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Chapitre 1

« … Ici le feu a pris définitivement possession de la maison au point qu’il ne reste plus rien de reconnaissable au milieu des cendres… Par bonheur, et grâce à l’intervention rapide des pompiers, le drame a été évité et les demeures environnantes ont été finalement épargnées par les flammes qui les menaçaient. Reste que dans ce quartier paisible c’est la consternation car les choses auraient pu tourner bien différemment… »

La présentatrice sino-américaine, impeccablement mise dans son tailleur beige et son chemisier bleu foncé, se tenait devant les ruines encore fumantes des deux villas mitoyennes. A son visage impassible il n’était pas difficile de comprendre que les faits divers, avec fin heureuse ou pas, constituaient son univers, son quotidien et que peu d’évènements étaient en mesure de l’émouvoir plus que de nature. C’était une professionnelle, une bête de terrain.

« … Trois enfants auraient en effet péri dans les flammes sans l’audace, le courage et la détermination de cet adolescent qui, faisant fi du danger, se précipita à trois reprises pour descendre sur ses épaules les

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petits êtres prisonniers. Agé de quatorze ans, Tom, c’est le nom de notre jeune héros, voisin des rescapés, a montré par son acte de bravoure qu’il n’y a pas d’âge pour venir en aide à son prochain… Même si… Même si cela se faisait au péril de sa vie. C’était Anne Lawford pour KNB News… »

Devant son poste de télévision seize-neuvième, George, citoyen lambda n’en revenait toujours pas. Cloué dans son fauteuil par un ventre rempli de cheeseburgers et recouvert d’un tee-shirt d’une marque d’articles de sport mondialement connue, c’était la bouche pantelante qu’il avait appelé sa femme Dolly afin qu’elle vienne à ses côtés regarder ce qu’il considérait comme un véritable miracle.

« Un gamin… Non mais tu te rends compte ? Un gamin ! … Franchir les flammes pour sauver des gosses de son âge ou presque. C’est un héros ! Un homme ! … Ça alors, quel exemple ! … Non mais tu te rends compte ??

A son tour, Dolly s’immobilisa devant le poste de télévision et, tout comme son époux, elle fut éblouie, captivée par les images qui s’échappaient de son écran. Il n’était pas question cette fois d’une fiction. Non. Il s’agissait d’un acte réel, aussi fou que pur, dénué de calcul et d’intérêt. D’un acte qui aurait pu coûter très cher à son auteur.

George et son épouse ne pouvaient imaginer qu’au même instant, dans un foyer sur deux des États-Unis, des couples, des hommes, des femmes, des jeunes et des moins jeunes, éprouvaient un sentiment semblable, fait d’admiration, de fierté d’appartenir à une nation où les enfants pouvaient se révéler être des individus extraordinaires. Pour eux, comme pour leurs concitoyens, les miracles étaient donc possibles

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à chaque coin de rue. L’espoir restait de mise, de bon ton. Le monde échapperait à la déroute, la ruine tant qu’existeraient des « Tom ». Et ce soir ? Oh ce soir, ils pouvaient dormir tranquilles. En cas de problème, eux aussi, George et son épouse, pourraient compter sur un petit Tom en culotte courte ou en pantalon long, voire même un adulte, ouvrier ou col blanc pour les sortir du pétrin. Décidément, ils ne vivaient pas dans un pays comme les autres. Dans le leur, tout était possible. Il n’y avait pas de limite, pas de frein. Ils vivaient dans un pays où se trouvaient plus de deux cent cinquante millions de héros.

