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Catalogue publié en mars 2019

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Catalogue publié en mars 2019

Les Éditions du Seuil remercient l’Institut mémoires de l’édition contemporaine

(IMEC) d’avoir rendu possible la publication d’archives provenant du

Fonds Maurice Olender.

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La « Librairie » de Montaigne propose une connaissance ouverte sur le monde, une inter­rogation sur soi. S’inscrivant dans ce projet d’une culture générale, La Librairie du xxi e siècle offre à ses lecteurs une collection de livres pour notre temps.Les quelque 230 titres du catalogue béné­ficient aujourd’hui d’une audience inter­nationale : La Librairie du xxi e siècle compte plus de 800 traductions en une quarantaine de langues.Créée il y a trente ans, à l’automne 1989, la collection est devenue La Librairie du xxi e siècle en janvier 2001.

Maurice Olender

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ISBN : 9782021424515

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L a L i b r a i r i e d u x x i e s i è c L e , 1 9 8 9 ‑ 2 0 1 9

1989

Marc Augé, Domaines et châteaux.Arlette Farge, Le Goût de l’archive.Jean Levi, Les Fonctionnaires divins. Politique, despotisme et

mystique en Chine ancienne.Georges Perec, L’Infra-ordinaire.Georges Perec, Vœux.Michel Schneider, La Tombée du jour. Schumann.

1990

Giorgio Agamben, La Communauté qui vient. Théorie de la sin-gularité quelconque.

Nicole Loraux, Les Mères en deuil.Marie Moscovici, L’Ombre de l’objet. Sur l’inactualité de la

psychanalyse.Georges Perec, Je suis né.J.­B. Pontalis, La Force d’attraction.Jacques Rancière, Courts Voyages au pays du peuple.Emmanuel Terray, La Politique dans la caverne.Jean­Pierre Vernant, Mythe et religion en Grèce ancienne.

1991

Henri Atlan, Tout, non, peut-être. Éducation et vérité.Norbert Elias, Mozart. Sociologie d’un génie.Lydia Flem, L’Homme Freud.Michel Pastoureau, L’Étoffe du diable. Une histoire des rayures

et des tissus rayés.Georges Perec, Cantatrix sopranica L. et autres écrits scientifiques.Jean­Michel Rey, Paul Valéry. L’aventure d’une œuvre.

l a l i b r a i r i e du x xi e siècle

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1992

Marc Augé, Non-lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité.

Michel Chodkiewicz, Un océan sans rivage. Ibn Arabî, le Livre et la Loi.

Arlette Farge, Dire et mal dire. L’opinion publique au xviii e siècle.Marcel Gauchet, L’Inconscient cérébral.Georges Perec, L. G. Une aventure des années soixante.Denis Roche, Dans la maison du Sphinx. Essais sur la matière

littéraire.Nathan Wachtel, Dieux et vampires. Retour à Chipaya.

1993

Italo Calvino, Pourquoi lire les classiques.Italo Calvino, La Machine littérature.Antoine Compagnon, Chat en poche. Montaigne et l’allégorie.Rachel Ertel, Dans la langue de personne. Poésie yiddish de

l’anéantissement.Patrice Loraux, Le Tempo de la pensée.Georges Perec, Le Voyage d’hiver.Jean Pouillon, Le Cru et le Su.Jacques Rancière, Les Noms de l’histoire. Essai de poétique du savoir.

1994

Mireille Delmas­Marty, Pour un droit commun.Arlette Farge, Le Cours ordinaire des choses dans la cité du xviii e siècle.Jack Goody, La Culture des fleurs.Georges Perec, Un cabinet d’amateur.Georges Perec, Beaux présents belles absentes.Francis Schmidt, La Pensée du Temple. De Jérusalem à Qoumrân.

Identité et lien social dans le judaïsme ancien.Michel Schneider, Baudelaire. Les années profondes.Antonio Tabucchi, Les Trois Derniers Jours de Fernando Pessoa.

Un délire.Emmanuel Terray, Une passion allemande. Luther, Kant, Schiller,

Hölderlin, Kleist.

l a l i b r a i r i e du x xi e siècle

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1995

Marcel Bénabou, Jacob, Ménahem et Mimoun. Une épopée fami-liale.

Michel Deguy, À ce qui n’en finit pas.Jean­Pierre Dozon, La Cause des prophètes. Politique et religion

en Afrique contemporaine, suivi de La Leçon des prophètes par Marc Augé.

Lydia Flem, Casanova ou l’Exercice du bonheur.Jean Levi, La Chine romanesque. Fictions d’Orient et d’Occident.

1996

R. Howard Bloch, Le Plagiaire de Dieu. La fabuleuse industrie de l’abbé Migne.

Philippe Borgeaud, La Mère des dieux. De Cybèle à la Vierge Marie.

Daniele Del Giudice, Quand l’ombre se détache du sol.Milad Doueihi, Histoire perverse du cœur humain.Nicole Loraux, Né de la Terre. Mythe et politique à Athènes.Jean­Pierre Vernant, Entre mythe et politique I.Catherine Weinberger­Thomas, Cendres d’immortalité. La cré-

mation des veuves en Inde.

1997

Marc Augé, La Guerre des rêves. Exercices d’ethno-fiction.Jean­Christophe Bailly, Le Propre du langage. Voyages au pays

des noms communs.Hubert Damisch, Un souvenir d’enfance par Piero della Fran-

cesca.Arlette Farge, Des lieux pour l’histoire.Jacqueline Risset, Puissances du sommeil.Natalie Zemon Davis, Juive, catholique, protestante. Trois femmes

en marge au xviie siècle.

l a l i b r a i r i e du x xi e siècle

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1998

Daniele Del Giudice, L’Oreille absolue.Anthony Grafton, Les Origines tragiques de l’érudition. Une his-

toire de la note en bas de page.Charles Rosen, Aux confins du sens. Propos sur la musique.Antonio Tabucchi, La Nostalgie, l’Automobile et l’Infini. Lectures

de Pessoa.

1999

Henri Atlan, Les Étincelles de hasard I. Connaissance spermatique.Yves Bonnefoy, Lieux et destins de l’image. Un cours de poétique

au Collège de France (1981-1993).Nadine Fresco, Fabrication d’un antisémite.Jack Goody, L’Orient en Occident.Jean Starobinski, Action et réaction. Vie et aventures d’un couple.Jean­Pierre Vernant, L’Univers, les Dieux, les Hommes. Récits

grecs des origines.

2000

Sylviane Agacinski, Le Passeur de temps. Modernité et nostalgie.Marcel Detienne, Comparer l’incomparable.Israel Rosenfield, « La Mégalomanie » de Freud.

2001

Paul Celan et Gisèle Celan­Lestrange, Correspondance.Jacques Rancière, La Fable cinématographique.Nathan Wachtel, La Foi du souvenir. Labyrinthes marranes.

2002

Paul Celan, Le Méridien & autres proses.Arlette Farge, La Nuit blanche.

l a l i b r a i r i e du x xi e siècle

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Lydia Flem, La Voix des amants.Jacques Le Brun, Le Pur Amour de Platon à Lacan.Charles Malamoud, Le Jumeau solaire.

2003

Henri Atlan, Les Étincelles de hasard II. Athéisme de l’Écriture.Ginevra Bompiani, Le Portrait de Sarah Malcolm.Paul Celan, Renverse du souffle.Daniele Del Giudice, Dans le musée de Reims.Marcel Detienne, Comment être autochtone. Du pur Athénien au

Français raciné.Jean­Claude Grumberg, Mon père. Inventaire, suivi de Une leçon

de savoir-vivre.François Hartog, Régimes d’historicité. Présentisme et expériences

du temps.Georges Perec, Penser/Classer.Jean­Claude Schmitt, La Conversion d’Hermann le Juif. Auto-

biographie, histoire et fiction.Antonio Tabucchi, Autobiographies d’autrui. Poétiques a pos­

teriori.

2004

Philippe Borgeaud, Aux origines de l’histoire des religions.Lydia Flem, Comment j’ai vidé la maison de mes parents.Michel Pastoureau, Une histoire symbolique du Moyen Âge occi-

dental.Olivier Rolin, Suite à l’hôtel Crystal.David Shulman, Velcheru Narayana Rao et Sanjay Subrahma­

nyam, Textures du temps. Écrire l’histoire en Inde.Anne­Lise Stern, Le Savoir-déporté. Camps, histoire, psychanalyse.Jean­Pierre Vernant, La Traversée des frontières. Entre mythe

et politique II (prix Essai France Télévisions 2005 et prix Méditerranée 2005).

l a l i b r a i r i e du x xi e siècle

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2005

Sylviane Agacinski, Métaphysique des sexes. Masculin/féminin aux sources du christianisme.

Henri Atlan, L’Utérus artificiel.Jean­Christophe Bailly, Le Champ mimétique.Luc Dardenne, Au dos de nos images (1991-2005), suivi de

Le Fils et L’Enfant, par Jean­Pierre et Luc Dardenne.Alain Fleischer, L’Accent, une langue fantôme (prix Georges

Dumézil de l’Académie française 2006).Lydia Flem, Panique (prix de l’Académie royale de Belgique).Nicole Loraux, La Tragédie d’Athènes. La politique entre l’ombre

et l’utopie.Charles Malamoud, La Danse des pierres. Études sur la scène

sacrificielle dans l’Inde ancienne.Jacques Rancière, Chroniques des temps consensuels.Jean Starobinski, Les Enchanteresses.

2006

Henri Atlan, L’Organisation biologique et la Théorie de l’infor-mation.

Yves Bonnefoy, L’Imaginaire métaphysique.Jorge Luis Borges, Cours de littérature anglaise.Paul Celan et Ilana Shmueli, Correspondance.Milad Doueihi, Le Paradis terrestre. Mythes et philosophies.Lydia Flem, Lettres d’amour en héritage.Jean Kellens, La Quatrième Naissance de Zarathushtra. Zoroastre

dans l’imaginaire occidental.Jérôme Prieur, Roman noir.Olivier Rolin & Cie, Rooms.David Shulman, Ta’ayush. Journal d’un combat pour la paix.

Israël-Palestine, 2002-2005.

2007

Marc Augé, Casablanca.Remo Bodei, La Sensation de déjà vu.

l a l i b r a i r i e du x xi e siècle

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Paul Celan, Partie de neige.Daniel Heller­Roazen, Écholalies. Essai sur l’oubli des langues.Michel Pastoureau, L’Ours. Histoire d’un roi déchu (prix natio­

nal du Livre médiéval 2007).

2008

Sylviane Agacinski, Drame des sexes. Ibsen, Strindberg, Bergman.Marc Augé, Le Métro revisité.Hubert Damisch, CINÉ FIL.Milad Doueihi, La Grande Conversion numérique.Alain Fleischer, Le Carnet d’adresses.Nadine Fresco, La Mort des juifs.Jean­Frédéric Schaub, Oroonoko, prince et esclave. Roman colonial

de l’incertitude.

2009

Marc Augé, Quelqu’un cherche à vous retrouver.Julien Bonhomme, Les Voleurs de sexe. Anthropologie d’une

rumeur africaine.Yves Bonnefoy, Notre besoin de Rimbaud.Milad Doueihi, Solitude de l’incomparable. Augustin et Spinoza.Pascal Dusapin, Une musique en train de se faire.Lydia Flem, Comment je me suis séparée de ma fille et de mon

quasi-fils.Françoise Frontisi­Ducroux, Ouvrages de dames. Ariane, Hélène,

Pénélope…Michelle Perrot, Histoire de chambres (prix Femina Essai 2009).Camille de Toledo, Le Hêtre et le Bouleau. Essai sur la tristesse euro-

péenne, suivi de L’Utopie linguistique ou La pédagogie du vertige.Nathan Wachtel, La Logique des bûchers.

2010

Henri Atlan, De la fraude. Le monde de l’onaa.Marcel Bénabou, Pourquoi je n’ai écrit aucun de mes livres.

l a l i b r a i r i e du x xi e siècle

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Julien Blanc, Au commencement de la Résistance. Du côté du musée de l’Homme 1940-1941.

Daniele Del Giudice, Horizon mobile.Jean­Claude Grumberg, Pleurnichard.Daniel Heller­Roazen, L’Ennemi de tous. Le pirate contre les

nations.Sabina Loriga, Le Petit x. De la biographie à l’histoire.Michel Pastoureau, Les Couleurs de nos souvenirs (prix Médicis

Essai 2010 et prix Essai France Télévisions 2011).Vincent Peillon, Une religion pour la République. La foi laïque

de Ferdinand Buisson.Jérôme Prieur, Rendez-vous dans une autre vie.

2011

Marc Augé, Journal d’un SDF. Ethnofiction.Paul Celan et Ingeborg Bachmann, Le Temps du cœur. Cor-

respondance.Milad Doueihi, Pour un humanisme numérique.Alain Fleischer, Réponse du muet au parlant. En retour à Jean-Luc

Godard.Alain Fleischer, Sous la dictée des choses.Lydia Flem, La Reine Alice (prix Simon de l’Éthique et prix

Rossel des jeunes).Lydia Flem, Discours de réception à l’Académie royale de Bel-

gique, accueillie par Jacques de Decker, secrétaire per­pétuel.

Daniel Heller­Roazen, Une archéologie du toucher.Claude Lévi­Strauss, L’Anthropologie face aux problèmes du monde

moderne.Claude Lévi­Strauss, L’Autre Face de la lune. Écrits sur le Japon.François Maspero, Des saisons au bord de la mer.Vincent Peillon, Éloge du politique. Une introduction au xxi e siècle.Camille de Toledo, Vies pøtentielles.César Vallejo, Poèmes humains et Espagne, écarte de moi ce

calice.Nathan Wachtel, Mémoires marranes. Itinéraires dans le sertão

du Nordeste brésilien.

l a l i b r a i r i e du x xi e siècle

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2012

Sylviane Agacinski, Femmes entre sexe et genre.Claude Burgelin, Les Mal Nommés. Duras, Leiris, Calet, Bove,

Perec, Gary et quelques autres.Hubert Damisch, Le Messager des îles.Luc Dardenne, Sur l’affaire humaine.Daniele Del Giudice, Marchands de temps.Ivan Jablonka, Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus. Une

enquête (prix du Sénat du livre d’histoire et prix Augustin Thierry).

Georges Perec, Le Condottière.Jean Starobinski, L’Encre de la mélancolie.

2013

Yves Bonnefoy, L’Autre Langue à portée de voix.Brigitta Eisenreich, avec Bertrand Badiou, L’Étoile de craie.

Une liaison clandestine avec Paul Celan.Uri Eisenzweig, Naissance littéraire du fascisme.Claude Lévi­Strauss, Nous sommes tous des cannibales.Georges Perec/OuLiPo, Le Voyage d’hiver & ses suites.Catherine Perret, L’Enseignement de la torture. Réflexions sur

Jean Améry.Pierre Rosenstiehl, Le Labyrinthe des jours ordinaires.Antonio Tabucchi, La Nostalgie, l’Automobile et l’Infini. Lectures

de Pessoa (nouvelle édition).

2014

Marc Augé, Une ethnologie de soi. Le temps sans âge.Yves Bonnefoy, Le Siècle de Baudelaire.Jean­Paul Demoule, Mais où sont passés les Indo-Européens ?

Le mythe d’origine de l’Occident (prix Roger Caillois de l’Essai 2015 et prix Eugène Colas de l’Académie française).

l a l i b r a i r i e du x xi e siècle

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Hélène Giannecchini, Une image peut-être vraie. Alix Cléo Roubaud.

Daniel Heller­Roazen, Le Cinquième Marteau. Pythagore et la dysharmonie du monde.

Ivan Jablonka, L’histoire est une littérature contemporaine. Mani-feste pour les sciences sociales.

Jacques Le Goff, Faut-il vraiment découper l’histoire en tranches ?Monique Lévi­Strauss, Une enfance dans la gueule du loup.Camille de Toledo, Oublier, trahir, puis disparaître.

2015

Yves Bonnefoy, L’Hésitation d’Hamlet et la Décision de Shake-speare.

Luc Dardenne, Au dos de nos images II (2005-2014), suivi de Le Gamin au vélo et Deux jours, une nuit, par Jean­Pierre et Luc Dardenne.

Norbert Elias, Théorie des symboles.Nicole Lapierre, Sauve qui peut la vie (prix Médicis Essai

2015).Claude Lévi­Strauss, « Chers tous deux ». Lettres à ses parents,

1931-1942.Michel Pastoureau, Le Roi tué par un cochon. Une mort infâme

aux origines des emblèmes de la France ?Jean­Loup Rivière, Le Monde en détails.Jean­Frédéric Schaub, Pour une histoire politique de la race.

2016

Esteban Buch, Trauermarsch. L’Orchestre de Paris dans l’Argen-tine de la dictature.

Hubert Damisch, La Ruse du tableau. La peinture ou ce qu’il en reste.

Donatella Di Cesare, Heidegger, les Juifs, la Shoah. Les Cahiers noirs.

Lydia Flem, Je me souviens de l’imperméable rouge que je portais l’été de mes vingt ans.

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Page 15: Catalogue publié en mars 2019

Ivan Jablonka, Laëtitia ou la fin des hommes (prix Médicis 2016, prix Transfuge du meilleur essai 2016, prix littéraire Le Monde 2016, prix de la meilleure Enquête de Lire 2016 et prix des Prix littéraires 2016).

Claude Lévi­Strauss, Le Père Noël supplicié.Georges Perec, L’Attentat de Sarajevo.Paul­André Rosental, Destins de l’eugénisme.Jacques Roubaud, Poétique. Remarques. Poésie, mémoire, nombre,

temps, rythme, contrainte, forme, etc.Ida Vitale, Ni plus ni moins (prix Max Jacob Étranger 2017,

prix Reina Sofia, prix García Lorca, prix Fil de Guadala­jara et prix Cervantès 2018).

2017

Michel Deguy, À ce qui n’en finit pas (nouvelle édition revue et augmentée).

Norbert Elias, Les Allemands. Luttes de pouvoir et développement de l’habitus aux xix e et xx e siècles.

Françoise Frontisi­Ducroux, Arbres filles et garçons fleurs. Méta-morphoses érotiques dans les mythes grecs.

Daniel Heller­Roazen, Langues obscures. L’art des voleurs et des poètes.

Maurice Olender, Un fantôme dans la bibliothèque.Nicanor Parra, Poèmes et Antipoèmes et Anthologie (1937-2014)

(prix Cervantès 2011).Michel Pastoureau, Une couleur ne vient jamais seule. Journal

chromatique, 2012-2016.Jacques Rancière, Les Bords de la fiction (prix des Savoirs 2017).Emmanuel Terray, Mes anges gardiens, précédé d’Emmanuel

Terray l’insurgé, par Françoise Héritier.Peter Trawny, Heidegger. Une introduction critique.

2018

Sylviane Agacinski, Le Tiers-corps. Réflexions sur le don d’organes (prix Elina & Louis Pauwels 2018 de la SGDL).

Daniele Del Giudice, Le Stade de Wimbledon.

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Lydia Flem, La Vie quotidienne de Freud et de ses patients, préface de Fethi Benslama.

Ivan Jablonka, En camping-car (prix Essai France Télévisions 2018).

Claude Lévi­Strauss/Roman Jakobson, Correspondance. 1942-1982.

Vincent Peillon, Liberté, égalité, fraternité. Sur le républicanisme français.

Michelle Perrot, George Sand à Nohant. Une maison d’artiste.Jérôme Prieur, La Moustache du soldat inconnu.Jacques Roubaud, Peut-être ou La Nuit de dimanche (brouillon

de prose). Autobiographie romanesque.Jean Schwœbel, La Presse, le pouvoir et l’argent, préface de Paul

Ricœur, avant­propos d’Edwy Plenel.

2019

Sébastien Albertelli, Julien Blanc et Laurent Douzou. La Lutte clandestine en France. Une histoire de la Résistance (1940-1944).

Anne­Marie Albiach, La Mezzanine, le dernier récit de Catarina Quia. Préface de Jacques Roubaud.

Uri Eisenzweig, Le sionisme fut un humanisme.Jean­Claude Grumberg, La Plus Précieuse des marchandises.

Un conte.Jacques Le Brun, Dieu un pur rien. Angelus Silesius, poésie,

métaphysique et mystique.Claude Lévi­Strauss, Anthropologie structurale zéro. Préface de

Vincent Debaene.Jean Starobinski, Le Corps et ses raisons. Préface de Martin

Rueff.

l a l i b r a i r i e du x xi e siècle

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S y lv i a n e ag ac i n S k i

L e pa s s e u r d e t e m p sModer n i t é et noSta l gi e

L’éternel s’oppose au temporel comme l’être à l’appa­raître et la vérité à la fiction. La conscience moderne rompt avec ces oppositions métaphysiques en cessant de souffrir du temps : elle est conscience du passage et du passager, ouverte au temps qui la traverse. La philosophie renoue avec Aristote, premier penseur moderne, parce qu’il a coupé les ponts avec l’éternité.

L’être est pour nous événement : il passe parce qu’il arrive. Dans son livre, Sylviane Agacinski propose une éthique de l’éphémère d’autant plus soucieuse de responsabilité qu’elle est privée de fondements absolus ou de finalité ultime. On est toujours aveuglément moderne.

Les techniques d’enregistrement et de télécommunication modifient désormais l’expérience du temps et celle de la mémoire : avec la photographie et le cinéma, notre époque est celle des fantômes. Non seulement les êtres passent, mais ils peuvent revenir, ce qui induit une autre conception de l’histoire et un nouveau rapport à l’anachronisme.

Avec la temporalité médiatique, qui se mondialise, se pose la question des rythmes de la vie sociale et politique. Sans succomber à la nostalgie des formes anciennes, la démocratie doit se redéfinir en tenant compte des médias et non contre eux, même si elle doit faire valoir son droit à la patience.

2000, 224 pages.

l a l i b r a i r i e du x xi e siècle

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Page 18: Catalogue publié en mars 2019

S y lv i a n e ag ac i n S k i

m é t a p h y s i q u e d e s s e x e sM aScu li n/ f é M i n i n

au x Sou rc e S du ch r iSt i a n iSM e

Les grands mythes chrétiens dessinent une histoire des sexes. Un drame dans lequel la femme sépare le premier homme de Dieu : la création d’Adam tourne à la catastrophe par la faute d’Ève. Mais si Ève éloigne l’homme de Dieu, Marie rapproche Dieu de l’homme. C’est d’elle que naît le nouvel Adam : Jésus.

En philosophie, en théologie, les grands textes fondateurs font le récit d’une vision masculine de l’histoire : la femme diffère de l’homme, jamais l’inverse. Comme si le point de vue viril était l’unique et l’universel – tandis que la femme demeure toujours l’autre, le genre différent.

« Il n’y a ni mâle ni femelle », écrit pourtant saint Paul. Le christianisme aurait­il l’ambition de renverser la « fata­lité » de la condition sexuée ? Paul poserait­il ici les fonde­ments d’un universalisme chrétien en annonçant l’égalité des sexes ?

Sylviane Agacinski montre au contraire que, comme dans la philosophie grecque, la pensée chrétienne des premiers siècles identifie l’esprit et l’intellect à l’homme, la chair et le péché à la femme.

Avec cette Métaphysique des sexes, Sylviane Agacinski décrit un régime de pensée masculin qui survit encore dans l’ima­ginaire contemporain.

2005, 316 pages. « Points Essais », n° 562, 2007, 384 pages.

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S y lv i a n e ag ac i n S k i

d r a m e d e s s e x e si bSe n, St r i n dberg, bergM a n

Pourquoi le rapport entre les sexes est­il aussi drama­tique ? Pourquoi, entre eux, le drame, toujours ? La question me poursuit, depuis l’enfance.

Suivant une vision théâtrale de l’homme et de la femme, il y a l’amour, il y a les conflits, les scènes, et l’issue fatale : le retournement du bonheur en malheur.

Le rapport à l’autre sexe est­il nécessairement frappé d’une malédiction ? Les femmes en sont­elles les principales victimes, comme chez Ibsen ou bien, comme chez Strind­berg, le malheur frappe­t­il aussi les hommes ? Les deux, bien sûr, car c’est toujours de l’autre que vient le drame, comme dans le cinéma de Bergman. Pour ce grand metteur en scène du couple, rien n’est plus réel que l’amour, ce qui ne l’empêche pas de faire dire au diable, dans un de ses films : « Que serait l’enfer, sans le mariage ? »

Le théâtre de la conjugalité ne se joue jamais d’un seul côté, il a lieu entre les deux. C’est le jeu entre les passions, que donne à contempler le drame, sur la scène, laissant la parole aux deux parties.

Sylviane Agacinski

2008, 224 pages.

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S y lv i a n e ag ac i n S k i

F e m m e se n t r e Se x e et ge n r e

Avec Judith Butler, la Queer theory regarde la distinction entre homme et femme comme l’expression d’une « bina­rité artificielle », construite par une « culture hétérosexuelle dominante ». Il n’y a plus de sexes, rien qu’une proliféra­tion de genres (gays, lesbiennes, transsexuels…), flottant au­dessus de sexes disparus – à moins qu’ils ne deviennent les produits de techniques biomédicales.

Ce livre montre les impasses d’un tel discours.Sylviane Agacinski rappelle la dissymétrie des corps

sexués, c’est­à­dire vivants, mais enrôlés dans des institutions, une culture et une histoire. Elle décrit les formes spécifiques de la servitude des femmes, qu’elles soient anciennes (la famille), modernes (le marché biologique des cellules et des organes), ou les deux à la fois (la prostitution).

Pour Sylviane Agacinski, « femme » et « homme » en tant que genres sont des catégories impersonnelles. En tant que personne, « je » ne suis ni un sexe ni un genre. Le sexe est moins un facteur d’identité que d’altérité.

2012, 176 pages. « Points Essais », n° 562, 2007.

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S y lv i a n e ag ac i n S k i

L e t i e r s ‑ c o r p sr é f l e x ionS Su r l e don d’orga n e S

« Une peinture de Fra Angelico représente saint Côme, patron des chirurgiens, et son frère Damien, au chevet d’un sacristain auquel ils sont en train de greffer la jambe d’un Maure.

Comment les célèbres médecins s’étaient­ils procuré la jambe de l’Africain ? La fable ne le dit pas. Était­il donneur ? Mort ou vif ? Avait­il vendu un de ses membres ? Ou bien s’était­on simplement emparé de la jambe d’un homme de peu d’importance ?

Ce personnage manque dans la scène. Ni médecin ni malade, il est le tiers dont le corps est requis par la trans­plantation : je l’appellerai le tiers­corps. »

Sylviane Agacinski

Au cours de ses réflexions sur la transplantation, dans sa dimension à la fois technique et sociale, Sylviane Agacinski souligne l’ambiguïté d’une pratique médicale qui sauve de nombreuses vies mais crée aussi une « demande d’organes » : comment y répondre ?

D’abord, soutient l’auteure, en protégeant le corps des vivants face aux ultra­libéraux, partisans d’un marché légal des organes, et aux trafiquants dont les miséreux et les réfu­giés sont victimes, lorsque les États laissent faire. Ensuite, en privilégiant le don de soi post mortem, librement consenti, plutôt qu’en maintenant le stratagème du « consentement présumé du défunt ». Sylviane Agacinski s’appuie ici sur Marcel Mauss pour en appeler à une société solidaire, dans laquelle chacun peut à son tour recevoir ou donner et, quelque fois, transmettre la vie par­delà la mort.

2018, 240 pages.

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g i o r g i o ag a M b e n

L a c o m m u n a u t é q u i v i e n t

t h éor i e de la Si ngu la r i t é

qu e l conqu e

Que serait une communauté sans présupposés, sans condi­tions d’appartenance, sans identité ? Peut­on imaginer une communauté faite d’hommes qui ne revendiquent pas une identité (être français, rouge, musulman) ? Comment penser désormais une communauté formée par des singula­rités quelconques, c’est­à­dire parfaitement déterminées, mais sans que jamais un concept ou une propriété puisse leur servir d’identité ?

L’être qui vient : ni individuel ni universel, mais quel­conque. Singulier, mais sans identité. Défini, mais unique­ment dans l’espace vide de l’exemple. Et, toutefois, ni générique ni indifférent : au contraire, tel que de toute façon il importe, objet propre de l’amour. Sa logique : les paradoxes de la théorie des ensembles, l’anonymat de l’idée, l’impossibilité radicale d’un métalangage. Son éthique : être seulement sa propre manière d’être, pouvoir uniquement sa propre possibilité ou puissance, faire l’expérience du langage en tant que tel. Sa politique : faire communauté sans pré­supposés ni conditions d’appartenance, exode irrévocable de l’État, construction d’un corps communicable.

Traduit de l’italien par Marilène Raiola. 1990, 128 pages.

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S é b a S t i e n a l b e r t e l l i J u l i e n b l a n c

l au r e n t d o u z o u

L a L u t t e c L a n d e s t i n e e n F r a n c e

u n e h iStoi r e de la r é SiSta nc e (194 0 ‑194 4)

Trois historiens, spécialistes de la Résistance, ont décidé de conjuguer leurs expertises, de croiser leurs regards, de se sou­mettre à une critique réciproque et exigeante. S’appuyant sur une abondante littérature, les auteurs se sont attachés à dérouler un récit qui prend parfois à rebours, comme dans le cas de la mémoire de la Résistance, les thèses communément admises.

Chacun des dix­sept chapitres du livre s’ouvre sur un document visuel – photo d’identité, reproduction d’une feuille clandestine, cliché d’une scène publique ou privée – qui illustre une facette de cette histoire, saturée de représen­tations mais si pauvre en illustrations. Ces documents variés font ainsi office de portes d’entrée vers un monde par nature difficile à saisir, celui de la lutte clandestine.

Tout en suivant la trame chronologique de la période, depuis les premières manifestations du refus en 1940 jusqu’aux libérations du territoire à l’été et à l’automne 1944, c’est bien une approche anthropologique du phénomène qui a été pri­vilégiée. Elle conduit à mettre l’accent sur la densité extrême du temps résistant, à scruter ses pratiques et ses sociabilités, à interroger aussi les liens qui se tissent peu à peu avec la société. Elle cherche à comprendre ce que vivre en Résistance pouvait concrètement signifier. Soumis à un danger permanent, sans modèle préalable auquel se référer, l’univers clandestin de la Résistance, enfoui et invisible, n’aura en fait jamais cessé d’inventer sa propre action. Il a généré des expériences d’une extrême variété tout en exposant tous ses protagonistes, où qu’ils aient œuvré, à des risques identiques et mortels.

2019, 448 pages.

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a n n e ‑ M a r i e a l b i ac h

L a m e z z a n i n el e der n i er r é ci t de cata r i na qu i a

pr é fac e de Jacqu e S rou bau d

Le roman traditionnel a longtemps puisé dans le réel vécu de ses auteurs, le racontant, le transposant, le dissimulant, le triturant, le torturant, le sublimant. Cela s’est fait, et continue à se faire de nos jours, d’innombrables manières.

La narratrice de La Mezzanine, Catarina Quia, a joué, elle, « franc­jeu ». Elle n’a rien censuré ou déformé des circons­tances terribles dont elle entreprenait, par la fiction, de se libérer. L’audace est grande, avant tout formelle : ne pas dis­simuler le contexte proprement infernal de la composition.

[…] Comme dans le roman médiéval, les noms des per­sonnages sont lourds de sens. Le nom du personnage prin­cipal, surtout s’il envahit le titre, pèse. Le lecteur le reçoit en pleine lecture et ses yeux s’y heurtent sur les pages. Il est impossible de ne pas s’émerveiller de son étrangeté, de sa singularité.

« Quia ». Qu’est­ce que ce nom ? Il est prélevé tel quel d’un mot latin ; dont le sens est « parce que ». Catarina Quia est l’auteur « parce que ».

Peut­être « parce qu’il en est ainsi ». Peut­être : « parce qu’elle s’explique. »

[…] La Mezzanine, le dernier récit de Catarina Quia est une étrange, une surprenante, une paradoxale réussite.

Jacques Roubaud

2019, 352 pages. Édition établie par Marie-louise Chapelle et Claude Royet-Journoud.

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h e n r i at l a n

t o u t, n o n , p e u t‑ ê t r e

éducat ion et v ér i t é

Peut­on enseigner la vertu (Protagoras) ? Ou bien son apprentissage n’est­il rien d’autre que l’écoute patiente du savoir scientifique et la soumission à la vérité qui s’y dévoile (Socrate) ?

L’efficacité scientifique a imposé la recherche critique de la vérité comme critère ultime en matière de formation, avec l’espoir d’une rencontre harmonieuse entre vérité, liberté individuelle et justice sociale. Mais la subtilité des pro­blèmes d’éthique et de société que posent les sciences et les techniques sans donner les moyens de les résoudre fait éclater l’idéal socratique. C’est la revanche de Protagoras et de l’opinion, du poétique et de la rhétorique.

Prenant la mesure de ses propres limites, la raison scien­tifique s’identifie à un outil : la vérité qu’elle découvre et qu’elle constitue ne peut plus fonder à elle seule un système d’éducation. Associée à la critique philosophique, elle doit partager son pouvoir – sans pourtant s’y dissoudre – avec le pouvoir politique et celui des médias.

La recherche de concepts opérationnels a fait considérer la totalité, la négation et le possible comme de faux concepts, malgré leur rôle déterminant dans le développement des individus. Retrouver le tout, le non, le peut-être, au-delà du dénom-brable, de la soustraction et du potentiel qui les ont remplacés, implique une relation nouvelle à la vérité et à la croyance, une recherche pragmatique du souverain Bien.

1991, 352 pages.

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h e n r i at l a n

L e s é t i n c e L L e s d e h a s a r d i

con na iSSa nc e Sper M at iqu e

Ne faut­il pas faire parler à nouveau la connaissance par le sexe, et par la fécondité du concept, pour entendre ce que la biologie, les sciences cognitives et la psychanalyse tentent, peut­être maladroitement, de nous dire ?

Connaissance, sexualité, hasard, incertitude, naissances et avortements, anges et démons, vieillissement, maladie et mort, les sciences et les techniques renvoient sans cesse à ces problèmes inhérents à la condition humaine. Nous rêvons de tout maîtriser, y compris l’incertitude. Mais l’aléatoire garde d’autant plus sa valeur que la maîtrise totale s’avère illusoire.

Le mythe s’est toujours emparé de ce type de problèmes : non seulement Prométhée, Œdipe, mais aussi le serpent des mythes bibliques, l’arbre de vie, et l’arbre de connaissance, qui rappelle que celle­ci est toujours ambivalente, le Déluge et Babel.

Dans ce livre, qui constitue le premier tome d’un dip­tyque, Henri Atlan aborde quelques­uns des problèmes concernant les techniques et les sciences liées à la fabrica­tion du vivant. Mais, pour nous éclairer, l’auteur emprunte des traverses inattendues, celles de la philosophie et des plus vieilles mythologies de l’humanité (Spinoza, la Kabbale, le Talmud).

Point de départ : suivant une légende hébraïque, Adam est séparé d’Ève pendant cent trente ans. Durant tout ce temps, il répand des gouttes de sperme. Ce sont « les étin­celles de hasard »…

1999, 400 pages.

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h e n r i at l a n

L e s é t i n c e L L e s d e h a s a r d i i

at h éiSM e de l’é cr i t u r e

Ce volume se situe au point de rencontre entre science et éthique : la science a pour objectif de découvrir les struc­tures de la réalité, de connaître la nature des choses ; quant à l’éthique, elle se propose d’agir sur la réalité en la modi­fiant dans le sens d’un « plus grand bien » même si tous ne s’accordent pas nécessairement sur ce qu’est ce « plus grand bien ».

Henri Atlan propose une anthropologie où les liens entre le corps et l’esprit résultent d’une relation non dualiste. Sa réflexion sur les enjeux des sciences biologiques et cognitives se trouve éclairée par une approche de la philosophie clas­sique en dialogue avec les problèmes posés dans le Talmud et la Kabbale. Un de ses guides : Spinoza.

Dans ce tome 2 des Étincelles de hasard Atlan montre aussi en quoi la notion de Parole ou d’Écriture révélées ne peut se comprendre que si elle est athée. Car enfin, que veut­on dire quand on invoque le Créateur de l’Univers comme Auteur ?

2003, 448 pages.

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h e n r i at l a n

L’ u t é r u s a r t i F i c i e L

Après la pilule contraceptive, l’insémination artificielle, la fécondation in vitro, une prochaine étape sera l’utérus artificiel. Sans doute cette technique aura­t­elle d’abord des fonctions thérapeutiques, remplaçant les incubateurs actuels pour maintenir en vie les grands prématurés.

Mais personne n’est dupe. Les techniques de procréa­tion, initialement développées avec des finalités médicales de traitement de la stérilité ou d’avortements à répétition, débordent inévitablement ces indications strictement théra­peutiques. Comme les inséminations artificielles et les fécon­dations in vitro, les utérus artificiels seront utilisés pour des « désirs d’enfant » que la procréation naturelle, non médi­calisée, ne permet pas de satisfaire.

Tout en exposant les conditions de réalisation de l’uté­rus artificiel, Henri Atlan prend la mesure des retombées sociales et culturelles, économiques, politiques, religieuses, voire métaphysiques, de cette nouvelle technique.

Outre la dissociation entre sexualité et procréation, c’est une asymétrie immémoriale qui disparaîtra dès lors que les hommes et les femmes seront égaux devant les contraintes qu’impose la reproduction de l’espèce.

De quoi seront faits demain les genres masculin et fémi­nin ? Continuant et achevant peut­être une évolution déjà commencée, la procréation sera de plus en plus médicalisée, tandis que, paradoxalement, la parenté sera de plus en plus sociale, de moins en moins biologique.

Mais rien n’est définitivement joué. Impossible de prédire comment l’UA façonnera l’avenir des sociétés humaines. Et si les mythes et la fiction peuvent ici éclairer la technique, le « meilleur des mondes » n’est pas assuré.

2005, 216 pages. « Points Essais », n° 563, 2007, 240 pages.

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h e n r i at l a n

L’ o r g a n i s a t i o n b i o L o g i q u e

e t L a t h é o r i e d e L’ i n F o r m a t i o n

La biologie moléculaire depuis les années soixante a lar­gement utilisé des métaphores empruntées à la cybernétique et à la théorie de l’information.

Ces métaphores ont eu souvent pour effet de masquer la complexité des phénomènes biologiques. Elles sont dans ce livre analysées de façon critique et réinterprétées.

La théorie de l’information est étendue aux conditions formelles de création d’information et sert ainsi à établir les bases d’une théorie de l’auto­organisation, non seulement en biologie mais aussi pour les sciences humaines.

Le principe de complexité par le bruit permet de comprendre le rôle du hasard, ou « bruit développemen­tal » comme facteur d’organisation dynamique des systèmes complexes.

La biologie post­génomique actuelle redécouvre la per­tinence de ces analyses et des applications de ce principe, notamment en physiologie cellulaire, en immunologie et dans les neurosciences.

Publié en 1972, ce livre est aujourd’hui un classique.

2006, 306 pages.

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h e n r i at l a n

d e L a F r a u d e L e m o n d e d e L’ o n a a

Évaluer l’importance d’une fraude financière est pos­sible. Cependant, comment prendre la mesure d’un presque mensonge, de la mauvaise foi ? Par exemple dans l’industrie pharmaceutique ou dans les imbrications écolo­scientifico­idéologiques. Et comment arbitrer des manigances poli­tiques, apprécier les supercheries de certains professionnels de la communication ?

Henri Atlan, membre du Comité consultatif national d’éthique à sa création, choisit de nous éclairer à l’aide du concept d’onaa qui désigne en hébreu à la fois la fraude, dans les transactions financières et la blessure verbale infligée par des paroles.

Le monde de l’onaa est celui de l’entre­deux : on ne rêve plus ici de Platon, d’une vérité absolue, totale. À l’idéal d’une impossible pureté on substitue la conception d’une réalité plausible, imposant les limites de la loi pour imposer un moindre mal.

Le monde de l’onaa est celui du presque vol, du quasi­mensonge. Nous sommes ici dans un univers de pratiques qui ne croit pas à la pureté d’une solidarité fusionnelle, garantie par la présence d’un dieu.

Aujourd’hui, il semble qu’aucun discours, pas même l’usage d’énoncés scientifiques, n’est à l’abri de dérapages frauduleux, volontaires ou involontaires. En temps de crise financière et morale, qui fragilise les démocraties, Henri Atlan éclaire des textes quelquefois anciens pour repenser le statut de la fraude dans notre monde contemporain.

2010, 320 pages.

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M a r c au g é

d o m a i n e s e t c h â t e a u x

L’Écho d’Ambert, Le Nouvel Observateur, La Centrale des parti-culiers, Demeures et Châteaux et bien d’autres journaux publient des annonces immobilières souvent illustrées de photos.

Manoirs, prieurés, châteaux, gentilhommières ou coquettes maisonnettes s’inscrivent, pour l’auteur, dans des paysages qui sont avant tout littéraires même si les souve­nirs vécus et les souvenirs de lecture semblent parfois se confondre. Souvenirs d’enfance : les châteaux de la Biblio­thèque rose et de la comtesse de Ségur. Souvenirs toujours récurrents : les demeures réelles ou fictives fréquentées à la suite de Rousseau, Nerval, Balzac, Stendhal ou Proust.

Ces maisons de mots et d’images, où l’on sait bien que l’on ne vivra jamais, nous parlent aussi du temps qui passe, de la vie qui change, d’amour et d’amitié.

Dans ce livre, Marc Augé poursuit en ethnologue l’exploration d’une mythologie moderne d’autant plus effi­cace qu’elle sait en chacun de nous éveiller les attentes les plus intimes.

1989, 192 pages.

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M a r c au g é

n o n ‑ L i e u xi n t roduc t ion à u n e a n t h rop olo gi e

de la Su r Moder n i t é

Après La Traversée du Luxembourg, Un ethnologue dans le métro et Domaines et châteaux, Marc Augé poursuit son anthropologie du quotidien en explorant les non-lieux, ces espaces d’anonymat qui accueillent chaque jour des individus plus nombreux. Les non-lieux, ce sont aussi bien les installations nécessaires à la circulation accélérée des personnes et des biens (voies rapides, échangeurs, gares, aéroports) que les moyens de transport eux­mêmes (voitures, trains ou avions). Mais également les grandes chaînes hôtelières aux chambres interchangeables, ou encore, différemment, les camps de transit prolongé où sont parqués les réfugiés de la planète. Le non-lieu est donc tout le contraire d’une demeure, d’une résidence, d’un lieu au sens commun du terme. Seul, mais semblable aux autres, l’utilisateur du non-lieu entretient avec celui­ci une relation contractuelle symbolisée par le billet de train ou d’avion, la carte présentée au péage ou même le chariot poussé dans les travées d’une grande surface. Dans ces non-lieux, on ne conquiert son anonymat qu’en four­nissant la preuve de son identité – passeport, carte de crédit, chèque ou tout autre permis qui en autorise l’accès.

Attentif à l’usage des mots, relisant les lieux décrits par Cha­teaubriand, Baudelaire ou les « passages » parisiens de Walter Benjamin, l’ethnologue remarque que l’on peut se croiser à un carrefour alors que l’échangeur interdit toute rencontre. Si le voyageur flâne en chemin ou s’égare sur une route de traverse, le passager qui prend le TGV ou l’avion est déterminé par sa destination. Aujourd’hui, les repères de l’identité et le statut de l’histoire changent en même temps que l’organisation de l’espace terrestre. Dans ce livre, Marc Augé ouvre de nouvelles perspectives en proposant une anthropologie de la surmodernité qui nous introduit à ce que pourrait être une ethnologie de la solitude.

1992, 160 pages.

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M a r c au g é

L a g u e r r e d e s r ê v e se x e rcic e S d’et h no ‑f ic t ion

Un nouveau régime de fiction s’instaure. Il affecte la vie sociale au point de nous faire douter de la réalité. Les repor­tages télévisés prennent des allures de fictions et celles­ci miment le réel. Des idylles se nouent sur Internet où l’on dialogue avec des interlocuteurs sans visage. Insensible­ment, nous passons au « tout fictionnel ». Aux médiations, qui permettent le développement de l’identité, la prise de conscience de l’altérité et des liens sociaux, se substituent les médias de la solitude. La vision des désastres planétaires est désormais soumise au caprice de la télécommande.

