Charcuterie Ancienne Et Moderne - Traité Historique Et Pratique

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  • Charcuterie ancienne etmoderne : trait

    historique et pratiquerenfermant tous les

    prceptes qui serattachent la [...]

    Source gallica.bnf.fr / Bibliothque nationale de France

  • Dronne, Louis-Franois (1825-.... ; charcutier). Charcuterie ancienne et moderne : trait historique et pratique renfermant tous les prceptes qui se rattachent la charcuterieproprement dite et la charcuterie-cuisine, suivi des lois... et statuts concernant cette profession... / par L.-F. Dronne ; [avec une biographie de l'auteur rdige par. 1869.

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  • ANCIENNE ET MODERNE. 4* *.

    ^ i

    'RENFERMANT

    TOUS LES PRCEPTES QUI SE RATTACHENT A IA CHARCUTERIE PROPREMENT DITEET A LA CHARCUTERIE-CUISINE

    SUIVI

    Des Lois, Ordonnances, Rglements el Statuts concernant cette profession

    AVEC GRAVURES ET DESSINS

    Par L.-F. DRONNE, charcutierMembre correspondant de la Socit d'Agriculture de Louhans.

    PAKIS

    EUGNE LACROIX, IJIBRAIRE- DITEURSi, HUIS DES SAINTS-PBBS

    ET .AU BUREAU DU SYNDICAT DU COMMERCE DE LA GlU-RCITERIK,78, RUE MOHTMAHTRl:.

    1869

    TOUR droite rserves.

  • TRAITE HISTORIQUE ET PRATIQUE

    DU

    LA CHARCUTERIEANCIENNE ET MODERNE

  • NOMS ET TITHES DES OUVRAGES

    CONSULTS PAR L'AUTEUR. ""

    Pline. Histoire naturelle.Varron. Des Moeurs des Romains.Catn d'Utique. Histoire des Gaules,Vitruve. Histoire naturelle,Sulpico-Svre. Des Gaules.Gllien. Observations sur les moeurs des Romains.Le Mnagier de Paris.Anciennes ordonnances des rois de France.De Lamare. Trait de la police.Encyclopdie philosophique, etc.Largilire. Des Matrises et des Jurandes.Encyclopdie mthodique.Mercier. Tableau de Paris.Sauvai. Histoire et Recherches des antiquits de Paris.Dictionnaire historique de la Ville de Paris.'Dulauro. Histoire de Paris.

    Iioileau, jivvl dis marchands. Des Mtiers dans Paris.te.Moyen-gc et la Renaissance.Encyclopdie des gens du monde.Annales de l'agriculture franaise.Gurnaud. De Vlevage des animaux domestiques.Savary. Dictionnaire universel du commerce.Histoire des Franais.Documents administratifs de la Ville de Paris.Bizet. Considrations sur la Boucherie et la charcuterie Paris.Ordonnances et arrts du Prfet de la Seine.Documents de l'histoire de France, recueillis par ordre de Napolon III

    Enqute de 1SC0 de la Chambre de Commerce de Paris.Hussein. De ta Consommation Paris.

  • Louis-FRANOIS DRONNE.

  • CHARCUTERIEANCIENNE ET MODERNE.

    TRAITE .HISTORIQUE ET PRATIQUEJ' ,- -. -* .

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  • BIOGRAPHIE

    DE

    L'AUTEUR DE CE ".TRAIT

    Rdige par l'DITEUR.

    DRON'NE (Louis-FRANOIS), auteur de cet ouvrage, estne le 8 juin 1825, dans le hameau de Maison-Neuve, com-mune de

    'Laign-on-Belin, dpartement de la Sartbe. Son[ire tait fermier et tonnelier la fois ; il cumulait-cette der-nire profession avec celle de tueur de porcs. C'est peut-tre ce dernier tat, qui n'est pas sans avoir une certaine im-portance domestique dans nos campagnes de l'ouest de laFrance, que le jeune DRONNE fut redevable de l'ide qui leporta embrasser la profession de charcutier, dont il a suagrandir le domaine tout en l'levant au degr de l'art culi-naire.

    Il est incontestable que la 'fte de la tuerie du porc, quechaque famille clbrait alors dans les villages de la Sarthe,tait propre laisser dans l'esprit d'un enfant vif et intelli-gent, des impressions qui devaient ragir sur son avenir. Onsait combien sont bornes les jouissances des habitants d

  • II

    nos campagnes et dans quelle large mesure ils savent en pro-fiter, dans les rares occasions qui s'offrent eux de pouvoiren user. La confection des rilles ou rillettes du' Mans, avecles restes de la salaison, qui suit la tuerie du porc, estnon-seulement la proccupation des familles rurales, maisencore un motif de runion ou de festival des familles entreelles.

    lev dans ce milieu champtre, o dominaient des moeurssimples et patriarcales, le jeune DRONNE fut envoy l'cole, peine g de huit ans. L'instruction, fort arriredans les dpartements, commenait alors se rpandre et se rgulariser, la suite du progrs imprim l'esprit publicpar la rvolution de 1830. La commune de Laign-Anblinavait pour institutrice la demoiselle Moine, qui lui enseignales premiers lments de la lecture; un instituteur, qui luisuccda deux ans aprs, complta une instruction primaire,qui devait tre fort borne, puisqu'elle ne se continua quejusqu' l'ge de douze ans.

