18
Présentation Je suis très heureux de vous ac- cueillir dans cet amphithéâtre Marie-Curie, campus Gérard-Mégie du CNRS. C’est un très grand privi- lège, et un très grand plaisir aussi pour notre Association, d’accueillir le professeur Jean-Pierre Changeux, qui n’a pas besoin d’être présenté, puisque son nom est associé aux recherches de pointe sur le cerveau. Ce qui est moins bien connu, c’est le foisonnement de ses activités, de ses centres d’intérêt, qui tous se rapportent à cette quête centrale ininterrompue sur notre matière grise, à la fois siège et instrument de la pensée rationnelle, des émo- tions, des passions, du sens du beau, de l’éthique, de la musique et j’en passe ! Jean-Pierre Changeux est né en 1936, il a fait ses études dans plu- sieurs grands lycées célèbres pari- siens, Montaigne, Louis-le-Grand, Saint-Louis, puis l’Ecole normale supérieure rue d’Ulm, agrégé de Sciences naturelles es-sciences. Il est agrégé préparateur en zoolo- gie à l’ENS en 1958, maître-assis- tant à la faculté des sciences de Paris en 1960 ; puis il part aux Etats-Unis, stagiaire postdoctorant à l’Université de Californie Berkeley en 1966, puis à l’université de Co- lumbia à New York en 1967, donc très tôt dans sa carrière il fait des séjours aux Etats-Unis. Puis à partir de 1974, professeur à l’Institut Pasteur et au Collège de France à partir de 1975. De 1983 à 1987 il préside le conseil scientifique de l’Inserm, il est membre de l’Académie des sciences depuis 1988 et de nom- breuses autres académies des sciences à l’étranger, dont l’Aca- démie nationale des sciences de Washington aux Etats-Unis, l’Aca- démie léopoldine des sciences à Halle en Allemagne, l’Académie royale des sciences de Suède, et j’en passe… En 1992, il reçoit la médaille d’or du CNRS et il est titulaire de très nombreuses autres distinctions scientifiques à l’étranger, qui recon- naissent la qualité, l’originalité, le retentissement de ses travaux. L’éclectisme de ses travaux a donné lieu à de nombreuses publi- cations, dont je vous rappelle quelques-unes (la liste est trop longue pour toutes les énumé- rer !) : L’homme neuronal (Fayard, 1980), Matière à pensée (avec J. Connes, O. Jacob, 2000), Fonde- ment naturel de l’éthique (O. Jacob, 1993), Raison et plaisir (O. Jacob, 1994) - des titres significatifs… ! Une même éthique pour tous (O. Jacob, 1997), Ce qui nous fait pen- ser - La nature et la règle (dialogue philosophique avec Paul Ricœur, (O. Jacob, 1998), L’homme de vérité (O. Jacob, 2002), Gènes et culture (O. Jacob, 2003), et puis ses autres centres d’intérêts sur l’art et l’éthique ; La lumière au Siècle des lumières et aujourd’hui (O. Jacob, 2005), Les passions de l’âme (O. Jacob, 2006), Du vrai, du beau, du bien (O. Jacob, 2008). Vous voyez donc le champ couvert… A côté de cette activité de chercheur, il s’investit dans des responsabilités au plus haut niveau dans la vie de la Cité. Il préside de 1992 à 1998 et est Président d’honneur depuis 1999 du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé. Il préside depuis 1989 la Com- mission interministérielle d’agré- ment pour la conservation du patri- moine artistique national. Il sou- tient très activement le musée du Louvre et ses collections. Ses dernières responsabilités rejoi- gnent son violon d’Ingres, si je puis me permettre cette expression : sa passion pour la peinture ancienne, sa prédilection pour l’orgue. Jean-Pierre Changeux, vous avez choisi pour vos propos ce soir, un titre qui nous fait rêver : « De la molécule à la conscience par le chemin des éco- liers ». Nous nous réjouissons de vous écou- ter, merci d’être parmi nous. E.A. Lisle Rayonnement du CNRS n° 51 juin 2009 7 Conférence présentée le 15 avril 2008, dans le cadre des conférences scientifiques de l’Association des anciens et amis du CNRS. Texte préparé par J. Chauvet-Pujol et V. Scardigli, revu par l’auteur. De la molécule à la conscience, par le chemin des écoliers par Jean-Pierre Changeux 1

Changeux

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Changeux

Présentation

Je suis très heureux de vous ac -cueillir dans cet amphithéâtreMarie-Curie, campus Gérard-Mégiedu CNRS. C’est un très grand privi-lège, et un très grand plaisir aussipour notre Asso ciation, d’accueillirle professeur Jean-Pierre Changeux,qui n’a pas be soin d’être présenté,puisque son nom est associé auxrecher ches de pointe sur le cerveau.Ce qui est moins bien connu, c’estle foisonnement de ses activités, deses centres d’intérêt, qui tous serapportent à cette quête centraleininterrompue sur notre matièregrise, à la fois siège et instrumentde la pensée rationnelle, des émo -tions, des passions, du sens dubeau, de l’éthique, de la mu siqueet j’en passe !

Jean-Pierre Changeux est né en1936, il a fait ses études dans plu-sieurs grands lycées célèbres pari-siens, Montaigne, Louis-le-Grand,Saint-Louis, puis l’Ecole normalesu périeure rue d’Ulm, agrégé deScien ces naturelles es-sciences.

Il est agrégé préparateur en zoolo-gie à l’ENS en 1958, maître-assis-tant à la faculté des sciences deParis en 1960 ; puis il part auxEtats-Unis, stagiaire postdoctorant àl’Université de Californie Berkeleyen 1966, puis à l’université de Co -lumbia à New York en 1967, donctrès tôt dans sa carrière il fait desséjours aux Etats-Unis. Puis à partir

de 1974, professeur à l’InstitutPasteur et au Collège de France àpartir de 1975.

De 1983 à 1987 il préside leconseil scientifique de l’Inserm, ilest membre de l’Académie dessciences depuis 1988 et de nom-breuses autres académies dessciences à l’étranger, dont l’Aca -démie nationale des sciences deWashington aux Etats-Unis, l’Aca -démie léopoldine des sciences àHalle en Alle magne, l’Académieroyale des sci ences de Suède, etj’en passe…

En 1992, il reçoit la médaille d’ordu CNRS et il est titulaire de trèsnombreuses autres distinctionsscientifiques à l’étranger, qui re con -naissent la qualité, l’originalité, leretentissement de ses travaux.

L’éclectisme de ses travaux adonné lieu à de nombreuses publi-cations, dont je vous rappellequelques-unes (la liste est troplongue pour toutes les énumé-rer !) : L’homme neuronal (Fayard,1980), Matière à pensée (avec J.Connes, O. Jacob, 2000), Fonde -ment naturel de l’éthique (O. Jacob,1993), Raison et plaisir (O. Jacob,1994) - des titres significatifs… !Une même éthique pour tous (O.Jacob, 1997), Ce qui nous fait pen-ser - La nature et la règle (dialoguephilosophique avec Paul Ricœur,(O. Jacob, 1998), L’homme devérité (O. Jacob, 2002), Gènes et

culture (O. Jacob, 2003), et puisses autres centres d’intérêts surl’art et l’éthique ; La lumière auSiècle des lumières et aujourd’hui(O. Jacob, 2005), Les passions del’âme (O. Jacob, 2006), Du vrai, dubeau, du bien (O. Jacob, 2008).

