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RETOUR : Interventions

RETOUR : Débats

Pierre Campion

Février 2000. Intervention à l'IUFM de Rennes pour un stage de formation deprofesseurs de Philosophie et de Lettres. Une demi-journée sur quatre, les trois autresétant assurées par Jean Greisch.J'ai conservé le schéma et le style de l'intervention orale. © Pierre Campion.

Bibliographie : Gérard Dessons, « Paul Ricœur, l'amour du texte », dans Europe,Littérature et Philosophie, numéro 849-850, janvier-février 2000. J'ai eu connaissance decet article après le travail ci-dessous.Ajout au 22 septembre 2010 : Lire l'article de Raphaël Baroni dans la revue Poétique (nº163, septembre 2010), « Ce que l'intrigue ajoute au temps. Une relecture critique deTemps et récit  de Paul Ricœur ».

Ce texte a été repris sous une forme plus élaborée dans le volume des actes d'une journée d'étude tenue à l'Université de Rennes 2 en décembre 2001, sous le titre Proust et les images. Peinture, photographie, cinéma, vidéo , Presses Universitaires de Rennes,2003.

PAUL RICŒUR : TEMPS ET RÉCIT 

SOMMAIRE

Introduction

Analyse descriptive du volume II

Le travail sur les trois œuvres, et notamment sur celle de roust

!analyse criti"ue de la position de Ricœur#

Le sens de cette approc$e !analyse criti"ue, suite#

Développement : la nature straté%i"ue de la pensée de Ricœur !analyse

criti"ue, suite#

&ote en anne'e sur son te'te de ())* + Une reprise de la oéti"ue 

dAristote -

Introduction 

Tout d’abord merci aux organisateurs de ce stage, pour cette idée de réunir desprofesseurs de Philosophie et de Lettres.

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définition et articulation des trois mimèsis  ;

« L’histoire et le récit » (vol. I) : la configuration du temps dans le récit historique ;

« La configuration du temps dans le récit de fiction » (vol. II) ;

« Le temps raconté » (vol. III).

Ainsi le volume II qui nous occupe se joint-il à une partie du volume I pour former

l’étape des configurations, avant que le volume III examine le thème de la refiguration

et les refigurations (philosophie et poétique).

Le préambule de ce volume II annonce son ordre en 4 chapitres remplissant 4

fonctions, à savoir :

« Élargir la notion de mise en intrigue »

« Approfondir la notion de mise en intrigue »

« Enrichir la notion de mise en intrigue »

« Ouvrir sur le dehors la notion de mise en intrigue »

Tout le dispositif roule donc sur « la mise en intrigue », c’est-à-dire sur le travail

mimétique de la poièsis .

Développons rapidement ce dessein, tel qu’il se réalise dans les trois premiers

chapitres.

1 - « Élargir la notion de mise en intrigue »

On est ici devant un fait, dans l’histoire du récit : sa diversification et même, à l’ère

contemporaine, sa disparition.

Tout le travail de Ricœur, mené dans une discussion avec le critique anglais Frye,

consiste ici à montrer que l’intrigue ne s’efface pas, que l’avènement du roman commeforme sans forme et « la fin de l’art de raconter » ne signifient pas la fin de la mise en

intrigue.

Car, d’une part, si l’on ne réduit pas l’intrigue au simple fil de l’histoire, l’histoire

littéraire manifeste plutôt « un surcroît de raffinement dans la composition, donc

l’invention d’intrigues toujours plus complexes et, en ce sens, toujours plus éloignées

du réel et de la vie » (25). Et, d’autre part, l’éclatement même du récit chez nos

contemporains signifie de nouvelles formes de clôture des œuvres, celles qui

conviennent à des œuvres essentiellement problématiques : jeux ironiques avec lesattentes du lecteur, mises en évidence de la crise du sens dans des œuvres critiques,

dialectique de l’arbitraire et de la nécessité au sein des fictions…

Bref, de manière significative, et par un de ces postulats (un de ces passages en

force ?) dont Ricœur a le secret.(/ :

Peut-être faut-il, malgré tout, faire confiance à la demande de concordance quistructure aujourd’hui encore l’attente des lecteurs et croire que de nouvellesformes narratives, que nous ne savons pas encore nommer, sont déjà en trainde naître, qui attesteront que la fonction narrative peut se métamorphoser, maisnon pas mourir. (48)

2 - « Approfondir la notion de mise en intrigue »

Ici la confrontation se fait avec Propp, Bremond et Greimas, dans le but de montrer

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que l’intelligence narrative [du temps] ne saurait se réduire à « la rationalité

revendiquée par la sémiotique narrative ».

L’enjeu, clairement, consiste à recourir à ces perspectives pour établir l’existence de

structures des fictions (entendons de configurations narratives) mais à démontrer

qu’elles sont insuffisantes, en tant qu’elles absolutisent ces structures (entendons

qu’elles les coupent de toute refiguration).Autrement dit, de même que les théories positivistes de la linguistique ne sauraient

épuiser les fonctions relationnelles du langage, de même l’intelligence sémiotique des

récits ne peuvent épuiser leur signification humaine pratique.

3 - « Enrichir la notion de mise en intrigue » : les jeux avec le temps

Ici on va encore plus avant dans la considération du récit de fiction.

Ricœur interroge successivement :

- les grammaires des temps du verbe dans le récit que proposent Benveniste,

Hamburger, Weinrich, en tant que ces linguistes distinguent des niveaux de passé, desaspects des temps, des jeux ainsi rendus possibles au sein des énoncés qui

impliquent le temps ;

- la distinction entre temps du récit et temps raconté que proposent Gunther Müller

et Genette ;

- la distinction entre énoncé et énonciation (toujours Genette) ;

- les notions de point de vue et de voix narrative (divers, dont Ouspenski et

Bakhtine).

L’enjeu ressemble au précédent. Mais il s’agit cette fois de creuser au sein de larhétorique du discours narratif (ou si l’on veut de la poétique du récit) une opposition

propre à fonder des actes du récit adressés aux opérations de lecture que Ricœur

appellera refigurations.

Là encore, le recours s’adresse à toutes les sortes de formalismes aptes à décrire

les configurations du narratif, pourvu qu’on les entende comme des opérations

effectuées sur l’expérience réelle du temps réel et non comme des traits isolables

objectivement.

Conclusion : deux observations sur cette approche des œuvres

Le terme d’approche est à prendre dans les deux sens de l’expression et de l’image :

Comment (par quel cheminement) Ricœur va-t-il aux œuvres de la littérature ?

Comment (sous quelles perspectives) les travaille-t-il ?

Le parcours entre les disciplines

On part de l’histoire littéraire, on passe par les disciplines de la linguistique, de la

sémiologie, de la narratologie.

On approche donc de plus en plus les réalités de la narration, le nom et la pensée

de Genette jouant un rôle particulier et crucial. C’est le travail d’une poétique moderne

référant elle-même à Aristote, fondée sur les sciences du langage et la sémiologie.C’est le passage vers Proust.

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système.

- fonde aussi l’idée d’une création, d’une nouveauté radicale (112) : les œuvres

offrent aux humains une expérience nouvelle du temps, une intelligence narrative

inédite. Ce qui n’est pas sans rapport avec la qualité suivante…

0 institue dans lœuvre une capacité dynami"ue de + retentissement - 1 lé%ard

du lecteur2 En e33et, celle0ci + pro4ette - devant elle + la pro0position dun monde

susceptible d5tre $abité - !(670(6(#2 Elle e'erce donc une action sur son lecteur2

En un mot, elle lui ouvre la possibilité de re3i%urations, et m5me elle ly obli%e.8/.

La notion de + le'périence 3ictive du temps -

Ou encore, selon le titre même du chapitre 4, « l’expérience temporelle fictive ».

(151)

Sa définition, dans la conclusion (233) : « Par expérience fictive, nous avons

entendu une manière virtuelle d’habiter le monde que projette l’œuvre littéraire en

vertu de son pouvoir d’auto-transcendance. »Son importance : « […] la notion d’expérience fictive du temps, vers laquelle nous

faisons converger toutes nos analyses de la configuration du temps par le récit de

fiction […] » (131)

Il faut bien se représenter le caractère paradoxal et, aux yeux de Ricœur activement

aporétique, d’une telle expression.

Se rencontrent ici quatre traits, plus ou moins explicites :

1 - l’affirmation d’une réalité extérieure du temps, réalité rigoureusement

« insignifiante » au sens littéral, à peine dénommable par le mot du temps et

probablement le fait de la réalité elle-même, extérieure, irréductible, inhumaine.9/ ;

2 - la capacité humaine de vivre, penser, habiter humainement cette réalité même :

il n’est de « temps humain » que fictif, c’est-à-dire configuré par l’activité mimétique ;

3 - la nature dialectique, de quelque côté qu’on la considère, de la mise en œuvre

de cette capacité : unissant et conditionnant mutuellement la nature nécessairement

fictionnelle de ces opérations poétiques et le caractère d’expérience de ces opérations,

dès leur élaboration minimale (les préfigurations) et jusqu’à la réappropriation, ouverte

à tous, des configurations les plus élaborées à travers les refigurations.

4 - enfin justement la nature absolument innovatrice de ces expériences (151-152),c’est-à-dire l’apport qu’elles produisent à l’égard des expériences des préfigurations.

