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Institut d'Etudes Politiques de Paris Doctorat de sciences économiques Politique monétaire et bulle spéculative Gaël CALLONNEC Thèse dirigée par Monsieur le Professeur Jean-Paul FITOUSSI Professeur des Universités à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris Président de l’OFCE Soutenue le 28 novembre 2005 Jury : M. Michel AGLIETTA, Professeur à l’Université Paris X Nanterre, conseiller scientifique au CEPII, membre de l’Institut Universitaire de France. M. Jacques LE CACHEUX, Professeur à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour, directeur du département des études de l’OFCE, rapporteur. M. André ORLEAN, Directeur de recherche du CNRS, Maître de Conférences à l’Ecole Polytechnique, rapporteur. M. Philippe WEIL, Professeur à l’Université Libre de Bruxelles, chercheur associé au NBER.

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Institut d'Etudes Politiques de Paris

Doctorat de sciences économiques

Politique monétaire et bulle spéculative

Gaël CALLONNEC

Thèse dirigée par Monsieur le Professeur Jean-Paul FITOUSSI

Professeur des Universités à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris Président de l’OFCE

Soutenue le 28 novembre 2005

Jury : M. Michel AGLIETTA, Professeur à l’Université Paris X Nanterre, conseiller scientifique au CEPII, membre de l’Institut Universitaire de France. M. Jacques LE CACHEUX, Professeur à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour, directeur du département des études de l’OFCE, rapporteur. M. André ORLEAN, Directeur de recherche du CNRS, Maître de Conférences à l’Ecole Polytechnique, rapporteur. M. Philippe WEIL, Professeur à l’Université Libre de Bruxelles, chercheur associé au NBER.

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Résumé

La recrudescence des crises financières en régime de faible inflation a remis en cause la vision traditionnelle selon laquelle la stabilité des prix assure la stabilité financière. Cela a conduit certains économistes à s’interroger sur l’existence d’un éventuel « paradoxe de la crédibilité » des banques centrales. D’autres se sont penchés sur la nécessité d’introduire une cible du prix des actifs dans leur fonction de réaction. On peut se demander dans quelle mesure l’importance de la lutte contre l’inflation ne favorise pas l’émergence d’une bulle spéculative. Pour répondre à cette question, il est nécessaire d’introduire un mécanisme d’accélérateur financier dans un modèle en équilibre général, où les prix des actifs sont déterminés par l’offre et la demande de titres des agents. En influençant la structure du bilan et les conditions de financement des firmes ainsi que la composition du portefeuille d’actifs des ménages, la politique monétaire peut déstabiliser la dynamique financière si elle est trop exclusivement polarisée sur l’éradication des pressions inflationnistes. En effet, elle peut inciter les entreprises à privilégier davantage leur croissance externe et les rachats d’actions. Ce phénomène peut déboucher sur une émission nette d’actions négative, susceptible d’entraîner une hausse de leur prix sans rapport avec l’évolution des variables réelles. Les simulations réalisées montrent qu’il est nécessaire de lutter aussi bien contre le chômage que l’inflation pour échapper à la dynamique perverse de « l’hypothèse d’instabilité financière » décrite par Minsky.

Abstract The increase in the number of financial crises during an era of weak inflation has called into question the conventional wisdom according to which price stability promotes financial stability. That has led some economists to wonder about the existence of a possible "paradox of credibility" of the central banks and about the opportunity for introducing the asset’s prices in their reaction function. One can ask if the reduction of inflation supports the emergence of a speculative bubble. To answer this question, it is necessary to introduce a mechanism of financial accelerator into a general equilibrium model, where asset’s prices are determined by their supply and their demand. By influencing the structure of the firm’s balance sheet and their cost of capital, and by determining the composition of the household’s assets portfolio, the monetary policy can destabilize the financial dynamic, if it is too exclusively polarized on the eradication of the inflationary pressures. Indeed, it can induce the firms to favour their external growth instead of their internal development, and to invest in financial markets. This phenomenon can lead to a negative net supply of stocks, which is likely to raise their price above their fundamental value. The simulations which have been carried out show that it is necessary to fight against unemployment as well as inflation to escape the adverse effect of "the financial instability hypothesis" described by Minsky.

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Gaël Callonnec – « Politique monétaire et bulle spéculative » - Thèse IEP Paris - 2005 3

« Je sais calculer le mouvement des corps pesants, mais je ne peux mesurer la folie humaine »

Isaac Newton, 1720, réflexion à propos de la bulle spéculative de la Compagnie des mers du sud.

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Remerciements

Mes premiers remerciements s’adressent à Monsieur le Professeur Jean-Paul Fitoussi pour m’avoir témoigné sa confiance. Sa bienveillante supervision et les conseils qu’il m’a prodigués m’ont été d’une très grande utilité. Cette thèse doit beaucoup à ses enseignements. Je tiens à remercier chaleureusement Monsieur le Professeur Jacques Le Cacheux, pour son attention, ses commentaires enrichissants et ses encouragements. Je ne pourrais oublier le concours que m’a apporté Monsieur le Professeur Henri Sterdyniak ; ses franches réflexions m’ont toujours été profitables. Je lui en suis très reconnaissant. J’aimerais aussi remercier les professeurs Dominique Plihon et Jean-Pierre Allegret pour l’intérêt qu’ils ont témoigné à mes travaux et leurs commentaires. Je tiens également à témoigner mon immense gratitude à mes camarades (ex) doctorants de l’OFCE pour leur aide et leur inestimable soutien informatique, économétrique et psychologique ; je pense en particulier à David Jestaz, Fréderic Reynès, Bruno Ducoudré, Yves de Curraize et Mathias Coiffard. Je dois également remercier l’ensemble des chercheurs de l’OFCE et d’ailleurs qui m’ont encouragé, et en particulier Olivier Brossard, qui m’a fait part de ses analyses enrichissantes du courant post-keynésien ; ainsi qu’Olivier Passet, Christian Fiquemont, Valérie Chauvin, Odile Chagny et Hélène Baudchon pour les précieux coups de mains qu’ils m’ont apporté lors de mes recherches empiriques. J’exprime également ma reconnaissance à Jacky Fayolle, Vincent Touzé et Laurent Bilke pour l’intérêt qu’ils ont témoigné à mes travaux. Je n’oublierai pas le soutien que m’ont apporté Gwenola de Gouvello et Christine Paquentin, sans qui ma bibliographie ne serait pas aussi riche. J’ai eu l’occasion d’apprécier à maintes reprises les qualités professionnelles de Christian Giraud. Il me reste enfin une pensée amusée pour les « conseils reprographiques » tonitruants de Jean-Paul Suard. Enfin, je suis extrêmement reconnaissant à tous ceux qui m’ont apporté un réconfort moral et une aide logistique au cours de mes travaux : La palme revient à Nicole Moutier, qui a entièrement relu cette thèse en tachant d’en éliminer les fautes grammaticales et orthographiques ainsi que les imperfections syntaxiques (je reste néanmoins entièrement responsable de celles qui auraient pu échapper à sa courageuse et maternelle vigilance). D’autres encore ont été mis grandement à contribution. Je tiens à témoigner mon extrême gratitude à Aloys Berdoll, qui fut parmi les premiers à souffrir (sa légendaire rigueur me fut d’une grande utilité) ainsi qu’à Jean-Paul et Guillaume Callonnec, qui ont bien voulu s’abrutir en pianotant plusieurs heures sur leurs claviers pour faire tourner mes premières macros sur excell. Dominique Damide mérite également mes sincères remerciements, ainsi que Thierry Conan qui m’a mis du baume au cœur en me vouant une confiance inébranlable. Je tiens enfin à rendre hommage à la patience et au dévouement affectueux de France Fontugne, qui a su me soutenir dans la dernière ligne droite, sans jamais douter de son aboutissement. Ses relectures avisées et ses coups de main informatiques m’ont été d’un grand secours. Ils furent tous mis à rude épreuve, j’ose espérer que leur sacrifice ne sera pas vain et qu’il leur restera quelques notions de macro-économie financière…

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Sommaire Résumé

.................................................................................................................................................................................... 2 Remerciements

.................................................................................................................................................................................... 4 INTRODUCTION GENERALE

8 1. LA LUTTE CONTRE L’INFLATION : UN ELEMENT MAJEUR DE LA STABILITE FINANCIERE

15 1.1. CREDIBILITE DE LA POLITIQUE MONETAIRE ET STABILITE DES PRIX.................................................... 16

1.1.1. Le monétarisme ou la remise en cause de l’arbitrage inflation - chômage................................... 18 1.1.1.1. L’inefficacité des politiques budgétaires et monétaires ....................................................................... 19 1.1.1.2. L’explication monétariste de la stagflation.......................................................................................... 23 1.1.1.3. Les explications alternatives de la stagflation ..................................................................................... 28

1.1.2. Anticipations rationnelles et effet de surprise monétaire .............................................................. 35 1.1.2.1. La théorie du cycle économique d’équilibre........................................................................................ 36 1.1.2.2. Coût de la désinflation et crédibilité des autorités monétaires............................................................. 46 1.1.2.3. L’école du cycle économique réel ....................................................................................................... 55

1.1.3. Stabilité des prix et stabilité financière : le principe de Schwartz ................................................ 59 1.1.3.1. Les coûts et avantages de l’inflation.................................................................................................... 60 1.1.3.2. Du proxy effect à l’accélérateur financier ............................................................................................ 64

1.2. POLITIQUE MONETAIRE CONTRA-CYCLIQUE ET STABILITE FINANCIERE .............................................. 71 1.2.1. Rigidités nominales et efficacité de la politique monétaire........................................................... 72

1.2.1.1. Le fondement micro-économique de la rigidité des prix et des salaires .............................................. 73 1.2.1.2. La remise en cause du principe d’invariance de Sargent ..................................................................... 77

1.2.2. Monnaie endogène et asymétrie d’information............................................................................. 80 1.2.2.1. L’effet déstabilisateur de la flexibilité des prix et des salaires ............................................................ 80 1.2.2.2. L’impact des facteurs financiers sur l’offre globale : le credit view .................................................... 85

1.2.3. Equilibre général et accélérateur financier .................................................................................. 98 1.2.3.1. Le modèle de Greenwald et Stiglitz..................................................................................................... 98 1.2.3.2. Le modèle de Bernanke, Gertler et Gilchrist ..................................................................................... 101

CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE ............................................................................................................ 108 2. LA CREDIBILITE DE LA POLITIQUE MONETAIRE A L’EPREUVE DE L’INSTABILITE

110 2.1. LE « PARADOXE DE LA CREDIBILITE », LA RECRUDESCENCE DES CRISES EN REGIME DE FAIBLE INFLATION....................................................................................................................................................... 112

2.1.1. La faible réaction des banques centrales serait à l’origine des crises........................................ 113 2.1.1.1. Stabilité de prix versus stabilité financière : le « paradoxe de la crédibilité » ................................... 113 2.1.1.2. Les canaux de transmission des prix des actifs sur la sphère réelle. .................................................. 121 2.1.1.3. La boucle crédit-prix des actifs ......................................................................................................... 127

2.1.2. L’introduction du prix des actifs dans la fonction de réaction des banques centrales................ 138 2.1.2.1. Efficience des marchés financiers et réaction des banques centrales au prix des actifs..................... 140 2.1.2.2. Le modèle avec bulle rationnelle de Bernanke et Gertler .................................................................. 145 2.1.2.3. La controverse soulevée par Cecchetti et al. ..................................................................................... 151

2.2. UNE EXPLICATION ALTERNATIVE : L’HYPOTHESE DE L’INSTABILITE FINANCIERE DE MINSKY.......... 161 2.2.1. Le modèle à deux prix de Minsky ................................................................................................ 162

2.2.1.1. L’hypothèse de l’instabilité financière .............................................................................................. 162 2.2.1.2. La controverse autour de l’hypothèse de l’instabilité financière ....................................................... 167

2.2.2. Les modèles post-keynésiens : la remise en cause de l’austérité monétaire ............................... 176 2.2.2.1. Arbitrage de portefeuille et effet d’entraînement............................................................................... 177 2.2.2.2. Structure financière et instabilité endogène....................................................................................... 186 2.2.2.3. Stabilité financière et conflit de répartition ....................................................................................... 194

CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE ........................................................................................................... 198

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3. DYNAMIQUE DES TAUX D’INTERET ET DES EMISSIONS NETTES D’ACTIONS

203 3.1. L’ARBITRAGE DES AGENTS ENTRE ACTIFS RISQUES ET NON RISQUES ................................................ 209

3.1.1. Placements financiers et participations croisées : un système de mutualisation des risques des dirigeants................................................................................................................................................... 210

3.1.1.1. Les justifications de l’arbitrage ......................................................................................................... 211 3.1.1.2. Existe-t’il un effet d’éviction entre investissements physiques et investissements financiers ? ........ 217

3.1.2. L’arbitrage des entreprises entre actifs physiques et actifs financiers ....................................... 221 3.1.2.1. Diversification des actifs et réduction du risque................................................................................ 221 3.1.2.2. L’offre d’obligations et d’actions ...................................................................................................... 225

3.1.3. Arbitrage des ménages entre épargne sans risque, obligations et actions.................................. 230 3.1.3.1. La combinaison efficiente d’actifs risqués des ménages ................................................................... 230 3.1.3.2 La part de l’épargne dans le portefeuille d’actifs des ménages.......................................................... 232

3.2. LA DETERMINATION DU PRIX DES TITRES ET LEUR IMPACT SUR L’ECONOMIE REELLE....................... 234 3.2.1. Les principaux modes d’influence de la finance sur l’économie réelle....................................... 235

3.2.1.1. L’impact des variables financières sur l’investissement et l’offre globale ........................................ 235 3.2.1.2. L’effet des cours boursiers sur l’offre de crédit................................................................................. 239

3.2.2. La relation décroissante entre le prix des actions et des obligations.......................................... 241 3.2.2.1. Rentabilité anticipée des actions et prix des actifs............................................................................. 242 3.2.2.2. Arbitrage des agents et cycle financier .............................................................................................. 248

3.3. LUTTE CONTRE L’INFLATION, REDUCTION DU CHOMAGE ET STABILITE FINANCIERE......................... 251 3.3.1. Une politique contra-cyclique est nécessaire.............................................................................. 252

3.3.1.1. Politique monétaire et accélérateur financier : la lutte contre l’inflation est nécessaire..................... 253 3.3.1.2. La lutte contre l’inflation est nécessaire ............................................................................................ 255

3.3.2. Les effets néfastes d’une réaction trop agressive à l’inflation .................................................... 258 3.3.2.1. Effet d’hystérésis de la hausse des taux et surévaluation des cours................................................... 258 3.3.2.2. Effet d’une politique monétaire peu réactive à l’inflation ................................................................. 261 3.3.2.3. Les simulations réalisées valident l’hypothèse de l’instabilité financière de Minsky........................ 267

3.3.3. Les moyens d’assurer la stabilité financière ............................................................................... 271 3.3.3.1. La lutte contre le chômage permet de stabiliser le cycle ................................................................... 271 3.3.3.2. Ciblage du prix des actifs et stabilité du cycle de l’activité ............................................................... 274

CONCLUSION DE LA TROISIEME PARTIE ........................................................................................................... 278 CONCLUSION GENERALE

282 ANNEXE

290 Annexe n°1. Blanchard et Muet (1993) : la dynamique compétitivité-chômage .................................................... 290 Annexe n°2. Suite du modèle de Bernanke, Gertler et Gilchrist (1998) ................................................................. 292 Annexe n°3. Crédibilité des autorités monétaires et crises financières................................................................... 295 Annexe n°4. V de Kaldor, Q de Tobin et rachat d’actions ..................................................................................... 296 Annexe n°5. Modèle de Goodwin (1967) : chômage, accumulation et répartition ................................................. 300 Annexe n°6. Modèle............................................................................................................................................... 304 Annexe n°7. Valeurs des variables et des constantes à l’état stationnaire .............................................................. 307 Annexe n°8. Graphiques......................................................................................................................................... 308 Annexe n°9. Démonstrations.................................................................................................................................. 316 Indexe des abréviations et des sigles ...................................................................................................................... 322

BIBLIOGRAPHIE

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Table des encadrés

Encadré 1. IS-LM avec prix flexibles et l’approche monétariste............................................. 20 Encadré 2. Le modèle IS-LM en économie ouverte et la stagflation....................................... 30 Encadré 3. La substitution inter-temporelle du travail et la courbe d’offre de Lucas.............. 37 Encadré 4. La nouvelle école Classique................................................................................... 39 Encadré 5. Le modèle de Sargent et Wallace (1976) ............................................................... 42 Encadré 6. Anticipation rationnelle et multiplicateur keynésien ............................................. 45 Encadré 7. Le modèle de Kydland et Prescott (1977).............................................................. 49 Encadré 8. Le modèle de réputation......................................................................................... 53 Encadré 9. Le modèle de Sargent (1987) ................................................................................. 77 Encadré 10. Le modèle de Bernanke et Gertler (1989)............................................................ 90 Encadré 11. Le modèle de Kiyotaki & Moore (1997).............................................................. 93 Encadré 12. Le modèle de Bernanke, Gertler, Gilchrist (1998)............................................. 106 Encadré 13. Le modèle de Laskar (2003) .............................................................................. 141 Encadré 14. Le modèle de Bernanke et Gertler (1999).......................................................... 147 Encadré 15. Le modèle de Flaschel, Franke et Semmler (1997)............................................ 178 Encadré 16. Le modèle d’Aglietta, Coudert et Mojon (1995) ............................................... 182 Encadré 17. Les modèles de Delli Gatti, Gallegati et Gardini ............................................... 188 Encadré 18. Le modèle de Foley (1987) ................................................................................ 191 Encadré 19. Le modèle de Semmler et Sieveking (1993) ...................................................... 193 Encadré 20. Le modèle de Keen (1995, 1996)....................................................................... 195

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Introduction générale

Les Etats-Unis ont subi une crise financière d’une ampleur inégalée en 2000-2003. Pour la première fois depuis 1929, tous les grands indices boursiers ont connu trois années de baisse consécutive. L’indice américain S&P 500 et le Nasdaq ont respectivement perdu 45 % et 73% de leur valeur1. Le krach a surpris un grand nombre d’observateurs car, à l’époque, le taux de croissance du PIB était soutenu2, le taux de chômage historiquement faible, le budget de l’Etat excédentaire et le taux d’inflation si bas que la majorité des économistes avait fini par se persuader que cette période faste était le fruit de gains de productivité générés par les nouvelles technologies, qui mettaient durablement le pays à l’abri d’une éventuelle surchauffe. Après avoir mis en garde les investisseurs contre « l’exubérance irrationnelle » des marchés financiers, les autorités monétaires américaines elles-mêmes s’étaient laissé gagner peu à peu par l’opinion dominante. Après tout, la Banque centrale pouvait sans scrupule partager l’optimisme ambiant puisqu’il lui semblait que toutes les mesures avaient été prises pour l’endiguer. En effet, le taux directeur réel avait atteint son plus haut niveau depuis dix ans après avoir été multiplié par quatre entre 1995 et 2000. La Federal Reserve Bank (Fed.) avait réussi l’exploit d’éradiquer les pressions inflationnistes mieux qu’aucune autre Banque centrale, puisque le taux de croissance des prix du secteur non financier était inférieur à 1 % sur la même période. Le président de la Fed. faisait l’admiration de tous les analystes financiers qui ne cessaient de le citer en exemple, notamment parce qu’il était parvenu à porter la capitalisation boursière américaine à des sommets vertigineux, trois fois plus élevés qu’en 1993. La déconvenue fut à la hauteur de l’enthousiasme qui la précédait. Cette crise a ébranlé un certain nombre d’idées reçues et notamment le credo selon lequel la croissance est soutenable dès lors qu’elle est exempte de pressions inflationnistes. De nombreuses études empiriques ont alors mis en avant l’existence d’une recrudescence des crises financières en régime de faible inflation (Borio et Lowe, 2002 ; Boucher et Vasques 2004). Le F.M.I. en a relevé plus de 130 uniquement sur la période 1980-1998. Ces travaux ont remis en question le « principe de Schwartz » selon lequel la stabilité des prix promeut la stabilité financière (Schwartz, 2002). La coïncidence entre la faiblesse de l’inflation et l’émergence d’une bulle spéculative peut paraître contre-intuitive aussi bien sur le plan micro- que macro-économique. D’un point de vue micro-économique, on sait que le prix des actions diminue lorsque les profits baissent ou lorsque le taux d’intérêt augmente, puisqu’à l’équilibre, lorsque les agents sont rationnels et que leur horizon temporel est illimité, la valeur d’un titre est théoriquement égale à la somme actualisée des dividendes distribués (Gordon et Shapiro, 1956). De ce point de vue, si la désinflation résulte d’une augmentation des taux d’intérêt réels, elle ne devrait pas coïncider avec une hausse des cours. En revanche, certains économistes (Ammer, 1994) prétendent que la prime de risque diminue lorsque l’inflation baisse, mais il arrive un moment

1 Pour la seule année 2002, le Nasdaq, le CAC 40, l’Euro Stoxx 50, le DAX et le Footsie ont perdu 35 % de leur valeur en moyenne. 2 Le taux de croissance du PIB américain s’est élevé à 3,7 % entre 1995 et 2000. Le taux de chômage en 2002 était inférieur à 6 %.

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ou elle atteint un plancher. Ce phénomène ne peut donc expliquer de manière satisfaisante une croissance exponentielle et prolongée des indices boursiers en période de stabilité des prix. D’un point de vue macro-économique, les monétaristes ou les nouveaux classiques estiment, conformément à la théorie de l’effet de surprise de Lucas, que la monnaie est neutre à long terme et que les variations du PIB résultent essentiellement des fluctuations non anticipées de la masse monétaire que la Banque centrale est supposée contrôler. Dans leur optique, la volatilité des prix est l’unique cause de l’instabilité de l’activité et des cours boursiers. Les variations brutales et non anticipées de l’inflation, notamment à la baisse, fragilisent les intermédiaires financiers et peuvent à moyen terme déboucher sur un rationnement du crédit et une crise boursière préjudiciables au bien-être des agents. Selon cette approche, il est peu probable qu’une surévaluation des cours se produise en période de stabilité des prix, c’est-à-dire de faible inflation. Les néo-keynésiens ont mis en évidence l’existence d’un effet d’accélérateur financier. En situation d’asymétrie d’information, le coût du capital dépend du coût de faillite (Greenwald et Stiglitz, 1993a, 1993b) ou d’une prime de risque qui varie à l’inverse de la valeur de marché des actifs détenus en collatéral par les débiteurs (Bernanke et Gertler, 1989 ; Kiyotaki et Moore, 1997 ; Bernanke, Gertler et Gilchrist, 1998). Lorsque les cours boursiers augmentent, la prime de risque bancaire diminue et l’offre de crédit se développe, au profit notamment de la spéculation. Ce mécanisme est à l’origine d’une spirale crédit–prix des actifs auto-entretenue, qui se traduit à la fois par un emballement des cours et une accélération des prix. La variation de la prime de risque a donc un effet pro-cyclique déstabilisateur qu’il est nécessaire d’endiguer en menant une politique monétaire contra-cyclique. De ce point de vue, la lutte contre l’inflation devrait assurer une relative stabilité du crédit et favoriser la stabilité boursière. A cet égard, l’émergence d’une bulle spéculative en période de faible inflation peut paraître totalement anachronique. La théorie de l’accélérateur financier fait désormais l’objet d’une relative unanimité : les post-keynésiens l’ont adoptée tandis que la plupart des économistes d’obédience monétariste ou proches de l’école des nouveaux classiques, comme Schwartz (2002), l’ont finalement admise car cela leur permettait de justifier la mise en place d’une politique monétaire anti-inflationniste, au moment même où leurs propres théories étaient de plus en plus remises en cause. En effet, il fut démontré que le principe d’invariance de Sargent (1987) était invalide puisque l’introduction des anticipations rationnelles dans un modèle où l’on n’exclut pas a priori des ajustements en volume, ne prive pas la politique monétaire de son efficacité à long terme, surtout si la concurrence est imparfaite (Flashel, Franke et Semmler, 1997). En admettant la pertinence de la thèse de Bernanke et Gertler, les économistes libéraux ont implicitement reconnu les limites des théories qu’ils avançaient jusque-là pour justifier la lutte contre l’inflation, car elles sont fondamentalement incompatibles avec le caractère endogène de la création monétaire à l’origine de l’accélérateur financier. Le souci de limiter les effets pervers de la spirale crédit-prix des actifs et de garantir la stabilité financière est aujourd’hui l’ultime justification de la lutte contre l’inflation qui fasse l’objet d’un relatif consensus. Il est largement admis qu’une politique monétaire contra-cyclique est la meilleure manière de prévenir l’apparition d’une surévaluation boursière. C’est pourquoi de nombreux économistes sont restés désemparés et perplexes face à la recrudescence des crises financières en régime de faible inflation.

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Goodfriend (2001), ainsi que Borio, English et Filardo (2003) ont alors émis l’hypothèse d’un « paradoxe de la crédibilité » de la Banque centrale (Mésonnier, 2004) pour expliquer ce phénomène. Ils supposent que lorsque les autorités monétaires inspirent confiance, il existerait une convention implicite de modération salariale et une réduction endogène du taux de marge qui préviendraient l’apparition de pressions inflationnistes flagrantes en période d’accélération de la croissance. En se focalisant sur le taux d’inflation effectif, la Banque centrale aurait donc tendance à sous-évaluer la surchauffe et à tolérer une offre de crédit trop importante, susceptible d’alimenter la spéculation. Ces auteurs ont ainsi tenté une synthèse plutôt hasardeuse entre d’une part, les modèles de la crédibilité de Kydland et Prescott (1977) qui reposent fondamentalement sur la neutralité et le caractère exogène de la monnaie et d’autre part, les modèles d’accélérateur financier qui impliquent au contraire une politique monétaire efficace et une monnaie endogène. Cette manœuvre est d’autant plus déroutante que les modèles de la crédibilité ont été implicitement reniés par leurs propres auteurs (Kydland et Prescott (1982) ont ensuite fondé l’école du cycle économique réel qui postule l’hyper neutralité de la monnaie, même à court terme, et son caractère endogène). La théorie du paradoxe de la crédibilité vise donc à réhabiliter le « principe de Schwartz » bien qu’il ait été largement invalidé par les données empiriques. L’explication avancée incite encore davantage les banques centrales à mener une politique restrictive en période de croissance. Quelques auteurs se sont alors interrogés sur l’opportunité d’introduire le prix des actifs dans la fonction de réaction des autorités monétaires (Bernanke et Gertler, 1999, 2001 ; Cecchetti et al., 2000, 2003), puisque le cours des actions est une variable avancée de l’inflation. A cet égard, la lutte contre une hausse relativement démesurée des indices boursiers peut être considérée comme un bon moyen de réduire plus vigoureusement les pressions inflationnistes latentes. Pour répondre à cette question, Bernanke et Gertler (1999) ont introduit un mécanisme d’accélérateur financier et une bulle spéculative exogène dans un modèle en équilibre général d’inspiration néo–keynésienne. Ainsi ont-ils pu affirmer qu’il est inefficient d’augmenter le taux directeur en cas d’envolée des cours boursiers. Pourtant, Cecchetti et al. ont défendu une conclusion radicalement opposée à la leur, à partir du même modèle, en rajoutant simplement l’output gap dans la fonction de réaction de la Banque centrale. Leurs travaux ont déclenché une vive controverse. Néanmoins, ces divergences peuvent paraître relativement accessoires pour plusieurs raisons : D’abord, aucun protagoniste, ou presque, ne recommande que le prix des actions soit ciblé de manière automatique. En effet, tous admettent que la réponse de la Banque centrale doit dépendre de la nature des chocs qui affectent l’économie et que les cours sont trop volatils pour lui servir d’objectif intermédiaire. Ensuite, ils préconisent de manière unanime une réaction plus agressive des autorités monétaires contre l’inflation. Enfin, personne ne s’est véritablement attardé sur les deux principales limites de ces modèles : Premièrement, la bulle spéculative est exogène, cela signifie que la Banque centrale peut tout au plus juguler ses effets sur l’activité réelle mais qu’elle ne peut ni prévenir son apparition, ni circonscrire son ampleur. Ces modèles ne permettent donc pas d’étudier quelle politique peut au mieux promouvoir la stabilité financière.

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Deuxièmement, l’offre de travail résulte d’un arbitrage inter-temporel entre les revenus et le loisir, comme si le chômage était volontaire. Cette spécification peut sembler incohérente puisque les post-keynésiens ainsi que Greenwald et Stiglitz (1993a, 1993b) ont montré qu’en cas d’asymétrie d’information, lorsque la monnaie est endogène et que les variables financières ont un impact sur l’offre globale, la flexibilité des prix et des salaires ne permet pas de restaurer instantanément l’équilibre de plein-emploi. Au contraire, elle peut aggraver les effets récessifs d’un choc. Dans de telles conditions, il est impossible de prétendre que le chômage puisse être le résultat d’un choix délibéré. Ces limites peuvent déboucher sur des recommandations de politique monétaire erronées. En bref, pour faire face à la multiplication des crises financières en régime de faible inflation, ces auteurs préconisent paradoxalement de lutter davantage contre la hausse des prix, sur la base de modèles qui reposent sur des présupposés théoriques contradictoires et qui ne permettent pas de déterminer quelle politique pourrait au mieux prévenir l’instabilité financière. Pourtant, il existe une théorie alternative à celle avancée par les tenants du « paradoxe de la crédibilité » pour expliquer la recrudescence des crises en période de relative stabilité des prix. Selon « l’hypothèse de l’instabilité financière » de Minsky (1975, 1982b), la bulle spéculative ne résulte pas d’une hausse trop tardive du taux d’intérêt. Au contraire, elle provient d’une augmentation prématurée trop vigoureuse du coût du capital en période ascendante du cycle. Minsky considère qu’en phase de croissance, l’euphorie régnante sur les marchés financiers et la hausse du taux d’intérêt incitent les agents à privilégier leurs investissements financiers plutôt que leurs investissements corporels. Les sociétés ont notamment tendance à augmenter la part de leurs actifs financiers dans leur bilan ce qui peut entraîner une baisse des émissions nettes d’actions et donc une hausse de leur prix. Cependant, cet arbitrage rentabilité-risque provoque une augmentation mécanique du ratio des charges financières sur la production. Cela conduit les entreprises à émettre davantage d’emprunts obligataires, ce qui dégrade le ratio liquidités sur titres et provoque une nouvelle hausse des taux. Tant que l’offre de crédit, dopée par l’envolée des cours, permet aux entreprises de faire face à leurs charges financières croissantes et tant qu’elle alimente la spéculation à crédit, la croissance perdure et la capitalisation boursière enfle, malgré l’augmentation du coût du capital. Le cycle s’inverse lorsque les entreprises doivent vendre leurs titres financiers pour honorer leurs créances. Cela provoque un effondrement des cours boursiers et une contraction de l’offre de crédit qui engendrent une récession. De ce point de vue, l’instabilité financière n’est pas imputable à la négligence des autorités monétaires mais plutôt à leur excès de zèle. Minsky (1975) estime que, dans ces circonstances, seule une relative augmentation des pressions inflationnistes en phase ascendante peut desserrer la contrainte de liquidité des firmes et les inciter à privilégier leur croissance interne au détriment de leur croissance externe. La hausse des prix en période d’expansion serait le meilleur moyen de limiter l’instabilité du cycle financier. Une politique monétaire plus restrictive ne ferait que précipiter le krach tant redouté. L’interaction entre d’une part, la spirale crédit-prix des actifs et d’autre part, l’arbitrage des agents entre actifs financiers et actifs corporels, est au cœur de la dynamique décrite par Minsky. Il serait en effet difficile d’envisager que l’offre de crédit puisse augmenter malgré la hausse des taux si le prix des actions n’avait pas une incidence positive sur la création

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monétaire. Réciproquement, il serait difficile d’admettre que les cours boursiers puissent s’élever malgré l’augmentation du coût du capital si l’offre de crédit ne finançait pas l’acquisition d’actifs financiers. De plus, il serait impossible de concevoir que le ratio des charges financières sur la production puisse s’élever en période de croissance et d’essor des profits, si par ailleurs la part des investissements financiers n’augmentait pas au détriment de la part des investissements corporels. Or ce phénomène se produit lorsque le taux d’intérêt monte puisque, selon les modèles standards d’arbitrage (Markowitz, 1952 ; Tobin, 1958), la part des actifs risqués dans le portefeuille des agents gonfle lorsque le coût de l’actif sans risque s’accroît. De ce point de vue, il n’est donc pas évident qu’une hausse du taux directeur puisse juguler la croissance des cours boursiers. L’arbitrage des entreprises entre actifs physiques et financiers occupe donc une place centrale dans l’hypothèse d’instabilité financière de Minsky. Or, cette question fut largement négligée jusque dans les années 1990 car la plupart des économistes considéraient, à l’instar de Modigliani et Miller, qu’elles n’avaient pas besoin d’acheter des actions pour diversifier leur bilan et réduire leur risque, puisque leurs actionnaires pouvaient y parvenir mieux qu’elles. Or les émissions nettes d’actions ont été très largement négatives à partir des années 1980 aux Etats-Unis. Les entreprises américaines ont acheté 6300 milliards de dollars d’actions exclusivement à crédit entre 1995 et 2000, période au cours de laquelle la bulle spéculative s’est développée. Face à de tels montants, il n’était plus possible de prétendre qu’il s’agissait d’une simple gestion résiduelle d’excédents de trésorerie. Ces acquisitions financières ne pouvaient pas non plus être assimilées à des investissements productifs visant à réaliser des économies d’échelle, puisque ces titres étaient en grande majorité soit des valeurs mobilières de placement détenues à court terme, soit des actions acquises dans le cadre de fusions-acquisitions purement conglomérales (Coutinet et Sagot-Duvauroux, 2003). Ces opérations essentiellement spéculatives avaient pour principal objectif la réduction du risque de faillite des entreprises dans l’intérêt de leurs dirigeants (Jensen, 1986, 1988 ; Paquerot, 1997) et l’augmentation du rendement des titres, dans l’intérêt de leurs détenteurs (Plihon et al., 2002 ; Aglietta et Rebérioux, 2004). Etant donné que les entreprises n’ont pas financé ces achats d’actions sur fonds propres et que le montant comme le mode de leur financement externe influencent le coût de leur capital et les conditions de la maximisation de leurs profits, on peut vraisemblablement affirmer, à l’instar de Minsky (1975), que les entreprises procèdent à un arbitrage rentabilité-risque pour déterminer quelle est la part optimale que devraient avoir leurs actifs financiers dans leur bilan, conformément aux travaux empiriques d’Epaulard et Szpiro (1991). Les entreprises ont donc privilégié leur croissance externe plutôt que leur croissance interne, ou simplement l’acquisition de valeurs mobilières de placement au lieu d’immobilisations corporelles, au moment même où les pressions inflationnistes étaient les plus faibles et où les taux réels étaient les plus élevés. Au cours de ce processus, le prix des actions s’est envolé vers des sommets inégalés, et pour cause : une hausse de l’épargne sans risque des ménages, induite par une augmentation du taux directeur, peut difficilement enrayer la hausse des cours si les émissions nettes d’actions sont négatives. Il semble impossible de comprendre l’émergence d’une bulle spéculative sans prendre en considération ce phénomène, tant ses proportions sont devenues considérables. Ces faits stylisés ont apporté un large crédit à la thèse de Minsky.

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Plutôt que d’incriminer le laxisme des banques centrales, il faut se demander au contraire, si la lutte contre l’inflation et l’éradication progressive des pressions inflationnistes ne sont pas à l’origine de l’émergence des bulles spéculatives. Pour répondre à cette question, il est nécessaire d’introduire un mécanisme d’accélérateur financier dans un modèle AS-AD en concurrence imparfaite où la monnaie, ainsi que les prix et les salaires, sont endogènes et où le taux directeur est déterminé par une règle de Taylor. Mais contrairement au modèle de Bernanke et Gertler (1999), la composante spéculative du prix des actions ne doit pas être déterminée de manière exogène. Le prix des titres doit être fixé par leur offre et leur demande respectives, comme l’ont modélisé Aglietta, Coudert et Mojon (1995). Cependant, l’arbitrage des ménages entre actifs doit être étendu non seulement aux actions et à l’épargne sans risque, mais aussi aux obligations, afin de tenir compte des problèmes de liquidité évoqués par Minsky. De plus, il faut modéliser l’arbitrage des entreprises entre achats d’actions et acquisitions d’immobilisations corporelles pour générer les effets décrits dans « l’hypothèse d’instabilité financière ». Les agents effectuent leur arbitrage entre actifs sur la base des anticipations de leur rapport rentabilité-risque respectif et de l’impact simultané que ces décisions ont sur le coût du capital. Il est essentiel de prendre en considération aussi bien l’incidence de la composition des portefeuilles que l’effet de l’évolution de la structure du bilan des firmes sur la dynamique du crédit et de l’investissement, comme l’ont souligné les post-keynésiens (Foley, 1989). Il est aussi important d’analyser les conséquences des éventuels conflits de répartition entre salaires et profits qui pourraient survenir au cours du cycle (Keen, 1996). Etant donné que la flexibilité des prix et des salaires ne tend pas vers l’équilibre de plein-emploi lorsque la monnaie est endogène et que les variables financières ont une influence sur l’offre globale (Greenwald et Stiglitz, 1993), il est impossible de prétendre que le chômage est volontaire. Il faut donc renoncer à modéliser un arbitrage inter-temporel entre le travail et le loisir. En revanche, il est judicieux d’introduire une cible de chômage dans la fonction de réaction des banques centrales. Le modèle en équilibre général présenté en troisième partie obéit à ces exigences. Les deux premières parties justifient théoriquement et empiriquement le choix des hypothèses qui fondent sa conception. Une revue synthétique des théories qui ont légitimé l’adoption d’une politique de lutte contre l’inflation est présentée en première partie. Les travaux des monétaristes et des nouveaux classiques, qui ont fortement influencé les autorités monétaires à partir des années 1980, sont d’abord étudiés, avant d’analyser les théories néo- et post-keynésiennes qui les ont remis en cause. On verra à cette occasion que la stabilité financière est l’ultime justification de la lutte contre l’inflation qui fasse aujourd’hui l’objet d’un large consensus entre économistes, sur la base de la théorie de l’accélérateur financier. Les monétaristes et les nouveaux classiques n’ont pas réussi à remettre fondamentalement en cause le keynésianisme, ni à proposer une explication alternative crédible des fluctuations économiques. Ils ne sont pas parvenus à démontrer que l’éradication des pressions inflationnistes est préférable à un faible niveau d’inflation compatible avec l’équilibre de long terme. En réhabilitant l’arbitrage inflation–chômage, les économistes d’obédience keynésienne ont non seulement mis en évidence le caractère réducteur et abusif des postulats de la nouvelle économie classique, mais ils ont également souligné l’utilité d’une inflation modérée. En admettant de manière unanime la nécessité de prévenir l’apparition d’une spirale crédit-prix des actifs, les économistes ont reconnu le caractère endogène de la monnaie et l’influence des variables financières sur l’offre globale. Ce faisant, ils ont implicitement mais indéniablement récusé l’approche des nouveaux classiques. Le débat s’est désormais déplacé

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sur l’importance relative qu’il faut accorder au coefficient de réaction de la Banque centrale à l’inflation. Ce n’est plus son niveau mais sa volatilité qui est jugée problématique. La deuxième partie de cette thèse expose les données empiriques qui invalident à première vue le « principe de Schwartz », selon lequel la stabilité des prix promeut la stabilité financière, et qui attestent la recrudescence des crises en période de faible inflation. L’hypothèse du « paradoxe de la crédibilité » est examinée et une revue de la littérature succincte présente le débat sur l’introduction du prix des actifs dans la fonction de réaction de la Banque centrale. « L’hypothèse de l’instabilité financière » de Minsky est ensuite présentée en guise d’explication alternative ainsi qu’un certain nombre de modèles post-keynésiens qui s’en sont inspirés. Les caractéristiques du modèle évoqué plus haut sont présentées dans la troisième partie. Une attention particulière est d’abord portée aux modalités d’arbitrage entre actifs des agents, puisqu’elles déterminent de manière endogène le prix des actifs financiers, ensuite l’incidence des variables financières sur l’économie réelle est étudiée, via la courbe d’offre globale, l’effet de richesse et l’offre de crédit. Les simulations réalisées valident les théories post-keynésiennes et l’importance du canal du bilan soulignée par certains néo-keynésiens. Elles montrent que le coefficient de réaction de la Banque centrale à l’inflation doit être d’autant plus grand que l’accélérateur financier est conséquent. Néanmoins, il ne doit pas être trop élevé sous peine de générer une bulle spéculative. Il existe donc un plancher et un plafond que le coefficient de réaction de la Banque centrale ne doit pas dépasser car l’effet contra-cyclique de sa politique est également amplifié par l’accélérateur financier. Dans ces circonstances, l’introduction du prix des actions dans la fonction de réaction des banques centrales est inefficiente. En revanche, les résultats indiquent clairement que la lutte contre le chômage est une bonne manière d’assurer la convergence du cycle.

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1. La lutte contre l’inflation : un élément majeur de la stabilité financière

La crise de 1970 et la stagflation ont remis en cause l’économie d’endettement et encouragé la mise en oeuvre de politiques monétaires restrictives essentiellement axées sur la lutte contre l’inflation. D’un point de vue théorique, elles ont été justifiées par les monétaristes et les nouveaux classiques qui considèrent que la politique monétaire est inefficace lorsqu’elle est parfaitement anticipée. Selon eux, l’expansion monétaire n’a aucune influence sur la production en volume à long terme, mais seulement des effets inflationnistes. Par contre, ils estiment qu’elle peut être déstabilisante à court terme, conformément à la théorie de l’effet de surprise de Lucas (1972, 1973). Ces économistes ont donc contesté la possibilité d’effectuer un arbitrage entre l’inflation et le chômage en affirmant la neutralité de la monnaie à long terme. En rejetant la responsabilité de l’instabilité conjoncturelle sur la politique monétaire, ils ont légitimé la lutte contre l’inflation. Cette optique a été vigoureusement remise en question à la fois par les néo-keynésiens et les post-keynésiens. Les premiers ont adopté une approche micro-fondée pour contester la flexibilité des salaires et des prix et la possibilité d’un ajustement automatique du marché du travail. Ils ont ainsi justifié l’existence d’une courbe de Phillips élastique à court et moyen terme et la possibilité de procéder à un arbitrage entre l’inflation et le chômage. Ils ont également complètement reconsidéré le lien entre le sphère financière et réelle sur la base de l’hypothèse de l’asymétrie d’information en montrant que les variables financières n’affectent pas seulement la demande globale, mais aussi l’offre globale via le canal du crédit et le canal du bilan. Ils ont donc profondément ébranlé le dogme classique de la neutralité de la monnaie. Les post-keynésiens ont, quant à eux, renié le caractère exogène de l’offre de monnaie pour démontrer l’efficacité de la politique monétaire, tout en prenant en considération les innovations théoriques foisonnantes des néo-keynésiens. Ces théories ont donc réhabilité les politiques monétaires contra-cycliques. De ce point de vue, elles ont remis en doute l’opportunité d’éradiquer systématiquement et totalement les pressions inflationnistes. Néanmoins, les néo-keynésiens comme les monétaristes et les nouveaux classiques, estiment qu’il est nécessaire de maintenir un régime d’inflation relativement faible pour limiter les effets déstabilisateurs de « l’accélérateur financier ». La prévention de l’instabilité financière est l’ultime argument qui fasse l’objet d’un relatif consensus parmi les économistes pour justifier la lutte contre l’instabilité des prix. L’économiste monétariste américaine Anna Schwartz (1995, 2002) a systématisé la vision traditionnelle selon laquelle une politique monétaire axée sur la stabilité des prix permet de réduire la fréquence et la gravité des crises financières. “Monetary stability is a prerequisite of price stability, and price stability is a prerequisite of monetary stability.” (1995, p. 25) Il est d’abord nécessaire d’étudier les théories qui ont justifié la lutte systématique contre les pressions inflationnistes et qui sous-tendent le « principe de Schwartz », notamment la remise en cause de l’arbitrage entre l’inflation et le chômage ainsi que la théorie de l’effet de surprise monétaire de Lucas (1.1). Il faut ensuite les confronter aux théories néo-keynésiennes qui légitiment la mise en place de politiques monétaires contra-cycliques visant la stabilité de l’inflation plutôt que celle des prix (1.2).

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1.1. Crédibilité de la politique monétaire et stabilité des prix

Les keynésiens dits “orthodoxes” considéraient que les variations de la masse monétaire avaient peu d’impact sur le revenu réel car ils estimaient que la vitesse de circulation de la monnaie s’adaptait en fonction des besoins. Selon leurs détracteurs, ils accordaient une trop grande importance aux deux cas extrêmes de la théorie keynésienne : l’existence d’une trappe à liquidité d’une part, et le cas d’un forte inélasticité de l’investissement au taux d’intérêt d’autre part. La politique monétaire avait donc peu d’influence à leurs yeux en comparaison de la politique budgétaire. Friedman (1956), Friedman et Schwartz (1963) ont réhabilité l’approche quantitative et ont souligné l’impact de la variation de la masse monétaire sur le cycle du revenu. D’un point de vue fondamental, les monétaristes sont des néoclassiques qui admettent la possibilité d’un déséquilibre transitoire lié à l’imperfection de l’information. Ils estiment, comme les classiques, que l’offre est déterminée par les quantités de facteurs de production disponibles compte tenu des technologies existantes, mais seulement à long terme. En effet, ils considèrent que l’offre de court terme est une fonction croissante des prix et non une droite verticale. Ils justifient cette prise de distance à l’égard du schéma néoclassique orthodoxe en supposant que l’information et les anticipations sont imparfaites. Selon eux, la politique monétaire est déstabilisante. Les fluctuations de l’offre de monnaie, supposée exogène, sont à l’origine du cycle réel de l’activité. Ils pensent qu’il est nécessaire de lutter contre la volatilité des prix afin d’améliorer le bien-être. La stagflation ainsi que la remise en cause apparente de l’arbitrage entre l’inflation et le chômage, qui validait les théories keynésiennes, ont donné une caution empirique aux théories monétaristes. Mais rapidement, elles furent critiquées à la fois par les keynésiens, qui ont réussi à expliquer la déliquescence de la relation de Phillips en invoquant l’existence de chocs d’offre exogènes, et par les nouveaux classiques qui ont rejeté l’hypothèse des anticipations adaptatives. L’école des anticipations rationnelles a néanmoins repris à son compte les recommandations des monétaristes, si bien que ceux-ci s’y sont ralliés sans grande résistance. Selon Lucas (1972, 1973), Sargent et Wallace (1975, 1976), les fluctuations de l’activité économique en volume sont exclusivement imputables aux variations non anticipées de la masse monétaire, qui relèvent de la politique discrétionnaire de la Banque centrale. Celle-ci peut espérer accroître le taux de croissance en trompant les agents mais seulement à court terme. Kydland et Prescott (1977) ont ensuite montré qu’en procédant à des relances inflationnistes inavouées et répétées, les autorités monétaires perdent leur crédibilité au point de se priver de la moindre influence sur les quantités produites et l’emploi. A l’inverse, ils ont défendu l’idée selon laquelle une politique monétaire transparente et résolument focalisée sur la stabilité des prix peut être désinflationniste voire déflationniste sans pour autant avoir des effets récessifs si elle est parfaitement anticipée. Leurs travaux ont justifié l’indépendance des banques centrales et l’adoption des politiques monétaires restrictives dans les années 80. Aux yeux des nouveaux classiques, la crédibilité de la politique monétaire va de pair avec la stabilité des prix, considérée comme la condition de la stabilité de l’activité économique.

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Ces théories n’ont pas véritablement réfuté le keynésianisme car leurs conclusions découlent exclusivement du choix fondamentalement « classique » de leurs postulats : monnaie exogène, parfaite flexibilité des prix et des salaires, chômage volontaire, concurrence pure et parfaite. Leur remise en cause suffit à invalider complètement leurs thèses. Elles ont donc été fortement contestées à la fois sur le plan théorique et empirique. En outre, leurs démonstrations n’étaient pas exemptes de contradiction et d’incohérence : pourquoi une Banque centrale chercherait-elle absolument à mettre en œuvre une politique expansive vouée à l’échec ? Pourquoi tiendrait-elle à diminuer le chômage s’il est volontaire, au mépris du bien-être des agents ? Enfin pourquoi un équilibre inter-temporel inflationniste serait–il préférable à un équilibre non-inflationniste ? Ces limites ont conduit certains nouveaux classiques de renom à fonder l’école du cycle économique réel (Kydland et Prescott, 1982 ; Long et Plosser, 1983), dont les postulats contredisent fondamentalement ceux de Lucas. L’idée selon laquelle la monnaie est endogène a porté un coup sévère aux nouveaux classiques. Ceux-ci se sont néanmoins inclinés de bonne grâce devant ces innovations, puisqu’elles soulignaient aussi l’inefficience de l’intervention publique. Ils ont rejeté l’idée que la politique monétaire puisse avoir le moindre effet sur la production et l’emploi, même à court terme. Ils ont cherché à expliquer les variations de l’activité en volume en invoquant des chocs de productivité. Leur théorie n’a pas résisté à l’observation des faits stylisés. A la fin des années 1990, elle était très largement rejetée. En résumé, les théories monétaristes ont été évincées par celles des nouveaux classiques, auxquelles se sont substituées les thèses de l’école du cycle économique réel. Or son succès fut éphémère. Il est donc difficile de justifier aujourd’hui l’éradication des pressions inflationnistes en invoquant ces théories, dites orthodoxes, puisque la plupart de leurs auteurs s’en sont eux-mêmes détournés. En 2002, Schwartz défendait la lutte contre l’inflation en reprenant implicitement à son compte l’approche néo-keynésienne de l’accélérateur financier, sans évoquer la neutralité de la politique monétaire. Seules la stabilité financière et la nécessité de pallier la contrainte extérieure légitiment aujourd’hui de manière unanime la lutte contre l’inflation. Les théories conçues dans le sillage des monétaristes n’ont donc pas remis fondamentalement en cause le keynésianisme et la nécessité de procéder, le cas échéant, à une relance budgétaire et monétaire modérément inflationniste. Selon les post- et les néo-keynésiens, le libre fonctionnement du marché ne tend pas spontanément vers l’équilibre de plein-emploi et la politique monétaire est efficace. Sa crédibilité doit donc être appréciée à l’aune de sa capacité à réduire durablement le chômage et pas seulement en fonction de sa capacité à juguler la hausse des prix. Cette conception n’est évidemment valable que si l’on admet qu’il existe un arbitrage à court et long terme entre l’inflation et un chômage supposé involontaire. A la lecture de la revue théorique présentée infra, il semble plus judicieux d’analyser le rapport entre la stabilité des prix et la stabilité financière en se fondant sur un modèle en équilibre général en concurrence imparfaite, avec prix, salaires et monnaie endogènes, où le chômage involontaire comme les ajustements en volume ne sont pas exclus a priori. L’examen critique des théories monétaristes (1.1.1), des nouveaux classiques et de l’école du cycle économique réel (1.1.2) ainsi que les justifications contemporaines de la lutte contre l’inflation (1.1.3) suffisent à s’en convaincre.

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1.1.1. Le monétarisme ou la remise en cause de l’arbitrage inflation - chômage

Les théories de Friedman ont connu un succès retentissant à la fin des années 1980 car il est parvenu à générer des fluctuations dynamiques dans un cadre d’analyse fondamentalement classique. A défaut d’invalider la théorie keynésienne, il est parvenu à apporter une explication alternative aux variations conjoncturelles de l’activité sans pour autant remettre en cause les prescriptions des néo-classiques. Il a réussi à s’affranchir des modèles statiques des marginalistes, tout en validant leurs conclusions, en introduisant une imperfection de l’information dans un modèle AS-AD où les prix et les salaires sont flexibles mais dans lequel la monnaie est exogène et l’offre globale est insensible au coût du capital. Il est ainsi parvenu à montrer que les politiques budgétaire et monétaire sont inefficaces à long terme et qu’il n’existe pas d’arbitrage entre l’inflation et le chômage. Un rapide examen des modèles monétaristes montre qu’ils reposent sur des hypothèses extrêmement restrictives (plein-emploi, faible sensibilité de l’investissement au taux d’intérêt relativement à la demande de monnaie, parfaite flexibilité des prix) qui leur donnent un caractère fondamentalement classique. L’inefficacité prétendue de la politique budgétaire ainsi que la neutralité de la monnaie, en l’absence d’erreur d’anticipation, découlent simplement du postulat d’une courbe d’offre verticale à long terme (1.1.1.1). Cependant, la remise en cause apparente de la courbe de Phillips au début des années 1980 a donné un semblant de validité empirique à ces thèses. Friedman fut l’un des premiers auteurs à pouvoir apporter une explication cohérente à la stagflation (1.1.1.2) avant même que les économistes d’obédience keynésienne y parviennent. Son approche a légitimé les politiques de lutte contre l’inflation adoptées dès les années 1980 dans les pays de l’OCDE. La pertinence de ses travaux fut toutefois rapidement remise en cause sur le plan théorique et empirique. En prenant en considération l’impact des chocs d’offre et en modélisant les effets du taux de change et des variables financières sur la courbe d’offre globale, les néo- et les post-keynésiens ont expliqué de manière satisfaisante et plus vraisemblable la stagflation (1.1.1.3), sans incriminer un hypothétique laxisme des banques centrales en situation de plein-emploi.

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1.1.1.1. L’inefficacité des politiques budgétaires et monétaires Selon Friedman, la demande réelle de monnaie dépend positivement du revenu permanent (considéré comme une approximation de la richesse) et négativement du rendement des actifs financiers et de l’inflation anticipée, compte tenu des arbitrages des agents. A l’équilibre, la richesse est répartie entre les actifs de manière à ce que les rendements marginaux soient égaux. En cas d’expansion de l’offre monétaire, le rendement marginal de la monnaie fléchit, si bien que la demande des actifs financiers augmente, leur prix s’élève et leur rendement baisse également jusqu’à ce que l’équilibre soit rétabli. Friedman affirme donc qu’il existe une relation fonctionnelle, comportementale, stable entre la demande d’encaisses réelles et un nombre limité de variables. C’est pourquoi il considère que la vitesse de circulation de la monnaie doit l’être aussi. Cela lui permet de réhabiliter la théorie quantitative. Or de nombreuses études empiriques ont validé la stabilité de la demande de monnaie jusqu’au début des années 70. Friedman et Schwartz (1963) estiment que le taux de croissance de la masse monétaire est plus élevé en période expansive qu’en période récessive. Ils montrent que le stock de monnaie a sensiblement baissé au cours des six épisodes de contraction économique notables entre 1867 et 1960. Ils en ont déduit que la politique monétaire restrictive de la Fed. était à l’origine de ces crises3. Les points centraux de la théorie quantitative de la monnaie sont les suivants :

- Les variations de la masse monétaire sont les principaux facteurs explicatifs des fluctuations du revenu monétaire.

- La politique monétaire a peu d’effet sur les variables réelles à court terme et n’en a

aucun à long terme.

- La politique budgétaire et fiscale n’a pas d’incidence réelle (sauf à très court terme) et son impact sur les variables nominales dépend de son mode de financement.

- Les autorités peuvent contrôler l’offre de monnaie, en ce cas il faut raisonner comme

si l’offre de monnaie était exogène.

- La variation de la masse monétaire exerce très lentement ses effets sur le revenu si bien qu’une politique interventionniste peut s’avérer déstabilisante.

- Puisque la demande de monnaie est stable, l’instabilité économique est principalement

causée par les variations de la masse monétaire induites par les politiques discrétionnaires de la Banque centrale.

3 Friedman et Schwartz soutinrent que la baisse initialement modérée du stock de monnaie de 1929 à 1930 s’aggrava à la suite de faillites bancaires. Le ratio monnaie/dépôts augmenta lorsque les ménages perdirent confiance. Pour faire face à cette thésaurisation croissante, les banques relevèrent leur ratio réserves/dépôts. La masse se contracta davantage lorsque la Fed. augmenta ses taux en 1931 de sorte qu’entre 1929 et 1933, le stock de monnaie se réduisit d’un tiers. Ils estiment que la crise aurait pu être évitée, si la Fed. était parvenue à stabiliser la masse monétaire.

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- La masse monétaire doit donc pouvoir croître à un taux fixe afin de garantir la stabilité

des prix à long terme. Il est possible de justifier la thèse monétariste à partir d’un modèle IS-LM à prix endogènes en supposant d’une part, que l’effet de « retour financier » est important, c'est-à-dire que la sensibilité de la demande de monnaie à la variation des taux est relativement faible par rapport à celle de l’investissement, et en postulant d’autre part, que la sensibilité des prix aux variations de la production est très élevée.

Encadré 1. IS-LM avec prix flexibles et l’approche monétariste

On suppose que le salaire nominal, la population active et l’offre de monnaie sont exogènes. Les prix sont flexibles à la hausse. p p≥

Les entreprises minimisent leurs coûts en ajustant le volume de l’emploi N compte tenu du salaire réel et de la contrainte de plein-emploi.

( )sQ f N=

( )( ) ( ){ }1 / ,sQ Min f f w p f N−=

La courbe d’offre a trois segments, elle a une partie verticale, une partie élastique et une partie horizontale, comme l’indique le schéma ci-dessous.

( )( ) ( )( )

( )

( )

1/ /

**

*

s

s s

s

s

Q p

Q Q p w f f w pQ p wlorsque p p p tel que f N

p

Q f N lorsque p p

⎧ =⎪

= =⎪⎪⎨

< < =⎪⎪⎪ = ≥⎩

La consommation dépend du revenu disponible et d’un effet d’encaisses réelles :

( ),C Q T p= − sous forme différenciée : ( )dC c dQ dT dpε= − − L’investissement dépend du revenu disponible et du taux d’intérêt :

( ),I Q r= sous forme différenciée : 'rdI dQ I drα= −

La demande de monnaie est usuelle :

( ), ,dM M p Q r= avec ' ' '0, 0, 0p q rM M MM M Mp Q r

∂ ∂ ∂= > = > = − <

∂ ∂ ∂

Sous forme différenciée, le système à l’équilibre s’écrit : (IS*) ( ) '1 rc dQ dG cdT I dr dpα ε− − = − − −

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(LM*) ' ' 'q p rM dQ M dp M dr dM= − + +

(p*) qdQ dpε= On en déduit :

( )

'

'

'''

'1

r

r

prq

q r q

IdG cdT dMMdQ

MIc MM

εαε ε

− +=

⎛ ⎞− − + + +⎜ ⎟⎜ ⎟

⎝ ⎠

Le modèle IS-LM lorsque les prix sont endogènes

La situation où la courbe de demande coupe la partie verticale de la courbe d’offre correspond au régime dit « de chômage keynésien » décrit par Malinvaud (1977) dans son modèle à prix fixe. Le cas où la courbe de demande coupe la partie élastique de la courbe d’offre correspond à une situation intermédiaire entre le régime de chômage classique et le régime de chômage keynésien du modèle à prix fixe. C’est exactement celle que décrit Keynes (1936) dans la Théorie générale, puisque le salaire réel est égal à la productivité marginale du travail. La décomposition du dénominateur montre que l’inflation (l’effet de « retour des prix »

/ qε ε ) et la hausse induite du taux d’intérêt (l’effet de « retour financier »

( ) ( )( )' ' ' '/ /r r q p qI M M M ε+ réduisent l’impact expansionniste d’une relance budgétaire (ou

monétaire). La hausse induite du taux d’intérêt est d’ailleurs accentuée par l’inflation qui contribue, avec la hausse de la production, à accroître la hausse de la demande de monnaie (terme ( )' /p qM ε dans l’effet de « retour financier »). Le partage volume–prix d’une relance budgétaire ou monétaire dépend uniquement de la pente de la courbe d’offre qε . L’efficacité relative de la politique monétaire par rapport à la politique budgétaire dépend essentiellement de l’importance de l’effet de « retour financier » ( )' '/r rI M . Lorsque ce dernier

est faible (par exemple lorsque l’investissement est peu sensible au taux d’intérêt ' 0rI → ) la

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politique monétaire est peu efficace tandis que la politique budgétaire a un impact maximum et inversement lorsque l’effet de « retour financier » est élevé (lorsque, par exemple, la demande de monnaie est peu sensible au taux : ' 0rM → ). En croisant ces deux critères : sensibilité des prix aux variations de la production et importance de l’effet de « retour financier », on peut établir une typologie de l’influence des politiques budgétaires et monétaires sur le volume et le prix du PIB.

Efficacité comparée des politiques monétaire et budgétaire

D’après Muet (1992) Dans le modèle IS-LM à prix endogènes, les thèses monétaristes correspondent au cas limite où l’effet de « retour financier » est infini et où la courbe d’offre est horizontale ( 0qε = , situation de plein-emploi inflationniste). La résolution du modèle devient hiérarchique :

( )Q f N= Détermine Q, la production de plein-emploi.

( ),M p Q M= Détermine p.

( ) ( ), ,Q C Q T p I Q r G= − + + Détermine r. Ce modèle ne diffère pas du modèle classique puisque l’équilibre des biens et services, ou l’équilibre entre l’épargne et l’investissement, est assuré par les variations du taux d’intérêt, que l’équilibre du marché de la monnaie détermine le niveau général des prix et que la production résulte du plein-emploi de la main d’oeuvre. Les politiques budgétaires et fiscales sont inefficaces car elles n’ont aucun impact ni sur les quantités produites, ni sur les prix (sauf financement par création monétaire). Il y a simplement un effet d’éviction de la dépense privée par la dépense publique. La politique monétaire a seulement une incidence inflationniste.

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Cette approche a le mérite de montrer que les conclusions monétaristes reposent entièrement sur des hypothèses restrictives (parfaite flexibilité des prix et faible « retour financier ») et qu’elles ne portent donc pas fondamentalement atteinte à la cohérence de la pensée keynésienne. Par ailleurs la loi de Jean Baptiste Say suppose qu’un grand nombre de conditions soient remplies, l’homogénéité des produits, l’atomicité des marchés, l’information parfaite, la parfaite flexibilité des prix, la parfaite mobilité des facteurs de production. Ce cadre normatif est donc très étriqué. Si l’on s’en tient à l’analyse ci-dessus, on pourrait assimiler la théorie monétariste à un cas particulier d’inspiration classique de l’école de la synthèse. Ce serait réducteur car l’école de Chicago peut être considérée à bien des égards comme une école de pensée à part entière, même si ses postulats et ses recommandations ne se distinguent pas des néo-classiques. Pour le comprendre, il est nécessaire d’étudier l’approche monétariste dans le cadre d’un modèle AS-AD, qui correspond à un modèle IS-LM où les salaires comme les prix sont endogènes, car l’originalité des monétaristes repose essentiellement sur une interprétation particulière de la relation de Phillips en situation d’incertitude. A la fin des années 60 et au cours des années 70, il y eut à la fois une augmentation du chômage et une augmentation des prix. Ce phénomène, dénommé « stagflation », a remis en cause l’arbitrage de Phillips et a porté un coup à la crédibilité de la théorie keynésienne qui le légitimait. Or la thèse avancée par les monétaristes pouvait l’expliquer. Cela leur a donné une grande notoriété.

1.1.1.2. L’explication monétariste de la stagflation Friedman considère que la courbe de Phillips - qui indique l’existence d’une relation stable, non linéaire et décroissante entre le taux de croissance des salaires nominaux et le taux de chômage - n’est pas correctement spécifiée car les agents négocient la hausse de leurs salaires nominaux en fonction de l’inflation anticipée sur la période considérée. Il affirme donc que la courbe devrait être formulée en terme de salaires réels anticipés. C’est la “courbe de Phillips augmentée des anticipations”. En supposant que les anticipations sont adaptatives, il introduit une dissymétrie entre salariés et entrepreneurs sur le marché du travail puisque les entreprises connaissent évidemment le prix de leur produit et donc le coût effectif du travail, tandis que les salariés fondent leurs revendications salariales sur les anticipations du niveau général des prix. La demande de travail dépend du salaire réel effectif tandis que l’offre dépend du salaire réel anticipé. En cas de choc monétaire, l’écart entre l’inflation anticipée et l’inflation effective provoque une modification transitoire de l’équilibre sur le marché du travail qui persiste tant que les erreurs d’anticipation ne sont pas corrigées. Cela entraîne une variation du revenu national en volume, ce qui explique la relation inverse entre l’inflation et le chômage. En incriminant la politique monétaire discrétionnaire de l’Etat, les monétaristes ont donc réussi, pour la première fois, à proposer une explication des fluctuations économiques alternative au keynésianisme et empiriquement vraisemblable, qui justifie le libre jeu des marchés. C’est paradoxalement en prenant en compte l’imperfection de l’information, comme le recommandait Keynes, que les monétaristes sont parvenus à s’affranchir du cadre d’analyse statique des néo-classiques et à réhabiliter leurs préceptes dans un modèle en dynamique générale.

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Ils ont pu ainsi expliquer l’existence d’un équilibre de sous-emploi à court terme sans l’imputer exclusivement aux rigidités induites par l’intervention de l’Etat sur le marché du travail comme le faisaient les néo-classiques. Or cette dernière justification paraissait peu crédible d’un point de vue historique et empirique puisqu’il n’y avait pas de corrélation apparente entre les variations brutales de l’activité économique et les mesures budgétaires redistributives de l’Etat. Cela les discréditait et validait a contrario la théorie keynésienne. Friedman a aussi pu prétendre que la stagflation résulte de la volonté des pouvoirs publics de maintenir le chômage en dessous de son niveau naturel. Le modèle monétariste de base est un système IS-LM à prix flexible, dans lequel les salaires ont été endogénéisés grâce à l’introduction d’une courbe de Phillips augmentée des anticipations.

( ) ' ''0, 0Q f N f f= > < La courbe d’offre résulte de l’égalité du prix et du coût marginal :

dNp wdQ

=

Si l’on note β l’élasticité de la production à la quantité de travail dans la fonction de production (cette élasticité est constante dans le cadre d’une fonction Cobb Douglas Q N β= ),

/dQ dNQ N

β =

il existe une relation proportionnelle entre le prix et le coût unitaire de production :

1 wNpQβ

=

La courbe de Phillips est « augmentée des anticipations », Friedman suppose que les salariés négocient leur augmentation de salaires en fonction de l’inflation, compte tenu du taux de chômage qui limite leurs moyens de pressions sur les entrepreneurs :

( )aw p Uφ= +& & avec ' 0φ < et ( )* 0Uφ = Les anticipations sont adaptatives. Le taux d’inflation anticipé en t a

tp& est égal à l’inflation anticipée en t-1 1

atp −& corrigée d’une fraction λ de l’erreur de leurs anticipations passées.

1 1( )a a a

t t t tp p p pλ− −= + −& & & & Lorsque les anticipations sont réalisées, on obtient la courbe de Phillips de long terme. L’emploi réalisé N est déterminé par l’intersection des courbes d’offre et de demande de travail:

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cs

a

wN ap

⎛ ⎞= ⎜ ⎟

⎝ ⎠

( )1/ 1d wN b

p

β− −⎛ ⎞

= ⎜ ⎟⎝ ⎠

En l’absence des erreurs d’anticipation, Friedman postule que l’offre de travail s’ajuste automatiquement à la demande en fonction de l’évolution des salaires. Il n’existe pas de chômage involontaire. L’élimination de w entre les deux équations précédentes et la prise en compte de la fonction de production conduisent à la courbe d’offre « à la Friedman » :

q

a

pQ dp

ε⎛ ⎞

= ⎜ ⎟⎝ ⎠

d et qε étant constants

Lorsque les erreurs d’anticipation sont corrigées, la résolution du modèle redevient à nouveau hiérarchique : les quantités produites sont exclusivement déterminées par le plein-emploi des facteurs de production compte tenu de la technologie disponible. L’offre détermine la demande, l’équilibre simultané sur le marché de la monnaie et sur le marché des biens détermine le prix et le taux sans qu’il ait la moindre incidence sur les quantités produites. L’introduction des anticipations adaptatives vise seulement à réconcilier l’existence des fluctuations économiques avec la théorie classique. Le modèle de Friedman

Schéma I.1. Sur le graphique ci-dessus, le niveau de production Qo correspond à l’équilibre de plein-emploi No. Celui-ci coïncide avec un taux de chômage qui peut être considéré comme « naturel » : Un. Friedman (1968) le définit ainsi : « C’est le niveau qui résulterait d’un système d’équations walrassien d’équilibre général si l’on y incluait les caractéristiques structurelles réelles des marchés du travail et des biens, y compris les imperfections de marché, la variabilité stochastique des demandes et des offres, le coût de collecte de l’information sur les emplois vacants, les coûts de mobilité, etc. »

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Supposons que le gouvernement mette en œuvre une politique monétaire expansive afin de réduire le taux de chômage sous son niveau naturel. L’expansion de l’offre de monnaie implique une augmentation de la demande Qd qui entraîne une élévation des prix de Po en P1 qui réduit le salaire réel en W1/P1. Les entreprises rationnelles sont donc incitées à embaucher davantage, la demande de travail se déplace de Mo à M1, mais elles ne peuvent y parvenir qu’en augmentant les salaires nominaux de 1w& afin d’inciter les salariés à augmenter leur offre de travail. Ceux–ci, victimes d’illusion nominale, le font en pensant que leur pouvoir d’achat a augmenté de Wo/Po à W1/Po. L’emploi augmente si bien que le produit national en volume s’élève de Qo à Q1 et que le taux de chômage baisse de Un à U1 (comme l’indique le schéma I.2). Mais à mesure que le temps passe, les salariés réalisent progressivement que leur pouvoir d’achat n’a pas augmenté ; ils diminuent en conséquence leur offre de travail et réclament une hausse des salaires nominaux. Cela entraîne un déplacement de la courbe d’offre vers la droite (schéma I.1) jusqu’à ce que progressivement l’équilibre de long terme Qo soit atteint. En définitive, les prix ont augmenté en P2 et le taux de chômage retrouve son niveau initial Un si bien que la courbe de Phillips se déplace vers le haut en CP2 (schéma I.2). En bref, l’arbitrage disparaît à long terme. Toute tentative de maintenir en permanence le chômage en dessous du taux naturel se traduit par une accélération de l’inflation puisque les autorités monétaires sont obligées d’accroître continuellement le taux d’expansion monétaire afin de maintenir le salaire réel sous son niveau d’équilibre. C’est l’hypothèse de l’accélération. Cette approche réhabilite la théorie quantitative de la monnaie. Si l’on considère que les erreurs d’anticipation ne peuvent subsister à long terme et que la flexibilité des prix et des salaires débouche mécaniquement sur le plein-emploi, alors le PIB ne peut s’élever au-delà du niveau déterminé par l’utilisation maximale des capacités de production. Ainsi, toute augmentation de monnaie entraîne une augmentation des prix à long terme. Les monétaristes considèrent que l’inflation est essentiellement un phénomène monétaire : selon Friedman (1970) « l’inflation est partout et toujours un phénomène monétaire car elle ne peut être créée que par une augmentation de la quantité de monnaie plus rapide que celle de la production. » L’explication monétariste de la stagflation

Schéma I.2

CP2

P2

P1

0

W&

Un U1

Do

Oct1

Oct

Y Y1

P OLt

D1

Po . . .

1P pml W+ =

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Friedman a prétendu, lors de son discours de réception du prix Nobel, que la courbe de Phillips de court terme pouvait avoir une pente positive sur plusieurs années sous l’effet de la multiplication des rigidités sur le marché du travail et de l’incertitude croissante liée à la volatilité des prix. Sachant que le taux d’inflation devient de plus en plus instable à mesure qu’il augmente, la volatilité accrue de l’inflation entraîne une plus grande incertitude, préjudiciable à l’investissement et à l’emploi. Cela incite les gouvernements à intervenir davantage en imposant des contrôles de salaires et des prix. Ces rigidités peuvent provoquer un déplacement vers la droite de la courbe de Phillips de long terme. Pour remédier à ce problème, les monétaristes recommandent de réduire les taux marginaux de l’imposition sur le revenu, les prestations sociales et les allocations chômage afin d’inciter les ménages à travailler. Ils préconisent une meilleure flexibilité des salaires et du temps de travail. Pour pallier la hausse concomitante du chômage et de l’inflation, les monétaristes préconisent un strict encadrement de la croissance monétaire. L’adoption de mesures restrictives entraîne inéluctablement une désinflation, voire une déflation à court terme. Si les anticipations sont imparfaites, les salaires réels augmentent, le chômage s’accroît et la croissance du revenu national diminue. Lorsque les agents réalisent que les prix ont baissé, ils acceptent une réduction de leurs salaires nominaux et l’économie retourne à l’équilibre de plein-emploi. Laidler (1993, p. 187) plaide en faveur d’un processus d’ajustement graduel afin de réduire le coût de cette politique en terme de production et d’emploi. Néanmoins, si les agents sont persuadés que la Banque centrale est réellement engagée dans une politique monétaire anti-inflationniste, ils réviseront plus rapidement leurs anticipations à la baisse, réduisant de ce fait les pertes en PIB et en emplois liées au processus d’ajustement. La question de la crédibilité des banques centrales est donc fondamentale. Les monétaristes ont remis en cause le fragile consensus établi entre les économistes d’inspirations néo-classique et keynésienne en introduisant un salaire endogène dans le modèle IS-LM à prix flexibles qui lui servait de support. Ils ont pu ainsi réhabiliter les préceptes classiques dans un cadre apparemment dynamique. Mais ce procédé est largement superficiel car en supposant que l’offre de monnaie est exogène, le modèle AS-AD perd fondamentalement son caractère dynamique et débouche sur un équilibre statique classique puisque les prix sont parfaitement flexibles. Seules les anticipations adaptatives et la dissymétrie existante entre les employeurs et les salariés rendent possibles une fluctuation transitoire et convergente autour de l’équilibre de plein-emploi qui est en fait exogène. Si les anticipations étaient parfaites, il ne serait même plus nécessaire de donner une base nominale à leur modèle. Ils n’ont donc pas fondamentalement remis en cause la pensée keynésienne, mais ils ont eu le mérite de lui opposer une explication alternative. Cela dit, le raisonnement monétariste est quasi tautologique. Friedman montre simplement que l’intervention de l’état est inefficiente lorsque l’économie est à l’équilibre de plein-emploi. Il n’est pas difficile de prouver que la politique de lutte contre le chômage est inefficace lorsqu’il est volontaire. Il est évident qu’une politique de relance provoque une surchauffe lorsque le revenu national est à l’équilibre de plein-emploi. Keynes lui même déclarait que lorsque celui-ci est atteint, « la théorie classique reprend tous ses droits » et la politique monétaire se traduit dès lors par une « inflation véritable. » (Keynes, 1936, pp. 371-375)

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1.1.1.3. Les explications alternatives de la stagflation La théorie monétariste fut considérée comme une critique radicale de la théorie keynésienne, pourtant ses conclusions découlent évidemment de l’hypothèse d’ajustement des marchés et donc du caractère classique du modèle. « L’originalité de la démarche a été de retrouver, avec un modèle strictement classique, des propriétés de politiques économiques d’apparence keynésienne dans le cas d’anticipations naïves ou d’erreur d’anticipations des politiques économiques » déclare Muet (1992). Au milieu des années 1980, la crédibilité des thèses monétaristes fut mise à rude épreuve car elles ne parvenaient pas à rendre compte des évolutions du marché du travail. D’autres théories furent alors avancées pour expliquer la stagflation. Elles ont réhabilité l’arbitrage entre l’inflation et le chômage. Beaucoup d’économistes, et en particulier les néo-keynésiens, préfèrent utiliser le concept de NAIRU, Non Accelerating Rate of Unemployment (Phelps, 1968), pour décrire le taux de chômage compatible avec une inflation stable. La différence cruciale entre ces deux concepts provient de leurs fondements micro-économiques. Le taux naturel de Friedman est celui qui équilibre le marché, alors que le NAIRU est un taux de chômage qui assure la cohérence entre le salaire souhaité par les travailleurs et le salaire réel réalisable, déterminé par la productivité du travail et l’importance de la marge de profit des entreprises. Ces théories pourraient expliquer l’augmentation du chômage dans les années 1970 mais elles peuvent difficilement expliquer la situation européenne au début des années 1990. Le cas de la France est éloquent : à partir du « tournant de la rigueur » de 1982, le taux d’inflation a diminué pour s’établir durablement sous la barre des 2,5 % à partir de 1986. La France a enregistré des excédents record de balance commerciale dans la seconde moitié des années 80. De l’avis général, elle a relevé avec succès le défi de la contrainte extérieure. Cependant le prix à payer fut élevé : Le chômage a augmenté entre 1986 et 1989, passant de 10 à 12 %. Cette hausse pouvait paraître cohérente avec la théorie monétariste qui prévoît une aggravation momentanée du sous-emploi avant le retour à l’équilibre, selon la fameuse expression : « a short term pain for a long term gain ». Entre 1989 et 1991, la France connut une véritable embellie sur le front de l’emploi : le chômage baissa à nouveau sous la barre des 10 % sans accélération notable des prix. Ces faits stylisés semblaient donner raison une fois encore aux monétaristes. Néanmoins cette accalmie fut de courte durée, dès 1992, le chômage repartit à la hausse sous l’effet de la crise américaine et d’une politique monétaire restrictive. La Banque centrale, fraîchement indépendante, voulut défendre coûte que coûte l’indexation du franc sur l’ECU afin de renforcer sa crédibilité. La France subit une légère récession. Mais la dévaluation de la livre et de la lire lui fit perdre les bénéfices de dix années de désinflation compétitive. Malgré la relative stabilité des dépenses, les déficits budgétaires augmentèrent sous l’effet de la contraction des recettes provoquée par le ralentissement de l’activité. Le chômage atteignit le pic de 13 % en 1993 au moment où le taux d’inflation était quasi nul. La France évita même de peu la déflation. Le chômage se maintint à un niveau supérieur à 12% jusqu’en 1997 alors que les pressions inflationnistes oscillaient de manière stable autour des deux points.

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Il était difficile de prétendre que ce taux de chômage record, provoqué par une politique monétaire conjoncturelle inopportune, était proche de son niveau structurel. Pour rester cohérents, la plupart des monétaristes ont expliqué que le taux de chômage naturel était bien supérieur à 10 % compte tenu des disfonctionnements du marché du travail. Pourtant, l’Etat avait pris un certain nombre de dispositions pour encourager l’offre de travail et développer la flexibilité du marché de l’emploi : les taux d’imposition des tranches supérieures du revenu ont été réduits, de même que les charges sociales sur les bas salaires. Il n’avait pris aucune mesure discrétionnaire susceptible de rigidifier le marché du travail à partir de 1982, mise à part l’instauration du Revenu Minimal d’Insertion en 1988. Mais sachant que le RMI ne permettait pas aux ménages de vivre au-dessus du seuil de pauvreté, il n’est pas concevable qu’il ait pu substantiellement modifier leur arbitrage travail-loisir. Il est difficile de croire que le taux de chômage naturel - tel qu’il est défini par Friedman - n’ait pas diminué de façon significative entre 82 et 93 pour deux raisons :

- La compétitivité extérieure de la France était l’une des meilleures d’Europe, ce qui signifie que le coût unitaire du travail n’était pas trop élevé comme certains l’affirmaient.

- Les pressions inflationnistes avaient été littéralement éradiquées. La réduction de l’incertitude concernant la volatilité des prix aurait dû abaisser le niveau structurel du chômage.

Les néo-keynésiens ont invoqué un phénomène d’hystérèse (Phelps, 1972) et la baisse de l’employabilité des chômeurs de longue durée pour expliquer cette permanence du sous-emploi. La décrue rapide du chômage entre 1997 et 2000 a apporté un relatif démenti à la fois aux monétaristes et aux néo-keynésiens puisque, théoriquement, l’hystérèse limite l’ampleur de la baisse du chômage. Le passage à la monnaie unique et la baisse des taux qui l’a accompagné ont favorisé une baisse du chômage de 12,5 à 9,5 % en quelques mois à partir de 1997, sans accélération notable des prix et sans que l’Etat ait pris la moindre mesure pour accroître la flexibilité du marché du travail. Il y eut bien des baisses de charges à cette époque mais elles compensaient l’instauration de la loi sur les 35 heures. Les économistes d’obédience monétariste ont été obligés de réviser systématiquement à la baisse leur évaluation du taux de chômage naturel à mesure que l’emploi progressait, sans hausse significative des prix. La crise de 1993 et l’expansion de 1997-2000 ont montré à quel point la notion de chômage naturel peut être imprécise. Cela a beaucoup entamé la crédibilité des monétaristes puisque cela a remis en cause l’idée selon laquelle le chômage était essentiellement dû aux rigidités du marché du travail. On peut expliquer la stagflation sans invoquer l’illusion nominale des agents et une hypothétique politique de relance en période de plein-emploi. Un choc d’offre négatif entraîne un déplacement vers la droite de la courbe de Phillips augmentée des anticipations puisqu’il débouche théoriquement sur une hausse des prix et une contraction de l’activité économique. Or, l’économie mondiale a été affectée par plusieurs chocs d’offre sans précédent dans les années 70 et au début des années 80. Cette explication paraît bien plus réaliste que la version de Friedman.

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• Les chocs pétroliers de 1973 et 1979 et la contrainte extérieure L’augmentation du prix du pétrole entraîne une hausse des prix et donc une baisse de l’offre : comme l’indique le schéma I.3, le prix P augmente de Po en P1 et par conséquent l’offre baisse de Oct à Oct1. Ainsi le PIB, Y, diminue (de Y à Y1), le chômage augmente (de Un à U1) et l’inflation s’accroît. Le choc pétrolier explique donc assez bien la stagflation des années 1970. Choc d’offre négatif et arbitrage inflation-chômage

Schéma I.3

Encadré 2. Le modèle IS-LM en économie ouverte et la stagflation Une hausse du prix des biens importés imparfaitement substituables provoque une corrélation négative entre l’inflation et le chômage :

, , ,e m

m

p pp p Q he e

+ ++ +⎛ ⎞

⎜ ⎟=⎜ ⎟⎝ ⎠

courbe d’offre

/ep e est le prix des importations substituables en euros et /m mp e est le prix des importations

de biens complémentaires en euros. Une hausse du prix des importations affecte négativement la consommation :

(IS) {

?, , , , ,e m

vm e

effet subeffet revenu

p p epQ C Q p I Q r G BC Qe e p

− − −+ + − −

°

⎛ ⎞ ⎛ ⎞⎜ ⎟ ⎜ ⎟⎛ ⎞= + + +⎜ ⎟ ⎜ ⎟⎜ ⎟

⎝ ⎠⎜ ⎟ ⎜ ⎟⎜ ⎟⎜ ⎟ ⎝ ⎠⎝ ⎠14243

La courbe de demande est une fonction décroissante du prix des importations de biens complémentaires, par contre, elle augmente avec le prix des produits importés substituables

Un U1

Oct1

Oct

Y1 Y

P

Do

Po

CPo

P1

CP1

A

B

W&

. . .

1P pml W+ =

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car on suppose que l’effet de substitution, positif sur la demande de produits nationaux, l’emporte sur l’effet revenu négatif. Une hausse du prix des importations de biens complémentaires, comme le pétrole, entraîne un mécanisme d’inflation importée qui provoque un déplacement vers la gauche de la courbe d’offre (schéma I.3), débouchant sur une récession et une baisse de la consommation. L’étude empirique réalisée par Artus (1983) montre que la part de l’inflation liée aux facteurs externes prédominait très largement dans les 5 pays les plus importants de l’OCDE. L’inflation importée fut particulièrement élevée en France, au Royaume-Uni et au Japon où elle provoqua une accélération de l’inflation observée de 9 à 10 points. Les Etats-Unis ont été moins affectés par le choc pétrolier car la part de leurs importations dans le PIB était plus faible.

Analyse de l’accélération de l’inflation après 1973 : inflation importée et facteurs internes

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Ces explications alternatives ont fortement remis en cause les préceptes monétaristes puisqu’en cas de choc d’offre négatif, une politique monétaire ou budgétaire de relance est opportune, sauf dans le cas particulier où l’économie est soumise à une forte contrainte extérieure. En effet, un déficit prolongé de la balance commerciale peut entraîner une dépréciation de la monnaie nationale. Celle-ci implique une hausse du prix des importations qui peut provoquer une hausse des coûts de production. Si les entreprises veulent préserver leurs marges, elles répercutent cette augmentation sur leurs prix. L’inflation réduit encore leur compétitivité et provoque une nouvelle dépréciation : c’est une spirale infernale qui peut expliquer la stagflation du début des années 1980 en France. Ce scénario se produit lorsque l’effet revenu négatif engendré par une baisse du taux de change est supérieur à l’effet de substitution. Cela se produit souvent à court terme puisque la substitution n’est pas immédiate, comme l’affirme la théorie de la courbe en J de Milton Friedman. En pareil cas, l’adoption d’une politique dite de « désinflation compétitive » est justifiée. • Taux de marge, taux de change et profitabilité à court terme J.-P. Fitoussi et J. Le Cacheux (1989) ont proposé une interprétation intéressante du déplacement de la courbe de Phillips vers le haut. Les auteurs ont modifié le modèle traditionnel IS-LM en économie ouverte avec prix flexibles afin de prendre en considération l’impact des variables financières sur la courbe d’offre globale. Ils ont notamment modélisé l’influence du taux d’intérêt réel et du taux de change sur le taux de marge. Ils ont pu ainsi expliquer de manière beaucoup plus satisfaisante la faiblesse de la reprise européenne au milieu des années 1980, qui semblait peu compatible avec les effets d’entraînement qu’auraient dû exercer la croissance et la hausse des taux d’intérêt réels aux Etats-Unis. Les auteurs rejettent à la fois l’hypothèse selon laquelle les entreprises n’auraient absolument aucune influence sur les prix et le cas extrême où elles pourraient les déterminer librement, sans tenir compte de la concurrence, en fonction d’un taux de marge désiré réputé rigide. Ils supposent, de manière plus réaliste, que les entreprises fixent leurs prix de vente librement sur des marchés imparfaitement concurrentiels, en tenant compte des conséquences qu’elles anticipent sur la demande présente et future qui leur est adressée. Elles doivent donc prendre en considération le comportement de leurs concurrents effectifs ou potentiels. Chaque producteur doit déterminer son prix de manière à maximiser son profit dans le temps, compte tenu de sa préférence pour le présent (voir également Fitoussi et Phelps, 1988). Ils doivent arbitrer entre la hausse immédiate de leurs profits, générée par une augmentation de leur taux de marge, et la perte de compétitivité et donc de profits futurs qu’elle pourrait engendrer. Or, la préférence pour le présent est une fonction positivement corrélée avec le taux d’intérêt : « un intérêt élevé tend en effet à dévaloriser le futur relativement au présent du fait de l’actualisation des bénéfices ». Le taux de marge désiré est donc positivement relié au taux d’intérêt réel. Mais les entreprises doivent également prendre en compte l’impact de la concurrence effective ou potentielle, nationale ou étrangère, sur leur part de marché et donc sur leurs profits futurs. Le taux de marge effectif4 est donc également déterminé par le taux de change. 4 Dans un souci de simplification, le taux de marge effectif est supposé être une moyenne pondérée du prix objectif, fonction du taux de marge désiré, et des prix étrangers, qui dépendent du taux de change.

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De ce point de vue, si le taux d’intérêt s’élève, les entreprises augmentent leur taux de marge, ce qui provoque un déplacement vers le haut de la courbe de Phillips. Néanmoins, ce phénomène peut être contrebalancé par l’appréciation de la monnaie qui peut inciter les entreprises à réduire leur marge pour pallier la baisse de leur compétitivité externe. La fonction d’offre agrégée du modèle est la suivante : l’inflation est une fonction croissante de la production, du taux d’intérêt réel et décroissante du taux de change réel. Elle remplit le rôle dévolu à la relation de Phillips dans les analyses usuelles puisqu’elle indique les termes de l’arbitrage entre l’inflation et le chômage (supposé inversement proportionnel à la production nationale z).

( ) ( ) ( )1 1 /q z k r xθ γ μ λϕ λ− = − + + −⎡ ⎤⎣ ⎦

où q est l’indice des prix à la consommation, z la production nationale, k la capacité de production (supposée donnée à court terme), r le taux d’intérêt réel domestique et x le taux de change réel. Toutes les variables sont exprimées en variations logarithmiques. L’arbitrage entre inflation et chômage dépend du coefficient d’indexation des salaires θ ; plus il est faible et plus les conditions de l’arbitrage sont bonnes. (La fonction d’offre agrégée est verticale lorsque l’indexation est unitaire). La sensibilité du coût marginal de production au taux d’utilisation des capacités γ détermine également la pente de cette relation. En cas de hausse du taux d’intérêt, la courbe d’offre se déplacera vers le haut en fonction de la sensibilité des marges au taux d’intérêt réel μ . De même, une dépréciation réelle de la monnaie nationale ( )0x > déplacera la courbe vers le haut. Ce déplacement sera d’autant plus important que la part des produits étrangers dans la consommation nationale sera importante (ϕ petit) et/ou que la concurrence étrangère pèsera moins fortement sur les décisions de prix des producteurs nationaux ( λ élevé). Leur modèle permet de mieux comprendre le différentiel de croissance qui existait entre les Etats-Unis et l’Europe au milieu des années 1980. Entre 1979 et 1985, la politique monétaire américaine fut fortement restrictive et la politique budgétaire fut largement expansive. Cela provoqua à la fois une hausse des taux d’intérêt réels et une appréciation du dollar. L’effet de cette dernière fit plus que compenser l’impact positif de la hausse des taux sur la marge, si bien qu’elle diminua. Cela provoqua une expansion de l’offre et une diminution de l’inflation. Parallèlement, l’Europe connut une hausse des taux d’intérêt et une dépréciation réelle des devises du Système Monétaire Européen, qui favorisèrent l’une et l’autre le gonflement des marges. La courbe d’offre, comme la droite LM, se déplacèrent vers le haut, ce qui détériora les conditions de l’arbitrage entre inflation et chômage. Les auteurs estiment que les effets récessifs d’une hausse des taux persistent d’une part, sous l’effet de la baisse relative du stock de capital productif engendrée par la diminution de l’investissement5 et d’autre part, sous l’effet de la hausse des charges d’intérêts de la dette qui a probablement incité les autorités budgétaires à mettre en place des politiques plus restrictives. Cet « effet d’hystérésis de la hausse des taux d’intérêt » remet fortement en question l’idée selon laquelle l’activité aurait tendance à osciller de manière cyclique autour

5 Un taux d’intérêt élevé a également tendance à accroître le déclassement des équipements productifs non rentables en période de récession, voir Fitoussi, Le Cacheux, Lecointe et Vasseur, 1986.

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de son taux de croissance naturel. Selon eux, une phase de croissance ne débouche pas inéluctablement sur un dilemme récession-accélération des prix. Les travaux de Fitoussi et Le Cacheux soulignent la nécessité de prendre en considération le coût du capital dans la modélisation de la formation des prix et l’impact des variables financières sur l’offre globale comme sur la demande. L’hypothèse simplificatrice et irréaliste selon laquelle les entreprises fixeraient leurs prix en fonction des seuls coûts unitaires du travail s’avère extrêmement réductrice. Non seulement ce genre de spécification confère aux salaires une importance démesurée dans l’explication des fluctuations de l’activité, mais elle débouche sur des recommandations de politique économique erronées. En incluant le coût du capital dans la fonction de production, la politique monétaire retrouve toute son efficacité. Il existe alors un arbitrage entre l’inflation et le chômage même à long terme, puisque chaque modification des taux d’intérêt et de change provoque un déplacement de l’abscisse à l’origine de la courbe d’offre globale. Ainsi, il n’est plus possible d’imputer l’instabilité de l’activité économique au laxisme des autorités monétaires en situation de plein-emploi et aux erreurs d’anticipation des seuls salariés. La prise en compte des chocs pétroliers, de l’évolution du taux de change et du coût du capital sur la courbe d’offre globale permettent d’expliquer de façon plus réaliste la « stagflation ». Ces travaux ont profondément remis en cause la théorie monétariste et justifient la mise en œuvre d’une politique de relance budgétaire et monétaire en situation de sous-emploi, aux effets inflationnistes, sauf en cas de forte contrainte extérieure. De ce point de vue, la crédibilité de la politique monétaire ne doit pas seulement être appréciée à l’aune de la stabilité des prix, mais aussi en fonction de sa capacité à juguler le chômage. Bien qu’elles aient été fortement critiquées, les thèses monétaristes ont exercé une influence notable sur la conduite de la politique monétaire. Les politiques de désinflation menées au début des années 1980 et la hausse du chômage qu’elles ont engendrée leur ont donné une certaine vraisemblance empirique. La reprise de l’emploi qui s’ensuivit aux Etats-Unis et en Grande Bretagne accrédita la politique de Volker et fut citée en exemple pour souligner la pertinence des thèses de Friedman. De nombreux économistes ignorèrent simplement l’effet expansif de la politique budgétaire de Reagan et le contre-choc pétrolier. Cependant, l’hypothèse de l’asymétrie d’information entre les producteurs et les travailleurs, de même que le postulat d’anticipation adaptative étaient encore très contestés. L’école de la nouvelle économie classique voulut préserver l’essentiel de l’héritage monétariste en prenant en considération ces critiques.

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1.1.2. Anticipations rationnelles et effet de surprise monétaire L’école de la nouvelle économie classique qui s’est développée dans le prolongement du monétarisme s’en distingue en postulant l’existence d’anticipations rationnelles et non adaptatives. Cette hypothèse fut initialement développée par Muth (1961). Il en existe une version faible et une version forte : selon la première, les agents utilisent au mieux toutes les informations publiques disponibles pour former leurs anticipations, compte tenu d’un éventuel coût d’acquisition ; selon la seconde, « les anticipations, dans la mesure où elles sont des prévisions bien informées d’évènements futurs, sont essentiellement identiques aux prévisions d’une théorie économique correcte. » Cette dernière interprétation fut retenue par les principaux chefs de file des nouveaux classiques. Ils considèrent que les anticipations subjectives des variables coïncident avec leurs véritables espérances mathématiques conditionnelles. Néanmoins, les anticipations rationnelles ne permettent pas de prévoir le futur avec certitude puisque l’information est incomplète, c’est l’un des aspects majeurs du modèle de surprise monétaire de Lucas (1972, 1973). Cependant, il estime que les agents ne peuvent pas former d’anticipations systématiquement fausses dans le temps car ils finiraient par en prendre la mesure et les corriger. Tout se passe comme si les agents connaissaient le modèle correct de l’économie. En résumé, les erreurs de prévision sont aléatoires et nulles en moyenne, elles ne sont pas auto-corrélées dans le temps et leur variance est inférieure à celle qui serait obtenue avec d’autres modes d’anticipation. Les nouveaux classiques supposent que les marchés s’ajustent continuellement selon la tradition walrassienne via une parfaite flexibilité des prix. L’économie est en état d’équilibre permanent. Le chômage est volontaire car tous les salariés peuvent trouver un emploi au taux de salaire d’équilibre du marché. Les ménages arbitrent entre le travail et le loisir, compte tenu de l’écart existant entre le salaire réel effectif et celui qu’ils considèrent comme « normal ». L’hypothèse d’ajustement continu des marchés s’oppose donc franchement à la fois à la théorie keynésienne et à la théorie monétariste, qui admettent la possibilité de déséquilibres à court terme. La théorie du cycle économique d’équilibre (1.1.2.1) découle de l’hypothèse selon laquelle l’offre est exclusivement déterminée par la quantité de travail disponible et que celle-ci résulte d’un arbitrage volontaire entre consommation et loisirs. Seule l’illusion nominale alimentée par les autorités monétaires peut expliquer les fluctuations de l’activité économique à court terme. A long terme, elle retrouve son niveau naturel, comme l’ont souligné Sargent et Wallace. Leur thèse a fait l’objet de lourdes critiques à la fois empiriques et théoriques. Les économistes d’obédience keynésienne ont naturellement critiqué la version forte des anticipations rationnelles. Cependant, ils ont montré que la neutralité de la monnaie ne résulte pas de l’existence des anticipations rationnelles mais de la nature « classique » des postulats de ces modèles. En réfutant l’existence d’un ratio de sacrifice élevé en cas de politique monétaire restrictive, les nouveaux classiques se sont particulièrement exposés à la critique, puisque toutes les données empiriques invalidaient cette affirmation. Pour échapper à cette remise en cause, les nouveaux classiques ont cherché à rejeter le coût récessif de la désinflation sur le manque de crédibilité des autorités monétaires (1.1.2.2), mais ces modèles reposaient sur des

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contradictions, si bien qu’une partie des nouveaux classiques a abandonné les pistes de recherche ouvertes par Lucas, pour fonder sur des postulats radicalement différents l’école du cycle économique réel (1.1.2.3). Leur but, là encore, était de concilier la théorie néo-classique avec les fluctuations de l’activité économique, afin de rejeter l’intervention de l’Etat. Leurs travaux n’ont pas été jugés convaincants sur le plan théorique comme sur le plan empirique. En définitive, ils ont aggravé le discrédit et la suspicion dont souffraient les nouveaux classiques, sans parvenir à réhabiliter leurs préceptes. Finalement, personne n’est parvenu à démontrer de manière irréfutable qu’une parfaite stabilité des prix est un gage de bien-être optimal. C’est pourquoi il serait réducteur de la considérer comme le seul critère d’évaluation de la crédibilité des banques centrales.

1.1.2.1. La théorie du cycle économique d’équilibre Lucas suppose qu’une entreprise connaît le prix courant de son propre produit, mais qu’elle ne connaît le niveau général des prix sur les autres marchés qu’avec un certain retard. Lorsque le prix monte, l’entreprise est confrontée à un problème « d’extraction de signal » : elle doit déterminer si cette variation est due à une augmentation de la demande en volume de son produit ou si elle résulte d’une hausse généralisée de la demande nominale sur l’ensemble des marchés. En bref, elle doit identifier une éventuelle variation de la structure des prix relatifs pour modifier, le cas échéant, les quantités qu’elle produit. Selon lui, plus la variabilité de l’inflation est élevée, plus l’incertitude est grande. La fonction de surprise de Lucas s’écrit ainsi :

( )*1,t q t t t t tQ p p Q uε +

−= − + +

avec *1,t t t qp p ε−= +

La production Q dévie de son niveau naturel Q en fonction de l’écart entre l’inflation courante et sa valeur anticipée. La fonction de surprise de Lucas correspond à une autre version de la courbe de Phillips augmentée des anticipations. On l’appelle aussi « courbe d’offre de Lucas ». Sa spécification résulte de l’hypothèse selon laquelle les agents effectueraient un arbitrage entre consommation et loisirs (voir encadré ci–dessous).

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Encadré 3. La substitution inter-temporelle du travail et la courbe d’offre de Lucas La quantité de biens i produite est une fonction linéaire de la quantité de travail offerte.

i iQ L=

Les agents sont à la fois offreurs et demandeurs de travail, ils arbitrent entre la consommation qui dépend de leur revenu, et les loisirs qui dépendent négativement de la quantité de travail offerte. Leur fonction d’utilité est de la forme :

1i i iU C Lγ

γ= − 1γ >

avec i i i ii

p Q p LCp p

= =

La maximisation de l’utilité implique :

( )1

1/i iL p p γ −=

En log-linéarisant l’équation ci-dessus, on obtient :

( )11i il p p

γ= −

Si l’on suppose que les agents ne connaissent pas le niveau général des prix, l’équation ci-dessus s’écrit :

( )*1,

11i i t tl p pλ

γ −= −−

Si l’on fait la moyenne des équations pour chaque i, on obtient une expression de la production globale :

( )*1,q t ty p pε −= −

L’écart entre la production et son niveau normal (dont le log est nul dans cette version simplifiée du modèle) est une fonction du niveau général non anticipé des prix. En posant l’équation de la demande globale suivante : y m p= − il n’est pas difficile de voir que si les prix sont parfaitement anticipés 0y = et m p= , la monnaie est neutre.

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Cette spécification découle de l’hypothèse simplificatrice mais finalement abusive, selon laquelle la production dépendrait exclusivement de la quantité de travail disponible car il suffirait d’introduire le facteur capital dans la fonction de production pour invalider la théorie de Lucas. D’après Romer (1997) Si la Banque centrale augmente l’offre de monnaie « par surprise », le taux d’inflation augmente au delà du niveau qui était anticipé par les agents. Surpris, les producteurs expliquent cette différence par une hausse du prix relatif de leurs produits. Les salariés, victimes d’illusion nominale, considèrent que l’élévation des salaires nominaux est le reflet d’une augmentation de leur pouvoir d’achat. Dans ce modèle, il n’existe pas d’asymétrie d’information entre les salariés et les producteurs, comme le prétendait Friedman. En définitive, l’offre de travail et l’offre de biens s’accroissent et le revenu national dévie par rapport à l’équilibre de long terme. Lorsque les agents prennent conscience qu’ils ont commis une erreur d’interprétation, la production et l’emploi retournent à leur niveau naturel. Pour Lucas, les fluctuations de ces variables autour de l’état stationnaire dépendent exclusivement des variations non anticipées de l’offre de monnaie. Il en déduit que la politique économique est inefficace. Cette conclusion découle bien évidemment de l’hypothèse selon laquelle la courbe d’offre globale est totalement insensible au prix lorsque les anticipations sont parfaites. Lucas suppose implicitement que l’inflation non anticipée entraîne une baisse du bien-être car l’augmentation du volume des richesses engendrée par l’illusion nominale ne compenserait pas la perte d’utilité que les agents subiraient en renonçant à leurs loisirs. C’est cette hypothèse qui justifie le choix d’une courbe d’offre verticale à long terme. Toute la pertinence de sa théorie repose donc sur le postulat d’une substitution inter-temporelle du travail et la notion de chômage volontaire. Etant donné que les oscillations de la production découlent des fluctuations de l’offre de travail, l’ampleur de la dynamique générée par le modèle dépend de l’élasticité de substitution inter-temporelle de l’offre de travail et de l’imperfection de l’information sur le niveau général des prix. Lucas estime que l’une et l’autre sont élevées et donc que son modèle est en mesure d’expliquer les variations du revenu réel. Pourtant, les études empiriques micro-économiques invalident ces hypothèses. Ball (1990) estime que l’élasticité de substitution inter-temporelle du travail est très faible et que le mode d’arbitrage des agents décrit par Lucas ne correspond pas au comportement des ménages.