Le lendemain de son exploit, la frimousse de Tom, avec ses tâches de rousseur, son air débonnaire apparut en couverture des quotidiens, relayant les nouvelles du monde au second plan. Son visage poupon fit également l’ouverture des journaux télévisés, nationaux et locaux. Quant à sa voix à peine muée, elle résonna sur toutes les ondes du pays. Il était partout à la fois. L’Amérique avait trouvé une nouvelle idole, elle n’entendait pas la lâcher de si tôt. Dans les cafés, aux arrêts de bus, dans les bureaux, sur les marchés, dans les grandes villes comme dans les plus petits villages Tom était devenu LE sujet de conversation numéro un. Tout le monde, ou presque, avait son avis sur le phénomène. Du petit commerçant au psychologue mondialement reconnu qui élaborait déjà des thèses intitulées « Du courage et de l’altruisme chez les adolescents d’Amérique ». Même le Président y était allé de son couplet :

« … Un jour, le Paradis ne nous fera plus attendre. Un jour, nous le vivrons au quotidien. Nous, américains et américaines. Depuis toujours, nous avons été à l’origine de toutes les initiatives qui ont

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fait de ce monde un monde meilleur, plus sûr, plus ouvert, plus généreux. Et vous le voyez encore aujourd’hui, nous pouvons compter sur la jeunesse qui nous pousse, qui nous montre l’exemple… »

Le Président avait été dithyrambique sur le geste de Tom. Il l’avait extrapolé à toute la population du pays. Ce fait divers devenait en définitive un symbole de ce qu’étaient capables les hommes, les femmes et les enfants. Nul doute qu’il y en aurait d’autres. Beaucoup d’autres.

De son côté, l’adolescent ne perdit pas une minute. Il décrocha simultanément des contrats de publicité pour de célèbres chaussures de sport, pour symboliser le héros d’un jeu vidéo, pour être l’effigie d’une chaîne de restauration rapide et bien d’autres encore. Des contrats tous plus lucratifs les uns que les autres. Il est vrai qu’il convenait de battre le fer encore chaud. Et là, il était plus que brûlant. Au cours des semaines qui suivirent le sauvetage miraculeux, les indices économiques passèrent dans le vert à l’unisson, et remontèrent même de manière substantielle. La confiance des ménages gagna dix points. Celle des entrepreneurs haussa de sept points. Même la bourse connut une ascension non stop pendant neuf jours d’affilée, établissant record sur record. En fait, l’euphorie régnait sur la première puissance du monde.

Puis, un matin, Tom disparut des journaux, des dépêches, des radios. Sur le terrain où s’érigeait encore peu la maison de ses parents, et où seuls survivaient quelques arbres au milieu de la couleur charbon un panneau fut installé par l’agence immobilière du coin : « A vendre. Terrain à bâtir ». La famille avait déménagé. En catimini, sans rien

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dire. Il ne restait plus rien de cette fabuleuse scène, comme si le décor avait été démonté, comme si la pièce de théâtre, l’ultime représentation avait été jouée, les comédiens ayant repris leur route. Et, plus jamais on entendit parler de Tom.

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Chapitre 2

Autour de la table ovale, une douzaine d’individus, tous aux alentours de la cinquantaine et tous de sexe masculin. Publicité vivante pour Hugo Boss et Christian Dior, ils paraissaient sortir tout droit de chez le même tailleur. La grande différence entre les uns et les autres résidait dans leur coupe de cheveux qui se révélait soit structurée façon mise en pli, soit en brosse façon militaire.

Devant eux, comme dans tous les conseils d’administration du monde entier, se trouvaient une tasse de café, des bouteilles d’eau, des jus de fruit, des petits pains, une serviette en papier, le tout parfaitement présenté, aligné au millimètre près. Pourtant, malgré l’heure bien matinale, il était à peine sept heures trente, pas un seul des individus présents n’avaient touché à quoi que ce soit. Il est vrai que l’atmosphère qui régnait dans la pièce, ne se prêtait guère à une petite collation. Les corps des hommes paraissaient usés par le travail, la pression. Les visages semblaient déconfis. Et pourtant, ils attendaient, en silence.

