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Cette histoire relève de la fiction. Toutes ressemblances ...marcdio.com/wp-content/uploads/2015/10/Automne-Nuvole-bianche-p... · ~Nuvole bianche~ * « Dernier appel pour les passagers

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Cette histoire relève de la fiction. Toutes ressemblances avec despersonnages existants ou ayant existé ne saurait être que fortuite.Elle est la propriété de son auteur. Merci de mentionner son origineen cas de citation.

Automne

~Nuvole bianche~

*

« Dernier appel pour les passagers du vol Air France AF065, à destination de Los Angeles. Merci de vous présenter porteL32 pour un embarquement immédiat. »

Je courais comme un dératé au milieu de l'aéroport.

Comme d'habitude, je m'étais levé trop tard, comme d'habitude,j'avais pris mon temps, persuadé d'arriver à temps, commed'habitude, j'avais eu du mal à lui dire au revoir, et, commed'habitude, à cause des bouchons, j'étais arrivé à peine trenteminutes avant le départ de mon avion. J'avais plutôt intérêt à courirvite si je ne voulais pas passer une soirée de plus à Paris.Habituellement, je ne me bilais pas trop : si je loupais celui-ci,j'aurais assurément le suivant, mais là, j'avais un important rendez-vous avec un directeur de casting le soir-même, et pour une foisqu'une proposition intéressante se présentait à moi, pas questionde rater ma chance juste pour une stupide histoire d'avion.

Je courais donc, ma sacoche noire contenant monordinateur portable autour du cou et les macarons Ladurée que mamère m'avait fait promettre de lui ramener à la main. J'aperçus enfinle comptoir d'embarquement de la porte 32. Je m'arrêtais en

soufflant. J'avais beau suivre Mike, mon meilleur ami depuis lelycée, dans ses séances de footing hebdomadaires, je n'avais plusvingt ans ! Je replaçais ma veste et passais ma main dans mescheveux, histoire d'être un peu plus présentable, avant de m'avancervers le comptoir, ma carte d’embarquement et mon passeport à lamain. Une jeune et jolie hôtesse m'adressa un sourire éblouissant.

- Bonjour, Monsieur Thompson, Me salua-t-elle en metendant la main.

- Bonjour, Répondis-je rapidement en lui confiant monpasseport dans lequel j'avais glissé la carte d'embarquement.

Je m'attendais à quelques remarques moralisantes surl'incidence de mon retard sur le départ de l'avion. Il n'en fut rien.

Elle ne regarda même pas mon passeport et se contentade scanner rapidement mon billet avant de me le rendre.

- Voici, Me dit-elle sans quitter son éblouissant sourire.- Merci, Répondis-je machinalement en me saisissant de

mes papiers, un peu trop accaparé par le sourire de la demoiselle.- Je vous en prie. En vous souhaitant un agréable voyage.J'avançais lentement vers le couloir qui menait aux

premières classes et me retournais pour contempler une dernièrefois ma charmante petite hôtesse en train de fermer les barrièresderrière moi. Une fois de plus, j'étais le dernier passager. Je pressaisun peu le pas et arrivais dans l'avion.

- Bonjour, Monsieur, M'alpagua un des stewards.Je sortais de mes pensées, toujours tournées vers

l'adorable créature qui m'avait accueilli plus tôt, et tendais mon

billet au jeune homme qui venait de m'interpeller. Jeune homme qui,à en juger par ses manières et son after-shave entêtant, n'aurait sansdoute éprouvé aucun émoi devant ma petite hôtesse.

- Par ici, Me dit-il dans un geste tout à fait féminin.Je le remerciais rapidement et me dirigeais vers l'endroit

qu'il m'avait indiqué. Je trouvais ma place et déposais mes affairesdans le coffre à bagages situé au dessus de ma tête, en prenant biensoin de ne pas écraser les macarons. La dernière fois que j'étaisrevenu de Paris, le coffre à bagages était quasiment vide et monordinateur avait écrasé les délicats biscuits aux amandes lors d'uneturbulence au dessus du Labrador. Ma mère m'en avait vraimentvoulu, et je ne tenais pas à supporter à nouveau deux longs mois dereproches.

Je refermais le coffre et me défaisais de mon manteau queje plaçais sur le cintre prévu à cet effet, puis je me laissais tombersur mon siège. Je jetais un œil à mon voisin : il s'agissait d'un vieuxmonsieur aux cheveux grisonnants qui comatait à moitié, appuyécontre le hublot. Le voyage promettait d'être calme.

- Monsieur, puis-je prendre votre manteau ?, Medemanda une voix avec un léger accent français.

Je levais le nez vers la personne qui venait de s'adresser àmoi, et tombais en admiration devant une nouvelle hôtesse.

Elle avait les cheveux bruns coupés au carré, un sourireimmaculé, absolument parfait, et des yeux verts espiègles. Sonuniforme mettait en valeur sa taille fine et ses formesappétissantes. Je me perdais une fraction de seconde sur ses lèvres

pourpres aux contours tellement délicats.- Monsieur ?, Répéta-t-elle en riant.Elle riait mais sa façon de parler trahissait une pointe

d’inquiétude.Je levais les yeux vers les siens et me retrouvais encore

plus désarçonné. Ce vert ! C'était époustouflant.- Heu... Ou... oui, Balbutiais-je en secouant la tête.Je lui tendis un peu vivement le cintre où j'avais posé

mon manteau un peu plus tôt. Elle me remercia avant de me tournerle dos. Impossible pour moi de ne pas laisser mon regard glisser surelle, et ce que je vis était complètement à la hauteur du reste de sapersonne : cette fille était tout simplement magnifique ! A mongrand désespoir, je m'aperçus assez rapidement qu'elle était en faitaffectée à la rangée opposée à la mienne, me laissant aux bons soinsdu steward aussi gay que charmant. Je levais un sourcil etsoupirais, dépité ; au moins, je pourrais me concentrer sur montravail. Je bouclais ma ceinture et attendais patiemment que l'aviondécolle.