Ces nouveaux partages entre le réel et la fiction condi­tionnent aussi la circulation entre l’imaginaire individuel (le rêve), l’imaginaire collectif (les mythes, les rites, les symboles) et l’œuvre de fiction. Dans ce livre, Marc Augé rappelle la menace que fait peser, sur toute vie sociale, la confusion de ces trois pôles distincts de l’imaginaire. Chaque culture institue des frontières spécifiques entre le rêve, la réalité et la fiction.

Toute société suppose de ne pas identifier le modèle et la réalité.

Dans son ethno-fiction, parcourant l’Europe et les États­Unis, l’Afrique et l’Amérique latine, l’ethnologue nous conduit aux sources de toute anthropologie sociale. Celle­ci a pour objet, à travers l’étude des institutions et des représentations, la compréhension des relations entre les uns et les autres.

Pour Marc Augé, La Guerre des rêves a commencé. Nous n’en voyons pas toujours clairement les tenants et les abou­tissants. Sans être fatale l’explosion « fictionnelle » est désor­mais possible. La catastrophe serait de comprendre trop tard que, si le réel est devenu fiction, il n’y a plus d’espace possible pour la fiction, ni pour l’imaginaire. Pour conclure, l’auteur nous invite à une « morale de la résistance ».

1997, 192 pages.

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M a r c au g é

c a s a b L a n c a

Tout film qui nous a plu un jour prend place dans notre mémoire au côté d’autres souvenirs. Il est un souvenir parmi d’autres, soumis comme eux à la menace de l’oubli. Il arrive ainsi que des images de films nous traînent dans la tête comme si elles faisaient partie de notre vie même. Il nous faut « monter » nos souvenirs, ces rushes de la mémoire, pour recomposer une continuité, pour en faire un récit.

[…]Il y a deux ou trois ans, les heures d’insomnie m’étaient

devenues l’occasion d’un type d’investigation un peu par­ticulier. Je me lançais à la reconquête de mes plus vieux souvenirs, ceux d’avant 1940. Je collectais la nuit des lam­beaux d’images et, le jour venu, courais chez ma mère pour la faire parler.

[…]Je ne sais pas exactement quand j’ai vu Casablanca pour

la première fois.

M. A.

2007, 128 pages.

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L e m é t r o r e v i s i t é

Je n’ai jamais cessé de prendre le métro, jamais cessé d’être un Parisien. Je peste parfois contre les embarras de la capitale et rêve d’une ville sans embouteillages, sans heures de pointe, mais, d’un autre côté, je suis toujours un peu dérouté par la paix des champs, la douceur angevine ou la solitude des plages désertes en hiver lorsque, d’aventure, il m’arrive d’en faire l’expérience.

Plus de vingt ans après Un ethnologue dans le métro, publié en 1986 dans « Textes du xxe siècle », l’ancêtre de la pré­sente collection chez Hachette, ce n’est pas d’un retour à proprement parler qu’il peut s’agir ici, mais plutôt d’un arrêt, d’une pause, d’un coup d’œil rétrospectif pour essayer de faire le point. Car l’étonnant, avec le changement, ce n’est pas qu’il ait eu lieu, c’est que nous ne nous en soyons pas rendu compte : il s’est imposé si « naturellement » que nous avons besoin aujourd’hui des traces du passé, évidences d’hier devenues plus ou moins obsolètes, pour en admettre la réalité et en prendre la mesure.

En vingt ans, le métro s’est transformé au rythme de Paris et du monde. Qui sont au juste mes contemporains ou plu­tôt de qui puis­je me dire contemporain ? Pour répondre à cette question, j’invite mes lecteurs à me rejoindre dans le métro, à se perdre dans la foule anonyme de tous ceux que j’y côtoie quotidiennement. Peut­être nous y frôlerons nous sans le savoir.

Marc Augé

2008, 112 pages.

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M a r c au g é

q u e L q u ’ u n c h e r c h e à v o u s r e t r o u v e r

À la sortie du cinéma où il vient de revoir son film culte, Casablanca, un professeur, depuis peu à la retraite, se fait aborder par une jeune femme. Il ne sait pas que Claire le suit depuis plusieurs jours : quelqu’un cherche à le retrouver et c’est elle qui mène l’enquête. Claire veut le rencontrer. Tout savoir des entrelacs de sa vie. D’abord réticent, Julien se prête peu à peu au jeu… Le secret de cette femme au chignon trop sage l’intrigue.

Commence alors une étrange balade dans Paris. Au fil des souvenirs qui s’égrènent (la Libération, la guerre d’Algérie, un mariage raté, la rentrée des classes à Henri IV, une folle nuit dans la grisaille berlinoise), une singulière complicité se noue entre le vieux professeur et la jeune femme au sourire inquiet : sans trop savoir pourquoi, Julien se confie. Mais il se rend vite compte qu’il ne devine rien de Claire. Est­elle cette ingénue qu’elle joue si bien ? Que cherche­t­elle au juste à apprendre de lui ? Que cache l’intensité de son désir dans cette enquête ? Au service de qui travaille­t­elle ? Pourquoi lui pose­t­elle tant de questions sur une année précise : 1968 ?

Un roman en forme de quête des origines. Une histoire où la légèreté d’une robe d’été évoque l’obscure puissance de la naissance des sentiments.

2009, 144 pages.

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M a r c au g é

J o u r n a L d ’ u n s d Fet h nof ic t ion

« La perte du lieu, c’est comme la perte d’un autre, du dernier autre, du fantôme qui vous accueille chez vous lorsque vous rentrez seul. »

Il suffit d’avoir déménagé une ou deux fois dans sa vie pour pouvoir imaginer sans trop de mal les effets destruc­teurs qu’entraîne la perte des repères spatio­temporels. Ce n’est plus seulement la psychologie qui est en cause dans la situation des sans­logis, mais directement le sens de la relation, de l’identité et de l’être. Candide ou le Persan de Montesquieu étaient des personnages d’ethnofiction, mais ils regardaient le monde pour s’en étonner. C’est en se regar­dant lui­même, aujourd’hui, que le personnage d’ethno­fiction découvre la folie du monde.

2011, 144 pages.

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M a r c au g é

u n e e t h n o L o g i e d e s o il e t e M pS Sa nS âge

« Quel âge avez­vous ? » Cette question, depuis quelque temps, me plonge dans l’embarras. D’abord pour ceux ou celles qui me la posent, parce qu’elle me semble témoigner d’une forme d’indélicatesse dont je ne soupçonnais pas l’exis­tence. Ensuite parce que je dois réfléchir avant de répondre.

La question de l’âge est une expérience humaine essen­tielle, le lieu de rencontre, entre soi et les autres, commun à toutes les cultures, un lieu complexe et contradictoire dans lequel chacun d’entre nous pourrait, s’il en avait la patience et le courage, prendre la mesure des demi­mensonges et des demi­vérités dont sa vie est encombrée. Chacun est amené un jour ou l’autre à s’interroger sur son âge, d’un point de vue ou d’un autre, et à devenir ainsi l’ethnologue de sa propre vie.

Vis­à­vis de notre passé, nous sommes tous des créateurs, des artistes, nous avançons à reculons pour ne cesser d’obser­ver et de recomposer le temps passé.

Marc Augé

2014, 176 pages. 2018, « Points Essais », n° 843, 176 pages.

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J e a n ‑ c h r i S t o p h e b a i l ly

L e p r o p r e d u L a n g a g evoyage S au payS

de S noMS coM M u nS

Partout, dans toutes les langues, les hommes s’orientent en nommant ce qui les environne. Les noms légendent la Terre et comme tels sont déjà tout entiers des récits.

Dans ce livre, qui n’appartient à aucun genre, Jean­Christophe Bailly explore les puissances du langage – et ce que les noms communs veulent dire. En chaque nom, une vérité éloignée est détenue. Le nom est tout à la fois fiction et vestige : en chaque nom, en chaque nom commun, s’ébruite l’histoire du langage.

Dans ce livre, construit comme un labyrinthe où l’on se retrouve grâce à l’ordre de l’alphabet, l’auteur s’efforce de comprendre le bonheur qui traverse le langage. Dans cet univers où chaque nom est un toucher, le lecteur est confronté pas à pas au propre du langage.

1997, 256 pages.

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J e a n ‑ c h r i S t o p h e b a i l ly

L e c h a m p m i m é t i q u e

Dans ce livre sur l’acte de naissance de l’esthétique occi­dentale, Jean­Christophe Bailly montre comment furent dégagées en Grèce ancienne les conditions d’avènement de l’image, au sens que nous donnons toujours à ce mot.

Entre les actes de représentation (peinture, sculpture, danse, théâtre, écriture) et les espaces par lesquels la cité acquiert sa forme, la relation est directe : c’est le même mou­vement qui s’accoutume au vide de l’espace et qui y dispose des figures. On retrouve la même logique d’évidement et les mêmes régimes d’intervalle dans l’espace politique de la cité et dans les représentations. Le « champ mimétique » est le nom ici donné à cette unité, où peut se lire aussi un formidable travail de rangement du monde.

En tressant ensemble philosophie et histoire de l’art, tout au long d’un voyage enthousiaste et rigoureux, Jean­Christophe Bailly ne nous fait remonter aux sources que pour mieux redescendre jusqu’à notre actualité et à ce paradoxe selon lequel nous serions à la fois dans une civilisation de l’image et en train de sortir de l’âge de la représentation.

2005, 336 pages.

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M a r c e l b é n a b o u

J a c o b , m é n a h e m e t m i m o u n

u n e ép opé e fa M i li a l e

« À vingt ans, confesse le narrateur, j’avais conçu le projet de faire, pour nos mellahs marocains, ce que d’autres avaient si magistralement réussi pour les ghettos d’Europe centrale et orientale. Une épopée grandiose, axée pour l’essentiel – piété filiale oblige – sur l’histoire de mes ancêtres : Jacob, Ménahem, Mimoun et quelques autres. Une résurrection du passé si complète et si véridique que tous les clans familiaux qui s’étaient constitués au cours des dernières générations pourraient un jour s’y reconnaître, y communier. »

Qu’est­il advenu de cet ambitieux rêve de jeunesse ? L’auteur de Pourquoi je n’ai écrit aucun de mes livres (Prix de l’humour noir en 1986) entreprend de nous le conter, à son ironique et paradoxale façon. On croise donc bien ici des aïeux et des parents, des vizirs et des sultans, des rebelles et des brigands, des rabbins et des marchands, des cavaliers berbères dans leur burnous flottant et même, dans un coin de ce décor imposant, l’ombre menaçante d’un empereur allemand. Mais, insensiblement, au récit épique projeté va se substituer une autre histoire : celle d’un livre toujours près d’émerger et pourtant toujours à recommencer. Sans doute est­ce là, en fin de compte, le secret de cette œuvre inclassable : s’y entrelacent, en une trame délicate, le savoir de l’historien, les ruses de l’écrivain oulipien et la longue mémoire, obstinée, de l’enfant juif marocain.

1995, 256 pages.

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M a r c e l b é n a b o u

p o u r q u o i J e n ’a i é c r i t a u c u n d e m e s L i v r e s

Livre insolite autant qu’improbable : on y découvre que le héros – à moins que ce ne soit l’auteur – s’interroge sur ses rapports avec les livres ; qu’il se penche sur les raisons qui l’empêchent d’écrire, tout en lui interdisant de s’y dérober ; qu’il ne saurait suspendre plus longtemps son désir de vivre un roman d’amour avec la langue française.

Publié la première fois en 1986, dans l’ancêtre de « La Librairie du xxie siècle » (« Textes du xxe siècle », chez Hachette), Pourquoi je n’ai écrit aucun de mes livres obtint le Prix de l’Humour noir et devint rapidement un classique, objet de traductions et de commentaires dans de nombreux pays.

2010, 208 pages.

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J u l i e n b l a n c

a u c o m m e n c e m e n t d e L a r é s i s t a n c e

du côt é du M uSé e de l’hoM M e 194 0 ‑1941

Été 1940. Dans un pays assommé par la débâcle, les pre­mières manifestations du refus de l’occupant s’ébauchent dans Paris, en particulier au musée de l’Homme. Des noyaux de résistance naissent. Par contacts successifs, une nébuleuse rassemblant des groupes divers se développe et se lance dans des actions variées : propagande, évasion, renseignement.

Disséminée géographiquement, socialement et idéologi­quement variée, cette désobéissance pionnière est rapide­ment en butte à une répression féroce. Ses principaux chefs de file, le linguiste Boris Vildé et l’anthropologue Anatole Lewitsky, sont jugés et exécutés en février 1942.

Comment cette première Résistance s’est­elle structurée ? Quels ont été les motivations et les profils de ses membres ? La répression a­t­elle irrémédiablement décimé les groupes qu’ils avaient mis sur pied ? Comment enfin l’histoire et la mémoire de ces éphémères constructions se sont­elles arti­culées de 1942 à nos jours ?

Dans ce livre, Julien Blanc présente à la fois l’histoire singulière d’une organisation de Résistance et un essai sur les premières formes de la désobéissance en zone occupée.

2010, 528 pages.

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r . h o wa r d b l o c h

L e p L a g i a i r e d e d i e ula fa bu l euSe i n duSt r i e

de l’a bbé M ign e

Les aventures de Jacques­Paul Migne relèvent autant du feuilleton judiciaire que de l’histoire de l’Église de France.

Nous sommes à Paris, dans les années 1840. Dans un contexte de production de masse d’objets standardisés, ven­dus au prix le plus bas au plus grand nombre, l’abbé Migne n’a qu’un seul rêve : créer un « Palais de l’industrie catho­lique », populariser le patrimoine de l’Église pour endiguer les effets redoutables de la Révolution en imprimant les écrits des « bons Pères à bon marché ».

Pour donner libre cours à sa vocation, rien ne lui est inter­dit : faillites frauduleuses, pots­de­vin, pillages des éditions existantes. Se prenant pour l’éditeur de la vérité éternelle de l’Église, ce plagiaire de Dieu, qui affronte des autorités épiscopales, est poursuivi par les tribunaux.

Aussi naïf qu’avide de gloire et de succès, le petit prêtre auvergnat devint ainsi son propre agent publicitaire (le « Napo­léon du prospectus ») ; grand patron de presse, il dirigea une dizaine de journaux ainsi qu’une des plus importantes entre­prises éditoriales du xixe siècle : les Ateliers Catholiques, avec ses quelque six cents ouvriers fondeurs, typographes, impri­meurs, lecteurs d’épreuves, relieurs, comptables et coursiers.

De ce Rastignac en soutane, R. Howard Bloch fait plus que nous conter la fabuleuse ascension. À la manière rigoureuse d’une enquête policière, l’historien américain restitue, à l’aide des archives, une époque et un milieu. Il analyse la corruption de la presse, de l’édition et leur collusion avec le monde de la publicité qui prend son essor sous la monarchie de Juillet.

Si la vie de l’abbé Migne paraît si romanesque, c’est sans doute parce qu’elle puise ses motifs aux mêmes sources que les grandes figures de l’épopée balzacienne.

Traduit de l’américain par Pierre-Antoine Fabre. 1996, 256 pages.

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r e M o b o d e i

L a s e n s a t i o n d e d é J à v u

Chacun de nous a pu éprouver la sensation soudaine d’avoir déjà vu un lieu où il n’est jamais allé, de reconnaître une personne jamais rencontrée.

Saint Augustin est peut­être le premier qui ait pris au sérieux ce phénomène qu’il range au nombre des tentations diaboliques.

À partir du milieu du xixe siècle, la sensation de déjà vu fascine médecins, psychologues, philosophes et écrivains. Tous s’interrogent sur cette expérience du présent qui, le temps d’un instant, s’identifie au passé – sur cette « pyramide du temps ».

Que sait­on aujourd’hui de ce court­circuit entre per­ception et souvenir ? Faut­il attribuer cette sensation à des mécanismes inconscients ? Cette expérience trouve­t­elle son explication dans le réseau neuronal, les lobes frontaux, les canaux de la vision ?

Remo Bodei n’exclut aucune piste. Il montre comment les témoignages et les récits de déjà vu donnent lieu à une « métaphysique populaire » où s’imbriquent physiologie, poésie, psychiatrie, roman et psychanalyse.

En philosophe, Bodei revisite le concept de déjà vu, tout en dégageant le charme inhérent à ce phénomène du quo­tidien.

Traduit de l’italien par Jean-Paul Manganaro. 2007, 208 pages.

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g i n e v r a b o M p i a n i

L e p o r t r a i t d e s a r a h m a L c o L m

« Je traverse la salle d’attente d’une gare de Londres. La lumière est grise comme le dos des hommes qui lisent leur journal, assis. En passant derrière eux, je lis par­dessus une épaule la date du journal. Je crie d’épouvante : on est en 1733. » À partir de ce rêve fait à Londres, où elle vivait, la romancière finit par se convaincre que tout la conduit à un fait divers sanglant qu’elle va élucider. Un triple meurtre perpétré dans le quartier du Temple : une jeune servante, Sarah Malcolm, est accusée d’avoir assassiné son ancienne patronne et deux autres femmes. La morgue de l’accusée et l’atrocité d’un crime particulièrement difficile à exécuter firent de Sarah Malcolm presque immédiatement un per­sonnage très populaire. Le peintre de la pègre et de la vie bourgeoise William Hogarth vint faire son portrait dans sa cellule, juste avant son exécution. Après sa pendaison, Sarah Malcolm entra dans la légende. Les gravures de Hogarth la popularisèrent. Poètes, dramaturges, chroniqueurs en perpé­tuèrent la mémoire. Menant une enquête minutieuse, Gine­vra Bompiani reconstitue heure par heure les circonstances qui entourèrent le crime et tente, en indiquant les lacunes et les contradictions de l’accusation, de prouver l’innocence de Sarah qui, mystérieusement, renonça à se défendre. Enquête historique, mais aussi récit poétique d’un destin énigmatique, ce portrait peut apparaître comme une réflexion sur la peine de mort, sur la criminalité, sur la mémoire populaire.

Traduit de l’italien par René de Ceccatty. 2003, 144 pages.

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J u l i e n b o n h o M M e

L e s v o L e u r s d e s e x ea n t h rop olo gi e

d’u n e ru M eu r a f r ica i n e

C’est en mars 2001 au Gabon que Julien Bonhomme entend pour la première fois parler des « voleurs de sexe ». Des individus sont accusés d’avoir fait disparaître les organes génitaux d’inconnus dans la rue, à l’occasion d’une banale poignée de main. Les incidents se multiplient et plusieurs voleurs présumés sont lynchés. Il ne s’agit pas d’un cas isolé : les vols de sexe ont déjà touché à différentes reprises une vingtaine de pays d’Afrique subsaharienne depuis les années 1970.

Comment rendre compte d’un tel phénomène, inédit par son ampleur spatiale et temporelle, sans tomber dans le cliché d’une Afrique perçue sous l’angle de l’altérité exotique ? Critiquant la conception péjorative qui surdéter­mine le regard savant sur les rumeurs, l’auteur de ce livre n’envisage pas le vol de sexe en termes de pathologie ou de superstition, mais s’attache à mettre au jour les facteurs qui expliquent le succès culturel de cette rumeur singulière sur une si vaste échelle. Il articule vue d’ensemble et vue de détail afin de rendre compte tant de la diffusion inter­nationale de la rumeur que des situations d’interaction au sein desquelles surviennent les accusations.

Plutôt qu’une anecdote prêtant à rire, le vol de sexe ne serait­il pas une affaire exemplaire permettant de comprendre l’Afrique urbaine contemporaine, les formes de sociabilité et les modes de communication qu’elle suppose ?

2009, 208 pages.

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y v e S b o n n e f oy

L i e u x e t d e s t i n s d e L’ i m a g e

u n cou rS de p oét iqu e au col l ège de f r a nc e (1981‑1993)

Ce que j’ai voulu et tenté : poser la question de la poésie en témoin de sa propre époque ; analyser pour cela les voies de la création poétique dans de grandes œuvres du passé – reconnues en leur différence grâce aux travaux historiques – mais en obser­vant aussi et d’abord dans l’être qu’on est les circonstances et les démarches – hésitations, aspirations contradictoires, affirma­tions de valeurs là même où l’on veut que les faits prévalent – du travail auquel on se voue ; reconnaître ainsi, au point d’origine de l’intuition poétique, la parenté de l’entreprise des peintres, des musiciens, des poètes, cordes, chacun, d’une unique lyre ; et comprendre, au terme s’il en est un de l’enquête, la nature et le rôle de cette « fonction poétique » dont on voit bien qu’elle procure parfois assez de sens à la vie pour que celle­ci continue, malgré le peu de réponse qu’elle sait qu’elle doit attendre du lieu naturel renoncé dès l’institution du langage.

Un grand projet ! Mais si vaste, autant qu’ambitieux, qu’il en devenait raisonnable. D’évidence, en effet, il ne pouvait s’agir sur un tel chantier que de relevés préliminaires. […]

Il y a des esprits qui misent sur le langage, mais il en est d’autres qui sont sensibles d’emblée aux insuffisances et aux leurres de ce langage qu’ils n’en aiment pas moins pourtant – étant peut­être même de ceux qui l’affectionnent le plus, pré­sence blessée, précaire. Et pour ma part je crois que c’est seule­ment quand on s’attache à lui, et à sa parole, de cette seconde façon, avec soupçon, sentiment de l’exil au sein des mots, et donc nostalgie, élan de tout l’être, exigence, que l’on accède à un sentiment de la finitude qui ouvre – et c’est alors la poésie même – à la mémoire de l’immédiat et à l’expérience de l’unité.

Yves Bonnefoy

1999, 288 pages.

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y v e S b o n n e f oy

L’ i m a g i n a i r e m é t a p h y s i q u e

Le rêve dont s’occupe la pensée freudienne, le rêve qui se forme dans le sommeil, est provoqué par des désirs que l’être conscient ne s’avoue pas […]. Il n’en va pas ainsi dans la sorte d’imagination que je me propose d’étudier.

[…]Ce que j’appellerai l’imaginaire métaphysique est un

ensemble de récits que l’on se fait, de mythes auxquels on tente de donner foi, sur un arrière­plan de figures jugées divines ou dotées sans qu’on en prenne conscience de carac­téristiques qui sont le fait du divin.

[…]L’imaginaire métaphysique a pris souvent l’Occident

dans les griffes de ses chimères, mais ces rêves d’excarna­tion n’ont fait que dévitaliser dans leurs dévots leur capacité de chercher dans le lieu même où ils vivent la vraie vérité, le vrai bien.

[…]Je voudrais bien, quant à moi, comprendre ce qui a lieu

quand j’écris avec le souci du poème. Comprendre, je l’ai toujours désiré, je le désire plus que jamais, et c’est pour­quoi je me suis livré aux diverses enquêtes que l’on trouvera dans ce livre.

Yves Bonnefoy

2006, 166 pages.

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y v e S b o n n e f oy

n o t r e b e s o i n d e r i m b a u d

Ce que je crois qu’en tout cas je puis dire de vrai, à propos de Rimbaud, c’est qu’aucun autre que lui ne m’aura requis en poésie par autant d’intensité, d’immédiateté, de proximité dans sa voix. Voix qui elle­même demande, voix qui affirme et bien sûr se trompe, mais se reprend, vit de se reprendre, portée, secouée par les deux grandes forces qui font que l’on est au monde […] : d’une part l’espérance, qui veut croire possible que l’existence soit un partage et donc que la vie ait un sens, d’autre part la lucidité qui déconstruit les illusions successives en quoi l’espérance s’enlise […].

Espérance et lucidité, c’est le titre que j’aurais pu donner à ce livre […]. Mais j’en ai préféré un autre parce que m’alarme de plus en plus un certain déni que je vois qui se répand aujourd’hui de l’intuition proprement poétique, à cause d’une lucidité mal fondée dont la conséquence est un renoncement désastreux à l’espérance. Et que s’inquiéter ainsi, c’est savoir à quel point Rimbaud, que l’heure présente lit peu, ou mal, est et va rester nécessaire.

Lire un grand poète, ce n’est pas avoir à décider qu’il est grand […], c’est lui demander de nous aider. C’est attendre de sa radicalité qu’elle nous guide, tant soit peu, vers le sérieux dont on est peut­être capable.

[…] Je ressens ces approches de Rimbaud, commencées il y a maintenant cinquante ans ou presque, comme surtout une sorte de journal de mon affection pour ce poète.

Yves Bonnefoy

2009, 528 pages.

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y v e S b o n n e f oy

L’a u t r e L a n g u e à p o r t é e d e v o i x

La neige tombe­t­elle semblablement dans toutes les langues ? Peut­être faudrait­il pour cela que les mots aient de l’une à l’autre de celles­ci les mêmes façons de se rencon­trer, de s’unir ou de s’éviter, de se faire grands tourbillons ou légères virevoltes, minutes d’agitation suivies d’instants où le ciel paraît immobile, après quoi ce sont de brusques lumières. Et comme ce ne peut être le cas, si variés étant les idiomes qui se partagent la terre, il est vraisemblable que nos diverses cultures n’ont jamais tout à fait les mêmes neiges.

Chaque langue a son idée de la neige. Et je me pose cette question : ces perceptions de la neige qui peuvent donc être différentes et sans doute même, en des cas, difficilement compatibles – la neige traversée dans l’Himalaya par un moine tibétain aux pieds presque nus, celle de nos enfants à leurs jeux, bien couverts de grosse laine – s’avoisinent­elles, parfois, ont­elles alors les unes avec les autres la même sorte de rapports qu’ont entre eux – très vifs, on dirait confiants – les flocons que rapproche une ombre de vent dans un ins­tant de lumière ? Penchée chacune au balcon de sa propre langue, se tendent­elles parfois la main ?

Yves Bonnefoy

2013, 352 pages.

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L e s i è c L e d e b a u d e L a i r e

Le xixe siècle a vu se produire un des grands événements de l’histoire de l’esprit : la banalisation de l’incroyance et l’effet que celle­ci a eu sur le travail des poètes. […]

Baudelaire, se pose la question de l’existence de Dieu mais doit se résigner à comprendre qu’il ne croit pas, au moins en des moments qui sont au cœur de son attention. Il en ira de même, de façon plus tranchée mais pas pour autant plus radicale, chez Mallarmé, chez Rimbaud. Ces poètes savent garder leurs yeux sur les choses du proche, objets de vie quotidienne ou aspects de l’être sensible dans la profondeur desquels la perception d’une transcendance est un fait d’évidence simple, néanmoins la croyance en quoi que ce soit de plus que cette réalité qui se donne dans l’immédiat s’éteint en eux ; et ce sont là, dans rien pourtant que quelques poèmes, des événements dont il y a lieu de penser qu’ils vont affecter très en profondeur la société tout entière. […]

Le xixe siècle a été, du point de vue que j’évoque et que je tiens pour fondamental, non pas seulement le siècle de Michelet ou, sur le tard, de Marx ou de Nietzsche et déjà presque de Freud, mais, en France en tout cas, celui de l’auteur des Fleurs du mal.

Dans ce volume, je prends en considération quelques poètes qui assumèrent de diverses façons, directe ou indi­recte, l’héritage de Baudelaire : ainsi Mallarmé, Laforgue, Paul Valéry, Hofmannsthal.

Yves Bonnefoy

2014, 272 pages.

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y v e S b o n n e f oy

L’ h é s i t a t i o n d ’ h a m L e t e t L a d é c i s i o n

d e s h a k e s p e a r e

Nous venons d’entendre à travers toute la fin d’Hamlet un « trop tard » qui semble avoir sens pour toute existence moderne.

Et nous avons donc maintenant à nous demander si ce « trop tard » est bien le constat ultime de l’œuvre, ce foison­nement de significations dont le fond serait seulement cette assertion du non­sens, désespérante. Question inquiète, sur cette plus radicale des réflexions de Shakespeare, et qui fait comprendre, en tout cas, pourquoi Hamlet a si évidemment fasciné, et de plus en plus à mesure que le dehors des phé­nomènes de la matière se fait davantage l’étouffement des espérances naïves. Comment ne pas se regarder dans un miroir que l’on pressent véridique ?

Shakespeare domine notre pensée parce que cette pensée s’alarme. Mais n’apporte­t­il, et même dans Hamlet, que des provisions pour l’effroi ? Dans cette tragédie du vouloir être manqué, est­il vrai que les ambiguïtés de la signification ne se totalisent que sans laisser de place à une espérance de sens ? Je ne le pense pas. Je crois pouvoir constater qu’Hamlet, c’est en fin de compte bien davantage. J’aperçois une dimension de plus, sous­jacente à toutes les autres, dans cette méditation qui avant d’être le texte que nous avons fut une écriture en devenir et le reste.

Yves Bonnefoy

2015, 160 pages.

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p h i l i p p e b o r g e au d

L a m è r e d e s d i e u x

de cy bè l e à la v i erge M a r i e

À l’aube de notre civilisation, on trouve une grande déesse préhistorique, Mère des dieux et des hommes. Psychanalystes, anthropologues et féministes se sont pas­sionnés pour cette figure de mère archaïque, à l’origine des théories d’un matriarcat universel. Mais où se trouve donc, dans la documentation historique, la Mère des dieux ? S’agit­il d’une Déméter sauvage ou de Cybèle entourée de son cortège de prêtres eunuques ? Et la Vierge Marie est­elle l’héritière monothéiste de ces cultes polythéistes qui sont nés au confluent du vieil Orient, de l’Anatolie et de la Grèce archaïque avant de se retrouver à Rome ?

S’appuyant sur une documentation riche et cohérente, qui va du IIe millénaire au ive siècle de l’ère chrétienne, Philippe Borgeaud s’inscrit résolument dans une démarche historique. Montrant l’inanité des théories qui ont, depuis plus d’un siècle, créé une nébuleuse universelle emprison­nant la figure de la déesse archaïque, l’auteur restitue la Mère des dieux à sa pluralité archéologique.

Entre richesse symbolique et rigueur historique, Borgeaud invite à repenser la complexité de la figure maternelle dans les sociétés anciennes aux origines de la chrétienté.

1996, 320 pages.

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p h i l i p p e b o r g e au d

a u x o r i g i n e s d e L ’ h i s t o i r e d e s r e L i g i o n s

La question de l’identité religieuse dans son rapport à la laïcité est plus actuelle que jamais. Ainsi, que signifient ce désir d’introduire le mot « religion » dans le préambule de la future Constitution européenne ou, au contraire, cette réticence à y faire une quelconque allusion ?

La multiplication des sectes, la forte politisation actuelle des religions, le « retour » du religieux, proclamé dans le monde des organisations internationales et des seigneurs de la guerre, invitent à repenser certains concepts. D’où l’impor­tance de saisir l’origine de notre notion de « religion », ce qu’elle recouvre.

À l’heure où l’on veut promouvoir l’histoire des religions dans l’enseignement, Philippe Borgeaud propose un livre fondamental. Entre Athènes, Rome et Jérusalem, rien ne vaut un détour par les territoires lointains, mais fondateurs, où apparaissent les premières formulations de nos évidences. Ce qui s’impose alors – doit­on s’en étonner ? –, c’est le carac­tère pluriel et polémique du mot « religion », un objet qui n’existe pas de toute éternité, que l’on ne cesse de construire et de reconstruire.

La véritable matière de l’histoire des religions, celle qu’il est devenu de plus en plus urgent d’étudier, ce n’est pas la série des grandes ou petites « religions du monde », mais bien les mécanismes, souvent archaïques, et résistants, qui fondent les croyances actuelles.

En prendre conscience tout en s’interrogeant sur les exigences de l’histoire des religions, une discipline non confes­sionnelle, de type historique, anthropologique et comparatiste, n’est pas aujourd’hui un luxe.

2004, 320 pages. « Points Histoire », n° 435, 2010, 400 pages.

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J o r g e l u i S b o r g e S

c o u r s d e L i t t é r a t u r e a n g L a i s e

Je crois que la formule « lecture obligatoire » est un contresens ; la lecture ne doit pas être obligatoire. Parle­t­on de plaisir obligatoire ? À quoi bon ? Le plaisir n’est pas une obligation, c’est une quête. J’ai été professeur de littéra­ture anglaise pendant vingt ans à la faculté de philosophie et de lettres de l’université de Buenos Aires. J’ai toujours donné ce conseil à mes étudiants : si un livre vous ennuie, abandonnez­le ; ne lisez pas un livre parce qu’il est fameux, ou moderne, ou ancien. Si un livre vous semble ennuyeux, laissez­le ; même si ce livre est le Paradis perdu – qui pour moi n’est pas ennuyeux – ou Don Quichotte – qui pour moi ne l’est pas davantage. Mais si un livre vous ennuie, ne le lisez pas ; c’est qu’il n’a pas été écrit pour vous. La lecture doit être une des formes du bonheur : voilà pourquoi je conseillerais aux possibles lecteurs de mon testament – que je n’ai d’ailleurs pas l’intention de rédiger – de lire beaucoup, de ne pas se laisser effrayer par la réputation des auteurs, de rechercher un bonheur personnel, un plaisir personnel. Il n’y a pas d’autre façon de lire.

Jorge Luis Borges

Traduit de l’espagnol et préfacé par Michel Lafon. 2006, 378 pages. Édité par Martín Arias et Martín Hadis.

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e S t e b a n b u c h

T r au e r m a r s c hl’orch e St r e de pa r iS

da nS l’a rge n t i n e de la dic tat u r e

Décembre 1977 : les relations franco­argentines sont en crise à la suite de l’assassinat des deux religieuses françaises proches des mères des disparus. La visite de Daniel Baren­boïm et de l’Orchestre de Paris à Buenos Aires en juillet 1980 pose la question du pouvoir critique des musiciens face à cette dictature féroce.

Au Teatro Colón, la Cinquième Symphonie de Gustav Mahler, qui s’ouvre sur la Trauermarsch – une gigantesque marche funèbre, où Adorno avait entendu « un cri d’effroi devant pire que la mort » –, fut suivie d’une ovation inter­minable en l’honneur des musiciens français et de leur chef israélo­argentin, de retour dans sa ville natale après vingt années d’absence. Mais comment l’interpréter ?

Trente­six ans plus tard, Esteban Buch propose un essai sur les significations politiques de la musique où l’auteur devient acteur de son propre récit :

« J’y associe l’histoire de ma famille errant entre les nazis et les militaires latino­américains, et une réflexion sur le rôle des arts dans le comportement des élites argentines pendant la dictature. Ce parcours entre histoire et mémoire débouche sur une discussion théorique du concept de résistance et ses variantes – dissidence, dissensus, protestation, opposition, négativité, critique –, qui souligne le plus petit dénominateur commun à tous, le mot non. »

Nourri de musicologie, de sciences sociales et de littéra­ture, ce livre retrace une énigme musicale au cœur d’une Argentine devenue le théâtre silencieux d’un des crimes majeurs du xxe siècle.

2016, 288 pages.

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c l au d e b u r g e l i n

L e s m a L n o m m é sdu r aS, l ei r iS, ca l et,

bi v e , per e c, ga ry et qu e lqu e S au t r e S

Claude Burgelin livre une analyse surprenante de la relation que certains auteurs entretiennent avec leur nom propre. Si tant d’écrivains sont à l’aise avec leur patronyme, d’autres, souvent célèbres, se sentent « mal nommés » : ils sont sous l’emprise d’un trouble mal dicible, un tourment, un ressentiment, une inquiétude autour d’un nom devenu question.

Qui se cache sous les noms de Labrunie, Kostrowitsky, Destouches, Grindel, Bobovnikoff, de Crayencour, Donna­dieu, Kacew, Joyaux, Thomas ou Alexis Mital, etc. ? On recon­naît plus aisément : Nerval, Apollinaire, Céline, Éluard, Bove, Yourcenar, Duras, Gary, Sollers, Houellebecq ou Camille de Toledo… La renaissance « par le nom » peut coïncider avec l’instant premier de la création littéraire au risque d’une affirmation de soi comme « pseudo » – ce qui n’est parfois pas sans danger.

Par l’invention d’un pseudonyme, acte d’une création de soi comme auteur, c’est aussi le nom du père qui se trouve mis à distance.

Analysant la relation entre le nom propre de l’écrivain et ses écrits, Claude Burgelin formule une hypothèse rare­ment explorée : la relation complexe au père, aux aïeux, aux « siens », l’angoisse qui peut en résulter, ont été pour certains auteurs un des ressorts secrets de leur œuvre.

2012, 368 pages.

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pau l c e l a n g i S è l e c e l a n ‑ l e S t r a n g e

c o r r e s p o n d a n c eédi t é e et coM M e n t é e pa r bert r a n d ba diou

av e c l e concou rS d’ér ic c e la n

janvier 1952Vois­tu, j’ai l’impression, en venant vers toi, de quitter

un monde, d’entendre les portes claquer derrière moi, des portes et des portes, car elles sont nombreuses, les portes de ce monde fait de malentendus, de fausses clartés, de bafouages. Peut­être me reste­t­il d’autres portes encore, peut­être n’ai­je pas encore retraversé toute l’étendue sur laquelle s’étale ce réseau de signes qui fourvoient – mais je viens, m’entends­tu, j’approche, le rythme – je le sens – s’accélère, les feux trompeurs s’éteignent l’un après l’autre, les bouches menteuses se referment sur leur bave – plus de mots, plus de bruits, plus rien qui accompagne mon pas –

Je serai là, auprès de toi, dans un instant, dans une seconde qui inaugurera le temps

Paul

janvier 1970

Ne quitte pas notre niveau (solitaire) : il te nourrira. Je n’ai aimé aucune femme comme je t’ai aimée, comme je t’aime.

C’est l’amour – chose surcontestée – qui me dicte ces lignes.

Paul

2001, t. I, « Lettres », 719 pages ; t. II, « Commentaires et illustrations », 793 pages augmenté d’un hors-texte de 96 pages. Les deux volumes sous coffret.

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pau l c e l a n

L e m é r i d i e n &

a u t r e s p r o s e s

« … simplement il lui était parfois désagréable de ne pou­voir marcher sur la tête. »

Celui qui marche sur la tête, Mesdames et Messieurs, – celui qui marche sur la tête, il a le ciel en abîme sous lui.

Mesdames et Messieurs, il est aujourd’hui passé dans les usages de reprocher à la poésie son « obscurité ».

– Permettez­moi, sans transition – mais quelque chose ne vient­il pas brusquement de s’ouvrir ici ? –, permettez­moi de citer un mot de Pascal que j’ai lu il y a quelque temps chez Léon Chestov : « Ne nous reprochez pas le manque de clarté puisque nous en faisons profession ! »

– Sinon congénitale, au moins conjointe­adjointe à la poésie en faveur d’une rencontre à venir depuis un lieu lointain ou étranger – projeté par moi­même peut­être –, telle est cette obscurité.

Paul Celan

Édition bilingue. Traduit de l’allemand et annoté par Jean Launay. 2002, 127 pages.

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pau l c e l a n

r e n v e r s e d u s o u F F L e

C’est après la publication de La Rose de personne, Die Nie-mandsrose, en 1963, que Paul Celan écrit les poèmes de ce volume. Cette période coïncide avec une phase particulière­ment difficile de sa vie, après une première hospitalisation dans un établissement psychiatrique.

En avril 1967, quelques mois avant la parution de Renverse du souffle, Atemwende, Celan écrit à son fils :

« Tu sais, je pense qu’un nouveau recueil de poèmes doit paraître en septembre aux Éditions Suhrkamp (mon nouvel éditeur à Francfort), c’est une date importante dans ma vie, car ce livre, à plusieurs égards, dont, avant tout, celui de sa langue, marque un tournant (dont les lecteurs ne pourront pas ne pas se rendre compte). »

Atemwende paraît pour la première fois en français.

Édition bilingue. Traduit de l’allemand et annoté par Jean-Pierre Lefebvre. 2003, 192 pages. « Points Poésie », n° 1572, 2006, 288 pages.

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pau l c e l a n i l a n a S h M u e l i

c o r r e s p o n d a n c e

Paul Celan et Ilana Shmueli se sont connus dès l’enfance à Czernowitz, en Roumanie. Mais c’est quarante ans après leur première rencontre, à l’occasion de l’unique voyage de l’écrivain en Israël, en septembre 1969, qu’ils nouent ensemble une relation amoureuse, qui se prolonge en une intense correspondance entre Paris et Tel­Aviv. Israël en est le cœur.

Dans ses lettres, Celan exprime son agitation intérieure, sa hantise du mutisme, son impossibilité de continuer à vivre à Paris, mais aussi de partir pour Israël, vers un recommence­ment. De façon sismographique, il dit la souffrance psychique qui l’amènera à mettre fin à ses jours en avril 1970.

Ce livre testamentaire, qui contient l’ultime lettre per­sonnelle connue de Paul Celan et un grand nombre de ses derniers poèmes, est aussi le journal de combat d’une femme qui veut, avec acharnement, redonner le sentiment de la durée à celui qu’elle aime, depuis toujours, pour l’arracher au cours de ce qui l’entraîne.

Préface d’Ilana Shmueli. Édition établie par Ilana Shmueli et Thomas Sparr. Traduction de l’allemand, révision et adaptation des notes de Bertrand Badiou. 2006, 255 pages.

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pau l c e l a n

pa r t i e d e n e i g e

On a pu dire de Schneepart que ce sont les « poèmes de 1968 », en donnant à ce moment sa signification historique liée aux révoltes étudiantes, aux mouvements sociaux et au Printemps de Prague.

Au plus près de son époque et de lui­même, Paul Celan y réinvente sa diction.

En janvier 1970, dans une lettre à Ilana Shmueli, Celan évoque, avec une fierté lucide, ces poèmes, qui ne seront publiés qu’après sa mort : « [Ce volume] est sans doute ce que j’ai écrit de plus fort et de plus audacieux. »

Édition bilingue. Traduit de l’allemand et annoté par Jean-Pierre Lefebvre. 2007, 176 pages. « Points Poésie », n° 2989, 2013, 288 pages.

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pau l c e l a n e t i n g e b o r g b ac h M a n n

L e t e m p s d u c œ u rcor r e Sp on da nc e

Les deux êtres qui se rencontrent dans la Vienne de 1948 encore occupée par les troupes alliées sont issus de cultures et d’horizons différents, voire opposés : Ingeborg Bachmann est la fille d’un instituteur, protestant, ayant adhéré au parti nazi autrichien avant même l’accession de Hitler à la chan­cellerie du Reich (1932) ; Paul Celan, né dans une famille juive de langue allemande de Czernowitz, au nord de la Roumanie, a perdu ses deux parents dans un camp alle­mand et a connu l’internement en camp de travail roumain pendant deux ans.

Cette différence tout comme la tension pour la dépasser, le désir et la volonté de renouer sans cesse le dialogue par­delà les malentendus et les conflits déterminent leur relation et la correspondance qu’ils échangent du premier jour, en mai 1948, où Paul Celan fait cadeau d’un poème à Ingeborg Bachmann jusqu’à la dernière lettre adressée en 1967.

L’écriture est au centre de la vie de chacun des correspon­dants, dont les noms apparaissent dans les comptes rendus critiques, dès le début des années 1950, souvent au sein d’une même phrase, comme étant ceux des représentants les plus importants de la poésie lyrique allemande de l’après­guerre.

Mais écrire n’est pas chose simple, ni pour l’un ni pour l’autre – et écrire des lettres n’est pas moins difficile. L’imperfection du dire, la lutte avec les mots, la révolte contre le mutisme occupent une place centrale dans cet échange épistolaire.

Traduit de l’allemand par Bertrand Badiou. 2011, 464 pages.

