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Chapitre2

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Chapitre 2

Mécanique Statistique des

membranes

Ce chapitre constitue une introduction aux propriétés physico-chimiques des mem-

branes fluides, à l’équilibre thermodynamique. Aussi, nous rappellerons, essentielle-

ment, les outils de la physique statistique permettant de décrire les membranes, en

tant que systèmes pouvant avoir un grand nombre de configurations. Nous rap-

pellerons également l’effet des fluctuations thermiques de la membrane, ayant pour

cause les chocs incessants des particules fluides, sur ses propriétés d’élasticité.

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2.1 Description microscopique

Dans les années 70 du siècle dernier, Canham, Helfrich et Evans [1− 3] soulignèrent

le rôle important joué par l’élasticité de courbure relative aux membranes. Les

diverses formes des vésicules et leurs interactions avec les interfaces molles ou dures

sont devenus de plus en plus évidentes. Les propriétés élastiques des membranes ont

permis d’expliquer quelques propriétées des cellules, ou encore certains aptitudes à

effectuer des mouvements.

2.1.1 Propriétés élastiques

Les propriétés des membranes lipidiques sont, en générale, caractérisées par trois

types de déformations élastiques.

La première est l’élongation des bicouches à faible déformation d’aire [4], c’est-

à-dire moins de 5% de l’aire totale. Au-delà de cette déformation correspondant à

la tension critique τc ≃ 10−3J/m2, des pores hydrophiles prennent naissance dans la

membrane jusqu’à sa destruction totale. La densité (surfacique) d’énergie d’étire-

ment dépend du carré de la variation relatif de surface ∆A/A, Elle s’écrit alors

:

fes =1

2Ka

(∆A

A

)2. (2.1)

Ici, Ka représente le module de la compressibilité, qui est de l’ordre de 10−5J/m2,

pour les globules rouges [5], et de l’ordre de 0.2J/m2, pour des vésicules lipidiques

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[6].

La seconde déformation correspond à un cisaillement pur associé à une densité

d’énergie, obtenue à partir de l’expression énergetique de la loi de Hooke :

fsh =1

2µ(l2 + l−2 − 2

), (2.2)

avec l = (l0 +∆L) /L0 le taux d’extension latérale et µ le module de cisaillement. A

titre d’exemple, pour le cas des membranes cristallines ou polymérisées, cette énergie

peut être importante : µ = 6×10−6J/m2, pour les globules rouges [7]. Par contre, les

molécules d’une membrane fluide ne représentent aucune résistance au cisaillement.

Comme nous ne sommes concernés que par ce dernier type de membranes, ce terme

pourra être négligé.

Un dernier type de déformation élastique, concerne celle qui est perpendiculaire

au plan de la membrane, ou encore élasticité de courbure. Helfrich et Canham

proposèrent un modèle simple [1, 2], permettant de décrire les propriétés mécaniques

et thermodynamiques des bicouches. Dans ce modèle l’énergie de courbure joue un

rôle important et est donnée par

H =κ

2

Sds (C1 + C2 − C0)

2 + κ∫

SdsC1C2 + γ

Sds . (2.3)

La forme de la membrane est ici décrite par les deux courbures principales

(Ci = 1/Ri, i = 1, 2) (Fig. 2.1). En fait, l’énergie donnée par la relation (1), peut-

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Fig. 2.1: Définition des rayons de courbure d’une membrane.

être vue comme un développement en puissance des invariants du tenseur de cour-

bure. Le dernier terme de cette équation est un terme de tension de surface. C0 est

la courbure spontanée de la membrane qui peut-être associée à une asymétrie de la

composition de la bicouche. κ est la constante (ou module) élastique de courbure

moyenne. Il est possible de la mesurer expérimentalement par des méthodes d’aspi-

ration par micropipette, ou par l’étude de l’amplitude des fluctuations thermiques de

la membrane [4, 5]. Elle est de l’ordre de 10 à 50kBT , pour les membranes phospho-

lipidiques. Le paramètre κ est appelé constante ou module élastique de courbure

gaussienne et est associé à la topologie de la membrane. Le théorème de Gauss-

Bonnet [6], permet d’évaluer l’intégrale de la courbure gaussienne pour une surface

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fermée sans bords. Il montre que cette intégrale dépend uniquement de la topologie

de la surface, et s’exprime sous la forme suivante

SC1C2ds = 4π(1− g) . (2.4)

La constante g est appelée genre topologique qui correspond au nombre de trous. g

vaut 0, pour la sphère et 1, pour le tore. Pour un système constitué de plusieurs sur-

faces fermées, on peut exprimer la contribution de la courbure gaussienne à l’énergie

de courbure par la relation

κ∫

SC1C2ds = 4πκ (N −Nh) , (2.5)

où N est le nombre de composantes déconnectées et Nh le nombre total de poignées.

En fait, cette contribution à l’énergie de courbure agit comme un potentiel chimique

qui gouverne la topologie du système. En particulier, il est important de connaître

le signe de κ. C’est lui qui contrôle l’apparition de ”poignées ” sur la surface, c’est-

à-dire la formation de point selle, de courbure moyenne quasi-nulle et de courbure

gaussienne négative. Il est intéressant de noter que l’énergie de courbure est invari-

ante d’échelle.

2.1.2 Stabilité des phases lamellaires

Nous avons vu qu’une bicouche phospholipidique symétrique peut être décrite par

une énergie de courbure de type Helfrich :

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εel =1

2κ∫

S

(1

R1+1

R2

)2ds+ 4πκ (N −Nh) . (2.6)

Il est possible, à partir de cette énergie, d’étudier la stabilité d’une phase lamellaire.