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Encadré 4. La nouvelle école Classique

Le modèle de base repose sur la forme réduite du modèle IS-LM généralisé et une courbe d’offre à la Lucas. On peut le résumer en deux équations généralement écrites sous forme log-linéaires. La courbe de demande globale s’écrit sous la forme :

t g t t m t tq m g p m m uε −= − + + (courbe de demande) (1)

gm et mm sont les multiplicateurs de dépenses publiques et d’accroissement de l’offre de

monnaie à prix constant. Le coefficient ε représente l’influence des prix sur la demande. tu− est un terme aléatoire d’espérance nulle. Lorsque les anticipations sont parfaites, on suppose que l’offre de biens est exogène et correspond à l’équilibre de plein-emploi. La courbe d’offre s’écrit donc sous la forme suivante :

( )*1,t q t t t t tq p p q uε +

−= − + + (Courbe d’offre) (2)

tq est la production d’équilibre de plein-emploi, qε est la pente de la courbe d’offre, tu+ est un terme aléatoire d’espérance nulle. La production peut être exprimée en fonction des seules grandeurs exogènes : en remplaçant dans (2) tp par son expression tirée de l’équation (3), on obtient :

*1,1 / 1 / 1 /

g q t tmt t t t t t

q q q q q

m u umq g m q pε εε ε

ε ε ε ε ε ε ε ε ε ε

− +

+= + + − +

+ + + + + (3)

La production dépend donc de la politique budgétaire et monétaire et des anticipations de prix. Les anticipations de prix sont égales à l’espérance mathématique du prix :

[ ]*1, 1/t t t tp E p φ− −=

L’information disponible 1tφ − incorpore la connaissance de la structure et des valeurs des paramètres du modèle (ils estiment que cette connaissance peut résulter de l’observation répétée des faits). En remplaçant les variables par leur espérance mathématique dans les équations (2) et (3) on obtient l’espérance mathématique des prix, qui s’écrit (pour alléger les notations 1tφ − est omis) :

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( ) ( ) ( ) ( )g t m t tt

m E g m E m E qE p

ε+ −

= (4)

avec ( )t tE q q= En reportant l’équation (4) dans l’équation (3), on obtient :

( ) ( )1 / 1 /

g q t tmt t t t t t

q q q

m u umq q g E g m E mε ε

ε ε ε ε ε ε

− ++= + − + − +⎡ ⎤ ⎡ ⎤⎣ ⎦ ⎣ ⎦+ + +

Cette équation montre que si les politiques monétaires et budgétaires sont correctement anticipées, ( )t tg E g= et ( )t tm E m= , elles n’ont pas d’effet sur les quantités produites. Les fluctuations de la production autour de son niveau de plein-emploi sont uniquement liées aux variables aléatoires. Ce résultat est évidemment entièrement conditionné par le choix de la courbe d’offre (2) qui exclut le moindre ajustement en volume lorsque les prix sont parfaitement anticipés. Ainsi, en l’absence de surprise monétaire, la courbe d’offre est verticale. D’après Muet (1992)

• Le modèle de Sargent et Wallace. La thèse de l’inefficacité de la politique économique a été soutenue dans deux articles influents de Sargent et Wallace (1975, 1976). Supposons qu’à l’origine il existe un équilibre de plein-emploi, correspondant au point A sur le graphique I.4. Si la Banque centrale annonce une augmentation de l’offre de monnaie, la droite de demande globale se déplace vers la droite. Mais si les agents anticipent correctement la hausse générale des prix, la courbe d’offre se déplace vers la gauche, si bien que le revenu national reste inchangé. Le point d’équilibre se déplace directement de A vers B. La relance monétaire est donc inefficace. La monnaie est neutre. Ce scénario correspond au cas monétariste orthodoxe de long terme. Si la Banque centrale augmente la masse monétaire sans en informer les agents, ceux-ci peuvent se faire surprendre. Les producteurs considèrent alors que la hausse des prix correspond à une expansion de la demande en volume. Ils décident de produire davantage et la demande de travail ainsi que les salaires s’élèvent. Les employés assimilent d’abord la hausse de leur rémunération à une amélioration de leur pouvoir d’achat. L’offre de travail et le PIB augmentent. L’équilibre se déplace du point A vers le point B. Lorsque les salariés réalisent qu’ils ont été victimes d’illusion nominale, l’offre de travail diminue et l’équilibre se déplace au point C. Cette affirmation peut sembler curieuse car même si le salaire horaire réel demeure inchangé, le niveau de vie est incontestablement meilleur puisque pour une population stable, le PIB en volume est plus important en Y1. En fait, les auteurs considèrent de manière subjective que la hausse du revenu ne compense pas la perte de bien-être résultant de l’augmentation du temps de travail.

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Le retour à l’équilibre initial est donc postulé a priori. Il est obtenu grâce au mode d’arbitrage supposé que les ménages réaliseraient entre les avantages procurés par un supplément de rémunération d’une part, et la perte de bien-être découlant d’une diminution de l’oisiveté d’autre part6. En effet, les auteurs considèrent explicitement que l’inactivité est désirée, compte tenu du taux de rémunération horaire existant, et que la situation initiale correspond à l’équilibre de plein-emploi. Dans ces conditions, il est évident que seules les variations non anticipées de l’offre de monnaie peuvent engendrer une modification des variables réelles à court terme. Le modèle de Sargent et Wallace

Graphique I.4

6 A cet égard, il vaudrait mieux parler d’un « arbitrage salaire-oisiveté », ou « salaire-inactivité », plutôt que d’employer l’expression «arbitrage travail-loisirs » car le terme même de « loisir » peut prêter à confusion. En effet, les loisirs ont un coût qui doit être couvert par les revenus du travail, il est donc difficile de les opposer l’un à l’autre. Sans emploi rémunéré, un agent ne pourrait pas consommer ses loisirs. En outre, le travail ne peut pas être considéré à proprement dit comme une perte d’utilité, puisqu’il est la source du revenu. Seul le temps de travail est jugé contraignant, non sa rémunération. Sachant que l’inactivité et l’oisiveté sont par définition désirées, contrairement à la notion juridique de chômage, cette modification aurait le mérite de rappeler que ces modèles ne peuvent pas traiter la question du chômage involontaire. Il serait en effet totalement absurde de parler d’un éventuel arbitrage salaire-chômage. Cela n’aurait évidemment aucun sens.

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Encadré 5. Le modèle de Sargent et Wallace (1976) Si la masse monétaire est déterminée par les autorités suivant une norme établie, la Banque centrale est dans l’impossibilité d’influencer la production et l’emploi, même à court terme, si l’expansion monétaire est parfaitement anticipée.

( )et t t t tP P U UN Sφ φθ= − − +& & (0.1)

tSθ représente un choc exogène sur l’offre et ( )t tU UN− représente la déviation du chômage

par rapport à son niveau naturel. D’après (0.1) :

( )1 et t t t tU UN P P Sθ

φ= − − +& & (0.2)

La relation structurelle entre l’inflation et le taux de croissance monétaire est donnée par : t t tP M Dθ= +& & (0.3) où tDθ représente un choc de demande imprévisible. Si tM& est le taux de croissance anticipé de la masse monétaire, le taux d’inflation anticipé rationnellement sera :

t t

e eP M=& & (0.4) Supposons que la Banque centrale décide de faire croître la masse monétaire à un taux constant 0λ plus une certaine proportion de l’écart entre le taux de chômage de la période précédente et le taux de chômage naturel. Dans ce cas, le taux effectif de croissance monétaire sera : ( )0 1 1 1t t t tM U UN Mλ λ θ− −= + − +& & (0.5) où tMθ & correspond à l’élément aléatoire non anticipé de la croissance de la masse monétaire. Le taux de croissance monétaire rationnellement anticipé par les agents est :

( )0 1 1 1et t tM U UNλ λ − −= + −& (0.6)

En retranchant (0.6) de (0.5) on obtient : e

t t tM M Mθ− =& & & (0.7) En soustrayant (0.4) à (0.3) et en utilisant (0.6), on obtient : e

t t t tP P M Dθ θ− = +& & & (0.8)

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Enfin en remplaçant (0.8) dans (0.2) on obtient :

( )1t t t t tU UN M D Sθ θ θ

φ= − − +& (0.9)

Le taux de croissance anticipé de la masse monétaire ne figure pas dans cette dernière équation. Seule la composante aléatoire de la croissance de la masse monétaire influence le chômage. L’emploi dévie de son niveau naturel uniquement sous l’effet d’une croissance non anticipée de la masse monétaire, liée soit à un choc de demande tDθ soit à une surprise monétaire non anticipée tMθ & . Selon le « principe d’invariance » de Sargent et Wallace, une variation anticipée de la masse monétaire ne peut influencer les variables réelles même à court terme. Les fluctuations non anticipées de la masse monétaire accentuent seulement la volatilité de la production et de l’emploi autour de leur niveau naturel. Cette théorie repose exclusivement sur l’hypothèse selon laquelle les salariés seraient totalement hostiles à l’augmentation de leur niveau de vie et à la baisse du chômage sans hausse concomitante du salaire horaire. Ce postulat est évidemment très discutable. En outre, il est difficile de croire qu’il puisse expliquer à lui seul les fluctuations de l’activité économique à court terme. Cette approche est d’autant plus contestable qu’il suffirait d’introduire le facteur capital dans la fonction de production pour que la politique monétaire ait une incidence sur le niveau de l’équilibre à long terme (voir infra, la critique du modèle de Sargent (1987) par Flashel, Franke et Semmler, 1997). Les premières études empiriques menées sur la question semblaient confirmer la thèse de l’inefficacité de la politique monétaire, mais elles furent rapidement remises en cause. Ainsi, Barro (1977, 1978) a montré que la production et l’emploi étaient uniquement sensibles à la croissance monétaire non anticipée. Mishkin (1982) et Gordon (1982a) montrèrent à l’inverse que la croissance monétaire anticipée, comme la croissance non anticipée, influençaient la production et l’emploi.

• Les critiques adressées aux nouveaux classiques Outre l’hypothèse de la substitution inter-temporelle, la théorie des nouveaux classiques a été principalement critiquée sur trois points : l’invraisemblance de la version forte des anticipations rationnelles, l’idée selon laquelle la neutralité de la monnaie découle de la perfection des anticipations et enfin l’absence de ratio de sacrifice. Les post-keynésiens ont vigoureusement critiqué la version forte des anticipations rationnelles. Ils admettent une version faible des anticipations en se fondant sur un passage de Locke, cité deux fois par Keynes (1921) : « celui qui juge sans s’être informé au mieux de ses possibilités, ne peut exclure que son jugement puisse être erroné ». Wible (1982) et Gomes (1982) estiment que la version forte est totalement irréaliste. Elle suppose en effet que les agents économiques connaissent le véritable modèle économique alors même que les économistes ne le connaissent pas. Davidson (1991) affirme que la version forte des

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anticipations rationnelles néglige l’épistémologie du temps et l’incertitude en supposant que la distribution des probabilités objectives contient dès à présent la totalité du champ des futurs possibles. Ainsi que l’admet Hoover (1988), les anticipations rationnelles sont un moyen de « fermer le futur » et de « générer des solutions déterministes ». Or l’incertitude est au coeur du raisonnement keynésien. « Keynes sans l’incertitude est comme Hamlet sans le prince » affirme Minsky (1975). Keynes, dans son traité des probabilités (1921) fait la distinction majeure entre risque et incertitude (au même titre que Knight qui publia son livre Risque, incertitude et profit la même année) : le risque est mesurable et peut donc être assuré, contrairement à l’incertitude. Le risque caractérise une situation dont la probabilité est objectivement connue et entièrement quantifiable. A l’inverse, l’incertitude authentique n’est pas prévisible. L’économie keynésienne fonctionne dans un temps historique et non logique, (puisque demain est dans 24 heures mais une éternité nous sépare d’hier), peuplé d’agents confrontés à un futur irréversible et incertain. Shackle (1967) illustre le problème avec la notion d’ « expérience cruciale » : « Napoléon ne pouvait répéter cent fois la bataille de Waterloo dans l’espoir que dans un certain pourcentage de cas, les prussiens arriveraient trop tard. Sa décision d’attaquer (…) correspond à ce que j’appellerais une expérience cruciale, le mot « crucial » voulant dire ici qu’un choix irréversible a été fait. S’il avait gagné, la nécessité de répéter l’expérience ne se serait pas faite sentir avant longtemps. Le fait de perdre rendit toute répétition impossible. » A l’intérieur d’un monde non ergodique (unique et non répétitif), les lois de la probabilité sont comme suspendues. Keynes considérait que le calcul de probabilité était trop brutal pour être appliqué aux problèmes humains dans un monde d’incertitude. Keynes et Knight prétendaient que l’émergence de conventions et l’élaboration de contrats étaient une réponse rationnelle à l’incertitude. Les anticipations sont bien souvent extrapolatives. Lucas (1977) lui-même concède que l’hypothèse des anticipations rationnelles est plus appropriée à un environnement caractérisé par une structure stable et marqué par des évènements récurrents mais qu’elle est moins adaptée à l’analyse des changements kaléidoscopiques ou des instances cruciales. Quoi qu’il en soit, Fisher (1977), Phelps et Taylor (1977) ainsi que Neary et Stiglitz (1983) ont montré qu’il ne suffisait pas d’introduire des anticipations rationnelles dans un modèle pour établir la neutralité de la monnaie. Dès que l’on s’affranchit de l’hypothèse de l’ajustement continu des marchés, les perturbations nominales peuvent engendrer des effets réels, malgré l’existence d’anticipations rationnelles. Muet (1992) estime que le principe d’invariance « ne repose pas principalement sur l’hypothèse d’anticipations rationnelles mais sur le caractère classique du modèle. Les anticipations rationnelles ne sont là que pour permettre au modèle de s’écarter de l’équilibre classique, voire même de reproduire des propriétés keynésiennes dans le cas d’anticipations non rationnelles. » (p. 309) Il montre très simplement que le multiplicateur keynésien est plus élevé lorsque les anticipations sont parfaites ou rationnelles, au lieu d’être adaptatives.

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Encadré 6. Anticipation rationnelle et multiplicateur keynésien Soit tY le revenu national, a

tY le revenu anticipé, tG les dépenses de l’Etat, et atcY la

consommation des ménages, on a : a

t t t tY cY G u= + + Si les anticipations sont adaptatives :

1 1a tt t

t

YY YG−

Δ= ⇒ =

Δ

Si les anticipations sont rationnelles :

( ) ( )1

ta at t t

E GY E Y Y

c= ⇒ =

( )1 1

tt t t t

G cY E G G uc c

= + − +⎡ ⎤⎣ ⎦− −

11

t

t

YG c

Δ=

Δ − si la variation des dépenses publiques est parfaitement anticipée.

D’après Muet (1992) Dans une situation de sous-emploi keynésien avec anticipations rationnelles, les politiques budgétaires sont d’autant plus efficaces qu’elles sont anticipées (voir aussi Abraham Frois, 1995a). Cette démonstration, d’une simplicité extrême, montre que la prise en compte des anticipations rationnelles peut invalider les conclusions de la « nouvelle école classique » dès lors que l’offre n’est pas supposée rigide a priori. Selon Snowdon et al. (1997) « il est devenu clair pour tous que l’hypothèse des anticipations rationnelles n’impliquait pas la fin de l’économie keynésienne. Il apparut que la caractéristique essentielle des modèles nouveaux classiques était le postulat d’ajustement continu des marchés ». Selon Sargent et Wallace, le ratio de sacrifice, c'est-à-dire la baisse de la production provoquée par la désinflation ou la déflation, est nul si l’effet de la contraction du stock de monnaie sur les prix est correctement anticipé. Ils considèrent que la restriction monétaire ne doit pas nécessairement être progressive. Comme Gordon l’a souligné : « dans le monde de Sargent et Wallace, la Réserve Fédérale pourrait supprimer l’inflation en se contentant d’annoncer qu’elle augmentera désormais l’offre de monnaie à un taux compatible avec la stabilité des prix » (1988, p. 338). Les nouveaux classiques se distinguent ainsi des monétaristes (même si ceux–ci admettent que le ratio de sacrifice diminue si la politique monétaire est crédible, ils estiment qu’il ne peut être nul) et des keynésiens. Selon ces derniers, le ratio de sacrifice est élevé, même si les anticipations sont rationnelles, puisque les prix s’ajustent progressivement. En outre, le taux naturel de chômage peut augmenter sous l’effet d’hystérèse (Cross, 1988 ; Gordon, 1988). Dans les modèles post-keynésiens, la déflation engendre un niveau de chômage permanent plus élevé. Cette approche a donc été fortement critiquée sur le plan théorique comme sur le plan empirique car il n’existe pas d’expérience de désinflation sévère sans hausse concomitante du chômage. Les politiques déflationnistes menées par Reagan et Thatcher au début des années

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1980 ont débouché sur une récession importante. Entre 1979 et 1983, l’inflation a chuté de 11,3 % à 3,2 % aux Etats-Unis et de 13,5 à 4,6 % au Royaume-Uni, tandis qu’au cours de la même période, le chômage a augmenté de 5,8 à 9,5 % aux Etats-Unis et de 5 % à 12,4 % en Grande Bretagne. Pour échapper à cette critique, Fellner (1976, 1979), Kydland et Prescott (1977) ont montré que le ratio de sacrifice dépend également de la crédibilité de la politique monétaire. Si après avoir été trompés, les agents ne font plus confiance aux autorités, une politique restrictive peut momentanément provoquer une récession, même si les anticipations sont rationnelles. En mettant en évidence le problème de l’incohérence temporelle (voir aussi Barro et Gordon, 1983a7), ils ont pu réaffirmer la nécessité d’éradiquer systématiquement les pressions inflationnistes.

1.1.2.2. Coût de la désinflation et crédibilité des autorités monétaires Ces auteurs ont développé un modèle dans la tradition des nouveaux classiques pour dénoncer l’utilisation de politiques discrétionnaires, comme celles envisagées par Tinbergen (1952) qui suppose que les autorités monétaires et budgétaires se fixent des objectifs en terme d’inflation et de chômage et qu’elles déterminent de manière optimale leurs coefficients de réaction en minimisant une fonction de perte de bien-être social, compte tenu du modèle économique retenu. Kydland et Prescott (1977) soutiennent, comme Lucas, que seules les variations non anticipées de la masse monétaire peuvent avoir une influence sur l’économie réelle lorsque les anticipations sont rationnelles. Dès lors, les autorités monétaires peuvent être tentées de « tricher », c'est-à-dire d’annoncer une politique économique sans s’y conformer. Il existerait alors un jeu dynamique et stratégique entre les autorités publiques et les agents économiques rationnels. Le chômage peut être réduit par une inflation surprise :

( )et t tU UN P Pψ= + −& & (0.10)

tU est le taux de chômage, UN représente le taux de chômage naturel, e

tP& est le taux d’inflation anticipé et tP& est le taux d’inflation effectif. Les autorités peuvent maximiser la fonction de bien-être social S en réduisant à la fois le chômage et l’inflation, sous la contrainte de la courbe de Phillips représentée par l’équation (0.10). ( ),tS S P U= & où ( )' 0tS P <& et ( )' 0tS U <

7 Barro et Gordon (1983a, 1983b) ont développé les travaux de Kydland et Prescott. Selon eux, les autorités ne sont pas liées par des normes. Elles agissent de manière discrétionnaire en effectuant un arbitrage inter-temporel entre les gains immédiats de l’inflation et les coûts futurs (à l’équilibre) qui dépendent du taux d’escompte du décideur.

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Le graphique I.5 montre l’arbitrage possible entre deux taux d’inflation anticipés particuliers 0e

tP& et etcP& . Etant donné que le chômage et la croissance des prix sont considérés l’un comme

l’autre comme des maux ; le bien-être est d’autant plus faible que la courbe d’indifférence atteinte est à droite. Crédibilité de la Banque centrale et équilibre optimal

Graphique I.5

Tous les points de l’axe vertical sont des positions potentielles d’équilibre puisque le taux de chômage est égal à son niveau naturel tU UN= et que le taux d’inflation anticipé est égal au taux effectif. Les droites représentent la position de la courbe de Phillips obtenue pour chaque niveau d’inflation anticipée. La position optimale est indiquée par le point de tangence O entre l’axe de l’équilibre et la courbe la plus à gauche. Le cas d’un jeu entre le gouvernement et les agents privés est un exemple de jeu non coopératif de Stackelberg où les joueurs réagissent en fonction des décisions prises par le meneur, qui ici est le gouvernement. Le joueur dominant échafaude sa stratégie en anticipant la réaction probable des suiveurs. Comme le gouvernement peut tricher, et comme les agents le savent et peuvent l’anticiper, l’équilibre temporellement cohérent est un équilibre de Nash, sous-optimal. Imaginons qu’il se situe à l’origine au point C. Les autorités monétaires annoncent un objectif d’inflation zéro afin d’atteindre la situation optimale O. Si la Banque centrale est crédible, les agents vont anticiper un taux d’inflation 0

etP& et la courbe de Phillips va se déplacer vers le bas.

Les autorités monétaires peuvent alors prendre de cours les anticipations des agents en augmentant la masse monétaire à un taux incompatible avec une inflation nulle, contrairement

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à leur engagement initial. Au lieu d’atteindre le point O, l’équilibre se situe au point A où le niveau de bien-être social est supérieur. Mais il n’est pas temporellement cohérent car le chômage est inférieur à son niveau naturel et le taux d’inflation effectif est supérieur au taux anticipé. Les agents s’en aperçoivent rapidement et le taux de croissance anticipé des prix est révisé à la hausse, de sorte que la courbe de Phillips s’élève à nouveau et que l’équilibre se déplace au point C. La politique monétaire a échoué et elle n’est plus crédible. Les agents ne réviseront plus leurs anticipations à la baisse en cas de nouvelle annonce de politique restrictive. Les autorités monétaires ne pourront plus atteindre le point O directement. Si elles respectent leur annonce malgré la persistance des anticipations inflationnistes des agents, elles provoquent une augmentation du chômage (point B). L’équilibre se déplacera progressivement du point B vers le point O à mesure que la Banque centrale regagnera la confiance des agents. En résumé, pour atteindre l’optimum temporellement cohérent, la politique monétaire doit être restrictive et la Banque centrale doit maintenir le cap annoncé contre vents et marées. Cette théorie a été invoquée pour justifier l’application persistante des politiques monétaires anti-inflationnistes malgré leurs effets récessifs douloureux. Elle permit aux monétaristes et aux nouveaux classiques d’expliquer pourquoi le taux de chômage était bien supérieur à son niveau naturel malgré une inflation quasi nulle, notamment en France en 1993. On trouve également une autre version de cette approche, développée par Taylor (1985) qui oppose les salariés et la Banque centrale. Crédibilité de la Banque centrale et chômage

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Dans le cas d’un jeu répété, le décideur est obligé d’adopter une politique à long terme puisque les conséquences futures de ses décisions présentes vont influencer sa réputation. Dans ce cas, son incitation à tricher diminue car il est confronté à un arbitrage inter-temporel entre le gain immédiat, lié au reniement de ses engagements, et les coûts futurs.

Encadré 7. Le modèle de Kydland et Prescott (1977) L’offre globale est donnée par la courbe de Lucas :

( )ey y b π π= + − 0b > Kydland et Prescott supposent que le niveau de production à prix flexibles est inférieur à l’optimal social, compte tenu des distorsions fiscales ou d’une concurrence imparfaite. De plus, ils postulent que l’inflation comporte un coût marginal croissant. Le gouvernement doit minimiser une fonction de perte dans laquelle figurent l’output gap et le taux de croissance des prix :

( ) ( )2 2* *1 12 2

L y y a π π= − + − avec *y y> et 0a >

Le paramètre a reflète l’importance respective de la production et de l’inflation dans le bien-être social. Le gouvernement détermine l’inflation afin de minimiser la fonction de perte sous la contrainte de la fonction de production. Si le gouvernement respecte son engagement, l’inflation anticipée sera égale à l’inflation réelle eπ π= et la production correspondra à son niveau naturel. La minimisation de la fonction de perte implique *π π= . Si le gouvernement ne respecte pas ses engagements eπ π≠ , le problème décisionnel est le suivant :

( )( ) ( )2 2* *1 1min2 2

ey b y aπ

π π π π= + − − + −

La condition de premier ordre est :

( )( ) ( )* * 0ey b y b aπ π π π+ − − + − =

On obtient :

( )2 * *

2

eb a b y ya b

π ππ

+ + −=

+

( ) ( )2

* * *2 2

eb by ya b a b

π π π π= + − + −+ +

(1)

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Le graphique ci-dessous représente le choix de π par le gouvernement en fonction de eπ . Cette relation est croissante et sa pente est inférieure à 1. Comme l’indique l’équation (1), le gouvernement est incité à mettre en œuvre une politique expansive. En effet, si le public s’attend à ce qu’il choisisse le taux d’inflation optimal *π , le coût marginal d’une inflation légèrement plus élevée est nul alors que le bénéfice marginal de l’augmentation de la production qui en résulterait est positif. Le gouvernement a donc intérêt à opter pour un taux d’inflation supérieur à *π .

Détermination de l’inflation quand le gouvernement n’est lié par aucun engagement

A l’équilibre, en l’absence d’incertitude, le taux d’inflation effectif et le taux anticipé sont nécessairement égaux. Posons eπ π= dans l’équation (1), le taux d’inflation correspondant est :

( )* *e EQb y ya

π π π= + − =

Lorsque l’inflation est parfaitement anticipée, le niveau de production est à l’équilibre y y= . En résumé, le seul effet d’une politique discrétionnaire est d’augmenter l’inflation sans agir sur la production. D’après Romer (1997) Les nouveaux classiques ont donc réussi à justifier l’existence d’un ratio de sacrifice élevé en invoquant la thèse de la crédibilité, sans remettre en cause la théorie de l’effet de surprise de Lucas. Ils ont pu expliquer les récessions du début des années 1980 dans les pays anglo-saxons en supposant que la crédibilité de la politique monétaire dépend en partie de l’évolution de la dette de l’Etat. Si le déficit public augmente, les agents doivent rationnellement anticiper, soit une hausse ultérieure des impôts et donc un ralentissement de l’activité, soit une expansion de la création monétaire si l’Etat finance son déficit à crédit. Dans ce cas, ils ne réviseront donc pas leurs anticipations d’inflation à la baisse et la politique monétaire restrictive entraînera une récession à court terme.

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Matthews et Minford (1987) estiment qu’une « caractéristique clé de la stratégie anti-inflationniste de Thatcher fut la réduction parallèle des déficits budgétaires du gouvernement » destinée à renforcer la crédibilité à long terme. Aux Etats-Unis, Volker mena une politique désinflationniste entre 1979 et 1982. Elle provoqua une profonde chute du PIB, renforcée par le second choc pétrolier. M. Friedman (1984) considère que la sévérité de la récession était due au manque général de confiance dans la nouvelle politique. Matthews et Minford (1987) l’imputent à l’apparition de chocs d’offre négatifs sur la période et à la crédibilité encore balbutiante de la politique monétaire : le « traitement de choc était inattendu. » De la même manière Poole (1988) affirme qu’une « récession est parfois nécessaire pour fournir la preuve que la Banque centrale ne plaisante pas ». Ces modèles souffrent d’une contradiction intrinsèque. En adoptant une courbe d’offre de Lucas, les auteurs supposent implicitement que les agents maximisent en permanence leur utilité en réalisant un arbitrage travail-loisir. Cela explique pourquoi il est impossible d’accroître leur bien-être lorsque les anticipations sont parfaites. Cependant, en introduisant une fonction de perte dans laquelle figurent l’output gap et l’inflation, les auteurs supposent que l’Etat peut améliorer la satisfaction des agents en encourageant l’offre de travail via un arbitrage inflation-chômage à court terme. Il semble incohérent d’introduire dans un modèle, à la fois une courbe d’offre de Lucas et une fonction de perte, puisque la première suppose implicitement que l’optimum social est atteint tandis que la seconde n’a de sens que si l’équilibre n’est pas optimal. Autrement dit, comment l’Etat peut-il espérer améliorer le bien-être des agents s’il est à son maximum ? Kydland et Prescott évacuent la question en supposant que la concurrence est imparfaite et qu’ainsi l’équilibre ne correspond pas à l’optimum de Pareto. Comme Mankiw (1985), ils considèrent qu’en concurrence imparfaite, les périodes d’expansion et de récession ont des effets asymétriques sur le bien-être. Les périodes de forte production sont préférables car elles sont plus proches de la situation optimale qui existerait en CPP. Cette supposition ne lève pourtant pas la contradiction. Certes, en introduisant un mark up dans un modèle où l’on a une courbe d’offre de Lucas et un arbitrage inter-temporel travail-loisir, la monnaie reste neutre et la production est inférieure à son niveau en CPP (Romer, 1997). Romer estime que cela s’explique intuitivement parce qu’au delà de l’équilibre, le revenu marginal du travail est inférieur à son produit marginal et que cela réduit la quantité de main d’oeuvre offerte. Mais, dans un modèle où tous les revenus sont distribués aux salariés et où chacun est à la fois un offreur et un demandeur de travail, il n’y a pas de raison de considérer que le revenu réel des individus est inférieur à la quantité produite. Lorsque la production en volume – c'est-à-dire le revenu réel - augmente, la baisse du salaire réel est plus que compensée par la hausse des profits. La variation du salaire réel n’a aucun impact négatif sur le bien-être des agents ni sur leur richesse ou leur pouvoir d’achat. Elle ne peut donc pas expliquer les fluctuations de l’offre de travail. Seule la baisse de l’utilité des agents peut expliquer pourquoi l’offre de travail diminue lorsque la production est supérieure au point d’équilibre. Or, si l’offre de travail est réduite lorsque y y> , c’est toujours parce que le gain de pouvoir d’achat ne compense pas la perte d’utilité résultant de la baisse des loisirs. Sinon il n’y aurait pas de retour à l’équilibre et la monnaie perdrait sa neutralité. La réduction de l’écart entre l’équilibre en concurrence imparfaite et l’optimum de Pareto entraîne donc toujours une perte d’utilité, c’est d’ailleurs pourquoi elle ne se produit jamais sauf erreur d’anticipation. Il semble donc incohérent, même en concurrence imparfaite, de supposer que l’on puisse améliorer le bien-être en faisant un arbitrage inflation-chômage

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lorsque l’offre de travail est déterminée par une substitution inter-temporelle et que tous les revenus sont distribués aux ménages. Or, si cette dernière hypothèse était modifiée, la courbe d’offre de long terme ne serait plus intangible. En résumé, il est douteux de croire que l’Etat souhaite faire le bonheur des agents malgré eux et à leur insu, même de façon transitoire, sachant que ceux–ci s’estiment déjà comblés. On voit mal quel profit pourrait tirer un gouvernement d’une politique qu’il sait vouée à l’échec. Cependant, ces modèles ont rencontré un certain succès malgré le caractère ad hoc de leur spécification et leurs contradictions. Ils ont permis aux nouveaux classiques d’expliquer l’importance effective du ratio de sacrifice sans remettre en cause le fondement de leurs théories. Au contraire, cela leur a redonné un semblant de validité empirique. Ils ont ainsi légitimé l’indépendance des banques centrales et l’instauration d’une politique vigoureusement anti-inflationniste, malgré ses effets récessifs, sous prétexte qu’elle seule pouvait être crédible.

• Réputation des autorités monétaires et optimum Selon Kydland et Prescott, une politique monétaire laissée à la discrétion du gouvernement engendre une inflation trop élevée par rapport à l’optimum. C’est pourquoi certains ont proposé que la politique monétaire soit soumise à des normes contraignantes. Néanmoins, cette solution pose problème sur le plan théorique et sur le plan empirique. D’un point de vue normatif, l’adoption de règles n’est pas optimale car elles ne peuvent s’adapter à toutes les circonstances imaginables. Sur le plan positif, il existe des cas où l’inflation est restée faible alors que la politique monétaire n’était pas soumise à des normes fixes. Ceci suppose qu’il existe des moyens alternatifs d’échapper au problème de l’incohérence dynamique. La crédibilité des autorités monétaires peut pallier l’incohérence dynamique comme le montrent les modèles de réputation élaborés par Backus et Driffill (1985) et Barro (1986). Si les agents ignorent les intentions du gouvernement et ses préférences, s’ils doutent de sa sincérité, ils anticiperont sa politique en se fiant à son attitude au cours de la période passée. En bref, en situation d’incertitude, les anticipations sont extrapolatives. En pareil cas, le gouvernement est incité à mettre en oeuvre une politique faiblement inflationniste lorsqu’il accorde de l’importance au futur et que son mandat est long. (Vickers, 1986 ; Cukierman et Meltzer, 1986 ; Rogoff, 1987).

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Encadré 8. Le modèle de réputation On suppose que le gouvernement est en place pour deux périodes. La fonction de production est la suivante :

( )et t ty y b π π= + −

La fonction de bien-être collectif est donnée par :

( ) 212t t tw y y aπ= − − (1)

( ) 212

et t t tw b aπ π π= − −

Il existe deux sortes de gouvernement que le public ne peut pas identifier a priori. Le gouvernement de type 2 choisit une inflation nulle à chaque période de façon systématique. Sa probabilité d’accéder au pouvoir est égale à p. Par contre le gouvernement de type 1 cherche à maximiser la fonction de bien-être collectif au cours des deux périodes :

1 2W w wβ= + 0 1β< ≤ Si le gouvernement de type 1 choisit une inflation différente de zéro à la période 1, pour une inflation anticipée des agents donnée, il choisira le taux d’inflation de manière à maximiser le bien-être en fonction de l’inflation anticipée par les agents en t. La solution est 1 /b aπ = . L’inflation anticipée par les agents à la période 2 sera 2 2 /e b aπ π= = et 2y y= . En ce cas, la valeur de la fonction objectif des deux périodes est égale à :

( )2

inf1 12

et

bW ba

β π= − −

Si le gouvernement 1 choisit une inflation nulle à la première période, les agents savent qu’il peut choisir soit 1 /b aπ = soit 1 0π = à la période suivante avec une probabilité q. En ce cas, les agents estimeront que la probabilité pour que le gouvernement soit du type 1 est égale à

( ){ }/ 1qp p qp− +⎡ ⎤⎣ ⎦ et ils anticiperont ( ){ }( )2 / 1 /e qp p qp b aπ = − +⎡ ⎤⎣ ⎦ .

La valeur de la fonction objectif des deux périodes est alors égale à :

( ) ( )2

012 1

et

b qpW q ba p qp

β π⎡ ⎤

= − −⎢ ⎥− +⎣ ⎦

( )0W q est une fonction décroissante de q, la probabilité que le gouvernement choisisse une

inflation nulle est d’autant plus faible que les agents le pressentent fortement (q est élevée) :

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Si q tend vers zéro et si la pondération β affectée à la seconde période est inférieur à 50 %, alors ( )0 inf0W W< et 1 /b aπ =

Si q tend vers 1 et que ( )0 inf1W W> , alors 1 0π =

Si ( ) ( )0 inf 00 1W W W> > , alors le gouvernement choisira une inflation nulle si le public anticipe une inflation positive et inversement. En bref, les gouvernements ont intérêt à ce que le public anticipe une faible inflation pour avoir une marge de manœuvre conséquente. Le gouvernement doit donc parfois mener une politique anti-inflationniste pour induire le public en erreur. D’après Romer (1997) Selon Rogoff (1985), la meilleure manière d’éviter la mise en œuvre d’une politique inflationniste est de déléguer la responsabilité des décisions monétaires à quelqu’un connu pour son aversion à l’encontre de l’inflation. Il suffit qu’elle soit supérieure à celle de la société, (le coefficient a, dans l’équation (1) de l’encadré ci-dessus, doit alors être remplacé par a’ sachant que a’>a) pour qu’il choisisse un taux d’inflation plus faible pour une hausse des prix anticipée donnée. Sa fonction de réaction aura une pente et une ordonnée à l’origine moins élevées. Ainsi le niveau de l’inflation à l’équilibre sera plus faible, ce qui augmente le bien-être social. Rogoff a montré qu’une Banque centrale ayant une forte aversion pour l’inflation parvient à diminuer la croissance moyenne des prix mais qu’elle ne réagit pas de manière optimale aux chocs. Il faudrait choisir un responsable de la Banque centrale ayant un « niveau optimal de conservatisme ». Les études empiriques ont montré qu’il existait une forte relation négative entre les indicateurs de l’indépendance de la Banque centrale et l’inflation (Alesina, 1988 ; Cukierman, Webb et Neyapti, 1992). Néanmoins, la relation de cause à effet est difficile à établir. Par exemple, les Etats-Unis ont réussi à réduire l’inflation de 10 à 5 % au début des années 1980 sans avoir changé ni les institutions, ni leurs règles de politique monétaire. On peut s’interroger sur la cohérence des hypothèses retenues dans ces modèles : pourquoi la croissance des prix devrait-elle être considérée comme un mal lorsque la monnaie est neutre à moyen terme ? On peut admettre que la hausse de l’inflation entraîne une perte de bien-être social si elle lamine le pouvoir d’achat des agents, la production en volume ou si elle aggrave le taux de chômage naturel à long terme, comme le suggérait Friedman dans son discours de 1977 ; mais en l’absence de tels effets, pourquoi l’équilibre temporellement cohérent avec une inflation nulle devrait-il être préféré à un autre équilibre temporellement cohérent avec une faible inflation ? Selon Lucas, une augmentation non anticipée des prix entraîne une baisse du bien-être car l’accroissement du volume des richesses engendré par l’illusion nominale ne compenserait pas la perte d’utilité que les agents subiraient en renonçant à leurs loisirs. C’est cette hypothèse qui justifie le choix d’une courbe d’offre verticale à long terme. Toute la pertinence de sa théorie repose donc sur le postulat d’une substitution inter-temporelle du travail et la notion de chômage volontaire.

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Dès lors une nouvelle question se pose : pourquoi les pouvoirs publics chercheraient-ils absolument à réduire le chômage alors que celui-ci est volontaire, au prix d’une réduction de l’utilité des agents ? Pourquoi s’engageraient-ils consciemment dans une politique vouée à l’échec à moyen terme ? Il peut sembler contradictoire de supposer, d’une part qu’il est impossible de modifier la répartition entre le travail et le loisir sans perte d’utilité, tout en supposant d’autre part - comme le font Kydland et Prescott - que l’Etat peut améliorer le bien-être social en réduisant le chômage. Ces auteurs ont d’ailleurs radicalement changé d’optique les années suivantes, en fondant l’école du cycle économique réel qui dément l’importance de l’effet de surprise monétaire et l’idée selon laquelle l’offre de monnaie est à l’origine des fluctuations économiques.

1.1.2.3. L’école du cycle économique réel En dépit de l’énorme influence des nouveaux classiques, une grande majorité de chercheurs considérait au début des années 1980 que leurs modèles étaient théoriquement invalides et empiriquement irréalistes. Sur le plan empirique, le postulat de la confusion de l’information fut largement jugé invraisemblable (Okun, 1980 ; Tobin, 1980). De plus, le doute émis par Sims (1980) sur le rôle causal de la monnaie sur les fluctuations de la production souleva d’autres questions. D’un point de vue théorique, les arguments en faveur d’une neutralité de la croissance monétaire anticipée furent assez largement rejetés. Ainsi le modèle de surprise monétaire fut-il « considéré comme inapplicable aux nations industrielles d’aujourd’hui » (McCallum, 1990). A partir des années 1980, les nouveaux classiques se sont concentrés sur les chocs réels plutôt que sur les chocs monétaires, d’où son nom de « théorie du cycle économique réel ». Paradoxalement, Tobin fut l’un des premiers à suggérer aux économistes nouveaux classiques cette piste de recherche alternative puisqu’il écrivit : « l’équilibre réel d’un modèle à information complète peut se déplacer sous l’effet de dotations naturelles, des technologies et des préférences » et si de telles fluctuations sont des processus aléatoires persistants, les observations ainsi générées « peuvent ressembler à des cycles économiques ». Deux ans après cette remarque, Kydland et Prescott (1982) publiaient leur modèle d’équilibre non monétaire, suivis ensuite par Long et Plosser (1983), considérés comme les fondateurs de l’école du cycle économique réel. Ses présupposés sont très proches de l’école des anticipations rationnelles puisqu’ils postulent que : les agents maximisent leur utilité sous contrainte, le chômage est volontaire, les anticipations sont rationnelles et que la flexibilité des prix assure en permanence l’équilibre. Néanmoins, ils supposent que l’information est parfaite et que les fluctuations de la production et de l’emploi sont déterminées par des chocs technologiques aléatoires. Dans ce cadre, il est évident que la politique monétaire n’a aucune influence. Pour expliquer les variations pro-cycliques de l’emploi, ils supposent que la substitution inter-temporelle du loisir est très importante. Ils ont expliqué la corrélation apparente entre la production et la masse monétaire en affirmant que la demande de monnaie augmente en période de croissance et que l’offre s’y adapte. Ils considèrent donc que l’offre de monnaie est endogène, notamment lorsque la Banque centrale

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cible le niveau des taux d’intérêt (Barro, 1993, chap. 18). King et Plosser (1984) ont introduit la monnaie dans un modèle du cycle réel. Poursuivant les travaux de Fama (1980), ils rejettent l’interprétation monétariste orthodoxe du lien de causalité entre la monnaie et la production. Paradoxalement, l’argument de la monnaie endogène est l’une des propositions majeures de l’école post-keynésienne. Kydland et Prescott (1990) déclarent qu’ « il n’y a pas de preuve que la base monétaire conduise le cycle, même si certains monétaristes croient toujours en ce mythe monétaire. » Les théoriciens du cycle économique réel ont utilisé le résidu de Solow comme une mesure du progrès technique et considèrent en conséquence que le niveau de la productivité suit un cheminement aléatoire. Kydland et Prescott (1991) estiment que son oscillation explique 70% de la variance de la production américaine dans l’après guerre. Kydland et Prescott (1990) affirment que les salaires sont légèrement pro-cycliques. Cela suppose néanmoins que la courbe d’offre de travail soit fortement élastique pour que les chocs affectant la production puissent influencer l’emploi. Or les données empiriques ne confirment pas l’existence de la substitution inter-temporelle nécessaire pour que les cycles réels reproduisent les fortes variations de l’emploi qui caractérisent les cycles économiques (Mankiw et al., 1985 ; Altonji, 1986 ; Nickell, 1990). Contrairement à la quasi-totalité des économistes (y compris Lucas, 1981), Kydland et Prescott estiment que les prix évoluent de manière contra-cyclique puisque les fluctuations de l’activité résultent essentiellement de chocs d’offre. Dans cette approche, la monnaie est totalement neutre. Il est inutile de chercher à améliorer le bien-être puisque l’optimum de Pareto est atteint en permanence (Long et Plosser, 1983 ; Plosser, 1989). Les facteurs monétaires ne peuvent plus expliquer l’instabilité. En fait, les fluctuations du PIB ne sont rien d’autre qu’un équilibre de plein-emploi en mouvement constant. Néanmoins, les économistes du cycle économique réel considèrent que l’Etat est à l’origine de bien des maux à cause des distorsions engendrées par les politiques budgétaire et fiscale. Barro affirme qu’une augmentation des dépenses de l’Etat entraîne une hausse des taux d’intérêt réels qui provoque une augmentation de l’offre de travail. Celle-ci diminue ensuite lorsque les agents anticipent une hausse des impôts. Ces théories ont été fortement critiquées. Mankiw (1989) soutient que le taux d’intérêt réel ne joue aucun rôle significatif dans les décisions d’offre de travail et il estime que les périodes de récession ne peuvent être assimilées à des régressions technologiques. Summers (1986) fait remarquer qu’il est incorrect d’assimiler la variation du résidu de Solow à l’évolution du progrès technique car elle peut provenir d’une forme de thésaurisation du travail. Stadler (1990) a aussi montré que l’introduction d’un progrès technique endogène pouvait altérer considérablement les théories réelles et monétaires du cycle économique. Enfin, la neutralité de la monnaie a été fortement contestée. Ironiquement, ces modèles ont émergé au moment même où les politiques déflationnistes de Volker et Thatcher ont provoqué de profondes récessions. Carlin et Soskice (1990) affirment qu’une forte proportion du chômage américain des années 1980 était involontaire et qu’il s’agit d’un fait stylisé important inexplicable dans le cadre d’analyse des nouveaux classiques. Comme Gordon (1993) l’a souligné, « l’attrait de l’économie keynésienne découle du malheur criant des travailleurs et des entreprises durant les récessions et les dépressions. Les entreprises et les salariés ne se comportent pas comme si la réduction de la production et des heures de travail était le résultat d’un choix volontaire. »

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On peut en effet douter du caractère volontaire du chômage quand on songe que les offres d’emploi sont systématiquement inférieures aux demandes dans la plupart des pays de l’OCDE. On peut également douter que 10 à 20 % des habitants des pays développés, vivant sous le seuil de pauvreté, aient rationnellement arbitré en faveur des « loisirs » au point de souffrir du froid et de la faim. Les monétaristes comme les économistes de la nouvelle économie classique n’ont pas réussi à expliquer les fluctuations de l’activité économique d’une manière théorique et empirique satisfaisante, en incriminant les variations exogènes non anticipées du stock de monnaie. En effet, une explication alternative plus réaliste de la stagflation fut avancée grâce à la prise en compte des effets du commerce extérieur et de la finance sur la courbe d’offre globale. Ces travaux ont mis en évidence les limites des modèles qui, sous prétexte de simplification, font totalement abstraction du capital et de son coût dans la fonction de production. Cette carence débouche mécaniquement sur une courbe d’offre verticale intangible si l’on suppose que la flexibilité des salaires équilibre instantanément l’offre et la demande d’emploi, puisque la production dépend alors uniquement de la quantité disponible de facteur travail. En ce cas, c’est l’offre qui détermine la demande, conformément à la loi des débouchés. Ainsi, les ajustements en volume sont exclus a priori et la monnaie est un voile. Il est évident que dans ces conditions les politiques monétaire et budgétaire sont inefficaces. Les monétaristes et les nouveaux classiques ne sont parvenus à générer des fluctuations dynamiques qu’en introduisant des erreurs d’anticipation. Les premiers se sont appuyés sur l’hypothèse d’une information imparfaite et sur l’existence supposée d’anticipations adaptatives ; les seconds au contraire, se sont basés sur l’hypothèse d’une anticipation rationnelle et sur le postulat, fort contestable, d’une substitution inter-temporelle. Or, l’hypothèse de l’illusion nominale des salariés comme le postulat de la confusion de l’information ont été largement rejetés. De la même manière, il fut établi que les conclusions de Lucas ne résultaient pas du caractère rationnel des anticipations, mais des spécifications classiques de son modèle. Celui-ci repose entièrement sur l’hypothèse d’un chômage volontaire. Il n’est pas difficile de montrer dans ce cadre que la politique d’arbitrage entre l’inflation et le chômage est vouée à l’échec. Or, les études empiriques ont démenti l’existence d’une telle substitution inter-temporelle entre le travail et le loisir. Face à ces nombreuses critiques, l’école du cycle économique réel a tenté de concilier la théorie néo-classique, selon laquelle l’économie de marché assure instantanément l’équilibre de plein-emploi, avec l’existence de fluctuations cycliques, en se polarisant sur l’éventualité supposée de chocs technologiques aléatoires. A l’épreuve des faits, leurs travaux n’ont pas été jugés plus convaincants que ceux des monétaristes et des nouveaux classiques. Ils n’ont donc pas réussi à remettre en cause la théorie keynésienne ; en revanche, ils ont réfuté l’effet de surprise monétaire de Lucas en affirmant le caractère endogène des variations de la masse monétaire, si bien que rares sont ceux qui, aujourd’hui encore, font explicitement référence aux travaux des nouveaux classiques pour justifier la mise en œuvre d’une politique monétaire anti-inflationniste. Cependant, il ne suffit pas seulement de montrer avec des hypothèses particulièrement restrictives que la politique monétaire est inefficace et que l’accélération des prix est préjudiciable à l’utilité des agents, pour justifier la lutte contre l’inflation. En effet, les modèles monétaristes et nouveaux classiques sont parvenus à établir que la volatilité de l’inflation est néfaste dans le cadre d’une modélisation d’inspiration néo-classique. Mais ni

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les uns ni les autres n’ont réussi à montrer explicitement pourquoi un taux d’inflation nul devrait être préféré à un taux d’inflation plus élevé mais stable. Friedman s’est simplement contenté de supposer qu’il était peu probable qu’un taux d’inflation important puisse rester relativement constant, en faisant référence au principe de l’accélération. Or, il peut sembler hasardeux de justifier l’éradication coûteuse des pressions inflationnistes sous le seul prétexte que cette politique bénéficie d’une hypothétique préférence des agents. A ce propos, les gouvernements français successifs, qui ont mis en œuvre des politiques de « rigueur » monétaire dans les années 1980 et 1990, ne se sont pas seulement appuyés sur les préceptes théoriques des nouveaux classiques. Ils ont cherché une justification tangible de la pertinence de leur stratégie en expliquant que la désinflation avait l’avantage d’améliorer la compétitivité externe, ce qui devait à terme favoriser la croissance. Une telle stratégie peut sembler opportune lorsque l’économie est confrontée à une spirale inflation-dépréciation, sous l’effet d’une forte contrainte extérieure. Mais en l’absence de déficit de la balance commerciale, une telle politique n’est pertinente que si elle est menée de manière isolée par un seul Etat, dans le cadre d’un système de change fixe. Car, si elle est adoptée par tous, cette stratégie non coopérative débouche sur un jeu du type « dilemme du prisonnier » qui se solde par un équilibre de Nash sous-optimal puisque la baisse de la demande interne, nécessaire pour briser l’inflation, ne peut être compensée par une hausse de la demande externe (Fitoussi, 1995, 1999). L’adoption généralisée de cette politique en Europe explique en partie le différentiel de croissance existant entre la Communauté Européenne et les Etats-Unis à cette époque. Rares sont ceux qui, aujourd’hui encore, évoquent les vertus compétitives de la désinflation dans les pays développés. Pour justifier l’éradication des pressions inflationnistes, encore faudrait-il montrer qu’un taux d’inflation non nul soit néfaste à moyen ou long terme pour le bien-être social. Schwartz a tenté de l’expliquer en montrant qu’une politique monétaire trop conciliante peut à terme fragiliser durablement le secteur bancaire, ce qui est préjudiciable à la croissance.

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1.1.3. Stabilité des prix et stabilité financière : le principe de Schwartz

Anna Schwartz considère, d’après Friedman, que l’expansion de la masse monétaire est neutre à long terme et qu’il est illusoire de croire qu’elle puisse déboucher sur un niveau de PIB plus élevé. Il n’existerait pas d’arbitrage entre l’inflation et le chômage à long terme, conformément à l’effet de surprise monétaire de Lucas (1972). Schwartz estime que la volatilité des prix augmente avec le niveau de l’inflation, ce qui accroît l’incertitude. Les entrepreneurs ne peuvent pas discerner instantanément si la hausse du prix de leurs produits résulte d’une augmentation de la demande en volume (une distorsion des prix relatifs) ou d’une hausse du niveau général des prix car l’information est imparfaite : « fully anticipated inflation is a mirage » (1995, p. 22). Or, ils ont intérêt à accroître leur production dans le premier cas mais pas dans le second. Une erreur d’anticipation peut donc induire une allocation sous-optimale des ressources. L’instabilité des prix peut conduire les agents à sous-estimer ou surestimer le rendement réel de leurs projets d’investissements. Elle peut induire des décisions erronées de prêt ou d’emprunt qui fragilisent le secteur financier. En effet, un choc inflationniste ou déflationniste non anticipé (et contre lequel les agents ne disposent pas d’instrument de couverture) entraîne un écart entre le rendement réel observé ex post de l’investissement et le rendement attendu sur la base duquel le prêt avait été accordé. Les faillites bancaires ou les situations de rationnement du crédit peuvent provoquer une baisse durable du bien-être social. C’est pourquoi, elle affirme que les banques centrales doivent principalement se focaliser sur la stabilité des prix. Selon « le principe de Schwartz », expression utilisée par Bordo et Wheelock (1998), l’inflation accroît l’incertitude des prêteurs et des emprunteurs dans l’évaluation du rendement réel des investissements financés par emprunt. L’instabilité des prix entraîne une réduction dramatique de l’horizon temporel des agents. Elle fragilise donc les relations financières. Bordo et al. (2000) affirment :

“that a monetary regime that produces aggregate price stability will, as a by-product, tend to promote stability of the financial system.”

De nombreux coûts induits par l’inflation ont été identifiés mais la plupart d’entre eux ont été unanimement jugés dérisoires. Schwartz a justifié l’hypothèse d’une baisse du bien-être en période inflationniste de deux manières différentes, sinon contradictoires, entre le début et la fin des années 1990. Elle a d’abord évoqué les possibles distorsions fiscales provoquées par la hausse des prix, pour ensuite évoquer l’incertitude et la perte de confiance engendrées par l’augmentation des pressions inflationnistes (1.1.3.1). Elle a ensuite abandonné toute référence à la théorie du proxy effect pour modifier radicalement son argumentaire en s’appuyant sur la théorie de l’accélérateur financier (1.1.3.2). Ce revirement équivaut à une reconnaissance implicite et tardive de l’invalidité des arguments défendus par les nouveaux classiques.

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1.1.3.1. Les coûts et avantages de l’inflation La plupart des modèles monétaristes, nouveaux classiques ou néo-keynésiens supposent que l’inflation a un coût, or il est mal connu. Selon Romer (1997), «il y a un écart important entre l’idée que le grand public se fait de l’inflation et les coûts de l’inflation que les économistes sont en mesure d’identifier. L’inflation est très mal aimée. Ainsi aux Etats-Unis, même lorsqu’elle est modérée, les sondages d’opinion font apparaître qu’elle reste le problème majeur du pays. »8 (p. 474) De nombreux coûts ont été évoqués : la dépréciation des encaisses, le coût d’usure des chaussures, les coûts de menu, les distorsions fiscales et les effets pervers que l’incertitude inflationniste aurait sur l’arbitrage des agents. Les keynésiens estiment que la plupart de ces inconvénients ne contrebalancent pas les avantages d’une politique monétaire expansive.

• Du coût d’usure des chaussures aux coûts de menu L’inflation réduit le pouvoir d’achat des encaisses monétaires. Le coût d’opportunité de détention de la monnaie est donc positif. Pour y échapper, les agents doivent convertir plus fréquemment et en faible quantité leurs actifs en monnaie. Toutefois, cette démarche a un coût, qualifié de « coût d’usure des chaussures » en référence aux allers et retours à la Banque ou au distributeur de billets qu’elle implique. Friedman (1969) estime à ce propos, qu’il faudrait une légère déflation pour annuler le coût de détention de la monnaie, sachant que les taux d’intérêt réels sont généralement positifs. Cependant, il ignore tout simplement le gain d’utilité que procure la détention de cet actif ultra-liquide qu’est la monnaie (Minsky, 1975). On peut imaginer qu’en période d’hyper-inflation les coûts de détention et d’usure puissent être significatifs, en songeant aux ouvriers allemands qui allaient faire leurs courses dans les années 1920 en poussant une brouette remplie de billets et qui devaient être payés au moins deux fois par jours. A l’évidence, ces coûts sont extrêmement faibles, voire quasi nuls, pour la plupart des taux d’inflation observés. En outre, cet inconvénient est compensé par l’avantage que procure l’inflation aux débiteurs puisqu’elle réduit le volume de leur dette. Les néo-keynésiens ont mis en évidence l’existence d’un coût d’ajustement des prix. Selon eux, ces « coûts de menu » sont relativement faibles, mais ils peuvent conduire à un équilibre macro-économique sous-optimal. L’inflation est donc coûteuse puisque les salaires nominaux et le prix des biens doivent être modifiés plus souvent. Néanmoins, si la fréquence des ajustements est plus importante lorsque l’inflation moyenne est élevée, l’équilibre devrait théoriquement se rapprocher de l’optimum et les fluctuations réelles du PIB devraient être réduites (Ball, Mankiw et Romer, 1988). Dans cette optique, l’inflation est un prix dérisoire à payer pour une amélioration substantielle du bien-être.

8 Certains auteurs ont trouvé une relation négative entre l’inflation et l’investissement (Fischer, 1991, 1993 ; Rudebush et Wilcox, 1994) néanmoins, il n’y a pas de preuve de son caractère causal. L’aversion du public pour l’inflation ne provient peut-être pas d’une connaissance innée des coûts de l’inflation. Selon Katona (1976), les ménages auraient tendance à croire que la hausse de leur niveau de vie aurait été plus importante en l’absence d’inflation. La variation des prix peut être mal aimée même en l’absence d’effet réel substantiel, comme le suggère l’analogie d’Okun (1975) : si la définition du mile changeait chaque année, cela serait sans conséquence réelle, mais cela susciterait un fort mécontentement.

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Certains économistes estiment que l’inflation permet aux agents de modifier plus facilement la structure des prix relatifs et le niveau du coût réel du travail. Tobin (1972) affirme que les salaires réels s’ajustent plus rapidement aux chocs sectoriels spécifiques lorsque l’inflation est élevée. Dans cette optique, la hausse des prix permet de « graisser les rouages de l’économie ».9 Dans la quasi-totalité des modèles néo-keynésiens, la baisse du chômage résulte d’une diminution des salaires réels induite par les tensions inflationnistes. Par ailleurs, Summers (1991) estime que les taux d’intérêt nominaux et l’inflation ne doivent pas être trop faibles, afin de préserver les capacités d’intervention contra-cycliques de la Banque centrale. Dans les modèles keynésiens, l’effet Mundell-Tobin est supérieur à l’effet Keynes, si bien que l’inflation favorise l’accroissement des richesses en volume (Tobin 1975). La totalité des économistes considère que les coûts évoqués ci-dessus sont négligeables. Schwartz elle-même ne les a jamais invoqués pour justifier la lutte contre l’inflation. En 1992, elle faisait encore référence aux travaux de Feldstein (1980, 1983) pour légitimer les politiques anti-inflationnistes. Ce dernier estimait que la hausse des prix engendrait de coûteuses distorsions fiscales.

• Les distorsions fiscales Jusqu’au début des années 1980, aux Etats-Unis, les taux marginaux d’imposition n’étaient pas automatiquement indexés sur l’inflation. Ainsi, le taux d’imposition réel des revenus augmentait avec les prix. Ce mécanisme, nommé « bracket creep », a été supprimé mais d’autres distorsions perdurent : - Les provisions pour amortissement sont basées sur le prix d’achat courant des actifs. De ce fait, l’inflation dévalorise le montant de la dépréciation des actifs et induit toutes choses égales par ailleurs, une hausse du revenu imposable et des charges fiscales. - Le second point mis en évidence par Feldstein est moins important ; il concerne la taxation des gains individuels en capital. Les intérêts reçus sont taxés immédiatement tandis que les gains en capital ne sont taxés qu’au moment de la réalisation effective de la plus-value. Ceci favorise les placements boursiers. En outre, la hausse des prix réduit la valeur réelle des déductions fiscales autorisées sur les intérêts de l’emprunt (néanmoins elle diminue la valeur réelle du remboursement du principal de la dette). Quoi qu’il en soit, l’inflation peut théoriquement modifier l’attrait relatif des diverses catégories d’investissement. - D’autres auteurs ont fait valoir que les règles de comptabilité des stocks peuvent avoir un effet préjudiciable à l’entreprise dans un contexte inflationniste. L’inflation provoque une augmentation de la valeur relative des stocks en cas de rotation, même si les volumes ne changent pas. Cependant, ce coût devrait être compensé par l’appréciation du prix de vente des biens produits par l’entreprise, pour un ratio stock sur production inchangé. Pour éviter de subir une hausse du taux d’imposition réel, les entreprises doivent réévaluer le coût de remplacement des actifs corporels, la valeur des amortissements et des stocks, le coût d’usage du capital et modifier en conséquence le taux d’actualisation de leurs revenus futurs. 9 Pour un survey sur la question, voir Akerlof et Dickens (1996).

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Elles doivent également réviser la valeur de leur richesse nette, compte tenu de la modification induite de la valeur de marché de leurs fonds propres et de leurs dettes. Néanmoins, les études empiriques n’ont pas établi l’existence de distorsions notables, bien au contraire, ce qui montre que les entreprises réévaluent en permanence la valeur de leurs amortissements sans difficulté. L’hypothèse de Feldstein a été vivement critiquée sur le plan théorique : - L’inflation entraîne une baisse du volume de la dette et des charges financières, et peut réduire le coût réel du travail. Cela améliore les profits et favorise la hausse des cours. - Si la hausse des prix résulte d’une hausse de la demande et d’un accroissement de l’activité économique, elle se solde par une hausse des profits des entreprises et de la rentabilité attendue des actions. Cette possibilité est tout simplement ignorée par les tenants de la neutralité de la monnaie. Gonedes (1981) ne trouve pas de lien entre l’inflation et les montants réels de charges fiscales. Il en conclut qu’il existe une certaine forme d’indexation via le mécanisme de provision accélérée, les subventions et les autres avantages fiscaux. Hasbrouck (1984) estime que sous le régime fiscal de 1970, un taux d’inflation de 8 % diminue les taxes sur le profit.

• Incertitude inflationniste et choix de portefeuille Selon Schwartz (1995), l’inflation complique l’estimation des profits et renforce l’incertitude et le risque. Elle affecte négativement la demande d’actions et les cours, tout en fragilisant les intermédiaires financiers. C’est une allusion à la théorie du proxy effect selon laquelle une hausse des prix érode systématiquement la confiance des agents. Une augmentation de l’inflation a tendance à accroître la volatilité et donc l’incertitude (Okun, 1971 ; Taylor, 1981 ; Ball et Cecchetti, 1990)10. Lorsque la volatilité des prix est importante, les agents peuvent être plus facilement victimes d’illusion nominale ( Modigliani et Cohn, 1979 ; Hall, 1984). Elle peut entraîner des erreurs d’anticipation, des distorsions de prix relatifs et des redistributions de richesse imprévues qui peuvent conduire à une allocation sous-optimale des ressources. Elle peut dissuader les agents de conclure des accords à long terme (Okun, 1975 ; Carlton, 1982 ; Benabou et Gertner, 1993 ; Diamond, 1993 ; Tommasi, 1994 ; Ball et Romer, 1993). Schwartz (1995) estime que la hausse des prix tend à modifier l’arbitrage des ménages en faveur des investissements immobiliers, au détriment des actifs financiers. Elle avance deux arguments pour justifier ce point de vue : d’abord l’incertitude est susceptible d’accroître la préférence pour les actifs sans risque, ensuite elle prétend que la demande d’actifs immobiliers augmente avec le niveau de l’inflation car ils servent de valeur refuge aux créditeurs qui veulent éviter une dépréciation de leur richesse. 10 Selon Ball et Cecchetti (1990), cette recrudescence de la volatilité est imputable à la politique économique. Ils supposent que lorsque l’inflation est basse, il y a un consensus pour qu’elle reste modérée, elle est donc constante et prévisible. Mais lorsqu’elle est élevée, il y a un désaccord sur l’importance qu’il faut accorder à sa réduction, elle est donc variable et imprévisible. Cette hypothèse est discutable.

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« Yet because inflation increases uncertainty about the future value of assets, households may desire greater liquidity and hence increase financial saving.” (Opus cit, p. 23) Selon elle, les intermédiaires financiers sont durement éprouvés par la hausse des taux nominaux provoquée par l’inflation car, en règle générale, ils s’endettent à court terme pour effectuer des placements à long terme. La hausse des taux réduit leur marge. Ils ne peuvent donc pas augmenter dans la même proportion la rémunération des produits financiers qu’ils offrent. Ceci incite les ménages à modifier la composition de leurs portefeuilles en faveur des actifs sans risque, ce qui aggrave les difficultés des intermédiaires. Ce phénomène expliquerait les difficultés de nombreuses sociétés financières dans les années 1980. Elle estime que les liquidations ou les éventuelles recapitalisations ont coûté fort cher aux contribuables américains. « Financial institutions and markets must cope with the response of households to inflation. If households shun financial assets, the inflow of funds to financial intermediaries dries up. The main problem intermediaries face in inflation, however, is the impact of high and rising market interest rates on the maturity structure of their balance sheets.” De ce point de vue, les intermédiaires financiers éprouveraient des difficultés en phase ascendante du cycle. Cette approche a été très largement invalidée par les faits stylisés. D’après Schwartz, l’Etat serait le seul bénéficiaire de l’accélération des prix. Ses recettes réelles auraient tendance à augmenter, ce qui l’inciterait à accroître son déficit. La monétisation de la dette de l’Etat a souvent été dénoncée comme une source d’instabilité financière majeure. Ce fut d’ailleurs l’un des arguments avancés pour justifier l’indépendance de la Banque Centrale Européenne. Les monétaristes redoutent que les déficits publics s’enflent de manière exponentielle et auto-entretenue sous l’effet Tanzi-Ollivera : une hausse des déficits provoque une augmentation de la création monétaire qui génère une accélération des prix. Les dépenses de l’Etat gonflent et, compte tenu du délai de collecte des impôts, les déficits augmentent. Un tel mécanisme cumulatif pourrait théoriquement déboucher sur un épisode d’hyper-inflation puisque la baisse des encaisses réelles oblige le gouvernement à produire toujours plus de monnaie pour financer ses besoins grâce au seigneuriage. Ces épisodes courts mais brutaux, entraînent toujours la disparition du marché du crédit et une réduction des encaisses réelles telle que le seigneuriage devient une fonction décroissante de l’offre de monnaie11 (Cagan, 1956). Il faudrait alors mettre en place un plan de stabilisation extrêmement coûteux en termes de croissance et d’emploi. Ce scénario dramatique reste pourtant exceptionnel. Les cas d’hyper-inflation frappent presque exclusivement les Etats victimes d’un choc de très grande ampleur, dont la dette est essentiellement libellée en devises étrangères. L’importance du seigneuriage (égal au taux de croissance de la masse monétaire multiplié par les encaisses réelles) dans les pays de l’OCDE est aujourd’hui relativement modeste. Le ratio de la monnaie sur le revenu national n’a pas cessé de diminuer sous l’effet des innovations financières.12 Avec un taux de croissance de la masse monétaire de 4 % par an et un ratio

11 Cagan estime que le seigneuriage devient une fonction négative du taux de croissance de la monnaie lorsque celui-ci est compris entre 200 et 300 % par an. Selon Sachs et Larrain (1993) le seigneuriage maximal équivaut environ à 10 % du PIB. 12 En France, le ratio de la monnaie sur le revenu nominal est passé de 31,4 % en 1977 à 23,8 % en 2000. La vitesse de circulation de la monnaie est passée de 3,2 % en 1975 à 4,2 % en 1997.

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‘base monétaire/PIB nominal’, Blanchard et Cohen (2001) estiment que le seigneuriage équivaut à un quart de point de PIB aux Etats-Unis. Sans aller jusque là, Schwartz affirme que l’Etat ne crée aucune ressource supplémentaire en finançant ses dépenses par la création monétaire, puisque l’inflation induite entraînerait une hausse du taux d’imposition réel et une réduction de la rentabilité réelle après impôts. Elle affirme que l’accumulation du capital stagne lorsque l’inflation est élevée. Personne n’ose aujourd’hui soutenir cette hypothèse, tant elle fut malmenée par les études empiriques. La monétisation du déficit budgétaire de l’Etat lui permet d’accroître ses ressources sans recourir à l’impôt, ce qui annule l’effet de retour financier, si bien que le multiplicateur de la dépense publique est plus élevé, comme l’indique le modèle IS-LM. L’approche de Schwartz n’est pas novatrice. La plupart de ses arguments ont déjà été soulevés au cours des années 1980 par les auteurs proches de la nouvelle économie classique lorsqu’ils ont constaté l’existence empirique d’une relation négative entre la rémunération effective des actions et l’inflation. Ils y ont vu une preuve évidente de l’effet néfaste de la hausse des prix sur l’activité économique puisque, théoriquement, lorsque les agents sont rationnels et dotés d’un horizon temporel illimité, la valeur de l’action est égale à la somme actualisée des dividendes anticipés. En pareil cas, on peut démontrer qu’à l’équilibre, la rentabilité attendue d’un titre est égale à la rentabilité exigée, égale au taux de l’actif sans risque majoré d’une prime de risque. Si la rentabilité attendue diminue ou si la prime de risque augmente, toutes choses égales par ailleurs, la rentabilité effective doit diminuer pour rétablir l’équilibre. La coïncidence entre la hausse du prix des biens et la baisse de la rentabilité effective des actions prouverait donc que l’inflation lamine la confiance des agents.

1.1.3.2. Du proxy effect à l’accélérateur financier Fama et Schwert (1977) ont été les premiers à mettre en évidence la relation négative entre la rentabilité effective des actions et la hausse des prix, sur la période comprise entre 1953 et 1971. Ils en ont immédiatement déduit, de façon quelque peu dogmatique, que l’inflation est une très mauvaise nouvelle pour l’économie. Ces résultats ont été confirmés par d’autres études empiriques plus récentes,13 notamment celle de Ammer, menée en 1994, qui constate que la rémunération nominale des actions réagit négativement à l’inflation anticipée et non anticipée, conformément aux travaux de Fama et Schwert. Ils ont d’abord cherché à expliquer ce phénomène en affirmant que l’inflation génère des distorsions du système fiscal, préjudiciables au fonctionnement du marché. C’était une manière subtile d’incriminer indirectement le rôle de l’Etat. Pourtant, les études empiriques ont invalidé cette approche : Mac Devitt (1989) constate que l’introduction de la variable fiscale dans une régression n’élimine pas la relation négative entre l’inflation et le prix réel 13 Solnik (1983) trouve une relation négative entre la rémunération des actifs et les taux d’intérêt retardés sur une période. (Il estime qu’il s’agit d’une approximation du taux d’inflation, ce qui empiriquement est contestable. Les taux d’intérêt à court terme sont peu prédictifs). Mac Devitt (1989) et Ely et Robinson (1989) trouvent également une corrélation négative entre la rémunération des actions et l’inflation dans plusieurs pays étrangers.

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des actions. Pearce et Roley (1988) constatent que la rémunération des actions baisse lorsque le taux d’inflation annoncé est supérieur à ce qui était prévu, néanmoins, ils ne parviennent pas à identifier un effet relatif aux amortissements. Faute de pouvoir constater de manière évidente une relation positive entre l’inflation et le taux d’imposition réel, d’autres explications ont été avancées pour justifier l’hypothèse d’une baisse de la rentabilité attendue des actions en période inflationniste : A défaut de pouvoir établir un lien de cause à effet direct entre les deux variables, les économistes ont cherché un « proxy effect », soit une relation indirecte entre la baisse de la rentabilité effective des actions et la hausse des prix. Deux explications ont été avancées : pour les uns l’inflation serait le reflet de tendances récessives à venir, pour les autres, elle provoquerait simplement une augmentation de la prime de risque. Ces théories ont ensuite été abandonnées au profit de la dénonciation de la boucle crédit –prix des actifs alimentée par l’accélérateur financier.

• Le proxy effect. Pour les uns, l’inflation ne serait pas la cause mais la conséquence des tendances récessives. C’est pourquoi la baisse de la rentabilité attendue des actions coïncide systématiquement avec une hausse des prix. Les tenants de cette approche estiment que l’expansion de la masse monétaire ne peut pas avoir un impact positif sur la production en volume à court terme. En effet, il serait incohérent de supposer, qu’en période inflationniste, des agents rationnels puissent produire davantage tout en ayant la certitude d’une contraction imminente de l’activité économique. Cette approche est donc très restrictive puisqu’elle suppose implicitement que les prix évoluent de manière contra-cyclique. D’autres auteurs, en revanche, supposent que l’inflation entraîne seulement une augmentation de l’incertitude et de la prime de risque. Ils admettent la non-neutralité de la monnaie à court terme. Fama (1981) explique que l’anticipation d’une activité économique plus faible réduit la demande de monnaie et que si l’offre de monnaie n’est pas ajustée en conséquence, les prix augmentent. Il peut ainsi affirmer que l’inflation coïncide systématiquement avec l’anticipation de tendances récessives. Les prix évolueraient de manière contra-cyclique. Cette thèse s’oppose à la quasi-totalité des écoles de pensée économique et même aux nouveaux classiques puisque, selon Lucas (1981), l’évolution pro-cyclique des prix est l’un des faits stylisés de base qu’il juge indiscutables. Seuls quelques économistes de l’école du cycle économique réel (Kydland et Prescott, 1990) ont par la suite affirmé que les prix évoluaient de manière contra-cyclique, en l’absence de hausse discrétionnaire de l’offre de monnaie, car selon ces auteurs, les tensions inflationnistes augmentent en cas de choc d’offre négatif. Toutefois elles résultent d’une hausse exogène des coûts unitaires de production et non d’une baisse de la demande de monnaie au motif de transaction. Ces deux approches sont donc inconciliables. Kaul (1987) suppose que la politique monétaire est contra-cyclique et que l’offre de monnaie augmente lorsque l’activité économique est sur le point de ralentir, ce qui provoque des tensions inflationnistes. D’un point de vue empirique, cette approche est critiquable car une politique monétaire contra-cyclique pallie des tendances désinflationnistes voire déflationnistes mais ne débouche pas sur une accélération des prix. En outre, on voit mal pourquoi les autorités monétaires feraient une relance si toutes les capacités de production

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sont utilisées et si elles savent que l’expansion monétaire n’a aucun effet sur l’activité, même à moyen terme. Dans le modèle de Geske et Roll, (1983) le déclin du marché boursier, provoqué par des anticipations pessimistes, réduit les recettes fiscales de l’Etat. Le déficit budgétaire est ensuite monétisé ce qui débouche sur l’inflation. Toutes ces explications sont infirmées par les faits stylisés et elles ont été âprement critiquées. Certains auteurs, comme Ammer (1994), séduits par l’idée du proxy effect, ont avancé un argument plus crédible puisqu’il n’implique pas la neutralité de la monnaie à court terme. Selon lui, l’inflation ne réduit pas forcément la rentabilité attendue des actions, elle accroît seulement l’incertitude, ce qui induit une hausse de la prime de risque et de la rentabilité exigée des actions. En conséquence, le taux de croissance du prix de l’action doit diminuer de manière à rétablir l’équilibre théorique entre la rentabilité exigée et la rentabilité attendue. Schwartz partage implicitement ce point de vue. Si l’on admet, à l’aune des données empiriques, que l’inflation ne coïncide pas systématiquement avec un ralentissement de l’activité économique, seule l’interprétation de Ammer semble raisonnable. Cela dit pour que cette version soit crédible, il faudrait que la croissance réelle du prix des titres varie systématiquement à l’inverse de l’inflation. Or ce n’est pas toujours le cas. Si l’on renonce à l’hypothèse de la neutralité de la monnaie à moyen terme, on peut expliquer de manière radicalement différente la relation décroissante entre la rentabilité effective des actions et l’inflation. Empiriquement, les cours boursiers sont une variable avancée des fluctuations du prix des biens et du revenu national. Lorsque la croissance économique augmente, l’inflation s’accroît tandis que le prix des actions augmente à un rythme décroissant. Le ratio dividendes sur capitalisation boursière diminue à mesure que les cours s’élèvent, ceci explique la baisse relative de la rentabilité effective par rapport à l’inflation. De ce point de vue, qui semble bien plus réaliste, la hausse des prix ne lamine pas la confiance des agents. Au contraire, elle résulte de la croissance et du regain d’optimisme qui l’accompagne.

• La boucle crédit-prix des actifs et l’accélérateur financier Dans son article de 2002, Schwartz renonce à toute forme d’allusion aux distorsions fiscales. Elle insiste tout particulièrement sur les effets pervers de la boucle « crédit-prix des actifs ». Or ce mécanisme implique un comportement des agents contradictoire avec celui supposé par les tenants de la théorie du proxy effect. Il est néanmoins compatible avec l’idée selon laquelle la monnaie est neutre seulement à moyen terme. Selon elle, les créanciers déterminent le montant de leurs prêts en fonction du ratio de la valeur de marché des actifs de l’emprunteur sur ses dettes ou en fonction de la valeur de marché des actifs financiers qui peuvent lui servir de collatéraux. Par conséquent, l’offre de crédit s’accroît lorsque le prix des titres monte. Réciproquement, si la part des crédits destinés à l’acquisition d’actifs financiers augmente, leur prix peut s’élever davantage. Ce mécanisme peut générer une forme de création monétaire auto-entretenue qui peut déboucher sur une

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surévaluation des marchés et une crise financière. Il a été modélisé par Kiyotaki et Moore (1997) sur l’hypothèse d’une asymétrie d’information. On ne peut manquer de relever une contradiction entre cette approche et l’idée selon laquelle les ménages achèteraient relativement moins d’actifs financiers risqués en période inflationniste, comme elle le supposait en 1995. De la même manière, on ne peut pas affirmer que la spéculation à crédit se développe en période inflationniste, tout en prétendant que les intermédiaires financiers pâtissent de l’inflation, comme elle l’affirmait alors. En effet, la hausse du volume des transactions opérées sur le marché des actions et les plus-values réalisées peuvent entraîner une augmentation du ratio de leurs cash flows sur leurs charges financières, malgré la croissance des taux nominaux. Schwartz affirme désormais que les intermédiaires financiers éprouvent des difficultés en période désinflationniste ou déflationniste. L’inflation est dangereuse uniquement parce qu’elle débouche ultérieurement sur une désinflation ou une déflation. Bien qu’elle estime que l’instabilité des prix encourage la fraude et détériore la gestion des sociétés financières, elle ne pense pas que l’asymétrie d’information, l’aléa moral et le processus de sélection adverse qui en découlent, soient la principale cause de l’instabilité financière. « This literature in my view mischaracterises financial markets. Asymmetric information is not the problem confronting lenders and borrowers. Both evaluate the prospects of projects borrowers. Both undertake by extrapolating the prevailing price level or inflation rate. Borrowers default on loans not because they have misled uninformed lenders but because, subsequent to the initiation of the project, authorities have altered monetary policy in a contractionary direction. The original price level and inflation rate assumptions are no longer valid. The change in monetary policy makes rate of return calculations on the yield of projects, based on the initial price assumptions of both lenders and borrowers, unrealisable. Borrowers lose the sums they have invested. Lenders have to content with losses on loans.” (Opus cit, p. 24) Ainsi, une désinflation non anticipée peut accroître la défaillance des emprunteurs et provoquer une crise bancaire, comme le suggèrent Bordo et alii (1998), car l’augmentation des défaillances d’emprunteurs peut fragiliser le bilan des banques malgré la hausse du rendement réel des créances honorées. Schwartz tente ainsi de concilier l’effet de surprise de Lucas avec un mécanisme d’accélérateur financier. Celui-ci ne résulterait pas d’une hypothétique asymétrie d’information mais des variations non anticipées de la masse monétaire. Cependant, elle néglige un point fondamental qui rend ces théories incompatibles entre elles : lorsqu’on introduit un mécanisme d’accélérateur financier dans un modèle en équilibre général, la monnaie devient endogène et la politique monétaire retrouve toute son efficacité, même à long terme, puisque les variables financières affectent l’offre globale. La production n’est plus seulement déterminée a priori par la quantité de facteur travail disponible. L’accélérateur financier remet donc en cause les fondements mêmes de la théorie de Lucas. Cela signifie qu’en situation de sous-emploi, une politique monétaire expansive a un effet positif et durable sur le revenu en volume. Dès lors, l’inflation, loin d’être un fléau, peut être considérée comme le reflet d’une croissance soutenable et non le symptôme d’une surchauffe éphémère. De ce point de vue, une période modérément inflationniste ne devrait pas déboucher inéluctablement sur une phase désinflationniste ou déflationniste, comme le

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pensaient Friedman et Lucas. Ce n’est pas le niveau de l’inflation qui doit être considéré comme une menace mais sa volatilité. Ainsi, l’éradication totale des pressions inflationnistes peut être assimilée à un sacrifice inutile préjudiciable à la croissance et au bien-être. Quoi qu’il en soit, Schwartz estime que la prévention de l’instabilité financière est la principale justification de l’adoption d’une politique monétaire anti-inflationniste. « If central banks are now truly committed to achieving and preserving price stability, the dividends of this commitment will be not only higher productivity growth, improved standards of living and rising employment, as they have contented, but most certainly, greater financial stability. » (1995, p. 24) Anna Schwartz estime qu’il est nécessaire d’éradiquer les pressions inflationnistes afin de prévenir de manière inéluctable une éventuelle désinflation qu’elle juge extrêmement coûteuse. Cette proposition peut paraître curieuse, sachant qu’un faible taux d’inflation (compris entre 0 et 5 % par exemple) peut rester stable et ne conduit pas nécessairement à une désinflation préjudiciable. En outre, plus l’inflation est faible, plus le risque d’une déflation est important, or ses effets sont pires encore. La perspective d’une éventuelle baisse des prix insécurise certainement davantage les investisseurs qu’une inflation modérée. Il existe aujourd’hui un relatif consensus parmi les économistes pour affirmer que les problèmes d’anticipation liés à une forte volatilité de l’inflation ne se posent que si cette dernière est élevée. Les détracteurs du keynésianisme n’ont pas réussi à avancer une explication théorique ou empirique cohérente pour prouver la supériorité d’un taux d’inflation nul sur un taux d’inflation modéré. Les arguments avancés par les uns et les autres ont été soit invalidés par les études empiriques, comme les distorsions fiscales, soit fortement contestés sur le plan théorique puisque, généralement, ils impliquaient une hyper-neutralité de la monnaie à court terme et une variation contra-cyclique des prix. Anna Schwartz (2002), figure emblématique de la lutte contre l’inflation, n’a elle-même finalement retenu qu’un seul argument pour justifier ses prises de position : la nécessité de prévenir l’apparition d’une folle spirale entre la distribution du crédit et la hausse du prix des actifs. Cette approche fait aujourd’hui l’objet d’un relatif consensus puisqu’elle est défendue à la fois par les néo- et les post-keynésiens. Ce ralliement tardif des économistes monétaristes et nouveaux classiques à la théorie de « l’accélérateur financier » peut sembler surprenant, d’abord parce qu’il est contradictoire avec l’ensemble des justifications qu’ils défendaient auparavant en vertu de la théorie du proxy effect, ensuite parce que le mécanisme d’accélérateur financier est incompatible avec l’hypothèse d’une offre de crédit exogène sur laquelle repose la neutralité de la monnaie. (En outre, lorsque les variables financières influencent l’offre globale, la politique monétaire est efficace, même à long terme, voir infra). Le concept d’accélérateur financier remet donc fondamentalement en cause les écoles des monétaristes et des nouveaux classiques. L’aboutissement de ces louvoiements équivaut a posteriori à une reconnaissance implicite des limites de leurs propres théories. Ce revirement souligne donc leur incapacité à avancer une démonstration de l’inexistence à long terme de l’arbitrage entre l’inflation et le chômage, qui soit théoriquement recevable et empiriquement acceptable. D’un point de vue théorique, il fut démontré que les conclusions de Friedman découlent exclusivement du caractère « classique » de son modèle et de postulats exorbitants : CPP,

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parfaite flexibilité des prix et des salaires, faible « retour financier », offre de monnaie exogène, absence du facteur capital dans la fonction de production (les canaux du crédit et du bilan sont tout simplement ignorés, voir infra). Ainsi, les variations en volume sont a priori exclues, puisqu’en cas de parfaite information, l’offre globale est une droite verticale qui dépend uniquement de la quantité de facteur travail disponible. Seules les erreurs transitoires d’anticipation génèrent de manière artificielle une variation de la production à court terme. Il n’est donc pas difficile de montrer dans ces circonstances que le libre jeu des marchés tend rapidement vers le plein-emploi et que l’intervention de l’Etat est inefficace à long terme, puisque l’offre détermine la demande via la parfaite flexibilité des prix et que l’épargne détermine l’investissement via la variation des taux. Il s’agit moins d’une remise en cause du keynésianisme que d’une illustration dans un cadre artificiellement dynamique de la loi de Jean-Baptiste Say (Muet, 1992). Conscients de ces limites, les nouveaux classiques ont cherché à réhabiliter les préceptes monétaristes, en substituant l’hypothèse des anticipations rationnelles au postulat des anticipations adaptatives (Lucas, 1972). Cette tentative n’a pas été jugée plus convaincante puisque leurs conclusions reposent exclusivement sur le postulat ad hoc d’un arbitrage inter-temporel entre le travail et le loisir, conjugué à une fonction de production réduite abusivement à sa plus simple expression. Il fut démontré ensuite que l’existence des anticipations rationnelles ne remet pas en cause l’efficacité de la politique monétaire lorsque l’offre globale n’est pas supposée rigide (Flashel, Franke et Semmler, (1997) voir infra). En définitive, les nouveaux classiques se sont contentés de montrer qu’une politique de relance menée en situation d’équilibre de plein-emploi, débouche sur une surchauffe inflationniste. Il est bien entendu évident que la politique de lutte contre le chômage est inefficace lorsqu’on suppose qu’il est volontaire ou inexistant. C’est un syllogisme que Keynes lui-même ne renierait pas. Ces théories ont été largement contestées sur le plan empirique : de nombreuses études ont montré que la production n’est pas insensible aux variations anticipées de la masse monétaire (Mishkin, 1982 ; Gordon, 1982a). D’autres ont invalidé l’hypothèse de l’existence d’une substitution inter-temporelle significative (Ball, 1990). Les nouveaux classiques n’ont pas été capables de justifier l’importance du ratio de sacrifice en faisant simplement référence au manque de crédibilité de la Banque centrale. Cette explication reposait elle-même sur des présupposés contradictoires et incohérents : pourquoi les autorités monétaires chercheraient–elles à réduire le chômage en dépit des préférences des agents ? Pourquoi mettraient–elles en œuvre des politiques vouées à l’échec ? Les économistes d’obédience keynésienne ont avancé des explications alternatives plus réalistes de la stagflation en tenant compte de l’impact des variables financières et du commerce extérieur sur l’offre globale (Artus, 1983 ; Fitoussi et Le Cacheux, 1989). Après l’offensive éphémère de l’école du cycle réel, il est désormais largement admis, au détriment des monétaristes et des nouveaux classiques, que la monnaie a un caractère endogène et qu’elle n’est pas un voile. Les néo- et les post-keynésiens ont ainsi réhabilité l’importance de l’arbitrage entre l’inflation et le chômage. Ils ne recommandent donc pas l’éradication totale des pressions inflationnistes. Ils préconisent une relative stabilité de l’inflation, pour assurer à la fois le plein-emploi et la convergence du cycle financier, et non une rigoureuse stabilité des prix. Sachant que le coût de détention de la monnaie, le coût d’usure des chaussures, les coûts d’ajustement et les distorsions fiscales sont négligeables, nombreux sont ceux qui estiment, non seulement qu’un faible niveau d’inflation n’est pas coûteux, mais qu’il est désirable, compte tenu des avantages qu’il peut procurer.

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Les keynésiens estiment que la hausse des prix est bien souvent la conséquence de l’effet expansionniste d’une politique monétaire ou budgétaire accommodante. Elle coïncide avec un accroissement des richesses en volume. Ils ne la considèrent pas comme une dangereuse poussée de fièvre mais comme un regain de tension salvateur, à moins qu’elle ne résulte d’un choc d’offre négatif. Et même dans ce cas, une politique de rigueur aggraverait inutilement la contraction de l’activité économique. Selon les keynésiens, l’austérité n’est justifiée que dans le scénario très particulier d’une spirale inflation–dépréciation préjudiciable à la compétitivité extérieure, aux exportations et à la croissance. Mais ce cas de figure ne concerne que les petits pays, très dépendants des importations et peu compétitifs ou bien les pays dont la dette est essentiellement libellée en devises. Blanchard et Muet (1993) ont montré que les dynamiques salaires-prix et compétitivité-prix, du type proie/prédateur qui ont justifié la mise en place des politiques dites de désinflation compétitive dans les années 1980-90, étaient très lentes et fortement dominées par l’accélérateur (voir annexe n°1). Les économistes d’inspiration keynésienne ont donc tendance à considérer qu’un faible taux d’inflation est bénéfique. Dans les modèles néo-keynésiens où les prix sont relativement rigides à la baisse, seule l’inflation permet de rétablir l’équilibre sur le marché du travail. En revanche, pour les post-keynésiens, la flexibilité des prix à la baisse aggrave l’instabilité de la production. Ils affirment que des politiques budgétaires et monétaires contra-cycliques aux effets inflationnistes sont nécessaires. Néanmoins, ils sont tous d’accord pour empêcher l’apparition d’une spirale crédit-prix des actifs qui pourrait alimenter une bulle et déboucher sur un krach. La prévention de l’instabilité financière est le seul argument unanimement accepté pour justifier la lutte contre l’inflation. Le débat s’est donc déplacé sur le niveau de la cible d’inflation que les autorités monétaires doivent retenir et sur l’importance du coefficient de réaction du taux directeur à la hausse des prix. Par conséquent, il est judicieux, sinon primordial, d’étudier le rapport entre la stabilité des prix et la stabilité financière en introduisant un mécanisme d’accélérateur financier dans un modèle en équilibre général où l’offre de monnaie serait endogène, conformément au modèle de Bernanke, Gertler et Gilchrist (1998, voir infra) et où les taux d’intérêt seraient déterminés selon une règle de Taylor. Cette spécification n’exclut pas a priori les ajustements en volume lorsque les anticipations sont parfaites, contrairement aux modèles nouveaux classiques ou monétaristes.

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1.2. Politique monétaire contra-cyclique et stabilité financière

A la fin des années 70, Lucas et Sargent envisageaient une « macro-économie après les keynésiens ». Selon eux, le modèle keynésien devait être rejeté car ses bases micro-économiques étaient jugées inadéquates. Dans un article intitulé « Death of Keynesian Economics, Issues and Ideas », Lucas (1980) affirmait même que les “gens se sentaient offensés lorsqu’ils étaient qualifiés de keynésiens.” Pourtant Tobin écrivait en 1977, dans son essai «The Future of Keynesian Economics, » « l’une des raisons de l’avenir de l’économie keynésienne est que les théories alternatives des fluctuations n’en ont aucun… Je me hasarde à prévoir qu’aucune des deux variétés des théories du cycle économique proposées par la nouvelle macro-économie classique ne sera considérée comme une explication crédible des fluctuations économiques d’ici quelques années. » Dès 1985, Phelps écrivait que la nouvelle macro-économie classique « est morte dans l’erreur » et un an plus tard, Blinder parlait de « Keynes après Lucas. » Non seulement les monétaristes puis les nouveaux classiques ne sont pas parvenus à remettre en cause les fondements de la théorie keynésienne mais ils n’ont pas réussi à fournir une explication réaliste des fluctuations réelles, comme le prévoyait Tobin. Néanmoins, ces auteurs ont eu le mérite de stimuler le programme de recherche des néo- et des post-keynésiens. Les néo-keynésiens ont d’abord justifié les fondements micro-économiques de la rigidité des prix et des salaires et ils ont montré qu’il suffisait d’introduire dans un modèle un retard d’ajustement des prix pour remettre en cause la neutralité de la monnaie, même lorsque les anticipations sont rationnelles (1.2.1). Les post-keynésiens et certains néo-keynésiens ont soutenu qu’il était possible de remettre en cause la neutralité de la monnaie et d’effectuer un arbitrage entre inflation et chômage malgré la flexibilité des prix, soit en introduisant une concurrence oligopolistique dans un modèle en équilibre général, en l’absence de substitution inter-temporelle du travail ; soit en modélisant une offre de monnaie endogène en situation d’asymétrie d’information (1.2.2). Ces travaux ont prouvé le caractère déstabilisateur de la finance en situation d’incertitude. En réhabilitant l’efficacité de la politique monétaire, ces auteurs montrent qu’il ne suffit pas d’éradiquer l’inflation pour atteindre l’équilibre de plein-emploi et maximiser l’utilité des agents. De ce point de vue, la stabilité des prix ne garantit pas la stabilité financière. Les autorités monétaires doivent assurer la convergence du cycle économique et financier en menant une politique monétaire contra-cyclique, ayant pour but de maintenir l’inflation dans des bornes compatibles avec une croissance soutenable (1.2.3).

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1.2.1. Rigidités nominales et efficacité de la politique monétaire L’école de la synthèse a réussi à ébranler les fondements de la théorie keynésienne en réhabilitant l’idée selon laquelle la flexibilité des prix pourrait à terme assurer l’équilibre des marchés. Ce fut le prélude de l’offensive menée par les monétaristes contre la théorie keynésienne. C’est encore elle qui a suscité la contre offensive des néo-keynésiens. Keynes a lui-même envisagé qu’une baisse des salaires nominaux puisse réduire le chômage si elle débouche sur une baisse des prix puisque la déflation entraîne une hausse de l’offre réelle de monnaie qui stimule l’investissement. Néanmoins, il estimait que cet effet de richesse (parfois dénommé « effet Keynes ») peut échouer pour plusieurs raisons, notamment dans les deux cas de figure suivants : - l’existence d’une trappe à liquidité ; -l’inélasticité de l’investissement aux variations des taux d’intérêt. En pareils cas, l’expansion de la masse monétaire n’a quasiment aucune incidence sur les quantités produites. Le modèle IS-LM rend bien compte de ces phénomènes qui ont été abondamment discutés par les économistes de la synthèse. Pigou en a d’ailleurs déduit que la théorie keynésienne n’était valable que dans ces deux cas particuliers. Il estimait que, d’un point de vue théorique, l’effet de richesse induit par la flexibilité des prix devait tôt ou tard rétablir l’équilibre de plein-emploi, et ce d’autant plus que la hausse de la consommation devrait aussi provoquer un déplacement de IS vers la droite. C’est l’effet Pigou (1941). Les monétaristes ont précisément remis en cause la probabilité que ces deux situations apparaissent, en s’appuyant sur de nombreuses études empiriques. Les néo-keynésiens n’ont pas été insensibles à ces critiques. La plupart d’entre eux n’ont pas cherché à défendre la théorie keynésienne sur le plan théorique. Ils ont simplement affirmé que l’ajustement par les prix était trop lent, en justifiant l’existence de rigidités nominales ou réelles au niveau micro-économique. Ceux-là ont donc cautionné sur le plan théorique la critique de la synthèse, voire la critique monétariste. Ce faisant, ils ont réussi à sauvegarder la légitimité de l’intervention de l’Etat (1.2.1.1). En revanche, d’autres keynésiens ont montré que la validité de la Théorie générale n’implique pas l’existence d’une rigidité des prix et des salaires (1.2.1.2). La politique monétaire est efficace dès que la concurrence est imparfaite, pour peu que l’existence d’un chômage involontaire ne soit pas exclue a priori.

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1.2.1.1. Le fondement micro-économique de la rigidité des prix et des salaires

La nouvelle approche keynésienne permet de répondre à la fois aux insuffisances des modèles en concurrence parfaite où l’offre est supposée rigide, et à celles des modèles de déséquilibre où les rigidités nominales sont postulées. Les néo-keynésiens ont donné un fondement micro-économique à l’existence des rigidités nominales, considérées jusqu’alors comme des hypothèses ad hoc par les monétaristes et les nouveaux classiques. Ils ont montré qu’elles résultent d’un comportement rationnel des agents en concurrence imparfaite. Les néo-keynésiens considèrent que :

- les coûts individuels des rigidités sont de second ordre, mais les rigidités nominales produisent des externalités qui engendrent des coûts de premier ordre ;

- la production globale est déterminée par la demande ; - comme le niveau d’équilibre est sous-optimal, une relance de la demande accroît le

bien-être social. Il y a donc une asymétrie entre une récession et une période d’expansion économique, contrairement aux modèles de concurrence parfaite qui postulent qu’une déviation par rapport à l’équilibre de long terme, qu’elle soit positive ou négative, débouche sur une perte d’utilité équivalente.

Fischer (1977) a montré, à partir d’un modèle nouveau classique, que lorsque les agents ne déterminent pas leur prix simultanément et lorsqu’ils fixent les prix et les salaires à l’avance pour chacune des deux périodes suivantes, le niveau des prix ne s’ajuste pleinement à un choc monétaire qu’après un écart durable entre la production et son niveau normal. Taylor (1980) a montré que, lorsque la moitié seulement des agents détermine un prix fixe et identique pour les deux périodes suivantes, l’effet du choc de demande globale est encore plus important.14 Les autorités monétaires peuvent désormais avoir une prise sur les salaires réels, la production et l’emploi si elles peuvent réagir plus rapidement que le secteur privé aux chocs nominaux. Les néo-keynésiens ont cherché à justifier l’existence de la rigidité des prix et des salaires : On sait qu’en concurrence pure et parfaite, les entreprises déterminent les quantités produites de manière à ce que le prix de marché soit égal à leur coût marginal. En concurrence imparfaite, oligopolistique ou monopolistique, les entreprises disposent d’un pouvoir de marché. Etant donné que l’élasticité-prix de la demande qui leur est adressée est supérieure à 1, l’entreprise est un price maker, elle maximise son profit en fixant un prix égal à sa recette marginale. Celui-ci est alors supérieur au niveau qui équilibrerait l’offre et la demande en CPP. (Robinson, 1933 ; Chamberlain 1933) Les néo-keynésiens considèrent que la variation du prix comporte un faible coût (que l’on appelle coût de menu, coût de catalogue ou coût d’étiquette…) qui peut être supérieur à la perte engendrée par sa rigidité. Cela peut dissuader les entreprises de le modifier (Akerlof, Yellen, 1985 ; Mankiw, 1985 et Parkin, 1986). La baisse de la demande provoquerait donc un ajustement par les quantités et non par les prix. Blanchard et Kiyotaki (1987) qualifient ce phénomène « d’externalité de demande ». Concurrence imparfaite et faibles coûts d’ajustement des prix peuvent ainsi expliquer les rigidités nominales (Blanchard et Kiyotaki,

14 Ceci expliquerait l’inertie de l’inflation et le coût élevé des politiques de désinflation. Gordon (1982b), Hall et Taylor (1993) ont montré qu’aux Etats-Unis, les contrats salariaux sont négociés pour trois ans en moyenne.

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1987). Akerlof et Yellen (1985) démontrent que les perturbations de demande globale conduisent à des fluctuations économiques lorsque la concurrence est imparfaite et que les salaires sont efficients. Ball, Mankiw et Romer (1988) ont adressé une critique importante à la théorie des coûts d’étiquette, en montrant qu’elle peut expliquer l’existence de rigidités nominales mais seulement pour des valeurs de paramètres peu réalistes, à moins que les salaires nominaux ne soient également rigides (ainsi, en cas de choc de demande négatif, la courbe de coût marginal ne se déplace pas vers le bas) ou que l’élasticité de la recette marginale diminue lorsque la courbe de demande se déplace vers la gauche (Ball et Romer, 1990). Or, Rotemberg et Woodford (1991) considèrent que les marges appliquées au coût marginal (qui évoluent à l’inverse de l’élasticité de la demande) sont contra-cycliques car il serait plus difficile de maintenir une collusion oligopolistique en période d’expansion. Cela renforce la rigidité des prix. Gordon (1981) soutient que l’hétérogénéité impressionnante du type et de la qualité des produits disponibles dans une économie de marché engendrerait des « coûts de transaction écrasants » si chaque prix devait être fixé aux enchères. Les marchés d’enchères sont efficients lorsque les acheteurs et les vendeurs n’ont pas besoin d’entrer en contact (comme dans le cas des actifs financiers) ou quand les produits sont homogènes (comme le blé). Selon lui, l’étiquetage des prix est une réponse rationnelle au problème de l’hétérogénéité. Les prix sont préfixés par la méthode du mark up (Okun, 1981). La littérature néo-keynésienne a identifié d’autres sources de rigidité des prix : Les externalités de marché en expansion en font partie. Les agents supportent des coûts de recherche, ils sont plus faibles en période d’expansion caractérisée par un haut niveau de transaction et d’activité (Diamond, 1982). Si ces externalités sont conséquentes, la courbe de coût marginal diminue en période d’expansion, ce qui contribue à la rigidité des prix. Okun (1975, 1981) fait la distinction entre marchés de clientèle et marchés d’enchères. Un marché de clientèle est caractérisé par la faible fréquence de recherche comparée à la fréquence des achats. Cela donne un certain pouvoir de marché aux entreprises, qui évitent de changer leurs prix pour ne pas inciter leurs clients à chercher ailleurs. Selon Gordon (1990), une entreprise est liée à des milliers d’autres comme le représenterait un tableau entrées-sorties. Il lui est impossible d’identifier la toile tissée par les relations de fournisseurs à producteurs. Cette complexité l’empêche d’avoir une certitude sur l’évolution de ses recettes et de ses coûts marginaux à la suite d’un choc de demande. Une entreprise ne peut abaisser ses prix tant que ses coûts n’ont pas diminué ou tant que ses concurrents ne l’ont pas fait. Cela engendre une certaine inertie. L’ajustement du prix est progressif. Hall et Taylor (1993) estiment que dans un système décentralisé sans échelonnement, une « variabilité considérable » affecterait le système. Ball et Cecchetti (1988) montrent que le mode de fixation échelonnée des prix et des salaires est optimal puisque ceux-ci tendent vers le niveau qui serait le leur en situation d’information parfaite. Cela génère un gain d’efficacité qui compense les coûts d’inertie des prix. Réciproquement, la fixation des salaires dans un système synchronisé nécessiterait la participation active de l’Etat.

