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METTRE LA FINANCE AU SERVICE DE LA SOCIÉTÉ Numéro spécial Avec le concours de Stefan Ambec Edouard Challe Patricia Crifo Christian Gollier Sylvaine Poret Jean Tirole DE L’ILB CAHIERS LES SEPTEMBRE 2011 N°4

CAHIERS - FDIR · Patricia Crifo et Christian Gollier Directeurs scientifiques de la Chaire FDIR Publication de l'Institut Louis Bachelier Palais Brongniart 28 place de la Bourse

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METTRE LA FINANCE AU SERVICE DE LASOCIÉTÉ

Numéro spécial

Avec le concours de Stefan AmbecEdouard ChallePatricia CrifoChristian GollierSylvaine PoretJean Tirole

DE L’ILBCAHIERSL E S

SEPTEMBRE 2011

N°4

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LES CAHIERS DE L’ILB - 2

Valorisation et diffusion de la recherche

■ Prix de la recherche en Finance en partenariat avec l’InstitutEuroplace de Finance (EIF).

■ “Les Cahiers de l’ILB” font découvrir quelques-uns des travaux de recherche des chaires. Les chercheurs y présententleurs résultats dans un langage accessible à un large public.Faire partager les enjeux de la r echerche à tous ceux qui s’intéressent à la finance, tel est l’objectif des Cahiers de l’ILB.

■ Portail “Recherche en Finance” en partenariat avec l’AGEFI :celui-ci a pour vocation de diffuser et de vulgariser les travauxde chercheurs sous forme d’une interview de présentation etd’explication (http://www.agefi.fr/dossiers/recherche-finance.aspx).

■ Partenariats presse : L’Institut Louis Bachelier fournit régu-lièrement des articles au comité de rédaction de revues tellesque Revue Banque, Revue Risques et Bank Market Investors(BMI).

■ Réseau communautaire en ligne de cher cheurs pour l’industrie financièrewww.e-fern.org

Création d’équipes scientifiquesd’excellence

■ Coopération avec des universités et centres de rechercheeuropéens, américains et asiatiques positionnant l’ILBcomme un carrefour international pour la recherche en banque,finance et assurance.

■ Contribution et soutien à l’émergence de pr ogrammesde recherche en lien direct avec l’industrie financière : 25 chaires et initiatives de recherche ont été créées sous l’égidede l’Institut Europlace de Finance (EIF) et de la Fondation duRisque (FDR) depuis 2007.

■ Montage de projets de recherche multidisciplinaire : L'ILBmutualise son expertise en matièr e de partenariats publics/privés au service des chaires et initiatives de recherche afin defaciliter la gestion des projets de recherche.

Espace de réflexion et de débats à l’échelleeuropéenne

■ Le Forum International des Risques Financiers : cette manifestation a pour objectif de présenter, chaque année, lesmeilleurs travaux de recherche internationaux et de dialoguer,par le biais de débats et de tables rondes, sur les préoccupationsdes acteurs financiers.

■ Les Semestres Thématiques : organisés sous forme deconférences, de séminaires et de cours, les semestres théma-tiques visent à favoriser les échanges entr e académiques etprofessionnels sur une problématique commune.

■ Les Ateliers Thématiques : répondent à la volonté de confronterles chaires de recherche à un questionnement de la profession.

■ Le Job Market Européen de la recherche en finance :cette manifestation annuelle vise à mettr e en relation les jeuneschercheurs doctorants, post-doctorants français et internationauxavec les universités et les professionnels français et européens.

Promouvoir, partager et éclairer sur les enjeuxde la recherche française en banque, finance et assurance

www.institutlouisbachelier.org

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Innovation environnementale et profitabilitéLES GAINS COMPENSENT-ILS LES COÛTS ASSOCIÉS ?

Par Stefan Ambec

Aux sources de la Responsabilité Sociale des EntreprisesDES MOTIVATIONS INDIVIDUELLES COMPLEXES

Par Jean Tirole

Commerce équitable en grande surfaceMYTHES ET RÉALITÉS

Par Sylvaine Poret

Responsabilité Sociale des EntreprisesCOMBINER LES PRATIQUES POUR AMÉLIORER

LA PERFORMANCE

Par Patricia Crifo

ActualisationCOMBINER FINANCE ET DÉVELOPPEMENT DURABLE

Par Christian Gollier

Secteur financierUNE RESPONSABILITÉ SOCIALE LIMITÉE ?Par Edouard Challe

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LES CAHIERS DE L’ILB - 3

éditoL’émergence d’enjeux planétair es tels que le réchauf fement climatique, l’énergie nucléaire, ou les conditions de travail dans lesentreprises délocalisées, appelle des solutions globales. A côté desrégulations internationales, l’investissement socialement responsable(ISR) peut s’avérer utile pour favoriser un développement plus durable :les décisions des investisseurs socialement responsables se fondentsur la santé financière des entreprises mais aussi sur l’évaluation de leurs politiques environnementales, sociales et de gouvernance (critères ESG). L’objectif est d’obtenir des r endements financiersadéquats jusque dans le long terme et d’inciter les entr eprises à internaliser les effets qu’elles exercent sur l’environnement, leurs salariés et les autres parties prenantes.

Aujourd’hui, l’ISR occupe une place significative sur les mar chés financiers. Pourtant, il n’existe pas encore de consensus concernantles techniques de sélection d’actifs composant les portefeuilles socialement responsables, la finalité de l’ISR et son impact sur lefonctionnement de nos économies, ou encore les décisions d'investis-sement responsable pour les entreprises. Ce constat est en flagranteopposition avec l’impressionnant corpus d’outils quantitatifs d’évalua-tion développé depuis près de 50 ans en théorie financière.

La création en 2007 de la Chair e FDIR a constitué une réaction appropriée à ce déficit de fon dements académiques. Dirigée parChristian Gollier et Patricia Crifo, la chaire FDIR réunit les équipes derecherche interdisciplinaires de l’IDEI–Toulouse School of Economicset du département d ’économie de l’Ecole Polytechnique. Grâce à l’impulsion de l’Association Française de Gestion financière (AFG), lestravaux de la chaire bénéficient du soutien d’une quinzaine de sociétésde gestion. Ce soutien se traduit en particulier par des collaborationsavec les praticiens pour identifier les thèmes de recherche pertinentset permet de resserrer les liens entre la recherche académique et lespréoccupations des acteurs de l’industrie financière et des entreprises.

Les thèmes de recherche de la chaire FDIR, consultables sur le sitede la chaire http://www.idei.fr/fdir/, sont par exemple, la mesure ducaractère socialement responsable des actifs financiers, la performancefinancière de l’ISR, et l’impact de l’ISR sur le comportement des entreprises.

Le soutien de ses partenaires a permis à la chaire FDIR de se déve-lopper en recrutant des chercheurs de niveau inter national et en organisant de nombreuses conférences tournées vers les chercheurset les professionnels. Ses travaux ont commencé à porter leurs fruitscomme en témoigne ce cahier qui présente quelques-unes des réflexions menées par les chercheurs de la chaire.

Patricia Crifo et Christian Gollier

Directeurs scientifiques de la Chaire FDIR

Publicationde l'Institut Louis BachelierPalais Brongniart28 place de la Bourse75002 ParisTél. : 01 49 27 56 40www.institutlouisbachelier.orgwww.e-fern.org

DIRECTEUR DE LA PUBLICATIONJean-Michel Beacco

CHEF DE PROJETSCyril Armange assisté de Christelle Thomas

RÉDACTEUR EN CHEFMedhi Ramdani

[email protected]

CONTRIBUTEURSChaire Finance Durable et Investissement Responsablehttp://www.idei.fr/fdir/

CORRESPONDANT CHAIRECarlos Pardo [email protected]

CONCEPTION GRAPHIQUEVega Conseil45 rue Garibaldi 94100 Saint MaurTél. : 01 48 85 92 01

COUVERTURECaléis62 avenue de l’Europe 78140 VélizyTél. : 01 39 46 16 71

RÉALISATIONBusiness Digest19 rue Martel 75010 ParisTél. : 01 56 03 55 91

IMPRIMEURIRO : Z.I. rue Pasteur 17185 Périgny cedexTél. : 05 46 30 29 29

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Sponsors et Partenaires de la Chaire

Finance Durable et Investissement Responsable

Asset Management

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BIOGRAPHIE

Stefan Ambec

Directeur de recherche INRA au LERNA

(Laboratoire d’Économie des

Ressources Naturelles), chercheur

à la Toulouse School of Economics

et membre de l’Institut d’Économie

Industrielle (IDEI) de Toulouse, Stefan

Ambec est aussi professeur invité à

l’Université de Göteborg. Il a obtenu

un Ph. D. en sciences économiques à

l’Université de Montréal. Ses travaux

portent sur l’économie des ressources

naturelles et de l’environnement et

l’économie industrielle, en particulier

sur l’impact des politiques

environnementales et sur le partage

de l’eau.

