Ren Char Le veilleur insoumis, notre frre en fureur Toute vie Toute vie qui doit poindre achve un bless. Voici larme rien, vous, moi, rversiblement ce livre et lnigme qu votre tour vous deviendrez dans le caprice amer des sables. Les matinaux( Posie-Gallimard p.84) Il ne sagit point dajouter une docte tude tant de doctes tudes, juste de saluer en passant ce Jupiter tonitruant que fut Ren Char. Visage massif, de pierre dure, corps immense, voix lourde, il occupe toute la place. Il est un vent brutal au milieu de nous. Il boxait la vie. Il injuriait les tides. Juxtapose la fatalit la rsistance la fatalit. Tu connatras dtranges hauteurs. Bourru, colrique connaissant toutes les fleurs de sa petite montagne, le Lubron, autour de lIsle sur Sorgue, et vous maudissant si vous ne saviez point les appeler vous aussi par leur petit nom. Il se posait presque en imprcateur et ne comprenait pas ces potes qui dvidaient quasiment au mtre leur production, lui qui par son artisanat furieux polissait chaque mot, jusqu ce quil ait la patine de lternit. Il demeure parmi nous plus par ses aphorismes, cisels au couteau du soleil, que par ses pomes. On aime le citer, encore faudrait-il le lire et le relire. celui qui a crit que la blessure la plus rapproche du soleil tait la lucidit , il faut faire allgeance de la lucidit et du respect infini pour ce bel homme qui savait claquer la porte au nez des officiels. Le Panthon prfra accueillir Andr Malraux que ce compagnon de route du communisme. La France prfre les tribuns aux prophtes, les petits ralistes aux surralistes. Trop de soleil aveuglant fait peur. Et sa pose de dieu vivant de la posie, son entre dans la Pliade, son appartenance la gauche, finissaient par irriter. Rsistant toutes les occupations militaires ou intellectuelles il tait un bloc de granit monolithique dans ses jugements cassants et dfinitifs. Nous sommes alls et nous avons fait face , Ren Char semble toujours dbouler de face, taureau en colre. Il est un orage. Il avait une montagne dans le regard. Posie sacrificielle du soleil, four chaux des mots, la posie de Ren Char est accaparante.

Il se peut que lon prfre ses oracles de pythie de la posie avec leur part dombre et dinterprtation sa langue potique rugueuse et son lyrisme sous contrle. Hermtique et blouissant il ne trouvait pas de gens sa hauteur hormis quelques lus de la beaut. Il jouait fort bien la statue du Commandeur en posie. Prince qui durant la trve des saisons produisait lArt issu de la douleur et retournant la douleur, Ren Char donne limpression de nous toiser du haut de ses mots. Habitant des hautes solitudes, comme Saint-John Perse, il na pas sa palette de couleur. Lhomme tenait sa lumire de sa libert. Jhabite une douleur Il crit par fragments en lanant fivreusement des brandons de mots. Il est le grand rvolt qui vaticine. Il voulait tre cette veille insoumise et fraternelle qui prend soin des hommes autour du feu, face aux monstres. Qui veille encore et encore. Lui, le capitaine Alexandre de la rsistance, est le Char de la vie. On tombe sur ses pomes comme sur des clats de silex et lon narrive pas toujours raliser des outils avec ses prophties enflammes. Mais on sait en le quittant quil a allum des feux en nous dont on comprendra plus tard lusage, mais qui dj ont fait reculer les ombres. Ren Char sest autant voulu au cur de lhomme quau cur de la vie. Il est plus un matre de vie quun grand pote, selon moi seul bien sr. La transparence, vertu dailleurs de la posie, il ne la pas. Il est cri, tincelles, fulgurations, mais si obsd par la beaut fige dans le marbre quil nous laisse seuls au bord du chemin : Dans nos tnbres, il ny a pas une place pour la beaut. Toute la place est pour la beaut. Il voulait quen le lisant que a descende en nous . Cela parfois est dur passer et son aridit parfois nous fait souhaiter la rose dautres. Il voulait que ces textes ne soient pas beaux ou curieux, ils ne le sont pas parfois. crire toujours lclair au front finit par assourdir et aveugler. Sa posie pulvrise est coupante comme des lames de rasoir. ceux qui pensent que la source de la posie est laphorisme, Ren Char est linfinitude. Pour dautres il est lartisan violent et furieux dune posie qui prend ses sources dans la prophtie et en atteint les limites. Son plus proche frre en posie, Hlderlin, sen est sorti par la folie. Heidegger qui la si fortement marqu (Hraclite tout autant), sen sort par le mpris de lhumanit. Char travaille lui jusqu los lessentiel de la vie. Il sait dbusquer et aimer les lavandes noires et les vipres des mots. La douleur est le dernier fruit immortel de la jeunesse , voici lapidaire comme toujours une phrase de Char. Elle porte en elle son obscurit et sa flamme. Elle est reprsentative de cette forme faite plus doracles que de vritables pomes. Elle en fait la grandeur et ses limites. Lire Char napaise pas la soif, elle lattise, elle ne satisfait pas le dsir, elle le fouette. Ren Char ne nous comble pas, il nous creuse. Chaman autoproclam il est le derviche tourneur du destin de lhumanit. Il est la figure de proue du courage face