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M i c h e l c h o d k i e w i c z

u n o c é a n s a n s r i va g e

i bn a r a bî , l e li v r e et la loi

Immense, difficile, controversée, l’œuvre d’Ibn Arabî (1165­1240) n’en a pas moins marqué de son empreinte huit siècles de vie spirituelle en Islam, du Maghreb à l’Extrême­Orient. Son auteur l’affirme tout entière puisée dans le Coran, l’« océan sans rivage ». C’est ce que Michel Chodkiewicz a entrepris de vérifier dans cette étude qui analyse de nombreux textes, parmi lesquels cette somme prodigieuse que consti­tuent les Futûhât Makkiyya, les « Illuminations de La Mecque ».

Cet ouvrage met en évidence les principes herméneutiques qui gouvernent Ibn Arabî dans l’interprétation du Livre : loin d’être allégorique, l’exégèse la plus profonde et la plus neuve naît toujours chez lui de la plus scrupuleuse attention à la lettre. Il montre aussi qu’en tous ses écrits le Coran est visiblement ou invisiblement présent à la fois dans la texture de l’enseignement qu’ils enferment et dans la structure qui en ordonne l’exposé, révélant ainsi la cohérence d’une subtile architecture dont la logique échoue à rendre compte.

Ce livre fait apparaître enfin que, pour Ibn Arabî, le voyage initiatique est un voyage dans la Parole divine elle­même. Mais la Révélation n’est pas seulement message, anamnèse de vérités perdues : elle est Loi, rappel aux créatures du statut de leurs « exemplaires éternels ». Et c’est sous la conduite de la Loi, dans la plus rigoureuse observance de ses pres­criptions, que doit s’accomplir, à travers les « demeures du Coran », cette ascension au terme de laquelle la sainteté atteint sa plénitude.

1992, 224 pages.

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a n t o i n e c o M pag n o n

c h a t e n p o c h e

Mon ta ign e et l’a l l ég or i e

On n’a pas fini de déchiffrer des sens cachés dans les Essais de Montaigne. L’allégorie suppose qu’un autre sens se terre sous la lettre. Le texte ne veut pas dire ce qu’il dit : il veut dire ce qu’il ne dit pas. Dès qu’on entre dans le champ du non­dit, de l’esprit, de la figure, s’ouvrent toutes grandes les écluses de l’interprétation. Et une allégorie peut toujours en cacher une autre.

En 1992, on a célébré le quatrième centenaire de la mort de Montaigne en acclamant sa vision de l’Autre : à eux seuls, les Essais nous rachètent de cinq siècles de colonialisme.

L’anachronisme triomphe lors des commémorations : en 1892, la Troisième République, ne sachant que faire de l’auteur des Essais, l’opposait à La Boétie et l’accouplait à Renan.

La tradition de l’allégorie semble pourtant se dissoudre dans les Essais. Mais peut­elle disparaître pour de bon ? C’est dans la seule page où Montaigne fait allusion à l’allégorie biblique que Pascal trouve l’ébauche de la gradation, cette dialectique des contraires qui légitime l’ordre politique et social.

La pensée politique de Pascal est aussi scandaleuse que celle de La Boétie. C’est la place de Montaigne, entre La Boétie et Pascal, qu’on ne cesse d’interpréter. La tentation de l’allégorie n’est­elle pas aussi grande que l’amour de la littérature ?

1993, 160 pages.

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h u b e r t da M i S c h

u n s o u v e n i r d ’ e n F a n c e pa r

p i e r o d e L L a F r a n c e s c a

À mi­chemin entre l’hommage et la satire, à la fois proche et lointain de « l’homme Léonard » de Freud, Hubert Damisch oublie « l’homme Piero » pour analyser une œuvre d’art construite comme un souvenir d’enfance qui met en scène la plus vieille question de l’humanité : D’où venons­nous ? Et, d’abord, d’où viennent les enfants ?

De la légende d’Œdipe au mystère chrétien de l’Incar­nation, d’innombrables mythes racontent l’énigme de la conception et de la naissance comme un récit des origines de la mémoire humaine.

Pour dire Un Souvenir d’enfance par (et non de) Piero della Francesca, Hubert Damisch envisage une fresque au motif singulier : la Vierge, vêtue d’une longue robe bleue débou­tonnée sur le devant et les côtés, a la main gauche posée sur la hanche ; des doigts de la main droite, elle effleure la longue fente qui s’ouvre sur un ventre bombé.

Ce geste sans exemple est celui de la Madonna del parto de Monterchi, non loin de Borgo San Sepolcro où Piero naît en 1406. L’auteur nous invite à le suivre dans le silence de cette chapelle toscane.

À la compréhension historique de la « Vierge de l’enfan­tement » dans l’œuvre d’un Piero à la fois peintre et mathé­maticien, alliant l’intuition au concept, Hubert Damisch joint une dimension anthropologique. Par­delà la fiction sacrée du mystère chrétien, l’image de cette Vierge entrevue n’a rien perdu de ses pouvoirs : elle renoue avec la mémoire archaïque de la « toujours jeune humanité ».

1997, 192 pages.

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h u b e r t da M i S c h

c i n é F i L

C’est en 1946, dans un film d’Orson Welles, qu’appa­raissent pour la première fois dans le cinéma commercial des images de la barbarie concentrationnaire nazie.

Il faudra attendre Shoah de Claude Lanzmann, en 1985, pour que se fasse jour une nouvelle façon d’user de la caméra comme de l’instrument même de la prise de parole.

À travers une suite d’essais comparatifs dont le champ va s’étendant aux autres arts, à commencer par la peinture, Hubert Damisch s’emploie à montrer comment le cinéma ne sera enfin devenu parlant qu’en passant par ce qui prend ici le nom de « montage du désastre ».

Mais comment parler de montage, comment parler d’« images », là où l’excès, le débord du réel sur toute visée représentative ou documentaire est à ce point abyssal ?

2008, 192 pages.

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h u b e r t da M i S c h

L e m e s s a g e r d e s î L e s

Nous sommes dans les années 1960. Les sciences humaines bouillonnent. Paul Flamand, cofondateur des éditions du Seuil, incite Hubert Damisch à écrire sa Théorie du nuage publiée en 1972.

1972­2012 : c’était donc il y a quarante ans, Hubert Damisch ouvre un commerce inédit dans le champ des sciences humaines. Il y introduit un nouveau type d’objet théorique, la « Théorie du nuage ». Devenu depuis un clas­sique, ce livre connaît aujourd’hui une nouvelle réception avec le Cloud Computing – l’informatique en nuage.

C’est le moment que choisit Damisch pour réitérer l’opé­ration sous une autre forme. Quel lien peut­il y avoir entre le « marchand de nuages », cher au Baudelaire du Spleen de Paris, et ce Messager des îles ?

2012, 288 pages.

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h u b e r t da M i S c h

L a r u s e d u t a b L e a u

la pei n t u r e ou c e qu’i l e n r e St e

La forme « tableau » correspondrait à un moment déter­miné dans l’histoire de la peinture et de l’art en général. Un moment chronologique : l’apparition du tableau dit de chevalet est assez précisément datée, ainsi que le serait l’annonce de sa fin. Un moment historique : le tableau semble être venu à son heure, laquelle a coïncidé avec le développement du commerce au long cours, l’accumulation du capital et la domination de la marchandise sous son espèce indépendante et fétichisée.

[…] Telle est la ruse du tableau qu’aujourd’hui encore, toute proposition picturale de quelque conséquence puisse être comme traversée par lui. Le tableau n’en a pas fini de fonctionner tout ensemble comme modèle et comme norme idéale, alors même que la notion en aurait été, non pas tant récusée, que radicalement déplacée.

[…] Le tableau, chose du passé ? Mais quel tableau, ou le tableau en quel sens du mot ? Le tableau en tant qu’objet ? Le tableau en tant qu’activité, et qui en appellerait à ce titre à une conception élargie du travail de peinture ? Le tableau en tant que fonction, comme l’a voulu Lacan, et qui pourrait s’exercer hors contexte, sinon hors­cadre ? Le tableau en tant que forme, sur laquelle la pensée puisse tabler, au moins par métaphore, dans sa propre activité, ses propres opérations, son propre travail, et jusqu’à en venir à jouer elle­même sur plusieurs tableaux ?

La question qui est celle du tableau en appelle ainsi à quelques détours, sinon à quelques déplacements auxquels est exposé tout un chacun qui s’intéresse à l’art.

Hubert Damisch

2016, 256 pages.

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l u c da r d e n n e

a u d o s d e n o s i m a g e s i 19 9 1 ‑ 2 0 0 5

su iv i d e « l e f i l S » et « l’e n fa n t »

pa r J e a n‑pi er r e et luc da r de n n e

Si j’écris ces notes à la première personne du singulier, je sais qu’elles sont écrites à la première personne du pluriel.

Mon frère. Je ne pourrais pas faire ce film sans lui et il ne pourrait pas le faire sans moi. Ses questions sont les miennes. Souvent ce sont elles qui me poussent à écrire ces notes comme le transcripteur d’une réflexion, d’une pensée partagée. C’est la même chose pour le scénario. Je tiens la plume mais elle écrit à deux mains. […]

Que nos images ne soient pas un destin. Qu’elles arrachent les volets de la chambre mortuaire où nous étouf­fons. Qu’elles ne tombent pas dans la caricature qui enferme les personnages. […]

Habiter un petit pays comme le nôtre. Ne pas fréquenter le milieu du cinéma. L’isolement nécessaire. […]

Revenir aux corps, aux accessoires, aux lieux, aux murs, aux portes, au fleuve. Partir du concret, pas des idées, ou alors attendre que l’idée soit oubliée et qu’éventuellement elle revienne comme quelque chose de concret qui en est la trace. Les moments essentiels pour l’écriture de nos scénarios sont ceux passés à oublier les idées. […]

Luc Dardenne

2005, 326 pages. « Points Essais », n° 601, 2008, 432 pages.

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l u c da r d e n n e

s u r L’a F F a i r e h u m a i n e

Comment sortir de la peur de mourir sans tuer ? Voilà l’affaire humaine ! […]

Dieu mort, nous ne pouvons plus mourir de la même façon. Son amour, sa consolation, sa protection, son éternité ne nous soutiennent plus, ne nous sauvent plus. […]

Comment énoncer la mort de Dieu sans s’entendre mur­murer qu’il est encore en vie ?

Comment vivre cette solitude mortelle dans la chambre close de l’univers sans se ménager une porte dérobée ? Comment vivre cette solitude humaine sans Dieu, l’accepter vraiment, y reconnaître enfin notre condition sans faire appel à de nouveaux « dieux », de nouveaux doubles, de nouvelles étreintes d’éternité ? […] N’y a­t­il pas une joie humaine, si humaine, à être à plusieurs, à se rencontrer, à échanger, à être en relation, à converser ? N’est­ce pas cette joie qui me fait oublier ma mort et me dit que la vie vaut la peine d’être vécue ? Oui, c’est ce que je sens, je pense mais soudain ce sentiment, cette pensée s’effondrent.

Que répondre à la question de Franz Kafka, à la modeste question, si humaine question qu’il nota dans son journal le 19 octobre 1917 : « Est­il possible de penser quelque chose d’inconsolable ? Ou plutôt quelque chose d’inconsolable sans l’ombre d’une consolation ? »

Je ne veux pas ressusciter un Dieu mort ni le ressusciter en un « Dieu absent » mais descendre en moi­même pour entendre la modeste question de Kafka.

Luc Dardenne

2012, 208 pages.

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l u c da r d e n n e

a u d o s d e n o s i m a g e s i i 2 0 0 5 ‑ 2 0 14

su iv i d e « le gaMin au vélo » et « deux JourS, une nuit »

pa r J e a n‑pi er r e et luc da r de n n e

Quand mon frère et moi nous disons que pour faire un film à deux il faut que nous désirions faire le même film, il me semble que cela veut dire que tous les deux nous atteignons cet état où nous sommes hantés par les mêmes images lointaines qui s’éveillent en nous […] dont nous ne parlons pas mais qui surgissent de notre enfance partagée. Ce ne sont pas des images mais plutôt des phantasmes, des bribes de scénario enfouis qui reviennent et nous attirent.

Qu’est­ce qu’un père, une mère, un fils, une fille ? Qu’est­ce qu’un individu qui ne serait ni père, ni mère, ni fils, ni fille ? Est­ce pensable ? Après le nazisme et le commu­nisme réel qui voulurent remplacer le lien généalogique par la soumission au Maître ou au Parti et avec le consumérisme contemporain qui starifie l’individu sans lien, c’est une ques­tion qui n’est pas insignifiante.

« Indignez­vous ! » dit­il, « Indignez­vous ! » Le problème est que l’indignation est loin d’être libre de préjugés. Seule, elle est aveugle, prête à s’accoupler à n’importe quelle colère.

Comme les événements télévisuels, beaucoup de films sont mis en scène pour être filmés.

Le film Shoah de Claude Lanzmann empêchera peut­être que les humains des siècles à venir ne confondent Auschwitz avec Pompéi.

Londres pour une rétrospective de nos films. Un critique nous a dit : « En tant que spectateur de vos films, j’ai toujours le sentiment d’avoir raté quelque chose, d’être arrivé trop tard dans la salle. » Nous l’avons remercié pour ce compliment.

Luc Dardenne2015, 400 pages.

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M i c h e l d e g u y

à c e q u i n ’ e n F i n i t pa s

t h r è n e

Le thrène est un chant funèbre accompagné de danses.

Te survivre ne va pas de soi.Je ne crois à aucune survie hors celle qui est la mienne

pour aujourd’hui et qui reprend la peine au réveil.Je ne crois à aucun commerce avec les morts hormis celui

que j’entretiens avec ton empreinte en moi.Je ne crois à aucune vie éternelle, nous ne nous retrouve­

rons jamais nulle part, et c’est précisément ce défoncement du futur qu’aucun travail de deuil ne remblaiera en quoi consiste la tristesse, cette tristesse qui disparaîtra à son tour avec « moi ».

Il y a un mois mourait ma femme. Je ne peux dire tu mourais, d’un tu affolant, sans destinataire ; et je dis bien « mourait », non pas dépérissait ou lisait ou voyageait ou dormait ou riait, mais « mourait », comme si c’était un verbe, comme s’il y avait un sujet à ce verbe parmi d’autres.

Le livre sera non paginé – parce que chaque page, ou presque, pourrait être la première, ou la nième. Tout recom­mence à chaque page ; tout finit à chaque page.

Michel Deguy

1995, 224 pages. Nouvelle édition revue et augmentée, 2017, 240 pages.

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da n i e l e d e l g i u d i c e

q u a n d L’ o m b r e s e d é t a c h e d u s o L

Quand l’ombre se détache du sol raconte comment il se peut qu’un jour on doive apprendre à voler tout seul, à se perdre comme on se perd dans la vie ou dans un mauvais rêve.

Un vieux monsieur dans un aéroport désert, quelques fantômes de pilotes disparus, Bruno, le maître de l’art du vol, et le jeune homme anxieux qui recule le moment de décoller, tous les personnages brûlent d’une passion qui les porte au point ultime où l’existence joue avec la mort : le brouillard, la moindre erreur d’appréciation météorologique peuvent être fatales.

Dans ce roman, les personnages se trouvent dans une position extrême, contraints à chaque instant de faire le point sur eux­mêmes. Chaque chapitre est un décollage pour une aventure inconnue. Le narrateur poursuit la trace d’un maître qui sait détacher l’ombre du sol, d’un pilote qui, entre vertige et équilibre, connaît l’art du gouvernail.

Dans une langue d’une grande intensité, Daniele Del Giudice nous offre un conte pour adultes où se dévoile un univers d’images et de sensations.

Entre ciel et terre, le mode d’emploi de l’aviateur est également un manuel de l’âme en quête d’un équilibre qui toujours échappe. Car si le disciple a tout à apprendre, le maître n’a jamais vraiment quelque chose à enseigner.

Dans les manœuvres de vol comme dans les conduites de l’existence, la maîtrise peut aussi être une affaire de laisser­aller. Écrit avec autant de rigueur que de fantaisie, ce roman initie son lecteur à une météorologie personnelle.

Traduit de l’italien par Jean-Paul Manganaro. 1996, 160 pages.

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da n i e l e d e l g i u d i c e

L’ o r e i L L e a b s o L u e

Les personnages de ce livre sont animés par une néces­sité inquiétante : leur monde imaginaire bascule dans l’action, brouillant toute frontière entre le fantasme et la réalité pratique.

C’est ainsi qu’un morceau de musique perdu dans l’éther constitue le mobile d’un homicide sans assassin ; violer la mort devient admissible grâce à la persuasion, à la séduction du discours ; dans une nouvelle lancée sur le Réseau, le récit précis et cruel de la lutte corps à corps de deux femmes fran­chit la fiction en devenant expérimentation directe du Mal ; une nuit napolitaine encanaillée s’enfonce dans la géométrie sans issue d’une machine de sépulture du xviiie siècle ; une ancienne forteresse, presque un objet magique, convoque des corps en bataille et une vraie victime à l’époque de la pure virtualité ; enfin, le passage d’une comète transforme l’observation en amour érotique.

Chacun des personnages de ces six histoires est obsédé par une manie qui le dépasse. La richesse des langages s’uni­fie dans le sentiment et dans la sensation physique, dans l’omniprésence du corps, selon le parcours annoncé par l’un des héros : « J’aimerais vous conduire jusqu’au point où l’on cesse de comprendre, où l’on cesse d’imaginer ; je voudrais vous conduire là où l’on commence à sentir. »

Dans les récits de Del Giudice, l’écriture gouverne une his­toire où les premiers à être impliqués – à garder leur souffle suspendu – sont le narrateur et le lecteur, pions du suspens, héros du désir et du pari avec la mort. C’est justement de ce pari, de l’ironie qu’il requiert, que naît l’aventure.

Traduit de l’italien par Jean-Paul Manganaro. 1998, 176 pages.

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da n i e l e d e l g i u d i c e

d a n s L e m u s é e d e r e i m s

« Il y a des gens qui se tiennent tout entiers au bord de leurs yeux. Ils surgissent de là. Cela ne dépend pas de leurs qualités intérieures, peut­être d’autres, plus riches intérieu­rement, ont un regard qui n’arrive pas jusqu’à la pupille, il s’arrête avant, on ne sait où, que sais­je, au diaphragme, à la poitrine, ou quelque part dans leur tête. Je ne sais pas comment vous voyez, mais votre regard se voit tellement. Vous êtes totalement là, au bord de vos yeux. »

Traduit de l’italien par Jean-Paul Manganaro. 2003, 96 pages.

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da n i e l e d e l g i u d i c e

h o r i z o n m o b i L e

Un homme voyage vers « le Sud le plus profond et radi­cal », l’Antarctique, de Santiago du Chili à Punta Arenas, jusqu’à « une autre planète, un corps céleste habité par des millions de pingouins, impeccables et gauches martiens ». Il explore ce paysage hypnotique et indifférent, ce Sud gelé qui conserve dans ses neiges éternelles et ses glaciers les histoires de ceux qui l’ont habité, de ceux qui ont tenté de le rejoindre : hommes aventureux au destin souvent tragique qui ont connu le désespoir, la peur, l’emprisonnement dans les glaces, et parfois la folie.

Daniele Del Giudice nous raconte ce voyage dans la nuit polaire de l’homme et du monde.

Par un travail de marqueterie, à la limite entre la vie et la littérature, l’auteur reconstitue une « hyper­expédition » qui relie entre eux des épisodes de voyages historiquement réalisés, en refaisant leurs parcours sur les sentiers du monde et sur ceux de l’écriture.

Traduit de l’italien par Jean-Paul Manganaro. 2010, 240 pages.

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da n i e l e d e l g i u d i c e

m a r c h a n d s d e t e m p s

« Rabat, Maroc, deuxième semaine d’automneHier j’ai assisté, pour la première fois, à une transaction

commerciale concernant le temps. Ou plutôt, j’ai perçu, je crois, un échange de ce genre dans une petite boutique, une échoppe sur le versant occidental de la Médina où l’on arrive par la rue des Consuls ; je fais allusion par là à ma sensation personnelle d’avoir assisté à un événement simple, celui d’un homme qui vendait du temps à un autre homme. »

Le narrateur reste hanté par cette scène, et, de Rabat à Stavanger, en Norvège, il part à la recherche d’une explica­tion. Y a­t­il réellement un commerce du temps et quelles sont les personnes qui le pratiquent ?

Traduit de l’italien par Jean-Paul Manganaro. 2012, 80 pages.

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da n i e l e d e l g i u d i c e

L e s t a d e d e w i m b L e d o n

Un jeune homme fait une enquête sur un intellectuel mort une quinzaine d’années plus tôt et qui a la particu­larité de n’avoir rien publié de son vivant. Cette figure de l’intégrité, de l’exigence littéraire, est un personnage qui a existé : Roberto Bazlen, dont les écrits retrouvés ont paru à titre posthume. Mais il s’agit d’un prétexte car du véritable Roberto Bazlen peu de chose sera dit, bien que le narra­teur interroge minutieusement toutes les personnes qui l’ont connu. Parmi elles, deux femmes qui vont revivre une amitié demeurée intense dans leur souvenir. De Trieste, l’enquêteur est conduit par sa recherche à Londres, à Wimbledon dont le stade vide va jouer le rôle de révélateur.

Ce roman symbolique, singulier, plein de charme et d’intelligence, a immédiatement frappé des écrivains comme Alberto Moravia, Ferdinando Camon et Italo Calvino.

Au fil des ans, ce roman de Daniele Del Giudice publié en 1983 est devenu un livre culte.

Le Stade de Wimbledon a été porté à l’écran en 2002 par Mathieu Amalric avec Jeanne Balibar dans le rôle principal.

Traduit de l’italien par René de Ceccatty. Nouvelle édition. 2018, 224 pages.

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M i r e i l l e d e l M a S ‑ M a r t y

p o u r u n d r o i t c o m m u n

À la fois théorique et pratique, le livre de Mireille Delmas­Marty propose une recomposition des paysages juridiques nationaux et internationaux. L’auteure plaide pour un droit commun, dans tous les sens du terme : accessible à tous au lieu d’être réservé aux seuls interprètes officiels, commun également aux différents secteurs du droit malgré la spécia­lisation croissante ; commun enfin à divers États, qui n’aban­donneraient pas pour autant leur identité.

Sans renoncer aux acquis de la pensée juridique tradi­tionnelle, Mireille Delmas­Marty montre que la rigueur du raisonnement peut aussi s’appliquer à des objets instables ou imprécis. Partant des droits de l’homme, l’auteure propose de fonder un « droit des droits » dont l’objectif serait de rapprocher, et non d’unifier, les différents systèmes.

Un ouvrage pionnier qui ouvre la voie vers un droit plu­raliste devenu « l’affaire de tous ».

1994, 320 pages.

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J e a n ‑ pau l d e M o u l e

m a i s o ù s o n t pa s s é s L e s i n d o ‑ e u r o p é e n s ?l e M y t h e d’or igi n e de l’o cci de n t

Mais où sont passés les Indo­Européens ? On les a vus passer par ici, depuis les steppes de Russie, ou par là, depuis celles de Turquie. Certains les ont même vus venir du Grand Nord. Mais qui sont les Indo­Européens ? Nos ancêtres, en principe, à nous les Européens, un petit peuple conquérant qui, il y a des millénaires, aurait pris le contrôle de l’Europe et d’une par­tie de l’Asie jusqu’à l’Iran et l’Inde, partout où, aujourd’hui, on parle des langues indo­européennes (langues romanes comme le français, slaves comme le russe, germaniques comme l’allemand, et aussi indiennes, iraniennes, celtiques, baltes, sans compter l’arménien, l’albanais ou le grec). Et depuis que les Européens ont pris possession d’une grande partie du globe, c’est presque partout que l’on parle des langues indo­européennes – sauf là où règne l’arabe ou le chinois.

Mais les Indo­Européens ont­ils vraiment existé ? Est­ce une vérité scientifique, ou au contraire un mythe d’origine, celui des Européens, qui les dispenserait de devoir emprun­ter le leur aux Juifs, la Bible ?

Jean­Paul Demoule prétend dans ce livre iconoclaste s’attaquer à la racine du mythe, à sa construction obligée, à ses détournements aussi, comme la sinistre idéologie aryenne du nazisme, qui vit encore. Il montre que l’archéologie la plus moderne ne valide aucune des hypothèses proposées sur les routes de ces invasions présumées, pas plus que les données les plus récentes de la linguistique, de la biologie ou de la mythologie. Pour expliquer les ressemblances entre ces langues, d’autres modèles restent à construire, bien plus complexes, mais infiniment plus intéressants.

2014, 704 pages. « Points Histoire », n° 525, 2017, 848 pages.

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M a r c e l d e t i e n n e

c o m pa r e r L ’ i n c o m pa r a b L e

Au Chaland !Entre Historiens et Anthropologues, depuis plus d’un

siècle, le champ du comparatisme s’étend à perte de vue. Il est en friche. Pourquoi ? Parce que la science historique est née avec et pour la Nation, parce que les Historiens d’Europe naissent encore aujourd’hui nationaux, alors que l’Anthropologie s’est voulue d’emblée comparative, qu’elle n’a jamais imposé de frontière entre les sociétés d’autrefois et les cultures d’ailleurs.

Un pamphlet ? Oui, et théorique. Pour dénoncer les mensonges et les dangers mortels de l’Incommensurable, de l’Incomparable des Nationaux de tout poil. Pour montrer ensuite comment construire des comparables : qu’il s’agisse de voir comment des pratiques d’assemblée entre l’Éthiopie, les cités grecques et les Cosaques du xve siècle dessinent un lieu du politique et esquissent des formes de démocratie distinctes ; ou bien quelle est l’alchimie de tant de purifica­tions ethniques en regard de l’idéologie athénienne d’une pure autochtonie, de la représentation fantasmatique d’un Français, dit de souche, et des parcours de civilités autres qui ont choisi de séparer la terre et les morts sans avoir lu Barrès ni connu la fureur des bons Aryens.

Comparatisme constructif, avez­vous dit ? Sans l’ombre d’une hésitation, et délibérément postdéconstructionniste.

Marcel Detienne

2000, 144 pages. « Points Essais », n° 627, 2009, 208 pages (nouvelle édition complétée de trois chapitres inédits).

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M a r c e l d e t i e n n e

c o m m e n t ê t r e a u t o c h t o n e

du pu r at h é n i e n au f r a nça iS r aci n é

Pour faire une Nation, il faut des cimetières et un ensei­gnement d’histoire. En inventant le slogan « La Terre et les Morts », en 1899, Maurice Barrès pensait aux historiens. Le Français raciné d’hier n’a pas à envier le Français de souche d’aujourd’hui.

D’étranges « mythidéologies » surgissent, disparaissent et ne cessent de réapparaître : être de sang clair et épuré pour la noblesse française du xviie siècle ; naître impur à Thèbes, dans le pays de Cadmos et d’Œdipe.

La Terre et les Morts, le Sol et le Sang. Comment peut­on écrire une histoire nationale ? Voilà une des questions que fait se lever une approche comparative entre sociétés d’hier et d’autres très contemporaines.

Marcel Detienne

2003, 192 pages.

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d o n at e l l a d i c e S a r e

h e i d e g g e r , L e s J u i F s , L a s h o a h

l e S c a hie r s noi r s

Au­delà du cercle des philosophes, c’est le monde de la culture qui a été ébranlé depuis la publication des Cahiers noirs de Martin Heidegger. Le cas de ce philosophe s’est transformé en affaire médiatique.

« Pour qualifier l’antisémitisme de Heidegger j’ai choisi l’adjectif “métaphysique” qui ne l’atténue en rien. Il en indique au contraire la profondeur. Il s’agit d’un anti­sémitisme plus abstrait et, pour cette raison, plus dangereux encore. Mais “métaphysique” renvoie aussi à la tradition de la philosophie occidentale. Dans son “antisémitisme méta­physique”, Heidegger n’est pas isolé : il s’inscrit dans le sillage des philosophes allemands, notamment de Kant à Hegel et à Nietzsche.

Qui donc aujourd’hui se charge de penser philosophiquement “ce qui est advenu”, c’est­à­dire non seulement le Troisième Reich, non seulement Auschwitz, mais la “question juive” dans la philosophie occidentale ? Ces questions sont refoulées car considérées tacitement comme non philosophiques.

L’hostilité de nombreux philosophes envers les Juifs est passée le plus souvent sous silence. Il s’agit d’un chapitre obs­cur et inquiétant de la philosophie. Même si la pensée n’est pas l’action, la légitimation apportée par les philosophes, par­fois malgré eux, à la solution finale de la “question juive”, est désormais soulevée. Il s’agit de briser le tabou affirmant que la raison philosophique n’a pas pu concevoir de la barbarie. »

Donatella Di Cesare

Traduit de l’italien par Guy Deniau. 2016, 400 pages.

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M i l a d d o u e i h i

h i s t o i r e p e r v e r s e d u c œ u r h u m a i n

Les aventures du cœur humain orientent plus d’un mythe et d’innombrables chefs­d’œuvre de la littérature ancienne et moderne.

Organe central, microcosme à l’image de l’univers cultu­rel qui le conçoit, le cœur suscite amour et violence, passions érotique et mystique, don de soi ou meurtre sanglant.

On retrouve ainsi, du Moyen Âge à la fin du xviie siècle, d’étranges histoires mêlant une cuisine de l’horrible à la dévotion amoureuse lorsque le mari jaloux tue l’amant de sa femme pour lui offrir son cœur en pâture.

À la rivalité entre époux peut se substituer la relation du père avec sa fille. Et dans cette cuisine macabre, le cœur peut s’associer au sexe de l’amant.

Au­delà des tensions de l’amour courtois, Milad Doueihi évoque l’image du cœur dévoré, lorsque Francis Bacon rap­pelle que « ceux qui n’ont point d’amis à qui s’ouvrir sont pour leur propre cœur des cannibales ». L’auteur montre aussi combien la théologie du Sacré Cœur a pu jouer un rôle déterminant dans les légendes de cœur mangé. Ou encore, comment ces histoires de consommation perverse peuvent s’éclairer par le mystère de l’Eucharistie – consommation magique et mystique du corps du Christ.

Pour les théologiens, le Christ demeure le cœur et le centre de l’histoire.

La découverte de la circulation du sang par Harvey, en 1628, et la physique cartésienne font perdre au cœur sa centralité symbolique au profit du cerveau. Inaugurant de nouvelles pers­pectives, Pascal ouvre alors au cœur les voies subtiles de l’intel­ligence intuitive, à l’articulation de la mystique et de la science.

Traduit de l’américain par Pierre-Antoine Fabre. 1996, 224 pages.

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M i l a d d o u e i h i

L e pa r a d i s t e r r e s t r eM y t h e S et ph i loSoph i e S

Comme le dit Stendhal de la beauté, le Paradis n’est qu’une promesse de bonheur. Et la nostalgie d’une ori­gine perdue. Cette promesse, cette nostalgie nomment un manque, une absence, une brèche dans l’histoire du genre humain.

Le Paradis hante l’Occident biblique. Origine absolue et lieu de rupture, le jardin d’Éden représente, au­delà de l’ima­ginaire religieux, une structure d’ordre. Dans cet essai, Milad Doueihi n’entend pas faire encore une histoire du Paradis et de ses représentations. Il suit à la trace les transformations de la figure du Paradis de saint Augustin à Nietzsche, en passant notamment par les écrits de Luther, Bayle, Leibniz, Spinoza, Kant.

Milad Doueihi propose ici un livre novateur. Il revisite le thème antique du Paradis comme utopie et permet de comprendre comment, à l’âge moderne, cette utopie devient le support d’une éthique universelle.

2006, 240 pages.

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M i l a d d o u e i h i

L a g r a n d e c o n v e r s i o n n u m é r i q u e

« Je commencerai par une confession. Je ne suis pas infor­maticien, ni technologue. Je ne suis pas non plus juriste, spécialisé dans la propriété intellectuelle et les subtilités du copyright. Je me considère comme un numéricien par accident, un simple utilisateur d’ordinateur qui a suivi les changements de l’environnement numérique au cours des vingt dernières années. » C’est sur ces mots que s’ouvre le livre de Milad Doueihi qui initie ses lecteurs à La Grande Conversion numérique.

Avec déjà un milliard d’usagers, le numérique a une histoire qui se fabrique au jour le jour. Puissance globale qui a métamorphosé tous les systèmes de communication, le numérique fragilise les spécificités nationales et locales, suscitant de nouvelles réalités en politique, dans les media comme en économie.

Ce livre propose des éclairages précis sur la façon dont une technologie, essentiellement collective, modifie radi­calement la vie de chacun, le lien social même, mobilisant nos repères les plus tangibles : écriture et lecture, identité, présence, propriété, archive et mémoire.

Qu’en sera­t­il du savoir historique, de nos bibliothèques, et comment assurer désormais la permanence de nos archives, leur intégrité ?

Ni utopie ni fausse prophétie, le numérique est la vulgate moderne. Avec ses faiblesses, ses aveuglements, ses richesses et ses promesses, le numérique est une culture pour tous.

Traduit de l’anglais par Paul Chemla. 2008, 272 pages. « Points Essais », n° 667, 2011, 352 pages.

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M i l a d d o u e i h i

s o L i t u d e d e L’ i n c o m pa r a b L e

auguSt i n et Spi noz a

Augustin et Spinoza, une rencontre inattendue entre deux manières de lire et d’interpréter les récits fondateurs de l’Ancien et du Nouveau Testament.

On a souvent pensé en « couples » judaïsme et christia­nisme, Élection et Grâce, Loi et Foi, Peuple élu et Genre humain, Nationalisme juif et Universalisme chrétien, Alliance par la circoncision et Cité chrétienne.

Pour Milad Doueihi, le christianisme se considère comme incomparable : il compare pour absorber. Le judaïsme est autrement incomparable : figure d’une séparation, il veille sur son histoire avant de s’ériger en gardien de l’historicité.

2009, 192 pages.

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M i l a d d o u e i h i

p o u r u n h u m a n i s m e n u m é r i q u e

Penser l’avenir des sociétés numériques avec les outils de nos traditions humanistes : telle est l’ambition de ce livre. Mais comment créer un humanisme numérique qui aurait intégré les exigences de nouveaux supports que rien ne permet de fixer dans l’espace ni de stabiliser dans le temps ?

Malgré une forte composante technique, qu’il faut inter­roger et sans cesse surveiller car elle est l’agent d’une volonté économique, le numérique est devenu une « civilisation ». En effet, le numérique modifie nos regards sur les objets, les relations et les valeurs.

Claude Lévi­Strauss a reconnu « trois humanismes » dans l’histoire de l’Occident : un humanisme aristocratique de la Renaissance, un humanisme bourgeois et exotique du xixe siècle et un humanisme démocratique du xxe siècle. Dans ce livre, Milad Doueihi propose un « quatrième huma­nisme » numérique, celui de ce siècle débutant.

Cet essai ouvre à la compréhension des nouvelles compétences, techniques et culturelles, de notre avenir virtuel.

2011, 192 pages.

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J e a n ‑ p i e r r e d o z o n

L a c a u s e d e s p r o p h è t e sp oli t iqu e et r e ligion

e n a f r iqu e con t e M p or a i n e

su iv i d e la l e çon de S proph èt e S

pa r M a rc augé

Qui sont­ils ces prophètes africains en soutane et turban blanc, enrubannés de bandelettes rouges, arborant un cru­cifix noir et une bible imposante, quelquefois aussi flanqués d’une queue de panthère chassant diables et esprits malfai­sants ? Quel fut, durant la colonisation et jusqu’à aujourd’hui, le rôle historique joué par ces apôtres de la modernité afri­caine qui témoignent d’un syncrétisme singulier, louent les prophètes des Hébreux, Jésus­Christ et Mahomet tout en restant fidèles à d’anciennes croyances païennes ?

Moins exotiques qu’il n’y paraît, les mouvements prophé­tiques ont été et demeurent déterminants pour répondre aux crises successives (politiques, économiques, sociales, reli­gieuses, et aujourd’hui, les périls du sida) qui ont structuré, depuis plus d’un siècle, de nombreuses nations africaines.

Dans ce livre, Jean­Pierre Dozon analyse les processus complexes qui ont permis aux cercles de prophètes de se multiplier en s’assurant une position influente, en Côte d’Ivoire – où Houphouët­Boigny était entouré d’un halo prophétique – mais aussi en Afrique du Sud, au Congo­Brazzaville, au Zaïre­Kinshasa, au Ghana… et jusqu’en Océa­nie, ainsi qu’en Amérique du Nord et du Sud.

Au­delà des tensions entre tradition et modernité, La Cause des prophètes permet de mieux comprendre les contradictions d’une époque où les avancées prodigieuses de la rationalité peuvent s’allier au développement de nouvelles croyances religieuses.

1995, 304 pages.

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pa S c a l d u S a p i n

u n e m u s i q u e e n t r a i n d e s e F a i r e

Au fond, je ne parle jamais de musique. Je fais toujours un détour autour et alentour. Alors, j’invente des systèmes, sans jamais créer de corpus théorique ni même jamais m’inquiéter de la moindre cohérence entre eux. La question de la cohé­rence et même celle de la cohésion des systèmes est pour moi un sujet flou, et je greffe des petites machines à greffer d’autres greffes. Je dis toujours une chose pour une autre, parce que ce que je cherche, c’est « ça » : comprendre ce que je fais et quelquefois, savoir n’y rien comprendre. Car je veux toucher ce qui traverse. Jamais je n’évite.

Apprendre, ce n’est pas seulement acquérir une maîtrise. Apprendre, c’est devenir un autre. Un autre, libre et souve­rain. La difficulté fut de métamorphoser mon désir en une expérience.

Pascal Dusapin

2009, 208 pages.

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b r i g i t t a e i S e n r e i c h av e c b e r t r a n d b a d i o u

L’ é t o i L e d e c r a i eu n e li a iSon c la n de St i n e

av e c pau l c e la n

La liaison amoureuse que retrace ce livre est une des plus longues de Paul Celan et une des plus clandestines. Peu de lettres échangées, des dédicaces se réduisant à une étoile discrète : cryptogramme que Celan, en cas d’absence de l’amante, trace à la craie sur l’ardoise fixée près de la porte de sa chambre pour noter son passage.

Quand Celan fait la connaissance de Brigitta, sœur cadette de l’écrivain autrichien Herbert Eisenreich, celle­ci a fui son pays natal et son milieu catholique pour aller faire des études à Paris, où elle est jeune fille au pair. Celan a 33 ans, elle en a 25. Leur relation, nouée peu de temps après le mariage de Celan avec Gisèle de Lestrange, en décembre 1952, durera près d’une décennie.

Pour évoquer sa « liaison clandestine », Brigitta Eisenreich écrit : « Vu l’attention et la valeur que Celan accordait aux dates d’anniversaires des siens, il paraît clair que j’occupais une place à part dans sa vie. Notre lien échappait au rituel des dates et à bien des contraintes. C’est dans ce lien à la fois clandestin et affranchi que tenait toute la richesse que nous pouvions partager ensemble. »

Parfois Brigitta attrape les pensées de Celan au vol et les consigne dans un petit carnet. À la recherche de ses souvenirs les plus intimes, elle multiplie les angles de vue sur l’œuvre de Celan et sur ses mille et trois vies : comme si le poète, dans l’ombre du génocide des Juifs d’Europe, se devait de répéter, compulsivement, l’acte de vie pour maintenir le poème vivant – la mémoire.

Traduit de l’allemand par Georges Felten. 2013, 384 pages.

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u r i e i S e n z w e i g

n a i s s a n c e L i t t é r a i r e d u F a s c i s m e

Fin 1897, l’innocence du capitaine Dreyfus éclate au grand jour. S’opère alors un étonnant chassé­croisé. Bernard Lazare, le premier à avoir réfuté publiquement la thèse d’un Dreyfus coupable, se retire de la scène médiatique. Alors que Maurice Barrès, jusqu’ici silencieux, s’engage dans le déni de l’évidence : l’injustice commise à l’égard du capitaine juif.

Le livre d’Uri Eisenzweig se penche sur ce moment para­doxal. Il en propose une interprétation touchant aux posi­tions de fond de ces deux penseurs majeurs du dreyfusisme et de l’antidreyfusisme. Marqués par une même sensibilité littéraire fin de siècle, tous deux rejettent le récit comme forme privilégiée du vrai.

C’est ce rejet qui, après avoir guidé son effort pionnier de démystification, écarte l’anarchiste Lazare du combat centré sur l’effort de raconter la vérité – dont le « J’accuse ! » de Zola est le modèle. En même temps, la fascination pour une vérité échappant au récit génère chez Barrès une imagination romanesque qui, transposée au domaine politique, annonce le fascisme : la conception de la Nation comme entité orga­nique enracinée, fatalement menacée par toute altérité, tout récit. À cette vision du monde correspondent un refus de l’universel, pour les valeurs communes, et un déterminisme racial pour l’identité des individus.

Le livre se termine sur une lecture du superbe Journal d’une femme de chambre (1900) d’Octave Mirbeau. Inversant le rapport barrésien entre récit et vérité, ce roman est le premier à souligner que l’imaginaire fasciste naissant est indissociable d’un nouveau statut littéraire pour l’Autre – ici, le Juif, tel que le représente l’antisémitisme.

2013, 192 pages.

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u r i e i S e n z w e i g

L e s i o n i s m e F u t u n h u m a n i s m e

Le sionisme fondateur fut un humanisme, pas un nationa­lisme. Le mot « humanisme » fera sourire certains. D’autres, par contre, grinceront des dents : humaniste, vraiment, l’idéologie à l’origine du malheur des Palestiniens ? En fait, oui, et c’est l’objet de cet essai de le montrer. De souligner combien la référence à des valeurs universelles et la reven­dication correspondante d’une dignité pour tous furent au cœur de la logique fondatrice formulée par les premiers penseurs du sionisme.

Une évolution était­elle inévitable ? Je suis enclin à le croire. L’humanisme du discours des fondateurs consistait en ce que ce dernier s’articulait autour de la question de l’altérité : le Juif comme l’Autre de la Diaspora, le territoire recherché comme rien de plus qu’un espace­refuge pour cet Autre. Or comment préserver le privilège humaniste de l’altérité dans un refuge désormais conçu comme juif et où, en quelque sorte par définition, le Juif n’est plus l’Autre ?

Le sionisme des origines fut un moment de grande beauté dans l’histoire de la pensée rationnelle et universaliste moderne, dans l’histoire de l’humanisme. Le reconnaître, c’est également reconnaître que ce moment est passé.

U. E.

2019, 192 pages.

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n o r b e r t e l i a S

m o z a r t s o c i o L o g i e d ’ u n g é n i e

C’est en 1980 que Norbert Elias songe à faire son Mozart, et c’est l’éditeur de ses œuvres, Michael Schröter, qui assure aujourd’hui la publication posthume de cet inédit. Contre les musicologues qui ont momifié Mozart, Elias s’efforce de comprendre qui fut cet artiste génial, né dans une société qui ne connaissait pas encore la notion romantique de « génie ».

Les tensions qui déchirent l’existence quotidienne de Mozart, les rapports complexes avec son père, ses relations érotiques et ses tourments sont approchés avec autant de rigueur que de tendresse. Elias analyse également les comportements de ce « clown », son besoin irrépressible de choquer la noblesse de cour en faisant des gestes dépla­cés, en proférant des mots obscènes. Ces grossièretés scato­logiques trouvent ici une explication à la fois psychologique et sociologique lorsque l’auteur décrit les relations tendues qui lient entre eux dominants et dominés, maîtres de la cour et serviteurs. À ce propos, Elias écrit : « Comme beau­coup d’individus occupant une position marginale, Mozart souffrait des humiliations que lui infligeaient les nobles de la cour, et il s’en irritait. Mais ces réactions d’aversion à l’égard de la couche sociale supérieure allaient de pair avec des sentiments intensément positifs : c’est précisément de ces mêmes gens qu’il voulait être reconnu, par eux qu’il voulait être considéré et traité comme un individu de valeur égale à cause de sa création musicale. »

En refermant le Mozart d’Elias, on a le sentiment d’avoir découvert un regard aussi lucide que généreux sur la vie des hommes en société.

Traduit de l’allemand par Jeanne Étoré et Bernard Lortholary. 1991, 256 pages. « Points Essais », n° 764, 2015, 240 pages.

