Cahier Pelleas

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maquette du dcor

pellas et mlisandede claude debussyOPERA NATIONAL DE MONTPELLIERLANGUEDOC-ROUSSILLON cahier pdagogique saison 07-08 Service jeune public et actions culturelles Contact : 04 67 60 02 81 [email protected]

classopra Opra National de Montpellier CP 2007-2008/ Pellas et Mlisande

sommaireautour de loeuvrela distribution les personnages et leur voix prface de Maurice Maeterlinck le conte cruel points de repre propos de pourquoi jai crit Pellas Claude Debussy Claude Debussy, courte biographie chronologie partiale le temps de Debussy Debussy par lui-mme tendre vers le silence propos de Jean-Yves Courrgelongue, metteur en scne

autour du symbolismele silence Maurice Maeterlinck le tragique au quotidien Maurice Maeterlinck histoire courte du symbolisme dans la littrature et la peinture

analyse musicale de Genevive Deleuzela structure dramatique sous le signe du verseau la thmatique les fils dariane les sortilges de lcriture

et aussila lettre de genevive extrait du livret et de la partition les longs cheveux de mlisande extrait du livret et de la partition la recette les biographies des artistes

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Jcris des choses qui ne seront comprises que par petits les petits enfants du vingtime sicle.CLAUDE DEBUSSY

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pellas et mlisandedrame lyrique en 5 actes de Claude Debussylivret tir de la pice de Maurice Maeterlinckcration Paris, le 30 avril 1902 premire version pour piano du compositeur

chef de chant et pianiste mise en scne dcors costumes lumires assistante aux lumires Pellas Mlisande Golaud Genevive Arkel Yniold Un mdecin

Anne Pags-Boisset PagsJeanJean-Yves Courrgelongue Mathieu Dupuy Silver Sentimenti Urs Schnebaum AnneAnne-claire Simar Yvan Geissler MarieMarie-Adeline Henry Laurent Alvaro MarieMarie-France Gascard Frdric Bourreau Zo Bouchacourt Clmentine Pointud Laurent Serou

Nouvelle production

lOpra Comdiejeudi 22 mai 14h30 vendredi 23 mai 20h dimanche 25 mai 15hdure du spectacle : environ 2h45 (avec entracte)rservations auprs du service jeune public et actions culturelles au 04 67 60 02 81

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les personnages et leur voixPERSONNAGES Arkel, roi dAllemonde Genevive, mre de Pellas et de Golaud Pellas, fils de Genevive, petit-fils dArkel Golaud, demi-frre de Pellas Mlisande, pouse de Golaud Yniold, fils de Golaud dun premier mariage Le mdecin tessitures basse contralto baryton martin

baryton soprano soprano basse

Dessin de Luc, Caricature de Mary Garden dans le rle de Mlisande BNF de Paris

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prfacemaurice maeterlinck

Prface ldition du Thtre de 1901, parue chez Lacomblez Bruxelles[] Les autres drames dans lordre o ils parurent, savoir : Lintruse Les aveugles (1890), Lintruse, Palomides, Les sept Princesses (1891), Pellas et Mlisande (1892), Alladine et Palomides Intrieur et La mort de Tintagiles (1894), prsentent une humanit et des sentiments plus prcis, en proie des forces aussi inconnues, mais un peu mieux dessines. On y a foi dnormes puissances, invisibles et fatales, dont nul ne sait les intentions, mais que lesprit du drame suppose malveillantes, attentives nos actions, hostiles au sourire, la vie, la paix, au bonheur. Des destines innocentes, mais involontairement ennemies, sy nouent et sy dnouent pour la ruine de tous, sous les regards attrists des plus sages, qui prvoient lavenir mais ne peuvent rien changer aux jeux cruels et inflexibles que lamour et la mort promnent parmi les vivants. Et lamour et la mort et les autres puissances y exercent une sorte dinjustice sournoise, dont les peines car cette injustice ne rcompense pas, ne sont peut-tre que des caprices du destin. Au fond, on y trouve lide du dieu chrtien, mle celle de la fatalit antique, refoule dans la nuit impntrable de la nature, et, de l, se plaisant guetter, dconcerter, assombrir les projets, les penses, les sentiments et lhumble flicit des hommes. []

Maurice Maeterlinck

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le conte cruelACTE Iscne 1 Golaud, chassant en fort, se perd et arrive prs d'une fontaine o pleure la mystrieuse Mlisande, qu'il pousera sans rien savoir d'elle. scne 2 Golaud crit son jeune demi-frre, Pellas, afin que celui-ci demande pour lui leur grandpre Arkel, le vieux roi d'Allemonde, l'autorisation de rentrer au chteau avec sa femme ; leur mre, Genevive, lit cette lettre, et Arkel consent. Pellas demande aller au chevet d'un ami mourant, mais Arkel lui conseille de demeurer au chteau jusqu' la gurison de son propre pre. scne 3 Pellas rencontre Mlisande qui, conduite par Genevive, regarde s'loigner le grand navire qui l'a amene.

ACTE IIscne 1 Les jeunes gens devisent prs d'une fontaine : Mlisande y laisse tomber son anneau nuptial avec lequel elle jouait. scne 2 Pellas lui conseille de dire la vrit, mais elle ment Golaud, qui a t dsaronn par son cheval et bless dans sa chute l'heure mme o Mlisande laissait tomber son anneau. scne 3 Pellas et Mlisande vont, de nuit, dans la grotte o Mlisande a prtendu avoir gar l'anneau. Ils prennent peur la vue de trois mendiants endormis.

ACTE IIIscne 1 De la fentre de la tour o se trouve sa chambre, Mlisande chante une vieille chanson en peignant ses longs cheveux. Pellas survient au pied de la tour et se saisit de la chevelure qui pend jusqu' lui. Golaud surprend leur conversation plus ou moins inconsciemment amoureuse et les spare assez rudement. scne 2 Golaud conduit Pellas dans les lugubres souterrains du chteau. Pellas, pris de malaise, sort rapidement. scne 3 A leur retour l'air libre, Golaud revient sur l'incident de la tour, conseillant Pellas d'viter Mlisande, qui sera bientt mre. scne 4 Golaud interroge le jeune Yniold, enfant de son premier mariage, sur ce qu'il aurait pu surprendre entre Pellas et Mlisande. Peu convaincu par les naves rponses d'Yniold, il hisse celui-ci sur ses paules pour qu'il pie ce qui se passe dans la chambre de Mlisande ; Pellas est l et les jeunes gens, selon Yniold, demeurent sans parler. Affol par les questions de Golaud, qu'une jalousie croissante torture, Yniold descend de son perchoir.

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ACTE IVscne 1 Pellas annonce son prochain dpart. Son pre, qui tait malade, est guri et lui a conseill de voyager. Mais avant de quitter le chteau, Pellas demande furtivement Mlisande un rendezvous pour lui dire adieu. scne 2 Golaud, en proie une vritable crise de jalousie, injurie Mlisande et la trane terre par les cheveux. Arkel tente de s'interposer. scne 3 Dans le parc, prs de la fontaine des Aveugles, Yniold cherche en vain soulever une lourde pierre pour rcuprer sa balle dor qui sest glisse dans une fissure du rocher. Au loin, passe un troupeau de moutons qui ne prend pas le chemin de l'table... scne 4 Pellas et Mlisande se retrouvent et s'avouent enfin leur amour ; quoique se sachant pis par Golaud, ils s'embrassent longuement. Golaud, arm d'une pe, surgit et tue son frre. Mlisande s'enfuit.

ACTE VMlisande est mourante, sans blessure ou maladie apparente, aprs avoir mis au monde l'enfant de Golaud. Ce dernier, tourment par le remords mais aussi par le dsir de savoir, loigne Arkel et le mdecin et implore en vain de Mlisande la vrit. Elle meurt sans avoir pu rpondre.

G. Rochegrosse, illustration pour la premire dition de la partitionclassopra Opra National de Montpellier CP 2007-2008/ Pellas et Mlisande

de Pellas et Mlisande BNF de Paris

points de reprePellas et Mlisande est tir d'un drame en cinq actes du pote symboliste belge Maurice Maeterlinck. En mai 1893, un an aprs avoir lu la pice, Claude Debussy assiste une reprsentation de Pellas et Mlisande au thtre des Bouffes Parisiens. Rapidement, Debussy forme le projet d'en faire un opra car l'uvre correspond exactement l'ide qu'il se fait du livret mettre en musique. Ds 1889, il dcrit ainsi le pote idal : Ce sera celui qui, disant les choses demi, me permettra de greffer mon rve sur le sien ; qui concevra des personnages dont l'histoire et la demeure ne seront d'aucun temps, d'aucun lieu ; m'imposera scne qui ne m'imposera pas, despotiquement, la scne faire et me laissera libre, ici ou l, d'avoir plus d'art que lui. Il est vrai que dans la pice de Maeterlinck, les personnages n'expriment pas vraiment leurs sentiments : ils parlent par ellipses, mtaphores, phrases imprcises. Debussy l'a prolonge en composant une musique fluide, transparente, qui ne cherche pas rsoudre le mystre de la situation, mais n'lude pas non plus la description des sentiments en prsence, ni l'indication de ce que les personnages ressentent au del de ces sentiments. De ce fait, Pellas et Mlisande occupe une place part dans le rpertoire lyrique et sa russite reste unique : de nombreux compositeurs ont essay, depuis, de l'imiter, mais aucun n'y est rellement parvenu. A lt 1895, il termine une premire version, non orchestre, quil remanie maintes fois durant plusieurs annes. En 1901, il orchestre la partition. Une querelle qui menace de se rgler en duel, clate entre Debussy et Maeterlinck. Ce dernier tente dimposer Georgette Leblanc, sa matresse, dans le rle de Mlisande mais Debussy le confie Mary Garden, une chanteuse dorigine irlandaise qui a triomph dans Louise de Charpentier. La premire se droule dans une atmosphre houleuse. Partisans debussystes et adversaires en viennent aux mains lentracte. La deuxime reprsentation est un triomphe et lopra se joue guichets ferms pendant plusieurs mois. En 1920, deux ans aprs la mort de Debussy, Maeterlinck entend luvre pour la premire fois et crit Mary Garden : jamais Mlisande. Je mtais jur de ne jamais voir le drame lyrique Pellas et Mlisande. Hier jai viol mon serment et je suis un homme heureux. Pour la premire fois, jai entirement compris ma propre pice, et cela grce vous.

Le livret de Pellas est un peu diffrent de la pice de Maeterlinck, reprsente Paris en 1893. Mais Debussy saccorde avec son pote sur le plan de lesthtique, en faisant siens tous les symboles dont luvre est parseme. Ds la premire scne, nous allons en dcouvrir au moins trois, qui ne cesseront dapparatre par la suite sous des formes diverses : le symbole de leau, le symbole de la chute, le symbole de la main qui se refuse ou, plus tard, acceptera de se laisser saisir. Mlisande. On ne sait rien de Mlisande Ni son ge, ni qui elle est, ni do elle vient. Mais Maeterlinck, des annes plus tard (en 1902), donnera une explication de ce mystre en faisant delle, dans Ariane et Barbe Bleue, une des femmes enfermes dans les souterrains du chteau o les cheveux de Mlisande illumineront les tnbres.