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Plusieurs théories ont été récemment avancées pour expliquer les rigidités du salaire nominal : Phelps (1985, 1990) considère que les négociations salariales sont coûteuses, qu’elles peuvent susciter des conflits et des grèves, et qu’un ajustement permanent des salaires peut provoquer une rotation onéreuse de la main d’œuvre. Enfin, l’échelonnement irrégulier des contrats salariaux présente un avantage en situation d’incertitude puisqu’il permet aux entreprises d’observer les prix et les salaires fixés par les autres. Il existe trois grands types d’explication de la rigidité des salaires réels : les théories du contrat implicite, les théories du salaire d’efficience, les théories insiders-outsiders qui opposent les travailleurs qui occupent un emploi et ceux qui en cherchent un. Selon la théorie des contrats implicites (Bailey, 1974 ; Gordon, 1974 ; Azariadis, 1975), les entreprises rémunèrent les salariés à un taux inférieur à leur productivité marginale en période de croissance afin de limiter les licenciements en période récessive et de réduire le coût du turn over. Le mark up sur les coûts unitaires de production serait donc pro-cyclique. Néanmoins cette approche présente certaines limites puisqu’elle prévoit qu’une baisse de l’activité se solde par un partage du travail dans l’entreprise plutôt que par des licenciements. C’est pourquoi d’autres pistes ont été exploitées. Il existe une imparfaite mobilité des salariés et une grande hétérogénéité entre les travailleurs du fait de leurs différences d’expérience et de qualifications, ce qui limite la concurrence entre ceux qui ont un travail et les demandeurs d’emploi. L’hystérèse aurait tendance à aggraver ce phénomène puisqu’un allongement de la durée du chômage aurait un effet pervers sur l’employabilité des chômeurs (Phelps, 1972). Le modèle de l’insiders-outsiders (Blanchard et Summers, 1986) suppose que les salariés titulaires d’un emploi peuvent s’opposer à une baisse de salaire (qui aurait pour contrepartie une hausse de l’emploi) en réduisant leur productivité. Ce coût implicite explique l’imperfection de la concurrence entre les insiders et les outsiders. La théorie du salaire d’efficience (Yellen, 1984 ; Katz, 1986, 1988 ; Haley, 1990 et Weiss, 1991) postule également l’existence d’une relation croissante entre la productivité du travail et le salaire réel15. Les néo-keynésiens ont montré l’existence de rigidités nominales ou réelles pour justifier la mise en place de politiques contra-cycliques. Les études empiriques attestent que l’ajustement par les prix est très lent, que l’effet d’encaisses réelles et l’effet Pigou sont très faibles. Stiglitz (1992) estime sous des hypothèses raisonnables, que si les prix baissent de 10 % par an, il faudrait attendre 400 ans pour que la consommation augmente de 25 %. Pigou lui même affirmait en 1947 : « les puzzles qui ont retenu notre attention sont des exercices académiques, servant peut être à clarifier quelque peu les pensées, mais n’ayant que très peu de chances de se produire de la même façon dans la réalité ». Les économistes de l’école de la 15 4 catégories de salaires d’efficience peuvent être identifiées, le modèle de la sélection adverse (Weiss, 1980), le modèle de la rotation de la main d’œuvre (Salop, 1979), le modèle du tire au flanc (Shapiro, Stiglitz, 1984), le modèle de l’équité (Akerlof, 1982).

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synthèse eux-mêmes estimaient qu’il fallait suivre les recommandations de Keynes en pratique, bien qu’il se soit trompé sur le plan théorique. La plupart des néo-keynésiens, comme les économistes de la synthèse, admettent que l’instabilité résulte de l’imparfaite flexibilité des prix et des salaires. C’est une façon subtile de rejeter la responsabilité du chômage sur les épaules des salariés puisque la plupart d’entre eux considèrent qu’il suffirait de baisser les salaires réels de manière conséquente pour retourner au plein-emploi. Mais, contrairement aux économistes de l’école de la synthèse, une écrasante majorité des néo-keynésiens estime qu’il est préférable d’obtenir cette diminution en provoquant une légère inflation plutôt qu’en abaissant les salaires nominaux. Certains néo-keynésiens, comme Romer, ont même admis une partie des critiques des nouveaux classiques. Ils se sont approprié certains concepts comme la substitution inter-temporelle du travail, les anticipations rationnelles. Ceux-là considèrent qu’il vaut mieux lutter contre les sources de rigidités nominales ou réelles en menant des « réformes structurelles », plutôt qu’en cherchant à réduire le chômage par le biais d’une politique monétaire expansive. Ils admettent néanmoins l’opportunité de procéder à une relance en cas de récession liée à un choc d’offre négatif. Suite aux travaux de Fischer (1977), Phelps et Taylor (1977), il devint évident que la thèse des nouveaux classiques sur l’inefficacité des politiques publiques de gestion de la demande ne dépendait pas des anticipations rationnelles mais plutôt du postulat d’équilibre continu des marchés. Les modèles néo-keynésiens qui mettent l’accent sur la lenteur d’ajustement des prix montrent que la monnaie n’est pas neutre et que l’efficacité de la politique monétaire est en principe rétablie. Sargent (1987) a voulu défendre la neutralité de la monnaie en introduisant des anticipations rationnelles dans un modèle néo-keynésien. Flashel, Franke et Semmler (1997) ont réfuté sa démonstration, tout en prouvant que des fluctuations cycliques réelles sont possibles malgré l’existence d’anticipations rationnelles et malgré une flexibilité des prix instantanée lorsque la concurrence est imparfaite. Ils ont ainsi démontré que la validité de la théorie keynésienne n’implique pas l’existence de rigidités nominales.

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1.2.1.2. La remise en cause du principe d’invariance de Sargent Sargent (1987) a voulu prouver que le principe d’invariance reste valable si l’on introduit des anticipations rationnelles dans un modèle keynésien où les ajustements de la production en volume ne sont pas exclus a priori par l’adoption d’une fonction d’offre à la Lucas. Il affirme que, si les anticipations sont adaptatives, la politique monétaire est efficace à court terme mais neutre à long terme, tandis que si les anticipations sont rationnelles, l’offre de monnaie n’influence pas les variables réelles, même à court terme.

Section d'équation (suivante)

Encadré 9. Le modèle de Sargent (1987)

(1.1) ( ),Y F K L=

(1.2) ( )/ ,Lw p F K L=

(1.3) ( )nhC c Y T Kδ= − − 0 , 1hc δ< <

(1.4) ( )( ) ( )( )ˆ , ef KK i F K L i nδ π= − − − + 0fi >

(1.5) Y C I K Gδ= + + + (1.6) ( )mM pYf i= ( )' 0mf i <

(1.7) ˆmM g= mg = constante

(1.8) ( )ˆ / sw ew L Lβ π= + ( ) '1 0, 0m wβ β= >

(1.9) ˆsL n= n= constante Avec anticipations adaptatives : (1.10) ( )ˆe

e epπ

π β π= −& 0 eπβ< ≤ ∞

Avec anticipations rationnelles : (1.11) ˆ ep π= Avec Y le revenu réel, K le capital, L l’emploi, w le salaire, p le prix des biens, nT les taxes nettes d’intérêt,

Kδ la valeur de la dépréciation du capital, i le taux d’intérêt, eπ l’inflation anticipée, n le taux de croissance de

la population, M̂ le taux de croissance exogène de la monnaie, sL est l’offre de travail. D’après Flashel, Franke et Semmler (1997) L’équation (1.1) est une fonction de production type Coob Douglas. Selon l’équation (1.2), le salaire réel dépend du choix optimal des facteurs et donc de l’emploi. La consommation dépend du revenu disponible (équation (1.3)). L’équation (1.4) indique que le taux de croissance du capital est une fonction croissante de l’écart entre la productivité marginale du

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capital - nette de sa dépréciation - et le taux d’intérêt réel. L’équation (1.5) représente l’équilibre IS. L’équation (1.6) désigne la demande de monnaie, fonction du revenu en valeur et du taux d’intérêt. L’offre de monnaie augmente à un taux constant (équation (1.7)). La croissance des salaires dépend du taux d’emploi et de l’inflation anticipée, conformément à la courbe de Phillips augmentée. Les équations (1.10) et (1.11) décrivent les différents modes d’anticipations. Flashel, Franke et Semmler (1997) ont démontré à partir du modèle utilisé par Sargent qu’un choc monétaire ne converge pas systématiquement vers l’équilibre stationnaire lorsque les anticipations sont adaptatives car l’effet Mundell peut compenser l’effet Keynes, comme dans le modèle de Tobin (1975). Lorsque les agents sont victimes d’une relative illusion nominale à court terme, l’expansion de la masse monétaire provoque une hausse de la production en volume mais aussi une augmentation des prix qui réduit la valeur des encaisses réelles. Cet effet Keynes peut entraîner un retour progressif de la courbe LM à sa position initiale. Flashel, Franke et Semmler objectent que, si les anticipations sont adaptatives, l’inflation entraîne une baisse progressive du taux d’intérêt réel qui renforce l’impact de l’expansion monétaire sur l’investissement. La hausse du revenu national est durable si l’effet Mundell est important, ce qui est le cas lorsque l’inertie des anticipations est faible. Or, les nouveaux classiques supposent eux-mêmes que la correction des erreurs d’anticipation est rapide. Les simulations effectuées par Flashel, Franke et Semmler indiquent que les chocs monétaires débouchent sur des fluctuations instables dès que la vitesse d’ajustement des anticipations est supérieure à 0,7. Le modèle n’est plus viable lorsqu’elle tend vers l’infini, c’est-à-dire lorsque les anticipations sont quasi parfaites. Leurs travaux montrent ainsi que la théorie keynésienne n’est pas seulement valable dans le cas d’une trappe à liquidité ou d’une faible sensibilité de l’investissement au taux d’intérêt. Enfin, Flashel, Franke et Semmler ont révélé que l’introduction des anticipations rationnelles à la manière de Sargent revient implicitement à supposer que l’offre globale est fixe à court terme comme à long terme. Ceci implique automatiquement la neutralité de la monnaie à court terme. Ce résultat n’est pas lié à la rationalité mais au caractère classique de la spécification : Si l’on remplace le taux d’inflation anticipée par le taux d’inflation effective,

( )1 / 1etp pπ += − , le modèle comporte une variable endogène de plus, le prix futur : 1tp + .

L’équation (1.5) ne permet donc plus de déterminer la production en fonction des seules variables statiquement exogènes. Les auteurs montrent que la dynamique du système ( )ˆˆ ,w k

est caractérisée par une stabilité de « point selle ». La valeur initiale du prix détermine donc entièrement la trajectoire du modèle. Or comme les agents sont rationnels et sont supposés connaître la forme du modèle, ils se placent évidemment sur la trajectoire convergente. En pareil cas, l’équation (1.2) ne détermine plus les prix mais le niveau de la production, compte tenu de l’équilibre sur le marché de l’emploi. Tout se passe comme si la courbe d’offre était verticale. En fait, la neutralité de la monnaie n’est pas liée à la rationalité des anticipations mais à l’impossibilité d’un ajustement en volume. Toutefois, il suffirait de supposer que les prix s’ajustent avec retard, en fonction de la marge que les entreprises désirent appliquer aux coûts unitaires du travail, pour que des changements durables des quantités se produisent en présence d’anticipations rationnelles dès que les variables financières sont modifiées.

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En remplaçant l’équation (1.11) par l’équation ( )ˆ 1pwLp pY

β μ⎡ ⎤= + −⎢ ⎥⎣ ⎦ avec 0μ > , le modèle

ainsi transformé peut générer des cycles limites et devenir instable lorsque la vitesse d’ajustement des prix à la marge désirée pβ est supérieure à une valeur critique et a fortiori, lorsque celle-ci tend vers l’infini. Une parfaite flexibilité des prix ne permet donc pas de converger vers l’équilibre, même si les anticipations sont rationnelles. Comme le souligne Brossard (1999), l’instabilité ne résulte donc pas de l’introduction ad hoc d’une relative rigidité des prix, bien que les auteurs aient rajouté une équation pour en déterminer la dynamique, mais de l’existence d’un relatif pouvoir de marché des firmes. Dès que la concurrence est oligopolistique, la théorie keynésienne reprend tous ses droits car la détermination des prix n’obéit plus à un processus de tâtonnement walrassien qui interdit la moindre déviation par rapport à l’équilibre de plein-emploi. Il semble donc assez pertinent d’introduire un mark-up dans un modèle d’équilibre général au lieu de postuler de manière arbitraire une relative rigidité des prix, ou leur ajustement tardif. Cette spécification, empiriquement réaliste, permet d’échapper au caractère abusivement réducteur aussi bien des modèles keynésiens à prix fixes que des modèles « classiques » où les prix sont parfaitement flexibles en concurrence pure et parfaite. Quoi qu’il en soit, Sargent n’est parvenu à générer un scénario classique qu’en se reposant sur des hypothèses restrictives et peu réalistes : la CPP, les anticipations rationnelles et la nature exogène de la monnaie. Or, Greenwald et Stiglitz (1993a et b) puis Bernanke et Gertler et Gilchrist (1998) ont montré qu’en présence d’une asymétrie d’information, la monnaie n’est pas neutre lorsqu’elle est endogène, et cela en dépit de la flexibilité des prix et des salaires et des anticipations rationnelles. Greenwald et Stiglitz ont opposé aux néo-keynésiens une explication alternative des fluctuations de l’activité, sur la base d’hypothèses micro-fondées, moins restrictives et plus réalistes que le postulat des rigidités nominales. En réfutant les conclusions de l’école de la synthèse, ils ont mis à bas les fondements de la théorie monétariste, tout en réhabilitant l’intuition de Keynes selon laquelle la flexibilité des prix et des salaires peut aggraver le sous-emploi. « A number of facts imply that price rigidities are, at a minimum, not the only source of economic problems like volatility and unemployment. For example, Keynesian-like unemployment problems seem to arise even in economies which are experiencing inflationary pressures, and thus where the nominal wages do not need to fall, but only to rise more slowly. More over, nominal wages and prices did fall in the Great Depression, as well as in other economic downturns. We agree with Keynes that had prices fallen even faster, the economy would have degenerated farther, rather improving more quickly.” (1993a, p. 36)

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1.2.2. Monnaie endogène et asymétrie d’information En affirmant le caractère endogène de la création monétaire, les post-keynésiens et certains néo-keynésiens, comme Greenwald et Stiglitz, ont démontré le rôle potentiellement stabilisateur des politiques correctrices de gestion de la demande, qu’elles soient budgétaires ou monétaires, même en l’absence de rigidités nominales. Ils contestent que la flexibilité des salaires et des prix soit stabilisante en situation d’incertitude (1.2.2.1) car ils estiment d’une part, que la redistribution induite par la baisse des salaires peut provoquer une réduction de la propension à consommer, qui peut largement compenser les faibles effets positifs d’une augmentation des encaisses réelles. D’autre part, ils considèrent que l’offre de crédit est pro-cyclique et que la contraction de la masse monétaire compense très largement la hausse du pouvoir d’achat des encaisses monétaires en période déflationniste. Les développements récents de la théorie néo-keynésienne sur les canaux du crédit et du bilan confirment cette approche (1.2.2.2). Ces auteurs réfutent implicitement l’idée classique selon laquelle l’épargne détermine l’investissement. Ils montrent au contraire que l’investissement effectif détermine l’épargne nécessaire à son financement, via la variation du revenu national, rendue possible par l’expansion du crédit. En pareil cas, le chômage peut être involontaire, ce qui signifie que la courbe d’offre de long terme ne peut être une droite verticale rigide puisque le niveau de l’offre à l’équilibre n’est plus exclusivement prédéterminé par la quantité de travail disponible. Dès lors, l’hypothèse de la substitution inter-temporelle du travail, fondée sur l’inefficacité de la politique monétaire, est caduque. Il n’est alors plus possible de considérer que l’inflation implique une perte d’utilité pour les agents. En réhabilitant théoriquement l’opportunité de procéder à un arbitrage entre inflation et chômage, ces auteurs ont donc largement remis en cause la légitimité des politiques qui visent, soit la stabilité de la masse monétaire, soit un taux d’inflation quasi nul.

1.2.2.1. L’effet déstabilisateur de la flexibilité des prix et des salaires Le point de vue de l’école de la synthèse est réducteur car il s’appuie sur une représentation simpliste de la pensée keynésienne. En effet, Keynes ne s’est pas contenté d’invoquer l’existence d’une trappe à liquidité ou l’inélasticité de l’investissement aux variations des taux d’intérêt pour remettre en cause l’effet de richesse. La baisse des salaires nominaux peut également entraîner une contraction de la demande effective pour les raisons suivantes : - La vitesse de circulation de la monnaie peut baisser en période récessive, compte tenu des modifications de la préférence pour la liquidité des agents. Cela peut juguler l’effet d’encaisses réelles. - La déflation peut exercer un effet négatif sur le moral des entreprises, ce qui est susceptible d’entraîner une nouvelle baisse de la demande globale (1936, p. 271). On peut en effet envisager que les entreprises profitent de la baisse des coûts salariaux pour rembourser leurs dettes au lieu d’investir.

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- La déflation peut avoir un impact négatif sur la propension générale à consommer via la répartition des revenus (1936, p. 267). Si la contraction des coûts salariaux entraîne une hausse des dividendes distribués aux actionnaires et si leur propension à consommer est plus faible que celle des salariés, la consommation peut diminuer. D’un point de vue comptable, si l’on admet que les profits des entreprises ne sont pas instantanément réinvestis et que la propension à consommer les dividendes est inférieure à celle des revenus salariaux, une baisse des prix ne provoque pas automatiquement une hausse de la production en volume. Il faudrait que l’augmentation de l’emploi et de l’investissement compense instantanément l’effet négatif de la baisse des salaires réels sur la masse salariale et la consommation des ménages. Or, on peut douter que la réduction des coûts du travail puisse inciter les entreprises à investir et à embaucher davantage en cas d’effondrement de la demande. Keynes estime que la baisse des salaires nominaux peut entraîner un nouveau recul de la demande de biens et une contraction de la demande de travail, susceptible d’aggraver le sous-emploi. Dans le cadre d’un modèle IS-LM, cela devrait provoquer un déplacement vers la gauche de la courbe IS. Or, dans sa version simplifiée, le modèle de Hicks ne peut pas rendre compte de ce phénomène car, généralement, on suppose que la totalité de la valeur ajoutée des entreprises est reversée aux ménages. Le modèle ainsi conçu est incapable de produire les effets de redistribution induits par la diminution des salaires nominaux et leur impact négatif sur la demande. Cette hypothèse est beaucoup plus restrictive qu’elle n’y paraît de prime abord puisque, lorsque les prix baissent, le déplacement de la courbe LM vers la droite n’est pas compensé par un mouvement inverse de la courbe IS vers la gauche, comme le suggérerait une lecture attentive de Keynes. Cette spécification donne une importance artificiellement démesurée à l’effet de richesse et à l’effet d’encaisses réelles sur les quantités produites. Le modèle IS-LM ne semble guère adapté pour rendre compte des déterminants de la demande globale et en particulier des effets des anticipations et des phénomènes de redistribution (King, 1993). Pour Minsky (1978, 1982b), la désinflation est déséquilibrante puisqu’elle entraîne une réduction simultanée des cash flows des entreprises et une augmentation de leurs charges financières, aggravant le risque de faillite. Suite aux travaux de Kalecki (1944), on accorda peu de confiance à l’effet Pigou car le stock de monnaie provient largement du crédit bancaire. Si les crédits font les dépôts, il n’y a pas de raison que la hausse de la valeur réelle des encaisses n’ait pas pour contrepartie une augmentation du volume de la dette. Une baisse des salaires nominaux ne peut donc pas susciter un déplacement significatif de la courbe d’offre globale vers la droite. Par contre, si l’on prend au sérieux les effets de redistribution et d’anticipation décrits par Keynes, cela signifie que la courbe de la demande globale se déplacera probablement vers la gauche, de sorte que, dans le meilleur des cas, la production et l’emploi demeureront approximativement inchangés. En outre, l’effet de richesse, l’effet d’encaisses réelles de Patinkin (1956) et l’effet Pigou (1941, 1943, 1947), se produisent seulement lorsque l’offre de monnaie, supposée exogène, est inchangée. Or, selon les post-keynésiens (Tobin, 1970), elle est endogène, « elle s’adapte toute seule aux besoins de l’activité » (Kaldor, 1970). L’équation quantitative de la monnaie peut être lue à l’envers (Robinson, 1971 ; Moore, 1989). Ce sont les anticipations de croissance qui déterminent l’offre de monnaie. Le fait que les variations monétaires précèdent

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celles du revenu nominal ne permet en aucun cas d’établir un lien de cause à effet. Ainsi, Tobin (1970) a développé un modèle ultra-keynésien où l’offre de crédit est la réponse endogène aux variations du revenu. Les fluctuations de l’activité économique réelle y sont précédées par une expansion de la masse monétaire à mesure que les entreprises empruntent auprès du secteur bancaire afin de réaliser leurs projets d’investissement. Tobin démontre que, lorsqu’on s’appuie sur des séries chronologiques pour conclure que les variations de l’offre de monnaie entraînent des modifications de l’activité réelle, on s’enferme dans un sophisme : post hoc ergo propter hoc (après cela donc à cause de cela). Cependant, bien que Tobin ait utilisé cet argument pour s’opposer aux thèses monétaristes, il n’en conclut pas pour autant que la monnaie n’a aucun rôle dans les fluctuations économiques. Les post-keynésiens estiment que les projets d’investissement supplémentaires doivent être financés ex ante pour être réalisés. Le système bancaire joue donc un rôle déterminant puisqu’il a le pouvoir de rationner la demande de crédit. Keynes l’a reconnu nettement en introduisant le concept de « motif de finance »16. La masse monétaire réelle a donc tendance à augmenter en période de croissance et inversement. Kaldor (1970) et Moore (1979a) estiment que l’offre de monnaie valide plutôt qu’elle ne cause les augmentations de salaires et de prix. Elle est « une réponse à l’inflation et non pas sa cause », affirme Sawyer (1991). La rigidité des prix n’est donc pas le seul facteur qui puisse empêcher la convergence du système économique vers un équilibre optimal. Fisher considérait dès 1933 que la variation de la masse monétaire est pro-cyclique. La déflation incite les agents à rembourser leurs dettes, ce qui « conduit à une contraction de la monnaie de dépôt (…) et à une baisse de la vitesse de circulation de la monnaie ». Cela pallie l’effet d’encaisses réelles qui peut seul prévenir l’apparition d’une crise cumulative. Les économistes post-keynésiens tels que Moore (1979b), considèrent que la Banque centrale est incapable de contrôler la croissance de la masse monétaire, notamment depuis la multiplication des innovations financières et la création d’actifs financiers extrêmement liquides (comme les SICAV monétaires17), qui ont brouillé la distinction entre les principaux agrégats monétaires. Il n’existe pas de relation stable entre l’évolution de M1 et l’inflation, il est donc quasiment impossible de déterminer quel devrait être le taux de croissance optimal du stock de monnaie. La relation entre M2 et la hausse des prix est un plus robuste, mais les Banques centrales n’ont pas le pouvoir de contrôler l’évolution de cet agrégat. Elles ont d’ailleurs renoncé explicitement ou implicitement à se fixer des objectifs quantifiés contraignants de masse monétaire. La plupart des banques centrales se fixent désormais des cibles d’inflation, suivant ainsi l’exemple de la Nouvelle Zélande, qui fut la première à adopter cette politique en 1990. Cela prouve le caractère endogène de la création monétaire. Dans cette optique, la plupart des post-keynésiens sont convaincus qu’une politique déflationniste peut aggraver le chômage. Dutt (1987), Dutt et Amadeo (1990) et Amadeo, (1992), suggèrent que l’incertitude et la monnaie provoquent non seulement un déplacement, mais aussi une remontée le long de la courbe d’offre globale, qui se traduisent nécessairement par une contraction de la production.

16 Kalecki (1944), dans son analyse du cycle économique, soulignait déjà la nécessité d’avoir un système bancaire malléable, puisque les prêts consentis pour financer l’investissement devront être remboursés par les profits réalisés ultérieurement. 17 Aux Etats-Unis la plupart des gérants de fonds de SICAV monétaires autorisent les déposants à signer des chèques au-delà d’un plancher déterminé.

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Si l’on considère que l’information est imparfaite, la flexibilité des prix ne permet pas d’équilibrer instantanément l’offre et la demande de biens. Clower (1965) et Leijonhufvud (1967) considèrent que l’un des principaux apports de Keynes est d’avoir remis en cause l’hypothèse du « commissaire priseur » et la fiction d’une économie de troc véhiculée par la théorie walrassienne, où la monnaie est un voile. Celle-ci n’est plus neutre en situation d’incertitude. (A ce titre les travaux de Friedman et de Lucas sont éloquents, il suffit d’introduire des anticipations extrapolatives ou un effet de surprise dans un modèle classique pour qu’un choc monétaire génère des fluctuations réelles à court terme). Si l’on admet que le taux d’intérêt n’est pas le seul déterminant de l’épargne et que celle-ci obéit ne serait ce que partiellement au principe de précaution et si l’on reconnaît que l’investissement ne dépend pas seulement des taux mais aussi de la somme actualisée des profits futurs anticipés de manière incertaine, alors l’égalité entre ces deux variables est le produit d’une équilibre comptable et non économique. L’identité comptable entre l’épargne et l’investissement est alors obtenue par une variation des stocks et du revenu national or rien n’indique que la première soit désirée, ni que la seconde corresponde au plein-emploi. Puisque les producteurs ne sont plus assurés d’écouler la totalité de leur production sur le marché d’une économie monétaire, ils doivent ajuster les quantités produites en fonction de la demande. En effet, si les agents ne connaissent pas avec certitude de quelle façon évolueront les prix de leurs concurrents ou de leurs fournisseurs (Gordon, 1990), ils préféreront modifier les quantités produites en fonction de la demande effective plutôt que leurs prix, surtout si la concurrence est imparfaite (la production est oligopolistique ou monopolistique) car en ce cas, les producteurs produisent théoriquement la quantité qui leur permet d’égaliser leur coût marginal à la recette marginale, fonction de la demande globale. Dans ce contexte, c’est l’ajustement des quantités qui induit une variation des prix et non l’inverse. C’est la demande qui fait l’offre. Dans ce cadre, l’usage de la monnaie remplit une fonction particulière ; c’est une réserve de valeur qui permet de repousser le moment de prendre une décision irréversible lorsque l’incertitude est trop grande. Dans le chapitre 17 de la Théorie générale, la monnaie a une place particulière dans la classification des actifs, parce que son rendement est nul et qu’elle offre une prime de liquidité bien supérieure à son coût d’opportunité. Une augmentation de la demande de monnaie pour faire face à une incertitude grandissante entraîne « une diminution de la demande pour les produits autres que la monnaie et pour le travail nécessaire à leur fabrication ». Keynes se rangeait donc à l’opinion selon laquelle un système économique sans monnaie débouche automatiquement sur le plein-emploi. En l’absence de monnaie, la théorie classique retrouverait sa justification. Paul Davidson (1978, 1984) considère que la théorie monétaire de la production remet en cause l’axiome de la substitution brute (prédominance des effets de substitution sur les effets de revenu), les postulats de réalité (les agents réagissent uniquement à l’évolution de grandeurs réelles comme les quantités produites, le loisir et l’effort) et enfin l’axiome d’un monde ergodique (probabiliste). Davidson (1980) insiste sur le lien entre la dimension temporelle des transactions et l’existence de contrats monétaires. La prime de liquidité est renforcée par le fait que les contrats sont établis en termes monétaires et que les salaires nominaux sont relativement stables. Pour Keynes, cette relation entre la monnaie et les salaires nominaux est réciproque et symbiotique. Du fait de la très grande liquidité de la monnaie, les salaires peuvent être fixés en terme monétaire, plutôt qu’en terme d’un autre bien, et le fait même que les salaires nominaux soient relativement stables fournit le point

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d’ancrage indispensable à la pérennité d’une économie monétaire. Ceci explique en grande partie l’aversion de Keynes pour une politique de salaires et de prix flexibles. Il pensait qu’une telle politique se heurterait à « l’inviolabilité des contrats. » Les avantages en seraient limités et ne pourraient pas être garantis, alors que les effets des coûts en termes redistributifs et l’effet sur les anticipations seraient énormes. Tobin (1975, 1980) reste très critique à l’égard des nouveaux keynésiens qui continuent à privilégier les rigidités nominales. Tobin (1993) dénie que la macro-économie keynésienne « postule ou requiert » des rigidités nominales et/ou des prix. Selon lui, la flexibilité des prix et des salaires exacerbe la récession, et il reprend à son compte l’intuition de Keynes pour qui l’inertie des salaires nominaux joue un rôle stabilisant face aux chocs de la demande. Tobin rappelle également aux néo-keynésiens que Keynes avait une explication « théoriquement impeccable » et « empiriquement réaliste » de la rigidité du salaire nominal fondée sur l’importance accordée par les travailleurs à la structure des salaires relatifs. Keynes a défendu l’idée qu’un salarié est prêt à accepter un emploi s’il est rémunéré au taux existant sur le marché correspondant à sa catégorie. Les employés peuvent néanmoins refuser rationnellement une réduction de leur paye si elle n’est pas collective. La théorie du salaire relatif suppose donc une certaine rigidité des rémunérations nominales à la baisse. Si l’on suppose comme Keynes que les salariés acceptent de travailler pour n’importe quel niveau de rémunération courant proposé sur le marché (l’offre de travail devient une fonction croissante du salaire lorsque le plein-emploi est atteint), c’est la demande de travail qui détermine le niveau de l’emploi. La réduction des salaires nominaux ne peut à elle seule favoriser le retour au plein-emploi. Keynes estime donc que le chômage peut être involontaire même en cas de parfaite flexibilité des prix et en dépit d’un ajustement rapide du coût salarial. Summers (1988) estime que l’influence des salaires relatifs donne naissance à des problèmes non négligeables de coordination. Greenwald et Stiglitz (1993b) ont mis en lumière l’impact déstabilisant de la flexibilité des prix et des rémunérations. Ils ont fortement influencé le développement de modèles néo-keynésiens du cycle économique qui ne reposent pas sur l’inertie des prix et des salaires nominaux mais où les rigidités réelles jouent un rôle important. En résumé, si l’évolution de la masse monétaire est pro-cyclique, une baisse des prix et des salaires ne peut pas rétablir l’équilibre de plein-emploi. Au contraire, elle peut aggraver la récession. En effet, la déflation engendre une hausse des taux d’intérêt réels et une augmentation du volume de la dette qui peut inciter les entreprises à se désendetter. Si parallèlement, les banques réduisent la distribution de crédit en tenant compte de la chute de la valeur nominale des profits attendus, la masse monétaire peut se contracter. Ce phénomène peut contrebalancer l’effet d’encaisses réelles sensé restaurer l’équilibre de plein–emploi. C’est une critique sévère adressée aux monétaristes puisque leurs préceptes découlent de l’hypothèse d’une masse monétaire fixe. Si l’on introduit une offre de monnaie endogène dans le cadre d’un modèle AS-AD, en supposant que la distribution de crédit est fonction de la solvabilité anticipée des firmes et en supposant que la Banque centrale se contente de fixer le taux d’intérêt sans risque, la politique monétaire perd sa neutralité. La monnaie n’influence plus seulement la demande globale mais aussi l’offre globale via un canal du crédit et un canal du bilan si l’on prend en considération les coûts d’agence et les coûts de faillite générés par l’asymétrie d’information entre prêteurs et emprunteurs (voir infra).

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1.2.2.2. L’impact des facteurs financiers sur l’offre globale : le credit view

Selon l’approche dite du money view, les facteurs financiers n’influencent que la demande globale par le biais d’une modification du taux d’intérêt. Le modèle IS-LM formalise de manière très simple cet « effet de liquidité ». Une expansion de la masse monétaire donne lieu à une modification de l’arbitrage entre monnaie et titres, de sorte que le taux d’intérêt diminue et favorise une augmentation de l’investissement. La prise en compte de l’existence d’une relative asymétrie d’information entre les prêteurs et les emprunteurs a remis en cause l’hypothèse de la neutralité de la structure financière de Modigliani et Miller. Les phénomènes d’aléa moral et de sélection adverse débouchent sur un rationnement de l’offre de crédit qui n’est pas sans effet sur la production réelle puisque les actifs ne sont plus parfaitement substituables. La monnaie exerce donc une influence sur les variables réelles via un « canal du crédit ». Sous l’hypothèse d’une asymétrie d’information, la composition du bilan des firmes influence leur capacité de financement. Une augmentation de la valeur de marché des firmes ou de leur collatéraux entraîne une réduction de la prime de risque et donc une baisse du coût de refinancement qui débouche sur une expansion de la production en volume. La finance influence donc la sphère réelle via un « canal du bilan ». Ce phénomène, modélisé par Bernanke et Gertler (1989) puis par Kiyotaki et Moore (1997), est connu sous le terme « d’accélérateur financier ». Il a été intégré dans les modèles en équilibre général d’inspiration néo-keynésienne. Ces modèles mettent en évidence la propension des mécanismes financiers à amplifier les chocs exogènes. Les modèles monétaristes et nouveaux classiques ont été remis en cause par l’endogénéisation de la monnaie et par la prise en compte des effets de l’asymétrie d’information. Il est en effet impossible de supposer que l’offre est prédéterminée lorsque le crédit est endogène et que les variables financières influencent l’offre globale. Les développements récents de la théorie keynésienne insistent moins sur les rigidités nominales que sur le caractère déstabilisant de la finance. Rares sont les économistes qui considèrent encore que la politique monétaire est à l’origine des fluctuations réelles du PIB. La stabilité relative des prix est aujourd’hui défendue au nom de la stabilité financière. Un large consensus a émergé entre les économistes pour défendre la mise en place d’une politique monétaire contra-cyclique afin de limiter les effets de l’accélérateur financier. Les opinions divergent seulement sur le niveau d’inflation requis pour promouvoir une croissance forte et durable.

• L’asymétrie d’information Le problème de l’asymétrie d’information mis en évidence par Akerlof en 1970 a d’abord été étudié par Jensen et Meckling (1976) dans le cadre de la finance d’entreprise. Leurs travaux ont ensuite permis de mieux comprendre les imperfections existantes sur le marché bancaire. En effet, les entreprises n’ont pas un accès égal au crédit. En cas d’asymétrie d’information, les banques non seulement augmentent leurs taux, ce qui débouche sur un phénomène de sélection adverse, mais en plus, elles rationnent la taille (Jaffee et Russel, 1976) et la quantité de prêts distribués (Stiglitz et Weiss, 1981) si bien qu’il est possible que deux firmes présentant les mêmes caractéristiques ne soient pas traitées de la même manière. Elles ont ainsi remis en cause le théorème des marchés en équilibre de Modigliani et Miller (1958), qui

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stipule qu’en CPP, le coût moyen pondéré du capital (cmpk) d’une entreprise ne dépend pas de sa structure financière puisqu’à l’équilibre, il est égal à la rentabilité attendue de l’investissement. La valeur de marché de l’actif économique est donc indépendante de son mode de financement. Fama (1980) a généralisé ce principe de neutralité en affirmant que les arbitrages de portefeuille n’exercent aucune influence sur l’allocation des ressources. Dans cette optique la seule justification de l’existence des banques est de réduire le risque en mutualisant les créances. Elles sont considérées comme des intermédiaires passifs entre prêteurs et emprunteurs. Leur fonction d’évaluation de la rentabilité est totalement négligée. Néanmoins, les recherches empiriques ont invalidé cette approche en attestant qu’une modification du taux d’endettement des entreprises peut provoquer une baisse du coût moyen pondéré de leur capital sans réduction de l’actif. Modigliani et Miller ont alors eux-mêmes remis en cause leur théorème en prenant en compte l’existence de distorsions fiscales18 et surtout du coût des faillites. La probabilité d’une faillite ainsi que les coûts qui y sont associés, directs ou indirects (opportunités d’investissement rentables non réalisées) dépendent positivement de l’endettement. C’est d’autant plus vrai en période de ralentissement de l’activité économique et de baisse de la rentabilité. Une firme surendettée ne pourra pas se re-financer en bourse, (aucun investisseur ne voudrait investir dans une société dont la valeur de marché serait inférieure ou égale à la valeur de sa dette) ni recourir davantage à l’emprunt, sauf à un coût dissuasif. Bref, elle est condamnée au sous-investissement, tandis que la même entreprise (dont l’actif aurait la même valeur) très peu endettée, pourrait recourir davantage à l’emprunt et/ou autofinancer des investissements rentables. En pareil cas, la valeur de l’actif de ces deux entreprises divergera rapidement ; l’une sera en pleine expansion tandis que l’autre accusera retard et manque de compétitivité. Un investisseur rationnel ne saurait être indifférent à cette perspective et ignorer le futur sous prétexte qu’à l’instant présent, les firmes dégagent le même cash flow. Leur structure financière ne les rend pas égales face à l’avenir selon les différentes anticipations conjoncturelles. Une société endettée paiera certainement plus cher son capital que l’autre en période récessive. Son désendettement devrait donc favoriser la baisse du cmpk. Un emprunteur moins bien doté en autofinancement ou en collatéral paye une « prime de financement externe » plus élevée. De la même manière, la rentabilité exigée des capitaux propres peut se contracter avec le niveau de l’endettement au point de faire baisser le cmpk si le risque diminue.19 Cette approche est conforme au Modèle d’Evaluation Des Actifs Financiers.20 18 Les auteurs démontrent que lorsqu’on intègre au raisonnement la fiscalité de l’entreprise, l’endettement devrait être privilégié. Ainsi, la valeur de l’actif économique d’une firme endettée est égale à la valeur de l’actif économique de la même entreprise non endettée plus la valeur actuelle de l’économie d’impôts due à la déductibilité de la charge d’intérêt. Néanmoins, la fiscalité personnelle de l’investisseur contrebalance l’avantage fiscal de la dette de la société. En effet, la fiscalité individuelle pèse moins lourdement sur les revenus des capitaux propres que sur les revenus de la dette. 19 Une baisse de la charge d’intérêt et une baisse de la rentabilité exigée des capitaux propres peuvent se produire à mesure que la dette diminue, ce qui favorise la baisse du cmpk.

d d ccmpk R cmpk D D R C R

t D C t D C t D C t

∂ − ∂ ∂ ∂= + +

∂ + ∂ + ∂ + ∂⎛ ⎞⎜ ⎟⎝ ⎠

avec dR le taux d’intérêt de la dette, cR la rentabilité

exigée des capitaux propres, D la dette et C les capitaux propres. Si le premier produit du terme de droite est inférieur aux suivants, le cmpk diminue. 20 Le MEDAF stipule que la rentabilité exigée par un investisseur est égale au taux de l’argent sans risque majoré d’une prime de risque, qui est fonction de la sensibilité du prix du titre aux fluctuations du marché :

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Dès que l’on prend en considération le coût des faillites et l’aversion pour le risque des agents, la structure du bilan des firmes a une incidence sur le coût et les modalités de leur refinancement comme sur le taux d’actualisation de leurs investissements. Elle détermine donc leur capacité de production. La finance a donc un impact sur le réel, car en situation d’incertitude et d’asymétrie d’information, les titres sont imparfaitement substituables. Les coûts de transaction (comme les frais de courtage…) expliquent l’imparfaite substituabilité des titres et l’incomplétude des marchés (Brainard et Tobin, 1963 ; Brunner et Meltzer, 1972). Les petits épargnants sont évincés des marchés primaires car l’achat de titres a un coût qui peut s’avérer prohibitif pour eux. En outre, les entreprises ne sont pas toutes cotées en bourse. Les firmes récentes ou de petite taille sont généralement exclues du marché des titres négociables, essentiellement pour des motifs d’ordre informationnel. L’examen de leur solvabilité, au moyen d’audits comptables ou de publicité des comptes, constitue un coût fixe d’accès au financement direct qui, eu égard aux montants empruntés, est une véritable barrière à l’entrée. Par ailleurs, la faible diversification de leurs activités augmente leur risque de défaut, ainsi que la volatilité de leurs profits. De nombreuses entreprises sont donc dépendantes du crédit bancaire. Gertler et Hubbard (1988) montrent que les entreprises américaines ayant un portefeuille d’actifs inférieur à 50 millions de dollars détiennent plus de 68 % de leur dette sous forme de crédit bancaire contre 14 % pour les grandes firmes. Or les banques disposent de certains avantages informationnels, notamment lorsqu’elles accordent des prêts à leurs propres déposants. En effectuant la sélection et le contrôle pour tous les déposants, elles font des économies d’échelle considérables. Elles se comportent ainsi comme des « contrôleurs délégués ». Ce faisant, elles réduisent efficacement le coût de contrôle de certains emprunteurs (Fama, 1990 ; Diamond, 1984), tout en disposant d’économies d’échelle dans les coûts de transaction. Cela justifie d’ailleurs l’existence des banques. Ainsi, le financement bancaire est il une aubaine pour les firmes puisqu’il permet de réduire les coûts de recherche des bailleurs de fonds. Certains modèles montrent que le financement par émission de titres est beaucoup plus coûteux que le financement par emprunt. (Myers et Majluf, 1984 ; Greenwald, Stiglitz et Weiss, 1984 ; Bond et Meghir, 1994) On comprend pourquoi obligations et actions ne sont pas des titres parfaitement substituables : L’asymétrie d’information influence le choix de la structure financière de l’entreprise : un groupe qui estime que la valeur de ses titres est sous-évaluée n’émettra pas de nouvelles actions mais préférera s’endetter. A l’inverse, l’émission de nouvelles actions est souvent perçue comme un signe de difficultés ou de surévaluation du titre. 21 De la même façon, choisir de financer un projet par endettement révèle la confiance des gestionnaires dans leur capacités à faire face aux échéances de la dette et donc indirectement dans la rentabilité du projet, et pour cause :

( )c f m fR r r rβ= + − où fr est la taux du marché sans risque, mr est le taux de rentabilité du marché et

2im

m

σβσ

= avec imσ la covariance entre la rentabilité de l’action i et 2mσ est la variance de la rentabilité de

marché. 21 L’émission de titres entraîne généralement une baisse de leur cours de 3 %.

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Les capitaux levés par emprunt coûtent moins cher à l’entreprise mais leurs charges sont fixes. Par conséquent elles élèvent son point mort, ce qui peut être tragique en cas de récession. L’endettement est donc préférable en période de croissance ou de stabilité (ceci explique pourquoi les groupes puissants et solides recourent plus facilement à l’emprunt que les jeunes firmes caractérisées par l’importance de la part des coûts fixes). Slovin, Johnson et Lascok (1992) constatent que le cours des actions d’une entreprise monte lorsqu’une banque consent à lui accorder un prêt. Contrairement aux emprunts, le coût des capitaux propres est variable, puisqu’il dépend du résultat distribué qui diminue avec la rentabilité de l’entreprise. La stabilité ou l’augmentation de la rentabilité exigée des capitaux propres est acquise par la chute des cours qui est principalement assumée par l’actionnaire, non par l’entreprise. La structure du bilan des entreprises ne peut donc laisser leurs dirigeants indifférents si ceux–ci éprouvent une aversion pour le risque. L’asymétrie d’information explique la théorie du pecking order de Myers (1984) qui établit une hiérarchie dans les préférences des sources de financement par ordre croissant du coût d’intermédiation et d’agence : l’autofinancement puis l’endettement et enfin l’augmentation du capital. Lorsque les agents sont contraints financièrement, leurs dépenses dépendent de leur revenu courant et non de leur revenu futur. Une contrainte de liquidité remet en cause la théorie du revenu permanent (Jaffee et Stiglitz, 1990). Dans cette optique, toute variation de l’offre du crédit aura un impact sur l’économie réelle.

• Le canal du crédit Les banques ont un accès privilégié aux informations concernant la solvabilité des débiteurs, mais elles sont néanmoins incomplètes et asymétriques. Il en est ainsi parce que l’objet du contrat de prêt n’est pas une marchandise mais une promesse faite par le débiteur au créancier. Or rien ne garantit à ce dernier que l’emprunteur aura dans le futur la capacité ou même la volonté d’honorer la parole donnée. Un risque de défaillance ne peut être exclu. L’asymétrie d’information a deux conséquences : la sélection adverse ex ante et l’aléa de moralité ex post. Selon la théorie de la sélection adverse, les banques élèvent leurs taux lorsque leur perception du risque se dégrade car elles ne peuvent discriminer les bons des mauvais clients. Or la hausse du coût du crédit décourage les emprunteurs solvables, tandis qu’elle ne dissuade pas les mauvais payeurs de recourir à l’emprunt. Ce phénomène est dû à la clause de responsabilité limitée : cette disposition légale dispense les débiteurs d’engager leurs biens personnels pour le remboursement des dettes contractées au profit de l’entreprise. Selon la théorie de l’aléa moral, les créanciers ne sont pas parfaitement informés de la rentabilité ex post des projets qui ont été financés à crédit. Un emprunteur dont la solvabilité s’est dégradée est incité à prendre plus de risque. Etant donné que les procédures de contrôle ex post sont coûteuses (ce sont les coûts d’agence), les banques préfèrent rationner le crédit. Jaffee et Russel (1976) se sont polarisés sur les conséquences de l’incapacité des prêteurs à discriminer ex ante les emprunteurs honnêtes de ceux qui sont malhonnêtes (qui ont intérêt à se déclarer insolvables). Ils ont montré d’une part, que la proportion de clients malhonnêtes est une fonction croissante de la taille des prêts, d’autre part, que les agents honnêtes doivent payer une prime de risque de sorte que le taux d’intérêt est plus élevé que le coût marginal des fonds prêtés (conformément aux travaux fondateurs d’Akerlof, 1970) et enfin qu’il est

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préférable de réduire la taille des emprunts plutôt que d’augmenter les taux afin d’augmenter la proportion de débiteurs honnêtes. Stiglitz et Weiss (1981) ont élaboré un modèle dans lequel les prêteurs sont confrontés à la fois à un phénomène de sélection adverse et d’aléa moral. Ils supposent qu’ils ne connaissent pas le risque des projets des différents emprunteurs, mesuré par l’écart-type de la rentabilité attendue. On suppose qu’en cas de faillite, l’emprunteur rembourse son prêt en liquidant ses actifs. Il peut donc avoir intérêt à choisir un projet très risqué, mais potentiellement très rentable si la valeur de ses collatéraux est faible, puisqu’en pareil cas il n’assumera pas la totalité de ses pertes. Stiglitz et Weiss montrent que le risque que l’emprunteur est prêt à assumer augmente avec le taux. Par conséquent, les prêteurs doivent fixer le taux d’intérêt de manière à maximiser leurs profits sachant que toutes choses égales par ailleurs, une hausse des taux accroît leurs rendements unitaires mais que néanmoins, elle aggrave leur risque en les exposant à une sélection adverse et à un aléa moral plus importants. Les banques fixent donc un taux optimal qui est inférieur à celui qui équilibrerait l’offre et la demande de crédit. Les agents sont donc rationnés. Les auteurs montrent ainsi que des projets ayant une rentabilité équivalente ne sont pas pour autant financés de la même manière et que des catégories entières d’emprunteurs ne sont pas financés, quel que soit le taux qu’ils accepteraient. Blinder (1987) a montré que la pénurie de crédit peut entraîner une chute de l’offre globale. D’une manière générale, un rationnement du crédit ou une simple baisse de l’offre de crédit peuvent être préjudiciables à l’activité économique si la capacité de production des firmes en dépend. Cela suppose qu’il y ait une imparfaite substituabilité entre les titres, notamment à l’actif des banques, faute de quoi elles pourraient compenser la baisse de l’offre de prêts par un achat d’obligations et d’actions équivalent. Cette condition est suffisante pour que l’offre du crédit ait une influence sur le revenu réel. Bernanke et Blinder (1988) ont montré à partir d’un modèle IS-LM dans lequel ils ont introduit une imparfaite substituabilité entre crédit et titres, à la fois pour les emprunteurs et les banques, qu’une hausse de l’offre de monnaie amplifie l’effet de liquidité (le déplacement de la courbe LM vers la droite). Ils montrent également qu’un credit crunch conduit à une baisse du produit d’équilibre.

• Le canal du bilan. Les banques peuvent effectuer un rationnement des emprunteurs par les prix en fixant un taux d’intérêt décroissant en fonction de leur solvabilité attendue et de leurs collatéraux, afin de pallier l’incertitude. L’offre de monnaie dépend alors de la valeur des stocks d’actifs et de passifs accumulés par les firmes. Dans ces conditions, la politique monétaire exerce un effet sur la demande globale, car l’inflation entraîne une variation du volume de la dette qui n’est pas sans incidence sur l’investissement, comme sur l’offre globale puisqu’elle détermine la quantité de facteurs disponibles. On parle de canal de bilan parce que le crédit n’est pas la seule forme de financement sensible à la variation de la structure du bilan. Le développement de la micro-économie de l’asymétrie d’information a ainsi réactualisé l’approche de Fisher qui affirmait l’existence d’une relation déterminante entre les fluctuations conjoncturelles et la richesse nette des emprunteurs.

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Le concept d’accélérateur financier, défini par Bernanke et Gertler en 1989, est fondamental. Ces auteurs considèrent que le coût d’agence (défini comme le coût du contrôle exercé par le créancier sur le débiteur afin de pallier l’asymétrie d’information) est une fonction décroissante de la richesse de l’emprunteur (plus l’emprunteur est riche, plus ses collatéraux sont importants). Ainsi, lorsque le revenu augmente, le coût d’agence diminue, ce qui entraîne une baisse du coût du financement qui favorise l’investissement. Ce phénomène génère des fluctuations de l’activité économique réelle. Leur modèle décrit le mécanisme de propagation de la manière suivante : un choc positif sur le montant des richesses (comme un choc technologique ou l’inflation) entraîne une augmentation de l’investissement. L’expansion du capital permet une hausse de la productivité marginale du travail. Les salaires augmentent, l’épargne s’accroît, la valeur des collatéraux s’élève et le coût d’agence diminue davantage. Le modèle est présenté en détail dans l’encadré suivant : Le nombre de projets d’investissement rentables dépend du coût de l’emprunt mais aussi du montant de l’autofinancement. Il existe une asymétrie d’information puisque les entrepreneurs ont la possibilité de dissimuler ex post les véritables revenus de leur production (la vraie quantité de capital produite). Ils peuvent déclarer un résultat faible ( 1κ ) alors qu’ils ont obtenu un résultat élevé ( 2κ ). Dans ce cas, ils obtiennent une rémunération (un dividende) plus faible ( 1c au lieu de 2c ) mais compensent cela en vendant pour leur propre compte le capital supplémentaire qu’ils ont obtenu (gain= ( )2 1q̂ κ κ− ). Il faut donc que le contrat financier établi les dissuade d’adopter ce comportement déviant. C’est le but de la contrainte (6) présentée dans l’encadré ci-dessous.

Encadré 10. Le modèle de Bernanke et Gertler (1989) Il existe deux générations imbriquées d’agents vivant deux périodes et qui ne travaillent que pendant la première. Il y a deux sortes d’agents : les «entrepreneurs » en proportion η et les prêteurs en proportion 1 η− . Les entrepreneurs ne consomment que dans leur deuxième période de vie et disposent d’une technologie de production de capital pendant leur première période de vie. Ils sont indexés par un paramètre ω uniformément distribué sur [ ]0,1 . Ce paramètre est un indicateur de leur efficacité dans la production de capital. Les entrepreneurs disposent chacun d’une dotation en travail eL qu’ils offrent de manière inélastique. Les « prêteurs » ont des préférences de la forme : (1) ( ) ( )0

1y

t tU Z E Zβ ++ où y

tZ et 0tZ sont respectivement leur consommation lorsqu’ils sont jeunes et vieux. Ils

offrent donc leur dotation en travail L de manière inélastique. La technologie de production du bien de consommation finale est à rendements constants et subit un choc de productivité aléatoire tθ%:

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(2) ( )t t ty f kθ= % Le salaire tw est fixe. Le bien peut être soit consommé, soit stocké selon une technologie de stockage dont le rendement par période est r. Il peut aussi être utilisé par les entrepreneurs pour produire du capital. La technologie de production du capital a les caractéristiques suivantes : pour un entrepreneur de type w , la production du capital coûte ( )x w unités de bien de consommation et génère ik unités de bien capital, i = 1, 2, …., n avec j kk k≥ pour j k> . ik est une variable aléatoire de probabilité iπ et d’espérance k . Les ik ne dépendent pas du type ( )ω de l’entrepreneur. L’épargne des entrepreneurs en activité, qui ne consomment pas, est : (3) e e

t tS w L= Les prêteurs doivent supporter un « coût de monitoring » égal à γ unités de bien capital par projet d’investissement pour vérifier l’exactitude des résultats qui leur sont communiqués. Ainsi, si ti est le nombre de projets d’investissement entrepris par chaque entrepreneur et th est la part des projets qui font l’objet d’un contrôle de la part des prêteurs, alors le stock de capital par tête de la période suivante sera : (4) 1 ( )t t tk h iκ γ+ = − Le contrat financier optimal est obtenu par application du « principe de révélation ». Les variables de contrôle du programme sont les probabilités d’audit conditionnelles aux états de la nature et les niveaux de consommation (dividendes) de l’entrepreneur-emprunteur. Dans le cas simple où les projets d’investissement ont deux résultats possibles 1k , 2k ce programme s’écrit : (5) ( )

1 21 1 2 2, , ,

max (1 )a

a

p c c cpc p c cπ π+ − +

s/c (6) ( ) ( ) [ ] ( )1 1 1 2 2 2ˆ ˆ ˆ1a eqk p c q p c qk c r x Sπ γ π⎡ ⎤− + − − + − ≥ −⎣ ⎦

(7) ( ) ( )( )2 2 1 1ˆ1c p q k k c≥ − − + (8) 1 0c ≥ , 0ac ≥ , 0 1p≤ ≤ où p est la probabilité d’absence de contrôle, et 1c , 2c et ac sont les consommations de l’emprunteur respectivement lorsqu’il déclare l’état 1 et l’état 2 et n’est pas contrôlé, lorsqu’il déclare l’état 1 et est contrôlé. D’après Brossard (1999) Parmi les nombreux travaux qui se sont inspirés de ce modèle, il convient de citer ceux de Fuerst (1995) et Carlstrom et Fuerst (1996) qui ont tenté de comparer les propriétés

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dynamiques des modèles du cycle économique réel et celles des modèles avec accélérateur financier. Fuerst (1995) modifie le modèle de Bernanke et Gertler en supposant que l’offre de travail des ménages est endogène. Par ailleurs, il suppose que le contrôle du résultat du projet d’investissement n’est pas aléatoire, de sorte que le contrat incitatif optimal est un contrat de dette risqué. Le coût d’agence s’interprète alors comme un coût de faillite. Il est toujours fonction décroissante de la richesse de l’emprunteur. Celle-ci a la même définition (épargne salariale) que dans le modèle de Bernanke et Gertler. Il montre que l’accélérateur financier allonge la durée des fluctuations mais n’accroît pas tellement leur amplitude par rapport à celle générée par un modèle du cycle économique réel standard. L’auteur émet l’hypothèse d’une contrainte de cash in advance sur la consommation des ménages et les dépenses salariales des firmes. Les ménages ne peuvent plus ajuster à souhait le montant de leurs dépôts en fonction des taux. Ainsi, la monnaie n’est plus neutre. Fuerst peut alors analyser l’impact d’un choc monétaire sur le cycle. Si les autorités monétaires distribuent de la monnaie au cours de la période, celle-ci ne peut être acquise immédiatement que par les firmes. Ceci leur permet de financer un niveau plus élevé d’emploi, de production et d’investissement puisque leur contrainte de liquidité préalable se relâche. Les prix baissent et les encaisses réelles des ménages s’accroissent, ce qui accroît la demande globale à tout niveau de prix. Fuerst compare à nouveau les dynamiques du modèle avec et sans coût d’agence : celui-ci amplifie les chocs monétaires et allonge leur durée. Carlstrom et Fuerst (1996) ont modifié le modèle précédent en supposant que les agents ont une durée de vie infinie afin de distinguer leur richesse de leur revenu courant. La richesse de l’emprunteur est désormais égale à son revenu plus son stock de capital accumulé sur plusieurs périodes. Les auteurs obtiennent ainsi des fonctions de réponse plus réalistes que dans les modèles d’accélérateur financier précédents où l’output réagissait trop brutalement aux chocs de productivité. Cette nouvelle définition de la richesse nette des entrepreneurs est plus acceptable mais elle reste malheureusement indépendante des charges financières entraînées par l’endettement. Ces modèles ont une portée limitée puisqu’ils sont dépourvus de dimension véritablement financière : la monnaie est soit ignorée, soit exogène, le coût du crédit et l’accumulation de la dette ne sont pas explicitement pris en compte, enfin, il n’existe pas d’actif financier. Kiyotaki et Moore remédient à cette lacune en élaborant un modèle dynamique dans lequel les fluctuations endogènes du prix de l’actif affectent la richesse des agents, leurs dépenses et la production.

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• Le modèle de Kiyotaki et Moore

Kiyotaki et Moore (1997) ont modélisé une boucle crédit-prix des actifs en situation d’aléa moral et d’asymétrie d’information. Leurs travaux s’inspirent de Bernanke, Gertler (1989) et Fuerst (1995) mais la richesse nette n’est plus assimilée à l’épargne salariale. Elle est égale à la valeur de marché du capital détenu par l’emprunteur, nette des charges liées à l’endettement. L’accélérateur financier ne repose donc plus sur le lien contestable et ambigu entre salaires et richesse des entrepreneurs. Ils estiment que le problème d’aléa moral ne se traduit pas par un coût d’agence mais par une contrainte de full collateralization. L’offre de crédit est une fonction décroissante de la valeur des collatéraux qui dépend positivement du prix des actifs. Ils estiment que la dynamique des prix des actifs est auto-entretenue car la demande des titres est une fonction croissante du crédit. La hausse du prix du capital provoque une augmentation de la richesse nette des emprunteurs qui conduit à un relâchement de la contrainte de crédit, lequel permet de demander plus de capital. Il s’agit d’un accélérateur financier par le prix des actifs. Le cycle s’inverse lorsque la dette enfle de manière trop importante. Il n’est donc plus nécessaire d’introduire des chocs sériellement corrélés pour obtenir des fluctuations significatives persistantes. Les simulations sont effectuées sous des hypothèses paramétriques qui permettent le retour à un équilibre stationnaire. Les auteurs excluent donc l’apparition de cycles divergents, sachant qu’ils émettent l’hypothèse que les anticipations sont rationnelles et qu’ils posent la condition de transversalité qui empêche l’apparition d’une bulle.

Encadré 11. Le modèle de Kiyotaki & Moore (1997) Seule la version la plus simple du modèle est présentée. Il existe un actif non dépréciable et non produit (la terre) qui sert à la production d’un bien périssable (les fruits). Deux types de producteurs de fruits existent, les « fermiers » et les « ramasseurs ». Les fermiers ont une technique à rendement d’échelle constant : ( ) ( )1 .t t ty F k a c k+ = = + , où y est la quantité de fruits produite, k est la quantité de terre utilisée, a est la part des fruits qui peut être vendue et c la part des fruits abîmés qui doivent être consommés par les fermiers. Cette hypothèse de fruits invendables est destinée à obliger les fermiers à consommer. La technique de production des fermiers a une autre spécificité : une fois qu’ils ont acquis du capital pour produire, ils ne peuvent être remplacés par d’autres travailleurs. S’ils décident de cesser le travail, la production doit s’arrêter à cause de la spécificité de leur qualification. C’est l’hypothèse d’inaliénabilité du capital humain proposée par Hart et Moore (1994). Du coup, comme les fermiers peuvent toujours tenter d’obtenir une renégociation avantageuse de leur dette en menaçant les créditeurs de cesser le travail, ce qui rendrait la valeur de la terre beaucoup plus faible, les créditeurs s’assurent que la valeur de la dette brute n’est jamais supérieure à la valeur de marché de la terre mise en collatéral. Ceci s’écrit : 1.t t tRb q k+≤ , où b

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est le montant de la dette accumulée par le fermier, Rb est le montant des charges financières et 1tq + est le prix anticipé de la terre. Les ramasseurs ne subissent pas de contrainte de crédit et ont une technologie à rendements d’échelle décroissants : ( )' '

1 , ' 0, '' 0t ty G k G G+ = > < Contrainte budgétaire des « fermiers » et des ramasseurs Pour les fermiers : ( ) ( )1 1 1 1.t t t t t t t tq k k Rb x ck a k b− − − −− + + − = + où le premier terme du membre de gauche désigne le coût des investissements en terre à la période t, le second représente les charges financières générées par le stock de dette hérité de la période précédente, le troisième la consommation additionnelle désirée en plus de la consommation contrainte, tandis que le membre de droite indique que ces dépenses sont financées par les ventes de fruits de la période précédente et les emprunts nouvellement contractés. A l’exception de l’absence de consommation automatique, la contrainte des ramasseurs est du même type : ( ) ( )1

' ' ' ' ' '1 1tt t t t t tq k k Rb x G k b

− − −− + + = + Optimum des « fermiers » Ils ne consomment que les fruits invendables : 1.t tx c k −= Ils empruntent le maximum possible compte tenu de la contrainte de rationnement soit :

(1) 1.t tt

q kbR+=

Leur capacité d’emprunt dépend donc du prix futur de la terre. Dynamique du Capital et de la dette On introduit l’équation (1) dans la contrainte budgétaire et on agrège pour obtenir :

(2) ( ) 1 11

1 . .t t t tt

t

K a q K R BqqR

− −+

= + −⎡ ⎤⎣ ⎦−

où les variables en majuscule représentent les valeurs agrégées des minuscules définies précédemment. On voit immédiatement que le capital accumulé en t est fonction croissante du prix futur et il est aisé de vérifier que :

( )/ 0t tK qδ δ > L’effet négatif habituel de l’augmentation du prix de la terre (premier terme du dénominateur) est compensé par l’accroissement immédiat de la valeur du collatéral.

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La dynamique de la dette est la version agrégée de l’équation (1) :

(1’) 1.t tt

q KBR

+=

Dynamique du prix du capital La dynamique du prix de la terre est donnée par l’équilibre de l’offre et de la demande de terre. Le coût de l’opportunité de la détention de la terre est 1.t tq R q +− . Comme les ramasseurs ne subissent pas de contrainte financière, ils demandent de la terre jusqu’au point où la productivité marginale de la terre est égale à ce coût d’opportunité. Leur demande est donc définie par l’équation : ( )'

1' .t t tG k q R q += − . En tenant compte du fait que la terre est une

ressource limitée en quantité K et que la demande totale agrégée de terre est '.t tK m k+ , l’équilibre du marché de la terre donne un lien entre le prix futur, le prix courant et la demande des fermiers :

(3) ( )11 1 1't t tq q G K KR R m+

⎡ ⎤− = −⎢ ⎥⎣ ⎦

Les auteurs imposent en outre l’absence de bulle spéculative par la condition de transversalité habituelle : ( ) 0lim s

t t ss

E R q−+

→∞

=

La dynamique de q, K et B est entièrement définie par les équations (1’), (2), et (3). La production agrégée croît avec celle du capital des fermiers parce que leur productivité marginale à l’équilibre est supérieure à celle des ramasseurs, à cause du rationnement du crédit. L’effet d’un choc technologique est ensuite étudié à partir du système linéarisé au voisinage de l’équilibre stationnaire. Dans le cas d’un choc non anticipé où la récolte des fermiers et des ramasseurs est multipliée par ( )1+V , l’impact instantané du choc est :

(4) 1q̂η

= V

(5) 1 1ˆ . 11 1/ 1t

RKRη η

⎛ ⎞= +⎜ ⎟+ −⎝ ⎠

V

Les variables surmontées d’un chapeau sont en écart à l’état stationnaire. Le choc entraîne une hausse du prix de la terre. Cette plus-value permet au fermier d’en acheter davantage à la période suivante. Cette accumulation perdure sur plusieurs périodes. D’après Brossard (1999) Il est difficile de tirer des leçons de politique monétaire à partir de cette approche micro-économique. Comme le souligne Reichlin (2001), une politique consistant à rechercher la stabilité des prix des actifs n’aurait aucun sens dans ce contexte où les trajectoires du prix sont pareto-optimales puisque le prix de la terre reflète toujours sa valeur fondamentale. La seule politique qui vaille dans le cadre de ce modèle consisterait à transférer des richesses des agents non contraints financièrement vers ceux qui le sont…

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Lorsque l’information est imparfaite et qu’il existe un coût d’agence, le théorème de la neutralité de Modigliani et Miller n’est plus valide. Cette approche est conforme aux études empiriques qui révèlent l’importance de la structure de financement des firmes sur les dépenses d’investissement (Fazzari, Hubbard, and Petersen, 1988 ; Gilchrist et Himmelberg, 1995 ; Hubbard, Kashyap and Whited, 1995). Dans cette optique, les problèmes de liquidité, les crises d’insolvabilité, l’effondrement du prix des actifs ou les faillites bancaires, ne sont plus seulement la conséquence du déclin de l’activité économique réelle, ils en sont aussi la cause. Ces théories peuvent expliquer l’amplification des fluctuations cycliques de l’économie à partir du milieu des années 1980. La libéralisation des marchés financiers a entraîné un déclin de l’intermédiation financière. Cela a renforcé l’asymétrie d’information et le mécanisme de l’accélérateur financier qu’elle génère. Les grandes entreprises, qui jouissaient d’une taille et d’une réputation leur permettant de lever des capitaux directement et à faibles coûts, se sont détournés des banques qui leur appliquaient une prime de risque relativement plus élevée qu’aux autres afin de mutualiser le risque. Colosiez et Djelassi (1993) déclarent : « On aurait alors curieusement une inversion de la causalité traditionnelle. Ce ne sont plus les dysfonctionnements des marchés financiers qui conduisent à l’émergence de l’intermédiation financière, mais une tarification insuffisamment individualisée qui nécessite le recours aux marchés financiers. » Ce phénomène a exacerbé la concurrence que les banques se livraient entre elles et avec les marchés financiers. Cela les a incité à favoriser des stratégies de court terme, en répondant notamment aux variations de l’offre par des variations de taux d’intérêt, au détriment de l’établissement de relations de long terme. Mayer (1990) constate que les relations de crédit sont très instables dans les pays anglo-saxons où les marchés financiers sont très développés. Les entreprises ont alors recours à une forte rétention des bénéfices pour pouvoir s’autofinancer. Rivaud-Danset (1991, 1993) remarque aussi qu’en France, les banques ont délaissé leurs relations de clientèle en constatant l’éloignement des grandes entreprises. Elles ont adopté des normes standardisées de distribution du crédit, s’appuyant sur des critères de classement qui privilégient les ratios conjoncturels de solvabilité et de liquidité. Hoshi, Kashyap et Scharfstein (1990) montrent que l’investissement des firmes japonaises qui se refinancent par émission directe de titres, est beaucoup plus sensible au niveau des liquidités courantes. Cette corrélation négative entre difficultés conjoncturelles et investissement de long terme était moindre lorsque les entreprises se finançaient essentiellement auprès d’une banque principale. Hoshi, Kashyap et Scharfstein (1991) révèlent qu’entre 1978 et 1985, les firmes japonaises qui appartenaient à des Keiretsu investissaient généralement davantage que les entreprises indépendantes, notamment dans les périodes de détresse financière. Ils révèlent que les sociétés qui entretiennent des relations stables et privilégiées avec une banque principale ont des performances économiques supérieures à celles qui n’en n’ont pas. De la même manière, Pozdena (1991) estime que pour lever le risque d’aléa moral, il est préférable que les banques détiennent des parts du capital de la firme.

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Face à la désintermédiation, les banques se sont orientées vers des emprunts de médiocres qualité. Selon Boyer (1992), la déréglementation conduit à la prédominance du court terme et à la déstabilisation durable des relations banques-industries. En bref, l’instauration d’une relation de long terme, relativement privilégiée, entre prêteurs et emprunteurs réduit l’asymétrie d’information, les coûts d’agence qui y sont liés et donc leur incidence sur les fluctuations économiques. Or il semble difficile de conserver ce type de relation dans un cadre excessivement concurrentiel. Ces modèles micro-fondés mettent en évidence les effets déstabilisateurs de l’imperfection des marchés financiers. Ils ont remis en cause le théorème de la neutralité de Modigliani et Miller en prenant en compte l’asymétrie d’information. Ils ont néanmoins une limite : ils sont basés sur une problématique impulsion/propagation générée par des chocs technologiques non anticipés qui débouchent sur une situation d’optimum de second rang où il n’existe pas de chômage involontaire. Selon eux, le fonctionnement intrinsèque des marchés financiers peut générer des fluctuations exclusivement convergentes et uniquement en cas de déplacement exogène de la courbe d’offre globale. Ces auteurs excluent donc la possibilité de cycles financiers endogènes. Pour en obtenir, il faudrait accepter l’idée que les variables financières puissent avoir un impact sur l’offre et la demande anticipée en situation de chômage involontaire. Il est difficile de prétendre que les cycles financiers obéissent à un processus d’amplification des chocs exogènes car cela semble contestable sur le plan empirique : en règle générale, l’effondrement du prix des actifs précède les retournements de la croissance et non l’inverse, comme le montre la crise américaine de 2000-2001. Les imperfections du marché du crédit donnent à la politique monétaire une influence notable. Il est donc opportun de les introduire dans un modèle en équilibre général.

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1.2.3. Equilibre général et accélérateur financier Greenwald et Stiglitz (1993a, 1993b) montrent dans le cadre d’un modèle en équilibre général, que l’introduction d’un coût de faillite dans la fonction de production des entreprises entraîne un ajustement de l’offre à la demande par les quantités plutôt que par les prix. Un choc négatif provoque à la fois un recul de la demande et de l’offre globale, si bien que les prix restent stables. Dans ce contexte où la monnaie est endogène, l’effet de richesse ne peut rétablir le plein-emploi ; au contraire, la flexibilité des salaires aggrave les effets récessifs des chocs. Une politique monétaire contra-cyclique est nécessaire pour assurer la convergence des fluctuations de l’activité. Bernanke, Gertler et Gilchrist (1998) ont introduit une prime de risque dans la fonction d’offre de crédit des banques qui dépend négativement de la richesse nette des emprunteurs. Ce mécanisme d’accélérateur financier amplifie les fluctuations engendrées par un choc. Leur modèle montre que lorsque la monnaie est endogène, la politique monétaire est efficace. Elle doit être légèrement contra-cyclique afin de limiter l’effet déstabilisateur de l’accélérateur financier.

1.2.3.1. Le modèle de Greenwald et Stiglitz Greenwald et Stiglitz (1993a, 1993b) montrent qu’en situation d’incertitude, lorsque les agents éprouvent une aversion pour le risque et que la monnaie est endogène, celle–ci n’est pas neutre, en dépit de la flexibilité des prix et des salaires. Les imperfections des marchés financiers engendrées par l’asymétrie d’information empêchent nombre d’entreprises d’accéder au marché boursier. Les firmes dépendantes du financement bancaire peuvent souffrir d’une contrainte de liquidité. Elles sont donc plus vulnérables à la faillite puisqu’elles ne peuvent parfaitement maîtriser l’évolution de la charge de leur dette par rapport à leurs cash flows. En toute logique, les auteurs supposent qu’elles éprouvent une aversion pour le risque. « The central role of information is to restrict a firm’s ability to raise equity funds in external capital markets. The empirical evidence suggests that firms simply do not resort to equity markets for raising working capital; overall, new equities issues represent a small fraction of capital raised by firms. (In recent years, net equity issues have actually been negative both in the United States and United Kingdom. There is good reason for this; new equity issues normally have a large negative effect on the value of outstanding shares. And these effects on market value have, in turn, been explained in terms of adverse selection, moral hazard, and signalling models (Greenwald, Stiglitz, Weiss, 1984; Myers et Majluf, 1984)”. (Opus cit, 1993b, p. 78) En cas de baisse de la demande, les entreprises prennent chaque décision à l’aune d’un arbitrage rentabilité-risque. Elles comparent notamment l’opportunité d’ajuster les quantités ou les prix en fonction de leur coût et de leur risque relatifs. Les auteurs estiment que le coût

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d’un ajustement par les prix est inférieur à celui induit par une modification des quantités produites. Néanmoins, un changement de prix génère bien plus d’incertitude qu’une variation de la production car ses conséquences dépendent de paramètres que la firme ne contrôle pas, comme la réaction de ses concurrents, de ses fournisseurs, de ses clients, etc. Or, une diminution des prix, même minime, peut avoir un effet important sur ses profits puisque ceux–ci sont résiduels. Etant donné que la dette est libellée en terme nominal, une réduction des prix et des profits peut considérablement affecter sa richesse nette et sa solvabilité. Cela augmente la probabilité de faillite et le coût marginal qui lui est associé. En cas de choc de demande négatif, les entreprises qui ont une aversion pour le risque préfèrent donc réduire les quantités qu’elles produisent plutôt que leurs prix car cela leur permet de limiter davantage le risque. Ainsi, lorsque le coût marginal de faillite augmente sous l’effet, soit d’une baisse des profits, soit d’une augmentation de l’incertitude, la courbe d’offre des entreprises se déplace vers la gauche. Leur fonction de production doit donc tenir compte de ce coût22. Une brusque modification de la structure relative des prix, provoquée par un choc d’offre négatif ou un choc de demande non anticipé, entraîne de larges effets de redistribution. Mais si la fonction de production augmentée du coût marginal de faillite est croissante et convexe, comme le supposent les auteurs, les gains des uns sont plus que compensés par les pertes des autres et la production globale diminue. Les auteurs estiment par conséquent que les effets de substitution peuvent contrebalancer l’effet de richesse qui est sensé rétablir le plein-emploi, via la flexibilité des prix. « Indeed, in most new keynesian models the mechanism by which wage and price flexibility would eventually restore the economy to full employment is the old real balance effect. (…) Quantitatively, it is surely an nth order effect; one calculation put it that, even at the fastest rate at which prices fell in the Great Depression, it would take more than two centuries to restore the economy to full employment. And in the short run even its sign is ambiguous, as intertemporal substitution effects may (depending on expectations) more than offset the wealth effects.23” Un choc de demande négatif s’accompagne donc toujours d’un recul de l’offre globale, si bien que l’indice des prix peut rester stable même en l’absence de friction empêchant son ajustement. La flexibilité des prix ne permet donc pas de restaurer l’équilibre de plein-emploi. Dans ce modèle, l’offre et la demande sont interdépendantes et « la dichotomie entre chocs sur la demande et chocs sur l’offre n’est au mieux que trompeuse » (1993b, p. 103) et cela d’autant plus qu’une baisse de l’offre implique généralement une diminution de l’investissement. La baisse des salaires ne permet pas non plus de résorber le chômage si les entreprises consacrent, ne serait-ce que partiellement, l’augmentation de leur marge au remboursement de la charge de leur dette, au lieu d’investir ou de distribuer des dividendes. Car en pareil cas, la demande globale diminue à nouveau sous l’effet d’une chute de la consommation et d’une contraction de l’offre de monnaie. La courbe de demande de travail des firmes se déplace donc également vers la gauche en cas de récession.

22 Dans Greenwald et Stiglitz (1993b), le coût marginal de faillite dépend de la production, des profits, des salaires, du taux d’intérêt et de l’incertitude pesant sur les prix relatifs. 23 Voir aussi Neary et Stiglitz (1982) et Grandmont (1983).

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L’aversion des banques pour le risque aggrave les chocs négatifs qui affectent l’économie. En effet, leur richesse nette se contracte sous l’effet d’une augmentation des défauts des entreprises. Leur aversion pour le risque augmente et elles restreignent l’offre de crédit tout en achetant davantage d’actifs sans risque. Le taux d’intérêt s’élève, ce qui dissuade l’investissement. Dans ce contexte, la monnaie n’est pas neutre. Un changement non anticipé de l’offre de monnaie conduit à une modification non anticipée de la structure relative des prix et du volume réel de la dette, qui génère la dynamique décrite ci-dessous. Selon toute vraisemblance, la flexibilité des prix aggrave la crise puisqu’elle accroît l’incertitude et le risque de faillite. Greenwald et Stiglitz se démarquent donc radicalement du courant néo-keynésien qui explique l’absence de neutralité de la monnaie en faisant référence à la rigidité des prix et des salaires. « There is a presumption that as long as risk markets are incomplete and firms and individuals are risk averse, and debt is imperfectly indexed, then an expansion of the money (credit) supply will have real effects (…) In short, money (credit) matters, but not just because of nominal rigidities. In fact, our theory can be seen as a particular kind of menu cost theory – a theory which emphasizes the riskiness of adjusting prices, rather than the actual adjustment costs. But while our theory does provide a theory of price stickiness, it argues that price stickiness is only one element, and not the most important one, in understanding macroeconomic phenomena. And nothing that we have said would be substantially altered if, in addition to the risk costs which we have emphasized, fixed costs of price adjustment were significant. Another major distinction between the two strands of new Keynesian literature is whether nominal or real price rigidities are emphasized. One strand uses nominal rigidities as an important step in explaining why money matters. But in the alternative theory, based on the risk adverse theory of the firm with incomplete contracting and indexing, money matters more as prices become more flexible.” (1993a, p. 38) Afin de mieux mesurer l’impact de la contrainte de financement des firmes sur le marché boursier, les auteurs (1993b) ont cherché à l’isoler de la traditionnelle question du rationnement du crédit, en supposant que les entreprises ne peuvent pas émettre de nouvelles actions et que le marché du crédit est parfait. Le modèle de Bernanke, Gertler et Gilchrist remédie à cette lacune, puisque les investisseurs doivent supporter à la fois un coût d’audit, qui peut être assimilé à un coût de faillite, plus une prime de risque. De plus, les entreprises peuvent être rationnées par les banques. Mais alors que Greenwald et Stiglitz ont analysé la dynamique de leur modèle en supposant d’abord que le chômage est volontaire puis involontaire, Bernanke, Gertler et Gilchrist n’ont envisagé que le premier cas de figure. Ce postulat peut paraître surprenant, puisque d’un point de vue théorique, les travaux de Greenwald et Stiglitz montrent qu’a priori, lorsque la monnaie est endogène et qu’il existe une asymétrie d’information, la flexibilité des prix et des salaires ne parvient théoriquement pas à restaurer mécaniquement le plein-emploi.

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1.2.3.2. Le modèle de Bernanke, Gertler et Gilchrist En 1998, Bernanke, Gertler et Gilchrist ont introduit un effet d’accélérateur financier dans un modèle d’équilibre général néo-keynésien, caractérisé par l’existence d’une compétition monopolistique et une relative rigidité des prix nominaux. (Dans le cas extrême d’une parfaite flexibilité des prix, les simulations sont proches de celles obtenues à partir d’un modèle de cycle d’affaire réel). Ils ont emprunté à Carlstrom et Fuerst (1996) l’idée de l’existence d’un contrat optimal entre prêteurs et emprunteurs. La prime de risque est une fonction négative de la richesse nette des emprunteurs car lorsque celle-ci baisse, le coût d’agence des prêteurs augmente. Etant donné que les profits et le prix des actifs sont pro-cycliques, la prime de risque diminue en phase ascendante du cycle. Les imperfections du marché du crédit amplifient donc les chocs réels et nominaux qui affectent l’économie. Ils montrent qu’une politique monétaire contra-cyclique est nécessaire pour résorber l’instabilité de l’activité car en lissant les fluctuations de la production, la politique monétaire limite les effets de l’accélérateur financier. Néanmoins, la réaction de la Banque centrale ne doit pas être trop brutale. “Obviously, the greater the extent to which monetary policy is able to stabilize output, the smaller is the role of the financial accelerator to amplify and propagate business cycles, as would be true for any kind of propagation mechanism. With the financial accelerator mechanism present, however, smaller countercyclical movements in interest rates are required to dampen output fluctuations.” (1998, pp. 28-29) Pour simplifier leur modèle et obtenir une demande conditionnelle de capital qui soit une fonction linéaire de la richesse nette des entrepreneurs, les auteurs supposent que ceux-ci produisent leurs biens sur un marché parfaitement concurrentiel. Pour introduire néanmoins une relative rigidité des prix, ils supposent que la production est distribuée par des détaillants qui disposent chacun d’un relatif pouvoir de monopole. Outre l’Etat, il existe donc quatre types d’agents : les ménages, les entrepreneurs, les intermédiaires financiers et les détaillants. Les ménages travaillent, consomment et épargnent. Ils détiennent à la fois de la monnaie et des actifs financiers rémunérés. Leur horizon est illimité. Ils arbitrent entre la consommation, leurs encaisses monétaires et le loisir. Les entrepreneurs ont une probabilité 1 γ− de survivre à la période suivante. Le taux de création d’entreprise est fixé de manière à ce que le nombre d’entrepreneurs reste constant. A chaque période, les entrepreneurs acquièrent du capital. Ceux qui font faillite liquident le capital accumulé préalablement. Les actifs physiques sont financés soit avec les fonds propres, soit par emprunt. La richesse nette des entreprises provient de deux sources : le profit (y compris les gains en capital) et les revenus du travail des entrepreneurs (les auteurs supposent qu’ils perçoivent chacun une rémunération équivalente à celle des salariés). La richesse nette des firmes joue un grand rôle dans la dynamique du modèle puisqu’elle détermine le coût de leur refinancement externe. Plus elle est importante et moins la prime de risque est élevée car l’augmentation de la valeur des collatéraux réduit le coût d’agence implicite. Le contrat financier d’une durée d’une année, établi entre les entrepreneurs et les prêteurs, minimise le coût d’agence. La richesse nette des emprunteurs propage et amplifie les chocs exogènes qui affectent le système.

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• Besoin de financement et rationnement du crédit : L’entreprise j achète en t du capital utilisé en t+1, à un coût Q. Les sommes empruntées 1

jtB +

par l’entreprise sont égales à la différence entre la valeur de marché du capital acheté 1j

t tQ K + et les ressources nettes des firmes 1

jtN + (N peut être considéré comme la valeur de marché des

fonds propres).

1 1 1j j j

t t t tB Q K N+ + += − (1.12) Les entrepreneurs empruntent auprès des intermédiaires financiers. Ceux-ci doivent vérifier le rendement effectif des investissements financés par emprunt. En conséquence, ils doivent supporter un « coût d’audit » (il peut être assimilé à un coût de faillite). S’inspirant de Townsend (1979), ils estiment que ce coût est égal à une proportion μ du rendement du capital 1 1

j k jt t tR Q Kμω + + où jω est un choc idiosyncrasique, sachant que :

{ } 1jE ω = et ( )( )

0hω ωω

∂>

∂ avec ( ) ( )

( )1dF

hF

ωω

ω=

Le taux de l’emprunt est déterminé en fonction d’un seuil de choc de manière à ce que : 1 1 1 1

j k j j jt t t t tR Q K Z Bω + + + += (1.13)

Si le choc qui affecte l’entreprise est plus grave que le seuil estimé par l’intermédiaire financier, j jω ω> , la firme fait faillite et l’intermédiaire financier perçoit le montant de la liquidation de son actif, diminué du coût d’audit : ( ) 1 11 k

t t tR Q Kμ ω + +− Sachant que le coût d’opportunité d’un prêt est équivalent au taux de l’actif sans risque, le contrat optimal d’emprunt revêt la forme :

( ) ( )1 1 1 1 1 10

1 1 ( )j

j j j kt t t t t t tF Z B R Q K dF R B

ω

ω μ ω ω+ + + + + +⎡ ⎤− + − =⎣ ⎦ ∫ (1.14)

L’expression suivante peut être considérée comme une prime de risque.

( ) 1 1 10

1 ( ) /j

kt t t tR Q K dF B

ω

μ ω ω+ + +

⎛ ⎞−⎜ ⎟⎜ ⎟

⎝ ⎠∫

En combinant les équations (1.12) et (1.13) avec (1.14) :

( ) ( ) ( )1 1 1 10

1 1 ( )j

j j k j j jt t t t t t tF dF R Q K R Q K N

ω

ω ω μ ω ω + + + +

⎧ ⎫⎪ ⎪⎡ ⎤− + − = −⎨ ⎬⎣ ⎦⎪ ⎪⎩ ⎭∫ (1.15)

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Gaël Callonnec – « Politique monétaire et bulle spéculative » - Thèse IEP Paris - 2005 103

Si le coût d’opportunité du prêteur est élevé au point qu’il n’existe pas de valeur de jω susceptible de générer les profits exigés, alors l’entrepreneur est « rationné » sur le marché du crédit. Le taux du crédit évolue de manière pro-cyclique puisqu’il augmente lorsque la rentabilité effective est inférieure à la rentabilité attendue. La prime de risque et la probabilité de défaut augmentent lorsque le rendement du capital est plus faible que prévu. A l’inverse, étant donné que ( )1 1

j jt t t tB Q K N+ += − , la prime de risque diminue avec les

ressources nettes de l’emprunteur N.

• Ressources nettes et demande de capital Le rendement attendu de l’entrepreneur est égal à :

( )1 1 1 10

( ) 1j

k j j j k jt t t t t tE R Q K dF F R Q K

ω

ω ω ω ω+ + + +

⎧ ⎫⎪ ⎪⎡ ⎤− −⎨ ⎬⎣ ⎦⎪ ⎪⎩ ⎭∫ (1.16)

En combinant cette expression avec l’équation (1.15), on obtient :

{ } ( )1 1 1 1 1 10

1 ( )j

rk k j j jt t t t t t t tE dF U E R Q K R Q K N

ω

μ ω ω + + + + + +

⎧ ⎫⎡ ⎤⎪ ⎪− − −⎢ ⎥⎨ ⎬⎢ ⎥⎪ ⎪⎣ ⎦⎩ ⎭

∫ (1.17)

où { }

11

1

krk tt k

t

RUE R

++

+

=

L’entrepreneur doit maximiser les rendements attendus (équation (1.17)) compte tenu de la contrainte exprimée par l’équation (1.15). A l’équilibre, les auteurs montrent que les dépenses en capital de chaque firme sont proportionnelles à leurs ressources nettes. Cette proportion augmente avec la rentabilité attendue actualisée du capital.

1 1( )j jt t t tQ K s Nψ+ += avec ( )1 1ψ = , ( )' . 0ψ > (1.18)

avec { }1 1/k

t t ts E R R+ +≡ ,

Toutes choses égales par ailleurs, lorsque la rentabilité attendue actualisée du capital augmente, la probabilité de faillite diminue. L’entrepreneur peut alors s’endetter davantage et développer son activité. Le ratio s diminue en conséquence jusqu’à ce que la rentabilité du capital soit égale au coût marginal des ressources externes. Les auteurs supposent que la fonction de production a la forme d’une Cobb Douglas :

1t t t tY A K Lα α−= (1.19)

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Gaël Callonnec – « Politique monétaire et bulle spéculative » - Thèse IEP Paris - 2005 104

Le facteur travail L est composé du travail des entrepreneurs (dont la part est minime) et des ménages ( )1e

t t tL H H−ΩΩ= . Les courbes de demande de travail sont données en posant

l’égalité entre la productivité marginale et les salaires pour chaque catégorie d’agents :

( ) ( )1 /t t t tY H X Wα− Ω = et ( )( )( )1 1 / e et t t tY H X Wα− − Ω =

Sachant que I désigne l’investissement, le stock de capital en t+1 est égal à :

( )1 1tt t t

t

IK K KK

φ δ+

⎛ ⎞= + −⎜ ⎟

⎝ ⎠

δ = taux de dépréciation du capital. Où ( ).φ est croissante et concave. Les auteurs supposent qu’il existe un coût d’ajustement marginal croissant du capital de manière à ce que le coût du capital soit variable. S’inspirant de Kiyotaki et Moore (1997), ils supposent que la variation du prix des actifs accroît la volatilité des ressources nettes. Compte tenu du coût d’ajustement, le prix d’une unité de capital est donné par :

1

' tt

t

IQK

φ−

⎡ ⎤⎛ ⎞= ⎢ ⎥⎜ ⎟

⎝ ⎠⎣ ⎦ (1.20)

En supposant que les entrepreneurs vendent leurs biens aux détaillants et que ceux-ci prélèvent une marge brute tX sur la valeur des produits distribués aux ménages, alors la fonction de production implique que la rente dégagée par une unité de capital en t+1 soit

approximativement égale à 1

1 1

1 t

t t

YX K

α +

+ +

. La rentabilité brute attendue d’une unité de capital est

alors égale à :

{ } ( )( ) ( )1 1 1 11

1/ / 1t t tkt

t

X Y K QE R E

Qα δ+ + + +

+

+ −⎧ ⎫= ⎨ ⎬

⎩ ⎭ (1.21)

En substituant les équations (1.19) et (1.20) dans (1.21), on obtient une demande conditionnelle de capital conventionnelle. Les rendements sont décroissants. En agrégeant l’équation (1.18) on obtient par inversion :

{ } 11 1

1

k tt t

t t

NE R s RQ K

++ +

+

⎛ ⎞= ⎜ ⎟

⎝ ⎠

Sachant qu’à l’équilibre, la rentabilité du capital est égale au coût marginal de la finance externe, la fonction s(.) désigne le ratio du coût de la finance externe sur la finance interne, il diminue avec le rapport 1 1/t t tN Q K+ +

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Gaël Callonnec – « Politique monétaire et bulle spéculative » - Thèse IEP Paris - 2005 105

Les ressources nettes des entrepreneurs dépendent de leur rémunération etW et de leurs actifs

tVγ : 1

et t tN V Wγ+ = +

Les entrepreneurs qui ont fait faillite consomment leurs actifs résiduels ( )1 tVγ− . Ainsi,

( )1et tC Vγ= −

où ( )1

01 1 1

1 1

( )j

kt t t

kt t t t t t t t

t t t

R Q K dFV R Q K R Q K N

Q K N

ω

μ ω ω−

− − −− −

⎛ ⎞⎜ ⎟⎜ ⎟= − + −⎜ ⎟−⎜ ⎟⎜ ⎟⎝ ⎠

La valeur de l’actif est égale aux profits bruts moins les charges financières. Le ratio du coût de faillite sur les sommes empruntées représente la prime de risque. Les fluctuations des ressources nettes sont essentiellement liées aux variations du prix des actifs qui dépendent des variations non anticipées à la fois de la rentabilité et du coût de faillite. Les auteurs montrent qu’un changement ex post de la rentabilité du capital d’1 % provoque une modification de la valeur des actifs équivalente au ratio des rendements attendus sur la valeur anticipée des actifs. Or ce ratio excède l’unité lorsque les entrepreneurs sont endettés. La modification du prix des actifs a donc un effet significatif sur la position financière des firmes. Il existe un effet multiplicateur car une hausse non anticipée du prix des actifs entraîne une augmentation des ressources nettes plus que proportionnelle, ce qui stimule l’investissement et la croissance qui en retour soutient le prix des actifs. Le reste du modèle est présenté en détail en annexe n°2. Les auteurs ont testé plusieurs variantes de leur modèle : dans l’une d’elle, l’investissement est planifié avec quelques périodes d’avance, de manière à ce qu’il réagisse avec retard aux chocs qui affectent l’économie (ils estiment que cela est conforme aux données stylisées). Puis ils introduisent deux secteurs productifs, l’un a un accès plus limité que l’autre au crédit. Les auteurs ont testé plusieurs types de choc, un choc de politique monétaire, un choc technologique, un choc de demande (augmentation des dépenses de l’Etat) et une redistribution non anticipée de ressources nettes entre les ménages et les entrepreneurs. Ils simulent leur modèle à chaque fois en supposant d’abord que la prime de risque est fixe puis ensuite, ils simulent à nouveau le scénario en laissant jouer le mécanisme d’accélérateur financier afin de mesurer ses propres effets. Ils montrent qu’une réduction non anticipée des taux de 25 points de base entraîne une forte variation des variables réelles. Les fluctuations de la production augmentent de 50 % lorsque la prime de risque n’est pas fixe et celles de l’investissement sont multipliées par deux. La persistance des effets réels du choc transitoire est plus importante lorsque le mécanisme d’accélérateur financier est important. La baisse des taux stimule la demande de capital et augmente l’investissement ce qui provoque une hausse du prix du capital. En conséquence, la valeur de la ressource nette monte, ce qui entraîne une diminution de la prime de risque, qui à son tour stimule l’investissement.

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Gaël Callonnec – « Politique monétaire et bulle spéculative » - Thèse IEP Paris - 2005 106

Les auteurs soulignent que cela génère une augmentation persistante de la production bien qu’il n’y ait pas d’élasticité d’offre du travail inhabituellement élevée car les mouvements de la prime de risque lissent la courbe de coût marginal. L’accélérateur financier amplifie les effets des chocs technologiques et des chocs de demande dans les mêmes proportions. Le mécanisme de propagation est le même. Un choc positif sur les ressources nettes des entrepreneurs n’a pas d’effet particulier lorsque la prime de risque est fixe. Par contre, ils génèrent des fluctuations significatives lorsque l’accélérateur financier est mis en œuvre. Ainsi, de faibles transferts de ressources nettes peuvent être une importante source de fluctuations cycliques, comme le supposait Fisher (1933).

Encadré 12. Le modèle de Bernanke, Gertler, Gilchrist (1998)

Les lettres en majuscule représentent la valeur des variables à l’état stationnaire. Les lettres en minuscule désignent les variations en pourcentage des variables par rapport à l’état stationnaire. Le symbole φ désigne des termes de seconde importance. Le modèle est log-linéarisé : Demande agrégée

...e

e yt t t t t

C I G Cy c i g cY Y Y Y

φ= + + +

Y=revenu national, C consommation des ménages, I investissement, G dépenses gouvernementales, eC consommation des entrepreneurs. La consommation des ménages obéit à la relation d’Euler.

{ }1 1t t tc r E c+ += − + avec R taux d’intérêt de l’actif non risqué.

1 ...e cet t tc n φ+= + avec N les ressources nettes des entrepreneurs.

En l’absence de friction sur le marché du capital, les entreprises investissent jusqu’à ce que la rentabilité du capital soit égale au taux d’actualisation. { }1 1

kt t tE r r+ +− = 0 néanmoins, le coût

des ressources externes dépend du ratio des ressources nettes des entrepreneurs sur la valeur brute du capital ( )1 1t t tn q k+ +− +⎡ ⎤⎣ ⎦ . Une augmentation de ce ratio entraîne une hausse de l’investissement.

{ } ( )1 1 1 1k

t t t t t tE r r n q kυ+ + + +− = − − +⎡ ⎤⎣ ⎦ avec kR la rentabilité du capital, Q le coût

d’ajustement du capital et K le stock de capital. ( )( )1 1 1 1 11k

t t t t t tr e y k x eq q+ + + + += − − − + − avec X la marge brute prélevée par les distributeurs.

( )t t tq i kϕ= −

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Gaël Callonnec – « Politique monétaire et bulle spéculative » - Thèse IEP Paris - 2005 107

Offre agrégée L’équation ci-dessous est la version linéarisée d’une fonction de production Cobb Douglas.

( )1t t t ty a k hα α= + + − Ω avec H l’offre de travail des ménages.

L’équation ci-dessous représente l’équilibre sur le marché du travail : l’expression à gauche représente la productivité marginale du travail pondérée par l’utilité marginale de la consommation (les ménages font un arbitrage inter-temporel entre les loisirs, la consommation et leurs encaisses monétaires).

1t t t t ty h x c hη−− − − =

L’équation ci-dessous est celle de l’inflation. Etant donné que le mark up varie à l’inverse de la demande, cette fonction ressemble à une courbe de Phillips. La sensibilité de l’inflation à la demande dépend du degré d’inertie des prix.

( ) { }1t t t tk x Eπ β π += − + avec π le taux d’inflation. Evolution des variables en stock

( )1 1t t tk i kδ δ+ = + − L’évolution des ressources nettes dépend de l’évolution de la rentabilité nette du capital et de l’évolution de la valeur des ressources nettes antérieures.

( )1 ...k nt t t t t t

RKn r r r nN

γ φ+ = − + + +

Politique monétaire et chocs La politique monétaire réagit avec retard à l’inflation constatée à la période précédente :

1 1

n n rnt t t tr rρ ςπ ε− −= + + avec nR le taux d’intérêt nominal.

1g

t g t tg gρ ε−= +

1a

t a t ta aρ ε−= +

avec ( ) 1

0

log /t

y k

t t t t

DKdF R Q K DK

Y

ϖ

φ μ ω ω−

=⎡ ⎛ ⎞⎤

⎜ ⎟⎢ ⎥⎣ ⎝ ⎠⎦

∫ ; ( )0

kD dF Rω

μ ω ω≡ ∫ ;

1

1

log 1 / 1e e

ce tt

t

C C

N Nφ +

+

= − −⎛⎛ ⎞ ⎞⎛ ⎞⎜⎜ ⎟ ⎟⎜ ⎟

⎝ ⎠⎝⎝ ⎠ ⎠ ;

( ) ( ) ( )( )1

/ 1 1 1k

n k

t t t t t

R R K Yr q k y

N N

αφ

− − − Ω≡ + + + ;

( ) ( )/ / ' /k kR R R Rν ψ ψ≡ ; ( ) ( )[ ]1 / 1 /e Y Kδ δ α≡ − − + ; ( )( ) ( )( )1 1/ '/ / ''I K I Kϕ − −≡ Φ Φ ;

( )11k

θθβ

θ

−≡ −⎛ ⎞

⎜ ⎟⎝ ⎠

Plus la politique monétaire stabilise les fluctuations de la production, moins l’effet d’accélérateur financier amplifie les chocs, quel que soit leur nature. Cependant, la réaction contra-cyclique des taux doit être plus faible lorsque le mécanisme d’accélérateur financier est important.

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Gaël Callonnec – « Politique monétaire et bulle spéculative » - Thèse IEP Paris - 2005 108

Conclusion de la première partie L’introduction d’un mécanisme d’accélérateur financier dans un modèle en équilibre général, où l’ajustement par les quantités n’est pas exclu a priori, révèle l’absence de neutralité de la monnaie. En prenant en compte l’asymétrie d’information et le caractère endogène de l’offre de crédit, les néo-keynésiens démentent catégoriquement les préceptes monétaristes et nouveaux classiques. En effet, Greenwald et Stiglitz (1993a, 1993b) montrent que dans ces circonstances, la flexibilité des prix et des salaires est incapable d’assurer un retour automatique au plein-emploi. Au contraire, une baisse des salaires nominaux et/ou une déflation auraient tendance à aggraver l’ampleur de la récession car, lorsque la monnaie est endogène, la chute de l’offre de crédit qui se produit en période récessive, lamine l’effet de richesse induit par la baisse des prix, tandis qu’elle amplifie l’effet Mundell en gonflant le volume réel de la dette. Par conséquent, l’investissement diminue et les capacités de production des entreprises s’érodent. Ainsi, la courbe de demande globale et la courbe d’offre se déplacent vers la gauche, sous l’effet de la contraction de la masse monétaire induite par le désendettement des firmes. Leur modèle valide ainsi les thèses post-keynésiennes : lorsque les ajustements s’opèrent par les quantités plutôt que par les prix, la flexibilité de ces derniers est déstabilisatrice. Au lieu d’encourager les créations d’emplois et l’investissement, la réduction des salaires entraîne un effondrement de la consommation qui aggrave un peu plus la chute de la demande. Dans ces circonstances, il n’est plus possible de supposer que le chômage est volontaire. Les auteurs soulignent ainsi la pertinence et même la nécessité de procéder à un arbitrage entre inflation et chômage. De ce point de vue, on peut regretter que Bernanke, Gertler et Gilchrist (1998) aient choisi de déterminer l’offre de travail en fonction d’un arbitrage consommation-loisir. Cette spécification peut paraître incohérente avec l’absence de neutralité de la monnaie. En effet, selon Jean Baptiste Say, le chômage est volontaire si et seulement si la monnaie est un voile, de sorte que l’offre puisse déterminer la demande. Cette condition est assurée lorsque les taux d’intérêt équilibrent l’épargne et l’investissement. Or, lorsque l’offre de crédit est endogène, les taux équilibrent l’offre et la demande de monnaie. Il n’y a plus d’égalité systématique entre l’offre et la demande notionnelles de biens et services. L’équilibre entre épargne et investissement s’opère via une variation du revenu national et/ou des stocks. Les producteurs ne sont donc plus assurés d’écouler la totalité de leur production au prix du marché. En pareil cas, ils déterminent le volume des quantités produites en fonction de la demande effective et rien ne les pousse à utiliser la totalité des facteurs de production. Lorsque les variations anticipées de la monnaie ne sont pas neutres, il est donc plutôt consternant de supposer que le chômage puisse être désiré, car dans le monde dépeint par Greenwald et Stiglitz, l’économie ne peut tendre spontanément vers le plein-emploi, ni s’y maintenir, sans régulation étatique. En effet, il est impossible de prétendre que la courbe d’offre globale soit verticale et rigide à long terme, lorsqu’elle est influencée par les variables financières. A cet égard, l’absence d’incidence directe de la prime de risque sur le coût du capital est aussi dommageable. Ce choix, dénué de justification micro-économique, amoindrit l’impact du canal du bilan sur l’offre globale (cela dit, il est cohérent avec l’hypothèse d’un chômage volontaire). Néanmoins le modèle de Bernanke, Gertler et Gilchrist souligne également la nécessité de mener une politique monétaire contra-cyclique, lorsque la concurrence est imparfaite.