    Mais, dans cet intervalle, l'intelligence de l'enfant, suppla l'insuffisance de ses matres. Il s'instruisit en quelquesorte.lui-mme, au sein de la famille, par des lectures qu'ilfaisait en commun dans le foyer domestique.

    Cependant le fermier du hameau de Maison-Neuve, quine voulait pas faire de son fils un savant, le jugea assez ins-:truit pour lui faire apprendre un tat, et l'envoya, l'ge dedouze ans, en qualit d'apprenti charcutier, la ville duMans. Il est remarquer, la louange de son pre, que cefut sur sa demande lui, que le jeune DRONNEembrassa laprofession de charcutier.

    Cette premire priode de la vie de l'auteur du Traitde la charcuterie ancienne et moderne est, comme on voit,trs-simple et trs-rnpdeste: dans ses commencements. Ellese borne aux sentiments intimes de la famille, du milieu des-

    quels se;dgagent les impressions vives et prcocps de l'en-

  • III

    fant, qui, par leur nature mme, chappent toute ana-

    lyse. Ce n'est que par la suite, et mesure que l'ge raffermitla raison et l'intelligence, qu'il est possible de se rendre uncompte exact des efforts faits pour se crer un avenir et une

    place dans la socit.Ce fut dans la maison Baroche, successeur de Borrel,

    dans la ville du Mans, que le jeune DRONNEfit ses premiresarmes dans la profession qu'il avait voulu embrasser. A cette

    poque, c'est--dire en 1837, l'art du charcutier tait fortarrir dans nos provinces. Si quelque innovation venait s'yproduire, ce n'tait que grces l'initiative ou l'entrepriseaudacieuse de quelque grand matre venant de la capitale.C'est ce qui arriva dans la ville du Mans. Borel, dont le noma une certaine clbrit dans sa profession, vint s'tablir dansle chef-lieu del Sarthe, y fonda une maison importante qu'ilcda Baroche.

    C'est ainsi que le jeune DRONNEeut l'avantage d'avoir pourpatrons et matres deux hommes qui ont laiss une rputa-tion justement mrite dans le commerce de la charcuterie.Mais si la renomme du matre exerce une certaine influencesur l'esprit de l'apprenti et contribue lui faire faire des pro-grs dans la carrire qu'il a embrasse, il importe aussi dereconnatre que l'aptitude qu'il montra lui-mme ne l'aidapas moins devenir un excellent ouvrier. C& fut l'aide deces deux moyens qu'il termina un apprentissage qui lui laissad'agrables souvenirs, dans lesquels se mlrent avec les sen-timents de la reconnaissance qu'il devait ses premiers matresun attachement sincre pour la ville o il avait appris les pre-miers prceptes de son art.

    11 quitta, toutefois, non sans regret, la ville du Mansen 1812, pour venir Paris se perfectionner. On sait quetous les tats sont soumis plus ou moins d'exigences quiles rendent d'un accs non moins difficile pour ceux quiveulent les exercer d'une manire complte. Celui de cliar-

  • cutier est de ce nombre. Habilet, soins continuels, propret,intelligence prompte, activit, il exige tout cela de celui quiveut l'exercer dans toute la plnitude des ressources qu'ilrenferme. C'est, ainsi qu'il pratiqua pendant trois annes sontat dans diffrentes maisons de la capitale.

    Ces trois ans rvolus, le jeune DRONNE fut appel, dansson pays, tirer au sort, lequel ne lui fut pas favorable ; caril fut compris dans le nombre des conscrits tombs au sort;c'tait eu 1845. Nous ajouterons que, pour ne pas renoncer sa profession, il se fit remplacer. . . .

    Dlivr'des exigences du service militaire, Louis DRONNEresta dans Paris, aprs avoir sjourn quelque temps dansson pays natal, et entra, en 1846, dans la maison Breton, quilui appartient aujourd'hui, et dans laquelle il travailla en qua-lit d'ouvrier. Qu'il nous suffise de dire qu'en 1850, le-20 mars, il s'tablit lui-mme dans une maison de charcuteriequ'il acheta daiis le faubourg Montmartre.

    Cependant, en 1855, Louis DRONNE se dtermina vendrecet tablissement. 11 se retira pendant deux ans des affaires,afin d'tudier la question des porcs du Morvan, dans le butd'en tirer un parti nouveau pour la confection des saucissonsde Lyon. Cette tude en amena d'autres touchant l'art ducharcutier, et c'estainsi que joignant la pratique. la thorie,il voulut atteindre ce degr de perfection que tient acqurirtout travailleur amoureux de sa profession.

    Nous ferons observer que ce ne fut qu'en 1857 qu'il achetala maison Breton, et prit possession le l 01'juillet de l'anne1858. C'est dans cette maison (1) que l'auteur de ce traita voulu crire ce livre. 11 suffira de le parcourir pour y

    (1) Portant l'enseigne de VHomme de la Roche de Lyon, qui fut cre,en 1777, par M. Cailloux pore, qui eut pour successeurs : Cailloux fils,en 1S01 ; Etienne, on 1823; Breton, en 1841. On peut voir, au sujet decette enseigne, ce que nous en disons dans 'le'cours de cet ouvrage.