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Le style de Pellas doit beaucoup Tristan et Parsifal. Mais lorchestre de Debussy est bien plus subtil, plus transparent que celui de Wagner, et Debussy inflchit le rapport voixorchestre tabli par Wagner dans le sens dune plus grande autonomie de la voix. La construction musicale de Pellas adopte la technique de la continuit : pas de numros spars, pas dairs, pas densembles. Les scnes senchanent sans interruption, relies par des interludes instrumentaux qui permettent les changements de dcors. musiciens. Le thtre de Maeterlinck a fascin les musiciens Son Pellas a inspir deux musiques de scne. La premire de Gabriel Faur en 1898 (pour les reprsentations londoniennes de la pice), la seconde de Jan Sibelius, crite en 1906. Par ailleurs, en 1902-1903, Arnold Schoenberg compose un vaste pome symphonique de 45 minutes, intitul Pellas et Mlisande, tout en ignorant alors lexistence de luvre de Debussy.

Extrait de Lavant-Scne Opra Pellas et Mlisande

Czanne, Vue du Chteau Noir (vers 1894-95) Collection Oskar Reinhart, Winterthur

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propos demaurice maeterlinckN Gand, mais install Paris ds 1886, Maurice Maeterlinck (1862-1949) est, avec Paul Claudel au dbut de sa carrire, le seul dramaturge important li au symbolisme. Cultivant une sorte desthtique mtaphysique imprgne dorientalisme, nostalgique dune ambiance mdivale tendance gothique, le symbolisme compta dans ses rangs Baudelaire, Rimbaud, Verlaine, Villiers de lIsle-Adam et, surtout, Mallarm qui fut le catalyseur dune raction antinaturaliste, pilogue de la crise de lutilitarisme bourgeois. Partisans dun langage symbolique bas sur lallusion et lambigut, les symbolistes ont t des wagnriens fervents et ont cherch atteindre une posie absolue sans autre horizon que la propre matire du mot. Lobjectif du drame symboliste ne rside pas dans la description des efforts du hros dans sa tentative dchapper la fatalit mais consiste montrer son incapacit dchiffrer le mystre de son destin. Dans lunivers de Maeterlinck, ce qui compte nest pas le monde visible, mais lnigme de linvisibilit et de linexprimable. Albert-Marie Schmidt a dcrit trs justement le thtre de Maeterlinck comme tant un inextricable labyrinthe de prsages : de la mme faon, lopra de Debussy est travers par une obscure sensation de menace dont le pouvoir troublant se transcrit dans son opacit, pour se manifester dans son impntrabilit totale.

la crationLe 17 mai 1893, Debussy assistait la pice de thtre de Maeterlinck et le 8 aot, il obtenait lautorisation dcrire un opra partir du texte original. Son travail dura huit ans : le 3 mai 1901, Debussy prsenta son uvre au piano Albert Carr, directeur de lOpra-Comique ; les rptitions commencrent le 13 janvier 1902 et la cration, dirige par Andr Messager, eut lieu le 30 avril. Pour faciliter les changements de dcors, Debussy dut crire des interludes symphoniques qui modifient et enrichissent substantiellement la respiration interne de luvre : la structure de certains opras ultrieurs (Wozzeck dAllan Berg, Peter Grimes de Benjamin Britten, Dialogues des Carmlites de Francis Poulenc ou encore Boulevard Solitude de Werner Henze) est inspire de ces pices orchestrales brves et fascinantes. Entre-temps, Maeterlinck, indign parce que sa matresse Georgette Leblanc navait pas obtenu le rle principal (qui chut Mary Garden), essaya de faire interdire lopra et obligea Debussy faire appel aux tribunaux qui finalement donnrent raison au compositeur : froiss, Maeterlinck organisa dans la presse une campagne contre louvrage, afin de boycotter la cration, qui fut trs houleuse. Luvre reut nanmoins lappui inconditionnel de Paul Valry, Maurice Ravel, Paul Dukas et Erik Satie mais fut critique par Camille Saint-Sans et Thodore Dubois, directeur du Conservatoire, qui avait interdit ses lves daller assister aux reprsentations. Pourtant, la confirmation du succs de Pellas et Mlisande fut rapide ; et aujourdhui encore, cette uvre est considre comme lune des cls de lopra moderne.

luvrePellas et Mlisande est lanti-opra, dans ce quil a de conventionnel : on ny trouve ni dmonstration de virtuosit, ni aria, ni vocalise exalte Lart lyrique compris comme moyen de mettre en valeur les qualits vocales des chanteurs ou de flatter loreille avec belles mlodies est, dans ce cas, compltement obsolte. Pellas et Mlisande nest pas une uvre pour les amateurs dopra proprement parler mais pour les amateurs de musique dans son sens absolu. Cependant, il serait tout fait inexact de penser que la mlodie est absente de luvre de Debussy. Bien au contraire : peu dopras possdent une telle invention et ont ce point rnov le matriau mlodique et offert une effusion lyrique si puissante et soutenue ; mais le chant estclassopra Opra National de Montpellier CP 2007-2008/ Pellas et Mlisande

relay, dune certaine manire, dans les marges de la langue parle. Cette langue est une pure prolongation du relief phontique, une aura qui enrobe le mot, la vraie prose musicale (sans autre exception que la chanson de Mlisande dans la tour), qui, en mme temps, fait affleurer dune manire admirable la moindre nuance motive du texte, rvlant ainsi un univers expressif que lon dirait inexplor et inconnu, et caractrisant les personnages par des recours aussi sobres quefficaces. () JOSE LUIS TELLEZ, traduit par Pierre Elie Mamou, in Le Monde de lopra Pellas et Mlisande

Peter Behrens, Le Baiser (1898) gravure sur bois

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Pellas a t achev une premire fois en 1895. Depuis, je lai repris, modifi, etc Cela reprsente peu prs 12 ans de ma vie.CLAUDE DEBUSSY, avril 1902 in Monsieur croche et autres crits Ed. Gallimard, 1987

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pourquoi jai crit pellasclaude debussy

Ma connaissance de Pellas date de 1893 Malgr lenthousiasme dune premire lecture et peut-tre la secrte pense dune musique possible, je nai commenc y songer srieusement qu la fin de cette anne (1893). Mes raisons de choisir Pellas. Depuis longtemps, je cherchais faire de la musique pour le thtre, mais la forme dans laquelle je voulais la faire tait si peu habituelle, quaprs divers essais jy avais presque renonc. Des recherches faites prcdemment dans la musique pure mavaient conduit la haine du dveloppement classique dont la beaut est toute technique et ne peut intresser que les mandarins de notre classe. Je voulais, la musique une libert quelle contient peut-tre plus que nimporte quel art, mais aux correspondances mystrieuses entre la Nature et limagination. Aprs quelques annes de plerinages passionns Bayreuth, je commenais douter de la formule wagnrienne, ou plutt, il me semblait quelle ne pouvait servir que le cas particulier du gnie de Wagner. Celui-ci fut un grand ramasseur de formules, il les rassemblait dans une formule qui parut personnelle parce que lon connat mal la musique. Et sans nier son gnie, on peut dire quil avait mis le point final la musique de son temps peu prs comme Victor Hugo engloba toute la posie antrieure. Il fallait donc chercher aprs Wagner et non pas daprs Wagner. Le drame de Pellas qui malgr son atmosphre de rves contient beaucoup plus dhumanit que les soi-disant documents sur la vie me parut convenir admirablement ce que je voulais faire. Il y a l une langue vocatrice dont la sensibilit pouvait trouver son prolongement dans la musique et le dcor orchestral. Jai essay aussi dobir une loi de beaut quon semble oublier singulirement lorsquil sagit dune musique dramatique ; les personnages de ce drame tchent de chanter comme des personnes naturelles et non pas dans une langue arbitraire faite de tradition suranne. Cest l do vient le reproche que lon a fait mon soi-disant parti pris de dclamation monotone o jamais rien napparat de mlodique Dabord cela est faux ; en outre les sentiments dun personnage ne peuvent sexprimer continuellement dune faon mlodique ; puis la mlodie dramatique doit tre tout autre que la mlodie en gnral Les gens qui vont couter la musique au Thtre ressemblent en somme ceux que lon voit runis au tour des chanteurs de rue ! L, moyennant deux sous, on peut se procurer des motions mlodiques On peut mme constater une patience plus grande que chez beaucoup des abonns de nos thtres subventionns, on pourrait mme dire une volont de comprendre totalement absente dans le public sus-nomm. Par une ironie singulire, ce public qui demande du nouveau est le mme qui seffare et se moque toutes les fois que lon essaie de le sortir de ses habitudes et du ronron habituel. Cela peut paratre incomprhensible mais il ne faut pas oublier quune uvre dart, une tentative de beaut semble toujours tre une offense personnelle pour beaucoup de gens. Je ne prtends pas avoir tout dcouvert dans Pellas mais jai essay de frayer un chemin que dautres pourront suivre, llargissement de trouvailles personnelles qui dbarrasseront peuttre la musique dramatique de la lourde contrainte dans laquelle elle vit depuis si longtemps. Avril 1902, extrait de Monsieur Croche et autres crits, Paris Editions Gallimard, 1971classopra Opra National de Montpellier CP 2007-2008/ Pellas et Mlisande

La table de travail de Debussy avec la partition de Pellas et Mlisande Fac-simil de la lettre de Debussy Ernest Chausson (janvier 1894)

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claude debussycourte biographie

Claude Debussy, n le 22 aot 1862 Saint-Germain-en-Laye, mort le 25 mars 1918 Paris. Issu d'une famille modeste, Debussy doit son ducation son parrain, Achille Arosa, un banquier et collectionneur d'art qui habitait Cannes et Mme Maut de Fleurville, lve de Chopin et future belle-mre de Verlaine, qui dcouvrit ses dons pour la musique. En 1872, il est admis au Conservatoire de Paris et, douze ans plus tard, il obtient le Prix de Rome avec sa cantate L'Enfant prodigue. Mais Debussy ne se plat gure la Villa Mdicis et rentre plus tt que prvu Paris, o il mne une vie de bohme et fait des rencontres qui vont tre dterminantes pour la suite de sa vie artistique : Mallarm, Wagner - qu'il dcouvre lors d'un premier voyage Bayreuth en 1888 -, la musique d'Extrme-Orient, qui lui est rvle un an plus tard par l'Exposition Universelle, la partition de Boris Godounov que Saint-Sans a rapporte de Russie... C'est dans cette effervescence intellectuelle que naissent les premires uvres importantes : Prlude l'aprs-midi d'un faune (1894), les Trois chansons de Bilitis sur les pomes de Pierre Lous (1897-1898), La Damoiselle lue (1887-1888), les Nocturnes (1899). Paralllement, il publie, sous le nom de Monsieur Croche, des critiques musicales qui tmoignent de son anticonformisme absolu et de son humour impitoyable. En 1902, la cration de Pellas et Mlisande l'Opra-Comique rend Debussy clbre. Dsormais, il se consacre entirement l'criture : Estampes voit le jour en 1903, La Mer en 1905, Images entre 1905 et 1912, Children's Corner en 1908, Le Martyre de saint Sbastien, commande de Diaghilev sur un texte de D'Annunzio en 1911, et Jeux en 1912-1913. De 1915, enfin, datent les derniers chefs-d'uvre : les 12 Etudes pour piano et les 3 Sonates. La dcouverte du drame de Maeterlinck et celle du personnage de Pellas volant Golaud son dernier amour, rveilla certainement en Debussy le souvenir du premier grand amour de sa vie, celui de Marie-Blanche Vasnier. Epouse de Pierre Vasnier, de loin plus ge que Debussy, il lui ddia son premier recueil des Ftes galantes et Mandoline. Pierre Vasnier lloigna avec tact en lui conseillant de se prsenter au prix de Rome. Avant son retour Paris en 1887, il reoit une dernire lettre de Madame Vasnier confirmant leur rupture. La dernire lettre que jai reu avant-hier cachait mal tout lennui que lui donnerait ma prsence l-bas, me disant quil serait trs imprudent de nous revoir. CLAUDE DEBUSSY