[email protected]

Innovation environnementaleet profitabilitéLES GAINS COMPENSENT-ILS LES COÛTSASSOCIÉS ?

LES CAHIERS DE L’ILB - 4

A RETENIR

■ D’après l’hypothèse de Porter, les gains de productivité ou de partsde marché dépasseraient souvent les coûts supportés par les pollueurs pour se conformer à la réglementation environnementale.

■ Les opportunités d’améliorer à la fois la performance environnementaleet la performance économique des firmes sont nombreuses.

■ Mais tant les analyses théoriques que les travaux empiriques semblentindiquer que les innovations dues à des politiques environnementalesplus exigeantes, si elles favorisent l’innovation et améliorent la performance environnementale des entreprises, ne compensent passystématiquement l’ensemble des coûts liés au respect de ces politiques.

En s’appuyant sur une enquête unique, Stefan Ambec et ses coauteursapportent un éclairage nouveau sur l’hypothèse de Porter, selon laquelledes réglementations environnementales strictes peuvent favoriser lesinnovations et ainsi améliorer le profit des industries qui y sont soumisesgrâce à des gains de productivité. Ils confirment cependant que celle-cirelève plutôt de l’exception que de la règle ! Les investisseurs sociale-ment responsables ont donc un rôle difficile mais important à jouer dansla sélection des entreprises pour lesquelles innovation environnementalerime avec profitabilité.

D’après un entretien avec Stefan Ambec et son article “EnvironmentalPolicy, Innovation and Performance: New Insights on the Porter Hypothesis”(Journal of Economics and management Strategy, Volume 20, n° 3,Automne 2011) coécrit avec Paul Lanoie(1), Jérémy Laurent-Lucchetti(2)

et Nick Johnstone(3).

La protection de l’envir onnement se fait-elle au détriment de la performanceéconomique pour les entreprises ? Cettequestion est pertinente en matière d’in-vestissement socialement responsable(ISR). Si la réponse s’avère positive, alorsune bonne performance environnemen-tale est un signe de faible r endementpour les actifs de l’entreprise. Si elle estnégative, alors performances environne-

mentale et financière sont complémen-taires. La responsabilité environnementalemène ainsi à une meilleur e valorisationde l’entreprise. En identifiant ces com-plémentarités, les fonds ISR n’ont pas à sacrifier le rendement pour contribuerà améliorer l’environnement mais, aucontraire, développent une stratégie “gagnante-gagnante” !

(1) HEC Montréal(2) Université de Berne et Oeschger Center for Climate Change(3) OCDE

http://www.idei.fr/fdir/

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R e c o m m a n d a t i o n spour les pouvoirs publics

■ Favoriser l’innovation comme réponseà la contrainte environnementale pardes réglementations environnementalesplus exigeantes mais flexibles pour lesentreprises, c'est-à-dire reposant surdes instruments économiques commeles taxes ou les permis échangeables.

■ Favoriser l’investissement dans lesnouvelles technologies vertes notam-ment par le biais du développement del’ISR et du transfert de technologiesliées à l’environnement.

LES CAHIERS DE L’ILB - 5

Une manière d’aborder la question estde tester ce qu’il est commun d’appelerl’hypothèse de Porter. Selon cette hypo-thèse, mise en avant par Michael Porter,professeur de management stratégiqueà l’Université d’Harvard, des régulationsenvironnementales plus strictes maisflexibles, en favorisant l’innovation, peu-vent amener à des gains de productivitéqui font plus que compenser le coût ini-tial de l’investissement dans la nouvelletechnologie. “L’hypothèse de Porter aconnu un grand succès dans le débatpolitique, notamment aux Etats-Unis, carelle réfute l’idée selon laquelle la protec-tion de l’environnement ne peut se fairequ’au détriment de la croissance écono-mique, explique Stefan Ambec. Mais ellea aussi été fortement contestée par leséconomistes dans la mesur e où elleremet en cause le paradigme de maximi-sation des profits sur lequel r epose la rationalité des entreprises.” En effet, s’ilest possible d’accroître les profits desentreprises réglementées, cela signifiequ’il existerait systématiquement des opportunités de pr ofits ignorées en l’absence de cette réglementation.

Un sujet qui prête à débat

Cette controverse a donné naissance àune abondante littérature économiquesur les fondements théoriques qui pour-raient sous-tendre l’hypothèse de Porter.Stefan Ambec et Philippe Barla en ontd’ailleurs proposé une revue critique en2007 et concluent que l’hypothèse n’estcompatible avec l’hypothèse de rationalitédes firmes qu’en présence d’une imper-fection de marché (en plus du problèmed’externalité négative que constitue lapollution). Parmi les imperfections demarché qui mènent à une situation com-patible avec l'hypothèse de Porter, men-tionnons les asymétries d'information au sein de la firme (ou sur ses marchés)ou encore le fait qu’une innovation a uncaractère de bien public. La réglementa-tion environnementale peut avoir poureffet de réduire l'inefficacité due à l'im-perfection de marché considérée (en plusde celle liée à la pollution) au bénéfice detous, y compris les firmes qui y sont sou-mises.

Il existe ainsi plusieurs cir constancesdans lesquelles une meilleure performanceenvironnementale, suscitée ou non parla réglementation, peut être bénéfique àl’entreprise. Dans un article publié en2008 avec Paul Lanoie, Stefan Ambecsuggérait, par exemple, sept canaux parlesquels une meilleure performance envi-ronnementale peut accroître les bénéficesou réduire les coûts : l’accès à de nouveaux

marchés, une meilleur e différenciationdes produits, la diversification des acti-vités à la vente de technologies liées àl’environnement, la baisse des coûts réglementaires, la diminution des entrantsde production tel que l’énergie, une plusgrande attractivité sur le mar ché du travail et un meilleur accès au capital vianotamment l’ISR.

Une approche plus globale

De nombreux travaux ont égalementconsisté à tester empiriquement l’hypo-thèse de Porter. De cette littérature ana-lysée par Stefan Ambec et Paul Lanoieen 2008, ressortent deux approches : lapremière conclut à un lien positif, maisparfois faible ou nul, entr e l’intensité dela réglementation environnementale etl’innovation ; la deuxième montre un liennégatif entre l’intensité de la réglemen-tation environnementale et la producti-vité, ce qui tend à rejeter l’hypothèse dePorter. “Le travail exposé dans ce nouvelarticle combine ces deux approches, cequi permet d’estimer, pour la premièrefois, les quatre éléments principaux dela chaîne de causalité de Porter, expliqueStefan Ambec. Cet exercice nous permetd’obtenir un meilleur éclairage sur les circonstances et mécanismes en jeu, et sur le bien-fondé de l’hypothèse de Porter.”

