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(C) PRESSES UNIVERSITAIRES D'AIX-MARSEILLE - 1987

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La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les "copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective", et d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, "toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite" (alinéa premier de l'article 40).

Cette représentation ou reproduction par quelque procédé que ce soit constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivant du Code pénal.

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UNIVERSITE DE DROIT, D'ECONOMIE ET DES SCIENCES D'AIX-MARSEILLE

FACULTE DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIQUE

COLLECTION DES PUBLICATIONS DU CENTRE DE PHILOSOPHIE DU DROIT

AUTOUR DE "PERSONNE ET ACTE" DE

KAROL CARDINAL WOJTYŁA

Articles et Conférences sur une rencontre du thomisme avec la phénoménologie

Par

Georges KALINOWSKI Directeur de Recherche honoraire - C. N. R. S.

PRESSES UNIVERSITAIRES D'AIX-MARSEILLE - 1987 -

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DU MEME AUTEUR

A Towarzystwo Naukowe KUL (Lublin) : Théorie duguitienne des règles sociale et juridique (en polonais

avec un résumé en français), 1949. Théorie de la connaissance pratique (en polonais avec un

résumé en français), 1960.

A la Société d'Editions Internationales (Paris) : La philosophie à l'heure du Concile (en collaboration avec

Stefan Swiezawski, 1965 - épuisé). Initiation à la philosophie morale (épuisé).

Aux Editions E. Vitte (Lyon) : Le problème de la vérité en morale et en droit, 1967 (épuisé -

traduit en castillan).

A la Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence (Paris) : Introduction à la logique juridique, 1965 (épuisé - traduit en

allemand et en castillan). Querelle de la science normative, 1969 (épuisé - traduit en

italien). Etudes de logique déontique I (1953 - 1969), 1972.

Aux Presses Universitaires de France (Paris) : La logique des normes, 1972 (épuisé - traduit en allemand et

en italien).

Aux Editions Beauchesne (Paris) : L'impossible métaphysique, 1981.

Chez Abeledo-Perrot (Buenos-Aires) : Concepto, fundamento y concrecion del derecho (douze essais

traduits en castillan), 1982.

Aux Editions Hadès-Benjamin (Paris/Amsterdam) : Sémiotique et philosophie, 1985.

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Les articles et conférences réunis dans ce volume ont paru en premier lieu dans :

Revue Thomiste : - "Karol Wojtyła face à Max Scheler ou l'origine de "Osoba i

Czyn"" (t. 80, 1980, pp. 456-465) ; - "Autour de "The Acting Person". En réponse à Jean-Yves

Lacoste" (t. 82, 1982, pp. 626-633) ;

Analecta Cracoviensia : - "Metafizyka i fenomenologia osoby ludzkiej. Pytania

wywołane przez "Osoba i Czyn"" (t. 5-6, 1973-1974) ;

Aletheia : - "La pensée philosophique de Karol Wojtyła et la faculté de

philosophie de l'université catholique de Lublin" (T. IV - sous presse-);

Revue Philosophique de Louvain : - "Edith Stein et Karol Wojtyła sur la personne" (t. 82, 1984,

pp. 545-561) ;

Archives de Philosophie : - "La réforme du thomisme et de la phénoménologie chez

Karol Wojtyła selon Rocco Buttiglione" (t. 49, 1986, pp. 127-146) ;

Seminarium : - "Humanisme théocentrique. L'enseignement de Jean Paul II

sur l'homme" (t. XX, 1980, pp. 130-144) ;

Cahiers de "Lumen Gentium" : - "La pensée de Jean Paul II sur l'homme et la famille" (cahier

n. 70) ;

Divinitas : - "La pensée de Jean Paul II sur l'homme et la famille",

réimpression (t. XXVI, 1982, pp. 3-18).

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A mes collègues et amis, professeurs et étudiants, de la Faculté de Philosophie de l'Université Catholique de Lublin.

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AVANT-PROPOS

J'ai adopté comme principe de remercier chaque auteur m'offrant son livre par un compte rendu, ne serait-ce que pour en signaler la parution (car j'ai appris de mon maître Tadeusz Kotarbinski que ce qui déçoit et blesse le plus un auteur c'est le silence régnant autour de son oeuvre). Aussi, lorsque mon collègue et ami Karol Wojtyła -devenu, depuis le temps où, en 1953, nous nous sommes rencontrés et liés d'amitié, archevêque de Cracovie et cardinal de la Sainte Eglise- m'a envoyé , avec une dédicace amicale, Osoba i Czyn (1) (on l'a traduit en français, en 1983, sous le titre Personne et Acte), j'ai rédigé, comme à l'habitude, un compte rendu, paru ensuite dans la Revue Philosophique de Louvain. Mais n'ayant pas été tout à fait d'accord sur certains points de nature méthodologique, épistémologique et gnoséologique ( 2 ) et n'ayant pas envie de discuter avec un ami si haut placé, j'ai été très bref : je me suis limité à la présentation du livre sans commentaire, ne prévoyant pas que les choses n'en resteraient pas là.

