1
D ans le but de tester l’effica- cité d’une démarche péda- gogique scientifique, c’est-à-dire pensée à partir des lois de développement de l’enfant, Céline Alvarez, linguiste de formation, dé- cide en 2009 d’entrer dans le système éducatif français en passant le concours de professeur des écoles. Après avoir passé le concours en can- didat libre, elle demande un entretien auprès du Conseiller du ministre de l’Education français, qu’elle obtient. Les conditions qu’elle demande lui sont accordées : une école implantée dans un quartier défavorisé, une classe d’âges mélangés, des tests scientifiques annuels pour mesurer les progrès des enfants, ainsi qu’une carte blanche pédagogique totale. Céline passe ainsi trois ans dans une classe de maternelle dans une zone réputée difficile, avec trois ni- veaux mélangés. La jeune femme de 33 ans y a expérimenté sa propre dé- marche, inspirée des travaux de la pé- dagogue Maria Montessori et, surtout, des connaissances les plus ré- centes en matière de neurosciences ou de psychologie cognitive. Les ré- sultats ont été spectaculaires. Au bout des trois ans, tous les enfants avaient au moins un an d’avance. Ils savaient lire, compter, parfois dès 4 ans, étaient remarquablement autonomes, sociables et confiants. Malgré la réussite de ce projet, l’Education nationale française a fait le choix d’arrêter cette expérimenta- tion. Céline Alvarez a alors choisi de démissionner et de se lancer dans la création d’un blog porté sur ce nou- veau mode d’apprentissage. Elle y poste des vidéos de ses élèves en train de travailler, des conférences aux- quelles elle participe et qui rencon- trent un réel succès. «Céline Alvarez a démissionné. Mais qu’importe. Dans toute la France, et au-delà, l’expérience inspire des centaines d’enseignants, du privé mais surtout du public. Un mouve- ment prend forme, au sein même de l’Education nationale, à la base. Il change la donne, sans bruit», lit-on dans un article du quotidien français «LeParisien». Même si l’Education nationale n’a pas voulu poursuivre l’expérience, Céline ne le regrette pas. « Cela me donne la liberté de poursuivre mon chemin tranquillement, en prenant le temps de partager avec les parents et les enseignants les connaissances qui m’ont permis d’avoir un impact si po- sitif sur les enfants», explique-t-elle. Son site Internet a fait des émules et son blog a été consulté par près de 2 millions de personnes. Plus d’un mil- lier d’enseignants de maternelle ou d’écoles s’en inspirent déjà, un peu partout en France, mais aussi ailleurs. La jeune femme a même été contac- tée pour mettre en œuvre sa méthode au Maroc et en Belgique, par les mi- nistères de l’Education nationale res- pectifs. Invitée d’une célèbre émission de Patrick Cohen sur «Franceinter», Cé- line Alvarez explique que «l'être hu- main n'apprend pas ce qui ne le motive pas». «Tant qu'on impose les sujets, l'enfant ne peut pas apprendre» dit-elle, ajoutant que «les enfants doi- vent être autonomes pour choisir les activités qui les passionnent, dans un cadre donné». Pour elle, «on peut penser une éducation sur des bases scientifiques qu'aujourd'hui on connaît». En appliquant cette mé- thode, «une petite fille de quatre ans qui avait 28 mois de retard d'appren- tissage a rattrapé ce retard en six mois, et l'a même dépassé de 8 mois de plus», précise la jeune femme. «Il faut arrêter les débats idéologiques stériles! Pourquoi ne se base-t-on pas sur une démarche scientifique?», se demande-t-elle. «Tout le monde s'épuise avec ce système, les enfants sont à bout, les enseignants donnent tout, et les parents se fatiguent à la maison avec les devoirs», déplore l’institutrice devenue pédagogue. Elle dénonce aussi le système d'inspection des enseignants : «Il faut changer le rôle des inspecteurs. Ça suffit d'infan- tiliser les enseignants ! (...) Les ensei- gnants ont besoin de se tromper, d'avancer en faisant des erreurs», conclut-elle. Deux ans après avoir été forcée d’arrêter son expérience au sein de l’Institution, suite au retrait, sans rai- son officielle claire, du matériel péda- gogique et à la fermeture de la classe, Céline Alvarez poursuit toujours son travail à l’extérieur. Avec l’aide d’Anna Bisch, elle décide de se consacrer au partage gratuit de la totalité des outils qui leur ont permis d’avoir un impact si positif auprès des enfants. En août 2015, plus de 200 ensei- gnants ont participé à deux jours de conférence