Pas de miracle global

Les auteurs montrent notamment que,si la sévérité des politiques en faveur dela protection de l’environnement contribueà augmenter la performance environne-mentale des entr eprises, ce sont les politiques flexibles qui semblent les plusefficaces. Les normes de performancesouples apparaissent plus à même defavoriser l’innovation que des normestechnologiques dirigistes (comme impo-ser des convertisseurs catalytiques parexemple). Ils montr ent aussi que la réglementation environnementale conduitles entreprises à accroître leurs investis-sements dans le processus de R&D, cequi a un effet positif sur leur performanceéconomique globale. Mais malheureuse-ment, cet effet positif indirect est contre-balancé par l’ef fet négatif dir ect de laréglementation environnementale. “Pourreprendre les mots de Porter lui-même,les gains économiques liés à l’innovationenvironnementale ne compensent pasles coûts engendrés par la réglementa-tion, regrette Stefan Ambec. La régle-mentation environnementale se traduitdonc par un coût net à l’économie et iln’y a pas de “miracle global”…

Pour al ler plus loin

■ Ambec S., Lanoie P. (2009), “Performanceenvironnementale et économique de l’entreprise”, Economie & Prévision, 190-191: 71-94

■ Ambec S., Lanoie P. (2008), “Does it payto be green? A Systematic Overview”,Academy of Management Perspectives,23: 45-62

■ Ambec S., Lanoie P. (2008), “L’innovationau service de l’environnement et de laperformance économique”, INRA SciencesSociales, n.6

■ Ambec S., Barla P. (2007), “Quand la réglementation environnementale profiteaux pollueurs : survol des fondementsthéoriques de l’hypothèse de P orter”,L’Actualité Economique, 83 (3) : 399-414

M E T H O D O L O G I E

Les auteurs ont testé la validité de l’hypo-thèse de Porter en utilisant des donnéesrelevant de l’ensemble de la chaîne decausalité de Porter : politique environne-mentale, recherche et développement,performance environnementale et perfor-mance commerciale.

Cette analyse empirique s’appuie sur unebase de données qui comporte des obser-vations sur environ 4 200 établissementsde plus de 50 emplo yés représentant 24 secteurs manufacturiers, situés danssept pays industrialisés (Allema gne, Canada, Etats-Unis, France, Hongrie,Japon, Norvège), issues d’une enquêtemenée par l’OCDE.

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BIOGRAPHIE

Jean Tirole

Médaille d’or du CNRS en 2007,

Jean Tirole a reçu le Prix Claude Lévi-

Strauss en 2010 pour ses travaux sur

la théorie des jeux et de l’information.

Président du conseil d’administration

de la Toulouse School of Economics,

pôle de recherche de l’Université

Toulouse - Capitole, et directeur

scientifique de l’Institut d’Économie

Industrielle (IDEI) de Toulouse,

il est aussi professeur invité au

Massachusetts Institute of Technology,

où il a obtenu un Ph. D. Il est également

ingénieur des Ponts et Chaussées et

polytechnicien.

[email protected]

Mathématicien de formation, Jean Tirolemène depuis dix ans avec Roland Bénaboudes travaux alliant psychologie et éco-nomie. Ils ont participé à l’essor de la“nouvelle théorie de l’information” quienrichit le modèle économique standarden étudiant les implications de quelquesprincipes fondamentaux de psychologie(altruisme, mémoire imparfaite, incohé-rence temporelle des préférences, etc.)

sur l’auto-manipulation des croyances.Enjeu : modéliser les informations que lesindividus s’auto-transmettent, la manièredont ils analysent ces informations ainsique les décisions qu’ils pr ennent. “Lathéorie des jeux et de l’information trouvedans la psychologie un domaine d’appli-cation, certes inattendu, mais finalementassez naturel”, explique-t-il.

Aux sources de la ResponsabilitéSociale des EntreprisesDES MOTIVATIONS INDIVIDUELLESCOMPLEXES

D’après un entretien avec Jean Tirole et son article “Individual and Corporate Social Responsibility” (Economica n° 77 - janvier 2010), coécrit avec Roland Bénabou(1) .

LES CAHIERS DE L’ILB - 6

A RETENIR

■ La responsabilité sociale des entreprises est le fruit des motivationsindividuelles des investisseurs et des dirigeants.

■ La psychologie permet de montrer que les comportements vertueuxdes individus sont dus à une combinaison de motivations : la générosité, les aspirations financières et la volonté de paraître.

■ Les individus ont davantage tendance à contribuer à une cause“juste” quand ils sont observés par d’autres.

■ Les incitations monétaires sont plus puissantes quand la contributionn’est pas observée.

Pourquoi les entreprises adoptent-elles des comportements sociale-ment responsables ? Jean Tirole et Roland Bénabou s’appuient sur lapsychologie pour montrer que ces comportements, qui dépendent engrande partie de la volonté des investisseurs socialement responsablesou des dirigeants d’entreprise, reposent sur des sources de motivationcomplexes. Un constat qui les amène à évaluer l’intérêt des incitationsmonétaires pour faire adopter des comportements vertueux aux individuset aux entreprises, et qui permet de mieux comprendre la demande pourles fonds d’investissement socialement responsable.

(1) Princeton University, Princeton, Etats-Unis

http://www.idei.fr/fdir/

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Pour al ler plus loin

■ Ariely D., Bracha A., Meier S. (2009),“Doing good or doing well? Image motiva-tion and monetary incentives in behavingprosocially”, American Economic Review,99 (1) : 544-55

■ Bénabou R., Tirole J. (2006), “Incentivesand prosocial behavior”, American EconomicReview, 96 (5) : 1652–78

■ Carpenter J., Myers C. (2007), “Why volunteer? Evidence on the role of altruism, reputation, and incentives”,Institute for the Stud y of Labor Discus-sion Paper no. 302

■ Lacetera N., Macis M. (2008), “Socialimage concerns and pro-social behavior”,Institute for the Study of Labor DiscussionPaper no.3771

■ Margolis J., Elfenbein H., (2007), “Do wellby doing good? Don’t count on it”, HarvardBusiness Review, Social Responsibility,Special Issue on HBS Centennial, 86 (1) : 19

LES CAHIERS DE L’ILB - 7

R e c o m m a n d a t i o n spour les pouvoirs publics

■ Les sources des comportements socialementresponsables sont mutuellement interdépen-dantes. Les décideurs politiques ainsi que lesmilitants sociaux doivent bien comprendreces interactions afin de s’a ppuyer sur la volonté de certains individus de se comporterde façon socialement responsable.

■ Cette recherche montre que, pour plus d’efficacité de leurs politiques sociales ou environnementales, les pouvoirs publics onttout intérêt à subventionner des comporte-ments privés, qui ne sont pas obser vés parles autres, plutôt que des comportements publics où la volonté de paraître entre en jeu.“Il vaut mieux subventionner une chaudièreécologique (bien dont la propriété n’est pasobservable) qu’une voiture hybride (qui estmontrée à tous)”, ajoute Jean Tirole.

qu’il est mémorable. “Notre recherche apar exemple montré que lorsque la volonté de renvoyer une image positivede soi est importante, une incitation monétaire peut êtr e contreproductive.Contrairement à un principe économiquede base, elle peut en ef fet alors réduirele comportement prosocial recherché”,précise Jean Tirole. Cette conclusion afait l’objet de r echerches complémen-taires par une équipe menée par DanAriely (alors professeur de psychologieau Massachussetts Institute of Techno-logy). Dans une série d’expériences en laboratoire, les incitations monétaires se sont avérées très puissantes quandla contribution au bien public n’était pasobservée, et n’eurent que peu d’impactquand elle était visible de tous. “Les individus ont alors peur qu’en cas de rémunération, leur contribution soit inter-prétée comme un signe de cupidité plutôtque de générosité, et donc que le signalqu’ils envoient aux autres soit dilué.”

La demande pour les fonds d’investissement socialement responsable

Les travaux de Jean T irole et Roland Bénabou offrent un éclairage intéressantsur la demande pour les fonds ISR. Eneffet, ils indiquent que cette demandepeut émaner de plusieurs sour ces.D’abord de l’altruisme pur. “D’une cer-taine manière, nous aspirons tous à fairele bien et à nous r endre utiles, souligneJean Tirole”. Ils montrent aussi que les incitations financières ne peuvent êtr e négligées, les investisseurs dans les fondsISR attendant une performance finan-cière décente. Ces travaux montr entenfin qu’investir dans l’ISR constitue unmoyen de gagner du pr estige social. Ils indiquent donc que les fonds ISRpourraient attiser la demande pour leursproduits financiers en s’appuyant sur ledésir d’image de soi des investisseursvia par exemple des campagnes decommunication adaptées ou uneconception des fonds appropriée.

