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Causette vous offre un extrait des bonnes feuilles

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Page 1: Causette vous offre un extrait des bonnes feuilles
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Révélations suR les violences sexuelles dans l’aRmée fRançaise

l e s b o n n e s f e u i l l e s d e n o t r e e n q u ê t e i n é d i t e

La guerre invisibLe

Dans l’armée américaine, en 2010, un viol était commis toutes les trois heures. En Allemagne, en 2011, une femme militaire sur deux se disait victime de harcèle-

ment sexuel. En Grande-Bretagne, en Suède, en Australie… de nombreux rapports mettent en lumière l’étendue des vio-lences sexuelles qui frappent les recrues féminines. En France, rien à signaler. Depuis l’accé lération de la féminisation du contingent, il y a quinze ans, aucune enquête n’a été menée sur le sujet. Il m’aura fallu deux ans pour rassembler les pièces du puzzle. Il aura fallu par courir la France et s’envoler jusqu’au Mali pour rencontrer soldats et généraux, assister à des procès, interviewer des avocats, des juges, des médecins… Surtout, il aura fallu trouver ces dizaines de victimes qui, pour la première fois, osent témoigner. Lætitia, Alice, Élodie, Karine, Vanessa, Léa, Clara… autant de corps meurtris, de carrières sacrifiées, de rêves brisés. Au bout du tunnel, une cinquan-taine d’affaires de violences sexuelles relatées dans mon premier livre-enquête. Un document exclusif qui montre que derrière ces femmes militaires qui ont porté plainte se cache une réalité plus dérangeante encore. Une réalité de brimades

et de violences jamais dénoncées, parfois étouffées sous le poids de la hiérarchie tricolore. Car les histoires de La Guerre invisible ne sont pas des « cas isolés », elles ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Aucun état-major de l’armée de terre, de l’air, de la marine et de la gendarmerie, aucun ministre de la Défense ne fit cas des multiples alertes. Quand la grande muette s’y intéressa, ce fut pour mieux se débarrasser de celles par qui le scandale était arrivé. Mutées, humiliées, les victimes, et les « lanceurs d’alerte » qui leur sont venus en aide, sont devenus les moutons noirs. Chaque fois ou presque, l’institution a atteint son but. Déclarées « inaptes au service », réformées pour « infirmités », les soldates que mes deux journalistes, Leila Miñano et Julia Pascual, ont rencontrées ont presque toutes quitté les rangs. D’autres se battent encore pour que justice leur soit rendue. Pour vous, voici les bonnes feuilles de cette enquête inédite. CAUSETTE – Illustrations : Camille BESSEDisponible à partir du 27 février

sur www.causette.fr/boutique et en librairie.

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la guerre invisiblela guerre invisible

(Page 57) Devant le porche rouge du tribunal de grande ins-tance de Marseille, une petite caporale tire sur sa clope à s’en arracher les poumons. Les cheveux plaqués à la cire, un uni-forme trop large pour sa menue silhouette, le soldat Khadija décompte chaque minute sur son téléphone. […] Entre chaque bouffée, effrayée, elle regarde à droite, à gauche, guettant son avocate mais, surtout, son agresseur, un col-lègue de caserne. Le manège prend fin à l’arrivée de Me Valé-rie Picard. Les intéressées s’engouffrent dans la salle flambant neuve de la chambre militaire du palais de justice. Dans un brouhaha feutré se croisent robes noires et uniformes kaki. Me Picard rassure sa cliente à voix basse. […] Le prévenu, son béret serré dans une main, s’approche de la barre. La tren-taine bien sonnée, le visage revêche, le caporal-chef se justifie avec une mauvaise foi flagrante. Grégory Mouret peine à expliquer « ce qui lui a pris », ce soir-là au restaurant, quand il attrape brusquement la tête d’une subordonnée pour l’appro-cher de son sexe afin de simuler une fellation. Le tout devant une tablée de collègues présents pour une « journée de cohé-sion » militaire. « Suce-moi ! Suce-moi ! Tu as sucé Martin et Robert ! » a-t-il ordonné après avoir avalé une dizaine de verres de vodka et du whisky.« Qu’est-ce qui vous a pris, monsieur ? l’interpelle la magis-trate, qui ne semble pas goûter la plaisanterie.