- Oh mon Dieu ! Vous êtes William... William... Oh ! J'aioublié votre nom !, S'exclama une voix à côté de moi.

Je me tournais d'un quart vers le siège situé à ma droite.Mon voisin comateux ne l'était plus et me regardait de près, l'airamusé.

- Vous êtes le mec de la série, là..., Dit-il en faisantclaquer ses doigts, toujours désespérément à la recherche des mots.

- Thompson, Complétais-je finalement, William

Thompson.- Oui ! C'est ça ! William Thompson !, Il me tendit la

main, Bryan Shepard. Je dirige une petite société de constructionprés d'Henderson. Je suis enchanté de vous rencontrer.

J'attrapais sa main par pure politesse ; c'était fascinanttous ces gens qui, juste parce qu’ils m'apercevaient régulièrementdans leurs salons, pensaient que je les connaissais comme ils meconnaissaient.

- Mon fils est un grand fan de votre série, il ne rate jamaisun épisode !, Ajouta-t-il en souriant.

Je reprenais ma main et attrapais la brochure deprésentation du vol.

- Ah oui ?, Demandais-je poliment.Il ne devait pas imaginer combien de fois j'avais pu

entendre ces mots-là.- Oui, hum... C'est quoi le nom déjà ? Trente...

trente...trente quelque chose...- 30 complications, Dis-je machinalement.- Oui ! C'est ça !, Dit-il enthousiaste, Vous êtes son

personnage préféré.Je souris.- Et bien, merci. C'est très gentil. A la base, je ne devais être qu'un personnage secondaire

dans cette petite série sans prétention. J'avais fait pas mal detéléfilms et de publicités dans ma jeunesse, mais les boulots se

faisaient de plus en plus rares, et il fallait payer les factures. J'avaispassé ce casting un peu par hasard et j'avais été pris. Il s'agissaitd'une série assez classique sur six trentenaires new-yorkais à larecherche de l'âme sœur. Mon personnage, Aloïs Teller, meilleurami du personnage principal, était un génie féru d'informatique, fande manga, et totalement handicapé socialement. Je devais lereconnaître : dés le début, j'avais accroché avec ce personnage unpeu taré, complètement loufoque, mais franchement attachant.Tellement attachant qu'il avait fini par prendre un peu plus de placeque prévu et portait quasiment la série sur ses épaules depuisbientôt cinq ans. Le programme connaissait des records d'audienceet à moins d'un gros accident d'Audimat, j'étais assuré d'avoir dutravail pour les trois prochaines années. Le public suivait avecpassion nos histoires, notamment celle de Johanna et Aloïs, àpropos desquels on me sollicitait très régulièrement.

Johanna était une des ex-petites amies du personnageprincipal qui, après de nombreuses péripéties, avait fini par tomberamoureuse d'Aloïs. Les scénaristes avaient cependant créé unenouvelle série de situations rocambolesques qui avait pousséJohanna à rompre avec Aloïs deux saisons auparavant. Lestéléspectateurs rêvaient d'une réconciliation entre les deuxpersonnages, et me sollicitaient donc régulièrement sur le sujet.

Johanna était incarnée par Lucy Minh, une ravissantejeune femme d'origine chinoise. Je n'avais pas honte de l'avouer : àun moment, la fiction avait déteint sur la réalité, et Lucy et moiavions eu une relation houleuse qui avait duré un peu moins d'un

an. Contrairement à ce qui s'était passé dans la série, dans la réalité,c'était moi qui avais mis fin à notre histoire, lassé par ses sautesd'humeurs. Elle avait été diagnostiquée bipolaire, un baratin de psydestiné à justifier les crises de larmes et l'agressivité des actricesaméricaines. Un jour, elle était douce et affectueuse, le lendemain,elle me détestait et m'accusait de faire stagner sa carrière. J'avaisréussi à reprendre ma liberté, et nous étions même restés en bonstermes. Parfois même un peu trop bons d'ailleurs... Nous tournionsles vingt-six épisodes de chaque saison sur une période de quatre àcinq mois, et inutile de dire que le rythme était intense. Impossiblede ne pas succomber à la tentation quand nous passions douzeheures par jour à nous donner la réplique, quand ce n'était pas àjouer des scènes tendres ou romantiques, collés l'un à l'autre... Jerentrais en studio dans deux semaines et je savais exactement ce quiallait se passer.

- Mais, dites-moi... , Continua mon voisin.Je levais le nez de ma brochure. Il avait un œil malicieux

qui ne me laissait rien présager de bon.- Vous êtes resté puceau jusqu’à vingt-six ans comme

dans la série ?, Me demanda-t-il hilare.Je soupirais en reposant ma brochure. Ah, la bonne

vieille question-blague sur la virginité de mon personnage...- Non, vous savez, c'est de la fiction. C'est juste... un rôle

écrit par un scénariste. Comme je ne porte jamais de t-shirtreprésentant des héros d'animation japonaise, je n'ai absolument

pas besoin de lunettes et je jure que je n'ai jamais acheté un seulflacon de gel pour cheveux de toute ma vie.

