CASANOVA Histoire de Ma Vie 3.5

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  • 7/22/2019 CASANOVA Histoire de Ma Vie 3.5

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    JACQU E S CAS ANOVAD E S E I N G A L T

    V n i t i e n

    HISTOIREDE MA VIE

    d i t i o n i n t g r a l e

    T o m e T r o i s

    F. A. BROCKHAUS WIESBADEN

    LIBRAIRIE PLON PARIS M CM L X

  • 7/22/2019 CASANOVA Histoire de Ma Vie 3.5

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    UniversiteHsKblioffiek

    3 o n n

    V. Nr. W 492

    F. A. Brockhaus, Wies baden 1960

    Print ed in Germany

    PE RSIA-Dnndruckpapie r, S chooller & Hoesch, Gerne bach/Murgtal

    Droits de re production e t de traduc tion rse rvs pour tous pay s

    >0. 4 S3

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    [1364]

    CH APITRE PREMIER

    Je vais loge r dans la ma is on du chef des sbir es . J 'y pass e

    une n uit dlicieuse et j'y recouvre entireme nt mes forces

    et la sant. J e vais la mess e , rencontre embarrassante.

    Moyen violent dont je suis forcde me servir pour

    me procurer six sequins. Je suis hors de danger.

    Mon arrive Munic h. pisod e s ur B albi .

    Je par s pou r P ar is . Mon arrive en cette

    ville , assassinat de Louis XV.

    T a i observ sur une colline cinquante pas de moi un

    berger qui conduisait un troupeau de dix douze brebis,et je my suis adresspour prendre des informations qui

    mtaient ncessaires. J e lui ai de mandc omme nt sappe lait ce village , et il me d it que j tais Val de piadene, ce

    qui me surprit cause du chemin que javais fait. Je lui

    ai de mandles noms des matre s de cinq six maisons que

    je voyais de loin et la ronde, et jai trouv que tous ceux

    quil me nomma taient des personnes de ma connaiss ance,

    mais chez lesquelles je ne devais pas aller porter le trouble

    par mon apparition. J ai vu un palais de la famille Grimani,

    o le doyen qui tait alors Inquisite ur dtat dev ait se

    trouver, et je ne devais pas me laisser voir.[1365] J ai demandau berger qui appartenait une mai

    son rouge, que je voyais quelque distance, et ma surprise

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    fut grande lorsque j ai su que ctait la maison du nomm

    capitaine de campagne q ui est le chef des sbires. J ai dit

    adieu au paysan, et machinalement jai descendu la colline.

    Il est inconcevable que je me sois achemincette terrible

    maison, dont raisonnablement et naturel lement je devais

    mloigner. J y suis alle n droite ligne, et en vritje sais

    que je n y suis pas all de vo lontdte rmine. Sil e st vrai

    que nous possdions tous une e xistence invis ible bie nfai

    sante qui nous pousse notre bonheur*, comme il arrivait

    quoique rarement Socrate, je dois croire que ce qui me fit

    aller lait tcette e xistence. Je conviens que dans toute

    ma vie je nai jamais fait une dmarche plus hardie.

    J e ntr e dan s ce tte ma is on sans hs ite r, e t mme d un air

    fort libre. Je vois dans la cour un jeune enfant qui joue

    la toupie ; je lui de mande o est son pre ; et au lie u de

    me rpondre il va appele r sa mre. Je vois dans u n ins tant

    paratre de van t moi une trs jolie fe mme e nce inte, qui me

    demande fort poliment ce que je veux de son mari qui ny

    ta it pas.

    Je suis fch, mada me , que mon compre ny soit pas,

    autant que charm de connatre dans ce mom e nt sa belle

    mo iti.

    Votre compre ? Je parle donc Son Excellence Vit-

    turi (1)? Il m a dit que vous ave z eu la bontde lui pro

    mettre dtre le parrain de le nfant dont je s uis grosse. Je

    suis bien e nchante de vous c onnatre , et mo n m ari s era

    au dse spoir de ne stre pas trouv chez nous .

    J espre quil ne tardera pas arrive r car je ve ux lui

    demander un lit pour cette nuit. Je nose aller nulle part

    dans ltat ovous me voye z.

    Vous aurez un lit tout de mme, e t un passable s ouper,

    et mon mari ira vous remercier son retour de lhonneur

    * Spc rcvocans raro impel lens. (Not e de l aut eur e n marge) . Quirappel l e souve nt e t exc i te rareme nt . C i c r o n : De Div ina l ione, i , 54;

    Cf. voir vol. 1, p. 117.

    VOLUME 5 - CHAPIT RE 1 3

    que vous nous avez fait. Il y a une heure quil est sorti

    cheval avec tous ses hommes, et je ne lattends de retour

    que dans trois ou quatre jours.

    E t pourquoi restera-t-il si longtemps ?

    Vous ne savez donc [13GG] pas que deux prisonniers

    se sont chapps des plombs ? Un es t patricie n, e t lautre

    est un particulier qui sappelle Casanova. Il re ut une lettre

    de Messe r Grande de les cherche r ; sil les trouve, il lesconduira Venise, et sil ne les trouve pas il retournera

    la maison; mais il les cherchera au moins trois jours.

    J e n suis fch, ma chre commre , mais je ne vou

    drais pas vous gner, da utant plus que je voudrais mecoucher dabord.

    Cela sera fait dans linsta nt, et vous serez se rvi par

    ma mre. Quavez-vous aux g eno ux?

    Je suis tomb la chasse sur la montagne : ce sont

    des fortes corchures , et j ai perd u du sang.

    Pauvre se igneur 1 Mais m a mre vous gurira.

    Elle lappe la, et aprs lui avoir dit tout ce dont j avais

    besoin, elle sen alla. Cette jolie femme darcher navait, pas

    lesprit de s on mtier, car rie n nav ait plus lair dun c onte

    que lhistoire que je lui avais faite. A cheval avec des bas

    blancs ! A la chasse e n habit de taffetas 1 Sans mante au,

    sans domes tique ! Son ma ri son retour se se ra bien moqu

    delle. Sa mre eut s oin de moi ave c toute la politess e que

    jaurais pu prtendre chez des pers onnes de la plus grande

    distinction. E lle prit un to n de mre, e t en s oignant mes

    bless ures elle m appe la toujours son fils. Si mon me e t

    tt ranquille, je lui aurais donndes marques non qui

    voques de ma poli tesse et de ma re connaissance ; mais l en

    droit oj tais, et le rle dange reux que je jouais , m occu

    paie nt trop srieus eme nt.

    Aprs avo ir visitme s ge noux et mes hanches , elle me

    dit quil me fallait un peu souffrir, mais que le lendemain

    je me trouver ais guri ; je devais s euleme nt tenir les ser

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    4 HIST OIRE DE MA VIE

    viettes imbibes quelle appliqua sur mes plaies, pour toute

    la nuit, et dorm ir sans jamais bouger. J ai bien soup, et

    aprs je lai laissfaire ; je me suis endorm i pe ndant q uelle

    moprait, car je ne me suis jamais souve nu de lavoir vue

    me quitte r; elle dut m avoir dshabillcomme un enf ant;

    je ne parlais e t je ne pensais pas. J ai mang [1367] pour

    suppler la nces sitque j avais de nourr iture , e t j ai dormi

    cdant un bes oin auquel je ne pou vais pas rsis ter. J igno

    rais tou t ce qui dpend ait dun ce rtain raisonneme nt. Il

    tait une heure de nuit (2), lorsque jai fini de mange r, et

    le matin en me rve illant et en ente ndant sonner treize

    heures, jai cru que ctait un e nchante ment, car il me se m

    blait que je ne m tais e ndorm i que dans ce mome nt-l. Il

    ma fallu plus de cinq minutes pour recouvrer mes sens,

    pour rappele r mon me ses fonc tions, pou r mass urer que

    ma s ituatio n tait relle, po ur passe r en un mo t du s ommeil

    au vrai rveil ; mais dabord que je me s uis re connu je me

    suis vite dbarrass des se rviette s, tonnde vo ir mes plaies

    tout fait sches. Je me s uis habilldans moins de quatre

    minutes , jai mis moi-mme mes che ve ux dans la bourse,et je suis sorti de ma c hambre qui tait tout ouverte ; jai

    descendu lescalier, traversla cour, et quittcette maison

    sans faire attention quil y avait ldeux hommes debout,

    qui sans aucun doute ne pouvaie nt tre que s bires. Je me

    suis loignde cet e ndroit oj ai trouvpolitesse , bonne

    chre, s ant, et tout le re couvre ment de me s forces , avec

    un sentiment dhorreur qui me faisait frissonner, car je

    voyais que je m tais expos trs imp rude mme nt au plus

    vide nt de tous les risques . Je m tonnais dtre e ntrdans

    cette maison, et plus encore davoir pu en sortir, et il me

    paraissait impossible de ntre pas s uivi. J ai marchc inq

    heures de suite par bois et montagnes, sans jamais ren

    contrer que quelques paysans, s ans jamais re garder derriremoi.

    Il n tait pas e ncore midi, lorsque, allant mon c hemin, jai

    VOLUME 5 - CHAPITRE I

    e nte ndu le son dune cloche. Reg arda nt en bas de lmi-

    nence o j tais, jai vu la petite glise do le son ve nait,

    et voy ant du monde qui y e ntrait, jai cru que ctait une

    messe; il me vint envie daller lentendre. Lorsque lhomme

    est dans la dtresse tout ce quil lui vie nt dans lesprit

    lui s e mble in s pira tion . Cta it la fte de s Trpass s (3). J e

    desce nds, jentre dans lglise, et je suis surpris dy voirM. Marc-Antoine Grim ani ne ve u de lInquis ite ur dta t (4)

    ave c Mme Marie P is ani s on pouse . Je les ai vus tonns.

    Je le ur ai fa it la rvre nce , et j ai e nt e ndu l a mes se . A ma

    sortie de lglise, Monsieur me su ivit, Madame y res ta. Il

    mapproche, et il me dit :

    Que faites-vous ici? Oest votre [1368] compag non?

    Je lui ai donn dix-sept livres (5) que j avais pour

    quil aille se sa uver pa r un autre ct, plus facile , tandis

    que je vais aux confins par celui-ci qui est le plus difficile,

    et je nai pas le sou. Si V. E. voulait bien me donner quelque

    secours, je me tirerais daffaire plus facilement.

    Je ne peux vous rien donner; mais vous trouverez

    des ermites qui ne vous laisseront pas mourir de faim. Maiscontez-moi comme nt vous avez pu russir perce r les

    plombs. Ce st trs intre ss ant; mais cest long e t les ermites

    pourraient en attendant tout manger.

    En lui dis ant c ela, je lui ai tirma rvrence . Malgrmon

    ex trme bes oin, ce refus daumne me fit plais ir. Je me suis

    trouv beaucoup plus gentilhomme que ce monsieur. J ai

    su Paris, que lorsque sa femme sut la chose elle lui ditdes injures. Il nest pas douteux que le sentiment loge chez

    les femmes plus souvent que chez les hommes.

    J ai mar ch jus qu au so le il co uc hant, e t las et aff am je

    me s uis arrtune mais on solitaire qui ava it bonne mine.