Chaque monde d’œuvre enrichit, de manière fictive, par « variations imaginatives »

l’expérience humaine imaginaire du temps (au passage : thème proustien de mondes

que, sans telle œuvre d’art, nous n’aurions pas connus).6/. Cette notion capitale des

« variations imaginatives » comme expériences-limites du temps se verra reprise et

développée au vol. III (184…), à travers l’opposition du monde de la fiction et du

monde de l’histoire et après la mise en évidence du traitement du problème du temps

par la phénoménologie : leurs libres connexions à la réalité de l’expérience vécue dutemps, la singularité de chacune et leur caractère non totalisable, leur irréductibilité

aux descriptions phénoménologiques./.

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Deu' notions opératoires privilé%iées

Celles de point de vue et de voix narrative (131 et suiv. et rappel de Mann, 170),

décrites comme des traits de la configuration et qui trouveront leur développement

dans celle de la lecture.

Elles représentent le lieu (fictif) où se forme la voix (fictive également) qui s’adresse

au lecteur.Bien entendu, ces deux notions-images, évocatrices de lieux et des sujets parlants

situés en ces lieux, sont capitales pour comprendre comment les configurations

narratives peuvent et doivent même faire l’objet des refigurations, que traitera le vol.

III.

En effet, elles offrent à l’action de lecture, au sein même de l’œuvre et dans son

dispositif narratif, les lieux et pôles d’identification symbolique offerts à cette action

symbolique.

;ers la lectureEn conséquence, de toutes ces notions, on peut déduire le caractère de ce lecteur,

d’être lui-même impliqué dans le « monde de l’œuvre » ou au moins au regard de lui.

C’est cette implication que le vol. III examinera (III, II, 4 « Monde du texte et monde du

lecteur », p. 228-263).</. Rapidement :

- en situant le problème dans une perspective pragmatique : il s’agit de conduire

des actions qui, comme telles et sur le mode de la fiction, permettent de vivre

humainement dans le temps.

- en situant l’analyse dans la référence au récit de l’histoire : là où l’histoire envisage

moins la réalité des faits passés que la « représentance.=/ » de ces faits, la fiction est

moins caractérisée par l’irréalité de son objet que par une fonction d’intelligence

pratique (quoique fictive) du temps réel.

- en distinguant une rhétorique de la fiction (stratégie de persuasion développée par

l’auteur, discussion avec Booth), une rhétorique de la lecture (stratégie en réponse

développée par le lecteur, discussion avec Michel Charles), une phénoménologie et

une herméneutique de la lecture (interprétation par compréhension et explication,

s’achevant dans une application : la discussion avec Jauss). Cette dernière

perspective est essentielle : elle constitue la lecture en processus d’interprétation, carelle réalise les trois « subtilités » de la tradition herméneutique, celle de la

compréhension, celle de l'explication et particulièrement celle de l’application. Cf III,

p. 229, note 1 et surtout p. 255.

Venons-en aux œuvres elles-mêmes.

( - Entre le te!ps !ortel et le te!ps !onu!ental : Mrs )allo*ay de +ir$inia ,ool# 

Je passe ici assez rapidement.

L’étude de ce premier des trois textes (152-167) :

- met en évidence une discordance entre « le temps mortel et le temps

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monumental », c’est-à-dire entre l’esprit de l’Empire britannique, sa facticité et sa

temporalité d’une part, et, d’autre part, l’expérience du temps sous la menace et sous

le signe de la mort. Cette discordance prend sa force et son effet dans le personnage

de Mrs Dalloway.

- propose une métaphore spatiale et même cosmologique de la mise en intrigue,

l’ellipse dont il est question p. 153 (à ses foyers, Clara et Septimus). J’aurai à revenirsur cette figure récurrente de la pensée de Ricœur.

- met en évidence le thème organisateur de la voix narrative.

-)er .au/er/er$ de T0o!as Mann 

Travail plus long, plus complexe, sur un objet lui-même plus massif et plus

complexe (p. 168-194).

1 - Voyons d’abord la logique de l’étude sur l’œuvre de Thomas Mann

L’intention de RicœurMontrer comment La Montagne magique  est une « fable sur  le temps », un

Zeitroman , c’est-à-dire (suivant la définition générale de 151) un roman où « c’est

l’expérience du temps qui est l’enjeu des transformations structurales ».

La complexité de l’intrigue

Elle réunit trois éléments (172-173) :

le roman du temps effacé,

le roman de la maladie mortelle,

le roman de la culture européenne.La question qui se pose

Comment ces trois données sont elles incorporées dans cette fable sur le temps ?

Cette question porte sur les techniques narratives.

Le moyen de sa résolution

173 : « En incorporant ces trois grandeurs dans l’expérience singulière du

personnage central, Hans Castorp », cela sous l’esthétique et la forme narrative

connues du Bildungsroman .

Cette idée de l’éducation, outre le fait qu’elle rend compte de personnages commeSettembrini et Naphta, procure l’ouverture sur un éducateur très spécial et tout à fait

déterminant : le narrateur (175 & 188).

La solution est donc bien de l’ordre des configurations narratives.

Parcours dans le roman

À partir de là, Ricœur suit l’évolution de Hans Castorp pour montrer comment il

traverse les diverses modalités d’une expérience du temps qui l’amène aux abords de

la guerre et comment tout cela conduit le lecteur à une perplexité sur le devenir futur

du héros et sur la nature de la clôture de l’expérience du temps dans l’événement

planétaire de cette guerre.

2 — Voyons ensuite les notions et figures de l’analyse de Der Zauberberg 

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L’image cosmologique à nouveau

172 : les constellations, et non l’ellipse cette fois. Le problème est celui de la

construction de ces « constellations ».

Le double parcours

La nécessité pratique d’une deuxième lecture et sa nécessité théorique : par

exemple, selon Ricœur, des effets d’ironie ne peuvent se produire que par une

relecture, une fois qu’on a connu le destin final de Hans (177, 182).

Entendons par là que la configuration narrative commande au dispositif de la voix,

ou encore que la phrase s’abolit dans le discours, ou encore que la narratologie

s’impose à la stylistique narrative. On retrouvera cette position et ce problème au

niveau de l’étude sur Proust.

Les deux niveaux de l’ironie

Celle que le héros exerce à l’égard de sa propre expérience du temps et le

redoublement de celle-ci dans la parole du narrateur à l’égard de son propre récit.)/.Chaque fois que Ricœur évoque La Montagne magique  et encore dans le vol. III, il

insiste sur l’ironie comme un des traits distinctifs et prégnants de cette fiction.

Les notations de voix

180 (bas), 181 (note), 167 (dans Woolf), « le ton assuré » de la question finale

(192).

Or cette dernière analyse est sans doute l’une des plus développées, l’une des plus

propres à faire sentir qu’il y a des valeurs identifiables de la voix.

Car les valeurs écrites de la voix reposent sur certaines marques grammaticales etstylistiques propres à instituer un régime temporel des voix narratives et donc une

dynamique. Mais ce fait n’est pas développé, travaillé, ni même noté dans Ricœur.

Ces notations ne vont jamais à une étude véritablement stylistique, c’est-à-dire par

exemple aux analyses de grammaire propres à déceler, de manière objective, le

feuilleté des voix, telles qu’elles sont fictivement configurées dans l’écriture.

J’y reviendrai à propos de Proust.

La préoccupation explicite à l'égard du lecteur

177. Cette voix est à écouter (170).

Ainsi la voix est-elle le médiateur essentiel entre la configuration et les refigurations

de la lecture. Elle appartient au monde de l’œuvre, elle projette au dehors ce monde

vers l’écoute des lecteurs, elle appelle leurs identifications.

Mais là encore il manque peut-être, et même sans doute, l’observation des

phénomènes d’identification que permet justement le creusement des distances

ironiques au sein de la voix narrative. Ce dont, par exemple, un Flaubert (un Kafka ?)

est un maître.

Maintenant, venons-en à La Recherche du temps perdu .

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1 - 2 la rec0erc0e du te!ps perdu : le te!ps travers% 

Notons d’abord une expression brièvement entrevue, et qui nous importe (p. 197) :

« […] notre recours à Proust pour illustrer la notion d’expérience fictive du temps.(7/ ».

Je note cette expression, sans oublier que, par ailleurs et notamment dans le

volume III, Ricœur affirme avec force l’irréductibilité des œuvres de fiction à telle vision

philosophique et particulièrement aux descriptions phénoménologiques de Husserl et

Heidegger.

Car ici il s’agit ici de sa marche à lui, de ce que j’appellerai plus loin sa stratégie,

dans son enquête. Cette marche est autonome, elle ne se confond pas avec la

philosophie, elle joue son propre jeu autour de l’aporie qu’elle propose et à laquelle

elle confronte et la philosophie, et les œuvres, et les rationalités diverses constituées

par les disciplines.

1 - La marche du texte de Ricœur

Elle est analysable suivant ses quatre moments.Préambule

Comme toujours dans ce livre de Ricœur, la problématique est parfaitement définie.

Et, comme souvent, elle se définit de manière « polémique » et dialectique, au sein de

discussions.((/. J’y reviendrai.