Il rit franchement.- C'est vrai qu'ils ne vous gâtent pas dans la série, hein.J'approuvais d'un signe du menton. Allez savoir

pourquoi, Hollywood voulait que les férus d'informatique soienttous laids, asociaux et bourrés de complexes.

- Oui, Me contentais-je de répondre.Le vieux bonhomme me tint la jambe jusqu'à ce que notre

avion atteigne sa vitesse de croisière, me citant les répliques cultesde mon personnage que je connaissais bien évidemment par cœur,et tentant de soutirer des informations sur la prochaine saison,chose dont j'aurais été incapable dans la mesure où je ne recevais lesscripts qu'au matin du tournage. Le steward me sauva la mise enamenant les nappes destinées à recouvrir nos tablettes en vue denotre déjeuner. J'en profitais pour me dissimuler derrière moncasque et feignais de me concentrer sur mon écran tandis que jedégustais une tranche de fois gras accompagnée d'un verre deBordeaux très honnête. Notre repas terminé, mon voisin s'allongeapour dormir, me laissant définitivement en paix.

Je décidais de récupérer mon ordinateur portable pourtravailler un peu. En plus de mon activité principale, je possédaisdeux restaurants, bientôt trois, que je partageais avec mon frèreaîné, cuisinier de son état.

Quand j'avais commencé à accumuler un peu d'argent, jene savais pas trop quoi en faire. Il venait de perdre son travail et

avait des idées plein la tête, alors j'avais misé sur lui. Et autant direque cela avait été un excellent choix !

Je débouclais ma ceinture de sécurité et me levais pourouvrir prudemment le coffre à bagages. Au moment où je relevais lecouvercle de celui-ci, mon sachet de macarons me sauta à la figureet rebondit pour atterrir par terre.

Une personne fut plus rapide que moi pour le ramasser.Lorsqu'elle leva ses yeux verts vers moi, je me retrouvaisexactement dans le même état que tout à l'heure.

- Tenez, Me dit-elle en souriant.Elle me tendit mon sac en papier vert. Je l'attrapais sans

la quitter des yeux... et réalisais qu'il fallait que je parle.- Heu... Merci, Parvins-je à bredouiller.Je restais debout à sourire bêtement.- Besoin d'aide ?, Demanda-t-elle en pointant du doigt

mon coffre à bagages toujours ouvert.Je secouais la tête pour revenir à moi.- Oh !... Hum, non. Non, merci. Je voulais juste prendre

mon ordinateur portable.Je jetais un peu vivement mon sac de macarons à côté de

ma sacoche et ouvrais cette dernière pour m'emparer de monordinateur.

- Si j'abîme les précieux macarons de ma mère, elle va metuer !, Ajoutais-je en riant.

- Votre mère aime les macarons ?, Demanda-t-ellevisiblement amusée.

Je hochais la tête et refermais le coffre à bagages, monordinateur à la main.

- Oui, mais elle les aime entiers ! Elle dit qu'un macaronLadurée lui procure autant d'émotion qu'un je t'aime.

J'avais bien évidemment prononcé les derniers mots enfrançais. A force de venir ici, je commençais à connaître l'essentiel.

Je levais les yeux au ciel en repensant à tous les motsaffreusement cul-culs que ma mère utilisait pour décrire cettepâtisserie trop sucrée qu'elle affectionnait tant. Le rire de macharmante hôtesse me sortit de mes pensées.

- Et bien, une maman qui parle français, vous en avez dela chance !

Je ris en me rasseyant.- Non, en fait, elle ne parle pas un mot de français. La

vérité, c'est qu'elle n'a même jamais mis un pied en France : elle apeur de l'avion.

Je me doutais qu'elle ne comprendrait pas ce genred'angoisse. Elle hocha la tête, compatissante.

- Donc, chaque fois que je viens voir ma sœur à Paris,Enchaînais-je, Elle me demande de lui en rapporter. Et attention,hein, si j'oublie, elle me fait la tête pendant des semaines, alors jevous assure que je n'oublie jamais !

- Votre sœur vit à Paris ?, Demanda-t-elle surprise.- Oui, elle est mariée à un français..., Je fis la grimace,

Que voulez-vous, elle a toujours eu mauvais goût pour leshommes !

Elle rit nerveusement et regarda ailleurs.- Ça, malheureusement, ça ne se commande pas...J'observais son sourire figé, et je comprenais qu'elle avait

sans doute été déçue par un de ces français.- Bon, et bien, si vous avez besoin de quoi que ce soit,

Reprit-elle, N'hésitez pas à me solliciter.Elle allait s'en aller. Elle allait encore mystérieusement

disparaître entre deux rangées de sièges de première. Il fallait que jetente quelque chose, que je l’empêche de partir. Elle me tournaitdéjà le dos quand je la hélais.

- Excusez-moi. Elle s'arrêta et fit volte-face.- Oui ?- Serait-il possible d'avoir... un café ?- Un café ? Oui, bien sûr. Je vous ramène ça

immédiatement.Elle s'éloigna à nouveau tandis que je suivais des yeux le

mouvement de ses hanches. Il y avait quelque chose qui m'attiraitde façon assez inexplicable chez cette fille, mais je ne comprenaispas bien ce que c'était. Enfin, si : physiquement, elle étaitcomplètement mon genre. En fait, je réalisais qu'elle devait être legenre d'un paquet d'autres types...

