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Carnet du Public – Les filles aux mains jaunes – Michel Bellier 1 Dossier pédagogique réalisé par Laurence Lissoir

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Carnet du Public – Les filles aux mains jaunes – Michel Bellier

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Dossier pédagogique réalisé par Laurence Lissoir

Carnet du Public – Les filles aux mains jaunes – Michel Bellier

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Les filles aux mains jaunes Auteur: Michel Bellier Mise en scène : Joëlle Cattino Avec : Anne Sylvain, Valérie Bauchau, Céline Delbecq, Blanche Van Hyfte. Violoncelle: Jean-Philippe Feiss Scénographie et lumière : Jean-Luc Martinez Costumes : Camille Levavasseur

Régisseurs: Louis-Philippe Duquesne et Simon Plume / Stagiaire régie: Christophe Trabal

Nous sommes au début de 1915. L’espoir d’une guerre courte et victorieuse s’est envolé. À l’arrière, on découvre les restrictions. La société civile se féminise peu à peu. Les femmes découvrent un monde du travail qui jusqu’à présent leur était interdit. Elles s’emparent à bras le corps de ces « métiers d’hommes ». Quelque part en Europe, dans une usine d’armement, Jeanne, Rose Julie et Louise, quatre "filles aux mains jaunes" de générations différentes, vont découvrir leur destin d’ouvrières. Elles ont toutes un mari, un frère, un père quelque part sur le front. C’est dans l’enfer d’une industrie nouvelle qui expérimente le taylorisme et s’interroge sur les capacités de cette main d’œuvre «atypique» que ces quatre femmes vont ainsi, pour un temps, s’affranchir de leur rôle d’antan. Elles découvrent tout à la fois ; une liberté de corps, de paroles, d’esprit, des conditions inhumaines de travail, la solidarité. Malgré les malaises consécutifs au surmenage, les premières quintes de toux, les irritations dues à cette poudre jaune qui, décidément, ne part plus à la toilette, et qui se colle sur les mains et dans les cheveux, elles vont vivre là, jusqu’à la fin de la guerre, quelque chose qui ressemble à un début d’émancipation… PRODUCTEUR: DYNAMO THÉÂTRE. CO-PRODUCTEURS ET PARTENAIRES: THÉÂTRE DE ESCH SUR ALZETTE (LUXEMBOURG), THÉÂTRE LE SÉMAPHORE PORT DE BOUC SCÈNE CONVENTIONNÉE, ÉCLATS DE SCÈNE-CULTURES ITINÉRANTES, THÉÂTRE LE COMOEDIA AUBAGNE (FRANCE), THÉÂTRE LE PUBLIC (BRUXELLES). SPECTACLE SOUTENU PAR: ETAT/DRAC PACA, RÉGION PACA, ADAMI, BEAUMARCHAIS/SACD, LA CHARTREUSE DE VILLENEUVE LEZ AVIGNON - CENTRE NATIONAL DES ÉCRITURES DU SPECTACLE, THÉÂTRE DES DOMS AVIGNON, MISSION DU CENTENAIRE. PHOTO ©BRUNO MULLENARTS. Salle des voûtes, du 05/11/14 au 13/12/14 – relâche les dimanches et les lundis

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L’auteur, Michel Bellier

Parallèlement à son métier de comédien (sous la direction, entre autres, de Jean-Louis

Hourdin, Michel Dieuaide, Maurice Yendt, Marcel Maréchal), Michel Bellier est écrivain et

plusieurs fois boursier (Centre National du Livre, fondation Beaumarchais). Accueilli en

résidence au CNES La Chartreuse, au Théâtre d’O de Montpellier, au Centre Culturel

Itinérant du Nord Vaucluse Éclats de Scène, aux Rencontres de la Haute Romanche, dans le

département du Nord, il a écrit une quinzaine de pièces qui ont toutes été jouées dont

notamment : Ils Seront Là Bientôt, les Hommes ? (éditions L’Act Mem), lauréate des