M E T H O D O L O G I E

Jean Tirole et Roland Bénabou se sontservis de développements récents en psychologie et en économie des compor-tements vertueux pour expliquer les motivations sous-jacentes de la respon-sabilité sociale des individus. Ces motiva-tions apparaissent liées à l’altruisme et à l’image de soi. Ils lient ensuite les préoccupations individuelles aux compor-tements socialement responsables desentreprises. Les chercheurs discutentenfin des a vantages, des coûts et des limites du recours à la responsabilité sociale comme mo yen d’atteindre desbuts sociaux supérieurs.

Un intérêt croissant pour la responsabilité sociale des entreprises

Dans cet article, Roland Bénabou et JeanTirole s’intéressent à la r esponsabilité sociale (l’intégration des préoccupationssociales et environnementales) des entre-prises. “Tandis que la main invisible dumarché et celle, plus visible, de l’Etat, ontfait l’objet de nombr euses recherches,nous en savons encore peu sur l’écono-mie de la r esponsabilité sociale des entreprises et des individus, et cela malgréleur importance grandissante, écrivent-ils.Les économistes ont jusque-là prêté uneattention insuffisante à ce sujet.”

Des motivations individuelles complexes

Les chercheurs indiquent que la respon-sabilité sociale des entreprises peut êtrecomprise de trois façons : l’adoption parles sociétés d’une vision à plus longterme ; un comportement vertueux dé-légué à la dir ection de l’entreprise par les investisseurs, en particulier les fondsd’investissement socialement responsa-ble (ISR), ou les clients ; une philanthropieinitiée de l’intérieur par les dirigeants oules salariés des entreprises elles-mêmes.“Or, les deux dernières explications s’ap-puient sur des motivations individuelles,indique Jean Tirole. Et le comportementvertueux des investisseurs, des consom-mateurs et des employés est lui-mêmedû à une combinaison complexe de motivations : une vraie génér osité, uneincitation extrinsèque à adopter certainscomportements (notamment en raisonde lois ou de subventions) et une volontéde paraître, c’est-à-dire de créer unebonne image de soi (vis-à-vis de soi-mêmeou des autres).”

Volonté de paraître et incitations monétaires

Ce troisième facteur, dit de “réputation”,est d’autant plus important que le com-portement est public (surtout devant despersonnes dont on recherche l’estime) et

La théorie des jeux trouve dans la psychologie un domaine d’application finalement assez naturel.“

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BIOGRAPHIE

Sylvaine Poret

Titulaire d’un doctorat en économie de

l’Université Paris Panthéon-Sorbonne,

Sylvaine Poret est chargée de

recherche à l’INRA et chercheuse

associée au département d’économie

de l’Ecole Polytechnique.

Ses recherches portent sur l’économie

industrielle, l’analyse économique du

droit, le commerce équitable et les

organismes génétiquement modifiés.

[email protected]

Commerce équitable en grande surface MYTHES ET RÉALITÉS

D’après un entretien avec Sylvaine Poret et son article “MainstreamingFair Trade : A discussion through the Lipton case” (dans Corporate social responsability: from compliance to opportunity?, de Patricia Crifoet Jean-Pierre Ponssard, éditions de l’Ecole Polytechnique, 2010).

LES CAHIERS DE L’ILB - 8

A RETENIR

■ Certains acteurs du commerce équitable s’opposent sur la certification“commerce équitable” de produits vendus en grande surface qui permetà des industriels conventionnels de vendre un produit de leur gammecertifié alors que le reste de la production ne l’est pas.

■ Cependant, la vente en grande surface permet de toucher un grandpublic et d’atteindre un des buts du commerce équitable : permettreaux petits producteurs du Sud de vivre en vendant le fruit de leur travail.

■ Unilever tente de réconcilier ces deux points de vue en faisant labellisertous les produits de la marque Lipton, vendus dans tous les pays dumonde. L’entreprise a pour cela travaillé avec une ONG qui inclut descritères sociaux et économiques, en plus des critères environnementaux,dans son cahier des charges, mais n’est pas reconnue comme relevantdu commerce équitable. La principale différence avec la certificationFairtrade est que Rainforest Alliance ne garantit pas un prix minimumaux producteurs.

Le commerce équitable a connu une très forte croissance durant les 20dernières années grâce en grande partie à la création et à l’expansionde produits alimentaires certifiés commerce équitable vendus en grandedistribution. Ce développement dans les circuits de distribution classiquesprovoque un grand débat parmi les dif férents acteurs du commer ceéquitable. Sylvaine Poret illustre cette controverse à travers l’étude ducas de la certification des thés Lipton par l’ONG Rainforest Alliance.

Sylvaine Poret nous rappelle que le com-merce équitable a fait son apparition enEurope à la fin des années 60 et quel’objectif était alors de “réduir e la pau-vreté dans le Sud en construisant desrelations directes et durables avec lesproducteurs désavantagés et leur fournir

un accès équitable au marché du Nord”.Les produits étaient alors vendus dansdes commerces de pr oximité dont lefonctionnement reposait en grande partie sur des bénévoles. Ensuite, dansles années 90 de nombr eux produits labellisés “commerce équitable” ont fait

http://www.idei.fr/fdir/

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LES CAHIERS DE L’ILB - 9

R e c o m m a n d a t i o n spour les entreprises

■ Les consommateurs sont de plus en plussensibles aux problèmes environnementauxet aux conditions de production dans les paysen développement. Les entreprises doiventdorénavant intégrer ces probléma tiques àleur stratégie.

■ C’est donc assez na turellement qu’elles se sont orientées vers le commerce équitablepour certains produits. Mais face à la multiplication des certifications, les consom-mateurs rendus confus risquent de se désin-téresser de cette a pproche. Cette profusionrisque donc de se révéler préjudiciable.

leur apparition en grande surface. Celaa permis au commer ce équitable de toucher un plus grand public et d’aug-menter sa notoriété. En outr e, l’auteurobserve qu’il y a une très forte augmen-tation chaque année du nombre de pro-duits labellisés. Sur le plan économique,cela représente un signe de succès pourle concept, mais aussi des risques deconfusion et de dévalorisation chez lesconsommateurs, car cette expansionest accompagnée de la multiplicationdes labels faisant plus ou moins réfé-rence au commerce équitable.

Le débat sur le commerce équitableen grande distribution

Cependant, ce nouveau type de com-merce équitable fait débat et est particu-lièrement critiqué par certains acteurshistoriques du domaine. Sylvaine Por etexplique que “ceux qui refusent l’idée devendre en grande surface au titr e quecela reviendrait à travailler avec les gensqui luttent contre le commerce équitable :les grands acteurs qui pr ofitent du système. Ils mettent en avant égalementles mauvaises conditions de travail quesubissent les employés des grandessurfaces et le fait que le référ encementde ces produits en grande surface n’estpas durable mais r emis en question régulièrement”. D’autre part, l’auteur attire notre attention sur la dif férencepour une entreprise entre faire certifier“commerce équitable” un produit de sagamme et avoir une approche équitabledans toute son activité. Elle se posealors la question de savoir “si les indus-triels conventionnels peuvent à juste titreutiliser le logo “commer ce équitable”pour valoriser certains de leurs produits”.

Lipton : un commerce équitable à grande échelle

Sylvaine Poret observe qu’Unilever a uneapproche novatrice du commerce équi-table. “Les dirigeants d’Unilever ont décidé de faire en sorte que non pas unou deux produits de la gamme Liptonsoient certifiés commerce équitable maisque tous les thés de la marque, vendus

dans tous les pays du monde obtiennentd’ici 2015 ce type de certification et cela sans augmenter le prix de vente auxconsommateurs” précise-t-elle. RainforestAlliance n’était pas la plus connue desONG travaillant sur la labellisation com-merce équitable, elle a pourtant été choisie par Unilever pour obtenir cettecertification car les contraintes imposéespar celle-ci en termes envir onnementalet social correspondaient bien au marchédu thé et aux attentes d’Unilever.

