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CERIC Aix en Provence, 14 juin 2013 Marc Pichard, Professeur de droit privé, Université Paris Ouest Nanterre La Défense Diane Roman, Professeure de droit public, Université François Rabelais, Tours

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CERICAix en Provence, 14 juin 2013

Marc Pichard, Professeur de droit privé, Université Paris Ouest Nanterre La Défense Diane Roman, Professeure de droit public, Université François Rabelais, Tours

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Droit et Genre à l’étranger

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L’analyse féministe du droit

Une démarche scientifique qui vise un double objectif:1) S’interroger sur la neutralité des concepts

juridiques2) Mettre en évidence l’ambivalence du droit à

l’égard des rapports sociaux de sexe et du genre

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1. Interroger la neutralité des concepts juridiques

Ex. 2: Le sexe

Ex. 3: La prestation compensatoire en droit de la famille: art. 271 C. civ.La prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de l'autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible.A cet effet, le juge prend en considération notamment (…) - les conséquences des choix professionnels faits par l'un des époux pendant la vie commune pour l'éducation des enfants et du temps qu'il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne ;

Ex. 1: Le concept d’universalité dans les manuels de droit constitutionnel: L’universel est le masculin

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La science neutre des manuels de droitL’exemple du suffrage universel

Hamon, Burdeau, Troper, Droit constitutionnel, LGDJ, 2001, p. 333 : « Le décret du 5 mars 1848 qui prescrivait cette convocation est d’une importance capitale dans notre histoire constitutionnelle. En effet, il adoptait le suffrage universel […] puisque l’âge électoral était abaissé à 21 ans et l’éligibilité à 25 ans » ;Ardant, Institutions politiques & Droit constitutionnel, LGDJ, Paris, 2005, p. 369 : « Le suffrage universel a été introduit très rapidement, au début de la Révolution en 1792, par l’Assemblée législative pour la convocation et l’élection de la Convention. Mais curieusement, pendant longtemps par la suite, les textes organisant le droit de suffrage ont eu pour effet de le réduire considérablement ou de l’entourer de modalités – le vote public par exemple – qui lui enlevaient une bonne part de sa signification en retirant à l’électeur sa liberté […] Jusqu’en 1848 le suffrage universel a du mal à s’acclimater durablement en face du suffrage censitaire » ;Pactet , Institutions politiques. Droit constitutionnel, Armand Colin, 2000, p. 280 : « Le suffrage universel direct : c’est l’apport principal de la Seconde République puisque depuis lors on n’est plus jamais revenu sur le principe même, sinon parfois sur ses modalités. I est alors appliqué pour la première fois sur le plan électoral (la Convention avait été élue au suffrage universel mais à deux degrés). La Constituions définit le régime moderne de l’électorat : sont électeurs tous les français âgés de 21 ans et jouissant de leurs droits civils et politiques. Le vote est secret, toute fonction publique rétribuée incompatible avec le mandat parlementaire, contrairement à ce qui se passait auparavant ; l’éligibilité bénéficie aux électeurs âgés de 25 ans ».Favoreu et al., Droit constitutionnel, Dalloz, Paris, 2009, p. 546-547 : « Le rétablissement de la République et du suffrage universel (1848). Le Gouvernement provisoire, qui nait du succès de l’insurrection parisienne, proclame la République, sous réserve de la ratification de son choix par le peuple. Celui-ci va être pleinement consulté, grâce au rétablissement du suffrage universel. Les textes des 5 et 8 mars 1848 permettent à tout Français âgé de 21 ans au moins de voter, dès ors qu’il réside depuis six mois dans la commune où il veut prendre part au vote, lequel sera désormais secret ».

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La science neutre des manuels de droitL’exemple du suffrage universel (2)

Contra :J. Gicquel, J.-E. Gicquel, Droit constitutionnel et institutions politiques, Montchrestien, 2009, p.160: « il ne s’agira, jusqu’à l’ordonnance du 21 avril 1944 que du suffrage masculin » (Montchrestien 2009, p. 160)Chagnollaud Dominique, Droit constitutionnel contemporain, Tome 1, Armand Colin, Paris, 2005, p. 173: « L’universalisation du suffrage. Les discriminations réservant le droit de vote à une minorité ont disparu (suffrage restreint par le cens ou la capacité, suffrage masculin) ».