En effet, l'Auteur, dont l'ouvrage a été très discuté en Pologne, surtout lors d'une session spéciale organisée , en 1970, à l'Université catholique de Lublin (où nous avons l'un et l'autre enseigné), désireux de voir le débat sur la personne humaine s'étendre et s'approfondir, a eu l'idée de faire paraître dans Analecta Cracoviensia, organe de la Société Polonaise de Théologie à Cracovie, toutes les interventions de la session lublinoise, tant critiques

(1) Je conserve le titre polonais parce que c'est à l'original que je me réfère en premier lieu, ne sachant pas à qui attribuer les modifications que contiennent les traductions, à l'Auteur ou à l'éditrice de la traduction anglaise utilisée pour les autres traductions. A ce sujet voir plus loin les articles 3 et 4. (2) "Gnoséologie" est pour un moi un autre nom de la théorie de la connaissance que je distingue de l'épistémologie ne voyant dans celle-ci, conformément à son étymologie mais à l'encontre de beaucoup d'auteurs, que la théorie de la science, dont la méthodologie n'est qu'une partie détachée et développée.

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qu'approbatives. Ayant deviné, au vue de la concision de ma relation strictement neutre de son étude, que je n'étais pas entièrement d'accord avec lui, le Cardinal m'a amicalement demandé de lui faire parvenir une contribution au volume des Analecta Cracoviensia devant contenir les matériaux de la discussion autour de son livre. Mis ainsi au pied du mur, je n'ai pu que m'exécuter. C'est ainsi qu'a été écrit - mon insignifiant compte rendu laissé de côté- le premier texte où je prends position envers Osoba i Czyn et que je viens de traduire afin de le rendre accessible au lecteur français. La prière de mon éminent Ami satisfaite, j'ai considéré l'affaire comme définitivement close. Hélas ! elle ne l'a été que provisoirement.

Certes, la trêve a été assez longue : elle a duré presque dix ans. Pendant ce temps, même dans notre correspondance -jamais interrompue- il n'a plus été question de Osoba i Czyn.

Mais habent sua fata libelli, si je peux employer cette expression d'habitude quelque peu autrement entendue. Le 16 octobre 1978 l'auteur de Osoba i Czyn devint Jean Paul II. Dès le soir de ce jour les éditeurs se sont précipités sur ses ouvrages. Alors que ma fille et moi-même avions en vain cherché, un ou deux ans avant, à faire paraître, en traduction française, deux autres travaux de l'archevêque- métropolite de Cracovie -l 'un n'a pas été jugé "percutant", l'autre a été refusé sans explications- quelques minutes après l'annonce à la télévision du résultat du conclave le premier coup de téléphone (il y en a eu même tard dans la nuit) demandait si l'un de ces deux ouvrages refusés, pourrait être mis en vente dans le courant du mois suivant (je ne donne pas davantage de précisions -à quoi bon ?- j'ajoute seulement que, depuis, les deux livres, traduits en français, sont dans le commerce). On demandait en même temps quelles étaient les autres publications du nouveau pape et on se déclarait acheteur de leurs droits de traduction. Ainsi est né l'intérêt mondial pour l'oeuvre écrite de Karol Wojtyła, oeuvre variée : poétique, théâtrale, philosophique, théologique.