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chronologie partialele temps de debussyQUOI POUR DEBUSSY ? 1862 Claude Debussy nat Saint-Germain-enle 22 aot Saint-Germain-en-Laye dans une famille de modestes commerants. Il entre au Conservatoire de Paris Conservatoire 10 ans pour tudier le piano avec Marmontel, puis la composition Csar Franck. avec Csar Franck. est Il est engag au service de Nadiejda von Meck en tant que pianiste et professeur de ses enfants. Aprs trois annes de voyage travers lEurope, il rentre en France o il fait ses dbuts de pianiste. Debussy remporte le Grand prix de Rome pour sa cantate LEnfant prodigue . Il engage ses premiers projets lyriques : Rodrigue et Chimne, La princesse Chimne, Maleine et Pellas et Mlisande. chefIl crit son premier chef-duvre orchestral, laprsorchestral, le Prlude laprs-midi faune, dun faune, daprs un pome de Stphane Mallarm. travail, Aprs dix annes de travail, lopra Mlisande lopra Pellas et Mlisande est enfin cr le 3 avril dans une atmosphre scandale. de scandale. Cest la premire uvre lyrique crite partir dune pice de thtre et non dun livret. Debussy compose LIsle Joyeuse, Joyeuse, une pice pour piano. Mer, Il compose La Mer, esquisses symphoniques pour orchestre. Il poursuit ses compositions Images. pour lorchestre avec Images. QUOI POUR LE RESTE DU MONDE ? Victor Hugo crit Les Misrables et larchitecte Charles Garnier lance la construction de lOpra de Paris (1862-1875). Henry Draper photographie le premier spectre de Vga et on pose le premier cble transocanique entre lEurope et lAmrique du Sud. LAllemagne, lAutriche-Hongrie et lItalie signent la Triple-Alliance, ce qui nempche pas von Lindemann de dmontrer la transcendance du nombre pi, tablissant ainsi limpossibilit de la quadrature du cercle. Verlaine publie la premire version des Potes maudits et fait connatre au public Corbire, Rimbaud et Mallarm. Tchakovski compose la musique du ballet Casse-noisette de Lev Ivanov et Henri Moissan met au point le four lectrique. Nicolas II est tsar de Russie, Kipling crit Le livre de la jungle, Jules Renard le fameux rcit Poil de carotte et Michelin invente le pneu dmontable pour les automobiles. Lnine se demande Que faire ?, Mlis, avec son film, Voyage dans la lune et Sabatier, quant lui, tudie les phnomnes de catalyse chimique et ralise la synthse du mthane. La France et la Grande-Bretagne signent un trait dEntente cordiale. Richard Strauss compose son opra Salom, sur un livret dOscar Wilde. Anatole France annonce, avec son roman, que Les Dieux ont soif et pour la premire fois on parle de musique atonale avec le Pierrot Lunaire de Schnberg.classopra Opra National de Montpellier CP 2007-2008/ Pellas et Mlisande

1872

1882

1884

1892

1894

1902

1904 1905 1912

1913

Debussy se consacre lcriture dun ballet, Jeux, une commande de ballet, Serge Diaghilev puis compose pour la voix Les trois pomes de Mallarm. Mallarm. Atteint dun cancer, il meurt au cours dun bombardement qui sabat sur la capitale le 25 mars.

Igor Stravinsky marque lhistoire de la musique avec Le Sacre du printemps, chorgraphi par Vaslav Nijinski et Roland Garos marque les esprits en effectuant la premire traverse de la Mditerrane en avion. Le 11 novembre, larmistice de la premire guerre mondiale est sign Rethondes.

1918

Debussy photographi par Flix Nadar

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debussy par lui-mme

debussy et la musiqueLa musique doit humblement chercher faire plaisir, lextrme complication est le contraire de lart. La musique a repos jusqu' aujourd'hui sur un principe faux. On cherche trop crire, on fait de la musique pour le papier, alors qu'elle est faite pour les oreilles. On attache trop d'importance l'criture musicale, la formule et au mtier. On cherche les ides en soi alors qu'on devrait les chercher autour de soi. On combine, on construit, on imagine des thmes qui veulent exprimer des ides ; on les dveloppe, on les modifie la rencontre d'autres thmes qui reprsentent d'autres ides, on fait de la mtaphysique. Celle-ci doit tre enregistre spontanment par l'oreille de l'auditeur sans qu'il ait besoin de dcouvrir des ides abstraites dans les mandres d'un dveloppement compliqu. Il faut que la beaut soit sensible, qu'elle nous procure une jouissance immdiate, qu'elle s'impose ou s'insinue en nous sans que nous ayons aucun effort faire pour la saisir. La musique devient difficile toutes les fois qu'elle n'existe pas, difficile n'tant l qu'un mot paravent pour cacher sa pauvret. En rgle gnrale, toutes les fois, qu'en art, on pense compliquer une forme ou un sentiment, c'est qu'on ne sait pas ce qu'on veut dire. On rencontre souvent cette phrase : J'ai besoin d'entendre cela plusieurs fois... Rien n'est plus faux. Quand on entend bien la musique, on entend tout de suite ce qu'il faut entendre. Le reste n'est qu'une affaire de milieu ou d'influence extrieure. La musique est faite pour l'inexprimable ; je voudrais qu'elle et l'air de sortir de l'ombre et que, par instant, elle y rentrt ; que toujours elle ft discrte personne.

debussy et le drameJai voulu que laction ne sarrtt jamais, quelle ft continue, ininterrompue. Jai voulu me passer des phrases musicales parasites. A laudition dune uvre, le spectateur est accoutum prouv deux sortes dmotions bien distinctes : lmotion musicale dune part, lmotion du personnage de lautre ; gnralement, il les ressent successivement. Jai essay que ces deux motions fussent parfaitement fondues et simultanes. La mlodie, si je puis dire, est antilyrique. Elle est impuissante traduire la mobilit des mes et de la vie. Elle convient essentiellement la chanson qui confirme un sentiment fixe. Je n'ai jamais consenti ce que ma musique brusqut ou retardt, par suite d'exigences techniques, le mouvement des sentiments et des passions de mes personnages. Elle s'efface ds qu'il convient qu'elle leur laisse l'entire libert de leurs gestes, de leurs cris, de leur joie ou de leur douleur... Rien ne doit ralentir la marche du drame : tout dveloppement musical tant soit peu prolong est incapable de s'assortir la mobilit des mots. Mais quil nait crainte ! je ne suivrai pas les errements du thtre lyrique o la musique prdomine insolemment, o la posie est relgue et passe au second plan, touffe par lhabillage musical trop court. Au thtre de musique, on chante trop. Il faudrait chanter quandclassopra Opra National de Montpellier CP 2007-2008/ Pellas et Mlisande

cela en vaut la peine et rserver les accents pathtiques. Il doit y avoir des diffrences dans l'nergie de l'expression. Il est ncessaire, par endroits, de peindre en camaeu et de se contenter d'une grisaille... Rien ne doit ralentir la marche du drame : tout dveloppement musical que les mots n'appellent pas est une faute. Je rve de pomes qui ne me condamneraient pas perptrer des actes longs et pesants. Je me fous des trois units. Je veux des scnes mobiles, diverses par les lieux et le caractre, o les personnages ne discutent pas, mais subissent la vie et le sort. J'aimerais une chose o, en quelque sorte, l'action soit sacrifie l'expression longuement poursuivie des sentiments de l'me. Il semble que, l, la musique peut se faire plus humaine, plus vcue et que l'on peut creuser et raffiner les moyens d'expression. J'ai laiss parler ma nature et mon temprament. J'ai surtout cherch redevenir franais. Les Franais oublient trop facilement les qualits de clart et d'lgance qui leur sont propres, pour se laisser influencer par les longueurs et les lourdeurs germaniques. Pourtant, nous avions une pure tradition franaise dans l'uvre de Rameau, faite de tendresse dlicate et charmante, d'accents justes, de dclamation rigoureuse dans le rcit ; aujourd'hui, nous n'osons presque plus avoir de lesprit, craignant de manquer de grandeur La musique franaise, c'est la clart, l'lgance, la dclamation simple et naturelle ; la musique franaise veut, avant tout, faire plaisir... Le gnie musical de la France, cest quelque chose comme la fantaisie dans la sensibilit. Il y a eu, il y a mme encore, malgr les dsordres qu'apporte la civilisation, de charmants petits peuples qui apprirent la musique aussi simplement qu'on apprend respirer. Leur Conservatoire, c'est le rythme ternel de la mer, le vent dans les feuilles et mille petits bruits qu'ils coutrent avec soin, sans jamais regarder dans d'arbitraires traits. Leurs traditions n'existent que dans de trs vieilles chansons, mles de danses, o chacun, sicle par sicle, apporta sa respectueuse contribution. Cependant, la musique javanaise observe un contrepoint auprs duquel celui de Palestrina n'est qu'un jeu d'enfant. Et si l'on coute, sans parti pris europen, le charme de leur percussion , on est bien oblig de constater que la ntre n'est qu'un bruit barbare de cirque forain...

Ernest Chausson (compositeur)L'artiste, dans les civilisations modernes, sera toujours un tre dont on aperoit l'utilit qu'aprs sa mort, et a n'est que pour en tirer un orgueil souvent idiot, ou une spculation toujours honteuse ; donc, il vaudrait mieux qu'il n'ait jamais se mler ses contemporains, et mme quoi bon les faire participer par une reprsentation quelconque, des joies pour lesquelles ils sont si peu faits !

Pierre Lalo (critique musical)En somme vous aimez et dfendez des traditions qui n'existent plus pour moi, ou du moins, elles n'existent que comme reprsentatives d'une poque o elles ne furent pas toutes aussi belles ni aussi valables qu'on veut bien le dire, et la poussire du pass n'est pas toujours respectable.