Une alliance fructueuse

Aujourd’hui, avec quelques années derecul depuis le début de cette “collabo-ration” entre Unilever et Rainfor est Alliance, l’auteur observe que le pr ojetsemble être une réussite et que tous les acteurs semblent en r etirer des bénéfices. Certains pr oducteurs de thé et salariés des plantations ont demeilleures conditions de travail et de vie,l’ONG a gagné en notoriété et a permis,en s’alliant avec le leader mondial dusecteur, de convertir une partie du marché du thé à une démarche durable.Lipton a pour sa part amélioré sonimage et a gagné des parts de mar chéet des référencements chez Air France,Mac Donald’s ou Starbucks. Enfin, leconsommateur achète un pr oduit demeilleure qualité sans pour autant lepayer plus cher du fait notamment de lasuppression des intermédiaires entre lesproducteurs et l’industriel. Cette initiatived’Unilever est d’autant plus intéressantequ’elle s’inscrit dans une démar che globale de r esponsabilité sociale de l’entreprise qui a par exemple diminué la teneur en sel dans certains des platscuisinés vendus par le gr oupe. D’autrepart, encouragé par le succès de l’initia-tive Lipton, “Unilever a actuellement unprojet équivalent de certification de l’huilede palme, matière première beaucoupplus difficile que le thé à fair e produiredans une démarche durable, qui est elle-même plus difficile à valoriser auprès desconsommateurs”, nous révèle SylvainePoret.

M E T H O D O L O G I E

L’étude de l’alliance entre la multina tio-nale Unilever et l’ONG Rainforest Alliancepermet à Sylvaine P oret de mettre en lumière les différents arguments de lacontroverse sur les produits labellisés“commerce équitable” mais manufacturéspar des grands groupes industriels et vendus en grande surface.

Pour al ler plus loin

■ Hira, A., and Ferrie, J., 2006. Fair Trade:Three Key Challenges for Reaching theMainstream. Journal of Business Ethics, 63 (2)

■ Poret, S., and Chambolle, C., 2007. FairTrade Labeling: Inside or Outside Super-markets? Journal of Agricultural and FoodIndustrial Organization, 5(1)

■ Poret, S., 2007. Les défis du commerceéquitable dans l’hémisphère Nord. Economie Rurale, n°302

■ Renard, M.-C., 2005. Quality certification,regulation, and power in fair trade. Journalof Rural Studies, 21, pp. 419-431

Le consommateur achète un produit de meilleure qualité sans pour autant le payer plus cher.“

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BIOGRAPHIE

Patricia Crifo

Patricia Crifo est diplômée de l’ENS

Cachan, agrégée d’économie et de

gestion et docteur en économie de

l’Université Lyon-II, ayant par ailleurs

effectué des études post-doctorales à

l’Institut de Recherches Économiques

et Sociales (IRES, Université de Louvain-

la-Neuve, en Belgique). Professeur des

Universités, elle enseigne à l’Université

Paris Ouest (Economix) et à l’Ecole

Polytechnique (Preg Ceco) et est

également membre externe associé du

Centre Interuniversitaire de Recherche,

de liaison et de transfert des savoirs en

Analyse des Organisations (CIRANO) de

Montréal.

[email protected]

Patricia Crifo et Sandra Cavaco se sontintéressées à la complémentarité entr edifférentes pratiques socialement r es-ponsables et la performance des entre-prises. “Le lien empirique entr e laresponsabilité sociale des entr eprises(RSE) et la performance a r eçu une attention considérable ces 35 dernièresannées, mais aucun consensus n’aémergé quant au fait que la RSE améliore ou non la performance des entreprises. Pour lever le voile sur cettequestion, au lieu d’analyser l’impact d’une

dimension de la RSE prise isolément, nousexaminons comment la combinaison deces pratiques peut rendre les entreprisesplus performantes, et essayons d’identifierlesquelles.”

Un sujet capital

Pour Patricia Crifo, il faut sortir de l’approche strictement financièr e et intégrer l’économie de l’environnement,l’économie du travail et l’économie de lagouvernance afin de déterminer lessynergies propices aux investissements

Responsabilité Sociale des EntreprisesCOMBINER LES PRATIQUES POURAMÉLIORER LA PERFORMANCE

D’après un entretien avec Patricia Crifo et son article “Complementaritybetween CSR Practices and Corporate Performance: an EmpiricalStudy” (dans Corporate Social Responsibility: from Compliance to Opportunity, P. Crifo et J. P. Ponssard (Eds.), Editions de l’Ecole Polytechnique, mai 2010), coécrit avec Sandra Cavaco(1).

LES CAHIERS DE L’ILB - 10

A RETENIR

■ L’article identifie des pratiques socialement responsables qui, quandelles sont combinées, ont une influence positive sur la performance et donc la rentabilité à long terme.

■ Il identifie également les bonnes pratiques qui fonctionnent mieuxsans être combinées, mais qui ont un impact moins important sur laperformance.

■ Ce travail montre l’intérêt des entreprises pour les politiques de RSE.Il fournit ainsi des arguments supplémentaires aux pouvoirs publics.

La responsabilité sociale des entr eprises (RSE) amélior e-t-elle leur performance ? Pour répondre à cette question, Patricia Crifo et Sandra Cavaco s’intéressent aux combinaisons de pratiques de RSE et montrent que certaines synergies sont en effet susceptibles d’avoir unimpact économique positif pour les entreprises.

(1) Laboratoire d’Economie Moderne (LEM), Université Panthéon-Assas

http://www.idei.fr/fdir/

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LES CAHIERS DE L’ILB - 11

de RSE et la façon dont les politiquespubliques peuvent les encourager .“Après les travaux de l’économiste amé-ricain Robert Solow, il semblait que lacroissance des années 1980-1990 étaitbasée sur une combinaison entre inno-vation technologique, changement orga-nisationnel et hausse du niveau ducapital humain, a-t-elle expliqué dansune interview publiée dans Le Monde le 18 mai 2010 dans le cadr e du Prix2010 du meilleur jeune économiste,pour lequel elle avait été nominée. Laquestion des années 2000 est de savoirsi une croissance soutenable peut naîtrede la combinaison entr e technologies de l’environnement, gouvernance desentreprises plus responsable et gestiondu capital humain innovante.”

Des synergies synonymes de performance accrue

Patricia Crifo estime que l’identificationde complémentarités ou substituabilitésentre les différentes pratiques RSE estdécisive, notamment pour les méthodesd’ISR basées sur les appr oches “best-in-class” (sélection d’entr eprises pro-actives) : “Cette recherche montre juste-ment qu’il existe des complémentaritésentre les composantes sociales, environ-nementales et la gouver nance qui sontpayantes en termes de performance financière pour l’entreprise.” Et de citerl’exemple du constructeur automobileFord, qui investit de manièr e cohérentepour exploiter les complémentarités dedifférentes dimensions de la RSE :“Cette entreprise est réputée pour sapolitique sociale, elle investit dans les RHmais aussi dans toute la chaîne de va-leur. Ford étend toutes ses exigences àses fournisseurs et essaie égalementd’améliorer l’information et la transpa-rence vis-à-vis de ses clients.”

Les stratégies d’arbitrage peuventaussi être payantes

Mais il existe également des interactionsnégatives entre certaines dimensions dela RSE. “Des entreprises comme Walmartpréfèrent donc pr océder à un arbi-trage… avec succès ! Le leader du “harddiscount” aux Etats-Unis investit ainsibeaucoup en matière environnementalemais exerce une pression très forte enmatière sociale et sur la chaîne d’appro-visionnement pour soutenir sa politiquede prix faibles.” Mais si, comme Walmart,certaines entreprises peuvent être tentéesde se spécialiser sur des volets précis de la RSE plutôt que d’investir dans plusieurs dimensions simultanément,Patricia Crifo souligne que la forte renta-bilité de W almart repose sur le courtterme. “C’est un modèle économiqueadapté à un marché sur lequel on vise laréduction des coûts, y compris humainsestime-t-elle. Pas certain que ce modèlesoit durable et r entable à long terme ! Il faudra veiller aux conséquences s’ilssont confrontés à des crises socialesdans les dix prochaines années, commecela a déjà été le cas par le passé.” Et choisir ce modèle d’arbitrage estd’autant plus discutable que PatriciaCrifo et Sandra Cavaco montr ent quela combinaison de facteurs complémen-taires de RSE semble amélior er bien davantage la performance.