La porte d’entrée de la salle de réunion s’ouvrit et, un homme à peine plus âgé que les autres, dans un

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costume semblable aux leurs, sobre et triste, entra, suivit d’une femme, la quarantaine, les cheveux attachés en chignon, à l’allure discrète dont on pouvait cependant deviner le caractère autoritaire. Il traversa la salle qui baignait dans une ambiance monacale, se dirigea vers son large fauteuil de cuir qui dominait la tablée et dans lequel il s’enfonça, laissant juste le temps à sa collaboratrice de s’installer derrière lui avant de débuter la réunion.

« Bonjour Messieurs ». Son air était grave, solennel. Il suffisait de lire sur son visage pour comprendre que quelque chose n’allait pas. « Je vous remercie d’être venus de si bonne heure… Cela dit, vu l’urgence de la situation je n’avais pas trop le choix… » Sa voix portait haut et fort, sans qu’il eut à exagérer ni même à forcer sur son timbre. C’était un meneur d’hommes, peut être même un ancien militaire. L’autorité, il le savait, commençait à l’intonation de la voix. Sur ce plan, c’était un sans faute. Il avait fait son petit effet sur l’assistance. Et, si elle somnolait jusqu’à présent, il venait de la mettre en quelques mots dans le rythme de la réunion qui s’annonçait. « Six mois… Six mois que nous n’avons rien produit. Je pourrais mettre cela sur la faute à pas de chance, à la conjoncture, à la routine et, allons y carrément au climat actuel qui ne nous convient pas. Je pourrais, si je le voulais trouver un tas d’explications, sur ce manquement… Malheureusement, je n’en trouve pas une seule qui tienne la route. Il y a un problème et nous sommes ici pour le résoudre… »

Autour de la table, les colosses en costume adoptèrent la même attitude que des élèves de primaire sermonnés par leur maîtresse. Tête rentrée dans les épaules, sourire effacé, main sur les genoux. Les uns

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après les autres, ils auraient accepté de céder leur position sur le champ si cela avait été possible. A ce moment précis, tous oubliaient leurs émoluments exceptionnels, leurs superbes voitures garées sur le parking, leurs villas dignes de stars de cinéma où les attendaient, pour la plupart, des épouses exemplaires sorties des magazines de mode. Enfin et surtout, ils oubliaient cette drogue formidable que constituait le pouvoir et dans laquelle ils baignaient au quotidien. Tous auraient aimé quitter la table, abandonner, même si demain les regrets auraient été monstrueux. Mais dans leur position cela ne se faisait pas. Cela n’existait pas. Ils subissaient une petite humiliation. Après tout, n’était-ce pas là un juste retour des choses ?

L’un d’entre eux, peut être plus audacieux ou plus inconscient, ce qui revient au même, prit la parole quand il se sentit dévisagé par son supérieur.

« Peut-être, Monsieur, avons-nous déjà tout fait, tout inventé ? Et qu’en ce domaine, il n’est pas possible d’aller plus loin… » Très vite, dès que son interlocuteur posa les yeux sur lui, l’homme comprit qu’il aurait dû adopter le profil bas et ne pas intervenir de cette manière. La réaction du meneur ne se fit pas attendre.

« Excellent. Excellent… Et bien dans ce cas nous n’avons plus qu’à mettre la clé sous la porte et partir sur une ile déserte se dorer la pilule au soleil. Qu’en pensez-vous ? Pas mal hein ? Bon, cela dit on a un petit problème… Qu’est ce que l’on va dire au Président ? : « Cher Président, nous avons déjà réalisé tous les miracles possibles, tous les scénarii imaginables. Le puits est tari. Nous ne savons plus faire rêver le peuple alors nous allons prendre de longues, de très longues vacances. En attendant que

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l’inspiration revienne, trouvez autre chose Monsieur Le Président. Avez-vous pensé à une bonne guerre ? ». Je vous garantis que cela va faire son petit effet ».