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Pellas, Je ne prtends pas avoir tout dcouvert dans Pellas, mais jai essay de frayer un chemin que dautres pourront suivre, llargissant de trouvailles peutpersonnelles qui dbarrasseront peut-tre la musique dramatique de la lourde contrainte dans laquelle elle vit depuis si longtemps.CLAUDE DEBUSSY in Monsieur croche et autres crits Ed. Gallimard, 1987

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tendre vers le silencepar jean-yves courrgelongue, metteur en scne

Pelleas et Mlisande est une tentative inoue dunion entre musique et posie : cest de la parole mme que nat une dclamation infiniment ductile, cest de la beaut du thtre de Maeterlinck que naissent les couleurs irises de lharmonie. Claude Debussy, en cherchant saffranchir aussi bien des conventions de lopra italien que de luvre dart totale wagnrienne, a invent un monde impressionniste et mystrieux, dune beaut hypnotique. En 1895, sept ans avant dentreprendre lorchestration de son chef duvre, le compositeur avait crit une version originelle au piano. Cest cette version qui est donne lOpra Comdie. Lorsque Ren Koering ma propos de choisir un ouvrage mettre en scne dans le cadre de la srie Opras au piano , jai cherch viter lcueil dune rduction : un grand opra de Verdi naurait pas eu de sens. Pellas simposa trs vite. Lunique opra de Debussy ayant t initialement conu pour le piano. Dj, lors de rptitions de productions o jtais assistant, javais t frapp par la magie qui se dgageait du piano-chant. Debussy lui-mme, plusieurs annes avant la version orchestrale, jouait son Pellas dans les salons, dans un esprit de musique de chambre. Cest justement lunivers du salon, si important dans la culture fin de Sicle , qui est la base du dispositif scnique. Celui-ci, trs simple, savance nettement vers et dans le public, renonant au lointain du plateau. Cette proximit et cette intimit permettent de jouer avec le murmure, le gros plan visuel et sonore. La scnographie sinspire de la photographie qui a fascin tous les artistes de lpoque. Elle se dcline du noir au blanc, des brillances argentes du daguerrotype aux bruns spia. De ce fait, le travail sur les lumires est primordial, la musique comme le texte tant profondment dtermins par les jeux dombre et de lumires. Le royaume dAllemonde, dans lequel les personnages voluent en costumes XIXe, nous rappelle que le sicle est en train de mourir et que sinaugure avec cette forme de thtre musical une modernit dont Debussy aussi bien que Maeterlinck sont des initiateurs. Le symbolisme du texte interdit une approche raliste. Il privilgie lintriorit des personnages en prservant le mystre et laspect indicible de lme. Dans cet univers, la parole tend au murmure, et lorsque Pellas dclare son amour Mlisande, au quatrime acte, cest la musique elle-mme qui tend vers le silence. Il sagit pour moi, le plus honntement possible, de faire entendre la musique sans utiliser celle-ci comme une simple bande sonore de la mise en scne. Par des moyens simples, il importe avant tout de suggrer le mystre et la posie de Pellas, au plus prs de luvre. Propos recueillis le 27 fvrier 2008, in Le Jason, journal trimestriel de lOpra et Orchestre National de Montpellier Languedoc-Roussillon

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le silenceLa parole est du temps, le silence de lternit. Il ne faut pas croire que la parole serve jamais aux communications vritables entre les tres. Les lvres ou la langue peuvent reprsenter lme de la mme manire quun chiffre ou un numro dordre reprsente une peinture de Memlinck, par exemple, mais ds que nous avons vraiment quelque chose nous dire, nous sommes obligs de nous taire ; et si, dans ces moments, nous rsistons aux ordres invisibles et pressants du silence, nous avons fait une perte ternelle que les plus grands trsors de la sagesse humaine ne pourront rparer, car nous avons perdu loccasion dcouter une autre me et de donner un instant dexistence la ntre ; et il y a bien des vies o de telles occasions ne se prsentent pas deux fois Nous ne parlons quaux heures o nous ne vivons pas, dans les moments o nous ne voulons pas apercevoir nos frres et o nous nous sentons une grande distance de la ralit. Et ds que nous parlons, quelque chose nous prvient que des portes divines se ferment quelque part. Aussi sommes-nous trs avares du silence, et les plus imprudents dentre nous ne se taisent pas avec le premier venu. Linstinct des vrits surhumaines que nous possdons tous nous avertit quil est dangereux de se taire avec quelquun que lon dsire ne pas connatre ou que lon naime point ; car les paroles passent entre les hommes, mais le silence, sil a eu un moment loccasion dtre actif, ne sefface jamais, et la vie vritable, et la seule qui laisse quelque trace, nest faite que de silence. Souvenez-vous ici, dans ce silence auquel il faut avoir recours encore, afin que luimme sexplique par lui-mme ; et sil vous est donn de descendre un instant en votre me jusquaux profondeurs habites par les anges, ce quavant tout vous vous rappellerez dun tre aim profondment, ce nest pas les paroles quil a dites, ou les gestes quil a faits, mais les silences que vous avez vcus ensemble ; car cest la qualit de ces silences qui seule a rvl la qualit de votre amour et de vos mes. Je ne mapproche ici que du silence actif car il y a un silence passif qui nest que le reflet du sommeil, de la mort ou de linexistence. Cest le silence qui dort ; et tandis quil sommeille, il est moins redoutable encore que la parole ; mais une circonstance inattendue peut lveiller soudain, et alors cest son frre, le grand silence actif, qui sintronise. Soyez en garde. Deux mes vont satteindre, les parois vont cder, des digues vont se rompre, et la vie ordinaire va faire place une vie o tout devient trs grave, o tout est sans dfense, o plus rien nose rire, o plus rien nobit, o plus rien ne soublie Et cest parce quaucun de nous nignore cette sombre puissance et ses jeux dangereux que nous avons une peur si profonde du silence. Nous supportons la rigueur le silence isol, notre propre silence : mais le silence de plusieurs, le silence multipli, et surtout le silence dune foule est un fardeau surnaturel dont les mes les plus fortes redoutent le poids inexplicable. Nous usons une grande partie de notre vie rechercher les lieux o le silence ne rgne pas. Ds que deux ou trois hommes se rencontrent, ils ne songent qu bannir linvisible ennemi, car combien damitis ordinaires nont dautres fondements que la haine du silence ? Et si, malgr tous les efforts, il russit se glisser entre des tres assembls, ces tres tourneront la tte avec inquitude, du ct solennel des choses que lon naperoit pas, et puis ils sen iront bientt, cdant la place linconnu, et ils sviteront lavenir, parce quils craignent que la lutte sculaire ne devienne vaine une fois de plus, et que lun deux ne soit de ceux, peut-tre, qui ouvrent en secret la porte ladversaire. MAURICE MAETERLINCK, in Le Trsor des humbles, ed. Mercure de France, Paris, 1896

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le tragique au quotidien

Il y a un tragique quotidien qui est bien plus rel, bien plus profond et bien plus conforme notre tre vritable que le tragique des grandes aventures. Il est facile de le sentir mais il nest pas ais de le montrer parce que ce tragique essentiel nest pas simplement matriel ou psychologique. Il ne sagit plus ici de la lutte dtermine dun tre contre un tre, de la lutte dun dsir ou de lternel combat de la passion et du devoir. Il sagirait plutt de faire voir ce quil y a dtonnant dans le fait seul de vivre. Il sagirait plutt de faire voir lexistence dune me en ellemme, au milieu de limmensit qui nest jamais inactive. Il sagirait encore de nous montrer et de nous faire entendre mille choses analogues que les potes tragiques nous ont fait entrevoir en passant. Mais voici le point essentiel : ce quils nous ont fait entrevoir en passant ne pourrait-on tenter de le montrer avant le reste ? Ce quon entend sous Le Roi Lear, sous Macbeth, sous Hamlet par exemple, le chant mystrieux de linfini, le silence menaant des mes ou des Dieux, lternit qui gronde lhorizon, la destine ou la fatalit quon aperoit intrieurement sans que lon puisse dire quels signes on la reconnat, ne pourrait-on par je ne sais quelle inversion des rles, les rapprocher de nous tandis quon loignerait les acteurs ? Est-il donc hasardeux daffirmer que le vritable tragique de la vie, le tragique normal, profond et gnral, ne commence quau moment o ce quon appelle les aventures, les douleurs et les dangers sont passs ? Le bonheur naurait-il pas le bras plus long que le malheur et certaines de ses forces ne sapprocheraient-elle pas davantage de lme humaine ? Faut-il absolument hurler comme des Atrides pour quun Dieu ternel se montre en notre vie et ne vient-il jamais sasseoir sous limmobilit de notre lampe ? Nest-ce pas la tranquillit qui est terrible lorsquon y rflchit et que les astres la surveillent ; et le sens de la vie se dveloppe-t-il dans le tumulte ou le silence ? Nest-ce pas quand on nous dit la fin des histoires, ils furent heureux , que la grande inquitude devrait faire son entre ? Quarrive-t-il tandis quils sont heureux ? Est-ce que le bonheur ou un simple instant de repos ne dcouvre pas des choses plus srieuses et plus stables que lagitation des passions ? Nest-ce pas alors que la marche du temps et bien dautres marches plus secrtes deviennent enfin visibles et que les heures se prcipitent ? Estce que tout ceci natteint pas des fibres plus profondes que le coup de poignard des drames ordinaires ? Nest-ce pas quand un homme se croit labri de la mort extrieure que ltrange et silencieuse tragdie de ltre et de limmensit ouvre vraiment les portes de son thtre ? Est-ce tandis que je fuis devant un pe nue que mon existence atteint son point le plus intressant ? Est-ce toujours dans un baiser quelle est la plus sublime ? Ny a-t-il pas dautres moments o lon entend des voix plus permanentes et plus pures ? Votre me ne fleurit-elle quau fond des nuits dorage ? On dirait quon la cru jusquici. () Aussi, nest-ce pas dans les actes mais dans les paroles que se trouvent la beaut et la grandeur des belles et grandes tragdies. Est-ce seulement dans les paroles qui accompagnent et qui expliquent les actes quelles se trouvent ? Non ; il faut quil y ait autre chose que le dialogue extrieurement ncessaire. Il ny a gure que les paroles qui semblent inutiles qui comptent dans une uvre. Cest en elles que se trouve son me. A ct du dialogue indispensable il y a presque toujours un autre dialogue qui semble superflu. Examinez attentivement et vous verrez que cest le seul que lme coute profondment parce que cest en cet endroit seulement quon lui parle. Vous reconnatrez aussi que cest la qualit et ltendue de ce dialogue inutile qui dtermine la qualit et la porte ineffable de luvre. Il est certain que dans les drames ordinaires le dialogue indispensable ne rpond pas du tout la ralit ; et ce qui fait la beaut mystrieuse des plus belles tragdies se trouve tout juste dans les paroles qui se disent ct de la vrit stricte et apparente.