La question initiale (194) porte sur la légitimité de sa position, c’est-à-dire sur la

possibilité de considérer La Recherche  comme une fable sur le temps . Ricœur va

soutenir la pertinence de sa démarche en développant une interprétation de l’œuvre

contre trois perspectives qu’il s’oppose.- Contre les tenants, anciens et désormais réfutés, de la thèse suivant laquelle La 

Recherche  serait une autobiographie de Proust, Ricœur se borne à réaffirmer le

principe de la distinction qu’on a vue précédemment entre l’auteur et la figure fictive du

narrateur et à constater que la critique actuelle lui donne raison. Ce qui n’exclut pas

qu’il y revienne épisodiquement dans les analyses.

- Contre Deleuze. Celui-ci privilégie l’enjeu de la vérité, de la conquête de cette

vérité à travers un apprentissage des signes que le narrateur recevrait au long de sa

vie. Ricœur annonce donc qu’il va prendre en compte un fait jugé capital de la

composition de La Recherche  à savoir « la longueur démesurée de l’apprentissage

des signes » à accorder avec « la soudaineté d’une visitation tardivement racontée, qui

qualifie rétrospectivement toute la quête comme temps perdu » (195). Et, de fait, c’est

la critique des signes selon Deleuze qui fournira le fil directeur de toute l’analyse.

- Contre Anne Henry.(*/. Celle-ci suppose que La Recherche  porte sur un plan

psychologique et narratif la philosophie de l’art du Romantisme allemand, telle qu’elle

aurait été reçue par Proust à travers Séailles, Darlu et Tarde.

À cet égard, et pour mettre en évidence la méthode de Ricœur, il n’est pas mauvais

de lire le passage des pp. 197-198.Ainsi, contre les deux dernières problématiques, mais de manière plus explicite

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contre celle de Deleuze, Ricœur va chercher à déceler dans la configuration narrative

de La Recherche  la présence, originaire, d’une « expérience fictive du temps ».

La réponse se fait en trois temps, suivant le parcours d’un lecteur qui, traversant

l’œuvre, arriverait à la soirée Guermantes et aux révélations de la fin (à lui adressées à

travers la figure du narrateur), et qui alors, revenant sur l’ensemble de sa lecture,

chercherait à penser ensemble ces deux temps de la composition de La Recherche .1. Le temps perdu

C’est la marche supposée d’une première lecture, au fil du livre. Cette partie répond

donc à la question (200) : « Quels seraient les signes de la retrouvaille du temps pour

qui ignorerait la conclusion de La Recherche .(8/ ? »

Cette lecture va traverser toute La Recherche  (en fait le Du côté de chez Swann,

209 : une seule phrase sur l’œuvre intermédiaire), à l’exclusion du Temps retrouvé , en

notant les approches de la récollection du temps par le narrateur et ses héros comme

Swann, comme des approches imparfaites et des échecs.

L'idée fondamentale est donc celle-ci : le lecteur supposé entre dans un processus

dramatique qui lui fait attendre, le laisse espérer une péripétie et un dénouement par

l’achèvement paradoxal (para ten doxan ) d’une expérience du temps.

2. Le temps retrouvé

Cette analyse répond à la question annoncée (200) : « Par quels moyens narratifs

précis la spéculation sur l’art est-elle incorporée dans Le Temps retrouvé  à l’histoire

invisible d’une vocation ? »

Elle porte sur la soirée Guermantes et elle entend montrer que celle-ci articule de

manière narrative une expérience de l’extra temporel, une spéculation sur le temps,

une spéculation sur l’œuvre d’art, et une décision, celle d’écrire (212-213). Or cette

décision ne peut se prendre que sous l’aiguillon de la mort, que portent les spectres de

la fête (la spéculation sur l’œuvre d’art n’y suffirait pas) : c’est la théâtralisation de la

mort qui donne pour la première fois à l’écriture un caractère concret d’urgence.

Ainsi décrite, la réflexion du narrateur sur l’art ne représente pas une dissertation

sur l’esthétique mais la péripétie narrative (le moment fictionnel) nécessaire pour le

passage à la décision de renfermer le temps perdu dans une œuvre durable.Ici, à mon avis, figure le plus fort de la réflexion de Ricœur en tant qu’elle consiste à

rattacher la mise en intrigue à des actions (à ce que Ricœur appelle une perspective

axiologique : de l’action et des valeurs) et à tenir la décision  comme un moment capital

de ces actions.

3. Du temps retrouvé au temps perdu

C’est la réponse à la question (200) : « Quel rapport le projet de l’œuvre d’art, issu

de la découverte de la vocation d’écrivain, instaure-t-il entre le temps retrouvé et le

temps perdu ? »Voir p. 217.

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Ricœur revient donc à la méditation sur l’art à travers laquelle il veut décrire les

caractères de l’œuvre à venir, qu’il veut et doit  distinguer de celle que nous

connaissons.

C’est alors l’enquête sur la notion de style, propre à penser en effet le caractère

fictionnel de l’expérience temporelle proustienne comme réalisation de l’extra temporel

dans la temporalité objective d’une œuvre. Cette enquête met en évidence le sensunifiant de la métaphore, proclamé par Proust lui-même.

Mais, chose étrange, cette œuvre n’existe pas. Ce n’est pas l’œuvre que nous

venons de lire (p. 217). Et ce style n’est pas réalisé, ni analysé autrement que dans

son « idée ».(9/.

Récapitulons les traits de l’analyse de Ricœur sur Proust

L’opposition centrale qui gouverne cette analyse se formule entre le récit de

l’approche de la décision d’écrire et celui de cette décision.

Elle donne la perspective : la dramaturgie de l’œuvre tourne tout entière autour del’acte d’écrire, elle relève d’une pragmatique (et non d’une philosophie de la vérité,

comme dans Deleuze).

D'autre part, notons les notions opératoires, dont certaines sont essentielles dans

les deux autres études

a) La figure cosmologique de l’ellipse (p. 217)

Elle confère aux œuvres une dimension et une nature cosmiques (« le monde de

l’œuvre ») ; elle exalte la notion de configuration ; elle suppose une dynamique,

empruntée aux lois de la nature des choses, telle que celle-ci fait l’objet des modèles

humains (cosmologiques) de compréhension. On ne peut pas ici ne pas rappeler la

figure elliptique, mise en évidence hier par J. Greisch, qui assigne Aristote et Augustin

à chacun de ses foyers.

b) Les voix narratives

La notion de voix, comme on a vu pour La Montagne magique , offre la possibilité,

intrinsèque à l’œuvre, des refigurations. Comme telle, elle met en évidence le

caractère dynamique du « monde de l’œuvre ».

c) Le thème de la décision

Il substitue la perspective de la pragmatique à celle de l’esthétique.

d) Le thème du style

Il permet de traiter le trait essentiel de la réalisation de l’œuvre et de le définir

comme l’impression d’une marque originale et structurante (notamment par la

métaphore).(6/.

e) Le thème des deux lectures

Il était déjà apparu pour l’étude de La Montagne magique . Il s’affirme fortement ici :

201-203.

Ricœur voudrait bien suivre l’ordre et le mouvement de l’expérience fictive de lalecture, quitte à créer une sorte de figure imaginaire et heuristique du lecteur.

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Mais il se heurte à des œuvres très construites, très longues et très complexes

(choisies comme telles…), pour lesquelles il doit supposer, d’institution, une lecture et

une relecture, lecture dont en fait il ne parle pas et relecture qui lui permet de travailler

la configuration. Ou plutôt, et plus profondément, que l’œuvre soit longue ou courte, ce

thème exprime la difficulté dans laquelle Ricœur se met lui-même en traitant d’une part

de la configuration (nécessairement sous l’angle de la totalité) et, d’autre part, de ladynamique de la lecture (qui est un parcours linéaire et temporel dans l’œuvre).(/.

Alors que, me semble-t-il, le couple antagoniste de la distentio animi  et de l’effort à

la récollection du temps (le couple fondamental du livre de Ricœur) pourrait (devrait…)

s’observer à chaque moment de la lecture.

Je vais m’en expliquer maintenant.

Pour une criti3ue de l4interpr%tation de Ric&ur concernant Proust 

Je voudrais d’abord souligner combien les perspectives de Ricœur conviennent àLa Recherche  ou, inversement, combien l’exemple de La Recherche  est

 judicieusement choisi par Ricœur : tellement la question du temps évidemment, mais

aussi le souci de la structure de l’œuvre, la question de la narration, la disjonction

entre le narrateur et l’auteur, les événements de la lecture, l’articulation entre la

spéculation et la fiction, tout cela non seulement est thématisé dans La Recherche 

mais informe la fiction elle-même, et de manière décisive.

L’hommage n’est pas de précaution, comme on va le voir.

Cependant, je voudrais en somme déplacer le point d’application de la description

que Ricœur fait de La Recherche  et pour cela je proposerai une critique qui justement

mette en doute cette nécessité heuristique des deux lectures dans La Recherche .

J’entends par là que, globalement et à tout moment, la lecture de l’œuvre est informée

(aux deux sens du mot) – implicitement et par un certain moyen de poétique narrative

qu’on verra – de la totalité de l’expérience narrative du temps. Ou encore : le

mouvement qui conduit, à travers les expériences erronées et fautives du temps, vers

la visitation finale, est lui  parfaitement dominé et conduit.(</. Je m’inscris donc en

contradiction avec la phrase de Ricœur, au vol. III, p. 190 : « En deçà du point de

conjonction entre la Quête et l’Illumination, entre l’Apprentissage et la Visitation, La Recherche  ne sait où elle va. » Ou enfin : nous avons en mains l’œuvre évoquée par

le narrateur à la fin de La Recherche , mais nous l’avons sous une forme délibérément

dérobée.