dédiés au partage des fondamentaux théoriques scientifiques (l’intégralité de ces deux journées peut être visualisée sur son site). Face à cette attente forte de la part des enseignants et des parents, Matthieu Varagnat et Fabien Akunda, tous deux ingé- nieurs aux grands idéaux, ont re- joint Céline et Anna pour les aider à diffuser largement leurs connaissances. En juillet 2016, l’équipe a organisé une confé- rence de trois jours devant plus de 700 enseignants venus de toute la France et d’ailleurs : Maroc, Cambodge, Vietnam, Ca- nada, Australie, Espagne, Portu- gal, Chine, Suisse, Belgique, Emirats Arabes Unis... La semaine dernière, la jeune pédagogue a publié «Les lois na- turelles de l’enfant» aux éditions Les Arènes, un livre qui vise à faire une synthèse des méca- nismes naturels d’apprentissage et d’épanouissement du jeune être humain. «Qu'on le veuille ou non, un nouveau système est en train d'émerger. La joie et la gra- titude que je ressens sont im- menses», se réjouit Céline. Mehdi Ouassat Art & culture Céline Alvarez Une pédagogue déterminée à révolutionner le système éducatif Ancienne institutrice devenue pédagogue, Céline Alvarez a expérimenté pendant trois ans une méthode pédagogique en se basant sur les avancées des sciences cognitives de l'enfant. Dans son livre «Les lois naturelles de l’enfant», elle invite à repenser l’école, pour la rendre plus performante et plus épanouissante pour tous. Elle a récemment été contactée pour mettre en œuvre sa méthode au Maroc et en Belgique. 12 LIBÉRATION JEUDI 8 SEPTEMBRE 2016 LIBÉRATION JEUDI 8 SEPTEMBRE 2016 13 D ans un entretien accordé au magazine féminin fran- çais «Fémina», Céline ex- plique que depuis toute petite, elle a l'intime conviction que «nous fonctionnions individuellement et collectivement en sous-régime intel- lectuel, social, créatif ; et que nos systèmes actuels, notamment le sys- tème éducatif, étouffent le déploie- ment de nos pleins potentiels». «Le fonctionnement déshumanisé et inadapté de l'école m'a toujours mis très en colère. J'ai fait ma scolarité près de la Dalle d'Argenteuil, dans un quartier défavorisé de la banlieue parisienne, et je nous voyais tous souffrir : aussi bien les enseignants que les adolescents. J'ai compris que le système scolaire imposait un mode de fonctionnement inadapté pour tous. Je trouvais cela inaccep- table», précise la jeune femme. «J'ai fait des études d'arts, puis de linguistique, j'ai travaillé auprès d'enfants à l'étranger, en Espagne, au Togo ; je me suis passionnée pour les écrits du Dr Maria Montes- sori, ainsi que pour la recherche en sciences du développement hu- main. Puis, à l'aune de mes expé- riences et de mes lectures scientifiques qui confortaient mes intuitions profondes, j'ai décidé d'infiltrer l'Education nationale pour mener une expérience en zone d'éducation prioritaire et plan vio- lence. L'objectif n'était finalement pas réellement "pédagogique", il était davantage politique : je voulais montrer qu'une école basée non plus sur des valeurs, des traditions ou des idées, mais sur la connais- sance des grands mécanismes d'ap- prentissage et d'épanouissement humain, pouvait nous aider à recou- vrer nos pleins potentiels, et à nous reconnecter à nous-mêmes, et aux autres. Et si les résultats étaient aussi positifs que ce que j'espérais, j'avais en tête de partager les outils qui avaient eu un impact si positifs auprès des enfants. Au final, les ré- sultats dépassèrent mes attentes», se réjouit Céline. Et d’ajouter : «Comme il m'était impossible de poursuivre mon travail au sein de l'Education nationale, j'ai démis- sionné pour partager depuis l'exté- rieur - auprès des enseignants et des parents - les contenus théoriques et pratiques de mon expérience. J'ai créé un site Internet pour cela. Mon livre fait partie de ce partage : son objectif est de communiquer les grands principes de l'apprentissage et de l'épanouissement humain sur lesquels mon travail s'est appuyé». Si pour Céline l’autonomie per- met l’épanouissement de l’enfant, elle explique cela par deux raisons essentielles. «La première est que l'être humain apprend en étant actif et non passif, et en satisfaisant ses élans enthousiastes. En étant auto- nome, l'enfant peut effectuer les ac- tivités qui l'intéressent au sein d'une large sélection effectuée par l'adulte. Il peut répéter et approfondir "son travail" autant de temps qu'il le sou- haite. Il apprend alors