Cantique Des Oiseaux

8/19/2019 Cantique Des Oiseaux

1/8

Farīd ad-Dīn Ἁttār(v. 1140 – v. 1221)

L C O


2/8

CONTEUR Un jour, tous les oiseaux du monde, ceux qui sont connus et ceux

qui sont inconnus, se réunirent en une immense assemblée. Quand ils furent tous réunis,

la Huppe, messagère de Salomon auprès de la reine du royaume de Saba, leur parla ainsi.

Chers oiseaux, je ne vois parmi nous que querelles et batailles.Cet état de choses ne peut pas durer. Écoutez-moi. Nous avons un roi. Il nous faut partir

à sa recherche.

Un roi ! Nous avons eu beaucoup de rois ! Qu’avons-nous à faired’un autre roi ?

Celui dont je parle est notre roi légitime. Il est le vrai roi des oiseaux.

Nous sommes loin de lui. Il est pourtant si proche ! Sans lui, que sommes-nous ?

Une foule sans âme, un désordre ambulant ! À quoi nous sert la vie sans la source de vie ?Voulez-vous être délivrés du souci de vous-mêmes ? Suivez-moi ! Jetez au vent vos vieux

habits ! Que la route soit une fête, chantez, ne marchez pas, dansez ! Je sais où trouver

la demeure du roi. Et je connais son nom : Simorgh.

Oui, partons ! Je suis impatient de connaître notre roi.

Attendez ! Attendez !

Que veux-tu, Perroquet ?

Des malfaisants, des êtres

sans cœur m’ont enfermé dans une cage.

Mais un désir me tient : je veux boire l’eau

de jouvence. Je veux goûter à l’eau parfaite.

Une seule goutte suffirait à combler ma vie.

Pour trouver cette source-là, j’accepte d’errer,

de souffrir, pourvu qu’au bout de mon errance

je sois maître, enfin, de mon temps.

Ô frère infortuné, celui qui ne sait pas sacrifier sa vie n’est pas un vrai

vivant. À quoi te sert ton temps terrestre ? Que désires-tu donc ? Accumuler les ans ?

Les entasser sans fin dans ta coquille creuse ?

Non et non ! Partez si vous

voulez, moi, le Canard, je ne partirai pas.

Moi qui suis la pureté même, moi qui passe

HUPPE

OISEAUX

HUPPE

– 1 –

PERROQUET

HUPPE

PERROQUET

HUPPE

CANARD


3/8

ma vie dans l’eau. Qui se tient sur l’eau comme

moi ? Mon bien-aimé, c’est le ruisseau. Il est

ma route, il est mon lit. Comment pourrais-je

cheminer dans vos poussières ?

Je ne partirai pas non plus.

Moi, la Perdrix, mon seul souci est de trouver

des pierres précieuses. Est-il d’amour plus fort

que celui qui me tient ? Du brasier de mon

cœur monte la flamme aimante. Le rubis

que j’avale se transforme en sang vif dans

mes veines. Mon amour minéral m’attache

au flanc de la montagne.

Adieu Canard ! Adieu Perdrix ! Et toi ?

Quoi, moi ?

Veux-tu partir ?

Non pas. Je ne suis pas

un oiseau comme les autres. On m’a chassé

du paradis sous prétexte que le serpentétait mon estimé voisin. Mais j’ai l’espoir

de quitter bientôt ce séjour et de retrouver

mon Éden. Contempler le Simorgh ?

À quoi bon, puisque mon désir est

de revoir le paradis !

Mon frère, tu t’égares. Certes, le paradis est le séjour rêvé de nos esprits

avides, mais la maison du cœur est le nid de la foi et de la vérité. Fou qui peut se baigner

dans l’infini des eaux et ne veut pas voir plus loin que la rosée !

Moi, le Faucon, je me repose

sur la main du roi. Pourquoi voudrais-je voir

le Simorgh ? Je ne me sens pas appelé

au voyage. Je suis assez honoré par la main

du roi. L’abandonner pour le désert et ses

chemins désespérants ? Allez sans moi,

je ne peux pas.

– 2 –

PERDRIX

HUPPE

PAON

HUPPE

PAON

HUPPE

FAUCON


4/8

Aucun des rois de ce monde ne se peut comparer au Simorgh.

Tu es aimé ? Crains la disgrâce. Au plus haut des faveurs du temps, pense à la chute

qui t’attend !

Un roi apprit qu’un mendiant parcourait tout le pays en proclamantson amour pour lui.

J’aime mon roi. Je n’aime que mon roi…

Hé ! Viens ici ! Si tu m’aimes véritablement, choisis : ou tu quittes

immédiatement le pays, ou tu as la tête tranchée.

Je préfère partir.

Qu’on lui fasse trancher la tête !

Mais il est innocent ! Pourquoi l’exécuter, lui qui t’aime ?

Son amour n’est pas véritable, puisqu’il lui préfère sa tête !

Je ne comprends pas clairement ce que tu veux dire.

Il était une fois un roi, entre tous honorable et bon, qui possédaitun esclave d’une grande beauté. Il était sa joie, sa lumière. Bref, il l’estimait hautementet ne jurait que par lui.

Chaque jour, on posait une pomme sur la tête de l’esclave, et le roi

s’entraînait au tir à l’arc.

Quand la flèche transperçait la pomme, toute la cour

applaudissait le roi.

Mais un jour, par malheur, l’esclave fut blessé.

Maladroit ! Moi qui suis l’archer le plus habile du royaume !

C’est sa faute, il faut qu’il ait bougé ! Achevez-le !

Pourquoi me réponds-tu toujours par des histoires ?