M E T H O D O L O G I E

Pour mettre en évidence les combinaisonsde pratiques sociales et environnemen-tales susceptibles de réduire les coûts etd’améliorer la rentabilité des entreprises,Patricia Crifo et Sandra Cavaco ont procédéà une analyse empirique d’un ensemblede données alliant variables environne-mentales, sociales et de gouvernance provenant de la base de données de Vigeo(agence européenne de nota tion extra-financière, qui mesure les performancesdes entreprises en matière de développe-ment durable), et variables rela tives à laperformance économique et financièreprovenant de la base de données d’Orbis(outil de veille économique et d’analysesfinancières sur plus de 60 millions d’en-treprises dans le monde).

Pour al ler plus loin

■ Crifo P., Cavaco S. (2010), “The CSR firm performance missing link: Complementarity betweenenvironmental, social and governance practices?” Ecole Polytechnique, Cahier de recherche département d’économie, n° 2010-19

■ Baron D (2009), “A Positive Theory of Moral Management, Social Pressure, and Corporate SocialPerformance”, Journal of Economics and Management Strategy, 18(1): 7-43

■ Elsayed K., Paton D. (2005), “The Impact of Environmental P erformance on Firm Performance:Static and Dynamic Panel Data Evidence”, Structural Change and Economic Dynamics, 16: 395-412

■ Waddock S., Graves, S. (1997), “The Corporate Social Performance - Financial Performance Link”,Strategic Management Journal, 18(4): 303-319

■ McWilliams A., Siegel D. (2000), “Corporate social responsibility and F inancial Performance: Correlation or Misspecification?, Strategic Management Journal, 21 : 603-609

R e c o m m a n d a t i o n s

■ Pour les pouvoirs publics : Il serait intéres-sant d’améliorer l’information et la transpa-rence afin de sa voir sur quels leviers lesentreprises s’appuient pour définir leur stra-tégie d’investissements dans les pra tiques de RSE. Il faut pousser les entreprises à communiquer, à fa voriser le reporting de manière précise sur les différentes dimen-sions de la RSE.

■ Pour les émetteurs et les investisseurs : il est important de déplo yer une politique cohérente en matière de RSE pour les entre-prises et les investisseurs. Il faut essayer d’in-vestir dans les différentes dimensions de la RSE, mais en les considérant comme deséléments cohérents d’une politique globale etpas comme des dimensions indépendantes.Ils doivent s’intéresser aux synergies et auxarbitrages possibles pour définir leur stratégie,notamment en ce qui concerne l’investissementsocialement responsable fondé sur les méthodes de “best-in-class”, très répanduesen France et en Europe.

Le lien empirique entre la RSE et la performance a reçu une attention considérable ces 35 dernières années.“

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BIOGRAPHIE

Christian Gollier

Christian Gollier est actuellement

Directeur de Toulouse School of

Economics, membre senior de l’Institut

Universitaire de France et chercheur du

Laboratoire d'Economie des Ressources

Naturelles, une unité de recherche en

économie de l'environnement associée

à l'INRA et au CNRS, qu'il a dirigée,

et Directeur de recherche à l'Institut

d’Economie Industrielle. Il est l'un des

auteurs du rapport du Groupe d'experts

intergouvernemental sur l'évolution du

climat (GIEC), qui a obtenu le Prix Nobel

de la Paix en 2007.

[email protected]

En ramenant sa valeur future à un équi-valent actuel, l’actualisation permetd’évaluer la pertinence d’actions ayantdes effets étalés sur des temps longs.Cette opération constitue à ce titr e unimportant outil d’aide à la décision. “Lesujet de cet article est de déterminer la meilleure manière de valoriser des impacts éloignés dans le futur dans leprocessus de décision, explique ChristianGollier. Il vient compléter un ensemble detravaux de r echerche que j’ai mené depuis une dizaine d’années sur les liensentre le développement durable et la finance. L’objectif final est de savoirquelle doit être l’intensité des ef forts àconsentir aujourd’hui pour améliorer lebien-être des générations futures, à trèslong terme, pour ensuite décider dansquels projets investir en priorité : réduction

des émissions de gaz à ef fet de serre, recherche et développement, améliorationdes infrastructures collectives, éducationdes jeunes, etc. Ces travaux ont aussipour objectif de donner un sens opéra-tionnel à la responsabilité environnementaledes entreprises.”

Dans quels projets investir aujourd’hui ?

Pour réaliser cet arbitrage, Christian Golliera recours à l’analyse coût-bénéfice, uninstrument qui permet d’optimiser leschoix individuels et collectifs en matièr ed’investissements, mais en y intégrantl’impact sur l’environnement. “On consi-dère les coûts et les bénéfices de cha-cune des actions possibles. Parmi lesbénéfices, il y a des bénéfices purement

ActualisationCONCILIER FINANCE ET DÉVELOPPEMENT DURABLE

D’après un entretien avec Christian Gollier et son article “Ecological Discounting” (Journal of Economic Theory n° 145, mars 2010).

LES CAHIERS DE L’ILB - 12

A RETENIR

■ L’actualisation, dont l’effet est exponentiel, est généralement considéréecomme incompatible avec la notion de développement durable carl’impact des projets d’investissements durables se manifeste à trèslong terme, contrairement aux projets à logique purement financière.

■ Pour être compatible avec l’optimum intergénérationnel, le taux d'actualisation de projets intégrant un volet environnemental doit êtremoins élevé que celui des projets financiers.

L’actualisation, qui constitue depuis longtemps un outil ef ficace d’aideà la décision, n’était jusque-là pas adaptée aux projets d’investissementcomportant un volet environnemental. Christian Gollier montre pourtantqu’en utilisant un taux adapté, elle permettrait d’intégrer le développementdurable à la logique financièr e et ainsi inciter les entr eprises à faire davantage d’efforts en faveur de la protection de l’environnement.

http://www.idei.fr/fdir/

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LES CAHIERS DE L’ILB - 13

R e c o m m a n d a t i o n spour les pouvoirs publics

■ Cette recherche montre qu’un taux d’actua-lisation différent doit être appliqué aux projetscomportant un volet environnemental. Lespouvoirs publics commencent à en tenircompte, comme ils l’ont fait en revoyant à labaisse le taux d’actualisation usuel en 2005suite à la publication de travaux antérieurs deChristian Gollier et d’autres économistes.

■ Mais cela ne signifie pas pour autant que lespouvoirs publics peuvent arrêter d’inciter lesentreprises à intégrer les impacts extra-financierspar le biais d’incitations comme la taxe car-bone ou le soutien au secteur des fonds ISR.

financiers, par exemple quand vousinvestissez dans une centrale nucléair evous avez des coûts de production infé-rieurs. Mais une centrale nucléair e aaussi des coûts et des bénéfices écolo-giques liés au risque nucléair e et à l’absence d’émissions de CO 2, tous étalés dans un temps long. Il faut doncpouvoir comparer cet investissement à d’autres, qui auront des impacts trèsdifférents, dans leur nature et dans leurétalement temporel”.

L’actualisation et le développementdurable, incompatibles ?