Il ne faudrait cependant pas penser qu'elle était jusque-là totalement ignorée au-delà des frontières de la Pologne. Anna Teresa Tymieniecka, élève de Roman Ingarden, disciple, collaborateur et ami d'Edmund Husserl, phénoménologue comme eux bien entendu, enseignant aux Etats-Unis, au courant des travaux de Karol Wojtyła et des liens l'unissant à son maître à elle, avait entrepris de faire connaître l'archevêque de Cracovie comme philosophe. Dans Phenomenology Information Bulletin qu'elle dirige, le professeur Tymieniecka raconte en détails ce qu'elle a fait pour introduire l'auteur de Osoba i Czyn dans le monde philosophique international,

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lui organisant des conférences et le faisant participer à des congrès ( 3 ). Elle lui a suggéré aussi l'idée d'une traduction anglaise de son ouvrage de 1969 et offert ses services pour la superviser et la publier. Le Cardinal l'a accepté, mais malheureusement a été abusé dans une certaine mesure. L'éditrice (au sens anglo-américain du terme) s'est crue autorisée à accentuer non seulement la terminologie mais encore le caractère phénoménologique de la pensée de l'auteur et l'éditeur (cette fois-ci au sens français du mot, en anglais publisher) a mis le livre en vente avant que l'auteur n'ait renvoyé la première partie des épreuves (il n'a jamais reçu le reste). A ce sujet voir les articles 3 et 4 du présent volume.

Après la parution en 1979 (à la D. Reidel Publishing Company à Dordrecht) de la traduction anglaise, The Acting Person, traduction considérée par son éditrice comme le fruit de la rencontre de deux auteurs indépendants (voir le bulletin mentionné plus haut, surtout pp. 5 et 22), suivie de la traduction allemande Person und Tat (1981) et de la traduction française , Personne et Acte (1983), sont venues des traductions, en différentes langues, d'autres écrits de Karol Wojtyła. On a alors commencé à le lire, à en parler et à écrire sur lui.

Ainsi, au début de l'année 1980, l'Association des Ecrivains Catholiques de France a organisé un colloque public sur la pensée philosophique de Jean Paul II auquel ont pris part comme orateurs entre autres le regretté Claude Bruaire, l'abbé Marian Jaworski, recteur de l'Académie Pontificale de Théologie à Cracovie et grand ami personnel de Karol Wojtyła depuis de très nombreuses années, aujourd'hui évêque administrant la partie du diocèse de Léopol restée à la Pologne (l'exposé présenté par lui à ce colloque paraîtra prochainement, hélas ! sous un grand retard, dans les Archives de Philosophie) et Emmanuel Lévinas. Peu de temps après, le Centre d'Etudes Slaves de l'Institut Catholique de Paris m'a sollicité pour une conférence également sur la pensée philosophique de Karol Wojtyła. Je n'avais naturellement pas la moindre envie de parler de Osoba i Czyn. Comme au colloque évoqué à l'instant il n'a été question que de Osoba i Czyn, à travers The Acting Person bien entendu, j'avais un excellent argument pour choisir un autre sujet et ai parlé de la thèse d'habilitation de Karol Wojtyła, (Habilitationsschrift en allemand, faisant pendant à la thèse de doctorat d'Etat en France) totalement ignorée puisque n'existant, du moins à cette époque-là, qu'en polonais (je ne sais pas si elle a été traduite depuis en une langue mondiale) et concernant la possibilité d'utilisation des principes de la philosophie

(3) Voir "A Page of History, or from "Osoba i Czyn" to "The Acting Person" (o. c., vol. III, octobre 1979).

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de Max Scheler pour un renouveau de la présentation de la théologie morale catholique. Cette conférence, intitulée "Karol Wojtyła face à Max Scheler ou l'origine de "Osoba i Czyn"" a paru ensuite, en 1980, à la Revue Thomiste ( 4 ). Elle est reproduite dans le présent volume à la première place, place qui lui revient de droit parce qu'elle porte sur l'étude ayant conduit son auteur à "Osoba i Czyn".

En 1981, a paru dans Aletheia, organe de The International Academy of Philosophy, à Irving dans le Texas (depuis avril de cette année Die Internationale Akademie für Philosophie im Fürstentum Liechtenstein), un très long article (69 pages) du directeur de la revue (d'orientation phénoménologique mais réaliste, comme le milieu phénoménologique de Cologne au temps de Max Scheler ou de Munich à l'époque d'Alexander Pfänder, Moritz Geiger ou Dietrich von Hildebrand, et non idéaliste, comme la phénoménologie d'Edmund Husserl à partir des Idées I) Joseph Seifert : "Karol Cardinal Wojtyła (Pope John Paul II) As Philosopher And The School Of Philosophy Cracow/Lublin". Il m'a été signalé par mon ancien collègue de Lublin (mon ami de longue date), collègue et ami également de Karol Wojtyła, Stefan Swiezawski qui m'a prié en même temps, alléguant mes fonctions de doyen de notre Faculté de philosophie de 1952 à 1957, de mettre les choses au point, certains faits étant présentés de manière plus ou moins inexacte, involontairement bien entendu, à cause du manque d'informations qu'explique l'éloignement de la Pologne et l'ignorance du polonais. Derechef, je me suis trouvé dans une situation où il m'était pratiquement impossible de refuser. J'ai donc rédigé et envoyé à Aletheia une mise au point intitulée "La pensée philosophique de Karol Wojtyła et la Faculté de philosophie de l'Université Catholique de Lublin", mon second texte sur Osoba i Czyn, original que j'ai eu à confronter avec The Acting Person auquel se référait Joseph Seifert. Il ne paraîtra que cette année dans le t. IV d'Aletheia ; je le reproduis néanmoins dès à présent avec l'accord de cette revue). Second texte (quant à la date de sa rédaction) sur Osoba i Czyn, il vient immédiatement après celui des Analecta Cracoviensia.