Vous voyez donc le champ couvert…A côté de cette activité de chercheur,il s’investit dans des responsabilitésau plus haut niveau dans la vie de laCité. Il préside de 1992 à 1998 et estPrésident d’honneur depuis 1999 duComité consultatif national d’éthiquepour les sciences de la vie et de lasanté.

Il préside depuis 1989 la Com -mission interministérielle d’agré-ment pour la conservation du patri-moine artistique national. Il sou-tient très activement le musée duLouvre et ses collections.

Ses dernières responsabilités re joi -gnent son violon d’Ingres, si je puisme permettre cette ex pression : sapassion pour la peinture ancienne,sa prédilection pour l’orgue.

Jean-Pierre Changeux, vous avezchoisi pour vos propos ce soir, un titrequi nous fait rêver:«De la mo lécule àla conscience par le chemin des éco-liers».

Nous nous réjouissons de vous écou-ter, merci d’être parmi nous.

E.A. Lisle

Rayonnement du CNRS n° 51 juin 2009 7

Conférence présentée le 15 avril 2008,dans le cadre des conférences scientifiques de l’Association des anciens et amis du CNRS.

Texte préparé par J. Chauvet-Pujol et V. Scardigli, revu par l’auteur.

De la molécule à la conscience,par le chemin des écoliers

par Jean-Pierre Changeux1

Page 2: Changeux

J.-P. Changeux

Je souhaite évoquer devant vousle parcours qui, par le chemin desécoliers, m’a conduit de la biolo-gie moléculaire à des travaux à lafois théoriques et expérimentauxsur la conscience.

Pourquoi «par le chemin des éco-liers » ? Parce que ce parcourss’est fait comme une promenadeen cueillant des fleurs, à droite età gauche, donc en se faisant plai-sir ; tout en faisant progressernotre connaissance dans les do -maines que j’ai explorés successi-vement : la biologie moléculairefon damentale et les interactionsallostériques ; la communicationen tre cellules nerveuses par un neu-romédiateur, l’acé tylcholine, et l’iso-lement de son ré ce pteur ; la théo-rie de l’empreinte de l’environne-ment dans la con nectivité de notrecerveau ; et en fin l’accès à la con -science.

Quelques souvenirs personnelspour commencer…

Je m’intéresse depuis mon enfan-ce aux sciences de la nature. Lors -que j’étais adolescent, je collec-tionnais des insectes, des mou -ches ou diptères. C’était une vo -cation précoce. Dès la fin de mesétudes secondaires et la prépara-tion à l’Ecole normale supérieure,je visitais des laboratoires mariti -mes. Ce fut d’abord Arca chon, oùje prenais contact pour la premièrefois avec un poisson électrique, laTorpille marbrée, qui a joué un rôletrès important dans ma vie de cher-cheur. Puis, les an nées qui ont suivi,je faisais un stage de biologie mari-ne chaque été à Banyuls-sur-mer.Sous la di rec tion de Claude Dela -

mare-Deboutteville, j’y réalisais letravail de recherche pour mondiplôme d’études supérieures surun crustacé parasite du concom -bre de mer ou Holothurie, qui s’estavéré être une nouvelle espèce.J’ai effectué ensuite, en oc to bre1958, un stage à Bruxel les, dansle laboratoire de Jean Brachet, quialliait biochimie et embryologie.J’y rencontrais Chris tian de Duveet m’informais sur sa découvertedes lysosomes. J’en tirais une théoriesur le rôle joué par les enzymescontenus dans les lysosomes quilors de la fécondation seraientactivés par la pénétration du sper -matozoïde.

Rentré à Paris, je m’efforçais demettre ma théorie à l’épreuve del’expérience, hélas sans succès. J’eusalors le privilège de rencontrerJacques Monod, qui me proposaisde venir dans son laboratoire tra-vailler sur les bactéries. J’ai hésité :c’est l’embryologie qui me pas-sionnait!Finalement, j’acceptais:cefut la chance de ma vie…

Biologie moléculaire chezles bactéries.

La régulation du vivant :l’allostérie et le modèle concerté

La régulation de la cellule vivanteétait un des sujets majeurs quipréoccupaient Jacques Monod etFrançois Jacob, au début des an -nées 1960. La cellule vivante estune machine chimique, dont lesprincipaux acteurs sont des en -zymes. Ceux-ci sont soumis à unpremier type de régulation : cellede leur biosynthèse qui a lieu auniveau génétique et pour laquelleJacques Monod et Fran çois Jacobont reçu le prix Nobel. Jacob et

Monod avaient choisi au départune cellule d’une extrême simpli-cité : le colibacille. D’une part, sasexualité venait d’être découver-te, ce qui permettait d’analyser lamanière dont les gènes « s’expri-ment» par les mé tho des de la gé -nétique. D’autre part, on pouvaitdisposer de milliards de bactériestoutes identiques entre elles, doncamplifier le phénomène étudié,et accéder de ce fait à la biochimiede la cellule. Enfin, ce qui est ob -servé sur cet être monocellulairedevait rester valable pour les êtresvivants plus complexes. «Ce quiest vrai pour le colibacille l’estégalement pour l’éléphant», disaitJacques Monod.

La cellule vivante est aussi l’objetd’un autre type de régulation quiporte sur l’activité, et non plus la syn-thèse, de certains enzymes, surlaquelle je décidais d’effectuer montravail de thèse. Un chercheur amé-ricain, Edwin Umbar ger, avait éluci-dé chez le colibacille la chaine debiosynthèse d’un acide aminé, la l-isoleucine. Il avait démontré, de plus,que le produit final de la chaîne, l’iso-leucine elle-même, avait le pouvoirde bloquer la première étape enzy-matique de sa production : la thréo-nine-désaminase. De plus, elle n’in-hibait pas l’étape suivante (Fig.1).

L’isoleucine servait donc de signalrégulateur spécifique au niveau dupremier enzyme, mais comment ?Le modèle dominant, à l’époque,était que la protéine possédait unseul site, à la fois pour le substrat etpour le signal régulateur et que l’unexcluait l’autre par empêchementstérique. Etait-ce vrai ?

J’entreprenais de réfléchir à lastructure de la molécule d’enzy-

DE LA MOLÉCULE À LA CONSCIENCE

8 Rayonnement du CNRS n° 51 juin 2009

Page 3: Changeux

me. Il s’agissait d’une protéine etla disposition de ses atomes dansl’espace devait expliquer le méca-nisme de cette régulation. Si sespropriétés régulatrices étaient lefait d’une struc ture spécifique dela molécule d’enzyme, une ma -nière, de le démontrer consistaità vérifier que l’activité de régula-tion pouvait être découplée del’ac tivité enzymatique elle-même.J’y parvenais de diverses manièresd’abord en chauffant un extraitbrut de l’enzyme. Au début de l’ex -périence, l’enzyme est inhibé par

l’isoleucine ; puis, progressivement,cette inhibition disparaît alors quel’enzyme reste actif (Fig. 2).