Nous avons vu que le terme de courbure gaussienne est celui qui contrôle la topologie

du système alors que les fluctuations de forme de la surface sont gouvernées par la

courbure moyenne. On peut imaginer deux mécanismes de déstabilisation de la

membrane.

Le premier correspond à la création d’un passage (en première approximation le

passage est une surface minimale de courbure moyenne nulle). On montre facilement

que le passage coûte une énergie −4πκ , ce qui signifie que l’on gagne donc de

l’énergie à créer des passages si κ > 0.

Le second mécanisme correspond à la formation d’une vésicule. En fait, l’énergie

de courbure d’une vésicule sphérique se met sous la forme 4π(2κ+κ). Cela veut dire

que l’on gagne donc de l’énergie à créer des vésicules si 2κ < −κ. On peut donc

conclure que la phase lamellaire Lα est stable pour −2κ < κ < 0 .

Pour κ > 0, il se forme une phase ordonnée (du type phase cubique) ou désor-

donnée (phase éponge) si les fluctuations thermiques sont importantes. Si 2κ < −κ

il se forme une phase de vésicules dont la forme et les fluctuations dépendent de la

valeur de κ et de la contrainte de volume.

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2.1.3 Longueur de persistance

L’énergie élastique de courbure introduite précédemment décrit le comportement de

la membrane à température nulle. Lorsqu’on cherche à tenir compte de la tempéra-

ture, on doit prendre en compte les fluctuations thermiques de la membrane. La

théorie de la renormalisation montre alors que l’on doit remplacer la membrane réelle

par une membrane effective lissée dont les caractéristiques dépendent de l’échelle ξ

d’observation.

La renormalisation des constantes élastiques de courbures moyenne et gaussienne

[7− 8] conduit à définir une longueur de persistance caractéristique de la bicouche

et qui est fonction de la température :

ξK = a exp{4πκ

3kBT

}. (2.7)

A des échelles supérieures à ξK, les fluctuations deviennent très importantes. On

peut avoir une idée sur l’ordre de grandeur de ξK, pour quelques valeurs de κ (on

prend a = 20 ). En fait, si κ ≃ 10kBT pour une bicouche fluide de phospholipides,

on obtient un ξK de l’ordre de 1019 m ! Cette valeur est énorme devant la taille

des systèmes étudiés. Dans ce cas, la membrane est lisse à toutes les échelles et on

peut négliger les fluctuations. Pour κ ≃ kBT , la longueur de persistance ξK est de

l’ordre de 1µm. Dans ces conditions, on peut observer des fluctuations importantes

de la membrane pour des échelles de l’ordre du micron. Ces fluctuations sont ob-

servables sur des vésicules géantes [9], ou des systèmes biologiques [4]. Pour ce qui

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est des microémulsions, on peut avoir κ ≃ kBT/10, les fluctuations sont alors très

importantes. La taille caractéristique de la microémulsion est fixée par ξK.

Il est à noter que le modèle présenté ci-dessus ne prend pas en compte l’effet de

la dilution du système [10]. On obtient donc un diagramme de phase indépendant

de la concentration en lipides.

2.1.4 Fluctuations thermiques autour de l’équilibre

Sous l’effet de l’agitation thermique, la membrane fluctue autour de sa position

d’équilibre. De nombreuses études [11], ont été consacré à décrire l’effet de ces

fluctuations sur la forme des vésicules. Nous nous limiterons ici au cas de membranes

quasi-planes. Dans ces conditions, on peut décrire la forme de la surface dans la

représentation de Monge où la position d’un point de la membrane est repérée par

sa hauteur h = h(x, y), par rapport à un plan de référence parallèle à la position

moyenne de la membrane (Fig. 2.2).

L’énergie de la membrane peut alors être linéarisée. Elle est donnée par l’expres-

sion

H =κ

2

∫ ∫dxdy(∆h)2 + γ

∫ ∫dxdy (∇h) 2 . (2.8)

avec la notation−→r = (x, y) ∈ R2. La linéarisation du potentiel autour de l’équilibre,

conduit à une énergie quadratique en la déformation h(−→r ). On peut, par ailleurs,

décomposer la déformation de la membrane en modes d’amplitudes, dans l’espace

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Fig. 2.2: Représentation de Monge.

de Fourier,

hq =∫

d2−→r h(−→r )ei−→q .−→r . (2.9)

Le théorème d’équipartition de l’énergie permet, alors, d’écrire l’amplitude moyenne

carrée de chaque mode comme suit

< |hq|2 >=

kBT

κq4 + γq2. (2.10)

Pour le calcul de l’amplitude des fluctuations, il suffit d’intégrer sur les vecteurs

d’onde compris entre 2π/L et +∞, où L est une coupure macroscopique. L’on a le

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résultat⟨|hq|

2⟩=∫ d2q

(2π)2kBT

κq4 + σq2=

kBT

4πσln

(

1 +σ

κ

L2

4π2

)

. (2.11)

Cette relation appelle les remarques suivantes :

Premièrement, elle fait apparaître une longueur caractéristique√κ/σ, qui varie

du manomètre, pour des tensions proches du seuil critique τc, au micromètre, pour

des membranes faiblement tendues (σ ≃ 10−7N/m).

Deuxièmement, l’amplitude des fluctuations, correspondant à h =√⟨|h|2

⟩, est

très sensible à la coupure macroscopique, comme le montrent les deux régimes [4].

(i) Régime faible tension interfaciale : σ << σ∗ = κ (2π)2 /L2. Dans ce régime,

les échelles de longueur caractéristiques sont alors dominées par la rigidité de cour-

bure, et l’on a : h =√kBT/16π3κL ;

(ii) Régime forte tension interfaciale : σ >> σ∗. Dans ce régime, les longueurs

sont dominées plutôt par la tension, et l’on a : h =√(kBT/4πσ) ln (σ/σ∗).

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Bibliographie

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