Journées de Lyon des auteurs de Théâtre 2007, L’Étincelle (éditions Lansman), bourse du

Centre National du Livre, Les Filles aux Mains Jaunes, bourse Beaumarchais, Hyperland

(éditions Lansman). Il anime aussi stages et ateliers d’écriture. En direction des enseignants,

en milieu scolaire mais aussi à destination de populations « empéchées » et « fragiles »

(Prison des Beaumettes de Marseille, Hôpital psychiatrique d’Aix en Provence). Il fut

observateur pour le théâtre et la littérature lors du projet Directlink 2008, (échanges

culturels et artistiques entre la France et la Turquie d’Asie, à Istanbul et Trabzon). Il est

actuellement membre du comité de lecture de la maison d’édition L’Espace d’un Instant. Il

est également titulaire du Diplôme d’État

pour l’Enseignement du Théâtre.

Va jusqu’où tu pourras, Lansman, 2013 en collaboration avec Sedef Ecer et Stanislas Cotton

Et des poussières …, Lansman, 2012

Jusqu’à la mer et au-delà, Lansman, 2012

Hyperland, Lansman, in La Scène aux Ados n°7, 2011

Ils seront là bientôt, les hommes ?, L’Act Mem, 2007 (lauréate des Journées de Lyon des

Auteurs de Théâtre)

L'Étincelle, Lansman, 2003

Textes divers dans des ouvrages collectifs

Le Cavalier Bleu, in La Grotte Chauvet 33 000 Mots, 33 000 ans, Hors Série de La Revue des

Deux Mondes, 2011

Une Envie d’Envol sur le Bout de la Langue, postface à Sedef Ecer, in Un OEil sur le Bazard,

L’Espace d’un Instant, 2010

Une Lampée de Mots, in L’Auteur en Première Ligne, L’Avant-Scène Théâtre, 2010

La metteuse en scène : Joëlle Cattino En tant qu’interprète et metteuse en scène, Joëlle Cattino affirme depuis ses débuts une

sensibilité pour la recherche d'une écriture scénique mêlant formes et styles, pièces

contemporaines et adaptations de textes non théâtraux. Elle étudie la dramaturgie

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contemporaine auprès de Alain Knapp (l'acteur et la dramaturgie-Théâtre de la Tempête

Paris 1991), Philippe Minyana (CNES La Chartreuse Villeneuve-Lès-Avignon 1992). Elle se

forme au jeu de l'acteur, le clown auprès de Philippe Hottier (Théâtre du Phénix Paris

1986/88). Actrice au théâtre, elle a joué depuis 1984, plus d’une trentaine de pièces,

notamment sous la direction de François-Michel Pesenti, Dominique Lardenois, Yves

Fravéga, Shauna Kanter (New York), Jean-Louis Hourdin, Anne-M Pleis (Berlin). Sous leurs

directions elle crée des rôles issus du texte contemporain comme du répertoire classique

(Adamov, Ditlevsen, Shakespeare, Brecht, Slimovitch, Goldoni, Tchékhov, Fo, Bellier,

Grumberg,..). Depuis sa première expérimentation, "I don’t want to die, bad trip" d'après le

Journal de Danielle Collobert, en collaboration avec Marie-Christine Soma, en 1991 au

Théâtre de la Balsamine à Bruxelles, jusqu'à "Ad Vitam", de Joël Jouanneau, une commande

du Théâtre d’O, Montpellier en 2009, Joëlle Cattino a mis en scène plus d'une vingtaine de

spectacles originaux, mêlant textes du

répertoire, textes contemporains, composition musicale et travail sur l’image. En janvier

2009,

elle fonde la structure Dynamo Théâtre. Et signe les premiers envois d’une série de travaux

qu'elle initie autour de l’écriture dramatique en osmose avec son propre cheminement

esthétique. Elle signe entre 2010 et 2013, quatre créations originales. Elle crée également

des mesures d’accompagnement culturel en direction des publics jeunes et des publics

éloignés des pratiques culturelles et artistiques.