La difficulté consiste à utiliser ces outilséconomiques à bon escient dans lecadre du développement durable. Car comme l’explique Christian Gollier ,“les écologistes sont souvent sceptiquesquant à l’emploi de l’analyse coût-béné-fice pour la formulation des politiquesenvironnementales, car l’évaluation éco-nomique ne tient pas suf fisammentcompte, d’après eux, des dommagesenvironnementaux encourus dans unfutur lointain. Soit en raison d’une sous-évaluation des impacts, soit d’un tauxd’actualisation trop élevé”. Utilisé dansla finance depuis longtemps, le tauxd’actualisation s’avérait jusque-là incom-patible avec la prise en compte des effets de long terme car l’actualisation à un effet d’écrasement exponentiel. “Sion utilise le taux d’actualisation classiquede 4%, un dommage de 1 eur o dans un an est équivalent à un dommage immédiat de 96 centimes. Si ce dom-mage ne se produit que dans un siècle,ce dommage ne vaut plus que moins de2 centimes dans les calculs économiques,poursuit-il. Le taux d’actualisation anti-cipe une croissance économique mais ildevrait aussi anticiper une détériorationpotentielle de la qualité de l’environnement”.

Un taux d’actualisation plus faible etplus efficace

Christian Gollier a longtemps travaillé surce problème, notamment avec MartinWeitzman, de l’université d’Harvar d.Selon eux, puisque les bénéfices et lescoûts des investissements comme ceuxvisant à réduir e les émissions de gaz à effet de serre se manifestent à longterme, le niveau du taux auquel ils doivent être actualisés doit êtr e plus faible que celui utilisé habituellement en finance. Ils justifient leur r ecomman-dation sur les très fortes incertitudes prévalant sur le progrès économique. Untaux écologique plus faible devrait aussiêtre utilisé pour actualiser les impactsenvironnementaux dans l’évaluation desprojets, compte tenu des perspectivesmédiocres d’amélioration de la qualitéde notre environnement. Sinon, le béné-fice environnemental des projets liés à lalutte contre le réchauffement climatique,comme dans le cas de politiques pu-bliques aux bénéfices sociaux et envi-ronnementaux, serait tr op faible parrapport à l’intérêt conjoint des généra-tions présentes et futures. “C’est ici queles fonds d’investissement ISR peuventavoir un impact sur les incitations desentreprises à intégrer des performancesextra-financières sur le long terme,ajoute-t-il. En r efusant d’investir dans les entreprises “environnementalementirresponsables” en l’occurr ence cellesqui ne valorisent pas suf fisamment les bénéfices environnementaux à longterme de leurs investissements, l’exis-tence de ces fonds a pour effet d’accroîtrele coût du capital de ces entreprises”.

Les fonds d’investissement ISR peuvent avoir un impact sur les incitations des entreprises à intégrer des performances extra-financières sur le long terme.

“”

M E T H O D O L O G I E

Comment tenir compte du développementdurable dans l’évaluation des politiquesd’investissement des entreprises, des in-vestisseurs et de l’Etat ? La réponse tienten un mot : le taux d’actualisa tion. Maiss’il est élevé, comme c’est souvent le cassur les marchés financiers et selon lathéorie économique classique, les impactsà long terme seront très faiblement repré-sentés dans l’évaluation. Christian Gollierrésout ce problème en intégrant dansl’analyse une dimension extra-financière(comme la qualité de l’environnement)comme déterminant du bien-être collectif.Il montre que les bénéfices et les coûtsenvironnementaux doivent être actualisésà un taux plus bas que celui utilisé pourles cash-flows financiers. Il estime ce tauxd’actualisation environnemental à 1,5%(contre 3,2% pour les biens de consom-mation) en utilisant les données sur le lienentre la biodiversité et le développementéconomique.

Pour al ler plus loin

■ Nordhaus W.D. (2008), “A Question of Balance: Weighing the Options on GlobalWarming Policies”, Yale University Press

■ Gary S. Becker (2007), “An EconomistLooks at Global Warming”, Hoover Digest, 2

■ Gollier C., Weitzman M.L. (2010), “HowShould the Distant Future be DiscountedWhen Discount Ra tes are Uncertain?”,Economic Letters, 107(3) : 350-353

■ Weitzman M.L. (2007), "A Review of theStern Review on the Economics of ClimateChange", Journal of Economic Literature, Ame-rican Economic Association, 45 (3): 703-724

■ Stern N. (2006), “The Economics of Climate Change: The Stern Review”, Cambridge University Press

■ Ramsey F.P. (1928), “A mathematicaltheory of savings”, The Economic Journal,38: 543-59

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BIOGRAPHIE

Edouard Challe

Titulaire d’un doctorat en économie

de l’Université Paris Ouest Nanterre,

Edouard Challe est chargé de

recherche au CNRS (HDR) et

il enseigne l’économie à l’École

Polytechnique. Auparavant, il a été

consultant pour la Banque de France.

Ses recherches portent sur la macro-

économie du secteur bancaire,

le comportement des intermédiaires

financiers et leur rôle dans la formation

des bulles et la manière dont celles-ci

peuvent modifier leur comportement,

mais aussi le phénomène de captation

des rentes par le secteur financier

(contribution aux inégalités de salaire,

problème d’allocation du capital

humain) ainsi que le rôle de l’épargne

de précaution dans le cycle.

[email protected]

Edouard Challe s’intér esse au rôle des banques dans le déclenchementdes bulles, notamment au fait qu’ellesprennent trop de risques et ont ainsi tendance à pousser le prix de certainsactifs vers le haut quitte à mettr e en danger leur pr opre solvabilité. Riend’étonnant, donc, à ce que ses travauxsoient publiés dans l’ouvrage CSR andthe Long Run in the Aftermath of the Financial Crisis, consacré à la Respon-sabilité Sociétale des Entreprises (RSE) :“la gouvernance des entr eprises du

secteur bancaire est un aspect majeurde la r esponsabilité sociale, expliquel’auteur. D’une certaine manière, on peutrattacher la prise excessive de risques à un pr oblème de gouver nance : les incitations de certains intermédiair es(dont les banques d’investissement)n’étant pas nécessair ement alignéesavec les intérêts des parties pr enantes,les actionnaires et, plus largement, la société dans son ensemble puisque les pertes du secteur bancair e sont socialisées”.

Secteur financierUNE RESPONSABILITÉ SOCIALE LIMITÉE ?

D’après un entretien avec Edouard Challe et son article "Leverage, excessive risk-taking, and financial instability" (chapitre 2 de CSR andthe Long Run in the Aftermath of the Financial Crisis, de Patricia Crifo et Jean-Pierre Ponssard, éditions de l’Ecole Polytechnique, 2010).

LES CAHIERS DE L’ILB - 14

A RETENIR

■ Dans le cas du secteur bancaire, la prise de risques excessive relèvede la responsabilité sociale des entreprises dans la mesure où lespertes sont socialisées.

■ Liée, entre autres, à la responsabilité limitée dont bénéficient lesbanques et ceux qui les financent, la prise de risques excessive estresponsable de toutes les crises récentes, qui se sont multipliées depuis 25 ans, et de la déréglementation du secteur.

■ A défaut de réguler le secteur bancaire, qui a toujours un tempsd’avance sur les régulateurs, des politiques macroprudentielles pourraient contribuer à limiter la prise de risques.

La responsabilité sociale des entreprises du secteur financier est engagéedans toutes les crises depuis 25 ans ! Sachant qu’elles bénéficiaientd’une responsabilité limitée (notamment parce que les pertes étaientsystématiquement socialisées), Edouar d Challe explique que lesbanques ont en ef fet eu tendance à pr endre des risques excessifs. Adéfaut de proposer une régulation plus importante, le chercheur espèreque les politiques macroprudentielles pourront, à l’avenir, limiter ces excès.

http://www.idei.fr/fdir/

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LES CAHIERS DE L’ILB - 15

R e c o m m a n d a t i o n spour les pouvoirs publics

■ Même s’ils sont complexes à mettre en place,un renforcement de la réglementation finan-cière, une politique contrant l’effet de levieret la prise de risques excessifs par des inter-médiaires traditionnellement peu réglemen-tés (banques d’investissement, “shadowbanking system”) semblent s’imposer.

■ A tout le moins, la mise en place de politiquesmacroprudentielles, voire une sur veillanceplus importante des marchés, pourraientaider à limiter les excès du secteur financier.