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2. Souligner l’ambivalence du droit à l’égard des rapports sociaux de sexe et du genre

A. Le droit comme instrument de conquête de l’égalité

-Ex. 1: la lutte contre les stéréotypes de genre

• Convention pour l’élimination des discriminations à l’égard des femmes (CEDAW), 1979

• Cour EDH, GC, Konstantin Markin c. Russie, 22 mars 2012, Req. n° 30078/06

-Ex. 2: la question des discriminations indirectes

• Cass. Soc. 6 juin 2012, n° 10-21489

B. Le droit comme vecteur d’aggravation voire de légitimation de l’inégalité entre femmes et hommesEx. 1 : les règles relatives à l’état

civil (filiation)Ex. 2: contribution aux charges du

mariage

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J. Gaté et D. Roman, Droits des femmes et vulnérabilité, une relation ambivalente, in E. Paillet (ed.), Effectivité des droits et vulnérabilité de la

personne, CERC, à paraitre.

Un exemple de recherche: Droits des femmes et vulnérabilité

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La vulnérabilité?• Rapport Cour de cassation pour 2009 : – « l’incapacité d’exercer correctement les droits et

libertés » en raison d’une certaine fragilité, d’une faiblesse ou d’une dépendance; situation nécessitant une protection juridique spécifique

• Une notion au cœur de la réflexion féministe– Théories du care: les femmes en charge de la

vulnérabilité– Vulnérabilité biologique - « la femme » comme être

vulnérable (I) - ou vulnérabilité sociale des femmes(II)

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I) La vulnérabilité de ‘LA’ femme, une idée en voie de disparition

Doyen M. Hauriou : « La femme n’est pas un animal métaphysique ; elle n’est pas raisonnable ; partant, elle n’est

pas juste, elle n’a pas le sens du droit (…) On définirait volontiers la femme comme un homme qui veut être »

La science sociale traditionnelle, Paris, Larose, 1896, p. 89

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A) L’imbecillitas sexus ou la femme comme être vulnérable

• 1) Principe traditionnel– sphère privée : principe de soumission : Ancien art. 214 : « le mari

doit protection à sa femme, la femme obéissance à son mari. »– sphère publique : exclusion du droit de vote

• 2) Évolution progressive : égalité des hommes et des femmes, même si certaines traces demeurent

Ex. art. 1112 C. Civ. : contrainte en matière de vice du consentement : « On a égard, en cette matière, à l'âge, au sexe et à la condition des personnes. »

Ancien code civil (version 1804) article 1124 : « Les personnes incapables de contracter sont enfants mineurs, les femmes mariées, les criminels et les débiles mentaux »

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B) la grossesse comme élément de vulnérabilité

• Ex. 1 : droit civil: grossesse et état de détresse– « La femme enceinte que son état place dans une situation de détresse

peut demander à un médecin l'interruption de sa grossesse. Cette interruption ne peut être pratiquée qu'avant la fin de la douzième semaine de grossesse » (art. L2212-1 CSP)

• Ex. 2: droit du travail et protection des salariées enceintes – « l'interdiction de licenciement (…) a pour objet d'éviter que le risque

d'être licenciée pour des raisons liées à leur état puisse avoir des effets dommageables sur la situation physique et psychique des travailleuses enceintes » (CJCE, GC, 26 févr. 2008, aff. C-506/06, Mayr)

• Ex. 3: droit pénal– la protection de la grossesse justifie des incriminations spécifiques (ex.

l’abus frauduleux de l’état de faiblesse) ou des circonstances aggravantes (ex. violences habituelles ou traite d’êtres humains)

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Conclusion I) Le paradoxe de la grossesse

Situation qui confère aux femmes juridiquement

vulnérables du fait de leur âge (mineures) ou du fait de leur

handicap (majeures vulnérables) une pleine

autonomie i.e une capacité décisionnelle qu’elles n’ont

pas par ailleurs

Mais en même temps, situation qui peut être de

nature à restreindre l’autonomie d’autres femmes (majeures et

capables) en les considérant comme

vulnérables.

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II) La vulnérabilité des femmes, une idée en cours d’élaboration

Ministère de l’intérieurConseils aux femmes, 9 août 2012

« En raison de leur sexe et de leur morphologie, les femmes sont parfois les victimes d'infractions particulières (…)Lorsque vous sortez: Evitez les lieux déserts, les voies mal éclairées, les endroits sombres où un éventuel agresseur peut se dissimuler. Dans la rue, si vous êtes isolée, marchez toujours d'un pas énergique et assuré. Ne donnez pas l'impression d'avoir peur. »,http://www.interieur.gouv.fr/A-votre-service/Ma-securite/Conseils-pratiques/Ma-famille/Conseils-aux-femmes

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A)La reconnaissance progressive d’une vulnérabilité genrée?