Le compositeur : Richard Dubelski Compositeur, musicien, metteur en scène et comédien. Il a régulièrement travaillé avec

Georges Aperghis depuis 1987, mais aussi Thierry Bédard, Lucas Thierry, Edith Scob, Anna

Kendall, Thierry Roisin, Jean-Pierre Larroche, Marcel Bozonnet…

En 1993, il décide de mettre en scène son premier spectacle musical au sein de sa

compagnie Corps à Sons Théâtre, et depuis poursuit cette recherche avec laquelle il crée une

vingtaine de spectacles dans des lieux comme notamment le théâtre de Nanterre-

Amandiers, le Théâtre du Campagnol C.D.N de Corbeil-Essonnes, le Cargo à Grenoble, le

Théâtre Athénor St Nazaire- Nantes, le Théâtre de la Minoterie- Marseille, le festival Musica

de Strasbourg, la Comédie de Béthune, la Comédie de St Etienne, le T.N.T-Toulouse, les

Scènes nationales de Vandoeuvreles- Nancy, Malakoff, Douai, Aubusson, Quimper. En 2009

et 2010, il est directeur artistique musical et compositeur de Kaléidoscope 2,un spectacle de

l‘Opéra de Lyon avec 350 amateurs, l’orchestre et la Maîtrise de l’opéra de Lyon. Il anime

également divers stages et ateliers de théâtre musical au sein d’écoles nationales de théâtre

(l’E.R.A.C, l’Ecole de la Comédie de St Etienne…) et de Centres Dramatiques

Nationaux.

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Rencontre avec Michel Bellier

Michel Bellier, bonjour, quelques mots sur votre parcours?

J’ai fait mes études de théâtre au conservatoire de Marseille. Textes et dramaturgie

classiques, textes contemporains qui racontent le monde de maintenant, qui le mettent en

questionnement.

Et puis, j’ai voulu savoir comment toutes ces pièces superbes qui traversaient les siècles

« tenaient debout », comment elles étaient maçonnées de l’intérieur.

Je me suis familiarisé avec cette technique bizarre qu’on appelle dramaturgie en suivant de

stages, en lisant beaucoup. J’ai commencé à écrire. Les premiers retours étaient bons.

J’ai maintenant écrit une trentaine de pièces. Des longues, des courtes. Des projets

personnels. Des commandes (ÉclatS de Scènes, Dynamo Théâtre....) Des rencontres. Des

résidences (La Chartreuse, Mariemont, Théâtre de Grasse, Festival ATC de Nancy...). Et puis

des prix, des bourses (CNL, Beaumarchais...).

J’ai eu de la chance : toutes mes pièces ont été jouées. En France, en Belgique, mais aussi au

Québec, en Pologne, en Turquie...

Certaines sont éditées. D’autres ont été de simples feux, de colère ou de joie. Qui n’ont vécu

que la flamme de la représentation.

J’anime aussi des stages et ateliers d’écriture réguliers. À destination des enseignants, des

collégiens et lycéens mais aussi à l’intention de populations «empêchées» et «fragiles»

(Protection Judiciaire de la Jeunesse, Prison des Beaumettes de Marseille, Hôpital

psychiatrique d’Aix en Provence, dispositif Culture du Coeur).

Comment est née l'idée de la pièce “Les filles aux mains jaunes”?

Elle est venue de la conjonction de deux centres d’intérêt. J’ai toujours été passionné par

l’histoire de la Première Guerre Mondiale. Et je me suis toujours intéressé à la condition

féminine. La Première Guerre Mondiale a été le creuset de multiples bouleversements,

politiques, culturels et sociétaux. C’est à cette période là que le féminisme se conscientise,

se structure. C’est véritablement pendant ces quatre ans de guerre que la présence des

femmes est devenue visible dans l’espace public et que nos sociétés occidentales ont bien

été obligées d’accepter le fait qu’elle étaient indispensables à la vie de toute société,

autrement que par la maternité.