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Gaël Callonnec – « Politique monétaire et bulle spéculative » - Thèse IEP Paris - 2005 109

Etant donné que les prix évoluent de manière pro-cyclique, il s’avère judicieux de juguler leurs variations en introduisant une cible d’inflation dans la fonction de réaction de la Banque centrale. La lutte contre l’inflation est donc nécessaire pour limiter l’effet déstabilisateur de l’accélérateur financier sur la dynamique de l’économie. Ce point de vue fait aujourd’hui l’objet d’un large consensus entre les économistes. Or cette approche invalide radicalement l’idée selon laquelle les autorités monétaires devraient lutter contre l’inflation sous le seul prétexte que des variations exogènes non anticipées de la masse monétaire seraient à l’origine des fluctuations réelles de l’activité, supposées préjudiciables à l’utilité des agents. De ce point de vue, l’aversion unanimement éprouvée à l’égard de la spirale « crédit–prix des actifs » sanctionne le déclin de l’école des nouveaux classiques. En effet, lorsque la monnaie est endogène, que les variables financières influencent l’offre globale, que la demande effective détermine l’offre et que le chômage est involontaire, la thèse de l’effet de surprise monétaire peut paraître tout à fait saugrenue. La théorie de l’accélérateur financier et les théories de Lucas sont donc inconciliables. A cet égard, il est surprenant d’entendre certains auteurs, comme Anna Schwartz (2000), mélanger ces deux approches car elles s’opposent irrémédiablement aussi bien sur le plan théorique, qu’au niveau pratique, puisqu’elles n’impliquent pas la même aversion pour l’inflation. En effet, si l’on admet que le chômage est involontaire, on ne peut pas considérer que les pressions inflationnistes sont préjudiciables à l’utilité des agents, puisqu’elles résultent d’une expansion de la masse monétaire qui génère une augmentation de l’emploi et de la production en volume. Dès lors, il est impossible d’affirmer – à l’instar de Kydland et Prescott (1977) - qu’un taux d’inflation nul est préférable à tout autre cas de figure. Si l’on conçoit que la politique monétaire est efficace et que l’augmentation de l’offre de crédit a une vertu expansive, comme l’attestent les modèles d’accélérateur financier, la recherche d’une stricte stabilité des prix serait néfaste. Il serait préférable de favoriser une relative stabilité de l’inflation, dans des bornes conçues pour assurer la permanence du plein-emploi et la stabilité financière. Dès lors, il convient de déterminer quelle devrait être la cible optimale de l’inflation et quel devrait être le degré de réaction des taux à l’accélération des prix. La recrudescence des crises financières en régime de faible inflation a curieusement incité certains économistes à préconiser un renforcement de la lutte contre les pressions inflationnistes anticipées, sous prétexte que les autorités monétaires seraient confrontées à un « paradoxe de la crédibilité ». D’autres se sont même interrogés sur l’opportunité d’introduire une cible du prix des actifs dans la fonction de réaction des banques centrales. Cette approche paraît singulièrement contradictoire avec « l’hypothèse de l’instabilité financière » de Minsky (1975, 1982).

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Gaël Callonnec – « Politique monétaire et bulle spéculative » - Thèse IEP Paris - 2005 110

2. La crédibilité de la politique monétaire à l’épreuve de l’instabilité

Section d'équation (suivante) Les théories des nouveaux classiques ont fortement incité les banques centrales à réduire les pressions inflationnistes si bien que la hausse des prix a décru régulièrement et constamment dans les pays riches depuis le début des années 1980. En 1998, le taux d’inflation moyen dans l’OCDE était de 3,3 % alors qu’il était de 10,5 % en 1981. Vingt quatre pays sur vingt neuf ont actuellement un taux d’inflation inférieur à 5 % alors qu’ils n’étaient que deux en 1981. Les banques centrales ont donc réussi à gagner une crédibilité à toute épreuve en matière de lutte contre l’inflation. Pourtant, les crises financières se sont multipliées au cours de cette période. Ce constat, qui fait l’objet d’une relative unanimité, remet en cause le principe de Schwartz qui postule la coïncidence entre la stabilité des prix et la stabilité financière. Certains économistes ont évoqué l’existence d’un « paradoxe de la crédibilité » (2.1) pour expliquer ce phénomène inattendu (Goodfriend, 2001 ; Borio et Lowe, 2002). Ils considèrent que lorsque les anticipations inflationnistes sont faibles et bien ancrées, il existerait une convention implicite de modération salariale qui retarderait l’apparition des pressions inflationnistes en période d’accélération de la croissance. En se focalisant uniquement sur le taux d’inflation effectif, les autorités monétaires auraient donc tendance à sous-estimer l’output gap. Le retard et/ou la lenteur de la hausse des taux d’intérêt réels favoriseraient l’émergence d’une bulle spéculative financée à crédit, qui alimenterait une forme de surchauffe de l’activité, via l’accélérateur financier. Ils imputent donc la recrudescence des crises financières au manque d’agressivité des politiques monétaires. De nombreux économistes se sont donc demandé s’il serait pertinent que la Banque centrale réagisse à l’évolution du prix des actions. La quasi-totalité d’entre eux juge inopportun d’introduire une cible du prix des actifs dans la fonction de réaction des autorités monétaires. Pourtant, la question a fait l’objet d’une vive controverse entre les partisans d’une réaction au cas par cas et ses opposants. Ces divergences peuvent paraître accessoires, sachant qu’ils recommandent de manière unanime une politique monétaire plus restrictive. Paradoxalement, aucun économiste ne s’est explicitement demandé si la disparition des pressions inflationnistes était à l’origine de l’instabilité financière, comme si la question était dénuée de vraisemblance théorique. Pourtant, « l’hypothèse de l’instabilité financière » de Minsky (1975, 1982) apporte une explication alternative à la théorie du « paradoxe de la crédibilité » qui conduit à des recommandations de politique monétaire radicalement opposées (2.2). Minsky estime que l’augmentation du coût du capital en phase ascendante du cycle peut conduire les agents à augmenter la part des investissements financiers par rapport aux investissements productifs. La spéculation à crédit provoque une hausse des cours et une augmentation du ratio des charges financières sur les cash flows qui incite les entreprises à émettre davantage d’obligations. Par conséquent, les taux d’intérêt réels augmentent, ce qui

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Gaël Callonnec – « Politique monétaire et bulle spéculative » - Thèse IEP Paris - 2005 111

débouche à terme sur une crise de liquidité. Les agents sont alors contraints de revendre leurs titres, ce qui provoque un krach, une augmentation de la prime de risque, une contraction de la masse monétaire et une récession. Selon Minsky, une politique monétaire trop restrictive ne ferait qu’aggraver ce phénomène. Il considère au contraire que l’inflation est nécessaire pour enrayer l’instabilité financière. Certains post-keynésiens se sont inspirés de cette approche pour mettre en évidence les effets déstabilisateurs de l’arbitrage des agents entre actifs, de la modification de la liquidité des bilans ou du conflit de répartition entre salaires et profits. La plupart d’entre eux considèrent qu’une politique monétaire trop réactive peut être contre-productive.

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Gaël Callonnec – « Politique monétaire et bulle spéculative » - Thèse IEP Paris - 2005 112

2.1. Le « paradoxe de la crédibilité », la recrudescence des crises en régime de faible inflation

Les travaux empiriques menés par Bordo, Dueker et Wheelock (1998, 2001, 2003) tendent à valider l’existence d’une relation positive entre la stabilité des prix et la stabilité financière sur longue période. Cependant, de récentes études (Borio et Lowe, 2002) ont remis en cause leur conclusion en se focalisant plus particulièrement sur les 20 dernières années, caractérisées par la libéralisation et les innovations financières ainsi qu’une désintermédiation bancaire. Au lieu de s’interroger sur la pertinence du principe de Schwartz, les théoriciens du « paradoxe de la crédibilité » en ont déduit que les autorités monétaires devraient mener une politique plus réactive pour juguler d’hypothétiques « pressions inflationnistes latentes » et endiguer la spirale crédit-prix des actifs (2.1.1). Pour le vérifier, Bernanke et Gertler (1999) ont introduit dans un modèle en équilibre général néo-keynésien, un mécanisme d’accélérateur financier, une bulle spéculative exogène, ainsi qu’une cible du prix des actions dans la fonction de réaction de la Banque centrale (2.1.2). Ils ont ainsi pu affirmer que les autorités monétaires n’avaient pas intérêt à augmenter leurs taux en cas de hausse du prix des actifs. Cependant, leurs travaux ont fait l’objet de nombreuses critiques. En modifiant seulement à la marge leur modèle, Cecchetti et al. (2000) ont démenti que l’intervention des autorités monétaires soit contre-productive. Toutefois, cette controverse n’a pas eu une grande portée pratique puisque tous les protagonistes du débat se sont accordés pour dénoncer un ciblage systématique du prix des actifs. En effet, la quasi-totalité des économistes admet que la réaction optimale de la Banque centrale doit dépendre de la nature des chocs qui affectent les cours et que ceux-ci sont trop volatils pour servir de référence. En revanche, l’écrasante majorité de ceux qui ont pris part au débat recommandent une recrudescence de la lutte contre l’inflation. Curieusement, personne ne s’est demandé si certaines caractéristiques de leur modèle, comme la nature exogène de la bulle ou l’absence de chômage involontaire, n’auraient pas une incidence abusive sur les résultats obtenus.

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2.1.1. La faible réaction des banques centrales serait à l’origine des crises

Il est opportun d’examiner les données empiriques afin d’établir clairement la recrudescence des crises financières en période de faible inflation, avant d’étudier la théorie du « paradoxe de la crédibilité » (2.1.1.1). Elle s’appuie sur l’existence d’un certain nombre de canaux de transmission entre la finance et le réel. Les études soulignent l’importance relative du canal du bilan par rapport au Q de Tobin et à l’effet de richesse (2.1.1.2). Il se manifeste par une interaction positive entre la hausse du crédit et celle du prix des actifs (2.1.1.3). Selon les tenants du « paradoxe de la crédibilité », ces faits stylisés valideraient l’idée selon laquelle le laxisme ou la négligence des autorités monétaires seraient à l’origine des crises. Ils vantent les vertus d’une politique monétaire préventive en s’appuyant sur deux modèles de référence (Kent et Lowe, 1997 ; Bordo et Jeanne, 2002b) extrêmement simplifiés, voire réducteurs, puisque leurs conclusions découlent entièrement du choix de leurs postulats. Or les récents travaux menés sur la question n’ont pas réussi à établir l’existence d’un éventuel paradoxe de la crédibilité (Mésonnier, 2004).

2.1.1.1. Stabilité de prix versus stabilité financière : le « paradoxe de la crédibilité »

Les recherches empiriques n’ont pas véritablement validé l’hypothèse de Schwartz. Bordo, Dueker et Wheelock (1998, 2000, 2003) estiment globalement que la stabilité des prix et la stabilité financière sont positivement corrélées sur une longue période (depuis 1789) au Canada, aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Ils révèlent que les crises bancaires les plus graves ont eu lieu dans les périodes de forte instabilité des prix. Toutefois, les auteurs relèvent que certaines paniques bancaires de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle ont eu lieu sur fond de relative stabilité des prix. Bordo et alii (2000, 2003) ont réalisé une analyse économétrique de la relation entre le niveau des prix à la consommation et les conditions financières sur environ deux siècles respectivement sur données américaines et britanniques, à partir d’indicateurs synthétiques des conditions financières. Les auteurs mettent en évidence dans les deux pays une relation positive significative entre le choc de prix et la fragilité financière avant le milieu des années trente et à partir du début des années soixante-dix. Toutefois, ce lien s’estompe entre la fin de la seconde guerre mondiale et l’abandon du système de Bretton Woods. Néanmoins ces travaux portent sur une longue durée de trois décennies à plus de deux siècles et ne prennent pas en considération la libéralisation des vingt dernières années. Or, l’existence de marchés financiers déréglementés et largement intégrés est un élément essentiel du «nouveau régime » esquissé par Borio et alii (2003). Ceux-ci montrent au contraire, que les crises financières se sont multipliées depuis que l’inflation est maîtrisée.

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• La remise en cause empirique du principe de Schwartz

Même si les données empiriques sur longue période établissent une coïncidence entre stabilité des prix et stabilité financière, cela ne signifie pas, contrairement à ce qu’affirment Bordo et al. (2000), que les changements non anticipés de l’inflation soient la principale cause de l’instabilité financière, ni que les crises ne puissent survenir en période de faible inflation, comme le font justement remarquer Borio et Lowe (2002). En effet, la désinflation non anticipée ne peut en-soi expliquer les crises financières. Selon Borio et Lowe (2002), la baisse du prix des actifs et l’accumulation des déséquilibres expliquent largement l’apparition des crises. En règle générale, les mouvements des prix reflètent le développement de déséquilibres mais n’en sont pas la cause. D’ailleurs, on constate empiriquement que le système financier n’est pas ébranlé lorsque les prix chutent sous l’effet d’un choc d’offre positif imprévu. “In many cases the fall in inflation that can occur around the time of the crisis is part of the process of the unwinding of the previous excesses, and is not itself the main cause of the crisis. Moreover, in episodes where inflation has fallen unexpectedly (perhaps due to a positive supply shock) but that have not been characterised by the unwinding of imbalances, the financial system has typically not come under significant strain. The experience of the unexpected decline in inflation in many countries in 1986 and 1987 due to the fall in oil prices is perhaps an example. To reiterate the central point: it is the unwinding of financial imbalances that is the major source of financial instability, not an unanticipated decline in inflation per se. Often the two will go together, but they need not!” Bergman et Hansen (2002) montrent que les chocs de prix n’ont joué aucun rôle déterminant dans de la crise bancaire suédoise de 1991-1992. Les études de Borio et Lowe (2002) confirment que des déséquilibres financiers peuvent se développer sans hausse préalable de l’inflation. Celle-ci a plutôt tendance à baisser dans les 3 ou 4 années qui précèdent, soit un krach boursier (comme l’indique le cadran de gauche du graphique II.1 ci-dessous), soit une offre relativement excessive de crédits (cadran de droite). De nombreux exemples attestent qu’une crise financière peut survenir en période de faible inflation. Au Japon, elle était quasi nulle entre 1986 et 1988, alors que la valeur des actifs a triplé entre 1985 et 1989. L’indice des prix à la consommation a commencé à monter seulement en 1989. En Corée du sud, l’inflation a diminué de 11 % à 4 % dans les années 1990 tandis que les cours boursiers et le crédit ont augmenté rapidement jusqu’à l’explosion de la crise de 1997.

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Graphique

II Graphique II.1. Source Borio et Lowe (2002) Dans le passé de nombreuses expériences de ce genre se sont produites : Aux Etats-Unis, l’indice des prix à la consommation a chuté de 5 % entre 1925 et 1929 tandis que le crédit et les cours augmentaient de façon exponentielle (voir graphique II.2). Par ailleurs, McGrattan et Prescott (2003) estiment que la politique monétaire très restrictive de la Réserve Fédérale a provoqué la crise de 1929. Au XIX° siècle, des crises financières ont eu lieu en période de faible inflation, comme en Australie en 1893, à la suite du développement d’une bulle immobilière dans les années 1880 (voir graphique II.2). Laidler (2003) juge que la crise de 1929 est survenue dans un contexte de fluctuation des prix modérée, comme la crise japonaise du début des années quatre-vingt-dix et le « e-krach » de Wall Street en 2000.

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Graphique II.2. Source Borio et Lowe (2002)

Le graphique II.3, ci-dessous, montre que le taux de croissance trimestriel des cours boursiers aux Etats-Unis est négativement corrélé avec le taux d’inflation. Il est frappant de constater qu’au cours de la période 1995-2000, pendant laquelle la bulle spéculative s’est développée et où la hausse des cours boursiers fut la plus vive, le taux d’inflation est resté inférieur à 1 %. Borio et al. (2003) estiment que non seulement, des crises peuvent éclater en régime de faible inflation, mais qu’elles ont tendance à se multiplier lorsque les prix sont stables, comme en témoignent les évènements qui se sont produits au cours des deux dernières décennies. Mésonnier (2004) partage ce point de vue puisqu’il considère que :

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Taux de croissance du prix des actions et taux d'inflation aux Etats-Unis

-40

-30

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-10

0

10

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30

40

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1986

04

1987

03

1988

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1989

01

1989

04

1990

03

1991

02

1992

01

1992

04

1993

03

1994

02

1995

01

1995

04

1996

03

1997

02

1998

01

1998

04

1999

03

2000

02

2001

01

2001

04

-1

0

1

2

3

4

5

6

taux de croissance des cours trim en rythme annuel lissé 4 per.

inflation trim en rythme annuel, lissé sur 4 per.

Graphique II.3. Source NIPA « Pour autant, la maîtrise accrue de l’inflation ne s’est pas accompagnée d’une réduction visible des épisodes de fragilité, voire d’instabilité financière. Au contraire, la comparaison du dernier quart du XXe siècle avec les périodes antérieures montre que la fréquence des crises bancaires et de change dans le monde de 1973 à 1997 a été deux fois supérieure à celle de l’âge classique de l’étalon-or (1870-1913) et de l’ère de Bretton Woods (1945-1971). Du point de vue de la fréquence des crises, la période récente ne serait donc comparable qu’à celle, particulièrement troublée, de l’entre-deux-guerres. » Borio et Lowe (2002) suggèrent que dans une économie où l’inflation est durablement maîtrisée (modifications dans le processus de formation des salaires, crédibilité de la Banque centrale, chocs d’offre, etc.) les tensions ne se manifestent pas dans les chiffres de l’inflation ou ses indicateurs avancés traditionnels mais plutôt par les prix d’actifs et une fragilité financière. Les travaux empiriques récents de Boucher et Vasques (2004) confirment cette approche : « La volatilité des prix et l’inflation semblent négativement liées à la probabilité de crise (…) suggérant que la stabilité monétaire augmente la probabilité d’occurrence d’une crise boursière. (…) Chaque crise boursière semble en effet précédée d’abord d’une phase de stabilisation des prix et ensuite d’une accélération de la volatilité des prix. »

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• Les explications orthodoxes du paradoxe de la crédibilité De nombreuses crises financières, bancaires et spéculatives ont éclaté au cours des quinze dernières années alors que l’inflation était historiquement basse. Goodfriend (2001) est le premier à mettre en évidence l’apparente remise en cause du principe de Schwartz. « Experience shows that credible price level stability is the foundation of effective monetary policy. In the last two decades, central banks acquired credibility by consistently taking policy actions to hold the line on inflation. Low and steady inflation is generally credited with improving macroeconomic performance around the world. However, the era of low inflation has not brought an end to boom and bust cycles related to financial instability. » (2001, p.1) En régime de faible inflation, il suppose qu’il existe une convention implicite de modération salariale qui retarderait l’apparition de tensions inflationnistes en cas de hausse de la demande. La Banque centrale aurait donc tendance à réagir trop tardivement. Une aggravation de l’output gap se traduirait donc d’abord par une accélération du prix des actifs avant celui des biens. « The public confidence that the price level will remain stable creates the potential for boom-bust cycles that manifest themselves primarily in fluctuations of asset prices and real quantities and less in price level instability. » (p.157) Néanmoins, il ne remet pas en cause la politique monétaire. Il estime simplement que les autorités monétaires devraient davantage se polariser sur l’output gap. Borio et Lowe (2002a) font le même diagnostic que Goodfriend dont ils s’inspirent explicitement. Cependant, ils insistent moins que lui sur l’existence d’une convention de modération salariale ou sur l’émergence de « croyances collectives » déstabilisatrices, car elles renvoient à la notion hétérodoxe de « convention » chère à Keynes ou à Orléan (1994). Borio et Lowe mettent plutôt en avant l’existence d’anticipations inflationnistes stables liées à la crédibilité de la politique monétaire pour expliquer la coïncidence entre stabilité des prix et instabilité financière. Ils font ainsi davantage référence à la théorie des anticipations rationnelles. Ils sont les premiers à s’interroger explicitement sur l’existence d’un éventuel « paradoxe de la crédibilité » de la politique monétaire. Plusieurs explications ont été avancées pour expliquer le déclin des tensions inflationnistes en période de croissance : ces pressions seraient de plus en plus faibles sous l’effet conjugué de la libéralisation financière (qui permet de financer des phases d’expansion sans avoir recours à la création monétaire), d’une meilleure flexibilité du marché du travail, d’une recrudescence de la concurrence (liée elle même à la fin de l’économie d’endettement) et enfin d’une modification de la tendance des gains de productivité. La Banque du Japon prétend que le progrès technique et les changements structurels du marché du travail expliquent la faiblesse de l’inflation dans les années 1980 (Yamaguchi, 1999). Les gains de productivité ont également été invoqués pour expliquer la faiblesse des pressions inflationnistes aux Etats-Unis dans les années 1990. Goodfriend (2001) partage cette opinion et considère qu’ils sont aussi à l’origine de l’augmentation des cours boursiers.

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Goodfriend (2001) estime, qu’en régime de faible inflation, le coût du travail est plus stable. Il suppose, sur la base des travaux de Taylor (2000), que les entreprises répercutent moins facilement la hausse de leurs coûts sur leurs prix de vente en période de stabilité des prix. « If expectations of inflation are firmly anchored, labor markets might get surprisingly tight without triggering inflationary wage pressures. Firms might be inclined to hold the line on price increases even if labor costs begin to rise. Early warning indicators of inflation might not be firmly anchored in spite of potentially inflationary resource utilization. » (p.157) Ainsi l’augmentation de la croissance n’entraînerait plus une accélération immédiate des prix. Or en l’absence de tension inflationniste, la Banque centrale peut juger qu’elle n’a pas de raison de relever ses taux. Cette passivité inciterait les agents à croire en une augmentation de la croissance potentielle. L’expansion du PIB, la faiblesse du coût du capital et l’optimisme des agents favoriseraient alors un accroissement des dépenses des ménages et des entreprises et déboucheraient sur une hausse du prix des actifs. « A kind of wishful thinking can develop. The public might come to believe that the economy has become less prone to inflation, regardless of what the central Bank does. The plausibly persistent increase in the economy’s non inflationary productive potential would be reflected in a run up in equity, real estate, and other asset prices. » (p.157) La hausse du prix des actifs entraîne une baisse de la prime de risque, une augmentation du crédit et de l’investissement qui aggrave l’output gap : «Asset price movements, in turn, would reinforce cyclical volatility by reducing the external finance premium in the boom and raising it in the bust part of the cycle. » (p.158) Néanmoins, l’élargissement de l’output gap finirait par engendrer des pressions inflationnistes tardives mais conséquentes sous l’effet de la baisse du chômage et de la hausse de la demande. « An unsustainable boom is apt to collapse relatively quickly. Once significant inflation occurs, the mutual confidence among wage earners, price setters, and the central Bank will deteriorate rapidly. » (p.157) Borio et Lowe (2002a) et Borio, English et Filardo (2003) considèrent également que les phases de croissance insoutenables débouchent seulement sur une accélération faible et tardive de l’inflation. Celle–ci ne serait plus un indicateur conséquent de la formation des déséquilibres financiers. «La crédibilité de l’engagement des banques centrales à lutter contre l’inflation peut être une épée à double tranchant. D’un côté, la crédibilité renforce d’autres facteurs structurels susceptibles de contenir les pressions inflationnistes. De l’autre, alors que les anticipations d’inflation à long terme sont mieux ancrées autour de l’objectif de la Banque centrale, des phases d’expansion non soutenables pourraient ne se refléter qu’avec retard dans une accélération de l’inflation. Ce paradoxe de la crédibilité signifie que la Banque centrale peut être la victime de son propre succès. Maîtriser l’inflation peut contribuer à des modifications dans la dynamique du système, susceptibles de dissimuler les risques auxquels l’économie est exposée. »

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Borio et Lowe (2002a) développent la plupart des idées soulevées par Goodfriend : Tout d’abord, le succès de la mise en œuvre des programmes de stabilisation dans les pays en voie de développement et particulièrement dans les pays d’Amérique latine dans les années 1970, aurait provoqué une réduction immédiate des anticipations inflationnistes. Conjugué à la libéralisation financière, cela a généré une vague d’optimisme qui a débouché sur une hausse de l’offre de crédit. Les prix des actifs, notamment immobiliers, ont augmenté, soutenant ainsi le développement du crédit. La coexistence entre croissance et faible inflation peut générer un optimisme comparable à celui qui a gagné les agents après la mise en oeuvre des plans d’ajustements structurels en Amérique Latine (Goodfriend estime également qu’un « changement majeur de régime monétaire et fiscal peut durablement influer sur les prix des actifs). Enfin, ils insistent particulièrement sur « l’existence d’un haut degré de crédibilité de la politique monétaire » : « Where credibility is high, inflation expectations tend to become well-anchored and long-term price and wage contracting becomes more frequent. These endogenous responses to credible monetary policy may make the inflation rate less sensitive, at least for a period of time, to demand pressures in the economy. During periods of strong demand growth, this cost and price stickiness can boost profits (…). At the same time, highly credible monetary policy can reduce the degree of uncertainty that people feel about the future (…) Lower uncertainty can then translate into higher asset prices and an increased willingness of investors to borrow, and financial institutions to lend. These responses can ultimately make the financial system more vulnerable to an economic downturn. » (Borio et Lowe, 2002, p. 2) Selon eux, lorsque la politique monétaire est crédible et que l’inflation est faible, les autorités peuvent se contenter de réagir seulement aux signes flagrants de tensions inflationnistes. Les « pressions latentes » peuvent alors se développer plus facilement au travers des déséquilibres du secteur financier. « Failure to respond to these imbalances, either using monetary policy or another policy instrument, may ultimately increase the risk of both financial instability and subsequently deflation (during the period in which the imbalances are unwound). The implication of this is that central Banks with a high degree of credibility need to remain alert to the possibility that inflationary pressures first become evident in asset markets, rather than goods markets. »

Cette approche s’inspire des modèles monétaristes et nouveaux classiques sur la crédibilité des autorités monétaires, développés en première partie. Blinder (1999) et Vinals (2001) estiment qu’en suscitant un sentiment de profonde sécurité, la Banque centrale peut favoriser des comportements « court-termistes » préjudiciables à la stabilité financière.

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En résumé, on peut schématiser de la façon suivante le phénomène cumulatif associé au paradoxe de la crédibilité : Le paradoxe de la crédibilité

D’après Mésonnier (2004) L’évolution des cours boursiers exerce donc une influence notable sur la croissance économique par l’intermédiaire de multiples canaux. La Banque centrale devrait en toute logique prendre en considération les fluctuations du prix des actifs pour déterminer ses prévisions de croissance et les tendances inflationnistes. Il est nécessaire d’analyser les différents canaux de transmission des prix des actifs sur la sphère réelle afin d’étudier ultérieurement l’opportunité de les introduire dans la fonction de réaction des banques centrales.

2.1.1.2. Les canaux de transmission des prix des actifs sur la sphère réelle.

Trois canaux ont été abondamment étudiés à la fois sur le plan théorique et empirique : le canal du Q de Tobin, l’effet de richesse et l’accélérateur financier. Ce dernier est de loin le plus important.

• Le canal du Q de Tobin : Le prix des actifs a un effet sur l’investissement. Selon la théorie de Tobin (1969), lorsque le ratio Q - la valeur de marché de la firme divisée par le coût de remplacement de son capital - augmente, les entreprises ont intérêt à émettre des actions afin de financer le développement de leur appareil productif. Un entrepreneur doit rationnellement investir si une unité additionnelle de capital accroît la valeur de marché de sa firme d’un montant supérieur à son coût d’acquisition. Sous l’hypothèse de l’efficience des marchés financiers, la valeur boursière de l’entreprise doit être

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exactement égale à la somme actualisée des flux de profits anticipés. Dès lors, un ratio Q supérieur à l’unité signifie que le marché anticipe une valorisation de l’investissement au-delà de son coût. Dans ces conditions, il est rentable d’investir. Au contraire, si Q est inférieur à l’unité, la valeur générée par l’acquisition d’actifs supplémentaires est inférieure à son coût, mieux vaut alors acheter une entreprise sur le marché que d’investir. Ainsi, il devrait y avoir une relation croissante entre l’investissement et les cours boursiers. A l’équilibre et en l’absence d’imperfection de marché, le Q de Tobin devrait être égal à 1. Abel (1979) a donné un fondement micro-économique à cette théorie en montrant qu’en présence d’un coût d’ajustement quadratique du capital, la maximisation du profit implique que l’investissement soit une fonction positive du Q de Tobin marginal. Les études empiriques ne sont pas très concluantes, d’abord parce que le Q de Tobin marginal est inobservable, ensuite parce que de nombreuses entreprises ne sont pas cotées. Les tests montrent néanmoins qu’il existe une lien positif mais peu important entre le Q moyen et l’investissement. Selon Chan-Lee et Torres (1987), une hausse du prix des actions de 10 % coïncide avec une augmentation de l’investissement de 2,5 % en France. Les tests de cointégration réalisés par Epaulard (1993) et Reiffers (1995) indiquent qu’il n’y a pas de relation de long terme entre le ratio Q et l’investissement. Ce ne serait pas un déterminant tangible et stable du taux d’accumulation en France sur la période 1982-1987. Le ratio Q ne résume pas à lui seul toutes les incitations à investir puisque les cash flows sont significatifs lorsqu’ils sont introduits dans les régressions (Fazzari, Hubbard et Petersen, 1988 ; Hoshi, Kashyap et Scharfstein, 1991). Bloch et Coeuré (1995) mettent en évidence une relation de long terme notable entre une approximation du Q marginal de Tobin et l’investissement. Néanmoins, elle ne peut expliquer son évolution dans les années 1990 où les prédictions du modèle Q s’avèrent incompatibles avec la conjonction d’un investissement atone et d’une croissance boursière hors du commun. Cummins, Hasset et Oliner (1999) considèrent qu’il ne faut pas pour autant renoncer à ces modèles. Ils estiment que le ratio Q observé ne correspond pas forcément aux anticipations des entrepreneurs. Ils montrent qu’il existe bel et bien une relation positive entre l’investissement et un Q réel fondé sur les prévisions de bénéfices des analystes financiers. Pourtant Andersen et Subbaraman (1996) comme Chirinko et Schaller (1996) ne trouvent pas de corrélation significative entre la composante fondamentale du Q de Tobin et l’investissement. De plus, comme les cours intègrent les mouvements anticipés de variables qui peuvent s’avérer être des déterminants de l’investissement, la causalité parfois mise en évidence dans la littérature entre les indices boursiers et l’accumulation du capital peut s’avérer fallacieuse. D’ailleurs, cette capacité prédictive s’effondre le plus souvent avec la prise en compte de l’ensemble des déterminants habituels de l’investissement. C’est en ce sens que, globalement, les études empiriques s’accordent à conclure que les cours boursiers constituent, au mieux, un prédicteur passif de l’investissement. Il est difficile de prétendre que le ratio Q soit un déterminant essentiel de l’accumulation du capital. La valorisation boursière influence davantage le mode de financement des entreprises que leur niveau d’investissement.

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• L’impact de la variation des prix des actifs sur la consommation des ménages :

l’effet de richesse A la suite des travaux de Ando et Modigliani (1963), de nombreuses études ont cherché à mesurer l’effet d’une augmentation du prix des actifs financiers sur la consommation des ménages. L’intérêt consacré à cet effet a redoublé suite à la libéralisation financière et à l’exceptionnelle croissance de la richesse, notamment boursière, des ménages au cours de la seconde moitié des années 1990. Selon la théorie du cycle de vie de Modigliani, les ménages déterminent leur consommation en fonction de leurs ressources accumulées et futures, en cherchant à la lisser au cours du temps. Une augmentation non anticipée de leur richesse financière les inciterait donc à consommer davantage. Néanmoins, ils devraient avoir tendance à étaler la consommation de l’ensemble de leurs gains financiers de manière uniforme sur une longue période. Si bien que l’effet de richesse ne serait guère perceptible, à moins qu’il y ait une hausse persistante et relativement élevée du prix des actifs (Lettau et Ludvigson, 2002a). De ce point de vue, la seconde partie des années 1990 est tout particulièrement propice aux études sur la question. Les résultats empiriques obtenus à partir de ce modèle canonique ont été jugés insatisfaisants, de sorte qu’il a été largement remis en cause. Flavin (1981) et Deaton (1987) ont notamment fait valoir que, si les ménages sont contraints financièrement, leurs dépenses de consommation devraient essentiellement dépendre de leurs revenus courants et passés. Selon cette approche, une appréciation du prix des actifs devrait entraîner une augmentation notable des dépenses, surtout si la richesse sert de collatéral aux crédits à la consommation. Compte tenu de l’incertitude régnant sur l’évolution du taux de croissance du revenu, du taux de chômage et du taux d’intérêt réel qui sont des déterminants traditionnels de l’épargne, les anticipations seraient adaptatives et non rationnelles (Cadiou, 1995). Le montant des actions détenues sur le revenu disponible des ménages s’est considérablement accru depuis le début des années 1970, passant de 80 à 100 % aux Etats-Unis. Trois raisons essentielles expliquent ce phénomène : le développement des fonds de retraite par capitalisation24, les innovations financières et la forte valorisation des actifs boursiers dans les années 1990 (Bertaut et Starr-McCluer, 2000). Cependant, ces données agrégées peuvent être trompeuses puisque le stock d’actifs est très largement concentré entre les mains d’un petit nombre. En effet, 5 % des ménages bénéficiant des revenus les plus élevés détiennent la moitié des actions en 1995. Cela a conduit certains auteurs comme Poterba et Samwick (1995) et Starr-McCluer (1998) à se focaliser sur les dépenses des ménages favorisés et sur l’évolution de la consommation de produits de luxe qui a considérablement augmenté entre 1995 et 1999. Cela dit, comme la part de la consommation des ménages aisés sur les dépenses totales est disproportionnée (20 % des ménages disposant des revenus les plus élevés ont dépensé 37 % de la valeur totale de la consommation en 1995), leur sensibilité à la richesse boursière peut avoir un impact sur le plan agrégé. Maki et Palumbo (2001) montrent que, parallèlement à l’accroissement de 144 points de pourcentage du ratio de richesse sur revenu entre 1992 et 2000, le taux d’épargne a chuté de 4,6 points. Leur étude montre que les ménages les plus fortunés ont fortement accru leur consommation en réduisant de 240 milliards leur épargne, tandis que parallèlement, les ménages les plus modestes (les 80 % restants) ont augmenté leur

24 Les deux tiers de l’épargne retraite des américains sont investis sur les marchés d’actions.

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épargne de 40 milliards. Au regard de ces résultats, un faible effet de richesse peut donc avoir un impact macro-économique substantiel.

Taux d’épargne et ratio richesse nette/revenu (USA)

Graphique II.4 Ainsi, la forte concentration de détention des actifs financiers n’annihile pas l’effet de richesse au niveau macro-économique, comme le confirment les études suivantes. L’estimation de la propension marginale à consommer la richesse boursière est généralement comprise entre 0,032 et 0,062. Elle gravite sur longue période autour de 4 %. C'est-à-dire qu’une hausse de 1 dollar de richesse sur une période donnée entraîne un accroissement de 4 cents de la consommation.

Propension à consommer la richesse aux Etats-Unis : une synthèse

D’après Levieuge (2003)

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Les études montrent que la propension à consommer la richesse et particulièrement la richesse boursière n’a pas cessé de diminuer depuis les années 1950 où elle est passée de 10,6 % à 2,1% selon Ludvingson et Steindel (1999). D’après Nimiera (1997), la hausse continue de la part des titres détenus indirectement pourrait expliquer ce phénomène. Parallèlement, conformément au modèle du cycle de vie, le vieillissement de la population a fait grimper la propension à consommer le revenu. D’autres effets ont été évoqués comme l’impact de l’évolution des cours boursiers sur la confiance des ménages (Carroll, Fuhrer et Wilcox, 1994 ; Bram et Ludvigson, 1998 ; Otoo, 1999) ou ses effets sur leurs liquidités : lorsque la valeur des actifs liquides des ménages est faible relativement à leur dette, ils ont une plus grande préférence pour la liquidité car ils redoutent d’avoir à vendre précipitamment et donc à faible prix, leurs biens de consommation durables et leurs biens immobiliers qui sont par définition illiquides (Mishkin, 1976, 1977). Une hausse du prix des actifs favorise donc une augmentation de l’investissement des ménages et de leur consommation en biens durables.

• Le canal du bilan des entreprises Le canal du bilan des entreprises est certainement le plus important. Confrontées à un problème d’asymétrie d’information, les banques modulent le coût et la taille des crédits qu’elles accordent à leurs débiteurs en fonction de la valeur de marché de leurs collatéraux, afin de limiter les phénomènes de sélection adverse et d’aléa moral. En effet, les entreprises faiblement valorisées ou sous-évaluées par les marchés ont une plus grande propension à s’engager dans des projets risqués. La hausse de la valeur de marché des firmes débouche donc sur une baisse de la prime de risque et une augmentation de l’offre de crédit qui favorise un développement de l’activité économique. Il est possible de générer un effet d’accélérateur financier de deux manières différentes : soit en supposant que l’offre de crédit dépend de la richesse nette des emprunteurs (Bernanke, Gertler, Gilchrist, 1998 ; Kiyotaki et Moore, 1997), soit en supposant, comme Bernanke et Gertler (1989), que le taux d’intérêt est fonction d’un coût d’audit à la Townsend (1979). Les études empiriques confirment l’importance de ce canal (Davis, 1992). Mishkin (1991) montre que toutes les crises financières qui ont éclaté avant la seconde guerre mondiale aux Etats-Unis ont été précédées d’un fort accroissement du différentiel de taux entre les emprunteurs de bonne et de mauvaise qualité. Mais l’effet d’accélérateur financier est également manifeste en dehors des crises financières. Hall (2001) explique la sévérité de la récession britannique du début des années 1990 par la fragilité de la position financière initiale des entreprises. Comme le souligne Vermeulen (2000), les arguments théoriques relatifs à l’accélérateur financier aboutissent à trois hypothèses testables : -Les positions du bilan des firmes sont des déterminants significatifs de leurs dépenses d’investissement. -Elles sont encore plus déterminantes lorsque l’activité se contracte. -L’accélérateur financier influence davantage l’investissement des petites que des grandes entreprises. Hubbard et Kashyap (1992) montrent que le différentiel de coût entre financement externe et financement interne est une fonction décroissante de la richesse nette de l’emprunteur.

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Fazzari et al. (1988) confirment que l’investissement d’une entreprise dépend d’autant plus des cash flows qu’elle ne distribue pas de dividendes. L’hypothèse de sensibilité excessive est également validée par Whited (1992) pour les firmes qui ne sont pas cotées et par Oliner et Rudebusch (1989) pour les jeunes entreprises. Les études montrent également que l’effet des variables de bilan est asymétrique. Gertler et Hubbard (1988), Gertler et Gilchrist (1994), Kashyap, Lamont et Stein (1994) estiment que l’impact de l’évolution du cash flow des firmes sur l’investissement est plus important en phase de récession. Oliner et Rudebusch (1996) indiquent qu’un resserrement monétaire entraîne un déclin disproportionné de la part des crédits bancaires octroyés aux PME, par rapport aux grandes entreprises. Néanmoins, ces tests sont incapables de distinguer si la contraction du crédit résulte d’une chute de l’offre ou bien d’une baisse de la demande, comme le suggèrent Jensen et Meckling (1976) qui supposent que les dirigeants cherchent à désendetter leurs firmes et à améliorer la liquidité de leur bilan lorsque la valeur de leurs fonds propres diminue, afin de réduire à la fois la prime de risque et la probabilité de faire faillite. Selon la thèse du canal de la monnaie (Romer et Romer, 1990), une baisse de la demande agrégée entraîne une diminution de la demande de crédit bancaire. Cela dit, Kashyap, Stein et Wilcox (1993) ont montré qu’il existe bien une contrainte financière en cas de choc de demande négatif, puisque la baisse des crédits bancaires coïncide avec une augmentation de l’émission de billets de trésorerie. Les tests empiriques rejettent de manière significative l’influence du Q de Tobin sur l’investissement. Il ne parvient pas à capturer l’ensemble des incitations à investir. Des variables de bilan apportent une information complémentaire qui ne peut être justifiée dans le cadre initial de cette théorie. C’est pourquoi Gilchrist et Leahy (2002, p. 82) déclarent : “Much of the empirical investment literature of the past two decades can be viewed as an attempt to explain why the link between asset prices and investment does not work the way that Tobin thought it did.” Au mieux, la valeur de marché des firmes peut influencer la structure de leur passif, mais sans grands effets sur les montants investis. Il est donc difficile de prétendre que ce canal puisse constituer un relais important des fluctuations financières. Les effets de richesse sont en revanche plus perceptibles, notamment depuis l’accroissement de la part des actions dans le portefeuille d’actifs des ménages et leur forte valorisation dans les années 1990. Les études sur données micro-économiques indiquent que l’augmentation de la richesse des ménages les plus favorisés est suffisamment importante pour expliquer la baisse du taux d’épargne américain à la fin de cette décennie. Les études macro-économiques établissent l’existence d’une relation selon laquelle une hausse de 1 dollar de richesse entraîne une augmentation de 4 cents de la consommation, mais des écarts importants existent d’une étude à l’autre. Il convient de souligner que la propension à consommer la richesse diminue, notamment depuis l’augmentation de la part des titres indirectement détenus par les ménages. Ces résultats doivent donc être interprétés avec précaution car ils sont sensibles aux définitions des variables et aux périodes d’estimation retenues. En outre, les délais d’impact des mouvements de prix des actifs sur la consommation restent encore méconnus et varient entre 3 mois et 4 ans selon les estimations. Les travaux empiriques ne permettent donc pas d’établir minutieusement la réaction que les autorités monétaires devraient avoir pour neutraliser les effets de richesse. En fait, le mécanisme de transmission le plus tangible est sans conteste le canal du bilan des entreprises. La prime de risque qui affecte le coût de financement externe des firmes est une fonction décroissante de la valeur de marché des actifs qu’elles détiennent. L’interaction entre le crédit et le prix des actifs serait principalement à l’origine de l’instabilité.

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2.1.1.3. La boucle crédit-prix des actifs En s’appuyant sur les modèles de l’accélérateur financier de la «nouvelle économie keynésienne» (Bernanke et Gertler, 1995 ; Bernanke et alii, 1999), nombreux sont les économistes qui estiment aujourd’hui, comme Eichengreen et Mitchener (2003), qu’une bulle spéculative sur les marchés d’actifs est le produit d’un « boom du crédit qui a mal tourné.» Les théoriciens du paradoxe de la crédibilité considèrent, d’après Allen et Gale (1999, 2000) qu’il existe un cercle vicieux entre le prix des actifs et le crédit. La montée des cours boursiers entraîne une augmentation de l’offre de prêts qui, en retour, encourage la croissance, l’optimisme et la spéculation à crédit. Ce phénomène génère une nouvelle hausse du prix des actifs sans rapport avec l’évolution des fondamentaux. Cette conception s’inscrit dans le prolongement du modèle de déflation par la dette de Fisher25 (1933). De nombreuses études empiriques ont validé cette approche puisqu’elles attestent l’existence d’une d’une relation positive entre le crédit et les cours. Borio et Lowe (2003) en ont déduit qu’il était nécessaire de mener une politique monétaire restrictive et préventive pour juguler à la fois l’essor de la masse monétaire et de la valeur de marché des actions, quitte à maintenir l’inflation provisoirement sous sa cible, en faisant référence aux modèles de Kent et Lowe (1997) et de Bordo et Jeanne (2002b).

• Arbitrage entre actifs et bulle endogène Le modèle micro-économique d’Allen et Gale (1999, 2000) est souvent évoqué pour établir le lien pernicieux qui existerait entre une offre de crédit inconsidérée et la surévaluation du prix des actifs. Ces auteurs ont montré, à partir d’un simple modèle d’arbitrage entre actifs risqués et non risqués, que le prix des titres est surévalué si les agents les achètent exclusivement à 25 Wicksell et Fisher ont cherché à expliquer les fluctuations de la production et des prix en étudiant les mécanismes endogènes de la création monétaire. Leurs travaux justifient la mise en place d’une politique contra-cyclique ayant pour objet de limiter l’amplitude des fluctuations de la masse monétaire. Wicksell (1907) fut l’un des premiers auteurs à analyser les interactions entre la sphère financière et réelle par le biais de l’écart entre : - le taux d’intérêt naturel ou normal, qui correspond à la rentabilité marginale du capital productif. Ce taux égaliserait la demande de capital et l’épargne. En effet, aucun épargnant ne consentirait à prêter son argent à un taux inférieur à la rentabilité qu’il pourrait en tirer dans un investissement productif, tandis qu’un entrepreneur ne consentirait pas à emprunter à un taux supérieur à la rentabilité de son investissement. Ce taux n’est pas directement observable. - le taux d’intérêt des prêts fixés par les banques. Etant donné que les banques peuvent créer de la monnaie via le crédit, elles ne sont pas contraintes par l’épargne, elles peuvent donc fixer des taux différents du taux naturel. Cet écart explique les fluctuations de l’économie selon Wicksell. Si le taux des prêts est inférieur au taux naturel, alors les producteurs ont intérêt à emprunter pour investir. La reprise de l’investissement débouche sur une augmentation de la croissance et sur des pressions inflationnistes. Le cycle mis en branle peut à la fois avoir une origine réelle (augmentation de la rentabilité du capital) et monétaire (fixation discrétionnaire du taux des prêts). Fisher (1911) estime que si les taux nominaux s’ajustent avec retard, le processus peut devenir cumulatif sous l’effet de l’inflation, malgré la loi des rendements décroissants. En effet, la hausse des prix réduit les taux d’intérêt réels, ce qui peut entretenir la différence entre la rentabilité de l’investissement et le coût du capital et favoriser un accroissement de la masse monétaire, aux effets inflationnistes. Il arrive néanmoins un moment où les taux réels augmentent. Le mécanisme cumulatif joue alors à l’inverse : c’est la « debt déflation » décrite par Fisher en 1933.

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crédit et s’il existe une probabilité de faillite non nulle (un coût d’agence)26. La taille de la bulle augmente avec l’incertitude qui plane sur les rendements du capital et sur l’offre anticipée du crédit. Ils émettent plusieurs hypothèses restrictives qui limitent la possibilité d’extrapoler les leçons de leur modèle : Etant donné qu’ils supposent que les titres sont exclusivement financés par emprunt et que le taux d’intérêt est égal au rendement de l’actif sans risque (qui lui même est égal au produit marginal du capital), les investisseurs ne réalisent aucun profit en détenant des actifs sans risque (le montant des actifs sans risque demandé est déterminé de manière résiduelle puisqu’il est égal au montant exogène du crédit offert, moins la valeur de marché des actifs risqués). Dans ces conditions, l’expansion du crédit incite donc mécaniquement les agents à acheter davantage de titres risqués. Leur prix monte inéluctablement puisque l’offre d’actifs risqués est supposée fixe. Les auteurs démontrent que cette hausse est supérieure à l’évolution de la valeur fondamentale du titre (la somme actualisée des rendements attendus). Sachant que le montant des remboursements augmente avec le prix des actions, la probabilité de faire faillite s’aggrave, ce qui renforce la préférence pour le risque27. La bulle gonfle tant que l’offre de crédit est suffisante pour permettre aux investisseurs de payer leurs coûts croissants. En bref, les auteurs montrent que les cours sont systématiquement surévalués lorsque le rendement de l’actif sans risque est égal au taux d’intérêt et qu’on limite l’arbitrage entre actifs aux seuls emprunteurs privés de ressources propres, qui ont une probabilité positive de faire faillite. Dans ces conditions, il est évident que l’expansion de l’offre de crédit accroît l’instabilité financière. Si, contrairement aux auteurs, on suppose que les investisseurs perçoivent des ressources propres, que celles-ci dépendent positivement de la production et que cette dernière est une fonction croissante de l’offre de crédit, et si par ailleurs, on suppose que l’émission de titres risqués augmente avec la production, il serait plus difficile d’incriminer l’expansion de la masse monétaire puisqu’elle limiterait la probabilité de faire faillite et qu’elle pourrait ainsi diminuer la part de la spéculation à crédit. Une offre de crédit limitée pourrait, au contraire, brider les ressources propres et favoriser la préférence pour le risque, tout en limitant l’émission de titres risqués. Cela provoquerait une hausse des cours sans rapport avec les fondamentaux. Ce modèle est instructif puisqu’il montre que l’asymétrie d’information peut générer une bulle endogène dans le cadre d’un processus d’arbitrage optimal entre actifs, même si les agents sont rationnels. Cependant il est difficile d’en tirer des enseignements d’ordre général. Les auteurs en conviennent à demi-mot :

26 Etant donné que les agents ne financent pas leurs investissements au moyen de ressources propres, ils ont une forte préférence pour le risque puisqu’en cas de moins-value, ils peuvent se déclarer en cessation de paiement et la perte est supportée par leurs créanciers. 27 Les auteurs assimilent l’actif sans risque à un bien d’équipement que les agents loueraient aux entrepreneurs pour une somme fixe. Si les agents préfèrent détenir plus d’actions que d’actifs sans risque, l’investissement diminue, la productivité marginale du capital (supposée être une fonction décroissante de l’actif sans risque) augmente et le taux d’intérêt (supposé égal à la productivité marginale) s’élève. L’achat d’actions réduit donc le seuil de rentabilité des investisseurs financiers, ce qui renforce leur préférence pour le risque. En pareil cas, les auteurs montrent que le prix des actions augmente avec les taux. Cela peut paraître contre-intuitif, mais ce phénomène peut être justement considéré comme l’une des caractéristiques de la bulle. Ce modèle s’oppose à la théorie keynésienne puisque l’épargne détermine l’investissement.

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“The essential feature of the model that explains the existence of bubbles is the risk shifting problem resulting from the inability of lenders to observe how risky borrowers’ investments are. The presence of risk shifting causes the price of the asset in fixed supply to be bid up by borrowers. The model presented in this paper has an explicit structure which allows the results concerning bubbles to be illustrated in a straightforward manner. It is meant to be an “as if” rather than a literal model. The same kind of results will tend to arise whenever there is an agency problem and borrowers have limited liability so that they are only interested in outcomes in the top part of distribution of returns. The particular structure assumed is thus not critical for the results.” (Allen et Gale, 2000, p. 252) Il est effectivement impossible d’appréhender une bulle endogène sans prendre en considération l’arbitrage entre actifs que les agents effectuent sur la base de leur rapport rentabilité/risque, compte tenu de l’émission des titres. En effet, si l’on souhaite que la valeur de marché des actifs risqués puisse s’écarter de leur valeur fondamentale, il est nécessaire de déterminer leur prix en fonction de l’évolution endogène de l’offre et de la demande de titres des agents. Mais avant d’imputer la responsabilité de l’instabilité financière à l’expansion monétaire, il faudrait élaborer un cadre d’analyse plus réaliste, en introduisant l’arbitrage des agents dans un modèle en équilibre général où la structure financière des firmes et la monnaie ne seraient pas neutres. Cela permettrait de prendre en considération l’interaction dynamique qui existe entre les variables financières et réelles. Cet aspect fait défaut aux travaux d’Allen et Gale puisque la rentabilité attendue des actifs, supposée exogène, est indépendante de l’offre de crédit et des taux.

• Crédit, prix des actifs et crises financières : les études empiriques L’expansion rapide du crédit est un trait commun à toutes les crises financières graves (Eichengreen et Aterta, 2000 ; Collyns et Senhadji, 2003 ; Herrera et Perry, 2003 ; Borio et Lowe, 2003). De nombreuses études montrent qu’une augmentation rapide de l’offre de prêts accroît la probabilité d’une crise bancaire.28 L’accroissement des prix des actifs, qui induit une augmentation de la valeur des collatéraux et une baisse de la prime de risque, provoque une expansion de l’offre de crédit. Les emprunts alimentent en retour la hausse des prix des actifs (Herring et Wachter, 2003). Heiskanen (1993) a constaté que le crédit a augmenté de 40 % entre 1985 et 1986 en Norvège. Le prix des actifs s’est envolé au cours de la même période. Le krach a ensuite entraîné la pire récession que le pays ait connue depuis la seconde guerre mondiale. En Finlande, La politique budgétaire expansionniste de 1987 a généré une expansion massive du crédit. Les prix des actifs immobiliers ont augmenté de 68 % entre 1987 et 1988. En 1991, suite à la mise en place d’une politique monétaire restrictive et d’une baisse des exportations vers la Russie, le prix des actifs s’est effondré et le PIB a diminué de 7 %. Le gouvernement fut obligé de soutenir les banques pour prévenir des faillites en chaîne. Un scénario comparable eut lieu en Suède à la même époque. Dans les années 90, les banques mexicaines ont été privatisées et les réserves obligatoires ont été pratiquement éliminées. Mishkin (1997) a montré que les prêts accordés aux entreprises 28 Voir entre autres, Dermirguc-Kunt et Detragiache (1997, 2000), Gourinchas, Valdes et Landerretche (2001), Hardy et Pazarbasioglu (1999), Hutchinson et McDill (1999), Kaminsky (1999), Kaminsky et Reinhart (1999), Bell et Pain (2000).

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privées ont augmenté d’un niveau équivalent à 10 % du PIB en 1980 et à 40 % en 1994. Le prix des actions s’est envolé au cours de cette période. En 1994, (révolte du Chiapas) un krach eut lieu, suivi d’une profonde récession. Kaminsky et Reinhart (1999) ont étudié le cas de 20 pays (dont 5 industrialisés). A l’origine des crises, il y a une forte expansion du crédit qui provoque une hausse annuelle moyenne du prix des actions de 40 % au-dessus de son rythme de croissance normal. Ils montrent qu’en règle générale, les cours s’effondrent 9 mois avant l’apparition d’une crise bancaire après avoir fortement monté au cours des 9 mois précédents leur sommet. Une récession s’ensuit au bout d’un semestre. Hutchinson et McDill (1999) estiment également que la chute des cours est un indicateur avancé d’un an de l’apparition de problèmes bancaires. Eichengreen et Arteta (2000) ont notamment estimé qu’une hausse du taux de croissance du crédit d’un point entraîne une augmentation de 0,056 % de la probabilité d’une crise bancaire. Cependant, Mishkin et White (2002) estiment que les krachs boursiers ne se soldent pas tous par des effets dépressifs importants, notamment grâce à l’intervention des autorités monétaires. L’impact d’une chute des cours sur l’activité réelle dépend donc de la vulnérabilité du système financier. La soutenabilité de la croissance du crédit doit donc être appréciée conjointement à la structure du bilan des agents. Or il existe divers indicateurs permettant d’évaluer a priori la vulnérabilité des banques et des firmes. Les informations dont jouissent les banques centrales telles que les notations bancaires, les niveaux de ratios prudentiels et la structure des bilans, notamment les taux d’endettement, en sont un échantillon. A cet égard, Kaminsky et Reinhart (1999) ainsi que Borio et Lowe (2002b) ont cherché à établir des séries d’indicateurs à partir d’informations ex ante (crédits, prix d’actifs, investissement, etc.) et ils ont testé leur prédictibilité respective et celle d’indices composites. Contrairement à Kaminsky et Reinhart (1999), Borio et Lowe (2002b) ont négligé les taux de croissance annuels pour se focaliser sur les processus d’accumulation (comme le ratio crédit sur PIB). Selon eux, une hausse de 4 points du ratio crédit sur PIB permet de prévoir 80 % des crises bancaires sur une période d’un an. Seuls 18 % des signaux d’alarmes sont faux. Cet indicateur est le plus fiable et semble plus robuste que l’examen des taux de croissance. Ils montrent également qu’une déviation de 40 à 50 % des cours boursiers par rapport à leur tendance sur trois ans permet de prévoir les deux tiers des crises financières à l’horizon d’un an, avec seulement 15 % de fausses alertes. De leur point de vue, la Banque centrale devrait plutôt se polariser sur l’expansion du crédit, qu’elle peut largement influencer, et la solidité du système financier plutôt que sur la variation du prix des actifs. Son aptitude à mesurer la fragilité du système financier serait beaucoup plus importante que sa capacité à estimer la survalorisation des cours. Elle devrait être jugée à l’aune de sa capacité à immuniser l’économie contre un choc financier et non pas à crever ou prévenir une bulle. Ainsi, sa crédibilité ne serait pas suspendue à une tâche incertaine.

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• Les vertus supposées d’une politique monétaire préventive Goodfriend s’est inspiré du modèle de Kent et Lowe (1997) pour établir son scénario. Ceux-ci défendent l’obstination des banques centrales à crever une bulle. Ils légitiment à cette fin l’utilisation préventive de la politique monétaire au regard du coût relativement faible d’une hausse précoce du taux d’intérêt, comparé à celui d’un krach tardif. Ils développent un modèle simple où l’impact des prix d’actifs est asymétrique. La Banque centrale a pour objectif de minimiser la variance de l’inflation qui augmente avec le prix des actifs, via un effet de richesse. Ils supposent qu’une bulle peut se développer et exploser avec une probabilité plus ou moins importante selon la taille qu’elle a atteinte et le niveau du taux d’intérêt. la Banque centrale peut laisser les déséquilibres se développer en se polarisant sur les anticipations d’inflation car, sachant qu’il existe une probabilité que la bulle dégonfle d’elle-même, la hausse anticipée des prix demeure quasi inchangée. Si, comme ils le supposent, l’action des autorités monétaires a un effet sur la probabilité d’effondrement de la bulle, alors il serait optimal d’augmenter le taux d’intérêt au-dessus de sa valeur d’équilibre, même si ce resserrement monétaire fait chuter l’inflation en-deçà de sa cible à la période suivante. Cette stratégie minimiserait la fonction de perte inter-temporelle. Cependant, plus la bulle risque de s’effondrer sous son propre poids et moins la Banque centrale doit être restrictive. Dans certaines circonstances, les autorités monétaires doivent même baisser les taux pour commencer à amortir les effets récessifs d’un krach imminent. Cependant, on voit mal pourquoi des agents rationnels, ayant connaissance de l’apparition d’une bulle exogène, auraient tendance à anticiper un retour à la normale sans adopter de position baissière. Cette incohérence explique certainement pourquoi Goodfriend évoque l’existence d’un « wishful thinking » que l’on pourrait assimiler à une forme d’incertitude ou d’aveuglement collectif. L’hypothèse selon laquelle la probabilité d’éclatement de la bulle dépend du niveau des taux d’intérêt conduit évidemment les auteurs à recommander une politique monétaire plus restrictive or ce postulat est discutable. En effet, d’un point de vue théorique, la Banque centrale peut affecter la valeur fondamentale des cours en influençant les profits anticipés et leur taux d’actualisation. Sur le plan empirique, la validation de ce lien se heurte à deux difficultés : l’endogénéité des deux variables et l’existence de variables omises qui auraient une influence sur les deux. Quelques études attestent l’existence d’une relation négative entre les cours boursiers et le taux des fonds fédéraux. Thorbecke (1997), Bomfim (2003), Rigodon et Sack (2002) estiment qu’une hausse de 25 points de base du taux d’intérêt à trois mois entraîne un déclin des indices S&P 500 et Nasdaq de respectivement 1,9 et 2,5 %. Soto (1999) établit également un lien décroissant entre le taux des fonds fédéraux et le ratio prix/bénéfice. La Fed. aurait donc prise sur les cours boursiers, notamment à court terme, mais à moyen terme, l’effet d’une variation des taux est ambiguë. La hausse du taux directeur américain survenue le 2 février 2000 n’a pas eu d’incidence négative sur les marchés pourtant surévalués. La hausse du 21 mars 2000 a fait chuter le Nasdaq de 4 %. Celui–ci a chuté encore de quasiment 10 % lorsque la publication de l’inflation a attisé les craintes d’un resserrement de la politique monétaire.

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Graphique II.5. Source : Borio et Lowe (2002a)

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En outre, un relèvement des taux destiné à faire éclater une bulle peut être difficile à justifier en présence d’une faible inflation courante ou anticipée. Enfin, Kent et Lowe supposent que la Banque centrale est parfaitement en mesure d’identifier la bulle or, de l’aveu même des banquiers centraux, cela revient à leur prêter une capacité de discernement excessif. Toutefois, pour Borio et Lowe (2003), l’existence avérée ou non d’une surévaluation serait accessoire. Il importe peu que l’évolution des cours soit ou non conforme aux fondamentaux, seul compte l’impact des évolutions financières sur les variables objectifs de la Banque centrale. Ils justifient la nécessité d’adopter une politique monétaire préventive en s’appuyant sur les travaux de Bordo et Jeanne (2002b) qui ont élaboré un modèle afin de déterminer si la politique monétaire doit être préventive ou réactive selon le contexte économique et financier, sans se soucier du rapport entre le prix des actifs et leur valeur fondamentale. Ils ont conçu un petit modèle structurel à deux périodes où la capacité d’endettement des entreprises est une fonction croissante de la valeur de marché des actifs, le collatéral apporté en garantie. Les gains effectifs de productivité sont connus seulement en t+1 : s’ils sont inférieurs aux attentes des agents, les cours baissent et une pénurie de crédit (credit crunch) apparaît dont l’ampleur dépend à la fois de la dette et du prix des actifs. Leurs fluctuations ne résultent donc pas d’une expansion ou d’une contraction monétaire, ni d’une bulle. Contrairement à la démarche de Bernanke, Gertler, Gilchrist (1999) et de Cecchetti et al. (2000), ils ne comparent pas les effets des différentes spécifications de règles monétaires dans le cadre d’un modèle en équilibre général. Ils comparent deux scénarios : Dans le premier, la politique monétaire est réactive : la Banque centrale minimise une fonction de perte, sachant qu’elle court le risque d’essuyer une perte positive si une pénurie de crédit survient. Dans le second scénario, la Banque centrale est pro-active ; elle fixe les taux de manière à minimiser la probabilité d’apparition d’une insuffisance du crédit. La politique monétaire doit alors être plus rigoureuse lorsque les cours augmentent, c’est-à-dire lorsque l’optimisme des agents est conséquent. La prévention d’une pénurie de crédit dans le futur suppose donc un sacrifice immédiat en terme de croissance. La Banque centrale veille néanmoins à ne pas élever ses taux à un niveau qui provoquerait un coût en terme de bien-être supérieur à la probabilité de la perte qu’elle pourrait endurer si elle adoptait une politique réactive. Les auteurs montrent que ce cas de figure advient seulement si l’optimisme des agents est débordant. Paradoxalement, le lissage du prix des actifs est donc moins souhaitable lorsqu’une bulle s’est développée dans un environnement financier fragilisé. En l’absence de surévaluation manifeste des cours, les auteurs insistent sur la nécessité d’empêcher ex ante, par un relèvement des taux directeurs, un endettement excessif des entreprises qui pourrait déboucher ex post sur une situation de rationnement du crédit bancaire et de déflation en cas de baisse du prix des actifs. Le choix d’un régime préventif ou réactif dépend donc de l’environnement financier. Les tenants du « paradoxe de la crédibilité » s’accordent pour préconiser une politique monétaire plus restrictive en soulignant l’existence d’une relation néfaste de cause à effet entre l’expansion du crédit et la hausse des cours. Ils justifient leur recommandation en supposant que la hausse des taux peut juguler le développement de la bulle (Kent et Lowe,

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1997) et qu’elle peut prévenir une pénurie de crédit en cas d’effondrement ultérieur du prix des actions (Bordo et Jeanne, 2002b). Cependant, ils tirent leur conviction de modèles qui présentent une limite de taille, puisque l’évolution des cours est essentiellement exogène et qu’ils ignorent l’impact des décisions de politique monétaire sur l’arbitrage des agents entre actifs. Néanmoins, s’ils optent de manière unanime pour une politique monétaire rigoureusement préventive, ils divergent sur la manière de la conduire. Borio et Lowe (2002) et Crockett (2003) estiment que la politique monétaire doit réagir, non seulement à l’apparition flagrante de tensions inflationnistes, mais aussi à l’émergence de déséquilibres financiers, comme un rapide taux de croissance du crédit ou une augmentation rapide et importante du prix des actifs. Ils confortent ainsi le point de vue de Cecchetti et al. (2000). Ils considèrent que la Banque centrale peut définir des indicateurs avancés d’une éventuelle surévaluation des cours sur la base de solides études empiriques et qu’elle doit réagir de manière préventive sur la base d’un faisceau d’indices convainquant. Cecchetti et al. pensent que l’estimation de la surévaluation des marchés ne devrait pas être plus difficile ni plus contestable que l’évaluation de l’output gap. Au contraire, Goodfriend (2002) estime que la Banque centrale ne doit pas réagir aux variations du prix des actifs parce qu’elles sont trop volatiles. Les autorités monétaires pourraient commettre de lourdes erreurs car elles doivent ajuster leur réponse en fonction de la nature des chocs, or elles l’identifient avec difficulté et elles distinguent avec peine les composantes réelles et spéculatives d’une hausse des cours. Il considère que la Banque centrale doit seulement se polariser davantage sur l’output gap et y réagir avec plus de vigueur. Mishkin (2001) et Bean (2003) abondent dans le sens de Goodfriend. Ils estiment que l’effet du prix des actifs sur la demande et l’inflation est implicitement pris en compte dans la fonction de perte de la Banque centrale. Il est inutile de la complexifier davantage. Non seulement cela pourrait accroître l’instabilité financière, mais cela rendrait plus difficile encore la transparence et la lisibilité de la politique monétaire. Goodfriend, Borio et Lowe ont émis l’hypothèse du paradoxe de la crédibilité afin de réhabiliter le principe de Schwartz, ébranlé par les données empiriques, et sauvegarder la légitimité des politiques monétaires de lutte contre l’inflation. Or, le paradoxe de la crédibilité ne semble pas validé par les faits stylisés.

• Le paradoxe de la crédibilité : une hypothèse remise en cause par les faits stylisés Mésonnier (2004) ne parvient pas à établir un lien robuste entre la crédibilité de la Banque centrale et la recrudescence des crises. L’auteur a construit un indicateur d’instabilité financière à partir des travaux empiriques de Borio et Lowe (2002b), selon qui les grandeurs macro-économiques simples comme le ratio de l’encours de crédit au secteur privé rapporté au PIB ou le prix réel des actifs (cours des actions ou prix des logements déflatés de l’inflation courante), exprimés en termes d’écart à leur tendance de moyen terme, ont une vertu prédictive satisfaisante des crises bancaires. Mésonnier a élaboré une mesure synthétique des écarts à la tendance de trois variables, en fréquence annuelle de 1970 à 2001 : le ratio des encours de crédit bancaire au secteur privé rapporté au PIB nominal, le prix réel des logements et le cours réel des actions. Les trois séries sont ensuite agrégées en utilisant une moyenne inspirée de Bordo et alii (2001). Ainsi les phases d’exubérance macro-financière sont caractérisées par une expansion trop rapide du

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crédit et une envolée des prix des actifs. Il constate que les périodes où l’indicateur est élevé correspondent assez largement aux épisodes de bulles immobilières ou boursières. Il a également élaboré un indicateur relativement simple de la crédibilité de la politique monétaire en s’inspirant des travaux de Laxton et N’Diaye (2002). Il est fondé sur la différence entre le taux courant et ses plus hauts et plus bas niveaux historiques sur la période sélectionnée.29 Cette approche est justifiée par Goodfriend (1993) qui considère que la variation des taux nominaux à long terme donne une bonne approximation des craintes inflationnistes. Selon lui, le rendement des obligations d’Etat à long terme « contient une prime d’inflation qui peut être utile pour identifier des périodes de basse, moyenne et haute crédibilité » : la probabilité d’une forte crédibilité est importante lorsque les taux longs sont proches de leur minimum historique et inversement. 30 Les profils obtenus semblent vraisemblables : les années quatre-vingt sont caractérisées par une faible crédibilité, celle-ci augmente progressivement jusqu’à la fin des années quatre-vingt-dix alors que le processus de désinflation est achevé. Les évolutions simultanées des deux indicateurs de crédibilité de la politique monétaire et de fragilité financière pays par pays ne permettent guère de conclure en faveur de l’hypothèse d’un paradoxe de la crédibilité. Une relation décroissante ou croissante entre les deux indicateurs - tendant donc à, respectivement, invalider ou conforter l’hypothèse - semble se dessiner toutefois pour certains pays (voir annexe n°3). Les résultats de l’étude en coupe transversale réalisée sur la base d’un échantillon de seize pays ne permettent guère plus de trancher. Les nuages de points sont en effet très dispersés (valeur faible des R²) et la pente des droites de régression ajustées aux nuages n’est pas significativement différente de zéro. Mésonnier déclare : « La mise en évidence empirique d’un quelconque « paradoxe de la crédibilité » demeure difficile. » (2004, p. 82)

29 Faute de disposer d’un historique suffisamment long, Mésonnier n’a pu comparer les anticipations d’inflation (tirées des rendements des obligations d’État indexées sur l’inflation lorsque de tels titres existent) avec l’objectif d’inflation annoncé par la Banque centrale. L’étude de Castelnuovo et alii (2003) retient l’ancrage des anticipations à long terme de l’inflation comme critère de la crédibilité de la politique monétaire. Ils considèrent qu’elles sont correctement ancrées si elles présentent deux caractéristiques observables : un faible degré de volatilité autour d’un niveau donné, correspondant à l’objectif officiel d’inflation ou au milieu de la bande-cible lorsque la Banque centrale quantifie son objectif, ainsi qu’une faible corrélation avec les mouvements de l’inflation réalisée et les anticipations à court terme. 30 Cette hypothèse forte, qui revient à supposer que les variations des taux d’intérêt réels et des primes de risque n’expliquent qu’une faible proportion de la volatilité des taux à long terme nominaux, est plus vraisemblable pour les périodes où l’engagement anti-inflationniste de la politique monétaire est moins fort, ce qui constitue naturellement une limitation importante de l’indicateur choisi. Une autre limite tient à la forte volatilité de cette mesure de la crédibilité, alors que celle-ci s’acquiert dans la durée et ne progresse probablement que lentement. Toutefois, un document de travail récent de la BCE sur un sujet connexe (Gerlach-Kristen, 2003) apporte indirectement des arguments en faveur de l’indicateur retenu ici en démontrant que le taux d’intérêt à long terme dans la zone euro peut être vu comme une approximation de la perception de l’inflation de long terme par le public.

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Source : Mésonnier (2004). Face à la multiplication des crises financières en période de faible inflation qui a remis en cause le principe de Schwartz, Goodfriend (2001) ainsi que Borio et Lowe (2002) ont émis l’hypothèse d’un paradoxe de la crédibilité des banques centrales. Ce faisant, ils en ont déduit la nécessité de lutter davantage contre les pressions inflationnistes et l’expansion de la masse monétaire. Ils ont justifié théoriquement leur approche en faisant référence aux travaux d’Allen et Gale (1999, 2000), qui montrent que l’expansion du crédit favorise une hausse des cours sans rapport avec l’évolution des fondamentaux. Ils l’ont validée empiriquement en soulignant l’existence d’une boucle crédit-prix des actifs, conformément à la théorie de l’accélérateur financier. Ils se sont ensuite inspirés des travaux de Kent et Lowe (1997) et de Bordo et Jeanne (2002b) pour établir dans ce contexte l’efficience d’une politique monétaire préventive plus restrictive. Nul ne s’est véritablement attardé sur l’absence de preuve empirique de l’existence du « paradoxe de la crédibilité » (Mésonnier, 2004). En outre les modèles de référence évoqués ci-dessus sont d’une simplicité dommageable puisque leurs conclusions découlent essentiellement de leurs hypothèses de départ. Ainsi Allen et Gale supposent que la rentabilité marginale du capital et le rendement de l’actif sans risque diminuent avec la croissance, tandis que le risque de faillite augmente avec l’endettement. Il n’est pas difficile de montrer dans ces conditions que le crédit alimente la spéculation et donc une hausse des cours puisque l’offre de titres est rigide. Kent et Lowe supposent que la taille de la bulle, exogène, diminue lorsque le taux d’intérêt monte. Ils en déduisent sans surprise que la politique monétaire doit être restrictive. Bordo et Jeanne considèrent que l’offre de crédit dépend de la valeur de marché des actifs boursiers et de la dette accumulée. Ils recommandent évidemment que la politique monétaire ne soit pas trop laxiste en période d’euphorie pour limiter le gonflement des ratios d’endettement et éviter une pénurie de prêts lors d’un retournement exogène des anticipations. Ces auteurs rejettent la responsabilité des crises financières sur la politique monétaire. Ils ignorent néanmoins les effets stabilisateurs que pourraient avoir une augmentation de l’offre de crédit sur les marchés boursiers via l’arbitrage des agents et l’offre de titres. En dopant la croissance et en améliorant la rentabilité des actifs corporels, une politique monétaire expansive peut améliorer la solvabilité des débiteurs et réduire le risque de faillite. Elle peut ainsi favoriser les investissements physiques au détriment des achats d’actions, tout en suscitant un regain d’émission de titres.

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Pour appréhender ces phénomènes, il est essentiel de modéliser un arbitrage réaliste des agents dans le cadre d’un modèle en équilibre général aussi complet que possible. Afin de justifier de manière plus vraisemblable les recommandations des tenants du « paradoxe de la crédibilité », Bernanke et Gertler (1999), Cecchetti et al. (2000) ont introduit un mécanisme d’accélérateur financier et une bulle exogène dans un modèle AS-AD. Ils se sont demandé s’il serait opportun d’introduire le prix des actifs dans la fonction de réaction des banques centrales car, non seulement les variables financières ont un contenu informationnel sur l’évolution des variables objectifs des autorités, mais en outre, elles affectent directement l’économie réelle, via les mécanismes explicités précédemment. Néanmoins, la plupart des économistes font preuve d’une grande prudence, voire d’un certain scepticisme sur le sujet, pour plusieurs raisons : - Les cours boursiers sont des variables trop volatiles pour être ciblées. - La réponse des banques centrales ne doit pas être systématique mais conditionnée à la nature des chocs. - La conduite de la politique monétaire fondée sur la valeur de marché des actions se heurte à plusieurs formes d’incertitudes :

- L’impact des cours sur l’activité est incertain et méconnu.

- Le contrôle des autorités sur les variables financières est relativement aléatoire.

- Il est impossible de déterminer avec certitude la valeur fondamentale des actifs financiers. De ce fait, il est difficile de diagnostiquer l’émergence d’une bulle spéculative. - Enfin, cibler un indice boursier peut être coûteux au regard du sacrifice en croissance induit par une politique destinée à prévenir ou crever une bulle.

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2.1.2. L’introduction du prix des actifs dans la fonction de réaction des banques centrales

L’introduction du prix des actifs dans la fonction de réaction de la Banque centrale peut avoir deux objets : - mieux contrôler l’inflation ; - éviter l’explosion des bulles spéculatives et les crises de solvabilité. Deux arguments plaident en faveur de la prise en compte du prix des titres : - Son évolution est une variable avancée de la demande, déterminant de l’inflation future, car elle influence les variables réelles de l’économie par l’intermédiaire de plusieurs canaux, notamment un effet de richesse et surtout un effet d’accélérateur financier (Greenwald, Stiglitz et Weiss, 1984 ; Bernanke et Gertler, 1989, 1998 ; Kiyotaki et Moore, 1997)31. - Les cours boursiers dépendent théoriquement des anticipations futures des rendements de la croissance et de l’inflation. Ils donnent de l’information sur les variations futures des objectifs finaux de la Banque centrale. Ces deux arguments peuvent être contradictoires si l’on admet l’existence de bulles spéculatives puisqu’en ce cas, les prix des actifs influencent la demande mais ne reflètent pas l’évolution des variables fondamentales futures. En outre, le signe de la relation entre l’évolution du prix des actions et l’inflation dépend de la nature des chocs. Une augmentation de la demande conduit à une hausse du prix des biens et à une progression des cours puisque les profits sont accrus. Cependant un choc d’offre positif fait baisser les prix mais implique aussi une augmentation de la profitabilité et des indices boursiers. Enfin, le décalage entre les prix des actifs et le prix des biens peut être très instable. Selon Artus (2000), il n’y a pas de lien robuste entre l’inflation future et l’évolution du prix des actifs financiers. La Banque centrale ne peut ignorer l’impact de la finance sur le réel32 ; ceci étant, nombreux sont ceux qui doutent de sa capacité à influencer les variables financières. D’un point de vue conventionnel, la politique monétaire peut difficilement prévenir l’émergence et le développement des bulles spéculatives. Le président de la Fed., Alan Greenspan (2002b), a défendu cette approche dans un discours prononcé en 2002. « Such data suggest that nothing short of a sharp increase in short-term rates that engenders a significant economic retrenchment is sufficient to check a nascent bubble. The notion that a well-timed incremental tightening could have been calibrated to prevent the late 1990s bubble is almost surely an illusion. Instead, we need to focus on policies to mitigate the fallout when it occurs and, hopefully, ease the transition to the next expansion. » Jusqu’en 2000, la plupart des économistes considéraient que la Banque centrale ne devait pas réagir directement au prix des actifs, sauf exception33. Cette conviction ne fait plus 31 Survey voir Gertler (1988) ainsi que Bernanke, Laubach et al. (1999). 32 Le prix des actions a une influence notable sur le niveau de la production et des prix dans le modèle que la Fed. utilise pour effectuer ses prévisions. Le taux de change et le prix des actifs immobiliers influencent aussi fortement les prévisions d’inflation et de production du modèle macro-économique utilisé par la Banque d’Angleterre. 33 Selon Poole (1970), la Banque centrale devrait lutter contre les fluctuations du prix des actifs sans rapport avec l’évolution attendue des fondamentaux puisqu’elles peuvent perturber le fonctionnement du secteur réel.

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l’unanimité. Un débat s’est engagé sur la nécessité de réagir ou non aux variations des cours boursiers. (Batini et Nelson, 2000 ; Bernanke et Gertler, 1999, 2001 ; Cecchetti et al., 2000, 2002 ; Taylor, 2001). Bernanke et Gertler (1999) estiment que : « The inflation targeting approach dictates that central banks should adjust monetary policy actively and pre-emptively to offset incipient inflationary and deflationary pressures. Importantly for present purposes, it also implies that policy should not respond to changes in asset prices, except insofar as they signal changes in expected inflation. » Bernanke (2002) juge que la prévention de l’instabilité financière relève prioritairement de l’action prudentielle. C’est également l’avis de Schwartz (2002). A contrario, Cecchetti et al. (2000) ainsi que Dupor (2002) préconisent une réaction au cas par cas de la Banque centrale face à la volatilité excessive du prix des actifs : «A central Bank concerned with both hitting an inflation target at a given time horizon, and achieving as smooth a path as possible for inflation, is likely to achieve superior performance by adjusting its policy instruments not only to inflation (or its inflation forecast) and the output gap, but to asset prices as well. Typically modifying the policy framework in this way could also reduce output volatility. We emphasize that this conclusion is based on our view that reacting to asset prices in the normal course of policymaking will reduce the likelihood of asset price bubbles forming, thus reducing the risk of boom-bust investment cycles. » (Cecchetti et al., 2000) Le professeur Charles Goodhart, (2000) membre du comité de politique monétaire de la Banque centrale d’Angleterre, va plus loin encore et préconise d’introduire une cible du prix des actifs dans la fonction de réaction de la Banque centrale. Il existe deux types de travaux sur la question : les uns postulent que le prix des actifs reflète la valeur fondamentale des titres (Artus, 2000 ; Durré, 2001 ; Laskar, 2003). Leurs auteurs se préoccupent exclusivement de savoir si la prise en compte systématique des cours boursiers dans les règles monétaires permet de mieux stabiliser l’inflation et l’output gap (2.1.2.1). D’autres auteurs se sont demandé si l’introduction du prix des actifs dans la fonction de réaction des banques centrales permet de limiter l’ampleur des phénomènes de boom and Bust et donc l’impact négatif des crises financières sur le bien-être social. Leurs auteurs introduisent des bulles spéculatives dans des modèles en équilibre général (2.1.2.2). Bernanke et Gertler (1999, 2001) comme Cecchetti et al. (2000) utilisent un modèle néo-keynésien dynamique dans lequel des tensions sur le marché du crédit peuvent se manifester lorsque apparaît une bulle spéculative exogène, via un effet d’accélérateur financier. Ils examinent la pertinence de différentes fonctions de réaction. En dépit de la similitude de leurs modèles, les auteurs défendent des recommandations différentes.

Par contre, la Banque centrale devrait tolérer les modifications des cours qui résultent de l’évolution des fondamentaux puisqu’elles limitent l’ampleur des ajustements réels nécessaires pour atteindre l’équilibre. En 1973, Alchian et Klein suggèrent aux banques centrales de stabiliser un indice composite des prix qui prendrait en compte le prix des actifs financiers. Selon ces auteurs, la principale mission de la Banque centrale est la préservation du pouvoir d’achat de la monnaie or les agents ne l’utilisent pas seulement pour acheter des biens de consommation mais aussi des actifs financiers. En outre, les cours sont un indicateur avancé du revenu réel des agents dans le futur.

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2.1.2.1. Efficience des marchés financiers et réaction des banques centrales au prix des actifs

Les hypothèses de ces modèles sont très restrictives et limitent la portée de leurs enseignements à l’analyse des marchés efficients. Ils ne permettent pas d’étudier l’impact de la politique monétaire sur la stabilité des marchés financiers. Ils peuvent néanmoins indiquer si l’introduction du prix des actifs dans la fonction de réaction des banques centrales peut stabiliser l’inflation. Ces travaux ont le mérite de montrer que la réaction de la Banque centrale aux mouvements du prix des actifs doit dépendre de la nature des chocs qui les affectent. La contribution de Durré (2001) est représentative à cet égard. S’appuyant sur un modèle très proche de celui de Smets (1997), il aboutit aux conclusions suivantes : En cas de choc de demande positif, l’augmentation des taux directeurs affecte l’activité de deux manières : d’un part, via la hausse du coût du capital et d’autre part, via la baisse du prix des actifs qui entraîne un ralentissement de la demande par l’intermédiaire de l’effet de richesse. Pour atteindre leur objectif, les autorités doivent donc logiquement prendre en compte l’impact des taux sur les cours et leur effet rétroactif sur l’activité. En ignorant le rôle rééquilibrant des effets de richesse, la politique monétaire pourrait être trop rigoureuse. En bref, les prix des actifs ont un rôle amplificateur, exactement comme le taux de change dans le cadre des ICM. Lors d’un choc d’offre (technologique), la Banque centrale ne doit pas réagir à la hausse du prix des actifs. En effet, les gains de productivité entraînent à la fois une augmentation de l’offre et un accroissement de la valeur fondamentale des actifs. Si bien que par effet de richesse, la demande s’ajuste à l’offre. A cet égard, le prix des actifs a une vertu équilibrante. Enfin, la Banque centrale doit lutter vigoureusement contre les effets d’un choc financier, comme une modification de la prime de risque. Plus la sensibilité de la demande au prix des actifs est forte, plus la réponse de la politique monétaire doit être rigoureuse. C’est aussi ce que démontrent Artus (1998) et Laskar (2003). Or en pratique, il n’existe pas de méthode infaillible pour déterminer rapidement quelle est la source des déséquilibres observés. Dès lors, une réaction inopportune aux variations du prix des actifs peut s’avérer très pénalisante si, par exemple, un choc de productivité est interprété comme une bulle et inversement, ou si deux types de chocs coexistent.

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Encadré 13. Le modèle de Laskar (2003) Laskar se demande si, en économie ouverte, il faut introduire le prix des actifs financiers et le taux de change dans la fonction de réaction de la Banque centrale. Son modèle est proche de celui de Smets (1997) et Gerlarch et Smets (2000) mais il introduit un dilemme entre stabilisation de la production et stabilisation du niveau des prix. Il suppose que les chocs ne sont pas corrélés dans le temps et se cantonne à une analyse statique du modèle suivant :

t t tp zγ ε= − (2.1)

t t t t t tz r f qα β δ ω ε= + + + − (2.2)

( )( )1t t t t tf r zρ ε ϕ= − + − + + (2.3)

t t tq r ξ= − + (2.4)

It t tp p qθ= + (2.5)

t t tr i p= + (2.6)

t t tf F p= + (2.7)

t t tq e p= − (2.8) avec

, , , 00 10 1

γ α β δρθ

>< << <

Toutes les variables sauf les taux d’intérêt sont en logarithme. Les chocs sont des variables aléatoires de moyenne nulle et toutes les variables sont définies en écart par rapport à l’état stationnaire. L’auteur suppose, comme Smets (1997), que la Banque centrale cherche à stabiliser le niveau des prix plutôt que le taux d’inflation. L’équation (2.1) est la fonction d’offre de biens où tz représente l’écart de la production ty au niveau ty qui serait atteint si les prix et les salaires étaient complètement flexibles. tp est le prix du bien produit et tε est un choc d’offre, c'est-à-dire de productivité. Sachant que les salaires nominaux sont déterminés à la période précédente, l’offre de biens s’accroît avec le prix tp . L’équation (2.2) correspond à la demande du bien produit qui varie négativement avec le taux d’intérêt réel tr et positivement avec le taux de change réel tq (une hausse de q signifiant une dépréciation). La demande de bien s’accroît également avec le prix réel des actions tf . La variable tω représente un choc de demande. Le choc d’offre tε− intervient car on peut montrer que l’on a t ty ε= et donc t t tz y ε= − .

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L’équation (2.3) détermine la valeur d’une action à partir d’une relation d’arbitrage approchée où le prix des titres est déterminé en partie par le gain en capital et en partie par le montant des dividendes versés td qui sont supposés varier proportionnellement à la production,

( )t t t td y z ε= = + . La variable aléatoire tϕ représente un choc affectant le prix des actions. L’équation (2.4) est une relation d’arbitrage reliant les taux d’intérêt réels, domestique et étranger tr et *

tr à l’évolution du taux de change réel tq . Le choc tξ peut être interprété soit comme une variation de la prime de risque, soit comme une variation du taux d’intérêt réel étranger. En effet, on a ' *

t t trξ ξ= + où 'tξ est la prime de risque.

L’équation (2.5) définit le niveau général des prix Itp où θ représente la part des importations, c'est-à-dire le degré d’ouverture du pays. Les équations (2.6), (2.7) et (2.8) définissent respectivement le taux d’intérêt réel r, le prix réel des actifs financiers f ainsi que le taux de change réel q, en fonction des valeurs nominales correspondantes ( i, F et e respectivement). La Banque centrale minimise l’espérance de la fonction de perte B

t tE L où la perte tL s’écrit :

2 2t t ItL z pχ= +

et où B

tE désigne l’espérance conditionnelle à l’information dont dispose la Banque centrale durant la période t. Les autorités monétaires cherchent donc à stabiliser, d’une part, l’écart de la production à son niveau avec complète flexibilité des prix et des salaires et d’autre part, la valeur des prix autour d’un niveau normalisé ici à zéro. Lorsque la Banque centrale connaît la nature et l’ampleur des chocs, le montant optimal du taux d’intérêt réel qui minimise sa perte d’utilité est le suivant :

1 1t t t t tr f qθ γ ψβ δ ω ε

α γ ψ γ ψ⎡ ⎤⎛ ⎞ + +

= + + + −⎢ ⎥⎜ ⎟+ +⎝ ⎠⎣ ⎦

avec /1 0/

t tt

t t

z rp r

ψχ

∂ ∂= >

∂ ∂

Il apparaît qu’à l’optimum, le taux doit réagir au prix des actifs et au taux de change réel. Quand le prix des actions monte ou lorsque la monnaie se déprécie, la demande augmente via l’effet de richesse dans le premier cas ou du fait d’une hausse des exportations dans le second, si bien que la Banque centrale doit neutraliser cette expansion en augmentant le taux directeur réel. Lorsque les autorités monétaires sont incapables de cerner la nature des chocs, la réaction optimale des taux au prix des actifs peut être négative. La fonction de réaction optimale est la suivante : t t ti F eμ υ= +

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Les valeurs des coefficients μ et υ dépendent des variances des chocs. Leur signe est ambigu et peut devenir négatif, comme dans Smets (1997) et Gerlach et Smets (2000), sauf en cas d’absence de choc de demande où υ >0. Si la variance de tε et tω est suffisamment importante, la réponse au prix des actions ou au taux de change peut donc avoir un signe opposé à celui obtenu avec information complète : une hausse du prix des actions ou une dépréciation du taux de change peuvent alors être associées à une baisse du taux d’intérêt. Ainsi, en cas de choc d’offre positif, les autorités monétaires doivent baisser le taux afin d’accroître la demande. Lorsque les chocs ne sont pas connus, la réaction de la Banque centrale aux prix des actifs peut être négative. Le modèle présenté ci-dessus ne peut expliquer l’apparition des bulles spéculatives et l’instabilité financière inhérente au fonctionnement des marchés financiers puisque les cours reflètent la valeur fondamentale des titres. La seule préoccupation de l’auteur est la stabilité des prix sur le marché des biens et services. Il ne se demande pas s’il faut réagir aux mouvements du prix des actifs pour stabiliser le cycle financier. Pour répondre à cette question, il aurait fallu qu’une inégalité provisoire entre les rentabilités effective, attendue et exigée soit possible. Son approche peut sembler plutôt incohérente car, selon Filardo (2004), les cours boursiers n’ont aucun impact sur les variables réelles lorsqu’ils reflètent les fondamentaux. “The fundamental component of asset prices does not « cause » output or its components; the converse is generally true. In terms of macroeconomic modelling, a well specified output or inflation equation would have no intrinsic role of asset prices. (…) From this viewpoint, the fundamental component of asset price movements is doing nothing more in these macroeconomic equations than picking up the effects of missing variables, which in many cases may represent expectations of future fundamentals. In contrast, the non fundamental components of asset prices - again assuming they exist- play an intrinsic role in determining output and inflation.” Il est donc surprenant de trouver un effet de richesse ou un effet d’accélérateur financier dans des modèles qui postulent que les cours reflètent la valeur fondamentale des titres. Ces travaux ne remettent pas en cause l’hypothèse d’efficience des marchés or de nombreuses études empiriques tendent à la rejeter : Des tests d’efficience menés, soit sur le niveau des prix, soit sur leur volatilité, ont rejeté l’hypothèse d’une égalité entre le prix des actions et leur valeur fondamentale (West, 1987 ; Froot et Obstfeld, 1991 ; Chirinko et Schaller, 1996 ; Wu, 1997 ; Bhar and Malliaris, 2001), égale à la somme actualisée des dividendes anticipés.

( )*

1

at

t t

DivPr

= ∑+

L’existence d’une bulle peut expliquer le rejet des tests d’efficience. Néanmoins, les tests de bulle sont parfois peu robustes ; l’instabilité des anticipations peut donner l’illusion de

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l’existence d’une bulle. L’examen a posteriori de séries temporelles fait l’impasse sur la formation des anticipations et sur les probabilités attachées aux différents scénarios envisagés. En ignorant les probabilités anticipées à l’époque, l’économètre conclura à l’absence d’efficience (Cogley, 1999). Pour remédier à ces limites, certains modèles incorporent une « bulle rationnelle » dans la valeur du prix des actifs.

• Bulle exogène et politique monétaire La plupart des modèles s’inspirent des travaux de Blanchard et Watson (1982) sur les « bulles rationnelles. » Le prix de l’actif est égal à sa valeur fondamentale plus une bulle exogène.

*t t tP P B= +

et ( )*

1 1*

1t t t

t t

E P BP B

r+ ++

+ =+

Le rendement dépend des dividendes anticipés et de la plus-value anticipée, générée par la variation de la bulle ( )1t tB B+ − , il y a multiplicité des solutions puisque la répartition du rendement entre dividendes et bulle peut être modifiée à volonté. Plusieurs expressions ont été formulées. La plus simple est une fonction exponentielle du temps. Elle présente l’inconvénient d’être explosive. Sa divergence est continue ; elle est donc peu crédible.

0 (1 )ttB B r= +

Pour éviter la divergence permanente, Blanchard et Watson (1982) ont modélisé une bulle qui présente une probabilité d’éclatement périodique :

( )1

1

0 1

t

t

r Bavec probabilité pB

avec probabilité pπ+

+⎧⎪= ⎨⎪ −⎩

Néanmoins, Diba et Grossman (1988) affirment qu’après avoir éclaté, la bulle ne peut pas réapparaître dans un monde d’investisseurs hyper-rationnels. Cependant, Tirole (1985) montre que, sous certaines conditions, dans un modèle à générations imbriquées ayant chacune un horizon fini, les bulles peuvent apparaître, éclater et émerger à nouveau, même en cas de forte rationalité. Weil (1990) montre qu’il est possible d’envisager des bulles négatives en cas de forte hausse des taux. Dans les modèles qui laissent place à la confiance, le pessimisme peut déboucher sur une sous-évaluation persistante des cours. Certains auteurs ont reproché à ces modèles de mettre en cause la rationalité des arbitrages. Abreu et Brunnermeier (2003) ont montré cependant que des bulles peuvent exister même

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lorsque les arbitragistes sont rationnels, s’ils ne peuvent pas coordonner leur stratégie de vente. Il est possible de lier partiellement les « bulles rationnelles » avec l’évolution des fondamentaux. Froot et Obtsfeld (1991) ont introduit la notion de « bulle spéculative intrinsèque.»34 Elle génère d’importantes surévaluations liées à une sur-réaction aux fluctuations des fondamentaux. Ces auteurs estiment que ces bulles sont plus réalistes. Filardo (2004) les trouve attrayantes car la politique monétaire peut influencer leur développement sans le contrôler entièrement. Certaines modélisations accordent moins d’importance aux fondements théoriques et davantage à la vraisemblance empirique. Meltzer (2003) a élaboré des bulles qui présentent les mêmes caractéristiques que les bulles rationnelles sans reposer sur l’hypothèse restrictive d’hyper-rationalité. Les bulles non rationnelles débouchent sur une hausse rapide des cours, liée à une survalorisation du mouvement des fondamentaux. Selon Artus (1995), ces bulles « ont diverses propriétés attrayantes : elles ne divergent pas obligatoirement, elles ne disparaissent pas brutalement et elles ne conduisent pas nécessairement à une augmentation de la volatilité des cours ; leur dynamique et leur réponse aux aléas qui affectent le dividende peuvent être complexes. »

( )exptB aDiv tα β= Ces approches macro-économiques laissent à désirer puisque les déséquilibres sont exogènes. De nombreuses explications alternatives d’ordre micro-économique ont été avancées comme : l’existence d’anticipations irrationnelles, un horizon de court terme, le comportement particulier des gérants de fonds qui diffère de celui des investisseurs individuels ; l’existence d’une stratégie de portefeuille (cf. Artus, 1995). Le modèle élaboré et présenté dans la troisième partie de cette thèse montre effectivement que l’arbitrage des agents en situation d’incertitude peut générer une bulle spéculative endogène.

2.1.2.2. Le modèle avec bulle rationnelle de Bernanke et Gertler Bernanke et Gertler (1999) ont introduit une bulle spéculative exogène dans le modèle néo-keynésien en équilibre général de Bernanke, Gertler et Gilchrist (1998) qui est décrit en détail dans la première partie. La valeur de marché des actifs ne correspond plus à leur valeur fondamentale, équivalente aux ressources nettes du producteur. Les cours boursiers influencent l’activité, via un effet de richesse, jugé relativement secondaire, mais surtout, via un effet « d’accélérateur financier » qui résulte de l’asymétrie d’information et de l’existence d’un coût d’agence. Ils supposent que le financement interne est moins cher que le financement externe. La prime de risque dépend de la situation financière des entreprises et notamment de leur valeur de marché. Lorsque le prix des actions monte, la valeur des collatéraux augmente et entraîne une réduction du coût marginal du financement externe, ce qui provoque une hausse de 34 Voir également Ikeda et Shibata (1992).

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l’endettement et de l’investissement. Comme le prix des actifs peut s’écarter de sa valeur fondamentale, la variation des cours peut déstabiliser le cycle de l’activité. Durant la phase d’expansion des cours, la prime de risque diminue si bien que l’investissement, la demande et le PIB potentiel s’accroissent, et inversement lorsque la bulle éclate. La valeur de marché du prix d’un titre S peut s’écarter de sa valeur fondamentale Q égale à la somme actualisée des dividendes anticipés :

( )

( ){ }

1 100

1 1 1

1 /

1 /

ii q

t t t i t iij

qt t t t t

Q E D R

Q E D Q R

δ

δ

+ + + +==

+ + +

⎡ ⎤= −⎢ ⎥

⎣ ⎦

= + −⎡ ⎤⎣ ⎦

∑ ∏ (2.9)

avec δ le taux de dépréciation du capital, D les dividendes, q

tR le taux d’actualisation. Les auteurs supposent qu’une bulle peut persister avec une probabilité p et croître de la manière suivante jusqu’à son éclatement :

( )1 1 1

1

qt t t t t

aS Q S Q Rp

p a

+ + +− = −

< <

Etant donné que a/p>1, la bulle se développe jusqu’à son explosion. Les auteurs supposent qu’après le krach, elle ne peut pas émerger à nouveau. Ces hypothèses impliquent que la part anticipée de la bulle soit :

( )1 1

1

t tt t tq

t

S QE a S QR

+ +

+

⎛ ⎞−= −⎜ ⎟

⎝ ⎠ (2.10)

D’après les équations (2.9) et (2.10) la valeur de marché du capital est égale à : ( ){ }1 1 11 / s

t t t t tS E D S Rδ+ + += + −⎡ ⎤⎣ ⎦

avec ( )1 1 1s q tt t

t

QR R b bS+ +

⎡ ⎤= + −⎢ ⎥

⎣ ⎦

avec ( )1b a δ≡ −

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Encadré 14. Le modèle de Bernanke et Gertler (1999)

Les lettres en majuscule désignent la valeur des variables à l’état stationnaire, les lettres en minuscule indiquent leur log-variation : La demande agrégée

et t t t t

C C I Gy c c i gY Y Y Y

= + + + (2.11)

1t t t tc r E cσ += − + (2.12)

1et t tc s k += + (2.13)

1 1 1( )t t t tE q i kϕ+ + += − (2.14)

L’équation (2.11) est la version log-linéarisée de l’identité du revenu national. Les auteurs distinguent la consommation des ménages C de la consommation des entrepreneurs eC ou propriétaires d’entreprises. L’équation (2.12) désigne la condition d’Euler relative à la consommation des ménages. Les auteurs supposent (équation (2.13)) que la consommation des entrepreneurs dépend de la valeur des actions. Son élasticité à la valeur de la capitalisation boursière est égale à 0,04 conformément aux estimations de Ludvingson et Steindel (1999). Selon l’équation (2.14), l’investissement est fonction de la valeur fondamentale du capital, sachant qu’il est planifié avec un an de retard. Rendement des actions et du capital

( )1 1

1( )t t t t tqs q E s q

bRδ

+ +

−− = − (2.15)

( )( ) 11qt t t t t tr mc y k q qϑ ϑ −= − + − + − (2.16)

( )( ) 11st t t t t tr mc y k s sϑ ϑ −= − + − + − (2.17)

( )( )1 1 1s qt t t t t tE r E r b s q+ += − − − (2.18)

( )1s

t t t t t tE r r n s qψ+ = − − − (2.19) L’équation (2.15) décrit l’évolution attendue de la bulle. L’équation (2.16) définit la rentabilité fondamentale du capital comme la somme de la rentabilité effective du capital et l’augmentation de sa valeur fondamentale. mc est le coût marginal de production, égal à l’inverse du mark up et ( ) ( )1 / / 1Y Kϑ δ α δ= − + − où α est la part du capital. L’équation (2.17) définit la rentabilité des actions de manière analogue. L’équation (2.18) montre que la relation entre la rentabilité des actions et la rentabilité fondamentale dépend de la présence de la bulle. L’équation de la rentabilité de l’action est égale au taux d’intérêt plus une prime qui dépend de la richesse nette des entreprises et de l’évolution relative de la valeur des titres et du capital.

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L’offre agrégée

(1 )t t t ty z k lα α= + + − (2.20)

( )1t t t t ty l mc c lχ− + − = − (2.21)

1 1 1t t t f t t b tE kmc Eπ θ π θ π− + += + + (2.22) L’équation (2.20) est une fonction de production Cobb Douglas où z est la log-variation de la productivité par rapport à son état stationnaire. l désigne le facteur travail. L’équation (2.21) est la condition de premier ordre de l’arbitrage des ménages entre travail et loisir, où χ est un paramètre de la fonction d’utilité. L’équation (2.22) décrit l’évolution de l’inflation lorsque les prix sont changés de manière stochastique (Calvo, 1983). Si 1fθ = et 0bθ = , l’équation (2.22) est identique à une courbe de Phillips augmentée des anticipations avec prix rigides. Si 0bθ > , les anticipations sont en partie extrapolatives.

( )1t t tk i kδ δ= + − (2.23)

( ) ( )1 1

1 kq s s

t t t t t t

RKn R r E r y nN

τ

τ− −

⎡ ⎤−⎢ ⎥= − + +⎢ ⎥⎣ ⎦

(2.24)

1z

t g t tg gρ ε−= + (2.25)

1z

t z t tz zρ ε−= + (2.26) Les équations (2.23) et (2.24) décrivent les évolutions du capital et de la valeur de marché des fonds propres des firmes. τ est la probabilité qu’une entreprise survive à la période suivante. Selon les équations (2.25) et (2.26), les dépenses de l’Etat et la productivité totale des facteurs suivent un processus auto-régressif de premier ordre.

1n

t t t tr r Eβ π += + (2.27)

1n

t t t tr r E π += − (2.28) L’équation (2.27) est la règle de politique monétaire. L’équation (2.28) désigne le taux d’intérêt réel. Les auteurs ont simulé les effets de 4 scénarios différents de politique monétaire, représentée par la fonction de réaction suivante :

1 1n

s t t s tr E Sπγ π γ+ −= +

nsr : taux d’intérêt nominal, 1t tE π + : taux d’inflation anticipé, 1tS − prix des actions.

- La politique monétaire ne réagit pas au prix des actions et réagit peu à l’inflation ( 0sγ = ; 1,01πγ = ).