aux renoncements et au silence complice. Il se veut foudre et tonnerre. Il est parfois purement sonore. Lhomme du jour pur Il tait avant tout un homme du Midi la voix rocailleuse, lamiti rugueuse. Il se reconnaissait ainsi par-dessus tout, homme de jour pur et deau courante . Il voulait tre et entretenir la vie par la perptuelle collaboration avec la mort. Sa conception tragique du monde le conduisait cela, mais il ajoutait thym et romarin ses flammches de feu sur son front de Mose descendant de tous les buissons ardents, avec ses pomes-tables de la loi la main. Et ctait lui et lui seul qui les avaient dictes. Pote des courtes secousses, des phrases sibyllines il reste sur les crtes, nous de dcrypter. La posie doit sauver le monde est Char est son passeur. Quitte dchaner les orages : Au plus fort de l'orage, il y a toujours un oiseau pour nous rassurer. C'est l'oiseau inconnu. Il chante avant de s'envoler. Un peu de ce soleil que les lignes de Ren Char ont panoui entre mes poumons, comme un grand oiseau d'or disait Jo Bousquet. Il tait lucide, donc douloureux car lucide. Sa posie est brutale et physique, elle vous saute dessus, et se proclame toujours vainqueur. ceux dont la vie ne teint qu un fil, cest--dire nous tous, Ren Char est indispensable. Prsent aux autres, eau dure et claire il se mrite. Et sa voix dencre continue tonner en nous. Les pluies sauvages favorisent les passants profonds Ren Char fut lun deux. Et son feu couve toujours. La suite appartient aux hommes. Salut celui qui marche en sret mes cts, au terme du pome. Il passera demain debout sous le vent. Choix de textes Ren Char est le prince de lellipse, aussi il ne sera presque fait quusage de citations butines le long de chemins de ses crits. Ren Char est la carrire du monde en fragments du monde en fragments. De ses fragments, silex de mots, jaillit le feu .

Allgeance Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe o il va dans le temps divis. Il nest plus mon amour.

Chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus, qui au juste laima ? Il cherche son pareil dans le vu des regards. Lespace quil parcourt est ma fidlit. Il dessine lespoir et lger lconduit. Il est prpondrant sans quil y prenne part. Je vis au fond de lui comme une pave heureuse. mon insu, ma solitude est son trsor. Dans le grand mridien o sinscrit son essor, ma libert le creuse. Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe o il va dans le temps divis. Il nest plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus; qui au juste laima et lclaire de loin pour quil ne tombe pas ? Fureur et mystre, Posie-Gallimard p.214 Toutes les citations suivantes sont extraites des diffrents livres publis en PosieGallimard

Tu es press dcrire Comme si tu tais en retard sur la vie Sil en est ainsi fais cortge tes sources Hte-toi Hte toi de transmettre Ta part de merveilleux de rbellion de bienfaisance Effectivement tu es en retard sur la vie La vie inexprimable La seule enfin compte laquelle tu acceptes de tunir .. Essaime la poussire Nul ne dcelera votre union. Commune presence (Marteau sans matre) L'clair me dure. La posie me volera de la mort. Enfonce-toi dans l'inconnu qui creuse. Oblige-toi tournoyer. Je ne puis tre et ne veux vivre que dans l'espace et dans la libert de mon amour. Tout ce qui nous aidera, plus tard, nous dgager de nos dconvenues s'assemble autour de nos premiers pas. Ne te courbe que pour aimer. Si tu meurs, tu aimes encore. Nous sommes cartels entre l'avidit de connatre et le dsespoir d'avoir connu. L'aiguillon ne renonce pas sa cuisson et nous notre espoir. Extrait des Feuillets d'Hypnos L'ternit n'est gure plus longue que la vie.