Pourtant, dans le domaine de la fiction, peu de choses ont encore été écrites sur ce sujet.

L’histoire des femmes a toujours été masquée par de nombreuses zones d’ombre...

J’ai eu envie de mettre en lumière l’histoire de ces ouvrières dont on n’a jamais beaucoup

parlé.

Comme à l’heure actuelle, il est de bon ton de dénigrer la cause féministe, de dépeindre les

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féministes comme des hystériques, j’ai eu envie de mettre mon grain de sel d’artiste afin de

rappeler quelques vérités historiques à tous et aussi d’être utile aux jeunes générations sans

pour autant donner de leçon de morale.

J’ai voulu montrer que les acquis féminins d’aujourd’hui se sont gagnés par de longues

luttes. Que jamais rien n’a coulé de source.

Qu’être citoyenne, pouvoir disposer de son corps comme on l’entend n’a pas tout le temps

été une évidence. Et que cette conscience se développe au moment de cette grande

boucherie, au moment où commence véritablement le XXe siècle.

J’avais envie d’évoquer tout ça à travers une fable. Pour mettre en regard cette période du

XXe siècle avec les tentatives réactionnaires d’aujourd’hui de remettre en question ces

acquis.

Votre famille a-t-elle été particulièrement touchée par la Première Guerre ?

Je fais partie d’une génération pour qui ce conflit n’est pas que de l’histoire qu’on trouve

dans les livres. Beaucoup de gens de ma génération ont eu l’occasion de côtoyer d’anciens

poilus, des femmes qui les ont attendus, qui ont dû travailler pour survivre en leur absence.

Quand j’étais gamin, la Première Guerre Mondiale, pour nous c’était encore du vivant, du

palpable, des souvenirs d’adultes que nous fréquentions. C’étaient nos proches. Encore

valides, bien amochés, qui nous faisaient sauter sur leurs genoux. Qui, quelquefois, se

racontaient et, souvent, avaient d’étranges silences...

Mon grand-père maternel a combattu dans les Dardanelles puis sur d’autres « théâtres »

d’opération. Il en est revenu gazé. Et très silencieux sur ce qu’il avait vécu pendant quatre

ans.

Un des rares souvenirs que j’ai gardé de lui : ses jumelles de l’armée.

La légende familiale dit qu’elles ont scruté les hauteurs de Sarajevo.

Ce qu’avait fait ma grand-mère pendant ces quatre ans de guerre, on n’en parlait pas. On ne

parlait que des hommes, à l’époque. Les femmes, elles avaient toujours été là.

Quand j’étais môme, j’allais souvent en Champagne-Ardenne. Nous, les enfants, nous

évoluions dans des intérieurs parsemés de souvenirs de la guerre. Les culasses d’obus de la

première guerre servaient de porte-parapluie. Les casques de la deuxième guerre de pots de

fleurs...Il y avait des douilles gravées sur la cheminée. Les gens bricolaient tout un artisanat

improvisé à partir du cuivre qu’on retrouvait dans les champs. Tout un décor où subsistait

l’histoire. Les souvenirs des deux guerres se superposaient.

On entendait encore parler des Allemands comme des Boches...

Votre texte est recommandé aux adolescents. Etait-ce votre public cible ?

Pas forcément. Il est destiné à tous les publics. Chaque fois que j’écris un texte, il y a tout un

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faisceau de raisons qui me font écrire sur tel ou tel sujet. Mais je ne me préoccupe jamais de

la « cible ».