    J ai de ma nd de par le r au matre , et la conc ie rge me ditquil tait a ll une noce au-del de la rivire (6) o il

    passe rait la nuit ; mais quelle avait ordre de faire bon

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    6 HISTOIRE DE MA VIE

    accueil ses amis. Pa r consquent elle me donna un exce l

    lent soupe r et un trs bon lit. J e me suis a peru par plu

    sieurs adresses de lettres que jtais chez M. Rombenc hi,

    consul je ne me souviens pas de quelle nation. Je lui ai

    crit, et j ai laiss lm a le ttre cache te. Aprs a voir bie n

    dor mi je me suis vite habill, jai pass la rivire e n pro

    me ttant de paye r m on retour, et aprs cinq heures demarc he j ai dn un cou ve nt de capuc ins (7). Aprs le

    dner jai mar ch jus quvingt-deux heures (8) pour aller

    une mais on, do nt le matre tait mo n ami. Ce fut d un

    pays an que j ai su cela. J entre, je de mande s i le matre y

    est, et on me montre la porte de la c hambre o il tait

    tout seul, a tte ntif crire. Je cours pour lembrasse r ; mais

    dabord quil me voit, il recule, et il me dit de men aller

    sans le moindre dlai en me r end ant des raisons frivoles

    et outrageante s. Je lui reprse nte mon cas, mon [1369]

    besoin, et je lui demande soixante sequins (9) sur mon billet

    qui lassurait que M. de Bragadin les lui remettrait, et il

    me rpond q uil ne pe ut pas me s ec ourir, et pas mme m of

    frir un verre deau, puisquen me voyant chez lui il trembla it de pe ur de ncour ir la disg rce d u Trib unal (10). Ctait

    un homme de soixante ans, courtier de changes qui mavait

    des obligat ions . Son cruel re fus fit en moi un effe t diffre nt

    de ce lui que me fit M. Grima ni. S oit colre, soit indign atio n,

    soit droit de raison ou de nature, je lai pris au collet, lui

    prse ntant m on es ponton, e t lui me naant la mo rt sil le

    vait la voix. Tout tremblant il tira de sa poche une clef, et

    il me dit en me m ontr ant un s ecrtaire, quil y av ait lde

    largent, et que je navais quprendre ce que je voulais,

    mais je lui ai dit douvr ir lui-mme. Il fit ce la, et il m ouvrit

    un tiroir oil y avait de l or ; je lui ai dit alors de me

    compter six sequins.

    Vous men avez demandsoixante. Oui, quand je les voulais de lamit i; mais de la vio

    lence je nen prends que six, et je ne te ferai pas de billet.

    VOLUME 5 - CHAPITRE I

    On te les rendra Venise, o jcrirai dem ain ce que tu

    mas forcfaire, homme lche et indigne de vivre.

    Pardon, je vous suppl ie, prenez tout.

    Non. Je men vais, et je te conseille me laisser aller

    tranquille, ou crains que je ne revienne mettre le feu ta

    maison.

    J ai ma rc h de ux he ure s , e t voy an t la nu it , je me suisarrtune mais on de pay sa n, oaprs av oir fait un m au

    vais souper jai dormi sur la paille. Le matin jai achet

    une vieille redingote (11), et je me suis mis cheval dun

    ne , aprs a voir ac he tprs de Fe ltre une pa ire de bottes .

    Cest ainsi que jai passla bicoque quon appelle la Scala.

    Un g arde qui tait lne ma pas se uleme nt demandmon

    nom. J ai pris une c harrette deux chevaux, et je suis

    arrivde bonne heure Borgo de Valsugana, ojai trouv

    laube rge que je lui ava is indique le Pre B albi. S il ne

    mavait pas approchje ne laurais pas reconnu. Une redin

    gote verte et un chapeau rabattu au-dessus dun bonnet de

    coton le dguisaie nt tout fait. Il me d it quun fermier lui

    avait donn tout cela pour mon manteau, et encore unse quin ; et qu il tait ar rivlle m atin et fait bonne chre.

    Il termina [1370] sa narration me disant fort noblement

    quil ne mattendait pas car il ne supposait pas que je lui

    eusse promis avec intention de lui tenir parole. J ai passdans

    cette auberge toute la journe suivante crivan t sans s ortir

    du l i t plus de vingt lettres Venise, dont dix douze cir

    culaires oje narrais ce que javais dfaire pour me faire

    donner s ix sequins. Le moine crivit des lettres impe rti

    nente s au Pre Ba rbar igo s on suprieur, aux patricie ns ses

    frres, et des lettres galantes aux se rvantes, causes de sa

    ruine. J ai dgalonnmon habit, et jai ve ndu mon chapeau,

    car ce luxe me faisait trop observer.

    Le lende main j ai dormi P ergine o un jeune comtedAlberg (12) vint me voir, ayant su, je nai jamais su com

    me nt, que nous tions des ge ns qui se s auvaient de ltat

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    HIST OIRE DE MA VIE

    de Venise. J ai passT rente et de lBolzan, oay ant

    besoin dargent pour mhabiller et pour macheter des che

    mises , je me suis prse nt un vieux banquier nomm

    Menc h (13) qui me donn a un homme s r que j ai envoy

    Venise avec une lettre M. B raga din, qui laccrditait.

    Le ngociant Mench me mit une auberge ojai passau

    lit tous les six jours que lhomme employa pour aller etrevenir. Il revint avec une lettre de change de cent sequins

    tire sur le mme Menc h. Ave c ce t arge nt je me suis hab ill;

    mais auparavant je me suis acquitt de ce devoir envers

    mon camarade qui me donnait tous les jours quelque nou

    velle raison pour trouve r sa socit insoutenable. Il me

    disait que sans lui je ne me serais jamais sauv, et q uen

    force de ma promesse je lui devais la moitide toute ma

    fortune ve ntuelle . Il tait amou re ux de toutes les ser

    vantes, et nayant ni taille, ni figure pour les rendre bonnes

    et soumises, elles recevaient ses galanteries en lui appli

    quant des bons soufflets quil prenait avec une patience

    exe mplaire. Ctait mon seul amuse ment.

    [1371] Nous avons pris la poste , et le troisime jour nousarrivme s Munick (14). Je fus me loger au Cerf (15) o

    jai da bord su que de ux je unes frres vnitien s de la famille

    Contar ini taie nt lde puis que lque te mps acc ompagns du

    comte Pompe i, vronais ; mais ntant pas connu deux, e t

    nayant plus besoin de rencontrer des ermites pour vivre,

    je ne me suis pas s oucidalle r leur faire ma rvrence . Je

    fus la faire la comtesse de Coronini que javais connue

    Venise au c ouvent de S te-Justine (16), e t qui tait fort

    bien en cour.

    Cette illustre dame , ge alors de soixante e t dix ans, m a

    trs bie n reu, et ma promis de parle r dabord lEle c

    teur (17) pour me faire obtenir la s retde lasile. Le len

    de main stant a cquitte de s a promes se , elle me dit quele souverain navait aucune difficult sur moi, et que je

    pouvais me t en ir pour sr Munick et e n toute la Bav ire ;

    VOLUME 5 - CHAriTRE I 9

    mais q uil ny av ait poin t de sret pour le Pre B albi qui

    en qualit de Somas que (18) et de fugitif, pouv ait tre

    rclampar les Somasques de Munick, et q uil ne voulait

    pas av oir des dmls avec des moine s. La comtess e donc

    me cons eilla de le faire sor tir de la ville to ut au plus tt

    pour aller se recouvrer ailleurs, e t viter ainsi quelque mau

    vais tour que les moines ses confrres pourraie nt lui jouer.Me s entant en conscience et en honneur oblig av oir

    soin de ce malheureux, je suis allchez le confesseur (19)

    de llecte ur pour lui demande r quelque re commandation

    pour le moine dans quelque ville de la Souabe. Ce confes

    se ur qui tait un Jsu ite me r eut on ne pe ut pas plus mal.

    Il me dit, par manire dacquit, quMunick on me connais

    sait fond. Je lui ai demanddun ton ferme sil me [1372]

    donnait cet avis comme une bonne ou comme une mauvaise

    nouve lle, et il ne m a pas rpondu. Il m a laiss l, et un

    prtre me dit quil tait allpour vrifier un miracle dont

    tout Munick parlait. L impratric e (20), me dit-il, ve uve de Charles VII

    dont le cadavre est encore dans la salle exposla vuedu public, a les pieds chauds toute morte quelle est.

    Il me dit que je pouvais aller vo ir ce prodige moi-mme.Trs c urie ux de po uvoir la fin me van te r davoir t

    tmoin d un mirac le, e t daille urs trs intre ss ant pour moi,

    car j avais toujours les pieds gels, je vais voir lauguste

    morte, qui effectivement avait les pieds chauds, mais

    ctai t e n cons quenc e du n pole (21) ard e nt q ui tait

    trs prs de Sa Majes t Impriale morte . Un danse ur qui

    tait l, et qui me c onnaiss ait beauc oup, m approch a et me

    fit complime nt sur mon bonhe ur'do nt on parlait djpar

    toute la ville. Ce danseur me pria diner, et jai accept

    avec plaisir; il sappelait Michel da lAgata, et sa femme

    tait la mme Garde la que seize ans av ant cette poquejavais connue chez le vieillard Malipiero qui mavait donn

    les pe tits coups de canne cause que je badinais avec T h

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    10 HISTOIRE DE MA VIE

    rse. L a Gar de la qui tai t de ve nue c lbre da nse us e, e t

    toujours fort jolie, fut e nchante de me v oir et de s avoir

    de ma bouche mme to ute lhistoire de ma fuite . Elle sin

    tressa p our le moine, e t elle m offrit une lettre de re com

    mandation Augsbourg au chanoine Bassi, bolonais, son

    ami, e t doye n du chapitre de St.-Maurice (22). Elle crivit

    la lettre sur-le-champ, et elle massura en me la donnant

    que je navais plus besoin de penser au moine, puisquelletait sre que le doy en .sen c harge rait mme , pour acc om

    moder son affaire Venise.

    En ch ant de me dfaire de lu i dune fa on si honorable,

    [1373] je cours lauberge, je lui narre le fait, je lui donne

    la lettre, et je lui promets de ne pas labandonner dans le

    cas que le doy en ne le reoive pas bien. Je Fai fait p artir

    le lendemain la pointe du jour dans une bonne voiture.

    Il m criv it quatr e jours aprs que le doy en l av ait re u

    on ne peut pas mieux, lavait logchez lui, lavait habill

    en a bb, la va it prse nt au prin ce vque qu i tai t un

    dArmestat (23), et lavait fait assurer par la ville. Le doyen

    outre cela lui avait promis de le garder chez lui jusquce

    quil e t obte nu de Rome sa s cularis ation e n prtre , et la

    libertde re tourner Ve nise, c ar dabord qu il ntait plus

    moine il ce ss ait dtre c oupable vis--vis du Tr ibuna l des

    Inquisiteur s d tat. Le Pre B albi finiss ait sa lettre par me

    dire de lui envoyer quelques sequins pour ses menus plaisirs,

    car il tait trop noble, me dis ait-il, pour demande r de lar

    ge nt au doye n, qui ne ltait pas assez pou r lui en offrir.

    Je ne lu i ai pas rpon du.

    Rest seul e t tranq uille, jai pens rtablir m a sant,

    car les fatigues et les peines souffertes mavaient donndes

    contractions aux nerfs, qui pouvaie nt de ve nir trs srieuses.