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Elle se trouve dans les paroles qui sont conformes une vrit plus profonde et incomparablement plus voisine de lme invisible qui soutient le pome. On peut mme affirmer que le pome se rapproche de la beaut et dune vrit suprieure, dans la mesure o il limine les paroles qui expliquent les actes pour les remplacer par des paroles qui expliquent non pas ce quon appelle un tat dme mais je ne sais quels efforts insaisissables et incessants des mes vers leur beaut et leur vrit. Il arrive tout homme dans la vie quotidienne davoir dnouer par des paroles une situation trs grave ; songez-y un instant. Estce toujours en ces moments, est-ce mme dordinaire ce que vous dites ou ce quon vous rpond qui importe le plus ? Est-ce que dautres forces, dautres paroles quon nentend pas ne sont pas mises en jeu, qui dterminent lvnement ? Ce que je suis compte souvent pour peu de chose ; mais ma prsence, lattitude de mon me, mon avenir et mon pass, ce qui natra aprs moi, ce qui est mort en moi, une pense secrte, les astres qui mapprouvent, ma destine, mille et mille mystres qui menvironnent, et vous entourent, voil ce qui vous parle en ce moment tragique et voil ce qui me rpond. Sous chacun de mes mots et sous chacun des vtres, il y a tout ceci, et cest ceci surtout que nous voyons, et cest ceci surtout que nous entendons malgr nous. Si vous tes venu, vous lpoux outrag , lamant tromp , la femme abandonne dans le dessein de me tuer : ce ne sont pas mes supplications les plus loquentes qui pourront arrter votre bras. Mais il se peut que vous rencontriez alors une de ces forces inattendues et que mon me qui veille autour de moi, vous dise un mot secret qui vous dsarme. Voil les sphres o les aventures se dcident, voil le dialogue dont il faudrait quon entendit lcho. Et cest cet cho quon entend en effet extrmement affaibli et variable il est vrai dans quelques-unes des grandes uvres dont je parlais tantt. Mais ne pourrait-on tenter de se rapprocher davantage de ces sphres o tout se passe en ralit ? Il me semble quon veuille le tenter. Il y a quelques temps, propos du drame dIbsen o lon entend plus tragiquement le dialogue du second degr , propos de Solness le Constructeur, jessayais plus maladroitement encore de percer ces secrets. Pourtant, ce sont des traces analogues de la main du mme aveugle sur le mme mur qui se dirigent aussi vers les mmes lueurs. MAURICE MAETERLINCK, in Introduction une psychologie des songes et autres crits, 1888-1896, Ed. Labor, Bruxelles, 1985

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histoire courte du symbolismedans la littrature et la peintureCertains passages sont extraits de Philippe Lavergne in http://www.site-magister.fr/Tous droits rservs, diffusion limite et gratuite lusage pdagogique

courants de penses et influencesLa fin du XIXe sicle est marque par des volutions et changements sociaux et scientifiques considrables : lindustrialisation, qui affecte la relation de lhomme au temps et au monde, laccroissement des progrs industriels, lpanouissement de la technologie, lessor de la photographie qui imprgne le champ des arts, lavnement de la psychanalyse et le dveloppement des thories sur le rve menes par Freud Les arts gnrent, de fait, des mutations propres : remise en cause des esthtiques prcdentes, recherche de nouvelles esthtiques, ractions divergentes par rapport la photographie, refus de la pense rationaliste impose par la science, rflexion autour de la ralit et du rve Le courant impressionniste a fait lexprience empirique de ces mutations du regard et du rapport de lart au monde et sest inscrit en rupture avec lart officiel et classique. Georges Bataille dira par exemple de Manet quil a inaugur la grande dchirure annonciatrice de lart moderne . La littrature connat aussi de vritables volutions : extension formelle du champ de la posie (posie en prose, prose potique) remise en question de la mtrique et naissance du vers libre. Mallarm crira dans La Musique et les Lettres : Japporte en effet des nouvelles. Les plus surprenantes. Mme cas ne se vit encore. On a touch au vers. [] Une heureuse trouvaille avec quoi parat peu prs close la recherche dhier, aura t le vers libre, modulation (dis-je souvent) individuelle, parce que toute me est un nud rythmique. Pour les historiens, le mouvement symboliste commence vers 1886. Cependant, si le mot est prononc cette anne-l, il cristallise et fdre des tendances latentes dans la littrature et les arts. Si le mouvement gagne tous les arts, sa formulation premire se trouve dans la littrature, impulse par des crivains dont Mallarm est tenu pour figure de proue. Verlaine et Villiers seront galement considrs comme la premire gnration , celle des annes 40. Le Paris des annes 1880 - 1890, grce linfluence posthume de Baudelaire et lminence de Mallarm pour les seules raisons culturelles se voit attirer de nombreux potes espagnols, anglais, allemands. Tous ces potes dlaissent leur identit nationale au profit dune philosophie de lart nouvelle. Ainsi, Jules Laforgue et Gustave Khan, les premiers utilisateurs du vers libre, se rclament tous deux potes symbolistes ; les belges, Emile Verhaeren, Georges Rodenbach, Ren Ghil et Maurice Maeterlinck choisissent de sexprimer dans la langue franaise et simpliquent dans le mouvement.

rfrences textes fondateurs et rfrencesLe symbolisme tel quil se manifeste la fin du sicle est publi dans des revues telles que La Revue Wagnrienne, La Revue Blanche, Mercure de France, ou encore La Dcadence. Il se thorise en littrature dans les manifestes de Jean Moras, Gustave Khan, Ren Ghil. La dfinition premire du mouvement semble soprer par la ngative ; ses principaux protagonistes combattent sur les plans littraire, philosophique et artistique le Naturalisme, le scientisme et la conception parnassienne de lart pour lart par un absolu potique.classopra Opra National de Montpellier CP 2007-2008/ Pellas et Mlisande

Nous avons dj propos la dnomination de symbolisme comme la seule capable de dsigner raisonnablement la tendance actuelle de l'esprit crateur en art. Cette dnomination peut tre maintenue. Il a t dit au commencement de cet article que les volutions d'art offrent un caractre cyclique extrmement compliqu de divergences : ainsi, pour suivre l'exacte filiation de la nouvelle cole, il faudrait remonter jusqu' certains pomes d'Alfred de Vigny, jusques Shakespeare, jusqu'aux mystiques, plus loin encore. Ces questions demanderaient un volume de commentaires ; disons donc que Charles Baudelaire doit tre considr comme le vritable prcurseur du mouvement actuel ; M. Stphane Mallarm le lotit du sens du mystre et de l'ineffable ; M. Paul Verlaine brisa en son honneur les cruelles entraves du vers que les doigts prestigieux de M. Thodore de Banville avaient assoupli auparavant. Cependant le Suprme enchantement n'est pas encore consomm : un labeur opinitre et jaloux sollicite les nouveaux venus. Ennemie de l'enseignement, la dclamation, la fausse sensibilit, la description objective, la posie symbolique cherche vtir lIde d'une forme sensible qui, nanmoins, ne serait pas son but elle-mme, mais qui, tout en servant exprimer l'Ide, demeurerait sujette. L'Ide, son tour, ne doit point se laisser voir prive des somptueuses simarres des analogies extrieures ; car le caractre essentiel de l'art symbolique consiste ne jamais aller jusqu' la concentration de l'Ide en soi. Ainsi, dans cet art, les tableaux de la nature, les actions des humains, tous les phnomnes concrets ne sauraient se manifester eux-mmes ; ce sont l des apparences sensibles destines reprsenter leurs affinits sotriques avec des Ides primordiales. JEAN MOREAS, Manifeste du Symbolisme, paru dans Le Supplment littraire du Figaro en septembre 1886. Les quelques vers que Verlaine ddicace Charles Morice, Art potique, dans le recueil Jadis et Nagure, publi en 1884, seront rigs au rang de manifeste par la jeune gnration symboliste : Car nous voulons la Nuance encor, Pas la Couleur rien que la nuance ! Oh ! la nuance seule fiance Le rve au rve et la flte au cor ! Tous les symbolistes se rclament hritiers de Baudelaire. La Nature est un temple o de vivants piliers Laissent parfois sortir de confuses paroles ; Lhomme y passe travers des forts de symboles Qui lobservent avec des regards familiers. Comme de longs chos qui de loin se confondent Dans une tnbreuse et profonde unit, Vaste comme la nuit et comme la clart, Les parfums, les couleurs et les sons se rpondent. Il est des parfums frais comme des chairs denfants, Doux comme les hautbois, verts comme les prairies, - Et dautres, corrompus, riches et triomphants, Ayant lexpansion des choses infinies, Comme lambre, le musc, le benjoin et lencens, Qui chantent les transports de lesprit et des sens. CHARLES BAUDELAIRE, Correspondances, dans Les Fleurs du Mal, 1857.classopra Opra National de Montpellier CP 2007-2008/ Pellas et Mlisande

Le vers clbre de ce sonnet, Les parfums, les couleurs et les sons se rpondent , donne une dfinition bien connue de la synesthsie, exprience subjective dans laquelle des perceptions relevant d'une modalit sensorielle sont accompagnes de sensations relevant d'une autre. C'est ce titre que le pote des Fleurs du Mal est considr comme un anctre du Symbolisme, mme si d'autres avant lui (Hugo, Nerval) ont exprim leur foi panthiste de cette manire. Pour les Symbolistes en tout cas, l'analogie qu'ils souhaitent voquer entre le monde sensible et l'Ide trouve ici son fondement essentiel. Rimbaud, passant considrable pour Mallarm, avait, dans lune de ses lettres Paul Demeny en 1871, orient la posie vers la recherche d'une langue qui soit de l'me pour l'me, rsumant tout, parfums, sons, couleurs, de la pense accrochant la pense et tirant. Mallarm, qui dclare : La posie est lexpression, par le langage humain ramen son rythme essentiel, du sens mystrieux des aspects de lexistence : elle doue ainsi dauthenticit notre sjour et constitue la seule tche spirituelle , introduit une notion nouvelle dans lesthtique symboliste : celle du dchiffrement, impliquant par l la ncessit dun effort du lecteur pour saisir le sens profond et complexe de luvre. Je crois, me rpondit-il, que, quant au fond, les jeunes sont plus prs de l'idal potique que les Parnassiens qui traitent encore leurs sujets la faon des vieux philosophes et des vieux rhteurs, en prsentant les objets directement. Je pense qu'il faut, au contraire, qu'il n'y ait qu'allusion. La contemplation des objets, l'image s'envolant des rveries suscites par eux, sont le chant : les Parnassiens, eux, prennent la chose entirement et la montrent : par l ils manquent de mystre ; ils retirent aux esprits cette joie dlicieuse de croire qu'ils crent. Nommer un objet, c'est supprimer les trois quarts de la jouissance du pome qui est faite de deviner peu peu : le suggrer, voil le rve. C'est le parfait usage de ce mystre qui constitue le symbole : voquer petit petit un objet pour montrer un tat d'me, ou, inversement, choisir un objet et en dgager un tat d'me, par une srie de dchiffrements. STEPHANE MALLARME, Rponses Jules Huret , journaliste L'Echo de Paris, Enqute sur l'volution littraire, 1891, mene auprs de soixante-quatre crivains. L'article, d'intention et de forme nouvelles pour l'poque, joua un rle important dans la propagation de l'esthtique symboliste et dans l'installation de Mallarm en chef d'cole . Pour les Symbolistes, le monde ne saurait se limiter une apparence concrte rductible la connaissance rationnelle. Il est un mystre dchiffrer dans les correspondances qui frappent d'inanit le cloisonnement des sens. Les sons, les couleurs, les visions participent d'une mme intuition qui fait du pote une sorte de mage. Le symbolisme oscille ainsi entre des formes capables la fois d'voquer une ralit suprieure et d'inviter le lecteur un vritable dchiffrement : d'abord vou crer des impressions - notamment par l'harmonie musicale - un souci de rigueur l'orientera plus tard vers la recherche d'un langage indit. L'influence de Mallarm est ici considrable, qui entrane la posie vers l'hermtisme. Paul Valry, sur qui Mallarm aura une influence importante, se posera en dfenseur du caractre nigmatique de sa langue.

le symbolisme en peintureAprs stre regroups autour dexpriences formelles, les crivains symbolistes chercheront en peinture des artistes dont les aspirations se rapprochent des leurs. Ce courant qui a lev le langage jusqu son essence musicale et symbolique, dborde la seule posie jusqu concerner le champ artistique tout entier. En 1884, Huysmans publie A rebours. Ce roman, qui par lentremise de son hros Des Esseintes, se rclame dcadent et fait place forte Baudelaire, Edgar Allan Poe, Villiers de lIsle Adam, Verlaine et Mallarm, rige Gustave Moreau et Odilon Redon au rang de matres et prcurseurs du symbolisme.