Le même effet était obtenu parJohn Gerhart et Arthur Pardee,aux Etats-Unis, avec un autre en -zyme, l’aspartate-transcarbamy-lase ou ATCase. Comment expli-quer ces résultats ? Dans la com-munication que je présentais aucolloque de Cold Spring Harbourde 1961, je formulais une hypo-thèse qui allait à l’encontre du para-digme de l’inhibition par empêche-ment stérique pour un site com-mun. La molécule devait compor-ter deux sites distincts, l’un spéci-fique pour le substrat et l’autrepour le signal régulateur. Ces deuxsites étaient localisés à deux en -droits différents de la molécule ;mais ils interagissaient entre eux,

via un changement de la structu-re de la molécule dans l’espace.Pour désigner ce type nouveaud’interaction, le terme d’effet al -lostérique fut proposé par Monodet Jacob dans les conclusions ducolloque pour qualifier le méca-nisme que j’avais proposé.

Je poursuivais mes recherches eten octobre 1963, je présentais àJacques Monod l’ensemble destravaux que j’avais réalisés sur lathréonine-désaminase2. Certaines deces expériences, montraient d’a -bord que l’enzyme présente descourbes de saturation en S tantpour le substrat que pour l’effec-teur allostérique. Ces courbes coo -pératives ressemblaient à cellesobservées de longue date pour lafixation de l’oxygène sur l’hémo-globine. De plus, fait remarquable,

DE LA MOLÉCULE À LA CONSCIENCE

Rayonnement du CNRS n° 51 juin 2009 9

Fig 1 : La chaîne de biosynthèsed’un acide aminé : Inhibition par leproduit final

Fig 2 : «Découplage» de l’interaction régulatrice par chauffage

Page 4: Changeux

il était possible de faire changer ex -périmentalement la forme de lacourbe, d’une forme coopérative:en S, à une forme non coopérati-ve:hyperbolique. Une relation ap -paraissait entre effet allostérique eteffet coopératif, qui fut par la suitedéveloppée avec Jeffrie Wyman etJacques Monod (1965) en s’inspi-rant des travaux de Max Perutz surla molécule d’hémoglobine. L’expli -cation proposée est que ces pro-priétés sont dues:

1. au fait que ces protéines sontcomposées de sous-unités (4pour l’hémoglobine) or ganiséesen une sorte de microcristal sy -métrique, ou oligomère,2.que l’oligomère symétriquepeut exister sous au moins deuxétats, soit relâché (R), soit con -traint ou «tendu» (T).

Ceux-ci différent également pourl’affinité du substrat ou du signalrégulateur, de sorte qu’un effetde balancier peut se manifesterentre les deux états en présencedu substrat ou de l’effecteur al -lostérique.

Quand un signal chimique arriveau contact de la protéine, il meten mouvement le balancier dansla direction de l’état pour lequel ilmanifeste l’affinité la plus élevée.Ainsi la transduction du signal seproduit. Mais le mécanisme sug-géré explique également les effetscoopératif. Partant d’un état debase T, l’accroissement de la con -centration d’effecteur entraineune occupation progressive dessites de liaison pour le substrat, labalance penche en faveur de R. Ils’ensuit une courbe de liaison

coopérative, en S. Le mécanismemoléculaire proposé de transitionconcertée de la protéine entredeux états symétriques permetde prédire à la fois la transductiondu signal et les effets coopératifs.On peut comparer cette méca-nique à celle d’une serrure, quiexisterait soit sous un état ouvertsoit sous un état fermé. Commeune clef, le ligand stabilise un état(ouvert ou fermé) de la serrurequi préexiste à l’usage de la clef.La clef sélectionne l’état de la ser-rure dans lequel elle entre le plusfacilement. Il y a sélection et nonpas induction de l’état conforma-tionnel par le ligand. Une sorte demicro-mécanisme darwinien sepro duit à l’échelle moléculaire.Ainsi est né et s’est développé lemodèle concerté Monod-Wyman-Chan geux (MWC) de 1965 (Fig. 3).

10 Rayonnement du CNRS n° 51 juin 2009

Fig 3 : Le mécanisme de l’inhibition : Chevauchement (« overlapping ») ou interaction allostérique (« no-overlap-ping » : sites distincts, reliés par un changement conformationnel). I : inhibiteur régulateur - A : analogue stériquedu substrat.Sources : Changeux, Cold Spring Harbour Symposium, 1961 ; Changeux, thèse d’Etat 1964.

DE LA MOLÉCULE À LA CONSCIENCE

Page 5: Changeux

Après avoir passé ma thèse, jesouhaitais faire un stage postdoc-toral qui me permette de mettreà l’épreuve le modèle. Je suis partiaux Etats-Unis, à Berkeley, chez lebiophysicien Howard Schachman.Son laboratoire travaillait sur unenzyme régulateur bactérien quej’ai déjà mentionné, l’aspartatetran scarbamylase, qui était dispo-nible en grande quantité sous for -me purifiée. Cela m’a permis detester si oui ou non l’enzyme sui-vait le modèle concerté. Le testétait de comparer, de manièreindé pendante, changement con -for mationnel et occupation duligand. Si l’enzyme suivait le modèlede l’induced-fit, les deux courbesdevaient se superposer ; s’il suivaitle modèle MWC, les deux fonctionsdevaient être distinctes.

Le changement de conformationest mesuré par la réactivité chi-mique (R) de la protéine, la liai-son (Y) par la méthode de l’équi-libre de dialyse. On constate quela courbe R ne se superpose pas àla courbe de liaison du substrat Y.Cela exclut le caractère « induit »du changement de conformationpar le ligand et apporte un argu-ment important en faveur dumodèle de transition concertéeentre états pré-existants.

Une validation structurale de lathéorie a été obtenue de manièrespectaculaire en 1994, avec lesdonnées de cristallographie parrayons X obtenues avec la lacta-te-déshydrogénase de Bifidobac -terium (un bacille que l’on trouvedans les yaourts « bios »). La cris-tallographie apporte la démon-tration que :

1.site catalytique et site régula-

teur sont topographiquementdis tincts;2. la molécule d’enzyme est unoligomère sy mé trique ;

3.dans le même cristal coexis-tent l’état actif et l’état inactifet ces deux états sont parfaite-ment symétriques. Ces donnéessont donc en accord tant avecla définition des interactions al -lostériques évoquées dans mathèse, qu’avec le «modèle concer-té» MWC» que nous avions pro-posé trente ans auparavant.

Ces études cristallographiquesdémontrent d’autre part que lesite actif comme le site régulateurse trouvent aux interfaces entresous-unités de la molécule, doncà des points critiques de la molé-cule protéique. On note égalementun phénomène remarquable. Lorsdu changement d’état conforma-tionnel, les sous-unités vont légè-rement se réo rienter l’une par rap-port à l’autre, comme deux rouagesd’un automate; l’angle de rotationde la molécule autour d’un axe estd’environ quatre de grés, et de l’or -dre de six degrés au tour d’unautre axe. Le changement de for -

me porte donc, com me le propo-sait le modèle concerté de Monod-Wyman-Changeux, sur ce qui estappelé la structure quaternaire de lamolécule oligomérique.

