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Cahier consacré à René Girard
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L’Herne
Les Cahiers de l’Herneparaissent sous la direction de
Laurence Tacou
René Girard
Ce Cahier a été dirigé par Mark R. Anspach
© Éditions de L’Herne, 200822, rue Mazarine 75006 [email protected] : 978-2-85197-152-4
Sommaire
9 Mark R. AnspachAvant-Propos
I Jalons
13 Réponse de M. Michel Serres au discours de M. René GirardRéception à l’Académie française de René Girard
22 René Girard et Mark R. AnspachEntretien
29 René GirardSouvenirs d’un jeune Français aux États-Unis
35 René GirardL’enfance en Avignon au temps jadis
41 René GirardLe déclin temporaire de l’influence culturelle française en Amérique après « l’étrange défaite »
44 René GirardLe classicisme et l’historiographie voltairienne
48 René GirardMémoires d’une existentialiste rangée
51 Jean-Pierre DupuyRené en Amérique
55 Michel DeguyA willing suspension of... belief
58 René Girard/Pierre PachetLettre à Pierre Pachet sur La Violence et le Sacré
63 Jean-Michel OughourlianDe ma rencontre avec René Girard à Des choses cachées depuis la fondation du monde
II Des fous et des rois
69 Henri GrivoisCrise sacrificielle et psychose naissante
73 J. M. CoetzeeÉrasme. Folie et rivalité
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85 Roberto EscobarPlutôt rire. Le pouvoir du bouffon
91 Luigi AlfieriLe Tiers qui doit mourir
98 Simon SimonseÀ la recherche des derniers rois boucs émissaires
105 Lucien ScublaRené Girard ou la renaissance de l’anthropologie religieuse
111 Mark Rogin AnspachQu’est-ce que la religion ? Témoignage d’un insensé
III La victime innocente dans les Écritures : controverses
119 René GirardSatan et le scandale
125 Raymund SchwagerLa mort de Jésus. René Girard et la théologie
138 Raymund Schwager/René GirardCorrespondance
143 Paul RicœurLe religieux et la violence symbolique
149 Sandor GoodhartLa victime innocente dans Isaïe 52-53 : ressemblance des textes juifs et chrétiens
153 René GirardRéponse à Sandor Goodhart sur la victime innocente
156 Jacques T. GodboutL’amour maternel et le jugement de Salomon
158 René GirardRéponse à Jacques T. Godbout sur le jugement de Salomon
160 Gil Bailie« Les analystes demeuraient perplexes »
IV La face obscure des Lumières
167 Pascal BrucknerSade ou le discours du bourreau
172 Reginald McGinnisViolence et Lumières
177 Pierre Saint-AmandUtopie et mimétisme : Marivaux
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V Écrire la violence, écrire le désir
183 René GirardLa réciprocité dans le désir et la violence
198 René GirardL’amitié qui se transforme en haine
203 René Girard« Une répétition à variations » : Shakespeare et le désir mimétique. Table ronde
208 Daniel LanceDe la question des sexualités à la question éthique. Une autre compréhension du désirmimétique
212 Jean-Christophe GoddardMontgomery Clift, Derrida et Levinas. Subjectivité et sacrifice
216 Benoît ChantreD’un « désir métaphysique » à l’autre : Levinas et Girard
223 Andrew J. McKennaPhilanthropologie : la raison du plus faible
229 Ann W. AstellLe sacrifice de la Pucelle : Jeanne d’Arc et la notion moderne d’auteur
234 Elena BalzamoD’un Bouc émissaire à l’autre : Strindberg et Girard
VI Dérives du monde contemporain
241 Jean-Claude GuillebaudLe grand retour du sacrifice
247 Paul DumouchelMimétismes et génocides
255 Eric GansLa priméité : de l’origine à l’Holocauste et au-delà
261 André OrléanPour une approche girardienne de l’homo œconomicus
266 Colette PetonnetLe brouillard et le feu : ethnologie des banlieues
271 Chronologie
274 Contributeurs au Cahier
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Avant-ProposMark R. Anspach
René Girard a toujours été un penseur inactuel dans le meilleur sens du terme. Il n’a jamais tentéde coller à l’actualité, mais l’actualité a fini par démontrer la fécondité de ses hypothèses. C’est lemouvement du monde qui nous oblige à découvrir ou à redécouvrir La Violence et le Sacré ainsi queles autres ouvrages de René Girard.