à très grande vitesse, de manière solide et joyeuse. A Gennevilliers, un enfant de 3 ans avait décidé d’apprendre à lire, seul. Il y parvint en trois semaines», dit- elle. «L'autonomie est essentielle pour une autre raison. Pour "fonc- tionner" de manière équilibrée et réussir pleinement sa vie, l'être hu- main a besoin d'être engagé dans des activités qui le motivent pour déployer des compétences cogni- tives - dites "exécutives" - dont le développement est plus prédictif pour la réussite et l'épanouissement global que le QI», souligne la péda- gogue. Après sa passionnante expé- rience à l’Education nationale, Cé- line explique que les enfants lui manquent, leurs parents également: «Néanmoins, je devais continuer mon chemin hors des murs de la classe pour partager les contenus de mon expérience. Je suis donc moins au contact des "citoyens de de- main", mais je vis maintenant au contact des "citoyens d'aujourd'hui" qui sont des milliers - des ensei- gnants et des parents - à se lever pour repenser l'école de nos en- fants”. Quels apports ont été réalisés ? Avec l’aide d’Anna Bisch, agent territorial spécialisé des écoles mater- nelles, Céline Alvarez a principalement axé son étayage autour du dévelop- pement des compétences exécutives, aujourd’hui largement reconnues comme étant les fondations biologiques de l’apprentissage et de l’épanouis- sement global. Ces compétences se développent à grande vitesse entre 3 et 5 ans, leur bon développement a donc été une grande priorité dans la classe. Les activités de langage ont également été retravaillées, simplifiées et adaptées aux particularités de la langue française. Et puisque la recherche en neuros- ciences affectives et sociales montre aujourd’hui à quel point le lien humain est fondamental pour notre plein épanouissement physique, cognitif et social, une grande importance a été donnée aux moments de regroupements pour l’acquisition des fondamentaux et un grand nombre d’activités a été supprimé pour recentrer l’attention des deux adultes de la classe sur le lien social : les présentations d’activités étaient des moments de rencontres, vivants et cha- leureux, plutôt que rigides et didactiques. Tout était pensé pour que les enfants puissent réellement être connectés, rire, échanger, s’exprimer, s’entraider, tra- vailler et vivre ensemble. Cette reliance sociale fut un véritable catalyseur d’épanouissement et d’apprentissage. Ces apports ne sont qu’un début. Dans les années à venir, Céline Alvarez et Anna Bisch souhaitent poursuivre cette recherche afin de dégager et de tester les grands invariants pédagogiques qui permettront à l’être humain de développer ses pleins potentiels. Les résultats Dès les premiers mois, les résultats furent massivement positifs. Ils confirmèrent qu’une démarche basée sur la connaissance du dé- veloppement humain est extrêmement pertinente. Dès la première année en effet, les tests réalisés par le CNRS de Grenoble indiquaient que tous les enfants progressaient plus vite que la norme : ils l’ont par ailleurs largement dépassée en conscience phonologique, com- préhension du nombre, précision visuo-motrice, et ont augmenté de façon spectaculaire leur mémoire de court terme. Les enfants de deuxième année de maternelle avaient tous, dès la fin de la première année, au moins un an (voire deux) d’avance en lecture. Lire, écrire ou comprendre les concepts clés des mathématiques ont été des conquêtes rapides et heureuses. La deuxième année, le rapport des tests indiquait : “Il apparaît que dans les deux domaines d’ap- prentissage incontournables de la scolarité, la lecture et l’arithmé- tique, les enfants de cette classe montrent des habiletés qui dépas- sent souvent leur niveau scolaire. (...) Il faut se rendre compte que tous les enfants présentent au moins un an d’avance par rapport à ce qui est attendu. Le mélange des âges (3, 4 et 5 ans) a par ailleurs grandement fa- vorisé la collaboration, le tutorat et l’entraide spontanés entre les enfants. Cette richesse sociale a catalysé le développement de qua- lités morales et sociales impor- tantes chez tous. Les familles ont noté chez leur enfant une capacité nouvelle à se concentrer, une au- tonomie importante, des relations sociales apaisées, de l’autodisci- pline, ainsi qu’une envie irrépres- sible de se rendre à l’école, même malades!” L’autonomie permet l’épanouissement de l’enfant L'être humain apprend en étant actif et non passif