    Un bon rgime me re ndit en moins de trois se maines ma

    parfa ite sant . Dans ces mme s jours Mme Rivire vin t de

    Dresde avec son fils et ses deux filles, dont elle allait marier

    lane (24) P aris . Le fils a va it f ait s es tude s , e t tai t

    VOLUME 5 - CHAPIT RE I 11

    tous gar ds trs ac com pli, e t sa fille ane , q ue lle al lait

    marier un comdien, joig nait la figure la plus jolie quon

    peut v oir le tale nt de la danse ; elle toucha it le clavec in

    la perfe ction, et e lle a vait le sprit de la s ocitaccompagn

    de toutes les grces de la jeuness e. Toute cette famille fut

    enc hante de me voir, et je me suis trouv trs he ureux,

    lorsque [ 1374] Mme Rivire p rve nant mes vux, me fit

    comprendre que ma compagnie jus qu Paris lui seraitagrable. Il ny a pas e u ques tion de me faire paye r ma

    part, et jai d rece voir le cadeau en entier. Mon projet

    tant c elui daller m tablir Paris , ce c oup de F ortune me

    fit prvoir que mon bonhe ur m atte ndait dans la carrire

    daventurier sur laquel le j al lais me mettre dans la seule

    ville de lunivers olaveugle desse dispe nsait ses faveurs

    ceux qui sabandonn aie nt elle. Je ne me suis pas tromp,

    comme le lecte ur le verra te mps e t lieu, mais les grces

    de la Fortune furent inutiles, jai abusde tout par ma folle

    conduite. Le s plombs e n quinze mois me donnre nt le temps

    de connatre toutes les maladies de mon es prit ; mais il

    mau rait t ncess aire d y deme urer davantag e pour me

    fixer des maxim e s faites pour les gurir.Mme Rivire me voulait bie n avec elle, mais elle ne pou

    vait pas diffre r son dpart , et je dev ais atte ndre une

    rponse de Venise , et de larg ent qui dailleurs ne pouvait

    pas beaucoup tarder. Mayant assurquelle resterait huit

    jours S trasbourg, je me suis flattde la rejoindre, et je

    lai vue p art ir de Munick le dix-huit de dce mbre.

    J ai re u de Ve nis e la le ttr e de chang e que j a tt e ndais

    deux jour s aprs son dpart, j ai pay mes pe tites dette s,

    et je s uis dabord par ti pour me 'rendre Augs bourg, non

    pas ta nt po ur voir le Pre B albi que pour c onnatre l aimable

    doye n Bas si qu i en av ait ag i en prince vis--vis de lui.

    ta nt a rriv Augs bourg , se pt heures aprs mon dpart de

    Munick, je suis dabord allchez le doyen. [1375] Le doyen

    ny tait pa s ; j ai trouv le Pre B albi h abill en abb.

  • 7/22/2019 CASANOVA Histoire de Ma Vie 3.5

    9/156

    12 HIS T OI RE DE MA VIE

    coiffen che ve ux, poudr en blanc, ce qui fais ait paratre

    sa peau encore plus noire. Cet homme qui navait pas encore

    quarante ans tait non se ulement laid, mais il avait une

    phys ionomie q ui indiqu ait basses se , lche t, insole nce, et

    sotte malice . Je lai vu bie n log, bien se rvi, je lui ai vu

    des l ivre s, t ou t ce q ui lu i ta it nce ss aire p our crire ; je

    lui ai fait complime nt, je lai appelhe ureux, et heureux

    moi-mme davoir pu lui procurer tous ces avantage s aveclespoir de de ve nir bie ntt prtre sculier. B ien loin de me

    reme rcier il me d it que je m tais dbarrass de lui, et ay ant

    appris que jallais Paris il me dit quil irait beaucoup

    plus volontiers avec moi, car Augsbourg il sennuyait

    pri r.

    Que voudriez-vous faire P aris?

    Quy fere z-vous vous-mme?

    Je mettrai profit mes talents .

    Et moi les miens.

    Vous navez donc pas besoin de moi. Allez-y. Les per

    sonnes qui my conduisent ne voudraient pas de moi, peut-

    tre, si j tais acc ompagn de vous.

    Vous m avez promis de ne pasmabandonner. Appelez-vous abandonner quelquun lorsquon le laisse

    avec to ut ce qui lui est nces saire?

    To ut le nces saire ? Je nai pasle sou.

    Vous navez pas besoin dargent. Et sivous croyez

    en avoir bes oin pour vos plaisirs., demandez-en vos

    frre s (2 5).

    Ils [1376] nen ont pas.

    A vos amis.

    Je nai pas damis.

    Tant pis; cest une marque que vous navez jamais

    tla mi de pers onne. Vous me laisserez quelques sequins.

    Je nen ai pas de reste. Attende z le doyen ; i l viendra demain. Parlez-lui, per

    VOLUME 5 - CHAPITRE I 13

    suadez-le me prter de larg ent . Dites-lui que je le luirendrai.

    Je ne latte ndrai pas, car je pars dabord et je ne serais

    jamais asse z effrontpour lui dire de vous donne r de largent.

    Aprs ce t aigre dialogue je lai quitt; je suis all la

    poste et je suis parti trs pe u conte nt davoir procur un

    si grand bonhe ur un homme qui ne le mritait pas. A la

    fin de mars j ai reu Paris une le ttre du noble e t honntedoyen Bassi dans laquelle il me rendait compte que le

    Pre B albi s tait vad de che z lui ave c une de ses ser

    vantes en lui enlevant une somme dargent, une montre

    dor, et douze couverts darg e nt; il ne s avait pas oil tait

    al l.

    Vers la fin de lan, j ai su qu il tait allavec la s ervante

    du doye n Coire, cap itale des Grisons, oil dem anda dtre

    agrglglise des c alviniste s, et dtre re connu po ur m ari

    lgitime de la dame qui tait av ec lui, mais lo rs quon sut

    quil ne savait rien faire pour soutenir sa vie, on na plus

    voulu de lui. Lorsquil neut plus dargent, la servante quil

    av ait trompe , la quitt aprs lav oir batt u plusie urs fois.

    Le P re B albi alors ne s achant ni oaller, ni com me nt fairepour vivre, [1377] prit le parti daller Bresse, ville appar

    te nant la Rpubliq ue (26) oil se prse nta au gouve rne ur,

    lui dit son nom, sa fuite et son repentir, et le pria de le

    prendre sous sa protection pour obtenir son pardon. La

    protec tion du podes t(27) commena par faire mettre en

    prison le s ot recourant, puis il crivit au T ribunal, lui de man

    dant ce q uil dev ait en faire ; et en consquence des ordres

    qu il a re us, il le nvoy a e nch an Mes se r Grande (28) qui

    le consigna au Tribunal, qui le fit'remettre sous les plombs,o il ne trouva plus le comte As quin quon avait e nvoy

    aux quatre (29), par p iti de s on ge , trois m ois ap rs m on

    vas ion. J ai su cin q ou six ans aprs que le Tr ibun al aprs

    avoir gardle P re B albi sous les plombs deux ans, lavaitenv oy son couv en t oson suprieur la va it relgudans

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    14 HIST OIRE DE MA VIE

    ic couve nt de lIn s titu tio n prs de Fe ltre , bti s ur une mi

    nence ; mais le Pre B albi ny de meura que s ix mois. Il p rit

    la fuite, et i l est all Rome se jeter aux pieds du Pape

    Rezzonico qui labsout de ses vux monastiques, et il

    re tourna alors sa patr ie en qualit de prtre, o il vcut

    toujours mis rableme nt, parce quil neut jama is de c on

    duite . Il m our ut dans la misre l anne 1785.J ai re jo int S tr as bour g l 'Auberge de L'Esprit (30)

    Mme Rivire avec s a charm ante famille , qui me re ut avec

    les dmons trations du vra i plaisir. Nous y pass mes quelque s

    jours, e t nous partme s pour P aris dans une [ 1378] bonne

    berline (31) o je me s uis cru en dev oir de paye r de ma

    personne par lemploi do tenir la compagnie toujours gaie.

    Les charmes de Mlle Rivire raviss aient m on me, mais

    jtais h umili, e t jaur ais cru de m anq ue r la mre, et

    ce que je de vais m a situat ion si javais fait paratre la

    moindre inclination amoureuse. Malgrque trop jeune pour

    cela je me plaisais joue r le rle de pre, e t avo ir tous les

    soins quil est ncess aire davoir qua nd on voyag e avec

    toutes ses aises, et quon veut passer les nuits dans desbons lits.

    Nous sommes arrivs Paris le mat in du 5 de janvie r 1757

    jour de mercredi , et je suis descendu chez mon ami Bal

    letti (32), qui me reut bras ouverts , mas surant que

    malgr que je ne lui avais pas donnde mes nouvelles il

    matt e ndait, car ma fuite aya nt pour cons quence ncess aire

    mon loigne me nt de Venis e, e t mme mon e xil, il ne con

    ce vait pas que je pusse choisir autre s jour quune ville o

    ja vais v cu de ux annes de s uite jouis s ant de tous les agr

    ments de la vie. La joie fut dans toute la maison dabord

    quon sut m on ar rive ; et j ai embras ss a mre et s on pre

    qu mon gard j ai trouvs te ls que je les avais laisss

    lan 1752. Mais ce qui me frappa f ut Mlle Balle tti sur demon ami. E lle av ait quinze ans (33), et elle tait deve nue

    fort jol ie ; la mre la va it leve e n lui d on na nt t ou t ce

    VOLUME 5 - CHAPITRE I 15

    quune [1379] tendre mre, et ple ine de sprit, pe ut donner

    sa fille, et to ut ce q ui a du rapport aux tale nts, aux grces,

    la sagesse e t au savoir-vivre. Aprs av oir louune chambr e

    dans la mme rue (34), je s uis alllHte l de B our bon (35)

    pour me prse nter M. labb de Be rnis, q ui tait c hef du

    Dpart e me nt des Affaire s trangre s (36), et ja vais des

    bonnes raisons pour esprer de lui ma fortune. J y vais, onme dit quil tait Vers ailles ; impat ien t de le voir je vais

    au pont Royal (37), je prends une voiture quon appelle

    pot de chambre (38), et jy arrive six heures et demie.

    Ay ant s u quil tait re tournParis avec le comte de Can

    tillana (39), ambass adeur de Naples , je n ai eu autre parti

    prendre que celui de faire la mme c hose. Je retourne

    donc dans m a mme v oiture ; mais peine arrivla grille

    je vois une g rande qu antit de monde courir de tous cts

    dans la plus grande confusion, et jentends crier droite etgauche :

    - Le Ro i est ass ass in, on vie nt de tuer S a Majes t.

    Mon cocher effray ne pense qu suivre s on chemin ;

    mais on arrte ma voiture , on me fait des cendre, et on memet dans le corps de garde, oje vois on trois ou quatre

    minute s plus de vin gt pers onnes arrtes tou t tonnes , et

    [1380] aussi coupables que moi. Je ne savais que penser, et

    ne croyant pas aux e nchante ments , je croyais de rver.

    Nous tions l, et nous nous r eg ardions sans ose r nous parle r ;

    la surprise nous te nait tous accabls, chac un, quoique inno

    cent, avait peur.

    Mais quatre ou cinq minute s aprs un officier e ntra, et

    aprs nous avoir de mandfort po lime nt excuse , il nous dit

    que nous pouvions nous en aller.

    Le Roi, dit-il, est bless, et on la port dans son

    apparte me nt. L assassin (40), que pe rsonne ne connat, est

    arrt. On che rche pa rt ou t M. de la Mart inire (41).Remontdans ma voiture, et me trouvant fort heureux

    de my v oir, un jeune h omme trs bie n mis, et d une figure

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    16 HIST OIRE DE MA VIE [1382]

    faite pour persuader me prie de le prendre avec moi moyen

    nant quil payerait la moiti; mais malgr les lois de la

    politesse je lui refuse ce plaisir. Il y a des moments oil

    ne fa ut pas tre poli.Dans les trois heures que j ai employes pour retourner

    Paris, car les pots de chambre vont trs le nteme nt, deux

    cents courriers pour le moins, qui allaient ventre terre, me

    devancrent. A chaque minute je n voyais un nouve au, et

    chaque courrier criait et publiait lair la nouvelle quil

    portait. Les premiers dirent ce que je s avais ; un quart

    dheure aprs j ai su q uon av ait s aignle Roi, ja i su aprs

    que la bless ure ntait pas morte lle, e t [1381] une heure aprs,

    que la bles sure tait si lgre que Sa Majes t pourr ait

    mme alle r Tr ianon si elle v oulait.

    Avec ce tte intres sante nouve lle je suis allche z Silvia

    et jai trouv toute la fam ille table, c ar il ntait pas e ncore

    onze heures. J entre, et je vois to ut le monde constern.