Ex. CEDH: Siliadin c. France, 26 octobre 2005, 73316/01

Victime de l’esclavage moderne

« 111. La Cour constate qu'outre la Convention de nombreux instruments internationaux ont pour objet la protection des êtres humains contre l'esclavage, la servitude et le travail forcé ou obligatoire (voir la partie « Le droit pertinent »). Comme l'a relevé l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, bien que l'esclavage ait été officiellement aboli il y a plus de cent cinquante ans, des situations d'« esclavage domestique » perdurent en Europe qui concernent des milliers de personnes, parmi lesquelles une majorité de femmes.112. La Cour rappelle que l'article 4 consacre l'une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques (…) Dans ces conditions, (…) il y a lieu de considérer que les obligations positives qui pèsent sur les Etats membres en vertu de l'article 4 de la Convention commandent la criminalisation et la répression effective de tout acte tendant à maintenir une personne dans ce genre de situation »

Ex. français: Cons. Etat, 20 mars 2013, n° 339186:

JF demandeuse d’asile exposée à un risque d’excision et de mariage forcé.« Considérant que, pour refuser à Mlle A...la qualité de réfugié, la Cour nationale du droit d'asile a exclu en principe qu'elle puisse, du fait de son opposition à l'excision, appartenir à un groupe social au sens défini au point 2 ; qu'en s'abstenant de rechercher si les circonstances, dont se prévalait l'intéressée, selon lesquelles le Mali, dont elle est originaire, est marqué, particulièrement au sein de l'ethnie peuhle dont elle est issue, par une forte prévalence de l'excision et qu'elle avait manifesté son opposition à cette pratique, transgressant les normes coutumières de son pays et s'exposant de ce fait à des violences dirigées contre elle, étaient de nature à caractériser en l'espèce l'appartenance à un groupe social, la Cour nationale du droit d'asile a commis une erreur de droit ; que dès lors, son arrêt doit être annulé »

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B. Vers une vulnérabilité non genrée?

• Faut-il retenir une vulnérabilité de situation détachée de toute considération de sexe et de genre?

• Les incriminations légales sont rédigées en termes neutres même lorsqu’elles touchent très majoritairement les femmes– Ex. des incriminations pour protection de la vulnérabilité

économique et sociale créées par la loi du 22 juillet 1992 afin de protéger des personnes placées en situation de dépendance, en particulier économique, et soumises à des conditions de travail ou d’hébergement contraires à la dignité humaine: vise les mineurs et les étrangers nouvellement arrivés sur le territoire (225-15-1) mais pas les femmes.

– Ex. de la nouvelle incrimination du harcèlement sexuel (2012) : circonstance aggravante lorsque effectué 4° Sur une personne dont la particulière vulnérabilité ou dépendance résultant de la précarité de sa situation économique ou sociale est apparente ou connue de leur auteur

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Conclusion II)

• La vulnérabilité n’aurait donc plus ni sexe ni genre….

• Pourtant, de nombreuses études viennent contredire cette assertion pour montrer que les femmes sont le plus souvent les victimes de ces situations envisagées juridiquement comme sexuellement neutres. Précarité économique, violences intra familiales, viols, prostitution. Autant de situations auxquelles les femmes demeurent de facto plus vulnérables.

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Questions conclusives

L’universalisme?

moyen efficace de lutte contre les stéréotypes de

genre?

cache-sexe de la vulnérabilité

spécifique des femmes ?

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Un exemple de démarche: Les ateliers de réécriture du droit

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Réécrire le droit?

Rosemary Hunter et Clare McGlynn, Erika Rackley, coordinatrices du FEMINIST JUDGEMENTS PROJECT

Women’s Court of Canada Le Tribunal des femmes du Canada (TFC) est un projet novateur réunissant avocates, universitaires et militantes visant à littéralement réécrire la jurisprudence en matière d’égalité, telle que définie dans la Charte canadienne des droits et libertés. S’inspirant de la célèbre maxime d’Oscar Wilde selon laquelle « notre seul devoir à l’égard de l’histoire est de la réécrire », le TFC est un tribunal virtuel qui « réexamine » les arrêts importants touchant l’égalité et rend des décisions différentes. L’objectif consiste à formuler des conceptions nouvelles de l’égalité substantielle dans le cadre de décisions juridiques.