  • Vretrouver dans tous les dtails de leurs, recettes et de leursconfections tous les prceptes qu'il y a professs. Le Traitede la charcuterie ancienne et moderne est le rsum de lascience perfectionne applique l'art du charcutier. Dans cetravail, consciencieusement crit, on retrouvera toute la viede l'auteur, on y reconnatra tout son gnie d'initiative ; c'estla plus belle page de sa biographie, puisqu'il n'a pas hsit livrer au public le fruit de ses veilles, de ses travaux et deson exprience. C'est assez souvent le contraire qui se pro-duit. Il n'a pas voulu, notre historien de l'art du charcutier,que les prceptes dont il s'est fait l'interprte restassentignors du public.

    E. L\CROIX.

  • PRFACE.

    J'ai hsit longtemps avant d'crire l'ouvrage queje publie en ce moment. Je ne me suis dtermin je faire que lorsque le jury de l'Exposition univer-selle de Paris de l'anne 1867, et plusieurs autresjurys, ont reconnu mes produits dignes de rcom-penses (1). C'est alors que, recueillant tous les docu-ments qui se rattachent notre profession, et lesajoutant aux faits-qu'une pratique de trente ans m'aport reconnatre comme importants, au point devue du travail de la charcuterie, je me suis dcidenfin rdiger ce livre.

    Que le lecteur me permette, ce sujet, de lui faire

    (1) Les Expositions universelles o mes produits ont t rcom-penss, sont :

    A Paris, Exposition universelle de 1867, mdailles d'argent et debronze. A Amiens, Exposition'agricole et industrielle de 1867, m-daille d'argent. A Lo'uhans, Exposition de 1867, mdaille d'argent. Au Havre, Exposition internationale et maritime de 1868, mdailled'argent. A Loulians, Exposition du concours, 1869, mdaille d'ar-gent. A Beauvais, Exposition industrielle de 1869, mdaille de ver-meil. A Altona, Exposilion universelle de 1869, mdaille d'or.

  • VIII

    part de quelques-unes de mes observations; ellesserviront lui expliquer les motifs de ma dtermi'-nation.

    L'art du charcutier est trs-ancien ; on pourraitmme dire qu'il se perd dans la nuit des temps.Ainsi que l'art culinaire, il traite de la subsistancede l'homme et de son bien-tre matriel; et, cetitre, il m'a paru digne de fixer l'attention non-seule-ment des gens de notre mtier, mais encore de ceuxqui s'occupent d'amliorer l'conomie domestique.Sous ce rapport, on verra que les anciens peuples neddaignaient pas cette partie de l'alimentation pu-blique dont le porc est la base.

    Aussi, pour tre.le plus complet possible clanscelte tude, T'ai-je divise en deux parties, comprisessous les dnominations de charcuterie ancienne etcharcuterie moderne.

    Dans la premire partie, j'ai d rechercher tout cequi se rattache l'usage que les anciens faisaient dela chair dujporc; dans quelle.proportion elle entraitdans leur approvisionnement et comment ils savaientjustement l'apprcier, mme dans les plus hautesclasses,de la socit. En suivant successivementl'ordre des faits, j'ai constat ce qu'avait t la char-cuterie pendant le moyen ge, quels furent les r-glements qui la.concernaient et quelle poque il fautassigner l'origine de notre corporation. Sous cerapport, je crois : n'avoir nglig aucuns dtailspouvant intresser 'non-seulement les gens de notremtier, mais encore tous ceux qui s'occupent de re-cherches historiques.- A cet effet, j'ai mis contri-bution tous ls auteurs:qui se sont occups, de prs

  • IX

    ou.de loin, de la charcuterie sous sesdivers dvelop-pements, soit thoriques, soit pratiques,, soit, mmerelatifs sa rglementation. -

    Dans.la seconde partie, qui a rapport .la charcu-terie moderne, j'ai cru,ne devoir rien ngliger de/toutce qui se rattache mon sujet. Ainsi l'levage duporc, les diffrentes, races dont il se compose, la ma-nire de le tuer, de le dpecer et d'utiliser ses di-verses parties pour servir l'alimentation, toutescesdiverses questions ont t traites avec le soin leplus scrupuleux, en ne sortant jamais du cercle tracpar la pratique la plus simple et la plus ration-nelle.

    L ne s'est pas born mon rcit; j'ai cru devoirle faire suivre de dtails particuliers sur la char-cuterie proprement dite, sur la charcuterie-cuisine,sur la ptisserie et la confection des pts et des ter-rines, dans leurs rapports avec l'art du charcutier.Pour remplir ce vaste cadre de la charcuterie mo-derne, je me suis dtermin dcrire tous les articlesqui la concernent, en indiquant ce que la pratique etl'exprience m'ont appris. De sorte que j'ai ajoutaux prceptes de l'art, les faits que j'ai constatmoi-mme pendant un long exercice de ma profes-sion.