Je scrutais l'endroit où elle avait disparu. Est ce que je luiplaisais un peu ? Je n'arrivais pas à voir si l’intérêt qu'elle meportait relevait d'autre chose que du professionnalisme.

Elle revint avec une tasse de café brûlant.

- Faites attention, c'est très chaud, Dit-elle en déposant latasse devant mon nez, Avez-vous besoin d'autre chose ?

Je la contemplais encore, insatiable, et me perdais unenouvelle fois le long de ses lèvres.

- Hum... non, non... merci, Dis-je un peu ailleurs.Mon ton trahissait une pointe de déception, mais je

n'avais plus d'autre option. Elle m'adressa un sourire ravageur avantde s'éloigner à nouveau. Je me laissais glisser dans mon siège, mesentant fondre sur place : c'était décidé, je ne voyagerai plusqu'avec cette compagnie !

Je passais les trois heures suivantes à la guetter,consultant négligemment quelques documents que m'avait envoyésmon frère. J'observais tous ses gestes, le moindre sourire, chacunedes petites attentions qu'elle accordait aux autres passagers pouressayer de me convaincre que l'attitude qu'elle avait avec moi étaitdifférente, mais je ne voyais rien. Il fallait que je me rende àl'évidence : je n'étais à ses yeux qu'un passager lambda.

J'attrapais mes écouteurs en soupirant, résigné, etcherchais un peu de musique pour m'occuper. Je sélectionnais ledernier album d'un groupe de rock new-yorkais que j'écoutaisbeaucoup quelques années plus tôt. Cela faisait un long momentque je n'avais pas pris quelques minutes pour écouter un peu demusique. C'était une honte pour le fier californien que j'étais des'abaisser à écouter la musique de la côte est, mais,malheureusement, j'aimais ce qu'ils faisaient.

Je tentais donc de mettre en route le premier morceau de

ces musiciens originaires de la grosse pomme, quand mon écrans'éteint. Je le rallumais, perplexe et tentais une nouvelle fois delancer la musique. Écran noir. Je recommençais plusieurs fois, peineperdue : à chaque fois que je lançais la musique, l'écran arrêtait defonctionner. Avais-je trouvé un moyen de reparler à ma séduisantepetite française ?

Je testais plusieurs manipulations, pas la peine de passerpour un crétin parce qu'en réalité, le son était tout simplement tropbas ou bien le casque mal branché. Après toutes les vérifications, laconclusion était claire et nette : j'avais un vrai souci technique et jepouvais donc demander l'aide de ma déesse de l'air.

Je scrutais les allées de passagers endormis de façonassez peu discrète, et le steward qui s'occupait de mon alléeremarqua assez rapidement mon petit manège.

- Vous avez besoin de quoi que ce soit, Monsieur ?, Medemanda-t-il avec un sourire charmeur.

Je me redressais dans mon siège et prenais ma voix laplus virile.

- Hum, non merci, tout va bien, Dis-je en reportant monattention sur l'écran de mon ordinateur.

Je faisais jouer mes doigts sur ma tablette et relevais unœil vers le steward. Il n'avait pas bougé.

- Vous savez, je suis un grand fan de votre série !, Me dit-il avec enthousiasme.

Je fronçais les sourcils, inquiet. Il s'était accoudé à monsiège, me laissant penser qu'il allait essayer de me faire la

conversation un petit moment. Quel poisse...- Ah oui ?, Demandais-je sans conviction.- Oh oui ! Et quel formidable acteur vous faites ! Vous

devriez vraiment faire du cinéma.Il me toucha l'avant bras. Je retirais ma main un peu

vivement, réflexe stupide d'hétéro pas complètement sûr desimpressions qu'il dégage.

- Je..., Je m’éclaircis la gorge, Je n'ai pas eu beaucoup depropositions intéressantes.

- Oh ? Vraiment ?, Fit-il scandalisé, Quel gâchis ! Ses yeux se posèrent sur mon écran éteint. Il fronça les

sourcils.- Un souci avec votre écran ?- Non, Répondis-je un peu vivement, Non, tout va bien.Il sourit.- Bon, parfait alors. N'hésitez pas à faire appel à moi

surtout. Je m'appelle Patrice Carmont, et je suis tout à vous !, Medit-il avec un clin d’œil appuyé et une caresse sur l'épaule.

Je me crispais un peu et m'arrangeais pour m'éloignerdiscrètement de sa main.

- Merci beaucoup, Monsieur... Carmont, Dis-jelentement pour éviter d'écorcher son nom.

- Appelez-moi Patrice, Me dit-il avec un nouveau clind’œil.

- J'aime bien Carmont.Il resta encore à côté de moi quelques secondes, tandis

que je retournais à la contemplation des factures que m'avaitscannées mon frère. Je soufflais en le voyant enfin s'éloigner. Ilfallait que je sois plus discret ou bien Patrice allait m'empêcher delui parler.

Je scrutais à nouveau les allées, discrètement cette fois, etl'aperçus enfin. Je lui fis un petit signe de la main.

- Oui, Monsieur ?, Dit-elle en arrivant à mon niveau.- J'ai un petit souci avec mon écran.Je ne pouvais m'empêcher de sourire, absolument ravi

d'avoir trouvé un prétexte pour lui adresser à nouveau la parole.Mon attitude semblait l'intriguer. Elle se pencha vers moi.

- Vous avez essayé de...- J'ai tout vérifié ! Le volume, le casque... à chaque fois

que j'essaie d'écouter cet album, l'écran se fige et s'éteint.Sur ces quelques mots, j’effectuais la manipulation.