Le silence régnait. Le maître de cérémonie se leva. Dieu qu’il était impressionnant ! Un bon mètre quatre-vingt dix, pas loin de cent kilos, et surtout, un regard qui vous tronçonnait quand il se posait sur vous. Se sachant contemplé, scruté, devinant le poids de ses futures paroles dans les cerveaux des douze cravatés, il fit quelques pas, ne pipa mot, puis… lança son attaque verbale :

« … Du pain et des jeux. Du pain et des jeux. Depuis la nuit des temps voilà la quadrature du cercle en politique. Du pain et des jeux… On n’a rien inventé depuis. Nos concitoyens se démerdent pour avoir du pain, NOUS, nous leur fournissons les jeux ou une forme de jeu qui s’appelle le rêve. Un enfant qui sauve des vies dans un immeuble en flamme, ça c’est du rêve ! Cela porte la vie au quotidien. Celui ou celle qui regarde la télévision et qui voit un tel acte, se dit : « Demain je le ferai. Demain je sauverai mon voisin. Et demain, oui, je serai un héros ». On sait bien qu’il n’en sera rien. Que devant les flammes il partira séance tenante sans même prendre le soin de prévenir les secours, sauvant ses miches devant un feu de paille. On le sait bien. Mais, en regardant un gosse, un gamin sans qualité particulière, presque moche en fait, réaliser un acte de bravoure… Alors là, notre peuple se sent soulevé, soulagé, encouragé et surtout notre peuple se sent uni et capable d’héroïsme… Alors si VOUS, les cerveaux que vous êtes, VOUS, les directeurs de nos écoles, vous ne faites plus rien, vous ne créez plus de rêve, notre cher peuple, va se sentir comme une grosse merde sans volonté. »

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Il n’en fallut pas plus pour faire réagir la tablée. « … Les personnes que nous avons recrutées ne

sont pas prêtes… – … Les mises en scène n’avancent pas. Nous

avons plein de problèmes sur les tournages… – … On hésite entre différentes hypothèses. On a

déjà fait pas mal de choses en peu de temps… Nous ne pouvons pas inventer sans arrêt des histoires avec une fin heureuse… Nous finissons par tourner en rond…

– Il y a même des journalistes qui commencent à rôder autour de nos dossiers. »

Cette dernière phrase plomba la salle et toutes les voix s’évanouirent aussi vite qu’elles avaient surgi. Le regard lança le meneur à l’assistance refroidit tout le monde. Vingt ans qu’il dirigeait ce ministère que l’on aurait pu qualifier à une autre époque de Ministère de la Propagande et qui aujourd’hui était inconnu du grand public. George Forelang était à son poste depuis plus longtemps que le Président actuel, c’était même le cinquième Président des États-Unis qu’il voyait passer. Il avait été maintenu dans ses fonctions malgré la succession démocrate-républicain, car tous avouaient être étonnés par son travail et sa précision. Il savait parfaitement ce qu’il devait faire. Il était “the right man at the right place”. Son job s’avérait simple dans sa forme, mais dans le fond il relevait du casse tête chinois. Sous son contrôle se trouvaient une douzaine d’établissements, de casernes secrètes disséminées sur tout le territoire. Les directeurs de ses établissements étaient justement les hommes réunis autour de la table en ce jour. Et dans ces établissements, on ne faisait pas moins que de bâtir des héros à partir d’hommes, de femmes et d’enfants ordinaires. On les formait afin de

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faire rêver l’Amérique. Scénario, mise en scène, casting, formation dans l’esprit Actor’s Studio, rien n’était trop beau pour donner un petit coup de pouce au destin.