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n o r b e r t e l i a S

t h é o r i e d e s s y m b o L e s

C’est l’aptitude à apprendre une langue qui constitue un patrimoine commun à tous les membres de l’espèce humaine ; telle est l’idée fondamentale que je développe dans ce livre. La nature et la société sont souvent considé­rées comme antagoniques. Or, pour ce qui se rapporte aux langues, elles fonctionnent ensemble. […]

Si, de façon récurrente, les scientifiques négligent dans leur travail des faits évidents et faciles à observer, il y a tout lieu de penser que cette négligence a une raison. C’est en général le signe d’une lacune typique de leur démarche. La plupart du temps, les blocages sont dus à une anoma­lie intellectuelle fréquente chez les universitaires, et qu’on pourrait appeler academismus. Celle­ci se manifeste surtout par la projection du cloisonnement des départements uni­versitaires, et des rivalités qui y sont liées, sur les différents domaines de recherche. […]

La civilisation de l’humanité est en soi un processus en cours et un possible horizon d’action. Rien dans les expé­riences actuelles et passées ne permet d’affirmer que l’huma­nisation de l’humanité est une tâche impossible, ni qu’elle est au contraire plus probable que la décivilisation. Ces deux perspectives sont aussi plausibles l’une que l’autre. Il est utile – indispensable, même – de s’atteler à faire émerger une connaissance plus factuelle des processus de civilisation et de décivilisation, ainsi que des conditions dans lesquelles on passe de l’un à l’autre (et vice versa).

Traduit de l’anglais par Marie-Blanche et Damien-Guillaume Audollent. 2015, 256 pages.

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n o r b e r t e l i a S

L e s a L L e m a n d slu t t e S de p ou voi r

et dév e loppe M e n t de l’h a bi t uS au x x i x e et x x e Si è c l e S

précéd é d e ba r ba r i e et « dé ‑ ci v i liSat ion »

pa r ro ger ch a rt i er

Ce livre est le dernier dont Norbert Elias a autorisé et contrôlé la publication avant sa mort, le 1er août 1990 à Amsterdam. Il tentait d’y comprendre l’incompréhensible : pourquoi tant d’Allemands, dans les années 1930 et 1940, ont­ils accepté l’extermination des Juifs et perpétré les plus effroyables cruautés ?

[…]Elias refuse, à la fois, de l’assigner à un invariant psy­

chologique – la propension sadique de certains individus – ou à un antisémitisme atemporel qui serait le propre de la tradition allemande. L’essentiel réside dans les conditions historiques qui ont rendu possibles, dans l’Allemagne des années 1930 et 1940, le processus de « dé­civilisation », la levée des autocontrôles qui bridaient les affects de violence, ainsi que l’obéissance, jusqu’au dernier jour, aux maîtres nazis. Exercer une autorité arbitraire, absolue sur des vic­times haïes et stigmatisées, niées en leur humanité, était pour nombre d’Allemands une manière d’affirmer leur propre identité et de rendre tolérable leur soumission à l’autorité.

C’est là le constat essentiel de ce livre sombre, lucide et poignant.

Roger Chartier

Traduit de l’allemand par Marc de Launay et de l’anglais par Marc Joly. 2017, 592 pages.

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r ac h e l e r t e l

d a n s L a L a n g u e d e p e r s o n n e

p oé Si e y i ddiSh de l’a n é a n t iSSe M e n t

Itzhak Schipper, mort à Maïdanek en 1943, confiait à Alexandre Donat : « Tout ce que nous savons des peuples assassinés est ce que leurs assassins ont bien voulu en dire. Si nos assassins remportent la victoire, si ce sont eux qui écrivent l’histoire[…] ils peuvent nous gommer de la mémoire du monde[…]. Mais si c’est nous qui écrivons l’histoire de cette période de larmes et de sang – et je suis persuadé que nous le ferons – qui nous croira ? Personne ne voudra nous croire, parce que notre désastre est le désastre du monde civilisé dans sa totalité. »

Pour dire le désastre absolu qui frappe le peuple juif d’Europe, les poètes yiddish captent des fragments, des éclats de vérité. Ils sont soumis à un double impératif : l’impossi­bilité d’exprimer l’indicible qui se confond avec l’obligation de témoigner.

Au ghetto, à Varsovie, à Vilno, à Lodz, à Cracovie, plus tard dans les camps, à Treblinka, à Auschwitz, avant la mort dans les chambres à gaz, on écrit dans l’urgence. S’arrachant au mutisme, une poétique du cri perce le silence du monde, sa surdité et sa cécité, pour l’obliger à entendre, à voir.

Émotion et rigueur historique se conjuguent pour faire surgir la force poétique de ces innombrables textes sauvés de l’oubli.

Rachel Ertel nous restitue les voix d’une poésie de l’anéantissement : à notre tour, nous devenons « le témoin du témoin ».

1993, 224 pages.

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a r l e t t e fa r g e

L e g o û t d e L’a r c h i v e

L’archive naît du désordre. Elle prend la ville en flagrant délit. Mendiants, voleurs, gens de peu sortent un temps de la foule. Une poignée de mots les fait exister dans les archives de la police du xviiie siècle.

Évidentes autant qu’énigmatiques, on peut tout faire dire aux archives, tout et le contraire, puisqu’elles parlent du réel sans jamais le décrire. Le travail d’historien s’impose donc ici dans toute sa rigueur, sa modestie.

Ce livre, qui puise son information dans les manuscrits du xviiie siècle, raconte également le métier d’une historienne habitée par la passion des archives. Arlette Farge invite alors le lecteur à la suivre dans son plaisir quasi quotidien d’« aller aux archives ».

1989, 160 pages. « Points Histoire », n° 233, 1997, 176 pages.

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a r l e t t e fa r g e

d i r e e t m a L d i r el’opi n ion pu bliqu e

au x v i i i e Si è c l e

Quelque chose se passe au xviiie siècle qui permet au peuple d’exister en politique. Le goût pour l’information, la curiosité publique se développent dans un espace urbain qui met les individus en situation de « savoir sur l’autre ». Le public vit entre le vrai et le faux, l’information et le secret, la rumeur et la publicité, le possible et l’invérifiable ; ses incertitudes, aiguisées par les manipulations politiques et policières, renforcent encore sa soif de savoir. Car le menu peuple veut connaître les ressorts qui animent les rumeurs sur l’assassinat du roi, ou encore les affaires de diables, de poisons, d’alchimie et d’autres magies.

Dans ce livre, Arlette Farge montre comment se construit une parole publique que les autorités craignent, pour­chassent et incitent tout à la fois. Elle observe quelles sont les tactiques d’approche de la chose publique pour ceux qui en sont les exclus.

Avec Dire et mal dire, Arlette Farge nous donne un livre sur un sujet inédit qu’elle défriche dans les archives : l’opinion publique au xviiie siècle.

1992, 320 pages.

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a r l e t t e fa r g e

L e c o u r s o r d i n a i r e d e s c h o s e s

da nS la ci t é du x v i i i e Si è c l e

On le sait, l’historien expose les formes et les structures des situations sociales, en étudie les évolutions dans le temps, parfois y marque discontinuités et ruptures. Quelque chose me dit qu’il faut aller ailleurs. Car dans l’archive se lit le poids des êtres parlants, ce battement de l’histoire que l’histoire efface sous son récit officiel. Ici, dans les textes, existent des locuteurs qui racontent leurs histoires et des histoires. Aucun récit ne se ressemble, chacun ressemble autant au réel qu’à de la fiction.

J’essaie d’extirper du magma des sources des figures aux existences réelles avec des mots qui cherchent le rythme de vies à présent défuntes ; j’ajoute du récit au récit des textes, en décollant un peu les mots, en m’accrochant aux destins racontés, aux gestes, aux objets, aux ruses. Sans faire de glose. Avec l’absurde et obstiné dessein de hisser les paroles retrouvées. Avec la nécessité de faire histoire avec elles et d’en faire un enjeu. Dire l’autre en histoire, c’est observer un disparu en même temps que regarder son double ; et suggérer que dans les singularités qui lui appartiennent se joue un essentiel que l’on ne doit pas manquer.

Arlette Farge

1994, 160 pages.

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a r l e t t e fa r g e

d e s L i e u x p o u r L’ h i s t o i r e

À chaque époque, l’historien s’efforce de concilier les exigences de l’objectivité et la nécessité où il se trouve de réinterpréter le passé à la lumière du présent. Mais face à ce qui est, face à ce qui vient, que dit l’histoire ?

Dans ce livre, Arlette Farge réfléchit sur la responsabi­lité de l’historien face au présent : penser la souffrance, la cruauté, la violence, la guerre, sans les réduire à des fatalités, c’est aussi vouloir expliquer les dispositifs, les mécanismes de rationalité qui les ont fait naître.

Les sciences de l’homme ont eu tendance à considérer le champ émotionnel comme ne résultant que du physio­logique, de l’irrationnel. Or la souffrance humaine n’est pas anecdotique : l’événement singulier est un moment d’histoire. L’opinion des gens, la parole, l’événement qui surviennent font partie des lieux politiques de l’histoire. De même, la différence des rôles sexuels n’est pas une fatalité ; elle est soumise aux variations de l’histoire.

L’œuvre de Michel Foucault, avec qui Arlette Farge a publié en 1982 Le Désordre des familles, sert ici d’appui pour penser certains enjeux de l’écriture de l’histoire.

1997, 160 pages.

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a r l e t t e fa r g e

L a n u i t b L a n c h e

Entre histoire et théâtre, La Nuit blanche raconte un fait divers de 1770. Pierre, un jeune homme de dix­huit ans, est rompu en place de Cambrai pour avoir entretenu de mau­vaises rumeurs contre les notables de la ville. Et blasphémé contre le roi.

Arlette Farge, historienne du xviiie siècle, auteure de nombreux ouvrages sur la violence à Paris et sur l’opinion publique, a publié en 1982 avec Michel Foucault Le Désordre des familles. Elle s’est aussi intéressée à la relation intrigante que la photographie entretient avec les siècles passés.

Guidée par un savoir intime des archives, Arlette Farge invente un langage pour restituer des scènes de vie ordinaire au xviiie siècle. La lumière, l’eau, la ville mobile et furtive sont happées par les mots de l’historienne qui recrée ainsi tout un univers visuel. Charlotte, la fiancée de Pierre, est la silhouette mutine qui accompagne la douleur de la mère et du fils.

La « nuit blanche » est la nuit précédant l’exécution d’un condamné.

2002, 96 pages.

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a l a i n f l e i S c h e r

L’a c c e n tu n e la ngu e fa n tôM e

Deux syllabes suffisent – même une – et la prononciation d’un seul mot pour révéler, derrière la langue parlée, la présence d’une autre langue. Cela s’appelle un accent.

Depuis mes premiers souvenirs de la voix de mon père s’exprimant en français dans le cercle familial – plus préci­sément encore lorsqu’il s’adressait à moi –, et jusqu’à ses dernières paroles, j’ai entendu dans chaque syllabe qu’il prononçait la mémoire, l’empreinte, le fantôme, non seu­lement d’une autre langue que le français, mais aussi d’un autre monde et d’un autre temps. Si j’ai commencé ce livre en écrivant que deux syllabes suffisent, c’est en pensant à la façon dont mon père, répondant au téléphone en français, prononçait le simple mot « Allô ».

Alain Fleischer

2005, 180 pages.

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a l a i n f l e i S c h e r

L e c a r n e t d ’a d r e s s e s

En feuilletant un vieux carnet d’adresses, l’auteur s’efforce de dire à peu près tout ce que lui évoquent les noms de per­sonnes dans quelques­unes de ses pages : inconnus oubliés, disparus, célébrités à peine rencontrées, partenaires d’un moment, amis de toujours.

De cet inventaire, qui passe du mode intime, en quelque sorte autobiographique, à l’histoire inventée, naît une fic­tion : glissement de la mémoire à l’imagination, des per­sonnes aux personnages. Au lieu d’enregistrer, d’aligner froidement des êtres les uns au­dessous des autres, Le Car-net d’adresses les désigne les uns aux autres, les lançant à la recherche d’une relation entre eux qu’ils ignorent encore.

Répertoire onirique, cette enquête finit par cerner un personnage singulier, le propriétaire du carnet d’adresses, qui en est le grand absent.

2008, 352 pages.

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a l a i n f l e i S c h e r

r é p o n s e d u m u e t a u pa r L a n t

e n r etou r à J e a n‑luc g oda r d

Si j’avais choisi le mode de l’interpellation, ce livre serait une adresse à Jean-Luc Godard. Mais il y aurait quelque naïveté à attendre de sa part une réponse à ma réponse.

Ce témoignage et les réactions que j’exprime ont pour cadre ma collaboration avec Jean­Luc Godard lorsqu’il m’invita, du printemps 2005 au printemps 2006, à réaliser un film documentaire sur sa méthode de travail et ses outils, évoquant l’évolution du projet qui aboutit à l’exposition Voyage(s) en Utopie, au Centre Pompidou, à Paris.

Alain Fleischer

2011, 208 pages.

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a l a i n f l e i S c h e r

s o u s L a d i c t é e d e s c h o s e s

Dans cette constellation de fictions qui pourraient appar­tenir à un même roman, tous les personnages sont soumis à une loi commune. Placés sous la dictée des choses – celles de l’amour, du sexe et de la mort : objets, œuvres d’art, situations, circonstances… –, les hommes y sont les jouets de leurs jouets.

Ces aventures baroques, aux issues imprévisibles, dérou­tantes, conduisent Alain Fleischer au monde bien réel mais paradoxal des collectionneurs : sont­ils les maîtres de ce qu’ils possèdent ou sous l’emprise de ce par quoi ils sont possédés ?

2011, 496 pages.

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ly d i a f l e M

L’ h o m m e F r e u d

Après La Vie quotidienne de Freud et de ses patients, Lydia Flem nous fait rencontrer Freud, la plume à la main, écrivant le roman de l’inconscient.

À la manière d’un détective, Lydia Flem cherche à connaître l’homme avec l’œuvre. Elle se glisse dans son intimité créatrice pour tenter de comprendre comment il invente la psychanalyse et découvrir les secrets de son pacte avec l’inconscient. Elle restitue ses passions pour l’archéo­logie, l’amitié, la littérature. Elle montre comment les idées de Freud s’articulent à ses gestes quotidiens, ses lectures à son expérience clinique, ses voyages à son auto­analyse, sa vie onirique à l’élaboration de sa théorie, ses amitiés à l’écriture de son œuvre. Tout se mêle et prend un sens, le charnel avec l’abstrait, le trivial avec le sublime, le jeu avec le sérieux. Freud dit ainsi des choses extraordinaires avec des mots ordinaires.

1991, 288 pages. « Points Documents », n° 49, 1995, 300 pages.

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ly d i a f l e M

c a s a n o va o u

L’ e x e r c i c e d u b o n h e u r

Entre Casanova et nous, il y a presque deux siècles d’igno­rance et de malentendu. On le croyait don Juan de salon et mauvais bougre, on le découvre homme des Lumières et ami des femmes.

Dans ce livre, Lydia Flem raconte comment l’enfant de Venise, malade et abandonné par sa mère, devient un homme audacieux, insolent, prêt à tout entreprendre. Casa­nova se jette dans l’existence sans rien vouloir en retour, sinon la plus scandaleuse des récompenses : le plaisir.

Pour les femmes, le Vénitien est un homme disponible, un amant sans conséquences. Toujours généreux, il se donne sans compter et ne trouve la volupté que lorsqu’elle est par­tagée. Son art de vivre est un exercice du bonheur.

À Paris, Rome, Berlin, Saint­Pétersbourg, Spa ou Londres, ce fils de comédiens se sent partout chez lui. Des salons aris­tocratiques aux bas­fonds, des alcôves aux couvents, des tables de jeux aux cénacles d’érudits, on le retrouve dans tous les cercles de la société du xviiie siècle. Tour à tour ignoré puis comblé par la bonne fortune, Casanova rebondit toujours.

Exilé dans un château de Bohême, rattrapé par la vieillesse, cet amoureux de la langue française écrit treize heures par jour l’histoire de sa vie. Dernier pied de nez à la postérité, le Vénitien devient moraliste. Non content d’avoir fait de la volupté de vivre le principe d’une existence, il affirme que le vrai bonheur est celui qu’offre la mémoire. Au­delà du plaisir, il y a encore du bonheur, voilà l’insolente morale de Giacomo Casanova.

1995, 256 pages. Nouvelle édition augmentée sous le titre Casanova. L’homme qui aimait vraiment les femmes, « Points Essais », n° 677, 2011, 368 pages.

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ly d i a f l e M

L a v o i x d e s a m a n t s

Absolument charnelle, entièrement psychique, telle est la voix, toujours à la limite du corps et de l’esprit, de l’intime et du social, du soi et du monde.

À travers les portraits de personnages d’opéra qui me hantent, j’ai voulu m’approcher des mystérieux enchante­ments de la voix humaine, de sa puissance primordiale, des sentiments d’amour qu’elle porte jusqu’à l’incandescence.

Me voici à présent déroulant sans pudeur le catalogue de mes voluptés lyriques, prenant les lecteurs à témoin.

L’histoire qui commence est notre histoire, notre opéra intérieur.

Lydia Flem

2002, 160 pages.

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ly d i a f l e M

c o m m e n t J ’a i v i d é L a m a i s o n

d e m e s pa r e n t s

L’héritage n’est pas un cadeau. Comment recevoir des choses que l’on ne vous a pas données ? Comment vider la maison de ses parents sans liquider leur passé, le nôtre ? Les premiers jours, je me persuadai que j’allais « ranger » et non pas « vider » la maison de mes parents. Il m’arriva plusieurs fois de prononcer un verbe pour l’autre.

Combien sommes­nous à vivre sans en parler à personne ce deuil qui nous ébranle ? Comment oser raconter ce désordre des sentiments, ce méli­mélo de rage, d’oppres­sion, de peine infinie, d’irréalité, de révolte, de remords et d’étrange liberté qui nous envahit ? À qui avouer sans honte ou culpabilité ce tourbillon de passions ?

À tout âge on devient orphelin.

Lydia Flem

2004, 160 pages. « Points », n° 2999, 2013, 168 pages.

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ly d i a f l e M

pa n i q u e

Elle claque comme un coup de fouet. Elle jette à l’écart de soi, loin des mots, des analyses, de la raison, hors du sens. Les sentiments n’existent plus, elle occupe toute la place. Nue comme le fil d’une lame.

Comment décrire une attaque de panique sans l’abraser ?Qui ne connaît pas l’angoisse des espaces de la ville ne

peut mesurer la terreur de quelques secondes d’arrêt au feu rouge. Qui ne vit pas l’angoisse d’être enfermé dans un ascenseur ou un avion ne peut imaginer l’étendue de cet effroi. Ce n’est pas seulement la gorge qui se rétrécit, la respiration qui se bloque, l’asphyxie qui gagne, c’est un écartèlement de tout l’être, une dépossession de soi, la sen­sation d’une mort imminente.

Lydia Flem

2005, 134 pages. « Points », n° 3353, 2014, 160 pages.

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ly d i a f l e M

L e t t r e s d ’a m o u r e n h é r i t a g e

Parmi tous les souvenirs qui me restaient de mes parents, ceux qui occupaient une place unique, les plus fragiles, peut­être, se trouvaient dans trois boîtes découvertes dans leur grenier. Trois boîtes en carton que j’avais emportées chez moi sans les ouvrir. Je savais qu’elles contenaient la corres­pondance amoureuse que mes parents avaient échangée pendant trois ans, entre leur rencontre fin septembre 1946 et leur mariage le 1er décembre 1949. Fallait­il les jeter sans les regarder ou bien les lire ? Était­ce indiscret ou même incestueux ? […]

Ce que j’y découvrais, ce n’était pas seulement une his­toire d’amour, pas seulement la naissance d’un couple qui vécut plus de cinquante ans ensemble, mais quelque chose d’une cosmogonie, d’une histoire fondatrice, d’un miroir où chacun voudrait se reconnaître : le désir d’être né de l’amour. […]

Notre histoire ne s’écrit pas sur une feuille blanche ; dès notre conception, nous nous trouvons saisis dans une autre histoire, celle de nos parents, de nos grands­parents, même si nous naissons longtemps après leur mort. Dans la suite des générations, notre place est désignée, nous ne sommes pas libres de nous­mêmes.

Il nous faut assumer le passé pour ouvrir les horizons du présent.

Lydia Flem

2006, 272 pages. « Points », n° 3000, 2013, 264 pages.

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ly d i a f l e M

c o m m e n t J e m e s u i s s é pa r é e d e m a F i L L e

e t d e m o n q u a s i ‑ F i L s

Largués par nos parents qui disparaissent, par nos enfants qui quittent la maison, c’est le plus souvent au même moment de la vie que nous sommes confrontés à ces séparations : nos parents meurent, nos enfants grandissent.

Coincés entre deux générations, ceux à qui nous devons l’existence, ceux à qui nous l’avons donnée, qui sommes­nous désormais ? Les repères vacillent, les rôles changent. Comment faire de cette double perte une métamorphose intérieure, un nouveau départ ?

Lydia Flem

2009, 192 pages. « Points », n° 3227, 2014, 192 pages.

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ly d i a f l e M

L a r e i n e a L i c e

Hommage discret à Lewis Carroll, l’héroïne traverse réel­lement le miroir lorsqu’elle se découvre un cancer. Dans le laboratoire du Grand Chimiste ou chez Lady Cobalt, elle converse avec des objets magiques et des personnages extra­vagants : la Licorne, Cherubino Balbozar, le Grincheux, le docteur H., les Contrôleurs, la Plume, l’Attrape­Lumière… Persécutée par les uns, protégée par les autres, la dame aux turbans se joue des épreuves et devient la Reine Alice.

Lydia Flem a l’élégance de parler de choses graves avec tendresse, humour et malice. D’une grande intensité, ce roman invente une langue pour dire le désarroi qui peut nous mordre à certains moments de l’existence : entre rires et larmes.

2011, 320 pages. « Points », n° 3130, 2013, 336 pages.

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ly d i a f l e M

d i s c o u r s d e r é c e p t i o n à L’a c a d é m i e r o y a L e

d e b e L g i q u e ,acc u ei l li e pa r Jacqu e S de de ck er ,

Se cr éta i r e per pét u e l

Lydia Flem a été élue à l’Académie royale de Belgique en mai 2009 au fauteuil n° 5, laissé vacant par Claire Lejeune. Elle a été reçue le 27 novembre 2010 par Jacques De Dec­ker, secrétaire perpétuel de l’Académie royale de langue et littérature françaises de Belgique.

Ce volume comprend le Discours d’accueil de Jacques De Decker et le Discours de réception de Lydia Flem.

2011, 96 pages.

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Page 118: Catalogue publié en mars 2019

ly d i a f l e M

J e m e s o u v i e n s d e L’ i m p e r m é a b L e r o u g e

q u e J e p o r t a i s L’ é t é d e m e s v i n g t a n s

Les habits collent à la peau. Ils nous protègent et nous exposent. Le vêtement happe le regard social et trahit notre part d’ombre. Les hommes et les femmes ne sont pas égaux dans cette course aux apparences.

Dans ce livre, Lydia Flem raconte les vêtements de ses souvenirs. Elle mêle avec malice le grave au frivole. Sur un mode ludique, elle poursuit sa quête de l’intime en adoptant une forme devenue classique depuis les Je me souviens de Georges Perec dans les années 1970. Cette forme, Perec l’a métamorphosée après l’avoir empruntée à l’artiste américain Joe Brainard, ami de son ami Harry Mathews.

De la petite fille à l’amante, de la séductrice à la mili­tante des droits de la femme et des LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et trans), Lydia Flem s’amuse à psychanalyser nos gestes et nos codes vestimentaires. Cette promenade per­sonnelle croise la garde­robe de nos souvenirs collectifs, photographies de mode, stéréotypes du savoir­vivre, scènes de cinéma, mots de la littérature, images de l’histoire et de l’actualité.

Comme dans ses livres précédents, Lydia Flem explore ce qui appartient à chacun et à tous, le plus singulier et le plus universel.

2016, 256 pages.

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ly d i a f l e M

L a v i e q u o t i d i e n n e d e F r e u d e t d e s e s

pa t i e n t s

Lors de sa parution en 1986, le livre de Lydia Flem avait rencontré une large audience. C’était le premier ouvrage d’une jeune femme qui arrivait sur une scène où se bouscu­laient tant de figures de la psychanalyse en France. Sa venue avait néanmoins retenu l’attention de ceux qui espéraient un renouvellement du langage psychanalytique.

Lydia Flem entreprenait non pas « un retour à Freud » mais un cheminement avec lui, à travers un style qui, en un sens, traduit en écriture le geste sensible de Freud prenant l’auteure par le bras dans un rêve qui présage le livre et qu’on lit en ouverture.

Dans son ouvrage l’auteure choisit de souligner l’impor­tance de ce que Freud veut dire par « cristallisation des expé­riences de la vie quotidienne » en adoptant une démarche qui allie histoire et littérature. Car c’est dans son écriture que Lydia Flem éclaire l’entrelacement du sensible et de l’abstrait qui sont au principe de l’élaboration du quotidien comme concept freudien. Lorsque l’écriture n’est pas qu’un moyen, mais le lieu d’une expérience, comme dans le cas présent, elle produit l’écrivain, plus exactement cette sorte d’écrivain qui conduit son lecteur à éprouver le passé comme un présent vivant, parce qu’il a engrangé ce que le savoir historique du moment a établi en le traduisant dans un récit et dans un style.

On mesure, dans un après­coup de trente ans, combien ce premier livre d’une jeune auteure (elle avait trente­trois ans) a creusé un sillon dans lequel furent semés d’autres livres dont le quotidien est au cœur du récit, en pensant à Comment j’ai vidé la maison de mes parents (2004), ou bien à La Reine Alice (2011).

Fethi Benslama

Nouvelle édition, préface de Fethi Benslama. 2018, 336 pages.

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n a d i n e f r e S c o

F a b r i c a t i o n d ’ u n a n t i s é m i t e

Le négationnisme, qui voudrait faire croire que le géno­cide des juifs perpétré par les nazis n’a pas eu lieu, n’est qu’une des formes de l’antisémitisme aujourd’hui. Mais comment devient­on antisémite ?

Personne ne naît antisémite. Et c’est dans un contexte historique spécifique qu’on le devient. Nadine Fresco illustre ce processus avec la biographie de Paul Rassinier, reconnu par les négationnistes, en France et dans le monde, comme leur père fondateur. Né en 1906, ce pacifiste, instituteur dans le Territoire de Belfort, fut successivement un militant communiste, socialiste, anarchiste. Déporté en Allemagne pour résistance, brièvement député après la guerre, il mou­rut en 1967. Pour comprendre comment cet homme est finalement devenu le fondateur du négationnisme, l’auteure a minutieusement reconstitué sa trajectoire, façonnée par des formations politiques, des courants et des événements déterminants de l’histoire du xxe siècle en Europe.

Portée par une écriture vive et rigoureuse, l’enquête de Nadine Fresco contribue à éclairer une question essentielle pour notre temps : comment le racisme vient­il aux gens ?

1999, 804 pages.

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n a d i n e f r e S c o

L a m o r t d e s J u i F s

Depuis la fin du xixe siècle, la mort des juifs occupe une place importante, plus ou moins visible selon les périodes, sur la toile de fond de nos sociétés. Elle fut désirée et brandie dans le slogan « Mort aux juifs ! » Elle a été mise à exécution sous les ordres nazis. Elle est manipulée par le négation­nisme, en divers lieux et à divers usages.

La mort des juifs est interrogée par les sciences humaines. Des écrivains et des artistes ont affronté à son sujet la ques­tion de la disparition. Elle est parlée sur les divans des ana­lystes. On la raconte, on la commémore, on l’enseigne. Des enjeux multiples se crispent autour d’elle, avivant périodi­quement inquiétudes, irritations, tollés, instrumentalisations et mutuels anathèmes.

Les textes qui composent ce livre ont pour objet cette mort. Celui qui l’ouvre, le plus récent, a été écrit en 2008. Celui par lequel il se termine, le plus ancien, en 1980. Entre les deux, donc, presque une génération d’écriture, indivi­duelle et collective.

Autant le comprendre et l’accepter : il faudra le passage d’une génération encore, au moins, pour que la mort des juifs réalisée au xxe siècle cesse peut­être enfin d’exaspérer le présent et de menacer l’avenir.

2008, 320 pages.

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f r a n ç o i S e f r o n t i S i ‑ d u c r o u x

o u v r a g e s d e d a m e s a r i a n e , h é L è n e ,

p é n é L o p e …

Françoise Frontisi­Ducroux raconte quelques grands mythes du féminin liés à la quenouille et au métier à tisser.

Par ce choix, elle nous convie à une traversée de la poli­tique des sexes où l’on passe sans cesse des figures de la mythologie aux réalités du quotidien chez les mortels.

Si l’art d’entrelacer est un savoir­faire des femmes, le tissage suppose jeux et tensions entre masculin et féminin – comme dans le rapport nécessaire entre la chaîne et la trame sur le métier à tisser.

Pour notre bonheur, l’auteure met en scène quelques grandes dames de la mémoire de nos cultures d’aujourd’hui : Ariane, Hélène, Pénélope, Philomèle et Procné, Arachné…

Ce livre nous éclaire sur une histoire sans fin qui met en jeu des mécanismes imaginaires où s’« entrelacent » masculin et féminin.

2009, 208 pages.

l a l i b r a i r i e du x xi e siècle

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f r a n ç o i S e f r o n t i S i ‑ d u c r o u x

a r b r e s F i L L e s e t g a r ç o n s F L e u r s

M éta Mor phoSe S érot iqu e S da nS l e S M y t h e S gr e cS

Pourquoi, dans les mythes grecs de métamorphoses végé­tales, les jeunes filles sont­elles transformées en arbres, tandis que les garçons donnent en mourant naissance à de jolies fleurs ? Cette question, point de départ du livre, est d’abord déterminée par la langue française, qui veut que la fleur soit un nom féminin et que l’arbre soit masculin. L’étonnement est peut­être moins grand pour un Italien habitué à penser les fleurs au masculin. Et que dire des langues qui prudemment font appel au neutre ? Mais chacun pense dans sa langue. De fait nos noms de fleur font alterner les deux genres. À côté de la rose, paradigme du féminin depuis rosa – rosam – rosae… combien de lis, de narcisses et de glaïeuls dans nos jardins ? De roses d’ailleurs (neutre en grec : rhodon) il ne sera pas question, non plus que de marguerites, ni en tant que fleurs ni en tant que filles. Et, si l’on creuse un peu, les « jeunes filles en fleurs » se révèlent plus garçonnières encore que dans le récit proustien.

Françoise Frontisi­Ducroux raconte des mythes anciens où des jeunes gens, filles et garçons, exposés au désir amou­reux des dieux, se transforment en plantes. Syrinx poursuivie par le dieu Pan devient une brassée de roseaux. Hyacinthe, malencontreusement frappé par le disque de son amant, Apollon, meurt en faisant naître une jacinthe. Daphné, Myrrha, Narcisse, Adonis et quelques autres connaissent un sort semblable où le tragique s’associe à l’érotique.

2017, 192 pages.

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M a r c e l g au c h e t

L’ i n c o n s c i e n t c é r é b r a L

D’où vient que nous sommes prêts si communément aujourd’hui à admettre l’idée qu’un inconscient préside à nos actions, lors même que nous restons dans l’incertitude sur ses contenus ? Telle est la question qui fait l’objet de ce livre.

Sa réponse : ce que nous savons du fonctionnement du système nerveux, ce que nous avons appris en particulier du réflexe dans la seconde moitié du xixe siècle. Ce sont les immenses effets intellectuels de cette découverte et des controverses auxquelles elle a donné lieu que Marcel Gau­chet s’attache à mettre en lumière. Il montre comment l’inconscient trouve l’une de ses bases principales d’accré­ditation dans les nouveaux modèles du mécanisme de l’esprit qui en ont résulté.

Ce n’est pas seulement le Freud « neurologue » que l’on comprend mieux. Avec Nietzsche, c’est le projet d’une critique du sujet qui s’alimente à la base de la physio­logie nerveuse. Chez Valéry, elle nourrit l’ambition d’une psycho logie authentiquement désillusionnée. L’héritage revit aujourd’hui, grâce au modèle de l’ordinateur, dans les développements de la science cognitive.

L’inconscient cérébral : un secret fil rouge de la culture contemporaine, à la racine de toute spéculation sur l’incons­cient tout court.

1992, 224 pages.

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h é l è n e g i a n n e c c h i n i

u n e i m a g e p e u t‑ ê t r e v r a i e

a L i x c L é o r o u b a u dp oSt fac e de Jacqu e S rou bau d

L’existence d’Alix Cléo Roubaud (1952­1983) fut d’une exceptionnelle intensité. Photographe, écrivaine, complice de son époux Jacques Roubaud, amie du cinéaste Jean Eustache, elle a laissé une œuvre intime et profonde.

Après les trente ans qui ont suivi sa brusque disparition, ses photographies sont désormais conservées et exposées dans de grands musées. Mais un pan entier de son travail d’écrivaine demeurait oublié.

Ce livre se fonde sur plus de six cents photographies iné­dites – dont une cinquantaine reproduite dans cet ouvrage –, des centaines de lettres et d’écrits pour éclairer la vie intime d’Alix Cléo Roubaud et la force de sa conception de la pho­tographie. Malgré l’importance de ses archives, certains mys­tères persistent. Restituer cette vie fulgurante, découvrir ces images, pose aussi la question de la mémoire et de ses oublis.

Jacques Roubaud écrit dans sa postface : « Ce livre n’ignore pas la dimension autobiographique de l’œuvre d’Alix Cléo Roubaud, mais il relativise son importance. Le chapitre qu’Hélène Giannecchini consacre à l’étude poussée d’une des photographies conservées, Quinze minutes la nuit au rythme de la respiration, constitue, je pense, l’illustration la plus accomplie de la richesse de sa démarche. »

2014, 208 pages.

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Jac k g o o dy

L a c u Lt u r e d e s F L e u r s

Du rejet puritain des fleurs dans le christianisme ancien, dans l’islam ou dans la Chine de Mao à leur symbolisme érotique qui traverse l’histoire des sociétés humaines, Jack Goody invite le lecteur à le suivre dans ses promenades, de la plus haute Antiquité à nos jours.

S’interrogeant sur le rôle effacé des fleurs en Afrique, décrivant l’invention des « paradis » et des jardins antiques, Goody observe le déclin de la culture des fleurs aux pre­miers siècles de l’ère chrétienne, puis le retour de la rose dans l’Europe médiévale et l’expansion des marchés après la Renaissance.

Né de la curiosité encyclopédique de l’auteur, ce livre, qui s’attache à déceler les innombrables significations attribuées aux fleurs, s’intéresse aux usages théologiques et profanes des fleurs autant qu’à leur valeur marchande. Jack Goody insiste aussi sur les relations qui existent partout entre l’écologie, l’idéologie, les usages esthétiques et symboliques des fleurs : rituels ou domestiques, funéraires ou amoureux, les bouquets s’inscrivent à la fois dans une archéologie de l’horticulture et dans une histoire de la consommation des biens de luxe.

Pratique liée à une esthétique de la vie quotidienne qui a suscité différents types de « langage des fleurs » à travers les siècles en Orient et en Occident, La Culture des fleurs appartient également à l’histoire économique, politique et religieuse de l’humanité.

Traduit de l’anglais par Pierre-Antoine Fabre. 1994, 640 pages.

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Jac k g o o dy

L’ o r i e n t e n o c c i d e n t

L’Occident a longtemps perçu l’Orient comme un monde « statique » et « rétrograde », un univers aux institutions archaïques, incapable de modernité. Telles furent les concep­tions de Marx, de Weber, à l’âge d’or du capitalisme. Ces idées furent propagées par les apôtres du « miracle euro­péen » ou de la « singularité occidentale ».

Dans ce livre, Jack Goody bouleverse les idées reçues. Il lance un défi à cette vision des choses qui soutient le postulat d’une « rationalité occidentale » propre à faire croire que « nous » serions les seuls à pouvoir accéder aux transforma­tions de l’ère contemporaine.

Le grand anthropologue de Cambridge revient ainsi par exemple sur l’idée d’une comptabilité « rationnelle » – dont bien des spécialistes de l’histoire sociale et économique font une composante spécifique du capitalisme – pour montrer que peu de chose sépare l’histoire de l’Orient et celle de l’Occident sous le rapport de l’activité marchande. D’autres facteurs d’évaluation, imaginés comme inhibant le dévelop­pement de l’Orient, tels le rôle de la famille ou les formes du travail, sont ramenés par l’auteur à une plus juste proportion.

Dans son livre, Jack Goody montre combien l’européo­centrisme échoue dans ses analyses de l’Orient tout en occultant l’histoire de l’Occident.

À l’heure où les experts paraissent de plus en plus déso­rientés par ce qu’ils appellent « la mondialisation », L’Orient en Occident amorce un tournant fondamental modifiant notre vision globale de l’histoire des sociétés occidentales et orien­tales.

Traduit de l’anglais par Pierre-Antoine Fabre. 1999, 400 pages.

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a n t h o n y g r a f t o n

L e s o r i g i n e s t r a g i q u e s d e L’ é r u d i t i o n

u n e h iStoi r e de la not e e n baS de page

Le texte persuade, les notes prouvent. Telle est, pour la tradition, la double dimension de l’écriture de l’histoire. Mais qui donc a inventé la note en bas de page ? À la fois forme littéraire du savoir et déchet qui déforme le récit romanesque de l’historien, la note en bas de page raconte souvent l’autobiographie refoulée des savants.

En retraçant l’évolution de la note en bas de page, Anthony Grafton veut comprendre le destin de l’érudition moderne en proposant une histoire générale des savoirs écrits. Il veut décou­vrir où, quand et pourquoi les historiens ont adopté la forme spécifique d’architecture narrative qui est la leur aujourd’hui.

Arme des pédants, plaie des étudiants, bête noire des « nou­veaux » historiens émancipés, la note en bas de page apparaît dans ce livre comme une ressource propre, riche d’une his­toire surprenante. Avec humour, Anthony Grafton montre combien les bas de page racontent les laboratoires occultes du savoir. Il propose ainsi une encyclopédie de l’incongru autant qu’une satire de la bêtise moderne. Ensuite, plus gravement, l’auteur s’interroge sur les moyens de faire la preuve de la vérité en histoire, et donc sur la fausseté possible des affirma­tions de l’historien : on assiste alors, par notes interposées, à la guerre des sources et à la revanche des archives.

Parmi les héros de cette histoire : Athanasius Kircher, Pierre Bayle, Edward Gibbon, les philosophes Hume, Kant, Hegel et Leopold von Ranke, le brillant historien allemand, souvent crédité, à tort, d’être l’inventeur de la note érudite moderne.

Truffé d’intrigues, d’indices et de révélations inattendues, ce livre introduit à l’analyse intellectuelle des « bas de page », une histoire qui fut souvent reléguée dans les arrière­cours et les arrière­pensées de l’histoire littéraire de l’esprit humain.

Traduit de l’anglais par Pierre-Antoine Fabre. 1998, 224 pages.

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J e a n ‑ c l au d e g ru M b e r g

m o n p è r e . i n v e n t a i r e

su iv i d e u n e l e çon de Savoi r‑v i v r e

Pour un ex­apprenti tailleur désireux d’honorer la mémoire d’un père ex­tailleur pour hommes et dames, livrer un ouvrage si décousu frise l’indécence. Il est vrai que, de l’avis même des nombreux patrons – dix­huit en quatre ans – chez qui j’ai tenté d’apprendre le métier, je parlais trop en bougeant les mains afin de faire rire mes voisins pour être capable de coudre droit ou de réaliser une belle poche passepoilée. […]

Pendant ces travaux d’inventaire, tout en taillant et retail­lant dans la fragile étoffe qui s’effiloche si vite, j’ai laissé venir à moi bien des souvenirs d’enfance, d’adolescence et, pour­quoi le cacher, du troisième âge aussi. J’ai même rédigé en guise de note de lecture une sorte de conférence consacrée à la haine criminelle coiffée du chapeau de médecin que j’ai intitulée Une leçon de savoir-vivre. Titre qui aurait parfaitement convenu à l’ensemble de l’ouvrage si je n’avais pas fait le choix préalable de Mon père. Inventaire. Cette Leçon, que vous trouverez en fin de volume, ce collage de textes ignobles, m’a paru un autre chemin – toujours l’arlequinade – pour évoquer et honorer la mémoire de mon père.

Jean­Claude Grumberg

2003, 192 pages. « Points Essais », n° 635, 2010, 224 pages.

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J e a n ‑ c l au d e g ru M b e r g

p L e u r n i c h a r d

Comme un funambule sur son fil, Pleurnichard guide Jean­Claude Grumberg dans la traversée de sa vie. L’un se cachant derrière l’autre, tous deux tentent de vaincre leur peur en la proclamant.

« […] Comment se venger ? de quoi ? Pleurnichard avait trouvé inconsciemment son moyen : insulter les flics, les douaniers, les préposés à l’état civil ou tout autre fonction­naire rond de cuir et manches de lustrine, les instituteurs, les contrôleurs SNCF et RATP, tous ceux qui incarnaient plus ou moins à ses yeux le pouvoir, l’autorité. Voilà. […]

Drôle de manière de se venger dites­vous ? Sans doute. Refuser la société même au sein des organisations dont le but avoué semblait être la destruction de cette société, se faire un devoir d’y râler, d’y ricaner, d’y douter, d’ironiser. On tue ton père et tu ne te venges pas. Hamlet. La pièce était faite. Faire ou défaire, voilà la question. […] »

« En fait, je n’ai jamais su vraiment me comporter devant le malheur absolu. Faut­il pleurer, s’arracher la tête et la piétiner, ou rire à en crever ? Désormais, pour être sûr d’être tout à fait humain, je m’efforce et m’efforcerai de faire les trois ensemble. »

Jean­Claude Grumberg

2010, 256 pages.

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J e a n ‑ c l au d e g ru M b e r g

L a p L u s p r é c i e u s e d e s m a r c h a n d i s e s

u n c o n t e

Il était une fois, dans un grand bois, une pauvre bûche­ronne et un pauvre bûcheron.

Non non non non, rassurez­vous, ce n’est pas Le Petit Pou-cet ! Pas du tout. Moi­même, tout comme vous, je déteste cette histoire ridicule. Où et quand a­t­on vu des parents aban­donner leurs enfants faute de pouvoir les nourrir ? Allons…

Dans ce grand bois donc, régnaient grande faim et grand froid. Surtout en hiver. En été une chaleur accablante s’abat­tait sur ce bois et chassait le grand froid. La faim, elle, par contre, était constante, surtout en ces temps où sévissait, autour de ce bois, la guerre mondiale.

La guerre mondiale, oui oui oui oui oui.

Jean­Claude Grumberg

2019, 128 pages.

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f r a n ç o i S h a r t o g

r é g i m e s d ’ h i s t o r i c i t é p r é s e n t i s m e e t

e x p é r i e n c e s d u t e m p s

Les expériences du temps sont multiples. Chaque société entretient un rapport particulier avec le passé, le présent et le futur. En comparant les manières d’articuler ces tempo­ralités, François Hartog met en évidence divers « régimes d’historicité ».

Ulysse en Phéacie ou les Maori de Fidji ont d’autres types de souvenirs que les personnages bibliques. Douze siècles séparent Ulysse des Confessions d’Augustin, qui s’inscrivent dans un régime d’historicité proprement chrétien.

Dans l’ancien régime d’historicité, le passé éclaire l’ave­nir. Après la Révolution de 1789, le temps est accélération et la leçon vient du futur. Se met en place le régime moderne d’historicité. Chateaubriand ne cesse par son écriture de passer de la rive de l’ancien à celle du régime moderne.