L'écran s'éteignit. Elle sourit.- Peut-être que c'est une question de bon goût, Dit-elle

les yeux rivés sur mon écran, Peut-être que notre compagnie n'a pasenvie que vous écoutiez ça.

Il y avait un peu de dédain dans le son de sa voix. Je ris.- Un commentaire à faire sur mes préférences musicales ?- Oh, voyons, je ne me permettrai jamais... Monsieur

Thompson, Me dit-elle narquoise.Elle me connaissait. Elle savait qui j'étais.D'habitude, ça m'agaçait profondément que les gens

utilisent mon nom avant même que je ne me sois présenté, mais là...

là... elle aurait pu m'appeler Aloïs Teller, le mec aux macarons oumême l'abruti qui joue dans une série pourrie, que j'aurais réponduen souriant benoîtement.

- Je vais aller redémarrer votre écran, je pense que celadevrait résoudre le problème, Me dit-elle en se relevant.

Je sentis mon cœur faire un saut dans ma poitrine aumoment où ses cheveux passèrent à proximité de mon visage. Ceparfum, c'était... divin.

Elle s'éloigna pour disparaître plus loin. Je fixaisbêtement la direction par laquelle elle avait disparu. Elle réapparutaprès plusieurs minutes.

- Vous avez réessayé ?, Me demanda-t-elle en arrivantprés de moi.

Je regardais la commande que j'avais à la main.- Oh... heu, non. Je vous attendais, Dis-je un peu

naïvement.Elle sourit et me contempla en train de mettre en route la

musique. Cette fois-ci, tout fonctionnait parfaitement.- Et bien voilà, ça fonctionne, Me dit-elle ravie.Je souris franchement.- Merci.- Je vous en prie. Un génie de l'informatique tel que vous

aurait dû être capable de résoudre ce petit problème lui-même, maisbon...

J'éclatais de rire.- Je suis absolument nul avec les nouvelles technologies,

une vraie catastrophe ! Vous savez, je sais tout juste me servir demon smartphone, Mademoiselle... ?

- Vale. Mabelle Vale, Dit-elle en rougissant un peu.Je jubilais intérieurement : elle m'avait donné son

prénom !! Si ça, ce n'était pas un signe !- Mabelle Vale, Répétais-je admiratif.J'avais rarement vu un prénom aussi bien porté. Elle me

souriait toujours, apparemment pas insensible à ma façon deprononcer son prénom.

- Ça vous va à ravir, Dis-je sans pouvoir m'empêcher delui adresser un clin d’œil.

Son sourire se fit un peu plus franc, mais je voyais bienque ce n'était que par politesse et que mon compliment pathétiqueet mon geste maladroit ne l'avaient ni émue, ni troublée.

- Merci, Se contenta-t-elle de répondre, Je vais vouslaisser savourer votre bruit... enfin, votre musique.

Elle m'adressa un regard joueur qui me fit rire.- Des suggestions ? Ça fait tellement longtemps que je

n'ai pas pris le temps d'écouter un peu de musique que j'aurais bienbesoin d'une remise à niveau.

Elle pencha la tête sur le côté, pensive.- Hum, peut être, oui. Mais plus tard : je crains que mon

chef de cabine n'apprécie que très moyennement le zèle dont je faispreuve à votre encontre.

J'attrapais ma tasse de café dont j'avais déjà vidé lamoitié.

- Nous aurons bien l'occasion de nous revoir, Dis-je enfaisant un mouvement vers elle avec la tasse.

Elle adopta un sourire radieux. Mes genoux tremblèrent.- N'hésitez pas à m'appeler, Dit-elle en s’échappant

encore. Impossible pour moi de décoller les yeux de sa silhouetteparfaite.

J'attrapais ma tasse et la vidais d'une traite.Je n'avais jamais bu autant de café de toute ma vie. Elle

revint me servir plusieurs fois tandis que je jonglais pour évitermon steward. A chaque fois qu'elle remplissait ma tasse, nous enprofitions pour débattre brièvement sur un groupe ou un musicienqu'elle affectionnait. Sa culture musicale était surprenante. Elle mesuggéra quelques noms de musiciens français qui méritaient qu'ons'y intéresse et dont les principaux titres figuraient dans les listesde lecture disponibles dans l'avion. J'écoutais rapidement, le tempsqu'elle fasse des allers-retours avec sa cafetière. Plusieurs fois elleme proposa du jus d'orange, arguant que je ne pourrais plus dormir.Je refusais poliment, m'en tenant au café.

- Vous êtes sérieuse ? Vous écoutez vraiment ça ?,Demandais-je abasourdi, mon casque placé de travers de sortequ'une oreille reste à sa disposition et que la seconde puisse capterles bruits qu'elle m'avait recommandés.

Elle rit en me tendant le plateau où se trouvait posé matasse qu'elle venait de remplir de café brûlant.

- Oui, leur guitariste est excellent !, Se justifia-t-elle.Je la regardais en biais.

- Musicienne ?, Demandais-je en attrapant ma tasse.Elle éclata de rire en s'empourprant légèrement.- Il y a un long moment que je ne joue plus, mais j'ai eu

mon groupe, oui.- Ah oui ?- Oui : les Nesquick, Dit-elle fièrement.- Les Nes... ? Comme... le chocolat ?, Demandais-je

perplexe.Elle acquiesça d'un signe de tête.- Oui, un groupe extraordinaire composé de deux

musiciens forts talentueux : mon frère et moi-même !Je ris moqueur.- Hey, Fit-elle semblant de s'offusquer, Je vous assure

que nous avions notre petit succès dans notre salon, mon chat etma mère vous le confirmeront !