Tom, l’adolescent qui avait sauvé les enfants des flammes était un élève d’une de ces écoles. Tout comme ce soldat américain qui, lors de la première guerre du Golf était retourné sur ses pas pour sauver son escadron capturé par l’ennemi, seul au milieu du désert. Pareil pour cet octogénaire qui avait fait atterrir un avion de ligne après que ses pilotes et copilotes furent tous saisis de terribles crises d’épilepsie encore inexpliquées dix mois après. En fait, trois faits divers héroïques sur quatre étaient le fruit d’un des élèves de ces établissements particuliers. Le quatrième miracle résultait d’un concours de circonstances, la conséquence d’une chance inouïe, le fruit du hasard comme la nature le produit parfois. Mais compter sur le destin pour motiver un pays entier cela ne suffisait pas. Un ancien président des États-Unis avait parfaitement explicité un jour la situation :

« Je suis comparable à un entraîneur d’une équipe de basket. Pour motiver le groupe il faut un buteur, un marqueur, quelqu’un capable d’aligner les paniers à trois points, de concrétiser soixante points en un match. Il faut un leader auquel les enfants de ce pays vont s’identifier. Les enfants mais aussi leur parents… Et bien moi, je tiens mon équipe, le pays, avec ces héros que l’on fait, que l’on fabrique et qui font rêver le quidam de la rue… Et comme tous les entraîneurs, j’ai un problème : Je dois régulièrement changer les joueurs de mon équipe, quand ils deviennent trop vieux, inadaptés, dépassés… »

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Forelang souleva sa carcasse du fauteuil. Il domina les hommes de haut, les regarda les uns après les autres sans en oublier un seul.

« On se retrouve dans un mois. Trente jours. C’est le temps qui vous avez pour monter un petit scénario qui fera son effet. Creusez vous les méninges, cogitez, rêvez mais trouvez ! Je vous remercie. »

Et, il partit comme il était arrivé dans la salle de réunion, son assistante collée à ses pas. Tout avait été dit. The show must go on.

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Chapitre 3

Les pneus de la voiture grincèrent sur l’asphalte. L’antipatinage se déclencha, tentant vaille que vaille de limiter les travers de la grosse allemande. A son volant, Julien commençait à prendre la mesure de son véhicule, une BMW dernier cri avec un joli paquet de chevaux sous le capot, du cuir sur les sièges, la climatisation et dans le lecteur de disque le tube d’un chanteur à la mode.

« Elle arrache pas mal, dis-moi. Y-a-pas à dire, ton père a du goût pour les belles bagnoles… Pousse la. Pousse la encore… »

Évidemment, Antoine, l’ami d’enfance de Julien était là. Tout comme Franck, le bagarreur de l’équipe. A eux trois, on pouvait dire qu’ils avaient déjà fait les quatre-cents coups au moins deux ou trois fois. Ils étaient tributaires du fait. Abonnés aux conneries du samedi soir, sauf que chez eux tout se déroulait comme si chaque jour était un samedi. Pire que des acteurs de théâtre, ils ne faisaient jamais relâche.

« Le feu rouge ! » Julien l’avait vu venir avant même l’exclamation

de son voisin. Mais la voiture était lancée, mieux,

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catapultée par son moteur. Il n’essaya même pas d’effleurer les freins. L’aiguille du compteur indiquait alors près de cent-dix kilomètres heure quand ils traversèrent le carrefour sous les regards éberlués des passants qui profitaient des derniers rayons de soleil de cette fin d’été. Antoine, durant cette manœuvre quasi suicidaire, se recroquevilla sur lui-même. Franck se coucha illico presto sur la banquette en chien de fusil. Quant à Julien, il arbora un sourire de vainqueur. Semer la trouille chez ses copains d’enfance faisait partie de ses petits plaisirs et dépasser les limites constituait une sorte de pirouette à sa destinée qui lui paraissait trop nette. Lui, l’enfant de la bourgeoisie. Lui, le premier de la classe, au collège, au lycée, à la faculté, promis à un bel avenir. Lui dont le père était chef d’entreprise et à qui ce soir il avait pris le véhicule sans son autorisation. Lui, à qui sa mère vouait un véritable culte, même si elle reconnaissait qu’il y avait en son fils du docteur Jeckyll et Mister Hyde.