Les synapses : le récepteurde l’acétylcholine

Dans la conclusion de ma thèse,en 1964, j’avançais que ce quiavait été acquis avec les bactériespouvait nous aider à comprendrece qui se passait dans notre systè-me nerveux central. Des méca-nismes allostériques étaient peut-être à l’œuvre dans les espècesanimales supérieures et, pourquoipas, pourraient un jour ex pliquerla transmission des signaux chi-miques au niveau de la synapse.J’écrivais:«C’est certainement s’en -gager dans des spéculations pourl’instant difficiles à éprouver parl’expérience que d’essayer de re -connaître dans les phénomènesmembranaires qui donnent lieu àla fois à la reconnaissance de signauxmétaboliques stéréospécifiques et àleur transmission (la transmissionsy naptique par exem ple) des mé ca -nismes analogues à ceux décrits àpropos des protéines allostériques».

Rayonnement du CNRS n° 51 juin 2009 11

Fig 4 : Dissection et enregistrements de l’électroplaque

DE LA MOLÉCULE À LA CONSCIENCE

Page 6: Changeux

En février 1967, ayant réalisé mesprojets sur l’aspartate transcarba-mylase, je décidais de quitter lelaboratoire de Howard Schach -man, pour aborder la chimie desrécepteurs de neurotransmetteursdans notre système nerveux. DavidNach mansohn m’avait invité àvenir chez lui travailler sur l’anguilleélectrique (Fig. 4). Je passais septmois passionnants dans son labo-ratoire, à l’Univer sité ColumbiaCollege of Physi cians and Sur geonsà New-York. La transition de labiochimie à l’électrophysiologie futbrutale. La décharge élec trique dugymnote est produite par un or -gane électrique com posé de mil-lions de cellules géantes, ou élec-troplaques. Il ne s’agissait plus d’étu-dier une réponse enzymatique, maisde mesurer une réponse électriqueà un agent chimique (l’acétylcholi-ne, la nicotine ou le curare…). Enmême temps, l’enjeu était de dé -couvrir ce qui en était le récepteur.On savait que le neuro-médiateurétait l’acétylcholine, mais sa cible

était considérée comme insaisis-sable. Le mystère était grand !

J’apprenais donc, avec un collabo-rateur de David Nachman sohn,Thomas Podleski, à disséquer l’élec-troplaque de mes propres mains età enregistrer sa réponse électrique.Mon premier travail consista à étu-dier l’effet d’une molécule qui res-semblait à la nicotine, mais qui sefixait irréversiblement sur le récep-teur par un groupe réactif : un mar-queur d’affinité. Je l’essayais surl’électroplaque, et je montrais que,effectivement, l’on avait affaire à unbloquant irréversible de la réponse.

Je rentrais en France en Octobre1967 avec dans mes bagages lepoisson électrique. L’Electrophoruselectricus fit une entrée remar-quée à l’Institut Pasteur, où l’ontravaillait principalement (encoreaujourd’hui) sur les bactéries etles virus ! Chacun venait voir dansnotre aquarium ce curieux pois-son dont chaque matin on décou-

pait une tranche avec laquelle ondisséquait les électroplaques iso-lées. L’électro plaque apportait lesdonnées pharmacologique in vivo.L’organe électrique offrait un systè-me particulièrement adéquat pouraborder la chimie de la synapse.Analogue à une culture de bacté-ries, il est extrêmement riche ensynapses (environ un milliard de sy -napses par kilogramme d’organeélectrique) et ces synapses choliner-giques sont toutes identiques entreelles. L’organe électrique constituaitdonc un système très approprié pournous et je décidais, avec Mau riceIsraël, de fractionner l’organeélectrique. Je constatais que lesfragments de membrane isolés serefermaient sur eux-mêmes, for-maient des vésicules closes. Il m’estalors venu l’idée que l’on pouvaitdésormais se passer de l’électro-physiologie et mesurer la réponseau neurotransmetteur en suivantle flux d’ions radioactifs à traversces membranes. Eh bien, cela afonctionné ! La carbamylcholine (qui

12 Rayonnement du CNRS n° 51 juin 2009

Fig 5 : La réponse in vitro à un agent chimique. Les fragments de membranes d’électroplaque forment des vési-cules closes (gauche). Les microsacs répondent à l’ACh in vitro par augmentation de flux ionique (droite).

DE LA MOLÉCULE À LA CONSCIENCE

Page 7: Changeux

est un analogue de l’acétylcholine)augmente le flux ionique in vitro enl’absence de source d’énergie autreque le changement de concentra-tion de ligand (Fig. 5). Le phénomè-ne que je venais de découvrir res-semblait à la régulation que l’onpouvait obtenir in vitro avec un enzy-me régulateur bactérien. On étaitsans doute en présence d’un méca-nisme allostérique...

Restait à isoler la protéine réceptriceengagée dans cette réponse !

Pour l’identifier, j’eus recours à unligand extrêmement spécifique durécepteur. Un éminent biologistede Formose, Chen Yuan Lee, venaitd’isoler la bungarotoxine dans levenin d’un serpent, le bungare;cette toxine bloquait la jonctionnerf-muscle squelettique avec unetrès haute affinité et de manière

quasi irréversible, entraînant la pa -ra lysie et la mort.

La démonstration s’est faite en troisétapes : 1.la toxine bloque l’effet del’acétylcholine sur l’électroplaque invivo;2. elle inhibe la réponse desmi crosacs in vitro ;3. elle déplacela liaison d’un ligand choliner-gique radioactif, le décamétho-nium, sur une protéine solubilisée àpartir des fragments de mem-branes. Cette protéine particulièrese caractérise par le fait qu’elle liel’acétylcholine et la bungarotoxinede ma nière exclusive. Elle est dis-tincte de l’enzyme qui dégrade l’acé-tylcholine:l’acétylcholinestérase.

Jacques Monod est mis au courant.Il trouve le résultat passionnant ettransmet notre article à l’Académiedes sciences américaine. A la paru-tion de l’article, David Nachman -

sohn m’écrit : «Je suis très excité parvotre grand succès avec le récep-teur, en utilisant l’alphabungaro-toxine. Je viens de lire votre publi-cation dans le PNAS (Proceedings ofNational Academy of Sciences), c’estvraiment magnifique, mes félicita-tions les plus chaleureuses ! Cettefois, vos expériences me semblenttout à fait concluantes, vous avezréussi à isoler la protéine du récep-teur. C’est une très grande joie pourmoi aussi, je suis très fier de vous,plus que jamais si c’est possible. Carles autres marqueurs d’affinitén’étaient pas aussi spécifiques, votresuccès ouvre un nouveau chapitrede la neurobiologie moléculaire».

Après 35 ans ce nouveau chapitreest encore loin de se refermer.

Une autre étape symboliquementimportante fut l’observation, en mi -

Rayonnement du CNRS n° 51 juin 2009 13

DE LA MOLÉCULE À LA CONSCIENCE

Fig 6 Le récepteur nicoti-nique : une protéineallostérique.

Page 8: Changeux

croscopie électronique, de la stru-cture de la protéine réceptricepurifiée à partir de l’organe élec-trique d’Electrophorus. Elle apparais-sait comme une rosette d’environ90 angströms de diamètre avecune dépression centrale (Fig. 6)…

La protéine membranaire est ef -fectivement un oligomère, maiscomposé de 5 sous-unités allongéesformant une sorte de faisceau trans-membranaire. Le domaine synap-tique porte les sites récepteurs del’acétylcholine, à la frontière entresous-unités. Le domaine membra-naire contient le canal ionique qui

s’ouvre lorsque l’acétylcholine sefixe sur les sites récepteurs. La dis-tance entre le canal ionique et lessites récepteurs est de l’ordre de30 à 50 angströms. Or, c’est éga-lement la distance que l’on trou-ve entre hèmes fixant l’oxygènedans le cas de la molécule d’hé-moglobine. On a donc bien affaireà une authentique protéine allosté-rique membranaire, avec des sitestopographiquement distincts pourl’acétylcholine et pour le canalionique.