Nous rîmes en cœur. Je contemplais son sourirecharmeur, ses yeux pétillants... Il fallait que je tente, que j'essaiequelque chose. Je ne pouvais pas passer à côté d'elle, impossible.

Je posais ma tasse sur ma tablette.- Hum, dites-moi... Je sais que ça va vous paraître

complètement dingue mais... vous seriez disponible pour... je saispas, dîner ou bien, boire un verre ensemble, ce soir ?

Elle perdit son sourire et se pinça les lèvres.- Malheureusement...- Vous repartez directement, c'est ça ?, L'interrompis-je

sans pouvoir lui dissimuler ma déception.

Elle sourit discrètement.- Non, je suis en escale pour un peu moins de trente-six

heures, mais...- Mais vous avez un petit-ami ?Elle rit en regardant ailleurs.- Je n'ai pas le droit de fréquenter des passagers, ce ne

serait pas très bien vu, M'expliqua-t-elle désolée.Je me sentais bien bête tout à coup.- Oh, OK, OK. Je comprend.Elle m'adressa un regard chargé de bienveillance.- En tout cas, ça aura été un plaisir de faire votre

éducation musicale.- Le plaisir était pour moi, Dis-je sincère.- Et puis, qui sait ? Peut-être que nous nous recroiserons

sur un autre vol, lorsque vous irez rendre visite à votre sœur !- Je soupirais et acquiesçais timidement.- Oui, qui sait ?Elle s'éloigna en me laissant là avec toute ma déception.Si seulement nous avions pu nous rencontrer

différemment... Je souris pour moi-même : le raisonnement étaitstupide, quelle était la probabilité que je tombe par hasard sur cettefille ? Je ne passais que trois à quatre semaines par an à Paris àfréquenter des boutiques haut de gamme ou les amis de ma sœur,elle devait être dans la vingtaine quand je m'approchais doucementde la quarantaine... non, nous ne fréquentions certainement pas lesmême milieux, impossible d'imaginer la croiser ailleurs. « Se

rencontrer différemment » aurait sans doute voulu dire « ne pas serencontrer du tout ».

L’atterrissage à LAX se fit sans encombre. Il faisait untemps magnifique. Je descendais de l'avion en la cherchant desyeux, mais ne la trouvais pas. J'aurais voulu lui dire au revoir etpuis, peut-être lui laisser ma carte, mon numéro de téléphone oumon adresse mail, un truc débile qui m'aurait permis de croire quenous nous reverrions un jour, même si c'était carrément sans espoir.

Je me dirigeais vers le poste de récupération des bagagesen faisant un rapide détour par les toilettes pour me soulager deslitres de café absorbés durant le voyage. En sortant des toilettes, jeme retrouvais juste derrière le steward qui s'était occupé de moitout le long du vol. Je ralentissais discrètement le pas afin qu'il neme remarque pas. Je pouvais entendre sa conversation avec unautre steward et apparemment, les deux hommes étaientabsolument scandalisés par le traitement qu'on leur infligeait en lesobligeant à séjourner dans un hôtel bas de gamme en périphérie dela ville, alors qu'une autre partie du personnel était hébergée dansun luxueux hôtel tout proche de l'aéroport. Je pouffais en entendantle nom de l'hôtel où mon pauvre Patrice allait passer la nuit : j'avaistourné une publicité plusieurs années auparavant dans cetétablissement, et c'était effectivement médiocre.

Je m'échappais rapidement et retrouvais ma valise. Ensortant de l'aéroport, j'attrapais mon portable que je collais à monoreille et cherchais des yeux la voiture de ma mère.

Elle avait insisté pour venir me chercher à l'aéroport,

mais je savais qu'il ne s'agissait là que d'une sombre manœuvredestinée à récupérer ses macarons au plus vite, et non du gestetendre d'une mère envers son fils.

J'écoutais mes messages : mon agent pour le rendez-vousde ce soir, mon meilleur ami/coach sportif/ancien pote de drague quime donnait rendez-vous pour un footing ce samedi, mon frère qui...

- William !! William !, Hurla une voix rauque.Je me tournais vers ma mère dans son vieux break Volvo

marron délavé qui m'attendait garée sur les emplacements réservésaux taxis.

Je raccrochais et m'approchais d'elle en souriant. Je medirigeais vers l'arrière du véhicule pour y déposer ma valise. Jerefermais le coffre après y avoir rapidement jeté mon bagage etm'apprêtais à ouvrir la porte passager quand elle bloqua celle-ci.

- HA HA, S'esclaffa-t-elle en me faisant signe non avecson doigt, Tu as quelque chose pour moi ?

Je me penchais un peu pour l'apercevoir par la fenêtreouverte. Elle avait ses lunettes de soleil et... les cheveux rouges,cachés sous une espèce de grand chapeau de pailles.

- Oh mon Dieu, tu as les cheveux rouges ?, Demandais-jemoqueur.

Elle grogna en se rasseyant correctement.- J'avais envie de changer un peu alors j'ai été chez ce

coiffeur de stars là... et voilà ce qu'il m'a fait ! Je te jure, je nefoutrai plus jamais les pieds à Beverly Hills !

J'ouvrais la porte et eus un léger mouvement de recul

lorsque l'air de la voiture me parvint aux narines. Je m'arrêtais etjetais un œil sur la banquette arrière.

- Oh Mam, t'aurais pu éviter de prendre Snorky, Dis-jeen m'asseyant, Il pue, c'est une infection.