    J arrive, leur dis-je, de Versailles.

    Le Roi est as sass in.

    Point du tout, il pourrait aller Triano n sil e n ava itenvie . M. de la Martin ire la s aign, las sas sin es t arrt,

    et il sera brl aprs q uon laur a te naill et cartel vif.

    A cette nouvelle que les domes tiques de S ilvia publire nt

    dabord, tous les voisins vinrent pour mentendre, et ce fut

    moi que to ut le quartier eut lobligation davoir bien

    dormi c ette nuit-l. Dans ce temps -lles Fra nais sima gi

    naient daimer leur Roi, et ils en faisaient toutes les gri

    maces ; aujo urd hui on es t parve nu les c onnatre un peu

    mieux. Mais dans le /on d les Franais s ont toujours les

    mmes . Cette natio n est faite pour tre toujo urs dans un

    tat de violence ;rien ne st vrai chez elle, tout nest qua p

    parent. Cest un vaisseau qui ne demande que daller, et

    qui veut du vent, et le vent qui souffle est toujouis-iraAussi un navire est-il les armes de Paris (42). b c f c o k >

    r ie . m.y,MMTPAHMgjKniniWU

    CH APITRE I I

    Le minis tre des Affair es trangres. M. de B oulogne,

    cont rle ur gnral. M. le duc de Chois e ul. L' abb

    de Laville . M. Par is du Ve rnai. tablisse ment

    de la loterie. Mon frre arrive P aris ,

    ve nant de Dres de; il est re u

    VAcadmie de pe inture .

    M

    e voilde nouveau dans le grand Paris, et ne pouvant

    plus compter sur ma patrie, en devoir dy faire for

    tune. J y avais pass deux ans ; mais nay ant dans cetemps-lautre objet que celui de jouir de la vie, je ne lavais

    pas tudi. Cette se conde fois j avais be soin de faire ma

    cour ceux chez lesquels laveugle desse loge ait. Je voyais

    que pour parvenir quelque chose, javais besoin de mettre

    en jeu toute s mes facults physiques et morales, de faire

    connaiss ance ave c des grands et des puissants, dtre le

    matre de mo n e sprit, et de prendre la couleur de tous ceux

    auxque ls je verrais que mon intrt exige ait que je plusse.

    Pour s uivre ces maxime s, j ai vu* que je dev ais me garde r

    de tout ce qu on appel le Paris mauvaise compagnie, et

    renoncer toutes mes anciennes habitudes, et toutes sortes

    ___de prtentions qui auraient pu me faire des e nnemis qui

    ^ynapraient facileme nt donnune rputation d homme peu

    Prof re des e mplois s olides . E n consquence de ces mdi-

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    18 HIS TOIRE DE MA VIE

    ttions je me suis proposun sy stme de rse rve ta nt dans

    ma conduite que dans mes dis cours qui pt me faire c roire

    propre des affaires de consquence plus mme de ce que

    jaurais pu mimag iner dtre. P our ce qui re garda it le nces

    saire mon entre tien, je pouv ais co mpte r sur ce nt cus (1)

    [1383] par mois que M. de Bragadin naurait jamais

    manqu de me faire paye r. Ctait assez. Je navais bes oinde penser qume bien mettre , et me loger honnteme nt ;

    mais dans le commencement il me fallait une somme, car

    je navais ni habits, ni chemises.Je suis don c re tourn le le nde ma in au pal ais de Bour bon.

    ta nt sr que le suisse me d irait que le minis tre tait occup,

    jy s uis allavec une petite lettre que je lui ai laisse. Je

    m annonais, e t je lui disais oje logeais. Il ne f allait pas

    lui dire davantage. En attendant je me voyais obl ig

    faire par tout o ja llais la narr ation de ma fuite ; ctait

    une corve, c ar elle dura it de ux he ures ; mais j tais en

    dev oir dtre comp lais ant vis--vis de c eux q ui se n mon

    traie nt c urieux , car ils nauraie nt pu ltre sans le vif intrt

    quils prenaient ma personne.Au souper de Silvia jai reconnu plus tranquillement que

    la veille toutes les marques damitique je pouvais dsirer,

    et le mrite de s a fille m a fra pp. E lle pos sdait son ge

    de quinze ans toutes les qualits qui e nchantent. J en ai fait

    com plime nt sa mre qui l av ait leve, e t je nai pas alors

    pens me me ttre en tat de dfense contre ses charme s ;

    je ntais pas e ncore asse z mon aise pour me figurer qu ils

    pourraient me faire la guerre. Je me suis retirde bonne

    heure, impatient de voir ce que le ministre me dirait en

    rponda nt mo n billet.Je la i re u h ui t heure s . Il me dis ait qu de ux heure s

    de releve je le trouv e rais s eul. Il m a reu comme je m y

    atte ndais . Il me fit connatre non se uleme nt le plaisirquil avait de me voir victorieux, mais toute la joie que

    [1384] son me res se ntait sac hant de se tro uve r en tat de

    VOLUME 5 - CHAPITRE II 19

    pouvoir mtre utile. Il me dit que dabor d quil ava it appris

    dune le ttre de M. M. que je m tais sa uv, il se s e ntit s r

    que je nirais autre part quParis, et que ce serait lui

    que je ferais ma premire vis ite. Il me fit voir la lettre dans

    laquelle e lle (2) lui faisait par t de ma dte ntion, et la de r

    nire dans laque lle elle lui cont ait lhistoire de ma fuite ,

    comme on la lui ava it rapporte. Elle lui disait que ne pouvant plus es prer de voir ni lun n i lautre des deux hommes,

    qui taient les seuls sur les quels elle pouva it compte r, la

    vie lui tait deve nue charge. Elle se plaignait de ne pas

    pouvo ir avoir la ressource de la dvotion. Elle lui dis ait

    que C. C. allai t la voir souv ent , et quelle ntait pas h e u

    reuse avec lhomm e qui la va it pouse.

    Ayant parcouru ce que M. M. lui disait de ma fuite, et

    trouvant toutes les circonstances fausses, je lui ai promis de

    lui envoye r toute la vritable histoire. Il me s omma de ma

    parole, me prome ttant de l envoyer notre malheureuse

    amie, et me donna nt de la meilleure grce du monde un

    rouleau de cent louis (3). Il me promit de penser moi, et

    de me faire savoir quand il aurait besoin de me parler. Aveccet arg e nt je me suis quip; et h uit jours aprs, je lui ai

    envoylhistoire de ma fuite que je lui ai permis de faire

    copier et den faire lusage quil trouverait propos pour

    intres se r tous ce ux qui pourr aie nt mtre utile s. Trois

    se maines aprs, il me manda pour me dire qu il avait parl

    de moi M. Erizzo (4), ambassadeur de Venise, qui dans

    ce quil disait ne pouvait me faire aucun to rt ; [1385] mais

    que ne voulant pas se compromettre avec les Inquisiteurs

    dtat ne me re cevrait pas. Je navais aucun bes oin de lui.

    I l me dit qui l avait donn mon histoire Mme la mar

    quise (5), qui me connaissait, e t avec laquelle il tche rait

    de me faire parler, et il me dit la fin que quand jirai me

    prse nter M. de Choise ul je se rais bien re u, comme duco ntrle ur, g nral (6) M. de Bo ulogn e ave c le que l, aya nt un

    peu de tte , je pourrais faire que lque chose de bon.

  • 7/22/2019 CASANOVA Histoire de Ma Vie 3.5

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    20 HIS T OIRE DE MA VIE

    Il vous donne ra, me dit-il, lui-mme de s lumire s, et

    vous verrez que L'homme coutest ce lui qu i obtie nt. Tchez

    denfante r quelque chose dutile la rece tte royale, vitant

    le compliqu et le chimrique , et si ce que vous crivez

    ne sera pas long, je vous dirai mon avis.

    Je la i qu itt r e mpl i de re connais s anc e , ma is fo rt e mb ar

    rasstrouver des moyens pour augmenter les revenus duRoi. Nayant aucune ide des finances, j avais beau mettre

    mon e sprit la torture, toutes les ides qui mve naient ne

    vers aient que sur des nouve aux impts ; me paraiss ant

    toutes odieuses, ou absurdes, je les rejetais.

    Ma premire v isite fut M. de Choise ul (7), dabord que jai

    su quil tait Paris . Il me re ut sa toile tte , et criv ant

    pendant quon le peignait. La politesse quil me fit fut din

    terrompre sa lettre par des petits intervalles, me faisant des

    interrogations, auxquelles je rpondais, mais inutileme nt,

    car au lie u de m coute r il criv ait. P arfois il me re gard ait ;

    mais ctait gal, car les ye ux reg arde nt, ne nte nde nt pas.

    Malgr cela ce duc tait un hom me qui ava it beaucoup

    desprit.Aprs av oir achev sa lettre, il me dit e n italie n que

    M. labbde Bernis lui avait contune partie de lhistoire

    de ma fuite.- Dites -moi donc c omme nt vous ave z fait po ur y russir.

    Ce tte histoire, Monse igneur, dure deux heures , [1386] et

    V. E. me s emble presse.

    Dites-la en bref.

    Cest dans sa plus grande abrviation qu elle dure

    deux heures.

    Vous me direz une autre fois les dtails.

    Sans les dtails ce tte his toire ne st pas intres sante.

    S i fait. On peut raccourcir tout, et tant quon ve ut.

    Fort bien. Je dirai donc Votre Excel lence que lesInquisiteurs dtat me firent enferme r sous les plombs (8).

    Au bout de quinze mois et cinq jours, jai percle toit; je

    VOLUME 5 - CHAPITRE I I

    suis entrpar une lucarne dans la chancellcrie (9) dont jai

    brisla porte; je suis descendu la place; jai pris une

    gondole qui ma transporten terre ferme, doje suis all

    Munick. De l, je suis venu P aris, oj ai lhonne ur de

    vous faire ma rvrenc e. Mais... quest-ce que les plombs?

    Cela, Monseigneur, dure un quart dheure. Comment avez-vous fait pour percer le toit?

    Cela dure une demi-heure.

    P our quo i vous a-t-on mis l-haut?

    Encore une demi-heure.

    Je crois que vous avez raison. Le beau de la chose

    dpen d des dtails. Je dois aller Vers ailles. Vous me ferez

    plaisir vous laissant voir quelquefois. Pensez en attendant

    en quoi je pe ux vous tre utile .So rtant de chez lui je fus chez M. de Boulogne. J ai vu

    un homme tout fait diffrent du duc, dans lair, dans

    lhabillement, dans le maintien. Il me fit dabord compli

    ment sur le cas que labbde Bernis faisait de moi, et sur

    ma capac iten matire de finances. P eu sen f allut que jene pouffass e. Il tait av ec u n octognaire qui m ont rait le

    gnie s ur sa figure . Communiquez -moi, me dit-il, soit de bouche, s oit par

    crit v os vue s ; vous me trouve re z docile , et p rt saisir

    vos ides . Voici M. Paris du V er nai qui a besoin de ving t

    millions pour s on cole militaire (10). Il sag it de les trouve r

    sans char ge r ltat , et sans inc ommod er le trsor royal.

    Il ny a qu un Dieu, mons ieur, [1387] qui ait la vertu

    cratri ce . Je ne suis pas Dieu, me dit M. du Vernai, et cepen

    dan t, j ai que lquefois cr, mais tou t a chang de face.

    T out, lui rpondis-je, e st de ve nu plus difficile, je le

    sa is; mais malgr a ja i en tte une opration qui pr oduirait au Roi lin trt de c ent millions.

    Combien c oterait au Roi ce produit?

  • 7/22/2019 CASANOVA Histoire de Ma Vie 3.5

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    22 HI S T OI RE DE MA VIE

    Rien que les frais de perc eption.