Dans les deux dernières décennies du xxe siècle, la mémoire est venue au premier plan. Le présent aussi. His­toire du présent, les Lieux de mémoire ont exploré ces mots du temps : commémoration, mémoire, patrimoine, nation, identité. Tandis que le temps lui­même devenait, toujours plus, objet de consommation et marchandise.

Historien attentif au présent, François Hartog observe la montée en puissance d’un présent omniprésent, qu’il nomme « présentisme ». Cette expérience contemporaine d’un présent perpétuel, chargé d’une dette à l’égard tant du passé que du futur, signe, peut­être, le passage d’un régime d’historicité à un autre.

Serait­on passé insensiblement de la notion d’histoire à celle de mémoire ?

2003, 272 pages. « Points Histoire », n° 458, 2012, 352 pages.

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da n i e l h e l l e r ‑ r oa z e n

e c h o L a L i e s e s s a i s u r L’ o u b L i

d e s L a n g u e s

Répétition automatique de mots prononcés par autrui : c’est ainsi que les scientifiques ont défini, depuis le dix­neuvième siècle, le phénomène exceptionnel que l’on nomme écholalie, dont l’étude relève, dit­on, de la psycho­logie.

Sans se borner à cette acception médicale, Daniel Heller­Roazen donne à l’écholalie un sens inédit, qui la mène jusqu’à ce seuil où elle se confond avec le concept même de langage. Dans de courts chapitres, qui tiennent à la fois de la fable et de l’essai, une seule thèse s’énonce : chaque langue est l’écho d’une autre, dont elle ne cesse de porter témoignage. Plus radicalement, chaque langue est l’écho de ce babil enfantin dont l’effacement a permis la parole.

La démonstration se fait ici à l’aide de textes divers : y participent tour à tour la mythologie, la psychanalyse, la théo­logie, la littérature et la linguistique. D’Ovide et de Dante à Edgar Allan Poe et à Elias Canetti, des idiomes sacrés du judaïsme et de l’islam aux dialectes en voie de disparition, de la langue maternelle des poètes aux parlers rêvés des savants, les vingt­et­une « écholalies » qui composent cet ouvrage tracent un parcours singulier.

Un livre qui invite à réfléchir sur la nature de cet animal oublieux qu’est l’homme, dont les langues lui sont conti­nûment dérobées par le temps.

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Justine Landau. 2007, 306 pages.

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da n i e l h e l l e r ‑ r oa z e n

L’ e n n e m i d e t o u s L e p i r a t e

c o n t r e L e s n a t i o n s

Au principe de ce livre, un fait juridique dans l’histoire de l’Occident : le pirate est le prototype de l’« ennemi de l’humanité ».

Longtemps avant les droits de l’homme, les organisations humanitaires, la codification moderne du droit internatio­nal, les hommes d’État de la Rome antique voyaient en lui l’Ennemi de tous. Comme le souligne Cicéron, il existe des adversaires avec lesquels un État de droit peut faire des guerres, signer des traités et, si les circonstances le permettent, cesser les hostilités. Ce sont les justes belligérants de l’autre camp qui, égaux des combattants de la puissance publique, peuvent prétendre à certains droits. Mais il y a aussi un autre type d’ennemi : un adversaire injuste, indigne de tels droits. C’est le pirate, que Cicéron appelle « l’ennemi commun à tous ».

Daniel Heller­Roazen établit la généalogie de l’idée de piraterie, cernant les diverses conditions juridiques, poli­tiques et philosophiques de sa conception. De la cité antique au monde contemporain, une continuité se constate : le pirate s’impose comme l’adversaire illégitime par excellence, un antagoniste indigne de tous ces droits que l’on accorde aux combattants reconnus. D’où le statut particulier que revêtent les opérations militaires menées contre de tels enne­mis universels. Qu’elles visent des bandits ou des barbares, des partisans ou des terroristes, ces guerres ne respectent pas les règles d’affrontement politique et policier.

Ce livre permet de comprendre comment l’« ennemi de tous », souvent imaginé dans un lointain passé, est devenu une figure cruciale de notre présent.

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Françoise et Paul Chemla. 2010, 336 pages.

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da n i e l h e l l e r ‑ r oa z e n

u n e a r c h é o L o g i e d u t o u c h e r

Que veut dire se sentir vivant ? C’est à cette question que répond Daniel Heller­Roazen en faisant l’archéologie d’un seul sens : ce « toucher intérieur, par lequel nous nous percevons nous­mêmes ». Aristote fut sans doute le premier à définir cette puissance de l’âme. Après lui, beaucoup d’autres s’efforcèrent de définir et de redéfinir cette curieuse sensation.

Les philosophes de l’Antiquité, les penseurs musulmans, juifs et chrétiens du Moyen Âge ont tous étudié une faculté qu’ils appelaient le « sens commun ». De Montaigne et Fran­cis Bacon à Locke, Leibniz et Rousseau, de la médecine du xixe siècle à Proust et Benjamin, les auteurs modernes ont fait écho, consciemment ou non, à ces diverses traditions, en explorant la perception que tout être sensitif a de sa vie.

Une archéologie du toucher reconstitue l’histoire de cette perception. Sensation et conscience, sommeil et réveil, esthé­tique et anesthésie, perception et aperception prennent ici un sens nouveau.

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Paul Chemla. 2011, 432 pages.

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da n i e l h e l l e r ‑ r oa z e n

L e c i n q u i è m e m a r t e a upy t h ag or e

et la dySh a r Mon i e du Mon de

Selon une antique tradition, c’est Pythagore qui a inventé l’harmonie. On rapporte qu’un jour, alors qu’il se prome­nait près d’une forge, il entendit de merveilleuses sonorités et s’aventura à l’intérieur pour en savoir plus. Il y trouva cinq hommes qui frappaient avec cinq marteaux. À sa vive stupéfaction, il découvrit que quatre de ces marteaux avaient entre eux d’admirables rapports de proportion, qui, réunis, allaient lui permettre de reconstituer les lois de la musique. Mais il y en avait aussi un cinquième. Pythagore le vit et l’entendit, mais ne parvint pas à le mesurer ; il ne put davan­tage rendre raison de ce son discordant. C’est pourquoi il l’écarta. Qu’était­ce donc que ce marteau, pour que Pytha­gore décidât si résolument de le rejeter ?

Dans Le Cinquième Marteau, Daniel Heller­Roazen montre que ce geste mythique donne une clé pour comprendre ce que fut autrefois l’harmonie : théorie des sons musicaux, mais aussi paradigme pour l’étude scientifique du monde sensible. C’est en vertu de l’harmonie que l’on a réussi à transcrire la nature dans les éléments idéaux des mathématiques. Pourtant, à de multiples reprises, cette entreprise s’est heurtée à une limite fondamentale : quelque chose dans la nature lui résiste, refuse de se laisser transcrire dans une série d’unités idéales. Un cinquième marteau continue obstinément à résonner.

De la musique à la métaphysique, de l’esthétique à la cos­mologie, de Platon et Boèce à Kepler, Leibniz et Kant, Le Cin-quième Marteau révèle que les efforts pour ordonner le monde sensible n’ont cessé de suggérer l’existence d’une réalité que ni les notes ni les lettres ne sauraient pleinement transcrire.

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Paul et Françoise Chemla. 2014, 224 pages.

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da n i e l h e l l e r ‑ r oa z e n

L a n g u e s o b s c u r e sl’a rt de S vol eu rS et de S p oèt e S

Ce livre explore un phénomène curieux qui n’a pas reçu l’attention qu’il mérite. Chaque fois que des humains parlent une langue, ils s’efforcent aussi de créer, avec la grammaire qu’ils connaissent, des langues secrètes. Celles­ci peuvent être plaisantes ou sérieuses, jeux d’enfants ou travail d’adultes, aussi impénétrables que des langues étrangères.

C’est à la Renaissance que des auteurs soulignent pour la première fois l’apparition de ces langues volontairement obscures. Des juristes, des grammairiens, des théologiens les ont condamnées, soutenant que ces nouvelles formes de discours étaient les instruments du crime.

Mais avant l’émergence de ces jargons modernes, la tor­sion artificielle des langues avait une finalité bien différente : en Grèce ancienne, dans la Rome archaïque, en Provence ou dans la Scandinavie au Moyen Âge, chanteurs et copistes inventaient des variantes opaques du parler. Ils ne le faisaient pas pour tromper mais pour révéler la langue des dieux, que les poètes et les prêtres étaient, disait­on, les seuls à maîtriser.

Langues obscures évolue entre ces diverses langues artifi­cielles et hermétiques. Des jargons criminels aux idiomes sacrés, du travail de Saussure sur les anagrammes à la théorie de Jakobson sur les structures subliminales en poésie, des arts mystérieux des druides et des copistes de la Bible à la procé­dure secrète que Tristan Tzara, fondateur de Dada, croyait avoir découverte dans les chansons et ballades de Villon.

Dans ce livre singulier, Daniel Heller­Roazen montre comment des techniques, communes aux voleurs et aux poètes, jouent le son et le sens l’un contre l’autre.

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Paul et Françoise Chemla. 2017, 288 pages.

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i va n Ja b l o n k a

h i s t o i r e d e s g r a n d s ‑ pa r e n t s q u e J e n ’a i pa s e u s

u n e e nqu êt e

Je suis parti, en historien, sur les traces des grands­parents que je n’ai pas eus. Leur vie s’achève longtemps avant que la mienne ne commence : Matès et Idesa Jablonka sont autant mes proches que de parfaits étrangers. Ils ne sont pas célèbres. Pourchassés comme communistes en Pologne, étrangers illégaux en France, juifs sous le régime de Vichy, ils ont vécu toute leur vie dans la clandestinité. Ils ont été emportés par les tragédies du xxe siècle : le stalinisme, la montée des périls, la Deuxième Guerre mondiale, la des­truction du judaïsme européen.

Pour écrire ce livre, à la fois travail d’historien et biogra­phie familiale, j’ai exploré une vingtaine de dépôts d’archives et rencontré de nombreux témoins en France, en Pologne, en Israël, en Argentine, aux États­Unis. Ai­je cherché à être objectif ? Cela ne veut pas dire grand­chose, car nous sommes rivés au présent, enfermés en nous­mêmes. Mon pari implique plutôt la mise à distance la plus rigoureuse et l’investissement le plus total.

Il est vain d’opposer scientificité et engagement, faits extérieurs et passion de celui qui les consigne, histoire et art de conter, car l’émotion ne provient pas du pathos ou de l’accumulation de superlatifs : elle jaillit de notre tension vers la vérité. Elle est la pierre de touche d’une littérature qui satisfait aux exigences de la méthode.

Ivan Jablonka

2012, 448 pages. 2013, « Points Histoire », n° 483, 448 pages.

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i va n Ja b l o n k a

L’ h i s t o i r e e s t u n e L i t t é r a t u r e

c o n t e m p o r a i n eM a n i f e St e

p ou r l e S Sci e nc e S So ci a l e S

L’histoire n’est pas fiction, la sociologie n’est pas roman, l’anthropologie n’est pas exotisme, et toutes trois obéissent à des exigences de méthode. À l’intérieur de ce cadre, rien n’empêche le chercheur d’écrire.

Concilier sciences sociales et création littéraire, c’est tenter d’écrire de manière plus libre, plus originale, plus juste, plus réflexive, non pour relâcher la scientificité de la recherche, mais au contraire pour la renforcer. L’histoire est d’autant plus scientifique qu’elle est littéraire.

Réciproquement, la littérature est compatible avec la démarche des sciences sociales. Les écrits du réel – enquête, reportage, journal, récit de vie, témoignage – concourent à l’intelligibilité du monde. Ils forment une littérature qui, au moyen d’un raisonnement, vise à comprendre le passé ou le présent.

Des sciences sociales qui émeuvent et captivent ? Une littérature qui produit de la connaissance ? Il y a là des pers­pectives nouvelles pour le siècle qui s’ouvre.

Ivan Jablonka

2014, 352 pages. « Points Histoire », n° 533, 2017, 368 pages.

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i va n Ja b l o n k a

L a Ë t i t i a o u

L a F i n d e s h o m m e s

Dans la nuit du 18 au 19 janvier 2011, Laëtitia Perrais a été enlevée à 50 mètres de chez elle, avant d’être poignar­dée et étranglée. Il a fallu des semaines pour retrouver son corps. Elle avait 18 ans.

Ce fait divers s’est transformé en affaire d’État : Nicolas Sarkozy, alors président de la République, a reproché aux juges de ne pas avoir assuré le suivi du « présumé coupable », précipitant 8 000 magistrats dans la rue.

Ivan Jablonka a rencontré les proches de la jeune fille et les acteurs de l’enquête, avant d’assister au procès du meurtrier en 2015. Il a étudié le fait divers comme un objet d’histoire, et la vie de Laëtitia comme un fait social. Car, dès sa plus jeune enfance, Laëtitia a été maltraitée, accoutumée à vivre dans la peur, et ce parcours de violences éclaire à la fois sa fin tragique et notre société tout entière : un monde où les femmes se font harceler, frapper, violer, tuer.

Ivan Jablonka

2016, 400 pages. « Points », n° 4639, 2017, 456 pages.

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i va n Ja b l o n k a

e n c a m p i n g ‑ c a r

Le camping­car nous a emmenés au Portugal, en Grèce, au Maroc, à Tolède, à Venise. Il était pratique, génialement conçu. Il m’a appris à être libre, tout en restant fidèle aux chemins de l’exil. Par la suite, j’ai toujours gardé une ten­dresse pour les voyages de mon enfance, pour cette vie brin­guebalante et émerveillée, sans horaires ni impératifs. La vie en camping­car.

Ivan Jablonka

Dans ce livre, Ivan Jablonka esquisse une socio­histoire de son enfance, transformant l’autobiographie en récit collectif, portrait d’une époque.

2018, 192 pages.

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J e a n k e l l e n S

L a q u a t r i è m e n a i s s a n c e d e z a r a t h u s h t r a

zoroaSt r e da nS l’i M agi na i r e o cci de n ta l

Que peut­on savoir aujourd’hui de la religion de l’Iran préislamique ? Zoroastre, longtemps considéré comme le Moïse de l’Iran antique, que les manuels présentent comme un prophète monothéiste et un réformateur religieux, a­t­il vraiment vécu et accompli son œuvre au vie siècle avant J.­C. ?

Dans ce livre novateur, Jean Kellens propose une histoire des hypothèses échafaudées sur les origines du zoroastrisme. Sans détour, l’auteur nous dit que depuis longtemps il « sen­tait confusément que quelque chose ne tournait pas rond » au pays des historiens du zoroastrisme. Sceptique envers le modèle d’explication historique faisant de Zoroastre un vrai prophète qui a vraiment vécu ici ou là à tel ou tel moment, il va restituer Zoroastre à sa dimension mythologique. Autre­ment dit, si l’auteur refuse l’hypothèse des origines prophé­tiques du zoroastrisme, c’est pour mieux affirmer la créativité littéraire et spéculative des vieux textes zoroastriens.

2006, 188 pages.

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n i c o l e l a p i e r r e

s a u v e q u i p e u t L a v i e

Dans ma famille, on se tuait de mère en fille. Mais c’est fini. Il y a longtemps déjà, je me suis promis qu’accidents et suicides devaient s’arrêter avec moi. Ou plutôt, avant moi.

Sauve qui peut la vie ! J’aime cette expression. C’est le titre d’un film de Jean­Luc Godard de 1980. Mais lui, il avait mis des parenthèses à (la vie), comme une précision, une correction de trajectoire. Le sauve­qui­peut, c’est la déban­dade, la déroute. Le sauve qui peut la vie, c’est la ligne de fuite, l’échappée parfois belle. J’en fais volontiers ma devise.

Il m’a fallu du temps pour comprendre que ce qui était une manière d’être – une tendance à parier sur l’embellie, un goût de l’esquive, un refus des passions mortifères, une appétence au bonheur envers et contre tout – avait aussi profondément influencé ma façon de penser.

J’aimerais que ce livre, écrit sur fond de drames passés, collectifs et privés, soit une lecture revigorante, une sorte de fortifiant pour résister au mauvais temps présent.

Nicole Lapierre

2015, 272 pages. « Points Essais », n° 825, 2017, 272 pages.

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Jac q u e S l e b ru n

L e p u r a m o u r d e p L a t o n à L a c a n

Le pur amour ? Un amour inconditionnel dont l’ultime critère serait le refus de toute récompense, un amour qui trouverait sa jouissance dans la ruine de toute jouissance et entraînerait, avec la perte de soi, la perte de l’amour et même celle de Dieu.

Les figures du pur amour qui jalonnent ce livre trouvent leurs sources dans le fonds commun de la culture occiden­tale : chez Platon, dans tel verset biblique, chez saint Paul, saint Augustin, Boccace ou Pétrarque, ou la mystique musul­mane Râbià al­Adawwiyya.

En historien du christianisme, Jacques Le Brun retrace vingt­cinq siècles de tentatives, de Platon à Lacan, pour pen­ser cet impensable amour. Si les débats théologiques furent cruciaux à la fin du xviie siècle entre Mme Guyon, Fénelon et Bossuet et aboutirent à la condamnation du pur amour par les Églises, l’auteur montre comment, échappant à la théologie, celui­ci ne cessa d’inspirer la pensée romanesque, la philosophie et la psychanalyse. Kant, Schopenhauer sont, parmi d’autres, conviés au banquet, en compagnie de Sacher­Masoch, Heidegger et Claudel.

Aux élaborations théologiques Jacques Le Brun substitue un point de vue anthropologique sur l’amour chrétien. La psychanalyse y tient un rôle capital, celui de révélateur. Freud et Lacan sont relus à la lumière des grands textes mystiques qui traversent l’histoire occidentale en dessinant une figure paradoxale qui, résistant aux théories, ne cesse de s’affirmer comme un impensable : le pur amour.

2002, 450 pages.

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Jac q u e S l e b ru n

d i e u u n p u r r i e na nge luS Si l e Si uS

p oé Si e , M éta ph ySiqu e et M ySt iqu e

Au milieu du xviie siècle, dans un monde germanique déchiré par les guerres et les luttes religieuses, Johannes Scheffler, un jeune protestant lecteur des mystiques médié­vaux et modernes, de maître Eckhart, de Jacob Boehme et de Jean de la Croix, publie un recueil de distiques et de quatrains, Le Pèlerin chérubinique, sous le nom d’Angelus Silesius. Une méditation assidue des textes et la fréquenta­tion de contemporains d’une intense spiritualité le portent à sonder les mystères de la religion et de la philosophie, l’être, l’essence, la Déité, le néant, l’abandon. Son écriture, carac­téristique de l’âge baroque, lui permet d’atteindre, grâce à la poésie, les limites des orthodoxies et même de la pensée.

Ces poèmes, défi aux philosophes et aux poètes, ne ces­seront d’inspirer des lecteurs assidus : de Leibniz à Schopen­hauer, de Heidegger à Roger Munier, de Maurice Blanchot à Lacan et à Derrida, nombreux sont ceux qui liront Le Pèlerin chérubinique. À partir de cette lecture, ils se découvriront eux­mêmes, n’hésitant pas à trouver dans ces vers l’écho rétrospectif de leur modernité.

À propos d’un vers célèbre de Gertrude Stein, « Rose is a rose is a rose is a rose », et de « La rose est sans pourquoi » de Heidegger, Blanchot se souvient du début du distique d’Angelus Silesius :

« La rose est sans pourquoi, elle fleurit parce qu’elle fleurit,

Elle n’a souci d’elle­même, ne demande pas si on la voit. »

2019, 240 pages.

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Jac q u e S l e g o f f

F a u t‑ i L v r a i m e n t d é c o u p e r L’ h i s t o i r e

e n t r a n c h e s ?

Ni thèse ni synthèse, cet essai peut être lu comme l’abou­tissement d’une longue recherche. Et d’une réflexion sur l’histoire, sur les périodes de l’histoire occidentale, au centre de laquelle le Moyen Âge est mon compagnon depuis 1950. Il s’agit donc d’un ouvrage que je porte en moi depuis long­temps, des idées qui me tiennent à cœur.

Écrit en 2013, à l’heure où les effets quotidiens de la mon­dialisation sont de plus en plus tangibles, ce livre­parcours pose des questions sur les diverses manières de concevoir les périodisations dans l’histoire : les continuités, les ruptures, les manières de repenser la mémoire de l’histoire.

Traitant du problème général du passage d’une période à l’autre, j’examine un cas particulier : la prétendue nouveauté de la « Renaissance » et son rapport au Moyen Âge auquel j’ai consacré avec passion ma vie de chercheur.

Reste le problème de savoir si l’histoire est une et conti­nue ou sectionnée en compartiments ? ou encore : s’il faut vraiment découper l’histoire en tranches ?

Jacques Le Goff

2014, 224 pages. « Points Histoire », n° 513, 2016, 224 pages.

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J e a n l e v i

L e s F o n c t i o n n a i r e s d i v i n sp oli t iqu e ,

de Sp ot iSM e et M ySt iqu e e n ch i n e a nci e n n e

Sur le territoire de la Chine ancienne se joue une for­midable partie de gô. Dans ce monde où les principautés sont en guerre les unes contre les autres, où les alliances se retournent au gré des saisons, le despote chinois, comme le prince de Machiavel, ne connaît que l’efficacité. À l’ombre des palais impériaux, son intelligence retorse définit un art de la manipulation politique.

Entraînant le lecteur dans un univers policier, l’auteur mène son enquête au Pays des hauts dignitaires. Il y découvre le fonctionnement des services de renseignements et les intrigues qui lient les espions entre eux. Tour à tour fidèles et dénonciateurs, ces informateurs font partie d’un monde politique où la traîtrise devient, peu à peu, une pratique institutionnelle.

Convaincu que l’intérêt de chacun passe par la domina­tion de tous, le tyran rêve d’un pouvoir absolu. Cautionnées par la doctrine de Confucius et le taoïsme, les stratégies politiques du prince correspondent à ses choix mystiques. Il veut soumettre l’ordre social au rythme du cosmos, le naturel au surnaturel.

Du temps des Royaumes combattants, au ve siècle avant J.­C., à la fin des Tang au ixe siècle, Jean Levi analyse avec minutie le fonctionnement d’un appareil d’État géré par des fonctionnaires devenus divins. Son livre ouvre des perspec­tives inédites à toute réflexion sur les fondements religieux du totalitarisme.

1989, 320 pages.

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J e a n l e v i

L a c h i n e r o m a n e s q u e

f ic t ionS d’or i e n t et d’o cci de n t

Abordant le roman chinois par le détour de nos propres traditions littéraires, Jean Levi innove doublement : d’abord, en proposant, pour la première fois, une réflexion d’ensemble sur l’univers romanesque chinois ; ensuite, en initiant le lec­teur à une approche comparée du romanesque en Chine et en Occident.

Le romanesque suppose une vision du monde, une concep­tion du temps et de l’espace. La mort et l’amour s’y trouvent inexorablement enchevêtrés à des aventures mystiques et érotiques.

C’est en nous « racontant » d’innombrables fictions d’Orient et d’Occident que l’auteur propose de repenser ces catégories, si évidentes pour nous, mais qui ne le sont plus de la même manière au miroir de la Chine : l’Histoire, le Mythe et la Littérature.

Jean Levi, sinologue et romancier, invite le lecteur à le suivre dans ses voyages entre La Chine romanesque et les grandes œuvres littéraires de l’Occident : Dante, Boccace, Cervantès, Shakespeare, Goethe, Balzac, Flaubert, Tolstoï, James, Proust, Nabokov, Borgès…

Un livre érudit, sans doute, mais qui, par l’intensité des questions posées, dépasse le champ des études chinoises puisque, fidèle à son projet d’écrivain, l’auteur s’interroge autant sur les sources du romanesque chinois que sur les fondements de la littérature occidentale.

1995, 464 pages.

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c l au d e l é v i ‑ S t r au S S

L’a n t h r o p o L o g i e F a c e a u x p r o b L è m e s d u m o n d e m o d e r n e

Si les lecteurs de Claude Lévi­Strauss retrouvent ici les questions qui sous­tendent ses travaux, les nouvelles géné­rations pourront y découvrir une vision d’avenir proposée par le célèbre anthropologue.

Dans ces trois conférences, Claude Lévi­Strauss livre ses inquiétudes relatives aux problèmes cruciaux d’un monde sur le point d’entrer dans le xxie siècle, sur les affinités entre les diverses formes d’« explosions idéologiques » et le devenir des intégrismes.

Maurice Olender Extrait de l’avant­propos

2011, 160 pages.

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c l au d e l é v i ‑ S t r au S S

L’a u t r e F a c e d e L a L u n e

é cr i tS Su r l e Ja p on

Pour qui aborde l’histoire, non pas, si j’ose dire, par la face visible de la lune – l’histoire de l’ancien monde depuis l’Égypte, la Grèce et Rome – mais par cette face cachée de la lune qui est celle du japonologue et de l’américaniste, l’importance du Japon deviendrait aussi stratégique que celle de l’autre histoire, celle du monde antique et de l’Europe des temps archaïques.

Il faudrait alors envisager que le Japon le plus ancien ait pu jouer le rôle d’une sorte de pont entre l’Europe et l’ensemble du Pacifique, à charge pour lui et pour l’Europe de développer, chacun de son côté, des histoires symétriques, tout à la fois semblables et opposées : un peu à la façon de l’inversion des saisons de part et d’autre de l’équateur, mais dans un autre registre et sur un autre axe.

C’est donc […] dans une perspective beaucoup plus vaste que le Japon peut nous sembler détenir certaines des clés maîtresses donnant accès au secteur qui reste encore le plus mystérieux du passé de l’humanité.

Claude Lévi­Strauss

Préface de Junzo Kawada. 2011, 208 pages.

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c l au d e l é v i ‑ S t r au S S

n o u s s o m m e s t o u s d e s c a n n i b a L e s

Claude Lévi­Strauss a écrit les pages qui forment à présent ce volume pour répondre à une demande du grand quoti­dien italien La Repubblica. Il en résulte un ensemble inédit, composé de seize textes écrits en français, entre 1989 et 2000.

Partant chaque fois d’un fait d’actualité, Lévi­Strauss y aborde quelques­uns des grands débats contemporains. Mais, que ce soit à propos de l’épidémie dite de « la vache folle », de formes de cannibalisme (alimentaire ou thérapeutique), de préjugés racistes liés à des pratiques rituelles (l’excision ou encore la circoncision), l’ethnologue incite à comprendre les faits sociaux, qui se déroulent sous nos yeux, en évoquant la pensée de Montaigne, un des moments fondateurs de la modernité occidentale : « Chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage. »

Dans ces chroniques, qui portent la marque des dernières années du xxe siècle, on retrouve la lucidité et le pessimisme tonique du grand anthropologue.

En ouverture du volume un texte écrit en 1952 : Le Père Noël supplicié.

Maurice Olender Extrait de l’avant­propos

2013, 288 pages.

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c l au d e l é v i ‑ S t r au S S

« c h e r s t o u s d e u x »l et t r e S à Se S pa r e n tS

1931‑1942

Après la mort de Claude, j’ai dû faire de l’ordre dans ses papiers. J’ai lu ces paquets de lettres avec un plaisir étonné : j’entendais sa voix, je revoyais ses traits, les descrip­tions me rappelaient l’homme avec lequel j’ai vécu presque soixante ans. Être réservé, si intimidant et mal connu. De Strasbourg durant son service militaire, de Mont­de­Marsan où il exerça pour la première fois le métier de professeur, de New York en exil, ces lettres écrites presque quotidien­nement forment une sorte de journal. Et un journal n’est rien d’autre qu’un autoportrait.

En le rendant public, je voudrais faire connaître l’homme qui se cachait derrière le savant.

Monique Lévi­Strauss

2015, 576 pages.

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c l au d e l é v i ‑ S t r au S S

L e p è r e n o Ë L s u p p L i c i é

Noël 1951. Nous sommes le dimanche 23 décembre à Dijon. Sur le parvis de la cathédrale on brûle un Père Noël. De cette scène, qui cristallise la résistance des autorités catholiques de l’après­guerre à un rituel païen venu d’outre­Atlantique, on peut voir aujourd’hui les photographies sur internet.

Claude Lévi­Strauss découvre ce fait divers dans la presse et s’en empare pour écrire un texte devenu depuis un clas­sique. Plus de soixante ans après sa parution en 1952 dans la revue Les Temps Modernes, les lecteurs pourront découvrir le regard singulier du célèbre anthropologue sur un rituel récent en Occident dont l’ampleur n’a cessé de croître, tan­dis qu’Halloween aussi évoqué ici a traversé l’Atlantique à son tour.

Maurice Olender Extrait de l’avant­propos

2016, 80 pages.

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c l au d e l é v i ‑ S t r au S S r o M a n Ja k o b S o n

c o r r e s p o n d a n c e1942‑1982

La correspondance publiée ici, pour la première fois, s’ouvre par des contrepèteries et se referme sur la couleur des voyelles. Elle entrecroise sur presque un demi­siècle le fil de deux vies dans la trame d’une amitié savante qui ne s’interrom­pra qu’avec la mort. Il y est question de poésie et de mathé­matiques, de champignons et d’épopées médiévales, autant que de langues et de mythes. Car, loin de l’image dont on les a parfois affublés, le linguiste Roman Jakobson (1896­1982) et l’anthropologue Claude Lévi­Strauss (1908­2009), ces deux grands sphinx des sciences sociales du xxe siècle, furent, plus que d’autres, des médiateurs entre l’abstraction de la science et l’expérience sensible. La théorie et la volupté se conjoignent dans leurs œuvres respectives autant que dans leur rencontre.

Dans l’éloge qu’il fera de Lévi­Strauss, Jakobson insistera sur un point : il faut concilier le sens de la variation et la recherche des invariants, ne pas opposer la passion pour le singulier, le différent, l’unique, et le souci des formes uni­verselles – bref la science et l’expérience, le concept et la sensation, la vérité et la vie. Il attribue à son ami la solution : faire de ces fameuses structures invariantes rien d’autre que des matrices de variation. Nous n’avons rien en commun sinon ce qui nous fait différer les uns des autres ! Et cela, non seulement au sein de l’humanité, mais jusque dans l’immense concert de la diversité biologique et cosmique. Saisir sa place dans ce jeu de variations, c’est se comprendre soi­même – et telle est la tâche la plus haute des sciences humaines, pour laquelle témoigne cette correspondance inédite.

Emmanuelle Loyer et Patrice Maniglier

Préface, édité et annoté par Emmanuelle Loyer et Patrice Maniglier. 2018, 448 pages.

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c l au d e l é v i ‑ S t r au S S

a n t h r o p o L o g i e s t r u c t u r a L e

z é r o

Marqué par l’expérience de l’exil, ce volume témoigne d’un moment à la fois biographique et historique au cours duquel, comme nombre d’artistes et savants juifs européens, Claude Lévi­Strauss est réfugié à New York. Écrits entre 1941 et 1947, alors qu’il n’a pas encore délaissé ses réflexions politiques, les dix­sept chapitres de ce livre restituent une préhistoire de l’anthropologie structurale.

Ces années américaines sont aussi celles de la prise de conscience de catastrophes historiques irrémédiables : l’extermination des Indiens d’Amérique, le génocide des Juifs d’Europe. À partir des années 1950, l’anthropologie de Lévi­Strauss semble sourdement travaillée par le souvenir et la possibilité de la Shoah, qui n’est jamais nommée.

L’idée de « signifiant zéro » est au fondement même du structuralisme. Parler d’Anthropologie structurale zéro, c’est donc revenir à la source d’une pensée qui a bouleversé notre conception de l’humain. Mais cette préhistoire des Anthro-pologies structurales un et deux souligne aussi le sentiment de tabula rasa qui animait leur auteur au sortir de la guerre et le projet – partagé avec d’autres – d’un recommencement civilisationnel sur des bases nouvelles.

Vincent Debaene

Édité et préfacé par Vincent Debaene. À paraître.

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M o n i q u e l é v i ‑ S t r au S S

u n e e n F a n c e d a n s L a g u e u L e

d u L o u p

Le récit de mon enfance peut se lire comme un témoi­gnage : le destin singulier d’une enfant belge, fille de mère juive, à qui on impose de vivre en Allemagne de 1939 à 1945 sous le IIIe Reich.

Ce livre raconte aussi l’histoire d’une adolescente aux prises avec ses parents qu’elle juge irresponsables parce qu’ils ont entraîné leur famille dans la gueule du loup.

J’aurais dû tenir un journal entre treize et dix­neuf ans, pendant ces années de guerre où mon père nous avait emme­nés dans l’Allemagne nazie, ma mère, mon frère et moi. Or, dès mai 1940, la Gestapo perquisitionnait nos chambres. Nous étions prévenus : toute trace écrite pouvait nous tra­hir. Non seulement nous devions nous taire, mais ne rien posséder de suspect.

Rentrée en France en 1945, les épisodes que je venais de vivre bouillonnaient dans ma tête, j’aurais tant aimé en parler. Personne pour m’écouter, on voulait tourner la page.

Si j’avais été perspicace, j’aurais prévu qu’un jour une nouvelle génération s’intéresserait à la vie quotidienne pen­dant la guerre. Je n’ai pas anticipé, je n’ai pas écrit en 1945.

J’ai donc attendu presque soixante­dix ans avant de livrer mes souvenirs décharnés.

Monique Lévi­Strauss

2014, 240 pages.

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n i c o l e l o r au x

L e s m è r e s e n d e u i L

La passion éclate dans la cité lorsque les mères sont en deuil. Car, dans une douleur de mère, l’excès toujours menace.

Aux pleurs des femmes la politique des hommes grecs répond en prescrivant un rituel funéraire qui impose des limites à l’émotion. Mais sur la scène tragique, où le deuil maternel se mue en actes, Clytemnestre, pour venger Iphigé­nie, met à mort Agamemnon. Et sur les gradins, les hommes au spectacle découvrent peut­être cette souffrance de la perte qu’ils voudraient réserver aux mères.

Nicole Loraux nous conduit au théâtre. Pour comprendre comment, d’Athènes à Rome, de Shakespeare à Freud, par leur amour et leur haine, les femmes font peur aux hommes qui sont avant tout des citoyens.

Actualité des Grecs : serions­nous « civilisés » au point d’avoir oublié la colère qui naît de la douleur ?

1990, 160 pages.

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n i c o l e l o r au x

n é d e L a t e r r eM y t h e et p oli t iqu e à at h è n e S

Qu’est­ce qu’un étranger ? C’est quelqu’un, dit­on, qui vient d’ailleurs, parle une autre langue et n’est pas d’ici : il n’est pas un autochtone. Littéralement, l’autochtone surgit du sol comme une plante, il se dit né de la terre même de la patrie.

Aux origines de l’humanité, les vieux mythes politiques athéniens font ainsi naître le premier homme de la Terre­Mère. Pandora, la première femme, n’est donc pas vrai­ment la mère de l’humanité mais une créature seconde. Loin d’être naturelle, elle résulte d’un artifice divin, quand Zeus destine à l’humanité ce « cadeau empoisonné ». En même temps que ce « beau mal », les humains découvrent leur condition tragique d’êtres sexués et mortels, voués à la reproduction du même en s’enchaînant à autrui. Depuis, l’homme doit travailler le corps de la femme comme on laboure un champ pour l’ensemencer.

Pour comprendre comment les Anciens ont pensé les origines de la citoyenneté démocratique, dont les femmes et les étrangers sont exclus, Nicole Loraux analyse quelques­uns des grands mythes politiques de l’Athènes classique.

Dans ce livre, la plus ancienne patrie de l’imaginaire démocratique éclaire les interrogations d’une historienne qui s’intéresse aux enjeux de notre temps présent.

1996, 256 pages.

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n i c o l e l o r au x

L a t r a g é d i e d ’a t h è n e sla p oli t iqu e e n t r e l’oM br e et l’u topi e

Dans ce livre posthume, dont Nicole Loraux avait prévu la publication, la grande historienne s’interroge sur les repré­sentations que la cité grecque veut donner d’elle­même. En particulier, elle analyse les discours liés à la dérangeante question de la guerre civile, la stásis.

Soulignant l’importance d’un bon usage de la psychana­lyse en histoire, Nicole Loraux fait le vœu que les historiens, « mûris par l’expérience du temps le plus immédiatement présent, confrontés à l’évident échec des grilles explicatives unidimensionnelles face aux guerres civiles partout rallu­mées, enfin convaincus de l’urgente nécessité de faire dans l’histoire la part de l’affect, acceptent de travailler simulta­nément sur deux registres. Que, sans renoncer à s’attacher aux coulisses de l’action, ils sachent écouter le discours des acteurs sur la scène. Pari difficile, à coup sûr… ».

2005, 252 pages.

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pat r i c e l o r au x

L e t e m p o d e L a p e n s é e

Le blocage, l’empêchement de penser, le détour, la panne se trouvent au cœur de la création : tous ces dysfonctionne­ments où la pensée « grippe » sont la pensée même. Kafka, Mallarmé, mais aussi Platon, Aristote, Kant, Husserl et Witt­genstein négocient avec leurs conflits. S’ils réussissent, il y a une œuvre, sinon, elle demeure dans les limbes – ce qui est le cas pour une partie de l’œuvre de Mallarmé. Chez le créateur, il existe une peur essentielle, celle de poursuivre. Plutôt recommencer que poursuivre : tel est le secret désir qui paralyse. Pour Rimbaud, c’est différent. Il va très vite, ne connaît pas d’obstacle, brûle toutes les étapes en feignant de ne pas voir les difficultés. Alors que les philosophes ne cessent d’avancer en un mouvement d’aller et de retour, chez Rimbaud, il n’y a pas de retour, ou alors il aurait été catastrophique.

Troublée par l’énigme qu’elle est pour elle­même, la pensée n’existe pas sans affectivité : ce qui excite paralyse, mais, sans excitation, il n’y a pas de pensée. Ce qui suscite le désir d’écrire empêche d’écrire. Tout l’art consiste alors à négocier avec les résistances. En compagnie de Rilke, Proust, Valéry, Claudel et Beckett, l’auteur – qui a lu Freud – montre comment la raison se démène, étant entendu que la compré­hension des choses n’est pas autonome. L’affectivité peut lui opposer un mur. Il faut alors consentir à un saut, à penser un pont, sans savoir quel sera le terrain inconnu découvert « en face ».

Dans ce livre, en quête d’une musique secrète (le tempo dénote un rythme qui n’est pas défini de manière absolue), il y a un désir de se déprendre du lyrisme de la pensée. Plutôt qu’une oreille séduite, l’énergie d’un pas décidé.

1993, 464 pages.

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S a b i n a l o r i g a

L e p e t i t xde la bio gr a ph i e à l’h iStoi r e

Quelles sont les frontières entre la biographie et l’histoire, la fiction littéraire et la vérité des faits ?

L’historienne Sabina Loriga a choisi d’examiner l’œuvre de penseurs qui, tout au long du xixe siècle, ont cherché à restituer la dimension individuelle de l’histoire : des histo­riens (Thomas Carlyle, Wilhelm von Humboldt, Friedrich Meinecke), un historien de l’art (Jakob Burckhardt), un phi­losophe (Wilhelm Dilthey) et un romancier (Léon Tolstoï).

Mais Le Petit x, de quoi s’agit­il ? La formule est du grand historien Droysen qui, en 1863, écrit que si l’on appelle A le génie individuel (ce que quelqu’un est, possède et fait), alors on peut dire que A est la somme de a + x : a désigne ici ce qui vient des circonstances extérieures (pays, époque, etc.), x résulte du talent personnel, œuvre de la libre volonté.

Nombreux depuis ont exploré ce petit x. Comment se forme­t­il ? Est­il inné ? Quel rôle joue la personne singu­lière dans l’histoire ? Comment faut­il saisir le rapport entre l’individu, son génie, et le mouvement général de l’histoire ?

Le livre de Sabina Loriga signe le retour de la biogra­phie, longtemps délaissée, dans le champ des recherches historiques.

2010, 304 pages.

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c h a r l e S M a l a M o u d

L e J u m e a u s o L a i r e

Dans la mythologie de l’Inde ancienne, le dieu Yama, fils du Soleil, est aussi le premier mort : il fait l’expérience de la mort pour reconnaître le chemin que les hommes, après leur trépas, emprunteront pour accéder à l’au­delà.

Roi des ancêtres, préposé à la mort, juge des morts, Yama fait connaître et impose aux hommes leur condition de mor­tels. Il est parmi les dieux celui qui veille sur les contraintes et les devoirs qui ordonnent la vie sociale et individuelle. À ce titre, son pouvoir (son « bâton ») est le modèle du pouvoir royal ici­bas.

Yama a une sœur jumelle, Yami. Bien qu’il se soit dérobé, par peur de l’inceste, à l’amour qu’elle lui offrait, elle le pleure quand il meurt, puis transforme sa douleur en deuil et crée des formes nouvelles de remémoration et de tendresse entre frères et sœurs.

Dans ce livre, Charles Malamoud analyse les relations que la sagesse et les folies de l’Inde ont su déceler entre la mort, la loi, la répétition et l’écriture. Il met en perspective les rites et les mythes de l’Inde védique et brahmanique qui disent comment vivent les mortels, comment les générations se succèdent.

2002, 228 pages.

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c h a r l e S M a l a M o u d

L a d a n s e d e s p i e r r e sét u de S

Su r la Sc è n e Sacr i f ici e l l e da nS l’i n de a nci e n n e

L’ouvrage porte sur la notion de « scène » dans le rituel et la mythologie de l’Inde. Certains moments des cérémo­nies ou des récits mythiques sont des « scènes » par leur intensité dramatique, leur cadre et surtout par le regard que porte sur eux un personnage : regard qui les cerne et règle les conditions de notre propre vision. Il s’agit d’analyser l’élément « scénique » du « drame sacrificiel » et aussi de montrer en quel sens, selon quelles modalités, ce drame est une « représentation ».

Plusieurs des scènes ainsi reconnues relèvent de la « scène primitive » de la psychanalyse. Les données sont principalement des textes. Mais Charles Malamoud a aussi observé une cérémonie sur le terrain en 1990. Le titre vient du commentaire d’un poème védique qui décrit comme une « danse » le mouvement des pierres avec lesquelles les hommes écrasent les tiges de la plante soma pour en extraire la boisson d’immortalité qu’ils offriront aux dieux.

2005, 212 pages.

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f r a n ç o i S M a S p e r o

d e s s a i s o n s a u b o r d d e L a m e r

« Ils se racontent des histoires, ceux qui se bercent de l’illusion que les maisons ont une âme à elles. Si les maisons en ont une, c’est seulement celle que forme l’ensemble des âmes de ceux qui les habitent. Jamais elles ne pourront parler à des intrus sans mémoire de la chaleur que leur communiquaient les vivants d’alors, de l’écho des voix au sein de leurs murs, des odeurs de cuisine et de fleurs, du vent de la mer qui faisait claquer les volets. L’âme des maisons, la vraie, ne survit que dans le souvenir de ceux qui y ont vécu. »

Un homme se souvient. Son enfance dans une maison proche d’un port du Nord d’où l’on voyait les falaises d’Angleterre, à l’époque de la bourgeoisie sûre d’elle­même et des espoirs du Front populaire. Et l’enfance de sa fille, dans une île de l’Atlantique battue par les vagues où se mêlaient histoire et légendes, et qu’elle aimait au point de rêver qu’elle y était née.

Entre les deux, la guerre, les destructions, la mort d’êtres chers, toujours vivants dans la mémoire du père que la fille interroge obstinément. Et dans le défilé des saisons, contre vents et marée, François Maspero dit la vie, le bonheur fra­gile, l’amour partagé de la mer et de la terre charnelles.

2009, 192 pages. « Points », 2012, 192 pages.

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M a r i e M o S c ov i c i

L’ o m b r e d e L’ o b J e tSu r l’i nac t ua li t é

de la pSych a na lySe

La psychanalyse, dit­on, serait sur son déclin. Comme si, cinquante ans après la mort de Freud, l’essentiel de son message avait fait son temps. La communauté elle­même est ébranlée : certains ne rêvent­ils pas d’une psychanalyse sans analyse, d’où l’inconscient, enfin, serait évacué ?

