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Capter les Signaux faibles de la veille stratgique : comment amorcer le processus ?
RETOURS DEXPERIENCE ET RECOMMANDATIONS
HUMBERT LESCA
Professeur des universits
CERAG, Ecole Suprieure des Affaires de Grenoble
UMR CNRS n 5820
Jean-Claude CASTAGNOS
Chercheur au CNRS
CERAG, Ecole Suprieure des Affaires de Grenoble
UMR CNRS n 5820
Adresses des auteurs
Humbert Lesca
CERAG ESA. UPMF BP 47 X 38040 Grenoble Cedex 9 Tel : 04.76.82.54.85 Tlcopie : 04 76 82 59 99 E-mail : Lesca@esa.upmf-grenoble.fr
Jean-Claude Castagnos
CERAG ESA. UPMF BP 47 X 38040 Grenoble Cedex 9 Tel : 04.76.82.56.15 Tlcopie : 04 76 54 60 68 E-mail : Castagnos@esa.upmf-grenoble.fr
Lavis du comit de lecture peut tre indiffremment adresser lun des deux auteurs.
Rsum: En raison du contexte de plus en plus concurrentiel dans lequel sinsrent la plupart des
entreprises, lidentification prcoce des menaces et opportunits manant de lenvironnement est
devenue une condition de rentabilit voire de survie. Cet article dcrit une mthode dinstrumentation
de la veille stratgique. La fiabilit de cet outil tient plusieurs annes dexprimentation dans de
nombreuses entreprises. Cette confrontation aux ralits de terrain rtroagit par ajustements successifs
apports au processus de ciblage des signes dalerte prcoces.
Abstract : Because of the context more and more competitive into which most of firms fit, the early
identification of threats and environments opportunities has become a condition of profitability, or
even of survival. This article describes a method about instrumentation of environmental scanning.
The reliability of this tool stems from several years of experimentation in many firms. This
confrontation with field reality acts with retroactive effects by successive adjustments brought to the
spotting process of early alert signs.
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Cette tude ressortit une problmatique de terrain : Comment augmenter les chances de lentreprise
de capter les signaux faibles (weak signals) et, dans ce but, peut-on dlimiter la partie de
lenvironnement de lentreprise do ils pourraient maner ? Cette dlimitation sera qualifie de
ciblage , vocable qui dsigne laction dorganiser la veille stratgique .
Force est dobserver que ce terrain de recherche est quasiment inexplor. Et pour cause : en dpit des
apports conceptuels de ces vingt dernires annes, apports qui clarifient les ressorts de laction et
reprent les sources de meilleure efficience, de nombreuses interactions internes et externes la firme
restent expliquer. Ainsi, la capacit combiner les facteurs de la production en sorte dobtenir des
connaissances spcifiques procure un avantage concurrentiel (Alchian, A., 1972). Mais, comme le
note G Charreaux (1999), la thorie reste silencieuse sur le point de savoir comment sacquiert, se
forme et sutilise une telle connaissance lintrieur de la firme. Ds lors, on conoit la difficult pour
une entreprise, didentifier les ventuels avantages comparatifs de ses concurrents.
Bien que sattachant un domaine dinvestigation plus tendu que celui de ce questionnement, les
publications traitant de la veille stratgique sont peu nombreuses, du moins en ce qui concerne la
veille stratgique pilote au niveau micro-conomique (par diffrence avec lintelligence conomique
opratoire lchelon macro-conomique). Partant, un constat simpose : la littrature de gestion ne
propose pas de mthode de travail pour traiter ce sujet (absence de savoir procdural, cest--dire de
connaissance au service de laction, prenant souvent la forme dheuristiques).
Le contexte considr justifie la structure de cet article. La premire partie prcise les concepts utiliss
et dcrit la mthode labore pour cibler la veille stratgique. La seconde partie rend compte dune
srie dapplications de cette mthode en entreprises. Ces retours dexprience sont lorigine
dajustements mthodologiques prsents dans les dveloppements terminaux.
1 - Cadre conceptuel et intelligence collective anticipatoire
1.1. - Le cadre conceptuel
La terminologie des mots usits dans cet article doit tre prcise.