1 - Le soupçon à la lecture de Ricœur

Ce « soupçon » vient de certains détails factuels, d’imprécisions ou d’oublis ou

même de certaines erreurs à l’égard du texte de Proust.

Ainsi le rôle de l’épisode de la madeleine (203 & 209), certains traits de la réflexion

sur Un amour de Swann  (206), une thèse sur l’indistinction de la voix du narrateur(201) surprennent-ils.

Manque aussi, dans l’analyse de Ricœur, la mise en évidence chez Proust de la

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thématisation de la lecture et de l’intégration de cette thématisation dans la fiction.(=/.

Or celle-ci est représentée, dans la fiction même, par les lectures dans le jardin, dans

lesquelles le jeune narrateur littéralement s’absorbe, s’abolit et abolit le temps convenu

des heures, comme si la lecture de La Recherche  trouvait son mode d’emploi dans la

fiction.()/. J’ajoute que, inversement, dans le texte de 1905 (Préface de Sésame et les 

lys  de Ruskin), republié en 1919 dans Pastiches et Mélanges , l’essai sur la lecture sefictionnalise déjà. Or maintenant on reconnaît généralement l’importance de ce texte

dans la genèse de la fiction.

2 - La structure de Du côté de chez Swann 

« Lisons d’abord » en lui-même le volume Du côté de chez Swann , justement parce

que c’est le premier volume.*7/.

a) Le sujet absolu chez Proust

Conscience unique et absorbante de toute réalité extérieure en ses propres

catégories et oppositions (Méséglise et Guermantes, Combray et Paris, Swann etmoi…) ; conscience fondée en un corps lui-même absolutisé, fondement et source de

la voix narrative ; conscience et corps ayant leurs aventures propres, dont celle de la

madeleine.

b) Le moment et la fonction de la madeleine

Événement de l’époque des remémorations nocturnes (mais non elle-même

remémoration nocturne), elle résout un problème de la conscience du sujet absolu par

le moyen de la réunification de son corps, un problème qu’il avait avec lui-même et

avec Maman.

c) Les dérives temporelles

La semaine (le samedi !) ; la « grande année » (de Pâques aux tempêtes de

février) ; l’âge. Ce sont bien des structures mimétiques du temps vécu, mais non

dramatiques. Deux d’entre elles appartiennent même directement à l’expérience

symbolique du temps. Et on pourrait s’étonner que Ricœur n’y revienne pas

explicitement quand il évoque, dans le vol. III (196-198), la frontière de la fable et du

mythe et notamment la « remythisation » du temps dans Proust.

d) La mise en abîme d’Un amour de Swann 

Parce que Swann est la métaphore et le double mimétique inversé du « Je » et qu’iltombe sous la coupe du temps par la faute de l’instrumentalisation de l’art qu’il produit

sous l’emprise de la passion, le récit de son amour relève de ce qui est exactement

l’inverse de l’esthétique de La Recherche , à savoir la dramatisation.

e) Le morceau de Martinville

Seul morceau écrit de La Recherche , et qui raconte, cette fois et une fois, le fait

même d’écrire, il témoigne que l’écriture est possible. Mais son statut indique, en

abîme et en opposition, d’une tout autre manière qu’Un amour de Swann , que l’écriture

de La Recherche  est un fait dérobé. Elle n’a pas le statut du poème en prose (ou de laprose poétique), car, comme on va le voir, elle n’a même pas du tout le statut

d’écriture.

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3 - La souveraineté de la voix narrative

Maintenant, considérons le style, tel qu’il marque pour ainsi dire chaque phrase, dès

le début.

Ricœur ne veut pas voir que la voix fictive est posée d’emblée, tout entière, qu’elle

sort elle-même toute formée du lieu absolu du sujet absolu et comme attachée à son

corps fictif, qu’elle raconte à la fois les événements, choses et personnes du sujet et lemouvement « historique » de son apparition. C’est là que se situe réellement ce

« temps incorporé » (expression de Proust) que Ricœur évoque (223).

Certes la fameuse phrase d’incipit  « Longtemps je me suis couché de bonne

heure. » trouvera son écho à la fin du Temps retrouvé  (« Moi, c’était autre chose que

 j’avais à écrire […]. Long à écrire. Le jour, tout au plus pourrais-je essayer de dormir.

Si je travaillais, ce ne serait que la nuit. », IV, 620). Mais elle disait déjà, selon l’analyse

grammaticale simple que tout « lecteur compétent » pratique : Maintenant je ne me

couche plus de bonne heure, maintenant je ne suis plus dans le temps de laremémoration de ces nuits-là, maintenant il se passe quelque chose, que vous devez

découvrir, mais qui est là intégralement présent.

Ce quelque chose, qui doit « intriguer » le lecteur, qu’il doit découvrir peu à peu et

qui lui sera révélé ou confirmé à la fin, c’est le fait même, en son actualité supposée et

fictive, de la narration, la narration supposée comme fait et succession d’événements

propres.

4 - La généalogie de la décision

Oui, certes, la narration va vers le moment et l’acte de la décision, et c’est un acquis

décisif de Ricœur, que seul un philosophe de l’action peut-être pouvait mettre en

évidence avec cette force et cette pertinence. Ainsi le mouvement du récit conduit-il le

lecteur au plus près du moment où la voix narrative parle depuis le début.

Mais le fait et les événements propres de l’écriture se dérobent. Cela parce que

cette écriture s’absorbe dans la voix permanente, mobile et souveraine, qui règne sur

toute l’œuvre. Elle se raconte, mais uniquement à travers les incidents propres :

factuels, grammaticaux, stylistiques, les inflexions de sa réalisation.

Et l’écriture se dérobe parce que la voix est la fiction fondamentale de l’œuvre, que

l’écriture (autre fiction) est censée reproduire, mimer, sans reste et sans distinctionpossible. Pour que la voix fictive puisse accréditer sa fiction, il faut que l’écriture

s’abolisse en elle.*(/.

En un mot, le moment fictif et ponctuel de « la visitation » n’est pas  le moment,

autrement fictif et non ponctuel, de la narration, de l’écriture de la narration. Le premier

est ponctuel, dramatique et « historique » ; le second est permanent et mobile.

5 - Le mouvement de la voix narrative

J’adhère à l’analyse que produit le chapitre II, 2 du vol. III (notamment les pages

193 et suiv.), sous la réserve suivante.La tension qui anime tout l’ouvrage (la distensio  / intentio  augustinienne revue à la

lumière des répétitions heideggériennes ou des recouvrements « tuilés » de Husserl :

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ce que Husserl appelle la rétention/protention) se résoudrait au mieux dans la voix

narratrice elle-même, ou plutôt dans la dynamique contradictoire de cette voix, qui

« traîne » avec elle, à tout instant, tout ce qui a déjà été raconté du narrateur et se

prolonge vers les actes futurs de raconter. Ou bien, sous une autre formulation : en

même temps qu’elle avance, elle est informée de la totalité de la vie du narrateur,

qu’elle emporte avec elle, telle que cette vie se concentre de manière métonymiquedans la totalité, réduite et à tout instant disponible, du corps qui la produit.

Pour une stylisti3ue $%n%ralis%e dans Proust 

J’adhère à la notion du style que Ricœur emprunte à Granger (III, 235).**/. Mais

non à sa mise en œuvre.

1 - Principe

L’étude de La Recherche  devrait « abolir » la structure de l’œuvre (dans les termes

de Ricœur : la mise en intrigue, la configuration) au sein d’une stylistique généralisée.C’est-à-dire placer réellement La Recherche , depuis la phrase jusqu’à la constitution

des sections puis de l’œuvre, sous le signe de la métaphore et de la métonymie

(Genette) et, par là, sous celui de la voix (stylistique de l’oralité, telle que celle-ci

s’écrit).*8/.

Mais cela ne se fait pas, justement parce que l’écriture (ici l’écriture de l’oralité,

notion, il est vrai, des plus paradoxales) n’est pas considérée en elle-même.

2 - Exemple

Par exemple, considérer le fait et les effets du style indirect géant, dans lequel lavoix souveraine absorbe toutes les voix possibles, y compris celle du narrateur en ses

moments successifs.

3 - Retour sur l’étude des « jeux avec le temps »

Reprenons l’analyse qu’il fait des positions de Weinrich (108-109).

Il y décrit ce qu’il conviendrait sans doute de faire sur Proust, mais il l’écarte au

motif, récurrent, de l’autonomisation des temps verbaux. Pour cause de

structuralisme…

Ainsi en opposant tout de suite, dans le premier mouvement de l’œuvre, le

« Longtemps je me suis couché de bonne heure. » au « Parfois, à peine ma bougie

éteinte, mes yeux se fermaient si vite que […] », on a l’idée d’un mouvement narratif

obtenu par des jeux sur les valeurs des temps verbaux, du lexique, des locutions…

Conclusion de cette criti3ue 

Que signifie cette critique ? Et quel en est l’esprit ?