    ' Cest donc la nation qui de vrait fournir le re venu?

    Oui, mais volontairement.

    Je sais quoi vous pensez.

    J admirerais monsieur, car je nai communiqumon

    ide pe rsonne .

    Si v ous n tes pas engag , ve nez de main dne r chez

    moi, et je vous montrerai votre projet, qui est beau, maisqui es t suje t des difficults pre sque insurmontables . Malgr

    cela nous parlerons. Viendrez-vous?

    J aurai cet honneur.

    Je vous atte nds donc. Je s uis Plaisance (11).

    Aprs s on dpa rt le co ntr le ur g nral me fit lloge de

    son tale nt et de s a probit. Ctait le frre de Par is de

    Monmarte l qu une c hronique se crte fais ait croire pre de

    Mme de Pom padour, car il aimait Mme Poisson en mme

    temps que M. Le Normand.

    Je su is all me prome ne r aux Tu ille rie s (12), rflchi s s ant

    au coup bizarre que la fortune me prse ntait. On me d it

    quon a besoin de vingt millions, je me vante de pouvoir

    en donne r ce nt sans sa voir comm e nt, et un homm e c lbre

    et ro mpu dans les affaires, m invite dner pour me c on

    vaincre quil connaissait mon projet. Sil pense me tirer

    les vers du nez, je len dfie ; quand il me communique ra

    le sien, ce sera moi dire quil a devinou non, et si la

    matire se ra ma porte, je dirai peut-tre que lque chose

    de nouveau ; ny e nte ndant rien, je garde rai un mys trieux

    silence.

    [1388] Labb de Bernis ne mavait annoncpour finan

    cier que pour me procurer le colloque. Sans cela on ne

    mau rait pas admis . J tais fch de ne pas poss der au

    moins le jargon du dparte ment. Le lende main jai pris un

    carrosse de remise (13), et triste et s rieux, jai dit au c ocher

    de me me ttre Plaisance chez M. du Ver nai. Ctait un pe u

    au-delde Vincennes.

    VOLUME 5 - CHAPIT RE I I 23

    Me voilla porte de cet homme fameux qui avait sauv

    la F ranc e aprs le s prcipic e s c auss pa r le s ys tme de

    Law (14) quarante ans auparavant. Je le trouve avec sept

    ou huit personnages devant un grand feu. Il mannonce par

    mon nom me donnant la qualitdami du ministre (15) des

    Aff aire s tra ngre s e t du c on trle ur gnral . Apr s ce la il

    me prse nte ces mess ieurs donnant trois ou quatre la qua

    lit dint e ndan ts des finances (16). Je fais mes rvrence s,et dans linstan t je me dvoue Harpocrate (17).

    Aprs a voir par lde la Se ine prise de glace de lpaiss eur

    dun pied, de M. de Fontenelle qui venait de mourir, de

    Damiens qui ne voulait rien confesser, et de cinq millions

    que ce procs c rimine l cote rait au Roi, on parla aussi de

    la guerre , et on fit lloge de M. de S oubise que le Roi a vait

    choisi pour c ommande r. Ce propos port a s ur les dpenses,

    et sur les ressources pour fournir tout. J ai pass une

    heure et demie en me nnuyant, car tous leurs raisonnements

    taie nt si entr elar ds de te rme s de le ur mtie r que je nv

    compr ena is rie n. Aprs une autre he ure et de mie passe

    table o je nai ouvert la bouche que pour manger, nous

    pass mes dans une salle, oM. du Ve rnai laissa la compagniepour me conduire dans un cabinet avec un homme de bonne

    mine gde cin quan te ans peu prs q uil ma va it annonc

    sous le nom de Calsabigi. U n mome nt aprs de ux intendants

    des finances entrrent aussi. M. du V ernai d un air riant et

    poli mit entre mes mains un cahier in-folio me disant :

    Vo ilvotre projet.

    Je vois su r le fr ont is pic e : Loterie (18) de quatre-vingt-

    dix billets, dont les lots [1389] tirs a u s ort chaque mois ne

    pourro nt tombe r que sur c inq numros , etc., etc. Je lui rends

    le cahier , et je nhsite pas un se ul ins tant lu i [dire que

    ctait m on pr ojet .

    Monsieur, me dit-il, vous ave z tprve nu : le projet

    es t de M. de Calsa bigi que voil.

    Je s uis charmde voir que je pense comme monsieur;

  • 7/22/2019 CASANOVA Histoire de Ma Vie 3.5

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    24 HISTOIRE DE MA VIE

    mais si vous ne lave z pas adopt, oserai-je vous en de mande r

    la raison?

    On allgue contre le proje t plusieurs raisons toutes

    plausibles , et auxquelles on ne rpond que vag ueme nt.

    J e nen c onnais, lui rpondis-je froideme nt, quune

    seule dans toute la nature qui pourrait me fermer la bouche.

    Ce serait si le Roi ne voult pas perm ettre ses sujets de

    jouer. Cette raison ne va pas en ligne de compte: Le Roi per

    mettra ses sujets de jouer; mais joueront-ils?

    Je mtonne qu on en doute dabord que la nation

    se ra sre dtre pay e si e lle ga gne .

    Supposons donc quils joue ront, lors quils se ront srs

    quil y a une caisse. Comment faire ce fond?

    Trsor roy al. Dcre t du c onse il. Il me suffit qu on

    suppose le Roi en tat de pay er c ent millions.

    Cent mil l ions?

    Oui mons ieur . On doit blouir.

    Vous croyez donc que le Roi pourra les perdre?

    Je le suppos e; mais aprs une re cette de ce nt cin

    quante. Connaissant la force du calcul politique vous ne

    pouve z pa rtir que de l. Monsie ur, je ne suis pas to ut se ul. Convenez-vous

    quau premie r tirage mme le Roi peut perdre une somme

    exorbitante? Entre la puiss ance et lacte il y a linfini; mais jen

    conviens. Si le Roi perd une grande somme au premier

    tirage la fortune de la loterie est faite. Cest un malheur

    dsirer. On calcule les puissance s morales comme les proba

    bilits. Vous s avez que toutes les chambres dass urance (19)

    sont riches. [1390] J e v ous dmontre rai de vant tous les

    mathmaticie ns de lEurope , que Dieu tant ne utre il est

    impossible que le Roi ne gagne sur cette loterie un sur cinq.

    Cest le secret. Convenez-vous que la raison doit se rendre

    une dmons tration m athmatique ?

    v o l u m e 5 - CHAP IT RE II 25

    J en convie ns. Mais dites-moi pourquo i le Castel-

    letto (20) ne pe ut pas se ngage r que le gain du Roi sera sr?

    Il ny a point de Castelletto au monde qui puisse vous

    donner une ce rtitude vidente et absolue que le Roi gagnera

    toujours. Le Castelletto ne sert qutenir une balance pro

    visoire s ur un numro, ou de ux, ou trois, q ui tant e xtra ordi

    naire me nt surchargs pourraie nt en sortant causer au tenant

    une grande perte. Le Cas telletto pour lors dclare le nombreclos. Le Castelletto ne pourrait vous donner une certitude

    du gain q uen diffrant le tirage jus quce que toutes les

    chances fusse nt galeme nt pleines, e t pour lors la loterie

    nira it pas, car il faud rait pe ut-tre atte ndre dix ans ce

    tirage, et outre cela je vous dirai que la loterie pour lors

    dev iendrait une vritable friponnerie. Ce qui la garantit de

    ce nom dsh onora nt est le tirage fixune fois chaque mois,

    car le public est pour lors sr que le te nant peut perdre.

    Aurez-vous la complaisance de parler en plein conseil?

    Avec plais ir .

    De rpondre toutes les objections ?

    A toutes.

    Voulez-vous me porter votre plan?

    Je ne donnerai mon plan, monsieur, que lorsque la

    maxime sera prise, et que je serai certain quon ladoptera,

    et quon me fera les avantages que je demanderai .

    Mais vo tre plan ne pe ut tre que le mme que voici.

    J en doute. Dans mon plan je dcide en gros combien

    le Roi gagne ra par an, [1391] et je le dmontre .

    On pourrait donc la vendre une compagnie qui

    pay e rait au Roi une s omme dte rmine.

    Je vous demande pardon. La loterie ne peut prosprer

    que dans un prjugqui doit oprer immanqua blem e nt. Je

    ne voudrais pas me mler pour servir un c omitqui pour

    augme nter le ga in pense rait multiplie r les oprations, et

    diminue rait laffiuence. J en suis sr. Cette loterie, s i je dois

    me n mler doit tre royale , ou rie n.

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    26 HI S T OI RE DE MA VIE

    M. de Calsabigi pense comme vous.

    J en suis vraime nt combl.

    Ave z-vous des personnes prtes po ur le Caste llet?

    Il ne me faut que des machines intelligentes, dont la

    France ne peut pas manquer.

    A combien fixez-vous le gain?

    A vingt au-dessus de cent chaque mise. Celui quiporter a au Roi un cu de six francs en re cev ra cinq, et le

    concours sera tel, que cteris paribus * toute la nation

    payera au monarque au moins cinq cent mille francs par

    mois. Je le dmontre rai au conse il sous conditio n qu il soit

    compos de membre s qui aprs av oir re connu une v rit

    rsultante dun calcul s oit physique soit politique, ne biai

    seront pas.Enc hant de pouvoir te nir parole sur tout ce quoi je

    mtais e ngag, je me suis lev pour aller que lque part. E n

    rentrant je les ai trouvs debout pa rlant e ntre eux de la

    chose. Calsabigi mapprochant avec amitime demanda si

    dans mon pla n je me ttrais la quaderne . Je lui ai rpondu

    que le pu blic d e vait tre le matre de joue r aussi laquinc (21), mais que dans mon plan je re ndais la mise plus

    forte, puisque le joueur ne pourrait mettre ni quaderne ni

    quine q ue n les joua nt auss i par terne (22). Il me rpondit

    que dans le sien il admettait la quaderne simple au gain de

    cinquante mille pour un. Je lui ai rpondu avec douceur

    quil y av ait en F rance des fort bons arithmticiens , qui

    lorsq uils ne trouv e raie nt pas le gain gal dans toutes les

    chances, ils profiteraient de la collusion. Il me serra alors

    la main me disant quil dsire rait que nous puss ions parler

    ens emble. Aprs av oir [1392] laiss mon adres se M. du

    Vernai je suis parti au commencement de la nuit, content

    et sr davoir laissune bonne impre ss ion dans les prit du

    vieillard.

    * S i les aut res c i rconst ances restent les mmes.

    VOLUME 5 - CHAPITRE I I 27

    Trois ou quatre jours aprs j ai vu chez moi Calsabigi que

    jai reu en l ass urant que je ne m tais pas prse nt sa

    porte parc e que je n avais pas os. Il me dit s ans dtour

    que la faon dont j avais parl ces messieurs les av ait

    frapps, e t qu il tait c er tain que si je voulais sollicite r le

    co ntrle ur gnral no us tabl irion s la lote rie, don t nous

    pourrions tirer grand parti. Je le crois, lui rpondis-je, mais le p arti q uils en tire

    raie nt eux-mmes se rait encore plus grand ; et ma lgr cela

    ils ne se presse nt pas ; ils n ont pas e nvoy me chercher,

    et dailleurs je nen fais pas ma plus grande affaire.

    Vous en aurez des nouvelles au jourdhui. Je sais que

    M. de Boulogne a parlde vous M. de Courteil (23).

    Je v ous as sure que je ne lai pas sollicit.