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Aprs s'tre dsintress de l'existence contemporaine, il avait rsolu de ne pas introduire dans sa cellule des larves de rpugnances ou de regrets, aussi, avait-il voulu une peinture subtile, exquise, baignant dans un rve ancien, dans une corruption antique, loin de nos murs, loin de nos jours. Il avait voulu, pour la dlectation de son esprit et la joie de ses yeux, quelques oeuvres suggestives le jetant dans un monde inconnu, lui dvoilant les traces de nouvelles conjectures, lui branlant le systme nerveux par d'rudites hystries, par des cauchemars compliqus, par des visions nonchalantes et atroces. Entre tous, un artiste existait dont le talent le ravissait en de longs transports, Gustave Moreau. JORIS-KARL HUYSMANS, A rebours. Le mouvement prend un rapide essor dans toute lEurope. Les principaux protagonistes franais sont Maurice Denis, Odilon Redon, Pierre Puvis de Chavannes, Edouard Carrire, Maurice Denis, Emile Bernard Paul Gauguin et Gustave Moreau seront aussi rattachs au mouvement. Citons galement les anglais comme Whistler, Rossetti, le norvgien Munch, lautrichien Klimt, le belge Ensor. Les thoriciens du symbolisme pictural sont Paul Srusier, Maurice Denis, Albert Aurier Les cinq rgles que formule le critique Albert Aurier propos de la peinture de Gauguin, dans Paul Gauguin ou le symbolisme en peinture paru dans le Mercure de France en 1891, constituent une synthse claire de lesthtique symboliste, dont les quatre premires peuvent sappliquer galement lart potique : Luvre dart devra tre : premirement idiste, puisque son idal unique sera lexpression de lide ; deuximement symboliste puisquelle exprimera cette ide en formes, troisimement synthtique puisquelle crira ses formes, ses signes selon un mode de comprhension gnral ; quatrimement subjective, puisque lobjet ny sera jamais considr en tant quobjet mais en tant que signe peru par le sujet ; cinquimement luvre dart devra tre (cest une consquence) dcorative, car la peinture dcorative proprement dite, telle que lont conue les Egyptiens, trs probablement les Grecs et les primitifs, nest rien autre chose quune manifestation dart la fois subjectif, synthtique, symboliste et idiste. Si nombre dhistoriens saccordent dire que cette poque est une priode de grand individualisme - constat valid par la grande diversit des productions - ces artistes se regroupent autour de recherches des plus novatrices surtout labores sur les plans thorique et idologique. Le mouvement symbolique pictural semble trouver son inspiration la plus profonde dans lhritage de lart symbolique de la Renaissance, avec les toiles et gravures de Botticelli, Le Printemps, Albert Drer, Mlancolie, Giorgione, LOrage, comme modles spirituels qui adhraient aux mthodes traditionnelles de la symbolisation hrite du Moyen Age.

Cependant, les symbolistes abandonnent lallgorie correspondance unilatrale pour le symbole, ils dlaissent aussi la mtaphore forme close pour la mtonymie qui laisse possible louverture de sens. Ainsi, le mot ou la touche de peinture, devenus symboles, acquirent un pouvoir vocateur qui devient prismatique . Lesthtique dbutant sur le mode de la rfutation de ce qui constituait la base de lexigence classique et nhsitant pas mettre mal les anciens modes de circulation du sens, les diffrentes expressions artistiques se rapprochent. Posie et peinture symbolistes oprent un rapprochement formel en faisant de la suggestivit et de lambigut leur essence mme. La notion de synthse, de correspondance, dtermine un des axes de signifiance du langage symboliste.

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Pierre Puvis de Chavannes, Le rve (1881), Muse dOrsay Quand Le rve de Pierre Puvis de Chavannes est prsent au Salon des artistes franais de 1883, le livret qui accompagne l'exposition prcise le sujet reprsent : "Il voit dans son sommeil, l'Amour, la Gloire et la Richesse lui apparatre." Sous un beau clair de lune, un jeune homme, probablement voyageur comme le laisse supposer le baluchon ses cts, s'est endormi au pied d'un arbre. Trois jeunes femmes lui apparaissent en rve, volant dans le ciel toil : la premire des roses la main voque l'Amour, la deuxime brandit la couronne de laurier de la Gloire tandis que la dernire rpand les pices de la Fortune. Le paysage est voqu dans une grande conomie de moyens. Les formes des diffrentes composantes du paysage sont simplifies l'extrme et deviennent de grandes zones colores en aplat. Puvis de Chavannes utilise une palette rduite, aux tonalits sourdes, que seul le croissant de lune vient clairer. Le peintre reprend dans ce tableau de chevalet, le langage plastique des grandes compositions dcoratives qui firent sa renomme. TEXTE EXTRAIT DU SITE DU MUSEE DORSAY

Gustave Moreau, Salom dansant devant Hrode (1884)classopra Opra National de Montpellier CP 2007-2008/ Pellas et Mlisande

Dans l'oeuvre de Gustave Moreau, conue en dehors de toutes les donnes du Testament, des Esseintes voyait enfin ralise cette Salom, surhumaine et trange qu'il avait rve. Elle n'tait plus seulement la baladine qui arrache un vieillard, par une torsion corrompue de ses reins, un cri de dsir et de rut ; qui rompt l'nergie, fond la volont d'un roi, par des remous de seins, des secousses de ventre, des frissons de cuisse ; elle devenait, en quelque sorte, la dit symbolique de l'indestructible Luxure, la desse de l'immortelle Hystrie, la Beaut maudite, lue entre toutes par la catalepsie qui lui raidit les chairs et lui durcit les muscles ; la Bte monstrueuse, indiffrente, irresponsable, insensible, empoisonnant, de mme que l'Hlne antique, tout ce qui l'approche, tout ce qui la voit, tout ce qu'elle touche. Ainsi comprise, elle appartenait aux thogonies de l'extrme Orient ; elle ne relevait plus des traditions bibliques, ne pouvait mme plus tre assimile la vivante image de Babylone, la royale Prostitue de l'Apocalypse, accoutre, comme elle, de joyaux et de pourpre, farde comme elle ; car celle-l n'tait pas jete par une puissance fatidique, par une force suprme, dans les attirantes abjections de la dbauche. Le peintre semblait d'ailleurs avoir voulu affirmer sa volont de rester hors des sicles, de ne point prciser d'origine, de pays, d'poque, en mettant sa Salom au milieu de cet extraordinaire palais, d'un style confus et grandiose, en la vtant de somptueuses et chimriques robes, en la mitrant d'un incertain diadme en forme de tour phnicienne tel qu'en porte la Salammb, en lui plaant enfin dans la main le sceptre d'Isis, la fleur sacre de l'Egypte et de l'Inde, le grand lotus.

JORIS-KARL HUYSMANS, A REBOURS, CHAPITRE 5.

Fernand Khnopff, Des caresses, ou l'Art, ou le Sphinx (1896) Muses royaux des Beaux-Arts de Bruxelles

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Odilon Redon, Les Yeux clos (1890), Muse dOrsay Les yeux ferms du sommeil ou de la mort voquent le monde intrieur, le rve, l'absence ou l'apparition, thmes fconds chez Odilon Redon, comme il le raconte dans A soi-mme, son journal intime publi en 1922. L'extrme dilution de la peinture la rend presque immatrielle, laissant le grain de la toile apparent. Le buste semble flotter dans un espace que l'artiste laisse indfini. Ce visage fait rfrence aux bustes de la renaissance italienne du XVe sicle, aux marbres de Francesco Laurana en particulier. Il garde aussi sans doute le souvenir de L'Esclave mourant de Michel-Ange, expos au Louvre, qui avait boulevers Redon et dont il avait comment dans son journal le charme trange des "yeux clos". Icne du symbolisme en peinture, c'est la premire oeuvre de Redon entre dans les collections nationales, choisie en 1904 dans l'atelier de l'artiste par Lonce Bndite, le directeur du muse du Luxembourg. TEXTE EXTRAIT DU SITE DU MUSEE DORSAY

James Whistler, Nocturne (1871) Tate Gallery, Londres

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la structure dramatiqueJai voulu que laction ne sarrtt jamais, continue, quelle fut continue, ininterrompue. La mlodie est antilyrique. Elle est impuissante traduire la mobilit des mes et de la vie. Je nai jamais consenti ce que ma musique brusqut ou retardt, par suite dexigences techniques, le mouvement des sentiments et des passions de mes personnages. Elle sefface ds quil convient quelle leur laisse lentire libert de leurs gestes, de leurs cris, de leur joie ou de leur douleur. CLAUDE DEBUSSYDebussy, ayant la phobie du dveloppement discursif, organise son opra en cinq actes, diviss en scnes : - les premier et deuxime actes comportent 3 scnes, - les 3me et 4me actes, 4 scnes, - une seule scne pour le 5me acte. Chaque scne, microcosme se suffisant lui-mme, se droule dans un cadre sonore dfini par une thmatique mlodique et rythmique, se droulant dans un champ harmonique lui appartenant en propre. La fluidit dramatique est ralise par des interludes reliant les scnes entre elles. Lors de la cration de 1902, Debussy a amplifi la dure des interludes afin de permettre les changements de dcors. Ils prolongent latmosphre de la scne prcdente, la commentent et introduisent le climat de la scne suivante, en une sorte de mditation pianistique accdant ainsi la dimension du sacr. Un cabinet destampes qui provoquent une sensation dextase et dintemporalit. JEAN BARRAQUE. Si Verlaine a voulu dans ses pomes de la musique avant toute chose , Debussy veut de la fluidit avant toute chose . Il expulse la forme par numros, pas de symtrie formelle, pas de divertissement, pas de ballet. Seule deux pages peuvent se donner indpendamment de la reprsentation : La Lecture de la lettre , acte I, sc.2 et La Chanson de Mlisande , acte III, sc.1. La technique dramatique traditionnelle, base sur la succession de tensions et de dtentes, est transpose ici dans la juxtaposition de scnes de plus en plus charges de densit dramatique, suivant les trajectoires divergentes du couple Pellas-Mlisande et de Golaud et de scnes lumineuses comme la scne de la fontaine, celle de la tour. Elle aboutit lenchanement, au 4me acte de la 3me scne ( Une fontaine dans le parc ), scne denfance, celle dYniold et de la 4me scne, dernire rencontre de Pellas et de Mlisande toute de tension, qui se termine par le meurtre de Pellas. GENEVIEVE DELEUZE

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sous le signe du verseauDeb le rapt de DebussyLe livret nest pas un livret mais une pice de thtre que Debussy sapproprie en effectuant quelques coupures. Il supprime : toutes les scnes faisant intervenir des servantes et des domestiques, la phrase de Golaud, la sortie des sous terrains qui, voyant passer un troupeau de moutons, dit : On dirait quils sentent dj labattoir. Cette phrase claire la rponse du berger la question dYniold : Pourquoi ne parlent-ils plus ? , Parce que ce nest pas le chemin de ltable , le chemin, pris par les mouton, est celui de labattoir.