Le changement conformationnelqui assure le couplage entre site et

canal a pu être approché de deuxmanières complémentaires :

• par dynamique moléculaireavec Antoine Taly3

• par cristallographie d’unhomologue bactérien avecPierre-Jean Corringer…

Les deux modèles suggèrentqu’une torsion quaternaire de lamolécule intervient dans l’ouver-ture et la fermeture du canal(Fig.7).

Ces données rappellent les donnéesstructurales obtenues il y a bien des

14 Rayonnement du CNRS n° 51 juin 2009

Fig 7 : La structure tridimensionnelle de plusieurs récepteurs allostériques

DE LA MOLÉCULE À LA CONSCIENCE

Page 9: Changeux

années avec des protéines allosté-riques globulaires. De manière trèsgénérale, elles sont en accord avecl’idée d’un mécanisme allostériquedans la transduction du signalmembranaire…comme je le suggé-rais dès 1964! Ce mécanisme pré-sente un caractère de grande géné-ralité. On tient peut-être là une cléd’explication des mécanismes derégulation à l’œuvre depuis la bac-térie jusqu’à notre système nerveuxcentral.

Epigenèse : l’empreintede l’environnement

En parallèle à ce travail sur lesmécanismes élémentaires des ré -cepteurs, je rêvais d’avancer versdes niveaux d’organisation plusélevés du cerveau. Nous sommesà la fin des années 60. J’avais lu, évi-demment, Le hasard et la nécessité.

Mais je restais un peu critique dela vision très innéiste de JacquesMonod du développement de l’or-ganisation cérébrale :vision qui,selon moi, ne laissais pas assez deplace à l’empreinte culturelle. Jepensais, à la lu mière des expériencesde Hubel et Wiesel, que l’environne-ment pouvait introduire sa marquedans le réseau neuronal. Il ne fallaitpas oublier que 50% de la connecti-vité de notre cerveau se développeaprès la naissance (Fig. 8).

A l’occasion d’une rencontre avecEdgar Morin sur Le cerveau et l’évè-nement, je proposais qu’un proces-sus de sélection «darwinien» pou-vait avoir lieu au cours du dévelop-pement du réseau synaptique dansle cerveau du nouveau-né. Le cer-veau pouvait connaître des phasessuccessives emboitées d’exubéran-ce con nexion nelle suivie de sélec-

tions par l’activité. Antoine Danchin,Philippe Courrège et moi-mêmeavons tenté de décrire cette évolu-tion par un modèle mathématique.Une enveloppe génétique définitles voies et des cibles principalesd’axones en croissance. Puis unemise au point se fait dans le réseau,par élimination de connexions.L’activité à la fois spontanée et re -çue du monde extérieur intervientdans cette sélection. Ce mécanismeassocie épigenèse darwinienne etstockage d’information dans le ré -seau neuronal en développement(Fig. 9).

Cette thèse contredisait l’idéelamarckienne selon laquelle pluson stimule, plus on forme desynapses : « La fonction crée l’or-gane» ! Notre thèse était exacte-ment l’inverse :plus on stimule,plus on élimine de synapses pourspécifier le réseau nerveux en déve-loppement. Comme je l’écrivais dansl’Homme neuronal, «appren dre c’estéliminer».

Avec Jean-Pierre Bourgeois et PierreBenoit, nous pouvions montrer,avec la jonction musculaire, qu’à unstade critique du développement,la paralysie peut accroître le nom -bre de con nexions, tandis que la sti-mulation artificielle va, au contraire,accélérer l’élimination des con -nexions surnuméraires.

C’est aussi le cas avec le cortexvisuel. Lorsque l’on bloque l’activitéspontanée du système en dévelop-pement par un inhibiteur du canalsodium, la tétrodotoxine, on stabili-se plus de connexions que lorsquel’activité circule dans le réseau. Cesexpériences s’accordent avec l’idéequ’à des étapes d’exubérance tran-sitoire succèdent des phases d’éli-

Rayonnement du CNRS n° 51 juin 2009 15

Fig 8 : Développement de la connectivité du cerveau de l’enfant

DE LA MOLÉCULE À LA CONSCIENCE

Page 10: Changeux

mination de synapses surnumé-raires par l’activité. Dès lors, on con -çoit comment l’environnement cul-turel et social du nouveau-né laisseson empreinte dans les réseaux deneurones en développement. C’esten particulier ce qui se produit lorsde l’apprentissage des langagesparlé et écrit chez l’enfant (Fig. 10).

La comparaison par imagerie cé -rébrale des cerveaux d’enfants il -lettré et alphabétisé révèle des dif -férences frappantes. Chez l’enfantscolarisé, les voies de la lecture etde l’écriture se forment et s’inter-prètent en termes d’appropriationépigénétique de voies pré-exis-tantes par la lecture et l’écriture.Des «circuits culturels» s’inscriventdans notre cerveau au cours de l’ex-périence épigénétique postnatale.Ces données sont en accord avec laconception «darwinienne» épigé-

nétique de la mise en place de noscircuits de neurones.

La conscience, espace detravail neuronal

Il me reste à débattre avec vous del’accès à la conscience et de l’espa-ce de travail neuronal conscient.Dès 1986, j’abordais dans monenseignement annuel au Collègede France des thèmes générauxqui ne portaient plus directementsur la recherche effectuée dansmon laboratoire, comme le ré -cepteur de l’acétylcholine, la sy -napse ou son développement, etque je n’avais que brièvement exa-minés dans l’Homme neuronal. Lemoment me paraissait venud’aborder plus à fond les basesneurales des fonctions cognitives.J’en faisais part à Jacques Mehlerqui me présentait son jeune élève

Sta nislas Dehaene, avec qui je déci-dais de mener un travail deréflexion théorique qui se poursuitaujourd’hui. L’objectif était d’ex-plorer la littérature récente sur lamise en relation des fonctionssupérieures du cerveau avec sonorganisation neurale. Mon but ulti-me était la compréhension desbases neurales de nos activités con -scientes… de notre pensée ré -flexive?