Néanmoins, le fait que ce texte puisse rencontrer, émouvoir, intéresser, bousculer, un public

adolescent me ravit. J’aime ces rencontres à plusieurs générations de distance. Écrire

quelque chose qui suscite l’intérêt chez de plus jeunes me fait dire qu’on partage les mêmes

questionnements, parfois les mêmes inquiétudes quant au devenir ou à l’histoire de notre

planète. Et donc, qu’on vit dans le même monde.

C’est plutôt enthousiasmant.

En cette année du centenaire, ils ont sans doute reçu beaucoup d’informations à ce sujet, si

cette pièce peut provoquer un intérêt supplémentaire sur cet aspect particulier, c’est gagné!

Quand j’écris, je me garde bien d’apporter des réponses. Je me contente de poser des

questions. C’est, à mon sens, là où se situe le travail d’artiste.

Ecrire une pièce et la mettre en scène, est-ce une obligation pour vous?

Je mets rarement en scène les pièces que j’écris. J’ai besoin d’un autre œil. J’ai besoin qu’un

autre univers vienne se confronter au mien, vienne le questionner.

De plus, mettre en scène mes propres textes m’obligerait à écrire de façon « raisonnable », à

réfléchir en termes de « faisabilité ». Ça briderait ma pensée et mon imaginaire. Je me

refuse à penser « pratique », « économique », « possible ».

Si j’écris « tel personnage disparaît de façon magique » ou « l’immeuble s’écroule autour

d’elle », c’est au metteur en scène de résoudre ce problème!

Et en écho à cette réponse, il est primordial pour moi qu’un metteur en scène s’empare de

mes textes.

J’ai besoin d’un autre regard, que quelqu’un apporte son univers personnel sur le plateau.

J’adore découvrir le résultat le soir de la première! C’est toujours un grand moment d’une

excitation particulière. Je suis souvent surpris! Pour l’instant, jamais déçu!

“Les filles aux mains jaunes” est mise en scène par Joëlle Cattino, la directrice artistique de

Dynamo Théâtre. Nous travaillons ensemble de façon complice depuis plusieurs années. Son

univers se juxtapose parfaitement au mien. Ce qui donne des objets théâtraux toujours

surprenants et qui subliment le texte.

En tant qu'auteur, comédien etc, avez-vous une activité artistique préférée à une autre?

Sans en être blasé, loin de là, je connais bien le métier de comédien. Il se trouve

qu’actuellement, je prends beaucoup de plaisir à écrire. C’est une façon d’être à l’origine

des choses. Construire des univers, architecturer des histoires. Je continuerai à travailler en

tant que comédien. C’est, pour moi, indispensable pour rester en relation avec le monde.

Mais je découvre tous les jours, de nouveaux plaisirs, en tant qu’auteur. Plaisirs mêlés

d’incertitude et, quelquefois, d’angoisse évidemment.

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Comment écrivez-vous ? Avez-vous un horaire strict ?

Strict ou pas, j’ai un horaire régulier. C’est le meilleur moyen de donner forme aux idées

parfois chaotiques, aux rêveries qui ne sont pas encore des idées. Je m’enferme dans mon

bureau le matin très tôt, je travaille environ quatre heures. J’essaie que le quotidien

n’interfère pas avec cette discipline.

Ensuite, je me « resocialise », j’écris des mails, je réponds au téléphone.

Quelquefois, j’écris en fin de journée.

Sinon, je prends tout le temps des notes. Sur des cahiers d’écolier. J’en ai souvent plusieurs

sur moi. Je prends des notes de façon compulsive. Une réplique entendue dans le métro,

une situation dans un bistrot ou sur un bout de trottoir.

Ce qui ne simplifie pas le classement des idées, je vous l’accorde !

Quels sont vos prochains projets ?

Je suis en train de finir une commande que m’a passé Éclats de Scène, une compagnie basée

dans le sud de la France et qui fait un travail formidable dans les villages du Nord Vaucluse.