Je faisais claquer la porte derrière moi. Snorky, le chiende la famille depuis quinze ans, était occupé à lécher la joue de mamère qui le flattait. Je tentais de déposer mon ordinateur au sol. Jene savais même pas où mettre les pieds tellement il y avaitd'ordures par terre.

- Mam, tu pourrais ranger un peu, Dis-je en éloignant unecanette de soda vide avec le bout de mon pied.

Elle attrapa une cigarette qu'elle se colla dans la bouche.Elle l'alluma et en tira une bouffée avant de parler.

- Crois-moi, Will, quand tu auras torché le cul de troisgamins et accompagné un mari atteint d'un cancer du colon jusquedans la tombe, paix à son âme, Dit-elle en embrassant sa main et enlevant celle-ci vers le ciel, Tu auras une toute autre valeur del'hygiène, je te le garantie.

Je souris en coin. Impossible de l'accabler quand ellefaisait référence à notre défunt père.

Elle ne démarrait pas et me fixait en faisant jouer sur levolant ses doigts aux ongles peints en rouge vif. Je regardais seslunettes et me laissais tomber sur le dossier de mon siège.

- Mam, c'est quoi ça ?, Demandais-je en pointant seslunettes du doigt.

Je vis ses mains se crisper sur son volant.

- Qu'est ce que t'as encore fait ?, Insistais-je en riant.Elle fit un petit mouvement avec sa lèvre supérieure :

quand elle faisait ça, c'était qu'elle avait fait une grosse bêtise.- Bah... j'ai testé un truc.- Montre.- Tu me jures de pas te moquer ?- Montre.- Jure.- Mam, montre-moi.Elle soupira et retira ses lunettes. Je sursautais en

apercevant ses traits tirés et explosais de rires. Les larmes m'enmontèrent aux yeux.

- Oh mais merde, Mam ! Qu'est ce que t'as foutu ?,Demandais-je entre deux éclats de rire.

Elle fit un mouvement d'agacement avec sa cigarette.- Oh, c'est bon, ferme-la !, Me rabroua-t-elle, C'est ma

copine Tamara qui fait que me parler de Botox depuis dessemaines, alors... comme j'avais des rides aux coins des yeux, je mesuis dit que j'allai tester. Le docteur m'avait promis que je n'auraisplus rien...

- D'un être humain ?, Complétais-je avant qu'elle netermine sa phrase.

Elle souffla, exaspérée.- Oh, je t'en prie, un peu de soutien ! Ton frère ne fait

que se foutre de moi depuis une semaine.Un taxi klaxonna un peu agressivement derrière nous.

- Dans trois semaines, on verra plus rien normalement,Dit-elle en se contemplant dans le rétroviseur.

- Tu devrais y aller, Mam, Lui fis-je remarquer en jetantun œil au taxi derrière.

Je m'essuyais les dernières larmes que j'avais aux coinsdes yeux. Elle replaça ses lunettes sur son nez et s'arrêta, les deuxmains posées sur le volant, à dix heure dix.

- Mam ?Le taxi s'agaça une nouvelle fois.- Tu as ce que je t'ai demandé ?, Demanda-t-elle

menaçante.Je levais les yeux au ciel et attrapais le sac qui contenait

ses macarons. Elle m'arracha le sac des mains et l'ouvrit. Je ladévisageais : elle comptait !

- Y a pas muguet ?- C'est pas la saison !, Me défendis-je, Je t'ai pris fruits

rouges à la place.Elle fit la grimace. Le klaxonne résonna encore.- Mam, tu devrais bouger.Le chauffeur de taxi derrière nous se mit à inonder ma

mère d'insultes en accompagnant ses mots de coups de klaxonnefrénétiques. Ma mère ouvrit sa portière et descendit vivement. Jeme posais la main sur le front : elle était irrécupérable.

Elle se mit à hurler sur le chauffeur de taxi, l'arrosantcopieusement d'insultes relatives à une partie assez obscure situéeà l'arrière du corps humain. Il ne se démonta pas et ne se priva pas

de lui faire remarquer que son léger embonpoint et ses cheveux decouleurs voyantes ne la mettaient pas tellement en valeur. Le touttermina dans des gestes explicites et ma mère qui conseillait auchauffeur de taxi de se mettre en rapport avec des personnes auxpréférences sexuelles semblables à celles de mon steward.

Elle remonta dans sa voiture en faisant claquer la portièreet démarra en trombe pour se diriger vers Santa Monica.

J'attrapais la poignée située au dessus de la porte.- Mam, tu conduis trop vite, Lui reprochais-je.Elle souffla, agacée, mais ralentit un peu la cadence.Nous roulâmes un long moment en silence.- Ta sœur va bien ?, Me demanda-t-elle enfin.Je hochais la tête.- Oui, très bien. Elle aimerait que tu viennes la voir, La

taquinais-je.Elle me fit signe d'arrêter.- Faudrait que je me bourre de pilules, Elle secoua la tête,

Je crois que j'arriverai plus jamais à reprendre l'avion.- Pourtant, avec Dada, t'y arrivais.- Oui, mais justement, sans lui... je peux plus le faire.Depuis le décès de mon père, dix ans plus tôt, elle n'avait

jamais réussi à remonter dans un avion.- Jérémy et elle viendront pour Noël, Lui annonçais-je.Elle parut soulagée.- Parfait !Bien qu'elle refusait de l'admettre, l'absence de sa fille lui

coûtait, et même si elle la savait très heureuse avec son mari à Paris,et qu'internet permettait de réduire la distance, ce n'était pas pareilqu'avant.