1 - D’une part, un point de vue de « littéraire », c’est-à-dire une attention pour ainsi

dire professionnelle et disciplinaire, dans la poétique narrative, aux faits immédiats de

l’écriture. Notamment aux événements minimes, fugaces, infimes même, quisurviennent à ce niveau, mais en relation avec la poétique générale de l’œuvre entière.

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Il faut croire que la moindre phrase, et dans la phrase tel adverbe, tel déictique, telle

virgule, porte le sens philosophique de l’œuvre, ce qui est un credo  de « littéraire ». Et,

peut-être le fondement d’une position, dans le rapport interdisciplinaire que nous

pourrions entretenir avec la philosophie

2 - Mais, s’agissant de Proust, un point de vue animé finalement des mêmes

préoccupations que celui de Ricœur et évidemment influencé par lui, je pense. Car il yest bien question d’une pratique du temps, repérable de manière objective dans les

procédures d’une œuvre ; d’une pratique qui met en jeu la lecture de l’œuvre ; d’une

pratique thématisée dans la fable elle-même. Si j’osais, je dirais ici ce que Ricœur dit

de ce qu’il fait à propos de Greimas (91) : « Reconnaître ce caractère [incomplet, ou

inexactement approprié du modèle, ici, de Ricœur], ce n’est pas du tout le réfuter :

c’est au contraire porter au jour les conditions de son intelligibilité […]. »

3 - Cependant, il y a bien une raison, cette fois inhérente à la perspective

philosophique de Ricœur, pour que l’écriture ne soit pas vraiment considérée. Car d’oùvient la nécessité de la « double lecture « ?

Si l’écriture n’est pas vraiment considérée, c’est parce que le fait de l’écriture est

méconnu au bénéfice d’une attention quasi exclusive apportée aux phénomènes de la

configuration conçue comme la mise en intrigue. Cela confirmé par le passage des

Conclusions.*9/ (227) où Ricœur, répondant à son scrupule de paraître abandonner la

problématique de l’intrigue, affirme privilégier la composition par rapport aux jeux avec

le temps.

Il y en a peut-être une autre, qui apparaît mieux au vol. III (255…), dans l’étude sur

Jauss, quand Ricœur veut reconnaître divers temps à la lecture, et jusqu’à troislectures (immédiate, réfléchissante, de reconstitution historique), pour montrer,

distinguer et spécifier les actes de la lecture, dans la perspective de l’herméneutique

(comment l’application traverse les deux autres fonctions de la compréhension et de

l’explication). Autrement dit, le développement de l’idée de refiguration requiert sans

doute le feuilleté des lectures.

III - Le sens de cette approc0e 

Il faut maintenant revenir au projet d’ensemble de Ricœur.

1 - La place du volume II dans l’ensemble des trois volumes

Elle signale et signifie :

a) L’articulation des trois mimèsis

Autour des œuvres (et des disciplines qui doivent concourir à leur étude), se joue le

sort de l’expérience première du temps (les préfigurations) et de l’expérience seconde

(les refigurations). Entre les deux parties première et troisième, la deuxième pose

l’intervention configurante sous ses deux formes (histoire et récit de fiction) commeintervention réfléchie et inventive de l’humanité sur son expérience du temps.*6/.

Qu’il soit vécu sous la forme des événements historiques ou inventé, le temps ne

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saurait être humain sans être configuré, renvoyé aux refigurations que la lecture

effectuera et rapporté au « récit tel qu’il est déjà pratiqué dans les transactions du

discours ordinaire » (230).

b) La relation entre le récit de fiction et le récit historique

C’est à la fois le domaine et le moyen fondamental de l’enquête de Ricœur. Les

deux études se conditionnent mutuellement, comme le souligne le « bilan » desConclusions. Ricœur poursuit la configuration (spéculative) complète des

configurations humaines du temps. Ici (dans la fiction), le critère de la modalité est

décisif : on configure encore le temps réel de l’homme, mais suivant des configurations

imaginaires et libres, en nombre illimité. Pour donner une idée de ces articulations :

- En III, II, chap. 5, dans l’enquête sur « L’entrecroisement de l’histoire et de la

fiction », qui traite du niveau des refigurations, il les oppose et réunit autour des

contraintes spécifiques imposées à l’une et à l’autre, la contrainte de la preuve et celle

de « la liberté pour… » : « Le paradoxe est ici que la liberté  des variations imaginativesn’est communiquée que revêtue de la puissance contraignante  d’une vision du

monde.*/. » (260)

- Il s’agit de couvrir « le champ narratif entier » (II, 229). « Historiographie et critique

littéraire sont convoquées ensemble et invitées à reconstituer ensemble une grande

narratologie, où un droit égal serait reconnu au récit historique et au récit de fiction »

(230). Déclaration évidemment très importante pour des « littéraires ».

- Bien entendu, cette référence principale et à certains égards unique, qui renvoie

mutuellement le récit de fiction au récit historique, contribue fortement à sortir le récit

de fiction de la « littérature » et de l’esthétique et à le renvoyer au problème de l’action.

Inversement, comme le montrerait une réflexion sur Duby et, plus récemment, sur

quelqu’un comme Michèle Riot-Sarcey.*</, la référence du récit historique au récit de

fiction renvoie la discipline historique à la considération de l’action, du moment même

de l’action.*=/. Car, si l’histoire recourt au récit, c’est parce qu’elle considère deux fois

l’action : en se donnant comme objet l’obscurité même des décisions des hommes au

sein de leur moment ; en se donnant comme fin la « représentance » du passé à

l’égard des contemporains et en leur nom.

c) L’encadrement strict des configurationsEntendons : leur développement (comme mise en intrigue) et le refus de leur

autonomisation, autrement que de manière provisoire. Le vol. III réintégrera ces

discussions et ces œuvres dans les déterminations des refigurations et notamment

des lectures.

d) Un usage stratégique des trois œuvres littéraires

À travers le travail sur les trois œuvres et notamment sur la Recherche .

Cet usage vise non seulement à couvrir l’ensemble du champ des expériences du

temps mais à montrer comment des opérations humaines peuvent produire desexpérimentations, imaginaires mais réalisées, des expérimentations significatives, du

« temps humain », pour parler encore comme Georges Poulet.

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2 - Augustin et Aristote

À mon sens, il faut remonter encore plus haut, à l’opposition originaire entre saint

Augustin et Aristote, et à cette ellipse dans laquelle Ricœur les inscrit pour les

configurer entre eux, tout en les mettant en mouvement.

a) - D’un côté, Ricœur est éminemment sensible à la description augustinienne de

l’expérience du temps, de son caractère concret, de sa difficulté et même de soncaractère aporétique.

b) - De l’autre, il est frappé de la ressource qu’offre précisément la mimèsis 

aristotélicienne comme mode d’intelligence spécifique des phénomènes de l’ordre du

temps (chez Aristote : de l’action).

À l’un il demande le sens de l’expérience du temps (mais aussi le caractère

problématique de cette expérience), à l’autre un mode de rationalité propre à penser

l’expérience du temps (mais en retenant son insuffisance à le penser seul).

En somme, Ricœur fait poser la question du temps à Augustin, et la tourne versAristote. C’est qu’Aristote détient la solution (problématique) à la question déclarée

insoluble par Augustin : un mode d’intelligence appliqué par Aristote à un autre

problème, que Ricœur lui-même connaît bien, le mode de la mimèsis  poétique.

Mais il ne peut le faire qu’en dépouillant la mimèsis  aristotélicienne de la spécificité

de l’objet auquel elle s’appliquait.

3 - De la tragédie au discours du récit

C’est une réflexion de « littéraire », qui ne reconnaît plus ici la poétique de l’action

dramatique, ni la place d’Aristote dans la tradition de la théorie et de la pratique du

théâtre occidental.

a) Une remarque de « littéraire »

Au départ, il y a cette décision de traiter le problème du récit en général dans les

termes d’Aristote, alors que la Poétique  justement spécifie la configuration de l’action

(sustasis tès praxeôs ) par le moyen d’hommes agissants (dia prattontôn ).

Or, pour un littéraire, le théâtre, toute problématique même des genres mise à part,

effectivement et matériellement parlant, esthétiquement parlant, justement n’est pas un

mode du récit. Cette prise de position elle-même se fonde dans Aristote et dans sa

distinction centrale entre le dramatique et l’épique, mais aussi dans les faits, c’est-à-dire dans la spécificité du théâtre, qui est peut-être irréductible à la littérature.

Tout se passe donc comme si la dialectisation d’Aristote par Augustin privait la

Poétique  de la dimension par laquelle elle intéresse les Lettres : le mode de la

représentation, les affects spéciaux liés à ce mode spécial, et jusqu’à l’histoire

complexe de l’influence et du commentaire d’Aristote dans l’histoire du théâtre

occidental.

b) Le déport donc subi par la perspective d’Aristote

Cette perspective était fondatrice de quelque chose qui n’existait pas, la poétiquede la tragédie, spécifique de son objet et construite à partir de tragédies réelles.

Or ce que Ricœur justement écarte, c’est ce qui est typiquement aristotélicien, à savoir

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l’observation de cet organisme très particulier qu’est la tragédie, comme particulier :

comme ce qui n’appartient pas à tel autre, l’épopée.