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- La politique monétaire ne réagit pas au prix des actions et réagit fortement à l’inflation ( 0sγ = ; 2πγ = ). - La politique monétaire réagit au prix des actions et réagit peu à l’inflation ( 0,1sγ = ; 1,01πγ = ). - La politique monétaire réagit au prix des actions et réagit fortement à l’inflation ( 0,1sγ = ; 2πγ = ). Les résultats de leurs simulations montrent que les politiques fortement réactives à l’inflation sont plus efficientes que les politiques faiblement réactives à l’inflation. Les politiques réactives au prix des actifs sont moins efficientes que les politiques qui ne le sont pas.

Politiques qui réagissent au prix des actifs

Politique peu réactive à l’inflation

Politique très réactive à l’inflation Graphique II.7. Source : Bernanke et Gertler (1999)

Politiques qui ne réagissent pas au prix des actifs

Politique peu réactive à l’inflation

Politique très réactive à l’inflation Graphique II.8. Source : Bernanke et Gertler (1999)

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Selon ces simulations, le coefficient de réaction à l’inflation devrait être supérieur à 1 pour stabiliser le cycle financier. L’introduction du prix des actifs dans la fonction de réaction de la Banque centrale est inefficiente, même si le coefficient de réaction (0,1) est faible. Selon eux, l’instabilité financière serait imputable soit à une sous-réaction des taux à l’inflation, soit à la réaction de la Banque centrale au cours boursiers. Quand en cas de bulle, la Banque centrale répond seulement à l’inflation, une politique rigoureuse ( 2πγ = ) modère considérablement les effets de la hausse puis de l’effondrement du prix des actifs car les agents intègrent la forte sensibilité des taux aux pressions inflationnistes générées par l’évolution des cours. L’anticipation d’une hausse brutale du taux d’intérêt est suffisante pour juguler l’euphorie des agents et pour stabiliser de facto l’inflation et l’output gap. Tant et si bien qu’ex post, la Banque centrale n’a pas à modifier davantage son taux directeur par rapport à ce qu’impliquerait une politique accommodante. En revanche, lorsque les autorités monétaires répondent explicitement au prix des actifs, une politique accommodante provoque des effets néfastes. En effet, la valeur fondamentale du capital chute avec l’anticipation du relèvement du taux d’intérêt, et comme cette baisse fait plus que compenser les effets stimulants de la bulle, l’ouput gap diminue. Ce résultat, pour le moins contre-intuitif, est interprété par les auteurs comme un « dommage collatéral possible lorsque la Banque centrale répond au prix des actifs ». Mais il résulte aussi du comportement forward looking des entrepreneurs privés qui, par hypothèse, sont capables de distinguer la composante spéculative de la composante fondamentale de la capitalisation boursière, et qui ne se réfèrent qu’à cette dernière pour déceler les opportunités d’investissement. La perversité de la règle intégrant le prix des actifs est donc assez dépendante du choix de modélisation et des hypothèses retenues. Lorsque les autorités réagissent de manière agressive à l’inflation et qu’elles répondent modérément au prix des actifs, les différences avec la politique qui réagit exclusivement à l’inflation, sont négligeables. En fait, l’opiniâtreté de la réaction aux écarts d’inflation compense les effets pervers de la réponse au cours boursiers. Néanmoins, le calcul des variances de l’inflation et de l’output gap atteste la supériorité des cibles d’inflation strictes, sans référence directe au prix des actifs. Leurs conclusions sont identiques lorsqu’ils supposent que la Banque centrale est incapable de distinguer la part fondamentale de la part spéculative des mouvements des cours, en période de choc de productivité. Bernanke et Gertler estiment donc que la Banque centrale doit fortement lutter contre l’inflation et qu’elle ne doit pas réagir aux fluctuations du prix des actifs, sauf si elles lui donnent des indications supplémentaires pour anticiper le taux d’inflation futur. Gilchrist et Leahy (2002) confirment leur point de vue et estiment que la mise en œuvre d’une cible d’inflation agressive suffit à stabiliser l’activité et l’inflation face à un épisode « d’exubérance irrationnelle ». Bernanke et Gertler ont estimé les règles monétaires des Etats-Unis et du Japon sur la période 1979 -1997. Les résultats obtenus semblent valider leur thèse puisque le Japon, qui a connu les plus grandes difficultés sur la période considérée, est, selon eux, le seul pays à avoir réagi aux mouvements du prix des actifs financiers. Cependant, la fonction de réaction simulée par Bernanke et Gertler est réduite à sa plus simple expression puisque le taux directeur de la Banque centrale dépend uniquement de l’écart entre

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l’inflation et sa cible. Les auteurs ne se préoccupent pas de l’output gap pour deux motifs : ils considèrent qu’il évolue dans le même sens que les prix, ensuite ils estiment que la Banque centrale réagit peu à ses variations. Ils n’introduisent pas le chômage dans la règle monétaire, pour une raison simple : l’offre de travail serait le produit d’un arbitrage entre le travail et le loisir. De ce point de vue, le sous-emploi est volontaire et il n’est donc pas nécessaire de lutter contre son développement. Cette simplification est dommageable car elle est susceptible de modifier considérablement les résultats du modèle. C’est d’ailleurs la conclusion des travaux de Cecchetti et al. (2000).

2.1.2.3. La controverse soulevée par Cecchetti et al. Cecchetti et al. (2000) ont simulé le modèle de Bernanke et Gertler en rajoutant simplement l’output gap ( )*

t ty y− dans la fonction de réaction de la Banque centrale. Les résultats obtenus indiquent qu’une politique réagissant à l’évolution des prix des actifs est plus efficace qu’une règle uniquement polarisée sur l’inflation et l’output gap. Conformément à la théorie de Taylor (1993), la fonction de réaction de la Banque centrale est modifiée ainsi : ( )*

1 1n

s t t s t y t tr E S y yπγ π γ γ+ −= + + − avec n

sr , taux d’intérêt nominal, 1t tE π + , taux d’inflation anticipé, 1tS − , prix des actions. Ils ont simulé les effets d’une politique monétaire faiblement réactive au prix des actions et à l’inflation, (en choisissant les mêmes coefficients que ceux retenus par Bernanke et Gertler.

0,1sγ = ; 1,01πγ = ), mais réactive à l’output gap 1yγ = . Les résultats obtenus sont éloquents. La prise en compte du prix des actifs et de l’output gap dans la fonction de réaction permet de mieux stabiliser l’output et l’inflation, comme le montre le schéma II.9 ci-dessous.

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Gaël Callonnec – « Politique monétaire et bulle spéculative » - Thèse IEP Paris - 2005 152

Politique réactive au prix des actifs, peu réactive à l’inflation mais réactive à l’output gap

Graphique II.9. Source : Cecchetti et al. (2000) Cecchetti et al. ont ensuite recherché quelle politique la Banque centrale devrait conduire afin de minimiser la volatilité de l’inflation et de l’output, compte tenu de ses préférences. Quelle que soit la fonction de perte retenue, la règle optimale implique toujours une réaction positive au prix des actifs financiers. La Banque centrale souhaite minimiser la moyenne pondérée de la volatilité de l’inflation et du PIB : ( ) ( ) ( )var 1 varL yα π α= + − α indique le degré d’aversion des autorités monétaires à la volatilité de l’inflation. Résultats des simulations de Cecchetti et al. (2000)

Source : Cecchetti et al (2000) La perte d’utilité engendrée par la règle optimisée de Bernanke et Gertler est toujours supérieure de plus de 72 % à celle de Cecchetti et al.

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La perte est légèrement inférieure lorsque la Banque centrale réagit uniquement à l’évolution de la bulle plutôt qu’au prix des actifs, mais l’écart obtenu n’est pas très important. Lorsqu’on introduit un retard dans la fonction de réaction, la règle optimale suppose toujours une réponse positive aux fluctuations de la valeur des titres. 35 Les résultats de Clerc (2001a) plaident en faveur de Cecchetti et al. Reprenant le modèle de Bernanke, Gertler et Gilchrist, calibré pour la zone euro, il montre qu’une cible d’inflation agressive, augmentée du prix des actifs, s’avère tout aussi efficace qu’une cible d’inflation stricte, voire meilleure au vu de la stabilisation de la production. Toutefois, quelques nuances s’imposent. D’une part, l’amélioration induite par la prise en compte du prix des actifs est faible, d’autre part, cette meilleure stabilisation de l’activité est obtenue au prix d’une volatilité accrue de l’inflation, ce qui n’est pas neutre si la Banque centrale est relativement plus sensible à la variance de l’inflation qu’à celle de l’activité. Compte tenu des résultats de Cecchetti et al., Levieuge (2002) estime que les difficultés japonaises ne résultent pas de l’introduction du prix des actifs dans la fonction de réaction de la Banque centrale. Selon lui, elles s’expliqueraient plutôt par le caractère asymétrique de cette réaction qui serait bien plus vigoureuse à la baisse qu’à la hausse. Levieuge a également estimé la valeur des paramètres des fonctions de réaction des banques centrales. Les valeurs des coefficients sur la période estimée (1980-1999) sont cohérentes avec celles trouvées par Bernanke et Gertler sur la période 1979-1997. Estimations comparées des fonction de réaction des banques centrales américaine et Japonaise β

réaction à l’inflation

γ réaction à l’output

gap

ρ retard

d’ajustement

π cible

d’inflation

θ réaction au cours boursiers

Etat-Unis BG 1979-97 1,60 0,14 0,93 2,88 - BG 1979-97 1,71 0,2 0,93 2,79 -0,082 L 1980-99 1,77 0,146 0,928 3,04 - Japon BG 1979-97 2,21 0,2 0,95 1,73 - BG 1979-97 2,25 0,21 0,95 1,88 -0,006 BG 1989-97 1,24 0,30 0,95 -1,56 0,188 L 1980-99 1,99 0,138 0,955 2,22 - L 1980-99 1,741 0,165 0,95 2,22 0,032 Les initiales BG désignent les résultats obtenus par Bernanke et Gertler, et L, ceux de Levieuge.

35 Dans un article publié pour réfuter les objections de Cecchetti et al. (2000), Bernanke et Gertler (2001) ont recours à des simulations stochastiques de choc financier et de choc technologique, ainsi qu’à une situation hybride où s’entremêlent les deux, en supposant que leur covariance est positive, afin d’illustrer l’hypothèse selon laquelle les bulles auraient tendance à se développer en période de choc technologique positif. Leurs résultats peuvent être résumés en ces termes :

- une cible d’inflation agressive ( β >2) est toujours préférable à une règle accommodante, quelle que soit l’origine du choc.

- il est optimal d’intégrer l’output gap dans la règle. - l’insertion des prix d’actifs dans une fonction de réaction où ne figure que le taux de croissance des

prix, génère une très faible réduction de la variabilité de l’output gap, mais au prix d’une volatilité accrue de l’inflation.

Curieusement Bernanke et Gertler (2001) n’ont pas simulé les effets de la règle considérée comme optimale par leurs détracteurs, où figurent à la fois l’inflation, l’output gap et le prix des actifs.

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A la lecture de ces résultats, on peut sérieusement douter de l’importance que ces chercheurs accordent à la réaction du Japon au cours boursiers pour expliquer ses difficultés. L’asymétrie révélée par les estimations peut être biaisée par le choix de la période considérée, débutant en 1980. En outre, le coefficient de réaction aux cours boursiers θ est quasi nul sauf sur la période 1989-1997. Bernanke et Gertler pensent que la crise financière japonaise est due à l’importance relative de θ par rapport à β , le coefficient de réaction au taux de croissance des prix, mais ils négligent le fait que la cible d’inflation retenue sur la période est négative. Or, il est impossible que la BOJ ait cherché à atteindre une cible déflationniste. Ce curieux résultat révèle plutôt l’impossibilité de suivre une règle de Taylor usuelle en cas de profonde crise financière. Aubert et Eyssartier (2002) font justement remarquer que l’effondrement de la bourse japonaise a obligatoirement suscité des décisions de politique monétaire discrétionnaires répétées. Les paramètres estimés ne reflètent certainement pas la règle suivie ou souhaitée généralement par les autorités monétaires japonaises. S’il avait fallu que la BOJ se conforme à une règle de Taylor usuelle ( β =1,5 et γ =0,5), le taux directeur aurait été tout simplement négatif, de l’ordre de -2 %. Si l’on considère une période plus large, la réaction du Japon aux cours boursiers est relativement faible (-0,006) et sa réaction à l’inflation est plus forte que celle des Etat-Unis (2,25 contre 1,71), tandis que la cible retenue par le Japon est plus stricte (1,88 contre 2,79). On peut donc se demander au contraire, si cette aversion à l’égard de la hausse des prix n’est pas à l’origine de la crise financière japonaise. Cette question est d’autant plus pertinente que l’on sait rétrospectivement que l’hostilité des Etats-Unis à l’inflation n’a pas mis ce pays à l’abri des turbulences des marchés financiers. Pourtant, ce point de vue semble plutôt réfuté par les simulations opérées par Cecchetti et al. Selon eux, plus la réaction de la Banque centrale à l’inflation est forte, plus le cycle est stable. Néanmoins, ces résultats doivent être interprétés avec prudence. Cecchetti et al. n’ont testé que des chocs de demande provoquant un écart positif entre la croissance et son potentiel. En pareil cas, l’expansion de la masse monétaire a un effet purement inflationniste à long terme et ses conséquences sont néfastes. Si l’on suppose au contraire que l’output gap est négatif, il y a fort à parier que leur modèle débouche sur une conclusion radicalement différente. Ils n’ont pas testé de choc d’offre positif, comme un gain de productivité. Bernanke et Gertler (2001) montrent, qu’en ce cas, il vaut mieux ne pas prendre en considération le cours des actions. Cecchetti et al. (2000, 2002) en conviennent et déclarent que la réaction de la Banque centrale au prix des actifs doit dépendre de la nature des chocs qui les affectent. C’est pourquoi, ils déconseillent de les cibler. “It is our view that central banks can improve macroeconomic performance by reacting to asset price misalignments. We are not now saying, nor have we ever said, that policymakers should target asset prices.” (2002, p. 2) Cecchetti et al. considèrent que la Banque centrale doit donc réagir à la fois à l’inflation, à l’output gap et au prix des actifs afin de diminuer la volatilité de la production et des prix et de prévenir l’apparition d’une bulle en cas de choc de demande. Ils défendent donc des recommandations opposées au point de vue de Bernanke et Gertler, bien qu’ils se soient

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simplement contentés de modifier la fonction de réaction de leur modèle. Néanmoins, ils ne préconisent pas un ciblage systématique des cours boursiers. Ces auteurs s’accordent néanmoins sur la nécessité de lutter davantage contre la hausse des prix afin de prévenir une crise financière. D’un point de vue empirique, cela peut sembler curieux car il est difficile d’imputer les crises financières qui ont frappé successivement le Japon et les Etats-Unis, à la faiblesse du coefficient de réaction de leur Banque centrale à l’inflation, puisqu’il était proche de 2, c'est-à-dire supérieur au niveau d’une règle de Taylor usuelle.

• De l’impossibilité de cibler le prix des actifs Etant donné que la réponse optimale de la politique monétaire à l’évolution des cours boursiers dépend de la nature des chocs qui les affectent, il serait contre-productif d’introduire le prix des actifs dans la fonction de réaction des banques centrales, comme l’affirme Bean (2003). Selon lui, le débat qui oppose les partisans d’une politique monétaire plus activiste à ses opposants repose sur les questions suivantes : le prix des actifs financiers est il un bon indicateur avancé de l’inflation et de la croissance, une action préventive de la Banque centrale peut-elle être efficace ? D’après Stock et Watson (2003), les études économétriques établissent difficilement un lien significatif et stable entre la variation des indices boursiers, l’inflation et la croissance. Bean (2003) affirme, avec raison, que la hausse du prix des actifs peut être due à des chocs qui auront un impact différent sur la croissance et les prix selon les cas : « For instance, even if valued according to their fundamentals, equity prices could fall because of a reduction in expected future earnings, an increase in the expected risk-free discount rate, or a change in the equity risk premium. And that reduction in earnings might come about because of, for example, a fall in the expected rate of growth of productivity, an increase in corporate taxes, or an increase in product market competition. And finally, equity prices may include a non-fundamental or bubble component. But these various shocks all have rather different implications for growth and inflation, either qualitatively or quantitatively. That suggests that an automatic response to any single asset price is likely to be in general inappropriate, as stressed by Goodfriend. » Pour souligner la pertinence de cette approche, Mishkin (2001) fait une comparaison avec l’introduction des MCI, un indice composite du taux d’intérêt et du taux de change, dans les fonctions de réaction de la Nouvelle Zélande et de l’Australie, qui fut recommandée par Svensson (1997), Ball (1997) et Batini et Nelson (2000). Le taux de change a un impact sur la demande et les prix, c’est pourquoi il ne laisse pas les banques centrales indifférentes. Une dépréciation provoque généralement un regain de pressions inflationnistes puisqu’elle renchérit la valeur des importations. C’est notamment le cas lorsqu’elle est provoquée par des mouvements de capitaux spéculatifs. Mais si elle est causée par une diminution des termes de l’échange et une baisse structurelle des exportations, elle peut provoquer des tendances déflationnistes puisque la demande de biens nationaux décroît. En ce cas, il convient de baisser les taux et non l’inverse. La nouvelle Zélande en a fait la triste expérience en 1997. L’Australie a échappé à la récession en baissant ses taux au même moment.

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Le prix des actifs ne peut donc être considéré comme un indicateur avancé fiable de l’inflation et de la croissance. Mais ce point a toujours fait l’objet d’un consensus entre économistes. Ceux qui ont reproché à Cecchetti et al. de l’avoir négligé leur ont fait un faux procès. Rares sont les économistes qui plaident en faveur de l’introduction des cours boursiers dans la fonction de réaction de la Banque centrale, au motif que cela permettrait de mieux stabiliser l’output gap et l’inflation lorsque les marchés financiers sont à l’équilibre. La question ne se pose que si les marchés sont inefficients. Le véritable enjeu est de savoir si la Banque centrale peut prévenir et/ou limiter l’ampleur des bulles spéculatives et leurs effets désastreux sur la croissance. Elle soulève plusieurs interrogations : - la Banque centrale est elle en mesure de détecter précocement une surévaluation des cours ? - en ce cas, sa réaction peut-elle réduire la bulle sans provoquer un conflit d’objectif ? Bean (2003) doute fortement de la possibilité de pallier l’émergence d’une bulle spéculative via une action préventive ; il pense que la Banque centrale n’est pas capable de diagnostiquer une surévaluation des cours avant que celle–ci n’ait pris une importance démesurée. Un resserrement des taux serait alors inefficient puisqu’il provoquerait le krach tant redouté et accentuerait ses effets récessifs. « Once one can be fairly confident that a bubble has emerged, it is probably too late to take significant action against it without causing just the disruption to the real economy that one wants to avoid. If one is confident that an asset price bubble will continue, then one might want to raise interest rates in order to try to moderate it. But the presence of lags between an interest rate change and its effect on the real economy means that if one expects the bubble to burst imminently, then policy relaxation is appropriate now in order to prepare for the fallout. Tightening policy to deal with an asset price bubble may thus end up being counterproductive if the bubble then bursts, so that the economy is subject to the twin deflationary impulses of an asset price collapse and the lagged policy tightening. Gruen and Plumb (2003) explore this issue and show that the informational requirements necessary to make such activist policy effective are extreme. At best there seems likely to be only a very narrow window of opportunity during which action is likely to be effective. » Force est de reconnaître qu’il n’existe pas de modèle fiable capable de déceler avec certitude l’existence d’une bulle. Les prix des actifs ne délivrent pas une information suffisante pour autoriser un jugement infaillible en temps réel (Cogley, 1999 ; Okina et Shiratsuka, 2003). En outre, comme l’occurrence des bulles est plus probable en phase de croissance soutenue par un choc de productivité, il est délicat d’en prendre la mesure. De la même manière, Goodfriend estime que la forte volatilité des cours empêche la Banque centrale d’évaluer correctement les écarts en tendance entre le prix des actifs et leur valeur fondamentale. Ceci la conduirait à commettre de nombreuses erreurs, préjudiciables à la stabilité financière : Selon lui, la Banque centrale ne peut pas modifier ses taux directeurs trop brutalement ni trop souvent, faute de quoi, elle pourrait menacer la liquidité des marchés financiers et provoquer une crise aux conséquences désastreuses. En outre, les autorités monétaires doivent limiter la variation des taux courts afin de ne pas perturber la formation des taux longs qui théoriquement sont égaux à la moyenne anticipée à long terme des taux directeurs au jour le jour. En orientant les taux longs de manière tangible et claire, la Banque centrale préserve son pouvoir d’influencer l’activité puisqu’ils servent à actualiser les projets d’investissement et la valeur des actifs financiers.

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Cet écueil vise particulièrement la proposition d’Alchian et Klein (1973) d’intégrer les prix des actifs dans la mesure d’inflation ciblée par les autorités monétaires, afin de parvenir à une meilleure définition (inter-temporelle) du coût de la vie. Il donne plusieurs exemples pour récuser la pertinence d’un alignement de l’évolution des taux sur le mouvement des cours en évoquant de possibles conflits d’objectifs, liés notamment au décalage qui existe entre le cycle financier et le cycle réel : En phase haute du cycle, les pressions inflationnistes augmentent et entraînent une hausse des taux d’intérêt des obligations à long terme. Les agents anticipent un resserrement de la politique monétaire et un ralentissement de l’activité, ce qui provoque une diminution du prix des actifs. Même en pareil cas, il estime que la Banque centrale doit relever ses taux à court terme pour contenir l’inflation. L’expansion de l’activité peut entraîner une hausse des salaires réels susceptible de réduire les profits. En ce cas, les cours peuvent baisser avant même que l’activité ne ralentisse. Là encore, il estime que la Banque centrale doit augmenter ses taux afin de prévenir une surchauffe, à moins que la chute des cours et la réduction des profits ne provoque une diminution de la demande. Il estime qu’en cas de choc de productivité, la Banque centrale ne doit pas augmenter ses taux lorsque les cours s’élèvent si les coûts unitaires de production restent stables. Par contre, lorsque la croissance de la productivité ralentit et que le coût unitaire du travail monte, il affirme que la Banque centrale doit accroître ses taux même si la baisse des profits réduit le prix des actifs. Néanmoins, les cas cités en exemple par Goodfriend sont trompeurs puisqu’à chaque fois, les cours évoluent dans le sens qu’indiqueraient des anticipations rationnelles fondamentales. Il semble négliger la possibilité qu’un déséquilibre puisse se développer de manière radicale et durable. Or c’est ce cas de figure précis qui préoccupe Cecchetti et al. Dès lors, on peut très bien envisager que la Banque centrale réagisse positivement au prix des actifs, sans qu’il y ait le moindre conflit d’objectif, et notamment lorsque le prix des titres continue à augmenter en période d’expansion de l’activité, malgré la baisse des profits et la hausse des salaires. Mishkin (2001) et Bean (2003) abondent dans le sens de Goodfriend. Ils estiment que l’effet du prix des actifs sur la demande et l’inflation est implicitement pris en compte dans la fonction de perte de la Banque centrale. Il est inutile de la complexifier davantage. Non seulement cela pourrait accroître l’instabilité financière mais cela rendrait plus difficiles encore la transparence et la lisibilité de la politique monétaire. Bernanke et Gertler (2001) estiment qu’une cible du prix des actifs est d’autant moins nécessaire qu’une stratégie de cible d’inflation rigoureuse favorise l’établissement d’un environnement macro-économique stable, devant lui-même profiter à la stabilité financière. Cette idée est partagée par Okina et al. (2001) et Cassola et Morana (2002). Cecchetti et al. supposent que les autorités monétaires sont en mesure d’identifier au moins approximativement l’apparition d’une bulle spéculative, comme le suggèrent les travaux de Borio et Lowe (2002). Mishkin estime que cette hypothèse est contestable et que les autorités monétaires ne sont pas plus compétentes que les marchés pour distinguer si les variations du cours boursiers sont dues à des bulles ou à une modification des fondamentaux.

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Cecchetti et al. ont conscience de la difficulté à estimer l’écart entre le prix de marché des actifs et leur valeur fondamentale, mais ils soutiennent que cet exercice n’est guère plus hasardeux que l’estimation de l’inflation future ou de l’output gap, qui d’ailleurs requiert l’anticipation du prix des actions. “While we agree that it is difficult to estimate the degree to which an asset price is misaligned, it is not obvious that it is easier to estimate an output gap or the NAIRU, measures that are commonly used in helping frame monetary policy. Indeed, one could argue that assumptions about asset price levels, and the extent of misalignments, are essential inputs into the process of estimating something like an output gap. The output gap estimate depends importantly on underlying productivity growth (which affects prospective potential output) and the equilibrium equity risk premium (which affects corporate investment, which in turn, affects trend growth) – the same uncertain inputs that are to be necessary to estimate the degree of stock price misalignment. Moreover, one’s estimate of the prospective output gap also depends on what is likely to happen to the actual level of output, which, through the standard wealth effect, depends directly on the degree to which asset prices are misaligned. As we see it, if you cannot estimate asset price misalignments, you cannot forecast inflation either.” Mishkin a reproché à Cecchetti et al. d’avoir implicitement supposé que la Banque centrale est mieux informée que les intervenants sur le marché. Cecchetti et al. ont rejeté cette critique en affirmant qu’une telle hypothèse n’est pas nécessaire pour justifier l’intervention des autorités monétaires. Ils considèrent que les prix ne reflètent pas toute l’information disponible, faute de quoi les surévaluations ne pourraient pas apparaître. Selon eux, les marchés sont inefficients parce que les intervenants sont soumis à des pressions à court terme qui les empêchent de spéculer conformément à leurs anticipations à long terme. « It has been suggested that central Bank officials will never be able to determine whether asset prices are misaligned in the sense we use the term here. After all, the argument goes, markets have incorporated all available information into prices and what do policymakers know that market participants do not? We find this argument to be specious because it assumes that ‘incorporating all available information’ automatically eliminates misalignments. But unless strong-form market efficiency holds in practice, this is not the case. Furthermore, our proposal does not call for central banks to respond to small misalignments. We agree that these are difficult to detect and are unlikely to have very strong destabilizing effects in any case.” (2002, p. 18) Les imperfections des marchés financiers et leur inefficience justifient donc l’intervention de La Banque centrale. “Market participants who feel that the stock market is “overvalued” may find it difficult to maintain an investment stance that is reflective of their views if the “bubble” is relatively prolonged. By contrast, policymakers may well be subject to less short-termist performance-related pressure.” (2002, p. 16) Ce point de vue est partagé par la Banque des Règlements Internationaux (BRI) : “…the case for a policy response need not depend on the ability of policymakers to make better judgments than the private sector. Rather, the fact that policymakers have different

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responsibilities and incentives may well mean that they respond quite differently to the same assessment of current trends.” (BRI, 2001, p. 136) La prise en compte du mimétisme existant sur les marchés financiers en situation d’incertitude (Artus et Kaabi, 1994) explique également l’inefficience des marchés. Un examen de la crise boursière qui a frappé les Etats-Unis en 2000-2002, montre que le point de vue de Cecchetti n’est pas dénué de fondement. Artus (2003) révèle par exemple que le Price to Earning Ratio (PER) des valeurs technologiques, compris entre 1970 et 1980 à la fin des années 1990 en Europe et aux Etats-Unis, a atteint des valeurs incompatibles avec le calcul de la somme actualisée des revenus futurs. Le président de la Fed., Alan Greenspan, a lui-même dénoncé « l’exubérance irrationnelle » des marchés, trois ans avant le krach. La Banque centrale américaine a donc diagnostiqué l’émergence de la bulle relativement tôt. Ceci accrédite l’idée selon laquelle les autorités monétaires sont en mesure d’identifier les surévaluations du marché précocement. Néanmoins, la Fed. n’a pas réussi à juguler la bulle, malgré une série de hausse des taux. Le débat qui a opposé Bernanke et Gertler et Cecchetti et al. peut paraître quelque peu surfait, sachant qu’aucun d’entre eux ne préconise d’introduire explicitement le prix des actifs dans la fonction de réaction des banques centrales, et que tous admettent qu’il est opportun de prendre en considération l’impact des prix des actifs sur l’output gap et l’inflation, en fonction de la nature des chocs qui les affectent et de l’importance des canaux de transmission des cours sur le réel. Rares sont ceux qui recommandent aujourd’hui une attitude de begnin neglect aux autorités monétaires. Tous s’accordent par contre pour affirmer qu’une politique radicalement anti-inflationniste est susceptible de limiter l’instabilité financière. Pourtant, les modèles de Bernanke et Gertler ou de Cecchetti et al. souffrent d’une importante limite : la bulle est exogène. La politique monétaire ne peut, ni limiter son ampleur, ni sa durée, ni même prévenir son apparition. Leurs modèles ne permettent donc pas de savoir si la politique monétaire peut pallier ou au contraire favoriser l’émergence d’une bulle spéculative. En outre, ils sont résolus après linéarisation des équations, ce qui limite leur pertinence à de faibles perturbations autour de l’état stationnaire et donc à l’étude de bulles de très petite taille. Or, la politique monétaire doit traiter des perturbations de grande amplitude. Filardo (2003c, 2004) a tenté de corriger cette lacune en introduisant une bulle intrinsèque dans un modèle stochastique linéaire et « backward looking ». Le prix des actions est égal à sa valeur fondamentale plus une bulle qui est supposée dépendre partiellement de l’activité, de l’inflation et des taux passés. Il montre qu’en réagissant au prix des actifs, les autorités monétaires peuvent réduire la dimension des bulles et limiter la variation de l’output et de l’inflation, même si elles ne peuvent distinguer les variations liées aux fondamentaux de celles qui ne le sont pas (Filardo, 2001). Mais ces résultats dépendent complètement de la structure subjective du modèle.36 Or il ne repose pas sur des micro-fondations explicites comme celui de Bernanke et Gertler (1999). En outre, ce modèle, comme les précédents, est incapable d’étudier l’impact de la politique sur l’apparition des bulles.

36 L’auteur s’est simplement contenté de supposer que le taux de croissance de la bulle est une fonction négative du taux d’intérêt directeur.

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Pour y parvenir, il faut renoncer à l’introduction d’une bulle exogène sans supposer pour autant une égalité systématique entre la rentabilité attendue et la rentabilité exigée, égale au taux d’intérêt majoré d’une prime de risque. Pour être cohérent, il faut aussi rejeter l’hypothèse d’une offre d’actions constante. Théoriquement, lorsque les cours boursiers reflètent instantanément leur valeur fondamentale, la variation du nombre de titres en circulation n’a pas d’impact sur la capitalisation boursière car elle est automatiquement compensée par une baisse de leurs prix. Mais dès qu’ils peuvent s’écarter de leur valeur fondamentale, les prix sont déterminés par l’offre et la demande de titres. Les émissions d’actions ont alors un impact déterminant sur la capitalisation boursière et l’hypothèse de la rigidité de l’offre de titres n’est plus sans conséquence. Lorsque leur prix est déterminé par l’arbitrage des agents en situation d’incertitude, que les émissions ne sont pas fixes et que l’on introduit un effet d’accélérateur financier et un effet de richesse dans un modèle d’équilibre général, des bulles endogènes peuvent apparaître. Il est alors possible d’étudier l’effet de la politique monétaire sur la stabilité financière. En outre, si l’on suppose, contrairement à ces modèles, que la production est inférieure à son potentiel et que le plein-emploi n’est pas atteint, on peut se demander si l’introduction d’une cible de taux de chômage dans la fonction de réaction des banques centrales, ne provoquerait pas un changement des résultats aussi significatif que celui obtenu par Cecchetti et al. lorsqu’ils introduisirent l’output gap dans le modèle de Bernanke et Gertler.

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2.2. Une explication alternative : l’hypothèse de l’instabilité financière de Minsky

Les théories post-keynésiennes du cycle financier ont certainement inspiré les tenants du « paradoxe de la crédibilité » comme le souligne Mésonnier (2004). Néanmoins, les deux approches sont fondamentalement différentes. Selon Minsky, la bulle n’est pas le produit de pressions inflationnistes latentes qui, combinées à la faiblesse des taux d’intérêt, déboucheraient sur une forme de surinvestissement. Selon l’hypothèse de l’instabilité financière, la surévaluation des cours résulte d’une spéculation à crédit qui génère une augmentation du ratio des emprunts sur l’investissement physique. Elle débouche sur une hausse relative des charges financières par rapport aux cash flows qui dégrade la solvabilité des entreprises. Cela les conduit à émettre davantage de titres d’emprunt à court terme sur les marchés financiers. Ceci entraîne une baisse de la part des liquidités dans le portefeuille des agents qui provoque une élévation des taux tout au long de la phase ascendante. Tant que la masse monétaire et la vitesse de circulation de la monnaie augmentent, la hausse des taux ne parvient pas à juguler le boom car il existe une interaction positive entre le crédit et le prix des actions. Il persiste tant que les entreprises sont en mesure de drainer les liquidités pour faire face à leurs charges financières croissantes. Lorsqu’elles n’y parviennent plus, les firmes revendent leurs titres, ce qui provoque un krach et une récession. Du point de vue de Minsky, la bulle ne résulte pas du laxisme des autorités monétaires. Il considère au contraire, qu’une politique restrictive aggraverait le déséquilibre (2.2.1). La plupart des modèles post-keynésiens qui se sont inspirés de son approche ont remis en cause l’austérité monétaire (2.2.2).

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2.2.1. Le modèle à deux prix de Minsky En faisant la distinction entre un prix de demande du capital et son prix d’acquisition, Minsky a mis en évidence l’existence d’un mécanisme comparable à l’accélérateur financier, à partir duquel il a pu justifier l’hypothèse d’une instabilité financière endogène (2.2.1.1). Minsky estime qu’en période de croissance, la propension à s’endetter augmente sous l’effet d’une hausse du prix de demande du capital (induite essentiellement par la baisse de la prime de risque et de la préférence pour la liquidité, qui l’une et l’autre entraînent une appréciation de la valeur de marché des firmes). Cela provoque une diminution de la solvabilité des entreprises et une augmentation du coût du capital, jusqu’à ce que le manque de liquidité engendre un krach. Certains économistes d’obédience keynésienne ont contesté ce scénario (2.2.1.2) en arguant d’une part, qu’une contraction de la solvabilité des entreprises est peu probable en période de croissance et d’autre part, qu’il est difficilement concevable qu’une hausse des cours boursiers et de l’endettement coïncide avec une augmentation des taux d’intérêt. Selon ces auteurs, c’est la dégradation des ratios de liquidité (induite par la diminution de la préférence pour la liquidité suscitée par l’euphorie de la croissance) qui provoque une baisse de la solvabilité et non le contraire. L’inversion de cette relation causale n’est pas sans conséquence puisque le gonflement des charges financières se produit beaucoup plus tardivement dans ce cas de figure. Or, pour Brossard (1998), c’est précisément cette lenteur qui serait à l’origine du développement des déséquilibres financiers. Cette question revêt une importance primordiale, puisque le moyen de juguler l’apparition des déséquilibres dépend de la réponse apportée. Dans le premier cas de figure envisagé par Minsky, la politique monétaire devrait être plus expansive, tandis qu’elle devrait être plus restrictive dans le second. Les détracteurs de « l’hypothèse de l’instabilité financière » ont négligé plusieurs éléments d’explication et notamment l’existence de la spéculation à crédit des agents qui est un phénomène crucial aux yeux de Minsky. Celle-ci explique la croissance du ratio des charges financières sur les cash flows, puisqu’elle provoque une baisse de la part des investissements productifs sur l’endettement. Elle alimente une hausse des cours sans rapport avec les fondamentaux qui peut expliquer le développement de la dette malgré l’augmentation des taux. Un rapide examen des données empiriques américaines sur les 20 dernières années accrédite son approche.

2.2.1.1. L’hypothèse de l’instabilité financière Minsky estime que le cycle est régulé par l’écart entre le prix de demande du capital et son prix d’acquisition, mais aussi par l’écart entre la rentabilité réalisée et la rentabilité anticipée. Le prix de demande du capital Pk est fonction des cash flows anticipés, des charges de la dette et de la quantité de monnaie en circulation. Selon lui, le coût de l’endettement comme l’offre de crédit dépendent du risque perçu par les banques. Celui-ci est une fonction croissante du ratio des charges financières sur la valeur de marché de l’entreprise.

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Il considère qu’une hausse de la masse monétaire provoque une baisse de la préférence pour la liquidité qui induit une augmentation relative du prix des actifs financiers risqués par rapport aux actifs liquides peu risqués. Le prix du capital PI est équivalent au prix des biens d’équipement augmenté des coûts de financement. L’investissement augmente jusqu’au point où l’écart entre les deux prix s’annule. Cette conception ressemble à la théorie du Q de Tobin ; cependant il existe une divergence de taille entre les deux approches : Pour Tobin, la valeur de marché du capital équivaut à la somme actualisée des profits anticipés. Selon lui, la différence entre les deux ne peut être que transitoire puisqu’en pareil cas, l’investissement productif est préféré aux investissements sur les marchés financiers, ce qui provoque une baisse du prix des titres et un retour à l’équilibre. Pour Minsky, le prix de demande du capital n’est pas seulement fonction de la somme actualisée des rendements prospectifs, elle est aussi fonction de la politique monétaire et de la perception du risque lié à l’endettement. Le prix de l’investissement, quant à lui, ne résulterait pas de l’équilibre entre l’offre et la demande de biens d’équipement, déterminé par un hypothétique commissaire priseur, il dépendrait essentiellement de la structure de coûts et du pouvoir de marché des firmes. A partir de ces définitions, Minsky peut élaborer un « modèle à deux prix » et justifier l’hypothèse d’une instabilité financière endogène. La valeur de marché du capital est une fonction décroissante du risque qui lui même dépend de l’écart entre la rentabilité réalisée et la rentabilité anticipée (qui est aussi celle exigée par les créanciers). Si cet écart est positif, la valeur boursière du capital augmente. Parallèlement, si la solvabilité du débiteur s’améliore, alors le coût de l’investissement baisse puisque la prime de risque est réduite. L’écart entre ces deux prix se résorbe grâce à une hausse de l’investissement qui est financée par une augmentation de l’endettement si le ratio désiré dettes sur fonds propres reste constant. Supposons que les cash flows dégagés par la firme soient égaux aux cash flows anticipés et qu’ils soient égaux à Q1 sur le graphique II.10 ci-dessous ; la firme peut autofinancer un investissement d’un montant : Q1/Pi = I1. A ce niveau, l’écart entre Pk et Pi est positif, le levier d’endettement est important, l’entreprise doit investir. Pour investir au delà du montant I1, elle doit recourir à l’emprunt. La hausse de la dette entraîne une augmentation du risque qui provoque une baisse de la valeur de marché du capital Pk : à mesure que l’investissement progresse, la courbe Pk prend la forme de b1. Parallèlement, le coût de financement s’accroît avec la dette ; le coût du capital Pi s’élève et évolue de la même manière que p1. A l’équilibre, p1 est égal à b1. L’investissement atteint un niveau Ia. La part de l’autofinancement est représentée par la surface : 0AA’Ia ; la dette , par la surface : APiPi’A’ ; la valeur de marché de la firme est représentée par la surface : 0PkDIa. Au point Ia, la rentabilité effective est égale à la rentabilité anticipée, le risque initialement encouru par l’emprunteur et le prêteur diminue. Pk augmente : la courbe b1 se déplace en b2, tandis que Pi baisse, la courbe p1 se déplace en p2, si bien que l’investissement croît en Ib. Selon Minsky, il suffit juste que les anticipations de cash flows des investisseurs se réalisent pour que le niveau d’endettement désiré des agents s’accroisse de façon endogène.

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Si la rentabilité effective est supérieure à la rentabilité anticipée, alors la courbe d’autofinancement se déplace en Q2. On assiste à une véritable explosion de l’investissement et de l’endettement parce que le ratio charges financières sur fonds propres initialement désiré, n’a pas été réalisé. Selon Minsky, il est rationnel de s’endetter en cas de hausse de la rentabilité non anticipée car une entreprise qui n’utiliserait pas entièrement le levier disponible risquerait de voir sa valeur de marché s’effondrer en situation concurrentielle. Tant que les cash flows générés par les nouveaux investissements permettent de couvrir leurs charges financières, il n’y a pas de raison de craindre de brusques retournements. Il en va différemment lorsque la baisse du risque perçu suscite une augmentation de la part de la dette dans le financement des firmes. En ce cas, le ratio des charges financières sur les cash flows augmente jusqu’au point où les entreprises sont contraintes d’emprunter pour payer les charges de leur dette antérieure. Elles émettent alors de plus en plus d’obligations ou des bons de trésorerie à échéance de plus en plus brève. Ainsi la part de la dette obligataire dans le financement externe augmente, ce qui provoque une baisse du ratio liquidités /dette et une hausse des taux d’intérêt qui aggrave le problème de liquidité des firmes37.

Graphique II.10

Tant que les entreprises parviennent à payer leurs charges financières et tant que le PIB augmente, les cours montent. Cela entretient la confiance et l’optimisme sur les marchés, et notamment sur le marché bancaire, puisque le ratio dette /capitalisation boursière diminue. Ainsi l’offre de crédit s’accroît à nouveau malgré la hausse des taux. Réciproquement, l’expansion monétaire réduit la préférence pour la liquidité des agents et finance en partie les 37 La titrisation de la liquidité oisive permet donc d’augmenter la vitesse de circulation de la monnaie et d’accroître l’investissement pour une quantité de monnaie Banque centrale inchangée.

p1 p2 p3 p4

b1 b3 b4

Pi’ Q2

A’ Q1

Pk

C

Pi

A

0

I1 Ia Ib I2 Ic Id

b2

D

E

Source : Minsky 1975

Croissance et fragilisation financière dans le modèle à deux prix.

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achats d’actions. Les cours s’élèvent davantage. Il existe donc une interaction positive entre les indices boursiers et le crédit. Ainsi, l’augmentation des taux ne provoque pas nécessairement une diminution du prix des actifs financiers si elle s’accompagne d’un regain de confiance et d’optimisme sur les marchés qui se traduit par une baisse de la préférence pour la liquidité. Si en parallèle, la part de la dette obligataire sur l’endettement total continue de croître malgré l’expansion de la masse monétaire, les encaisses de liquidités oisives s’épuisent et le refinancement sur le marché obligataire devient de plus en plus onéreux. La hausse des taux dégrade encore un peu plus la solvabilité des entreprises, ce qui les conduit à émettre toujours plus de titres d’emprunt à court terme. Le ratio cash flow sur dette chute de manière auto-entretenue. Lorsque la vitesse de circulation de la monnaie atteint un maximum, les agents ne sont plus en mesure de payer leurs charges financières croissantes, ils revendent leurs actifs financiers pour se désendetter. Les prix des titres déclinent, ce qui suscite un revirement des anticipations et une augmentation de la préférence pour la liquidité. En pareil cas, il y a une diminution générale de l’efficacité marginale du capital et un effondrement de l’investissement. Sur le graphique ci-dessous, tout l’investissement est exclusivement financé sur fonds propres dont une partie peut être consacrée au désendettement ou mise en réserve. Récession et krach financier Graphique II.11. La différence entre I* et I est égale aux disponibilités financières. Elles sont consacrées à la réduction de la dette ou à l’acquisition d’actifs financiers. Il est possible d’envisager un cas extrême où le pessimisme est tel que l’investissement est complètement nul, comme l’indique le graphique II.12.

Pk

Pi

I I*I

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Contraction du stock de capital productif Graphique II.12. La contraction de l’investissement provoque une crise. Les entreprises sont incitées à se désendetter, à réduire leurs excès de capacité et à améliorer la structure de leur bilan. Ces restructurations sont nécessaires pour que la reprise ait lieu mais selon Minsky, elles ne sont pas suffisantes. L’intervention du prêteur en dernier ressort (ou la mise en place d’une politique expansive) est incontournable. Minsky déroule le cycle financier selon les étapes suivantes : 1) k iP P> : hausse de l’investissement, 2) profits élevés et baisse du risque, 3) croissance de l’endettement et des cours, 4) hausse du ratio charges financières/cash flows, 5) augmentation de la part du financement externe et fragilisation de la structure

financière réduction du ratio liquidités /titres, accélération de la vitesse de circulation de la monnaie et hausse des taux d’intérêt,

6) élévation du risque et liquidation d’actifs, 7) retournements des anticipations des prix d’actifs, 8) hausse de iP et baisse de kP , chute de l’investissement et de la demande effective, 9) déflation du prix d’actifs et des biens produits, 10) renforcement des difficultés des prêteurs comme des emprunteurs, 11) récession cumulative en l’absence de politique monétaire et budgétaire de relance. En bref, la croissance sur les marchés financiers débouche sur une forme de sur-réaction en phase expansive, qui perdurerait jusqu’à l’explosion. Dans son approche, le gonflement de la dette s’accompagne donc d’une bulle spéculative. Puisque le crédit finance la spéculation des agents et les investissements financiers des entreprises, les charges financières augmentent plus vite que les revenus de la production. Ce décalage débouche sur une crise de liquidité désastreuse. Cela entraîne immanquablement un effondrement de l’investissement et de la demande effective conjuguée à une chute des cours.

Pk

Pi

I

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2.2.1.2. La controverse autour de l’hypothèse de l’instabilité financière

Dans ce scénario, l’instabilité financière ne résulte pas d’une hausse tardive des taux d’intérêt. Au contraire, Minsky impute la fragilité financière à l’augmentation relative de la charge de la dette par rapport aux cash flows. Selon ses détracteurs, cela n’a rien de systématique puisque les nouveaux investissements génèrent des profits supplémentaires (la courbe Q se déplace vers la droite lorsque la dette bancaire augmente). Il ne peut y avoir de baisse de la solvabilité des firmes en période de croissance, à moins que les agents fassent preuve d’une forme d’« aveuglement au désastre. » D’autres auteurs, comme Lavoie (1983) ou Brossard (1998), estiment que le scénario de Minsky est relativement incohérent car selon eux, la hausse des taux devrait juguler l’expansion de l’endettement. C’est pourquoi Brossard estime que la fragilisation ne peut pas être provoquée par une augmentation du ratio charges financières/cash flows. Il estime que la crise résulte plutôt d’une diminution du rapport liquidités/titres. Selon Brossard, ce sont les anticipations concernant le prix futur des titres qui déterminent la vitesse de circulation de la monnaie. Selon lui, l’euphorie financière provoquée par la croissance entraîne une réduction de la préférence pour la liquidité qui permet justement aux entreprises de se refinancer à faibles coûts sur les marchés financiers. En période de croissance et d’optimisme, la demande de monnaie au motif de spéculation diminue, la préférence pour la liquidité s’amoindrit et cela provoque une augmentation de la demande d’obligations. Les émissions d’obligations peuvent alors croître sans provoquer une hausse des taux. Si la part de l’endettement obligataire des firmes augmente, le ratio liquidités sur titres s’élève. Le retournement s’opère lorsque le « shortage of cash » provoque une remontée rapide des taux d’intérêt.

Les ressorts d’une crise de liquidité Selon Brossard, la crise ne résulte pas d’une hausse précoce des taux mais d’une augmentation tardive et brutale des taux au moment où les bilans sont fragilisés. Pour que l’explication alternative avancée par Brossard soit acceptable, il faudrait démontrer que la dette obligataire augmente systématiquement par rapport à la dette bancaire en phase ascendante, faute de quoi, il n’y aurait pas de baisse du ratio liquidités/titres puisque les crédits bancaires correspondent à une injection équivalente de liquidités (les crédits font les dépôts). Or cela n’a rien d’inéluctable puisque les emprunts bancaires sont moins onéreux que les emprunts obligataires. Les entreprises devraient donc préférer les premiers aux seconds, même en période d’optimisme démesuré. Il est donc difficile de prétendre que la part du

Titrisation et baisse de la PPL

Hausse du prix des actifs

Hausse du crédit Maintien des

taux à un faible niveau

Pk Pi>

Hausse de la dette

Baisse du ratio liquidités/titres

Hausse tardive et brutale des taux et fragilisation des bilans

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financement obligataire augmente sans qu’il y ait une dégradation préalable de la solvabilité des entreprises, à moins de considérer que la création monétaire est limitée. Brossard en vient à faire des recommandations plutôt contradictoires : sachant qu’il impute la crise à une hausse tardive des taux, il est plutôt favorable à une politique monétaire réactive et fortement contra-cyclique, mais par ailleurs, il considère que l’augmentation de la part de la dette obligataire fragilise l’économie et qu’il convient d’injecter des liquidités en phase ascendante du cycle via l’open market. On peut envisager d’appliquer ces recommandations en cas de bulle sur le marché obligataire, mais cela paraît peu vraisemblable en cas de hausse démesurée du prix des actions. En fait, Brossard réduit implicitement l’instabilité financière à une crise de liquidité induite par une forme de surinvestissement financée par une bulle obligataire. Or Minsky considère que l’expansion des investissements s’accompagne d’une augmentation du prix des actions. Minsky invoque plusieurs arguments pour expliquer la hausse du ratio charges financières/cash flows au cours de la phase ascendante: - la spéculation à crédit et l’envolée des cours. - l’inflation du prix des biens d’équipements en période de croissance (il suppose que Pi est une courbe croissante et convexe). - la contradiction salaires-profits en situation de quasi plein-emploi. - la limite imposée par le taux de croissance naturel, établie par les travaux d’Harrod et Domar sur l’instabilité de la croissance. Minsky (1975) insiste tout particulièrement sur le premier argument : Lorsque le risque diminue et que les agents anticipent une appréciation du prix des actions, ils spéculent à crédit avec l’accord bienveillant des banques. Or, lorsque les investissements financiers sont financés en contractant des emprunts, le ratio charges financières/cash flows augmente mécaniquement puisque le ratio crédit/investissement productif s’élève. « If a decrease in risk aversion affects households that own shares in the same way that it affects managers and bankers, who effect the shifts in acceptable debt ratios for investment and capital holdings, then households will become more willing to finance such “margin” purchases of shares. This will lead to a rise in share prices. Such a rise in the market price of equities was interpreted by Keynes as involving “an increase in the marginal efficiency of the corresponding type of capital” which in the terminology used here raises pk for given Q’s. Keynes noted that “during a boom the popular estimation of both of these risks, both borrower’s risk and lender’s risk, is apt to become unusually and imprudently low.” This implies that during a boom the ratio of debt financing to investment increases; this is borne out by the available data on corporate debt.” (Minsky, 1975, p. 112) Si la spéculation est financée par une augmentation de l’offre de crédit bancaire, le ratio liquidités/titres reste stable. C’est pourquoi Minsky considère qu’il diminue seulement quand les agents substituent des titres obligataires aux actifs liquides qui figurent dans leur portefeuille. Cela se produit lorsque les entreprises sont contraintes d’émettre des obligations à court terme ou des billets de trésorerie pour faire face à la baisse de leur solvabilité. Pour Minsky, c’est la hausse du ratio charges financières/cash flows qui provoque une baisse des liquidités/titres et non l’inverse comme le soutient Brossard.

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« Whenever the willingness to debt finance increases and is carried through, then the objective ratio of the [cash payment commitments] CC’s to the [capital return] Q’s increases. As the CC’s rise relative to the the Q’s, the gross profits after taxes and after the cash commitment due to liabilities will begin to grow less rapidly than the pace of investment and of debt. As lenders and borrowers seek new way to finance investment, borrowers increasingly, on the margin, will tap sources of funds that value liquidity ever more highly – that is contract terms on debts will rise. This implies that short term cash needs due to debts can outrun the cash being generated by the Q’s. This is due mainly to the short term nature of many boom debts, which require the repayment of principal at a faster pace than the cash generated by the underlying operation permits.” (Minsky, 1975, p. 114) Minsky considère que la structure financière des entreprises n’est pas neutre, en conséquence, elles doivent en permanence spéculer sur la composition optimale de leur actif comme de leur passif, en fonction de la valeur de marché des titres et de leur liquidité. C’est pourquoi les firmes spéculent également en bourse, au même titre que les ménages et les sociétés financières. Cette spéculation peut avoir deux objets différents mais non exclusifs l’un de l’autre : Elles se procurent des actifs financiers jugés relativement liquides et rentables pour diversifier leurs risques ou simplement pour disposer de réserves de valeurs en cas de crise conjoncturelle. Elles font un arbitrage entre croissance interne et croissance externe. “Thus each firm has a balance sheet, a collection of assets and liabilities, which yields a cash flow q from operations and contract fulfilment and which entails a cash flow c owing to the liabilities the firm has outstanding. There is a subset of assets in the balance sheet which have a good secondary market, so that the firm can expect to dispose of them at a fairly firm price. Furthermore, these assets can be disposed of without seriously affecting the q from plant and equipment. An operating firm therefore has to speculate on q-c and on the assets to be owned which are valued for their disposal properties, i.e., assets which yield implicit returns in the form of l [liquidity]. A firm can acquire additional assets, which yield q, by increasing its liabilities, thus raising c, and by decreasing its liquid assets, thus lowering l. It can also increase its l by increasing its c; firms and households often have debts and own liquid assets. This portfolio decision is a decision under uncertainty.” Or, en période d’optimisme, Minsky considère que les entreprises investissent en bourse. Si elles financent leurs acquisitions d’actions à crédit, alors le ratio charges financières/cash flows augmente. Si les émissions nettes d’actions sont négatives, leur prix s’élève et cela, malgré la hausse des taux d’intérêt. “A decision to invest is a decision to emit liabilities or decrease liquidity: the cash received in exchange for commitments c is the currency used to pay for the investment. Similarly, a decision to acquire second hand capital goods, and to acquire control over other corporations – is a decision to emit liabilities that are obligations to make payments c or to decrease liquidity. In the corporate manoeuvrings, takeovers, mergers, and conglomerate expansions that characterize a boom, the c flow commitments increase relative to the expected q flow receipts. Furthermore, in the euphoric atmosphere of a boom, when optimistic views of the future prevail, the ratio of the market price of assets that command a liquidity premium l to the market price of other financial assets that yield c is decreased: liquid assets interest rise relative to other rates.” (Minsky, 1975, pp. 88-89)

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Pour Minsky, la hausse continue des taux d’intérêt est donc en partie suscitée par l’augmentation de la demande et du prix des actifs en période euphorique. C’est pourquoi elle ne parvient pas à enrayer l’expansion. Il estime qu’il y a un cercle cumulatif entre les cours et l’endettement pendant la phase ascendante du cycle. L’inflation du prix des actions induit une diminution de la perception du risque des banquiers car le ratio de la dette sur la valeur de marché de la firme diminue. L’offre de crédit augmente en conséquence malgré la croissance des taux. Or le développement de la masse monétaire entraîne une baisse de la préférence pour la liquidité qui favorise une nouvelle hausse des cours. “With the stock market boom that accompanies an investment boom there is a reciprocating stimulus - a positive feed back - between speculation on the exchanges and speculation by firms. A rise in the market price of the common stock of a firm on the exchanges means that the market valuation of the firm has increased – decreasing the ratio of cash payment commitments, c, to the market valuation of the firm. To bankers and other financers, such increased market valuation implies that the firm can issue more debt. Furthermore, common shares are often the currency used to acquire capital assets or to take over firms. This means that during a stock market boom, the price of capital assets and investment output may have fallen in the currency used in their purchase, even though their money price may have risen.” (Opus cit, p. 90) Pour Minsky, la demande de monnaie au motif de spéculation ne dépend pas seulement négativement des taux, elle est aussi une fonction croissante du prix anticipé des actifs. Si l’on suppose comme dans le traditionnel modèle IS-LM que les actifs financiers sont exclusivement des obligations, la prise en compte de leur prix futur anticipé ne change pas la demande de monnaie puisque, théoriquement, il varie quasi mécaniquement dans le même sens que les taux. Si par contre on suppose que les actifs financiers sont des actions, la prise en compte de leur prix anticipé peut déboucher sur une hausse concomitante des taux et de la capitalisation boursière.

1 2 , kM L Y L r P+ − +⎛ ⎞ ⎛ ⎞= +⎜ ⎟ ⎜ ⎟

⎝ ⎠ ⎝ ⎠

“In equation [less kP ] we have that for a given quantity of money, the higher income, the higher the interest rate. In equation [with kP ] we have that for a given quantity of money, the higher income, the higher the interest rate and the lower the price of capital if the movement is along a liquidity preference schedule. But if the higher income is interpreted as increasing the surety of income from capital-asset ownership, then the liquidity preference function will shift, so that for a given quantity of money, the higher income, the higher the interest rate and the higher the price of capital assets ». (Opus cit, p. 76) On peut donc concevoir qu’il puisse y avoir, à la fois une hausse de la masse monétaire, des taux et du prix des actions. Cela explique d’ailleurs la relation négative qui existe empiriquement entre le prix des obligations (qui varie mécaniquement à l’inverse des taux) et la valeur des actions. Cette approche a certainement inspiré la théorie du “good news effect” de Blanchard (1981) et la notion de “crowding out.” On peut dès lors admettre que l’augmentation des taux ne puisse pas à elle seule juguler l’apparition d’une bulle spéculative. On peut ainsi envisager que la fluctuation du ratio

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charges financières/cash flows soit à l’origine de l’instabilité financière. La variation du ratio liquidités/titres n’en serait qu’une conséquence et non la cause. Cette controverse peut paraître superflue de prime abord puisque l’une entraîne l’autre et vice versa. On pourrait donc être tenté de réduire le problème à l’éternelle question de savoir si “l’oeuf fait la poule” ou le contraire. Cependant son enjeu est primordial car le choix de la politique monétaire est radicalement différent selon la réponse apportée. Si l’on considère qu’en période de croissance, les charges financières ne peuvent pas augmenter relativement aux cash flows sans baisse préalable du ratio liquidités/titres, l’instabilité financière doit être imputée à une hausse trop tardive et brutale du coût du capital, comme l’affirment les tenants du “paradoxe de la crédibilité.” Ceux-ci recommandent en toute logique une réaction plus agressive de la politique monétaire aux “pressions inflationnistes latentes” que les ratios de solvabilité ou d’endettement seraient sensés refléter. Certains iront même jusqu’à plaider un relèvement des taux systématique lorsque les cours augmentent de façon significative au-delà de leur tendance de moyen terme, puisqu’ils sont le reflet de l’optimisme des marchés et de la baisse de la préférence pour la liquidité. Si par contre, on admet que la spéculation à crédit peut provoquer une augmentation relative des charges financières par rapport aux rendements de l’investissement physique et que ce phénomène est à l’origine de la fuite en avant des entreprises dans l’ assets management, la réponse de la politique monétaire doit être radicalement différente. En effet, lutter contre l’expansion de l’offre du crédit, sous prétexte qu’elle alimente la spéculation, serait inefficient voire contre-productif. Pour Minsky, la hausse des taux ne ferait qu’aggraver le problème puisqu’elle augmenterait davantage le ratio des charges financières sur les cash flows. En outre, la contraction de l’offre de crédit entraînerait une augmentation de la part de l’endettement obligataire dans le financement externe des firmes. Il faut au contraire créer de la monnaie de manière à ce que les entreprises puissent payer leurs intérêts sans recourir à une émission excessive de titres à court terme. Cela augmenterait le ratio liquidités sur titres tout en allégeant le poids de leurs charges financières. La seule façon d’enrayer la folle spirale décrite par Minsky serait de tolérer un regain de pressions inflationnistes lorsque la solvabilité des entreprises se dégrade puisque la hausse des prix permet de réduire le volume de la dette et son coût réel. “The tendency for a capitalist economy to generate serious financial crises and business cycles remains, and the resolution of this tendency under existing arrangements seems to require continuous if not accelerating inflation.” (Opus cit, p.168) Pour éviter que l’expansion de la masse monétaire ne provoque une hausse des cours trop importante, Minsky recommande l’adoption de mesures prudentielles pour décourager l’acquisition de titres financiers à crédit. Il semblerait qu’un relatif consensus soit en train d’émerger sur ce point particulier. Schwartz (2002) estime qu’une augmentation des taux ne permet pas à elle seule de juguler la bulle (c’est d’ailleurs le point de vue défendu par Alan Greenspan, le président de la Fed.). Elle recommande plutôt d’instaurer un taux de réserves obligatoires progressif en fonction de la part des crédits destinés à l’achat d’actions dans le portefeuille de créances des banques, comme l’avait suggéré le président de la Federal Reserve de New York en 1929…

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Taux d'intérêt réel et taux de croissance du PIB du secteur non financier aux Etats-Unis

-6

-4

-2

0

2

4

6

8

10

12

14

1981

01

1981

04

1982

03

1983

02

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Graphique II.13. Source Fed., FOF. Le taux d’intérêt de la Fed. est déflaté par l’indice des prix du secteur non financier.

La théorie de Minsky s’oppose à la thèse selon laquelle l’instabilité financière serait due à la passivité des banques centrales. Les données empiriques tendent à accréditer « l’hypothèse de l’instabilité financière » : les taux d’intérêt et les charges des entreprises financières se sont accrues de façon progressive et continue au cours de la phase ascendante du cycle entre 1993 et 2000, comme l’indique le Graphique II.13. Sur le Graphique II.14, on constate que le taux d’intérêt réel de la Fed. (déflaté par l’indice des prix du secteur non financier) a fortement augmenté dès le début de la période considérée, malgré la baisse des pressions inflationnistes du secteur non financier aux Etats-Unis. Ce n’est donc pas l’insuffisance du coût du capital qui a alimenté la spéculation à crédit aux Etats-Unis. Au contraire, les émissions nettes d’actions négatives, financées par emprunt, ont provoqué un accroissement du ratio de la dette sur le PIB, une hausse de la part de la dette obligataire sur la dette bancaire et une augmentation des taux, si bien que le ratio des charges financières réelles sur le PIB s’est élevé (voir troisième partie, graphique III.28).

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Taux d'intérêt réel et inflation du secteur non financier aux Etats-Unis

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taux Fed. réel inflation gdpnfi

Graphique II.14. Source Fed., FOF. Le taux d’intérêt de la Fed. est déflaté par l’indice des prix du secteur non financier. Minsky a émis « l’hypothèse de l’instabilité financière » en 1975, en cherchant à interpréter le plus fidèlement possible la vision de Keynes sur le sujet. Il ne l’a donc pas véritablement formalisée. C’est pourquoi ces propos restent sujets à controverse. En outre, il n’a pas élaboré une théorie du cycle financier totalement endogène. Il explique les retournements du cycle à la baisse par le gonflement simultané de la dette et de la bulle financière en phase expansive. Il estime que la phase basse du cycle se solde immédiatement par une crise financière et une récession cumulative dont l’issue nécessite une intervention du prêteur en dernier ressort. En bref, il existerait un retournement endogène du cycle de la hausse à la baisse, mais dans cette approche, il n’y aurait pas de retournement endogène de la baisse à la hausse. En fait, ce cycle serait pour moitié endogène et pour moitié exogène. Ce scénario est tout à fait vraisemblable, néanmoins il n’est pas systématique ; c’est pourquoi il s’est attiré de nombreuses critiques : en effet, on peut concevoir que la phase ascendante du cycle débouche sur un ralentissement de l’activité économique, sans qu’il n’y ait ni krach boursier, ni récession. Enfin il est possible d’expliquer de façon endogène un retournement du cycle de la baisse à la hausse. Il suffit pour cela de prendre en considération l’effet de la variation conjointe des émissions nettes d’actions et des encaisses de transaction : - L’apparition d’une bulle spéculative n’est pas systématique si l’évolution de l’offre de titres est supérieure à la demande. Or en phase expansive, les émissions brutes d’actions sont plus importantes. Cela peut limiter l’envolée des cours et freiner l’emballement de la demande. En outre, si les entreprises se refinancent en émettant des actions, le ratio des charges financières sur les cash flows peut diminuer. Or théoriquement, les émissions brutes d’actions des sociétés augmentent lorsque le Q de Tobin est supérieur à l’unité. (Voir annexe n°4) L’instabilité financière de Minsky n’est concevable que si les émissions nettes d’actions sont faibles voire négatives. Il est donc essentiel de déterminer ce qui pousse les firmes à

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privilégier leur croissance interne par rapport à leur croissance externe en phase ascendante du cycle. - Il peut y avoir un retournement de l’activité économique en l’absence de problème majeur de solvabilité : La tendance de l’activité économique peut s’inverser même en l’absence d’une forte dégradation du ratio charges financières/cash flows si la demande de monnaie au motif de transaction (et de précaution si les firmes souhaitent détenir des liquidités pour faire face à leurs charges financières futures) limite l’accélération de la vitesse de circulation de la monnaie et si la politique monétaire n’est pas trop restrictive. Bref, on peut envisager une baisse des cours sans qu’il y ait eu une surévaluation préalable démesurée du prix des titres et un ralentissement de la croissance sans dégradation démesurée des ratios de solvabilité. Il est donc possible d’imaginer un cycle moins brutal et plus lisse avec un retournement à la hausse endogène. Là encore, les émissions nettes d’actions des entreprises joueraient un rôle conséquent. En période de ralentissement, les firmes se désendettent et la part de leurs titres financiers dans la combinaison optimale de leur actifs augmente comme le suppose Minsky. Si les émissions nettes d’actions sont négatives, elles entraînent une expansion des cours boursiers et un regain de confiance susceptible de favoriser une reprise de l’offre du crédit. Cette approche complémentaire enrichirait considérablement la théorie de Minsky. Cette thèse propose d’expliquer les retournements du cycle à la baisse comme à la hausse, par le jeu explicite des émissions nettes d’actions. Minsky a élaboré une théorie originale pour expliquer la récurrence cyclique des crises financières, en s’inspirant de Keynes. Il fut l’un des premiers auteurs à mettre en évidence l’existence d’un mécanisme d’accélérateur financier débouchant sur une interaction positive entre l’offre de crédit et les cours boursiers. Il fut aussi l’un des premiers à souligner l’effet pernicieux de l’arbitrage rentabilité-risque que les agents réalisent entre actifs physiques et financiers. En période de croissance et d’euphorie, la hausse du prix des actions et la baisse du ratio des charges financières sur la valeur de marché des entreprises suscitent un regain de confiance aussi bien chez les débiteurs que chez les créanciers, qui se solde par un développement du nombre et de la taille des prêts. Mais l’expansion du crédit finance également l’acquisition d’actifs financiers non productifs, puisque le gonflement de la masse monétaire entraîne une réduction de la préférence pour la liquidité. Cela provoque mécaniquement une augmentation du ratio des charges financières sur les cash flows puisque le rapport dette/PIB s’accroît. La reprise de la spéculation à crédit entraîne donc une hausse concomitante des cours et du coût du capital. Il arrive un moment où les firmes sont contraintes d’émettre des obligations pour payer leurs charges financières croissantes. Cela provoque une diminution du ratio liquidités sur titres, qui renchérit davantage le capital, malgré la création monétaire. Or cela décourage l’investissement physique par rapport à l’acquisition d’actifs risqués. Le développement des déséquilibres ne résulte donc pas d’une hypothétique faiblesse des taux d’intérêt, comme l’affirment les tenants du paradoxe de la crédibilité. Il provient de la spéculation à crédit et de la boucle emprunt-prix des actifs.

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Certains auteurs ont contesté la validité de l’approche de Minsky en ignorant tout simplement les effets de l’arbitrage des agents entre actifs physiques et financiers, comme si cet aspect de « l’hypothèse de l’instabilité financière » était accessoire. Or il revêt un caractère primordial pour Minsky. Les événements qui se sont produits à la fin des années 1990 aux Etats-Unis l’attestent et corroborent son point de vue. En négligeant l’impact de la spéculation à crédit, Brossard (1998) conteste évidemment que le ratio des charges financières sur les cash flows puisse augmenter en phase ascendante du cycle en arguant que la hausse des profits améliore la solvabilité des firmes. Selon lui la baisse de la préférence pour la liquidité maintient les taux obligataires à un faible niveau, ce qui permet aux entreprises de se refinancer plus facilement, jusqu’à ce que la raréfaction des liquidités provoque un krach. De ce point de vue, la crise résulterait d’une augmentation trop tardive des taux. Selon lui, ce n’est pas la hausse relative du coût de la dette qui provoquerait une dégradation des ratios de liquidité, mais l’inverse. Cela dit, cette approche est envisageable uniquement si l’offre de crédit bancaire est restreinte. Or cela est peu vraisemblable en période de croissance et d’augmentation des cours. Dès lors que l’on admet, conformément à la théorie de l’accélérateur financier, que la création monétaire augmente en phase ascendante, seule une spéculation à crédit débridée peut expliquer la diminution de la solvabilité des entreprises et la raréfaction relative des liquidités. L’interprétation de Brossard n’est donc pas conforme à l’analyse de Minsky et elle ne peut pas expliquer le développement de la bulle spéculative américaine des années 1995-2000, puisque le coût du capital n’a pas cessé de croître au cours de cette période, caractérisée par une spéculation à crédit record. Pour Minsky, la seule manière d’enrayer la formation des déséquilibres serait d’injecter davantage de liquidités en phase ascendante et de laisser filer quelque peu les pressions inflationnistes. Cela aurait l’avantage de réduire le volume de la dette et les charges financières réelles. Il faut ajouter que la baisse du coût réel du capital favorise les investissements qui sont les moins risqués (Tobin, 1958). Une politique monétaire relativement accommodante peut donc limiter les achats d’actions et encourager l’investissement physique. En favorisant les émissions nettes d’actions positives, la modération des taux d’intérêt peut juguler la formation de la bulle spéculative et enrayer la spirale crédit-prix des actifs. La prise en considération de ce phénomène devrait nous inciter à tempérer le pessimisme de Minsky. Cette théorie apporte une explication alternative au « paradoxe de la crédibilité » et s’oppose radicalement aux recommandations de politique monétaire de ses défenseurs. Selon cette approche, les autorités monétaires ne pècheraient pas par négligence mais plutôt par excès de zèle. A la lecture de Minsky, la Banque centrale devrait considérer l’évolution du cours des actions comme un indicateur de l’efficience de sa politique. En cas de hausse démesurée des indices boursiers, elle devrait réduire le coefficient de réaction des taux à l’inflation et non l’inverse.

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2.2.2. Les modèles post-keynésiens : la remise en cause de l’austérité monétaire

Les modèles post-keynésiens de fluctuation endogène présentés dans cette partie s’inspirent de « l’hypothèse de l’instabilité financière » de Minsky. Les premières modélisations ont été élaborées vers la fin des années 1980 (Taylor et O’Connel, 1985 ; Semmler et Sieveking, 1993 et Foley, 1987). Ce courant s’est développé au moment même où les économistes plus orthodoxes de la Nouvelle Economie Keynésienne ont remis en cause le paradigme des marchés complets selon lequel l’investissement dépend uniquement de la productivité et du coût relatif des facteurs et n’est pas influencé par les conditions de financement des firmes. En tenant compte de l’asymétrie d’information existante entre les prêteurs et les emprunteurs, ils ont montré que les sources de financement n’étaient pas parfaitement substituables et que chacune d’entre elles était affectée par un coût d’agence différent. (Jensen et Meckling, 1976 ; Myers et Majluf, 1984). Carlstrom et Fuerst (1997) et Bernanke, Gertler et Gilchrist (1998) ont pris en considération cet aspect dans des modèles d’équilibre général qui soulignent l’absence de neutralité de la structure financière des bilans. Le financement externe est affecté d’une prime de risque qui varie de manière pro-cyclique en fonction de la richesse des agents. Dans leur optique, la sphère financière amplifie les chocs exogènes. Leurs travaux ont servi de base à la plupart des modèles post-keynésiens qui cherchent à analyser l’impact de l’interaction entre la finance et le réel. Cependant, leurs auteurs ont modélisé des cycles totalement endogènes où la finance est à l’origine des fluctuations de l’activité et pas seulement un amplificateur de choc exogène. Ils se distinguent également de l’école de la Nouvelle Economie Keynésienne en rejetant l’hypothèse d’anticipations rationnelles. Trois grandes catégories de modèles sont présentées : - La première se focalise sur l’interaction entre l’arbitrage de portefeuille des ménages et le besoin de financement endogène des firmes (2.2.2.1). Dans le modèle de Taylor et O’connell, les anticipations ont un effet sur la liquidité désirée qui peut induire une baisse des taux obligataires malgré la chute du ratio liquidités/titres. Elles peuvent donc limiter l’effet d’éviction et générer un mécanisme d’entraînement en influençant à la fois le « prix du capital » et le « prix de l’investissement ». Flashel, Franke et Semmler (1997) montrent au contraire que l’augmentation du prix des actions entraîne une hausse du taux d’intérêt, via la diminution des liquidités. Aglietta, Coudert et Mojon (1995) estiment à l’inverse que la prise en compte des multiples effets de la croissance des cours sur la demande et l’offre de crédit peut induire une baisse ou une hausse du coût du capital, selon les circonstances. - Dans le deuxième type de modèle, l’accumulation du capital ne dépend pas d’une fonction d’investissement à deux prix. La fonction d’investissement intègre explicitement des variables financières considérées comme des indicateurs tangibles de la liquidité (flux de financement interne, profits, stocks d’actifs liquides). La structure financière du bilan génère une instabilité endogène (2.2.2.2). - Les modèles présentés dans la troisième section introduisent le conflit de répartition entre salaires et profits dans les cycles financiers endogènes (2.2.2.3).

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2.2.2.1. Arbitrage de portefeuille et effet d’entraînement Taylor et O’connell (1985) furent les premiers à modéliser les effets dynamiques de l’arbitrage des agents entre actifs. Leurs travaux ont ensuite été développés par Flashel, Franke et Semmler (1997). Alors que les premiers ont cherché à mettre en évidence un effet d’entraînement des cours boursiers sur l’investissement, les seconds ont souligné l’effet d’éviction que pouvaient exercer les acquisitions d’actions sur l’investissement physique via une hausse des taux obligataires. Ces modèles ont l’intérêt de mettre en valeur l’impact de la finance sur les fluctuations endogènes de l’économie réelle. Cependant, leurs conclusions dépendent beaucoup du mode d’arbitrage supposé des agents et des modalités de financement des entreprises. Il est donc essentiel d’élaborer un modèle aussi complet et réaliste que possible, comme l’ont fait Aglietta, Coudert et Mojon (1995). Taylor et O’connell (1985) et Taylor (1994) ont développé un modèle de type IS-LM où l’investissement est déterminé en fonction de la valeur actualisée des revenus anticipés (il s’agit du prix de demande) et le coût de renouvellement du capital (le prix d’offre). Un indicateur de la confiance détermine le taux d’intérêt des obligations de l’Etat via les arbitrages des ménages relatifs à la détention de dette publique, d’actions et de monnaie. Le modèle repose sur l’interaction entre les profits anticipés et le taux d’intérêt. Ce modèle est un peu fruste, d’abord parce que l’intermédiation n’y joue aucun rôle car les entreprises se financent uniquement par émission d’actions, ensuite parce que la confiance varie seulement en fonction du taux d’intérêt. En cas d’anticipation positive, les ménages réduisent leurs encaisses monétaires pour acheter des actions. Il existe un « good news effect » (Blanchard, 1981) qui se traduit par une appréciation des cours boursiers lorsque le revenu national augmente. Cela entraîne une augmentation de la richesse nominale des agents. Par conséquent, la demande d’obligations s’élève (même si la part optimale des obligations dans le portefeuille d’actifs risqués diminue). Pour une offre d’obligations inchangée, cela génère une hausse de leur prix et donc une baisse du taux d’intérêt. Cet effet peut contrecarrer l’effet d’éviction mis en évidence par le modèle IS-LM. La croissance du taux directeur ne joue plus son rôle régulateur et les entreprises sont incitées au surinvestissement et au surendettement. Lorsqu’on prend en considération l’interaction entre le marché des titres et le marché du crédit, les charges financières peuvent s’élever plus ou moins tardivement dans la phase ascendante du cycle, selon l’importance de la préférence pour la liquidité des ménages et de la préférence pour le crédit des firmes. Ce modèle est instructif mais il reste insatisfaisant puisque ses conclusions reposent sur des hypothèses exorbitantes : une offre d’obligations exogène, l’absence d’offre de crédit, l’absence de demande de monnaie au motif de transaction, enfin une offre de monnaie fixe. Flashel, Franke et Semmler (1997) se sont inspirés des travaux de Taylor et O’connell, mais ils ont introduit le financement externe à crédit et ils ont complexifié la dynamique de la confiance.

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Ils considèrent que les agents établissent leurs anticipations en cherchant à déterminer l’opinion majoritaire sur les marchés. Orléan (1992) démontre que cette forme de mimétisme rationnelle en situation d’incertitude débouche sur une forme d’auto-renforcement. La variation de confiance ρ dépend positivement de son propre niveau, de l’écart entre le taux de profit et le taux d’intérêt et enfin du taux d’endettement (équation 5). L’investissement ne dépend plus de l’équilibre entre le prix de demande et le prix d’offre du capital. Il dépend de la production et de la confiance. L’offre de crédit augmente au même rythme que l’accumulation du capital, ce qui peut paraître surprenant. Néanmoins, le ratio d’endettement affecte négativement l’investissement désiré via la variable de confiance. C’est une manière indirecte de supposer que les prêts consentis dépendent partiellement des conditions de solvabilité des entreprises. Dans ce modèle, une hausse de la demande d’actions a un impact sur le taux d’intérêt et donc sur la variable de la confiance et l’investissement.

Encadré 15. Le modèle de Flaschel, Franke et Semmler (1997) L’investissement dépend du ratio production/capital et de la confiance ρ : (1) ( )/ ,I K f x ρ= avec /x Y K= L’investissement pouvant être financé par le biais de l’autofinancement, de l’émission d’actions et de la dette : l’équilibre comptable de l’équation de financement de la firme se traduit par : (2) ( ) ( ) ( ), , / .I f if x s r f xρ χ ρ λ= + + Λ Λ& avec fs le taux de rétention des profits, χ la fraction constante de l’investissement financée par émission d’actions et Λ le stock de dette. Le prix de demande du capital est égal à la valeur actualisée des profits unitaires à un horizon infini : (3) ( ) ( )/g

kp r p iρ π= + − avec p , le prix du capital existant ; gr est le taux de profit brut.

( ) ( )( ) 1 1gr x xτ ν δ= − − −⎡ ⎤⎣ ⎦ Le taux de profit net est :

( ) .gr r x i λ= −

où τ est le taux d’imposition sur les profits bruts, ν la part des salaires supposée fixe et δ le taux de dépréciation du capital.

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L’égalité entre la valeur de marché du passif et de l’actif des firmes suppose : (4) e kp E p K= − Λ avec ep le prix des actions et ep E les émissions d’actions en valeur. Le prix des actions est donc toujours égal à sa valeur fondamentale. La confiance est fonction du ratio d’endettement / pKλ = Λ et de l’écart entre le taux de profit net r et le taux d’intérêt réel i π− . (5) ( ), ,pfρ ρ σ λ= et 0, 0, 0f f fρρ ρσ ρλ> > < avec ( )r iσ π= − − Les ménages ont trois types d’actifs : - iD les dépôts bancaires rémunérés à un taux i, égal au taux d’intérêt des crédits bancaires. - 0D les dépôts bancaires non rémunérés. - E les actions rémunérées au taux de profit net anticipé r p+ . Les ménages déterminent la part des actifs dans leur richesse W en fonction de leur rendement relatif. (6) .e ep E f W= avec ( )( )ef r iρ π+ − − et ( )( )/ 0ef r iρ π∂ ∂ + − − >

(7) 0 .dD f W= (8) ( )1 .i

e dD f f W= − − où ef et df sont respectivement la part d’actions et de monnaie. df est une constante. L’équilibre sur les trois marchés donne l’équation LM, sachant que l’offre de monnaie est endogène. Les réserves H pKφ= où φ est une constante. L’équilibre entre l’investissement et l’équation LM détermine le taux d’intérêt i. L’équilibre sur le marché financier et sur le marché des biens permet d’obtenir un système dynamique décrivant l’évolution du ratio d’endettement et de la variable confiance :

(9) ( ) ( ) ( )( ) ( )

( ) ( )1 , , , , ,

, , , ,

I f

p

f x i r s r

f r i

λ χ λ λ ρ λ ρ λ λ ρ πλ

ρ ρ λ ρ λ ρ π λ

⎧ ⎡ ⎤= − − − −⎪ ⎣ ⎦⎨

= − +⎡ ⎤⎪ ⎣ ⎦⎩

&

&

D’après Brossard (1999)

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Gaël Callonnec – « Politique monétaire et bulle spéculative » - Thèse IEP Paris - 2005 180

Lorsque le taux de profit est supérieur au taux d’intérêt réel, la confiance grandit et l’investissement augmente, cela génère une croissance du revenu national qui alimente à nouveau un regain de confiance. En parallèle, la demande d’actions des ménages s’élève. Leurs dépôts diminuent en conséquence. Cette désintermédiation entraîne une hausse du taux d’intérêt qui finit par provoquer une baisse des profits qui lamine la confiance. En outre, elle réduit le prix du capital et la valeur des actions (équation 3), si bien que le cycle s’inverse. La reprise a lieu lorsque la dette a suffisamment diminué pour que les profits nets se redressent et que la confiance soit restaurée. Le modèle génère des dynamiques cycliques convergentes, divergentes ou bien maintenues à l’intérieur de « corridors de stabilité », ainsi que des cycles limites. Il engendre des enchaînements caractéristiques de la money view qui suppose que les banques augmentent la rémunération des dépôts et qu’elles répercutent ce coût sur le taux du crédit lorsque la demande d’actions des ménages s’élève. Il est néanmoins regrettable que les émissions d’actions dépendent d’une part fixe de l’investissement. On peut se demander pourquoi les entreprises n’y recourent pas davantage lorsque le prix des titres s’élève puisque cette hausse coïncide également avec une augmentation des taux. Pour des soucis de simplification, les auteurs ont supposé que la part des salaires dans le revenu national est fixe. Il semblerait qu’elle soit effectivement stable à long terme ; néanmoins à court terme, elle évolue au gré du niveau de sous-emploi, ce qui suscite des conflits de répartition entre salaires et profits qui ne sont pas sans incidence sur le cycle de l’activité (voir annexe n°5 : Goodwin, 1967). Minsky (1975) consacre un chapitre entier à cette question qui lui semble importante lorsque le chômage est faible. L’arbitrage des ménages est quelque peu trompeur puisque la part des dépôts non rémunérés dans leur richesse est fixe. En fait, il s’agit plutôt d’une forme de mécanisme de vases communicants entre le stock d’actions en valeur et les dépôts. Il eût été préférable de modéliser un arbitrage de portefeuille à la façon Tobin-Markowitz. Enfin les auteurs supposent implicitement que la Banque centrale finance le déficit de l’Etat de manière à maintenir la vitesse de circulation de la monnaie constante puisque le rapport entre la monnaie Banque centrale et l’accumulation du capital reste fixe. Cette approche est contestable.

• Le modèle d’Aglietta, Coudert et Mojon Le modèle d’Aglietta, Coudert et Mojon (1995) échappe à la plupart des critiques formulées à l’égard des deux précédents. C’est un modèle post-keynésien d’inspiration Minskienne puisque l’évaluation boursière de l’entreprise diffère du rendement interne du capital, supposé exogène. L’offre de monnaie est endogène. Le prix des actions est déterminé par l’offre endogène de titres et leur demande, qui elle-même résulte d’un arbitrage de portefeuille des ménages. Il affecte à la fois l’offre et la demande de crédit et donc les taux d’intérêt. Ils montrent que l’interaction entre l’accumulation du capital productif et celle des actifs patrimoniaux génère, via le marché du crédit, des fluctuations endogènes de l’activité économique.

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Les marchés des actifs38 influencent l’économie par plusieurs canaux : les revenus fournis à leurs détenteurs, les effets de richesse sur la demande de biens et services, le crédit pour la financer, son impact sur les taux d’intérêt et sa répercussion sur l’accumulation des entreprises. Sachant que les ménages arbitrent entre les dépôts et la détention d’actions, il existe une interaction entre le marché du crédit et le marché boursier. Elle détermine le coût de financement des entreprises, qui lui-même influence l’investissement. La modélisation retenue du financement des entreprises s’appuie sur la théorie de la hiérarchie financière. Les banques souffrent d’une contrainte de financement. Les émissions d’actions ont un coût supérieur à l’emprunt puisque l’asymétrie d’information est beaucoup plus importante sur le marché boursier que sur le marché bancaire. Les auteurs en déduisent que la demande de financement est séquentielle : Les firmes satisfont leur besoin de financement par les profits retenus, puis par la dette et ensuite par les émissions d’actions si la demande est exceptionnellement forte. L’investissement dépend négativement du taux d’intérêt et positivement de la rentabilité attendue du capital. « Celle-ci est supposée exogène car elle a sa source dans les seuls esprits animaux des entrepreneurs. » La demande de crédit des entreprises est une fonction croissante de la production et de la rentabilité attendue du capital ; elle dépend négativement du taux d’intérêt. Les émissions d’actions augmentent avec la rentabilité attendue du capital et le prix des actions. Les auteurs justifient la spécification de cette équation en considérant que les émissions d’actions sont rentables uniquement lorsque le Q de Tobin est supérieur à 1. La monnaie est endogène. L’offre de crédit dépend positivement du taux d’intérêt mais aussi du revenu national et du prix des actions, car les auteurs supposent que la prime de risque diminue lorsque ces deux variables augmentent. En effet, ils considèrent que la solvabilité des emprunteurs s’améliore avec leur revenu et la valeur de leurs collatéraux, conformément à la théorie de l’accélérateur financier. Les auteurs supposent que le crédit est une fonction décroissante d’un seuil heuristique qui est un indicateur du risque de système estimé par les banques (Aglietta, 1992). Les ménages effectuent un arbitrage rentabilité-risque entre les dépôts et les actions : la répartition optimale de leur richesse dépend de leur rentabilité relative, compte tenu d’un paramètre de sensibilité qui désigne leur degré de substituabilité. La substitution entre les dépôts bancaires et les actions est imparfaite à cause de la volatilité du prix de ces dernières. Les dépôts sont rémunérés à un taux équivalent au coût du crédit car la concurrence entre banques est supposée poussée à l’extrême. Il existe une interaction dynamique entre le taux d’intérêt et la variation du prix de l’action, via l’arbitrage des ménages. L’évolution des cours influence l’offre et la demande de crédit qui déterminent le taux d’intérêt et donc l’investissement. La hausse des indices boursiers exerce deux effets contradictoires sur l’évolution du coût du capital :

38 Les auteurs distinguent les actifs financiers qui sont des moyens de financement des entreprises, des « actifs spéculatifs purs » que sont les éléments de patrimoine non produits (comme les terrains) et des actifs étrangers. Ils montrent que la dynamique de l’économie n’est pas la même selon la nature des actifs patrimoniaux pris en compte. Nous ne prenons ici en considération que le premier type d’actifs.

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L’appréciation de la valeur es titres entraîne une augmentation de la demande de crédit, via l’effet de richesse et via l’évolution de la rentabilité des entreprises perçue par les marchés. Mais elle débouche également sur une augmentation de l’offre de crédit : directement, par l’appréciation des actions mises en collatéral des prêts bancaires et indirectement, par l’accroissement du revenu des entreprises qui résulte de l’effet d’entraînement. L’accumulation du capital et la production dépendent donc des intensités respectives des forces qui agissent sur le taux d’intérêt.

Encadré 16. Le modèle d’Aglietta, Coudert et Mojon (1995)

Comportement des agents. Les entreprises La demande de crédit des entreprises dL est une fonction croissante de la rentabilité attendue du capital à long terme aρ et de la production courante. C’est une fonction décroissante du taux d’intérêt r .

1 2( ) ( ) ( )d aL K t l r t l Y tρ= − + L’offre d’actions dépend positivement de la rentabilité attendue du capital et du prix des actions p. 1 2( ) ( )aA t A a a p tρ= + + L’accumulation du capital est égale à l’investissement brut I moins la dépréciation du capital. ( ) ( ) ( )K t I t K tδ= −& L’investissement dépend du taux d’intérêt et de la rentabilité économique du capital. 0 1 2( ) ( ) aI t K K r t K ρ= − + Les ménages Soit dM la demande de dépôts bancaires et dA la demande d’actions. Soit q les dividendes versés par actions, supposés constants. Le rendement de A varie donc avec son prix p. Il est égal à :

( )( ) ( )

p t qp t p t

⎛ ⎞+⎜ ⎟

⎝ ⎠

&

Le partage optimal de la richesse W des ménages entre les dépôts et l’actif patrimonial les conduit à un habitat préféré h, modulé à la marge par la différence des rendements anticipés

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selon un paramètre de sensibilité α qui désigne le degré de substituabilité entre les deux actifs.

( ) ( )( ) 1 ( ) ( )( ) ( )

d p t qH t h W t r tp t p t

α⎛ ⎞

= − + + −⎜ ⎟⎝ ⎠

&

( )( ) ( ) ( )( ) ( )

d p t qM t hW t r tp t p t

α⎛ ⎞

= − + −⎜ ⎟⎝ ⎠

&

( ) ( ) ( )d dW t M t H t= + Les banques L’offre de crédit dépend négativement du risque de système fπ , et positivement du taux d’intérêt, du revenu national et du prix des actions. 0 1 2( ) ( ) ( ) ( )s

fL t r t Y t p tλ π λ λ μ= − + + + Bouclage macro-économique Les équilibres s’écrivent :

( ) ( )s dL t L t= ( ) ( )dA t A t= ( ) ( ) ( )Y t G I t W tγ= + +

G est la composante autonome de la dépense et ( )W tγ est l’effet de richesse. Comme à l’équilibre macro-économique les dépôts sont égaux aux crédits, la richesse des ménages est égale au capital des entreprises : ( ) ( )W t K t= La dynamique du système est réduite aux équations du taux d’intérêt, de l’accumulation du capital et du prix de l’action. Les auteurs mettent en évidence un mécanisme proche de l’accélérateur financier. En cas de baisse de la rentabilité prospective du capital, l’évolution des cours boursiers entraîne un sur-ajustement de l’accumulation du capital et une oscillation endogène de l’activité qui converge progressivement vers l’équilibre de long terme. Lorsque la rentabilité anticipée baisse, le prix des actions diminue brutalement, ce qui provoque une remontée du taux d’intérêt qui décourage l’accumulation du capital. L’investissement net devient négatif et le stock de capital diminue progressivement pour converger vers sa valeur de long terme. La diminution régulière de l’investissement allège la demande de crédit. Le taux d’intérêt reflue progressivement, ce qui permet aux ménages de ré-allouer la composition de leur portefeuille au profit des actions. Les cours remontent lentement pour atteindre le niveau d’équilibre compatible avec la rentabilité plus faible des entreprises.

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Les auteurs montrent que, « dans un système financier où le marché financier n’aurait pas d’incidence sur les banques, donc sur le taux d’intérêt, une même baisse de la rentabilité du capital n’aurait pas les mêmes incidences. Le capital d’équilibre à long terme baisserait moins, parce que le taux d’intérêt diminuerait au lieu de monter. En outre, l’évolution du taux d’intérêt serait régulière. L’instabilité de la bourse ne contaminerait pas le marché du crédit. Ainsi la libéralisation financière a-t-elle amplifié les perturbations macro-économiques provoquées par les chocs réels qui ont affecté la rentabilité du capital. » (1995, p.15) En finance libéralisée, la chute du prix des actifs entraîne une hausse du taux d’intérêt. Les entreprises sont prises en tenaille entre la baisse des profits et l’augmentation du coût du capital. Les investissements antérieurs au choc apparaissent sur-dimensionnés, compte tenu du ralentissement de l’activité. Sachant que les émissions d’actions deviennent difficiles, les entreprises doivent « se livrer à un ajustement financier long et pénible qui déprime durablement l’accumulation du capital pour réduire le rapport de leur endettement à leurs fonds propres. » (1995, p. 20) Devant ces évolutions, les auteurs s’interrogent sur la conduite de la politique monétaire, exclusivement polarisée sur la désinflation du prix des biens et des services. « Cette attitude ne paraît pas convenir à la finance libéralisée dans laquelle les autorités monétaires doivent donner leurs impulsions. Car le mouvement des prix des actifs patrimoniaux dirige les dynamiques économiques. L’inflation en biens et services est une variable retardée (…) La non prise en compte du mouvement des actifs patrimoniaux induit la politique monétaire à n’agir qu’avec retard aux déséquilibres financiers et à mal juger le degré de relâchement ou de restriction à apporter dans la fourniture au système bancaire de la monnaie Banque centrale. (…) Les politiques monétaires devraient donc interagir avec des dynamiques financières inhérentes à la finance libéralisée. En ne prenant pas en compte les mouvements des prix des actifs patrimoniaux dans la seconde moitié des années 80, on a sous-estimé les tensions inflationnistes qui n’apparaissaient pas encore dans les indices de prix conventionnels. Ensuite on a sous-estimé les pressions déflationnistes provoquées par le renversement de ces prix. » (1995, p. 21) Les auteurs se demandent comment le prix des actifs peut être pris en compte dans la conduite des politiques monétaires. Ils ne recommandent pas leur introduction dans la fonction de réaction des banques centrales. Ils notent simplement que « la notion d’objectif intermédiaire ne paraît plus guère opérationnelle, lorsque l’influence du crédit sur l’économie passe par une multiplicité de canaux parmi lesquels les prix d’actifs deviennent prépondérants. Ils devraient céder la place à une batterie d’indicateurs dont les relations dans le cycle avec l’activité économique et avec l’inflation permettraient aux autorités monétaires de porter un diagnostic sur les tensions dominantes à tel ou tel moment du cycle. Une voie complémentaire pourrait être d’introduire des réglementations prudentielles qui limitent le levier du crédit dans le financement de la spéculation sur les actifs financiers, pour étouffer les hausses cumulatives suffisamment tôt en accroissant les coûts de leur formation. » (1995, p. 21)

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Le modèle d’Aglietta, Coudert et Mojon (1995) montre clairement que l’interaction entre les cours boursiers et le crédit exerce un effet amplificateur sur les fluctuations de l’activité économique. Ces auteurs insistent sur la nécessité de prendre en compte ce phénomène dans l’élaboration de la politique monétaire. Si le prix des actions est une variable avancée du prix des biens et services, ces deux variables devraient évoluer en sens inverse dans les phases de retournement du cycle à la hausse comme à la baisse. La prise en compte des facteurs financiers devrait donc logiquement inciter les autorités monétaires à réagir avec moins de vigueur face aux mouvements du prix des biens et services. Pour le vérifier, il faudrait introduire dans un modèle similaire une fonction de réaction des autorités monétaires à l’égard de l’inflation et de l’output gap. Cela suppose de modéliser une courbe d’offre globale explicitement micro-fondée. Une telle modification aurait en outre l’avantage d’introduire une dynamique prix-salaires et la prise en compte éventuelle des effets de substitution chers à Keynes et à Minsky. Les modèles financiers endogènes basés sur l’arbitrage de portefeuille des ménages ont l’avantage de mettre en évidence l’impact de la confiance ou des cours sur l’investissement. Toutefois, il existe une différence notable entre le modèle de Taylor (1994) et celui de Flashel, Franke et Semmler (1997). Dans le premier, l’euphorie déclenche un effet crowding in sous l’effet de l’augmentation des achats de titres d’emprunt. Dans le second, le développement de la confiance débouche sur un effet crowding out car l’augmentation de la demande d’actions génère une hausse des taux. En bref, l’arbitrage des ménages génère soit sur effet d’entraînement soit un effet d’éviction, selon les modes de financement supposés. Les résultats de ces modèles sont donc fortement dépendants de leur spécification de départ. Il est donc essentiel de formaliser un mode de financement plus réaliste où les entreprises auraient à la fois la possibilité de contracter un emprunt bancaire et d’émettre des obligations et des actions dans des proportions variables. Réciproquement, les ménages devraient arbitrer entre des dépôts rémunérés et la détention d’obligations privées et d’actions, selon une technique conventionnelle. Il est en effet regrettable que les modèles analysés plus haut aient exclu la possibilité que les entreprises se financent en émettant des obligations à court terme. C’est une lacune importante puisque le montant relatif des émissions d’obligations par rapport aux émissions d’actions détermine les fluctuations de la solvabilité des entreprises. Or ce sont elles qui génèrent l’effet cyclique envisagé par Minsky. Ces modèles font donc partiellement abstraction de l’importance de l’évolution de la préférence pour la liquidité dans la dynamique de l’activité économique et financière soulignée par Brossard (1998, 1999). Les modèles de Taylor et O’Connel (1985), Taylor (1994) et Flaschel, Franke et Semmler (1997) ne décrivent donc pas de manière satisfaisante l’incidence de la finance sur les décisions d’investissement des entreprises. La structure de financement n’influence pas directement l’investissement car il dépend essentiellement d’une variable de confiance. Or les résultats de nombreuses études empiriques (Fazzari, Hubbard et Petersen, 1988 ; Gertler et Gilchrist, 1994) attestent l’existence d’un impact significatif des stratégies de financement sur l’investissement. A cet égard, le modèle d’Aglietta, Coudert et Mojon est beaucoup plus instructif car l’évolution de la part du financement par actions a un effet sur le coût du crédit puisqu’elle affecte la demande de prêt bancaire des entreprises et l’offre de crédit, via le prix des actions. Les travaux présentés ci-dessous modélisent plus précisément l’incidence de la structure de bilan des firmes sur leurs investissements.

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2.2.2.2. Structure financière et instabilité endogène Selon Minsky, la modification du mode de financement des firmes en phase de croissance conduit à une fragilisation financière cumulative qui est au cœur de la dynamique. Delli Gatti, Gallegati et Gardini ont étudié cet aspect dans plusieurs modèles keynésiens à prix fixe où les ajustements s’opèrent par les quantités et où les capacités sont excédentaires. La dynamique du revenu est déterminée par la demande. La monnaie est soit exogène, semi-endogène ou endogène. A partir des travaux d’Abel et Blanchard (1986) et de Fazzari, Hubbard et Petersen (1988), ils supposent que l’investissement est fonction de l’autofinancement et de la valeur des actions (équation 1), de sorte qu’au cours de la phase ascendante du cycle, le rapport entre l’investissement et l’autofinancement évolue sous l’effet de la variation des cours boursiers. Ainsi le ratio des charges financières sur les cash flows se modifie tout au long du cycle. Ce phénomène est conforme à la théorie de Minsky. Ils supposent que la propension à investir les profits b est une fonction croissante du revenu antérieur. Selon eux, les jeunes entreprises distribuent moins de dividendes et s’endettent davantage que les sociétés matures. Le coefficient b est une moyenne pondérée des coefficients de chaque type de firme par la part de leurs cash flows respectifs dans le cash flow total. Lorsque le revenu s’élève, b monte puisque les cash flows des jeunes entreprises progressent plus rapidement que ceux des vieilles. Sachant que b est une fonction croissante du revenu, on peut l’assimiler à une variable de confiance. Mais contrairement aux modèles précédents, elle affecte la structure de financement des firmes et non la structure des portefeuilles des ménages. Ainsi, en phase de croissance, la propension à s’endetter augmente. Les charges financières s’accroissent et altèrent la capacité d’autofinancement. En retour, l’accélération de l’activité entraîne une augmentation des besoins de liquidités pour des motifs de transaction. Les agents vendent leurs titres, ce qui fait baisser leur prix. Ceci provoque un retournement. Dans Delli Gatti et Gallegati (1990), Gallegati et Gardini (1991) la monnaie et les taux sont exogènes et fixes. Sachant que les émissions d’actions sont nulles, la variation de leur prix assure l’équilibre entre l’offre et la demande de monnaie. La valeur de marché des titres remplit le rôle du taux d’intérêt dans le modèle IS-LM (équation 5 de l’encadré 17). La demande de monnaie dépend des traditionnels motifs de transaction et de spéculation, auxquels les auteurs ont ajouté un motif de finance (cf. Keynes, 1938) qui équivaut au besoin de financement externe des entreprises (équation 3). De cette manière, lorsque la part de l’autofinancement diminue en phase ascendante, la demande de monnaie s’élève et le prix des actions diminue. Cela tempère l’investissement et la croissance. Le cycle est stable si le coefficient b est faible. Cette version est réductrice car on voit mal pourquoi la valeur de marché des actions influencerait positivement l’investissement alors que les firmes ne se financent pas sur le marché primaire. On peut donc s’interroger sur la pertinence de la spécification de l’équilibre sur le marché de la monnaie, assuré par la variation du prix des titres. D’un point de vue comptable, on comprend facilement que le prix des actions baisse lorsque la demande de monnaie augmente puisque l’offre est fixe. Mais d’un point de vue micro-économique, cette forme d’arbitrage peut sembler curieuse puisque ce mécanisme suppose que la demande d’actions fléchisse au moment même où la confiance et la croissance augmentent.