    Il me pria de la me illeure grce du monde daller dner

    avec lui et jy ai consenti. Dans le moment que nous sortions jai reu un bille t de labb de Be rnis qui me disait

    que si je pouva is tre le lende main Versailles il me fe rait

    parler Mme la marquise, e t quen mme te mps jy t rou

    verais M. de Boulogne.Ce ne fu t pas par v anit, mais par politique que j ai fait

    lire ce billet Calsabigi. Il me dit que javais entre mes

    mains t out ce q uil me falla it pour forcer mme du Ve rnai

    mettre la loterie. E t votre fortune, me dit-il, est faite si vous ntes

    pas asse z riche pour la mprise r. Nous nous donnons

    depuis deux ans toutes les peines du monde pour venir

    bout de cette affaire, et nous ne recevons jamais que des

    sotte s objec tions que vous ave z pulvrises la semaine

    passe. V otre pro je t ne pe ut tre *pe u prs que le mie n.

    Soyons ensemble, croyez-moi. Souvenez-vous que tout seul

    vous aurez des difficults insur montable s, et que les ma

    chines intelligentes dont vous aurez besoin ne se trouveront pas Par is. Mon frre pre ndra s ur lui tout le poids

    de laffaire ; pers uadez, et contentez-vous de jouir de la

    2

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    28 HIST OIRE DE MA VIE

    moitides avantages de la direction en vous divertissant.

    Cest donc M. votre frre qui e st laute ur du proje t.

    Cest mon frre. 11 est malade , mais il se porte bien

    desprit. Nous allons le voir. [1393]

    J ai vu un ho mm e au lit to ut co uv e rt de da rt re s ; mais

    cela ne lem pchait pas de mange r avec un e xcellent apptit,

    dcrire, de converser, e t de faire par faiteme nt toutes les

    fonctions dun homme qui se porte bien. Il ne paraissaitdev ant pe rsonne parce que, outre que les dartres le dfigu

    raient, il tait obligtout mome nt de se gratte r dans un

    endroit ou dans lautre, ce qui Paris est une chose abomi

    nable quon ne pardonne jamais, soit quon se gratte cause

    de maladie ou par mauvaise habitude. Calsabigi me dit donc

    quil se te nait l sans voir pers onne parce que la peau lui

    dmange ait, et qu il navait autre soulage ment que ce lui de

    se frotter. Dieu, me dit-il, ne peut mavoir donndes ongles qu

    cette fin. Vous croyez donc aux causes finales, et je vous fais

    mon compliment. Malgrcela je crois que vous vous grat

    teriez quan d mme Dieu aurait oublide vous donner desongles.

    Je la i alor s vu s ouri re , e t nous pa rlme s de not re affa ire .

    Dans moins dune heure je lui ai trouvbeaucoup desprit.

    11 ta it l an, e t il ta it g aron. Gra nd c alc ula te ur , trs

    versdans la finance thorique et pratique , connaiss ant le

    commerce de toutes les nations, docte en histoire, bel esprit,

    adorate ur du beau sexe, et pote. Il tait natif de L ivoum e ;

    il ava it tra vail lNaples da ns le minis tre , et il tait ve nu

    P aris ave c M. de l Hpita l (24). Son frre tait auss i fort

    habile , mais il de vait lui c der en tout .Il me fit voir u n g rand tas dcritures, oil avait tirau

    clair tout ce qui regardait la loterie.

    Si vous croyez, me dit-il, de pouvoir faire tout sansavoir besoin de moi, je vous fais complime nt ; mais vous

    V OL U ME 5 - C HA P IT RE II 29

    vous flatterez en vain ; car si vous ne poss dez pas la pra

    tique, et si vous navez pas des hommes vous qui soient

    rompus dans laffaire, votre thorie ne vous se rvira de rien.

    Que ferez-vous q uand v ous aurez obte nu le dcre t? Lorsque

    vous parlerez au conseil (25), vous ferez bien si vous leur

    fixerez un terme aprs leque l vous vous laveriez les mains.

    Sans ce la on vous mnera toujours aux cale ndes grecques.

    Je pe ux aus s i vous as s ure r que M. du Ve rn ai se ra bie n aisede nous voir unis. Pour ce qui regarde les rapports analy

    tiques des g ains gaux dans toutes les chances, je vous per

    suade rai quil ne fa ut pas les considrer dans la quaderne.

    [1394] Trs persuad me me ttre avec eux, sans cepen

    dant leur faire c onnatre que je croyais den av oir bes oin,

    je s uis des ce ndu avec s on frre, qui a va nt dne r de vait me

    prse nter sa femme . J ai vu une vieille trs connue Paris

    sous le no m de gnrale La Mothe , clbre c ause de s on

    ancienne be aut et de ses gouttes (26) ; une autre femme

    suranne q uon appelait P aris la baronne B lanche, e t qui

    tait e ncore matre ss e de M. de V aux ; une a utre quonappe lait la Prsidente (27), et une autre jolie comme un

    ange q uon appe lait Mme Raz ze tti, pimontaise , femme dunviolon de l Opra, q ui tait alors bo nne amie de M. de F ond

    pertuis (28) intendant des menus (29), et de plusieurs autres.

    A ce dne r je n ai pas b rill. Ctai t le pre mie r que je faisais

    ay ant da ns la tte une affaire srieuse. Je nai jama is parl.

    Le soir chez Silvia, on ma aussi trouv distra it malgr

    lamour que la jeune Balletti minspirait toujours avec plus

    de force.Le lendemain, je suis parti deux heures avant jour pour

    Versailles o le ministre de Bernis me reut gaieme nt, medisant quil gagerait que sans lui je ne me serais jamais

    ape ru de me con natre en finance s.

    M. de Boulogne ma dit que vous avez tonn M. du

    Vernai, qui est un des plus grands hommes de la France .Allez dabord chez lui et faites-lui votre cour Paris. La

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    HISTOIRE DE MA VIE

    loterie sera tablie, et ces t v ous en tire r parti. D abord

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    32 HIST OIRE DE MA VIE

    suivre ce plan, je fus l cole milita ire , onous e ntrme s

    dabord e n confrence . M. dAle mbe rt a va it tpride sy

    trouve r en qualit de grand ma tre en fait da rithm tique

    universe lle. Il n aura it pas tjugnces saire s i M. du V er nai

    avait ttou t se ul ; mais il y ava it des ttes qui pour ne

    pas se rendre au rsultat dun calcul politique en niaient

    lvidence . La confrence dura tro is he ures.Aprs mon raisonne ment, qui n en occupa quune demie,

    M. de Courteil rsuma tout ce que j ai dit, e t on passa

    une heure en vaine s o bjec tions que ja i rfutes trs fac ile

    me nt. Je leur ai dit que si lart de calc uler en gnral tait

    proprement lart de trouver lexpression dun rapport unique

    rsultant de la c ombinaison de plusie urs rapports, cette

    mme dfinition tait celle du calc ul mora l auss i ce rtain que

    le mathmatique . Je les ai convaincus que sans ce tte ce rti

    tude le monde naurait jamais eu des chambres dassurance,

    qui toutes riches et florissantes, se moquent de la fortune

    et des ttes faibles qui la craignent. J ai fini par leur dire

    quil ny avait pas dhomme savant et dhonneur au monde

    qui ft en tat de se propos er p our tre la tte de ce tteloterie sengageant [1397] quelle gagnera dans chaque ti

    rage, et que si un hom me h ardi se prse ntait pour leur

    donner ce tte ass urance, ils de vraient le chasse r de leur pr

    sence, car, ou il ne leur tiendrait pas parole, ou sil la leur

    tint il serait fripon.

    M. du Vernai se leva disant quen tout cas on sera le

    matre de la s upprime r. Tous ces mes sie urs, aprs av oir

    signun papie r que M. du Ve rnai le ur prse nta, sen allre nt.

    Calsabigi vint le lende main me dire que laffaire tait faite,

    et qu on natte nda it que le xpdition du dcre t. Je lu i ai

    promis daller tous les jours chez M. de Boulogne, et de le

    faire nomm e r la rgie dabo rd que j aurais s u de M. du

    Ve rnai mme ce quon mas signe rait.Ce quon me proposa, et que j ai dabord acce pt, fure nt

    six bureaux de recette, et quatre mille francs (32) de pen-

    VOLUME 5 - CHAPITRE I I 33

    sion sur la loterie mme. Ctait le prod uit dun capit al de fuT s .

    ce nt mille francs, que jaurais tma tre de retire r renon- gorW

    ant aux bure aux, puisque ce capita l me te nait lieu de caution.

    Le dcre t du conse il sor tit hui t jours aprs. On donna la

    rgie Calsabig i avec les appointe me nts de trois mille francs

    par tirage, et une pension de quatre mille francs par an,

    comme moi, et le g rand bure au de le ntreprise lhtel de

    la loterie dans la rue Montmartre (33). De mes six bureaux,

    jen ai dabord vendu cinq deux mille francs chacun, et jai

    ouve rt avec luxe le sixime dans la rue S t-Denis (34) y

    plaant e n qualitde com mis mo n vale t de chambre . Ctait

    un jeune Italien fort intelligent qui avait servi en qualit

    de valet de chambre le prince de La Catolica, ambassadeur

    de Naples . On fixa le jour du pr em ier tirag e, et on publia

    que tous les billets gag nants se raient pays h uit jours aprs

    le tirag e a u bure au gnral de la lote rie.

    [1398] Je nai pas tardving t-quatre heures faire afficher

    que tous les bille ts g agnan ts s igns pa r moi se raient pays

    mon bure au de la rue S t-Denis v ingt-quatre heures aprs

    le tirage. Leffet de cela fut que tout le monde venait jouer

    mon bureau. Mon utilitconsistait dans le six pour cent

    sur la recette. Cinquante ou soixante commis des autres

    bureaux furent assez sots daller se plaindre Calsabigi de

    mon opration. Il ne pe ut le ur rpondre autre chose s inon

    quils taie nt les matre s de m attra pe r e n fais ant la mme

    chose ; mais il leur fallait avoir de largent.

    Ma recette au premier tirage (35) fut de 40 mille livres.

    Une he ure aprs le tirage mo n commis me porta le regis tre,

    et me montra que nous devions payer dix-sept dix-huit

    mille livres tout en ambes (36), et je lui ai donnlargent.

    Ce fut le bonhe ur de mon mme commis, q ui malgr quil

    ne de mandt rien, rece vait toujours la gratification qu on

    lui donnait, et dont je nexigeais aucun compte. La loterie

    gagna 600 mille # dans la re cette gnrale q ui fu t de deux

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    34 HISTOIRE DE MA VIE

    millions. Le se ul Paris d onna 400 mille #. J ai dnle le n

    de main chez M. du Ve rnai avec Cals abigi. Nous emes le

    plaisir de lente ndre se pla indre d avoir trop gag n. On

    navait gagn Paris que dix-huit vingt ternes, qui

    quoique petits firent gagner la loterie une brillante rpu

    tat ion. Le f anat is me ay ant d j comm e nc, nous prvme s

    dans le prochain tirage une double recette. La jolie guerre

    quon me fit ta ble s ur mon opration me fit plaisir. Cal

    sabig i dmont ra que par ce coup de tte je mtais as sur

    une rente de 120 mille # par an, qui ruinait tous les autres

    rece veurs. M. du Ver nai lui rpondit qu il av ait fait souv ent

    des coups [1399] pareils, et que dailleurs tous les receveurs

    tan t les matre s de faire la mme chose , ce la ne pou va it

    qua ugme nte r la rputat ion de la loterie . La seconde fois

    un terne de 40 mille # mobligea emprunter de largent.

    Ma recette av ait tde 60 mille mais jtais oblig de co n

    signer ma caisse lagent de change la ve ille du tirage.