« L’ombre de l’objet est tombée sur le moi », écrit Freud pour qualifier la mélancolie. La mélancolie dont il est ici question est celle d’une génération d’orphelins qui ne par­vient pas à endosser l’héritage des fondateurs. Relisant Freud et Winnicott, Marie Moscovici laisse apparaître en filigrane l’espace occupé par Lacan dans l’état d’esprit des psychana­lystes de tous bords.

1990, 160 pages.

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M au r i c e o l e n d e r

u n F a n t ô m e d a n s L a b i b L i o t h è q u e

Il avait tout appris en devenant cliveur de diamants. Sans jamais oublier qu’il était né analphabète. Adolescent, plu­tôt que de sombrer dans la drogue, il s’était abîmé dans l’érudition.

Mais que peut signifier pour un savant, un professeur, un éditeur, l’affirmation d’une volonté analphabète ? Peut­on vraiment lire en échappant aux signes, comprendre sans déchiffrer les textes, vivre en écrivain, entouré de livres, sans jamais rien lire ? Et passer sa vie à collecter d’authentiques archives, littéraires et scientifiques, pour en faire des instal­lations archéologiques ?

Ou alors ces histoires de fantôme dans la bibliothèque ne seraient qu’une ruse, une manière d’inverser les jeux de rôle entre la lettre et l’esprit, le judaïsme et le christianisme ?

Sous tant de questions couve une interrogation inquiète : comment élucider l’obscure intensité des liens entre l’absence et la présence, la mémoire et l’oubli, le poétique et le politique ?

2017, 224 pages.

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n i c a n o r pa r r a

p o è m e s e t a n t i p o è m e s

*

a n t h o L o g i e 19 3 7 ‑ 2 0 14

Parra est mathématicien, professeur. C’est l’un des grands poètes sud­américains. On lui a donné le prix Cervantès en 2011, ça ne l’a pas tué. Quand il écrit, c’est sans perruque, pas sans mâchoire : ses dents montrent la joie, le rire, la grimace, le dentier, le cadavre. La conscience ordinaire, celle de l’homme de la rue et de son langage, trouve une expression lyrique.

[…]La poésie est un glissement de terrain, le lieu de la crise.

C’est une ligne de rupture et un casse­tête. « Casse­tête » est le titre d’un vieux poème de Nicanor Parra, écrivain chilien de cent trois ans qu’une certaine colère poétique a conservé, comme si l’absence de compromis esthétique et sentimental était un gage de survie.

Philippe Lançon

2017, 684 pages. Traduit de l’espagnol (Chili) par Bernard Pautrat, avec la collaboration de Felipe Tupper. Préface de Philippe Lançon, édité par Felipe Tupper. Édition bilingue. Cet ouvrage a été publié avec le soutien de la Maison de l’Amérique latine. 2019, « Points Poésie », n° 4988, 160 pages pour Poèmes et Antipoèmes.

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M i c h e l pa S t o u r e au

L’ é t o F F e d u d i a b L eu n e h iStoi r e de S r ay u r e S

et de S t iSSuS r ay é S

Que peuvent avoir de commun saint Joseph et Obélix, la prostituée médiévale et l’arbitre de base­ball, les frères du Carmel et les baigneurs des années folles, les bouffons de la Renaissance et les forçats des bandes dessinées, les dormeurs en pyjama et les sans­culottes de l’an II ?

Ils ont en commun de porter un vêtement rayé, signe de leur situation sur les marges ou hors de l’ordre social. Structure impure, la rayure est en effet longtemps restée en Occident une marque d’exclusion ou de transgression. Le Moyen Âge voyait dans les tissus rayés des étoffes diaboliques, et la société moderne a longtemps continué d’en faire l’attri­but vestimentaire de ceux qu’elle situait au plus bas de son échelle (esclaves, domestiques, matelots, bagnards).

Toutefois, à partir de l’époque romantique, ces rayures dégradantes, sans vraiment disparaître, commencent à s’atté­nuer et à être concurrencées par des rayures d’une autre nature, porteuses d’idées nouvelles : liberté, jeunesse, plaisir, humour. Aujourd’hui, les deux systèmes de valeurs pour­suivent leur coexistence. Mais, plus que jamais, il y a rayures et rayures. Celles du banquier ne sont pas celles du malfrat ; celles des passages cloutés ou des grilles de la prison ne sont pas celles du bord de mer ou des terrains de sport.

Retraçant cette longue histoire de la rayure occidentale, Michel Pastoureau s’interroge plus largement sur l’origine, le statut et le fonctionnement des codes visuels au sein d’une société donnée. Qu’est­ce qu’une marque infamante ? Pour­quoi les surfaces rayées se voient­elles mieux que les surfaces unies ? Est­ce vrai dans toutes les civilisations ? S’agit­il d’un problème biologique ou d’un problème culturel ?

1991, 192 pages. « Points Histoire », n° 386, 2007, 192 pages.

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u n e h i s t o i r e s y m b o L i q u e d u m o y e n â g e o c c i d e n t a L

Les procès intentés aux animaux, la mythologie du bois et des arbres, le bestiaire des fables, l’arrivée du jeu d’échecs en Europe, l’histoire et l’archéologie des couleurs, l’origine des armoiries et des drapeaux, l’iconographie de Judas, la légende du roi Arthur et celle d’Ivanhoé : tels sont quelques­uns des sujets traités par Michel Pastoureau dans cette « Histoire symbolique du Moyen Âge occidental ».

L’auteur, qui construit cette histoire depuis trois décen­nies, nous conduit ainsi sur des terrains documentaires variés : le lexique et les faits de langue, les textes littéraires et didactiques, les armoiries et les noms propres, les images et les œuvres d’art. Partout, Michel Pastoureau souligne avec force combien cette histoire symbolique des animaux et des végétaux, des couleurs et des images, des signes et des songes, loin de s’opposer à la réalité sociale, économique ou poli­tique, en est une des composantes essentielles.

Pour l’historien, l’imaginaire fait toujours partie de la réalité.

2004, 450 pages. « Points Histoire », n° 465, 2012, 496 pages.

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L’ o u r sh iStoi r e d’u n roi dé ch u

Longtemps en Europe le roi des animaux ne fut pas le lion mais l’ours, admiré, vénéré, pensé comme un parent ou un ancêtre de l’homme. Les cultes dont il a fait l’objet plusieurs dizaines de millénaires avant notre ère ont laissé des traces dans l’imaginaire et les mythologies jusqu’au cœur du Moyen Âge chrétien. De bonne heure l’Église chercha à les éradiquer. Prélats et théologiens étaient effrayés par la force brutale du fauve, par la fascination qu’il exerçait sur les rois et les chasseurs et surtout par une croyance, largement répandue, selon laquelle l’ours mâle était sexuellement attiré par les jeunes femmes. Il les enlevait et les violait. De ces unions naissaient des êtres mi­hommes mi­ours, tous guerriers invincibles, fondateurs de dynasties ou ancêtres totémiques.

Michel Pastoureau retrace les différents aspects de cette lutte de l’Église contre l’ours pendant près d’un millénaire : massacres de grande ampleur, diabolisation systématique, transformation du fauve redoutable en une bête de cirque, promotion du lion sur le trône animal. Mais l’auteur ne s’arrête pas à la fin du Moyen Âge. Inscrivant l’histoire cultu­relle de l’ours dans la longue durée, il tente de cerner ce qui, jusqu’à nos jours, a survécu de son ancienne dignité royale.

Le livre se termine ainsi par l’étonnante histoire de l’ours en peluche, dernier écho d’une relation passionnelle venue du fond des âges : de même que l’homme du Paléolithique partageait parfois ses peurs et ses cavernes avec l’ours, de même l’enfant du xxie siècle partage encore ses frayeurs et son lit avec un ourson, son double, son ange gardien, peut­être son premier dieu.

2007, 432 pages. « Points Histoire », n° 472, 2013, 432 pages.

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M i c h e l pa S t o u r e au

L e s c o u L e u r s d e n o s s o u v e n i r s

Que reste­t­il des couleurs de notre enfance ? Quels sou­venirs gardons­nous d’un lapin bleu, d’une robe rouge, d’un vélo jaune ? Ont­ils vraiment revêtu ces couleurs ? Plus tard, lesquelles associons­nous à nos années d’études, à nos pre­mières amours, à notre vie d’adulte ? Comment la couleur s’inscrit­elle dans le champ de la mémoire ? Comment est­elle capable de la stimuler ? de la transformer ? Ou bien, au contraire, comment est­elle victime de ses caprices ou de ses intermittences ?

Pour tenter de répondre à ces questions – et à beaucoup d’autres – Michel Pastoureau nous propose un journal chro­matique s’étendant sur plus d’un demi­siècle (1950­2010). Souvenirs personnels, notations prises sur le vif, propos débri­dés, digressions savantes ou remarques propres à l’historien, ce livre retrace l’histoire des couleurs en France et en Europe depuis le milieu du xxe siècle. De nombreux champs d’obser­vation sont parcourus ou évoqués : le vocabulaire et les faits de langue, la mode et le vêtement, les objets et les pratiques de la vie quotidienne, les emblèmes et les drapeaux, le sport, la littérature, la peinture, les musées et l’histoire de l’art.

Ce journal chromatique, tour à tour ludique, poétique ou nostalgique, est à la fois celui de l’auteur et celui de nos contemporains. Nous vivons dans un monde de plus en plus coloré mais où la couleur reste un lieu de mémoire, une source de plaisirs et plus encore une invitation au rêve.

2010, 272 pages. « Points Histoire », n° 509, 2015, 288 pages.

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M i c h e l pa S t o u r e au

L e r o i t u é pa r u n c o c h o n

u n e Mort i n fâ M e au x or igi n e S de S e M bl è M e S

de la f r a nc e ?

Le bleu est la couleur de la France. Dans ce rôle ses origines sont anciennes : elles se situent vers le milieu du xiie siècle, lorsque le roi Louis VII adopte deux attributs de la Vierge, le lis et l’azur, pour en faire les premières armoiries royales. Par ce choix, non seulement il rend hommage à la mère du Christ, patronne du royaume, mais surtout il tente d’effacer le souvenir d’une mort infâme qui, quelque temps plus tôt, a souillé tout ensemble la dynastie capétienne et la monarchie française : celle de son frère aîné Philippe, jeune roi de quinze ans, déjà sacré et associé au trône, tombé de cheval le 13 octobre 1131 à cause d’un misérable cochon de ferme vagabondant dans une rue de Paris.

L’ouvrage de Michel Pastoureau raconte cet événement insolite, oublié de tous les livres d’histoire, et étudie dans la longue durée ses multiples conséquences. À bien des égards, cet accident provoqué par un animal impur et méprisé, que les chroniques qualifient de porcus diabolicus, loin d’être anec­dotique, apparaît comme un événement fondateur.

2015, 256 pages. « Points Histoire », n° 541, 2018, 288 pages.

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M i c h e l pa S t o u r e au

u n e c o u L e u r n e v i e n t J a m a i s

s e u L eJou r na l ch roM at iqu e (2012 ‑2016)

Dans son ouvrage Les Couleurs de nos souvenirs, Michel Pastoureau s’était intéressé à l’histoire des rapports entre couleurs et société sur plus d’un demi­siècle (1950­2010). Poursuivant ses enquêtes, il les fait porter sur une période plus courte et propose aujourd’hui un regard et une réflexion sur les pratiques de la couleur de notre temps. Fait de notes prises sur le vif, d’expériences personnelles, de propos débri­dés, de digressions savantes ou de récits pleins d’humour, ce Journal chromatique des cinq dernières années nous conduit sur les terrains les plus divers : le vocabulaire et les faits de langue, la vie quotidienne et le spectacle de la rue, le vêtement et les phénomènes de mode, l’art et la littérature, le cinéma, les musées, la publicité, le monde politique, les jardins publics, les chambres d’hôtel et les terrains de sport.

Tour à tour descriptif et narratif, ludique et poétique, ce Journal souligne combien la couleur, omniprésente dans nos sociétés contemporaines où sa fonction première est de signaler, de classer et de hiérarchiser, reste heureusement une source de plaisir et un lieu pour rêver.

2017, 240 pages.

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v i n c e n t p e i l l o n

u n e r e L i g i o n p o u r L a r é p u b L i q u e

la foi la ïqu e de f er di na n d bu iSSon

À travers la figure trop méconnue de Ferdinand Buisson (1841­1932), principal artisan de la laïcité française, cet essai restitue « la religion laïque » dans sa cohérence doctrinale, à la fois philosophique, morale, politique et pédagogique. On comprend mieux dès lors comment Ferdinand Buisson, prix Nobel de la Paix en 1927, a pu concilier l’engagement du socialiste, anticlérical résolu, avec l’affirmation suivante : « La religion de Jésus est la religion de chaque citoyen répu­blicain. »

Disciple d’Edgar Quinet, héritier d’une puissante tradition révolutionnaire, Ferdinand Buisson a cherché le moyen de contrecarrer l’alliance de la contre­révolution et de l’Église catholique afin d’établir la République démocratique et sociale dans la durée. Vincent Peillon souligne combien la laïcité, faite religion nouvelle, joue un rôle philosophique et politique. L’école et les « hussards noirs » y ont eu pour mission de faire de chaque élève un Christ républicain, de la raison une émotion, une passion et même une mystique.

En montrant que la laïcité fut d’abord la formulation d’un théologico­politique spécifiquement républicain, Vincent Peillon ouvre de nouveaux horizons de recherche et d’interrogation pour la philosophie politique contempo­raine.

2010, 304 pages.

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v i n c e n t p e i l l o n

é L o g e d u p o L i t i q u eu n e i n t roduc t ion au x x i e Si è c l e

Aux grandes réponses traditionnelles relatives au sens de notre modernité – la mort de Dieu, la mort de l’homme – dont il réfute la pertinence Vincent Peillon substitue une autre piste de lecture. Ce qui se joue dans notre temps, c’est la mort du politique. Réduite à l’économie, à la morale, ou à la seule communication, la politique n’est­elle pas devenue elle­même « antipolitique » ?

Mais qu’est­ce que le politique dont il s’agit ici ? Nos tradi­tions démocratiques se sont construites autour d’une alliance entre philosophie et politique, un mode d’organisation de la Cité et un type de rationalité critique. Socrate apostro­phant les puissants – hommes d’argent, de pouvoir ou de verbe – illustre le fondement de cette histoire. Celle­ci s’est déployée à travers l’humanisme civique de la Renaissance, les Lumières et la Révolution, la fondation de la troisième République, toujours dans la lutte et l’affrontement avec ceux qui veulent exercer le pouvoir, prétendent posséder la vérité et se prennent pour des dieux.

Nourri d’une méditation continue des œuvres des philo­sophes classiques et modernes, particulièrement de Merleau­Ponty, mais aussi d’une expérience d’homme politique, Vincent Peillon propose de renouer les liens du politique à l’action et à la vérité, de la philosophie à la Cité, qui seuls pourraient permettre, en un temps où la démocratie est fragilisée, un autre avenir que de ténèbres.

2011, 224 pages.

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v i n c e n t p e i l l o n

L i b e r t é , é g a L i t é , F r a t e r n i t é

Su r l e r épu blica n iSM e f r a nça iS

Écrire l’histoire de la devise républicaine, c’est faire de la contre­histoire. Il suffit de considérer les noms des principaux auteurs ou penseurs de la devise républicaine, Robespierre, Pierre Leroux, Louis Blanc, pour ne citer que quelques­uns de ceux qui seront étudiés dans ce livre, pour comprendre qu’ils ont été, dans des modalités certes diverses, allant de la pure et simple ignorance au mensonge ou à la moquerie et au dédain, destitués de leur paternité.

Ceux qui croient que les idées n’ont pas d’effet dans l’his­toire et que la manière de raconter le passé n’influe pas sur le présent et sur l’avenir se trompent. Je ne sais pas si elles dirigent le monde, mais il n’est pas surprenant de constater, sur la base de cette histoire falsifiée, que le républicanisme soit devenu en France une philosophie conservatrice, voire réactionnaire, servant à légitimer les intérêts des classes les plus favorisées et à entretenir l’image sépia d’une France qui n’a jamais existé. Si ce n’est pas surprenant, c’est toutefois désolant et inquiétant.

En proposant ce livre sur la devise, j’ai voulu écrire une histoire de la doctrine républicaine française du point de vue des républicains eux­mêmes, c’est­à­dire de ceux qui se sont battus pour elle, plutôt que du point de vue de ceux qui l’ont combattue et ne s’y sont ralliés que lorsqu’elle avait vaincu. J’ai cherché à présenter cette doctrine telle qu’elle a été élaborée non par ceux qui voulaient occuper les places mais par ceux qui voulaient, quoi qu’il puisse leur en coûter, produire un effet moral et affirmer un idéal, celui de la République démocratique, sociale et laïque.

Vincent Peillon

2018, 512 pages.

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g e o r g e S p e r e c

l ’ i n f r a - o r d i n a i r e

Les journaux parlent de tout, sauf du journalier. Les jour­naux m’ennuient, ils ne m’apprennent rien. […]

Ce qui se passe vraiment, ce que nous vivons, le reste, tout le reste, où est­il ? Ce qui se passe chaque jour et qui revient chaque jour, le banal, le quotidien, l’évident, le commun, l’ordinaire, le bruit de fond, l’habituel, comment en rendre compte, comment l’interroger, comment le décrire ? […]

Peut­être s’agit­il de fonder enfin notre propre anthropo­logie : celle qui parlera de nous, qui ira chercher en nous ce que nous avons si longtemps pillé chez les autres. Non plus l’exotique, mais l’endotique.

Georges Perec

1989, 128 pages.

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g e o r g e S p e r e c

v œ u x

Vœux (il s’agit de petits textes, généralement fondés sur des variations homophoniques, tirés à une centaine d’exem­plaires et envoyés à mes amis à l’occasion de la nouvelle année).

G. P.

1989, 192 pages.

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g e o r g e S p e r e c

J e s u i s n é

Je sais, en gros, comment je suis devenu écrivain. Je ne sais pas précisément pourquoi. Avais­je vraiment besoin, pour exister, d’aligner des mots et des phrases ? Me suffisait­il, pour être, d’être l’auteur de quelques livres ? […] Avais­je donc quelque chose de tellement particulier à dire ? Mais qu’ai­je dit ? Que s’agit­il de dire ? Dire que l’on est ? Dire que l’on écrit ? Dire que l’on est écrivain ? Besoin de communiquer quoi ? Besoin de communiquer que l’on a besoin de communiquer ? Que l’on est en train de communiquer ? L’écriture dit qu’elle est là, et rien d’autre, et nous revoilà dans ce palais de glaces où les mots se ren­voient les uns les autres, se répercutent à l’infini sans jamais rencontrer autre chose que leur ombre.

Georges Perec

1990, 128 pages.

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g e o r g e S p e r e c

c a n t a t r i x s o p r a n i c a L .

et au t r e S é cr i tS Sci e n t i f iqu e S

Parodie, pastiche, charge, caricature ? Laissons au lecteur le soin de caractériser d’un nom chacun des textes ici ras­semblés, et qui révèlent une figure parfois ignorée de Perec, celle du savant.

1991, 128 pages. « Points Essais », n° 577, 2007, 144 pages.

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g e o r g e S p e r e c

L . g . u n e av e n t u r e

d e s a n n é e s s o i x a n t e

Entre 1959 et 1963, Georges Perec et quelques­uns de ses amis échafaudèrent longuement un projet de revue littéraire, baptisée La Ligne générale, en référence au film d’Eisenstein.

Le groupe de La Ligne générale fut une nébuleuse aux contours incertains : de une à quelques dizaines de partici­pants, tous fort jeunes (de dix­huit à moins de trente ans), très majoritairement étudiants, assez souvent membres du parti communiste, plus souvent encore en proximité conflic­tuelle avec lui. De cette revue qui ne vit jamais le jour, les plus substantiels morceaux épars sont présentés ici, ceux qui furent rédigés partiellement ou totalement par Georges Perec.

Si La Ligne générale perecquienne pécha par idéalisme intellectualiste, ses modèles n’avaient rien de desséché. Dans un mélange d’optimisme et de volontarisme, ces textes disent un rêve d’épanouissement, de vie élargie que désigne ce mot de « bonheur » qui revient avec insistance. « Bonheur » dont étaient cherchées les images, contradictoires ou non, autant dans la vie chantée et dansante de la comédie musicale amé­ricaine que dans le grandiose eisensteinien ou encore dans le rire de Rabelais, Swift ou Queneau.

À travers les textes de ce volume, on voit se mettre en place les pilotis sur lesquels Perec va édifier son œuvre, avec une remarquable continuité dans le choix des fils conduc­teurs. Des romans aussi divers que Les Choses, Un homme qui dort, W ou le souvenir d’enfance et La Vie mode d’emploi sont des odyssées de la conscience qui trouvent ici une de leurs origines.

1992, 192 pages.

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g e o r g e S p e r e c

L e v o y a g e d ’ h i v e r

Le Voyage d’hiver, une brève nouvelle de Georges Perec, plonge le lecteur dans l’étrange aventure de Vincent Degraël, un jeune professeur de lettres qui fait une découverte bou­leversant toutes les certitudes acquises à propos de la litté­rature française du xixe siècle. Un récit fascinant consacré à un poète maudit, aujourd’hui oublié, dont l’œuvre avait « incendié tous ceux qui l’avaient eue en main ».

1993, 48 pages.

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u n c a b i n e t d ’a m a t e u r

Notre éminent concitoyen Hermann Raffke, de Lübeck, n’est pas seulement célèbre pour l’excellente qualité de la bière qu’il brasse avec succès dans nos murs depuis bientôt cinquante ans ; il est aussi un amateur d’art éclairé et dyna­mique, bien connu des cimaises et des ateliers des deux côtés de l’Océan. Au cours de ses nombreux voyages en Europe, Hermann Raffke a su rassembler avec un discernement éclec­tique et sûr tout un ensemble d’œuvres d’art anciennes et modernes dont maints musées du Vieux Continent se seraient volontiers parés et qui n’a pas à l’heure actuelle son équiva­lent dans notre jeune contrée […]. Hermann Raffke a su nous donner la preuve la plus éclatante de son triple attachement à la peinture, à notre ville, et à l’Allemagne, en commandant au tout jeune peintre Heinrich Kürz, dont nous sommes fiers de préciser qu’il est né à Pittsburgh de parents wurtembour­geois, le portrait qui le représente, assis dans son cabinet de collectionneur, devant ceux de ses tableaux qu’il préfère. […]

Plus de cent tableaux sont rassemblés sur cette seule toile, reproduits avec une fidélité et une méticulosité telles qu’il nous serait tout à fait possible de les décrire tous avec précision. […]

Un cabinet d’amateur n’est pas seulement la représentation anecdotique d’un musée particulier ; par le jeu de ces reflets successifs, par le charme quasi magique qu’opèrent ces répé­titions de plus en plus minuscules, c’est une œuvre qui bas­cule dans un univers proprement onirique où son pouvoir de séduction s’amplifie jusqu’à l’infini, et où la précision exacer­bée de la matière picturale, loin d’être sa propre fin, débouche tout à coup sur la Spiritualité vertigineuse de l’Éternel Retour.

Georges Perec

1994, 96 pages (1re édition en 1979). « Points », n° 865, 2001, 96 pages.

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b e a u x p r é s e n t s b e L L e s a b s e n t e s

Hommage personnel, écrit de circonstance, contrainte littérale : trois grandes traditions de la poésie occidentale se rejoignent dans ces Beaux Présents, qui explorent de façon variée les potentialités littéraires d’alphabets restreints et poursuivent les recherches inaugurées en 1969 par Georges Perec avec son roman sans e, La Disparition.

Renouant avec les plus anciennes joies combinatoires de l’anagramme, Georges Perec les renouvelle, les systématise et les enrichit dans l’esprit d’une féconde poétique du manque. Au­delà du déchiffrement et de l’anecdote, ces pièces de patient et amical artisanat textuel invitent à la découverte d’un lyrisme généreux autant que discret.

1994, 96 pages. « Points Poésie », 2009, 112 pages.

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p e n s e r /c L a s s e r

Que me demande­t­on, au juste ? Si je pense avant de classer ? Si je classe avant de penser ? Comment je classe ce que je pense ? Comment je pense quand je veux classer ? […]

Tellement tentant de vouloir distribuer le monde entier selon un code unique ; une loi universelle régirait l’ensemble des phénomènes : deux hémisphères, cinq continents, mas­culin et féminin, animal et végétal, singulier pluriel, droite gauche, quatre saisons, cinq sens, six voyelles, sept jours, douze mois, vingt­six lettres.

Malheureusement ça ne marche pas, ça n’a même jamais commencé à marcher, ça ne marchera jamais.

N’empêche que l’on continuera encore longtemps à caté­goriser tel ou tel animal selon qu’il a un nombre impair de doigts ou des cornes creuses.

Georges Perec

2003, 192 pages (1re édition en 1985). « Points Essais », n° 760, 2015, 208 pages.

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L e c o n d o t t i è r e

Du Condottière Perec dit qu’il est « le premier roman abouti » qu’il parvint à écrire. Plus d’un demi­siècle après sa rédaction (1957­1960), trente ans après la mort de Perec, le 3 mars 1982, on va pouvoir enfin découvrir cette œuvre de jeunesse, égarée puis miraculeusement retrouvée.

Gaspard Winckler, le héros de ce roman, s’est voué depuis des mois à réaliser un faux Condottière qui rivalise à tout point de vue avec celui du Louvre, peint par Antonello de Messine en 1475. Prince des faussaires, il n’est pourtant que le simple exécutant d’un commanditaire, Anatole Madera.

Tel un roman policier, la première page du livre s’ouvre sur l’assassinat de Madera par Winckler. Pourquoi ce meurtre ? Pourquoi Gaspard Winckler a­t­il échoué dans son projet d’égaler Antonello de Messine ? Que cherchait­il en devenant un virtuose du faux ? Que voulait­il capter dans l’image de maîtrise et d’énergie donnée par le visage de ce guerrier ? Pourquoi vit­il l’assassinat de Madera comme une libération ?

Le thème du faux parcourt toute l’œuvre de Perec. Le personnage de fiction nommé Gaspard Winckler apparaît dans La Vie mode d’emploi et W ou le souvenir d’enfance. Le dernier roman publié du vivant de Perec, Un cabinet d’ama-teur, est une éblouissante construction autour des sortilèges de la copie et du faux.

Le Condottière permet d’entrevoir les enjeux de cette quête : comment, en se débattant avec le faux, parvenir à la conquête du vrai.

Préface de Claude Burgelin. 2012, 224 pages. « Points », n° 3152, 2013, 192 pages.

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g e o r g e S p e r e c

L’a t t e n t a t d e s a r a J e v o

1957. Georges Perec a vingt­et­un ans. Il est un étudiant (en histoire) qui n’étudie plus. Il voudrait écrire, n’y parvient guère. En juin 1956, il commence une psychanalyse. Fin juil­let 1957, il part pour la Yougoslavie. Le 8 septembre, à peine revenu, il rédige dans l’urgence un roman tout imprégné de son expérience yougoslave, L’Attentat de Sarajevo. C’est un galop d’essai mené au galop. C’est, littéralement, son premier « Cinquante-trois jours ». Tel Stendhal dictant La Char-treuse de Parme en cinquante­deux jours, il dicte le livre à une de ses anciennes camarades du lycée d’Étampes. Le tapuscrit, perdu, n’a été retrouvé qu’après sa mort.

Lecteur, c’est avec un Perec inattendu que tu vas faire connaissance. Frôlant le roman d’analyse psychologique, esquis­sant une histoire d’amour et de jalousie, c’est avec le scénario Hamlet que se débat l’auteur­narrateur, un « je » quasiment au premier degré, oscillant entre récit autobiographique et fiction.

L’attentat de 1914 fit s’embraser l’Europe ; celui de 1957 reste un fantasme, dont le narrateur, en bon flaubertien, ne serait sans doute pas loin de penser que c’est « ce que nous avons eu de meilleur ».

Dans les multiples branches de l’arbre Perec, beaucoup de lecteurs se sont délectés à grimper ou se nicher. En voici une des racines. Elle plonge loin – dans des terreaux que Perec n’a plus guère remués par la suite.

Ce roman se trouve publié près de soixante ans après sa rédaction. L’édifice Perec est dorénavant bien connu. Il nous importe donc de mieux savoir sur quelles fondations il s’est construit.

Claude Burgelin

Préface de Claude Burgelin. 2016, 208 pages. « Points », n° 4596, 2017, 188 pages.

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L e v o y a g e d ’ h i v e r &

s e s s u i t e sp oSt fac e de Jacqu e S rou bau d

C’est en 1979 que Georges Perec publia pour la première fois une brève nouvelle qui avait pour titre Le Voyage d’hiver, qui sera reprise ensuite dans « La Librairie du xxe siècle ». Perec y racontait la découverte, par un jeune professeur de lettres, d’un fascinant volume, intitulé précisément Le Voyage d’hiver, qui modifie du tout au tout le regard que l’on peut porter sur les poètes français de la fin du xixe siècle : ceux­ci apparaissent tous comme tributaires de l’œuvre d’un auteur aussi génial que méconnu, Hugo Vernier.

Quelques années plus tard, Jacques Roubaud éprouva le besoin d’apporter quelques savants et utiles compléments au récit perecquien. Il fut bientôt suivi en cela par Hervé Le Tellier, puis, au fil des années, par un nombre croissant d’Oulipiens, chacun s’employant à tirer l’histoire d’Hugo Vernier dans une direction inattendue. Ainsi s’est constitué, autour du texte de départ, une sorte de « roman collectif » d’un genre tout à fait nouveau.

Ont pris part à cette singulière aventure littéraire : Michèle Audin, Marcel Bénabou, Jacques Bens, Paul Braf­fort, François Caradec, Frédéric Forte, Paul Fournel, Michelle Grangaud, Jacques Jouet, Étienne Lécroart, Hervé Le Tellier, Daniel Levin Becker, Harry Mathews, Ian Monk, Jacques Roubaud.

2013, 448 pages.

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c at h e r i n e p e r r e t

L’ e n s e i g n e m e n t d e L a t o r t u r e

r é f l e x ionS Su r J e a n a M éry

Après avoir été abolie dans la plupart des pays européens au cours de la seconde moitié du xviiie siècle, la torture redevient au xxe siècle une méthode de renseignement, une pratique policière et militaire banalisée, aussi bien dans les dictatures que dans les États coloniaux. Avec le déclenche­ment de la Global War on Terror et l’attribution, le 12 sep­tembre 2001, de pouvoirs exceptionnels au président des États­Unis, George W. Bush, une nouvelle étape est franchie.

En 2010, le gouvernement canadien autorise à son tour les services de renseignements à utiliser des informations obtenues sous la torture. La question déborde alors le seul contexte américain. La torture s’impose au cœur du débat public, démocratiquement instituée comme une méthode de rétor­sion envisageable, voire nécessaire et potentiellement légale.

Partant de l’essai de Jean Améry sur La Torture (1965), j’interroge ici les prémices de l’institution, au cours des xxe et xxie siècles, d’une torture d’État. Dans son essai, Améry réfléchit à la signification de la pratique de la torture dans la culture chrétienne moderne à partir de l’expérience qu’il fit, sous le nazisme, de la torture et de l’extermination des juifs d’Europe. À sa suite, et avec lui, j’interroge ce que d’aucuns appellent le « Mal » comme un phénomène culturel et politique qu’il convient d’aborder au regard de l’histoire occidentale et de ses postulats philosophiques.

Le corps torturé par le nazi n’est pas le corps du torturé. C’est notre corps. Pour dire ce corps que personne avant lui n’a pensé, Jean Améry invente une langue : il met la prose du reportage au service de la philosophie.

Catherine Perret

2013, 224 pages.

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M i c h e l l e p e r r o t

h i s t o i r e d e c h a m b r e s

Bien des chemins mènent à la chambre : le sommeil, l’amour, la méditation, Dieu, le sexe, la lecture, la réclusion, voulue ou subie. De l’accouchement à l’agonie, elle est le théâtre de l’existence, là où le corps dévêtu, nu, las, désirant, s’abandonne. On y passe près de la moitié de sa vie, la plus charnelle, celle de l’insomnie, des pensées vagabondes, du rêve, fenêtre sur l’inconscient, sinon sur l’au­delà.

La chambre est une boîte, réelle et imaginaire. Quatre murs, plafond, plancher, porte, fenêtre structurent sa maté­rialité. Ses dimensions, son décor varient selon les époques et les milieux sociaux. De l’Antiquité à nos jours, Michelle Perrot esquisse une généalogie de la chambre, creuset de la culture occidentale, et explore quelques­unes de ses formes, traversées par le temps : la chambre du Roi (Louis XIV à Ver­sailles), la chambre d’hôtel, du garni au palace, la chambre conjugale, la chambre d’enfant, celle de la jeune fille, des domestiques, ou encore du malade et du mourant. Puis les diverses chambres solitaires : la cellule du religieux, celle de la prison ; la chambre de l’étudiant, de l’écrivain.

Nid et nœud, la chambre est un tissu de secrets. Dans ce livre, Michelle Perrot contribue à l’histoire des Chambres. Nuit et jour.

2009, 464 pages. « Points Histoire », n° 477, 2013, 464 pages.

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M i c h e l l e p e r r o t

g e o r g e s a n d à n o h a n t u n e m a i s o n d ’a r t i s t e

« Il est difficile de parler de Nohant sans dire quelque chose qui ait rapport à ma vie présente ou passée », écrivait George Sand. C’est par Nohant, par sa maison, que je l’ai rencontrée. À vrai dire, elle ne fut pas un modèle de ma jeunesse. Pour « la bonne dame », je n’éprouvais pas d’atti­rance. Ses romans, La Petite Fadette, etc., que la grand­mère de Marcel Proust tenait en si haute estime, me paraissaient bons pour les distributions de prix. Je participais à la dépréciation dont Sand a été victime après sa mort. Je la trouvais d’un âge qui n’avait plus grand­chose à dire aux filles de Simone de Beauvoir, dont je me revendiquais.

Ma découverte fut en partie fortuite. La demeure de l’Indre, héritée de sa grand­mère, représente ses racines, mais aussi un refuge contre Paris, qui fit sa renommée et qu’elle n’aimait pas, une « oasis » propice au travail : elle y écrivit l’essentiel de son œuvre, comme Chopin y composa la majeure partie de la sienne. Nohant, elle en rêvait comme d’un phalanstère d’artistes, une communauté égalitaire, un endroit de création et d’échanges par la musique (Liszt, Chopin, Pauline Viardot), la peinture (Delacroix, Rousseau), l’écriture (Flaubert, Dumas, Fromentin, Renan, Tourgueniev…), le théâtre, la conversation.

Ce lieu, Sand l’a investi. L’art y établit la communion des cœurs et des esprits. C’est aussi une cellule politique, inspirée par le socialisme de Pierre Leroux, noyau républi­cain support de journaux et ferment subversif des manières de vivre et de penser. Nohant est le creuset d’une utopie, pénétrée par le désir de changer le monde.

Pas plus que personne, Sand n’a réalisé son rêve. Aujourd’hui, il nous reste ce lieu, de pierre et de papier, témoin d’une histoire d’amour aux accents infinis.

Michelle Perrot

2018, 464 pages.

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J . ‑ b . p o n t a l i S

L a F o r c e d ’a t t r a c t i o n

Trois chemins : le premier conduit vers le rêve, ou plutôt le « rêver », à partir d’un roman insolite ; le second vers le transfert, ou plutôt les transferts, à partir de Freud ; le troisième vers le précaire abri des mots à partir d’une expé­rience personnelle.

Trois figures de l’altérité, de notre étranger intime, qui disent la force d’attraction qu’exerce sur nous la chose même, à jamais hors d’atteinte.

Trois brefs essais qui pourraient avoir pour épigraphe le conseil donné jadis par un peintre : « Clos ton œil physique afin de voir d’abord avec l’œil de l’esprit. Ensuite fais monter au jour ce que tu as vu dans la nuit. »

1990, 128 pages. « Points Essais », n° 400, 1999, 128 pages.

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J e a n p o u i l l o n

L e c r u e t L e s u

L’unité, relative, de cet ensemble de textes écrits à des dates différentes et sur des sujets divers me semble, après coup, tenir à une attitude somme toute normale pour un ethnologue et qu’en tout cas il ne peut guère éviter, celle qui consiste à s’intéresser, chez ceux qu’il s’efforce de comprendre, à ce dont il ne croit pas un mot : religions, idéologies, mythologies… C’est justement parce qu’il n’y croit pas qu’il lui faut avant tout essayer de savoir pourquoi et, d’abord, comment d’autres y croient. L’ethnologue ne considère pas comme insanes les croyances religieuses ou autres, même si en tant qu’individu telle peut être son opi­nion. Il y voit plutôt des illusions sur lesquelles il convient de s’interroger car – Freud l’a tristement reconnu et l’histoire l’a abondamment prouvé – elles ont toujours un avenir. Elles possèdent une signification que dans chaque cas il s’agit de dégager et qui en elle­même n’est ni vraie ni fausse. L’indif­férence anthropologique est précisément de ne pas estimer pertinente, en ce domaine, la question de vérité, ce qui per­met de reconnaître paisiblement la créativité de l’illusion, ici comme ailleurs.

Jean Pouillon

1993, 176 pages.

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J é r ô M e p r i e u r

r o m a n n o i r

Romans gothiques, romans frénétiques, sous des appel­lations diverses le « roman noir » s’épanouit en Angleterre d’abord, puis en France, en Allemagne, en Irlande, en Écosse. Son âge d’or se situe au tournant du xviiie et du xixe siècle. C’est l’époque des révolutions, politiques, reli­gieuses, sociales, qui secouent l’Europe.

Le vieux monde craque, le siècle des Lumières s’assombrit.Au commencement, il y a les spectres, les possédés, les

démons, le diable. De même qu’un siècle plus tard le cinéma sera le divertissement de l’homme des foules, les romans noirs inventent un art de la projection.

Les doubles qui se profilent derrière chacun des héros révèlent des abîmes. Au­delà du travail de sape de l’ordre moral apparaît l’exploration passionnée de ce qui ne se nomme pas encore « l’inconscient ».

2006, 208 pages.

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J é r ô M e p r i e u r

r e n d e z ‑ v o u s d a n s u n e a u t r e v i e

L’au­delà a été confisqué par les religions. Nous y croyons sans y croire. Nous savons, sans oser nous l’avouer, que les morts n’ont pas vraiment disparu.

À Pompéi, à Pétra, à Deir el­Médineh, comme en des lieux bien plus intimes, les ruines sont toujours des maisons hantées. Les formes, les anatomies, les visages conservés dans la cire, le sable, le celluloïd ou la nuit ne sont pas des objets inertes mais nos empreintes, l’image de nos doubles. Les vestiges les plus troublants sont à l’intérieur de nos yeux.

Le passé n’est jamais perdu. Il n’est même pas passé. Pourquoi les êtres oubliés ne reviendraient­ils pas puisque nous les attendons ? N’existe­t­il pas sur terre, quelque part entre les cercles de l’au­delà, des cachettes où les vivants d’hier, les proches que nous continuons de chérir comme les êtres lointains que nous n’avons pas connus, seraient encore là ? Présents pour nous fixer rendez­vous, rendez­vous dans une autre vie…

2010, 192 pages.

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J é r ô M e p r i e u r

L a m o u s t a c h e d u s o L d a t i n c o n n u

Depuis l’enfance, j’ai voulu écrire mes souvenirs de la guerre de 14.

J’ai mis des années avant de m’aventurer sur les traces de cette vieille guerre qui s’était déposée en moi, alors qu’aucune raison biographique, apparemment, ne justifiait cette obsession.

Cette guerre appartient à notre histoire intime, à nos familles, à nos secrets de famille. Partout les monuments viennent nous le rappeler, avec leur litanie de noms. Survi­vants et rescapés, combattants oubliés ou disparus, les sol­dats de 14­18 sont restés des soldats inconnus. Avec leur moustache, leur képi, leur casque, n’ont­ils pas tous l’air de se ressembler ?

Alors j’ai laissé les revenants m’approcher. J’ai fouillé leurs visages, leurs photos, et même un petit film amateur tourné au front, qui m’est parvenu comme une bouteille à la mer. Je suis parti rechercher les êtres vivants, fossilisés à l’intérieur de ces images, et pourquoi cette guerre s’était fichée au fond de mes yeux.

Jérôme Prieur

2018, 272 pages.

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Jac q u e S r a n c i è r e

c o u r t s v o y a g e s a u pa y s d u p e u p L e

Au bout de la ligne, un peu à l’écart du fleuve, vit cet autre peuple qu’on appelle simplement le peuple. Des voya­geurs s’arrêtent, surpris.

Wordsworth, le poète des lacs, traverse la Révolution française, Büchner croise un pèlerin de l’Utopie saint­simonienne. Michelet et Rilke, devant la servante ou l’ouvrière, rêvent de vie réconciliée pendant que les prolé­taires rêvent des mers du Sud et vont quelquefois y chasser la baleine. Sur l’écran, Ingrid Bergman incarne la femme du monde découvrant l’autre côté de la société.

Dans ces Courts voyages, Jacques Rancière nous invite à repenser les rapports entre les images et les savoirs, l’utopie et le réel, la littérature et la politique.

1990, 192 pages. « Points Essais », n° 784, 2015, 176 pages.

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Jac q u e S r a n c i è r e

L e s m o t s d e L’ h i s t o i r ee SSa i de p oét iqu e du Savoi r

Une histoire, au sens ordinaire, c’est une série d’événe­ments qui arrivent à des sujets généralement désignés par des noms propres. Or la révolution de la science historique a voulu révoquer le primat des événements et des noms propres au profit des longues durées et de la vie des ano­nymes. C’est ainsi qu’elle a revendiqué en même temps son appartenance à l’âge de la science et à l’âge de la démocratie.

Mais l’âge de la démocratie et de la science des grands nombres est aussi celui du trouble littéraire et révolution­naire : de la multiplication des paroles, des récits séduisants et des mots excessifs. Des rois y perdent leur tête et la ratio­nalité semble parfois s’y abîmer.

Les historiens veulent garder leur tête et connaître les choses en les dépouillant de leurs noms trompeurs. Mais les choses de l’histoire ont cette propriété déroutante de s’évanouir quand on veut les rendre à leur simple réalité. La limite de la croyance scientiste en histoire, c’est l’évanouis­sement de l’histoire elle­même, le nihilisme révisionniste et la rumeur désenchantée de la fin de l’histoire.

Il apparaît alors que l’histoire, pour devenir science sans se perdre elle­même, a besoin de quelques tours de littéra­ture : une autre manière de raconter la mort des rois, un autre usage des temps du récit et l’invention de personnages d’un genre nouveau, les témoins muets. C’est seulement ainsi qu’elle peut articuler en un seul discours un triple contrat scientifique, narratif et politique.

Dans ce livre, Jacques Rancière propose une poétique du savoir : étude de l’ensemble des procédures littéraires par lesquelles un discours se soustrait à la littérature, se donne un statut de science et le signifie. La poétique du savoir s’intéresse aux règles selon lesquelles un savoir s’écrit et se lit comme discours spécifique. Elle cherche à définir le mode de vérité auquel il se voue.1992, 222 pages. « Points Essais », n° 747, 2014, 192 pages.

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Jac q u e S r a n c i è r e

L a F a b L e c i n é m a t o g r a p h i q u e

Une fillette et son tueur devant une vitrine, une silhouette noire descendant un escalier, la jupe arrachée d’une kolk­hozienne, une femme qui court au­devant des balles : ces images signées Lang ou Murnau, Eisenstein ou Rossellini, iconisent le cinéma et cachent ses paradoxes. Un art est toujours aussi une idée et un rêve de l’art. L’identité de la volonté artiste et du regard impassible des choses, la philo­sophie déjà l’avait conçue, le roman et le théâtre l’avaient tentée à leur manière. Le cinéma ne remplit pourtant leur attente qu’au prix de la contredire. Dans les années 1920, on vit en lui le langage nouveau des idées devenues sensibles qui révoquait le vieil art des histoires et des personnages. Mais il allait aussi restaurer les intrigues, les types et les genres que la littérature et la peinture avaient fait voler en éclats.