En premier lieu, il fallait s’entendresur une définition de la conscien-ce! Contrairement aux philosophesou aux théologiens, les neurobio-logistes peuvent s’entendre enadoptant une définition simplifiée.La conscience sera définie commeun «espace subjectif», un «milieuinterne», un «espace de travail glo -bal» (Baars, 1998), où les actionssont remplacées par des simula-

16 Rayonnement du CNRS n° 51 juin 2009

DE LA MOLÉCULE À LA CONSCIENCE

Fig 9 : La stabilisation sélective des synapses

Page 11: Changeux

tions, plans, buts et suivis d’action- par exemple, vous êtes conscientsqu’il y a une rue à côté d’ici, vouspouvez vous représenter ce qui va s’ypasser dans les minutes qui vien-nent :des voitures y passent, vousallez bientôt sortir de cette salle enpassant dans cette rue… Ces simula-tions et plans sont évalués - parexemple, vous pouvez vous deman-der s’il est plus intéressant de quittercette salle tout de suite, ou d’ici unquart d’heure quand j’aurai termi-né… au sein de l’espace conscientd’une manière globale, avec réfé-rence au monde extérieur, au soi etaux mémoires personnelles, auxrègles internalisées et aux conven-tions sociales. La prise de conscien-ce se fait avec temporalité et réver-bération sur le soi de sa propre expé-rience. Il s’agit d’un acte délibéré,sur lequel je peux me juger et êtrejugé. Ce «milieu interne» est unespace global qui intègre les diverstypes de signaux reçus du mondeextérieur et ceux venant de notre

propre monde intérieur, de l’activi-té spontanée de notre cerveau.

Notre idée de base a été de con -struire un modèle théorique quise fonde sur une architectureneuronale minimale mais réalis-te, qui suggère une relation cau-sale entre un comportementspécifique (ou un processusmental subjectif) et une distri-bution de signaux circulantdans cette architecture neuro-nale ; de mettre en correspon-dance un traitement subjectifpar ce réseau et une activiténeurale objective que l’on puissemesurer ; enfin de réaliser uneexpérience qui mette à l’épreu-ve les prédictions du modèle. Ce« bricolage » de modèles neuro-naux est réalisé dans le but dereprésenter processus conscientet non conscient, sachant quenous sommes encore très loind’une description exhaustive dela réalité.

Pour construire ce modèle, unepremière distinction doit êtrefaite entre :• les états de conscience (êtreendormi ou éveillé, anesthésié,dans le coma, subir une crise d’épi-lepsie, éprouver un orgasme…), ces«états de conscience» sont sousle contrôle de réseaux de neu-rones ascendants définis.

•et le contenu de l’expérience sub-jective : l’un des traits caractéris-tiques de l’activité consciente estque l’on peut «rapporter» le conte-nu de cette expérience consciente -vous pourrez dire un ami que vousrencontrerez dans la rue en sortantde cette salle:«J’ai assisté à uneconférence où Changeux nous a parléde la conscience».

Alors, sur quelles bases construireun modèle neuronal de l’accèsd’une représentation à la conscien-ce ? L’hypothèse simple que nousavons proposée repose sur l’ana-

Rayonnement du CNRS n° 51 juin 2009 17

Fig 10 : Appropriation culturelle de circuits en développement

DE LA MOLÉCULE À LA CONSCIENCE

Page 12: Changeux

tomie. Elle se fonde d’abord sur ladistinction entre :un ensemble deprocesseurs «verticaux» au fonc-tionnement automatique et nonconscient, engagés dans des fonc-tions spécifiques (vision, audition,attention, évaluation, etc) ;et unréseau «horizontal» de neuronescorticaux à axones longs quicontribue à l’intégration de cesmultiples activités dans un espacede travail commun. Ces neuronesà axones longs ont été observés ily a plus d’un siècle par Ramon yCajal dans le cortex cérébral desmammifères et de l’homme enparticulier. Ils établissent des liensà grande distance, par exemple,entre la partie frontale et la partieoccipitale de notre cortex cérébral,ou même d’un hémisphère àl’autre en passant par le corps cal-leux (Fig. 11).

Ces neurones composent un ré seauhorizontal cortical qui va assurerune intégration globale de signauxvenant de territoires spécialisés ducortex cérébral et se projetant versd’autres territoires du cortex céré-bral. On observe que ces neurones

à axones longs sont particulière-ment abondants dans le cortex pré-frontal, lequel accroit de surface demanière explosive du singe àl’homme. De même, si l’on compa-re un cerveau de rat à un cerveaud’homme, on observe chez l’hom-me une proportion considérable-ment plus élevée de substanceblanche (les axones longs myélini-sés) par rapport à la substancegrise. Le graphique de droite de lafigure 12 illustre l’évolution relativede la substance blanche, des insec-tivores, qui sont des mammifèresprimitifs, jusqu’au singe et à l’Homosapiens. Cet accroissement de lasubstance blanche, c’est-à-dire dela connectivité à longue distance,marque une véritable divergenceentre l’homme et les autres es -pèces, ce qui conforte l’idée d’unecorrespondance entre la connectivi-té à longue distance et l’«espace detravail conscient».

Le modèle a été exprimé sousforme mathématique dans un tra-vail publié en 1998 par StanislasDehaene, Michel Kerszberg etmoi-même :

S. Dehaene, M. Kerszberg, J.-P.Changeux, A Neuronal Model of aGlobal Workspace in Effortful Co -gnitive Tasks. Proc. Natl. Acad. Sc,USA, 1995, 14529-34 (1998) (Fig.13).

Le modèle distingue deuxespaces computationnels :

• l’espace des processeurs spécia-lisés (visuels, moteurs, d’évalua-tion, mémoire à long terme…),qui sont automatiques, « encap-sulés », non conscients ; • et l’espace de travail global, oùdes neurones à axones longsredistribuent des signaux auxmultiples territoires intervenantdans l’expérience subjective d’êtreconscient, ou de programmer uneaction et de rapporter cette expé-rience consciente.

Comment peut-on le mettre àl’épreuve ce modèle neuro-com-putationnel minimal?

Je citerai d’abord, une expériencede lectures consciente et non con -sciente réalisée par Stanislas De -haene et son groupe (Fig. 14).

18 Rayonnement du CNRS n° 51 juin 2009

DE LA MOLÉCULE À LA CONSCIENCE

Figure 11 : Les neurones à axones longs

Page 13: Changeux

On présente au sujet une série dediapositives où le mot « lion» estséparé par des blancs;et une autresuccession, où le mot «note» estencadré par des masques. Dans lepremier cas, lorsqu’on demande ausujet s’il a vu quelque chose, il ré -pond par l’affirmative. Il peut rap-porter l’expérience subjective d’avoirlu le mot « lion». Dans l’autre cas,il ne rapporte rien : il n’a rien vu,dit-il. Mais si on lui demandeensuite de faire une expériencede choix, «d’amorçage», il devientévident que le mot «note » a ététraité par le cerveau du sujet, maisde manière non consciente. L’ima -gerie cérébrale par résonancemagnétique révèle une mobilisa-tion importante du cortex pré-frontal dans le cas du traitement

conscient, alors qu’elle reste trèsmodeste dans le cas du traite-ment non conscient. Ce résultat estévidemment en faveur du modèlede l’espace de travail conscient.

Dans un autre type d’expérience,on enregistre par électroencépha -lographie l’activité électrique corti-cale lors du traitement conscient etdu traitement non conscient. Onconstate des différences significa-tives entre les deux types de mesu-re, au niveau du cortex frontal,mais pas du cortex temporal.Dans le cas du traitement con -scient, une réponse de tout ourien, une sorte d’« ignition» desondes électriques s’enregistre àce niveau avec un délai de 200 à300 millisecondes, ce qui est long à

l’échelle cérébrale ! Il existe, là enco-re, une relation avec la présence desneurones à axones longs, particuliè-rement abondants dans le cortexpréfrontal (Fig. 15).