    Dans tous les cas, je n'ai rien nglig pour plaire,intresser et instruire tout lecteur, mme celui quirelve de notre mtier. Il importe de remarquer, ce sujet, que mon intention a t de composer unlivre nouveau sur un art fort peu connu dans ses di-verses phases historiques, et dont les ressources ali-mentaires ont tjuges, tort, comme trs-bornes.

  • Je serais heureux de lui restituer le rang qu'il m-rite d'occuper parmi tous les autres arts qui traitentde la nourriture de l'homme.

    Toutefois, quel que soitle jugement que l'on porterasur l mrite de ce livre, il en est un qu'on ne pourracontester son auteur, c'est qu'il l'a compos aupoint de vue du progrs, dont il s'est toujours mon-tr, dans l'exercice de sa profession, le srieux etl'ardent propagateur.

    L.-F. DRONNE.

    Paris, le 2 novembre 1869.

  • TRAITEDE LA

    CHARCUTERIE ANCIENNE ET MODERNE.

    PREMIRE PARTIE.

    CHARCUTERIE ANCIENNE.

    CHAPITRE PREMIER.

    De l'art du charcutier chez les anciens peuples. Comment il se transmitchez les Gaulois. Adopt par les Francs, il fait partie de l'alimen-tation publique. Premiers rglements de police qui concernent la

    profession de charcutier ou chaircuitier, en France.

    L'art du charcutier remonte une trs-haute antiquit. ARome, on s'occupait d'une faon toute particulire du soind'lever et d'engraisser les porcs. On dcrta mme sous lenom de porcella une loi qui indiquait la manire dont on de-vait les lever, les nourrir, les tuer et les prparer .pour servir la nourriture du peuple et des grands seigneurs. Cettemme loi rglait l'exercice de la profession de charcutier dansles moindres dtails. Aussi Pline estime-t-il que le nombredes porcs que l'Etrurie seule expdiait annuellement Rome,

  • 2tait de vinyt mille, chiffre qui ne doit pas nous paratreexagr, alors que nous voyons Paris, capitale de la France,en consommer, chaque anne, environ trois cents mille (1).

    Aussi, sous les Empereurs romains, la prparation de laviande de porc tait-elle porte un degr extraordinaire de.raffinement. Les riches appartenant la haute aristocratieavaient deux manires de la prparer. La premire consisrtait servir l'animal tout entier et cuit de telle faon, qu'unct en tait bouilli et l'autre rti, sans que ces deux genresde cuisson se confondissent ensemble. Il est regretter quele procd qu'on employait ne nous ait pas t transmis.Nous savons seulement que la cuisson de l'animal s'effectuaiten mme temps, au moyen d'un appareil que Vitruve appelletrs-ifignieux.

    La seconde manire tait dite la troyenne et avait lieude la faon suivante : Le cochon, vid et cuit dlicatement,tait rempli de grives, de becs-figues, d'hutres et d'unegrande quantit d'oiseaux et de poissons rares et prcieux,arross devins et de jus exquis. Cette prparation lait sionreuse, qu'elle ruina plusieurs chefs de grandes familles,et devint le motif d'une loi sompluaire.

    Quant au peuple de Rome, il prparait la viande de porcde diverses manires et la conservait en la hachant et en larduisant en chair pt mlange avec du sel, des pices etdes aromates. La mortadelle qui se fabrique encore Gneset dans quelques villes d'Italie, parait tre une tradition del'ancienne manire dont le peuple de Rome prparait la viandede porc. Nous observerons, ce sujet, que la charcuterie ac-tuelle de l'Italie, celle qui est surtout la plus renomme, re-

    (1) Un 'dos plus clbres mdecins de l'antiquit, Gallien, dit que le porc est le plus excellent et le plus nourrissant aliment que l'on connaisse; sa chair est foitilianto, entretient le corps dans son ner- gie, et ne saurait l'exposer aucune maladie, etc.

  • 3

    monte par soi origine l'poque de l'Empire romain. Elle

    est un reste de cette charcuterie.On sait que dans les Gaules, le porc tait la nourriture la

    plus gnrale et la plus estime. Les forts de chnes dont lesol tait couvert fournissaient dans les glands une nourriturefort recherche par ces animaux qui y trouvaient un engrais-sement rapide et peu coteux. En parlant de ces forts, Sul-

    pice-Svre dit textuellement : qu'elles fournissaient en abondance des chnes propres la construction des na- vires et dont les fruits (glandul) servaient l'engraisse- ment d'une grande quantit de porcs trs-estims et dont il se faisait un commerce considrable. La ville de Sois-sons parait avoir t, dans les Gaules, le centre o l'levagedu cochon jouissait de la plus grande rputation. Nous trou-vons, au reste, dans toutes les anciennes chartes, que laprincipale dot des glises, l'origine de la monarchie fran-aise, consistait dans la dme des cochons; et c'est ainsi queles plats destins en servir la chair, taient dsigns par unmot particulier (baccon), qui signifiait porc engraiss.