Jacques Rancière analyse les formes de ce conflit entre deux poétiques qui fait l’âme du cinéma. Entre le rêve de Jean Epstein et l’encyclopédie désenchantée de Jean­Luc Godard, entre l’adieu au théâtre et la rencontre de la télévi­sion, en suivant James Stewart dans l’Ouest ou Gilles Deleuze au pays des concepts, il montre comment la fable cinémato­graphique est toujours une fable contrariée. Par là aussi, elle brouille les frontières du document et de la fiction. Rêve du xixe siècle, elle nous raconte l’histoire du xxe siècle.

2001, 256 pages. « Points Essais », n° 812, 2016, 368 pages.

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Jac q u e S r a n c i è r e

c h r o n i q u e s d e s t e m p s c o n s e n s u e L s

Le consensus ne signifie pas la pacification des esprits et des corps. Nouveau racisme et épurations ethniques, guerres humanitaires et guerre à la terreur sont au cœur des temps consensuels ; les fictions cinématographiques de la guerre totale et du mal radical ou les polémiques intellectuelles sur l’interprétation du génocide nazi figurent aussi en bonne place dans ce livre. Le consensus n’est pas la paix. Il est une carte des opérations de guerre, une topographie du visible, du pensable et du possible où loger guerre et paix.

Il est aussi un usage du temps qui lui confie mille tours : diagnostic incessant du présent et politiques de l’amnésie, adieux au passé, commémorations, devoir de mémoire, expli­cations des raisons pour lesquelles le passé refuse de passer, répudiation des avenirs qui prétendaient chanter, exaltation du siècle nouveau et des utopies nouvelles.

Ces tours et détours vont vers un même but : montrer qu’il n’y a qu’une seule réalité à laquelle nous sommes tenus de consentir. Ce qui s’oppose à cette entreprise a un nom simple. Cela s’appelle la politique. Ces chroniques voudraient contribuer à rouvrir l’espace qui la rend pensable.

Jacques Rancière

2005, 214 pages. « Points Essais », n° 836, 2017, 272 pages.

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Jac q u e S r a n c i è r e

L e s b o r d s d e L a F i c t i o n

On le sait depuis Aristote : ce qui distingue la fiction de l’expérience ordinaire, ce n’est pas un défaut de réalité mais un surcroît de rationalité. Elle dédaigne en effet l’ordinaire des choses qui arrivent les unes après les autres pour montrer comment l’inattendu advient, le bonheur se transforme en malheur et l’ignorance en savoir.

Cette rationalité fictionnelle a subi à l’âge moderne un destin contradictoire. La science sociale a étendu à l’ensemble des rapports humains le modèle d’enchaîne­ment causal qu’elle réservait aux actions d’êtres choisis. La littérature, à l’inverse, l’a remis en cause pour se mettre au rythme du quotidien quelconque et des existences ordinaires et s’installer sur le bord extrême qui sépare ce qu’il y a de ce qui arrive.

Dans les fictions avouées de la littérature comme dans les fictions inavouées de la politique, de la science sociale ou du journalisme, il s’agit toujours de construire les formes perceptibles et pensables d’un monde commun. De Stendhal à João Guimarães Rosa ou de Marx à Sebald, en passant par Balzac, Poe, Maupassant, Proust, Rilke, Conrad, Auerbach, Faulkner et quelques autres, ce livre explore ces construc­tions au bord du rien et du tout.

En un temps où la médiocre fiction nommée « informa­tion » prétend saturer le champ de l’actuel avec ses feuil­letons éculés de petits arrivistes à l’assaut du pouvoir sur fond de récits immémoriaux d’atrocités lointaines, une telle recherche peut contribuer à élargir l’horizon des regards et des pensées sur ce qu’on appelle un monde et sur les manières de l’habiter.

2017, 208 pages.

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J e a n ‑ M i c h e l r e y

pa u L va L é r y L ’av e n t u r e d ’ u n e œ u v r e

Attentif à la ruine des savoirs et à la crise générale des valeurs, Paul Valéry sait que la société se fonde sur le cré­dit, la signature, le contrat, le serment, autant de formes de croyances qui déterminent un « empire de fictions » (politiques, juridiques, économiques…). En dialogue avec le Freud de Malaise dans la civilisation, Valéry affirme « l’importance réelle de l’imaginaire » et l’efficacité du cré­dit, du fiduciaire dans la dynamique des mécanismes sociaux et dans la philosophie.

Cette anthropologie insolite conduit Valéry à l’hypothèse d’une « spiritualité du monde social », à la conviction que tout univers organisé est fragile et que seul le faire est por­teur d’avenir.

Après avoir consacré des livres à Nietzsche, à Freud et à Péguy, Jean­Michel Rey propose aujourd’hui une biographie intellectuelle de Valéry en restituant la part d’intelligence qui naît de son écriture fragmentaire. Au fil des chapitres, nous croisons Léonard de Vinci, Descartes, Stendhal, Poe, Wagner, Mallarmé, Walter Benjamin et, toujours, Nietzsche et Freud. À l’écart du cliché le présentant comme un « poète officiel », Jean­Michel Rey rend Valéry aux excès de son œuvre contagieuse.

1991, 192 pages.

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Jac q u e l i n e r i S S e t

p u i s s a n c e s d u s o m m e i L

L’enfant a peur de s’endormir. Se glisser dans le som­meil, c’est faire confiance au noir, abandonner son corps à un espace secret qui échappe au contrôle social et à toute maîtrise.

Pays de l’enfance, le temps du sommeil appartient à la chaleur du corps, à l’amour, à ses plaisirs, ses attentes et ses illusions. C’est du sommeil que le rêve tire son autorité, son « air indiscutable ». Le sommeil est la face cachée du rêve et son gardien. Mais comment faire pour rêver quand on a perdu le sommeil ? En son absence, la folie entre en scène. Réveiller quelqu’un, c’est l’arracher à un embrasse­ment divin. Étrange et familier, le sommeil se joue du temps. Mystère de la raison, il est sommeil profond ou cauchemar.

Du sommeil d’Ulysse à l’éveil de Zarathoustra, Jacqueline Risset arpente la littérature, où l’on retrouve Dante, Honoré d’Urfé, Proust, Kafka, Pessoa, Bataille, Beckett… sans oublier le fidèle compagnon de la nuit, ce chat sur un coin d’oreiller.

Récits d’enfance, souvenirs intimes, amours d’adoles­cence, sommeil conjugal, exaltations ou déceptions éro­tiques, méditations sur le sommeil, figure vivante et petite sœur jumelle de la mort, Jacqueline Risset allie légèreté, drôlerie et profondeur dans ce livre qui traverse les ombres de la nuit.

1997, 160 pages.

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J e a n ‑ l o u p r i v i è r e

L e m o n d e e n d é t a i L s

Peu importe qu’il s’agisse ici de théâtre : ce détail que je relève, ce sentiment que je considère, cette idée que je tente d’articuler sont les mêmes qu’un tableau, un morceau musical, un film ou un poème pourraient susciter. Le théâtre ne commence à compter et à n’être lui­même qu’au moment où il pourrait être tout autre chose. Ne commence à naître qu’au seuil de sa disparition.

Personne ne peut se passer du dialogue avec le Monde, mais chacun a besoin d’aide. L’art est un secours en ce qu’il invite à entendre l’inouï de son discours. Le théâtre témoigne de ce qu’il faut être sensible avant que d’être intelligent, si l’on veut écouter ce que dit le Monde, et trouver la réplique.

Il est probable que le théâtre soit un lapsus du Monde.

Jean­Loup Rivière

2015, 336 pages.

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d e n i S r o c h e

d a n s L a m a i s o n d u s p h i n x

e SSa iS Su r la M at i èr e li t t ér a i r e

D’un côté, il y a la littérature.De l’autre, ce qu’on appelle des « essais », où l’on

s’approche, plus ou moins bardé de vertu et de vérité, sur un terrain qui se voudrait découvert – et qui ne l’est que rarement.

Ce livre – que l’auteur a sous­titré « essais sur la matière littéraire » – est constitué d’une douzaine de textes dont la rédaction s’échelonne de 1969 à 1988.

L’auteur de Louve basse et des Dépôts de savoir et de technique s’y montre préoccupé, agité même (les textes sur Blake et Ponge) à l’endroit de l’interrogation essentielle qui presse si activement la littérature. Agitation de celui qui s’approche, énervement de la matière qui voit l’intrus s’approcher. Le Sphinx n’est jamais loin.

On verra que, dans certaines pages, l’intrus, outrepassant les droits de l’essayiste, rejoint très simplement le lieu de l’énigme : l’observateur, ayant fait quelques pas de trop, s’est retrouvé dans cette zone de calme étrange où tout devient possible : dans l’œil du cyclone, c’est­à­dire à l’intérieur de la littérature.

1992, 224 pages.

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o l i v i e r r o l i n

s u i t e à L’ h ô t e L c r y s t a L

Les histoires rassemblées ici ont pour point commun de se dérouler dans des chambres d’hôtel, de Brive­la­Gaillarde à Buenos Aires, de Miami à Tokyo en passant par maints autres lieux. Parmi les protagonistes : une femme fatale, un ex­colonel de l’armée soviétique, boxeur et trafiquant d’armes, un marin grec contrebandier, un poète syrien alcoolique, une strip­teaseuse turque, un escroc anglais, une héritière américaine, un tueur roumain, un ingénieux ingénieur tchèque, des espions, dictateurs, terroristes, imams, cardinaux, écrivains, etc. Le monde, quoi. Elles ont été trou­vées fortuitement, griffonnées sur des supports variés (pages de garde déchirées, cartes postales, plans de villes, menus, faux papiers d’identité, etc.), dans une valise abandonnée. On se perd en conjectures sur ce qu’eût été, achevé, le livre dont elles sont apparemment des fragments : autobiogra­phie, roman d’aventures, guide des hôtels du monde, écrit apocryphe de Georges Perec ? Les conditions quelque peu rocambolesques dans lesquelles elles ont été découvertes ont même fait naître chez certains le soupçon d’une supercherie.

2004, 256 pages. « Points », 2006, 256 pages.

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o l i v i e r r o l i n & c i e

r o o m s

Lors de la parution de Suite à l’hôtel Crystal, Jorge Semprun me fit l’honneur de venir en parler à l’une de ces rencontres que la Maison de l’Amérique latine organise avec Maurice Olender pour les auteurs de la « Librairie du xxie siècle ». […] « Chacun de tes amis, lança Semprun après la réunion, pourrait inventer une histoire de chambre d’hôtel. » […] Un an et demi après, voici le résultat d’une boutade. Suite à l’hôtel Crystal (suite), en somme.

Ces vingt­huit chambres forment un caravansérail amical – ni plus, ni moins. On pourrait donner à leur recueil le titre d’un tableau de Max Ernst datant de 1922, où sont peints les membres du groupe surréaliste, « Au rendez­vous des amis » : à ceci près que ce n’est pas un groupe que rassemblent ces pages, moins encore une « avant­garde », pas même une bande. Rooms n’affirme rien, Rooms n’est évi­demment pas le manifeste d’une école, juste un jeu entre des auteurs (romanciers surtout, mais pas seulement) que lie un peu plus que de l’estime.

Jean-Christophe Bailly, François Bon, Geneviève Brissac, Emmanuel Carrère, Bernard Comment, Gil Courtemanche, Michel Deguy, Michel Deutsch, Patrick Deville, Jean Echenoz, Mathias Enard, Arlette Farge, Lydia Flem, Patrick Grainville, Jean-Baptiste Harang, François Hartog, Linda Lê, Charif Majdalani, Pierre Michon, Maurice Olender, Jean Rolin, Olivier Rolin, Tiphaine Samoyault, Alain Satgé, Jorge Semprun, Jean-Philippe Toussaint, Alain Veinstein, Antoine Volodine.

2006, 250 pages.

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c h a r l e S r o S e n

a u x c o n F i n s d u s e n sprop oS Su r la M uSiqu e

Plaisir à la fois intellectuel et physique, la musique se trouve aux confins du sens et du non­sens.

Pour comprendre la musique occidentale, il est impossible de se passer de l’analyse et de l’histoire sociale et culturelle d’une œuvre ou d’un style. Il est évident que Beethoven a transformé notre façon d’écouter Mozart. Même une esthé­tique qui proclame l’autonomie des œuvres d’art ne peut être délivrée de l’histoire, car les postulats de cette esthétique résultent eux­mêmes de l’histoire.

Il n’empêche. La proximité du non­sens, c’est­à­dire le refus de toute signification fixée d’avance, est une condition essentielle à toute approche de la musique. Plus encore que la littérature ou les arts visuels, la musique ne peut être limitée à aucun système d’analyse ou d’interprétation, qu’il soit musical ou historique.

Il est bien naturel de chercher hors de la musique, ou au­delà, ce qui peut pour un temps lui faire porter une signification précise. Mais la musique ne reconnaîtra jamais la primauté du contexte auquel on la subordonne trop commodément, fût­il social, historique ou biographique.

En paraphrasant la mise en garde grandiose de Goethe aux savants, on peut dire : ne cherchez pas derrière les notes, elles sont elles­mêmes la doctrine.

Traduit de l’anglais par Sabine Lodéon. 1998, 176 pages.

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i S r a e l r o S e n f i e l d

« L a m é g a L o m a n i e » d e F r e u d

Une mystérieuse petite­fille de Freud confie à un neuro­scientifique américain un manuscrit inédit de son grand­père, rédigé à Vienne en janvier 1938 : La Mégalomanie. Dernier pied de nez de l’inventeur de la psychanalyse à la postérité, Freud y remet en question le complexe d’Œdipe et lui substitue une conception cruelle et ironique de l’Autorité, de la Connaissance et du Pouvoir.

Entre neurosciences et psychanalyse, ce roman met en scène une maîtresse ignorée, un prix Nobel sadique, des sol­dats paralysés, un violeur autrichien, la « machine Marilyn », le père de la théorie des Jeux, le véritable créateur de la tour Eiffel et un Freud ravageur affirmant que l’auto­tromperie et la mégalomanie sont à la racine de notre psyché et de la civilisation.

Dans cette fiction, Israel Rosenfield lance­t­il une attaque virulente contre la psychanalyse ou dénonce­t­il les neuro­sciences ? Avec un humour caustique, l’auteur se gausse de l’imposture scientifique et renvoie dos à dos ceux qui croient pouvoir maîtriser les mécanismes de l’esprit humain.

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Lydia Flem. 2000, 192 pages.

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p i e r r e r o S e n S t i e h l

L e L a b y r i n t h e d e s J o u r s

o r d i n a i r e s

Tout labyrinthe, esquissé ou imaginaire, ressemble éton­namment à nos embrouillaminis quotidiens : idées furtives chevauchant dans la tête ; surabondance de voies pour pro­gresser ; buts frôlés et vite perdus de vue ; peur du noir. Or, à en croire l’intuition archaïque crétoise, un fil d’Ariane, à lui seul, pourrait réduire à néant le chaos !

Quel est donc cet art magique du fil qui conduisit les fondateurs de l’informatique à puiser à la source antique ?

Récit, essai ou roman ? En tout cas, une histoire d’amours aux multiples rebondissements, une enquête jetant un regard solaire, sans affabulations, sur l’histoire fabuleuse des labyrinthes à travers le monde.

2013, 304 pages.

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pau l ‑ a n d r é r o S e n t a l

d e s t i n s d e L’ e u g é n i s m e

Imaginez une cité­jardin résidentielle offrant des condi­tions exceptionnelles à des couples choisis qui s’engagent sur un contrat de procréation… Localisée au pied du Par­lement européen à Strasbourg, cette expérimentation gran­deur nature dura des années 1920 aux années 1980 grâce au soutien des pouvoirs publics.

Synthèse de l’eugénisme britannique, allemand et fran­çais, ce projet visait à « accélérer l’évolution de l’espèce humaine ». Le créateur de ce « laboratoire humain », Alfred Dachert, était un homme d’affaires qui se rêvait en poète tragique de l’eugénisme, en Ibsen alsacien.

Paul­André Rosental explore cette entreprise politique et scientifique en se fondant sur des archives inédites. En expliquant l’énigmatique longévité de l’expérience, l’auteur réinterprète les grandes politiques républicaines de l’après­guerre, de la Sécurité sociale à la démocratisation scolaire.

Dans cet essai pionnier de microhistoire politique de la France contemporaine, Paul­André Rosental prend la mesure de l’héritage de l’eugénisme, idéologie scientiste et inégali­taire, en contexte démocratique.

L’eugénisme ne constitue pas seulement une théorie biologique qui hante les débats bioéthiques. De manière inattendue, il se révèle comme une théorie morale ayant pu imprégner cette norme de notre temps qui a pour nom « psychologie du développement personnel ».

2016, 576 pages.

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Jac q u e S r o u b au d

p o é t i q u e . r e m a r q u e s . p o é s i e , m é m o i r e ,

n o m b r e , t e m p s , r y t h m e , c o n t r a i n t e , F o r m e , e t c .

Ce volume rassemble un demi­siècle de réflexions dans une forme particulière de prose que j’appelle remarques.

Il se compose de 15 sections de 317 remarques chacune.317 est un nombre premier ainsi que son palindrome

écrit 713.Pour des raisons numérologique liées au contenu, bien

que non justifiées conceptuellement, 317 a été choisi pour trois raisons :

– 317 est le nombre de sonnets du Rerum Vulgarium Frag-menta de Pétrarque ;

– c’est le nombre fétiche de Khlebnikov ;– enfin 317 est un des nombres de Perec.

Jacques Roubaud

2016, 448 pages.

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Page 213: Catalogue publié en mars 2019

Jac q u e S r o u b au d

p e u t‑ ê t r e o u L a n u i t d e d i m a n c h e

( b r o u i L L o n d e p r o s e )au tobio gr a ph i e roM a n e Squ e

Quand ma sœur est née, j’avais un peu moins de quatre ans. On me demanda si j’étais content. Je répondis (ai­je appris) que je m’étais déclaré content « d’avoir une tortue et une petite sœur ». Rien que d’assez banal.

Quand mon plus jeune frère est né, le benjamin de notre famille, j’en fus, je m’en souviens, très heureux. C’était la nuit de la Saint­Jean de 1939. Il s’est suicidé en 1961. Il était le préféré, je pense, je pense avoir toujours pensé, de ma mère. Peut­être des autres membres de notre famille. Je ne sais pas.

Comment faire ? Une solution, une seule : être un ben­jamin.

Autobiographique est ce roman, ce brouillon de roman, donc, comme je viens de le décider ; de même tout roman est autobiographie de celui qui lui donne son nom.

Écrire et publier son autobiographie n’a guère de sens. Pourquoi n’y en aurait­il qu’une ? Si on en composait une tous les dix ans, par exemple, ce serait déjà moins une préten­tion ridicule à transmettre au monde LA vérité sur soi­même. Toutes les autobiographies que je connais prétendent cela.

Je n’ai pas le temps, je n’aurai pas le temps de tendre à l’excellence dans la composition de mon roman. Je sais qu’il faut, qu’il faudrait que les chapitres se suivent et ne se res­semblent pas, tout en étant confinés dans des dimensions rai­sonnables, peut­être préétablies par l’Auteur, qui cependant ne peut être ni Diderot ni Stendhal, qui ne doit pas s’efforcer à jouer Monsieur de Chateaubriand ou Christine Angot, bien que parlant, comme eux, de moi et encore de moi.

Jacques Roubaud

2018, 192 pages.

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J e a n ‑ f r é d é r i c S c h au b

o r o o n o k o , p r i n c e e t e s c L av e

roM a n colon i a l de l’i nc ert i t u de

Oroonoko, prince guinéen d’une grande beauté, finit sa vie chevaleresque comme esclave dans une plantation du Surinam dans les années 1660. La voix qui chante sa geste tragique est celle d’Aphra Behn (1640­1689), célèbre dramaturge anglaise, fidèle soutien du roi Jacques II, à la veille de la Glorieuse Révolution.

Ce roman anglais du xviie siècle concentre en lui un grand nombre de nos curiosités contemporaines. L’essai de Jean­Frédéric Schaub ne cède pas à la tentation de tirer la lecture du côté du féminisme et de l’abolitionnisme, et moins encore des Lumières ; au contraire, il souligne ce qui, dans ce roman fiévreux, concentre les anxiétés et les ambivalences nées de l’expansion européenne depuis la Renaissance.

Si l’univers d’Aphra Behn s’accommode de l’esclavage et d’une conception hiérarchique de la société, il ne repose pas sur le racisme, ni d’ailleurs sur le sexisme.

La complexité de ce moment de l’histoire culturelle euro­péenne qu’est le premier âge moderne anglais se trouve éclairée à partir de sa dimension coloniale.

2008, 240 pages.

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Page 215: Catalogue publié en mars 2019

J e a n ‑ f r é d é r i c S c h au b

p o u r u n e h i s t o i r e p o L i t i q u e d e L a r a c e

La parole politique et le débat public sont désorientés. Toute discrimination et toute distinction collective semblent relever d’une intention raciale. Dans le même temps, il est question de gommer le terme « race » de notre Constitution. Les sciences sociales observent les progrès des connaissances dans les domaines de la génétique comme menace pour elles­mêmes et peut­être pour la société. Si les progrès des sciences de la vie ne renforcent pas les inepties de la pensée raciste, ils ne les dissipent pas non plus.

Dans ce moment de tensions politiques et d’incertitude intellectuelle, l’histoire de la formation des catégories raciales offre des repères pour notre époque. Le dépaysement dans le temps et dans l’espace, qui demeure le propre de l’histoire, est sans doute la voie la plus efficace pour mieux comprendre ce qui nous arrive.

L’histoire raconte comment les sociétés et les institu­tions ont fait et font appel à la « différence naturelle » pour créer et recréer de la division en leur sein. C’est cela la politique raciale à l’âge contemporain : s’en prendre aux Afro­Américains, surtout lorsqu’ils deviennent citoyens, et imaginer le Juif biologique pour contrer l’intégration des juifs.

L’histoire permet de comprendre en quoi la « race » est de part en part politique.

2015, 336 pages.

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Page 216: Catalogue publié en mars 2019

f r a n c i S S c h M i d t

L a p e n s é e d u t e m p L e d e J é r u s a L e m à q o u m r â n

i de n t i t é et li e n So ci a l da nS l e J u da ïSM e a nci e n

Longtemps le judaïsme ancien fut considéré comme une préparation au christianisme ; les manuscrits de Qoumrân ont d’abord été lus comme les premiers balbutiements d’un évangile naissant. Plus de quarante ans après les découvertes de la mer Morte, l’archéologie et l’étude scrupuleuse des textes rendent caduque une vision « christianocentrée » de l’histoire du judaïsme.

Quand la société juive est confrontée à la colonisation grecque et à la puissance romaine, son identité est en crise, le lien social menace de rompre. Pourtant, si l’on fait le choix de l’histoire lente et des structures profondes, si, par­delà les élites politiques et les scribes, on interroge les anonymes et les sans­grade, alors parmi les institutions qui maintiennent la cohésion sociale apparaît en premier lieu le Temple : non seulement le Temple comme édifice, avec ses prêtres et ses pèlerins, sa police et ses cuisines ; mais aussi le Temple comme pensée, avec ses catégories du pur et de l’impur, du sacré et du profane, qui s’étendent au­delà des limites du sanctuaire à l’ensemble du pays, de l’autel sacrificiel jusqu’aux tables quotidiennes.

Les premiers à avoir définitivement rompu avec l’institu­tion et les rites qui faisaient le socle de l’identité juive ne sont ni les esséniens de Qoumrân ni Jésus et les convertis du judaïsme, mais Paul et les chrétiens de la gentilité.

Ce qui prend fin le 29 août 70, quand le vent de l’histoire souffle en tempête, quand traditions et coutumes sont bri­sées, c’est le Temple de Jérusalem comme lieu de rassemble­ment de tout le peuple juif. Mais au­delà de cette fin, quand se reforme le judaïsme, demeure la pensée du Temple.

1994, 384 pages.

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Page 217: Catalogue publié en mars 2019

J e a n ‑ c l au d e S c h M i t t

L a c o n v e r s i o n d ’ h e r m a n n L e J u i F

au tobio gr a ph i e , h iStoi r e et f ic t ion

Vers le milieu du xiie siècle, un juif originaire de Cologne, converti au christianisme et devenu prêtre à Cappenberg, en Westphalie, écrit en latin, sous le nom d’« Hermann l’ancien juif », le récit de sa conversion (Opusculum de conversione sua). Cette « autobiographie » est l’une des toutes premières en Occident depuis les célèbres Confessions de saint Augustin.

Ce texte singulier divise les historiens, les uns y voyant le « récit vrai » d’un authentique juif converti, les autres une pure « fiction » forgée par des clercs chrétiens. Jean­Claude Schmitt montre que la question est mal posée : ce récit à la première personne est à la fois « vrai » et « fictif », et il est vain de lui chercher un auteur, fût­ce un juif converti. Hermann a bien pu exister et contribuer à la mise par écrit de sa propre histoire, mais l’Opusculum n’en est pas moins une œuvre collective, peut­être destinée à illustrer le rayon­nement de l’abbaye prémontrée de Cappenberg.

Plutôt que de se battre sur une question d’attribution, mieux vaut déplacer les questions et interroger le contenu du texte pour en comprendre les significations dans la société et la culture de l’époque. Qu’en est­il alors de l’autobiographie et de la subjectivité, de la fonction des rêves dans les cultures juive et chrétienne, de la légitimité des images religieuses dans un cadre monothéiste, de la conversion individuelle et collective, du nom et de l’identité ? Simultanément, l’auteur saisit l’occasion des débats suscités par l’Opusculum pour s’interroger plus fondamentalement sur les manières dont les historiens pensent et écrivent l’histoire.

Ainsi, non seulement l’étude de cas est­elle guidée par une ample problématique, mais elle se double tout au long de la démonstration d’une mise en question critique du tra­vail de l’historien, faisant de ce livre une leçon de méthode.

2003, 384 pages. « Points Histoire », n° 382, 2007, 416 pages.

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Page 218: Catalogue publié en mars 2019

M i c h e l S c h n e i d e r

L a t o m b é e d u J o u rSch u M a n n

Schumann est au soir de sa vie quand sa création est obscurcie par la folie. Au soir qui toujours avait coloré sa musique – singulièrement celle pour piano –, cette musique attirée vers le bas, le déclin, la dépression.

Le soir schumannien ne parle – sans mots – que d’une seule chose : la douleur, ici nettement opposée à la souf­france. Douleur qui prend les visages, ou les masques, de la disparition, du langage perdu, de l’étrangeté, de l’intime, des lointains.

La musique y apparaît comme cette voix légèrement fêlée ou voilée, loin du pleur comme de la plainte, qui sans cesse retombe à la nuit. C’est elle, la tombée du jour.

1989, 224 pages. « Points Essais », n° 530, 2005, 218 pages.

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M i c h e l S c h n e i d e r

b a u d e L a i r e L e s a n n é e s p r o F o n d e s

Baudelaire avait la passion des images et l’amour des por­traits. On trouvera ici ceux qu’il fit des peintres, des photo­graphes et des écrivains de son temps. Ceux qu’ils firent de lui, en miroir. Ceux qu’il achetait et revendait, et celui de son père, qu’il traîna toute sa vie. Un seul portrait manque : celui de lui­même, qu’il n’écrivit pas. Cet impossible portrait hante tout son œuvre. L’homme aux images ne put peindre la sienne propre.

Rien n’eût été plus odieux à Baudelaire qu’un retour sur soi. Les années profondes ne sont pas les jeunes, les belles. Inscrites non dans la mémoire, mais dans le récit, elles sont le temps perdu, le temps regardé, le temps où il passait son temps à regarder, à ne pas écrire. Les années vers lesquelles il ne peut revenir qu’en images, pas en pensée. « La pensée du passé est une pensée qui rend fou », écrivit­il un jour à sa mère.

Voici Baudelaire, « toujours voyageant à travers le grand désert d’hommes », marchant parmi les tableaux et les mots, puis, à l’heure où les autres dorment, penché sur sa table, s’escrimant jusqu’à ce que « les choses renaissent du papier ».

1994, 192 pages.

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J e a n S c h w œ b e l

L a p r e s s e , L e p o u v o i r e t L’a r g e n t

Il arrive que la presse n’ait pas bonne presse. Ce fut le cas, il y a cinquante ans, durant les événements de mai et juin 1968. On vit alors fleurir des affiches qui ne faisaient pas dans la nuance. L’une montrait une bouteille de poi­son accompagnée de cette mise en garde : « Presse. Ne pas avaler. » Une autre rendait un verdict sans appel : « Toute la presse est toxique. » D’autres encore, visant l’audiovisuel public, présentaient un policier casqué avec ce commen­taire : « La police vous parle tous les soirs à 20 h. »

Or, au même moment, on pouvait trouver dans les librai­ries un livre qui contredisait cette vision uniforme d’une presse ligotée et de journalistes asservis. Ce livre, c’est celui­ci, La Presse, le Pouvoir et l’Argent de Jean Schwœbel, sorti aux Éditions du Seuil précisément en ce printemps 1968. La nouvelle édition de cet ouvrage pionnier permet de mettre en évidence l’actualité d’une tradition, celle de rédactions se battant pour l’indépendance de leurs médias.

« Résister, c’est créer. Créer, c’est résister » : cette formule a souvent inspiré la génération de la Résistance, celle de Jean Schwœbel et de ses collègues, dont les combats inau­guraux nous aident, aujourd’hui, à inventer les réponses qui manquent. L’un des grands mérites de ce livre est de nous transmettre cette énergie vitale. Il fait plaisir, en nos temps saisis par les peurs et, hélas, travaillés par les haines, d’y lire un éloge intraitable du non­conformisme.

Jean Schwœbel n’hésite pas à plaider pour une presse qui inquiète ses lecteurs, les dérange et les bouscule. Une presse qui préfère les politiser au sens le plus noble du terme, de souci du commun et de l’autre, plutôt que de les divertir et de les distraire.

Edwy Plenel

Préface de Paul Ricœur. Nouvelle édition, avant-propos d’Edwy Plenel. 2018, 368 pages.

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v e l c h e ru n a r aya n a r ao dav i d S h u l M a n

S a n Jay S u b r a h M a n ya M

t e x t u r e s d u t e m p s é c r i r e L’ h i s t o i r e

e n i n d e

L’Inde profonde serait ancrée dans un univers de mythes, hors de toute temporalité. La conscience historique n’y serait apparue que soudainement, grâce à sa colonisation par les Britanniques au xviiie siècle. Telle est l’idée reçue mise à l’épreuve dans cet ouvrage né de la rencontre entre trois émi­nents spécialistes de l’Inde. Polémique, ce livre bouscule les nouvelles formes d’orthodoxie nées des Post-Colonial Studies.

Pour fracturer quelques­uns des préjugés les plus tenaces sur la sagesse de l’Inde médiévale et prémoderne, les auteurs s’interrogent sur l’histoire comme genre littéraire. L’enquête porte sur la littérature indienne écrite entre le xvie et le xviiie siècle dans les petites villes du sud de l’Inde.

Leur hypothèse : le discours historique n’est pas inscrit dans un récit particulier et aucun genre n’est assigné de manière exclusive à l’histoire. Au contraire, la texture du temps se formule dans le genre qui s’impose à une période. Si « les purana sont la forme littéraire dominante, l’histoire sera écrite à la manière des purana ».

Ce livre invite le lecteur à « écouter » les textes, à entendre leur texture qui « nous mène au cœur de la chaîne et de la trame et nous demande d’être attentifs à chacun de leurs fils ».

Le concept original de « texture » vise à remplacer l’idée qu’écrire l’histoire serait l’affaire d’un genre unique. Ce livre relance ainsi le débat qui touche aux formes de l’écriture de l’histoire à l’époque moderne.

Traduit de l’anglais par Marie Fourcade. 2004, 384 pages.

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dav i d S h u l M a n

t a’a y u s h i J o u r n a L d ’ u n c o m b a t

p o u r L a pa i x i s r a Ë L ‑ pa L e s t i n e

2 0 0 2 ‑ 2 0 0 5

Ta’ayush – en arabe « coexistence », de ta’ayasha, « vivre ensemble » – est un mouvement israélo­palestinien de protes­tation civile pour la paix qui s’inspire de la tradition de non­violence de Gandhi et Martin Luther King. Dans ce livre, David Shulman nous dit : « Je suis convaincu que l’occupation par Israël du territoire palestinien est inacceptable, illégale et, en dernière analyse, suicidaire. Pour autant je ne suis pas de ceux qui pensent que ce qui est arrivé est entièrement de notre faute. “L’autre partie” chancelle aussi sous son poids de folies et de crimes. Aucune des deux n’a le monopole du vrai, ni d’ailleurs du faux. […] J’ai le sentiment profond que le conflit qui fait rage dans ce pays torturé n’est pas un jeu à somme nulle où il ne peut y avoir qu’un seul gagnant. La vérité est limpide : soit les parties gagnent ensemble, soit elles perdent toutes les deux. »

Dans sa préface, soulignant que Shulman n’est pas un poli­tique, Charles Malamoud écrit : « Ce qui fait que David Shul­man joue un rôle de premier plan dans la vie de Ta’ayush, c’est plutôt l’intensité de ses émotions, la vigilance et le courage avec lesquels toujours il veille au respect que l’on doit à autrui, son aptitude à écouter et à comprendre, sa sensibilité vibrante, ses dons d’écrivain. Son prestige aussi. Il faut savoir en effet que David Shulman a reçu en Israël les plus hautes distinctions qui puissent être accordées à une œuvre intellectuelle. »

Ce Journal d’un combat pour la paix contribue à donner l’espoir d’un État palestinien, voisin et partenaire coexistant d’Israël.

Préface de Charles Malamoud. Traduit de l’anglais par Tiphaine Samoyault. 2006, 280 pages.

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J e a n S t a r o b i n S k i

a c t i o n e t r é a c t i o nv i e et av e n t u r e S d’u n cou pl e

Pourquoi, dans la vie quotidienne, affirme­t­on qu’une situation intolérable appelle une réaction ? Comment les biologistes en sont­ils venus à penser les rapports du vivant et du milieu en termes d’interaction ? Pour quelle raison la psychiatrie a­t­elle adopté, il y a un siècle, la catégorie des affections réactionnelles ? Pourquoi le concept d’abréaction fut­il inventé puis abandonné par la première psychanalyse ? Que veut­on faire entendre, quand on déclare qu’une poli­tique est réactionnaire ? Dire que le totalitarisme nazi fut une réaction au totalitarisme communiste, n’est­ce pas l’excuser ? Le mot « réaction » et ses dérivés offrent leurs services pour l’explication causale comme pour la compréhension par sympathie. Ils nous viennent à l’esprit quand nous cherchons des réponses à nos problèmes. Or ces mots, précisément, ne font­ils pas problème ?

C’est l’occasion, pour Jean Starobinski, d’examiner les filières intellectuelles à travers lesquelles le mot « réaction » et ses dérivés nous sont parvenus. Ce livre remonte au rôle que leur attribua la scolastique, mais aboutit aux interro­gations qui entourent aujourd’hui la notion de progrès, sans laquelle la réaction politique ne peut être pensée. Il convoque aussi bien les philosophes (Aristote, Leibniz, Kant, Nietzsche, Jaspers) que les savants (Newton, Bichat, Claude Bernard, Bernheim, Freud) et les écrivains (Diderot, Benjamin Constant, Balzac, Poe, Valéry). L’ouvrage est une traversée originale de la culture occidentale : il éclaire suc­cessivement les fondements de la science et la protestation des poètes, parcourant ainsi les chemins qui conduisent à nos perplexités présentes.

1999, 284 pages.

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J e a n S t a r o b i n S k i

L e s e n c h a n t e r e s s e sDe s s i ns De k a r l - e r ns t he r r m a n n

C’est folie de croire au merveilleux, si l’on a tiré la leçon des mésaventures de Don Quichotte. Pourtant le goût du merveilleux a persévéré, pour le plaisir du spectacle. En s’alliant à la musique, en faisant appel aux fables anciennes et aux conventions du théâtre, la poésie a inventé un nouvel espace de fiction : l’opéra. Toutes les figures du désir et de l’égarement passionnel peuvent y être jouées et déjouées. Toutes les autorités aussi peuvent y être mises en péril. Les enchanteresses tiennent sous leur dénomination les héros qu’elles ont dévoyés. Mais leur triomphe ne dure pas. Elles sont les incarnations de l’art qui multiplie les plaisirs et qui sait aussi combien sa souveraineté est précaire.

C’est en écoutant les enchanteresses que Jean Starobinski va à la rencontre de quelques auditeurs à l’exigence inquiète : Rousseau, Stendhal, Hoffmann, Balzac, et Nietzsche. De ses lectures, l’auteur revient chargé de découvertes intellec­tuelles éclairantes. Et de quelques problèmes.

Le dix­neuvième siècle romantique a­t­il voulu retrouver une vision religieuse du monde que les Lumières du siècle précédent avaient cherché à supplanter ? L’air d’opéra, qui soulève tant de passions, apparaît bien comme le lieu des transferts du sacré à l’expérience la plus intime de soi, par­fois aussi aux appartenances nationales. Or à la sacralisation de l’art correspond en retour une esthétisation du religieux, phénomène complexe qui ne cesse de se manifester sous nos yeux, avec des conséquences parfois inquiétantes. Les lecteurs sentiront que les enjeux esthétiques évoqués dans ce livre inté­ressent de près l’évolution des sociétés modernes « avancées ».

2005, 271 pages. « Points Essais », n° 866, 2019, 448 pages.

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J e a n S t a r o b i n S k i

L’ e n c r e d e L a m é L a n c o L i e

D’où viennent la tristesse profonde, le désespoir, le délire, la fureur, le suicide ?

Contre ceux qui invoquaient une cause surnaturelle ou une punition divine, la pensée médicale a fait prévaloir, dès l’Antiquité, une cause naturelle, une humeur du corps : la bile noire, c’est­à­dire la mélancolie. Sa noirceur, souvent comparée à celle du charbon ou de l’encre, était l’indice de son pouvoir maléfique. Cette humeur n’existait pas. Mais n’est­ce pas avec de l’encre que l’on écrit des poèmes ?

Durant plus d’un demi­siècle des thèmes liés à la mélan­colie ont orienté certains de mes travaux. Les voici rassem­blés, grâce à l’amitié de Maurice Olender. Ce livre espère démontrer que la mise en perspective de la mélancolie peut donner lieu à un « gai savoir ».

Jean Starobinski

Postface de Fernando Vidal. 2012, 672 pages. « Points Essais », n° 788, 2015, 704 pages.

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J e a n S t a r o b i n S k i

L e c o r p s e t s e s r a i s o n s

Le corps a­t­il une histoire ? Madame Bovary avait­elle de la fièvre ? Pourquoi Molière se moque­t­il des médecins ? Les psychiatres soviétiques ont­ils révolutionné l’approche des maladies nerveuses ? Et encore : d’où vient la semence ? Le stress est­il une maladie ?

Telles sont quelques­unes des questions étonnantes que Jean Starobinski affronte dans ses enquêtes d’histoire de la médecine. Car Jean Starobinski qui la pratiqua comme psychiatre n’oublia jamais la médecine : il en fit l’histoire, il contribua à la connaissance de sa position dans la culture et les lettres et sert son intelligibilité.

Critique et clinique ? Le grand historien des idées et des arts, le spécialiste de Rousseau et des Lumières apporte un regard neuf à notre connaissance du corps.

Par la publication de deux ouvrages majeurs, « La Librai­rie du xxie siècle » a contribué à faire connaître l’œuvre de l’écrivain de la médecine. Ce fut d’abord Action et Réaction. Vie et aventures d’un couple (1999) puis L’Encre de la mélancolie (2012). Le Corps et ses raisons complète ces deux livres pour former un triptyque.

Alors que le médecin Jean Starobinski s’est penché sur le lit des malades (c’est sa clinique), l’historien se penche sur les disciplines qui ont tenté de cerner les « raisons du corps » : car il y a le corps des médecins, celui des phi­losophes, celui des écrivains, celui des peintres. Tous ces régimes de rationalité contribuent à la connaissance du corps qui ne cesse de déborder la raison et de s’y dérober. Le corps a ses raisons que la raison ne connaît pas.

Martin Rueff

Préface de Martin Rueff. À paraître.

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a n n e ‑ l i S e S t e r n

L e s av o i r ‑ d é p o r t éca M pS, h iStoi r e , pSych a na lySe

précédé de « UNE VIE À L’ŒUVRE »

PAR NADINE FRESCO ET MARTINE LEIBOVICI

Naître, c’est naître après. « Pour tout un chacun des géné­rations post­nazies, la petite et la grande histoire se sont nouées dans la poubelle des camps. »

La femme qui parle ainsi appartient, elle, à une généra­tion précédente. Anne­Lise Stern avait en effet vingt­deux ans lorsqu’elle fut déportée à Auschwitz­Birkenau au printemps de 1944. Ce « nouage entre le privé et le public » a d’abord été pour elle une réalité.

Quand, plus tard, elle est devenue psychanalyste, la confrontation de l’expérience du camp et de sa pratique clinique, de ce qu’elle avait vécu là­bas et de ce qu’elle a entendu ici, dans diverses institutions de soins et sur son divan, l’a conduite à élaborer la notion qui donne son titre à ce livre : le savoir­déporté.

2004, 352 pages. « Points Essais », n° 586, 2007, 352 pages.

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a n t o n i o t a b u c c h i

L e s t r o i s d e r n i e r s J o u r s

d e F e r n a n d o p e s s o au n dé li r e

Novembre 1935. Pessoa est sur son lit de mort, à l’hôpital Saint­Louis­des­Français à Lisbonne. Trois jours d’agonie, durant lesquels, comme dans un délire, le grand poète por­tugais reçoit ses hétéronymes.

Les hétéronymes étaient d’« autres que lui », des voix qui parlaient en lui et qui eurent une vie autonome et une bio­graphie. Pessoa leur parle, leur dicte ses dernières volontés, dialogue avec les fantômes qui l’ont accompagné pendant toute sa vie.

Un récit à la fois romanesque et biographique (même s’il s’agit d’une biographie imaginaire), dans lequel Antonio Tabucchi, avec tendresse et passion, évoque la vie et la mort d’un des plus grands écrivains du xxe siècle.

Traduit de l’italien par Jean-Paul Manganaro. Dessins de Júlio Pomar. 1994, 96 pages.

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a n t o n i o t a b u c c h i

L a n o s t a L g i e , L ’a u t o m o b i L e

e t L’ i n F i n il e c t u r e S de pe SSoa

C’est à l’automne 1964 qu’Antonio Tabucchi, étudiant à Paris, découvre en traduction française une plaquette avec un poème intitulé « Bureau de Tabac ». Son auteur : Fernando Pessoa. Depuis, les écrits du grand poète portugais n’ont jamais cessé d’accompagner la vie intellectuelle de Tabucchi.

À l’origine de ce livre, un événement qui prend place trente ans plus tard. Nous sommes à l’automne 1994 : Tabucchi est invité à faire quatre conférences aux élèves de l’École des hautes études en sciences sociales, à Paris. Pré­servant le rythme vivant de ces rencontres, ce livre introduit à l’œuvre de Pessoa.

Si Pessoa demeure aussi célèbre que méconnu, serait­ce parce que, « même s’il est là, Pessoa est toujours “ailleurs” » ? En lisant ses textes, en déchiffrant son univers, Tabucchi montre comment Pessoa, disant l’ordinaire de tout un cha­cun, explore l’intériorité de l’homme d’aujourd’hui.

L’absurde, la mauvaise conscience, le remords, le sens du mystère de la vie, l’indicible, l’inquiétante présence de l’Autre que nous portons toujours en nous (« notre part la plus secrète »), la nostalgie du possible, tels sont quelques­uns des thèmes pessoens que Tabucchi éclaire dans ce livre.

1998, 128 pages. Nouvelle édition augmentée, 2013, 160 pages.