Au cours d’une carrière passée sur les campus américains, cet Avignonnais au regard un brinespiègle n’a cessé de défier les modes intellectuelles et les dogmes universitaires pour creuser ses propresintuitions. Qu’il étudie la tragédie antique ou le roman moderne, les comédies shakespeariennes ou lesÉcritures judéo-chrétiennes, il s’intéresse moins aux textes en tant que tels qu’aux vérités qu’ils recèlentsur les mécanismes fondamentaux de la vie sociale. Du désir mimétique à la violence sacrificielle dirigéecontre des victimes émissaires, les concepts forgés par Girard font désormais partie du savoir contem-porain – même s’ils y mènent parfois une existence semi-clandestine, restant implicites ou n’étant citésque de manière fugitive.
Est-ce parce qu’ils sont plus difficiles à manier qu’ils n’en ont l’air ? Même lorsque Girard s’exprimedans un style simple et limpide, chaque étape du raisonnement s’accompagne d’un mais déroutant :
1 – La mimésis est à la base de toute vie collective harmonieuse... mais, lorsqu’elle s’exerce dansle champ du désir, elle engendre des rivalités violentes qui mettent en péril la survie du groupe.
2 – Le lynchage unanime sauve le groupe de cette crise terrible en apaisant les violences qui lemenacent... mais il le fait au prix d’une violence terrible qui prend pour cible une victime innocente.
3 – La victime est faussement accusée d’être la cause de la crise... mais l’élimination de cette faussecause apporte une vraie résolution ; la victime est donc perçue comme l’incarnation diabolique du mal,mais, puisque c’est grâce à elle que le groupe est sauvé, elle sera également vue comme l’incarnationdivine du bien.
4 – Pour éviter de nouvelles crises, la communauté interdira les comportements rivalitaires quiavaient provoqué la première crise... mais elle mettra en scène ces mêmes comportements au cours derites sacrificiels afin de reproduire aussi fidèlement que possible le processus qui avait abouti à larésolution de la première crise.
5 – Enfin, la révélation judéo-chrétienne du mécanisme victimaire met fin au sacrifice ritualisédes boucs émissaires... mais, en privant l’humanité de ce moyen d’apaiser les rivalités violentes, ellerisque de déchaîner des violences encore plus terribles et de multiplier les lynchages spontanés de boucsémissaires.
J. M. Coetzee nous rappelle une épithète que G. Duhamel a inventée pour Érasme et que l’onpourrait bien appliquer à René Girard lui-même : le roi de mais.
Roi de mais, roi de mai ou roi de carnaval, Girard détrône allégrement les spécialistes attitrés etmet à mal les distinctions consacrées. Sa volonté de remonter aux « origines de la culture » l’amène àdéconstruire nos catégories familières, à les indifférencier au point d’atteindre cette confusion primor-diale dont seule l’opération différenciatrice du mécanisme victimaire pourra les sortir.
La démarche de Girard a peu de précédents, d’où cet aveu formulé dans La Violence et le Sacré :« Nous ne pouvons nous réclamer d’aucune discipline reconnue » (p. 111). En réalité, on l’oublie leplus souvent, René Girard est un historien par formation – et nous avons voulu donner ici un petitaperçu de ses premiers travaux d’histoire médiévale et moderne – mais c’est un historien qui se lanceratout de suite dans la critique littéraire, un critique littéraire qui s’attaquera sans hésitation à
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l’anthropologie, un anthropologue qui passera très vite à l’exégèse biblique, un exégète biblique quiinterprétera à la lumière des Écritures l’histoire contemporaine.