N’est pas digne du nom de roi celui qui n’en fait qu’à sa tête,

– 3 –

HUPPE

CONTEUR

MENDIANT

ROI

MENDIANT

ROI

ROI

FAUCON

HUPPE

CONTEUR

HUPPE

CONTEUR

ROI

FAUCON

HUPPE


5/8

celui qui, même juste et bon, nourrit son peuple de soucis. Éloigne-toi des rois, mon ami,

sinon crains d’être brûlé vif !

Frères oiseaux, moi le Héron,

je m’inquiète trop de mon sort pour me préoccuperdes autres. J’habite au bord de l’océan. Mon cri

ne dérange personne. Triste et mélancolique,

je reste sur le rivage, le cœur baigné de sang

dans mon désir de l’eau. Sur le bord de la mer,

je meurs les lèvres sèches, car je ne peux, hélas,

en boire même une goutte. Je ne désire rien

hors ce désir marin.

La mer n’est qu’un ruisseau dont la source est la Source.Pourquoi te contenter du ruisseau sans la Source ?

Après ces oiseaux-là, tous les autres s’en vinrent, et chacun s’excusa.

Leurs prétextes ne pesaient rien. À quoi bon rapporter ce qui fut si mal dit ? Si tu te noies,

matelot, dans une goutte de rosée, comment pourrais-tu naviguer des profondeursde l’océan à la crête blanche des vagues ?

Et toi, Hibou, quelle excuse vas-tu trouver ?

Moi ? Oh moi, j’ai choisi

pour demeure une maison abandonnée.

Dans une ruine je suis né et dans les ruines

je me plais. Oui, j’ai visité des lieux plus

confortables, mais la haine et la folie

y faisaient d’épouvantables ravages. Qui veut

la paix en ce bas monde n’a d’autre choix

qu’habiter des ruines. Quant au Simorgh,

à mon avis, c’est un mirage, une légende.

Écoutez ! Le rossignol !

Les secrets de l’amour

me sont connus. Quand la flûte se plaint,

c’est mon chant qui l’anime, et la lyre

qui pleure se souvient de mes larmes.

Ma musique sans cesse nouvelle révèle

– 4 –

HÉRON

HUPPE

CONTEUR

HUPPE

HIBOU

CONTEUR

ROSSIGNOL


6/8

à qui sait la goûter mille trésors éblouissants.

Qui m’entend perd la raison, et pour peu qu’il

soit venu sobre, il s’en retourne titubant.

À la rose seule, mon secret est révélé.

Comment pourrais-je, même une nuit,renoncer à la rose quand pour moi,

et moi seul, elle sourit au printemps ?

Sais-tu pourquoi la fille du roi a souri au derviche ?

Il était une fois une fille de roi, belle comme la lune. Il était impossible

de la voir sans l’aimer. Mille amants égarés mendiaient à ses pieds un éclat de ses yeux.

Or voilà qu’un derviche, errant de par la ville, rencontra cette étoile.Elle passa devant lui, flamme aussitôt enfuie.

Il en fut tant bouleversé qu’il laissa choir entre ses pieds sa galette

de pain rassis.

Comme elle s’éloignait en riant, il tomba à genoux,

le front sur les cailloux.

Il n’eut plus de repos, ni le jour ni la nuit. Dormant avec les chiens,aux portes du palais, il passa sept années ainsi dans la tourmente.

Hé ! Toi ! Va-t’en d’ici. Mes gens en ont assez de te voir là.

Ils veulent te couper la tête.

Je t’aime. La vie ? Je ne m’en soucie pas.

Ton souffle est froid. Va-t’en !

Réponds au moins à une question !

Quelle question ?

Pourquoi m’as-tu souri quand je t’ai vue passer ?

J’ai senti que tu allais te rendre ridicule. Alors je t’ai souri.

Adieu, ignorant !

– 5 –

HUPPE

CONTEUR

CONTEUR

PRINCESSE

DERVICHE

PRINCESSE

DERVICHE

PRINCESSE

DERVICHE

PRINCESSE


7/8

Ayant ainsi parlé, elle s’en fut en fumée. Hélas, tout ce qui fut, au fond,

ne fut jamais.

Mais dis-nous pourquoi nous devons abandonner notre vie !

Pourquoi ce désir d’un voyage terrible ?

Où trouverons-nous notre force ?

Ô frères résignés, l’amour peut-il fleurir dans une âme glacée ?

Ô mendiants, n’avez-vous point assez de vos cœurs en charpie ? L’amour aime les choses

difficiles. Si ton cœur n’aime pas ta vie, jette ta vie et va sans elle. Et si tu reçois l’ordre

d’oublier ta foi et de laisser ta vie, eh bien abandonne ta foi, abandonne ta vie !

Hérésie !

« Hérésie ! » dira l’ignorant. Répondez-lui : « L’amour me gouverne,

et rien au monde ne le vaut. » Retirez vos mains de l’enfance ! Sur le chemin de l’amour,

tout ce qui vient est ce qui doit. En route !

– 6 –

CONTEUR

HUPPE

HUPPE


8/8

RÉCAPITULATIF DE LA DISTRIBUTION (par ordre d’apparition) :

CONTEUR Nicole

HUPPE

OISEAU 1

PERROQUET Fanny +

CANARD Naïma +

PERDRIX Hana +

PAON Qiangzhi +FAUCON Yacine +

MENDIANT

ROI 1

OISEAU 2

ESCLAVE

ROI 2

HÉRON Irina +

HIBOU Catherine M. +

ROSSIGNOL Hieu +

OISEAU 3

OISEAU 4

OISEAU 5

PRINCESSE Naïma

DERVICHE

OISEAU 6

OISEAU 7

OISEAU 8

OISEAU 9

– 7 –

Documents

Cantique Des Oiseaux