Extrait des Feuillets d'Hypnos Un pote doit laisser des traces de son passage, non des preuves. Seules les traces font rver. Extrait de La Parole en archipel Vivre, c'est s'obstiner achever un souvenir. Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s'habitueront. Extrait de Rougeur des matinaux La seule signature au bas de la vie blanche, c'est la posie qui la dessine. Extrait de La parole en archipel Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mrite ni gards ni patience. Fureur et Mystre (1948) Ceux qui regardent souffrir le lion dans sa cage pourrissent dans la mmoire du lion. Les Matinaux (1950) Il faut tre l'homme de la pluie et l'enfant du beau temps. Le Marteau sans matre (1934) Il faut trembler pour grandir. L'ternit n'est gure plus longue que la vie. Feuillets d'Hypnos (1946) La lucidit est la blessure la plus rapproche du soleil. Feuillets d'Hypnos (1946) On nat avec les hommes, on meurt inconsol parmi les dieux. La Parole en archipel La parole soulve plus de terre que le fossoyeur ne le peut. Trois respirations , dans Recherche de la base et du sommet chaque effondrement des preuves le pote rpond par une salve d'avenir. Partage formel , dans uvres compltes ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mrite ni gards ni patience. Fureur et Mystre (1948)

au plus fort de l'orage, il y a toujours un oiseau pour nous rassurer. c'est l'oiseau inconnu. il chante avant de s'envoler. Les Matinaux (1950) Il semble que ce soit le ciel qui ait le dernier mot. Mais il le prononce voix si basse que nul ne lntend jamais. La parole en archipel Jaime qui mblouit puis accentue lobscur lintrieur de moi. Rougeur des matinaux Dans mon pays, les tendres preuves du printemps et les oiseaux mal habills sont prfrs aux buts lointains. Les Matinaux (1950) Le fruit est aveugle. Cest larbre qui voit. anthologie Ren Char, pomes en archipel p.175 J'habite une douleur Ne laisse pas le soin de gouverner ton cur ces tendresses parentes de l'automne auquel elles empruntent sa placide allure et son affable agonie. L'il est prcoce se plisser. La souffrance connat peu de mots. Prfre te coucher sans fardeau ; tu rveras du lendemain et ton lit te sera lger. Tu rveras que ta maison n'a plus de vitres. Tu es impatient de t'unir au vent, au vent qui parcourt une anne en une nuit. D'autres chanteront l'incorporation mlodieuse, les chairs qui ne personnifient plus que la sorcellerie du sablier. Tu condamneras la gratitude qui se rpte. Plus tard, on t'identifiera quelque gant dsagrg, seigneur de l'impossible. Pourtant. Tu n'as fait qu'augmenter le poids de ta nuit. Tu es retourn la pche aux murailles, la canicule sans t. Tu es furieux contre ton amour au centre d'une entente qui s'affole. Songe la maison parfaite que tu ne verras jamais monter. quand la rcolte de l'abme ? Mais tu as crev les yeux du lion. Tu crois voir passer la beaut au-dessus des lavandes noires Qu'est-ce qui t'a hiss une fois encore, un peu plus haut, sans te convaincre ? Il n'y a pas de sige pur. Le pome pulvris Bibliographie Arsenal, 1929 Le Marteau sans matre, 1934 Seuls demeurent, 1943 Le Pome pulvris, 1945

Feuillets d'Hypnos, 1946 Fureur et mystre, 1948 Le Soleil des eaux, 1949 Les Matinaux, 1950 une srnit crispe, 1951 Lettera Amorosa, 1952 Recherche de la base et du sommet, 1955 La Parole en archipel, 1962 Le Nu perdu, 1971 Aromates chasseurs, 1976 Chants de la Balandrane, 1977 Fentres dormantes et porte sur le toit, 1979 loge d'une souponne, 1988 Ren Char, Commune prsence, Gallimard Ren Char, Dans l'atelier du pote, choix de pomes par Marie-Claude Char, Quarto, ditions Gallimard, Paris, 1996 Ren Char, uvres compltes, ditions Gallimard, Bibliothque de la Pliade, Paris, 1983, dition revue en 1995.