The Acting Person a incité également un jeune philosophe et théologien français, l'abbé Jean-Yves Lacoste, à publier comme Joseph Seifert, un article sur l'ouvrage du cardinal Wojtyła, à savoir "Vérité et Liberté", article paru dans la même Revue Thomiste qui avait accueilli ma conférence sur la thèse d'habilitation de l'abbé Wojtyła. J.-Y. Lacoste, que je connais depuis plusieurs années, a eu la

(4) Au sujet de l'origine de Osoba i Czyn, voir aussi "La pensée de Jean Paul II sur l'homme et la famille" p. 141 ss.

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gentillesse, lorsque nous nous sommes rencontrés à l'occasion du congrès eucharistique à Lourdes, de m'informer de son projet. Au courant des avatars de Osoba i Czyn transformé en The Acting Person, je me suis permis de le mettre en garde : il risquait d'attribuer à Karol Wojtyła les propos d'Anna Teresa Tymieniecka, les modifications introduites par elle n'étant pas signalées. Mon jeune ami s'est tout de même décidé à courir le risque et a publié son article. Sa parution m'a de nouveau amené à intervenir pour mettre encore les choses au point. Ainsi ai-je récidivé en faisant paraître dans le même périodique "Autour de "The Acting Person". En réponse à Jean-Yves Lacoste". On le lira à la quatrième place.

Je commençais à être à la fois contrarié, agacé et las d'intervenir à l'encontre de mon désir initial de ne pas parler de Osoba i Czyn, lorsque, au Centre d'Etudes Slaves de l'Institut Catholique de Paris, déçu de m'avoir entendu en 1980 non sur cet ouvrage mais sur la thèse d'habilitation de l'abbé Wojtyła, on est revenu à la charge avec d'autant plus d'insistance que, sollicité tout de suite après ma conférence sur Wojtyła et Scheler, j'ai eu l'imprudence de dire que je préférais attendre la traduction française de Osoba i Czyn laquelle était en préparation et serait peut-être plus fidèle que The Acting Person ; or Personne et Acte venait de sortir. Coincé, j'ai trouvé une demi-échappatoire en coupant la poire en deux. Afin de ne pas parler pendant une heure uniquement de Osoba i Czyn, j'ai proposé une conférence sur Edith Stein et Karol Wojtyła, l'un et l'autre synthétisant, chacun à sa façon, thomisme et phénoménologie et ayant écrit sur un même thème : la personne humaine. Le texte de mon exposé oral du 24 mai 1983 a paru l'année suivante dans la Revue Philosophique de Louvain et est réimprimé ici à la cinquième place.

A peine ai-je eu un moment de répit lorsque,en 1985, Fayard a lancé sur le marché la traduction française de Il pensiero de Karol Wojtyła de Rocco Buttiglione paru à Milan en 1982. Les Archives de Philosophie auxquelles je collabore depuis une vingtaine d'années me l'ont envoyée pour compte rendu. J'ai lu le livre avec un vif intérêt et l'ai analysé comme on me l'avait demandé, mais tant de choses était à reprendre que, pour la troisième fois, une mise au point s'imposait et ceci d'autant plus impérieusement qu'il s'agissait d'une étude très bien écrite, bien documentée (son auteur avait même puisé aux sources polonaises), s'étendant à l'ensemble de l'oeuvre écrite de Karol Wojtyła jusqu'au moment de son élection au trône pontifical, étude déjà traduite, susceptible par conséquent d'être largement diffusée mais, hélas ! interprétant la partie philosophique des travaux de l'ancien professeur de l'Université Catholique de Lublin, principalement Osoba i Czyn (Buttiglione a utilisé non seulement The