Ricœur répond une première fois à cette interrogation dans ses Conclusions du vol.

II, en faisant état de ses « scrupules » (226-227). En somme, sa réponse consiste à

soutenir que l’essentiel consiste dans le fait qu’il considère le fait de la mimèsis 

d’action et non son mode, le quoi et non le comment. Ce qui compte, c’est lacomposition de l’œuvre, traitée sous le nom de mise en intrigue  et, par exemple, le fait

de rapporter les distinctions entre énonciation et énoncé, narrateur et narré à la

composition de l’œuvre. Où nous trouvons la vraie raison pour laquelle le style de

Proust est traité comme un fait subordonné à la composition de La Recherche 

La deuxième réponse concerne la question du roman (227-229). Elle consiste à

constater, dans le même esprit que la précédente, que le roman, justement à travers

tout ce qui en lui excède les genres et les classifications, enrichit la notion d’action :

« […] dire c’est encore faire, même lorsque le dire se réfugie [comme dans Ulysse  deJoyce] dans le discours sans voix d’une pensée muette que le romancier n’hésite pas

à raconter .*)/. » Cependant cette question du roman et de son irréductibilité à la

notion de l’intrigue conduit Ricœur à réitérer un certain passage en force qu’il avait

déjà pratiqué (231).

La troisième réponse figure dans le volume III (II, 4), quand Ricœur commente

l’herméneutique littéraire de Jauss (258-259) : à la faveur de la triade de Jauss

(poièsis, aisthèsis, catharsis ), la théorie des refigurations reprend et privilégie la

problématique morale d’Aristote.

4 - De l’esthétique à la poétique et de la poétique à la phénoménologie

En quoi fallait-il passer par Aristote, et par Genette, et par les théories du discours,

et même par une enquête sur le devenir historique de l’intrigue ?

a) Le chemin

Le dépassement de l’esthétique

Ce que révèle le malaise du « littéraire », c’est que Ricœur se situe d’abord en

dehors de l’esthétique, cette région de la philosophie où sont (où seraient…) « nos

interlocuteurs naturels ». Le vol. III montre bien qu’il revient aux catégories kantiennes

(cf. III, 259), mais pour les reprendre au sein de l’herméneutique phénoménologique.Le passage par la poétique

Ricœur déporte l’esthétique et ses catégories propres (du Beau, du goût, du

 jugement…) vers celles de l’élaboration, de la construction, du sens (des structures

narratives) et de la signification (des actes de la mimèsis ).

Ici, ce qui est judicatoire, ce qui discrimine, et ce qui détermine le sens, c’est la

figuration (configuration, préfiguration, refiguration).

C’est-à-dire des opérations de pensée qui ne soient pas exactement d’intellection

pure (quoiqu’il y ait une « intelligence narrative »), ni d’imagination (quoiqu’il y ait desreprésentations), ni même de symbolisation (quoiqu’il y ait des fabulations).

Telle est probablement la raison pour laquelle Ricœur doit passer par la rationalité

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spéciale des opérations de la narratologie, mais sans s’y arrêter.

b) Une phénoménologie de « l’intelligence narrative »

Les trois mimèsis , liées entre elles, décrivent en effet des opérations de la

conscience du temps.

Opérations structurantes dont la visée est bien le temps réel, mais justement en tant

qu’inaccessible en dehors de ces opérations.

Opérations non seulement structurantes de la durée et de la réalité temporelle, mais

de la subjectivité elle-même à l’œuvre dans ces opérations. C’est ce que Ricœur

appelle in fine , en vol. III, dans ses Conclusions (355…), « l’identité narrative ».

I+ - )%veloppe!ent : la nature strat%$i3ue de la pens%e de Ric&ur 

D’une part, cette analyse permettrait de comprendre l’intention et le mouvement du

volume II, comme d’ailleurs de cette œuvre entière ; d’autre part, elle a à voir avec le

 jeu de nos deux disciplines, tel qu’il peut se jouer quand il s’agit de Ricœur et du

terrain où il se place.

1 - Une pensée de l’action

On sait que Ricœur constamment s’adresse aux problèmes formels, éthiques,

philosophiques de l’action. Entre autres faits, le récit relève de l’action.

Plus largement, toute l’œuvre de Ricœur peut être considérée à travers le titre d’un

de ses recueils d’articles : Du texte à l’action .Ici, clairement, le travail porte sur les actes de l’intelligence narrative et sur leur

signification.

2 - Une pensée donc du récit comme action

« L’intelligence narrative », pour reprendre une notion maîtresse de Ricœur, est une

faculté en action, aux trois niveaux de la mimèsis .

Ainsi, concernant les œuvres comme celles de Proust, Thomas Mann ou Virginia

Woolf, alors que la philosophie se propose habituellement de les examiner au titre

d’une esthétique, Ricœur les place dans une sémantique de l’action.87/ et unephénoménologie, où leur spécificité proprement littéraire ne peut manquer d’être

affaiblie ou même déniée.

3 - Une pensée en action

J’entends par là que le projet, la méthode, l’écriture de Ricœur sont

stratégiques.8(/.

Références : de nombreuses formules, par exemple au vol. III (264 : « Ce passage

a été préparé de longue main par les analyses précédentes. » ; 265 : « Nous avons

feint de croire que… » ; 270 : « Nous avons été préparés dès longtemps à accueillir cesecours.8*/ » ; 354 : « Résumons la stratégie que nous avons suivie.88/. »)

À mon avis, un texte de 1992.89/, « Une reprise de La Poétique  d’Aristote » (dans

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Lectures 2. La Contrée des philosophes ) exprime très exactement la nature de

l’entreprise de Temps et récit :

[…] j’avais tenté, dans Temps et récit, une « appropriation » de ladite Poétique ,mais sans poser le problème en termes de « stratégie d’appropriation » […] ;c’est ce que je vais donc essayer de faire en prenant une distance critique à

l’égard de ma propre manœuvre dans l’ouvrage cité (p. 464).Pour ma part, je lis cette stratégie dans le dispositif même du livre qui nous occupe,

et spécialement du volume II.

Essayons donc de déterminer quelques figures de la stratégie de Ricœur.

a) Appropriation et dialectisation

Comme suggéré dans ce texte, il s’agit de s’emparer de territoires. Comme si

l’immense érudition philosophique de Ricœur, sa connaissance des sciences de

l’homme, sa connaissance de la littérature et de ses environs théoriques et critiques lui

permettaient de couvrir tout le terrain, par exemple du récit. Ou bien, inversement,

comme si la nature de sa pensée, des moyens et des objets qu’elle se donne

consistait dans le développement d’une idée jusqu’au point où elle fédère et domine

les territoires hétérogènes d’un empire.

Mais cette conquête et cette espèce de soumission se fait par des procédures de

dialectisation :

Dialectisations des pensées « adverses »

J’entends par là que Ricœur n’hésite pas à affronter les problématiques les plus

contraires à la sienne. Par exemple, celles des sémioticiens, en tant qu’elles ignorent

par principe l’intention morale du récit et même justement qu’elles s’entendent àassimiler le procès du temps et celui de la narration à des structures synchroniques et

à substituer à l’intelligence narrative du temps des modèles rationnels entièrement

formalisés (tout le chapitre 2 « Les contraintes sémiotiques de la narrativité »).

Mais c’est pour les ramener à la mise en intrigue d’Aristote, faire éclater leurs

apories, et, mieux encore, discerner ce qui en elles les renvoie, quoi qu’elles en aient,

à sa propre perspective. Ainsi s’agissant de Greimas (91) : il ne s’agit pas de le réfuter

mais « au contraire de porter au jour les conditions de son intelligibilité, comme nous

l’avons fait dans la seconde partie de ce travail pour les modèles nomologiques enhistoire ». Ainsi l’examen des conditions de possibilité (internes) d’une pensée cache-

t-elle une interprétation à caractère d’appropriation.

D’une manière générale, Ricœur procède par discussion. Avec les auteurs que je

viens d’indiquer, avec Heidegger et Husserl dans le vol. III, avec Booth, Michel

Charles, Jauss dans le même volume.86/.

Dialectisations de ces pensées l’une par l’autre

Ne serait-ce pas cela qui se passe dès la confrontation originaire du livre entre

Aristote et Augustin ?

Pensons à nouveau à la discussion avec Greimas. D’une part, Ricœur le « fait

marcher contre » la sémiotique de Propp (comme trop peu élaborée) et contre les

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historiens de la littérature (comme trop sensibles à l’éclatement actuel des formes du

récit et même à la fin du raconter) ; d’autre part, justement, il « fait marcher contre » le

modèle de Greimas la diversité et les métamorphoses actuelles du récit (p. 91).

b) L’allusion

J’appelle ainsi une sorte de figure de la pensée de Ricœur, qui consiste à maintenir

constamment à l’arrière-plan d’une certaine discussion une autre discussion déjà faite,ou à venir. Par exemple, celle qui renvoie la discussion avec la sémiotique à celle qui a

eu lieu dans le volume I avec les tenants de l’histoire scientifique, qu’il appelle

nomologique.

c) La totalisation

J’appelle ainsi une autre figure de la pensée de Ricœur qui consiste à définir et à

faire jouer des notions dans un champ (sur un terrain choisi et délimité à cet effet) où

elles se conditionnent de manière circulaire.