Enfin, les résultats de ces expé-riences dites de masquage peuventêtre simulés sur ordinateur à partird’un modèle dérivé du modèle ini-tial de Dehaene, Kerszberg etChangeux. On note un accordremarquable entre les donnéesexpérimentales et les données demodélisation.

Récepteur nicotinique etaccès à la conscience

Je terminerai avec quelques expé-riences qui constituent une pre-

Rayonnement du CNRS n° 51 juin 2009 19

Figure 12 : Evolution de la substance blanche

DE LA MOLÉCULE À LA CONSCIENCE

Page 14: Changeux

mière tentative de mise à l’épreu-ve de notre modèle chez l’ani-mal. Catherine Vidal démontraiten 1989, à l’aide d’enregistrementsélectro-physiologiques sur coupe

de cerveau, l’existence de récep-teurs nicotiniques dans le cortexpréfrontal. Les souris génétique-ment modifiées, chez lesquellesles gènes codant pour le récep-

teur de haute affinité nicotinique(unités alpha 4-/- ou bêta 2-/-)ont été invalidées, survivent fortbien. Toutefois certains compor-tements cognitifs sont altérés : la

20 Rayonnement du CNRS n° 51 juin 2009

DE LA MOLÉCULE À LA CONSCIENCE

Figure 13 : Modèle de l’espace de travail neuronal

Page 15: Changeux

Rayonnement du CNRS n° 51 juin 2009 21

DE LA MOLÉCULE À LA CONSCIENCE

Figure 14 : Lecture consciente etnon consciente

Figure 15 : Expériences de masquage

Page 16: Changeux

souris mutante a perdu le com-portement d’« exploration» com-parée à la souris sauvage. Parcontre, la «navigation», déplace-ment automatique qui ne dépendpas du cortex frontal, est conser-vée. Il y a altération sélective d’uncomportement «co gnitif» chez lasouris. Peut-on étendre à la sourisle modèle de la conscience ? Sion élimine le récepteur nicoti-nique, altère-t-on l’accès à l’espa-ce de travail neuronal ? La ques-tion est posée.

Lorsque l’on fait subir à un adulteou un nouveau-né, durant le som-meil, un choc hypoxique (c’est-à-dire on élimine l’oxygène de l’air eton le remplace par de l’azote… onl’asphyxie momentanément) le sujetse réveille brutalement et se met àrespirer vigoureusement:c’est unesorte de réflexe de survie:le chochypoxique contrôle l’éveil. Dans uneexpérience faite avec Hugo Lager -crantz du Karolinska Institute deStockholm, il a été montré que ceréflexe est atténué chez la sourisinvalidée pour le gène bêta 2 -/- .De même lorsque une souris ges-tante est exposée à la nicotine chro-nique (comme une femme encein-te fumant des cigarettes), le conte-nu en récepteur de haute affinitédécroit chez les souriceaux nou-veaux-nés et ce réflexe est atténué.Nous pensons qu’il s’agit là d’unmodèle de la mort subite du nour-risson, dont l’occurrence est accruechez les femmes enceintes quifument.

Cette difficulté du réveil atteste-elle d’un contrôle de l’accès auchamp de conscience par le récep-teur nicotinique ?

Dans ces dernières expériences,

notre objet de recherche n’est pasle contenu de la conscience :maisl’état de conscience, qui serait sousle contrôle du récepteur nicotinique.

Les récepteurs nicotiniques céré-braux sont la cible de nombreuxagents pharmacologiques, qu’ilssoient orthostériques ou allosté-riques, développés par les socié-tés pharmaceutiques. Ces agentsnicotiniques ont été mis au pointpour lutter contre les troubles dusystème nerveux d’une gravitéextrême, observés dans des pa -thologies comme la maladie d’Al -zheimer, de Parkinson, ou la schi-zophrénie. Il faut espérer que cesrecherches vont conduire à desnouvelles découvertes sur le plande la thérapeutique....

Il reste encore beaucoup à fairepour comprendre notre cerveau !

Pour terminer, je tiens à exprimermes remerciements, d’abord à mespremiers maitres:Jean Bathellier, auLycée Montaigne;Claude Delamare-Deboutteville qui m’a donné accèsau laboratoire Arago de Banyulslorsque j’étais jeune étudiant ;Jacques Monod qui me fit entrer àl’Institut Pasteur ; David Nachman -sohn de l’Université Columbia. En -suite à tous ceux qui ont soutenumes recherches comme Pierre Aigrainet François Morel, à la DGRST, qui afinancé mes premiers travaux ;Jacques Demaille et Claude Paolettien particulier qui m’ont donné leprivilège de diriger une unité duCNRS.

Et puis à tous mes collaborateurset collègues, anciens et actuels,et à des amis qui se sont joints àeux au mois de septembre l’an-née dernière.

Questions du public

Dans le cerveau, des récepteursde trois milliards d’années

«En lisant les articles sur le récepteurde l’acétylcholine, j’ai été frappée parle fait que ces motifs moléculairescomportent une partie qui est for-mée de feuillets polypeptidiques, oùse fixe le ligand, et une partie mem-branaire, qui a la fameuse structurepentamérique hélicoïdale. Or, cettearchitecture complexe s’observedéjà chez les procaryotes. Cela voussuggère-t-il quelque chose ?»

J.-P. Changeux

C’est Pierre-Jean Corringer qui afait cette démonstration, dans monlaboratoire, à partir de donnéespurement génomiques sur des bac-téries très archaïques. Il a montréque certaines de ces bactériesexprimaient un récepteur trèsvoisin du récepteur de l’acétyl-choline. Il a même réussi à le cristal-liser. A Strasbourg, Antoine Triller,avec qui je collabore depuis plu-sieurs années, a même réussi à arri-mer in silico des antagonistes durécepteur nicotinique sur le récep-teur bactérien. Et cela marche !

Il est remarquable que nous ayonsdonc dans notre cerveau desmolécules vieilles de 3 à 4 milliardsd’années et dont les détails de lastructure tridimensionnelle se trou-vent déjà présents chez les proca-ryotes. Une telle conservation destructure s’observe également avecd’autres protéines. Le récepteur bac-térien n’est évidemment pas un ré -cepteur de neuro-transmetteurs:ilrépond aux protons, à un change-ment de pH, par l’ouverture d’uncanal ionique très semblable à celui

22 Rayonnement du CNRS n° 51 juin 2009

DE LA MOLÉCULE À LA CONSCIENCE

Page 17: Changeux

du récepteur nicotinique. Commel’a écrit François Jacob, l’évolutionse fait par «bricolage» à partir destructures plus simples. Ce qui a étéacquis chez les bactéries se maintientet se perpétue au niveau génétiquechez l’Homo sapiens. A partir decette information stockée dans legénome, d’autres traits sont apparus: le neurone, la capacité de créer lesréseaux, de constituer un espace detravail conscient, etc… Ainsi a pu sedévelopper la complexité de notrecerveau.