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Acting Person mais encore le manuscrit de la seconde édition polonaise, peut-être non définitivement arrêtée encore puisque toujours non publiée, qui lui a été communiqué par les collaborateurs du Saint Père, alors que je n'ai jamais pu obtenir cette faveur -mon attitude critique en serait-elle responsable ?-), de manière, à mon avis discutable, voire contestable. Déjà rodé -depuis 1969 j'ai abordé le sujet, sans compter "Karol Wojtyła face à Max Scheler", 4 fois (Aristote a raison : c'est par la répétition des actes d'une catégorie donnée qu'on acquiert la correspondante)- j'ai rédigé, surmontant finalement assez facilement la résistance interne éprouvée précédemment, "La réforme du thomisme et de la phénoménologie chez Karol Wojtyła selon Rocco Buttiglione" paru au début de cette année aux Archives de Philosophie.

J'espère que ce sera mon dernier texte sur Osoba i Czyn. Ayant traité le sujet 5 fois, j'ai presque tout dit (en me répétant, inévitablement, pour une part) et ce que je n'ai pas encore dit, je vais l'ajouter. Il resterait aussi à aborder de front, dans toute son étendue et en profondeur avec l'attention qu'il mérite, le problème gnoséologique situé à la base du débat qui m'oppose à mon éminent Ami, problème auquel il n'a pas cru nécessaire, ou du moins possible, de s'arrêter dans son livre (il ne le mentionne que pour l'écarter) et qui, traité comme il convient, exige un ouvrage à part (je vais y revenir à la fin de cet avant-propos).

Comme je l'ai déjà dit en passant au début, et ce que je viens de dire le confirme, mon désaccord avec l'auteur de Osoba i Czyn est principalement de nature gnoséologique, épistémologique et méthodologique. Pour le reste (c'est-à-dire en ce qui concerne la philosophie de la personne, son contenu, en réalité hérité de la tradition, en particulier de Saint Thomas d'Aquin, et, d'une certaine manière largement développé), nous nous entendons parfaitement. Je l'ai écrit déjà dans Métaphysique et phénoménologie de la personne humaine et répété à quelques reprises dans mes textes postérieurs. Néanmoins, le fait que je ne cesse de redire mon désaccord pourrait finir par laisser croire que mon attitude envers la philosophie de la personne de Karol Wojtyła est entièrement négative. Celui qui le penserait serait totalement dans l'erreur. Pour l'en convaincre, si besoin était, je joins à mes 6 articles des années 1970-1985, en annexe, deux autres textes consacrés à la théologie de la personne humaine. Ils portent, certes, non sur les écrits de Karol Wojtyła, mais sur l'enseignement de Jean Paul II. Cependant son enseignement théologique sur l'homme est sous-tendu par sa philosophie de la personne humaine et harmonise parfaitement avec elle. On le voit dans maintes allocutions, discours et lettres du Souverain Pontife et

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plus particulièrement dans ses encycliques depuis Redemptor Hominis jusqu'à la récente Dominum et Vivificantem. La force et la chaleur avec lesquelles je me voue à faire connaître la théologie de l'homme du Pape, théologie ayant son assise dans sa philosophie de la personne humaine, ne manifestent-elles pas le mieux l'entente régnant au fond entre nous non seulement sur le contenu de la théologie de l'homme mais encore sur celui de la philosophie de la personne ? Soucieux de montrer au lecteur l'ensemble de mon attitude envers celle-ci et pour que ce petit volume soit équilibré, insistant, d'un côté, sur un désaccord partiel puisque ne touchant que les fondements de la philosophie wojtylienne de la personne, et, de l'autre, sur un accord quasi total sur le contenu de cette philosophie, j'ajoute donc, comme annexes, "Humanisme théocentrique. L'enseignement de Jean Paul II sur l'homme", paru en 1980, dans Seminarium, organe de la Sacra congregatio pro institutione catholica, ministère vatican de l'éducation veillant aux séminaires ecclésiastiques et aux universités pontificales, et "La pensée de Jean Paul II sur l'homme et la famille", conférence rédigée en 1980, pour l'association sacerdotale "Lumen Gentium" et reproduite par la suite en 1982, avec l'accord de celle-ci, dans Divinitas, organe de la Pontificia Accademia Theologica Romana.