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Réécrire le droit? L’exemple de la QPC

« Harcèlement sexuel »

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Décision n° 2012-240 QPC du 04 mai 2012 M. Gérard D. [Définition du délit de harcèlement sexuel

1. Considérant qu'aux termes de l'article 222-33 du code pénal « Le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende » ;

2. Considérant que, selon le requérant, en punissant « le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle » sans définir précisément les éléments constitutifs de ce délit, la disposition contestée méconnaît le principe de légalité des délits et des peines ainsi que les principes de clarté et de précision de la loi, de prévisibilité juridique et de sécurité juridique ;

3. Considérant que le législateur tient de l'article 34 de la Constitution, ainsi que du principe de légalité des délits et des peines qui résulte de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, l'obligation de fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis ;

4. Considérant que, dans sa rédaction résultant de la loi du 22 juillet 1992 susvisée, le harcèlement sexuel, prévu et réprimé par l'article 222-33 du nouveau code pénal, était défini comme « Le fait de harceler autrui en usant d'ordres, de menaces ou de contraintes, dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de l'autorité que lui confèrent ses fonctions » ; que l'article 11 de la loi du 17 juin 1998 susvisée a donné une nouvelle définition de ce délit en substituant aux mots « en usant d'ordres, de menaces ou de contraintes », les mots : « en donnant des ordres, proférant des menaces, imposant des contraintes ou exerçant des pressions graves » ; que l'article 179 de la loi du 17 janvier 2002 susvisée a de nouveau modifié la définition du délit de harcèlement sexuel en conférant à l'article 222-33 du code pénal la rédaction contestée ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'article 222-33 du code pénal permet que le délit de harcèlement sexuel soit punissable sans que les éléments constitutifs de l'infraction soient suffisamment définis ; qu'ainsi, ces dispositions méconnaissent le principe de légalité des délits et des peines et doivent être déclarées contraires à la Constitution (application immédiate)

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Décision alternative?

1. Considérant qu'aux termes de l'article 222-33 du code pénal « Le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende » ;

2. Considérant que, selon le requérant, en punissant « le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle » sans définir précisément les éléments constitutifs de ce délit, la disposition contestée méconnaît le principe de légalité des délits et des peines ainsi que les principes de clarté et de précision de la loi, de prévisibilité juridique et de sécurité juridique ;

3. Considérant qu'aux termes de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi » ; qu'aux termes de son article 5 : « La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas » ; qu'enfin, aux termes du troisième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme » ;

4. Considérant que le harcèlement sexuel constitue une forme de violence que le législateur a pu à bon droit choisir de réprimer ; qu’il touche par ailleurs très majoritairement les femmes ; qu’il repose en toute hypothèse sur des stéréotypes de genre liés à la présomption de disponibilité sexuelle des victimes ; que de tels stéréotypes véhiculent l’idée d’une forte inégalité entre les genres et ont pour effet de placer les femmes dans une situation d'exclusion et d'infériorité manifestement incompatible avec les principes constitutionnels de liberté et d'égalité ; que dès lors, l’incrimination contestée a bien pour objet de mettre en œuvre l’exigence constitutionnelle d’égalité entre les sexes

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Décision alternative? (suite)5. Considérant que le législateur tient de l'article 34 de la Constitution, ainsi que du principe de légalité des délits et des peines

qui résulte de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, l'obligation de fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis ;

6. Considérant que l’article 222-33 du Code pénal a été modifié par les lois n° 92-684 du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions du code pénal relatives à la répression des crimes et délits contre les personnes, n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs et n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale ; Qu’il est également réprimé depuis 1992 dans le Code du travail à l’article L1153-1 ; Que la notion de « harcèlement » a été reprise pour définir le harcèlement moral à l’article 222-33-2 du Code pénal par la Loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale et le harcèlement au sein du couple par la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants ; Que la jurisprudence dégagée par les juridictions pénales a apporté les précisions complémentaires utiles pour caractériser cette infraction, notamment quant à la définition de la notion de « faveurs sexuelles » ; Que l'article 179 de la loi du 17 janvier 2002 susvisée a modifié la définition du délit de harcèlement sexuel en conférant à l'article 222-33 du code pénal la rédaction contestée ; Que par le retrait de la précision, par la loi du 17 janvier 2002, selon laquelle l’obtention de ces faveurs devait être réalisée par le biais d’ordres, menaces, contraintes ou pressions graves, le législateur a seulement entendu prendre en considération, sans restriction, l’ensemble des modalités possibles par lesquelles l’auteur de l’infraction pouvait tenter d’obtenir ces faveurs ; Qu'enfin, la Directive 2002/73/CE du Parlement Européen et du Conseil du 23 septembre 2002 modifiant la directive 76/207/CEE du Conseil relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail et la Directive 2006/54/CE du Parlement Européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail définissent le harcèlement comme « la situation dans laquelle un comportement non désiré à connotation sexuelle, s'exprimant physiquement, verbalement ou non verbalement, survient avec pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d'une personne et, en particulier de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant »

7. Considérant, dans ces conditions, que le législateur a rédigé l’infraction en des termes suffisamment clairs et précis pour respecter le principe de légalité et que ces constations montrent que la notion de harcèlement en particulier n’est ni obscure, ni ambiguë.