Par exemple, les trois mimèsis .Par exemple, la première phrase du chapitre 1, p. 17.

Ce genre de totalisations, si familier à la pensée de Ricœur et qui, parfois, le fait

accuser de pétition de principe, se fonde dans ce qu’il appelle le cercle

herméneutique : « Comprendre pour croire, croire pour comprendre. »

d) La progression en reprises

Ricœur reprend explicitement ou implicitement ses analyses antérieures, pour

pratiquer des sortes d’accrétions. Ainsi, entre vol. II et III, la question de l’histoire

littéraire : traitée d’abord par rapport à Frye, et reprise dans la discussion avec Jauss.e) Les « passages en force »

J’en ai signalé un, qui se trouve au moment (47-48) où il discute la possibilité que la

mise en intrigue disparaisse actuellement des œuvres narratives. Dans le même but, il

est précédé d’un autre en 38-39.

f) Les reprises et « repentirs »

Ricœur revient sur sa démarche, pour souligner sa cohérence, en tracer les limites

et pour la développer.

- Les « scrupules » de la fin du vol. II.

- Les Conclusions du vol. III, qui font Postface, un an après (cf. note, p. 349). À cet

égard, l’introduction, à ce niveau, de la notion d’identité narrative est intéressante

(355). On peut se demander pourquoi elle n’est pas venue auparavant et on peut

observer que Ricœur lui-même met en cause (350) « l’ordre de composition » qu’il

avait suivi et « les analyses auteur par auteur, voire œuvre par œuvre, de la première

section ». Or cet ordre est précisément celui de sa stratégie, son dispositif

« polémique ».

- Le texte sur Aristote de 1992 (voir ci-dessous, en annexe).

Conclusion d’ensemble

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Si j’ai choisi de pratiquer une analyse de « littéraire » sur le texte de Ricœur, c’est

en vertu de ma qualification ici.

Ainsi un postulat de « littéraire » pourrait-il s’énoncer comme suit : la littérature

constitue des faits sui generis  et l’ordre du comment  (pour parler comme Ricœur) ne

saurait se subordonner à celui du quoi .

Ou encore comme ceci : il faut reconnaître un ordre spécifique à « la raisonpoétique », sa critique fût-elle à faire.

56TE E5 A55E7E sur le te8te de '99(  Une reprise de la Po%ti3ue d4Aristote ; <=> 

1 - « Les aveux »

La phrase liminaire de p. 464 (citée plus haut) et les termes des pp. 465 et 471.

2 - La « permission » d’Aristote

P. 470, Ricœur cite La Poétique  1449b, où Aristote évoque les éléments constitutifs

respectivement de la tragédie et de l’épopée : « […] certains sont les mêmes, les

autres sont propres à la tragédie. […] car les éléments que renferme l’épopée sont

dans la tragédie, mais ceux de la tragédie ne sont pas dans l’épopée. » Et il commente

en soutenant que ce qui distingue la tragédie c’est « le comment de la mimesis  et non

plus son quoi , à savoir la triade action, personnages, pensées ».

Cette interprétation de ce passage soulève évidemment des objections, la plusévidente étant que justement Aristote fait reconnaître ainsi le caractère irréductible de

la tragédie à l’épopée.

Que le comment  de la mimèsis  soit spécifique dans le dramatique suffit justement à

empêcher que l’on étende à l’épopée, et encore plus, à tout le narratif le modèle

aristotélicien de la tragédie.

3 - Éluder la question de l’histoire

Ricœur « laisse de côté » la question de l’historiographie.8</, en dépit du fait

qu’Aristote envisage la question de la représentation par le poète dramatique desévénements qui sont réellement arrivés. Pourquoi, sinon parce qu’Aristote traite ce

problème uniquement comme une question qui se pose à la poésie tragique et qui ne

suppose aucune spécificité à ce récit des événements réellement arrivés ? Dans ce

cas aussi, dit Aristote, le poète est poète de ces événements.

Or la marche de Ricœur suppose un travail constant sur les deux formes du récit,

historique et de fiction, où elles sont distinguées comme étant dialectiques.

Mais ce fait suggère aussi que la principale objection, à prévenir par Ricœur,

pourrait être celle du « littéraire » et porter en effet sur le volume II et, dans les autres

volumes, sur ce qui regarde les œuvres.

4 - Reformuler le ternaire d’Aristote

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Ce ternaire est celui de mimèsis, muthos, katharsis .

Et la reformulation, de chaque terme dans le ternaire, consiste à

insister sur l’objet de la mimèsis , à savoir l’action (en opposition avec la mimèsis 

platonicienne, de conception métaphysique) et déjà la tirer vers l’éthique ;

privilégier le muthos  parmi les traits de la tragédie, le séparer de son objet propre

(les êtres agissants) et le considérer comme « une structure commune au récit et au

drame « ;

interpréter l’ensemble du ternaire en termes ricœuriens, à savoir opposer le couple

mimèsis-muthos  comme ce qui « tend à refermer le travail de composition sur l’œuvre

elle-même » et ouvrir ce couple sur l’extérieur de l’œuvre par le rapport entre le

muthos  et la catharsis .

5 - Généraliser le modèle d’Aristote

La question (p. 469) : « Le modèle aristotélicien peut-il échapper aux contraintes

caractéristiques de son investissement tragique ? » Malicieusement, je répondrais :oui, désormais, c’est-à-dire dès que les reformulations précédentes ont eu lieu…

L’opération décisive a lieu p. 470, quand Ricœur se prévaut de la permission

d’Aristote que j’ai examinée plus haut.

Ensuite Ricœur développe une argumentation selon laquelle le modèle aristotélicien

(celui de l’activité configurante) est généralisable à tout récit :

par son opposition, à lui, entre concordance et discordance ;

en soutenant que « la tragédie [n’est] qu’une combinaison typique de ces grandeurs

[bonheur/malheur, bien/mal, vie/mort] parmi d’autres permutations possibles(entendons au sein de la littérature) ;

en ramenant le problème aristotélicien de la représentation des actions à celui

(ricœurien) de la représentation du temps.

6 - Constituer le modèle aristotélicien en invariant

Il s’agit d’une question qui faisait l’objet, déjà, du chapitre 1 du vol. II sur l’histoire

littéraire, à savoir s’il y a une pérennité des modèles de l’intelligence narrative (autre

que les formes abstraites que décrivent les rationalités sémiologiques), et s’il faut la

chercher dans la mise en intrigue d’Aristote.

La question du roman comme genre sans genre et comme multiplicité de formes est

donc réévoquée.

Ricœur évoque d’abord la tension la plus récente entre le roman naturaliste (qu’il

interprète comme une sorte de degré zéro de la mise en intrigue, en tant qu’elle

s’efface devant une reproduction de la réalité) et le nouveau roman (où il voit au

contraire une fermeture de la fiction sur elle-même). Cela pour refuser de s’y laisser

enfermer et rechercher plutôt « d’une part, les tendances à la canonisation

paradigmatique, d’autre part, les tendances à l’innovation antiparadigmatique ».

Puis il traite le problème le plus difficile, celui que pose l’existence de « certainesformes d’écriture, que d’aucuns appelleraient postmodernes », caractérisées par

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l’absence volontaire de toute clôture. Ainsi « la mort du récit » serait-elle au travail

(477). Ricœur déplace alors la perspective vers les configurations et la lecture, côté où

il pense apercevoir des « lois de structuration » et surtout « une demande en récit qui

ne paraît pas pouvoir être épuisée ».

Lire la fin, p. 478, qui dit bien et  le retour ultime sur les préfigurations de récit

comme expérience transcendantale du temps et  l’exigence axiologique qui fondefinalement les positions de Ricœur. Tout s’achève sur une rébellion, et « contre les

injonctions d’une certaine critique littéraire ».

Reste à savoir si l’adversaire est cette critique-là, en effet discutable et discutée, ou

bien la pensée que la littérature porte avec elle de manière autonome, et la discipline

(encore à venir ?) qui devrait s’attacher spécifiquement à cette pensée.8=/.

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RETOUR : >ontributions

NOTES

.(/ Je reviendrai plus bas sur ces « passages en force », pour caractériser ce qu’on peut appeler lapensée stratégique de Ricœur.

.*/ P. 71-91. La sémiotique narrative de Greimas offre un modèle des plus abstraits et rationalisés. Enmême temps, il introduit (relativement à l’ordre que lui assigne le développement de Ricœur) des notions

et des considérations précieuses pour Ricœur : structures aspectuelles du discours narratif, dimensionaxiologique et pragmatique, considération des actions respectives (du faire ) du destinateur et dudestinataire. De plus, Greimas a travaillé sur Maupassant : il nous rapproche ainsi, avant Genette, de lanarratologie des textes littéraires.Mais Ricœur lui reproche de ne pas pouvoir articuler vraiment sa logique des opérations narratives et sonidée de la créativité propre du récit : Ricœur pense pouvoir prouver une inadéquation entre, par exemple,les 2 schémas actanciels de donateur/donataire et de priver/donner (quelqu’un prive quelqu’un dequelque chose ou le lui donne). Dans le deuxième cas, l’introduction de la valeur (de ce qui est donné ouretiré) porte l’analyse à un niveau de déclaration éthique, qui n’est pas contenu dans le précédent. Ouencore, Greimas ne pourrait rendre compte de la créativité propre de tel récit, qui est la caractéristique,comme on verra, de l’œuvre de fiction.