    Dans toutes les grandes maisons o jallais et aux foyers

    des thtre s, dabor d quon me voy ait, tout le mo nde me

    donnait de largent me priant de jouer pour eux comme je

    voulais, et de leur remettre les billets, puisquils ny com

    prenaient rien. Je portais dans ma poche des billets gros et

    petits, que je leur laissais choisir, et je re tournais la maison

    avec mes poches pleines dor. Les autres receveurs navaient

    pas ce pr ivilge . Ce ntaie nt pas de s ge ns faits pour tre

    faufils. J tais le s eul qui ro ulait en carross e ; cela me d on

    nait un nom et un c rdit ouve rt. Pa ris tait une v ille, et

    lest encore, oon juge t out par lapparence ; il ny a po int

    de pays au monde oil soit plus facile den imposer. Mais

    actuellement que le lecteur est informde toute cette affaire,

    je ne parlerai plus de cette loterie qupropos.

    U n mois aprs m on a rrive P aris , mo n frre F ranois ,

    le peintre , le mme avec le quel jtais p arti de ce tte v ille

    dans lanne 1752, arriva de Dres de ave c Mme S ilves tre. Il

    avait passlquatre ans copier tous les plus beaux ta

    VOLUME 5 - CHAPITRE I I 35

    bleaux de bataille de la fameuse galerie (37). Nous nous

    rev mes avec plaisir ; mais quan d je lui ai offe rt le crdit

    de toutes mes grandes connaissances pour le faire recevoir

    lAcadmie , il me r pond it quil na va it pas bes oin de

    protec tion. Il fit un tablea u qui reprse ntait une bataille,

    il lexposa au Louv re , et il fut re u (38) par accla mation.

    LAc admie lui donna 12 mille jf pour faire a cquis ition de

    son table au. Mon frre de puis sa rce ption de vint f ame ux,

    et il gagna en vingt-six ans presque u n million ; mais malgr

    cela le luxe et deux m auvais mariages lont ruin.

  • 7/22/2019 CASANOVA Histoire de Ma Vie 3.5

    21/156

    CH APITRE I I I

    Le comte Tire ta de Trvise. L'abb Coste. La L ambe rtini ,

    fausse nice du pape. Sobriquet quelle donne Tireta.

    La tante et la nice. Colloque au coin du fe u. Sup plic e

    de Damie n. E rre ur de Tire ta. Colre de Mme XXX ,

    rconciliation. J e suis heureux avec Mlle de la Meure.

    La fille de Silvia. Mlle de la Meure se marie ,

    ma ja lou s ie et rsolu tio n dse spre.

    Heureux changement.

    Au comme nce me nt du mois de mars jai vu paratre

    devant moi un beau jeune homme en redingote, lair

    gai, honnte et noble, avec une lettre la ma in. Il me la

    reme t ce pe ndant dune faon que je m aperois qu il est

    Vnitie n. J e l ouv re , et je me rjouis . Ell e tait de m a chre

    et respectable Mme Manzoni. Elle me recommandait le por

    teur, comte de Tireta de Treviso, qui me c onterait IuLmme

    sa triste histoire. Elle menvoyait une petite caisse, dans

    laquelle elle me disait que je trouverais tous mes manus

    crits, tant s re qu elle ne me r e ve rrait plus.

    Je me su is d abo rd le vpour lui dir e que vou lant que lque

    chose de moi il ne pouvait pas avoir une recommandation

    plus puissante.

    -Dites-moi donc, monsieur le comte , en quoi je pour

    rais vo us tre utile.

    VOLUME 5 - CHAPITRE I I I 37

    J ai besoin de votre amiti. Le conseil de ma patrie

    ma lu lanne passe couv rir un poste dange reux . On

    ma fait conservateur au Mont de pit (1) en compagnie de

    deux autre s nobles de mo n ge. Le s plaisirs du car naval

    nous aya nt mis en bes oin dargent, nous nous servmes dune

    partie de c elui que nous avions dans la caisse , es prant de

    le remettre avant le temps dans lequel nous devions en

    rendre compte . Nous l es prmes en v ain. Les pres de mesdeux collgues plus riches que le mie n (2) les sauv re nt

    payant dabord, et moi, dans limpossibilitde payer, je me

    suis dtermin la fuite. Mme Manzoni ma conseill

    venir me jeter entre vos bras, me c hargeant de vous porter

    une petite caisse que vous aurez dans ce mme jour. Je suis

    arrivhier avec la diligence (3) de Lyon ; il ne me reste que

    deux louis ; jai des che mises, [1401] mais je nai d autre

    hab it que celui-ci. Ja i vingt-cinq ans, une sant de fer, et

    une v olontd te rmine faire t out pour vivre en honntehomme ; mais je ne s ais rien faire et je nai aucun tale nt ;

    je ne joue que de la flte trav ers ire pour mon plais ir; je

    ne parle et je ncris que dans m a se ule langue, e t je ne

    suis pas homme de lettres. Que pensez-vous pouvoir fairede moi? Je dois vous dire aussi que je ne peux me flatter de

    recevoir le moindre secours de personne, et encore moins de

    mon pre, qui pour s auve r lhonne ur de la famille disposera

    de ma lgitime laquelle je dois renoncer pour toute ma vie.

    Cette courte nar ration me s urprit, mais la sincrit me

    plut. Je lui ai dit de porter ses paquets dabord dans une

    cham bre prs de la mienne qui tait louer et de se faire

    porter manger dans sa chambre.

    Tout cela, mon cher comte , ne vous cotera rien, eten attendant je penserai vous. Nous parlerons demain. Je

    ne mange jam ais chez m oi. Laisse z-moi, car je dois tra vailler, et si vous allez vous promener, gardez-vous de mau

    vaises connaissances, et surtout ne dites vos affaires personne. Vous aimez le jeu, je pense?

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    38 HIST OIRE DE MA VIE

    Je le dtes te, car il est la cause de la moiti de maruine.

    E t de lautre moiti?

    Les femmes.

    Les femmes? Elles sont faites pour vous payer.

    Dieu fasse que j en trouve. Chez nous il ny a que desgueuses.

    Si vous n tes pas d licat s ur cet article , vous tr ouverez fortune Paris.

    Quentendez-vous par dlicat? Je ne pourrai jamais

    tre ma q.. .

    Vous avez raison. J entends par dlicat un homme qui

    ne saurait tre te ndre qutant amoureux ; qui ne saurait

    souffrir entre ses bras une vieille carcasse.

    Si ce nes t que cela, je ne suis pas dlicat. Je s ens

    quune femme riche me trouverait [1402] amoureux quand

    elle serait tout ce quil y a de plus abominable.

    Bravo. Vous ferez. Irez-vous chez lambassade ur?

    Dieu m en prse rve.

    Tout Paris est actuellement en deuil (4). Montez au

    second, vous trouverez un tailleur. Faites-vous faire un

    habit noir, et dites-lui de ma part que vous le voulez pour

    demain matin. Adieu.

    Rentrant minuit, jai trouvdans ma chambre la caisse

    o javais toutes mes correspondances, et les portraits

    en miniatures qui mintres saient. Je nai jamais de ma

    vie mis e n gage une tabatire sans te r le portra it

    quelle contenait. J ai vu le lende main Tireta tout vtu de

    noir.

    Voyez-vous, lui dis-je, comme on fait vite a Paris?

    Dans le mme mome nt on m annonce labb de la Coste.

    Je ne me s ouv enais pas de ce nom , ma is je le fais en tre r. Je

    vois le mme abb qui mav ait vu che z labbde Lav ille.

    Je lui de mande excus e si faute de te mps je ne lui ai pas fa it

    une visite. Il me fait compliment sur ma loterie. Il me dit

    VOLUME 5 - CHAPITRE I I I 39

    quil avait su que javais distribupour plus de deux millecus de bille ts lhte l de Kle n (5).

    Oui, je n ai toujours pour hu it dix mille francs dansma poche.

    J en prendra i aussi pour mille cus.

    Quand il vous plaira. A mo n bureau vous pourrezchoisir les nombres.

    Je ne me n soucie pas. Donnez-les moi v ous-mme telsquils sont.

    Volontiers . E n voici. Choisisse z.

    Aprs les avoir choisis, il me de mande crire pour me

    faire quittance.

    Il ny a pas que stion de quittanc e, lui dis-je en riant,

    et re tirant mes billets ; je ne les livre qu argent c omptant.

    Je vous le porterai demain.

    E t vous aurez dem ain les billets : ils sont registres au

    bureau, et je ne peux pas faire autrement.

    Donnez-men qui ne [1403] soient pas registres.

    Je nen fais pas, car sils gagnaie nt, je me verraisobligles payer de ma poche.

    Je crois que vous pourriez en courir les risques.

    Je ne crois pas cela.

    Il parle alors Tireta en italien, et il lui propose de le

    prse nter Mme de Lamb e rtini, veuve dun neve u dupape (6). Je lui dis que jirai aussi, et nous y allons.

    Nous descendons sa porte dans la rue Christine. Je vois

    une femme laquelle, malgrson air de jeunesse, je donne

    quarante ans (7) :m aigre, avec des ye ux noirs, vive, tourdie,

    grande rieuse , telle e nfin q uelle pouvait faire natre un

    caprice. Je la fais jaser, et je trouve quelle ntait ni ve uve,

    ni nice du pape ; elle tait modnaise , e t franche av e ntu

    rire. J e vois Tire ta qui en de vient curieux. Elle veut nous

    engag er dner, mais nous nous e xcusons. Le seul Tireta

    reste. Je descends labbsur le quai de la Feraille, et je vais

    dne r che z Cals abigi.

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    40 HIS TOIRE DE MA VIE

    Aprs dine r, il me pre nd tte tte , et il me dit que

    M. du Ve rnai lui avait ordonnde m ave rtir quil ne m tait

    pas permis de distribuer des billets pour mon compte.

    Il me prend donc pour sot, ou pour fripon. Je m enplaindrai M. de Boulogne.

    Vous ferez mal, car ave rtir nest pas une offense.

    Vous m offensez vous-mme me donna nt c et avis

    Mais on ne me donne ra pas le se cond de ce tte es pce.Il me calme, et il me persuade daller avec lui parler

    M. du Ver nai. Le brav e v ie illard me v oy ant en colre, me

    demande excuse, et me dit quun soi-disant abbde la Coste

    lui ava it dit que je prenais ce tte libert. Je nai plus vu

    nulle pa rt c e t abb, qu i tai t le mme que trois ans aprs

    on a condamn aux g alres , oil a fini ses jours , pour avoir

    vendu P aris des billets dune loterie de T rvoux (8) qui

    nexistait pas.

    [1404] Le le nde main de la visite que me fit cet abb, jai

    vu Tireta dans ma chambre qui venait de rentrer. Il me

    dit qu il avait pass la nuit a vec la nice du pape , et quil

    la croyait contente de sa personne, puisquelle voulait le

    loger et le ntre te nir, sil vou lait dire M. le Noir, qui taitson ama nt, q uil tait s on cousin.

    -E lle prte nd, me dit-il, que ce mons ieu r me donnera

    un emploi dans les fermes (9). Je lui ai rpondu q ue n qua

    litd ami intime je ne pouvais me dterm iner rien sans

    vous consulter. Elle m a conjurde vous engage r aller

    dne r ave c , elle dima nch e .

    Jy irai avec plaisir.

    J ai tr ou v ce tte fe mme amo ure us e folle de mo n ami

    quelle appela comte de Six coups, nom quil na plus perdu

    Paris tant quil y resta. Elle lavait reconnu pour seigneur

    de ce fief qui en France passe pour fabuleux, et elle voulait

    en dev enir la dame. Aprs mav oir contses prouesses noc

    turnes comme si javais t son plus ancien ami, elle medit quelle vo ulait le loger, quelle av ait djle conse nte

    VOL U ME 5 - CHAP IT RE I I I 41

    me nt de M. le Noir, qui tait m me e nchant de v oir log

    chez e lle son cous in. Elle lat te nda it laprs dner , et il lui

    tar dait de le lui prse nter.