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L’offre de monnaie est « semi-endogène » dans Delli Gatti et Gallegati (1992) Delli Gatti, Gallegati et Gardini (1994). Elle dépend des réserves distribuées par la Banque centrale et d’un multiplicateur de crédit fonction linéaire du taux d’intérêt. Le motif de finance disparaît de la fonction de demande de monnaie et la demande d’actions dépend alors de l’écart entre le prix anticipé et le prix courant des titres, ainsi que du niveau du revenu, conformément au good news effect. L’introduction du revenu dans la demande de titres permet d’abord, de maintenir l’indépendance linéaire du système et ensuite, de préserver un canal de rétroaction des variables du système sur le prix des actifs. Ce faisant, ils introduisent un effet crowding in qui contrebalance l’effet d’éviction. Le crédit bancaire est limité par la création de monnaie Banque centrale. La croissance du besoin de financement externe entraîne donc une hausse des taux et un effet d’éviction qui augmente avec le niveau de l’endettement. Ce phénomène stabilise le cycle lorsque l’effet crowding in est faible. Par contre, lorsque l’effet d’annonce est conséquent, le modèle conserve ses propriétés cycliques et l’essor de l’investissement peut coïncider avec une augmentation du prix des actions. En ce cas, la dynamique est stable si la propension à investir les profits non distribués est faible b. Dans le cas contraire, des cycles limites ou des dynamiques chaotiques apparaissent. L’absence de linéarité existante entre l’investissement et le profit engendre des bifurcations en fonction de la valeur de b. On peut considérer que cet effet est une tentative de formalisation de la « conception post-keynésienne du risque systémique » selon laquelle la modification des comportements routiniers et le manque de prudence des agents en période de croissance sont sources déstabilisantes. Lorsque b est élevé, le niveau de la dette à chaque sommet du cycle est toujours plus élevé et la phase de consolidation est toujours plus profonde. Il y un phénomène de sur-réaction à la hausse comme à la baisse. L’offre de monnaie est déterminée de manière endogène par la dette dans Delli Gatti, Gallegati et Gardini (1993), chose assez rare dans les modèles de cycle endogène. Dans cette version, les auteurs réintroduisent le motif de finance dans l’équation de la demande de monnaie. Cette modification ne relève pas de préoccupations théoriques, mais plutôt du souci de déterminer à la fois le prix d’équilibre des actions et le taux d’intérêt, sans complexifier davantage le modèle. La dynamique de l’investissement est beaucoup plus complexe puisque celui-ci détermine la demande de crédit qui va rétroagir sur le prix des actions et les charges financières via la dette accumulée et le taux d’intérêt, ainsi que les profits bruts par le biais du revenu. La stabilité du cycle dépend de l’importance relative de l’augmentation de la demande de monnaie au motif de transaction par rapport à la hausse de la demande de monnaie au « motif de finance », qui correspond à la création monétaire. Si la première est supérieure à la seconde, les agents vendent leurs titres pour se procurer des liquidités, ce qui provoque une baisse du prix des actions et une hausse du taux d’intérêt qui tempèrent la croissance. Dans le cas contraire, le cycle diverge car les cours boursiers augmentent. S’ils avaient prévu la possibilité d’une émission d’actions positive, cette spécification de l’équation de la demande de monnaie aurait eu le mérite de montrer que la stabilité du système dépend de sa propension à générer des liquidités pour combler le décalage existant entre l’investissement souhaité et l’épargne désirée, comme le suggère Keynes (1937 et 1938).

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Dans cette version, le besoin de financement n’exerce aucune pression, ni sur le prix des actions, ni sur le coût du crédit, puisqu’il est entièrement comblé par la création monétaire. Ainsi, la baisse des cours boursiers résulte uniquement de l’augmentation des besoins en monnaie de transaction et non des contraintes de financement. Les modèles de Delli Gatti, Gallegati et Gardini ont été discutés car ils ne sont pas explicitement micro-fondés. En effet, la fonction d’investissement retenue s’inspire de la théorie du Q de Tobin que les observations empiriques ont plutôt invalidée. L’hypothèse de la rigidité des prix peut sembler réductrice. Le mode de financement des firmes détermine les propriétés de la dynamique, mais sachant que les émissions d’actions sont nulles, il repose exclusivement sur l’hypothèse ad hoc selon laquelle la propension à investir les profits b augmente avec le revenu. Là encore, il eût été préférable que les auteurs modélisent un arbitrage entre emprunts, émissions d’actions et émissions d’obligations. Leurs travaux soulignent néanmoins l’importance de la structure du bilan des firmes sur la dynamique de l’investissement.

Encadré 17. Les modèles de Delli Gatti, Gallegati et Gardini

L’investissement est fonction du niveau de financement interne IF ainsi que du prix des biens capitaux évalués sur les marchés financiers ν : (1) t tI a bIFν= + Avec : a>0, b>0 (2) ( )1tb f Y −= b est soit constant, soit une fonction non linéaire croissante du revenu antérieur dans Delli Gatti, Gallegati et Gardini (1993 et 1994). Le besoin de financement externe est égal à l’écart entre l’investissement I et le financement interne IF : (3) d

t t tF I IF= − Le financement interne est déterminé par l’écart entre les profits non distribués et la charge de la dette : (4) 1t tIF Y rDθη −= − avec Y le niveau du produit, θ le taux de rétention des profits, η le taux de profit, r le taux d’intérêt et D le stock de dette. Dans tous les scénarios présentés ci-dessous, le crédit est considéré comme la seule source de financement externe. La quantité d’actions est exogène. Les auteurs étudient plusieurs types d’anticipation du prix des actions : statique eν est constante, parfaite eν ν= , adaptative, extrapolative et rationnelle. Dans ce dernier cas, la demande de monnaie au motif de spéculation est un aléa de moyenne nulle puisque les agents en moyenne ne peuvent se tromper (Delli Gatti, Gallegati et Gardini, 1993).

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Cas avec monnaie exogène La quantité de monnaie est exogène dans Delli Gatti, Gallegati (1990) et Gallegati et Gardini (1991). Les taux sont fixes et le prix des actions est déterminé par l’équilibre sur le marché de la monnaie. La demande de monnaie prend la forme : (5) . .( )d e d

t t tM k Y h Fν ν= + − +

dtF est le motif de finance. .k Y représente le motif de transaction ; .( )e

th ν ν− le motif de spéculation ; ν est le prix des actions et eν le prix anticipé des actions. Cas avec monnaie semi endogène La monnaie est semi-endogène dans Delli Gatti, Gallegati (1992) et Delli Gatti, Gallegati Gardini (1994) : (6) . .sL R l r= où R est le montant des réserves distribuées par la Banque centrale et lr est le multiplicateur de réserve supposé être une fonction linéaire croissante du taux d’intérêt du crédit r. La demande de monnaie est fonction du motif de transaction et d’un motif de spéculation: (7) . .( )d e

t tM k Y h ν ν= + − La demande d’actions dépend de l’écart entre le prix anticipé du titre et sa valeur de marché et d’un good news effect à la Blanchard (1981). (8) ( ),d eE f Yν ν= −

et 0efν ν−

> ; 0yf >

où eν est l’anticipation moyenne du prix des actions et Y représente soit le revenu courant, soit les profits retenus par les firmes (Delli Gatti, Gallegati et Gardini, 1994). Le cycle est stable si b n’est pas trop élevé. Cas avec monnaie endogène La monnaie est endogène dans Delli Gatti, Gallegati et Gardini (1993). (9) s

t t tM B D= + Où B est la base monétaire et D le stock de dette. La demande de monnaie est fonction des motifs de transaction, de financement et de spéculation.

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(10) . .( )d e d

t t tM k Y h Fν ν= + − +

dtF est le « motif de finance. »

Comme 1d

t t tD D F−= + , l’équilibre du marché de la monnaie s’écrit dans ce cas : (11) ( )1 . e

t t tB D k Y h ν ν−+ = + − Le cycle est stable si ( )e

tk Y h ν νΔ > Δ −

• Liquidité des bilans et cycles endogènes Les variables de flux ne sont pas les seuls indicateurs pertinents de la solvabilité des entreprises. La richesse nette ou les ratios de liquidité sont également révélateurs de la solvabilité des firmes. Foley (1987, 1989) ainsi que Semmler et Sieveking (1993) introduisent un ratio de liquidité dans la fonction d’investissement. Selon eux, la demande de financement externe diminue lorsque le risque, mesuré par la liquidité des bilans, augmente. Foley a mis en évidence l’impact des relations financières inter-entreprises sur la stabilité du cycle. Il a élaboré un modèle où le crédit est offert par les banques et les entreprises elles-mêmes. Le ratio de liquidité détermine à la fois leur comportement de dépenses et leur offre de crédit. Conformément à l’hypothèse d’instabilité de Minsky, la stabilité de la dynamique du modèle dépend de la sensibilité de la demande de crédit à l’écart entre le taux de profit et le taux d’intérêt. Lorsque la liquidité est abondante, le taux d’intérêt baisse et la demande de crédit des entreprises augmente ainsi que l’investissement. Lorsque la croissance du stock de capital devient supérieur à celle de la masse monétaire, la liquidité diminue et l’offre de crédit s’amenuise tandis que l’investissement désiré, tiré par la hausse des profits, continue de croître. Cela provoque une remontée des taux et une chute de la rentabilité qui suscite un retournement. Ici, l’effet d’éviction ne repose donc pas sur l’habituel motif de transaction. Ce modèle montre que le financement de marché ne peut se substituer au financement intermédié et à la création monétaire sans générer une forme d’instabilité intrinsèque. Foley (1989) introduit une règle de politique monétaire dans un modèle relativement similaire (il supprime le crédit inter-entreprises mais, comme la dépense des firmes dépend toujours du ratio de liquidité, ses propriétés dynamiques demeurent). La Banque centrale peut augmenter la croissance de la masse monétaire soit lorsque les profits des entreprises sont faibles, soit lorsque la liquidité est dégradée. Dans le premier cas, la politique monétaire est contra-cyclique puisque les profits sont élevés en phase haute du cycle. Dans la seconde, elle est pro-cyclique. Ses conclusions sont relativement hétérodoxes puisqu’il montre qu’une politique monétaire contra-cyclique peut être contre-productive. En effet, elle conduit la Banque centrale à restreindre le ratio liquidité sur capital au moment où il est le plus faible. En conséquence, l’instabilité est plus importante.

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Encadré 18. Le modèle de Foley (1987) Il existe trois secteurs : entreprises, ménages et banques. Les ménages n’épargnent pas. Les ventes totales S sont égales aux « dépenses en capital » C qui comprennent : l’investissement, les salaires et les consommations intermédiaires. Les profits sont égaux à un mark-up q constant, appliqué aux ventes qSΠ = . Les entreprises se financent par emprunt. Le crédit est composé du crédit bancaire et du crédit inter-entreprises. La masse monétaire M a pour seule et unique contrepartie la dette bancaire. Elle croît au taux g. Le taux de croissance des dépenses en capital, notées C, est une fonction positive du taux de profit r et du rapport e entre le stock de capital et le stock d’actifs financiers (monnaie plus créances inter-entreprises): (1) ( )/ ,C C a r e=&

0, 0r ea a> > Le ratio d’endettement est fonction de l’écart p entre le taux de profit r et le taux d’intérêt i . (2) / ( )B X b p= avec p r i= − où B est la dette bancaire, X le capital de la firme. L’offre de crédits inter-entreprises est une fonction croissante du ratio de liquidité /m M X= (3) ( )/ ,L X l p m=

0pl < et 0ml > où L est le crédit inter-entreprises. L’équilibre du marché des fonds prêtables implique :

[ ] [ ]. , .b p X l p m X gM= +

La hausse de la quantité de monnaie accroît de différentiel entre le taux de profit et le taux d’intérêt des fonds prêtables : / 0p m∂ ∂ >

Sachant que le capital s’accumule en fonction du taux de profit réalisé : X rX

=&

et que la

croissance des crédits inter-entreprises est égale à la différence entre la croissance de la dette totale et la croissance de la masse monétaire : F D M= −& & & ; avec f le rapport entre les titres

de crédits inter-entreprises et le capital .F X FfX X X

= −& && ,on obtient la dynamique suivante :

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(4)

( ) ( )( ) ( )( )( ) ( )

4.1 .

4.2 . .

4.3 / ,

m g r m

f b p m g m r f

r r a r m f r

= −⎧⎪⎪ = − −⎨⎪

= + −⎪⎩

&&

&

(4.2) ' 0p > (4.3) 0, 0r m fa a +> > La demande de crédits inter-entreprises diminue lorsque le crédit bancaire augmente et elle s’élève lorsque l’écart p entre le taux de profit et le taux d’intérêt s’élargit. p est déterminé par l’équilibre sur le marché des fonds prêtables. Enfin, le taux de croissance du taux de profit diminue avec le taux d’accumulation du capital (lui-même fonction du taux de profit). D’après Brossard (1999) Semmler et Sieveking (1993) ont légèrement modifié le modèle de Foley (1989). Le taux de croissance du crédit bancaire (équivalent au taux de croissance de la masse monétaire g dans le modèle de Foley) est fonction du taux de croissance des profits r et des ratios de liquidité λ . Les auteurs supposent qu’en dessous d’un certain seuil, la réduction du taux de croissance de la masse monétaire devient exponentielle. Une pénurie de crédit peut donc apparaître. Leurs travaux relativisent l’importance de « l’aveuglement au désastre » que de nombreux auteurs reprochent aux banquiers, comme Minsky lui-même ou Guttentag et Herring (1986) qui supposent que les banques auraient tendance à oublier leurs erreurs passées à mesure que le temps s’écoule. Les travaux de Semmler et Sieveking montrent que le système peut devenir instable même si les banques accordent leurs crédits en fonction de critères prudentiels. En effet, un mode de sélection rationnel fondé sur des critères de solvabilité tangibles et effectifs débouche sur une instabilité caractéristique des modèles de l’accélérateur financier. Dès lors que les banques prennent en considération des ratios prudentiels courants pour déterminer l’offre de crédit, l’évolution de la masse monétaire est pro-cyclique. Le phénomène s’aggrave si la baisse de la création monétaire est plus que proportionnelle à la hausse du risque constaté. Le modèle de Semmler et Sieveking est instructif ; néanmoins, il est regrettable que le taux d’intérêt n’y apparaisse pas de manière explicite. Dans ce modèle, l’offre de crédit détermine la demande. Les entreprises sont contraintes quantitativement. Le coût du crédit n’équilibre donc pas l’offre et la demande de monnaie. Comme les auteurs estiment que la croissance du crédit évolue positivement avec le taux de profit et le ratio de liquidité et qu’ils font abstraction du taux d’intérêt, on peut considérer qu’ils supposent implicitement que le coût du crédit dépend exclusivement de ces seules variables et qu’il n’est donc pas nécessaire de le prendre directement en considération dans l’équation de l’offre de monnaie. Les taux influenceraient indirectement la demande de financement externe puisqu’elle dépend elle-même du taux de profit et du ratio de liquidité. On peut justifier leur approche en considérant que théoriquement, le taux d’intérêt bancaire est égal au taux de l’actif sans risque majoré de la prime de risque. Or le taux sans risque peut être assimilé au taux directeur de la Banque centrale. En supposant que ce dernier est exogène, on peut admettre que la volatilité du taux soit essentiellement due aux variations d’une prime de risque qui évoluerait en fonction du taux de profit et de la liquidité.

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Cela dit, les auteurs ne prennent pas en compte l’impact que pourrait avoir l’adoption d’une politique monétaire contra-cyclique sur la stabilité du système.

Encadré 19. Le modèle de Semmler et Sieveking (1993) L’offre de crédit est une fonction croissante du taux de profit r et du ratio de liquidité des firmes λ . Lorsque r et λ franchissent un seuil, le taux de croissance de la masse monétaire commence à se réduire à un rythme plus élevé. Ainsi, le taux de croissance de la masse monétaire g s’écrit : ( ) ( )1 , , ,g mg g r h rλ λ= − où mg est une constante

et ( ) ( )12max ,0 max ,0h rν φ μ λ= − −⎡ ⎤⎣ ⎦

On obtient la dynamique suivante : 1

ˆ ( , )r h rλ α β ε λ λ= − − − 2r̂ rγ δλ ε= − + − Lorsque le choc introduit dans le système est faible par rapport aux valeurs de l’état stationnaire, le cycle converge. Si le choc est important, des cycles limites apparaissent. La dynamique est plus instable lorsque ν augmente. A cet égard, le modèle de Foley semble beaucoup plus instructif et ses conclusions reflètent plutôt fidèlement le scénario décrit par Minsky (1975). Le ratio de liquidité rétroagit sur les conditions de financement des firmes, ce qui génère des fluctuations endogènes de l’activité. Il montre que si l’offre de crédit bancaire est contrainte, la politique monétaire ne doit pas être trop agressive, faute de quoi l’instabilité financière augmente.

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2.2.2.3. Stabilité financière et conflit de répartition Downe (1987) fut l’un des premiers auteurs à introduire les effets du partage salaires-profits dans un modèle d’instabilité financière. Il a tenté d’expliquer pourquoi l’endettement augmente en phase de croissance à partir du modèle de Taylor et O’connell (1985) dans lequel il a intégré un « coût moyen de la perte d’emploi », inspiré des travaux de Bowles (1985). Selon lui, les salaires sont une fonction croissante du niveau de l’emploi tandis que la productivité du travail serait une fonction croissante du coût moyen de la perte d’emploi qui augmente avec le chômage. Ceci provoquerait une augmentation du ratio salaires/profits en phase ascendante du cycle et par conséquent, une hausse du rapport dettes/profits. Il estime qu’il serait possible de lisser le cycle et de juguler l’effondrement du prix des actifs, en mettant en œuvre une politique budgétaire et monétaire expansive. Cela dit, ces interventions ne peuvent empêcher une élévation du coût du travail et une réduction de la part des profits dans la valeur ajoutée. Les fluctuations cycliques seraient inéluctables. Dans le prolongement de ces travaux, S. Keen (1995, 1996) estime que l’augmentation des salaires n’est pas la seule cause de l’érosion des profits ; la hausse des taux y contribue également. Il a construit un modèle où le conflit salariés-capitalistes interagit avec un conflit entre les entrepreneurs et les banquiers. Il s’est inspiré des travaux de Goodwin (1967, cf. Annexe n°5) qui modélise une fluctuation endogène du cycle à partir d’un arbitrage salaires/profits, fondé à la fois sur les théories marxiste et keynésienne. Pour Goodwin, la croissance débouche sur une baisse du chômage qui entraîne une hausse du salaire réel supérieure à celle de la productivité. Ainsi le taux de profit diminue. Cela entraîne une diminution ultérieure des investissements, qui débouche sur un ralentissement de l’activité économique et une dégradation de l’emploi. A l’inverse, le chômage provoque une réduction du salaire réel favorable à l’accumulation du capital. A long terme, Goodwin estime que le cycle fluctue autour d’un point d’équilibre qui correspond à un taux de profit, un taux de chômage et une répartition du revenu national entre salaires et profits constants. Il n’y a aucune dimension financière dans le modèle de Goodwin puisqu’il suppose que les entreprises investissent la totalité des profits réalisés à la période antérieure et qu’il n’y a pas de crédits. Keen a donc modifié le modèle de Goodwin sur plusieurs points : L’investissement désiré net est une fonction non linéaire du taux de profit et de la production et les entreprises peuvent se financer à crédit. Le taux d’intérêt endogène, dépend d’une constante - assimilée au taux de base - et du ratio dette/production, considéré comme une prime de risque. La hausse de l’endettement entraîne une augmentation de la part des banquiers et limite à la fois la hausse du taux de profit des firmes et leur capacité d’investissement. Elle se produit en période de croissance. Les entreprises peuvent diminuer leurs charges financières en réduisant leur dette et l’emploi. Lorsque le taux de base bancaire est faible, la dynamique est convergente parce que les firmes parviennent à stabiliser la part de leurs profits dans le revenu global, en baissant à la fois la quantité de travail employée et leur endettement. Lorsque le taux de base et/ou la sensibilité du taux d’intérêt au ratio dette/production sont trop élevés, la dette augmente de manière auto-entretenue sous l’effet d’une explosion des charges financières et l’ajustement de l’emploi ne suffit pas à restaurer les marges des entreprises. L’auteur analyse l’impact d’une politique budgétaire et fiscale contra-cyclique. Les dépenses augmentent de manière exponentielle avec le taux de chômage tandis que les recettes sont

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financées par une taxe sur les profits bruts. L’intervention de l’Etat permet de stabiliser le système. Dans ce modèle, la fragilité financière se développe en phase ascendante du cycle alors même que les taux s’élèvent. Keen justifie les recommandations de Minsky, qui préconise l’intervention de l’Etat et l’injection de liquidités en phase haute du cycle. Néanmoins, le modèle de Keen est contestable sur deux points essentiels : le taux d’intérêt dépend d’un ratio dette sur production et non du ratio dette sur capital comme dans les modèles de l’accélérateur financier ; or il semblerait que ce dernier soit beaucoup plus réaliste. Le coefficient de capital est fixe, si bien qu’il n’y a pas d’arbitrage entre les combinaisons de facteurs selon leurs coûts relatifs. Or cela devrait limiter les fluctuations du ratio dette /PIB.

Encadré 20. Le modèle de Keen (1995, 1996)

La production dépend d’une fonction à facteurs complémentaires. La productivité du travail augmente à un taux constant μ :

min ,t tt t

K LYv ue μ−

⎡ ⎤= ⎢ ⎥⎣ ⎦

L’offre de travail notée Nt est supposée croître à un taux constant noté n : 0

nttN N e=

Le taux d’emploi de la main d’œuvre étant noté : /t t tL Nλ = Il suppose qu’il existe une relation croissante et non linéaire entre la hausse des salaires réels et le taux d’emploi :

( )2

t t

w A Dw B Cλ

= −−

A B C D sont des constantes. Les salaires sont entièrement consommés. Avec Π les profits ; K le stock de capital ; ν le coefficient de capital ; Y la demande et γ le taux de dépréciation :

(1) / . .I dK dt k Y KK

γΠ⎛ ⎞= = −⎜ ⎟⎝ ⎠

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Cette équation d’investissement peut s’interpréter comme un ajustement au stock de capital optimal Yν . L’auteur suppose que la vitesse d’ajustement est d’autant plus rapide que le taux de profit / KΠ est élevé (k(.) est une fonction croissante de / KΠ ). La dette finance l’investissement non autofinancé : (2) / .dD dt r D I= + − Π Le taux d’intérêt est une fonction non linéaire du ratio d’endettement et du taux de base bancaire ς : (3) . /r D Yς ϕ= + , où ϕ est la sensibilité de la prime de risque au ratio d’endettement. La part des profits /Yπ = Π des entrepreneurs dépend négativement de la part des salaires et de la part du revenu des banquiers : (4) 1 bπ ω= − − , et (5) /b rD Y= Les équations dynamiques décrivent l’évolution du taux d’emploi λ , de la part des salaires ω et de la part du revenu des banquiers b :

(6)

( )( )

( )

( ) ( ) ( )( )

2. . /

. ²

. . .. / ²

E Hvv F G v

w A Dw B C

E Hb d r b v dvv F G v

λ α β γλ π

αλ

ϕ π γπ

⎧⎪ = − − − −⎪ −⎪⎪⎪ = − −⎨ −⎪⎪ ⎡ ⎤⎡ ⎤⎪ = + − − − − −⎢ ⎥⎢ ⎥⎪ −⎢ ⎥⎢ ⎥⎣ ⎦⎪ ⎣ ⎦⎩

&

&

&

où, E,F,G, et H sont des constantes. D’après Brossard (1999) Les modèles post-keynésiens sont extrêmement instructifs puisqu’ils sont parvenus à générer des cycles financiers endogènes sur la base de l’hypothèse de l’instabilité financière de Minsky. Certains ont réussi à le faire en prenant en considération l’impact du choix de portefeuille des agents sur le coût du capital. Ainsi, Taylor (1994) met en évidence un effet d’entraînement des cours sur l’investissement, tandis que Flashel, Franke et Semmler (1997) insistent au contraire sur l’effet d’éviction que peut avoir l’achat d’actions sur l’investissement physique via la hausse des taux. Aglietta, Coudert et Mojon (1995) démontrent que l’interaction entre le crédit et les cours peut avoir des effets contrastés sur l’investissement et la croissance selon les circonstances. Cela montre la nécessité de modéliser un arbitrage entre actifs aussi réaliste que possible, ce qui suppose, bien entendu, que les entreprises disposent d’une pluralité de sources de financement. Cet aspect est important puisque certains post-keynésiens ont montré que l’évolution de la structure du bilan des firmes peut également générer des fluctuations endogènes. Foley (1989)

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affirme ainsi que la politique monétaire ne doit pas être trop restrictive en phase ascendante du cycle, notamment lorsque l’offre de crédit est contrainte et que les sources de financement désintermédiées dépendent des ratios de liquidité. La prise en considération des conflits de répartition entre salaires, profits et charges financières (Downe, 1985 ; Keen, 1996) corroborent ce point de vue relativement hétérodoxe. Afin d’étudier les vertus préventives de la politique monétaire et le rapport entre la stabilité des prix et la stabilité financière, il paraît donc essentiel d’insister sur l’articulation entre les comportements d’arbitrage des agents et la pression exercée sur les marchés financiers et bancaire par les besoins de financement des firmes, comme l’ont fait Aglietta, Coudert et Mojon, mais en prenant également en considération les marchés obligataires. De cette manière, il serait possible de générer un éventuel effet d’éviction comme dans le modèle de Flashel, Frank et Semmler (1997), tout en tenant compte des problèmes de liquidité, chers à Brossard (1998, 1999) résultant de l’évolution du ratio de la dette obligataire sur le PIB. Sachant que les innovations financières ont totalement brouillé la frontière qui existait entre la monnaie et les titres financiers, il serait plus vraisemblable de déterminer le taux d’intérêt en définissant une fonction de réaction de la Banque centrale et une prime de risque plutôt qu’en résolvant un modèle IS-LM réduit à sa plus simple expression (Pollin, 2003). On pourrait alors introduire un effet d’accélérateur financier directement dans une équation d’offre de crédit ce qui, théoriquement et empiriquement, est bien plus convenable que l’introduction du Q de Tobin dans une équation d’investissement ad hoc comme celle de Delli Gatti, Gallegati et Gardini (1994). Un modèle AS-AD présente un double avantage : en posant des équations micro-fondées de demande conditionnelle de facteurs et une courbe de Phillips, on peut définir une équation d’investissement moins sujette à controverse, tout en prenant en considération la dynamique salaires-profits.

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Conclusion de la deuxième partie Le débat sur l’introduction du prix des actifs dans la fonction de réaction des banques centrales semble accessoire sur le plan empirique et non avenu sur le plan théorique. Sur le plan empirique, il est évident que les mouvements du prix des actifs ne laissent pas insensibles les autorités monétaires. Alan Greenspan a doublé les taux d’intérêt entre 1993 et 2000 alors que les pressions inflationnistes étaient quasiment inexistantes, uniquement pour calmer « l’exubérance » des marchés financiers qu’il a dénoncée à plusieurs reprises. Lorsque le bulle a éclaté, la Fed. a baissé ses taux nominaux à un niveau historiquement ridicule alors que l’inflation franchissait à la hausse la barre des 2 %. Les banques centrales réagissent donc aux mouvements du prix des actifs, indépendamment des pressions inflationnistes anticipées sur un ou deux ans. La variation des cours est d’une si grande ampleur qu’elle peut déstabiliser profondément et durablement l’économie. Aucune Banque centrale ne peut se réfugier dans une forme de « begnin neglect » lorsque la capitalisation boursière triple en 6 ans puis s’effondre de moitié en moins de deux ans. « Nécessité fait loi » comme l’illustre le cas américain. Les autorités monétaires réagissent donc aux mouvements du prix des actifs mais cette opération est malaisée39. Les cours sont si volatils qu’il est difficile à court terme de distinguer une saute d’humeur sur les marchés d’un changement de tendance. Comme l’explique Bean (2003), il est difficile d’identifier l’émergence d’une bulle et bien souvent lorsque les banques centrales acquièrent la conviction que les marchés sont survalorisés, il est déjà trop tard. La bulle s’est formée et ne peut qu’exploser. Faut-il alors systématiquement relever les taux de manière préventive et systématique selon une règle définie à l’avance lorsque les cours augmentent de manière prolongée ? Autrement dit, faut-il introduire une cible du prix des actifs ? La chose paraît pour le moins hasardeuse car selon Stock et Watson (2003), il n’existe pas de lien significatif et stable entre l’inflation, la croissance et les cours. La Banque centrale ne doit pas réagir de la même manière selon que la hausse des cours résulte d’un choc d’offre ou d’un choc de demande, ou si elle est justifiée ou non par rapport aux fondamentaux (Artus, 2000). Mishkin (2001) et Bean (2003) font le parallèle avec l’introduction du taux de change dans la fonction de réaction des banques centrales pour montrer à quel point cela peut être inefficient. Le cas de la Nouvelle Zélande en 1997 en est un bon exemple. Cecchetti et al. (2002), partisans de la réaction des autorités monétaires au prix des actifs, considèrent eux-mêmes qu’il est inopportun de cibler la valeur des actions. Rares sont ceux qui préconisent l’introduction d’une règle impérative et systématique. Généralement ils aboutissent à cette conclusion en simulant des modèles extrêmement simplifiés et linéaires qui ne prévoient même pas toujours la possibilité d’un écart entre le prix des actifs et leur valeur fondamentale (cf. Laskar, 2003). Les résultats ou le signe du coefficient de réaction dépendent alors du type d’anticipation retenu et de la capacité de la Banque centrale à identifier les chocs. Comme le souligne Visco (2003), les modèles dotés

39 Selon Levieuge (2003), la majorité des 77 banques centrales interrogées déclare que le prix des actifs influence la politique monétaire.

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d’une « cible d’inflation flexible » (FIT) sont d’une telle généralité, que leurs conclusions sont extrêmement dépendantes de leur structure (à partir d’un modèle FIT comparable à celui de Laskar, Bean soutient la conclusion inverse en introduisant un « credit crunch » dans son modèle). Il est quasiment impossible d’en tirer des leçons pratiques de politique monétaire. La portée empirique de cette controverse semble donc limitée. Sur le plan théorique, le débat qui s’est engagé semble relativement illusoire car tous ses protagonistes sont d’accord sur l’objectif à atteindre ; ils divergent seulement sur les moyens d’y parvenir. Ils reconnaissent tous que depuis qu’est apparu un régime de faible inflation, il y a une recrudescence des crises financières. Mais au lieu de rejeter la responsabilité de l’instabilité financière sur la lutte contre l’inflation, tous préconisent au contraire son renforcement : Bernanke et Gertler (1999, 2001) estiment simplement que si la Banque centrale anticipe les pressions inflationnistes à long terme et qu’elle y répond vigoureusement, il n’est pas nécessaire de prendre en compte le prix des actifs. Cecchetti et al. (2002) affirment que les autorités monétaires ne peuvent raisonnablement pas se focaliser sur des anticipations au-delà de deux ans. C’est pourquoi ils recommandent de lutter contre le gonflement du prix des actifs dans le but de réduire les pressions inflationnistes anticipées à long terme. Cette mesure leur paraît être une bonne solution pour remédier à la limite de l’horizon temporel des banques car ils considèrent que les cours boursiers sont un bon indicateur avancé des pressions inflationnistes futures. Quoi qu’il en soit, ils sont unanimement d’accord pour les éradiquer. Fondamentalement, ces auteurs sont tous intimement convaincus de la pertinence à long terme du « principe de Schwartz » (2002) selon lequel stabilité financière rime avec stabilité des prix. Ils admettent seulement la possibilité de quelques exceptions à court terme, liées essentiellement soit à un changement de régime productif, soit à un changement de régime de politique monétaire. En bref, selon eux, les entorses faites au principe seraient trompeuses et seulement liées à des sources exogènes. C’est pourquoi, lorsqu’une crise financière éclate en l’absence de tension inflationniste manifeste, ils invoquent sans le moindre doute l’existence « de pressions inflationnistes latentes ». Pour justifier leur posture, ils évoquent un « paradoxe de la crédibilité » des banques centrales (Goodfriend, 2001 ; Borio et Lowe, 2002 ; Mésonnier, 2004) et ils n’hésitent pas à faire un grand écart entre les théories de Minsky (1982) et celles de Friedman- Lucas. Le scénario qu’ils envisagent souffre de certaines incohérences. Il se déroule ainsi : en cas de choc d’offre positif, il y a une hausse des profits, des cours, du crédit et de l’investissement. Mais l’augmentation du prix des actifs provoque une baisse de la prime de risque et une accélération de l’offre de crédit. Le ratio dette sur PIB s’élève en conséquence et les bilans se fragilisent. Ils supposent qu’en parallèle, les pressions inflationnistes restent modérées car, lorsque la Banque centrale est crédible, les anticipations demeurent stables. Si les autorités monétaires se focalisent exclusivement sur l’accélération des prix, elles restent passives et les déséquilibres s’accumulent. Ces auteurs parlent alors de pressions inflationnistes latentes. Lorsque la tendance des indices boursiers s’inverse, tout s’écroule. Certains points paraissent peu vraisemblables : si les gains de productivité sont tels qu’il n’y a pas de pressions inflationnistes, on peut difficilement concevoir qu’ils débouchent sur une hausse du ratio dette sur PIB puisque par définition, les gains de productivité permettent de produire davantage à moindre coût.

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Conscients de cette limite, les auteurs évoquent en renfort un phénomène de sur-réaction sur les marchés financiers. En présence d’asymétrie d’information, les marchés auraient tendance à sur-valoriser les gains de productivité, conduisant ainsi les banques à distribuer trop de crédits.40 Face à l’afflux de cette manne à bon marché, les agents seraient tentés de financer des investissements de moins en moins rentables. Si tel était le cas, il devrait néanmoins y avoir des tensions inflationnistes quasi immédiates car la hausse de l’investissement débouche généralement sur une baisse du chômage et un développement de la masse salariale tandis que la baisse de la rentabilité implique une augmentation des coûts unitaires de production qui est au moins partiellement répercutée sur les prix. Pour couper court à cette critique, Goodfriend suppose qu’en régime de faible inflation, une convention de modération salariale s’instaure. Cependant, même en l’absence de hausse de salaires, les créations d’emplois provoquent toujours un gonflement de la masse salariale et de la consommation. Il cite également les travaux de Taylor (2000) pour expliquer qu’en l’absence de tension inflationniste, une croissance du coût unitaire de production se répercute moins facilement sur les prix. Ce point de vue est vraisemblable ; cela dit, il peut difficilement expliquer à lui seul l’absence de relation positive entre la création monétaire, la dégradation des bilans d’une part et l’inflation de l’autre. D’un point de vue strictement académique, il ne peut y avoir une expansion fulgurante de l’investissement physique à crédit sans pression inflationniste notoire, à moins qu’il y ait un choc d’offre positif. Or les gains de productivité ou une baisse exogène des coûts de production ne peuvent pas déboucher sur une fragilisation financière des entreprises, quelle que soit la crédibilité de la politique monétaire. De la même manière, on peut difficilement envisager une diminution de la rentabilité de l’investissement conjuguée avec une hausse exponentielle prolongée des cours, même s’il existe une forme de mimétisme sur les marchés financiers. En revanche, on peut concevoir une croissance du crédit sans accélération manifeste des prix, si elle finance essentiellement les investissements financiers des entreprises. Lorsque celles-ci privilégient leur croissance externe par rapport à leur croissance interne ou lorsqu’elles consacrent la majeure partie de leurs emprunts à l’acquisition de valeurs mobilières de placements, la création monétaire n’augmente pas la demande et les tensions inflationnistes restent modérées. On peut alors concevoir – comme Minsky (1975) - une hausse du ratio de la dette sur le PIB sans accélération des prix puisque la part du crédit destinée au développement de la production diminue. La dégradation des bilans peut coïncider avec un essor prolongé et même exponentiel des cours si les émissions nettes d’actions sont négatives. Or, les entreprises non financières américaines ont acheté beaucoup plus de titres qu’elles n’en ont émis à partir de 1994. Elles ont racheté entre 100 et 300 milliards de dollars d’actions chaque année à partir de 1996. Ce phénomène explique sans nul doute l’augmentation de 60% du Q de Tobin sur cette période. Son ampleur fut telle qu’il paraît improbable de comprendre la crise financière de 2001 sans le prendre en considération. En règle générale, les dirigeants souhaitent minimiser le risque de faillite de leur société et se prémunir contre une éventuelle crise de liquidité afin de renforcer leur pouvoir et leur employabilité. La diversification de leurs activités et les prises de participation croisées entre

40 Ils font explicitement référence au phénomène de l’accélérateur financier de Kiyotaki et Moore (1997).

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firmes leur en donnent l’occasion (Jensen, 1986 ; Paquerot, 1996). Or, ils privilégient leur croissance externe ou leurs placements spéculatifs lorsque la rentabilité de l’investissement physique est relativement faible, c’est-à-dire lorsque la demande est atone et que les taux d’intérêt réels sont relativement élevés, ce qui est généralement le cas en période de faibles tensions inflationnistes. Ce phénomène n’est pas nouveau. White (1990) révèle qu’entre 1920 et 1929, la part des crédits destinés aux achats d’actions a augmenté de 32 à 44 % alors que la politique monétaire américaine était extrêmement restrictive. L’indice des prix à la consommation a chuté de 4,7 points entre 1926 et 1929. Au cours de cette période, les cours boursiers ont plus que doublé. L’indice du Standard and Poor (S&P) est passé de 167 à 381. Schwartz (2002) déclare à propos de la crise de 1929 : “It was not an increase in the aggregate supply of Bank credit during the boom, but a reallocation in favour of loans on securities that supported rising stock prices.” La rigueur monétaire n’a pas endigué la bulle, au contraire. Elle a provoqué une baisse de la part de l’investissement physique par rapport aux investissements spéculatifs. Plusieurs exemples récents tendent à accréditer cette approche : L’indice du prix des actions a triplé au Japon entre 1985 et 1990 tandis que les taux d’intérêt ont été relevés de 2,5 % à 6 %. L’indice du prix à la consommation n’a augmenté que de 3,3 points sur cette période. Entre 1995 et 2000 l’indice américain Dow Jones est passé de 3834 à 11723 points. Le S&P s’est élevé de 460 à 1527 points tandis que le Nasdaq a augmenté de 752 à 4963 points. Le volume du crédit a été multiplié par 1,5 sur cette période mais le montant des prêts consentis pour acheter des actions a été multiplié par 2. Pourtant, la politique monétaire américaine n’a pas été expansive. Entre 1993 et 2000, les taux nominaux américains ont plus que doublé, passant de 3 à 6,50 %. Le taux d’intérêt réel de la Fed. (calculé avec le déflateur du PIB) est passé de 0,55 % à 3 % entre octobre 1993 et octobre 1994. En juillet 2000, il culminait à 4,25 %. C’est un niveau relativement élevé compte tenu du taux d’inflation. Entre 1993 et 1998, celui-ci est passé de 2,38 % à 1,14 %. Il est ensuite progressivement remonté à 1,8 % au moment où les cours atteignaient leur apogée. Au cours de cette période, les achats d’actions des entreprises ont atteint des sommets. De ce point de vue, on peut imputer l’instabilité financière à une lutte contre l’inflation poussée à l’extrême. Selon cette approche, une augmentation des taux d’intérêt réduit la rentabilité de l’investissement physique et augmente la préférence pour le risque des entreprises, et donc leur préférence pour les investissements financiers. La croissance externe se développe alors plus vite que la croissance interne et les émissions nettes d’actions deviennent négatives, ce qui provoque une hausse de leur prix. Les entreprises multiplient l’acquisition de Valeurs Mobilières de Placement (VMP), les rachats d’actions et les opérations de fusion-acquisition à crédit, de sorte que leurs ratios de solvabilité et de liquidité se dégradent. En pareil cas, l’adoption d’une politique monétaire restrictive ne ferait qu’aggraver le phénomène. Certes, un resserrement prolongé de la politique monétaire finit toujours par infléchir l’ascension des cours, mais souvent trop tard. La correction s’opère au prix d’un krach, d’une récession et d’une tendance déflationniste. Dans cette optique, le seul moyen de prévenir l’instabilité financière serait de réduire la cible d’inflation, comme le prétend Minsky (1975).

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La plupart des modèles analysés jusqu’ici font totalement abstraction de l’effet des émissions nettes d’actions sur la valeur des cours, alors que de toute évidence, elle occupe un rôle central dans la dynamique envisagée par Minsky. En règle générale, l’offre de titres est toujours supposée fixe. Le prix des actions est déduit de la condition d’équilibre entre la rentabilité attendue des titres et une rentabilité exigée, égale au taux d’intérêt directeur augmenté d’une prime de risque souvent exogène (Artus, 2000, 2002). Les cours reflètent alors la valeur fondamentale des titres. Ces modèles ne permettent donc pas d’étudier l’apparition d’anomalies sur les marchés financiers. Bernanke et Gertler (1999) ainsi que Cecchetti et al. (2000) introduisent une bulle exogène, mais cette approche est limitée puisque la politique monétaire ne peut influencer ni la taille ni la durée de la bulle. Filardo (2003, 2004) remédie partiellement à cette lacune en introduisant une bulle spéculative intrinsèque, mais là encore la Banque centrale ne peut prévenir son apparition. Son modèle est malheureusement linéaire et n’est pas véritablement micro-fondé. Le modèle en équilibre général présenté dans la troisième partie de cette thèse prend en considération l’arbitrage des entreprises entre investissement physique et investissement financier. Contrairement aux modèles de Bernanke et Gertler (1999) et de Cecchetti et al. (2000), les émissions d’actions de sont pas fixes. Leur montant dépend à la fois de l’augmentation désirée du capital physique et du Q de Tobin (Aglietta, Coudert, Mojon, 1995). Le prix des actions est donc déterminé par l’équilibre entre l’offre et la demande des agents. Les ménages réalisent un arbitrage de portefeuille conformément au Capital Assets Pricing Model de Tobin (1958). Les entreprises identifient la combinaison optimale entre actions et actifs physiques en fonction de leur rapport rentabilité-risque respectif, compte tenu du coût moyen pondéré de l’endettement bancaire et obligataire (cf. la théorie de la courbe d’efficience de Markowitz, 1952). Elles déterminent simultanément la valeur de leurs achats d’actions en fonction du stock de capital physique désiré (Bardos, 1993), qui est lui-même déterminé en maximisant le profit sous la contrainte d’une CES, compte tenu de la demande anticipée. Il est opportun de prendre en considération, dans un modèle en équilibre général, l’arbitrage des agents entre actifs puisque les post-keynésiens ont montré que cela peut engendrer des cycles financiers endogènes en affectant à la fois le coût et la structure du financement des firmes. Il est néanmoins essentiel de modéliser de manière aussi réaliste que possible la gestion de portefeuille des ménages car les recommandations de politique monétaire dépendent beaucoup des spécifications retenues, selon qu’elles génèrent un effet crowding in (Taylor, 1994) ou crowding out (Flashel, Frank et Semmler, 1997). C’est pourquoi, il semble pertinent d’introduire des obligations dans le modèle. Il suffit pour cela de supposer que l’offre endogène de crédit bancaire est limitée, conformément au point de vue de Greenwald, Stiglitz, Weiss (1984) et de Foley (1989), et que les entreprises satisfont leur besoin de financement non couvert par les prêts bancaires, en émettant des titres d’emprunts sur le marché. Cela permet en effet d’étudier les problèmes de liquidités soulevés par Brossard (1998, 1999) et d’examiner si l’instabilité financière résulte du laxisme ou de la rigueur des banques centrales.

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3. Dynamique des taux d’intérêt et des émissions nettes d’actions

Section d'équation (suivante) En prenant en considération l’existence d’une asymétrie d’information, Greenwald et Stiglitz (1993a, 1993b), Aglietta, Coudert et Mojon (1995) ainsi que Bernanke, Gertler et Gilchrist (1998), montrent que les variables financières n’influencent pas seulement la demande, via un effet de liquidité, mais qu’elles ont aussi un impact sur l’offre globale par l’intermédiaire du canal du bilan. En affectant la prime de risque et l’offre de crédit, le prix des actifs financiers exerce un effet d’accélérateur pro-cyclique sur les fluctuations de l’activité. Les marchés financiers ont donc tendance à amplifier les retournements conjoncturels et à transformer un simple ralentissement en une véritable récession. Pour pallier ce fléau, Brender et Pisani (2001) estiment qu’il faut lisser les fluctuations de l’activité en menant une politique monétaire contra-cyclique. Selon eux, il est nécessaire d’augmenter les taux d’intérêt en période d’accélération de la croissance pour juguler l’endettement et prévenir ainsi l’apparition d’une bulle spéculative alimentée par l’achat de titres à crédit (Borio et Lowe, 2002 ; Eichengreen et Mitchener, 2003). De ce point de vue, il serait tentant d’imputer la responsabilité de la crise financière de 2000-2002 aux autorités monétaires américaines, en leur reprochant d’avoir toléré un niveau de croissance insoutenable (supérieur à sa tendance non inflationniste) et d’avoir favorisé la spéculation à crédit. Pourtant il n’y pas eu de dérapage des prix aux Etats-Unis : l’inflation n’a pas cessé de reculer entre 1991 et 1999, période pendant laquelle la hausse des cours fut la plus vive. Les tensions ont certes augmenté à partir de 1999 mais très légèrement puisque le taux de croissance trimestriel des prix en rythme annuel est passé seulement de 1,4 à 1,8 % au moment où les indices boursiers atteignaient leur apogée. D’un point de vue historique, cette hausse ne paraissait pas menaçante41. L’inflation demeurait très faible et inférieure à celle de la zone euro. En outre, les autorités monétaires américaines ont vigoureusement réagi contre les pressions inflationnistes anticipées en augmentant les taux d’intérêt réels dès le début de l’année 1999 et jusqu’en juillet 2000. Ceux-ci ont atteint un pic de 4,25 %, soit un niveau inégalé depuis 10 ans. 41 Les taux d’intérêt réels de la Fed. (calculés avec le déflateur du PIB) se sont élevés de 0,55 % à 3 % entre octobre 1993 et octobre 1994. En juillet 2000, ils culminaient à 4,25 %. C’est un niveau relativement élevé compte tenu de l’inflation. Les taux nominaux sont montés de 3 % à 6 % entre octobre 1993 et avril 1995. Ils culminaient à 6,50 % en juillet 2000. Le taux d’inflation a diminué de 2,38 % à 1,14 % de 1993 à octobre 1998 puis est remonté progressivement à 2,61 % en juillet 2000. L’inflation a franchi la barre des 2 % au deuxième trimestre 2000, seulement après le début de la décrue des cours boursiers. A cette date, il n’était déjà plus question de pallier un éventuel risque de surchauffe puisque l’indice de la capitalisation boursière du secteur non financier a dramatiquement chuté de 45% entre janvier 2000 et le premier trimestre 2001, tandis que le taux de croissance trimestrielle du PIB en rythme annuel est passé de 4,17 % à 1,45 % (le taux de croissance trimestrielle en rythme annuel du PIB en volume était compris entre 3,8 et 4,9 % entre le 2° trimestre 98 et le 2° trimestre 2000).

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En bref, la Fed. est parvenue à éradiquer les tensions inflationnistes mieux qu’aucune autre Banque centrale. Mais manifestement, la lutte contre l’inflation n’a pas permis de prévenir la surévaluation des cours puisque la capitalisation boursière du secteur non financier a été multipliée par trois entre 1993 et 1999. On ne peut donc pas accuser les autorités monétaires de laxisme, par contre il est désormais possible de leur reprocher la conviction selon laquelle une croissance est soutenable dès lors qu’elle s’accompagne d’une désinflation ou d’une faible inflation sur le marché des biens et services. Filardo (2004) fait justement remarquer « to some extent, the achievement of a low stable inflation environment has not simultaneously brought about a more stable asset price environment. » Faut-il en déduire que les autorités monétaires devraient également lutter contre une croissance du PIB inhabituellement élevée dès lors qu’elle s’accompagne d’une hausse exponentielle et prolongée des cours ? D’abord il est difficile, voire quasi impossible de déterminer un seuil de croissance soutenable en l’absence de critère inflationniste. Ensuite, il n’est pas légitime de brider l’expansion de l’activité et celle des cours sous le seul prétexte qu’elles sont historiquement élevées, si elles coïncident avec une désinflation sur le marché des biens et services car théoriquement, cette concomitance peut s’expliquer par la réalisation de gains de productivité. En effet, ceux-ci justifient à la fois : une forte augmentation de la production, un ralentissement de la hausse des prix, une amélioration du pouvoir d’achat mais aussi un gonflement des profits anticipés qui légitime théoriquement le développement de la capitalisation boursière. C’est d’ailleurs la thèse soutenue par les autorités monétaires et tous les analystes financiers au cours de cette période. Certes, la Federal Reserve s’est trompée, comme l’a montré la suite des évènements. Ni le taux de croissance, ni le niveau de capitalisation n’étaient soutenables. Il apparaît a posteriori que les gains de productivité réalisés dans le secteur des nouvelles technologies ne pouvaient pas justifier une pareille activité. Il semblerait que la croissance ait également augmenté sous l’effet d’une envolée démesurée et exponentielle des cours boursiers, liée à une forme de mimétisme (Orléan, 2000) et à l’euphorie suscitée par les gains de productivité. Il semble qu’il y ait eu un phénomène « d’overshooting informationnel » (Zeira, 1999). D’un point de vue historique, les bulles spéculatives émergent souvent en période d’innovation technologique (Chancellor, 1999). La hausse de la capitalisation boursière et l’euphorie qu’elle a suscitée ont entraîné une baisse de la propension à épargner, conformément à la théorie de l’effet de richesse (Boone et al., 1998 ; Lettau, Ludvigson et Steindel, 2001) mais surtout un relâchement des contraintes pesant sur l’offre du crédit, via le mécanisme de l’accélérateur financier (Bernanke et Gertler, 1989, 1998 ; Kiyotaki et Moore, 1997). Cela a stimulé la croissance de l’activité, ce qui a justifié a posteriori l’escalade des indices boursiers tout en l’encourageant davantage. Néanmoins, le mimétisme inhérent au fonctionnement des marchés financiers a toujours existé et ne peut expliquer la recrudescence des crises financières apparue depuis la remise en cause de l’économie d’endettement. Il faut donc chercher une explication complémentaire. Au lieu d’imputer la responsabilité de la crise à une politique monétaire trop laxiste, on peut se demander au contraire si la lutte systématique contre les pressions inflationnistes et l’éradication relative de la hausse des prix n’ont pas favorisé l’apparition de la bulle spéculative.

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Cette interrogation prend le contre-pied de la vision traditionnelle qui postule une relation positive entre la stabilité financière et celle des prix (Schwartz, 2002 ; Bordo, Dueker et Wheelock, 1998) mais celle-ci est de plus en plus remise en cause : des études empiriques récentes (Borio et Lowe, 2002 ; Borio et al., 2003 ; Boucher et Vasques , 2004) mettent en évidence une augmentation des crises financières en période de faible inflation. La multiplication des épisodes spéculatifs survenue au cours des quinze dernières années s’est produite alors que l’engagement des banques centrales en faveur de la stabilité des prix était de plus en plus crédible. Cette surprenante coïncidence a conduit certains économistes à émettre « l’hypothèse selon laquelle la crédibilité de la politique monétaire serait « une épée à double tranchant » (Mésonnier, 2004). A l’instar de Borio et Lowe (2002), nombreux sont ceux qui s’interrogent sur l’existence d’un éventuel «paradoxe de la crédibilité». Goodfriend (2001) fut l’un des premiers auteurs a souligner l’apparente remise en cause du « principe de Schwartz ». Il suppose qu’une politique monétaire visant à stabiliser les prix débouche sur une convention implicite de modération salariale. Ce phénomène limiterait l’apparition de tensions inflationnistes en cas de choc de demande positif. L’aggravation de l’output gap se traduirait donc d’abord par une accélération du prix des actifs avant celui des biens, de sorte qu’en se focalisant uniquement sur l’inflation, la Banque centrale aurait tendance à intervenir trop tardivement. Borio et Lowe (2002) considèrent également que dans une économie où l’inflation est durablement maîtrisée (modifications dans le processus de formation des salaires, crédibilité de la Banque centrale, chocs d’offre, etc.), les tensions ne se manifestent plus par l’inflation mais plutôt par les prix des actifs. Dans une optique plus keynésienne, Brossard (1998) estime que l’euphorie provoquée par la croissance entraîne un regain de préférence pour la liquidité qui permet aux entreprises de se refinancer à faible coût sur les marchés financiers. L’endettement obligataire peut alors augmenter sans susciter de hausse des taux. Ce faisant, le ratio liquidités sur titres s’élève, ce qui finit par déboucher, tôt ou tard, sur un accroissement fulgurant des taux d’intérêt qui provoque le retournement. De ce point de vue, la crise résulte d’une augmentation trop tardive et brutale des taux, comme l’affirment les tenants du “paradoxe de la crédibilité”. Ces économistes ont alors unanimement recommandé aux autorités monétaires de réagir davantage et de façon préventive à l’apparition de ces « tensions inflationnistes latentes » que les ratios de solvabilité ou d’endettement seraient sensés refléter. Certains ont même plaidé un relèvement des taux systématique lorsque les cours augmentent de façon significative au-delà de leur tendance de moyen terme, puisqu’ils sont le reflet de l’optimisme des marchés et de la baisse de la préférence pour la liquidité. C’est pourquoi un débat s’est récemment engagé sur l’opportunité d’introduire le prix des actifs dans la fonction de réaction des banques centrales. Bernanke et Gertler (1999) ont estimé sur la base d’un modèle néo-keynésien en équilibre général, dans lequel ils ont introduit une bulle spéculative exogène et un mécanisme d’accélérateur financier, qu’il était inefficient de cibler le prix des actifs, mais qu’il suffisait de réagir fortement à l’inflation anticipée pour réduire les effets déstabilisateurs d’une exubérance financière. Cependant, Cecchetti et al. (2000) ont remis en cause leurs simulations en rajoutant simplement l’output gap dans la fonction de réaction de la Banque centrale. Ils

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ont pu prétendre, au contraire, qu’il serait opportun de prendre en considération l’évolution des cours en cas de choc de demande. Cette controverse qui fit l’objet d’une abondante littérature peut paraître superficielle puisque ces économistes s’accordent sur deux points essentiels : les uns comme les autres considèrent d’une part, que plus le coefficient de réaction de la Banque centrale à l’inflation est élevé, plus la dynamique de l’activité est stable ; d’autre part, chacun juge hasardeux de cibler formellement le prix des actifs, c'est-à-dire de l’introduire explicitement dans la fonction de réaction de la Banque centrale, notamment parce que les prix des actifs sont trop volatils et que la réponse optimale des autorités monétaires dépend du signe de la relation entre l’inflation et les cours. Or celui-ci change en fonction de la nature des chocs qui affectent l’économie. En bref, la quasi-totalité des économistes reconnaît qu’il y a une recrudescence des crises financières depuis que les tensions inflationnistes ont été éradiquées, mais curieusement, personne n’a mis en cause l’importance de la lutte contre l’inflation menée par les autorités monétaires. Au contraire, tous ceux qui ont fait entendre leur voix préconisent son renforcement. Le « paradoxe de la crédibilité » ne serait donc qu’apparent. Pourtant, à la lecture des travaux de Minsky (1975), il serait judicieux de s’interroger sur la pertinence de la mise en œuvre d’une politique anti-inflationniste rigoureuse. Cet auteur a avancé une explication alternative au paradoxe de la crédibilité puisqu’il ne pense pas que la bulle résulte d’une trop faible ou trop lente remontée des taux d’intérêt, au contraire. Selon « l’hypothèse de l’instabilité financière », la surévaluation des cours est alimentée par la spéculation à crédit de l’ensemble des agents, y compris des entreprises. Minsky affirme que ces dernières effectuent un arbitrage rentabilité-risque entre tous les actifs. Or en phase de croissance et d’euphorie, la liquidité des actions augmente tandis que la hausse des taux d’intérêt réduit progressivement la rentabilité de l’investissement physique. Les entreprises multiplient alors les acquisitions de valeurs mobilières de placement et les opérations de croissance externe. Cela entraîne une augmentation du ratio de leur dette sur le capital physique et donc une hausse relative des charges financières par rapport aux cash flows, qui dégrade leur solvabilité. En conséquence, elles émettent davantage de titres d’emprunt à court terme sur le marché obligataire. Ceci provoque une baisse de la part des liquidités dans le portefeuille des agents qui suscite une remontée des taux tout au long de la phase ascendante. Tant que la masse monétaire et la vitesse de circulation de la monnaie augmentent, la hausse des taux ne parvient pas à juguler la croissance et l’endettement car il existe une interaction positive entre le crédit et le prix des actions. L’expansion persiste tant que les firmes sont en mesure de drainer les liquidités pour honorer leurs charges financières croissantes. Lorsqu’elles n’y parviennent plus, les entreprises revendent leurs titres, ce qui provoque un krach et une récession. De ce point de vue, la baisse du ratio liquidités sur titres n’est pas la cause mais la conséquence de l’augmentation du ratio des charges financières sur les cash flows. Minsky parvient à expliquer l’inversion du sens de cette causalité en insistant tout particulièrement sur la spéculation à crédit des agents et notamment des entreprises. En fait, l’envolée de la valeur des actions coïncide avec une hausse des taux d’intérêt parce que les émissions nettes d’actions des sociétés diminuent en période de croissance.42 La prise en compte de l’arbitrage 42 Pour Minsky, la demande de monnaie au motif de spéculation n’est pas seulement une fonction négative des taux, elle dépend aussi positivement du prix anticipé des titres, en particulier des actions.

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des agents entre investissement physique et investissement financier est au cœur de cette dynamique. Pour Minsky, un durcissement de la politique monétaire serait un remède pire que le mal, puisqu’une hausse des taux réels augmenterait davantage le ratio des charges financières sur les cash flows. En outre, la contraction de l’offre de crédit entraînerait un gonflement de la part de l’endettement obligataire dans le financement externe des firmes, ce qui dégraderait davantage la solvabilité des agents. Il estime au contraire qu’il faut créer de la monnaie et susciter un regain de pressions inflationnistes afin de diminuer le volume de la dette et des charges d’intérêt et de réduire l’attrait des actifs financiers, en améliorant la liquidité des bilans des agents. Minsky réfute l’idée selon laquelle la passivité des banques centrales serait responsable de l’instabilité financière. Au contraire, de son point de vue, c’est la lutte contre l’inflation qui alimente l’émergence d’une bulle spéculative. Cette approche peut paraître déroutante de prime abord, car selon le modèle de Gordon- Shapiro, une hausse des taux directeurs réels entraîne une baisse des cours boursiers puisqu’elle diminue la valeur actualisée des profits anticipés et qu’elle affecte négativement les anticipations de croissance des spéculateurs. Non seulement elle réduit la rentabilité attendue des actions, mais elle favorise une augmentation du stock d’actifs sans risque des ménages au détriment de la demande d’actions et d’obligations, comme l’indique le modèle de la droite de marché (MEDAF). Cependant, une hausse des taux d’intérêt réels peut avoir des effets indirects inattendus sur le niveau de la capitalisation boursière en dynamique générale, car elle affecte les conditions d’arbitrage entre actifs corporels et actifs financiers des firmes. L’augmentation des taux d’intérêt réels décourage l’investissement physique mais peut inciter les dirigeants d’entreprises à investir en bourse si la rigueur monétaire ne brise pas l’optimisme régnant sur les places financières (phénomène d’autant plus probable qu’il existe des anticipations extrapolatives et une forme de mimétisme sur le marché). La modification du rapport rentabilité - risque peut les inciter à privilégier les acquisitions d’actions plutôt que l’investissement corporel, en dehors même de toute considération productive. Cette démarche peut paraître novatrice sachant que, d’un strict point de vue orthodoxe, les entreprises n’ont pas vocation à investir en bourse car cela ne serait pas dans l’intérêt de leurs propres actionnaires. Et pourtant, les émissions nettes d’actions sont largement négatives aux Etats-Unis depuis les années 1980. Les entreprises achètent plus de titres qu’elles n’en émettent. Or ces acquisitions n’ont pas pour seul objectif la réalisation d’économies d’échelle, puisque la plupart des prises de participation sont minoritaires et que la majorité des fusions-acquisitions sont conglomérales. Les entreprises réalisent donc un arbitrage rentabilité-risque entre actifs physiques et financiers, notamment dans l’intérêt de leurs dirigeants. Conformément à la théorie du « free cash flow » (Jensen, 1986) et de « l’enracinement » (Paquerot, 1996, 1997), ils n’hésiteront pas à diversifier leurs activités en finançant des prises de participation minoritaires ou majoritaires s’ils estiment que cela peut conforter leurs pouvoirs et réduire le risque de cessation de paiement de leur entreprise. En bref, une hausse des taux d’intérêt directeurs pourrait déboucher en dynamique générale sur une émission nette d’actions négative et une hausse des cours. Ce scénario est vraisemblable car il y a bien eu une relation positive entre les taux réels, les rachats d’actions et la capitalisation boursière dans la deuxième moitié des années 1990. Il peut expliquer la

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coïncidence théoriquement surprenante entre un Q de Tobin très supérieur à 1 et des émissions nettes d’actions largement négatives aux Etats-Unis, comprises entre -50 et -300 milliards de dollars chaque année entre 1995 et l’explosion du krach. On ne peut analyser et comprendre la crise financière des années 2000-2001 sans prendre en considération ce phénomène. Or la plupart des modèles en équilibre général négligent totalement l’impact des émissions nettes d’actions sur le niveau des cours à l’équilibre. En règle général, le prix des actions est déduit de la condition d’équilibre entre la rentabilité attendue des titres et une rentabilité exigée (égale au taux d’intérêt directeur augmenté d’une prime de risque souvent exogène), auquel on ajoute éventuellement une composante spéculative exogène. Il n’y a donc pas d’équation de demande et d’offre d’actions. Ces hypothèses sont extrêmement restrictives puisque, soit les cours reflètent la valeur fondamentale des titres, soit ils s’en écartent de manière exogène. Ces spécifications ne permettent donc pas d’étudier l’influence de la politique monétaire sur l’apparition d’une bulle, ni ses vertus préventives or c’est une question primordiale. Pour remédier à ces lacunes, il faut déterminer le prix des titres en fonction de leur offre et demande respectives. Pour ce faire, il faut d’abord déterminer la part de richesse que les ménages consacreront à chaque titre et définir les modalités d’arbitrage entre actifs des entreprises (3.1). Il faut ensuite introduire les équations d’offre et de demande de chaque actif dans un modèle en équilibre général avec prix et salaires flexibles, de type AS-AD en concurrence imparfaite, doté d’un mécanisme d’accélérateur financier et d’une règle de Taylor (ce qui implique que la monnaie soit endogène), conformément aux travaux de Bernanke et Gertler. Cette approche permet d’étudier l’effet de l’évolution endogène du prix des titres sur l’économie réelle (3.2). Il se manifeste par le biais de trois canaux principaux : la courbe d’offre globale, l’offre de crédit et accessoirement l’effet de richesse. Le modèle élaboré permet d’examiner l’impact de la politique monétaire sur le cycle réel et financier (3.3). Il permet de mieux comprendre l’apparition d’une bulle spéculative malgré la mise en œuvre d’une politique anti-inflationniste aux Etats-Unis. Les simulations montrent clairement que le coefficient de réaction à l’inflation ne doit ni être inférieur à un certain seuil (son niveau dépend de l’importance de l’effet d’accélérateur financier) ni supérieur à un plafond (le stock de capital productif ne doit pas diminuer en phase descendante du cycle). Cette prescription est conforme aux conclusions de Bernanke, Gertler, Gilchrist (1998), de Foley (1989) et de Keen (1996) qui résultent de la prise en compte de l’impact des variables financières sur l’investissement. Les simulations montrent qu’à l’optimum, cette bande est relativement étroite. Elles révèlent également que la lutte contre le chômage est fortement stabilisatrice.

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3.1. L’arbitrage des agents entre actifs risqués et non risqués

Pour examiner comment la Banque centrale peut prévenir l’émergence et le développement d’une bulle spéculative, il est nécessaire de l’endogenéiser. La seule manière micro-fondée d’y parvenir est l’introduction de l’arbitrage des agents entre actifs risqués et non risqués dans un modèle en équilibre général. Ce procédé permet de déterminer l’offre et la demande de chaque titre et donc leur prix de marché. C’est aussi la seule façon d’éprouver la validité de « l’hypothèse d’instabilité financière » de Minsky. En outre, pour saisir les principaux faits stylisés de la crise américaine de 2000-2002, il est essentiel de prendre en considération l’impact des émissions nettes d’actions sur le prix des titres et de comprendre ce qui pousse les entreprises à en acquérir. Les techniques d’arbitrage entre actifs risqués et non risqués ont fait l’objet de nombreuses recherches. Le modèle de Tobin-Markowitz fait référence en la matière. La méthode est relativement simple : les agents doivent diversifier leurs actifs afin de minimiser le risque. Le choix de la proportion de chaque actif dans le portefeuille est déterminé par le coût d’un actif sans risque. Dans le modèle présenté, les entreprises arbitrent entre deux actifs risqués : les immobilisations corporelles et les actions, compte tenu du coût de leur dette. Les ménages, quant à eux, effectuent un arbitrage rentabilité-risque entre l’épargne, les actions et les obligations, compte tenu de la rémunération des dépôts. Etant donné que la question de l’arbitrage rentabilité–risque des entreprises entre actifs physiques et actifs financiers a été négligée, voire ignorée jusqu’au début des années 1990, il est nécessaire de justifier son opportunité (3.1.1.), avant d’examiner ses modalités (3.1.2). Ensuite l’arbitrage des ménages sera exposé en détail (3.1.3).

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3.1.1. Placements financiers et participations croisées : un système de mutualisation des risques des dirigeants

D’un point de vue orthodoxe, les entreprises non financières ne sont pas supposées détenir des actifs financiers puisqu’elles sont structurellement débitrices nettes. Elles n’auraient pas non plus vocation à diversifier un portefeuille d’actifs dans le but de minimiser le risque de leurs actionnaires, puisqu’ils sont sensés y parvenir eux-mêmes de façon optimale. Selon Modigliani et Miller, les entreprises achètent des actions exclusivement pour réaliser des fusions-acquisitions et uniquement dans le but de faire des économies d’échelle, de réduire leurs coûts de transaction et de renforcer leurs pouvoirs de marché. De ce point de vue, leurs achats d’actions pourraient être assimilés à des investissements productifs. Or, cette approche conventionnelle n’est plus de mise depuis les années 1980 car les entreprises achètent bien souvent des valeurs mobilières de placement qui ne leur donnent aucun pouvoir de contrôle effectif, tandis que les fusions-acquisitions sont majoritairement conglomérales. Elles n’ont donc pas seulement pour objet l’amélioration de la rentabilité productive des firmes. En outre, les entreprises américaines achètent plus d’actions qu’elles n’en émettent depuis un quart de siècle. Elles supportent donc désormais un risque de moins-value qu’elles ne peuvent ignorer, sachant que ces titres sont souvent revendus à court terme. Leurs acquisitions d’actifs financiers ne peuvent donc plus être assimilées à une forme indirecte d’investissement corporel. En fait, la multiplication des participations croisées obéît à d’autres raisons (3.1.1.1). Les investissements financiers sont essentiellement réalisés dans le but de minimiser le risque de faillite de l’entreprise au profit de ses dirigeants (Jensen, 1986, 1988 ; Charreaux, 1993 ; Paquerot, 1997) et des firmes qui détiennent ses actions. En effet, puisque celles-ci ne peuvent diversifier librement leurs propres activités, elles ont intérêt à ce que les entreprises dont elles sont actionnaires le fassent elles-mêmes. L’influence grandissante de la « logique actionnariale », qui a inspiré le modèle EVA-MVA, a également incité les entreprises à s’endetter pour acheter des actions, afin de gonfler artificiellement la rentabilité de leurs fonds propres (Plihon et al., 2002 ; Aglietta et Rebérioux, 2004). Ces investissements financiers ne relèvent plus d’une gestion résiduelle d’éventuels excédents de trésorerie, puisqu’ils ont atteint des montants vertigineux (plus de 6300 milliards de dollars entre 1995 et 1999 aux Etats-Unis) et qu’ils ont été exclusivement financés par emprunt comme l’ont souligné Aglietta et Rebérioux (2004). Etant donné que les entreprises n’ont pas financé ces rachats d’actions sur fonds propres et que le montant comme le mode de leur financement externe influencent le coût de leur capital et les conditions de la maximisation de leurs profits, on peut vraisemblablement affirmer que les entreprises procèdent à un arbitrage rentabilité-risque pour déterminer quelle est la part optimale que devraient avoir leurs actifs financiers dans leur bilan (Epaulard et Szpiro, 1991), sans que cela implique pour autant un effet d’éviction entre investissements financiers et investissements physiques (3.1.1.2).

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3.1.1.1. Les justifications de l’arbitrage Dans la quasi-totalité des travaux rédigés sur les choix de portefeuille, l’actif sans risque est toujours assimilé à l’épargne ou au crédit bancaire et les actifs risqués considérés sont des placements exclusivement financiers (obligations et/ou actions). Les agents implicitement visés par ce comportement d’arbitrage sont donc soit les ménages, soit les entreprises financières puisque l’investissement physique n’est pas pris en considération. Deux raisons majeures expliquent cela :

- Les entreprises non financières, prises dans leur ensemble, sont débitrices nettes : elles émettent plus de titres financiers qu’elles n’en achètent. Au niveau agrégé, un arbitrage rentabilité-risque ne les concernerait donc pas. - Modigliani et Miller estiment que si chaque investisseur peut minimiser son risque en diversifiant son portefeuille d’actions, il est inutile que les firmes le fassent.43 Les actionnaires individuels n’ont pas intérêt à ce que les entreprises investissent en bourse pour améliorer la rentabilité de leurs cash flows. Ils préféreront percevoir davantage de dividendes pour spéculer eux-mêmes. Modigliani et Miller en ont déduit qu’une entreprise n’a aucun intérêt à acheter des actions, à moins de réaliser une opération de fusion-acquisition dont les objectifs seraient soit : de réaliser des économies d’échelle, de réduire les coûts de transaction (Williamson, 1985), de renforcer le pouvoir de marché du groupe ou de pénétrer des marchés extérieurs. De leur point de vue, l’acquisition d’actions relèverait davantage d’une logique productive que d’une démarche spéculative ou financière.

Cette approche est réductrice et empiriquement contestable: La première raison invoquée ci-dessus n’est plus valable depuis le début des années 1980 : les émissions nettes d’obligations sont certes très largement positives mais les émissions nettes d’actions sont négatives aux Etats-Unis depuis cette date. En tant qu’acquéreurs nets d’actions, les entreprises assument désormais un risque financier.

43 En outre il serait illusoire de croire qu’elles peuvent y parvenir. Les études empiriques conduites sur les opérations conglomérales aux Etats-Unis (Husson, 1990) montrent que le degré de diversification obtenu grâce aux acquisitions est très inférieur à celui obtenu par la diversification de portefeuille (Batsch, 2002).

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Emissions nettes d'actions du secteur non financier aux Etats-Unis

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émissions nettes d'actions NFI

Graphique III.1. Source Fed. Flows of funds, 2004. La seconde raison est également contestable car empiriquement, les entreprises ne détiennent pas leurs actions dans le seul but de réaliser une fusion-acquisition pour améliorer la rentabilité de leur activité productive :

- Les entreprises peuvent acquérir des actions dans un but purement spéculatif à court terme. Ces valeurs mobilières de placement ne sont pas négligeables44. - Les prises de participation ne sont pas toutes majoritaires et par définition, elles ne peuvent pas être considérées comme des opérations de fusion-acquisition si les immobilisations financières représentent moins de 40 % du capital des firmes émettrices. Entre 1990 et 1998, il n’y eut que 2040 opérations de fusions-acquisitions aux Etats-Unis, soit un chiffre dérisoire par rapport au nombre d’entreprises qui investissent en bourse.45 - L’objectif des fusions n’est pas systématiquement la réalisation d’économies d’échelle, la réduction des coûts de transaction ou l’amélioration du pouvoir de marché de l’entreprise. Si tel était le cas, les opérations de fusions seraient soit horizontales (les entreprises ont la même activité) soit verticales (elles appartiennent à la même filière), soit obliques ou concentriques (compétences voisines ou réseau de distribution commun) or la

44 Lorsque l’acquisition est inférieure à 10 % du capital de la firme émettrice, les actions sont considérées comme des valeurs mobilières de placement. Au-delà de ce seuil, la détention d’actions est considérée comme une prise de participation. Elle est alors comptabilisée comme une immobilisation financière. On estime qu’il y a fusion-acquisition lorsqu’une entreprise détient au moins 40 % des droits de vote sur une autre et qu’aucun autre actionnaire ne détient directement ou indirectement une fraction supérieure à la sienne. 45 Entre 1996 et 2001, la part des dividendes reçus sur les dividendes versés par les entreprises non financières est passé et de 21,5 à 16,8 % aux Etats-Unis (cette part culmine à 48 % en 1974 aux Etats-Unis) et de 48 % à 59% en France. En 2001, 24 % des actions françaises sont détenues par les entreprises non financières résidentes. Cela nous donne une idée de l’ampleur de l’intervention des firmes sur les marchés boursiers.

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plupart des fusions sont conglomérales puisqu’elles regroupent des entreprises qui appartiennent à des secteurs d’activité radicalement différents. Aux Etats-Unis, 60 % des fusions réalisées entre 1980 et 1990 étaient conglomérales et 52,2 % entre 1990 et 1998 (Coutinet, Sagot-Duvauroux, 2003, p. 31). En 2001 16,7 % des fusions françaises étaient réalisées dans le cadre d’une opération de Leveraged By Out (LBO) dont l’objectif affiché était de percevoir des dividendes supérieurs aux intérêts des sommes empruntées pour acheter les titres.

En bref, toutes les acquisitions d’actions ne sont pas des opérations de fusion-acquisition et toutes les fusions n’ont pas seulement pour objet l’amélioration de la rentabilité productive des firmes. D’autres explications doivent donc être avancées :

- Les stratégies de diversification visent à élargir le choix de croissance à venir. Les entreprises cherchent à dépasser leur « contrainte de sentier » (Dosi et al. 1990).

- La diversification implique une diminution du risque de faillite. Ces opérations

diminuent la probabilité de cessation de paiement car d’une part, l’augmentation de la taille d’un groupe améliore ses conditions d’accès au marché et parce que d’autre part, les performances des activités ne sont pas parfaitement corrélées entre elles. En outre, les prises de participation constituent une forme de réserve de valeur qui peut être rapidement liquidée en cas de besoin lors d’une crise sectorielle.46 Ravenscraft et Scherer (1989) estiment que 47 % des firmes acquises lors d’une fusion-acquisition sont ensuite revendues. Dans une étude réalisée en 1992, à partir de l’examen des comptes consolidés de 275 groupes représentant 1/5 du PIB français, la Caisse des Dépôts et Consignation soulignait le caractère superficiel de la distinction entre valeurs mobilières de placement et immobilisations financières. Elle estimait déjà que 60 à 66 % des immobilisations financières « représentent en fait une enveloppe de titres mobilisables conjointement avec les valeurs mobilières de placement, soit pour faire face à des difficultés de trésorerie, soit pour résister aux menaces stratégiques, soit pour assurer la conduite d’opérations futures de croissance externe, soit peut-être enfin pour constituer une sûreté lors d’une opération de financement » (Cohen et Morel, 1992).

Néanmoins, ces deux raisons ne satisfont pas non plus les intérêts des actionnaires individuels ou financiers:

- Si les actionnaires sont en mesure de diversifier leur portefeuille, la contrainte de sentier de la firme ne leur pose pas de problème. Par conséquent, ils refuseront une stratégie de diversification si elle implique une diminution de la distribution de dividendes ou si elle débouche sur une hausse de l’endettement telle que la rentabilité des fonds propres diminue. - Ils n’ont pas intérêt non plus à ce que les activités rentables d’un groupe soient utilisées pour financer des activités qui ne le sont pas. Le fait que la généralisation de ce phénomène puisse déboucher sur une légère diminution du risque global de marché en réduisant le nombre de faillites ne devrait pas suffire à les convaincre car ils peuvent

46 D’autres explications plus marginales peuvent être avancées comme les économies d’impôts, voir Coutinet, Sagot-Duvauroux, 2003, p. 67.

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toujours objecter qu’il vaut mieux financer un secteur lucratif en pleine expansion que d’essuyer les pertes d’une activité en déclin. - Ils peuvent néanmoins apprécier que la société dispose d’une réserve de valeur en actions qui la mette à l’abri d’un problème conjoncturel de liquidité s’ils estiment que son activité productive est rentable. Cet argument peut cependant paraître fragile si l’on songe qu’une entreprise fondamentalement lucrative confrontée à un problème de liquidité devrait théoriquement être en mesure d’obtenir des crédits ou d’émettre facilement des obligations sur le marché.

Cependant, les actionnaires ont intérêt à ce que les entreprises réalisent des opérations de Leveraged By Out, si les rendements, nets de charges financières et fiscales, sont supérieurs à ceux qu’ils obtiendraient eux-mêmes en achetant directement les titres (ce qui n’est pas évident lorsque l’on compare le régime fiscal des particuliers à celui des entreprises dans les principaux pays de l’OCDE, surtout si l’on songe que les rendements obtenus redistribués sous forme de dividendes seront doublement taxés, au titre de l’Impôt sur les Sociétés et au titre de l’imposition sur les revenus mobiliers des actionnaires), ou si l’amélioration induite de la rentabilité des fonds propres entraîne une hausse de la valeur de marché de la firme, qui équivaut à une hausse non imposable du rendement des titres. Ils ont également un avantage à ce que les firmes rachètent leurs propres actions si cela leur permet d’augmenter la distribution de dividendes par titre (ce qui est possible si le pourcentage des charges financières de l’opération est inférieur au ratio initial des dividendes sur les cours) et/ou si cela génère une plus-value. Cependant les rachats d’actions à proprement dit représentent une faible part des acquisitions financières des entreprises. D’un point de vue théorique et empirique, il est donc impossible de prétendre que les acquisitions d’actions d’une firme ne satisfont jamais ses actionnaires individuels ou financiers. Quoi qu’il en soit, elles avantagent incontestablement ses dirigeants et les sociétés non financières qui détiennent directement ou indirectement son titre. Les chefs d’entreprise ont absolument intérêt à ce que leur firme survive et affiche une bonne santé financière, ne serait-ce que pour garder leur emploi et préserver leur crédibilité sur le marché du travail. Ils sont donc très sensibles au problème de liquidité, au risque de faillite et à la contrainte du « sentier de croissance ». Par conséquent, ils n’hésiteront pas à se lancer dans des opérations boursières, alliances, prises de participation croisées, fusions-acquisitions, si elles leur permettent de garantir et développer leur position de pouvoir. Selon la théorie du Free Cash Flow (Jensen, 1986, 1988), les dirigeants n’ont pas intérêt à distribuer les cash flows de la société sous forme de dividendes car cela diminue les montants des ressources qu’ils contrôlent. Les prises de participation sont un moyen d’élargir leurs compétences et d’accroître leur employabilité sur le marché du travail. Selon la théorie de l’enracinement (Paquerot, 1997), les chefs d’entreprise souhaitent accroître le coût de leur remplacement. Pour ce faire, ils cherchent à rendre le système d’information plus difficile à gérer et à augmenter l’asymétrie d’information, notamment au moyen de prises de participation, afin d’échapper au pouvoir des actionnaires. En outre, ils peuvent diluer la part des actionnaires majoritaires à travers une fusion ou une Offre Publique d’Achat. Myers propose une généralisation de la théorie du Free Cash Flow de Jensen en considérant que les dirigeants représentent la firme en tant que coalition et cherchent donc à maximiser

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toute la richesse placée sous leur contrôle (corporate wealth) et pas seulement leurs intérêts financiers propre à court terme ou celui des actionnaires (Charreaux, 1993). Les prises de participations ainsi qu’une gestion dynamique des cash flows de la firme peuvent sembler attrayantes si elles consolident la croissance de la firme car elles confortent la position du dirigeant. Il faut ajouter que la réduction du risque de faillite, de cessation de paiement ou la recherche d’un meilleur effet de levier, grâce aux investissements boursiers, ne peuvent laisser indifférents les actionnaires qui ne peuvent diversifier leurs actifs ou qui sont contraints financièrement. Or c’est le cas de nombreux particuliers, mais aussi des entreprises qui détiennent des titres de leurs homologues : les firmes actionnaires ne peuvent pas véritablement diversifier leur portefeuille puisque les institutions financières et les ménages qui détiennent leurs titres s’opposent à ce qu’elles aient des activités purement financières. Les entreprises actionnaires ont donc intérêt à ce que les firmes dont elles détiennent des parts minimisent leur risque de faillite et de cessation de paiement en réalisant des investissements boursiers. En bref, les meilleurs alliés d’un dirigeant qui souhaite diversifier les activités de son groupe sont les chefs des entreprises qui en sont actionnaires.

• La logique actionnariale La montée en puissance de la « logique actionnariale », symbolisée par le succès grandissant des modes de gestion inspirés du modèle EVA-MVA (economic value added, market value added), et encouragée par la rémunération grandissante des dirigeants des sociétés sous forme de stock options, a accentué ce phénomène puisqu’elle a incité les chefs d’entreprise à gonfler artificiellement la rentabilité de leurs fonds propres, le return on equity (ROE), en utilisant le levier financier. Alors que théoriquement, la richesse revenant aux actionnaires est mesurée par le résultat net, la théorie de la valeur ajoutée économique (parfois dénommée théorie de la création de valeur), échafaudée par le cabinet Stern et Stewart en 1990, considère que la richesse réellement créée pour les actionnaires correspond à l’écart entre le résultat net et la rentabilité exigée par les marchés47. Cette dernière peut être théoriquement estimée par le modèle d’évaluation des actifs financiers (MEDAF). Aglietta et Rebérioux (2004) dénoncent « le détournement manifeste » du concept de rentabilité exigée k car théoriquement, à l’équilibre, lorsque les marchés sont efficients, la rentabilité attendue est égale à la rentabilité exigée, qui est une rentabilité effective. Elle doit être considérée comme une valeur d’équilibre et non comme une valeur plancher. L’EVA pousse chaque entreprise à battre le marché, ce qui d’un point de vue macro-économique est impossible. La création de valeur suppose donc que la rentabilité économique soit supérieure au coût moyen pondéré du capital (cmpk). La Market Value Added (MVA) est définie comme la somme actualisée (au cmpk) des EVA anticipées. Le moyen le plus évident de créer de la 47 .EVA R k FP= − avec R le résultat net et k, la rentabilité exigée des fonds propres FP ou encore

( ).EVA ROE k FP= − .

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valeur actionnariale est d’accroître la rentabilité financière ou économique des capitaux engagés en augmentant le ratio dette sur fonds propres conformément à la théorie du levier financier48. L’autre moyen est de réduire le bêta de l’action en minimisant l’élasticité du résultat d’exploitation au chiffre d’affaire, de sorte que les mouvements conjoncturels pèsent le moins possible sur les profits. « La manière la plus simple de diminuer la volatilité de son résultat est d’accroître le degré de variabilité des coûts » (Aglietta et Rebérioux, 2004) et notamment les charges de personnel. Entre 1990 et 2000, la part des options dans la rémunération médiane des PDG des sociétés aux Etats-Unis est passée de 1 % à 66 %. On comprend que ceux-ci n’aient pas hésité à augmenter l’endettement de leurs sociétés pour racheter leurs propres actions ou financer des prises de participation croisées en émettant des emprunts obligataires (Aglietta et Rebérioux, 2004). « C’est ainsi, selon Shiller, que l’utilisation des options d’achat d’actions pour rémunérer les dirigeants les incitent à augmenter le prix de leurs actions, en entreprenant délibérément des investissements risqués sur les activités les plus sensibles à l’engouement des marchés boursiers. En rachetant leurs actions, ils renforcent les hausses excessives des cours d’une manière qui dilapide l’autofinancement libre des entreprises. Bien loin d’aligner leurs intérêts sur ceux des actionnaires, les dirigeants insérés dans la gouvernance contrôlée par le marché boursier deviennent les prédateurs les plus voraces de leurs propres entreprises » (Aglietta et Rebérioux, 2004, p. 133). La théorie de la « création de valeur » a donné une justification théorique aux opérations boursières engagées par les entreprises. Elle a permis aux dirigeants de gonfler artificiellement le rendement des actions et leur propre rémunération. En fait, la multiplication des participations croisées, minoritaires ou majoritaires, directes ou indirectes, remplit les fonctions d’un système de mutualisation dont l’objectif n’est pas de minimiser le risque des actionnaires individuels ou financiers mais de maximiser la rentabilité de leurs titres et le profit du groupe, tout en minimisant son risque de faillite et de cessation de paiement dans l’intérêt de ses dirigeants. Sachant que la recherche d’une meilleure rentabilité productive explique moins de la moitié des acquisitions d’actions, elles ne peuvent être assimilées à une forme d’investissement productif. Etant donné que les titres acquis sont susceptibles d’être revendus à court terme, il est impossible de considérer que le rendement d’une action et le risque inhérent à sa détention soient équivalents au rendement et au risque attachés à une immobilisation non financière. Cela reviendrait à nier le risque d’une plus ou moins-value potentielle. Selon Orléan (1999, p. 28), dès lors que les titres sont négociables, on ne peut plus les assimiler au capital physique qu’ils représentent. La vision fondamentaliste ignore la liquidité des titres, or cette caractéristique « fonde la finance comme activité autonome », puisqu’elle rend possible une divergence entre le prix de marché d’un titre et sa valeur fondamentale.

48 Le résultat net R est égal au résultat de l’exploitation moins les charges de la dette : ( )kR R FP D rD= + − ,

le ROE, égal au résultat net divisé par les fonds propres, s’écrit : ( )k kDROE R R rFP

= + − Lorsque kR r<

les entreprises doivent réduire le ratio dettes sur fonds propres et inversement.

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En outre, comme le Price to Book Ratio (PBR) d’une entreprise ou d’un secteur est rarement égal à 1, il est impossible de considérer que la rentabilité attendue d’une action, même détenue à long terme, soit équivalente à la rentabilité attendue des immobilisations non financières de l’entreprise émettrice (le ratio profit anticipé sur capitalisation boursière ne peut être égal au ratio profit anticipé sur la valeur de l’actif à son coût de renouvellement). Les entreprises doivent donc anticiper différemment la rentabilité attendue des actions et la rentabilité attendue du capital physique et prendre en considération leur risque spécifique. Si l’on considère que les entreprises non financières éprouvent une aversion pour le risque et que la rentabilité-risque des actifs financiers (valeurs mobilières de placement et prises de participation) ne peut être assimilée à celle des immobilisations physiques, on peut envisager que les entreprises déterminent leur part respective en fonction d’un arbitrage rentabilité-risque.

3.1.1.2. Existe-t’il un effet d’éviction entre investissements physiques et investissements financiers ?

Les investissements financiers des entreprises et notamment les acquisitions de valeurs mobilières de placement se sont développés à une rapidité surprenante à partir du début des années 1980. Au cours de cette décennie, la progression des placements financiers des sociétés françaises fut de 22 % en moyenne par an. Comparativement à la valeur ajoutée, ils ont été multipliés par quatre. Ces actifs représentaient alors 2,9 % des encaisses des entreprises françaises en 1979 et 25,7 % en 1985. Parmi le tiers d’entreprises qui détenaient des titres de placement, cette proportion atteignait 47,6 % et la valeur de leurs placements représentait 4 % de leur chiffre d’affaire49. Cet essor a été encouragé par la baisse des coûts de transaction induite par les innovations financières et des circonstances conjoncturelles particulières que résume assez bien Philippe Ricarte (1992) : « Ce nouveau comportement financier des sociétés s’est aussi développé dans un contexte de redressement des résultats et de maintien à un niveau élevé des taux d’intérêt réels. (…) La conjonction de ces deux évènements a contribué à promouvoir une stratégie financière (…) Les entreprises ont pu ainsi, à travers la détention d’actifs financiers, diversifier leurs revenus et réduire le risque global. Par ailleurs, l’inversion de la courbe des taux a tendu à favoriser la demande de produits courts qui bénéficiaient en fait d’un avantage de rendement. » De nombreuses études ont été réalisées en France au début des années 1990 pour mieux cerner ce phénomène. Leurs auteurs se sont systématiquement demandé, comme Bardos (1993), s’il existait un « effet d’éviction entre placements financiers des sociétés et investissements productifs ». A l’aune de ces travaux, l’hypothèse d’un effet d’éviction systématique doit être rejeté, mais un comportement d’arbitrage ne peut être exclu, bien au contraire car les investissements financiers des entreprises sont désormais exclusivement financés par emprunt et non plus grâce à un excédent de trésorerie. 49 Le montant d’OPCVM acheté par les entreprises est passé de 20 à 60 milliards de francs entre 1983 et 1986, le montant des prises de participation a lui aussi plus que doublé, passant de 25 milliards à 65,5 milliards de francs (Pene, 1988, p. 118) (dont 50 milliards de fusions-acquisitions). Le ratio prises de participation sur investissement est passé de 8 % à 17 % sur la même période.

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Fried et Gaudry (1987), Bretel et al. (1992) ainsi que Bricout et Colin-Sédillot (1993) montrent qu’il n’existe pas de relation négative entre l’investissement physique et financier. Les entreprises qui ont le plus acquis de valeurs mobilières de placement et celles qui ont privilégié leur croissance externe étaient celles qui avaient le moins d’opportunités rentables d’investissement corporel. Il n’existe donc pas d’effet d’éviction à proprement dit, dans le sens où les entreprises n’ont pas renoncé à des opérations productives potentiellement rentables au profit d’opérations spéculatives plus risquées. Ces investissements ne sont pas substituables mais complémentaires. Cela dit, ces auteurs constatent l’existence d’une relation négative entre l’investissement financier et la rentabilité du capital physique. Or cela n’est pas incompatible avec un comportement d’arbitrage à la Tobin, bien au contraire, comme le montrent les travaux réalisés par Epaulard et Szpiro. Epaulard et Szpiro (1991) ont réalisé une étude empirique sur un panel de 2500 entreprises en France entre 1979 et 1986. Ils montrent qu’au moins la moitié d’entre elles ont une aversion pour le risque théoriquement convenable et qu’elles ont un comportement de gestion de leur bilan pouvant être approché par un modèle de choix de portefeuille, c'est-à-dire d’arbitrage entre investissements physiques, placements financiers, désendettement et émissions d’actions en fonction des anticipations de rendement de chacun de ces composants et des risques approchés par la variabilité des rendements et de la richesse. Leur étude atteste l’existence d’une relation décroissante entre le taux d’intérêt et le stock de capital d’une part, et entre la rentabilité des actions et le stock de capital d’autre part. Le coefficient de corrélation entre ces deux variables est négatif en moyenne et en médiane mais dans ce dernier cas, il est proche de zéro. « Environ la moitié des entreprises substitueraient des titres au stock de capital, alors que placements financiers et investissements seraient complémentaires pour l’autre moitié ». Les auteurs trouvent le même résultat en considérant seulement les entreprises qui ont une aversion pour le risque significative au seuil de 5 %. Cependant, celles qui ne substituent pas les deux types d’investissement détiennent 80 % du stock de capital de l’échantillon considéré. Cette étude a le mérite de montrer que les entreprises ont un comportement de choix de portefeuille et que cela n’est pas incompatible avec l’apparente complémentarité qui existe entre les investissements physiques et les investissements financiers. Ces travaux couvrent le début des années 1980. Ils ont été réalisés au moment même où la sphère financière prenait son essor et où les entreprises commençaient à investir en bourse. Or il s’agissait d’une période éminemment transitoire, marquée par le passage d’une économie d’endettement à une économie de marché. Le comportement que les entreprises avaient alors, ne reflète donc pas celui qu’elles ont adopté dans les années suivantes, puisque les investissements financiers réalisés dans les années 1990 sont sans commune mesure avec ceux de la décennie précédente. Leurs auteurs n’avaient pas encore envisagé la possibilité que les entreprises puissent s’endetter pour acquérir des placements financiers50. Et pour cause, toutes les recherches menées sur la question, exception faite de celles de la Direction de la Prévision, semblaient conclure que les investissements physiques étaient financés par emprunt tandis que les investissements financiers étaient financés grâce aux fonds propres (Probin et Vignolles,

50 Sauf Epaulard et Szpiro qui supposent que les entreprises n’ont aucune contrainte de financement.

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1992 ; Bardos et Paranque, 1992 ; Bricout et Colin-Sédillot, 1992). Par conséquent, la plupart des économistes supposaient, comme Fried et Gaudry, que les entreprises procédaient en deux temps : elles déterminaient d’abord le montant de l’investissement physique nécessaire pour maximiser leurs profits pour ensuite effectuer des placements financiers en utilisant le reste de leurs ressources propres disponibles. Les évolutions ultérieures du ratio « FBCF/dette » et des ratios immobilisations financières ou « VMP/dette » ont infirmé cette approche. Aglietta notait déjà en 1993 : « La part des crédits productifs s’est réduite et la part des crédits spéculatifs et substitutifs s’est enflée démesurément. Aux Etats-Unis notamment, la comparaison entre les années 60 et les années 80 est édifiante. Selon les comptes nationaux, la croissance de la FBCF à prix constants a été en moyenne de 6,2 % par an dans la période 1960-69 contre 2,2 % dans la période 1982-90. Mais selon les flows of funds, le rapport des emprunts nouveaux à la FBCF a été de 30 % dans la première période et 37 % dans la seconde. Pourtant le taux d’autofinancement était de 94 % contre 101 %. Cela signifie que globalement, pas un dollar d’emprunt n’a été nécessaire dans les années 80 pour financer le capital productif. La totalité de l’endettement est allée à la croissance externe et aux rachats d’actions ». Aglietta et Rebérioux (2004) notent que les « émissions d’actions ont été largement surcompensées par les rachats d’actions. Pour l’ensemble des sociétés privées, les émissions nettes d’actions ont été négatives toutes les années de 1994 à 2000. Les moyens externes de financement ont été exclusivement la dette, et cela pour des montants extravagants. De 1995 à 1999, 5792 milliards de dettes obligataires ont été émis par les entreprises états-uniennes pour racheter les actions et financer l’investissement technologique. A cela se sont ajoutés les prêts syndiqués des banques pour financer les fusions-acquisitions : 530 milliards de dollars levés à cette fin en 1999, soit 30 % de la valeur totale des prêts syndiqués cette année là. » (2004, p. 130) Il est impossible aujourd’hui de prétendre que les investissements financiers sont résiduels et uniquement financés grâce à un reliquat de ressources propres car ils sont en grande partie financés par emprunt. Il n’est donc plus possible de prétendre que les entreprises agissent en deux étapes, puisque chaque décision d’investissement modifie les ratios de solvabilité de la firme et son coût de financement, ce qui rétroagit sur la rentabilité des autres. Les investissements financiers font donc nécessairement l’objet d’un arbitrage. Les modalités du choix d’investissement des entreprises dépendent de l’écart relatif entre la rentabilité exigée des actionnaires et la rentabilité de l’investissement corporel. Si la première est incompatible avec la seconde, les entreprises privilégient leur croissance externe. Or la rentabilité exigée par les actionnaires fut exceptionnellement élevée au cours des années 1990. Plihon et al. (2002) affirment que la plupart des agents étaient persuadés que le ROE moyen devait approximativement osciller autour de 15 %. Cette conviction a fait l’objet d’une véritable convention dans les années 1990, sous l’effet d’une conjonction de facteurs : d’abord, le ROE s’est effectivement établi à ce niveau au début de la décennie, grâce notamment à la baisse des taux d’intérêt réels qui se produisit à cette période et à la reprise américaine. Les agents ont ensuite cru que cette performance se prolongerait durablement sous l’effet d’un certain nombre de changements structurels comme les gains de productivité supposés des « nouvelles technologies », la confiance placée dans la « nouvelle économie » caractérisée par la désintermédiation bancaire, la fin des pressions inflationnistes, la

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libéralisation et l’essor des marchés financiers, une flexibilité croissante du marché du travail, la libéralisation des échanges et des mouvements de capitaux et enfin l’influence grandissante du mode de gestion centré sur la création de valeur actionnariale qui « constitue la référence centrale justifiant le bien fondé d’un ROE à 15 % ». Les auteurs ont montré que cette exigence était insoutenable à terme. La baisse de la rentabilité qui se produisit au milieu des années 1990 a poussé les entreprises à privilégier leur croissance externe. Les entreprises ont donc acheté plus de titres qu’elles n’en ont émis, renforçant ainsi la hausse des cours (et par là même, la rentabilité attendue des investisseurs). Une « folle spirale » s’est ainsi déclenchée. Elle fut alimentée par l’abondance du crédit offert par les banques, elle-même justifiée par la hausse des cours. Cette approche est conforme au point de vue développé par Minsky (1975). Les investissements financiers des entreprises ne relèvent plus d’une gestion résiduelle d’éventuels excédents de trésorerie, puisqu’ils ont atteint des montants vertigineux (plus de 6300 milliards de dollars entre 1995 et 1999) et qu’ils ont été exclusivement financés par emprunt comme l’ont souligné Aglietta et Rebérioux (2004). Les achats d’actions font donc nécessairement l’objet d’un arbitrage rentabilité-risque avec les investissements physiques puisque chaque acquisition d’actif à crédit modifie les ratios de solvabilité de la firme et son coût de financement, ce qui rétroagit sur la rentabilité des autres et sur les conditions de maximisation des profits. Epaulard et Szpiro (1991) ont montré que les entreprises avaient déjà un comportement d’arbitrage entre investissements physiques et investissements financiers dans les années 1980. Or, le risque inhérent à la détention d’une action ne peut être assimilé au risque d’une immobilisation corporelle. On ne peut pas confondre la logique spéculative qui préside à l’essentiel des achats de titres boursiers, avec une logique productive. En effet, une large majorité des actions détenues par les entreprises sont achetées soit dans un but purement spéculatif à court terme, soit dans le cadre d’une opération de fusion conglomérale, sans le moindre rapport avec la réalisation d’économies d’échelle. En fait, les participations croisées et les acquisitions de valeurs mobilières de placement sont destinées à limiter le risque de faillite des entreprises dans l’intérêt mutuel de leurs dirigeants et à maximiser la rentabilité des titres au profit de leurs détenteurs. Ces deux aspects ne sont pas contradictoires, bien au contraire, puisqu’en diversifiant leurs actifs de manière optimale selon le coût de leur refinancement, les chefs d’entreprises maximisent le résultat net mais également le rendement des titres détenus par les actionnaires. C’est pourquoi une augmentation de la rentabilité attendue des fonds propres incite les firmes à investir en bourse.

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3.1.2. L’arbitrage des entreprises entre actifs physiques et actifs financiers

Si l’on admet, à l’instar d’Epaulard et Szpiro (1991), qu’il n’existe pas d’effet d’éviction entre investissements physiques et financiers, qu’ils sont complémentaires et que les uns comme les autres sont financés à crédit, on peut raisonnablement supposer que les entreprises rationnelles déterminent le niveau de l’investissement physique susceptible de maximiser leurs profits d’une part, et qu’elles ajustent simultanément en conséquence le montant de leurs actifs financiers d’autre part, afin d’obtenir une répartition optimale de leur bilan qui leur permette de réduire le risque, compte tenu, bien entendu, de l’évolution de la dette et du coût du capital que leur arbitrage implique. Leur portefeuille d’actifs risqués serait alors composé à la fois d’actifs physiques et d’actions. Sachant que l’on suppose que les entreprises ont un besoin structurel de financement, l’émission nette d’obligations est positive. Ces titres ne figurent donc pas dans le portefeuille agrégé des actifs risqués des entreprises. Après avoir déterminé conformément au modèle du MEDAF (modèle d’évaluation des actifs financiers ou CAPM, capital asset pricing model) la combinaison optimale des investissements des entreprises (3.1.2.1), il est possible d’en déduire leur demande d’actions, leur besoin de financement et par conséquent leurs émissions de titres (3.1.2.3).

3.1.2.1. Diversification des actifs et réduction du risque La diversification de la composition d’un portefeuille d’actifs permet d’en réduire le risque puisque les rentabilités des différents actifs ne sont pas parfaitement corrélées entre elles. Le modèle de la « droite de marché » (ou MEDAF), permet de déterminer quelle est la part optimale de chaque actif risqué dans le portefeuille qui permet de maximiser le rapport rentabilité–risque. L’espérance de la rentabilité de la combinaison d’actifs est égale à la moyenne pondérée des espérances de rentabilité de chaque actif :

,( ) ( ) ( )1

K A A A K K

A K

E R X E R X E RX X

= +

+ =

% %

AX est la part des actions dans la combinaison d’actifs risqués des entreprises. KX est la part

du capital physique dans cette combinaison. Sachant que la variance de cette combinaison d’actifs se définit comme suit :

( )2 2 2 2 2. 2 covK K A A K A K AX X X X R Rσ σσ = + +

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Sachant que la covariance ( )cov K AR R mesure la dépendance des fluctuations des rendements des deux placements :

( ) ( )( )1 1

covn m

K A ij Ki K Aj Ai j

R R p R R R R= =

= − −∑∑ = ( ) ( )( ), .K A K AR Rε σ σ

ε est le coefficient de corrélation de la rentabilité des placements, il est inférieur à 1. Cela signifie que la variance de la combinaison d’actifs est inférieure à la somme pondérée des écarts-types de rentabilité au carré :

Ainsi une combinaison d’actifs a un niveau de risque inférieur à la moyenne pondérée des risques des actifs qui la composent. On appelle « combinaisons efficientes » les combinaisons d’actifs physiques et d’actifs boursiers qui présentent le couple rentabilité-risque le plus efficace pour l’investisseur : ces combinaisons se situent sur la « frontière d’efficience », représentée en gras sur le graphique (Markowitz, 1952). Diversification des actifs et réduction du risque

Graphique III.2.

Risque σ0%

Espérance de rentabilité E(R)

AR

KR

ZR

Sous le point

ZR les combinaisons ne sont pas efficaces.( )2

.K K A AX Xσ σ+

Réduction du risque

( )22 .K K A AX Xσ σσ ≤ +

A

K

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• Détermination de la combinaison optimale des actifs A partir de l’équation comptable de la rentabilité de la richesse nette des entreprises, on peut déterminer la combinaison optimale de leurs actifs en fonction de leur variance respective et de la charge d’intérêt qu’implique leur choix, puisque celle-ci affecte leur rentabilité globale. La rentabilité de la richesse nette W des entreprises est égale à la rentabilité de chaque actif multipliée par sa part respective dans le portefeuille global d’actifs nets, composé à la fois d’actifs physiques et d’actions. Sachant que les émissions nettes d’obligations sont positives, ces titres ne figurent pas dans le portefeuille agrégé des actifs risqués des entreprises.