Inconscient, hypnose, halluci-nations

«A-t-on trouvé la localisation del’inconscient dans le cerveau ? »

J.-P. Changeux

Nos activités conscientes ne consti-tuent qu’une part relativementmodeste de l’activité de notre cer-veau. On estime à seulement 5-10% la fraction de l’énergie totaleconsommée par le cerveau par cesactivités conscientes. Le reste est uti-lisé par des activités nonconscientes. Je n’ai pas utilisé leterme «inconscient» car il est tropconnoté, à cause de Freud notam-ment. Mais pour moi, l’essentiel del’activité du cerveau est nonconsciente. Quand je dors, mon cer-veau est non conscient et il estnéanmoins très actif. Des testscognitifs fort élégants, comme lestests de masquage, ont été utiliséspar Stanislas De haene pour révélerla différence entre les territoiresmobilisés par activités consciente etnon con sciente. Com me je l’ai dit,l’activité consciente active principa-lement, mais pas exclusivement, lecortex frontal.

«Ma question porte sur l’hypnose.Des scientifiques-Canadiens, Aus -traliens, Japonais,…, mais aussi Mi -chel Jouvet en France-continuent àtravailler sur ce sujet. Vous-même,que pensez-vous de l’hypnose ?»

J.-P. Changeux

Nous avons utilisé d’autres para-digmes, beaucoup plus simpleset faciles à utiliser que l’hypnose.Autant choisir des méthodes ex -périmentales qui donnent des ré -ponses les moins ambiguës pos-sible...

« La stimulation à la nicotine, jecrois, est associée aux états d’hal-lucination. Est-ce un éveil ? »

J.-P. Changeux

Le récepteur de la nicotine est asso-cié à l’éveil. Il y a libération accrued’acétylcholine dans le cerveau aumoment de l’éveil et au momentdu sommeil paradoxal. Dans lesdeux cas, une ac tivation des récep-teurs nicotiniques a lieu. Maisd’autres ré cepteurs, dits muscari-niques, jouent aussi un rôle trèsimportant, en particulier dans leshallucinations.

L’apprentissage du langage

«Dans les parcs, on rencontre cesaides maternelles qui se regrou-pent ensemble et qui parlent unfrançais approximatif. Quand onsait que les enfants acquièrentl’aptitude au langage dans lestoutes premières années, je medemande si cette influence ne vapas retentir sur leur possibilitéd’acquisition de la langue par lasuite ? ».

J.-P. Changeux

C’est une question importante, quidevrait être étudiée, par le CNRSpar exemple. C’est un fait que lespremières années du développe-ment de l’enfant est très sensible àl’environnement physique, social etculturel. Peut-être que les nouveauxmodes de vie vont produire desadultes qui seront différents de ceque nous étions, nous, élevés parune mère affectueuse, qui consa-crait sa vie à l’éducation de sesenfants... C’est thème de recherchequi demande une collaboration effi-cace antre neuroscience et sciencesde l’Homme et de la société.

«Vous avez évoqué les différencesentre les alphabétisés et les analpha-bètes, il y a ici un champ de coopé-ration extrêmement fécond entre lesspécialistes de l’homme et la sociétéà travers l’apprentissage du langage.Vous-même, vous avez évoqué cettecollaboration multidisciplinaire entreles mathématiciens et les neurophy-siologistes».

J.-P. Changeux

Le drame de la science contem-poraine est la spécialisation etl’enfermement disciplinaire, demême que le réflexe corporatis-te. Cela peut paraître surpre-nant, mais les généticiens dé -fendent la génétique, les neuro-physiologistes la physiologie,etc ! C’est vrai que chaque disci-pline mérite d’être approfondie,que de nouvelles techniquesméritent d’être développées ;mais au bénéfice de tous ! Il fau-drait beaucoup plus d’échangeset c’est ce qui se fait d’ailleursdans les laboratoires du CNRS.

Rayonnement du CNRS n° 51 juin 2009 23

DE LA MOLÉCULE À LA CONSCIENCE

Page 18: Changeux

24 Rayonnement du CNRS n° 51 juin 2009

«L’apprentissage des langues de -vrait être précoce. Ne pêche-t-onpas, en France, par un retard tropimportant ? ».

J.-P. Changeux

Bien sûr ! Malheureusement, lesjeunes Français se singularisentdans les Congrès internationauxpar un accent à la Maurice Che -valier poussé à l’extrême. Ils ontsouvent d’énormes difficultés à s’ex-primer. Les Japonais se sont trouvésdans une situation bien plus diffici-le que la nôtre, il y a 20 ou 30 ans,mais les nouvelles générations par-lent l’anglais avec beaucoup d’élé-gance. Quand vous parlez à unNorvégien ou à un Finlandais, ilssavent, dès l’école, que leur pays estpetit, leur langue peu répandue.Pour eux, l’anglais n’est même pasune deuxième langue, c’est unelangue obligatoire s’ils veulent sim-plement exister en dehors de leursfrontières. La France n’est pas ungrand pays sur le plan démogra-phique comme sur le plan de l’im-portance scientifique. Notre instinctde survie va faire en sorte que lesfrançais apprendront un peu mieuxl’anglais sans l’avenir. Pourquoi pasfaire passer un examen de passageen anglais pour les chercheurs àl’entrée au CNRS, ou même pourobtenir une thèse d’Etat !

La perception du Beau

«Pouvez-vous nous donner, enquelques mots, l’état de vos tra-vaux sur la perception du Beau?Travaillez-vous également sur cesujet dans une optique de sciencescognitives?»

J.-P. Changeux

Ce domaine n’est pas directementlié aux travaux expérimentaux dulaboratoire mais plutôt à monexpérience de collectionneur et àmon enseignement au Collège deFrance. Prenons l’exemple des artsplastiques : nous possédons un sys-tème visuel qui nous permet dereconnaître des formes, d’identifierdes couleurs, de reconnaître et depercevoir le mouvement. Nous par-venons grâce à lui à une reconstitu-tion consciente d’un objet mobile,comme un train qui se déplace,une voiture qui bouge dans la rue.

Maintenant la question poséeest : est-ce une œuvre d’art ? Laréponse ne relève pas strictementde la neuroscience, mais il fait évi-demment appel à nos fonctions cé -rébrales. Il n’existe pas une défini-tion simple, mais une convergencede traits qui vont définir une œuvred’art. Par exemple, l’originalité del’œuvre ou sa composition :ce

qu’Alberti a appelé le consensus par-tium, la cohérence des parties autout. La perception de la compo-sition fait appel à la reconnais-sance d’harmonies, de rythmes parnotre cerveau. Parmi les multiplestraits qui vont converger pour défi-nir l’œuvre d’art, il y a aussi le mes-sage de l’artiste, qui manifeste sapropre vision du monde, qu’il vatenter de communiquer. C’est ceque Poussin appelle l’exemplum,que l’on retrouve pratiquementchez chaque artiste:chez Picasso,avec Guernica, il y a une protesta-tion contre les violences de la guer -re;chez Serra, il y a, peut-être, uneespèce de volonté d’indestructibilitéde la Tour de Babel, création humai-ne qui résiste aux foudres divines,une sorte de manifeste d’existencede l’humanité ; et puis il y a chezMa tisse, il l’a dit lui-même, le «bonfauteuil» «le calmant cérébral»...

1Professeur au Collège de France, directeur

du Laboratoire de neurobiologie moléculaire

à l’Institut Pasteur

2«Sur les propriétés allostériques de la L-

thréonine-désaminase », thèse d’Etat

1964, Faculté des sciences de Paris.

3 « Laboratoire de chimie biophysique,

Institut de science et d'ingénierie supramo-

léculaire, Strasbourg

DE LA MOLÉCULE À LA CONSCIENCE