déclarations qui laissent entendre que vous en voulez à cette dame. Vous avez rapporté des ragots de caserne sur sa vie : qu’elle aurait sucé plusieurs fois un collègue, que vous l’auriez vue repartir en véhicule civil avec ce collègue, qu’elle s’habille de façon provocante parce qu’elle met des talons aiguilles pour aller chez le psychologue, qu’elle est chaude. Quand vous dites : “C’est une pute, c’est une pute, elle va pas faire sa mijaurée”, vous faites une fixa-tion… » Grégory Mouret a du mal à soutenir le regard répro-bateur de la présidente. Et l’intervention du parquetier n’arrangera pas ses affaires. Chargé des affaires militaires depuis plusieurs années, Emmanuel Merlin est rompu à la discipline. D’un ton sévère, il dénonce les « déblatérations calomnieuses » de Grégory Mouret et « l’état d’esprit des militaires hommes qui pensent que les femmes n’ont pas leur place dans l’armée ». C’est un gaillard « brut de décoffrage », réplique son avocat qui s’autorise également à accabler Khadija : il a déjà fourni une attestation d’une adjudante d’infirmerie de la caserne qui rapporte un « comportement tendancieux » (sic). L’injure frappe au visage la soldate, qui comptabilise onze années d’engagement et que sa hiérarchie considère comme un très

bon élément. […] Mais le fond du problème, selon l’avocat de Grégory Mouret, c’est cette « journée de cohésion », source de tous les excès : « L’apéritif était bien arrosé, l’activité spor-tive réduite à un strip-tease… La situation est quand même un peu ambiguë. Il y a soixante-cinq militaires, cinq femmes. On fait des blagues triviales. Et ils ont un peu abusé de l’alcool avec ceux qui étaient responsables. La hiérarchie a déraillé. Ces débordements, on les a partout. » Partout ?

(Page  151) […] A notre grande surprise, le premier à le reconnaitre se trouve à la direction générale de la gendar-merie nationale, basée à Issy-les-Moulineaux. Dans le plus beau bureau, au bout de la plus grande table de conférence, le général Philippe Mazy, visage rond et style débonnaire, trone sous un portrait de François Hollande. L’interview du directeur des personnels militaires de la gendarmerie depuis septembre 2013 semblait bien cadrée par la communica-tion. Mais non, de but en blanc, le général reconnait le pro-blème. « Cela fait trois mois que je suis à ce poste et j’ai eu trois coups de fil pour signaler des cas de harcèlement contre des femmes… Vous vous rendez compte ? Qu’une jeune femme m’appelle, moi, un homme, un général, pour me parler de ce genre de problème, ça laisse augurer de ce

DEs fEmmEs qui n’ont pas lEur placE

– L’alcool », répond le caporal-chef.Un seul et unique axe de  défense, inévitable pour cet homme déjà condamné pour conduite en état d’ivresse. La présidente rappelle que la victime « s’est plainte auprès d’un caporal qui vous a mis dehors et vous a demandé de vous excu-ser. Vous êtes revenu et, au  lieu de vous excuser, vous l’avez insultée.– Elle a refusé mes excuses et je l’ai bousculée. »Le certificat du médecin légiste attestera d’une ecchymose sous la fesse. Khadija a reçu un coup de poing derrière l’épaule et un coup de pied sur la hanche qui l’a projetée à terre. Or, au moment des faits, la caporale était enceinte. Quelques jours après l’agression, elle perd son bébé. […] Lors de l’enquête, le caporal-chef avait avancé d’autres arguments pour sa défense. La présidente les reprend. « Lors d’une déposition, vous avez quand même fait des

qui se passe vraiment. Je suis persuadé que, pour une affaire qui est portée à ma connaissance, il y en a dix que je ne connais pas. » […]

(Page 250) « J’ai été étudier tous les dos-siers, le seul cas ou il y avait un risque de connotation sexiste, c’est une femme qui estimait qu’elle n’avait pas eu son affecta-tion parce qu’elle était enceinte. J’ai refait le tour des services sociaux. Je leur ai demandé s’ils avaient des cas de harcèlement à connotation sexuelle, ils n’en ont pas identifié qui aillent au-delà du

truc classique “dis donc, t’es mignonne, tu veux pas sortir avec moi ?”. […] Il n’y a pas de cas avéré. Il n’y a pas de femmes qui disent “je peux pas quitter mon bureau après 18 heures parce que j’ai peur de me faire violer”. »Françoise Gaudin, haut fonctionnaire à l’égalité femmes-hommes du ministère de la Défense. […]