    Nous lisons, en effet, dans un capitulaire de l'anne 885,concernant l'glise de Reims, la disposition suivante :

    Le chapitre de l'glise prlvera sur le territoire de Saint-Pi otais, la dme d'un cochon de lait par six habitants et celle d'un cochon gras par dix habitants, lesquels ani-

    | maux seront ports l'conomat du chapitre, tous les ans, partir de la Toussaint jusqu'au premier jour du carme. Rcipiss en sera donn nominativement aux habitants du territoire dixmaire. Lesquels cochons de lait et engraisss seront vendus au profit de l'glise pour en tre le produit consacr la construction de la Basilique. .

    Lorsque les Francs, matres de la Gaule, la suite de laconqute, s'y furent tablis, ils adoptrent en grande partieles moeurs et les habitudes des anciens habitants. L'usage

    2

  • 4.; .

    de se nourrir de la viande de porc entra, un des premiers,dans leur genre d'alimentation. Il est mme croire, sil'on en juge par le gt des Allemands, leurs anctres, pourle lard qui est pass en proverbe, qu'ils avaient une prdi-lection trs-marque pour la viande de pore. Les documentsanciens constatent, en effet, que le cochon servait, en mme

    temps, de nourriture fondamentale et d'assaisonnement :

    toute autre nourriture. Le ricbe lui devait le moelleux, la

    varit, le luxe mme de ses mets; le pauvre, l'unique agr-ment de sa table; il n'tait pas une seule partie du porc dontils ne tirassent profit. Aussi,: un proverbe populaire qui est

    parvenu jusqu' nous, disait du cochon : que tout en est bon,depuis l'a tte jusqu'aux pieds.

    Pour justifier la vrit de ce proverbe qui trouve sa sanc-tion dans l'usage gnralement Tpandu que faisaient nosanctres de la viande de porc, dans leur alimentation, il noussuffira de remonter l'poque la plus recule de notre his-toire o nous trouvons les premiers titres concernant la r-

    glementation se rapportant l'usage qu'on en faisait.Disons d'abord que dj vers le milieu du xvr 3 sicle, on

    appelait chaircutiers ceux qui prparaient et vendaient de lachair de porc, soit crue, soit cuite, soit apprte en cervelas,saucisses, boudins ou autrement. Ils prparaient et vendaientgalement les langues de boeuf et de mouton. L se bornaientleurs uniques prparations.

    Nous ferons observer, ce sujet, que le commerce pro-prement dit des chaircutiers est bien plus ancien que la com-munaut qui les concerne et que nous faisons remonter,d'aprs des documents authentiques, vers le milieu duxve sicle. Il est incontestable qu'avant cette poque, il yavait depuis longtemps, et en remontant mme jusqu'aurgne de Charlemagne, des: saulcssiers et des chaircuiticrsqui ne s'taient pas runis encore en communaut formantune corporation distincte. Ce fut prcisment leur sujet

  • 5

    que furent proclams les premires ordonnances et les pre-miers statuts que nous allons transcrire.

    Toutefois et avant eux, les bouchers, comme nous le

    voyons dans les rglements de Boileau, prvt des mar-chands, sous le rgne de saint Louis, faisaient le commerce dela viande de porc ; et ce fut prcisment au sujet de la m-fiance que l'autorit conut touchant l'exercice de leur tat,relativement cette qualit de viande, qu'eut lieu la crationde trois sortes d'inspecteurs dsigns sous le nom de :1 Langayeurs ou visiteurs des porcs la langue ; 2 Tueursou agents s'assurant par l'examen des parties internes descorps de ces animaux, s'ils taient sains ou non; 3 Cour-tiers ou visiteurs des chairs, dont les fonctions consistaient chercher dans les chairs dpeces et coupes par morceaux,s'ils n'y remarquaient pas des signes de maladies qui ne semanifestent pas toujours soit la langue, soit aux partiesintrieures.

    C'est ainsi que les bouchers jouissaient paisiblement de lafacult de vendre des viandes de toute espce, notamment deporc, "lorsque survinrent et l'ordonnance qui organisa la cor-poration des charcutiers et les rglements qui les concernaient :ordonnance et rglements que nous allons reproduire. L,est l'origine de la charcuterie pendant le moyen-ge, laquellese relie par la tradition la charcuterie ancienne. Ce quiexplique comment nous classons la charcuterie pendant lemoyen-ge, dans l'poque ancienne. Nous verrons, d'ailleursqu'elle se rattache plutt la priode ancienne par son orga-nisation et sa fabrication qu' l'poque moderne dont ellediffre entirement. Autrefois le travail du charcutier se bor-nait une pratique simple et primitive ; aujourd'hui le tra-vail du charcutier s'est lev jusqu'au degr de l'art. Oncomprend donc toute la diffrence que nous devons mettre,dans l'ordre de notre rcit, entre ces deux sortes de fabrica-tion, au point de vue de leurs dates.

  • 6

    Il importe de constater que jusqu'au Ve sicle de l're chr-tienne, la charcuterie tait en grande rputation dans lesGaules, si bien qu'on y expdiait pour Rome et autres villes del'empire, des quantits considrables de jambons, saucisses,cervelas, etc. Il fallait donc que la profession ft alors en trs-grand renom.