Ça s’appelle Bidoch’Market, il s’agit d’une farce clownesque sur la fin du travail. Deux jeunes

sans grandes valeurs morales cherchent à tout prix un travail qui, dans une société assez

semblable à notre futur proche, semble ne plus exister. Ils iront de petits boulots en petits

boulots. Des boulots de plus en plus sales, de plus en plus bizarres. Jusqu’à se retrouver à

trier des chaussures et des valises...

Cette pièce sera mise en scène par Joëlle Cattino en février 2015.

Le mot de la metteuse-en-scène

Le projet fait appel au mélange des arts (théâtre, musique et vidéo). L'utilisation des arts

numériques, vidéo et images incrustées, est une composante de tous nos spectacles depuis

la création de la compagnie. C'est pour nous, une partie intégrante de notre réflexion sur

l'art vivant et sur l'écriture scénique. C'est une façon de questionner cet art plusieurs fois

millénaire, qu'est le théâtre, que de le confronter aux développements des nouvelles

technologies et des nouveaux modes narratifs proposés par la projection d'images

numériques.

Ces arts s'affirment dans leur spécificité. Il n'existe pas entre eux de frontière inviolable.

Notre travail scénique se nourrira de leurs influences mutuelles.

Composition musicale et réalisation vidéo participent à l’énergie de la scène. Elles opèreront

un rapprochement d’univers différents, les rendant ainsi complémentaires, pour le

spectateur. Ce seront des créations originales qui accompagneront et prolongeront les

propos de l’auteur. Des outils au service de la narration.

Si l’omniprésence du récit et de la parole, donnera à l’image, à la composition musicale à

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l’univers sonore bruitiste, comme une valeur secondaire, ces médias seront aussi autant de

preuves, illustrations, indices ou allégories, qui introduiront une alternance entre

subjectivité et parole objective, plongeant le spectateur au cœur de la fiction et en même

temps, jouant avec la sensation d’un effet de réel.

Nous rendrons ainsi hommage aux procédés scéniques de l’Art Nouveau du début du XXème

siècle, où déjà “l’image filmée” faisait son apparition sur la scène allemande à travers les

recherches théâtrales, comme celles de Piscator. L’idée constructiviste chamboulait la

narration classique au théâtre comme la notion même de “décors”. À l’instar de ces

recherches, notre volonté est bien d’ancrer, comme le faisaient ces artistes avec leur

époque, le propos de l’œuvre dans le monde d’aujourd’hui. L’imbrication de ces différents

langages de l'art, musique/vidéo/théâtre, donnera le jour à une grammaire émotionnelle,

qui renforcera cette notion de transposition du réel.

Nous avons l'ambition de travailler avec des artistes d'origines diverses, issues de pays ayant

été marqués par la Première guerre mondiale (Allemagne, Belgique, France...) dans une

optique d’échange de méthodes de travail, de visions de nos métiers, de métissages

d'esthétiques et de partage de mémoire. À travers un tel projet, notre ambition est de

développer nos réseaux et de pérenniser des collaborations et partenariats au niveau

européen afin de participer à une réflexion, sur le spectacle vivant, ses formes, ses choix, son

devenir.

Contexte historique

Les femmes et la Première Guerre Mondiale Pendant la Première guerre mondiale, la contribution des femmes à l'effort de guerre a revêtu des formes multiples : courage des femmes d'agriculteurs qui, dans une France encore à dominante rurale et agricole, ont dû assumer à partir de l'été 1914 les durs travaux des champs, dévouement des infirmières qui ont soigné les soldats blessés dans les hôpitaux de guerre et les maisons de convalescence, compassion des « marraines de guerre » qui écrivaient et envoyaient des colis aux soldats du front, rendaient visite aux blessés dans les hôpitaux, courage aussi des femmes des villes qui ont dû pallier le manque de main d'œuvre dans de nombreux secteurs d'activités, distribuant le courrier, conduisant les tramways, travaillant plus de 10 heures par jour dans les usines d'armement.