. .( )e e

K Aw e

pK R A R pK A DE R ipK A W W

⎛ ⎞+ += −⎜ ⎟+⎝ ⎠

% %

L’expression entre parenthèses correspond à la rentabilité moyenne pondérée du capital physique pK et des actions détenues par les entreprises eA . i est le taux d’intérêt moyen pondéré de la dette bancaire bD et obligataire O. Avec /X D W= − la part des emprunts sur la richesse nette et sachant que

(1 )epK A X W+ = − , l’équation ci-dessus s’écrit :

( )( )

,

,

,( , )

( ) 1 ( )

( ) 1 ( )

( ) ( )

w K A

w K A

ww K A

K A

E R Xi X E R

E R i X E R i

E R i E R iσσ

= + −

⎡ ⎤= + − −⎣ ⎦

⎡ ⎤= + −⎣ ⎦

où wσ est le risque du portefeuille global composé d’actions, d’actifs physiques et d’obligations. ( ) ,1w K AXσ σ= −

C’est l’équation de « la droite de marché ». Elle doit être tangente à la frontière efficiente du portefeuille de marché, comme l’indique le graphique III.3 ci-dessous. Le point d’intersection entre cette droite et la frontière efficiente permet de déterminer quelle est la combinaison optimale d’actifs physiques et d’actions qui maximise le rapport rentabilité-risque compte tenu du coût de l’emprunt obligataire et bancaire. A l’optimum, il faut que la dérivée de la frontière efficiente soit égale à celle de la droite de marché.

( ) ( ), ,

, ,

K A K A

K A K A

E R E R iσ σ

∂ −=

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Après développement (voir annexe n°9.1), on obtient l’expression de la part des actifs physiques dans le portefeuille d’actifs risqués des entreprises :

( )

( )

2 2

2 2 2

cov( )

2cov( ) cov( )

AA K A A

K AK

AK A K A A K A

K A

R i R RR RX

R i R R R RR R

σ σ

σ σ σ

−− +

−=

−+ − + −

Réciproquement, la part des actions dans le portefeuille d’actifs des entreprises est égale à :

1A KX X= − Arbitrage des entreprises entre actifs

Graphique III.3

En investissant dans les actions et les immobilisations physiques dans les proportions indiquées par la combinaison optimale, les entreprises pourront obtenir n’importe quel rapport rentabilité–risque sur la droite de marché. Or ceux-ci sont toujours meilleurs que ceux de la frontière d’efficience. Les entreprises peuvent atteindre la portion située entre cσ (le risque de la combinaison efficiente) et +∞ en émettant des obligations ou en contractant un emprunt bancaire ; et la portion de droite comprise entre 0 et cσ en achetant des obligations ou en accordant un prêt.

Risque 0%

Espérance de rentabilité E(R)

R(*)

i

,K AR

cσ *σ

K

A

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3.1.2.2. L’offre d’obligations et d’actions Dans un modèle d’arbitrage standard, les agents procèdent en deux temps selon la théorie de la séparation de James Tobin (1958) : ils déterminent d’abord la part de chaque actif dans la combinaison efficiente, puis ils choisissent leur niveau d’endettement en fonction de leur aversion pour le risque (exogène et représentée par la courbe d’indifférence croissante et convexe sur le graphique III.3 ci-dessus). Selon ce raisonnement, la part de la dette des entreprises sur la richesse nette51 serait alors déterminée par le point de tangence entre une courbe d’indifférence52 et la droite de marché. Il semblerait que cette démarche débouche sur une trop grande volatilité du stock de capital pour être empiriquement concevable. On suppose ici que les entreprises procèdent différemment : d’une part, elles déterminent le stock de capital productif qui leur permet de maximiser leurs profits, compte tenu de la demande anticipée et du coût des facteurs. D’autre part, elles modifient simultanément le montant de leur portefeuille d’actions de façon à minimiser leur risque. En parallèle, elles émettent des obligations en fonction de leur besoin de financement. C’est l’endettement désiré qui dépend ici de la demande d’actifs et non l’inverse. Selon cette approche, l’investissement financier dépend positivement de l’investissement physique, mais dans des proportions variables. Elle est donc conforme aux travaux d’Epaulard et Szpiro (1991) qui établissent l’existence d’une complémentarité entre les deux et l’absence d’effet d’éviction. Pour un stock de capital productif désiré pK les entreprises souhaiteraient détenir un portefeuille d’actions égal à : ( )1e

AA X X W= − Sachant que ( )/ 1 KpK X X W− = ,

alors : ( )/eA KA X X pK=

Le montant de leur émission brute d’obligations serait alors égal à leur besoin de financement moins le crédit bancaire C , les dividendes perçus par les entreprises au titre des actions qu’elles détiennent ediv , les émissions brutes d’actions sAΔ , et les profits non distribués πΠ :

1 1 11

as e e e s

t d t o tat

pO K A A D O C div Ap

τ τ π− − −−

Δ = Δ + − + + − − − Δ − Π

51 ( )( ) ( ) ( )( ) ( )1 11 1 1 1 11 1 1/ / /e

t tA A O O

t t o t t d btW K AP P P P FP P P O Dτ τ τ− −− − − − −= − + Δ − − −+ − . La richesse nette des entreprises est égale à l’actif hérité de la période antérieure, évalué à son coût de renouvellement, plus les ressources propres (profits non distribués, dividendes perçus par les entreprises et émission d’actions), moins la dette obligataire et la dette bancaire restant à rembourser. 52 Avec une fonction d’utilité du type : ( ) 2( ( )) ( ) ( ) 1 ( ) ( )²w w wE u R u R f R dR b E R bE R bσ

+∞

−∞

= = + + +∫

et sachant qu’à l’équilibre, le TMS doit être égal à la pente de la droite de marché, la part de l’épargne dans le

portefeuille d’actifs des entreprises serait égale à : ( )

( )

2, , ,

2, ,

1( ) ( )

2( ) ²

K A K A K A

K A K A

bE R i E R

bXE R i

σ

σ

+− + +

=− +

⎛ ⎞⎜ ⎟⎝ ⎠

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L’émission d’obligations est donnée par cette identité comptable car toutes les variables de cette équation sont déterminées par ailleurs. Cette spécification mérite une attention particulière : Le besoin de financement des firmes est égal à la somme des investissements physiques KΔ et financiers ( ) 1ˆ1e A e

tA p A −− + et aux annuités dues au titre de la dette bancaire et obligataire

héritée de la période précédente 1d btDτ − et 1o tOτ − . ( dτ et oτ sont respectivement les taux de remboursement du principal de la dette bancaire et obligataire). L’investissement physique est égal à la variation du stock de capital en volume multiplié par son prix. Ainsi : ( ) 11 k tK pK pKτ −Δ = − −

kτ est le taux de dépréciation du capital. Le stock de capital K est déterminé en fonction de la maximisation du profit, sous la contrainte d’une fonction de production CES et du coût des facteurs (voir infra). Dans un modèle où figurent un mécanisme d’accélérateur financier et une règle de Taylor, la monnaie est endogène (Bernanke et Gertler, 1999). On suppose que les banques rationnent le crédit afin de réduire l’aléa moral et la sélection adverse (Stiglitz et Weiss, 1981 ; Greenwald, Stiglitz et Weiss, 1984). Son volume est donc déterminé par les banques (voir infra). Il ne fait donc pas l’objet d’un arbitrage à proprement dit. Les entreprises ne déterminent elles-mêmes que le montant de leur dette obligataire, et pour cause : si l’offre notionnelle de crédit n’était pas inférieure à la demande, l’offre d’obligations serait nulle, car leur coût est plus onéreux que celui de l’emprunt bancaire (Myers, 1984). Sachant que l’émission d’obligations est donnée par une identité comptable, elle ne résulte pas non plus directement d’un arbitrage, cependant, étant donné qu’en équilibre général, l’évolution de l’offre obligataire a un impact sur le coût du capital et que celui-ci affecte le programme de maximisation du profit et donc le besoin de financement, la part de la dette obligataire sur l’endettement total, comme la part des emprunts dans le financement des firmes, est indirectement déterminée de manière à maximiser le profit. L’offre d’obligations est égale à la valeur de marché du stock de titres émis antérieurement toujours en circulation, auquel s’ajoute les nouvelles émissions : ( )( )1 1/ 1s s O O

t o tO O P P Oτ− −= Δ + − En présence d’une asymétrie d’information, lorsqu’on introduit un mécanisme d’accélérateur financier dans un modèle, la structure de bilan des firmes n’est pas neutre. C'est-à-dire qu’elle a une incidence sur le coût du capital et sur la contrainte du programme de maximisation du profit des entreprises. De ce point de vue, il serait extrêmement réducteur, voire abusif, de supposer que la part des profits non distribués et la part des émissions brutes d’actions dans le financement sont fixes car cela rigidifierait la structure du bilan des firmes, ce qui reviendrait à resserrer leur contrainte de financement. Afin de favoriser la flexibilité du passif des entreprises, on suppose, à l’instar d’Aglietta, Coudert et Mojon (1995), que les émissions brutes d’actions sAΔ représentent une part α de l’augmentation du capital productif, qui augmente avec le Q de Tobin. Ceci est justifié sur le plan théorique puisque, si la valeur de marché des entreprises augmente relativement au coût

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de renouvellement de leurs actifs, elles sont incitées à émettre davantage d’actions (Kahn, 1972, voir annexe n°4). Ce mécanisme permet de lisser plus facilement le prix des actions et de limiter les effets pro-cycliques de l’évolution de la prime de risque. Il influence donc le coût du capital comme la répartition du volume de la dette entre emprunt bancaire et obligataire, qui résulte de la maximisation du profit. Ainsi :

( )1s

tA p K Kα −Δ = − avec

e

ApK A

α ξ=+

où ξ est une constante

D’un point de vue comptable, l’offre d’actions est égale à la valeur de marché du stock de titres en circulation antérieurement, auquel s’ajoute les nouvelles émissions.

11

As s

tAt

pA A Ap −

= Δ +

Enfin, on suppose que les entreprises peuvent se désendetter davantage en réduisant la part des profits distribués lorsque les rendements de leurs actifs physiques diminuent par rapport aux charges d’intérêt. Là encore, c’est une manière de relâcher de façon contra-cyclique la contrainte de financement qui pèse sur la maximisation des profits. Par définition, le résultat net d’une entreprise est égal à la différence entre les rendements de ses actifs et ses charges financières (dans un souci de simplification, les actifs financiers détenus par les entreprises sont négligés) : ( ) . ( )KR E R p K i D O= − +%

(La rentabilité anticipée des immobilisations corporelles s’écrit ( ) /KE R pK= Π% . On estime que la distribution des probabilités de rentabilité suit une loi normale, de moyenne ( )KE R% avec un écart-type Kσ ). Si le résultat d’exploitation diminue, autrement dit si le ratio

( ) . / ( )KE R p K i D O+% baisse, les entreprises ont intérêt à se désendetter. Elles doivent alors

augmenter la part des profits non distribués π . En dénommant kp le rapport des intérêts

versés sur l’actif physique : ( )k

i D Op

pK+

= , on peut écrire :

( ) ( )/ ( ) /K K kE R pK i D O E R p+ =% % . On suppose donc que :

( )

k

K

pdE R

π =%

avec d>0

L’hypothèse selon laquelle l’évolution du taux de distribution des profits est contra-cyclique semble plus vraisemblable que le postulat d’un taux de distribution exogène et rigide. Quoi qu’il en soit, cette spécification n’a pas d’incidence majeure sur les résultats obtenus lors des simulations du modèle.

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Si l’on avait supposé de manière orthodoxe que la rentabilité attendue des actions fut égale à une rentabilité exigée exogène, il aurait été possible de déterminer directement la part des profits distribués et la part des émissions brutes d’actions dans le financement des firmes, au cours du processus de maximisation du profit et d’arbitrage sous contrainte. Celles–ci auraient été flexibles. Mais dans ce cas, le prix des actions aurait été le reflet de leur valeur fondamentale et les émissions nettes d’actions n’auraient eu aucune incidence sur le niveau de la capitalisation boursière à l’équilibre, ni sur la prime de risque. Elles n’auraient donc eu aucun effet sur la structure de bilan des firmes, ni sur leur coût de refinancement. En outre, l’hypothèse d’une asymétrie d’information n’est guère compatible avec l’hypothèse de l’efficience parfaite des marchés financiers. Or s’il avait fallu renoncer à prendre en compte le « coût de faillite » ou le risque de défaut des emprunteurs, la modification de la structure de bilan des firmes n’aurait eu aucun impact sur le coût du capital53 (conformément à la théorie de la neutralité de la structure financière de Modigliani et Miller). Dans ces circonstances, on ne verrait guère pourquoi les entreprises procéderaient à un arbitrage sur la composition de leur bilan. Si néanmoins on avait retenu à la fois l’hypothèse de l’asymétrie d’information et l’hypothèse de l’efficience des marchés financiers, une modification du taux de distribution des profits aurait pu avoir un impact sur la capitalisation boursière et sur le coût du capital. Cependant cette approche n’aurait pas permis d’étudier l’apparition et les effets d’éventuels déséquilibres sur les marchés financiers. Cela aurait singulièrement limité la portée de l’accélérateur financier que l’on souhaite étudier, à moins d’introduire une bulle exogène dans le modèle, à l’instar de Bernanke et Gertler (1999). Mais alors, il aurait été impossible d’analyser les propriétés préventives de la politique monétaire puisque celle-ci n’aurait plus eu la moindre influence sur l’émergence et l’ampleur de la surévaluation. Cette alternative aurait donc été bien plus restrictive que la spécification retenue. La part respective des actions et des immobilisations corporelles à l’actif du bilan des entreprises a été définie conformément au modèle du MEDAF. La combinaison ainsi obtenue est optimale puisqu’elle maximise le rapport rentabilité-risque. Cependant le montant des actions et des actifs physiques n’a pas été déterminé selon les modalités de la théorie de la séparation de Tobin (1958), car celle-ci n’est appropriée que pour les portefeuilles d’actifs exclusivement financiers. En effet, elle prévoit que leur stock soit déterminé en fonction de l’aversion pour le risque des agents et de leur propension à s’endetter ou à épargner, représentée par une courbe d’indifférence. Or, si l’on devait étendre cette technique au capital physique, son volume ne serait plus directement déterminé par un programme de maximisation des profits sous contrainte, en fonction de la demande anticipée. Il dépendrait uniquement de l’endettement désiré, défini en fonction de données exogènes purement subjectives. Seul le facteur travail serait directement sensible aux variations de la production désirée. C’est la demande de capital qui déterminerait l’offre et non l’inverse. Une telle spécification serait donc pour le moins discutable, puisqu’elle est incompatible avec les équations usuelles de demande conditionnelle des facteurs.

53 En l’absence de mécanisme d’accélérateur financier, une baisse des dividendes entraîne une réduction des émissions d’obligations, ce qui favorise une hausse de leur prix et une baisse des taux obligataires. Cela n’a donc pas d’influence sur le coût moyen pondéré de la dette. Si par contre, on suppose que le coût du crédit bancaire est sensible à la variation de la capitalisation boursière, une baisse des dividendes et des cours entraîne une hausse de la prime de risque et du taux d’intérêt bancaire, qui se répercute sur le taux obligataire puisque les ménages privilégient alors leur épargne au détriment de leur demande d’obligations (même si la part de ces dernières augmente dans la combinaison d’actifs risqués des entreprises). Cela modifie le coût moyen pondéré de la dette.

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En outre, une stricte séparation des modalités de l’arbitrage en deux étapes implique que le coût de l’actif sans risque, qui est aussi le coût de refinancement par emprunt, soit exogène ou retardé. Or dans ce modèle, il est endogène puisque la structure du bilan des firmes et leur choix de portefeuille ont une incidence immédiate sur le coût du capital. Une telle spécification serait donc inappropriée puisqu’elle ignore l’interaction instantanée qui existe entre le coût moyen pondéré de la dette et la combinaison optimale. Dans le modèle en équilibre général, on suppose plus simplement que les sociétés déterminent le volume de capital corporel nécessaire pour minimiser leurs coûts en fonction de la demande anticipée, tandis qu’elles ajustent simultanément en conséquence le montant des actions qu’elles détiennent à leur actif, en respectant les proportions indiquées par la combinaison optimale, elle même déterminée par l’évolution endogène et spontanée du coût du capital. Cette spécification est conforme aux recherches empiriques menées sur l’arbitrage entre investissements physiques et financiers (Epaulard et Szpiro, 1991), puisqu’elle implique leur complémentarité. Il ne peut y avoir à proprement dit un effet d’éviction entre les deux puisque leur évolution est ainsi positivement corrélée. Seule leur importance relative varie au cours du cycle. Après avoir ainsi défini l’offre et la demande de titres des entreprises, il suffit désormais de déterminer la demande d’actifs des ménages pour en déduire leur prix de marché.

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3.1.3. Arbitrage des ménages entre épargne sans risque, obligations et actions

On suppose que les ménages ne réalisent pas d’investissement physique. Ils placent leur capacité de financement soit dans des produits d’épargne rémunérés et totalement liquides, soit dans un portefeuille d’actifs risqués, composé à la fois d’actions et d’obligations. L’aversion pour le risque des ménages est plus importante que celle des entreprises. On suppose qu’ils sont structurellement créanciers. La part de la richesse des ménages consacrée aux obligations dépend de leur rentabilité- risque relative. Théoriquement, lorsque la valeur des obligations augmente, les spéculateurs anticipent une remontée ultérieure des taux et donc une baisse des prix. La rentabilité attendue des obligations est donc une fonction croissante des taux. Pour simplifier, on suppose que la rentabilité moyenne attendue des obligations est égale à leur taux 54: ( )m O OE R r= On suppose que le risque anticipé de l’obligation Oσ est stable dans le temps. Le risque de l’obligation est inférieur au risque d’une action O Aσ σ< . Généralement, la covariance entre le prix d’une obligation et le prix de l’action est légèrement négative (elle est supposée stable). En effet, lorsque les taux obligataires augmentent, le ratio profit sur cours diminue, ce qui abaisse la rentabilité anticipée de l’action.

3.1.3.1. La combinaison efficiente d’actifs risqués des ménages La rentabilité attendue de la combinaison d’actifs risqués des ménages est la suivante :

,( ) ( ) ( )mO A A A O OE R X E R X E R= +% %

avec 1m

A OX X+ =

mAX est la part des actions et OX la part des obligations dans la richesse des ménages.

Le risque de la combinaison d’actifs risqués des ménages est estimé de la manière suivante : 54 On aurait pu néanmoins supposer que la rentabilité attendue de l’obligation fut partiellement extrapolative :

( ) ˆ OO OE R r Pζ= + Le taux de croissance anticipé du prix des obligations serait alors fonction de son niveau

antérieur. Mais ζ devrait théoriquement tendre vers zéro.

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( )1

2 2 2 2 2. 2 covm mOA O O A A A O O AX X X X R Rσ σ σ⎡ ⎤= + +⎣ ⎦

La rentabilité attendue de leur portefeuille composé à la fois d’obligations, d’actions et de titres sans risque est égale à :

,( , )

( ) ( )mm b O A b

O A

E R r E R rσσ

⎡ ⎤= + −⎣ ⎦

mσ est le risque du portefeuille global des ménages ; ( ) ,1m B O AXσ σ= − ; BX est la part des

dépôts rémunérés dans leur richesse. On suppose pour simplifier que le taux de rémunération de l’épargne bancaire est égal au taux d’intérêt du crédit bancaire br . Arbitrage des ménages entre actifs

Graphique III.3.

La part des obligations dans le portefeuille d’actifs risqués des ménages s’écrit (voir annexe 9.2) :

( )

( )

2 2

2 2 2

cov( )

2cov( ) cov( )

A bA O A A

O AO

A bO A O A A O A

O A

R r R RR RX

R r R R R RR R

σ σ

σ σ σ

−− +

−=

−+ − + −

On en déduit la part des actions dans le portefeuille d’actifs risqués des ménages:

1mA OX X= −

Risque σ0%

Espérance de rentabilité E(R)

R(*)

br

*σ cσ Oσ

AR

cR

O

A

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3.1.3.2 La part de l’épargne dans le portefeuille d’actifs des ménages Les ménages déterminent la part de leur épargne dans leur portefeuille d’actifs risqués et non risqués en fonction de leur aversion pour le risque supposée exogène : En supposant que la courbe d’indifférence a une forme quadratique (cf. Tobin, 1958):

( ) 2( ( )) ( ) ( ) 1 ( ) ( )²m m mE u R u R f R dR E R E Rϕ ϕ ϕσ+∞

−∞

= = + + +∫

A l’équilibre, le TMS doit être égal à la pente de la droite de marché :

/ ( )/ ( )

m OA b

m OA

U E R rTMSU E R

σσ

Δ Δ −= − =

Δ Δ

La part de l’épargne dans le portefeuille d’actifs des ménages est égale à (voir annexe n°9.3) :

( )

( )

2

2

1( ) ( )2

( ) ²

OA b OA OA

BOA b OA

E R r E RX

E R r

ϕ σϕ

σ

⎛ ⎞+− + +⎜ ⎟

⎝ ⎠=− +

On peut ainsi déterminer la demande d’obligations dO et d’actions des ménages mA .

(1 ) .dB OO X X M= −

( )(1 ) 1 .m

B OA X X M= − − La richesse des ménages M est définie de la manière suivante :

( )1

1 1 1 01

(1 )t

A Om et t tA O

t

P PM A O B C c Y divp P

π−

− − −−

⎛ ⎞= + + − + − − − Π⎜ ⎟⎜ ⎟

⎝ ⎠

La richesse des ménages est égale aux actifs qu’ils ont hérité de la période précédente, évalués à leur coût de renouvellement, auxquels il faut rajouter leur capacité de financement à la période t. Elle est équivalente à la part non consommée des revenus distribués aux ménages

( )(1 ) ec pQ div π− − − Π moins le montant de la consommation financée par un prélèvement

sur l’épargne antérieure oC .

1tB − représente le niveau de l’épargne bancaire rémunérée des ménages héritée de la période précédente.

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Après avoir défini les modalités d’arbitrage des agents entre actifs, il faut introduire les équations de leur offre et de leur demande de titres dans un modèle en équilibre général, à l’instar d’Aglietta, Coudert et Mojon (1995), de manière à ce que les variations du prix des actifs soient endogènes et que l’on puisse étudier l’impact de la politique monétaire sur l’émergence et le développement des bulles spéculatives. Cette spécification micro-fondée est plus réaliste que celle de Bernanke et Gertler (1999) qui se sont contentés de formaliser une bulle exogène dans un modèle AS-AD d’inspiration néo-keynésienne. Les modalités d’arbitrage retenues diffèrent néanmoins du choix de portefeuille envisagé par Aglietta, Coudert et Mojon (1995), d’abord parce que l’arbitrage des firmes entre actifs physiques et financiers est pris en considération, afin de générer un cycle endogène aussi fidèle que possible au scénario décrit par Minsky (1975), ensuite parce que l’arbitrage des ménages est étendu aux obligations. Ce complément paraît essentiel car en présence d’une asymétrie d’information, la structure du passif des entreprises a une incidence sur le coût du capital, qui génère des fluctuations endogènes (Taylor, 1994 ; Flashel, Franke et Semmler, 1997). Or les modalités supposées de refinancement des sociétés ont une incidence conséquente sur les résultats (voir 2.2.2.1). Il est donc important de les formaliser de manière aussi réaliste que possible. En outre, cette spécification permet de tenir compte des problèmes de liquidité engendrés par l’interaction existante entre les marchés obligataire, bancaire et boursier au cours du cycle. Celle-ci revêt une importance primordiale pour Minsky, comme pour ses détracteurs (voir Brossard, 1998, 1999).

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3.2. La détermination du prix des titres et leur impact sur l’économie réelle

Le modèle en équilibre général décrit ci–dessous s’inspire des travaux de Bernanke et Gertler (1999) car il s’agit d’un modèle AS-AD, caractérisé par des prix et des salaires flexibles, une concurrence imparfaite et la présence d’un mécanisme d’accélérateur financier. En effet, l’offre de crédit est endogène et fluctue selon les profits anticipés, actualisés en fonction d’une prime de risque qui dépend de la valeur de marché des entreprises. La création monétaire est inférieure aux besoins de financement des sociétés, de sorte que l’offre obligataire est positive. Le taux d’intérêt ne résulte donc pas de l’équilibre entre la demande et l’offre de monnaie. Il est déterminé par une règle de Taylor. Cependant, la valeur de marché des actions n’est pas égale à la valeur fondamentale des titres, augmentée d’une composante spéculative exogène. Le prix des titres est déterminé par l’arbitrage rentabilité–risque des agents décrit ci-dessus. Le modèle ainsi conçu permet d’étudier l’interaction entre le cycle financier et le cycle réel. Après avoir présenté les principaux modes d’influence des variables financières sur l’offre et la demande globales (3.2.1), il convient d’étudier la relation décroissante et dynamique entre le prix des actions et des obligations et ses effets sur le cycle financier (3.2.2). Ceteris paribus, une augmentation de la demande d’actions provoque une baisse du prix des obligations et une augmentation de leur taux qui rétroagit sur l’arbitrage des agents, via le coût du capital et la rentabilité attendue des actifs, ainsi que sur les conditions de maximisation des profits des entreprises. Ce phénomène prévient l’augmentation exponentielle du prix d’un titre au détriment de l’autre. Il favorise la stabilité du cycle financier. Or la politique monétaire exerce une influence primordiale sur ce mécanisme.

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3.2.1. Les principaux modes d’influence de la finance sur l’économie réelle

L’évolution des cours boursiers a une incidence sur l’économie réelle car elle affecte principalement l’offre de crédit et le coût du capital. Elle a donc un impact conséquent sur l’investissement et la croissance. - La rentabilité anticipée des actions détermine le montant des investissements financiers des firmes nécessaire pour minimiser leur risque. Elle influence donc leur besoin de financement et par conséquent, l’offre obligataire. Elle a donc un effet sur le prix des obligations et sur le coût du capital, l’investissement et la croissance. - L’évolution des indices boursiers détermine également la part de richesse que les ménages consacrent aux actions et aux obligations, cela affecte les taux obligataires et par conséquent l’investissement. - On suppose que l’offre de crédit est endogène et qu’elle dépend de la variation des profits actualisés, compte tenu d’une prime de risque qui dépend elle-même du ratio « dette bancaire et obligataire sur coût de renouvellement de l’actif » et du ratio « capitalisation boursière sur coût de renouvellement de l’actif physique ». La valeur de marché des actions a donc une influence déterminante sur le taux d’intérêt bancaire et sur l’offre de crédit, qui ont également un impact sur l’offre obligataire, le coût moyen pondéré de l’emprunt et l’investissement. - Enfin, on suppose qu’une appréciation de la richesse des ménages entraîne une augmentation de leur consommation.

3.2.1.1. L’impact des variables financières sur l’investissement et l’offre globale

Conformément au point de vue de Greenwald et Stiglitz (1993a, 1993b) les variables financières influencent aussi bien l’offre globale que la demande globale. La demande de capital K est déterminée en fonction de la demande anticipée Q sachant que les entreprises cherchent à maximiser leurs profits sous la contrainte d’une fonction de production CES. L’investissement est donc sensible au coût moyen pondéré de la dette. En concurrence imparfaite, l’offre globale dépend des coûts unitaires de production (Okun, 1981) et notamment des charges d’intérêt de la dette bancaire et obligataire. Etant donné que la création monétaire est endogène (voir infra) et que la production ne dépend pas seulement de la quantité de travail disponible, mais aussi du facteur capital, l’offre de long terme n’est pas une droite verticale dont l’abscisse à l’origine serait intangible. Par conséquent, la monnaie n’est pas neutre. Une variation du taux directeur de la Banque centrale peut durablement affecter le niveau de la production et les modalités de l’arbitrage entre l’inflation et le chômage (Fitoussi et Le Cacheux, 1989).

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Les entreprises minimisent leurs coûts de production sous la contrainte d’une CES :

kp wMin K Lp p

+

: x x xsc aK bL Q+ = (3.1) où kp est le coût du capital et w le coût du travail. En résolvant ce programme, on obtient la demande de capital, compte tenu de la demande anticipée Q (voir annexe 9.4) :

11

1 1 1/ / /x x x

x x xk kp p p p w pK a b Qa a b

− − −⎡ ⎤

⎛ ⎞ ⎛ ⎞ ⎛ ⎞⎢ ⎥= + ⎜ ⎟⎜ ⎟ ⎜ ⎟⎢ ⎥⎝ ⎠⎝ ⎠ ⎝ ⎠⎣ ⎦

kp est égal au rapport des intérêts versés sur les sommes investies : ( )K

i D Op

pK+

=

La valeur de marché de la capitalisation boursière a un impact sur la prime de risque et donc sur le montant du crédit. Elle affecte le besoin de financement des firmes et le montant des émissions d’obligations et par conséquent le taux obligataire. Elle influence donc le coût du capital kp , l’investissement et la croissance. On suppose que les salaires w sont déterminés par une courbe de Phillips :

[ ] 1ˆ1 tw p U wδ ν −= + + Δ

p̂ est le taux d’inflation. U est le taux de chômage, lui même défini comme la différence entre la population active exogène oL et la demande conditionnelle de facteur travail L qu’implique la maximisation du profit sous contrainte. D’après l’équation (3.1) L est égal à :

1x x xQ aKL

b⎡ ⎤−

= ⎢ ⎥⎣ ⎦

Le profit est égal à la production en valeur moins les coûts de production : salaires et intérêts versés.

sb opQ wL r D r OΠ = − − −

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On suppose que la concurrence est imparfaite et que la production est oligopolistique. Par conséquent, les entreprises fixent leurs prix en rajoutant une marge fixe ω au coût unitaire de production (Okun, 1981) :

d os

wL r D r OpQ

ω⎛ ⎞+ +

= ⎜ ⎟⎝ ⎠

On en déduit l’offre en valeur :

( )s

d opQ wL r D r Oω= + + (3.2) Sachant que la demande en valeur est égale à l’investissement plus la consommation des ménages, si l’on suppose qu’ils consomment une part stable c de leur revenu disponible augmentée d’une somme oC , la demande est égale à :

( )( ) [ ]11dk t d o opQ p K K c wL r D r O div dive Cτ −= − − + + + + − + (3.3)

A l’équilibre, l’offre (équation (3.2) est égale à la demande (3.3). On en déduit le niveau des prix à l’équilibre :

( )( ) ( )( ) 11

d o o

k t

c WL r D r O c Div Dive Cp

K Kω

τ −

− + + − − −=

− −

Sachant que les taux d’intérêt et la valeur nominale de la dette figurent explicitement dans la fonction de coût des entreprises, les variables financières affectent la courbe d’offre des entreprises, conformément au point de vue de Fitoussi et Le Cacheux (1989). Ceux-ci supposent que le taux de marge dépend positivement du taux d’intérêt. Les entreprises l’appliquent au coût unitaire de production qui lui même dépend du coût unitaire du travail et du coût marginal du capital qui est supposé croître avec le volume des quantités produites. Le taux d’intérêt ne figure pas explicitement dans leur fonction de coût mais il influence les prix via le taux de marge. Dans le modèle présenté ici, la marge est supposée fixe mais les taux apparaissent directement dans la fonction de coût, si bien qu’ils influencent les prix de la même manière. Lorsque le volume de la dette et/ou le taux d’intérêt augmentent, la courbe d’offre globale se déplace vers le haut et les conditions de l’arbitrage entre l’inflation et le chômage se dégradent. Un effet « d’hystérésis financier » est possible (voir première partie 1.1.1.2). Ainsi, l’introduction explicite des taux et des stocks de dette hérités du passé dans la fonction d’offre globale ôtent toute forme de neutralité à la monnaie, comme le souligne Aglietta (1993) : « Les marchés ne sont pas incomplets parce qu’il y a des imperfections, il le sont parce que les prix des biens et services courants d’un coté, les prix des actifs patrimoniaux de l’autre ne sont pas de même nature. Les premiers ne sont pas déterminés anonymement sur des marchés parce que les organisations ne sont pas transparentes. Ainsi les offres et demandes de biens de consommation ne sont-elles pas équilibrées par la main invisible du marché mais par la main bien visible du commerce (…) Dans les économies d’organisations, les prix ne sont pas des variables d’équilibre, mais des variables de financement des buts des organisations. Pour des

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entreprises, ces buts dépendent de la position dans la concurrence, mais aussi de la cohésion interne.(…) Dans le financement de l’investissement, le prix d’offre en tant que variable du financement interne, est étroitement associé à la structure du financement externe. Il n’y a aucune circonstance dans laquelle la finance puisse être neutre. Il est des cas où des possibilités accrues de financement externe allègent les pressions sur les prix comme moyen privilégié du financement interne. Il en est d’autres où les charges du service de l’endettement hérité du passé sont incorporées dans les prix de vente et, par répercussion en cascade dans les relations interentreprises, deviennent un facteur d’inertie pour le niveau général des prix. » (1993, p. 8) En déterminant directement le coût effectif du capital et les prix, les variables financières ont une incidence significative sur l’offre globale comme sur la demande globale, par l’intermédiaire de l’investissement. Les variables financières influencent également la consommation des ménages via l’effet de richesse.

• Epargne des ménages et effet de richesse : On suppose que les ménages consomment une part stable c de leur revenu disponible augmentée d’une somme oC . Celle-ci est prélevée sur l’épargne qu’ils ont constituée antérieurement par précaution. Bien que c soit fixe, le taux d’épargne est endogène car on suppose que oC évolue en fonction du taux de chômage et de la valeur de marché des actions.

oC augmente lorsque le chômage s’accroît car les personnes privées d’emploi utilisent une partie de leurs encaisses pour limiter la chute de leur pouvoir d’achat. Ce mécanisme a un effet contra-cyclique puisqu’il permet de limiter les effets négatifs d’une éventuelle hausse du chômage sur la demande. Il a les mêmes propriétés qu’un système d’assurance sociale (son introduction n’a pas d’incidence sur les principales caractéristiques du modèle). φ est paramétré de manière à ce que les agents qui perdent leur emploi perçoivent un revenu équivalent à la moitié du salaire moyen. Cette valeur peut paraître faible, mais deux raisons expliquent ce choix : d’abord, une partie des chômeurs ne perçoit pas d’indemnité, ensuite les ménages titulaires d’un emploi ont tendance à augmenter leur épargne de précaution lorsque le chômage augmente, ce qui a tendance à réduire la valeur du coefficient φ au niveau agrégé.

oC s’accroît également lorsque la valeur de marché du stock d’actions des ménages s’élève. La quasi-totalité des études empiriques montre que, lorsqu’elle augmente de 10 dollars, leur consommation s’accroît de 4 cents. (Ludvigson et Steindel, 1999 ; Davis et Palumbo, 2001). Une hausse des cours boursiers a donc tendance à réduire l’épargne des ménages, toutes choses égales par ailleurs. De ce point de vue, elle a un impact positif sur le PIB. ( ) ( )1 1

ˆˆ1 A mo ot tC C p P A UL Wυ φ− −= + + + Δ

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3.2.1.2. L’effet des cours boursiers sur l’offre de crédit Si l’on prend en considération les coûts d’agence et les coûts de faillite générés par l’asymétrie d’information entre prêteurs et emprunteurs, les banques ne satisfont pas la totalité des besoins de financement externe des firmes afin de minimiser leur risque de défaut (Stiglitz et Weiss, 1981 ; Greenwald, Stiglitz et Weiss, 1984). L’offre de crédit bancaire C est alors déterminée en fonction de la rentabilité attendue des projets et de leur risque (Bernanke et Gertler, 1989 ; Greenwald et Stiglitz, 1993b). Sachant que les marchés sont incomplets (Brainard et Tobin, 1963 ; Brunner et Meltzer, 1972) et étant donné que le coût de l’emprunt bancaire est inférieur aux autres sources de financement externe (Diamond, 1984 ; Myers et Majluf, 1984 ; Greenwald, Stiglitz et Weiss, 1984 ; Fama, 1990 ; Bond et Meghir, 1994), la demande de crédit excède systématiquement l’offre. Elle n’est pas entièrement satisfaite. Cette approche est conforme à la théorie du pecking order de Myers (1984) qui établit une hiérarchie dans les préférences des sources de financement par ordre croissant du coût d’intermédiation et d’agence : en premier l’autofinancement puis l’endettement et enfin l’augmentation du capital. Ainsi, on suppose que l’offre de crédit est rationnée, c’est donc elle qui détermine la demande effective. Il s’ensuit que le taux d’intérêt n’est pas déterminé par l’équilibre de l’offre et de la demande de monnaie (Creel, Sterdyniak, 1999). Il dépend du taux directeur fixé par la Banque centrale et d’une prime de risque qui évolue en fonction des ratios de solvabilité des emprunteurs (Bernanke et Gertler, 1989) et de la valeur de marché de leurs actifs (Kiyotaki et Moore, 1997 ; Bernanke et Gertler, 1999). Lorsque le crédit est rationné, la structure de bilan des firmes n’est pas neutre puisque les actifs ne sont plus parfaitement substituables (Bernanke, Gertler et Gilchrist, 1999). L’offre de crédit a donc un effet déterminant sur la dynamique de l’activité. Or elle est elle-même influencée par le prix des actifs financiers et le taux directeur. En présence d’un mécanisme d’accélérateur financier, la monnaie n’est donc pas neutre. Elle influence la demande globale comme l’offre globale, via le canal du bilan. Pour simplifier, on suppose que l’offre de crédit est fonction du niveau de dépréciation de la dette bancaire bD et de la variation des profits anticipés actualisés. Les banques doivent s’assurer que la variation anticipée des profits des entreprises leur permettra à terme de couvrir l’augmentation du principal de leur dette et de leurs charges d’intérêt.

( )( ) ( )1 11 ad bt b tC D rτ β− −− + < Π − Π

Le coefficient bêta β est une estimation effectuée par les banques de la part des profits que les entreprises pourront consacrer au remboursement périodique de la dette, multipliée par sa durée. On en déduit l’offre de crédit :

( )1

1 1

at

d btb

C Dr

τ β −−

⎡ ⎤Π − Π= + ⎢ ⎥+⎣ ⎦

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Le taux d’intérêt bancaire est égal au taux directeur plus une prime de risque qui dépend de deux ratios :

- La prime de risque est une fonction croissante du ratio de la dette bancaire55 et obligataire sur le coût de renouvellement de l’actif. Cet indicateur permet de mesurer l’importance de la valeur des collatéraux réels et financiers de la firme. Ce ratio baisse notamment lorsque la valeur de marché des actifs financiers de l’entreprise augmente. Cela lui offre un meilleur accès au crédit. Lorsque ce ratio est faible, les banques ont l’assurance d’être remboursées en cas de liquidation des actifs. Plus il diminue, plus les crédits accordés aux entreprises seront importants (Rivaud-Danset, 1991, 1993).

- La prime de risque est une fonction décroissante de la variation du ratio de la valeur boursière des firmes sur la valeur de leur stock de capital productif. Théoriquement, plus ce ratio est bas et plus le risque de faillite est faible, comme l’ont montré Bernanke, Gertler et Gilchrist, (1998) pour qui le coût de l’emprunt dépend de la part de la valeur de marché des fonds propres des entrepreneurs sur leur capital brut.

bb e

D O Ar rpK A pK

χ γ η⎛ ⎞ ⎛ ⎞+

= + + Δ⎜ ⎟ ⎜ ⎟+ ⎝ ⎠⎝ ⎠

Cette spécification génère un effet d’accélérateur financier. En effet, une hausse de la valeur de marché des actions entraîne une baisse de la prime de risque. (Kiyotaki et Moore, 1997 ; Bernanke, Gertler et Gilchrist, 1998). Elle exerce donc un effet pro-cyclique puisqu’elle débouche sur une augmentation de l’offre du crédit et une baisse du coût du capital. Ainsi, la monnaie n’influence plus seulement la demande globale mais aussi l’offre globale via un canal du crédit et un canal du bilan. Dans ce cadre, la monnaie n’est pas neutre et la politique monétaire retrouve toute son efficacité. On suppose que le taux directeur de la Banque centrale r est déterminé par une règle de Taylor (1993). Pour simplifier, on suppose qu’il augmente avec l’inflation p̂ et le taux de croissance de la demande en volume Q̂ . Il diminue lorsque le taux de chômage U augmente au-delà de la valeur cible ou jugée structurelle ou incompressible par la Banque centrale.

( )ˆˆ or r p Q U uθ μ ς= + + + −

En bref, l’évolution des cours influence l’offre de crédit directement via la prime de risque puisque celle-ci dépend en partie de la valeur de marché des actions. Elle a donc un impact direct sur le coût du capital et l’offre globale, puisque celle-ci est fonction des charges d’intérêt. Les variables financières n’affectent donc pas seulement la demande globale par le biais de l’investissement et de la consommation des ménages. Elles déterminent également les conditions d’arbitrage entre l’inflation et le chômage (Fitoussi et Le Cacheux, 1989) Le prix des actions affecte également le coût du capital indirectement, par l’intermédiaire de l’arbitrage des agents, en influençant l’offre et la demande d’obligations et donc leur taux. 55 La dette est égale à la somme non remboursée des crédits distribués. ( )1 1D C Db d btτ= + − −

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3.2.2. La relation décroissante entre le prix des actions et des obligations

Dans ce modèle, le prix des actions n’est pas déduit de l’égalité entre rentabilité exigée et rentabilité attendue mais il est déterminé par l’offre et la demande de titres qui résultent de l’arbitrage des agents. Il peut donc s’écarter de sa valeur fondamentale, c'est-à-dire de la somme actualisée des profits anticipés par les agents. Celle-ci détermine seulement la rentabilité attendue des investisseurs et leur demande de titres, elle influence donc le prix de l’action mais exclusivement de manière indirecte. Cette approche met en évidence la double caractéristique des actifs patrimoniaux qui sont à la fois une réserve de valeur, c’est-à-dire un moyen d’accumuler de la richesse, et une source de liquidité immédiate. La valeur fondamentale du titre, qui s’apprécie à long terme dans une optique patrimoniale, ne coïncide pas toujours avec son prix de marché qui évolue aussi en fonction des besoins et des contraintes de financement instantanés des agents, comme le souligne Aglietta (1993). « Les actifs patrimoniaux ont le plus souvent une double caractéristique. En tant que moyen d’accumulation de richesse, ils ont des valeurs fondamentales qui sont les sommes actualisées des revenus futurs qu’ils rapportent à leurs détenteurs. En tant que marchandises négociables sur des marchés secondaires, ils sont des moyens d’acquérir la liquidité immédiate. Ce sont d’ailleurs des marchandises qui ont de véritables prix de marché, contrairement aux biens et services, c'est-à-dire des prix qui équilibrent l’offre et la demande instantanées. Dans une économie où les marchés ne sont pas complets, il y a toutes les raisons pour que ces deux caractéristiques ne soient pas cohérentes. Il s’ensuit que les variations des prix de marché des actifs patrimoniaux peuvent diverger grandement des valeurs fondamentales. » (1993, p. 9) La dynamique du système peut générer de manière endogène une distorsion de très grande ampleur du prix relatif des actions par rapport au niveau général des prix des biens et services. Il est impossible de comprendre les ressorts d’une bulle spéculative sans tenir compte des fluctuations concomitantes du marché obligataire car il existe une relation dynamique et négative entre la valeur des actions et des obligations. Ce phénomène tend à assurer une relative stabilité du cycle financier, mais il peut être perturbé par la politique monétaire. Avant d’analyser les propriétés dynamiques de l’arbitrage des agents (3.2.2.2), il est nécessaire de définir la rentabilité anticipée des actions et de déterminer les équations du prix des actifs (3.2.2.1).

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3.2.2.1. Rentabilité anticipée des actions et prix des actifs Sachant que dans un modèle d’arbitrage, les investisseurs sont prêts à modifier à tout instant la composition de leur portefeuille d’actifs risqués pour maximiser le rapport rentabilité-risque, leur horizon temporel est limité. Ils se focalisent donc sur la rentabilité anticipée de l’action à court terme qui, par définition, est égale au ratio des profits anticipés sur la valeur de marché de l’action, augmenté du taux de croissance de son prix :

( )( )1 / A aA t t PAR g p gππ= + +% (3.4)

Si les agents supposent, en situation d’incertitude, que le prix de l’action reflète sa valeur fondamentale, alors ils devraient rationnellement estimer que le taux de croissance anticipé du prix de l’action est égal au taux de croissance des profits anticipés à long terme : a

PAg gπ= (Gordon et Shapiro, 1956). Si les anticipations sont extrapolatives, le taux de croissance anticipé des profits à court terme, qui est effectif, sera supposé stable, si bien que pour simplifier, on peut écrire : a

PAg gπ= . Cette spécification sous-tend l’existence d’une forme de mimétisme sur les marchés financiers (Orléan, 1999). On peut justifier cette proposition de la manière suivante : Théoriquement, la valeur d’une action A

tP est égale à la somme actualisée du profit par action

tπ et de son prix de revente AnP :

( ) ( )1 1 1

AnA t n

t t nt A A

PPr r

π=

= ++ +

A partir de l’équation ci-dessus et en supposant que le taux de croissance des profits anticipés est fixe à long terme, que l’horizon temporel des agents tend vers l’infini et que les anticipations sont rationnelles, Gordon et Shapiro (1956) démontrent que :

( )1t

tA

Vr gπ

π +=−

(3.5)

où tV est la valeur fondamentale de l’action et gπ est le taux de croissance de long terme anticipé des profits par titre. En situation d’incertitude, on suppose que la rentabilité exigée par le marché Ar n’est pas connue avec certitude, ni la valeur fondamentale des actions tV . Si l’on suppose que le taux de marge désiré des entreprises est stable à moyen terme (cf. infra la théorie du mark up), le profit anticipé dépend de la demande anticipée. Or, à l’équilibre, c’est une demande effective. On peut donc considérer que les anticipations sont auto-réalisatrices. Le taux de croissance des profits est donc parfaitement anticipé à court terme :

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ag gπ π= . En situation d’incertitude, on peut raisonnablement supposer que les agents anticipent que le taux de croissance effectif des profits restera stable à moyen terme. Par conséquent : g gπ π= . Cette forme d’anticipation extrapolative est plus réaliste. On peut dès lors estimer la valeur fondamentale d’une action ainsi :

(1 )tt

A

gVr g

π

π

π +=

− pour une quelconque valeur de rentabilité exigée Ar

Dès lors (1 )tA

t

gr gV

ππ

π += + et (1 ) at

A PAAt

gR gP

ππ += +%

Théoriquement, à l’équilibre lorsque A

t tP V= la rentabilité exigée est égale à la rentabilité

anticipée A Ar R= % si le taux de croissance des prix est correctement anticipé ˆaPAg g Vπ= = .

La variation du taux croissance des profits exerce l’effet d’un choc exogène permanent sur le niveau des cours à l’équilibre puisqu’elle entraîne théoriquement une modification de la valeur fondamentale de l’action. Si le taux de croissance des profits augmente, la valeur fondamentale du titre peut être temporairement différente de son prix de marché A

t tV P> . En toute logique, les fondamentalistes devraient alors estimer le taux de croissance anticipé du prix des actions en fonction de la différence existante entre leur valeur fondamentale future et leur prix actuel de marché :

1 1a tPA A

t

VgP

+= − (3.6)

où 1 11 1a t tPA A

t t

V Vg gP Vπ

+ += − > = −

Les agents savent que si le taux de croissance effectif des prix des titres ˆ AP est supérieur au taux de croissance des profits g π (supposé correctement anticipé), alors A

t tP V≠ . Les agents peuvent en déduire qu’il s’agit d’une correction opérée par le marché pour que le prix de l’action se rapproche de sa valeur fondamentale. Ils peuvent anticiper que cette correction se poursuive de manière atténuée jusqu’à ce que le taux de croissance des cours soit égal au taux de croissance des profits :

( ) ˆ1a APAg g Pπλ λ= + − (3.7)

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Si ˆ AP gπ= alors aPAg gπ= , compte tenu de l’équation (3.6), on peut assimiler A

tP à tV puisque ( )1 1t tV V gπ+ = + . En pareil cas56 A Ar R= % . D’un point de vue fondamentaliste, le mode d’anticipation du taux de croissance des cours défini dans l’équation (3.7) paraît rationnel car dès que l’on estime que les marchés s’auto régulent et que les prix de marché tendent à terme vers leurs valeurs fondamentales, il permet théoriquement de réduire l’écart qui les sépare, tout en favorisant l’égalité entre AR% et Ar . En introduisant l’expression (3.7) dans l’équation (3.4) de la rentabilité attendue, on obtient :

( ) ( )1 ˆ1t AA A

t

gR g P

π

πλ λ

+= + + −%

Si les agents supposent que le niveau des cours de l’action reflète sa valeur fondamentale et que toutes les informations sont immédiatement prises en compte par le marché alors 1λ = . On estime que la distribution anticipée des probabilités de rentabilité suit une loi normale, de moyenne ( )aE R% avec un écart-type Aσ supérieur à celui de la rentabilité des immobilisations corporelles.

• Incertitude et mimétisme : Cette approche accrédite l’existence d’une forme de mimétisme sur les marchés financiers puisque la rentabilité attendue d’une action dépend de son prix, alors qu’elle est sensée le déterminer. C’est un mode d’anticipation auto-validant. Ce phénomène n’a rien d’irrationnel, il relève d’une autre forme de rationalité dite auto-référentielle. Sachant qu’il n’existe pas de manière fondamentale certaine de calculer le prix d’équilibre futur des actifs financiers et sachant que ce prix résulte de l’offre et de la demande de titres qui dépendent elles-mêmes de l’opinion majoritaire sur le marché, chaque agent doit logiquement tenter de déterminer cette opinion pour s’y conformer. Autrement dit, chaque intervenant doit essayer de deviner comment les autres déterminent l’opinion majoritaire. Ils vont donc se polariser sur les informations publiques qui pourront être objectivement considérées par tous comme un indicateur tangible de la tendance majoritaire. Ce sont les « saillances à la Schelling » (Schelling, 1960). Or, le prix de l’action, sa hausse antérieure comme le taux de profit sont des indicateurs retardés mais tangibles de l’orientation des marchés.

56 Si ( ) 11 a APA t tg P V ++ = alors, compte tenu de (3.5) : ( ) ( )21

1 ta APA t

A

gg P

r gπ

π

π ++ =

− et

( )( )

211

tA a A

PA t

gr g

g pπ

π

π += +

+, en assimilant a

PAg à gπ et AtP à tV dans cette expression on vérifie que AR% = Ar .

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Schelling montre que lorsque le jeu est à coups répétés et que les joueurs sont informés des réponses précédentes, ils reportent unanimement leur choix sur le résultat majoritaire précédent. C’est une saillance, un point focal sur lequel les choix convergent. L’imitation n’est pas irrationnelle ou grégaire, ce n’est pas du panurgisme aveugle. Selon Orléan (1999), le prix des titres est le produit d’une convention sur les marchés financiers, qui elle-même ne serait qu’une justification a posteriori de la hausse passée des cours. Davanne (1996) distingue 3 phases au cours d’un cycle financier, la première est caractérisée par une stabilité conventionnelle où logique fondamentale et logique auto-référentielle ne font plus qu’une, puis une phase de questionnement stratégique où les « fondamentalistes sceptiques » et les « contrarians » qui se polarisent sur les fluctuations à très court terme, cherchent à « battre le marché », et enfin une crise auto-référentielle. L’incertitude génère donc une forme de mimétisme qui peut provoquer des variations de grande ampleur du prix des actifs sans rapport avec l’évolution des variables réelles de l’économie. « Faute de médiation saillante qui viendrait ordonner les interprétations, les agents fondent leurs anticipations des mouvements futurs du marché sur l’imitation des tendances passées, cette attitude lorsqu’elle se généralise débouche sur des évolutions de cours perdant toute relation avec les réalités économiques. » (Orléan, 1999) Aglietta (1993) explique fort simplement ce phénomène : « Plus les valeurs fondamentales sont incertaines, plus la liquidité devient la caractéristique dominante dans les attitudes spéculatives qui gouvernent la détention des actifs patrimoniaux. Ces actifs sont recherchés pour réaliser des plus-values ou pour se prémunir contre la perte du pouvoir d’achat de la monnaie sur les biens et services (…) Lorsque la spéculation se polarise sur la prévision immédiate du prix du marché, elle devient auto-validante. Une incertitude endogène, provenant de l’interaction des spéculateurs, peut provoquer des fluctuations aggravées. » Selon Orléan (1999) « moins le marché est liquide, plus les anticipations se portent sur le long terme, à savoir les dividendes futurs et la valeur fondamentale des capitaux, plus les marchés sont liquides, plus les mouvements rapides d’achats et de ventes deviennent rentables et dominent le marché. » Or, les innovations financières et la déréglementation des marchés ont accru leur liquidité. La durée moyenne de détention d’une action américaine était de 7 ans en 1960. Aujourd’hui, elle est seulement de 9 mois, et 7 mois si l’on considère les seuls fonds de pension. Dans ce contexte, on comprend aisément pourquoi les fondamentalistes eux-mêmes ne peuvent faire abstraction des mouvements de prix d’actifs à court terme. « On ne peut faire abstraction des fluctuations momentanées du marché parce qu’elles sont source d’importants profits. Autrement dit, l’investisseur qui tient compte de toutes les évolutions de prix, y compris celles de court terme, obtient une rentabilité plus grande que celui qui ne s’engage que sur la base d’une évaluation fondamentale prévalant à long terme. C’est là un truisme logique puisqu’il s’agit simplement de remarquer que l’on fait mieux lorsqu’on tient compte de toute l’information disponible que lorsqu’on agit uniquement sur la base d’une évaluation, de moyen ou long terme, en laissant de côté les évaluations de court terme. (…) Les investisseurs sont obligés d’intégrer [les cotations au jour le jour] à leur stratégie indépendamment de leurs perspectives de long terme. Cette réalité peut conduire à

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des situations paradoxales où un haussier peut se retrouver à jouer un titre à la baisse en raison de données purement conjoncturelles. » (Orléan, 1999, p. 50). Si un fondamentaliste refuse de se séparer de ses titres malgré la chute des cours, il risque de réaliser ultérieurement une importante moins-value en cas de besoin de liquidités. L’aversion pour le risque pousse les investisseurs à prendre en considération les fluctuations conjoncturelles, surtout si les capitaux investis ont été acquis par emprunt. Keynes (1936, pp. 169-170) déclarait : « La sagesse universelle enseigne qu’il vaut mieux pour sa réputation échouer avec les conventions que réussir contre elles. » Cette approche remet en cause la théorie orthodoxe de l’efficience des marchés boursiers, selon laquelle le prix reflète pleinement et correctement toute l’information disponible à l’instant considéré. Mais quel sens donner à « pleinement et correctement » ? Si cela signifie qu’il exprime le consensus instantané de la communauté financière au vu des informations dont elle dispose et relativement aux capacités cognitives des intervenants sur le marché, alors cette affirmation, quasi tautologique, n’est guère éloignée de la conception keynésienne. Si par contre, il s’agit de dire que le prix est la meilleure estimation possible de la valeur fondamentale compte tenu de l’information disponible à l’instant considéré, alors les positions diffèrent radicalement. Si le prix reflétait toute l’information à l’instant t, l’évolution du prix en t+1 ne devrait varier qu’en fonction d’une information nouvelle, conformément à un modèle de marche aléatoire

1t t tp p ε+ = + . Cette modélisation stochastique a fait l’objet de nombreux travaux empiriques. Elle est fondée sur l’hypothèse de « continuité » ou de « normalité ». Or intuitivement, il apparaît que l’hypothèse de continuité est étroitement liée à la forme des aléas. Il y a continuité si les sauts aléatoires tε ne sont pas en moyenne trop grands. Cela dépend donc de la forme de hasard qui est ici considérée. Traditionnellement, on considère que le hasard est gaussien ou normal. Or ce type ne débouche que très rarement sur de grandes déviations ; c’est pourquoi de nombreux travaux montrent que le hasard boursier n’est pas gaussien. Bouchaud et Walter (1996) estiment que « dans le cas gaussien, les grandes déviations sont tellement rares que le krach de 1987 n’aurait pas dû exister, même si la première place boursière avait été ouverte par Lucy. » Si les écarts de prix suivaient une loi normale, le temps moyen nécessaire à l’observation d’une déviation comparable à celle observée en 1987 serait de 4710 années, soit l’âge de la terre à la puissance 5. Par contre, en considérant une loi de probabilité appartenant aux lois stables de Paul Levy,57 on trouve 58 ans, c'est-à-dire une période qui correspond à la distance qui sépare le krach de 1929 de celui de 1987. (Boulier, De Vitry, De Drouas, 1998) A défaut de connaître la valeur fondamentale des titres, les spéculateurs se focalisent sur les fluctuations à court terme de leurs prix. La liquidité des titres devient leur préoccupation principale. Elle conduit les agents à adopter un mode d’anticipation extrapolatif. Le mimétisme est donc une réponse rationnelle à l’incertitude. Il peut néanmoins susciter une hausse des cours sans rapport avec l’évolution des fondamentaux.

57 Les lois stables de Paul Levy ont la particularité de générer des fluctuations de grande ampleur. Les queues de ces distributions appartiennent à la famille des lois-puissance de type Pareto. C’est pourquoi on parle de hasard « parétien ». Dans ce contexte, il est impossible de se couvrir efficacement contre le risque car la viabilité d’un système d’assurance suppose un minimum de continuité.

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Gaël Callonnec – « Politique monétaire et bulle spéculative » - Thèse IEP Paris - 2005 247

• L’équilibre sur le marché des actions A l’équilibre, la demande d’actions en valeur dA est égale à l’offre en valeur sA . La demande en valeur est égale à :

(1 ) .d m eB AA X X M A= − +

L’offre en valeur est égale à :

1

1t

As s

tA

pA A Ap

−= Δ +

A l’équilibre, s dA A= , on en déduit le coefficient de variation du prix des actions :

( )1 1

1 m eAB A

At

s

t

A AX X MPP A−

=

Δ− + −

En situation d’incertitude, le prix d’équilibre des actions peut s’écarter de sa valeur fondamentale. En effet, rien n’implique que le prix des actions ainsi défini soit équivalent à la somme actualisée des profits anticipés. Avant d’étudier le rapport entre le prix des actions et le prix des obligations et leur taux, il faut déterminer l’équilibre sur le marché obligataire.

• L’équilibre sur le marché des obligations A l’équilibre, l’offre d’obligations sO est égale à la demande dO , on en déduit le coefficient de variation du prix de l’obligation. Sachant que :

(1 ) .dB OO X X M= −

( ) 11

1O

s so tO

t

PO O OP

τ −−

= Δ + −

alors : ( )

( )11

11

sB OO O

to t

X X M OP P

Oτ−−

− − Δ=

On peut en déduire le taux d’intérêt des obligations : il est égal au rapport des intérêts versés sur la valeur de marché des obligations, sachant que d’un point de vue comptable, les intérêts versés sont égaux aux intérêts versés antérieurement plus la variation de la charge d’intérêt, elle-même égale à l’augmentation du nombre de titres, multipliée par leur prix de marché que multiplie le nouveau taux d’intérêt (voir annexe 9.5) :

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Gaël Callonnec – « Politique monétaire et bulle spéculative » - Thèse IEP Paris - 2005 248

11 1

1

11

OtOt t O O O

tO

Ot

O Ot O

OOr O r PP P

rO

Pr rp

−− −

−−

⎛ ⎞+ −⎜ ⎟

⎝ ⎠=

=

3.2.2.2. Arbitrage des agents et cycle financier Les prix des actions et des obligations agissent l’un sur l’autre par le biais de nombreux canaux qui, toutes choses égales par ailleurs, ont des effets parfois opposés. L’existence de ces effets contradictoires pallie la hausse exponentielle du prix d’un titre au détriment de l’autre. Elle explique l’inversion de leurs fluctuations respectives. D’une manière générale, la hausse de la demande d’actions provoque une baisse du prix des obligations et une augmentation de leur taux. Celle-ci réduit les profits des entreprises et accroît la rentabilité attendue des obligations, ce qui a tendance à pallier la hausse des cours boursiers. Cette relation décroissante et dynamique entre le prix des titres favorise la stabilité du cycle financier. Toutefois, la politique monétaire peut enrayer ce mécanisme. Une hausse des taux favorise l’épargne sans risque des ménages au détriment de leurs stocks d’actions et d’obligations. Cependant, elle encourage les investissements financiers des entreprises, ce qui peut déboucher sur des émissions nettes d’actions négatives, susceptibles de provoquer un développement de la capitalisation boursière sans rapport avec les fondamentaux. Ceteris paribus, l’augmentation de la rentabilité attendue des actions ( )aE R% provoque une hausse de leur part dans la combinaison efficiente des actifs des firmes ( AX est plus élevé). Cela débouche sur une émission nette d’actions négative et la croissance des cours boursiers. La part des actions dans le portefeuille d’actifs risqués des ménages augmente également au détriment de leurs obligations ( m

AX est plus élevé). Le prix de ces dernières diminue et par conséquent, le taux d’intérêt obligataire s’élève ( Or ). Cependant, d’un point de vue dynamique, la hausse des taux entraîne une augmentation simultanée de la rentabilité attendue des obligations ( )oE R% tout en limitant celle des actions, puisqu’elle réduit la croissance des profits. Cela prévient la possibilité d’une brutale variation de la part des actions dans la combinaison efficiente des agents, et notamment celle des ménages. Néanmoins, la montée des taux obligataires entraîne, toutes choses égales par ailleurs, une augmentation du coût moyen pondéré de la dette (i) qui favorise une hausse de la part des actions AX par rapport à celle des immobilisations corporelles KX dans le portefeuille d’actifs des firmes, comme l’indique le graphique ci-dessous.

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Graphique III.5

En effet, lorsque le coût moyen pondéré de la dette augmente, la droite de marché Rw1 se déplace en Rw2, sur le graphique III.5. Ceci débouche sur une augmentation de la part des actions dans la combinaison optimale des firmes au détriment de l’investissement physique

0AX∂ > (la distance b-A est inférieure à la distance a-A). Par conséquent, la demande d’actions des entreprises s’élève, ce qui favorise la croissance de leur prix. Cependant, ce phénomène peut être atténué par la baisse de la prime de risque engendrée par l’augmentation de la capitalisation boursière. La politique monétaire joue un rôle déterminant dans cette dynamique puisque par le biais des taux d’intérêt bancaires, elle influence non seulement la rentabilité attendue des actions et la demande d’obligations, mais également le crédit et l’investissement et par conséquent, l’offre d’obligations ainsi que l’offre et la demande d’actions des entreprises. Lorsque le taux d’intérêt bancaire augmente, la pente de la droite de marché diminue et la part de l’épargne sans risque ( bX ) dans la richesse des ménages s’élève (sur le graphique III.6 ci-dessous, la distance entre le point a’ et a est supérieure à celle qui sépare les points b’ et b). La hausse de l’épargne sans risque entraîne une baisse de la demande et du prix des obligations, si bien que le taux obligataire monte. La frontière d’efficience se déplace alors vers le haut et la part des obligations oX augmente dans le portefeuille d’actifs risqués des ménages (le point a est plus proche de O que le point b).

Rw2

Risque σ0%

Espérance de rentabilité E(R)

KAR 2

2σ 1σ

KAR 1

Rw1

K

• a

• b

A

i2

i1

Arbitrage des entreprises et hausse de i

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Graphique III.6.

Une hausse du taux d’intérêt directeur a donc tendance à réduire la demande d’actions des ménages mais parallèlement, elle décourage les émissions nettes d’actions. En effet, une hausse des taux renchérit le coût moyen pondéré de la dette i, ce qui favorise la croissance externe des firmes et leurs placements boursiers, tandis qu’en bridant l’investissement corporel, elle diminue les émissions brutes de titres. Cela peut provoquer une hausse des cours sans rapport avec l’évolution des fondamentaux. Après avoir étudié ces quelques propriétés dynamiques du système, il convient de voir quelle politique monétaire peut au mieux prévenir l’apparition d’une bulle spéculative et assurer le plein-emploi. Les mesures discrétionnaires de la Banque centrale ont une influence fondamentale dans ce modèle puisque l’offre globale est affectée par les variables financières et que la création monétaire est endogène. La politique monétaire est donc efficace à court terme, comme à long terme, puisqu’elle peut durablement modifier le niveau de l’état stationnaire. Elle exerce également une influence primordiale sur le cycle financier, puisque le taux directeur affecte directement ou indirectement la demande de titres des agents et les émissions brutes d’actions et d’obligations. Or les prix des actifs influencent la dynamique de l’activité par le biais de nombreux canaux : outre l’impact des charges d’intérêts sur l’offre globale (Fitoussi et Le Cacheux, 1989 ; Greenwald et Stiglitz, 1993a, 1993b), il faut évoquer la prime de risque et l’offre de crédit (Kiyotaki et Moore, 1997 ; Bernanke et Gertler, 1999) ainsi que l’effet de richesse sur la consommation des ménages (Ludvigson et Steindel, 1999 ; Davis et Palumbo, 2001). Dans la sous-partie suivante, les effets sur la stabilité du système de différentes règles de Taylor ont été simulés et analysés.

Rm2

Risque σ0

Espérance de rentabilité E( R)

Rb2

Rb1

Rm1

A

O

•b

• b’

a’

Arbitrage des ménageset hausse de rb

O •

•a

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3.3. Lutte contre l’inflation, réduction du chômage et stabilité financière

La relation décroissante entre le prix des actions et des obligations débouche sur un phénomène cyclique : l’essor des profits entraîne une augmentation de la capitalisation boursière et une chute de la demande d’obligations. Celle-ci provoque en retour une hausse des taux qui limite progressivement les gains de rentabilité. La politique monétaire peut perturber ou accroître l’amplitude de ce cycle si elle réagit trop faiblement ou trop brutalement aux pressions inflationnistes. Si l’évolution de la capitalisation boursière a un impact important sur l’offre de crédit, autrement dit, si l’effet d’accélérateur financier est conséquent, la lutte contre l’inflation doit être plus rigoureuse car la hausse des cours réduit la prime de risque, ce qui atténue l’effet de l’augmentation du taux directeur sur le coût du capital. Il peut alors y avoir une sur-réaction démesurée des variables financières à l’évolution des variables réelles. En effet, lorsque les taux d’intérêt réels, et donc l’épargne sans risque des ménages, évoluent à l’inverse du PIB, les prix des actions et des obligations sont positivement corrélés, ce qui déstabilise totalement la dynamique. Il est donc essentiel que la politique monétaire favorise la croissance du taux d’épargne sans risque dans la phase ascendante du cycle. Une politique contra-cyclique est absolument nécessaire (3.3.1). Cependant, l’expansion de l’épargne et la baisse, en valeur comme en volume, du portefeuille d’actions des ménages ne peuvent enrayer l’essor des cours si les émissions nettes d’actions sont négatives, ce qui se produit lorsque le coût relatif de l’emprunt augmente (conformément au modèle du MEDAF, voir supra). Dans ce cas, seule la chute des profits et de l’investissement peut mettre un terme à l’augmentation de la capitalisation boursière. Mais cette correction s’opère sous l’effet d’un ralentissement de l’activité, voire d’une récession et d’une déflation. Le cycle s’avère stable si la croissance de la masse monétaire reste positive. C’est une condition nécessaire pour que le stock de capital productif ne se contracte pas. Dans le cas contraire, le cycle diverge, or cela se produit si la réaction contre l’inflation est trop agressive (3.3.2) ou si la lutte contre le chômage est insuffisante (3.3.3).

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3.3.1. Une politique contra-cyclique est nécessaire Une brève présentation des enchaînements du cycle s’impose avant d’effectuer une étude comparée et détaillée de l’effet des différentes politiques monétaires sur les principales propriétés dynamiques du modèle. En cas de choc de demande positif, lorsque la lutte contre l’inflation est significative, les prix, les profits et l’offre de crédit augmentent simultanément. Le développement de la masse monétaire entraîne une hausse de l’investissement. C’est le principal moteur de la croissance car la consommation réelle diminue légèrement, malgré la baisse du chômage et l’augmentation des salaires nominaux. Tant que le taux de croissance des profits augmente, la rentabilité attendue des actions ( )aE R% s’élève par rapport à celle des actifs physiques. Par conséquent, la part des actions dans le portefeuille d’actifs des firmes ( AX ) monte, ce qui suscite une expansion du stock d’actions détenu par les entreprises. Les émissions nettes de titres sont négatives. Parallèlement, l’inflation et la croissance du PIB entraînent une hausse du taux d’intérêt directeur r qui se répercute quasi intégralement sur le taux bancaire br . Les ménages achètent alors davantage d’actifs sans risque au détriment de leur stock d’obligations O et d’actions mA . La hausse des taux bancaire br et obligataire Or provoque une augmentation du coût moyen pondéré de la dette i qui favorise l’achat d’actions des entreprises ( AX et eA augmentent, voir annexe, graphiques A.1 et A.2). On constate donc une relation décroissante entre la valeur du stock d’actions détenu par les ménages et celui des entreprises. La capitalisation boursière est négativement corrélée aux émissions nettes d’actions des entreprises. (En règle générale, A et eA augmentent ensemble tandis que mA diminue, sauf lorsque la lutte contre l’inflation est insignifiante, voir infra). Il existe une relation positive entre le taux de croissance des profits, le crédit et les cours. Ce constat est conforme à l’étude empirique de Borio et White (2004). Etant donné que l’investissement est une variable retardée du crédit (il s’accroît seulement lorsque l’offre de crédit est supérieure au montant du remboursement de la dette bancaire), il varie à l’inverse des cours. Sachant que les prix des biens et services augmentent généralement lorsque la création monétaire est positive (sauf en période de récession ou de stagnation prolongée, lorsque les coûts unitaires de production s’élèvent), les cours boursiers sont une variable avancée des prix. Ils évoluent systématiquement en sens opposé en période de retournement conjoncturel (sauf lorsque le coefficient de réaction du taux directeur à l’inflation est extrêmement faible, voir infra).

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Le cycle s’inverse lorsque la hausse du taux d’intérêt bancaire entraîne une baisse du crédit et de l’expansion monétaire : l’investissement progresse moins rapidement et la croissance ralentit malgré l’augmentation des salaires et de la consommation réels. La contraction de la masse monétaire provoque ensuite une récession et l’investissement s’effondre, entraînant avec lui une chute du stock d’actions des entreprises. Ainsi, les cours fléchissent. Par la suite, la déflation et la récession provoquent une diminution du taux d’intérêt bancaire et de l’épargne en faveur des actifs risqués des ménages. La réduction des taux accentue encore les ventes d’actions des entreprises, jusqu’au moment où le crédit augmente à nouveau… L’évolution des taux d’intérêt détermine l’ampleur et le rythme des fluctuations économiques ainsi que la stabilité de la dynamique. Si le coefficient de réaction de la Banque centrale à l’inflation est trop faible et si parallèlement, l’impact des cours sur la prime de risque est élevé, l’évolution du coût réel du crédit sera essentiellement dictée par la variation du prix des actifs et non par les autorités monétaires. En pareil cas, les fluctuations de l’activité seront plus volatiles et le cycle aura tendance à diverger (3.3.1.1). La lutte contre l’inflation est donc nécessaire (3.3.1.2). Il existe donc un plancher de réaction en dessous duquel la dynamique économique est instable. Cependant, il existe également un plafond que le coefficient de réaction à l’inflation ne doit pas dépasser, faute de quoi une bulle spéculative peut émerger.

3.3.1.1. Politique monétaire et accélérateur financier : la lutte contre l’inflation est nécessaire

Si êta η (la sensibilité de la prime de risque à l’évolution de la capitalisation boursière) est élevé, l’évolution des cours boursiers a un impact significatif sur le taux d’intérêt fixé par les banques puisqu’elle réduit ²fortement la prime de risque. Si parallèlement, thêta θ , le coefficient de réaction de la Banque centrale à l’inflation, est faible, la variation du prix des actions aura tendance à déterminer l’évolution du coût du crédit puisque les modifications contra-cycliques du taux directeur ne pourront pas compenser les changements pro-cycliques de la prime de risque. A l’inverse, si η est relativement faible par rapport à θ , la politique monétaire retrouve ses vertus contra-cycliques. Les simulations présentées ci-dessous montrent que si θ (la sensibilité du taux directeur à l’inflation) est inférieur à η (l’effet de la hausse des cours sur l’offre de crédit), le taux d’intérêt bancaire réel diminue en cas d’inflation, malgré la croissance des taux nominaux r et br . Par conséquent, la part de l’épargne dans la richesse des ménages BX se contracte dès que le prix des biens s’élève, si bien qu’ils achètent davantage d’actions et d’obligations. L’augmentation de la demande d’obligations entraîne une hausse de leur prix OP et une baisse du taux obligataire Or . L’évolution du taux directeur n’oriente donc plus le taux obligataire.

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En parallèle, le coût moyen pondéré de la dette i augmente malgré la baisse du taux d’intérêt obligataire Or . Cela provoque une hausse simultanée de la part des actions AX dans le bilan des firmes. En bref, si la politique monétaire est peu réactive à l’inflation, une hausse concomitante de la demande d’actions des ménages et des entreprises est possible. Le prix des actions augmente alors brutalement dès que la croissance et le prix des biens s’élèvent ; la capitalisation boursière A et les prix p évoluent sans le moindre décalage tandis que la part de l’épargne dans la richesse des ménages BX et la valeur de la capitalisation boursière A varient parfaitement en sens inverse ; le prix des actions est alors positivement corrélé au prix des obligations. Ces phénomènes révèlent l’insuffisance de la réaction de la Banque centrale à l’inflation car, en pareil cas, les cours boursiers sur-réagissent aux évolutions conjoncturelles et les amplifient. Le cycle s’inverse lorsque la hausse du coût moyen pondéré de la dette débouche sur une sévère et soudaine contraction de l’investissement qui provoque une récession et une réduction des achats d’actions des entreprises. En parallèle, la déflation entraîne une augmentation du taux d’intérêt bancaire réel qui suscite une hausse de l’épargne des ménages, au détriment de la valeur de leur stock d’actions et d’obligations.

baisse de XB

hausse de r

baisse de

br réel inflation

hausse de i

Politique monétaire très peu réactive à l’inflation et dynamique du modèle

Les flèches pleines désignent des relations positives, les flèches en pointillés représentent des relationsnégatives. L’épaisseur du trait indique l’importance relative de l’effet de causalité.

hausse du taux de

croissance

baisse de ro

Hausse de

( )aE R%

hausse de br

baisse deXo

hausse

de mA

hausse de O

hausse

( )aE R% hausse

de eAhausse de XA

hausse de A

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Politique monétaire très peu réactive à l'inflation(Choc d'offre transitoire)

80

90

100

110

120

130

140

150

160

170

0 2 4 6 8 10 12 14 16 18 20 22 24 26 28 30 32 34 36 38 40 42

indice Qindice pindice Aindice Paindice A réel indice pa réél indice po indice po réel

eta=-0,04 theta=0,38 sigmaf =-0,3 nu=-0,5 gl=0,025

Graphique III.7 : 0, 04 0, 38 0, 3 0, 45 0, 5 0, 025glη θ ς μ ν= − = = − = = − =

Sur le graphique III.7 ci-dessus, on constate que si le coefficient de réaction de la Banque centrale à l’inflation θ =0,38 est proche de la valeur absolue du coefficient de sensibilité de la prime de risque à l’évolution de la capitalisation boursière η =-0,04, le cycle de l’activité est complètement instable. La volatilité des variables financières est de plus en plus élevée car, à chaque période, elles sur-réagissent au retournement du taux d’intérêt réel et elles amplifient les fluctuations de l’économie réelle. Celles-ci provoquent une plus grande variation du coût du capital qui entraîne à nouveau un retournement plus que proportionnel du prix des actifs. La dynamique économique devient instable et divergente.

3.3.1.2. La lutte contre l’inflation est nécessaire Si par contre les autorités monétaires luttent davantage contre l’inflation et/ou l’output gap, le cycle converge car l’évolution du taux directeur compense davantage les modifications endogènes de la prime de risque. Le graphique III. 8 ci-dessous indique qu’une légère augmentation du coefficient de réaction de la Banque centrale à l’inflation θ =0,4 suffit à stabiliser le cycle. Néanmoins la volatilité des variables financières reste très importante.

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Politique monétaire trés peu réactive à l'inflation (choc d'offre transitoire)

90

95

100

105

110

115

120

1 3 5 7 9 11 13 15 17 19 21 23 25 27 29 31 33 35 37 39 41 43 45 47 49 51 53

indice Qindice pindice Aindice Paindice po

mu=0,45 êta=-0,04 theta=0,4 sigmaf =-0,3 gl=0,025

Graphique III.8 : 0, 04 0, 4 0, 3 0, 45 0, 5 0, 025glη θ ς μ ν= − = = − = = − =

Il suffit alors d’élever le coefficient de réaction de la Banque centrale à l’output gap (mu), μ =0,05 pour obtenir un cycle beaucoup plus lisse, comme le montre le graphique III.9 ci-dessous.

Politique monétaire réactive à l'inflation (choc d'offre transitoire)

90

95

100

105

110

115

1 3 5 7 9 11 13 15 17 19 21 23 25 27 29 31 33 35 37 39 41 43 45 47 49 51 53

indice Qindice pindice Aindice Paindice po

mu=0,5 theta=0,4 sigmaf =-0,3 psi=0 êta=-0,04 delta=0,5 nu=-0,5 gl=0,025

Graphique III.9 : 0, 04 0, 4 0, 3 0, 5 0, 5 0, 025glη θ ς μ ν= − = = − = = − =

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Plus l’accélérateur financier est conséquent, plus il est nécessaire de réagir contre l’inflation et l’output gap. Ainsi, lorsque l’effet du prix des actions sur la prime de risque η s’accroît en valeur absolue, le coefficient de réaction de la Banque centrale à l’inflation doit augmenter. Si par exemple, on élève η de 0,01 point en valeur absolue par rapport au cas de figure précédent, de sorte que η =-0,05, le cycle converge uniquement à partir de θ =0,55. Néanmoins, la volatilité des variables financières et réelles reste brutale. Si par contre θ =0,6, l’oscillation des variables est bien plus lisse. En bref, plus l’effet de l’évolution de la capitalisation boursière sur la prime de risque est conséquent, plus la politique monétaire doit être réactive à l’inflation et à l’output gap. Ce constat est conforme à la théorie de l’accélérateur financier selon laquelle l’impact des cours sur l’offre du crédit amplifie et aggrave les fluctuations de l’économie réelle. Dans ce contexte, la monnaie n’est pas neutre et la politique monétaire retrouve toute son efficacité. Cela justifie l’intervention contra-cyclique des autorités monétaires (Bernanke, Gertler, Gilchrist, 1998). Lorsque l’accélérateur financier est important, les autorités monétaires peuvent indifféremment cibler le prix des biens et services ou le prix des actifs puisque ceux-ci évoluent dans le même sens et dans une proportion relativement stable au cours du cycle, comme l’indique le graphique III.7. (voir infra) Cette première simulation valide les travaux de Bernanke et Gertler (1999) ainsi que ceux de Cecchetti et al. (2000) selon qui la réaction de la Banque centrale à l’inflation permet de stabiliser le cycle. Néanmoins, elle ne doit pas être trop agressive, faute de quoi le cycle peut aussi diverger. Les simulations réalisées dans la section suivante l’attestent et corroborent les travaux de Bernanke, Gertler, Gilchrist, (1998) qui estimaient que de petits mouvements contra-cycliques des taux suffisent à stabiliser le cycle, puisque leurs effets sont également amplifiés par l’accélérateur financier.

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3.3.2. Les effets néfastes d’une réaction trop agressive à l’inflation

Lorsque η (la sensibilité du crédit à la variation des cours) est relativement faible par rapport à θ (le coefficient de réaction de la Banque centrale à l’inflation), la hausse du taux directeur se répercute quasi intégralement sur le taux bancaire puisqu’elle ne peut être compensée par la baisse de la prime de risque induite par l’augmentation des cours. Une politique monétaire trop agressive peut alors enrayer la croissance de l’activité économique, tout en favorisant des émissions nettes d’actions négatives, propices à leur surévaluation. L’effet d’hystérésis de la hausse des taux mis en évidence par Fitoussi, Le Cacheux et al. (1986) peut profondément déstabiliser le cycle financier (3.3.2.1). Si la réaction à l’inflation est très importante, elle peut provoquer une contraction de la masse monétaire et une réduction du stock de capital, qui engendre une récession et une grave déflation. En pareil cas les oscillations du cycle s’amplifient car les prix sont alors affectés non seulement par les chocs de demande induits par la brutalité de la réaction contra-cyclique des autorités monétaires, mais aussi par des chocs d’offre conséquents. Il suffit alors de réduire le coefficient de réaction de la Banque centrale à l’inflation pour que le cycle converge (3.3.2.2). L’inflation par l’offre disparaît quasi totalement, l’amplitude des taux diminue en conséquence et l’inflation par la demande s’estompe sous l’effet d’une augmentation toujours plus importante des capacités de production. Cela montre à quel point la dichotomie entre les chocs d’offre et de demande est spécieuse, comme l’ont souligné Greenwald et Stiglitz (1993a). Les simulations réalisées valident l’hypothèse de l’instabilité financière de Minsky (3.3.2.3).

3.3.2.1. Effet d’hystérésis de la hausse des taux et surévaluation des cours

Si θ est élevé, la hausse du taux d’intérêt bancaire réel entraîne alors une forte augmentation de l’épargne sans risque qui accentue la hausse du taux obligataire puisque la demande d’obligations des ménages diminue davantage. Le coût moyen pondéré de la dette s’élève donc brutalement. Cela freine la croissance, ce qui limite la hausse de l’investissement et les émissions brutes d’actions. Par contre, cela encourage la croissance externe des entreprises. Les émissions nettes d’actions sont donc très largement négatives et les cours augmentent malgré la baisse de la demande de titres risqués des ménages. L’inflation des cours est alors sans commune mesure avec le taux de croissance du PIB réel. En pareil cas, la part de l’épargne dans la richesse des ménages BX et la capitalisation boursière A varient parfaitement ensemble (voir annexe, graphique A.3).

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En posant êta η =-0,04 et en fixant le coefficient de réaction de la Banque centrale au taux d’inflation thêta θ =2, le cycle réel et financier est explosif, comme le montre le graphique ci-dessous.

Politique monétaire très réactive à l'inflation(choc transitoire de demande)

80

85

90

95

100

105

110

115

0 7 14 21 28 35 42 49 56 63 70 77 84 91 98

indice Qindice pindice Aindice pa réél indice po réel

C0+10 mu=0,5 theta=2 sigmafinal =-0,3 eta=-0,04

Graphique III.10 : 00, 04 2 0, 3 0, 5 0, 5 10Cη θ ς μ ν= − = = − = = − Δ = +

hausse de XB

hausse de r

hausse de

br réel inflation

hausse de i

Politique monétaire très réactive à l’inflation et dynamique du modèle

Les flèches pleines désignent des relations positives, les flèches en pointillés représentent des relationsnégatives. L’épaisseur du trait indique l’importance relative de l’effet de causalité.

hausse de ro

hausse du taux de

croissance

Hausse de

( )aE R%

hausse de br

hausse deXo

baisse

de mA

baisse de O

hausse

( )aE R% hausse

de eAhausse de XA

hausse de A

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On constate que les oscillations prennent toujours plus d’ampleur à chaque nouvelle phase du cycle.

Politique monétaire très réactive à l'inflation(choc de demande transitoire)

90

95

100

105

110

115

0 7 14 21 28 35 42 49 56 63 70 77 84 91 98

indice Qindice pindice Crédit (vol.)indice invest (vol.)indice conso (vol.)

Co=+10 mu=0,5 theta=2Sigmafinal=-0,3 eta=-0,04

Graphique III.11 : 00, 04 2 0, 3 0, 5 0, 5 10Cη θ ς μ ν= − = = − = = − Δ = + Suite au choc de demande, la hausse du crédit favorise l’investissement et la croissance s’accélère. Cependant, les taux d’intérêt réels augmentent rapidement, freinant ainsi l’expansion de la masse monétaire. Les prix diminuent ensuite sous l’effet conjugué de la politique monétaire restrictive et de l’augmentation de la production. L’investissement progresse alors moins vite car l’offre de crédit se raréfie. La consommation réelle se redresse à nouveau, ce qui soutient la croissance mais retarde la baisse des taux. Lorsque la masse monétaire se contracte, l’investissement puis le PIB s’effondrent. La diminution des profits est telle que la réduction des taux d’intérêt réels ne peut endiguer la chute du crédit. Il arrive un moment où l’investissement ne compense même plus la dépréciation du stock de capital. La baisse de la production est telle que les licenciements et le désendettement ne permettent plus de réduire les coûts unitaires. Ceux–ci augmentent et les prix s’élèvent à nouveau malgré la contraction de la masse monétaire. Il s’agit d’une inflation par l’offre. Cette simulation valide l’approche de Fitoussi et Le Cacheux (1989) qui soulignent la nécessité de prendre en considération le coût du capital dans la modélisation de la formation des prix et l’influence des variables financières aussi bien sur l’offre globale que sur la demande. Ils estiment qu’une hausse des taux d’intérêt se répercute sur les prix, ce qui peut entraîner un déplacement de la courbe d’offre vers la gauche et détériorer les conditions de l’arbitrage entre l’inflation et le chômage. Les auteurs estiment notamment que les effets récessifs d’une hausse des taux persistent sous l’effet de la baisse relative du stock de capital productif engendrée par la diminution de l’investissement d’une part, (Fitoussi, Le Cacheux, Lecointe et Vasseur, 1986) et sous l’effet de la hausse des charges d’intérêts de la dette d’autre part. La simulation ci-dessus illustre cet « effet d’hystérésis de la hausse des taux d’intérêt.»

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En réduisant le volume de la dette, l’inflation relance l’offre de crédit et cela malgré l’augmentation immédiate des taux nominaux. Le PIB croît à nouveau au moment où la masse monétaire augmente. Le scénario antérieur se reproduit mais de façon amplifiée. En effet, les pressions inflationnistes sont plus importantes que précédemment car le stock de capital érodé est insuffisant pour satisfaire la hausse de la demande. Celle-ci est soutenue par la consommation réelle qui demeure conséquente suite à la déflation antérieure mais surtout par l’investissement qui augmente de façon fulgurante, dopé par l’abondance retrouvée du crédit réel. Celui-ci est encouragé par l’accroissement des profits nominaux lié à la hausse des prix. L’augmentation des taux doit être toujours plus importante pour enrayer la création monétaire. En cherchant à stabiliser l’inflation au-delà d’un certain seuil, la Banque centrale amplifie les ajustements en volume, ce qui paradoxalement, accroît la fluctuation des prix à la baisse comme à la hausse, puisqu’ils sont affectés à la fois par une brutale variation des capacités de production et de la demande. L’amplitude du cycle s’accroît et lamine l’influence des taux directeurs sur la variation de la masse monétaire. Au regard de ces simulations, les autorités monétaires seraient confrontées à un véritable paradoxe de l’austérité, et non à un « paradoxe de la crédibilité ». Une baisse du coefficient de réaction de la Banque centrale à l’inflation suffit alors à stabiliser le cycle, comme l’indique le graphique III.12 ci-dessous. Ceci tend à valider l’explication minskienne de la recrudescence des crises financières en régime de faible inflation.

3.3.2.2. Effet d’une politique monétaire peu réactive à l’inflation En réduisant thêta de 2 à 0,5 ; θ =0,5 ; le cycle converge rapidement. En pareil cas, un choc de demande positif entraîne une hausse durable du PIB car les fluctuations diminuent d’intensité dans le temps. Contrairement au cas précédent, l’investissement excède pratiquement toujours le montant de la dépréciation du capital. Le stock de capital ne baisse quasiment jamais (voir annexe, graphique A.5). Cela limite les tensions inflationnistes liées à l’insuffisance de l’offre qui renchérit les coûts unitaires de production. Dans le cas précédent, l’inflation coïncidait plus souvent avec une baisse de la production. Dans ce scénario, la hausse des prix survient dans la majorité des cas en période de croissance. Les pressions inflationnistes sont donc essentiellement dues à l’expansion de la demande plutôt qu’à l’insuffisance de l’offre. La hausse de la production parvient rapidement à les atténuer sans que la Banque centrale ait besoin d’intervenir. Les phases de créations monétaires sont toujours plus importantes que les phases de contraction de la masse monétaire (voir annexe, graphique A.6). Ceci explique pourquoi le cycle est stable. La hausse des taux d’intérêt n’a pas «d’effet d’hystérésis» lorsqu’elle est mesurée.

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Politique monétaire peu réactive à l'inflation(choc de demande transitoire)

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0 7 14 21 28 35 42 49 56 63 70 77 84 91 98

indice Qindice pindice pa réél indice po réel

Co=+10 mu=0,5 theta=0,5 Sigmafinal=-0,3 eta=-0,04

Graphique III.12 : 00, 04 0, 5 0, 3 0, 5 0, 5 10Cη θ ς μ ν= − = = − = = − Δ = +

Politique monétaire peu réactive à l'inflation(choc de demande transitoire)

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0 7 14 21 28 35 42 49 56 63 70 77 84 91 98

indice Qindice pindice Crédit (vol.)indice invest (vol.)indice conso (vol.)

Co=+10 mu=0,5 theta=0,5 Sigmafinal=-0,3 eta=-0,04

Graphique III.13 : 00, 04 0, 5 0, 3 0, 5 0, 5 10Cη θ ς μ ν= − = = − = = − Δ = + Sur le graphique III.13 on constate que l’évolution du crédit précède les variations de l’activité. Cela ne signifie pas que l’évolution de la masse monétaire soit exclusivement à

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l’origine des oscillations du cycle réel, comme le soutiennent les monétaristes. Au contraire, l’évolution de la masse monétaire est plutôt le produit des fluctuations de l’activité puisque l’offre de crédit est endogène et qu’elle dépend des profits anticipés et de la prime de risque qui, elle-même, évolue en fonction des anticipations de rentabilité. Le fait que le crédit soit une variable avancée du PIB n’atteste donc pas le caractère exogène de la masse monétaire, comme le pensait Friedman. Ceci valide le point de vue des post-keynésiens (Kaldor, 1970 ; Tobin, 1970) selon lesquels l’équation quantitative de la monnaie doit être lue à l’envers, en dépit des apparences. Contrairement au cas de figure précédent, il existe un décalage temporel entre les cours et la part de l’épargne dans la richesse des ménages BX . Ces deux variables évoluent plus souvent en sens inverse (voir annexe, graphique A.4). On peut l’expliquer de la façon suivante : la hausse de BX ralentit sous l’effet des pressions inflationnistes puisque le taux d’intérêt bancaire réel croît moins rapidement lorsque thêta θ est inférieur à 1. L’inflation encourage l’expansion du crédit, la hausse des cours et du PIB en volume et en valeur. Ainsi, les revenus nominaux épargnés par les ménages augmentent comme la valeur de leurs actions, si bien que leur richesse nominale s’apprécie. Lorsque cet effet est conséquent, les agents n’ont plus besoin de vendre leurs obligations pour augmenter le stock de leurs actifs sans risque. Comme la hausse du crédit entraîne une baisse des émissions d’obligations, leur prix augmente et la valeur du stock d’obligations s’élève malgré la hausse de BX . La baisse des taux obligataires entraîne alors une réduction des achats d’actions des entreprises qui provoque une diminution des cours. En bref, lorsque la politique monétaire ne bride pas trop la croissance et que l’épargne ne décourage pas la remontée des prix obligataires, les émissions nettes d’actions sont plus souvent positives que négatives (voir annexe, graphique A.7) et leur prix baisse plus rapidement. Ainsi, le taux de croissance de la capitalisation boursière a tendance à diminuer par rapport à celui du PIB. Cela prévient l’apparition d’une bulle spéculative. Il existe alors un décalage temporel plus prononcé entre le taux de croissance des cours et le taux d’inflation (voir annexe, graphiques A.8 et A.9)58. Le raisonnement est le même en cas de choc d’offre. Plus la politique monétaire est réactive à l’inflation et plus la dynamique de l’activité est divergente. La seule différence avec le cas de figure précédent, c’est que le prix des biens et services a tendance à diminuer à long terme en cas de choc d’offre, tandis qu’il a tendance à augmenter en présence d’un choc de demande. Lorsque le coefficient de réaction de la Banque centrale à l’inflation est modéré, θ =0,5, le cycle est stable et il converge rapidement, comme l’indique le graphique III.14 ci-dessous.

58 Conformément aux observations empiriques, la rentabilité effective des actions évolue à l’inverse de l’indice des prix. Cela ne signifie pas pour autant que les marchés considèrent l’inflation comme une mauvaise nouvelle – comme le prétendaient Fama et Schwert (1977) (voir première partie 1.1.3.1.) - puisqu’au contraire, la hausse des pressions inflationnistes est annonciatrice d’un regain de croissance. La relation négative entre ces deux variables résulte du décalage temporel qui existe entre l’évolution de la capitalisation boursière et l’inflation, comme l’affirme Aglietta (voir annexe, graphiques A.10 et A.11)

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Gaël Callonnec – « Politique monétaire et bulle spéculative » - Thèse IEP Paris - 2005 264

Politique monétaire peu réactive à l'inflation (choc d'offre transitoire)

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1 8 15 22 29 36 43 50 57 64 71 78 85 92 99

indice Qindice pindice Aindice Paindice po

theta=0,5 sigmaf =-0,3 gl=0,025

Graphique III.14 : 0, 04 0, 5 0, 3 0, 5 0, 5 0, 025gLη θ ς μ ν= − = = − = = − = Au contraire, lorsque la réaction de la Banque centrale à l’inflation est trop importante, θ =2,5, le cycle diverge. On peut encore constater sur le graphique ci-dessous que l’indice de la capitalisation boursière et celui du prix des actions précèdent les variations du PIB et sur-réagissent toujours de façon démesurée à ses fluctuations. Une bulle se développe en phase de croissance et le krach précède toujours le retournement de l’activité, conformément aux observations empiriques.

Politique monétaire trés réactive à l'inflation(choc d'offre transitoire)

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1 8 15 22 29 36 43 50 57 64 71 78 85 92 99

indice Qindice pindice Aindice Paindice po

theta=2,5 sigmaf =-0,3 psi=0 êta=-0,04 delta=0,5 nu=-0,5 gl=0,025

Graphique III.15 : 0, 04 2, 5 0, 3 0, 5 0, 5 0, 025gLη θ ς μ ν= − = = − = = − =

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Le raisonnement est le même en cas de hausse permanente de la population active (le taux de croissance de la population active est fixé à 1 % à chaque période) : la politique monétaire ne doit pas être trop réactive à l’inflation, faute de quoi une bulle spéculative apparaît. Le graphique III.17 illustre bien ce phénomène.

Politique monétaire peu réactive à l'inflation(Choc d'offre permanent )

0

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150

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250

300

0 7 14 21 28 35 42 49 56 63 70 77 84 91 98

indice Qindice pindice Aindice Paindice A réel indice pa réél indice po réel

mu=0,5 sigmaf=-0,3 thêta=0,5 gL=0,01

Graphique III.16 : 0, 04 0, 5 0, 3 0, 5 0, 5 0, 01gLη θ ς μ ν= − = = − = = − =

politique monétaire très réactive à l'inflation(Choc d'offre permanent)

0

100

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500

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0 7 14 21 28 35 42 49 56 63 70 77 84 91

indice Qindice pindice Aindice Paindice A réel indice pa réél indice po réel

mu=0,5 theta=2,5 sigmaf =-0,3 gl=0,01

Graphique III.17 : 0, 04 2, 5 0, 3 0, 5 0, 5 0, 01gLη θ ς μ ν= − = = − = = − =

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Gaël Callonnec – « Politique monétaire et bulle spéculative » - Thèse IEP Paris - 2005 266

Lorsque le coefficient de réaction de la Banque centrale à l’inflation est élevé, thêta θ =2,5, la croissance peine à démarrer tandis que le prix des actions et la capitalisation boursière s’envolent vers des sommets. Lorsque la bulle éclate, l’économie plonge dans une sévère récession. Ces simulations montrent clairement qu’en présence d’un mécanisme d’accélérateur financier, une politique monétaire contra-cyclique est nécessaire, faute de quoi l’épargne sans risque des ménages évolue à l’inverse du PIB, ce qui déstabilise totalement la dynamique. En pareil cas, les prix des actions et des obligations sont positivement corrélés ce qui provoque une sur-réaction considérable des variables financières aux fluctuations de l’activité. La politique monétaire doit donc être réactive à l’inflation, puisque les prix sont une variable avancée du PIB. Néanmoins, le coefficient de réaction des taux à l’inflation ne doit pas être trop important, sinon la politique monétaire peut amplifier les oscillations du cycle financier et réel. En effet, la hausse du taux directeur peut provoquer une expansion fulgurante de l’épargne sans risque, une chute du prix des obligations et une envolée brutale du taux obligataire. L’augmentation du coût de refinancement des agents peut alors être d’une telle ampleur qu’elle provoque un effondrement des profits, une chute du crédit et une contraction de la masse monétaire. Celle-ci peut entraîner une réduction des capacités de production qui se solde par une profonde récession et une déflation. En pareilles circonstances, la volatilité de l’inflation s’accroît puisqu’elle est soumise à une plus grande fluctuation de l’offre globale. Elle est également affectée par une variation plus importante de la masse monétaire et une plus forte amplitude des cours boursiers puisque les émissions nettes d’actions sont plus largement négatives lorsque le coût de refinancement des firmes est élevé par rapport à la rentabilité des immobilisations corporelles en phase ascendante et inversement. Les variables financières sur-réagissent aux fluctuations de l’activité, qu’elles amplifient en retour via le mécanisme de l’accélérateur financier. En cas de choc d’offre positif permanent, comme une augmentation continue de la population active ou une période d’innovation technologique, une politique monétaire trop réactive à l’inflation peut favoriser l’essor d’une bulle spéculative, comme l’indique le graphique III.17. Le profil obtenu est assez comparable à celle qui s’est développée aux Etats-Unis au cours des années 1990 (voir infra, graphique III.31). En revanche, lorsque le coefficient de réaction de la Banque centrale est modéré, l’amplitude du cycle réel s’estompe car la masse monétaire comme les capacités productives des entreprises ont tendance à augmenter. Ainsi les chocs d’offre inflationnistes sont plus rares tandis que l’inflation par la demande est rapidement jugulée grâce à l’augmentation de la production. En tolérant une appréciation nominale de la richesse des ménages, les autorités monétaires leur permettent d’accroître leur demande de monnaie sans pour autant réduire drastiquement leur stock d’obligations. Les taux obligataires réagissent donc moins vigoureusement aux variations du taux directeur. Ainsi, les fluctuations du coût de refinancement des firmes sont plus lisses. En réduisant le volume de la dette et les charges d’intérêt réelles et en modérant la hausse du coût du capital des entreprises, l’inflation limite les émissions nettes d’actions négatives, ce qui prévient une hausse exponentielle des cours.

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Gaël Callonnec – « Politique monétaire et bulle spéculative » - Thèse IEP Paris - 2005 267

3.3.2.3. Les simulations réalisées valident l’hypothèse de l’instabilité financière de Minsky

Le ratio des charges financières/cash flows est une variable retardée du PIB. Elle évolue mécaniquement à l’inverse du ratio crédit/émission d’obligations (voir Graphique A.14 en annexe). Ainsi, lorsque les charges augmentent, la liquidité diminue et vice versa car les entreprises ont davantage recours à l’emprunt obligataire. Cela corrobore aussi bien l’analyse de Minsky (1975) que celle de Brossard (1998), or celles-ci s’opposent sur le sens du lien de causalité existant entre ces deux variables. Brossard estime que c’est l’augmentation de la part du financement obligataire qui conduit à une hausse du ratio charges/cash flows et non l’inverse. Il pense que l’instabilité résulte d’une baisse de la préférence pour la liquidité qui permettrait aux entreprises de se re-financer à faible coût sur le marché obligataire. Ce phénomène retarderait la hausse des taux d’intérêt et favoriserait l’émergence de déséquilibres, jusqu’à ce que la raréfaction des liquidités provoque un krach. Dans cette optique, la crise résulterait d’une hausse trop tardive et brutale des taux. Pour Minsky (1975) au contraire, c’est l’augmentation du ratio charges/cash flows qui débouche sur la hausse de la part du financement obligataire. L’instabilité résulterait plutôt d’une croissance trop soutenue et trop vive du coût du capital au cours de la phase ascendante du cycle, qui inciterait les agents à privilégier l’acquisition d’actifs financiers liquides mais risqués. Le gonflement de la part des actifs financiers dans la richesse des agents provoquerait une hausse mécanique du ratio des charges financières sur la production. Cela conduirait les entreprises à accroître l’offre d’obligations. Dans cette approche, l’instabilité résulte plutôt d’une augmentation précoce des taux d’intérêt réels. Les simulations valident sans détour le point de vue de Minsky. Lorsque le cycle converge, le PIB et les taux d’intérêt évoluent parfaitement ensemble et dans le même sens. Par contre, lorsque le cycle diverge, les taux sont des variables avancées du PIB. Ce n’est donc pas le laxisme de la Banque centrale qu’il faut incriminer mais son excès de zèle.