    Mais partir du xQ sicle, nous voyons la charcuterieperdre son importance primitive ; le nom mme de la pro-fession disparat et ce sont les bouchers qui s'en emparent eten continuent l'exercice. Il est curieux de suivre dans lesanciens titres la marche de celte substitution d'un tat unautre. Les rglements de police et les statuts mmes quiconcernent la corporation des bouchers nous en offrent unepreuve

    II est dit d'abord que la corporation des bouchers est laplus ancienne de toutes et qu'elle se perd clans la nuit destemps; que ses membres ont t de tous les temps libreset indpendants de toute autorit ; que leur communauts'tant forme et constitue toute seule, n'avait pas besoind'tre approuve ni confirme. Quant l'exercice de la bou-cherie il tait hrditaire dans chaque famille de boucher ettransmissible du pre au fils, sans qu'aucune ordonnance

    royale pt empcher cette transmission.Relativement l'exercice de leur profession, ils avaient le

    droit de tuer et dbiter toute sorte de viande, tels que boeufs,veaux, moutons, porcs, chvres, dans les lieux dtermins etqui taient primitivement aux environs de la Tour Saint-Jacques ou plutt de l'glise de Saint-Jacques de la Bouelie-rie, ainsi nomme cause du voisinage des bouchers, et plustard auprs du parvis de NotreDame. Or, il est incontes-table, d'aprs tous les titres qui les concernent, que les bou-chers achetaient les porcs et les vendaient au dtail. C'estainsi qu'ils s'emparrent d'un monopole qui appartenait pr-cdemment une communaut particulire, celle des char-

  • 7

    ! cutiers. C'est, au reste, comme nous l'avons vu plus haut, : cause d'eux que l'on cra les langayeurs et visiteurs de

    i porcs.Mais si les bouchers avaient le privilge exclusif, partir

    du vc sicle jusqu' une poque postrieure que nous dter-I minerons plus lard, de tuer et vendre le porc cru, ils n'avaient

    pas celui de l prparer ni de le vendre cuit. A qui apparte-I nait ce dernier privilge ? videmment aux oyers (rtisseurs: ou vendeurs d'oies rties) qui d'aprs le livre des rglements: des Arts-et~Mtiers de la Ville de Paris, recueillis par Boi-; leau, prvt des marchands en 1134, habitaient la rue aux

    Oyes dont on a fait plus tard, par corruption du mot, la rue auxOurs. Les oyers s'taient donc empars du droit ancienne-ment dvolu un corps d'tat spcial que nous voyons dispa-raltre Yers le v sicle, de prparer et faire cuire le cochon,

    i et qui n'tait autre que le charcutier de l'poque.\ Les statuts qui concernent les oyers, et que nous relevons' dans le livre des rglements des Mtiers de Boileau, ne nous' laissent aucun doute ce sujet ; si bien que nous croyonsdevoir considrer les oyers comme tant le.s charcutiers de la

    ; priode qui se trouve place entre le v etle xv" sicles. Le| commerce de la charcuterie n'a plus, il est vrai, cette hautei importance qui faisait de ses produits, sous l'poque gauloise,I sagrande rputation par les expditions lointaines qu'elle elec-| tuait; mais elle se borne fournir l'alimentation de Paris; quelques produits dtermins d'avance par les rglements et: que nous allons faire connatre dans le chapitre suivant.

    Vers le xiv sicle, des contestations nombreuses s'le-vrent entre les bouchers et les oyers ou rtisseurs au sujetdo leurs droits rciproques. Les premiers prtendaient que

    ; ces derniers devaient leur acheter le porc qu'ils vendaient et| non ailleurs ; qu'ils n'avaient pas surtout le droit de l'acheteri a des marchands forains, au prjudice de leurs taux, et, en: consquence, dirigrent des poursuites contre eux. Ces con-

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    testations fort nombreuses, pendant le moyen-ge, durrentainsi plusieurs sicles. Elles prirent une nouvelle transfor-mation en 1350, par suite de l'intervention des ptissiersdans l'exercice de la charcuterie. Ceux-ci prtendaient qu'ilsavaient, aussi bien que les oyers ou rtisseurs, le droit deprparer le porc, de le dbiter et le vendre au dtail. De ls'ensuivit de nouvelles rglementations qui semaient laguerre, au lieu de la conciliation, au sein des corporations.

    Ainsi, les bouchers, les rtisseurs et les ptissiers s'taientpartags eux seuls le droit d'exercer l'ancienne charcuterie,mais ils n'avaient pas hrit de la science qu'avait montrecette dernire d'en faire le commerce. Avec ces trois corpsd'tat, la charcuterie se bornait simplement servir diffrentesparties du porc cuites et prpares seulement de quatre oucinq manires diffrentes. 11 fallait encore-que ces prpara-tions fussent bien stipules par les rglements et conformes,en tous points, leurs statuts respectifs.