- On invitera tante Livia et les cousins Turner, Réfléchit-elle à voix haute, On pourrait demander à ton frère de nous faire unde ses fameux poissons en croûte de sel là. Moi, je trouve ça tropsalé mais je sais que les gens trouvent toujours ça merveilleux... Parcontre, il faudra qu'on voit comment s'organiser, parce que si oncompte Tamara et ses filles, on va se retrouver pas loin de trentepersonnes... chez moi ce sera trop juste.

Je secouais la tête en riant.- Laisse-moi deviner : tu aimerais qu'on fasse ça chez

moi, c'est ça ?J'avais à peine posé la question, connaissant déjà la

réponse. Elle éclata de rire.- Tu es un bon fils, Dit-elle en me tapotant la cuisse.Je me concentrais sur la route.- Will, faut que tu parles à ton frère, Me dit-elle soudain.Je me tournais vers elle, perplexe.- Quoi ?- Oui, il me cache quelque chose.Je fronçais les sourcils.- Tu es sûre ? Je l'ai eu au téléphone avant-hier et il ne me

semblait pas cacher quoi que ce soit.Elle laissa échapper un long soupir d'agacement.- Tu es nul pour sentir ces choses-là. Mais moi, j'ai le

truc, et je te le dis : il nous cache quelque chose.Je réfléchissais.Mon frère, Charles, était l'aîné de la famille, un garçon

plutôt calme et rangé. Il adorait la cuisine et s'était lancé corps etâme dans cette activité. Ce n'était pas le genre à s'adonner aux excèset quoi qu'il arrive, cela ne devait rien avoir de bien grave.

- C'est à propos du boulot ?, Demandais-je intrigué.Mam sourit.- Non, je pense plutôt que c'est personnel.Je réfléchis encore un peu.- Tu parles de July ? C'est sa petite-amie depuis neuf

ans. S'il la demande pas en mariage avant la fin de l'année, elle auracarrément le droit de lui intenter un procès !, Dis-je en riant.

Elle émit un drôle de petit sifflement.- Je sais pas... tu sais que je la sens pas cette July.- Oh allez Mam, ça fait neuf ans que tu la sens pas et

pourtant, tu peux bien reconnaître une chose : Charles est trèsheureux.

Elle ne dit rien, agacée. Elle savait que j'avais raison.- Ouais, enfin, je veux que tu lui parles. Promets-moi que

tu lui parleras.- Mam...- Promets.Je soupirais.- OK,OK. Je verrai pour lui parler, mais tu te montes

trop la tête.

Elle sourit.- Je veux pas qu'on me prenne mes petits oiseaux !Je levais les yeux au ciel.Si effectivement Charles demandait à July de l'épouser, je

resterais le seul célibataire de la maison, et nul doute que ma mèreallait reporter tout son attention sur moi... J'en frémissais d'avance.

- Et toi, alors ? Toujours pas décidé à te caser ?, Medemanda-t-elle enfin.

Je savais qu'on en arriverait là.- Non, pas vraiment , Répondis-je évasif.Elle me jeta un regard sévère par dessus ses lunettes.- Tu veux profiter de la vie, hein ?Il y avait un peu de reproches dans sa voix. Je haussais

les épaules.- Non, même pas. Si ça doit venir, et bien, ça viendra,

mais si je dois rester comme ça, et bien je resterai célibataire !Elle secoua la tête.- Tu parles comme ton père...Sa remarque me fit sourire.- Et comment va Tamara ?, Demandais-je pour changer de

sujet.Mam sauta sur l'occasion pour me déballer toutes les

histoires de sa meilleure amie dont je n'avais pas tellement envied'entendre parler, mais cela me permettaient d'échapper auxreproches et aux leçons sur la vie, le temps qui passe, et autresblablabla...

Elle s'arrêta enfin devant chez moi.- Tu vas bosser ?, Demandais-je en défaisant ma ceinture

de sécurité.Elle hocha rapidement la tête.- Oui. J'aurais bien pris le temps de déjeuner avec toi,

mais je dois retourner à Inglewood. J'ai une employée malade,alors...

- Pas de problème, Dis-je en descendant de la voiture.Je récupérais ma valise à l'arrière du véhicule et me

dirigeais vers le trottoir.- Appelle-moi dés que tu sais quelque chose pour ton

frère, hein !, M'interpella-t-elle.- Ouais, ouais, j'y manquerai pas, Répondis-je sans même

me retourner.J'entendis la voiture démarrer en trombe.Je rentrais dans mon « petit » chez moi : une luxueuse

maison à cinq millions de dollars dans un joli coin de Santa Monica,pas trop loin de l'océan. Mon seul excès depuis que j'avais touchéle pactole avec la série. Ah, les voitures aussi : j'avais deux Porsche.

Je montais à l'étage pour atteindre ma chambre. Jedéposais la valise par terre et me laissais tomber sur mon lit. Lecafé que j'avais ingurgité dans l'avion m'avait empêché de dormir etj'étais exténué. J'aurais peut être dû écouté les conseils de ma petitefrenchie et passer au jus d'orange... Je souris en repensant à elle.

Je me relevais et attrapais mon réveil sur ma table dechevet. J'avais rendez-vous à 18H, et décidais donc de le régler sur

16H, histoire de prendre une douche et de me faire un peu plusprésentable. Je reposais mon réveil à sa place et me laissais tomberla tête dans l'oreiller.