« Alors les tarlouzes on fait dans son pantalon ? – Mais tu es malade ! Tu es complètement con ! » Chaque fois qu’ils étaient ensemble, c’était la

même chose. Comme un besoin de se sentir vivant, de respirer plus fort, plus intensément en affrontant le danger voire la mort. Ne faisaient-ils pas du hors piste quand ils partaient skier ensemble l’hiver ? Ne prenaient-ils pas leur planche à voile dès que le vent se levait et dès que les vagues devenaient monstrueuses l’été sur les plages ?

Franck qui n’était pas réputé pour être le poète du trio avait une expression toute trouvée pour exprimer ce sentiment : « l’enculage de routine ». Ce soir encore, ils se sortirent de ce croisement grâce aux

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coups de frein des autres automobilistes cramponnés à leur volant, à la main de Dieu et peut être aussi à la chance des innocents.

« Écoute. Sortons de la ville… Franchement là, je ne suis pas rassuré. Allons sur l’autoroute. Tu pourras faire “mumuse” et au moins on ne sera pas emmerdé par les feux rouges et tes idées à la con… »

Au volant de la berline Julien se marrait. Il se savait capable de provoquer la frousse à ses copains aussi bien en ville que sur l’autoroute.

« Ils vont voir ce qu’ils vont voir » pensa-t-il. Moins de dix minutes après la recommandation

d’Antoine de quitter la ville, la grosse berline filait à plus de deux-cents sur l’asphalte parfaite de la voie rapide. La sensation de vitesse, l’adrénaline qu’elle provoque chez la jeunesse de tous les pays, au même titre que l’alcool, la drogue et le sexe et d’une manière générale tout ce qui est proscrit par la morale, effaçait de la conscience des trois garçons le risque qui était omniprésent. Du moins pendant quelques instants. FLUP !

« Merde. C’est quoi ce bordel ? lâcha Julien. – Un flash. Un radar », cracha Antoine. La main de

Julien vint taper sur le volant à plusieurs reprises provoquant à chaque fois le réveil du klaxon.

« Ça va. Ça va, souffla Antoine. Pas de panique. Relax… Rien ne dit que la photo du radar sera nette… Alors on va remettre la voiture à la place où l’avait garée ton père et basta. On n’en parle plus.

– Et si la photo est nette ? questionna Franck soucieux.

– Et bien si la photo est nette, on verra. D’ici là… Julien niera l’avoir empruntée et tout le monde

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pensera qu’elle a été volée… Arrêtez de vous inquiéter. Des milliers de conducteurs sont flashés tous les jours alors cool… »

Antoine avait cette qualité fort appréciable en amitié, celle de savoir tranquilliser dans les pires moments. Gai luron de première, clown, roi des embrouilles, il devenait face au danger la réincarnation du Dalaï Lama, en moins formelle. Pourtant, ce soir là, Julien n’eut que quelques secondes de soulagement sous l’effet des paroles de son ami. Dans le rétroviseur de la BMW une lumière bleue se mit à clignoter, puis à se rapprocher rapidement. Les trois occupants ne se firent aucune illusion sur l’identité du véhicule qui les poursuivait.

« Oh merde, c’est pas vrai… Quel bordel… Ça empire à vue d’œil…. ». En même temps qu’il prononçait ces mots, Julien ne se rendit pas compte de prime abord qu’il venait d’accélérer. Deux cent dix… Deux cent vingt… A ses côtés, Antoine et Franck ne disaient rien. Seul, Julien pensa à voix haute.

« … Avec notre rodéo dans la ville on a du être remarqué. Tout à l’heure le radar. Maintenant les képis aux fesses… Je crois que l’on a pas beaucoup de choix les gars… »

Il jeta un rapide regard à son passager avant droit. Antoine opina du chef. La cause était entendue.

« Vas y fonce… » Il s’agissait autant d’un encouragement à l’égard

de Julien que d’une façon de se rassurer, d’espérer. Bien sûr, ils auraient pu stopper de suite leur course folle. Se faire arrêter par les flics. Avoir un retrait de permis. Quelques heures de travail d’utilité publique dans les hôpitaux où ils auraient vu sans fioritures les