Céline Alvarez L’autonomie permet · c’est-à-dire pensée à partir des lois de développement de l’enfant, Céline Alvarez, linguiste de formation, dé- ... et les parents

Embed Size (px)

Citation preview

Dans le but de tester l’effica-cité d’une démarche péda-gogique scientifique,

c’est-à-dire pensée à partir des lois dedéveloppement de l’enfant, CélineAlvarez, linguiste de formation, dé-cide en 2009 d’entrer dans le systèmeéducatif français en passant leconcours de professeur des écoles.Après avoir passé le concours en can-didat libre, elle demande un entretienauprès du Conseiller du ministre del’Education français, qu’elle obtient.Les conditions qu’elle demande luisont accordées : une école implantéedans un quartier défavorisé, uneclasse d’âges mélangés, des tests

scientifiques annuels pour mesurerles progrès des enfants, ainsi qu’unecarte blanche pédagogique totale. Céline passe ainsi trois ans dans

une classe de maternelle dans unezone réputée difficile, avec trois ni-veaux mélangés. La jeune femme de33 ans y a expérimenté sa propre dé-marche, inspirée des travaux de la pé-dagogue Maria Montessori et,surtout, des connaissances les plus ré-centes en matière de neurosciencesou de psychologie cognitive. Les ré-sultats ont été spectaculaires. Au boutdes trois ans, tous les enfants avaientau moins un an d’avance. Ils savaientlire, compter, parfois dès 4 ans,

étaient remarquablement autonomes,sociables et confiants.Malgré la réussite de ce projet,

l’Education nationale française a faitle choix d’arrêter cette expérimenta-tion. Céline Alvarez a alors choisi dedémissionner et de se lancer dans lacréation d’un blog porté sur ce nou-veau mode d’apprentissage. Elle yposte des vidéos de ses élèves en trainde travailler, des conférences aux-quelles elle participe et qui rencon-trent un réel succès.«Céline Alvarez a démissionné.