La prise de risques, mère des dernières crises

Edouard Challe constate que l’on assisteà une résurgence des crises depuis lesannées 80, période qui correspond auxphénomènes de libéralisation financièredans la plupart des pays. “On a les yeuxun peu rivés sur la crise des subprimes,fille de toutes les crises, mais ce quis’est déroulé depuis 2008 n’est qu’uneversion amplifiée des crises qui s’étaientproduites avant, estime-t-il. Et à chaquefois, on observe un comportement simi-laire de la part des intermédiaires finan-ciers. Par exemple, leur pr opension às’appuyer énormément sur l’ef fet de levier, c’est-à-dire qu’ils gonflent leurbilan en empruntant beaucoup et enprêtant énormément : les risques prissont considérables pendant les périodesde forte croissance. La crise financièrese produit alors quand un mauvais chocfait éclater la bulle”.

Une responsabilité limitée ?

L’argument central de l’article est que les intermédiaires sont partiellement protégés par leur responsabilité limitée.Il y a une limite aux pertes qu’ils peuventsubir, mais pas aux gains qu’ils peuventengranger. “Il est toujours tentant deprendre plus de risques dans cetteconfiguration parce que cela donne lachance d’obtenir des gains élevés, touten faisant porter une partie des pertespar les prêteurs ultimes ou par les contri-buables en cas de renflouement public,poursuit Edouard Challe. Cette tendancepeut être observée dans absolumenttoutes les crises”. Mais Edouar d Challene voit pas très bien comment r evenirsur cette responsabilité limitée, “l’un despiliers du capitalisme moderne”, qui estpourtant aussi une des sour ces essen-tielles de cette prise de risque excessive.“C’est le facteur sur lequel j’insiste, maisil y en a d’autres : le fait, par exemple, queles grandes banques soient implicitementgaranties par l’intervention publique et

d’autres comme la rémunération destraders, du "front office", basée sur lesbonus (…). Il y a une grande dif ficulté à mettre en place des systèmes de politique économique qui contrent cestendances”.

Le secteur financier intouchable ?

Et si Edouard Challe r econnaît que lavoie prise, notamment aux Etats-Unis,n’a pas été de r enforcer la régulation financière, il garde espoir : “Il y a toujourscette réflexion au niveau des banquescentrales dans le monde entier par rapport à la politique macroprudentielle,et je pense que cela peut évoluer dansles mois ou les années qui viennent vers une meilleure prise en compte desinterdépendances, par exemple entre la politique monétaire et la stabilité finan-cière”. L’une des mesures qui ont étéproposées est d’instaurer des ratios decapitalisation plus élevés, qui varieraientdans le cycle, ce qui pr otègerait lesbanques contre la faillite et aussi ceuxqui leur prêtent de l’argent, incitant éga-lement les intermédiair es financiers àprendre moins de risques quand ils sont le plus tentés de le faire, c’est à dirependant les booms. Mais Edouard Challereste prudent. “La politique macr opru-dentielle peut contribuer à limiter la prisede risques, mais certainement pas à éliminer le risque. D’autant que le problèmede l’innovation financière demeure. Lacrise des subprimes est imputable à unretard quasiment systématique du régu-lateur sur l’industrie financièr e, qui estcapable d’inventer des produits et doncde prendre plus de risques en contour-nant les dispositifs réglementaires exis-tants”. Aux Etats-Unis, l’augmentationde l’offre de produits financiers à hautrisque par les institutions financières a enpartie répondu à une demande accruepour ces produits par les agents non financiers, qui fut elle-même favoriséepar certaines politiques économiques(concernant par exemple l’accession àla propriété immobilière.)

La politique macroprudentielle peutcontribuer à limiter la prise de risques, mais certainement pas à éliminer le risque.“

■ Greenlaw D., Hatzius J., Kashyap A., ShinH.S. (2008), “Leveraged Losses: Lessonsfrom the Mortga ge Market Meltdo wn”,U.S. Monetary Policy Forum Conference,Working Paper

■ Brender A., Pisani F. (2009), “Globalised finance and its colla pse”, Dexia Asset Management

■ Blanchard O. (2009), “The crisis: basic mechanisms, and a ppropriate policies”, International Monetary Fund WorkingPaper 09/80

■ Adrian T., Shin H.S. (2008), “Financial inter-mediary leverage and value-at-risk”, FederalReserve Bank of New York Staff Report,n°338

■ Dubecq S., Mojon B., Ragot X. (2009),“Fuzzy capital requirements, risk-shiftingand the risk taking channel of monetar ypolicy”, Banque de France Working Papern°254

M E T H O D O L O G I E

Edouard Challe utilise des modèles ma-thématiquement simplifiés pour montrerla relation qui existe entre les bulles et lesbilans des intermédiaires financiers surles marchés.

Il constate en particulier comment la boucle de rétroaction entre les prix et les attentes peut conduire à des bulles, à desdéséquilibres multiples et à la possibilitéde défaillance des intermédiaires.

Pour al ler plus loin

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Page 16: CAHIERS - FDIR · Patricia Crifo et Christian Gollier Directeurs scientifiques de la Chaire FDIR Publication de l'Institut Louis Bachelier Palais Brongniart 28 place de la Bourse

CONFÉRENCE ANNUELLEde la chaire “Finance Durable et Investissement Responsable”

le 11 octobre 2011 de 14h00 à 18h30dans les locaux de Groupama Asset Management

(58 bis, rue La Boétie, 75008 Paris).

La conférence s’ouvrira sur une intervention de Marcel Boyer, titulaire de la Chaire Bell Canada en économie industrielleà l’Université de Montréal et économiste de r enommée internationale. Cette conférence plénière sera suivie de deuxtables rondes : I - Investissement Responsable et Long Terme• Les marchés financiers sont-ils court-termistes ?• Les fonds ISR ont-ils un horizon de long-terme ?• Comment appréhender l’évaluation sociale d’actions impliquant des sacrifices pour certaines générations, et des bénéfices pour d’autres ?

II - Responsabilité Sociale et Performance de l’Entreprise• Quels sont les indicateurs pertinents de la responsabilité sociale ?• Comment les agences de notation sociétale mesurent-elles la performance extra-financière ?• La responsabilité sociale de l’entreprise affecte-t-elle le coût du capital ?

Parutions de la chaireLe livre “Corporate social responsibility: from compliance to opportunity”, édité par P. Crifo et J.-P. Ponssard aux Editionsde l'Ecole Polytechnique en mai 2010, reflète les travaux de recherche menés à l'Ecole Polytechnique sur la responsabilitésociale et environnementale. A travers des ateliers, conférences et groupes de travail organisés régulièrement et impliquant

investisseurs institutionnels, fonds de pension, gérants, agences de notation,administrations publiques, entreprises et chercheurs académiques, cet ouvragecomprend 16 contributions organisées en 4 grandes parties :• Gouvernance et Régulation financière : les leçons de la crise• Responsabilité Sociale et Environnementale et Performance financière :

où en est-on ? • Risques sectoriels et Entreprises : changement climatique, santé et nutrition• Les Entreprises et les Communautés Locales : les limites de la performance

financière

Dans son nouvel ouvrage intitulé “Pricing the futur e: The economics of discounting and sustainable development” (à paraître en 2012 aux éditions Princeton University Press), Christian Gollier pose les bases scientifiques du développementdurable. Cette notion est au centr e des préoccupations des citoyens, des politiciens et des entr eprises et peut être résumée en une question : que devons-nous fair e pour les générations futur es ? En d’autr es termes, il s’agit d’organiser le fonctionnement de notr e société de manièr e à atteindr e le meilleur équilibr e entre les besoins des générations actuelles et leurs responsabilités sociales envers les générations futures. Il existe de nombreuses manièresd’améliorer le futur. Mais à l’heure du choix, est-il préférable de limiter l’extraction de ressources naturelles non renouvelables,d’investir dans le capital pr oductif, ou encore d’améliorer le système éducatif ? Cet ouvrage présente l’analyse coût-bénéfice qui constitue un outil relativement simple, transparent et objectif pour répondre à ces questions cruciales.

POUR VOUS INSCRIREwww.institutlouisbachelier.org/ChaireFDIR/

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