    Cette division dans un travail qui n'aurait d concernerqu'une seule et unique corporation, et les nombreuses con-testations qui en furent la suite, donnrent lieu la forma-tion d'une communaut qui runit les diverses attributions,en si; fondant sous les noms de charcutiers, saulcisseurs.Cette formation eut lieu en 14-75. Comment s'opra cettecration 1 Un certain nombre de rtisseurs et de ptissiers,jugeant par le dbit que la vente du porc devait et pouvaitdevenir considrable, surtout si cette viande tait travailleet prpare convenablement, se runirent ensemble, rdi-

    grent dos statuts, acquittrent des droits en argent au roi,les firent approuver, et fondrent'la communaut ou corpora-tion des charcutiers.

    A dater de ce moment, la vritable tradition de l'anciennecharcuterie est retrouve ; elle se relie son pass, et aprsdix sicles environ d'interrgne elle reparait pour continuerl'histoire et l'exercice de son art. C'est ainsi que la corpora-

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    tion des charcutiers, cre en 1475, se rattache l'anciennecharcuterie ; et c'est, au reste, ce point de vue que nousallons l'tudier dans les chapitres suivants.

    Toutefois, avant d'aborder les dtails qui la composent soitdans son organisation, soit dans sa fabrication, nous allonsconsacrer le chapitre suivant faire connatre les principalesdispositions des statuts qui concernent les bouchers, les

    oyers ou rtisseurs et les ptissiers qui s'taient empars dudomaine de l'ancienne charcuterie et dont ils sont, leurtour, expulss par les vritables hritiers de l'art ancien.C'est donc aprs avoir mis sous les yeux de nos lecteurs tousles documents curieux et intressants qui se rapportent laprofession de charcutier, pendant le moyen-ge, que nousaborderons la question de la corporation elle-mme, daterde sa nouvelle origine, en 1475, et que nous continueronsjusqu' la rvolution de 1789, poque o prend fin l'histoirede la charcuterie ancienne et o commence celle de la char-cuterie moderne.

  • CHAPITRE II.

    Rglements et Statuts concernant les oyers ou rtisseurs. Rglementset Statuts relatifs aux Ptissiers. De la Boucherie et de ses usages

    pendant le moyen Age. Statistique de la viande do pore consomme

    , celte poque. tat de la charcuterie au moment o se forme lacorporation, en 1475.

    Nous avons vu comment les bouchers s'taient approprile droit de tuer et de vendre les porcs qui se consommaientdans Paris, aprs le v sicle. Voici, ce sujet, une citationqui confirme le fait; elle est emprunte au Trait de la po-lice, de Delamare : Autrefois, dit-il, les seuls bouchers vendaient toute la grosse chair crue, celle de porc aussi bien que celles de tous les autres bestiaux qui composent encore aujourd'hui leur commerce. Quant au lard et auxjambons qui arrivaient Paris, ils taient, dj avant le rgnede Louis IX et sous le rgne de ce prince, soumis un droitd'entre qu'on nommait, cette poque, Yobole du rivage deSaine. Ce droit tait formul en ces termes : chascun bascon (1) entiers doit obole de rivage, et si son oint (graisse) i est, ne doivent-ils qu'obole de rivage, portant (pourvu) ques li bascon et li oins soient une per- sonne, etc.

    Relativement aux oyers, appels cuisiniers ou rtisseurs

    (1) On appelait buscon ou bacon, dans l'ancien langage, le cte d'unporc sal et quelquefois le porc entier. 11 dsignait parfois le lard ou lejambon.

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    indistinctement, les rglements et statuts qui les concernent,remontant une date fort ancienne, offrent un vritableintrt historique et nous confirment dans notre opinion,qu'ils ont t les successeurs, concurremment avec les bou-chers, de ces anciens charcutiers qui, selon Caton, appor-taient des Gaules Rome jusqu' quatre mille flches de lard;auquel envoi ils ajoutaient encore, d'aprs Varron, beaucoupde jambons, d'andouilles et de saucisses.

    Voici, au reste, quelques-uns des articles que nous dta-chons des statuts des gens du meslier des oyers de la ville deParis :

    Item, que nulz n'achate os que en la place ou es-champ s qui sont entre le ponceau du Rotille du pont du Chaillouau (Chaillot) jusques aux faubourgs de Paris, au cost d'entre .Saint-Honor et le Louvre

    Item, que nulz ne cuise ou rtisse ous, ou vel, agniaux, chevraux, couchons, se ils ne sont bons, loyaux et souffl-et sans pour manger et vendre, et aient bonne moelle, sur

    la peine de l'amende de x solz. Item, que nulz ne puisse garder viande cuite jusqu'au

    tiers jour pour vendre ne acheter, se elle n'est sale souf-'( fisamment, sur les peines dessus dites.

    Item, que nulz ne puisse faire saucisses de nulle char. que de porc, et que la char de porc de quelle elles sontA faites soit seine, sous peine de la dite amende, et se elles sont autres trouves, elles seront arse (brles).

    Item, que nulz ne cuise char de buef, de mouton ne de porc, se elle n'est bonne et loial et souffisante a bonne monelle, sur la peine dessus dite.