Mais qu’importe. Dans toute laFrance, et au-delà, l’expérience inspiredes centaines d’enseignants, du privémais surtout du public. Un mouve-ment prend forme, au sein même del’Education nationale, à la base. Ilchange la donne, sans bruit», lit-ondans un article du quotidien français«LeParisien».Même si l’Education nationale n’a

pas voulu poursuivre l’expérience,Céline ne le regrette pas. « Cela medonne la liberté de poursuivre monchemin tranquillement, en prenant letemps de partager avec les parents etles enseignants les connaissances quim’ont permis d’avoir un impact si po-sitif sur les enfants», explique-t-elle.Son site Internet a fait des émules etson blog a été consulté par près de 2millions de personnes. Plus d’un mil-lier d’enseignants de maternelle oud’écoles s’en inspirent déjà, un peupartout en France, mais aussi ailleurs.La jeune femme a même été contac-tée pour mettre en œuvre sa méthodeau Maroc et en Belgique, par les mi-

nistères de l’Education nationale res-pectifs.Invitée d’une célèbre émission de

Patrick Cohen sur «Franceinter», Cé-line Alvarez explique que «l'être hu-main n'apprend pas ce qui ne lemotive pas». «Tant qu'on impose lessujets, l'enfant ne peut pas apprendre»dit-elle, ajoutant que «les enfants doi-vent être autonomes pour choisir lesactivités qui les passionnent, dans uncadre donné». Pour elle, «on peutpenser une éducation sur des basesscientifiques qu'aujourd'hui onconnaît». En appliquant cette mé-thode, «une petite fille de quatre ansqui avait 28 mois de retard d'appren-tissage a rattrapé ce retard en sixmois, et l'a même dépassé de 8 moisde plus», précise la jeune femme. «Ilfaut arrêter les débats idéologiquesstériles! Pourquoi ne se base-t-on passur une démarche scientifique?», sedemande-t-elle. «Tout le mondes'épuise avec ce système, les enfantssont à bout, les enseignants donnenttout, et les parents se fatiguent à lamaison avec les devoirs», déplorel’institutrice devenue pédagogue. Elledénonce aussi le système d'inspectiondes enseignants : «Il faut changer lerôle des inspecteurs. Ça suffit d'infan-tiliser les enseignants ! (...) Les ensei-gnants ont besoin de se tromper,d'avancer en faisant des erreurs»,conclut-elle.Deux ans après avoir été forcée

d’arrêter son expérience au sein del’Institution, suite au retrait, sans rai-son officielle claire, du matériel péda-gogique et à la fermeture de la classe,

Céline Alvarez poursuit toujoursson travail à l’extérieur. Avecl’aide d’Anna Bisch, elle décidede se consacrer au partage gratuitde la totalité des outils qui leuront permis d’avoir un impact sipositif auprès des enfants. Enaoût 2015, plus de 200 ensei-gnants ont participé à deux joursde conférence dédiés au partagedes fondamentaux théoriquesscientifiques (l’intégralité de cesdeux journées peut être visualiséesur son site). Face à cette attenteforte de la part des enseignants etdes parents, Matthieu Varagnat etFabien Akunda, tous deux ingé-nieurs aux grands idéaux, ont re-joint Céline et Anna pour lesaider à diffuser largement leursconnaissances. En juillet 2016,l’équipe a organisé une confé-rence de trois jours devant plusde 700 enseignants venus detoute la France et d’ailleurs :Maroc, Cambodge, Vietnam, Ca-nada, Australie, Espagne, Portu-gal, Chine, Suisse, Belgique,Emirats Arabes Unis...La semaine dernière, la jeune

pédagogue a publié «Les lois na-turelles de l’enfant» aux éditionsLes Arènes, un livre qui vise àfaire une synthèse des méca-nismes naturels d’apprentissageet d’épanouissement du jeuneêtre humain. «Qu'on le veuille ounon, un nouveau système est entrain d'émerger. La joie et la gra-titude que je ressens sont im-menses», se réjouit Céline.