Le concept de signaux faibles (weak signals)
La notion de weak signals constitue le point dentre dun processus de ciblage. La vulgarisation1 de
cette formule est due H I. Ansoff (1975). Chacun sait que, dans le cadre du dveloppement
conomique, le captage et le traitement du signal est un enjeu extrmement important aux dbouchs
industriels colossaux. H I Ansoff a compris trs tt que le captage et le traitement du signal revtent
galement beaucoup dintrt dans le domaine du management, spcialement dans des contextes de
changements rapides et de concurrence croissante. Lexpression weak signals introduit donc un
parallle entre les domaines de llectromagntisme, de llectronique et celui des systmes
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dinformation et de dcision qui se multiplient dans le cadre du management de la firme. A linstar des
calculateurs de type universel ou spcialiss affects la surveillance civile et militaire de portions
despace, la veille stratgique en entreprise peut sappuyer sur lquivalent dun radar (Radio
Detection And Ranging) afin de capter des informations premires, mergentes, dorigines diffuses.
Il est probable que les signaux faibles soient particulirement importants lorsque lentreprise cherche
anticiper les ruptures susceptibles de se produire dans son environnement (conomique,
technologique, social, etc.). Parfois, le mot rupture est remplac par les expressions surprise
stratgique ou bien discontinuit stratgique (Ansoff, H., 1975) ou encore par le mot
crise (Billings, S., 1980).
Lexpression signaux faibles est intressante mais soulve des problmes dans le contexte culturel
franais du management. En effet, au cours dinterventions en entreprises on se heurte sans cesse
trois difficults (ces dernires constituent galement un retour dexpriences).
H I Ansoff na pas propos demble de dfinition prcise de cette expression2. Depuis, plusieurs
auteurs (Narchal, R., 1987) et praticiens utilisent cette formule sans lexpliciter. Ainsi R-A
Thitart, observe que Les dirigeants (dentreprise) savent tout cela lorsquils doivent anticiper
linconnu, ragir des signaux faibles .
lexpression signaux faibles est mal comprise dans les firmes franaises. Combien de fois est
on apostroph : Nous ne voulons pas capter des signaux faibles, mais des signaux forts ! . Il
nest pas vident pour tout le monde que le caractre devancier dune information saccompagne
presque invitablement de la faible intensit et/ou visibilit du signal. Ce dernier est dautant plus
faible quil est dessence anticipatoire. La rciproque nest pas vraie, videmment.
Le mot signal sous-entend lmission dlibre dune information par un metteur. Or, dans
bien des cas, il nest pas dans lintrt du promoteur du changement que lvnement opportun ou
menaant soit capt lextrieur. Si bien que les dits signaux sapparentent frquemment des
fuites, des scories de laction, interceptes par des observateurs clairvoyants dans le but
danticiper lvolution des affaires. En dautres termes, la veille stratgique vise capter des
informations qui ne sont pas volontairement mises par quelquun. Cest pourquoi il semble
lgitime dabandonner le mot signal et le remplacer par le mot signe .
Ces explications suffisent gnralement pour, dune part, clarifier lacception de la terminologie
signal faible , dautre part, pour convaincre les interlocuteurs de lintrt du concept. Nanmoins, il
semble prfrable de remplacer la formulation signal faible par lexpression signe dalerte
prcoce , spontanment plus comprhensible. Nous en proposons la dfinition suivante : un signe
dalerte prcoce est une information dont linterprtation suggre quun vnement susceptible
dtre important pour lavenir dune firme pourrait samorcer.
1 La paternit de lexpression appartient W W Bryant (un cadre de chez Phillips, Hollande). 2 Il a fallu attendre louvrage de H. I Ansoff et E. Mc Donnell : Implanting Strategic Management, Prentice Hall, Second Edition (premire dition en 1984), New York, 1990, p. 490, pour disposer dune clarification smantique. Lexpression signal faible dsigne un fait propos duquel seules des informations partielles sont disponibles alors quune raction doit tre entame, si lon veut quelle soit paracheve avant impact sur la firme de lvnement nouveau .
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Tout en conservant lesprit cette clarification smantique, les expressions signes dalerte prcoces/
weak signals seront indiffremment employes dans cet article.
De la prise de conscience selon laquelle lenvironnement de la firme constitue un foyer dmission de
signes dalertes prcoces la facult de les intercepter, le cheminement intellectuel et mthodologique
est parsem dembches. Comment augmenter les chances de capter les signes dalerte prcoces ? En
dautre mots, peut-on concevoir des procdures spcifiques pour accrotre la probabilit dtre en
mesure de donner lalarme en prsence dun vnement mergent? La complexit du problme
rsoudre invite, dans un premier temps, restreindre le champ dinvestigation. La rduction
momentane de la problmatique permet une avance oprato