L’appel aux Françaises de Viviani Le 7 août 1914, le Président du Conseil René Viviani, qui songe à une guerre courte, lance un appel aux femmes françaises, en fait aux paysannes, les seules dont il pense avoir un besoin urgent dans les campagnes désertées par les hommes. Il leur parle le langage viril de la mobilisation et de la gloire : « Debout, femmes françaises, jeunes enfants, filles et fils de la patrie. Remplacez sur le champ de travail de ceux qui sont sur le champ de bataille. Préparez-vous à leur montrer, demain, la terre cultivée, les récoltes rentrées, les champs ensemencés ! Il n'y a pas, dans ces

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heures graves, de labeur infime. Tout est grand qui sert le pays. Debout ! A l'action ! A l'œuvre ! Il y aura demain de la gloire pour tout le monde ». La mobilisation des ouvrières est bien plus tardive, vers la fin de l'année 1915, dans un contexte bien différent. Elles seront 400 000 fin 1917, début 1918, à l'apogée de la mobilisation féminine, alors que l'ensemble du personnel féminin du commerce et de l'industrie dépasse de 20 % son niveau d'avant-guerre.

Les munitionnettes La plupart des hommes en âge de travailler avaient été mobilisés en 1914. Au fur et à mesure que s'envola l'espoir d'une guerre courte et qu'on s'engageait dans une guerre longue et totale exigeant une mobilisation de l'économie, il fallut ramener dans les usines les ouvriers les plus qualifiés, et faire appel à la main d'oeuvre féminine. Un certain nombre de femmes travaillaient déjà avant la guerre, mais elles étaient le plus souvent cantonnées dans des tâches considérées comme secondaires. Ce qui était nouveau et frappa les esprits, ce fut leur embauche dans les usines d'armement, dont les ouvrières furent bientôt désignées sous

le nom de « munitionnettes ».Les « munitionnettes » donnèrent lieu dans la presse à des dessins jetant un regard nouveau non dépourvu d'humour, sur le travail féminin et le statut de la femme au sein de la famille et de la société.

La pénibilité du travail dans les usines d’armement La journaliste Marcelle CAPY, féministe et libertaire, travaille quelques semaines incognito dans une usine de guerre. Son témoignage paraît dans La Voix des femmes entre novembre 1917 et janvier 1918 : « L'ouvrière, toujours debout, saisit l'obus, le porte sur l'appareil dont elle soulève la partie supérieure. L'engin en place, elle abaisse cette partie, vérifie les dimensions (c'est le but de l'opération), relève la cloche, prend l'obus et le dépose à gauche. Chaque obus pèse sept kilos. En temps de production normale, 2 500 obus passent en 11 heures entre ses mains. Comme elle doit soulever deux fois chaque engin, elle soupèse en un jour 35 000 kg. Au bout de 3/4 d'heure, je me suis avouée vaincue. J'ai vu ma compagne toute frêle, toute jeune, toute gentille dans son grand tablier noir, poursuivre sa besogne. Elle est à la cloche depuis un an. 900 000 obus sont passés entre ses doigts. Elle a donc soulevé un fardeau de 7 millions de kilos. Arrivée fraîche et forte à l'usine, elle a perdu ses belles couleurs et n'est plus qu'une mince fillette épuisée. Je la regarde avec stupeur et ces mots résonnent dans ma tête : 35 000 kg ».

Qui étaient les « filles aux mains jaunes » ?

L’opinion publique les avait baptisées : les munitionnettes, les cartouchettes ou encore les

obusettes. L’histoire a retenu d’elles des images mythifiées, transcendées. Des beautés

héroïques façonnant l’obus qui allait décimer l’ennemi sur des cartes postales qui,

aujourd’hui, font sourire par leur naïveté et leur désuétude.