Mehdi Ouassat

Art &

cultu

re Céline Alvarez Une pédagogue déterminée à révolutionnerle système éducatifAncienne institutrice devenue pédagogue, Céline Alvarez a expérimenté pendant troisans une méthode pédagogique en se basant sur les avancées des sciences cognitives de l'enfant. Dans son livre «Les lois naturelles de l’enfant», elle invite à repenser l’école, pour la rendre plus performante et plus épanouissantepour tous. Elle a récemment été contactée pour mettre en œuvre sa méthode au Maroc et en Belgique.

12 LIBÉRATION JEUDI 8 SEPTEMBRE 2016 LIBÉRATION JEUDI 8 SEPTEMBRE 2016 13

Dans un entretien accordéau magazine féminin fran-çais «Fémina», Céline ex-

plique que depuis toute petite, ellea l'intime conviction que «nousfonctionnions individuellement etcollectivement en sous-régime intel-lectuel, social, créatif ; et que nossystèmes actuels, notamment le sys-tème éducatif, étouffent le déploie-ment de nos pleins potentiels». «Lefonctionnement déshumanisé etinadapté de l'école m'a toujours mistrès en colère. J'ai fait ma scolaritéprès de la Dalle d'Argenteuil, dansun quartier défavorisé de la banlieueparisienne, et je nous voyais toussouffrir : aussi bien les enseignantsque les adolescents. J'ai compris quele système scolaire imposait unmode de fonctionnement inadaptépour tous. Je trouvais cela inaccep-table», précise la jeune femme.«J'ai fait des études d'arts, puis

de linguistique, j'ai travaillé auprèsd'enfants à l'étranger, en Espagne,au Togo ; je me suis passionnéepour les écrits du Dr Maria Montes-sori, ainsi que pour la recherche ensciences du développement hu-main. Puis, à l'aune de mes expé-riences et de mes lecturesscientifiques qui confortaient mesintuitions profondes, j'ai décidéd'infiltrer l'Education nationalepour mener une expérience en zoned'éducation prioritaire et plan vio-lence. L'objectif n'était finalementpas réellement "pédagogique", ilétait davantage politique : je voulaismontrer qu'une école basée nonplus sur des valeurs, des traditionsou des idées, mais sur la connais-sance des grands mécanismes d'ap-prentissage et d'épanouissementhumain, pouvait nous aider à recou-vrer nos pleins potentiels, et à nousreconnecter à nous-mêmes, et auxautres. Et si les résultats étaientaussi positifs que ce que j'espérais,j'avais en tête de partager les outilsqui avaient eu un impact si positifsauprès des enfants. Au final, les ré-sultats dépassèrent mes attentes», seréjouit Céline. Et d’ajouter :«Comme il m'était impossible de

poursuivre mon travail au sein del'Education nationale, j'ai démis-sionné pour partager depuis l'exté-rieur - auprès des enseignants et desparents - les contenus théoriques etpratiques de mon expérience. J'aicréé un site Internet pour cela. Monlivre fait partie de ce partage : sonobjectif est de communiquer lesgrands principes de l'apprentissageet de l'épanouissement humain surlesquels mon travail s'est appuyé».Si pour Céline l’autonomie per-

met l’épanouissement de l’enfant,elle explique cela par deux raisonsessentielles. «La première est quel'être humain apprend en étant actifet non passif, et en satisfaisant sesélans enthousiastes. En étant auto-nome, l'enfant peut effectuer les ac-tivités qui l'intéressent au sein d'unelarge sélection effectuée par l'adulte.Il peut répéter et approfondir "sontravail" autant de temps qu'il le sou-haite. Il apprend alors à très grandevitesse, de manière solide et joyeuse.A Gennevilliers, un enfant de 3 ansavait décidé d’apprendre à lire, seul.Il y parvint en trois semaines», dit-elle. «L'autonomie est essentiellepour une autre raison. Pour "fonc-tionner" de manière équilibrée etréussir pleinement sa vie, l'être hu-main a besoin d'être engagé dansdes activités qui le motivent pourdéployer des compétences cogni-tives - dites "exécutives" - dont ledéveloppement est plus prédictifpour la réussite et l'épanouissementglobal que le QI», souligne la péda-gogue.Après sa passionnante expé-

rience à l’Education nationale, Cé-line explique que les enfants luimanquent, leurs parents également:«Néanmoins, je devais continuermon chemin hors des murs de laclasse pour partager les contenus demon expérience. Je suis donc moinsau contact des "citoyens de de-main", mais je vis maintenant aucontact des "citoyens d'aujourd'hui"qui sont des milliers - des ensei-gnants et des parents - à se leverpour repenser l'école de nos en-fants”.