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Gaël Callonnec – « Politique monétaire et bulle spéculative » - Thèse IEP Paris - 2005 268

PIB et taux d'intérêt (choc d'offre transitoire et politique monétaire peu réactive à l'inflation)

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6

6,5

indice Qi réel

mu=0,5 theta=0,5 sigmaf =-0,3 psi=0 êta=-0,04 delta=0,5 nu=-0,5 gl=0,025

Graphique III.18 0, 04 0, 5 0, 3 0, 5 0, 5 0, 025gLη θ ς μ ν= − = = − = = − =

PIB et taux d'intérêt (choc d'offre transitoire et politique monétaire trés réactive à l'inflation)

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1 8 15 22 29 36 43 50 57 64 71 78 85 92 99

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indice Qi réel

Graphique III.19 : 0, 04 2, 5 0, 3 0, 5 0, 5 0, 025gLη θ ς μ ν= − = = − = = − = Lorsque le cycle converge, la relation entre l’indice réel du prix des actions et les taux est négative. A l’inverse, lorsque le cycle diverge, cette relation est positive. Ceci valide le point de vue de Minsky selon qui l’instabilité provient d’une augmentation concomitante des taux, de la masse monétaire et des cours.

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Gaël Callonnec – « Politique monétaire et bulle spéculative » - Thèse IEP Paris - 2005 269

Indice du prix réel des actions et taux d'intérêt réel (politique monétaire peu réactive à l'inflation, choc d'offre transitoire)

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0

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0

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0

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0

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indice pa réél i réel

mu=0,5 theta=0,5 sigmaf =-0,3 psi=0 delta=0,5 nu=-0,5 gl=0,025

Graphique III.20 : 0, 04 0, 5 0, 3 0, 5 0, 5 0, 025gLη θ ς μ ν= − = = − = = − =

Indice du prix réel des actions et taux d'intérêt réel (politique monétaire trés réactive à l'inflation, choc d'offre transitoire)

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1 8 15 22 29 36 43 50 57 64 71 78 85 92 99

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6,5

indice pa réél i réel

mu=0,5 theta=2,5 sigmaf =-0,3 psi=0 êta=-0,04 delta=0,5 nu=-0,5 gl=0,025

Graphique III.21 : 0, 04 2, 5 0, 3 0, 5 0, 5 0, 025gLη θ ς μ ν= − = = − = = − = L’insertion de l’arbitrage des agents entre actifs financiers et actifs physiques dans un modèle AS-AD permet donc de générer des fluctuations endogènes du cycle conformes à « l’hypothèse de l’instabilité financière » de Minsky.

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Gaël Callonnec – « Politique monétaire et bulle spéculative » - Thèse IEP Paris - 2005 270

Ces simulations illustrent la pertinence des thèses néo- et post-keynésiennes selon lesquelles le caractère endogène de la masse monétaire rend toute son efficacité à la politique monétaire, même à long terme. En effet, lorsque la monnaie est endogène et que les variables financières ont à la fois un impact sur la demande et l’offre globale (Fitoussi et Le Cacheux, 1989 ; Greenwald et Stiglitz, 1993), l’investissement détermine a posteriori le montant de l’épargne nécessaire à son financement, via la variation du PIB et du crédit, et non l’inverse comme le soutenaient les classiques. Or rien n’implique que le niveau de l’activité corresponde à l’équilibre de plein-emploi car en pareil cas, la flexibilité des salaires et des prix ne permet pas de résorber le chômage puisque la baisse endogène de l’offre de monnaie peut largement compenser « l’effet Keynes » en période de déflation. Le chômage peut donc être involontaire. En effet, on ne peut plus affirmer que la courbe d’offre de long terme est une droite verticale, exclusivement déterminée par le volume de travail disponible, à partir du moment où l’offre globale dépend aussi des variables financières et que l’offre de monnaie n’est pas fixe. Les développements de la théorie néo-keynésienne ont apporté un démenti formel aux thèses de Lucas (1972, 1973).

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Gaël Callonnec – « Politique monétaire et bulle spéculative » - Thèse IEP Paris - 2005 271

3.3.3. Les moyens d’assurer la stabilité financière Si l’on admet que la courbe d’offre globale ne dépend pas seulement de la quantité de travail disponible, on ne peut plus prétendre que l’emploi résulte d’un arbitrage des ménages entre consommation et loisir (Romer, 1997). A partir du moment où l’on considère que le chômage est largement involontaire, on est en droit de se demander s’il ne serait pas opportun d’introduire le taux de chômage dans la fonction de réaction de la Banque centrale. Les simulations réalisées montrent que cette stratégie est stabilisatrice en toutes circonstances (3.3.3.1), contrairement au ciblage du prix des actifs (3.3.3.2). Elles valident le point de vue de Greenwald et Stiglitz (1993) qui soutiennent que la flexibilité des salaires aggrave l’instabilité. Elle ne peut donc pas être considérée comme un bon moyen de réduire le sous-emploi.

3.3.3.1. La lutte contre le chômage permet de stabiliser le cycle Lorsque la Banque centrale ne lutte pas contre le chômage 0ς = , la dynamique de l’activité diverge, quel que soit le coefficient de réaction à l’inflation θ retenu entre 1 et 4. La lutte contre le chômage paraît essentielle pour que la dynamique puisse converger vers l’équilibre de long terme. Plus la Banque centrale lutte contre le chômage et moins il est nécessaire de lutter contre l’inflation pour stabiliser le cycle. En posant θ =2,5 et sigma final, le cœfficient de réaction de la Banque centrale au chômage, ς =-0,3, le cycle diverge, comme le montre le graphique III.15. En posant ς =-0,5, le cycle converge même si la politique monétaire est très réactive à l’inflation θ =2,5. La lutte contre le sous-emploi atténue donc les effets récessifs de la lutte contre l’inflation, comme l’illustre le graphique III.22.

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Gaël Callonnec – « Politique monétaire et bulle spéculative » - Thèse IEP Paris - 2005 272

Politique monétaire trés réactive à l'inflation et au chômage(choc d'offre transitoire)

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1 8 15 22 29 36 43 50 57 64 71 78 85 92 99

indice Qindice pindice Aindice Paindice po

theta=2,5 sigmaf =-0,5 psi=0 êta=-0,04 delta=0,5 nu=-0,5 gl=0,025

Graphique III.22 : 0, 04 2, 5 0, 5 0, 5 0, 5 0, 025gLη θ ς μ ν= − = = − = = − = Si les autorités monétaires ciblent à la fois l’inflation, la croissance et le chômage, la réaction de la Banque centrale à l’inflation ne doit pas être trop importante, sous peine de déstabiliser la dynamique de l’activité.

• Flexibilité des salaires et stabilité du cycle de l’activité La flexibilité des salaires favorise-t’elle la stabilité du cycle de l’activité économique ? Pour répondre à cette question, il convient de supposer que la sensibilité de la variation des salaires à l’évolution du taux de chômage est faible : nu ν est fixée à -0,1 au lieu de -0,5 dans les simulations précédentes (cette nouvelle valeur est conforme aux estimations de Blanchard et Muet relatives au cas français, 1993).

[ ] 1ˆ1 tw p U wδ ν −= + + Δ Sur le graphique ci-dessous, on constate que, lorsque le salaire nominal est peu sensible à l’évolution du taux de chômage, le cycle de l’activité converge beaucoup plus rapidement que dans le cas où elle est conséquente. Cela accrédite le point de vue de Greenwald et Stiglitz (1993) selon qui, la flexibilité des prix et des salaires a tendance à amplifier les fluctuations de l’activité, lorsque la monnaie est endogène et que les variables financières ont un impact à la fois sur la demande et l’offre globale. Cela vaut aussi bien en cas de choc d’offre (graphique III.23) qu’en cas de choc de demande (graphique III.24).

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Stabilité du cycle et rigidité relative des salaires nominaux(choc d'offre transitoire)

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1 8 15 22 29 36 43 50 57 64 71 78 85 92 99

indice Qindice pindice Aindice Paindice po indice conso (vol.)indice salaire réel

theta=0,5 sigmaf =-0,3 psi=0 êta=-0,04 delta=0,5 nu=-0,1 gl=0,025

Graphique III.23 : 0, 04 0, 5 0, 5 0, 5 0,1 0, 025gLη θ ς μ ν= − = = − = = − = Les fluctuations de l’activité convergent beaucoup plus rapidement lorsque nu ν est fixée à -0,1 (graphique III.23) au lieu de -0,5 (graphique III.14). (Voir aussi annexe, graphiques A.12 et A.13)

Stabilité du cycle et rigidité des salaires nominaux (choc de demande transitoire)

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1 8 15 22 29 36 43 50 57 64 71 78 85 92 99

indice Qindice pindice Aindice Paindice po indice conso vol.indice salaire réel

mu=0,5 theta=0,5 sigmaf =-0,3 psi=0 êta=-0,04 delta=0,5 nu=-0,1 Co=+10

Graphique III.24 : 00, 04 0, 5 0, 5 0, 5 0,1 10Cη θ ς μ ν= − = = − = = − Δ = + Les fluctuations représentées sur le graphique III.24 convergent plus rapidement que celles du graphique III.12.

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Selon « l’effet Keynes », la flexibilité des salaires et des prix est théoriquement susceptible de rétablir l’équilibre de plein-emploi puisqu’elle entraîne une hausse de la masse monétaire réelle lorsque l’offre de monnaie demeure inchangée. Pigou (1941, 1943) estimait par conséquent que la théorie keynésienne n’était valable que dans deux cas particuliers : l’existence d’une trappe à liquidité et l’inélasticité de l’investissement aux variations du taux d’intérêt. Lorsque l’offre de monnaie est endogène et pro-cyclique, la baisse de l’offre de crédit et la hausse des taux d’intérêt réels (« effet Mundell ») peuvent contrebalancer « l’effet Keynes » et « l’effet d’encaisses réelles » de Patinkin (1956). La flexibilité des prix et des salaires peut alors aggraver la récession. La réduction des salaires nominaux peut entraîner une chute de la consommation et de la demande globale si les profits ne sont pas entièrement redistribués aux ménages et si les entreprises profitent de l’augmentation de leur taux de marge pour se désendetter. En pareil cas, la masse monétaire se contracte et la crise est aggravée. Cela valide le point de vue de Keynes (1936) qui estimait que la déflation peut avoir un impact négatif sur la consommation et la demande globale en bouleversant la répartition des revenus. Lorsqu’on admet que les prix sont fixés en fonction des coûts unitaires de production, et pas seulement en fonction des seuls coûts du travail, et que l’on suppose par ailleurs que les entreprises ne redistribuent pas la totalité de leurs résultats aux ménages, la flexibilité des salaires déstabilise le cycle. Cette simulation montre à quel point l’hypothèse simplificatrice retenue par Friedman (1968) et Lucas (1972) selon laquelle les entreprises fixeraient leurs prix en fonction des seuls coûts unitaires du travail, s’avère extrêmement réductrice. Non seulement ce genre de spécification confère aux salaires une importance démesurée dans l’explication des fluctuations de l’activité, mais elle débouche sur des recommandations de politique économique erronées.

3.3.3.2. Ciblage du prix des actifs et stabilité du cycle de l’activité Malgré le décalage temporel qui existe entre l’inflation et les cours boursiers, le ciblage du prix des actions a quasiment les mêmes effets qu’un renforcement de la lutte contre l’inflation. Lorsque le coefficient de réaction de la Banque centrale à l’inflation θ n’est pas trop faible compte tenu de l’importance de l’effet d’accélérateur financier (mesuré par η ), la prise en compte du prix des actifs provoque ou accentue la divergence du cycle dans tous les cas de figure. Une réaction au prix des actifs est stabilisatrice uniquement lorsque l’accélérateur financier est conséquent et que la réaction de la Banque centrale à l’inflation est trop faible. Néanmoins, elle doit être extrêmement mesurée. Les simulations réalisées montrent que l’introduction du prix des actions dans la fonction de réaction de la Banque centrale doit être très largement compensée par une baisse du coefficient de réaction à l’inflation. Lorsque le cœfficient de réaction de la Banque centrale à l’inflation est relativement faible par rapport à l’accélérateur financier θ =0,35< 0,04η = − , l’introduction du prix des actions dans la règle de Taylor permet de stabiliser le cycle (graphique III.25), alors que celui–ci divergeait dans le cas contraire (voir graphique III.7).

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On teste la règle de Taylor augmentée suivante : ( )ˆ ˆˆ A

o or r p Q U u Pθ μ ς ψ= + + + − +

Politique monétaire trés peu réactive à l'inflation mais réactive au prix des actions (choc d'offre transitoire)

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1 3 5 7 9 11 13 15 17 19 21 23 25 27 29 31 33 35 37 39 41 43 45 47 49 51 53

indice Qindice pindice Aindice Paindice po

theta=0,35 sigmaf =-0,3 psi=0,05 êta=-0,04 delta=0,5 nu=-0,5 gl=0,025

Graphique III.25 : 00, 04 0, 35 0, 5 0, 5 0, 05 0, 5 10Cη θ ς μ ψ ν= − = = − = = = − Δ = + Dans tous les autres cas, lorsque la lutte contre l’inflation est conséquente, l’introduction du prix des actions dans la fonction de réaction de la Banque centrale est déstabilisatrice, que ce soit en cas de choc d’offre ou de demande. En cas de choc d’offre transitoire, le ciblage du prix des actifs 0,1ψ = (cette valeur est celle retenue par Bernanke et Gertler, 1999) déstabilise le cycle lorsque le coefficient de réaction de la Banque centrale à l’inflation θ =0,5 et le cœfficient de réaction de la Banque centrale au chômage ς =-0,3 ont été fixés à des valeurs qui permettent au cycle de converger. Le cycle représenté par le graphique III.26 est instable alors qu’il serait resté stable si 0ψ = (voir graphique III.14).

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Politique monétaire peu réactive à l'inflation mais réactive au prix des actions (choc d'offre transitoire)

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indice Qindice pindice Aindice Paindice po

theta=0,5 sigmaf =-0,3 psi=0,1 phi maj=0,5 gl=0,025

Graphique III.26 : 0, 04 0, 5 0, 3 0, 5 0,1 0, 5 0, 025gLη θ ς μ ψ ν= − = = − = = = − = Le ciblage du prix des actifs aggrave l’instabilité lorsque le coefficient de réaction de la Banque centrale à l’inflation est trop élevé θ =2 et que le cœfficient de réaction de la Banque centrale au chômage ς =-0,3 est modéré.

Politique monétaire très réactive à l'inflation et réactive au prix des actions (choc d'offre transitoire)

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indice Qindice pindice Aindice Paindice pa réél indice po

theta=2 sigmaf =-0,3 psi=0,1 phi maj=0,5 gl=0,025

Graphique III.27 : 0, 04 2 0, 3 0, 5 0,1 0, 5 0, 025gLη θ ς μ ψ ν= − = = − = = = − =

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Le raisonnement reste valable en cas de choc de demande, comme le montrent les graphiques suivants.

Politique monétaire très réactive à l'inflation et au prix des actions (choc de demande provisoire)

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1 8 15 22 29 36 43 50 57 64 71 78 85 92 99

indice Qindice pindice Aindice Paindice pa réél indice po

theta=2 sigmaf =-0,3 psi=0,1 phi maj=0,5 C0+10

Graphique III.28 : 00, 04 2 0, 3 0, 5 0,1 0, 5 10Cη θ ς μ ψ ν= − = = − = = = − Δ = + Le cycle du graphique III.28 est plus instable que celui du graphique III.10 où 0ψ = .

Politique monétaire peu réactive à l'inflation et réactive au prix des actions (choc de demande transitoire)

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1 8 15 22 29 36 43 50 57 64 71 78 85 92 99

indice Qindice pindice Aindice Paindice po

theta=0,5 sigmaf =-0,3 psi=0,1 phi maj=0,5 C0+10

Graphique III.29 : 00, 04 0, 5 0, 3 0, 5 0,1 0, 5 10Cη θ ς μ ψ ν= − = = − = = = − Δ = + Le cycle du graphique III.29 est plus instable que celui du graphique III.12 où 0ψ = .

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Conclusion de la troisième partie Au regard de ces simulations, il semble extrêmement périlleux d’introduire le prix des actifs dans la fonction de réaction des banques centrales. Cependant, les autorités monétaires doivent prendre en considération leur évolution afin de calibrer correctement leur réaction au chômage, à l’output gap et à l’inflation. En effet, l’apparition d’une distorsion manifeste et prolongée du prix relatif des actions par rapport au prix des biens est annonciatrice d’une sévère récession ultérieure. Elle est la manifestation d’une sur-réaction à l’inflation et d’une sous-réaction au chômage. L’évolution des cours ne peut donc être ignorée car c’est le meilleur indicateur de l’efficience de la politique monétaire. Ce modèle permet d’identifier un faisceau d’indices susceptibles de révéler l’émergence d’une bulle spéculative : - si la part des actifs sans risque dans la richesse des ménages BX évolue exactement et instantanément dans le même sens que la capitalisation boursière, - si le coût moyen pondéré de la dette bancaire et obligataire est une variable avancée du PIB, - s’il évolue instantanément dans le même sens que la capitalisation boursière, - si le ratio des charges financières sur la production augmente sensiblement, - si le taux de croissance des cours boursiers évolue sans grand décalage avec l’inflation, - si les émissions nettes d’actions sont négatives malgré un Q de Tobin supérieur à l’unité; - si enfin, les taux de croissance des cours et du crédit sont supérieurs à leur tendance historique, conformément aux études de Borio et Lowe, alors, les analystes financiers et les conjoncturistes devraient présumer l’apparition d’une bulle. La Banque centrale devrait aussitôt, soit réduire son coefficient de réaction à l’inflation, soit lutter davantage contre le chômage s’il est conséquent. En cas de chocs persistants ou répétés, il est difficile d’identifier empiriquement des relations stables et robustes entre les variables des trois premières relations listées ci-dessus. Il n’est donc pas facile d’interpréter leur évolution. Cependant Aglietta et al. (2005) ont constaté une augmentation simultanée du taux des obligations d’Etat à long terme et de l’indice S&P 500 à partir de 1998. Toutefois, les autres critères sont encore plus manifestes, comme l’indiquent les faits stylisés américains entre 1995 et 2000. Le ratio des charges financières nettes sur la production et le ratio des charges financières sur le capital productif ont augmenté à partir de 1996 aux Etats-Unis. Cette croissance s’explique à la fois par la hausse du taux directeur et par l’augmentation relative des investissements financiers réalisés par les entreprises par rapport à leurs investissements productifs.

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Gaël Callonnec – « Politique monétaire et bulle spéculative » - Thèse IEP Paris - 2005 279

charges financières nettes/production(secteur non financier aux Etats-Unis)

0

0,01

0,02

0,03

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0,05

0,06

1970

1971

1972

1973

1974

1975

1976

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1978

1979

1980

1981

1982

1983

1984

1985

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1987

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1989

1990

1991

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1993

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1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

Graphique III.30 : source BEA, NIPA 2004 En effet, les émissions nettes d’actions ont été négatives sur la période, malgré un Q de Tobin supérieur à l’unité.

Q de Tobin et émissions nettes d'actions aux Etats-Unis

0,6

0,8

1

1,2

1,4

1,6

1,8

DATES

1953

02

1954

04

1956

02

1957

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1959

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1962

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1965

02

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02

1969

04

1971

02

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04

1986

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02

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04

2001

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-400

-300

-200

-100

0

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200

Q de Tobin émissions nettes d'actions NFI (échelle inversée)

Graphique III.31. Source : Fed. FOF 2003.

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Gaël Callonnec – « Politique monétaire et bulle spéculative » - Thèse IEP Paris - 2005 280

Le modèle présenté ci-dessus permet de comprendre ce phénomène contraire à la théorie de Kahn (1972). Cet auteur a montré que lorsque les marchés sont efficients, le Q de Tobin est supérieur à l’unité lorsque la Valeur Actuelle Nette de l’investissement physique est positive, c'est-à-dire lorsque la rentabilité effective du capital productif est supérieure à la rentabilité exigée sur les marchés boursiers. Dans ces circonstances, les entreprises ont intérêt à émettre des actions pour acquérir de nouvelles immobilisations corporelles, puisqu’elles devraient être valorisées à une somme supérieure à leur coût d’acquisition. De ce point de vue, les entreprises ne devraient pas acheter d’actions lorsque le Q de Tobin est supérieur à 1. Le graphique III.31 valide la théorie de Kahn jusqu’en 1995, les émissions nettes d’actions étaient négatives lorsque le Q de Tobin étaient inférieur à 1 et inversement, sauf à partir de cette date. Empiriquement, il apparaît que l’inflation est une variable retardée du taux de croissance de la capitalisation boursière si bien qu’en règle générale, la relation entre ces deux variables est plutôt négative. Le taux de croissance des cours est d’autant plus élevé que l’inflation est faible. Or à partir du milieu des années 90, les cours et les prix ont évolué durablement dans le même sens. Ce phénomène coïncide avec l’apparition des émissions nettes d’actions négatives, l’augmentation du ratio des charges financières sur la production et le développement de la bulle, conformément aux simulations générées par le modèle, lorsque la politique monétaire est trop réactive à l’inflation.

taux de croissance réel de la capitalisation boursière et taux d'inflation (secteur non financier aux Etats-Unis)

-0,005

0

0,005

0,01

0,015

0,02

0,025

0,03

0,035

0,04

1959

01

1960

02

1961

03

1962

04

1964

01

1965

02

1966

03

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04

1969

01

1970

02

1971

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1974

01

1975

02

1976

03

1977

04

1979

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1980

02

1981

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1982

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1984

01

1985

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1986

03

1987

04

1989

01

1990

02

1991

03

1992

04

1994

01

1995

02

1996

03

1997

04

1999

01

2000

02

2001

03

2002

04

taux de croissance trimestriel en rythme annuel de la capitalisation boursière réelle

taux d'inflation trimestriel en rythme annuel (calculé avec le déflateur du PIB NFI)

Graphique III.32 : source Fed. FOF 2004. Un rapide examen des données empiriques américaines sur la période 1995-2000 montre à quel point la dynamique des émissions nettes d’actions et des taux exerce un effet primordial sur la stabilité du cycle financier. Les autorités monétaires ne doivent plus seulement se polariser sur les moyens de lisser les fluctuations de la demande globale. Elles doivent également prendre sérieusement en considération l’impact de la variation des taux à la fois sur

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Gaël Callonnec – « Politique monétaire et bulle spéculative » - Thèse IEP Paris - 2005 281

l’offre globale et sur les modalités de l’arbitrage des agents entre actifs, sous peine d’aggraver l’amplitude du cycle réel et la volatilité des prix. Les simulations réalisées mettent en évidence la complémentarité qui existe entre « l’hypothèse d’instabilité financière de Minsky » et « l’effet d’hystérésis de la hausse des taux d’intérêt» mis en évidence par Fitoussi et Le Cacheux (1989). Ceux-ci ont tout simplement fait valoir qu’un relèvement des taux d’intérêt entraîne une augmentation des coûts de production, que les entreprises répercutent sur leurs prix. Par conséquent les conditions de l’arbitrage entre l’inflation et le chômage se dégradent puisque la courbe d’offre globale se déplace vers la gauche. Les résultats montrent que si le coefficient de réaction à l’inflation est trop élevé, cela se traduit par une hausse du ratio de la création monétaire sur l’investissement corporel, d’abord parce que l’offre de crédit permet tout juste d’assurer le renouvellement du stock de capital productif (Fitoussi et al., 1986), ensuite parce que la part des investissements financiers s’élève sous l’effet d’une augmentation de la préférence pour la liquidité et le risque, ce qui souligne la pertinence du raisonnement de Minsky. Par conséquent la croissance devient toujours plus inflationniste à chaque reprise. Notons qu’il s’agit davantage d’une inflation provoquée par une insuffisance de l’offre, que d’une inflation suscitée par un développement de la demande. Sachant que le crédit dépend positivement de l’inflation (qui réduit le volume de la dette) et qu’il alimente la spéculation, la spirale crédit/prix des actifs est toujours plus conséquente sous l’effet de l’accélération des prix. Ainsi, les variables financières sur-réagissent davantage aux variables réelles et l’amplitude du cycle s’accroît à chaque phase. Ainsi, paradoxalement, la Banque centrale aggrave la volatilité des prix en voulant éradiquer l’inflation. En modélisant l’effet des variables financières sur l’offre de crédit, l’investissement et la production, il est donc possible de montrer, à l’instar de Foley (1989), Keen (1996) ainsi que Fitoussi et Le Cacheux (1989), que les autorités monétaires peuvent être confrontées à un véritable paradoxe de l’austérité, sans qu’il soit question de crédibilité. La seule façon d’y remédier serait de modérer la réaction des taux à l’inflation et de cibler un taux de chômage frictionnel.

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Gaël Callonnec – « Politique monétaire et bulle spéculative » - Thèse IEP Paris - 2005 282

Conclusion générale

L’introduction dans un modèle AS-AD de l’arbitrage rentabilité-risque que les entreprises effectuent entre investissements physiques et investissements financiers, permet de générer des fluctuations endogènes du cycle de l’activité conformes à l’hypothèse d’instabilité financière de Minsky (1975). Ce modèle permet d’expliquer la recrudescence des crises financières que l’on observe depuis la disparition quasi générale des pressions inflationnistes. Les simulations réalisées invalident totalement l’hypothèse d’un « paradoxe de la crédibilité » et l’idée selon laquelle l’instabilité financière serait le fruit de la permissivité de la Banque centrale à l’égard des pressions inflationnistes latentes. Au contraire, elles montrent qu’une politique monétaire trop vigoureusement anti-inflationniste peut totalement déstabiliser le cycle de l’activité et aggraver la volatilité des variables financières. D’une manière générale, la hausse du taux directeur entraîne une augmentation de la part de l’épargne sans risque dans la richesse des ménages, au détriment de l’ensemble de leurs titres, actions et obligations confondues. Toutes choses égales par ailleurs, cela provoque une baisse de leur prix. Cependant, ceci débouche sur une augmentation concomitante du taux obligataire, tandis que la hausse du taux directeur se répercute sur le taux d’intérêt bancaire, si bien que le coût moyen pondéré de la dette augmente. Cela suscite un gonflement de la part des actions dans la combinaison optimale des firmes au détriment de la part du capital physique. Par conséquent, la demande d’actions des entreprises s’élève, ce qui favorise la hausse de leur prix. Il n’est donc pas évident qu’une augmentation du taux directeur puisse contenir le développement de la capitalisation boursière. Elle peut au contraire provoquer son essor en encourageant la croissance externe des entreprises ou en favorisant leurs placements financiers. Or, si les émissions nettes d’actions deviennent négatives, la hausse de l’épargne sans risque et la réduction de la demande d’actions des ménages ne peuvent enrayer l’envolée des cours. Dans ce cas, la baisse du prix des actions se produit uniquement lorsque la chute de la rentabilité du capital provoque un effondrement de l’offre de crédit. Celui-ci entraîne une baisse des prix, un effondrement de l’investissement et une récession d’autant plus importante que l’effet d’accélérateur financier est élevé. Si au cours de la phase de retournement, la masse monétaire se contracte et que le volume du capital productif diminue, l’amplitude des fluctuations cycliques de l’activité s’aggrave et le cycle diverge sous « l’effet d’hystérésis de la hausse des taux d’intérêt» (Fitoussi et Le Cacheux, 1989). L’augmentation du ratio des charges financières sur le PIB finit par engendrer une hausse des coûts unitaires de production malgré la baisse des salaires nominaux et les licenciements. L’offre globale diminue au cours du processus de désendettement, de sorte que la flexibilité des prix ne permet pas de restaurer l’équilibre de plein-emploi. « L’effet Keynes » est totalement compensé par « l’effet Mundell-Tobin ». La déflation ne provoque pas d’augmentation des encaisses réelles puisque la masse monétaire est réduite.

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Dans ce contexte, la reprise s’opère essentiellement sous l’effet d’un regain de pressions inflationnistes engendré par le choc d’offre négatif antérieur. En réduisant le volume de la dette, l’inflation induit un développement de l’offre de crédit qui débouche sur un retour à la croissance. Mais celle-ci est plus inflationniste que précédemment puisque les capacités de production ont été restreintes. En bref, l’agressivité de la politique monétaire dégrade toujours un peu plus les conditions de l’arbitrage inflation-chômage de sorte que les fluctuations de l’activité s’amplifient. En effet, si le coefficient de réaction des taux à l’inflation est supérieur à l’unité, l’accélération progressive des prix suscite une hausse toujours plus importante des taux d’intérêt réels par rapport à la croissance. Cela favorise l’augmentation de la part des actions dans le bilan des entreprises qui amplifie l’effet d’accélérateur financier et la spirale crédit-prix des actifs. On peut ainsi concevoir qu’une politique monétaire vigoureusement anti-inflationniste favorise l’émergence d’une bulle spéculative. Ce scénario peut expliquer la coïncidence entre l’apparition d’une surévaluation des cours et la mise en place d’une politique anti-inflationniste aux Etats-Unis. La lutte contre l’inflation permet également de comprendre la concomitance entre un Q de Tobin très supérieur à 1 et des émissions nettes d’actions négatives à partir de 1995. Le taux d’inflation du secteur non financier aux Etats-Unis est passé sous la barre des 2 % en 1993 puis il est resté inférieur à 1 % entre 1995 et 2000. Au cours de cette période, le taux directeur réel a plus que quadruplé pour osciller entre 4 et 5 %. Mais manifestement, la lutte contre l’inflation n’a pas permis de prévenir la surévaluation des actions puisque la capitalisation boursière du secteur a été multipliée par trois entre 1993 et 1999. En fait, la hausse des taux directeurs réels a bridé la croissance interne des entreprises. Les émissions nettes d’actions négatives ont atteint des niveaux record au moment où l’inflation du secteur était la plus faible et où les taux réels étaient les plus élevés. Cela a provoqué une envolée des cours et une hausse du Q de Tobin. En cas de mimétisme, la meilleure manière de pallier une hausse cumulative des cours serait de laisser filer les pressions inflationnistes. En effet, l’inflation réduit le volume de la dette et favorise l’investissement corporel. Elle encourage ainsi les émissions nettes d’actions. L’inflation permet une hausse de la valeur de la richesse des ménages, si bien que le stock d’actifs sans risque peut croître sans provoquer une hausse trop importante des taux d’intérêt obligataires qui encouragerait les achats d’actions des entreprises. En bref, l’offre d’actions augmente sous l’effet des pressions inflationnistes tandis que la demande croît moins rapidement, voire diminue, ce qui permet de juguler la hausse des cours. La baisse relative de la valeur de marché des actions, qui exerce un effet négatif sur l’offre de crédit, et l’augmentation des capacités de production peuvent ensuite calmer la hausse des prix sans que la Banque centrale ait nécessairement besoin d’intervenir. Cela dit, cette approche ne renie pas pour autant la nécessité de lutter contre l’inflation. La politique monétaire doit nécessairement prendre en compte l’évolution des prix car celle-ci a une influence déterminante sur la variation de l’offre de crédit qui est au cœur de la dynamique du système. Pour assurer la stabilité de l’activité économique, le coefficient de réaction des taux à l’inflation doit être d’autant plus élevé que l’effet d’accélérateur financier est important. Mais comme ce dernier amplifie également l’impact contra-cyclique des décisions de politique monétaire, la réaction de la Banque centrale à l’inflation ne doit pas être trop agressive. Ces conclusions valident les travaux de Bernanke, Gertler et Gilchrist (1998). En fait, le coefficient optimal de réaction du taux à l’inflation est compris entre un

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seuil et un plafond que les autorités monétaires ne doivent pas dépasser, sous peine de déstabiliser le cycle et de favoriser une bulle spéculative. Jusqu’ici, les chercheurs ont tout simplement négligé la question de l’existence d’un éventuel plafond (Bernanke, Gertler et Gilchrist (1998) ne lui ont consacré que deux lignes, relativement évasives, à la fin de leur article). Le contexte historique peut expliquer cette lacune. La baisse tendancielle des taux nominaux au cours de la décennie 1990 a entretenu l’illusion d’une politique monétaire complaisante de sorte que la plupart des économistes ont imputé la recrudescence des crises financières au laxisme de la Banque centrale, malgré l’éradication des pressions inflationnistes. De nombreux économistes ont alors suggéré que la Banque centrale réagisse à l’évolution des cours boursiers – sans pour autant les cibler – de manière à juguler les pressions inflationnistes latentes, occasionnées par l’envolée des prix des actifs financiers. De leur point de vue, il s’agissait du meilleur moyen de s’assurer que la réaction des taux à l’inflation latente soit supérieure au seuil minimal requis pour promouvoir la stabilité financière et réelle. A cet égard, les simulations du modèle confirment effectivement que la réaction de la Banque centrale aux variations des indices boursiers équivaut à une politique ultra agressive menée contre les pressions inflationnistes anticipées. Elle est efficace seulement lorsque l’effet d’accélérateur financier est élevé et que le coefficient de réaction des taux à l’inflation est quasi insignifiant. Dans tous les autres cas de figure, la réaction de la Banque centrale au prix des actions est déstabilisatrice. Parmi les économistes qui se sont penchés sur la question de l’introduction du prix des actifs dans la fonction de réaction des banques centrales, personne ne s’est demandé si la lutte contre l’inflation était trop vigoureuse. Personne n’a songé à discuter le principe de Schwartz, malgré la fragilité de ses fondements théoriques et empiriques, exposés en première et en deuxième partie. L’hypothèse d’un éventuel « paradoxe de la crédibilité » n’a été formulée a posteriori que pour préserver le consensus qui régnait sur la question, dont l’origine remonte aux théories des monétaristes et des nouveaux classiques. Et pour cause, si l’on suppose implicitement qu’une augmentation du PIB générée par une politique monétaire expansive équivaut à une perte d’utilité des agents et que les marchés tendent spontanément vers l’équilibre de plein-emploi, il est bien évident que la seule politique monétaire qui vaille ne doit pas être seulement contra-cyclique, elle doit être franchement anti-cyclique puisque chaque déviation du PIB (ou du taux de croissance du PIB par rapport à son potentiel), même positive, est jugée néfaste. Voilà pourquoi il ne leur est même pas venu à l’idée que la politique monétaire puisse être trop restrictive. Or, les tenants du « paradoxe de la crédibilité » ne se sont jamais véritablement attardés sur la contradiction théorique fondamentale qui existe entre le caractère endogène de l’offre de monnaie, induit par l’accélérateur financier, et l’hypothèse d’une substitution inter-temporelle du travail. Pourtant, Greenwald et Stiglitz (1993) ont montré que si la création monétaire est endogène et que les variables financières ont à la fois un impact sur la demande et l’offre globale, la politique monétaire est efficace, tandis que la flexibilité des prix et des salaires ne peut assurer spontanément l’équilibre de plein-emploi. Dans ces circonstances, il n’est plus possible de supposer que le chômage soit volontaire. Cela remet totalement en cause les théories des nouveaux classiques qui s’appuient sur une courbe d’offre verticale à long terme en postulant l’existence d’un arbitrage travail-loisir.

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Si l’on considère, au contraire, que le chômage est involontaire et que les autorités monétaires peuvent mettre en œuvre une politique expansive sans nuire à l’utilité des agents, il est opportun d’introduire une cible de taux de chômage dans la fonction de réaction des banques centrales. Cela est d’autant plus justifié qu’il est difficile de calculer le taux de croissance potentiel du PIB à long terme et de mesurer l’output gap lorsque la monnaie est endogène et que les variables financières affectent l’offre globale et la productivité des facteurs. A cet égard, le taux de chômage reste la seule mesure pertinente, tangible et immédiatement observable des déséquilibres réels. En se polarisant sur l’évolution de l’emploi, la Banque centrale est sûre de mener une politique contra-cyclique en toutes circonstances, ce qui n’est pas le cas lorsqu’elle se focalise exclusivement sur l’indice des prix puisque l’inflation résulte aussi bien d’un recul de l’offre que d’une augmentation de la demande. Selon les simulations réalisées, la lutte contre le chômage est une manière très efficace de prévenir l’apparition d’une bulle spéculative. Cela dit, la Banque centrale devrait impérativement cibler un taux de chômage frictionnel et non un taux de chômage naturel qui serait évalué en fonction des rigidités existantes ou supposées du marché du travail. Et pour cause : lorsqu’on introduit une offre de crédit endogène et un mécanisme d’accélérateur financier dans un modèle AS-AD, avec prix et salaires flexibles, lorsque la fonction de production dépend du capital, que son coût est affecté par les variables financières et que l’existence d’un chômage involontaire n’est pas exclue a priori par la modélisation d’un arbitrage travail-loisir, alors on peut montrer, à l’instar de Greenwald et Stiglitz (1993), que loin d’être un obstacle au plein-emploi, une relative rigidité des salaires peut au contraire endiguer l’apparition d’une spirale récessive cumulative. De ce point de vue, il ne faut pas considérer que le taux de chômage incompressible dépend négativement de la flexibilité des prix, ni qu’il augmente avec le degré de protection sociale. Dans cette optique, la notion de « chômage naturel » peut sembler douteuse. Elle conduirait systématiquement la Banque centrale à surévaluer le niveau de chômage en dessous duquel pourrait se manifester une forme de surchauffe. Cela l’inciterait paradoxalement à limiter la baisse du sous-emploi. Depuis la remise en cause des modèles monétaristes et nouveaux classiques par les néo- et les post-keynésiens, le souci de préserver la stabilité financière est devenu l’ultime justification de la lutte contre l’inflation qui fasse l’objet d’une unanimité. Les simulations réalisées en troisième partie légitiment d’ailleurs ce consensus. Mais la notion de stabilité des prix doit être appréciée de manière relative, elle ne doit pas être confondue avec la rigidité des prix. Dès que l’on admet qu’en situation d’asymétrie d’information, la politique monétaire n’est pas neutre et que le chômage peut être involontaire, il est aberrant de cibler un taux d’inflation nul. De légères pressions inflationnistes ne peuvent être considérées comme une atteinte au bien-être si elles ont pour corollaire une augmentation durable du PIB en volume et une baisse du sous-emploi. La politique monétaire doit être contra-cyclique, c’est-à-dire qu’elle doit lisser les fluctuations du taux de croissance autour d’une tendance positive de manière à juguler le chômage. Elle ne doit pas chercher à éradiquer le cycle, sous peine de provoquer une relative stagnation de l’activité et une aggravation de la volatilité des variables financières. Pour être exact, il vaudrait mieux recommander une relative stabilité de l’inflation plutôt qu’une illusoire stabilité des prix. Tout cela accrédite l’analyse de Michel Aglietta (1993), selon qui « la règle de stabilité des prix des biens et services année après année peut renforcer l’amplitude du cycle en finance libéralisée ».

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L’expérience des années 1980-1990 a validé le point de vue de Keynes, selon qui l’interaction entre la variation du prix des actifs et le crédit détermine la dynamique économique lorsque la finance est déréglementée. Il s’ensuit, note Aglietta « que le prix des biens et services sont des variables retardées par rapport au cycle des prix d’actifs et du crédit. Un endettement excessif, en ce sens qu’il est motivé par le financement de hausses non soutenables à long terme des prix des actifs patrimoniaux, peut se développer avant que des tensions ne se manifestent sur le marché des biens et des services. Ces tensions peuvent aussi ne pas se voir sur les agrégats monétaires, à cause des substitutions entre les dépôts bancaires et les placements de marché. Dans ces conditions, la non prise en compte des prix des actifs dans le niveau général des prix sous-estime l’inflation dans la phase expansive du crédit et la déflation dans la phase récessive. » La recherche d’une stabilité des prix est incompatible avec le caractère intrinsèquement cyclique d’une économie de marché financier libéralisé. Dans ce cadre, il ne faut pas assimiler une hausse conjoncturelle des prix à de l’inflation puisque l’ajustement financier provoquera une baisse ultérieure. « Il s’ensuit que l’ancrage nominal doit se définir par la stabilité tendancielle des prix » affirme Aglietta. Pour y parvenir, il préconise que la Banque centrale ait pour objectif intermédiaire la stabilité du taux d’intérêt à long terme, puisqu’il s’agit d’une « représentation du jugement collectif des marchés financiers » qui évolue de manière régulière sans grande volatilité. Reste à déterminer quelle cible d’inflation et quel coefficient de réaction la Banque centrale doit adopter. Les autorités monétaires devraient théoriquement déterminer leur choix en fonction des modalités d’arbitrage existantes à court terme entre l’inflation et le chômage, compte tenu de l’effet que pourrait avoir une éventuelle modification de la politique monétaire sur la courbe de Phillips (Fitoussi et Le Cacheux, 1989). Elles devraient ensuite revoir systématiquement à la baisse leur degré de réaction à l’inflation si elles présument l’émergence d’une surévaluation des cours, sur la base d’un faisceau d’indice comprenant notamment : une hausse tendancielle prolongée anormalement élevée du prix des actions et de l’offre de crédit, des émissions nettes d’actions négatives malgré un Q de Tobin supérieur à l’unité ainsi qu’une relation positive entre l’inflation du prix des biens et celle des actions. De ce point de vue, il semblerait qu’une cible d’inflation inférieure à 2 % soit trop faible et qu’un coefficient de réaction des taux à l’inflation supérieur ou égal à 2, comme aux Etats-Unis, soit beaucoup trop élevé. Puisque la majorité quasi unanime des économistes considère que la politique monétaire n’est pas neutre et que les marchés ne tendent pas spontanément vers l’équilibre de plein-emploi, il serait judicieux d’assigner à la Banque centrale la mission explicite de réduire le chômage sans se focaliser exclusivement sur la stabilité des prix. Puisque les décisions des autorités monétaires affectent le bien-être des agents à court terme comme à long terme, et que les choix opérés lors de l’arbitrage entre inflation et chômage sont éminemment politiques, il serait opportun, voire même essentiel, de remettre en cause l’indépendance totale de la Banque Centrale Européenne, comme le recommande Jean-Paul Fitoussi (2004). On peut également concevoir un certain nombre de mesures prudentielles afin de limiter l’effet de l’accélérateur financier et de dissuader la spéculation à crédit. En 1928, la Fed. avait envisagé de restreindre la fenêtre de l’escompte aux banques qui auraient trop tendance à financer les achats d’actions. Schwartz (2002) estime qu’il serait judicieux d’augmenter les réserves obligatoires des banques en fonction de la proportion de prêts consentis sur la base d’actifs financiers mis en collatéral.

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Les autorités financières ont déployé des efforts considérables pour harmoniser les ratios de fonds propres à l’échelle internationale. Néanmoins, les pratiques de provisionnement pour risque demeurent très hétérogènes. Il semblerait opportun de généraliser la méthode du provisionnement dynamique. Certains établissements bancaires privilégient le provisionnement statique, c'est-à-dire qu’ils déterminent le montant de leurs dotations pour provision en fin de période, en fonction du taux de faillite effectivement constaté. Cette méthode a un effet pro-cyclique puisque les dotations augmentent en période descendante du cycle, ce qui accentue la contraction de l’offre du crédit et ses effets récessifs. Un système de provision statique ignore les risques latents des portefeuilles de crédit. Or tout prêt a intrinsèquement une probabilité de défaut qui mériterait d’être prise en compte dès qu’il est accordé. Les principales banques européennes et américaines, notamment au Portugal et en Espagne, ont opté pour une méthode dynamique de provisionnement. Elles constituent immédiatement des provisions au moment où le prêt est accordé, en fonction de la probabilité de défaut anticipé du débiteur. Elles viennent s’ajouter aux provisions pour créances douteuses. L’Espagne a renforcé cette pratique avec l’adoption en juillet 2000 d’un nouveau dispositif de régulation comportant un objectif contra-cyclique explicite. Concrètement, les banques peuvent choisir entre la méthode d’évaluation du risque proposée par la Banque centrale ou la leur propre, sous réserve qu’elles s’appuient sur des données historiques couvrant au moins un cycle et que les prêts soient segmentés en groupes homogènes. Cette pratique de provisionnement ex ante s’inscrit dans le prolongement des recommandations de Bâle II. Le pilier 1 stipule que les banques peuvent calculer leurs ratios de fonds propres réglementaires en évaluant elles-mêmes,59 en fonction des prévisions conjoncturelles futures, la probabilité de défaillance de la contrepartie et l’ampleur de la perte en cas de défaut. Les pertes attendues étant définies comme les pertes moyennes anticipées sur les douze prochains mois. Avec un tel mode de provisionnement, la corrélation entre les provisions et le PIB serait positive. Cela préviendrait l’octroi inconsidéré de prêts et l’affaiblissement conséquent des bilans bancaires en cas d’euphorie financière. L’accumulation de provisions durant la phase d’expansion permet de contrebalancer l’augmentation des pertes inattendues enregistrées en période de ralentissement économique. C’est ce qu’indiquent les simulations de Matherat (2003). Cette règle favorise donc le lissage des profits et des fonds propres des banques et de l’offre du Crédit. Il paraît donc opportun de réaliser des provisions en fonction des pertes anticipées et non plus seulement en fonction des pertes effectives. Cela devrait réduire la sensibilité de l’économie aux chocs financiers. Dès lors, les variables objectifs de la Banque centrale seraient moins volatiles, ce qui pourrait dispenser les autorités monétaires d’un usage agressif de leur instrument. Néanmoins le provisionnement dynamique doit être effectué sur la base d’une estimation au coût historique des crédits et non pas à leur valeur de marché, contrairement à ce qu’envisage l’International Accounting Standard Board (IASB)60. 59 C’est l’approche IRB (Internal Ratings Based Approach) 60 L’IASB est un organisme privé de normalisation comptable internationale installé à Londres, qui a succédé à l’International Accounting Standards Committee (IASC)

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Cet organisme suppose que les marchés sont efficients et qu’ils déterminent la « juste valeur » ou fair value des éléments d’actif ou de passif. Il suppose que l’évolution de la valeur de marché des actifs révèle au mieux la variation du risque qui leur est attaché. L’IASB considère qu’il est possible d’estimer la fair value des actifs qui ne font pas l’objet d’une évaluation sur des marchés suffisamment liquides en retenant leur valeur actuarielle, c'est-à-dire la somme actualisée des flux de revenus futurs espérés, calculée d’une manière laissée à la discrétion des agents. Ces recommandations reflètent la montée en puissance de la logique actionnariale puisqu’elle vise à instrumentaliser la comptabilité au service de la gestion de portefeuille, en tâchant de rapprocher les données comptables des valeurs de marché, comme si la conception statique de la fiction d’un équilibre walrassien prévalait. L’IASB recommande que tous les instruments financiers à l’actif comme au passif des entreprises (financières ou non) soient évalués à leur juste valeur (IAS 39) exception faite des crédits et des dépôts.61 Selon ses normes, les immobilisations corporelles ou incorporelles peuvent être soit évaluées au coût historique amorti, soit à la juste valeur (IAS 16 et IAS 38). Cependant, si la méthode des coûts historiques est retenue, les immobilisations doivent être régulièrement réévaluées lors d’un test de dépréciation (IAS 36). Il consiste à comparer la valeur comptable de l’actif à sa valeur recouvrable, elle-même définie comme la valeur la plus élevée entre la valeur de marché et la valeur actuarielle. En cas de dépréciation, l’immobilisation est enregistrée à sa valeur recouvrable et le compte de résultat est corrigé à la baisse. A l’inverse, si la valeur recouvrable est supérieure à la valeur comptable, aucune modification n’est apportée. Cette approche dessert donc la contrainte de marché puisque les réévaluations seront moindres (le seul avantage du procédé des tests de dépréciation serait de limiter l’effet pro-cyclique des provisions constituées en cas de goodwills négatifs). Les comptes mélangeraient ainsi des chiffres qui représentent des transactions avérées et des supputations sur le futur. Cela porterait indéniablement atteinte à la fiabilité de la lecture des performances. Etant donné que la valeur de chaque actif serait estimée au cas par cas, Aglietta et Rebérioux (2004) considèrent que « l’application de la juste valeur ne renseigne pas tant sur la capacité d’une entreprise à faire des profits dans le futur, que sur ce que pourrait rapporter sa liquidation immédiate, son démembrement par unité. Contrairement aux assertions de ses promoteurs, la juste valeur est donc moins en adéquation avec une vision actionnariale qu’avec une vision liquidative. » Selon ces auteurs, la généralisation de la méthode de la juste valeur renforcerait le caractère auto-référentiel des marchés de capitaux puisque les valeurs comptables des actifs seraient affectées par les anticipations de ceux-là mêmes qui sont chargés d’évaluer leur valeur de marché. L’application de la méthode de la juste valeur aux dérivés utilisés pour les opérations de couverture ainsi qu’à l’évaluation des activités d’intermédiation bancaire serait un facteur significatif d’instabilité puisqu’elle provoquerait un accroissement substantiel de la variabilité du résultat et donc de la volatilité des fonds propres. Cette méthode d’évaluation aurait un

61 La norme IAS 39 concerne tous les actifs financiers à l’exception des activités d’intermédiation bancaire (crédits et dépôts). Néanmoins l’IASB ne cache pas son ambition d’étendre la méthode de la juste valeur à ces dernières. Cela soulèverait certaines difficultés pratiques car la plupart des crédits accordés par les banques ne font pas l’objet de négociation sur les marchés. Ils peuvent être évalués par comparaison avec des titres négociables similaires. Mais le risque qui leur est attaché ne reflète pas celui que les banques supportent, compte tenu de l’avantage informationnel dont elles disposent.

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effet pro-cyclique préjudiciable à la stabilité de l’activité économique puisque la valeur de marché des actifs s’élève en période ascendante du cycle et inversement. En 2003, l’Accouting Regulatory Committee a adopté l’ensemble des normes IAS sur proposition de la Commission européenne, à l’exception des normes IAS 32 et 39 qui prévoyaient de soumettre à la juste valeur les éléments liés aux activités de marché (détenus à très court terme) et notamment les produits dérivés. En bref, cette méthode est théoriquement extrêmement contestable. Il est difficile de prétendre encore que les marchés sont efficients, au moment même où les banques centrales s’interrogent sur leur exubérance et la manière de pallier leurs effets déstabilisateurs. D’ailleurs, il peut sembler curieux de relier les provisions au prix des actifs alors que l’écrasante majorité des économistes estime qu’ils sont trop volatils pour être ciblés par les autorités monétaires.

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Annexe

Section d'équation (suivante) Annexe n°1. Blanchard et Muet (1993) : la dynamique compétitivité-chômage Les déséquilibres sur le marché du travail conduisent à une dynamique de type prix-quantité (Blanchard et Muet, 1993). L’ajustement par les quantités a une influence sur l’emploi. Selon la courbe de Phillips, le chômage détermine le niveau des salaires réels qui a en retour une incidence sur les prix de production. Goodwin (1967) adopte une approche cyclique de type « répartition-accumulation » qui relève de la même logique. En économie ouverte, il existe une relation décroissante entre le taux de chômage et la compétitivité du coté de la demande : une bonne compétitivité entraîne une hausse de la demande, une augmentation de la production et par conséquent une baisse du chômage. Du coté de l’offre, la montée du chômage entraîne une diminution des salaires réels, donc une baisse des prix de production, qui débouche sur une amélioration de la compétitivité. Il y a donc une relation croissante entre le chômage et la compétitivité. Une hausse du chômage entraîne une réduction des salaires réels qui provoque une baisse des prix et par conséquent une hausse de la compétitivité (P*-P). Ceci débouche sur une augmentation de la demande et sur une reprise de l’activité favorable à l’emploi. La dynamique compétitivité-chômage Graphique A.1

u

P*-P

DD

SS

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Le modèle de Blanchard et Muet (1993)

Les salaires w sont fonction du niveau des prix Pc et du chômage u:

cw P uγ= − Les prix dépendent à la fois du niveau des prix des produits nationaux P et des prix des produits importés P* :

(1 ) *cP P Pα α= + −

* (1 )P P wβ β= + − Du coté de l’offre, la hausse du chômage entraîne une baisse des salaires réels et donc une augmentation de la compétitivité.

( * )P P uμ− = Du coté de la demande, l’augmentation de la compétitivité favorise l’emploi :

( * )u P Pθ= − − Cette équation est représentée par la droite DD sur le graphique ci-dessus (graphique A.1). Si l’on considère que les gains de compétitivité prennent du temps à faire effet sur l’emploi, l’équation s’écrit :

*1 1 1

*1 1 1

(1 ) ( )(1 )( ( ) )

u u P Pu P P u

σ σ θ

σ θ− − −

− − −

= − − −

Δ = − − − −

Supposons maintenant que les salaires réels s’ajustent avec retard au niveau du chômage :

1 1 1

1 1 1

( ) (1 )(1 )( )

c c

c c

w P w P uw P w P u

λ λ γλ γ

− − −

− − −

− = − − −Δ = Δ − − − +

alors la compétitivité va s’ajuster avec retard à l’évolution du chômage :

*1 1 1

*1 1 1

( * ) ( ) (1 )( * ) (1 )( ( ))

P P P P uP P u P P

λ λ μ

λ μ− − −

− − −

− = − + −

Δ − = − − −

On peut aussi considérer que les prix et les salaires s’ajustent les uns aux autres avec retard :

1 1 1 1(1 )( )c cw P w P uλ μ− − − −Δ = Δ − − − − En supposant pour simplifier que β est égal à zéro et que le taux d’inflation à l’étranger est constant, l’effet de la compétitivité sur l’emploi est maintenant donné par :

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* *1 1 1 1 1( * ) ( ) (1 )(1 )( ( ))P P P P u P Pα α λ μ− − − − −Δ − = Δ − Δ + − − − −

Dans ce cas, la phase de désinflation et d’augmentation du chômage sera plus importante mais en contrepartie, une dévaluation permettra d’accélérer l’ajustement puisque la hausse des prix importés tardera à faire effet sur les salaires et les prix intérieurs. Si les délais d’ajustement du chômage aux gains de compétitivité et les délais d’ajustement des salaires (et donc des prix) au chômage sont proches, l’économie connaît des fluctuations autour du point d’équilibre. Si les prix et les salaires s’ajustent relativement lentement, il y a convergence quasi monotone. Or les estimations économétriques montrent que c’est le cas, de sorte que ce mécanisme n’est pas susceptible d’engendrer des fluctuations cycliques. En effet, Blanchard et Muet montrent dans une étude sur l’expérience française de désinflation compétitive en 1993, que la vitesse d’ajustement des salaires réels au chômage est très faible de l’ordre de 3,6 % par trimestre et que les salaires baissent seulement de 0,1 % pour chaque point de chômage supplémentaire. Par contre la vitesse d’ajustement des salaires au prix est relativement courte (elle s’opère dans l’année). C’est d’ailleurs un résultat usuel des modèles macro-économétriques : les dynamiques de type prix-quantités sont très lentes et sont très largement dominées à court et moyen terme par le multiplicateur–accélérateur. A titre d’exemple, la France, qui a mené une politique de désinflation compétitive à partir de 1983, a attendu 5 ans pour retrouver un niveau d’inflation inférieur à la moyenne de ses principaux partenaires européens et, dans les cinq années suivantes, la France a gagné seulement 5 % de compétitivité. Selon Blanchard et Muet, un gain de productivité de 10 % aurait entraîné une baisse du chômage de seulement 1 % sur 12 trimestres en France dans les années 1980-1990. Annexe n°2. Suite du modèle de Bernanke, Gertler et Gilchrist (1998) Maximisation de l’utilité des ménages Chaque ménage consomme, travaille et épargne à un taux sans risque auprès des intermédiaires financiers. Ils maximisent leur utilité sous contrainte budgétaire.

( ) ( ) ( )0

max ln ln / ln 1kt t k t k t k t k

kE C M P Hβ ς ϑ

+ + + +=

− + −⎡ ⎤⎣ ⎦∑

tC : consommation ; /t tM P encaisse monétaire des ménages acquises en t et détenues

jusqu’en t+1 ; tH offre de travail des ménages.

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La contrainte budgétaire individuelle des ménages est la suivante :

( )11

t tt t t t t t t t

t

M MC W H T R D D

p−

+

−= − + Π + − +

Avec tW : salaire réel ; tT : taxes ; tD : dépôts ; tΠ : dividendes perçus par les ménages. A l’équilibre,

11

1 1t t

t t

E RC C

β ++

⎧ ⎫= ⎨ ⎬

⎩ ⎭

1 1

1tt t

WC H

ϑ=−

1

1

1

1nt t

t nt t

M RCP R

ς−

+

+

⎛ ⎞−= ⎜ ⎟

⎝ ⎠

Les dépôts sont égaux aux crédits offerts par les banques aux entrepreneurs t tD B= . La fixation des prix Il existe une compétition monopolistique au niveau de la distribution des produits. Cela justifie l’existence d’une relative rigidité des prix. La quantité de biens vendue par les distributeurs est la suivante :

( )( )1 11/

0

eee ef

t tY Y z dz−

−⎡ ⎤= ⎢ ⎥

⎣ ⎦∫ avec e>1.

L’indice des prix correspondant est le suivant :

( )( )

11 11

0

eet tP P z dz

−−⎡ ⎤

= ⎢ ⎥⎣ ⎦∫

La demande s’écrit ainsi :

( ) 10

j

f e kt t t t t t t tY C C I G dF R Q K

ϖ

μ ω ω −= + + + + ∫

L’expression ( ) 10

j

kt t tdF R Q K

ϖ

μ ω ω −∫ reflète les coûts d’ajustements.

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La demande de biens adressée à chaque détaillant est égale à :

( ) ( ) et f

t tt

P zY z Y

P

−⎛ ⎞

= ⎜ ⎟⎝ ⎠

Les auteurs supposent que les distributeurs peuvent changer leur prix à une période donnée avec la probabilité 1 θ− (cf. Calvo, 1983). En posant *

tP le prix fixé par les détaillants qui ont la possibilité de le modifier à la période t, et en posant ( )*

tY z la demande qui leur est adressée à ce prix, les détaillants déterminent leur prix afin de maximiser leurs profits actualisés donnés par l’expression suivante :

( )*

*1 ,0

wk t t

t t k t kt

P PE Y zP

θ∞− +

⎡ ⎤−Λ⎢ ⎥

⎣ ⎦∑

Avec ,t

t kt k

CC

β+

Λ ≡ le taux marginal de substitution inter-temporelle des ménages

(actionnaires) et /wt t tP P X≡

A l’optimum, *tP satisfait l’équation suivante :

( ) ( )* * *1 ,0

/ 01

ek wt t k t t k t k t t

eE P P Y z P Pe

θ−∞

− + +

⎡ ⎤⎡ ⎤⎛ ⎞Λ − =⎢ ⎥⎜ ⎟⎢ ⎥−⎝ ⎠⎣ ⎦⎣ ⎦∑

En bref, les détaillants fixent leur prix de manière à ce que leur revenu marginal actualisé égalise leur coût marginal sous la contrainte d’une modification du prix à la période k avec une probabilité kθ . A l’équilibre, le prix satisfait la fonction suivante :

( )( )( )1

1 11 *1 1

e eet t tP P Pθ θ

− −−−

⎡ ⎤= + −⎢ ⎥⎣ ⎦

En combinant les deux dernières équations et en log-linéarisant, il est possible d’obtenir la courbe de Phillips suivante :

( ) { }1t t t tk x Eπ β π += − +

L’Etat Les dépenses de l’Etat sont égales aux taxes et à la création monétaire :

1t tt t

t

M MG TP

−−= +

L’Etat ajuste ses dépenses de manière à ce que la règle de fixation des taux d’intérêt soit respectée.

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Annexe n°3. Crédibilité des autorités monétaires et crises financières

Source : Mésonnier (2004)

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Annexe n°4. V de Kaldor, Q de Tobin et rachat d’actions Kaldor (1966) et Tobin (1969) ont défini le même concept, désigné V par le premier et Q par le second. Il s’agit du rapport entre la valeur boursière d’une entreprise et sa valeur comptable.

pNV QK

= =

Kahn (1972) a exprimé V en fonction du taux de croissance de l’investissement et du taux de profit, afin de démontrer qu’une hausse de l’investissement n’est possible qu’à la condition que V>1. Examinons sa démarche : le rendement total des placements en actions est égal à la somme des dividendes distribués (1 )cs P− et des plus-values boursières G ; le taux de rendement i est défini par le rapport de cette somme à la valeur totale pN des placements :

(1 )cs P GipN

− += (4.1)

A partir de la définition de V, on a VK pN= . En différenciant par rapport au temps et en supposant qu’en régime permanent de croissance le rapport d’évaluation est constant, 0dV = , alors :

VdK pdN Ndp= + Les gains en capital sont égaux à : G Ndp= Puisque I dK gK= = et que les nouvelles émissions d’actions (soit pdN ) servent à financer une fraction f de l’investissement, on a pdN fgK= . On obtient alors en équilibre dynamique :

( )

G Ndp Vdk pdNVdK fgK V f gK= = −

= − = − (4.2)

Compte tenu de (4.2) et sachant que P rK= , il est alors possible de réécrire l’équation (4.1) de la manière suivante :

(1 ) ( )cs rK V f gKiVK

− + −=

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(1 ) ( )

( )

c

c

s r V f giV

r rs fgi gV

− + −=

− += +

(4.3)

Si l’on considère qu’une fraction de l’investissement est financée par la part non distribuée (ou épargnée) des profits et l’autre fraction par émissions d’actions, on a : cI s P fI= + Sachant que I gK= et /r P K= , le taux de profit, on peut écrire :

(1 )

c

g frs−

=

donc cg rs fg= + (4.4) Compte tenu de (4.4), on peut réécrire (4.3) ainsi :

r gi gV−

= +

On retrouve la formulation de Kahn (1972) :

r gVi g

−=

Le coefficient d’évaluation est ainsi déterminé par le taux de croissance g, le taux de profit r et le taux de rendement des placements en bourse i. -Si le taux de profit est égal au taux de rendement r = i, le rapport d’évaluation est égal à 1. -Si le taux de profit est inférieur au taux de rendement r < i alors V < 1. En ce cas, la croissance des firmes est mise en question puisque V devient une fonction décroissante de g :

( ) 0( )²

dV r idg i g

−= <

− quand r < i

Toute hausse de la croissance réduit V et renforce la possibilité de raid d’OPA. -Si le taux de profit est supérieur au taux de rendement r > i, alors il faut distinguer trois cas de figure : - pour g < i < r

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( ) 1( )

( ) 0( )²

r gVi g

dV r idg i g

−= >

−−

= >−

Ainsi, le rapport d’évaluation V, toujours supérieur à l’unité, est fonction croissante de g. On note que V = r / i pour g =0 et que V → +∞ lorsque g i→ - Pour i <g < r, V est négatif. - Pour g = r on a V = 0. - Enfin si i< r < g, V est à nouveau positif et supérieur à l’unité.

Bref, lorsque le rapport d’évaluation V ou Q de Tobin est inférieur à l’unité, il y a freinage de l’investissement pour deux raisons : - d’une part, la croissance interne est freinée par la crainte d’entraîner une baisse supplémentaire du rapport d’évaluation et donc un mécontentement accru des actionnaires. - d’autre part, la croissance externe par rachat d’entreprises sous-évaluées est plus rentable que la croissance par acquisition d’actifs réels. Le rachat d’actions encourage la hausse des cours : Il est possible de le démontrer à partir d’une formulation différente du V de Kaldor : On sait qu’à l’équilibre I = S On peut distinguer la propension à épargner les salaires ws , la propension à épargner les dividendes ps et la propension à épargner les gains en capital gs . On a en général : 1 0g p ws s s> > > > . L’épargne totale est la somme de l’épargne des entreprises cs P et de l’épargne personnelle, soit l’épargne sur les salaires plus l’épargne sur les dividendes moins la consommation sur les gains en capital. En supposant que l’investissement croît au taux annuel g, I = gK, la condition d’équilibre sur les marchés s’écrit :

(1 ) (1 )c w p gs P s W s s P s G gK+ + − − − = Comme Y=W+P et que (1 )c cs P s rK gK f= = − et compte tenu de la définition de G en (4.2), il vient : ( ) (1 ) ( )( )w p c ggK fgK s Y P s s P i s V f gK gK− + − + − − − − = Après arrangement, on obtient la formule proposée par Kaldor (1966) :

(1 ) (1 )1

1p c ww

gg c

f s s ss YV s fS gK s

⎡ ⎤⎡ ⎤− − −⎣ ⎦= + −⎢ ⎥− ⎢ ⎥⎣ ⎦

(4.5)

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Gaël Callonnec – « Politique monétaire et bulle spéculative » - Thèse IEP Paris - 2005 299

En l’absence de nouvelle émission, 0f = , le niveau des cours en bourse s’établit de façon mécanique de sorte que les achats de titres par les épargnants équilibrent les ventes de titres correspondant à la consommation des gains en capital. Au total, l’épargne des ménages est nulle :

(1 ) (1 )w p c gs W s s P s G+ − = −

On peut démontrer à partir de (4.5) que l’émission nette d’actions positive entraîne une baisse des cours (les ventes de titres par les désépargnants sont alors réduites de façon à ce que l’épargne nette des ménages absorbe les nouvelles émissions des sociétés). En effet, la dérivée partielle de V par rapport à f est négative :

01

g

g

sdVdf s

= − <−

puisque 0 1gs< <

Ainsi, une émission nette d’actions négative favorise la hausse des cours et la hausse du V de Kaldor ou Q de Tobin. Théoriquement, lorsque les marchés sont efficients et que les cours sont à l’équilibre, on peut montrer que les entreprises rachètent des actions lorsque la profitabilité de l’investissement physique pI est négative, car en pareil cas, le Q marginal de Tobin est inférieur à 1. En effet, lorsque la profitabilité de l’investissement physique est négative, la valeur actualisée nette (VAN) de l’investissement est négative. En pareil cas, le Q de Tobin marginal mQ est inférieur à 1.

1[ /( )] pVAN r g Iπ= − − si 0VAN < alors 1[ /( )] pr g Iπ − < et donc 1[ /( )] /m pQ r g Iπ= − <1

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Gaël Callonnec – « Politique monétaire et bulle spéculative » - Thèse IEP Paris - 2005 300

Annexe n°5. Modèle de Goodwin (1967) : chômage, accumulation et répartition Le modèle de Goodwin (1967) a une double originalité : d’abord c’est l’un des premiers modèles de croissance cyclique endogène. C’est la première transposition du modèle biologique « proie/prédateur » (Lotka, 1925 ; Volterra, 1931) en économie. Ensuite, sa dynamique repose entièrement sur un problème de répartition des revenus et non sur un phénomène multiplicateur/accélérateur, comme dans le modèle de Kalecki. Le marché des biens est toujours équilibré, les profits sont épargnés et investis et les salaires sont entièrement consommés. En revanche, le marché du travail est déséquilibré et le taux de croissance du salaire réel dépend du chômage. Les techniques de production sont à facteurs complémentaires, de sorte que lorsque le marché du travail est équilibré, la répartition du revenu est stable et l’on retrouve un modèle de croissance de type Harrod-Domar-Kaldor où le taux d’épargne est égal à la part des profits dans la production. Le raisonnement de Goodwin est très simple : en période de croissance, la hausse des salaires réels est supérieure à celle de la productivité. Il en résulte une baisse du taux de profit qui induit un ralentissement de l’investissement et donc de la croissance. Le chômage augmente alors et les salaires réels diminuent. La reprise est obtenue grâce à l’augmentation des taux de profit induite par la baisse des salaires réels. A long terme, les fluctuations s’opèrent autour d’un taux de profit, un taux de chômage et une répartition salaires-profits constants. Goodwin considère que les facteurs de production sont complémentaires. La productivité du travail augmente à un taux fixe μ :

min ,t tt t

K LYv ue μ−

⎡ ⎤= ⎢ ⎥⎣ ⎦ (4.6)

L’offre de travail notée Nt est supposée croître à un taux constant noté n : 0

nttN N e= (4.7)

Le taux d’emploi de la main d’œuvre étant noté : /t t tx L N= (4.8) il suppose qu’il existe une relation croissante entre la hausse des salaires et le taux d’emploi (supposée linéaire pour simplifier) :

tt

w ax bw

= − (4.9)

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Gaël Callonnec – « Politique monétaire et bulle spéculative » - Thèse IEP Paris - 2005 301

On suppose que les travailleurs consomment l’intégralité de leurs salaires et que les capitalistes épargnent la totalité de leurs profits. L’épargne est égale au taux de profit multiplié par le stock de capital : t t tS r K= L’investissement est égal à l’épargne :

t t t tK S r K•

= =

Par conséquent, on retrouve l’accumulation en situation de règle d’or :

t tt

Kr gK

= = (4.10)

Le taux de profit est égal au taux de croissance. La part des salaires dans le revenu national est :

/t t t tz w L Y= (4.11) La part des profits dans le revenu national étant / 1t t t tr K Y z= − , il est possible d’écrire :

1 tt

zrv

−= (4.12)

La demande de travail s’écrit : t

t tL uY eμ= − (4.13) Alors :

1

t t

tt

t

L YL Y

zL gL v

μ

μ μ

• •

= −

−= − = −

(4.14)

D’après (4.11) :

t t t t

z w L Yz w L Y

• • • •

= + −

d’où compte tenu de (4.9) et (4.14) :

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1 1 ( )t

z ax b ax bz

μ μ•

= − − = − + (4.15)

L’évolution du taux de l’emploi s’obtient par différentiation logarithmique de (4.8) :

t t t

x L Nx L N

• • •

= −

d’où compte tenu de (4.14) et de (4.7) :

1 ( )t

t

zx nx v

μ•

−= − + (4.16)

On obtient à partir de (4.15) et (4.16) le système d’équations dynamiques :

[ ]( )

1 ( )

t t

tt

z ax b z

zx n xv

μ

μ

⎧ = − +⎪⎨ −⎡ ⎤= − +⎪ ⎢ ⎥⎣ ⎦⎩

(4.17)

D’après ce système, on peut définir deux valeurs particulières critiques du taux d’emploi x* et de la part des salaires dans le revenu national pour lesquelles il y a respectivement, stabilité de

la part des salaires dans le revenu national ( z•

=0) et stabilité du taux d’emploi ( 0x•

= ). En effet :

*

*

0

1 ( ) 0

bx x za

z n v z x

μ

μ

+⎧ = = ⇒ =⎪⎨⎪ = − + = ⇒ =⎩

(4.18)

A partir de (4.18) qui définissent x* et z*, on peut réécrire (4.17) :

[ ]

*

*

( )

1 ( ) ( )

t t t t

t tt

bz x az x x aza

x xx z n v z zv v

μ

μ

⎧ +⎡ ⎤= − = −⎪ ⎢ ⎥⎪ ⎣ ⎦⎨⎪ = − − + = −⎪⎩

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On en déduit le diagramme des phases suivant : Le modèle de Goodwin Lorsque la part des salaires z est faible, la part des profits est forte, l’investissement est élevé et la production augmente. Le taux d’emploi x croît. Lorsque le taux d’emploi x augmente au-delà de x*, la part des salaires z augmente et donc la part des profits (1-z) diminue. Néanmoins la production et les embauches augmentent tant que la part des profits dans le revenu est supérieure à sa valeur d’équilibre de long terme. Lorsque z dépasse z*, la croissance devient inférieure à la croissance de l’offre de travail. Le taux d’emploi diminue, le chômage recommence à augmenter et lorsqu’il dépasse 1-x*, la croissance du salaire ralentit, ce qui rétablit progressivement la part des profits. Le modèle de Goodwin a la particularité d’engendrer un cycle limite auto-entretenu qui dépend des conditions initiales. Comme tous les modèles fondés sur l’ajustement du salaire réel au chômage, le modèle de Goodwin engendre un cycle de très longue période et les variations de la répartition ne constituent pas la dynamique principale du cycle économique. Qui plus est, son analyse est contestable à bien des égards. Il suffit d’introduire des changements relativement minimes dans les hypothèses pour que le cycle limite disparaisse. Ainsi Samuelson (1972) montre que les oscillations deviennent convergentes lorsqu’on introduit l’hypothèse de rendements décroissants. Abraham-Frois (1995a) montre que si le taux d’accroissement des salaires est négativement influencé par l’importance de la part des salaires dans le revenu national, une part excessive des salaires tend à faire diminuer, toutes choses égales par ailleurs, le taux d’accroissement des salaires. Il montre que le système évolue alors asymptotiquement vers un point singulier, un nœud qui sert d’attracteur. Goodwin part du principe que le marché des biens est équilibré grâce à la variation du taux d’intérêt. Cette approche est réductrice. Dans une optique post–keynésienne, la hausse de la part des profits ne peut suffire à relancer l’investissement si les profits diminuent et que la demande anticipée se contracte. Dans un pareil contexte, la reprise dépend de la demande extérieure. Elle doit prendre le relais de la demande intérieure, comprimée par la rigueur salariale et la hausse du chômage. La stratégie compétitive est un jeu non coopératif du type dilemme du prisonnier. C’est une stratégie individuelle, rationnelle à court terme. Mais cette stratégie n’est pas optimale si elle est menée par tous.

X*

z

Z*

x

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Gaël Callonnec – « Politique monétaire et bulle spéculative » - Thèse IEP Paris - 2005 304

Annexe n°6. Modèle Section d'équation (suivante)

11

1 1 1/ / /x x x

x x xk kp p p p w pK a b Qa a b

− − −⎡ ⎤

⎛ ⎞ ⎛ ⎞ ⎛ ⎞⎢ ⎥= + ⎜ ⎟⎜ ⎟ ⎜ ⎟⎢ ⎥⎝ ⎠⎝ ⎠ ⎝ ⎠⎣ ⎦

(5.1)

( ) 11 k tK pK pKτ −Δ = − − (5.2) 1

x x xQ aKLb

⎡ ⎤−= ⎢ ⎥

⎣ ⎦ (5.3)

ot

o

L LUL−

= (5.4)

( )1 1o ot LL L g−= + (5.5)

( ) ( ) ( )( ),cov .K A K A K AR R R Rε σ σ= (5.6)

( )

( )

2 2

2 2 2

cov( )

2cov( ) cov( )

AA K A A

K AK

AK A K A A K A

K A

R i R RR RX

R i R R R RR R

σ σ

σ σ σ

−− +

−=

−+ − + −

(5.7)

1A KX X= − (5.8)

( )

( )

2 2

2 2 2

cov( )

2cov( ) cov( )

A bRA O A A

O AO

A bO A O A A O A

O A

R r R RR RX

R r R R R RR R

σ σ

σ σ σ

−− +

−=

−+ − + −

(5.9)

1mA OX X= − (5.10) ( ) ( ) . ( )m

OA O O A AE R X E r X E R= + (5.11)

( )2 2 2 2 2. 2 covm mOA O O A A A O O AX X X X R Rσ σ σ= + + (5.12)

( )

( )

2

2

1( ) ( )2

( ) ²

OA b OA OA

BOA b OA

E R r E RX

E R r

ϕ σϕ

σ

⎛ ⎞+− + +⎜ ⎟

⎝ ⎠=− +

(5.13)

e

ApK A

α ξ=+

(5.14)

( )1s

tA p K Kα −Δ = − (5.15)

( )k

K

pdE R

π =%

(5.16)

1 1 11

as e e e s

t t o tat

pO K A A D O C div Ap

τ τ π− − −−

Δ = Δ + − + + − − − Δ − Π (5.17)

( )( )1

1

11

sB OO O

to t

X X M OP P

Oτ−−

− − Δ=

− (5.18)

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Gaël Callonnec – « Politique monétaire et bulle spéculative » - Thèse IEP Paris - 2005 305

1

ˆ 1O

O tt O

t

ppp −

= − (5.19)

( ){ }1

1

1e m st B AA A

tt

A X X M AP P

A−−

+ − − Δ= (5.20)

1

ˆ 1A

A tt A

t

PPP−

= − (5.21)

[ ] 1ˆ1 tw p U wδ ν −= + + Δ (5.22)

( )( ) ( )( ) 11

b o

k t

c WL r D rO c Div Dive Cp

K Kω

τ −

− + + − − −=

− − (5.23)

1

ˆ 1t

ppp −

= − (5.24)

bb e

D O Ar rpK A pK

χ γ η⎛ ⎞ ⎛ ⎞+

= + + Δ⎜ ⎟ ⎜ ⎟+ ⎝ ⎠⎝ ⎠ (5.25)

( )ˆˆ or r p Q U uθ μ ς= + + + − (5.26) 1

11

O

O Ot Ot

Pr rP

−−

⎛ ⎞= ⎜ ⎟

⎝ ⎠ (5.27)

b b O

b

r D r OiD O

+=

+ (5.28)

( )k

i D Op

pK+

= (5.29)

b opQ wL r D r OΠ = − − − (5.30)

1

1t

gΠ−

⎛ ⎞Π= −⎜ ⎟Π⎝ ⎠

(5.31)

( )1

1 1t

d btb

C Dr

τ β −−

⎡ ⎤Π − Π= + ⎢ ⎥+⎣ ⎦

(5.32)

1(1 )b d btD C Dτ −= + − (5.33)

( )1e

e tt

t

AdivA

π= − Π (5.34)

( ) ˆ Om O O tE R r Pζ= + (5.35)

( )KE RpKΠ

=% (5.36)

(1 ) ˆ( ) (1 ) AA t

gE R g PA

λ λΠΠ

Π += + + −% (5.37)

( )1

1 1 11

(1 )t

A Om et t t oA O

t

P PM A O B C c pQ divp P

π−

− − −−

⎛ ⎞= + + − + − − − Π⎜ ⎟⎜ ⎟

⎝ ⎠ (5.38)

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(1 ) .m mB AA X X M= − (5.39)

e A

K

XA pKX

= (5.40)

(1 ) .B OO X X M= − (5.41) .BB X M= (5.42)

m eA A A= + (5.43) ( ) ( )1 1

ˆˆ1 A mo ot tC C p P A UL Wυ φ− −= + + + Δ (5.44)

( )ed o oK c wL r D r O Div Div C

Qp

Δ + + + + − += (5.45)

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Annexe n°7. Valeurs des variables et des constantes à l’état stationnaire Tableau Economique d’Ensemble

Actif Passif entreprises banques ménages entreprises banques ménages Invest. 330 conso. 1400 Q 1730 salaires 1188,83 1400 1730 salaires 1188,83intérêts 158,5 Int. versés 85,31 1400 intérêts 67,5 intérêts 176,31

dividendes 103,11 dividendes -17,81 eDiv 50,44 mDiv 34,85 crédit 150 crédit 150

eAΔ 0 mAΔ 0 sAΔ 0 OΔ 280 OΔ 280 BΔ 0 BΔ

DΔ + OΔ 430 DΔ 150 OΔ 280total 2210,44 217,5 1680 2210,44 217,5 1680 Valeur des constantes Epsilon ε Alpha α Mu μ Gamma γ Iota ι Ksi ξ

0,2 0,33 0,5 0,045 0,5 0,67 Epsilonm mε c OC gL Eta η a

-0,2 0,8 280 0 -0,04 0,34

b Oméga ω Zêta ζ x Bêta β b 2 1,284 0 -1 4,5 0,66

Tau τ Sigma final ς Delta δ Nu ν d r 0,1 -0,3 0,5 -0,5 1,764 0,025

Lambda λ Thêta θ Psi ψ Phi ϕ Khi χ Phi φ

1 0,5 0 -0,59 1 25 Tauo oτ 0u Pi π Tauk kτ Upsilon υ

0,2 0,06 0,73 0,066 0,04

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Gaël Callonnec – « Politique monétaire et bulle spéculative » - Thèse IEP Paris - 2005 308

Annexe n°8. Graphiques Les graphiques suivants montrent que la part du capital physique dans le bilan des firmes diminue lorsque le taux d’intérêt, ou plus exactement le coût moyen pondéré du capital augmente. Une politique monétaire restrictive incite donc les entreprises à réaliser davantage d’investissements financiers.

taux d'intérêt et part du capital physique dans le bilan des entreprises(Politique peu réactive à l'inflation, choc de demande transitoire)

0,72

0,725

0,73

0,735

0,74

0,745

0,75

0,755

0,76

0,765

0 7 14 21 28 35 42 49 56 63 70 77 84 91 98

0,05

0,051

0,052

0,053

0,054

0,055

0,056

0,057

0,058

0,059

XIi

mu=0,5 theta=0,5 sigmaf =-0,3 psi=0 êta=-0,04 delta=0,5 nu=-0,5 C0+10

Graphique A.1

Taux d'intérêt et part du capital physique dans le bilan des firmes (politique monétaire réactive à l'inflation , choc transitoire de demande)

0,65

0,67

0,69

0,71

0,73

0,75

0,77

0,79

0 7 14 21 28 35 42 49 56 63 70 77 84 91 98

0,04

0,045

0,05

0,055

0,06

0,065

XIi

mu=0,5 theta=2 sigmaf =-0,3 psi=0 eta=-0,04 delta=0,5 nu=-0,5 C0+10

Graphique A.2

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Gaël Callonnec – « Politique monétaire et bulle spéculative » - Thèse IEP Paris - 2005 309

Indice des cours boursiers réels et part de l'épargne dans la richesse des ménages

(choc de demande transitoire, politique monétaire trés réactive à l'inflation)

0,4

0,42

0,44

0,46

0,48

0,5

0,52

0,54

0,56

0,58

0,6

0 7 14 21 28 35 42 49 56 63 70 77 84 91 98

90

92

94

96

98

100

102

104

106

108

Xbindice A réel

mu=0,5 theta=2 sigmaf =-0,3 psi=0 êta=-0,04 delta=0,5 nu=-0,5 C0+10

Graphique A.3

Indice des cours boursiers réels et part de l'apargne dans la richesse des ménages(choc de demande transitoire, politique monétaire peu réactive à l'inflation)

0,52

0,525

0,53

0,535

0,54

0,545

0,55

0,555

0 7 14 21 28 35 42 49 56 63 70 77 84 91 98

98

99

100

101

102

103

104

105

Xbindice A réel

mu=0,5 theta=0,5 sigmaf =-0,3 psi=0 êta=-0,04 delta=0,5 nu=-0,5 C0+10

Graphique A.4

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Stock de capital productif selon le degré de réaction des taux à l'inflation

(choc de demande transitoire)

4500

4600

4700

4800

4900

5000

5100

5200

5300

5400

5500

0 7 14 21 28 35 42 49 56 63 70 77 84 91 98

Stock de capital productif en cas de faible réaction des taux àl'inflation (theta=0,5)

Stock de capital productif en cas de forte réaction des taux àl'inflation (theta=2)

C0=+10 mu=0,5 sigmafinal=-0,3 eta=-0,04

Graphique A.5

Variation comparée de la masse monétaire selon le degré de réaction du taux directeur à l'inflation(choc de demande transitoire)

-10

-8

-6

-4

-2

0

2

4

6

8

0 7 14 21 28 35 42 49 56 63 70 77 84 91 98

Variation de la masse monétaire en cas de faible réaction à l'inflation (theta=0,5)

Variation de la masse monétaire en cas de forte réaction à l'inflation (theta=2)

C0=+10 mu=0,5 sigmafinal=-0,3 eta=-0,04

Graphique A.6

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Emission nette d'actions selon le degré de réaction du taux directeur à l'inflation (choc de demande transitoire)

-30

-20

-10

0

10

20

30

40

50

60

70

0 7 14 21 28 35 42 49 56 63 70 77 84 91 98

Emission nette d'actions en cas de faible réaction des taux à l'inflation (theta=0,5)

Emission nette d'actions en cas de forte réaction des taux à l'inflation (theta=2)

C0=+10 mu=0,5 sigmafinal=-0,3 eta=-0,04

Graphique A.7

coefficient de variation du prix des actions et taux d'inflation(choc de demande transitoire et politique monétaire très réactive à l'inflation)

0,98

0,985

0,99

0,995

1

1,005

1,01

0 7 14 21 28 35 42 49 56 63 70 77 84 91 98

-0,004

-0,003

-0,002

-0,001

0

0,001

0,002

0,003

coefvarpa=gp

Graphique A.8

Lorsque la politique monétaire est trop anti-inflationniste, le taux de croissance du prix des actions évolue exactement dans le même sens que le taux d’inflation. Par contre, quand la politique monétaire est moins agressive, il existe un décalage temporel plus prononcé entre

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Gaël Callonnec – « Politique monétaire et bulle spéculative » - Thèse IEP Paris - 2005 312

ces deux variables, de sorte que les cours fléchissent lorsque l’inflation s’élève. Ce phénomène exerce un effet modérateur sur les variations de l’activité économique.

coefficient de variation des prix des actions et taux d'inflation (choc de demande transitoire et politique monétaire peu réactive à l'inflation)

0,98

0,985

0,99

0,995

1

1,005

1,01

1,015

0 7 14 21 28 35 42 49 56 63 70 77 84 91 98

-0,0025

-0,002

-0,0015

-0,001

-0,0005

0

0,0005

0,001

0,0015

0,002

0,0025

0,003

coefvarpa=gp

mu=0,5 theta=0,5 sigmaf =-0,3 psi=0 êta=-0,04 delta=0,5 nu=-0,5 C0+10

Graphique A.9

indice des prix et rentabilité effective des actions

(choc de demande transitoire et politique monétaire peu réactive à l'inflation)

95

96

97

98

99

100

101

102

103

104

105

0 7 14 21 28 35 42 49 56 63 70 77 84 91 98

0,1

0,105

0,11

0,115

0,12

0,125

0,13

0,135

indice pRa effective

mu=0,5 theta=0,5 sigmaf =-0,3 psi=0 êta=-0,04 delta=0,5 nu=-0,5 C0+10

Graphique A.10

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Gaël Callonnec – « Politique monétaire et bulle spéculative » - Thèse IEP Paris - 2005 313

indice des prix et rentabilité effective des actions (choc de demande transitoire et politique monétaire très réactive à l'inflation)

95

96

97

98

99

100

101

102

103

104

0 7 14 21 28 35 42 49 56 63 70 77 84 91 98

0,1

0,105

0,11

0,115

0,12

0,125

indice pRa effective

mu=0,5 theta=2 sigmaf =-0,3 psi=0 êta=-0,04 delta=0,5 nu=-0,5 C0+10

Graphique A.11

Conformément aux observations empiriques, la rentabilité effective des actions évolue à l’inverse de l’indice des prix. Cela ne signifie pas pour autant que les marchés considèrent l’inflation comme une mauvaise nouvelle – comme le prétendaient Fama et Schwert (1977) - puisqu’au contraire, la hausse des pressions inflationnistes est annonciatrice d’un regain de croissance. La relation négative entre ces deux variables résulte du décalage temporel qui existe entre l’évolution de la capitalisation boursière et l’inflation.

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Gaël Callonnec – « Politique monétaire et bulle spéculative » - Thèse IEP Paris - 2005 314

Stabilité du cycle et flexibilité des salaires nominaux(choc d'offre provisoire)

95

96

97

98

99

100

101

102

103

104

105

1 8 15 22 29 36 43 50 57 64 71 78 85 92 99

indice Qindice salaire réelindice salaire nominal

mu=0,5 theta=0,5 sigmaf =-0,3 psi=0 êta=-0,04 delta=0,5 nu=-0,5 gl=0,025

Graphique A.12

Stabilité du cycle et rigidité des salaires nominaux (choc d'offre transitoire)

95

96

97

98

99

100

101

102

103

104

105

1 8 15 22 29 36 43 50 57 64 71 78 85 92 99

indice Qindice salaire réelindice salaire nominal

mu=0,5 theta=0,5 sigmaf =-0,3 psi=0 êta=-0,04 delta=0,5 nu=-0,1 gl=0,025

Graphique A.13

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Gaël Callonnec – « Politique monétaire et bulle spéculative » - Thèse IEP Paris - 2005 315

Charges financières et émissions d'actions (choc d'offre transitoire, politique monétaire peu réactive à l'inflation)

0,4

0,45

0,5

0,55

0,6

0,65

1 8 15 22 29 36 43 50 57 64 71 78 85 92 99

0,8

0,85

0,9

0,95

1

1,05

1,1

1,15

C/Varoscharges fi /cash flows

Graphique A.14. C/varos : crédit sur émission d’obligations ; charges fi/cash flows : annuités et intérêts de la dette bancaire et obligataire sur les profits.

Taux d'intérêt réel et taux d'inflation aux Etats-Unis

0

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

11

1980

1981

1982

1983

1984

1985

1986

1987

1988

1989

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

taux d'inflation taux Fed. réel

Graphique A.15. Source : Fed., FOF 2004

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Gaël Callonnec – « Politique monétaire et bulle spéculative » - Thèse IEP Paris - 2005 316

Annexe n°9. Démonstrations Section d'équation (suivante) Annexe 9.1. Détermination de la part des actifs physiques dans le portefeuille d’actifs risqués des agents A l’optimum il faut que la dérivée de la frontière d’efficience soit égale à la pente de la droite de marché.

( ) ( ), ,

, ,

K A K A

K A K A

E R E R iσ σ

∂ −=

∂ (6.1)

Sachant que l’écart-type est égale à la racine carrée de la variance :

( )( )1/ 22 2 2 2. 2 covK K A A K A K AX X X X R Rσ σσ = + + La dérivée partielle de l’écart-type ,K Aσ par rapport à KX est égale à :

( ) ( )( ) ( )1

, 2 2 2 22,

1 2 4cov( ) 2 cov( )2

K AK A K K A K A A K A

K

X R R R RX

σσ σ σ σ

−∂ ⎛ ⎞ ⎡ ⎤= + − + +⎜ ⎟ ⎣ ⎦∂ ⎝ ⎠

( )2 2 2,

,

2cov( ) cov( )K K A K A A K AK A

K K A

X R R R RX

σ σ σσσ

+ − − +∂=

∂ (6.2)

Sachant que la rentabilité de la combinaison optimale d’actifs est égale à : ( )1c K A K KR X R X R= − +% % Alors

cK A

K

R R RX

∂= −

∂% % (6.3)

En divisant (6.3) par (6.2), on obtient une expression de la dérivée de la frontière d’efficience:

( ) ( )( )

,,2 2 2

,

// 2cov( ) cov( )

K A K AK A K

K A K K K A K A A K A

R RE R XX X R R R R

σ

σ σ σ σ

−∂ ∂=

∂ ∂ + − − +

% % (6.4)

Compte tenu de la relation (6.4), l’équilibre (6.1) s’écrit:

( )( )

( ), ,2 2 2

,2cov( ) cov( )K A K A K A

K AK K A K A A K A

R R E R i

X R R R R

σ

σσ σ σ

− −=

+ − − +

% %

( )( ) ( )

2,

,2 2 22cov( ) cov( )K A K A

K AK K A K A A K A

R RE R i

X R R R R

σ

σ σ σ

−⇒ = −

+ − − +

% % (6.5)

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Gaël Callonnec – « Politique monétaire et bulle spéculative » - Thèse IEP Paris - 2005 317

Sachant que :

( ) ( ), 1K A K K K AE R X R X R= + −

( ) ( ),K A K K A AE R X R R R⇔ = − + alors la relation (6.5) s’écrit :

( ) ( )( )( ) ( )

2 2 2 2

2 2 2

. 2 cov

2cov( ) cov( )K A K K A A K A K A

K K A AK K A K A A K A

R R X X X X R RX R R R i

X R R R R

σ σ

σ σ σ

− + += − + −

+ − − +

% %

Après arrangement, on obtient :

( )

( )

2 2

2 2 2

cov( )

2cov( ) cov( )

AA K A A

K AK

AK A K A A K A

K A

R i R RR RX

R i R R R RR R

σ σ

σ σ σ

−− +

−⇒ =

−+ − + −

CQFD

Annexe 9.2. Détermination de la part des obligations dans le portefeuille d’actifs risqués des ménages A l’optimum il faut que la dérivée de la frontière d’efficience soit égale à la pente de la droite de marché.

( ) ( ), ,

, ,

O A O A b

O A O A

E R E R rσ σ

∂ −=

∂ (6.6)

Sachant que l’écart-type est égale à la racine carrée de la variance :

( )( )1/ 22 2 2 2. 2 covO O A A O A O AX X X X R Rσ σσ = + + La dérivée partielle de l’écart-type ,O Aσ par rapport à OX est égale à :

( ) ( )( ) ( )1

, 2 2 2 22,

1 2 4cov( ) 2 cov( )2

O AO A O O A O A A O A

O

X R R R RX

σσ σ σ σ

−∂ ⎛ ⎞ ⎡ ⎤= + − + +⎜ ⎟ ⎣ ⎦∂ ⎝ ⎠

( )2 2 2,

,

2cov( ) cov( )O O A O A A O AO A

O O A

X R R R RX

σ σ σσσ

+ − − +∂=

∂ (6.7)

Sachant que la rentabilité de la combinaison optimale d’actifs est égale à :

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Gaël Callonnec – « Politique monétaire et bulle spéculative » - Thèse IEP Paris - 2005 318

( )1c O A O OR X R X R= − +% % Alors

cO A

O

R R RX

∂= −

∂% % (6.8)

En divisant (6.3) par (6.2), on obtient une expression de la dérivée de la frontière d’efficience:

( ) ( )( )

,,2 2 2

,

// 2cov( ) cov( )

O A O AO A O

O A O O O A O A A O A

R RE R XX X R R R R

σ

σ σ σ σ

−∂ ∂=

∂ ∂ + − − +

% % (6.9)

Compte tenu de la relation (6.4), l’équilibre (6.1) s’écrit:

( )( )

( ), ,2 2 2

,2cov( ) cov( )O A O A O A b

O AO O A O A A O A

R R E R r

X R R R R

σ

σσ σ σ

− −=

+ − − +

% %

( )( ) ( )

2,

,2 2 22cov( ) cov( )O A O A

O A bO O A O A A O A

R RE R r

X R R R R

σ

σ σ σ

−⇒ = −

+ − − +

% % (6.10)

Sachant que :

( ) ( ), 1O A O O O AE R X R X R= + −

( ) ( ),O A O O A AE R X R R R⇔ = − + alors, la relation (6.5) s’écrit :

( ) ( )( )( ) ( )

2 2 2 2

2 2 2

. 2 cov

2cov( ) cov( )O A O O A A O A O A

O O A A bO O A O A A O A

R R X X X X R RX R R R r

X R R R R

σ σ

σ σ σ

− + += − + −

+ − − +

% %

Après arrangement, on obtient :

( )

( )

2 2

2 2 2

cov( )

2cov( ) cov( )

A bRA O A A

O AO

A bO A O A A O A

O A

R r R RR RX

R r R R R RR R

σ σ

σ σ σ

−− +

−=

−+ − + −

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Annexe 9.3. Part des actifs sans risque dans la richesse des ménages On suppose que la courbe d’indifférence a une forme quadratique :

( ) 2( ( )) ( ) ( ) 1 ( ) ( )²m m mE u R u R f R dR E R E Rϕ ϕ ϕσ+∞

−∞

= = + + +∫

A l’équilibre, le TMS doit être égal à la pente de la droite de marché :

/ ( )/ ( )

m OA b

m OA

u E R rTMSu E R

σσ

∂ ∂ −= − =

∂ ∂ (6.11)

Sachant que :

/ 2m mu σ ϕσ∂ ∂ = et que : / ( ) 1 2m mu E R Rϕ ϕ∂ ∂ = + + alors,

/ 2/ ( ) 1 2

m m

m m

uu E R R

σ ϕσϕ ϕ

∂ ∂=

∂ ∂ + +

/1/ ( )2

m m

mm

uu E R R

σ σϕ

ϕ

∂ ∂=

+∂ ∂ + (6.12)

Compte tenu de (6.12) l’équilibre (6.11) s’écrit :

( )12

m OA b

OAm

E R r

R

σϕ σ

ϕ

− −=

++

(6.13)

Sachant que ( )1m b OAXσ σ= − et que ( ) ( )1m B b B OAR X r X E R= + − alors l’équation (6.13) s’écrit :

( )( ) ( )( )

1 ( )1 12

b OA OA b

OAB b B OA

X E R r

X r X E R

σϕ σ

ϕ

− − −=

++ + −

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En réarrangeant cette égalité, on obtient la part de l’épargne dans le portefeuille d’actifs des ménages :

( )

( )

2

2

1( ) ( )2

( ) ²

OA b OA OA

BOA b OA

E R r E RX

E R r

ϕ σϕ

σ

⎛ ⎞+− + +⎜ ⎟

⎝ ⎠=− +

Annexe 9.4. La demande de capital

:

k

x x x

p wMin K Lp p

sc aK bL Q

+

+ =

Les conditions du premier ordre s’écrivent :

1 0xkp xaKp

λ −− = (6.14)

1 0xw xbLp

λ −− = (6.15)

0x x xaK bL Q+ − = (6.16) D’après la condition (6.14) :

( )

( )

11

1111

/

/

x k

xk x

p pK xa

p pK xa

λ

λ

−−

−−−

⎛ ⎞= ⎜ ⎟⎝ ⎠

⎛ ⎞= ⎜ ⎟⎝ ⎠

( )1

1/

xxxx k x

p pK xa

λ−−−

⎛ ⎞= ⎜ ⎟⎝ ⎠

(6.17)

Réciproquement, d’après la condition (6.15), on peut montrer que :

( )1

1/ .

xxxx x

w pL xb

λ−−−

⎛ ⎞= ⎜ ⎟⎝ ⎠

(6.18)

En transposant les expressions (6.17) et (6.18) dans l’équation (6.16) on obtient :

( )1 1

1/ /

x xxx xx k x

p p w pQ a b xa b

λ−− −−

⎡ ⎤⎛ ⎞ ⎛ ⎞⎢ ⎥= + ⎜ ⎟⎜ ⎟⎢ ⎥⎝ ⎠⎝ ⎠

⎣ ⎦

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On en déduit :

( )1

1 11

/ /x x

x x xx kxp p w px Q a b

a bλ

− − −−

⎡ ⎤⎛ ⎞ ⎛ ⎞⎢ ⎥= + ⎜ ⎟⎜ ⎟⎢ ⎥⎝ ⎠⎝ ⎠

⎣ ⎦

En introduisant cette expression dans (6.17), on obtient :

1

1 1 1/ / /.x x x

x x xx xk kp p p p w pK Q a ba a b

− − −⎡ ⎤

⎛ ⎞ ⎛ ⎞ ⎛ ⎞⎢ ⎥= + ⎜ ⎟⎜ ⎟ ⎜ ⎟⎢ ⎥⎝ ⎠⎝ ⎠ ⎝ ⎠⎣ ⎦

On en déduit la demande conditionnelle du capital :

11

1 1 1/ / /x x x

x x xk kp p p p w pK a b Qa a b

− − −⎡ ⎤

⎛ ⎞ ⎛ ⎞ ⎛ ⎞⎢ ⎥= + ⎜ ⎟⎜ ⎟ ⎜ ⎟⎢ ⎥⎝ ⎠⎝ ⎠ ⎝ ⎠⎣ ⎦

Annexe 9.5. Calcul des taux obligataires

11 1

1

OtOt t O O O

tO

OOr O r PP P

rO

−− −

⎛ ⎞+ −⎜ ⎟

⎝ ⎠=

11 1

1

11 1

1

11 1

1

OtO Ot t O O O

t

OtO Ot t O O O

t

OtO Ot tO

t

OOr O r O r PP P

Or O r O r O r PP

Or P r OP

−− −

−− −

−− −

⎛ ⎞= + −⎜ ⎟

⎝ ⎠

= + −

=

11

Ot

O Ot O

Pr rp

−−=

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Indexe des abréviations et des sigles

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A : valeur de marché de la capitalisation boursière eA : valeur de marché des actions détenues par les

entreprises mA : valeur de marché des actions détenues par les ménages

a: part des profits dans le revenu national B : dépôts bancaires des ménages b : part des salaires dans le revenu national C : crédit bancaire

oC : consommation incompressible c : constante, propension des ménages à consommer cov : covariance D : dette des entreprises

bD : dette bancaire des entreprises d : constante div : dividendes

:ediv dividendes reçus par les entreprises E : espérance FP : fonds propres

agΠ : taux de croissance anticipé des profits agπ : taux de croissance anticipé des profits par titre aPAg : taux de croissance anticipé du prix des actions

i : taux d’intérêt moyen pondéré de la dette obligataire et bancaire K : capital corporel en volume L : offre d’emploi

oL : population active M : richesse des ménages

sO : offre d’obligations en valeur O : demande d’obligations des ménages en valeur P : prix des biens et services et du capital physique

kp : coût du capital AP : prix de marché de l’action OP : prix de marché de l’obligation

r : taux directeur fixé par la Banque centrale r : constante

AR% : rentabilité attendue de l’action

Ar : rentabilité exigée de l’action

br : taux d’intérêt bancaire

CR : rentabilité attendue de la combinaison agrégée d’actifs risqués des entreprises

KR : rentabilité attendue du capital corporel

mR : rentabilité attendue du portefeuille d’actifs risqués et non risqués des ménages

OR : rentabilité attendue des obligations

Or : taux d’intérêt obligataire U : taux de chômage ou : taux de chômage cible u : fonction d’utilité

V : valeur fondamentale du prix de l’action w : coût du travail W : richesse des entreprises X : part de la dette dans la richesse nette des entreprises

x : constante

AX : part des actions dans la combinaison d’actifs risqués des firmes

bX : part de l’épargne dans le portefeuille des ménage

OX : part des obligations dans la combinaison d’actifs risqués des ménages

mAX : part des actions dans la combinaison d’actifs risqués

des ménages

KX : part du capital corporel dans la combinaison agrégée d’actifs risqués des firmes Q : PIB en volume α : part des émissions d’actions sur l’émission nette d’obligations β : constante γ : constante

δ : constante ε : constante ζ : constante η : constante

θ : constante ι : constante λ : constante μ : constante ν : constante ξ : constante Π : profits

aΠ : profits anticipés π : part des profits consacrée à l’investissement

tπ : profits par titre ρ : constante σ : écart-type

²σ : variance

dτ : taux de remboursement du principal de la dette bancaire

kτ : constante, taux de dépréciation du capital

oτ : taux de remboursement du principal de la dette obligataire υ : constante ϕ : constante

φ : constante

χ : constante ψ : constante ω : constante, marge que les entreprises ajoutent aux coûts pour déterminer leur prix de vente.

sAΔ : émissions brutes d’actions KΔ : Investissement corporel en volume

sOΔ : émissions brutes d’obligations

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