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Pendant tout le temps de la Première Guerre Mondiale, la nation en fit les héroïnes d’une

nouvelle féminité. Au même titre que les infirmières (les Anges Blancs) et les marraines de

guerre.

Elles travaillaient douze heures par jour dans un danger permanent. Au mépris de toutes les

règlementations sociales de l’époque. Avec, pour seule protection, une paire de gants et un

verre de lait censé lutter contre les émanations des produits chimiques qu’elles maniaient

sans arrêt. Pour un salaire supérieur à ceux des autres corps de métier certes, mais qui

restait bien inférieur à n’importe quel salaire masculin.

Au nom de l’Union Sacrée, décrétée par tous les partis politiques, tous les syndicats et

toutes les ligues féministes, ces femmes qui n’avaient pas le droit de vote, œuvraient pour la

nation. La plupart ne lisaient pas les journaux. La plupart s’étaient retrouvées désemparées

par le départ de leurs maris au front. La plupart se conformait au rôle qu’on leur donnait à

jouer, à savoir celui d’êtres contemplatifs, écervelés, et peu au fait de la vie politique et

sociale. Toutes vivaient dans l’angoisse de recevoir le télégramme du Ministère de la Guerre

annonçant la mort au champ d’honneur de leur mari, de leur frère, de leur fils. Certaines,

déjà, portaient le deuil.

Elles-mêmes se surnommaient les Canaris ou encore les Filles aux Mains Jaunes. Car jaune

était la poudre de TNT qu’elles inhalaient quotidiennement et qui colorait leurs cheveux et

leurs peaux de façon indélébile. Ainsi, dans la rue, dans l’autobus, on reconnaissait

facilement une Fille aux Mains Jaunes.

Quand la médecine du travail, toute balbutiante, put enfin pénétrer dans les usines

d’armement et organiser des visites médicales, le constat fut terrifiant. Un nombre

incalculable d’anémies, de maladies du foie, d’hypertrophies de la rate et de cancers en tous

genres furent diagnostiqués. La plupart de ces femmes en âge d’avoir des enfants était soit

devenue stérile, soit s’exposait à mettre au monde des enfants anormaux.

En 1918, 430 000 femmes travaillaient dans les usines d’armement.

La parole aux adolescents

Ce texte a été lu par plusieurs étudiants qui en ont tous gardé un souvenir percutant. Il est

étonnant qu’un texte parlant d’une situation tellement éloignée d’eux puissent arriver à les

toucher et à leur faire comprendre une situation grâce aux parcours de ces quatre femmes.

Voici quelques extraits révélateurs de la force du texte pour un public jeune:

“Les filles aux mains jaunes” de Michel Bellier évoque un autre aspect de la première guerre

mondiale. L'auteur contredit les stéréotypes de cette période que l'on retrouve dans les livres

d'Histoire. Il décide de plutôt de mettre en avant les munitionnettes à la différence de leurs

maris restés au front.

Quatre héroïnes sont contraintes, pour se nourrir et pour vivre, de travailler dans une usine

de fabrication d'obus dans des conditions précaires. Ces femmes qui luttent, ces femmes qui

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se révoltent pour la parité salariale et ces femmes qui s'interrogent sur la couleur jaune de

leurs mains.

Nous avons dévoré cette pièce, nous avons particulièrement aimé le fait que les femmes se

révoltent contre leur salaire minable vu leur temps de travail. (…)

Notre passage préféré fut le moment où elles se retrouvent pendant leur jour de congé.

Nous vous conseillons tout particulièrement la lecture de cette pièce. Elle est très agréable à

lire, on en apprend beaucoup plus sur les conditions de vie des munitionnettes. Notre classe

l'a beaucoup aimée. Vous, lycéens, lorsque la pluie tombe et que les jeux vidéos vous

agacent, lisez à tout prix cette pièce, vous serez surpris!

Camille, Sarah, Léane, Thomas et Léna