Tout cela est fort bien, peut objecter le lecteur. Vous n'avez pas voulu discuter avec votre ami de son étude qui a provoqué chez vous réserves et critiques, du moins dans un secteur déterminé. Les circonstances vous ont néanmoins amené, bon gré mal gré, à intervenir et ceci au total 5 fois (la conférence sur Wojtyła et Scheler toujours laissée de côté). Vous l'avez fait. Pourquoi ne pas en rester là? Quelle est la raison pour laquelle vous rééditez vos articles polémiques dans ce volume ? Ne dirait-on pas que vous revenez à la devise "amicus Plato sed magis amica veritas" après avoir cherché à vous abriter derrière son inverse "amica veritas sed magis amicus Plato" ? Je réponds : deux raisons m'ont décidé à concevoir et à publier le présent petit livre. Mais avant de les exposer, je voudrais prendre position envers la devise bien connue rappelée plus haut et son inverse. A mon avis ni l'une ni l'autre ne dit bien les choses. C'est parce que Platon m'est aussi cher que la vérité et la vérité aussi chère que Platon que la discussion s'engage : chacun, convaincu d'entrevoir le vrai, essaie de le montrer à l'autre tant par amour pour lui que par amour de la vérité : on s'entraide mutuellement. Il ne s'agit donc pas de savoir qui a raison, mais où est le vrai. A ce propos j'ajoute que s'il y a une chose qui me chagrine profondément c'est que je suis le seul à tâcher d'indiquer à mon éminent Ami ce que j'entrevois comme vrai tandis que Lui, dans une situation aussi inconfortable que possible pour toute discussion philosophique, est pratiquement condamné au silence et ne peut pas dire publiquement -

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et même en privé- comment Il voit des choses (je pense au problème gnoséologique) et par conséquent quels arguments Il peut opposer aux miens. Je suis malgré tout amené à passer outre.

Et j'en viens aux raisons de la publication du présent volume. La première est personnelle, la seconde concerne la philosophie de la personne sur laquelle Karol Wojtyła et moi-même sommes d'accord, ai-je dit et répété, et qui exige, pour le bien de tout le monde, une assise inébranlable. La première est contenue dans ce qui a été exposé plus haut. Je n'ai qu'à l'en dégager et formuler explicitement. Elle tient au fond en une seule phrase : c'était l'unique moyen de présenter mon attitude intégrale envers la pensée de Karol Wojtyła, devenu Jean Paul II, sur la personne humaine, attitude où finalement ce sur quoi nous sommes d'accord l'emporte sur ce par quoi nous différons, parce que le débat ne porte principalement que sur les fondements gnoséologiques et méthodologiques tandis que ce que ces fondements sont censés soutenir est admis unanimement par nous deux. La seconde est également contenue dans ce qui précède, quoique moins manifestement. Mais il n'est pas difficile de l'expliciter et de l'exprimer. Il est essentiel pour n'importe quelle thèse ou théorie (entendu comme ensemble de thèses), quelle qu'elle soit, scientifique, philosophique ou théologique, d'être non seulement matériellement adéquate, autrement dit vraie, mais aussi formellement correcte, c'est- à-dire fondée, compte tenu des moyens mis en oeuvre pour la justifier rationnellement (ceux qui connaissent le célèbre Concept de vérité dans les langages formalisés d'Alfred Tarski voient immédiatement à qui j'emprunte l'expression "matériellement adéquate et formellement correcte"). Car si la théorie de la connaissance et la méthode (scientifique, philosophique ou théologique) qu'elle sous-tend prêtent à discussion, la thèse ou théorie en question risque à tout le moins d'être mal interprétée sinon de s'effondrer. Le danger est naturellement encore plus grand si la théorie de la connaissance et partant la méthode sont contestables. Dans le cas de la philosophie wojtylienne de la personne ce danger ne semble pas être imaginaire, à preuve l'éthique indépendante de son disciple et successeur à la chaire de philosophie morale à Lublin, l'abbé T. Styczen, éthique à laquelle fait allusion "La réforme du thomisme et de la phénoménologie chez Karol Wojtyła selon Rocco Buttiglione" (5). Je discute la conception

(5) L'abbé Styczen se prononce en faveur de l'éthique indépendante propagée en Pologne principalement par T. Kotarbiński, matérialiste ratonaliste. Mon collègue et ami lublinois justifie pourtant cette conception par une argumentation personnelle. A son avis, l'éthique qu'élabore la raison, la morale naturelle, si l'on préfère, se fonde sur le fait que l'homme est une personne, la personne humaine étant la valeur morale suprême. Ce fait étant évident, tout le monde l'admet et reconnaît la valeur de la personne. Des esprits aussi

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DEPOT LEGAL 1er Trimestre 1987

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