C’est surtout, dès son plus jeune âge, un esprit rebelle qui supporte mal tout cadre académiquecontraignant – ne raconte-t-il pas ici les farces carnavalesques qui lui ont valu d’être expulsé du lycéed’Avignon ? –, mais c’est aussi un esprit classique au sens de l’essai repris ici sur le classicisme etl’historiographie de Voltaire. Éloge du penseur qui s’intéresse à tous les domaines du savoir et qui écritpour l’honnête homme, ce texte méconnu de 1958 pourrait être lu comme un autoportrait : on comprendque son auteur n’ait pu trouver sa place dans l’historiographie universitaire.
Il finira malgré tout par trouver une place à l’Académie française, accueilli par l’ami de toujoursMichel Serres dont l’émouvant discours de réception ouvre la première partie de ce volume, où sontréunis des éléments très variés – entretien et souvenirs inédits, écrits de jeunesse, témoignages decollègues – qui constituent autant de jalons pour comprendre un homme singulier et son parcours.
Ce n’est pas le parcours de cet homme singulier que suivent les parties successives du volume,c’est bien plutôt, en un sens, le nôtre. La trajectoire qu’il s’agit de restituer est celle de notre mondetel que René Girard nous permet de l’appréhender. Elle part de ces formes archaïques du religieux etdu politique qui voient une victime divinisée se hisser au rang du roi, et son double carnavalesque, lefou du roi, protéger ce dernier du sacrifice qui le guette ; elle passe par la révélation biblique, qui récuseles sacrifices archaïques, et la pensée des Lumières – dont le rapport à cette révélation qu’elle récuse àson tour est beaucoup plus complexe qu’on ne pourrait le croire – qui annonce une modernité déri-tualisée où se libère la mimésis désirante si bien décrite par les grands écrivains ; elle aboutit enfin auxdérives de l’histoire contemporaine : crises du système judiciaire, explosions de violences génocidaires,folies mimétiques de l’économie financière, chasses aux immigrés boucs émissaires...
Notre espoir, c’est que ces phénomènes d’une actualité tragique peuvent être éclairés par les outilsconceptuels girardiens. Ceux-ci sont à la disposition de tout le monde ; ils ne présupposent pas d’épouserla foi religieuse de l’homme qui les a élaborés. Comme l’écrit ici même Sandor Goodhart, « On peutêtre juif, chrétien, musulman, hindou ou bouddhiste, et être en même temps girardien ». Ajoutons :on peut être athée. Après tout, quand La Violence et le Sacré paraît en 1972, Georges-Hubert deRadkowski, écrivant dans Le Monde, attribue à Girard le mérite d’avoir construit la première théorie« réellement athée du religieux », et Pierre Pachet, dans Critique, reconnaît l’ambition scientifique d’untravail qui « propose des thèses à la discussion de tous, spécialistes ou non, dès qu’ils acceptent d’argu-menter et considérer les acquis positifs de la thèse avancée. Si la science en question est future, et sesméthodes hypothétiques, on verra que l’invitation au débat n’est pas feinte ».
Que ce volume puisse contribuer à relancer le débat.
Remerciements
Nous tenons à remercier Lucien Scubla pour ses conseils précieux ; Benoît Chantre et l’association Recherches Mimétiques,qui ont apporté des documents essentiels ; Nikolaus Wandinger, qui a facilité l’accès à la correspondance entre RaymundSchwager et René Girard ; Dietmar Regensburger, qui a fourni une assistance indispensable pour ce qui concerne les photo-graphies reproduites ici. Martha et René Girard qui ont toujours été prêts à répondre patiemment chaque fois qu’une questionse posait. Pascale de Langautier et Céline Perrissin des Éditions de l’Herne qui ont assuré une collaboration constante toutau long de la préparation du Cahier. Le directeur du Cahier remercie également Peter Thiel, Robert Hamerton-Kelly etImitatio Inc. pour le soutien accordé à son travail.
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