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'article 222-33 du code pénal permet la mise en œuvre des articles 4 et 5 de la Déclaration et le principe d’égalité entre femmes et hommes sans méconnaitre le principe de légalité des délits et des peines et doivent être déclarées conformes à la Constitution

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Quelles différences?

1° Ajout d’un cadre conceptuel féministe

• visas de référence: art. 4 et 5 DDHC1789, al.3 du PC1946

• Rattachement de la loi pénale à l’exigence d’égalité F/H

2° Un raisonnement inversé sur la portée du principe de légalité des délits et des peines

• Reprise du visa des a. 34C et 8 DDHC1789 sur le principe de nécessaire précision de la loi pénale

• Mais interprétation par référence aux précisions apportées par la jurisprudence pénale et le droit dérivé européen (directives)

Conclusion: conformité à la constitution

4. Considérant que le harcèlement sexuel constitue une forme de violence que le législateur a pu à bon droit choisir de réprimer ; qu’il touche par ailleurs très majoritairement les femmes ; qu’il repose en toute hypothèse sur des stéréotypes de genre liés à la présomption de disponibilité sexuelle des victimes ; que de tels stéréotypes véhiculent l’idée d’une forte inégalité entre les genres et ont pour effet de placer les femmes dans une situation d'exclusion et d'infériorité manifestement incompatible avec les principes constitutionnels de liberté et d'égalité ; que dès lors, l’incrimination contestée a bien pour objet de mettre en œuvre l’exigence constitutionnelle d’égalité entre les sexes

5. Considérant que le législateur tient de l'article 34 de la Constitution, ainsi que du principe de légalité des délits et des peines qui résulte de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, l'obligation de fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis ;

6. Considérant que l’article 222-33 du Code pénal a été modifié par les lois n° 92-684 du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions du code pénal relatives à la répression des crimes et délits contre les personnes, n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs et n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale ; Qu’il est également réprimé depuis 1992 dans le Code du travail à l’article L1153-1 ; Que la notion de « harcèlement » a été reprise pour définir le harcèlement moral à l’article 222-33-2 du Code pénal par la Loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale et le harcèlement au sein du couple par la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants ; Que la jurisprudence dégagée par les juridictions pénales a apporté les précisions complémentaires utiles pour caractériser cette infraction, notamment quant à la définition de la notion de « faveurs sexuelles » ;

Que l'article 179 de la loi du 17 janvier 2002 susvisée a modifié la définition du délit de harcèlement sexuel en conférant à l'article 222-33 du code pénal la rédaction contestée ; Que par le retrait de la précision, par la loi du 17 janvier 2002, selon laquelle l’obtention de ces faveurs devait être réalisée par le biais d’ordres, menaces, contraintes ou pressions graves, le législateur a seulement entendu prendre en considération, sans restriction, l’ensemble des modalités possibles par lesquelles l’auteur de l’infraction pouvait tenter d’obtenir ces faveurs ;

Qu'enfin, la Directive 2002/73/CE du Parlement Européen et du Conseil du 23 septembre 2002 modifiant la directive 76/207/CEE du Conseil relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail et la Directive 2006/54/CE du Parlement Européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail définissent le harcèlement comme « la situation dans laquelle un comportement non désiré à connotation sexuelle, s'exprimant physiquement, verbalement ou non verbalement, survient avec pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d'une personne et, en particulier de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant »7. Considérant, dans ces conditions, que le législateur a rédigé l’infraction en des termes suffisamment clairs et précis pour respecter le principe de légalité et que ces constations montrent que la notion de harcèlement en particulier n’est ni obscure, ni ambiguë.

3. Considérant qu'aux termes de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi » ; qu'aux termes de son article 5 : « La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas» ;

qu'enfin, aux termes du troisième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme »

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Intérêt heuristique de l’expérience intellectuelle de réécriture du droit:

•Mettre l’accent sur une logique du choix•Mettre en œuvre les acquis de la théorie féministe du droit

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