Ces coupures nont aucune incidence sur la structure dramatique. Quelques annes plus tard, Richard Strauss agira de la mme manire avec la Salom dOscar Wilde.

un climat ensorcellantLinspiration de Debussy est troitement lie aux trois grands points de repre de lhistoire du mouvement symboliste : les Romances sans paroles de VERLAINE, Laprs-midi dun faune de Laprs MALLARME, et, bien sr, Pellas et Mlisande de MAETERLINCK. Attise par les lectures dEDGAR ALLAN POE, elle se rattache aux phnomnes du rve, qui viennent dtre tudis par Freud : Jai t chercher la musique derrire tous les voiles quelle accumule , Jai peur ! Il me faut des choses si profondes et si sres ! . Les thmes favoris du symbolisme sont bien l, dans ce drame : le destin, la fatalit joue le rle principal, invisible et prsent entre le ralisme humain, lanecdote, la magie de la lgende et du rve. Debussy disait que le signe du verseau (verse eau) domine lhoroscope de Pellas et Mlisande, verseau reprsent dans les anciens atlas comme un beau jeune homme rpandant leau dun vase. Lombre, le non-dit , enveloppe lopra, ombre de la fort que redoute Golaud, ombre du chteau. Il fait sombre dans les jardins Il y a des endroits o lon ne voit jamais le soleil Nous cherchions la clart Ici il fait un peu plus clair quailleurs. La fontaine des aveugles est place sous un tilleul o le soleil nentre jamais . Mme au plein midi qui inonde de soleil la terrasse du chteau, tout le monde se rfugie du ct de lombre et Debussy fait rsonner des accords qui plombent cette scne comme les soleils noirs de la mlancolie , quelque chose de gris, humide et lourd, de quoi dprimer un chne . (CLAUDE DEBUSSY Lettres) Dans ce chteau trs vieux et trs sombre , la premire femme de Golaud est morte, le pre de Pellas y agonise et Pellas reoit lannonce de la mort prochaine de son ami Marcellus. Chteau vnneux o lon y remue des catastrophes. Vnneuse aussi cette fontaine aux eaux magiques qui gurissaient jadis les yeux des aveugles et vont tenter maintenant douvrir ceux de Golaud. Bref, un climat proche dHamlet sans la dimension politique nanmoins. Hamlet, Hamlet

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les symbolesDs la premire scne, lopra introduit trois des symboles du drame de Maeterlinck.LEAU

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leau de la mer qui est calme maintenant mais o il y a des temptes toutes les nuits , dont les marins ne reviennent pas , leau courante de la fontaine au fond de laquelle brille la couronne de Mlisande, celle de la fontaine des aveugles , leau immobile de la scne de la grotte : Pellas et Mlisande marchent sur un troit sentier entre deux lacs dont on na pas trouv le fond , souterrains, leau stagnante des souterrains porteuse de miasmes mortels sentez-vous lodeur de mort qui monte .

Cette eau, de la mer, des fontaines, des souterrains, eau du verseau , cest le destin quinvoque Arkel. LA MAIN rclame et refuse, qui sera accorde Pellas. LA CHUTE, chute de la couronne, chute de la chevelure. La premire scne de lacte II introduit le symbole de LAVEUGLEMENT DE LHOMME DEVANT SON DESTIN, complt par celui de LA PORTE, fondamental dans luvre de Maeterlink (voir La Princesse Maleine), dabord au IIIme acte, scne 4 Je suis ici comme un aveugle qui cherche son trsor au fond de locan . Le symbole de la porte ferme, cest celui de laventure humaine aboutissant la mort. La fermeture des portes du chteau annonce la mort des deux jeunes gens. LE SYMBOLE DE MIDI : Je suis ne un dimanche, un dimanche midi , znith du ciel, centre du jour, commencement dun autre dclin. Cest midi que le dieu Pan fait natre ces mystrieuses terreurs quon appelle paniques et qui nont jamais de raisons particulires. Cest un dimanche midi que les tarentules, araignes fictives, piquent les femmes (Mlisande, Sorcire de midi , titre dun pome symphonique de Dvorak inspir par un conte bohmien). LA CHEVELURE, symbole de sduction fminine (Baudelaire), mais aussi instrument de torture (acte IV, sc3). Le compositeur tait tel point hant par le besoin de doubler la ralit par des symboles que, pour lacte final, il avait pens un moment mettre sur scne un ensemble instrumental afin dobtenir une mort de toute sonorit , mtaphore de la mort de Mlisande. Parmi ces symboles, deux correspondent aux propres sources dinspiration de Debussy, celui de la chevelure, titre de la deuxime des Chansons de Bilitis, La Chevelure , mise en musique des pomes de Pierre Lous (1797-1798), leau ou plutt la mer dans laquelle ondulent les Sirnes, 3me de ses Nocturnes pour orchestre (1897-1899). Debussy, rod lcriture de la mouvance, grce Pellas, crera le premier chef-duvre de la musique du XXe sicle, La Mer (1905). GENEVIEVE DELEUZE

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la thmatiqueles fils dariane

Lamour, la jalousie, la violence, la maldiction, le meurtre, tous les ingrdients dun drame romantique sont l. Dans ce thtre de la peur et de la cruaut , Debussy, allergique au thtre lyrique de son temps, fait avancer lentement laction dans une atmosphre feutre, trouble, vnneuse, sous tension. Il se plie, pour cela, la ncessit de caractriser les personnages et latmosphre des scnes par des thmes adoptant le systme wagnrien du motif conducteur. Lcriture est construite partir de trois lments thmatiques essentiels qui pousent la rgle de la mouvance, changeant de couleur, de configuration rythmique, suivant le climat dramatique du texte. Aucun nest chant. Cette thmatique ne concerne que la partition de piano.

un thme datmosphre, dmoi, dindcision, d tat flottant , dincertitude.

Cette srie doscillations autour daccords conscutifs pourrait bien tre la griffe de Pellas. Sournois, il surgit ds lentre de Golaud, dans le grave extrme puis apparat, quelques mesures avant que Mlisande accepte de suivre Golaud (Acte I sc1), revient aux bois la fin de lacte I, lorsque le vent se lve. Il est repris lorsque Mlisande, au chevet de Golaud, lui dit quelle vient enfin de voir le ciel pour la premire fois. Il assure la continuit avec la scne suivante, est rentendu la sortie des souterrains, des deux frres, interrompu de silences, haletant nonc aux cors aprs que Golaud a ordonn Pellas dviter Mlisande. Il revient sous forme de trilles dans un tempo rapide en prlude de lActe IV. Mozart a us dune formule analogue dans Cosi fan tutte (Acte I sc 6) comme accompagnement du terzettino Soave il vento ainsi que Moussorsky dans Boris Godounov, ds le prlude.

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le thme de golaud

Ce thme dit de Golaud est tabli sur une harmonie de quinte augmente. Cest un thme de tension, dhsitation qui fait alterner des cellules rythmiques varies mais proches. Lintensit de sa prsence crot avec langoisse de Golaud et la tension dramatique. Expos ds le premier prlude, il accompagne lentre de Golaud, puis son dpart avec Mlisande. Il est lun des lments essentiels des deux interludes du premier acte, tout en demeurant dans une certaine neutralit. On lentend au cours de linterlude qui suit la scne de la fontaine (Acte II sc 1). Il le conclut par une progression ascendante qui dbouche sur la premire scne violente de lopra, celle de la chambre de Golaud (Acte II sc 2) Dans linterlude qui prcde la mort de Pellas, il est conduit par un molto crescendo un puissant ff.

le thme de mlisande

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Le thme de Mlisande est le plus volutif des trois, plus dramatique que le thme II. Ds son exposition au cours du prlude de lActe I, il subit plusieurs transformations alors que le thme de Golaud revient toujours identique lui-mme. Motif de cette trange-trangre il acquiert une prsence motive intense lors de linterlude qui spare les scnes 1 et 2 de lActe III, aprs la scne de la tour . Au IVme acte, lorsque Golaud ne matrise plus ni sa douleur ni sa violence et fait subir une sorte de rythme sacrificiel Mlisande, la tirant par les cheveux, il devient blessure et dsespoir. Aprs la mort de Mlisande, au Vme Acte, ces trois lments thmatiques runis et jous dans une sonorit douce et voile jusqu la fin et toujours trs calme (C. Debussy) installent, alors une srnit, amre, dsabuse, mais srnit tout de mme, totalement absente de luvre jusqu ce moment. Le principe du leitmotiv wagnrien perd ds lors toute sa rigidit de poteau indicateur , pour se plier la mouvance humaine du drame. Lvolution de ces trois lments thmatiques traverse chaque scne, tel un paysage, profile chacune par un thme de scne dont le propre est bien sr dtre phmre.

les thmes de scnes selon Maurice Emmanuel

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Czanne, Dans le parc du Chteau Noir (vers 1900) Muse de lOrangerie, Paris

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les sortilges de lcriture

La musique est un art libre, jaillissant, un art de plein air, un art la mesure des lments, du vent, du ciel, de la mer. Debussy Ds 1893, sous le choc de la rencontre de la pice de Maeterlinck, Debussy entreprend dcrire une premire version chant-piano, quil termine en 1895, avec laquelle il fait la manche dans les salons parisiens. pianoCette version piano-chant nest pas une transcription mais la version dorigine qui met en lumire une criture en clair-obscur : fluidit du rythme, harmonie irise, dclamation vocale ondulante, dans lesprit de la musique de chambre. Demble, Debussy rejette limpact immdiat et le magntisme de la voix humaine (Pierre voix Boulez). Cest au piano quil confie la responsabilit de la conduite dramatique. Le rle du piano est essentiel, totalement autonome par rapport la voix. Il parle au-del du texte chant, dvoilant ce qui est tu. Le flux et le reflux entre le ralisme douloureux de Golaud et le rve damour de Pellas trouve son quivalence dans une criture que Pierre Boulez compare au mouvement de la griffe dun flin tour tour, imprvisiblement, rentre et sortie. Cette sensation de libre improvisation, dinspiration instantane est, en fait, le rsultat dune criture incroyablement prcise.

lcriture rythmiquela fluiditLa fluidit des tempi est une constante de lcriture de Pellas qui vit au gr des mouvances de laction dramatique, de lerrance des sentiments des personnages. Cest une fluidit contrle associant un tempo parfaitement dfini pour chaque scne un rubato de linstant. Dautre part, le tempo de chaque scne sinscrit dans une progression lchelle de la partition, accusant les trajectoires divergentes de la rvlation de lamour de Pellas et la transformation de langoisse de Golaud en violence.

une dialectique de la dureDebussy introduit une dialectique de la dure qui exclut toute nbuleuse : le prlude du 1er acte est construit sur huit cellules rythmiques diffrentes. La fluidit du discours nat de la succession de ces mtres proches les uns des autres.