Quels apports ont été réalisés ?Avec l’aide d’Anna Bisch, agent territorial spécialisé des écoles mater-

nelles, Céline Alvarez a principalement axé son étayage autour du dévelop-pement des compétences exécutives, aujourd’hui largement reconnuescomme étant les fondations biologiques de l’apprentissage et de l’épanouis-sement global. Ces compétences se développent à grande vitesse entre 3 et 5ans, leur bon développement a donc été une grande priorité dans la classe.Les activités de langage ont également été retravaillées, simplifiées et adaptéesaux particularités de la langue française. Et puisque la recherche en neuros-ciences affectives et sociales montre aujourd’hui à quel point le lien humainest fondamental pour notre plein épanouissement physique, cognitif et social,une grande importance a été donnée aux moments de regroupements pourl’acquisition des fondamentaux et un grand nombre d’activités a été supprimépour recentrer l’attention des deux adultes de la classe sur le lien social : lesprésentations d’activités étaient des moments de rencontres, vivants et cha-leureux, plutôt que rigides et didactiques. Tout était pensé pour que les enfantspuissent réellement être connectés, rire, échanger, s’exprimer, s’entraider, tra-vailler et vivre ensemble. Cette reliance sociale fut un véritable catalyseurd’épanouissement et d’apprentissage. Ces apports ne sont qu’un début. Dansles années à venir, Céline Alvarez et Anna Bisch souhaitent poursuivre cetterecherche afin de dégager et de tester les grands invariants pédagogiques quipermettront à l’être humain de développer ses pleins potentiels.

Les résultatsDès les premiers mois, les résultats furent massivement positifs.

Ils confirmèrent qu’une démarche basée sur la connaissance du dé-veloppement humain est extrêmement pertinente. Dès la premièreannée en effet, les tests réalisés par le CNRS de Grenoble indiquaientque tous les enfants progressaient plus vite que la norme : ils l’ontpar ailleurs largement dépassée en conscience phonologique, com-préhension du nombre, précision visuo-motrice, et ont augmenté defaçon spectaculaire leur mémoire de court terme. Les enfants dedeuxième année de maternelle avaient tous, dès la fin de la premièreannée, au moins un an (voire deux) d’avance en lecture. Lire, écrireou comprendre les concepts clés des mathématiques ont été desconquêtes rapides et heureuses.

La deuxième année, le rapportdes tests indiquait : “Il apparaîtque dans les deux domaines d’ap-prentissage incontournables de lascolarité, la lecture et l’arithmé-tique, les enfants de cette classemontrent des habiletés qui dépas-sent souvent leur niveau scolaire.(...) Il faut se rendre compte quetous les enfants présentent aumoins un an d’avance par rapportà ce qui est attendu.Le mélange des âges (3, 4 et 5

ans) a par ailleurs grandement fa-vorisé la collaboration, le tutoratet l’entraide spontanés entre lesenfants. Cette richesse sociale acatalysé le développement de qua-lités morales et sociales impor-tantes chez tous. Les familles ontnoté chez leur enfant une capaciténouvelle à se concentrer, une au-tonomie importante, des relationssociales apaisées, de l’autodisci-pline, ainsi qu’une envie irrépres-sible de se rendre à l’école, mêmemalades!”

L’autonomie permet l’épanouissement de l’enfant

L'être humain apprend en étant actif et non passif