles être plus investies par lesusagers en renforçant leur mécanisme dedémocratie participative et en valorisant lesprincipes d’une société solidaire. Aujourd’hui,elles ont tendance, et le contexte l’explique, àrassembler leurs forces sur le maintien d’unéquilibre budgétaire de plus en plus précaire.

L’importance du dialogue entretous les acteurs

Une vraie réforme du système ne se fera passans une véritable volonté des politiques. Mêmesi pour sa réussite, il faut tenir compte de tousles acteurs concernés, que ce soient les profes-sionnels (et leurs leaders), les partenaires de laconcertation, les citoyens. Les politiques peu-vent être positivement poussés et soutenus parles mutuelles et les syndicats interprofes-sionnels, dont les plus importants semblent àpriori favorables.Mais pour que tout cela s’articule, le dialoguevrai et constructif entre acteurs n’est pas encoresuffisant. Trop souvent, nous nous rendonscompte à quel point chacun des groupes(généralistes spécialistes, autres professions,mutualistes, syndicalistes, politiques dulégislatif ou de l’exécutif, citoyens de groupesdivers, etc.) ne connaît pas les réalités et lespréoccupations des autres, et se cantonne dansune position de méfiance a priori qui n’aide pasavancer. Beaucoup se trouveraient probable-ment plus de points communs s’ils pouvaientmieux partager.

Et puis il y a ceux qui sont toutà fait contre

Ceux qui n’accordent aucun crédit aux soinsde santé primaires. Ceux qui refusent toute

Conclusions

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réforme et prônent le maintien d’un non-système qui renforce les modalités actuelles etle « tout à l’hôpital ». Ceux qui pensent qu’uneréforme n’est pas nécessaire, que le systèmeactuel fonctionne bien. Cela fait partie dedémocratie, il faut entendre leurs raisons, entenir compte, espérer qu’ils puissent changerd’avis, avancer avec ou malgré eux. C’est uneraison de plus pour resserrer les rangs entre ceuxqui veulent progresser.

Une alternative�?

Les maisons médicales proposent un moded’organisation des soins santé primaires trèsproche de ce qui est considéré comme unealternative intéressante dans de nombreusessources de littérature (citons par exemple ungroupe de recherche canadien qui se base surl’observation de modèles d’organisation exis-tants dans différents pays (voir JM Jalhay), oule rapport « European Primary Care »1 réalisépar le Conseil de la santé néerlandais, sur based’une importante revue de littérature. Entémoigne probablement aussi l’emballement dela création spontanée de pratiques de ce type,particulièrement depuis une quinzaine d’an-nées.

Cette alternative est probablement à affiner,selon les expériences connues et évaluées dansd’autres pays, selon les expériences vécues surle terrain, selon certaines contraintes géographi-ques (par exemple milieu rural versus milieuurbain) ou selon les évolutions de la socié-té (notamment le vieillissement des popula-tions, mais aussi l’évolution des exigences desdécideurs et autres acteurs). Mais elle reste unebase de travail intéressante pour répondre à denombreux défis. Les maisons médicales devrontaccepter de continuer à être des laboratoires,pour tester et surtout évaluer des modes detravail, dans un objectif d’amélioration de laqualité du service de santé à la population.

A vrai dire, la Belgique est sans doute un desrares pays d’Europe occidentale avec la Franceà avoir maintenu un système aussi flottant, nonrégulé, non échelonné. Avec des nuances, la plu-part des pays ont opté pour la mise en place demodes d’organisations du secteur primaire,

voire d’une politique structurée de soins desanté primaires : Italie, Hollande, UK, Espagne,Portugal, etc.

En Belgique, même si les maisons médicalescontinuent à réfléchir et à s’adapter, à revendi-quer qu’une autre façon de rendre service à lapopulation est possible, leur expérience doitpouvoir s’inscrire dans une volonté politiquede construction d’un système global, qui donnetoute sa place aux soins de santé primaires, etsurtout, qui se préoccupe de la santé de la popu-lation et de tous ses déterminants.

(1)Gezondheidsraad

(Health Councilof the

Netherlands).European

Primary care.The Hague :

Health Council ofthe Netherlands,

2004, publicationn° 2004/20E,120p. http ://

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pdf.php ?ID=1119&p=1 (08/07/

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