.8/ Cette notion sera reprise en vol. III (p. 228-263) sous le titre « Monde du texte et monde du lecteur »,à la lumière d’une confrontation entre l’histoire et la fiction et après l’établissement des positions de laphénoménologie (Husserl et Heidegger).

.9/ Cf la formule de vol. I, p. 13, mise en évidence hier par Jean Greisch : « […] notre expériencetemporelle confuse, informe et, à la limite, muette ».

.6/ Cf la formule de p. 112 évoquant Goethe et Schiller et « l’émergence d’une qualité nouvelle du tempslui-même qu’ils attendent de l’expérience esthétique ». Thème qui sera développé par Ricœur dans levol. III. Cf encore la formule des Conclusions de II (233) : « Tout se passe comme si la fiction, en créantdes mondes imaginaires, ouvrait à la manifestation du temps une carrière illimitée. »

./ III, 193 : « Répétons-le : la fiction n’illustre pas un thème phénoménologique préexistant ; elle en

effectue le sens universel dans une figure singulière. » id, 202 : « Les expériences-limites qui, dans leroyaume de la fiction, affrontent l’éternité à la mort servent en même temps de révélateur à l’égard delimites de la phénoménologie, que sa méthode de réduction conduit à privilégier l ’immanence subjective,non seulement à l’égard des transcendances extérieures, mais aussi à l’égard des transcendances

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supérieures. »

.</ III, 230 : « […] nous avons parcouru seulement la moitié du chemin […] en introduisant, à la fin de latroisième partie, la notion de monde du texte impliquée dans toute expérience fictive. »

.=/ Au vol. III, 269, Ricœur reprend cette notion en évoquant « la revendication du vis-à-vis  aujourd’huirévolu sur le discours historique qu’il vise […] » et la dette  de celui-ci à l’égard de ce vis-à-vis.

.)/ Et puis, à un moment (186), entre parenthèses, paraît la voix ironique de Paul Ricœur lui-même ! Faittrès rare, à ma connaissance, et d’autant mieux identifiable…

.(7/ Deux sens : le privilège accordé à l’œuvre de Proust ; et son instrumentalisation.

.((/ II, 172, dans le travail sur La Montagne magique  : « Il nous faut donc maintenant entendre unplaidoyer d’esprit adverse. » et dans III, 233, au moment de commencer la discussion avec WayneBooth : « Avant d’entrer dans cette arène […]. »

.(*/ Anne Henry, Proust romancier, le tombeau égyptien . Cette récusation ne prendra tout son sens quedans le vol. III (II, 2, « Les fictions et les variations imaginatives sur le temps »), quand Ricœur exposeral’espèce de supériorité des fictions sur la philosophie phénoménologique (Husserl et Heidegger).

.(8/ Notons encore la notion de signe  empruntée à Deleuze, et détournée de sa problématique de lavérité vers une problématique de l’expérience du temps et de l’éternité.

.(9/ Qu’est-ce que le style d’une œuvre annoncée et qui n’existe pas ?

.(6/ On retrouverait le schéma de Genette, n’était ici l’absence de la métonymie.

.(/ Comme si revenait, pour lui, le problème qu’il décèle chez Greimas : comment passer d’un schémastructural à un schéma dynamique ? Or ce problème, c’est celui-là même de Proust, longtemps nonrésolu, et qu’il résout par la fiction de la voix narrative.

.(</ Proust lui-même, dans de nombreuses lettres (par exemple à H. de Régnier, éd. Kolb XIX, 630),soutient le caractère maîtrisé des premiers volumes, non sans reconnaître, il est vrai, que ce caractèren’est pas forcément évident. En même temps il renvoie ses lecteurs qui en douteraient à la suite àparaître.

.(=/ Absence des plus étranges dans la perspective de Ricœur.

.()/ Le thème de la lecture réunit encore plus de notations, de personnages, de données fictionnelles : lagrand-mère et Mme de Sévigné, maman lisant François le Champi, Bloch et Legrandin, Bergotte…

.*7/ À l’exemple de Ricœur, je pense ici à une notion heuristique de la lecture. Mais, pour le moment, jesuppose le premier volume comme une totalité, afin de comprendre le mouvement de cette totalité. Danstout ce passage, je reprends des éléments du chapitre consacré à Proust dans mon livre La Littérature à la recherche de la vérité , Le Seuil, 1996.

.*(/ La fiction de l’écriture dans La Recherche , comme acte envisageable de manière séparée,s’exprimerait bien dans une formule implicite et provocante : l’écriture n’existe pas. Le plus étonnant,c’est que, cette hypothèse, Ricœur la fait de manière générale, et sans l’appliquer à Proust, dans sa

discussion sur la nature de l’auteur et sur ses modes d’apparition, au vol. III, 234 : « Le comble de ladissimulation [de l’auteur] serait que la fiction paraisse n’avoir jamais été écrite. » Cf encore au vol. III,249 : « L’auteur impliqué est un déguisement de l’auteur réel, lequel disparaît en se faisant narrateurimmanent à l’œuvre – voix narrative. » Ce que Proust veut dissimuler, en dérobant à son lecteur jusqu’àla fiction de l’acte d’écriture, c’est le péril que feraient peser, sur toute la fiction, l’idée et l’image, lesoupçon, de l’auteur réel.

.**/ « Si l’on considère une œuvre comme la résolution d’un problème, issu lui-même des réussitesantérieures dans le domaine de la science aussi bien que de l’art, on peut appeler style l’adéquationentre la singularité de la solution que constitue par elle-même l’œuvre et la singularité de la conjoncturede crise, telle que le penseur l’a appréhendée. Cette singularité de la solution, répondant à la singularitédu problème, peut recevoir un nom propre, celui de l’auteur. »

.*8/ Toutes choses assimilées et différenciées, dans et par leur intimation dans le sujet qui transcende leTemps selon sa propre temporalité.

.*9/ Je reviendrai sur cette page.

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.*6/ C’est la contrepartie des abandons que doivent consentir l’œuvre, et la discipline qui entend laprivilégier. Ricœur insère les œuvres littéraires de l’ordre du récit dans une chaîne nécessaire : ellescontinuent les préfigurations et les achèvent dans les refigurations. En un sens assez différent, c’est laformule de Jacques Rancière : « L’homme est un animal littéraire. » L’expression littéraire trouve sa placeau sein d’une anthropologie. Autrement dit : la littérature est en gloire dans Temps et récit , mais elle yperd son autonomie.

.*/ Duby, dans ses Dialogues  avec Guy Lardreau, définit l’histoire comme « le rêve contraint d’unhistorien ».

.*</ Michèle Riot-Sarcey, Le Réel et l’utopie. Essai sur le politique au XIX e siècle, Albin Michel, 1998.

.*=/ En III, 278, il évoque « cette affinité profonde entre le vraisemblable de pure fiction et lespotentialités non effectuées du passé historique : « Le quasi-passé de la fiction devient ainsi le détecteurdes possibles enfouis dans le passé effectif . Ce qui "aurait pu avoir lieu" – le vraisemblable selonAristote – recouvre à la fois les potentialités du passé "réel" et les possibles "irréels" de la pure fiction. »

.*)/ Cette phrase pouvait fort bien s’appliquer à la fiction proustienne…

.87/ « La sémantique de l’action, c’est-à-dire l’étude du réseau conceptuel dans lequel nous articulonsl’ordre du faire humain : projets, intentions, motifs, circonstances, effets voulus ou non voulus, etc. »

Ricœur, « L’Initiative », texte de 1986, dans Du texte à l’action, Points/Seuil, 1986, p. 298..8(/ La pensée stratégique se distingue de la pensée spéculative. Elle met en jeu, à telles fins données,des positions philosophiques et spéculatives, déclarées comme inadéquates ou aporétiques.

.8*/ Dans toute cette page, les pluriels impliquent l’auteur et les lecteurs.

.88/ Une fois, p. 133, dans une note, survient l’expression de « la stratégie de Temps et récit  ». Pourdésigner la place que devrait prendre l’autobiographie comme médiation des deux récits, historique et defiction.

.89/ Voir, ci-dessous, en annexe, une note sur ce texte.

.86/ III, 259 : « Au terme de ce parcours de quelques théories de la lecture, choisies en fonction de leurcontribution à notre problème de la refiguration […]. »

.8/ P. Ricœur, Lectures 2. La Contrée des philosophes, Seuil (pp. 464-478).

.8</ P. 470 : « Je laisse ici de côté la question de savoir si l’historiographie relève ou non de cetteintelligence narrative, cela en dépit d’une autre opposition que fait Aristote entre raconter les événementsqui sont déjà arrivés et raconter ceux qui pourraient arriver […]. »

.8=/ Alain Badiou : « Par "inesthétique", j’entends un rapport de la philosophie à l’art qui, posant que l’artest par lui-même producteur de vérités, ne prétend d’aucune façon en faire, pour la philosophie, un objet.Contre la spéculation esthétique, l’inesthétique décrit les effets strictement intra philosophiques produitspar l’existence indépendante de quelques œuvres d’art. » Petit manuel d’inesthétique, 1998, exergue.

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