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Le discours musical avance avec le texte dont il accuse le sens. Lmotion croissante des deux amoureux dans la scne de la tour provoque de frquents changements de rythme. Cest sur un dernier temps, comme trangle, que Mlisande scrie Cest Golaud . La mesure, prcdemment en 4/4, revient brutalement 3/4 et cest sur un demi-temps avant la barre de mesure que Golaud intervient : Que faites-vous ici ? . La dislocation rythmique atteint son paroxysme dans les derniers instants que Pellas et Mlisande passent ensemble (acte IV, scne IV). Cette tension crot jusquau meurtre de Pellas. Dans la scne prcdente, au contraire, le 4/4 demeure constant tandis quYniold joue tout seul prs de la fontaine : Debussy mnage ici un instant de calme qui a pour consquence dexacerber langoisse.

le silenceDebussy maintient une tension continue mais souple en mnageant des silences entre les phrases : un accord de piano vient interrompre, au milieu dune mesure, lun des rares moments de lyrisme de Golaud : Acte II, scne 2. Le piano se tait et lon entend seulement lexclamation de Golaud tiens . Le 12/8 se contracte en 4/4 et le premier temps de cette mesure est encore un silence. Etonnement de Golaud et embarras de Mlisande : nouveau changement de mesure (3/4) soulign par un accord du piano dans le registre grave qui contraste violemment avec cet instant de silence. Lorganisation rythmique des silences et des interventions du piano travaille au scalpel limpact dramatique de ces cinq phrases qui dclenchent la mise en route du drame. On est ici loppos de tout rve impressionniste. Cette criture dcoupe au laser le non-dit suggr par chaque mot du texte, a lapparence dune improvisation fluide et se meut entre les mirages dun conte et le ralisme dun thtre de la peur et de la cruaut (ANDRE SCHAEFFNER).

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lharmonieLa fluidit du langage harmonique est extrme, surfe sur la tonalit.

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Je ne crois plus votre do, r, mi, fa, sol, la, si, do. Il ne faut pas lexclure mais lui donner de la compagnie, depuis la gamme six tons entiers jusqu la gamme vingt et un degrs. Il faut user copieusement de lenharmonie, mais aussi distinguer un sol b dun la #. La musique nest vingt demini majeure, ni mineure, avec les vingt quatre demi-tons contenus dans loctave, on a toujours sa disposition des accords ambigus qui appartiennent trente cinq tons la fois. A plus forte disposeraison dispose-t-on daccords incomplets, dintervalles indtermins, encore plus flottants. De sorte quen noyant le ton, on peut toujours sans tortuosits aboutir o lon veut, sortir et rentrer par telle porte que lon prfre. CLAUDE DEBUSSY Lharmonie oscille entre la tonalit et les modes avec une ambigut qui masque dans de nombreuses pages lidentification mme de la tonique ; cest ce quvoque la dernire scne de lacte IV, dernire entrevue entre Pellas et Mlisande o la tonalit balance entre do M et fa # M, de manire ce que lon entende simultanment les notes caractristiques des deux tonalits. Ds le prlude initial de Pellas, cette volont de noyer le ton est l. Les quatre premires mesures sont en r modal, harmonis de quintes vide . Ce mode sexprime dans une chelle pentatonique qui laisse rgner le doute en ce qui concerne la qualification du mode : dorien avec si bcarre ou olien avec si b. Ainsi Debussy, ds les premires mesures, installe ce climat trange dincertitude et de ferie lointaine dans lequel le drame va se drouler. Dans les mesures suivantes, le compositeur passe de lchelle pentatonique lchelle hexatonique. Harmonise r mineur, lomission du VIme degr maintient lincertitude. Les mesures 5 et 6 introduisent le thme de Golaud tabli sur la gamme par tons dont le propre est de noyer le ton ; laccumulation verticale de quartes et quintes augmentes, le balancement rpt des broderies provoque une sensation de statisme instable qui soppose limmobilit des quatre premires mesures. Le la b tenu de la mesure 7 prolonge limpact acide de la gamme par tons, amplifie le sentiment dangoisse attach aux intervalles augments. Les mesures suivantes, devenues plus amres par larrive de septimes majeures et mineures, reviennent la stabilit des premires mesures. Les mesures 12 et 13 transposent le thme de Golaud sur une double pdale sib-fa. Le balancement demeure, mais le sentiment de stabilit prend le dessus par la prsence de cette double pdale de quinte sur laquelle repose la broderie dun accord parfait de sixte ajoute. Les mesures 15 et 16 mettent en conflit le motif stable, ttratonique, de Mlisande, seul personnage savoir , avec une harmonie instable base sur la gamme par tons incomplte, celle de Golaud aveugle , (il manque le do et le fa#) sur une pdale de si b, prsente dans les deux mesures prcdentes. La permanence de cette pdale de si bmol sur six mesures suggre larrive dun mi bmol majeur. Or, mobilit encore, cest le ton de r qui simpose avec une pdale de la, dominante, amenant la cadence imparfaite en r. Ltude de la mobilit des basses autour de ples fixes cerne cette mouvance. Se droule des mesures 1 18 une ample trajectoire allant de la tonique la dominante avec drapages, lun vers une dominante abaisse, dprime ton plus bas, la b (mesure 5-7), lautre vers une dominante hausse, exalte , un ton au-dessus, si b (mesure 12-17), avant de fixer la vraie dominante la conduit la cadence imparfaite : cest le parcours mouvant de Pellas entre cruaut et ferie, aboutissant la certitude de la mort et de la naissance cest au tour de la pauvre petite .

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On a entendu au dbut du prlude ces accords dpourvus de tierces voquant un ailleurs et langoisse de linconnu. Ce sont aussi des harmonies simples en noires rgulires qui soutiennent au Vme acte le Est-ce vous Golaud ? de Mlisande ainsi que la phrase dArkel Il ne faut plus linquiter .

Les progressions harmoniques, drives du principe de la marche harmonique, peuvent provoquer un sentiment de malaise : une succession daccords de septime, neuvime, onzime illustre la perte sans espoir de lanneau de Mlisande (scne de la fontaine). Elles sont aussi utilises dans un but descriptif : quatre accords en quatre tonalits diffrentes. Do M, si M, la M, fa mineur scartent par mouvement contraire, dcrivant les cercles concentriques provoqus par la chute de la bague, puis vont mourir, iriss dans le ton de R Majeur.

Ils accomplissent une trajectoire inverse, ascendante dans laigu, descendante dans le grave, au IIme acte sur les mots il est trs froid et trs profond et tous ceux qui lhabitent sont dj vieux ( propos du chteau dAllemonde), au IVme sur la phrase on dirait que les anges du ciel y clbrent un baptme provoquant une sensation de vertige dampleur sans limite.

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Je suis ici comme un nouveau-n perdu dans la fort (le fa), l, cest une note trangre lharmonie, isole, qui rsonne dune douleur sourde.

La tonalit, toujours prsente, est faite pour se troubler sans cesse et cest l lun des facteurs essentiels de ce climat dincertitude du drame. Ce quon pourrait souhaiter de mieux la musique franaise, cest : de voir supprimer ltude de ltude lharmonie telle quon la pratique lcole et qui est bien la faon la plus solennellement ridicule dassembler des sons. CLAUDE DEBUSSYclassopra Opra National de Montpellier CP 2007-2008/ Pellas et Mlisande

lcriture vocaleLe drame de Pellas qui, malgr son atmosphre de rve, contient beaucoup plus dhumanit soique les soi-disant documents sur la vie me parut convenir admirablement ce que je voulais faire. Il y a l une langue vocatrice dont la sensibilit pouvait trouver son prolongement dans la musique et le dcor orchestral. CLAUDE DEBUSSY (texte concernant la version de 1902) Maeterlinck a travaill aux confins de la posie et du silence, au minimum de la voix, dans la sonorit des eaux dormantes. GASTON BACHELARD Il est vrai que les personnages, suivant les conventions sociales de la vie des salons bourgeois du XIXe sicle, ne prononcent jamais un mot plus haut que lautre, except Golaud. Cette langue vocatrice, cest celle de tous les jours : Donnez-moi la main , pourquoi partezvous ? pour laquelle Debussy veut avant tout, lintelligibilit du texte et considre que la langue franaise ne peut que difficilement se prter aux lans lyriques. Dj, Jean-Jacques Rousseau avait pens quil fallait trouver notre langue un style rcitatif appropri. chante Le meilleur rcitatif est celui o lon chante le moins Il doit rouler entre de fort petits intervalles, nlever ni abaisser beaucoup la voix. Peu de sons soutenus, jamais dclat, encore moins de cris, rien qui ressemble au chant, peu dingalit dans la dure ou valeur de notes ainsi que dans leurs degrs. JEAN-JACQUES ROUSSEAU Ces thories avaient t discutes dans la classe de Bourgault-Ducoudray pendant les annes dtudes de Debussy qui, dautre part, abhorrait le style lyrique de son poque un point tel quavant la premire reprsentation il demanda ses interprtes doublier quils taient chanteurs ! Donc, plus dopposition entre les priodes dramatiques (les rcitatifs) et lyriques, mais une continuit vocale qui volue dans un espace restreint, vitant les tessitures extrmes o risqueraient de se perdre la comprhension du texte, les intervalles disjoints, les sauts de registres et qui privilgie une progression par mouvement conjoint. Lmotion napparat que de faon trs retenue et dpend de linterprtation du chanteur Jamais fige dans une direction donne, lcriture vocale reste mouvante et indtermine, reflte ltat desprit mais non ltat dme des personnages. Il ne sagit pas encore dtat dme, les passions ne fermenteront que plus tard. CLAUDE DEBUSSY Le chant est monosyllabique, colle la prosodie et au rythme particulier de chaque phrase, dans un ambitus qui dpasse rarement une octave et demie, sans saut vers laigu, voluant dans les registres moyens. Cette criture vocale renoue avec le recitar cantando des premiers compositeurs dopra : Peri, Monteverdi, Caccini. Mais ici la partie vocale est absorbe, distille par lcriture musicale. Debussy sest empar du texte un point tel que toute dissociation voix-piano est inconcevable. De fait, la ralisation musicale que donne Debussy de la prose de Maeterlinck, prose de courte haleine, sans emphase, reproduit le discours de ces personnages qui sondent une ralit insaisissable, ferme, sabstient de toute vocation de caractre motionnel et pourtant