    Aprs tab le, me parlant de nouve au de la vale ur de mon

    compatriote , elle lagaa, et lui ambitie ux de me c onvaincre

    de sa bravour e , lui fit raison ma prse nce. Cet te vis ion ne

    me fi t la moindre s ensation ; mais voy ant la conformation

    ex traordinaire de mo n ami, jai re connu quil pouva it prtendre faire fortune partout o il pourrait trouver des

    femmes leur aise.

    [1405] A trois heures , de ux femmes surannes arr ivre nt.

    Ctaie nt des joueuse s. La L amb e rtini le ur prse nta M. de

    Six coups son cousin. A ce nom imposant il devint un objet

    fort intres sant lexamen, e t encore plus lors quon trouva

    son bara gou in ininte lligible . L hrone ne m anq ua pas de

    confier aux oreilles de ses amies le commentaire de ce beau

    nom, et de leur vanter la richesse extraordinaire du feuda-

    taire. Cest incroyable , disaie nt les matrones le lorgna nt ;

    et Tireta paraissait leur dire : Mesdames nen doutez pas.

    Voilun fiacre qui arrive. Je vois une grosse femme (10)

    plus que sur son re tour, une nice (11) jolie cr oquer, e tun hom me ple ha billde no ir en pe rruque ronde. Aprs les

    embrassade s, la L ambe rtini prse nte s on cousin Six coups ;

    on stonne du nom, mais on passe sous silence le comme n

    taire ; on ne sarrte q u la raret dun homm e qui osait

    tre Par is s ans sav oir un mot de f ranais, e t qui malgr

    cela barag ouinait to ute la compagnie, qui ny compre

    nant rien ne fais ait que rire. L a La mbe rtini prpara un

    brelan (12), et elle ninsista pas pour me faire jouer ; mais

    elle v oul ut que son cher c ousin jo ut prs d elle, e t de

    moiti. Il ne c onnat pas les cartes , mais cela ne fait rien,

    il apprendra ; elle ve ut llever. La charmante demoiselle

    ne connaissant aucun jeu, je moffre lui tenir compagnie

    devant le feu. La tante me dit en riant que jaurai de lapeine trouve r des matires assez intres santes pour la

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    :2 HISTOIRE DE MA VIE

    faire [1406] caus er ; mais que je lexcus erais; car elle ntait

    sortie du couvent que depuis un mois.

    Je va is donc m as se oir ave c elle de va nt le fe u d abo rd que

    jai vu le jeu en train. Ce fut elle qui rompit le silence me

    de manda nt qui tait ce beau monsie ur qui ne sav ait pasparler.

    Cest un seigneur de mon pays qui cause dune affaire

    dhonneur en est s orti. Il parlera franais q uand il lauraappris, et pour lors on ne se moquera plus de lui. Je suis

    fch de lavoir co nduit ici, car en moins de vingt-quatre

    heure s o n me la g t.

    De que lle faon?

    Je nose pas vous le dire, car votre tante le trouve

    rait peut-tre m auva is.

    Je ne pense pas faire des rapports; mais il se peut

    que ma curios itmrite une c orrec tion.

    Mademoise l le, je reconnais mon tort ; mais je vais

    faire amende honorable vous disant tout. Mme Lambertini

    la fait coucher avec elle, et elle lui a donnle nom ridicule

    de Six c oups. Voil tout . J en suis fchparce quil ntait

    pas libertin avant ce fait.Aurais-je pu croire de parler une fille de condition,

    une fille honnte, e t toute ne uve dans la mais on de la Lam

    be rtini? Je fus surpris de v oir sa figure e nflamme par la

    pude ur. Je nai pas voulu le croire. De ux minute s aprs

    elle mtonne avec une que stion laquelle je ne me seraisjamais attendu.

    Quy a-t-il de co mmu n, me dit-elle, e ntre Six coups,

    et avoir couchavec madame?

    Il lui a fait six fois de suite ce quun hon nte m ari ne

    fait sa femme quune fois par semaine.

    E t vous me croyez assez bte pour aller rapporter

    ma tante ce que vous venez de me dire?

    Mais je s uis encore fch dune a utre chose. Je men vais revenir dans l instant.

    v o l u m e 5 - C HA P IT R E I I I 43

    Aprs tre all faire le pe tit to ur que la jolie histoire lui

    avait f ait appare mme nt deve nir ncess aire, elle re ntra, et

    elle se mit de rrire la chaise de sa tante e xam inant la figure

    [1407] du hros ; puis e lle vin t se re mettr e s a place touteflamboyante.

    Quelle est donc lautre chose dont vous me disiezdtr e fch?

    Ose rai-je v ous dire to ut ?

    Vous m ave z tan t dit q uil me se mble que vous nepouvez plus avoir des scrupules.

    Sac hez don c qua ujo urd hui, la fin du dner , elle la

    oblig lu i faire cela ma prse nce.

    E t si ce la vous a dplu, il est vide nt que vous enave z tjalou x.

    -Ce nest pas a. Je me suis trouv humili causedune circonstance dont je nose pas vous parler.

    Je crois que vous vous moquez de moi avec votre je

    nose.

    Dieu men garde, mademoiselle. Elle me fit voir quemon ami m tait suprie ur de de ux pouces (13).

    Je crois au contraire que cest vous qui avez une taille

    suprieure de deux pouces la sienne.

    Il ne s agit pas de la taille ; mais dune autre g ran

    deur, que vous pouvez vous figurer, dans laquelle mon ami

    est monstrueux.

    Mons true ux! E t quest-ce que cela vous fait? Ne

    vaut-il pas mieux de ntre pas mons true ux?

    Cest v rai, et juste ; mais s ur cet article certainesfemmes, qui ne vous ressemblent pas, aiment la monstruo

    sit.

    Je nai pas une ide asse z nette de la chose pour me

    figure r quelle es t la gra nde ur qui pe ut tre appele m ons

    trueuse. Je trouve aussi singulier que cela ait pu vous

    humilier.

    Lauriez-vous cru en me voyant?

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    44 HISTOIRE DE MA VIE

    En vous voy ant qua nd je suis entre ici, je nai pas

    penscela. Vous ave z lair dun homme bien proportionn;

    mais si vous s avez de ne ltre pas, je v ous plains.

    Voyez, je vous prie.

    Je crois que cest vous le monstre, car vous me faites

    peur.

    Elle alla alors se mettre derrire la chaise de sa tante ;

    mais je ne doutais pas qu elle ne re vnt, car il sen fallait

    bien que je la crusse bte ou innoce nte. Je croyais qu elle

    vou lait en joue r le rle, et ne v oula nt pas s avoir si elle

    lav ait bien ou mal jo u, j tais enc hantde n avo ir profit.

    Je l av ais pun ie dav oir vo ulu me n impo s e r, et co mme je

    la trouvais charmante , jtais enchant que ma punition

    navait ce rtaineme nt pas pu lui dplaire. Pouvais-je douter

    de son es prit? Tout notre dialogue a vait ts outenu par

    elle, et tout ce que j avais dit et fait n avait tquen con

    squence de se s s pcieuses objec tions.

    Quatre ou c inq minutes aprs, sa grosse ta nte aya nt perdu

    un brelan, d it sa nice quelle lui portait m alheur, e t

    quelle manquait de savoir-vivre me laissant seul. Elle ne

    lui rpond it [1408] rien, e t elle re vint moi en so uriant.

    Si ma tante, me dit-elle, savait ce que vous avez fait,

    elle ne maur ait pas accuse d impolitess e.

    Si vous saviez comme j en suis morti fiactuel leme nt!

    La marque que je peux vous donner de mon repentir est

    de men aller. Mais le prendrez-vous en bonne part?

    S i vous parte z, m a ta nte dira que je s uis bte, que

    je v ous ai e nnuy.

    Je reste rai donc. Vous naviez donc pas dide av ant

    ce moment de ce que jai cru pouvoir vous montrer?

    Je ne n avais quune ide c onfuse. Il ny a qu un mois

    que ma tan te me fit venir de Melun, ojtais au couve nt

    depuis lge de huit ans, en ay ant ac tuelle ment dix-sept.

    On voulait me persuader prendre le voile, mais je ne me

    suis pas lais s sduire.

    VOLUME 5 - CHAPITRE I I I

    tes -vous fche de ce que j ai f ait? S i ja i pch cefut de bonne foi.

    Je ne dois pas vous en vouloir, car ce fut ma faute.Je vous prie s e ule me nt dtre dis cr et .

    Ne doute z pas de ma discrtion, car jen serais le premier puni.

    Vous mavez donnune leon qui me se ra utile lave

    nir. Mais vous pours uivez. Cessez, ou je m en vais to ut de bon.

    Reste z, cest fini. Voyez sur ce mouchoir le sr indicede mon plaisir.

    Quest-ce que cela?

    Cest la matire qui place, dans le fourne au q ui lui

    es t propre, en s ort aprs ne uf mois m le ou feme lle.

    J ente nds. Vous tes u n e xce llent matre . Vous me

    contez cela dun air dinstituteur. Dois-je vous remercierde v otre zle?

    Non. Vous devez me pardonner, car je naurais jamais

    fait ce que j ai fait, si je n tais deve nu amoureux de vousau premier moment que je vous ai vue.

    Je dois donc prendre cela comme une dclarationdamour?

    Oui mon ange. Elle es t audacieuse ; mais elle nest pas

    douteuse . Si elle ne v enait pas dun am our trs fort, je

    se rais un s clrat qu i mrite ra it la mo rt. Puis-je e spre r quevous maimerez?

    Je nen sais rien. Tout ce que je sais actuellement cestque je dois vous dteste r. Vous m avez fa it faire en moins

    dune heure un voyage que je ne croyais possible de finir

    quaprs le mariag e. Vous mave z, rendue on ne peut pas

    plus savante dans une matire laquelle je nai jamais os

    arrter m a pense, e t je me trouv e coupable parce que je

    me s uis laisse s duire. Do vie nt q u prse nt vous tes

    deve nu tranquille et honnte?

    Cest que nous par lons rais on. Ces t quaprs l excsdu plaisir lamour se repose. Voyez.

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    6 HIS TOIRE DE MA VIE

    Encore ! Est-ce le reste de la leon? [1409] Tel que je

    vous vois actuellement, vous ne me faites pas peur. Le feu

    va ste indre .

    Elle met un fagot, et pour arranger le feu, elle se met

    genoux. Dans c ette posture, comme elle tait c ourbe, j al

    longe une ma in dte rmine par-dess ous sa robe, e t je trouv e

    dans linsta nt une porte parfa iteme nt ferme qui ne pou

    vait me conduire au bonhe ur qutant abattue . Mais dansle mme in s tant , elle se lve , sass it, et elle me d it ave c une

    douceur s entime ntale q uelle tait fille de condition, et

    quel le croyait de pouvoir e xiger du respect. Je lui demande

    alors un million dexcuses, et la conclusion de mon discours

    la calme. Je lui ai dit que m a main hardie m avait mis dans

    la certitude quelle ne stait pas encore re ndue heureuse

    avec aucun homme. Elle me rpondit que lhomme qui la

    re ndra heureuse ne pourr a tre que ce lui qui lpouse ra, et

    la marque de pardon quelle me donna fut de laisser que

    jinonde sa main de baisers. J aurais poursuivi si que lquun

    nta it pas arri v. Ce fu t M. Le-noir qui e n cons que nce du

    billet venait voir ce que Mme Lambertini avait lui dire.

    Je voi s un homm e d un ce rta in ge , s imp le e t mode s te ,qui trs polime nt prie tou t le monde de ne pas bouger, e t

    de ne pas interrom pre le jeu. L a Lam be rtini me prse nta,

    et aprs avoir e ntendu mon no m il me de manda si jtais

    lartiste . Quand il s ut que j tais lanil me fit co mplime nt

    sur la loterie, et sur le cas que M. du Vernai faisait de ma

    personne ; mais ce q