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a n t o n i o t a b u c c h i

a u t o b i o g r a p h i e s d ’a u t r u i

p oét iqu e S a po s t e r ior i

« Ces écrits sur mes écrits sont un pur prétexte pour par­ler des livres d’autrui, tels ceux qu’on emporte avec soi dans une valise idéale, au cours des voyages les plus lointains, souvent sans le savoir. Un matin quelconque, tu ouvres une fenêtre dans un pays qui n’est pas le tien : quelque chose d’inattendu arrive. Et voilà qu’à l’improviste, de ton invi­sible valise sort la mémoire qui donne l’illusion de saisir un paysage incompréhensible.

Voilà ce qui s’est passé quand j’ai repensé à certains de mes livres : j’ai eu l’illusion de les comprendre grâce à des pages écrites par autrui.

En somme, je voulais te dire que ces lignes, en feignant de parler de mon œuvre, ne sont que prétexte à littérature. »

Antonio Tabucchi Extrait d’une lettre à un ami

Traduit de l’italien par Lise Chapuis et Bernard Comment avec la participation de l’auteur. 2003, 192 pages.

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e M M a n u e l t e r r ay

L a p o L i t i q u e d a n s L a c av e r n e

Au principe de ce livre, une conviction : les penseurs de la Grèce antique – et pas seulement Socrate, Platon et Aris­tote, mais aussi leurs interlocuteurs et leurs adversaires – ont encore quelque chose de fondamental à nous dire sur deux ou trois des problèmes majeurs de notre temps.

Pour explorer les débats où s’est formée la conscience politique occidentale, Emmanuel Terray convie les sophistes et les médecins de l’école hippocratique, il interroge l’his­toire de Thucydide et le théâtre d’Euripide.

De chapitre en chapitre sont ainsi restituées les lignes de force d’une réflexion politique originale, dont les questions sont aussi les nôtres : Quels sont les risques d’une démocratie qui reconnaîtrait sans réserve la souveraineté de l’individu ? Peut­on assurer la cohésion et le salut de la cité sans invo­quer une loi transcendante, celle de Dieu ou de la nature ? L’égalité est­elle une condition nécessaire à l’exercice des libertés civiles et politiques ?

1990, 450 pages.

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e M M a n u e l t e r r ay

u n e pa s s i o n a L L e m a n d e

lu t h er , k a n t, Sch i l l er , hölder li n, k l eiSt

Après deux siècles d’affadissement, l’Absolu retrouve avec Luther son incandescence et sa vigueur sauvages. Puis Kant entreprend de dresser entre l’homme et l’Absolu une barrière protectrice, mais elle s’avère bientôt précaire et poreuse. Schiller fait de la réconciliation l’attribut majeur de l’Absolu, et installe celui­ci dans le passé et dans l’avenir ; nous pouvons donc nous en approcher par la mémoire et par l’espoir, mais cela ne suffit pas à sauver notre présent. Bra­vant les interdits de Kant, Hölderlin s’élance comme un nou­vel Icare au­devant de l’Absolu, et retombe foudroyé. Kleist au contraire respecte scrupuleusement la frontière tracée par Kant, mais il découvre qu’à l’intérieur de la contrée ainsi délimitée la vie est impossible, et il en tire les conséquences.

La morale de ces histoires est à la fois banale et déses­pérée : nous ne pouvons pas vivre avec l’Absolu, et nous ne pouvons pas vivre sans lui. Refuser le divertissement, s’établir dans cette contradiction et en accepter les effets, telle est alors la voie que nous enseigne, pour le meilleur et pour le pire, cette « passion allemande ».

1994, 450 pages.

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e M M a n u e l t e r r ay

m e s a n g e s g a r d i e n sprécéd é d e

« e M M a n u e l t er r ay l’i nSu rgé » pa r f r a nçoiSe h ér i t i er

En ouverture de son livre, Emmanuel Terray nous fait une confidence : « La croyance chrétienne assigne à chacun de nous un ange gardien qui, tout au long de notre vie, nous prodigue assistance et conseil ; pour l’incroyant que je suis, quelques écrivains ont été comme autant d’anges gardiens. »

Ces Anges gardiens, on pourrait les considérer comme des garde­fous. À la seule condition d’entendre par cette expression, à l’envers du sens commun, la protection de ce qu’il y a en nous de folie, cette folie qui permet d’imaginer, de s’insurger, de rêver et d’agir.

Emmanuel Terray a choisi de nous montrer comment se fabrique une vie façonnée par des lectures.

Son point de départ : l’insurrection.Insoumis, Terray est toujours un insurgé. C’est aussi ce

qui anime chaque page de son livre : un message tonique, voire d’un pessimisme tonique, en ce début de xxie siècle où tant de discours se complaisent dans la « réaction » plutôt que dans l’« action ».

Arrivée à ce point, dans ma propre existence, je m’inter­roge : s’il n’y a pas cet enthousiasme de la jeunesse, de la vie, à quoi bon vivre ? Ce que montre, à sa manière, le livre de Terray, c’est que la vérité de la vie n’est pas dans un quotidien monstrueux et désespérant. C’est dans la solidarité, la fraternité, l’action, et l’enthousiasme qu’on peut arriver à quelque chose. Même si, en fin de compte, on n’obtient pas tout ce à quoi on pourrait aspirer.

Françoise Héritier

2017, 272 pages.

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c a M i l l e d e t o l e d o

L e h ê t r e e t L e b o u L e a u . e s s a i s u r L a

t r i s t e s s e e u r o p é e n n esu iv i d e

l’u topi e li ngu iSt iqu e ou la pé dag o gi e du v ert ige

Le bouleau, dans le temps littéraire et poétique de la révélation, fut l’arbre du drame, le témoin silencieux de l’extermination ; l’arbre du massacre en train d’avoir lieu. La peau de son écorce en lambeaux est le visage d’un temps que nous n’avons pas connu, temps de l’anéantissement. Plus d’une moitié de siècle après, nous voilà désormais dans le présent du hêtre, arbre gagné par le « h » de la hantise. Mais quelle serait la voie de notre désenvoûtement ? Comment quitter le xxe siècle ?

Camille de Toledo

2009, 224 pages.

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c a M i l l e d e t o l e d o

v i e s p ø t e n t i e L L e s

Vies Pøtentielles est un livre de la coupure, de la fêlure, et de la transmission. Un livre à la croisée des chemins. Entre l’orphelinat du monde où nous avançons et une marche à rebours, où nous tentons, malgré tout, de relire & relier nos destins en morceaux.

2011, 336 pages. « Points », n° 3183, 2014, 352 pages.

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c a M i l l e d e t o l e d o

o u b L i e r , t r a h i r , p u i s d i s pa r a î t r e

Camille de Toledo signe ici le troisième volet d’une « tri­logie européenne ». Après Le Hêtre et le Bouleau, à la suite de Vies pøtentielles, Oublier, trahir, puis disparaître explore, entre conte et récit mythologique, le temps européen, à la char­nière du xxe et du xxie siècle, à l’heure où se pose la question de l’oubli et de la trahison…

2014, 224 pages.

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p e t e r t r aw n y

h e i d e g g e ru n e i n t roduc t ion cr i t iqu e

La pensée de Heidegger est plus contestée que jamais depuis la publication des Cahiers noirs.

La controverse a pris une ampleur qui déborde l’univer­sité, ses recherches et ses enseignements. L’interprétation des Cahiers noirs, écrits entre 1932 et 1948, est devenue politique et a même pris l’allure d’un Kulturkampf. Ceux qui ont pris position contre Heidegger et qui exigent qu’on interdise la diffusion de sa pensée sont du côté des Lumières et du progrès ; ceux qui se déclarent pour lui et qui ne mettent pas en doute son importance pour le xxe et sans doute le xxie siècle soutiennent l’obscurantisme, voire pire. La parti­tion anti­ennemi recoupe la division politique de l’Europe qui se dessine toujours plus nettement. Que la pensée de Heidegger puisse être entraînée dans pareille querelle tient au fait qu’elle confine parfois à l’idéologie.

La publication de mon Introduction critique à la pensée de Heidegger ne pourra se soustraire à ces débats.

Peter Trawny

Traduit de l’allemand par Marc de Launay. 2017, 224 pages.

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c é S a r va l l e J o

p o è m e s h u m a i n s

*

e s pa g n e , é c a r t e d e m o i

c e c a L i c epr é fac e de Jorge Se M pru n

Les poèmes qui composent ce volume ont été écrits entre 1924 à 1937, pendant les années d’exil.

Le poète péruvien y exprime, dans la fièvre, l’éloignement de la patrie natale, la souffrance physique et le sentiment d’être étranger à la société des hommes. Sa poésie traduit un mélange de mélancolie et de révolte qui, jamais, n’aban­donne pour autant l’espérance. Vallejo garde la volonté acharnée de rejoindre l’humanité – l’adhésion au commu­nisme, la défense de la cause républicaine lors de la guerre civile espagnole, en est l’une des formes. Sa poésie qui est aussi aspiration à l’infini est une bataille constante pour rendre au verbe une pureté inaccessible. C’est cet aspect révolutionnaire, au sens absolu du terme, qui fait de son œuvre l’une des plus novatrices du xxe siècle.

Traduit, présenté et annoté par François Maspero. 2011, 420 pages. Édition bilingue. Cet ouvrage a été publié avec le soutien de la Maison de l’Amérique latine. Repris en partie en « Points Poésie », n° 3217, 2014, 368 pages.

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J e a n ‑ p i e r r e v e r n a n t

m y t h e e t r e L i g i o n e n g r è c e a n c i e n n e

Qu’est­ce qu’une religion sans dieu unique, sans Église, sans clergé, sans dogme ni credo, sans promesse d’immorta­lité ? Brosser le tableau de la religion civique des Grecs, c’est, en s’efforçant de répondre à cette question, s’interroger sur le statut de la croyance dans ce type de commerce avec l’au­delà, sur les rapports du fidèle à ses dieux, sur la place restreinte qu’occupe l’individu dans cette économie du sacré.

Engagé dans les institutions de la cité, le religieux apparaît orienté vers la vie terrestre : il vise à ménager aux citoyens une existence pleinement humaine ici­bas, non à assurer leur salut dans l’autre monde.

Ce que la religion laisse en dehors de son champ et que des courants sectaires et marginaux prennent en charge, la philosophie se l’appropriera : élaboration du concept de transcendance, réflexion sur l’âme, sa nature, son destin, recherche d’une union de soi et de dieu en purifiant l’âme de tout ce qui n’est pas en elle apparenté au divin.

Jean­Pierre Vernant

1990, 128 pages. « Points Essais », n° 750, 2014, 112 pages.

l a l i b r a i r i e du x xi e siècle

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J e a n ‑ p i e r r e v e r n a n t

e n t r e m y t h e e t p o L i t i q u e

i

Jeune antifasciste dans le Quartier latin des années 1930, grand résistant, militant luttant au coude­à­coude avec ses camarades, Jean­Pierre Vernant est également le profes­seur honoraire au Collège de France qui a renouvelé notre compréhension des mythes anciens.

Dans ce volume, l’auteur nous invite à un « parcours » entre mythe et politique où il retrace la formation et l’itinéraire du savant et de l’homme engagé dans le siècle. Mais plutôt qu’une biographie intellectuelle à deux faces, Jean­Pierre Vernant montre combien, « dans la démarche du savant comme dans les choix du militant, les deux pôles opposés du mythe et du politique n’ont jamais cessé de se nouer ».

Le livre s’ordonne autour de divers thèmes, et notam­ment : les formes de croyance et de rationalité en Grèce ancienne et aujourd’hui, la religion comme objet de science, l’imaginaire et les manières de donner une présence à de l’invisible, l’actualité du tragique, les problèmes de morta­lité et d’immortalité chez les Anciens, les mythologies et la longue vie des dieux grecs.

Les liens inextricables entre mentalité religieuse et rationalité politique, dans la cité antique comme dans nos États modernes, ont incité Vernant, à divers moments de son itinéraire, à réfléchir sur l’expérience de la Résistance, le communisme, l’antisémitisme et les vieux démons du fascisme.

1996, 648 pages. « Points Essais », n° 430, 2000, 656 pages.

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J e a n ‑ p i e r r e v e r n a n t

L’ u n i v e r s , L e s d i e u x , L e s h o m m e s

r é ci tS gr e cS de S or igi n e S

Jean­Pierre Vernant raconte les mythes de la Grèce ancienne. Il évoque les origines de l’Univers, la guerre des dieux et les liens que l’humanité n’a cessé d’entretenir avec le divin. De la castration d’Ouranos aux ruses de Zeus, de l’invention de la femme au voyage d’Ulysse, des aventures d’Europe au destin boiteux d’Œdipe et à la course aux Gorgones, l’auteur nous fait entendre ces vieux mythes toujours vivants.

Jean­Pierre Vernant, qui a consacré sa vie à la mythologie grecque, nous permet alors de mieux en déchiffrer le sens souvent multiple. C’est à cette rencontre entre le conteur et le savant que ce livre doit son originalité.

Dans son Avant­propos, Vernant écrit : « Dans ce livre, j’ai tenté de livrer directement de bouche à oreille un peu de cet univers grec auquel je suis attaché et dont la survie en cha­cun de nous me semble, dans le monde d’aujourd’hui, plus que jamais nécessaire. Il me plaisait aussi que cet héritage parvienne au lecteur sur le mode de ce que Platon nomme des fables de nourrice, à la façon de ce qui passe d’une géné­ration à la suivante en dehors de tout enseignement officiel.

« J’ai essayé de raconter comme si la tradition de ces mythes pouvait se perpétuer encore. La voix qui autrefois, pendant des siècles, s’adressait directement aux auditeurs grecs, et qui s’est tue, je voulais qu’elle se fasse entendre de nouveau aux lecteurs d’aujourd’hui, et que, dans certaines pages de ce livre, si j’y suis parvenu, ce soit elle, en écho, qui continue à résonner. »

1999, 256 pages. « Points Essais », n° 561, 2014, 272 pages.

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J e a n ‑ p i e r r e v e r n a n t

L a t r av e r s é e d e s F r o n t i è r e s

e n t r e M y t h e et p oli t iqu e i i

Y a­t­il des liens entre ma lecture de l’épopée homérique et mon action dans la Résistance militaire, avec les risques qu’elle comportait ? À la réflexion, ces liens me sont apparus très clairs, qui ont tissé, entre mon interprétation du monde des héros d’Homère et mon expérience de vie, comme un invisible réseau de correspondances orientant ma lecture « savante » et privilégiant, dans l’œuvre du poète, certains traits : la vie brève, l’idéal héroïque, la belle mort.

Cette confrontation entre passé et présent, entre l’objecti­vité distante du savant et l’engagement passionné du militant, ne pouvait manquer de déboucher sur les problèmes de la mémoire qu’abordent plusieurs chapitres de ce livre. Notam­ment sur les difficultés que rencontre l’historien du temps pré­sent pour parler de ces Années noires, de ces années écoulées, certes, mais qui ne passent pas, qui restent trop présentes dans les souvenirs, et leurs enjeux trop actuels, pour qu’on puisse en traiter avec le détachement et le recul propres à ce qui est entièrement révolu. Témoignage des survivants, documents écrits, archives, sur quoi s’appuyer, à qui, à quoi se fier ?

L’« affaire Aubrac » a ainsi constitué dans le débat entre historiens, comme dans la confrontation entre résistants et histo­riens, un point de non­retour, mettant en pleine lumière le fossé qui sépare l’enquête du savant et la mise en scène journalistique.

Mais, au­delà de l’actualité, le problème autour duquel s’organise l’ensemble du livre concerne le franchissement des frontières : entre passé et présent, proche et lointain, familier et insolite, finalement, pour chacun de nous, entre ses souvenirs et lui­même.

Jean­Pierre Vernant

2004, 208 pages. « Points Essais », n° 786, 2015, 240 pages.

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i da v i t a l e

n i p L u s n i m o i n s

Après avoir traduit la poésie d’Alvaro Mutis puis celle de César Vallejo, François Maspero avait entrepris de traduire Ida Vitale. La mort l’a surpris au cœur de ce travail.

Silvia Baron Supervielle a pris le relais. Elle a choisi et tra­duit la plupart des poèmes qui composent cette anthologie.

Ida Vitale a reçu en 2015 le prix Reina Sofía qui est la plus haute distinction pour la poésie ibéro­américaine consacrant ainsi la poète uruguayenne comme une des voix majeures de la poésie de langue espagnole.

Annie Morvan et François Vitrani

2016, 288 pages. Traduit de l’espagnol (Uruguay) par Silvia Baron Supervielle & François Maspero. Introduction de Silvia Baron Supervielle. Édition bilingue. Cet ouvrage a été publié avec le soutien de la Maison de l’Amérique latine.

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n at h a n wac h t e l

d i e u x e t va m p i r e sr etou r à ch i paya

Nathan Wachtel raconte, avec tendresse et humour, ses retrouvailles avec les autochtones qui vivent non loin des cimes enneigées de la cordillère des Andes, en Bolivie. Près de vingt ans après son premier séjour chez les Indiens Chipayas, bien des choses ont changé au village : l’intru­sion de la modernité a défait peu à peu les cultes païens et transformé la religion des ancêtres. Pris dans l’engrenage des conflits actuels, l’ethnologue affronte, en compagnie des Chipayas, un univers de dieux et de vampires où se mêlent la quête messianique des sectes chrétiennes, les drames indi­viduels et collectifs et l’intrigue policière.

Ce « récit de voyage » permet aussi de mieux comprendre la part de subjectivité qui anime toute enquête sur le terrain. Car, par sa seule présence, l’ethnologue modifie le jeu des équilibres ou des déséquilibres du corps social dans lequel il s’est immiscé. Quel que soit son comportement, il n’est pas maître des interprétations auxquelles il donne prise : alors qu’il se voudrait sujet observant, il risque de se retrouver lui­même objet manipulé. Impossible de s’abstraire en pur regard extérieur.

Dans ses aventures aux confins d’un monde en voie de disparition, Nathan Wachtel dévoile sa nostalgie, évoque ses « tristes tropiques » tout en s’interrogeant sur le sens du métier d’ethnologue.

1992, 192 pages.

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n at h a n wac h t e l

L a F o i d u s o u v e n i rla by r i n t h e S M a r r a n e S

À travers la série de portraits marranes qu’il dresse, Nathan Wachtel retrace les itinéraires de ces Juifs du secret, espagnols et portugais, convertis de force à la foi catholique à partir de la fin du xive siècle. Certains qui ont fui l’Europe pour chercher refuge en Amérique établissent des réseaux de soli­darité transcontinentale et contribuent à la création d’une économie ouvrant les voies à la modernité. Sur le plan reli­gieux, à la fois juifs et chrétiens, dedans­dehors, les marranes développent des formes de pensée sceptique qui conduisent à la vision d’un monde moins dogmatique, plus complexe, plus relatif, plus tolérant : penser à Montaigne et à Spinoza.

Du pauvre hère que fut Juan Vicente au richissime trafi­quant d’esclaves Manuel Bautista Perez, de l’érudit Francisco Maldonado de Silva à la « rustique » Theresa Paes de Jesus, l’auteur explore la condition marrane comme lieu des drames, des angoisses et des mutations de l’Occident moderne.

Au scrupule de l’historien qui restitue le contenu des procès consignés dans les vieilles archives inquisitoriales, Wachtel allie le souci de l’anthropologue : au printemps 2000, il fait le lien entre le passé et le présent, rencontrant au Brésil des marranes contemporains.

Faisant bon usage de l’anachronisme, et tout en souli­gnant les différences, Nathan Wachtel rapproche la pénin­sule Ibérique des xve et xvie siècles de l’Allemagne nazie du xxe. Dans les deux cas, c’est une « logique du sang » qui a mis un terme à la réussite des processus d’assimilation, rejetant les Juifs hors de la communauté des vivants.

Après La Vision des vaincus (1971) et Le Retour des ancêtres (1990), La Foi du souvenir est le dernier volet d’une trilogie dont le fil conducteur serait celui d’une « histoire souter­raine » des Amériques, entre mémoire et oubli.

2001, 512 pages.

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n at h a n wac h t e l

L a L o g i q u e d e s b û c h e r s

Avec l’invention d’une police rigoureuse et de pratiques rationnelles fondées sur l’administration logique de la preuve, les tribunaux des Inquisitions ibériques ont contri­bué à l’émergence de la modernité en Occident. L’action inquisitoriale a pour but l’extirpation des hérésies (à l’ori­gine principalement de l’hérésie judaïsante) et le salut de l’âme des inculpés eux­mêmes, à condition évidemment que ceux­ci se repentent sincèrement de leurs fautes et se confessent exhaustivement.

Les archives des tribunaux de l’Inquisition fournissent, du xvie au xviiie siècle, une abondante documentation qui permet d’analyser les procédures appliquées au rassemble­ment et au recoupement des preuves de culpabilité (par l’espionnage, le mouchardage et la dénonciation bien plus que la torture), ainsi que les techniques d’investigation et d’interrogatoire qui, au long des procès, finissent par contraindre les accusés aux aveux les plus complets.

En bref, la modernité à laquelle contribuent éminem­ment les Inquisitions n’est autre que celle des systèmes tota­litaires qui atteignirent leur plein développement au cours du xxe siècle.

2009, 336 pages.

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n at h a n wac h t e l

m é m o i r e s m a r r a n e si t i n ér a i r e S da nS l e Sertão

du nor de St e br é Si li e n

Une mémoire marrane encore vivante se perpétue obsti­nément au Brésil, plus de cinq cents ans après la conversion forcée, jusque dans les terres arides du Nordeste, dans le lointain et mythique sertão.

Je suis parti à la recherche de traces des judaïsants d’autre­fois, de vestiges d’un passé si ancien, si occulté, en cet autre bout du monde, en ces immenses déserts de broussailles et d’épines, prédestinés en quelque sorte à tous les exils.

Entre mémoire et oubli, j’ai pu entrevoir combien la condition marrane s’accompagne au fil du temps de repré­sentations et réactions ambivalentes, tant positives que néga­tives, à l’égard de l’héritage juif : soit la foi du souvenir et la vénération des martyrs, soit le déni des ancêtres qui ont trans­mis à leurs descendants le stigmate de leur « sang impur ».

C’est d’un double processus que se compose la mémoire marrane, de deux mouvements antithétiques (mais non exclu­sifs car ils peuvent fort bien coexister parmi les membres d’une même famille, voire chez le même individu) : d’un côté, fidélité persévérante malgré les bûchers, de l’autre, volonté de fusion et recherche de l’oubli (ce qui ne signifie pas disparition totale du champ de la mémoire). Or le Brésil, au cours de son histoire, a offert et offre aujourd’hui encore des conditions particulièrement favorables à l’un comme à l’autre phénomène.

Nathan Wachtel

2011, 368 pages. Cet ouvrage a été publié avec le soutien de la Maison de l’Amérique latine.

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c at h e r i n e w e i n b e r g e r ‑t h o M a S

c e n d r e s d ’ i m m o r t a L i t éla cr é M at ion de S v eu v e S e n i n de

La tradition indienne les exalte. On les appelle les satîs : elles se brûlent vives sur le bûcher funéraire de leur mari. De Strabon à Jules Verne, aucun rite indien n’a autant fasciné les étrangers. Mais de quoi s’agit­il ? Que se passe­t­il lorsque la satî, parée comme au jour de ses noces, s’apprête à célé­brer un mariage de cendres ? Suivant son mari jusque dans la mort, l’épouse vertueuse veut­elle offrir en spectacle rituel sa fidélité absolue, le sacrifice de soi comme preuve de son amour inconditionnel ? Renonçant au monde des apparences et à une forme illusoire du Soi, la satî aspire­t­elle à l’immorta­lité gagnée par la mort volontaire ? Par quelles voies l’amour conjugal croise­t­il ainsi sa destinée avec la mort volontaire – et faut­il parler ici d’un sacrifice, d’un suicide ou d’un meurtre ?

Depuis la fin du xviiie siècle, la crémation des veuves est au centre d’un débat juridique et religieux qui déchaîne les passions en Grande­Bretagne et en Inde. L’ancienne puissance coloniale avait interdit l’« exécrable coutume » en 1829, sans parvenir à l’abolir complètement. Le tollé provoqué par l’immolation de Rup Kanvar, à Deorala, au Rajasthan, en septembre 1987, donne la mesure des contra­dictions politico­religieuses que traverse l’Inde démocratique en cette fin de xxe siècle.

Parce qu’elle a mené ses enquêtes sur le terrain, au cours de missions répétées en Inde entre 1978 et 1993, Catherine Weinberger­Thomas permet de comprendre ce que fut et demeure jusqu’à aujourd’hui un système de croyances, ce que peut signifier le symbolisme religieux, social et politique des satîs, ces veuves sanctifiées par les flammes d’un bûcher d’immortalité.

1996, 336 pages.

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n at a l i e z e M o n dav i S

J u i v e , c a t h o L i q u e , p r o t e s t a n t e

t roiS f e M M e S e n M a rge au x v i i e Si è c l e

Elles étaient juive, catholique et protestante. Toutes trois citadines, filles de marchands et d’artisans au xviie siècle. Toutes trois nous ont laissé des écrits – témoignages de femmes engagées dans leur siècle.

Glikl bas Judah Leib, marchande juive de Hambourg et de Metz, mariée à deux reprises, est mère de douze enfants et auteure d’une fascinante autobiographie écrite en yiddish. Marie de l’Incarnation, née à Tours, veuve et mystique vision­naire, abandonne son fils pour devenir ursuline au Québec où, tout en apprenant l’iroquois, le huron et l’algonquin, elle fonde les premières écoles pour jeunes filles amérindiennes. Enfin, Maria Sibylla Merian, allemande et protestante radi­cale, fut à la fois peintre et entomologiste – ses expéditions pionnières nous entraînent jusqu’au Surinam. Natalie Zemon Davis, l’historienne qui nous a déjà raconté Le Retour de Mar-tin Guerre, restitue la vie de ces trois femmes.

Également remarquables, ces femmes offrent bien des similitudes, même si tout les sépare. Car dans leurs trajec­toires, chacune dit le poids de la religion, de la famille, les lourdeurs d’une société qui laisse peu de marge de manœuvre aux choix personnels qui déterminent pourtant la vie de nos « trois héroïnes ».

Natalie Zemon Davis veut nous faire partager la vie de ces trois femmes européennes et des populations qu’elles côtoient. Sans jamais se priver de l’érudition nécessaire à ses démonstrations, puisant aux sources les plus inattendues, la grande historienne de Princeton montre combien ces femmes, par leurs choix et leur détermination à persévérer dans leurs projets, éclairent l’aube de l’époque moderne.

Traduit de l’anglais par Angélique Levi. 1997, 400 pages.

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a r c h i v e s

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« Textes du xxe siècle » Hachette, 1985­1987

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« La qualité Olender »

La collection « Textes du xxe siècle » est […] sans conteste la collection la plus originale de cette rentrée.

Cette collection est pour Maurice Olender […] la réalisation d’un vieux rêve. Celui de publier des textes brefs, autant que fondamentaux, d’auteurs classés habi­tuellement dans le rayon des sciences humaines, mais qui se révèlent dans leur recours à l’écriture comme de véritables écrivains.

Jean­Paul Morel, Le Matin, 17 septembre 1985.

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« Petits textes de grands chercheurs »

Demander à des chercheurs éminents […] d’écrire « pour leur plaisir et celui des lecteurs » des textes courts […] permettant à un public non spécialisé d’avoir un accès direct à leur pensée et leur démarche : tel est le projet de cette nouvelle collection « Textes du xxe siècle » conçue et dirigée par Maurice Olender et qui sera publiée chez Hachette.

Frédéric Gaussen, Le Monde, 19 juillet 1985.

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« Maurice Olender et sa nouvelle bibliothèque de l’honnête homme »

Maurice Olender a plus d’une corde à son arc […]. Il lance une nouvelle collection qui bouleverse toutes les catégories éditoriales […] des livres courts compo­sés avec amour pour le plaisir, par des auteurs éminents ( qu’importe leur domaine) qui sont avant tout des écri­vains : voilà une démarche originale, propre à révolution­ner nos manières de lire. Maurice Olender est chargé d’enseignement à l’École pratique des hautes études…

Michel Grodent, Le Soir, 3 octobre 1985.

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« Olender éditeur »

Créée à l’automne 1985, la collection « Textes du xxe siècle » s’est imposée en moins de deux ans comme le fleuron de Hachette­Littérature et comme une des col­lections de poche les plus stimulantes du marché.

Antoine de Gaudemar, Libération, mars 1987.

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« Maurice Olender : entre écriture et science »

Maurice Olender a réussi un mariage difficile : réunir dans une même collection des romanciers et des scienti­fiques. Cet érudit se place en médiateur entre les habitués de la collection littéraire, il compte de nombreux amis parmi les romanciers d’aujourd’hui, et des historiens, des chercheurs… […]. Ces deux aspects furent son souhait le jour où l’idée de cette collection a germé […].

Benoît Charpentier, Le Figaro, 4 mai 1987.

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« La Librairie du xxe siècle » &

« La Librairie du xxie siècle » Seuil

« La petite librairie Georges Perec »

[…] la collection « La Librairie du xxe siècle », que dirige Maurice Olender poursuit l’aventure entamée chez Hachette par le même Olender avec « Textes du xxe siècle ». L’entreprise poursuit les mêmes buts : demander à des savants, historiens, philosophes, socio­logues, ethnologues ou bio logistes de grande réputation de communiquer un savoir inédit « sans s’écarter des exigences de leur discipline » mais en empruntant des moyens « littéraires ».

Mais « La Librairie du xxe siècle » sera aussi pour notre plus grand bonheur une petite librairie Georges Perec. Olender avait publié en 1985 chez Hachette (déjà dans sa collection) Penser/classer…, L’infra-ordinaire […] : interro­ger l’habituel, le banal, le commun, l’évident, l’ordinaire, bref l’essentiel de notre vie.

Pierre Lepape, Le Monde, 1er septembre 1989.

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« La Librairie du xxe siècle »

Créée par Maurice Olender, cette nouvelle collection répond au désir du public de s’approcher des savoirs de notre temps.

Le Républicain Lorrain, 21 octobre 1989.

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« Des livres savants comme des romans »

Laurence Klejman : « […] vous devez être un directeur de collection très attentif ? »

Maurice Olender : « “La Librairie du xxe siècle” est une collection d’auteurs. Je choisis les auteurs et les livres. C’est là ma responsabilité. Et c’est vrai que je les souhaite entre écriture et savoir. »

Laurence Klejman, Page des libraires, n° 31, novembre­décembre 1994.

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« “La Librairie du xxe siècle” fête ses dix ans. »

Maurice Olender a su, comme peu de chercheurs en sont capables, sentir son époque. C’est ce qui explique la réussite de sa collection. […] Une œuvre scientifique ne doit pas dédaigner les voies de l’esthétique. Cette tension créatrice entre érudition et fiction constitue le fil rouge de l’ensemble d’une collection où Georges Perec voisine avec Marcel Detienne et Daniele Del Giudice avec Arlette Farge. […]

Michel Grodent, Le Soir, 6 octobre 1999.

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« “La Librairie du xxe siècle” à l’aube du xxie siècle »

À côté des maisons d’édition subissant douloureuse­ment la crise […] il existe des lieux éditoriaux qui […] sont des espaces dynamiques où l’inventivité ne laisse pas le temps à la plainte. « La Librairie du xxe siècle », fon­dée et dirigée par Maurice Olender, qui fête aujourd’hui ses dix ans au sein des éditions du Seuil, est l’un de ceux­là. […] Leurs ouvrages échappent aux catégories académiques […]. Enfin la littérature n’est en aucune façon, dans cette « Librairie », un domaine considéré

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comme annexe ou décoratif : elle est au contraire la ligne secrète qui traverse tous les titres et leur donne une identité. […]

Le caractère atypique de « La Librairie du xxe siècle » tient évidemment à la singularité de son animateur. D’ori­gine belge, Maurice Olender, spécialiste reconnu des savoirs religieux, a suivi un itinéraire qui n’avait rien, lui non plus, d’académique. […]

Mais il n’y a pas deux ou plusieurs Maurice Olender. L’intellectuel chaleureux, en perpétuel mouvement, l’interlocuteur de Jean­Pierre Vernant, Marcel Detienne ou Pierre Vidal­Naquet (etc.)… est aussi – un tiers de son temps, « l’autre mange tout le reste » précise­t­il, – un éditeur attentif et amical auprès de ses auteurs. Un « artisan » qui n’est jamais allé à la foire de Francfort. Ce travail, il l’accomplit, avec la passion du détail, le goût de la création intellectuelle, adossé à une grande maison d’édition. […]

Tous les volumes de la collection sont des livres de commande […]. Cela épargne à l’éditeur le rôle ingrat qu’il doit généralement tenir. Olender résume ainsi sa différence : « Un éditeur passe son temps à refuser des auteurs, moi je passe le mien à les éditer. » Ce qui intéresse Maurice Olender, c’est le rapport qu’entretient l’auteur avec son sujet […]. Attachant ensemble « esthétique » et « démocratie », il rêve d’une « machine anti­élitaire » où « des ouvrages très savants peuvent être abordés par un large public ». « Je voudrais que les traités érudits fonc­tionnent comme des petits Beaubourg où chacun peut rentrer », résume­t­il. Finalement, la grande question reste celle­ci : « Comment faire partager à d’autres un savoir qui n’est pas le leur ? »

Émilie Grangeray et Patrick Kechichian, Le Monde, 1er octobre 1999.

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« Un organisme en développement »

Une collection – dans les meilleurs des cas évidem­ment – est comme un organisme vivant : il se développe et grandit tant qu’il n’est pas mort. Pour le mesurer on peut consulter, et même lire, le catalogue des titres parus […] dans « La Librairie du xxe siècle ».

Mais la grande fierté de Maurice Olender, c’est d’avoir acquis les droits mondiaux de textes inédits de Paul Celan […].

Patrick Kechichian, Le Monde, 1er octobre 1999.

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« Maurice Olender : être contemporain de son présent »

[…] Pour fêter les vingt ans de sa collection et saluer le travail qui s’y fait jour, nous avons rencontré cet éditeur insoumis, qui pose les livres de Paul Celan près de ceux de Perec, Vernant, Pastoureau, Borges, Rancière, Tabucchi, Lydia Flem – auxquels s’ajoutent en ce printemps 2009 les ouvrages d’Yves Bonnefoy, Pascal Dusapin et le dernier roman de François Maspero.

Olivier Renault, Page des libraires, n° 128, mars 2009, p. 2­4.

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« Olender : J’attends de chaque livre qu’il transforme la vie »

Maurice Olender : « Autodidacte sans école, je n’ai jamais cru aux vertus pédagogiques de l’ennui. Ce qui me retient, dans un livre, c’est son rythme, sa créativité, les ouvertures impro­bables sur un monde souvent opaque : mais apporter de la lumière ne signifie pas l’affirmation d’une vérité dogmatique, ni d’un savoir arrêté une fois pour toutes. J’attends de chaque livre qu’il soit en mouvement, qu’il transforme la vie. »

Fabrice Piault, Livres Hebdo, 1er octobre 2010.

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« Olender l’indiscipliné »

« La Librairie du xxie siècle » qu’il a fondée il y a vingt ans est un modèle de décloisonnement. Curieux et franc­tireur, Olender l’a été précocement. […]

De l’archéologie à l’histoire des idées […] sa curiosité a toujours fait dialoguer l’intellect avec les sens. […]. Penser avec les émotions, sentir par l’intel­ligence. […]

L’auteur des Langues du Paradis n’a cessé de se montrer attentif à tout ce qui permet d’enrichir le savoir purement intellectuel.

David Kleczewski, Le Magazine Littéraire, janvier 2010, n °493.

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« Les archives d’un penseur­éditeur inclassable »

Loin d’être le néophyte qu’il prétend en matière archi­vistique, Olender se révèle en outre véritable penseur de l’archive.

Olivier Corpet, « Les Inédits de l’Imec »,

La Règle du jeu, octobre 2010, n° 44.

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« Rencontre. Maurice Olender / Va de l’avant »

Un savant, un poète, un professeur, un directeur de revue, un éditeur. Car le paradoxe de Maurice Olender est d’être ici un érudit engagé, là un contemplatif suractif, partout un homme­orchestre qui professe accepter de ne rien maîtriser. […] Et l’on ne saurait oublier qu’avec « La Librairie du xxie siècle », aujourd’hui plus de 200 titres, le savant est aussi éditeur, parmi les plus inventifs. […] La singularité principale […] dans le type unique de relation que Maurice Olender entretient avec eux [les auteurs] et beaucoup d’autres. S’y conjuguent admiration et amitié, travail et intimité, public et privé, un alliage étonnant et secret.

Alors, comment fait­il ? « Le métier d’éditeur [dit­il] est fondé sur le pouvoir de dire “non”. Ce n’est pas le mien. Je rêve de publier quelqu’un avant de le lire. Une fois l’auteur choisi, qu’il soit déjà connu ou pas du tout, ce qui m’intéresse est d’accompagner son autorité. Dans ce travail, comme en amour, comme dans la vie, il faut d’abord accepter de ne pas vraiment savoir. Il faut accepter de ne pas maîtriser, d’avoir confiance en soi et d’avancer comme un funambule sur une corde raide. » Voilà qui peut probablement éclairer la question inso­luble dont nous sommes partis… […]

Roger­Pol Droit, Le Monde, 19 mai 2017.

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« Maurice Olender, l’anti­éditeur »

Le Catalogue riche de 220 titres est impressionnant : […] aussi bien le poète Yves Bonnefoy, l’anthropologue Claude Lévi­Strauss, le réalisateur Luc Dardenne et l’his­torienne Michelle Perrot. S’ajoutent à eux Paul Celan, Jacques Rancière, Jean­Pierre Vernant, Antonio Tabucchi, Jean Starobinski, Norbert Elias et Ivan Jablonka. Néan­moins Maurice Olender martèle :

« Je ne suis pas éditeur. Je ne lis pas les manuscrits qui arrivent à mon attention, ils partent au comité de lecture. J’ai toujours refusé d’avoir un bureau au Seuil. J’insiste sur ce point car c’est un morceau d’anthropologie sociale. Un bureau, c’est un instrument de pouvoir, et je l’ai toujours refusé. Je suis du côté de l’autorité de l’auteur et non du pouvoir éditorial. » […]

Perec… Celan…, il s’agit de posthumes comme dans le cas de Claude Lévi­Strauss que Monique Lévi­Strauss, l’épouse de l’anthropologue, a demandé à Maurice Olender de publier.

Virginie Bloch­Lainé, Libération, 31 mai 2017.

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« Maurice Olender, la mémoire et l’oubli »

Dans la lignée de Christian Bourgois et de François Maspero, Maurice Olender est un de ces éditeurs qu’on a envie de remercier chaque fois qu’on parcourt son cata­logue. Depuis 1989, la collection qu’il a créée au Seuil, « La Librairie du xxe siècle » devenue « xxie siècle », aligne les témoignages les plus passionnants de l’époque en sciences humaines, histoire de l’art, littérature. On y trouve, entre beaucoup d’autres, Jean­Pierre Vernant, Claude Lévi­Strauss, Michel Pastoureau, les frères Dardenne, Lydia Flem, Georges Perec, Antonio Tabucchi. Maurice Olender est lui­même l’auteur d’un essai magistral sur Les Langues du paradis […].

Isabelle Rüf, Le Temps, 10­11 juin 2017.

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« Dire le monde, c’est l’inventer »

« La Librairie du xxie siècle » au Seuil… En près de trente ans, il y édita 215 volumes d’auteurs et de textes amoureusement choisis par lui.

Luc Dardenne : « C’est Maurice Olender qui a eu l’idée de publier mes notes de film. J’ai rencontré en lui un ami bienveillant et plein de rigueur. Ce qui me frappe dans son dernier livre (Un fantôme dans la bibliothèque), c’est l’intrication rare entre l’enfant qu’il a été, l’individu et le politique. »

Lydia Flem : « Ce qui m’a toujours frappée chez lui c’est sa générosité, l’intuition qu’il a de ce qui peut se révéler le meilleur chez l’autre. Il a été l’auteur d’une collection et pas seulement l’éditeur. »

Guy Duplat, La Libre Belgique, 11 mai 2017.

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« Accumuler les archives pour accéder à l’oubli »

Maurice Olender est l’auteur de toute la collection du Seuil et pas seulement l’éditeur, dans le sens où il a bâti son œuvre entre littérature et savoir.

Jean­Claude Vantroyen, Le Soir, 24­25 juin 2017.

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« Une autre porte vers le monde… »

Une autre porte vers le monde des intellectuels et des chercheurs s’ouvre lorsque Maurice Olender est invité par le Seuil à diriger une collection […]. Il va créer un espace où se croisent, depuis trente ans, historiens, phi­losophes, ethnologues, psychanalystes, théoriciens et his­toriens de la littérature et des arts… poètes et écrivains. Dans « La Librairie du xxie siècle » l’éditeur convie des penseurs et des chercheurs, des compagnons de route, à partager leur science.

Christian Thorel, À propos du Seuil. Une histoire exemplaire,

Librairie Ombres Blanches, Toulouse, 2017, p. 31­32.

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« Une fantôme dans la bibliothèque »

Maurice Olender est philologue et historien des reli­gions, responsable de l’une des collections les plus pres­tigieuses en sciences humaines en France : « La Librairie du xxie siècle ».

Emmanuel Delille, Esprit, n° 449, novembre 2018, p. 176­177.

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m a u r i c e o L e n d e r

Archéologue et philologue de formation, Maurice Olender est historien. Maître de conférences à l’École des hautes études en sciences sociales (Paris), il y a tenu son séminaire, entre 1990 et 2014, sous l’intitulé « Savoirs religieux et genèse des sciences humaines ».

Ses recherches portent sur les manières, historiques et sociales, de représenter « l’autre », notamment pour le stigmatiser et/ou l’aduler. En étudiant les mythes et les sciences, chez les Anciens et les Modernes, il a souligné la diversité des constructions de l’altérité, que ce soit par la langue, la religion, le sexe et la race.

Professeur invité de la Chaire de littérature et culture françaises à l’ETH­École polytechnique fédérale de Zurich (2015), il a également enseigné dans d’autres universités en Europe, aux États­Unis (Princeton, Johns Hopkins, Harvard, Columbia), en Israël et à l’Académie des sciences sociales de Pékin.

Membre de la Société de linguistique de Paris et de la Société asiatique, il est membre fondateur de la Scuola internazionale di alti studi scienze della cultura – l’École doctorale européenne des hautes études en sciences de la culture de la Fondazione San Carlo, à Modène, en Italie.

Éditeur, il crée en 1981 (d’abord chez Fayard) la revue Le Genre humain et, en 1985, chez Hachette, la collection « Textes du xxe siècle » (une vingtaine de titres). C’est en 1989 qu’il fonde aux Éditions du Seuil « La Librairie du xxe siècle » devenue, en janvier 2001, « La Librairie du xxie siècle » (quelque 230 titres).

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Parmi ses publications :Les Langues du Paradis, préface de Jean­Pierre

Vernant (Paris, Gallimard/Seuil/EHESS, « Hautes Études », 1989). Traduit en une douzaine de langues, couronné par l’Académie française (1990), ce livre a donné lieu à une édition augmentée, en 2002, en « Points Essais » (n° 294).

Race sans histoire, « Points Essais », n° 620, 2009, dont la première édition, La Chasse aux évidences (Galaade), a obtenu le prix Roger Caillois en 2007). Ce livre a été publié sous le titre Race and Erudition (Harvard University Press, 2009). Il en existe une édition augmentée en italien, Razza e Destino (Bom­piani, 2014).

Plus récemment, il a publié un essai autobiogra­phique : Un fantôme dans la bibliothèque, Seuil, « La Librairie du xxie siècle », 2017.

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réalisation : nord compo à villeneuve-d’ascq

impression : normandie roto impression s.a.s. à lonrai

dépôt légal : mars 2019. n° 142119 (00000)Imprimé en France