    Item, que toutes chars qu'ils vendront, soient cuites, sales et appareilles bien souffsamment

    Item, que nulz du dit mestier ne puisse vendre boudins de sanc, peine de la dite amende, car c'est prilleuse viande

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    Nous observerons, ce sujet, que la.prohibition relativeau boudin de sang se trouve dj dans les dcrets du Bas-Empire, que Delamaro a rappele dans son Trait de lapo-lice. Peut-tre l'aversion pour ce comestible venait-elle dela crainte qu'on avait, dans le temps des Barbares, du m-

    lange du sang de porc au sang humain.Quoi qu'il en soit, cet article seul dmontre l'anciennet

    du mtier des oyers et nous confirme dans l'opinion que nousavons mise, qu'ils taient les successeurs des charcutiers

    gaulois nos anctres, qui fournissaient de la viande de porcnon-seulement Rome, mais encore plusieurs provinces de

    l'Empire romain. Au reste, le commerce des porcs tait si

    grand Paris, dans les premiers temps de cette ville, que la

    place o se vendaient tous les bestiaux n'tait connue quesous le nom de March aux pourceaux, parce que le nombre

    qui s'y trouvait devait excder, sans doute, celui des boeufset des moutons, que leur chair tait plus estime et, d'un

    usage plus gnral.C'est aussi dans cet ancien temps, o les approvisionne-

    ments considrables prsentaient tant de difficults, que l'on

    encouragea l'importation des porcs des marchands forains.On leur accorda mme, ces poques recules, des faveursde toute sorte, une protection spciale et des franchises dontils ne manqurent pas, dans la suite, de se prvaloir, et quidonnrent lieu de nombreuses contestations, ainsi que nous

    l'indiquerons leurs dates.Les ptissiers, leur tour, ne manqurent pas de faire

    concurrence aux oyers ou cuisiniers-rtisseurs : En ce temps ancien, dit Delamare, les ptissiers, taient galement cabaretiers, rtisseurs et cuisiniers. C'taient eux qui en- treprenaient les noces et banquets. Les anciennes ordon- nances de police font dfense toutes personnes de les y troubler. Ce n'est pas qu'il n'y et Paris une commu- naut de rtisseurs aussi ancienne que celle des ptissiers,

  • ._ 14. _

    mais il n'tait permis ceux de cette communaut que de faire rtir seulement de la viande de boucherie et des oyes. C'est de l qu'ils furent nomms oyers. Tout le gibier, toute la volaille et l'autre commune viande, mme le porc, taient prpars et vendus par les ptissiers. Cet usage est tir de leurs statuts.

    Deux.corporations puissantes, comme on voit, se parta-geaient le commerce de la charcuterie pendant le moyen geet avant la constitution de la corporation des charcutiers, en14-75-.Nous allons voir dans quelles proportions, en retraantd'une manire rapide quelles taient les moeurs publiques,pendant le moyen ge sous le rapport de l'alimentation.

    Nous avons vu qu'entre tous les animaux domestiques,le porc tait, l'origine de la monarchie et dans les siclessuivants, considr comme le plus utile l'homme. Les vo-ques, les grands, les rois mmes, entretenaient des trou-peaux de cochons, tant pour la consommation de leur tableque pour l'augmentation de leur revenu. Saint ltemy, partestament, laisse ses porcs partager galement entre sesdeux hritiers. Mappinius, archevque de Reims au vr si-cle, crivait Villicus, voque de Metz, pour s'informer duprix courant des cochons. Charlemagne, dans les Capitu-laires, ordonne ses rgisseurs d'lever un grand nombre deporcs. Un tat des revenus et dpenses de la maison dePhilippe-Auguste, pour l'anne 1200, fait mention d'unesomme de 100 sous employe pour achat de cochons. On voitenfin, par un dnombrement de l'abbaye" de Saint-Remy deReims, que cette abbaye possdait quatre cent quinzeporcs.

    Cette prdilection pour la chair du porc fut telle, au moyenge, qu'il n'y avait pas, pour ainsi dire, un bourgeois deParis, qui n'engraisst chez lui deux ou trois cochons. Du-rant le jour, on les lchait dans les rues, qu'ils taient chargsde nettoyer. Philippe, fils de Louis le Gros, passant, le 2 oc-

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    tobre 1131, rue du Martroi, entre l'Htel de ville et l'gliseSaint-Gervais, fut renvers par un cochon qui s'tait jetentre les jambes de son cheval, et il se brisa la tte en tom-bant. Cet accident occasionna contre les porcs un rglementde police qui fut bientt oubli. Ce ne fut que plus tard qu'ondfendit de nourrir des porcs dans la ville.

    Il y avait certains repas o l'on ne servait que du cochon

    apprt de diffrentes manires. Ces repas taient nommsbaconiques, du vieux mot bacon, qui, comme on sait, signifieporc. Le chapitre de Notre-Dame banquetait ainsi solennel-lement aux ftes de Nol, de l'Epiphanie et de quelques au-tres ftes. On croit que ce fut l l'origine de l'ancienne foireaux jambons qui se tenait, le jeudi de la semaine sainte, auparvis de Notre-Dame. A la fin du xvie sicle, on accouraitde tous les points de la France, et surtout de la Normandieet de la basse Bretagne, cette foire clbre, qui s'est per-ptue jusqu' nos jours. On assure qu'au xvi" sicle ,le meilleur porc venait de Chalon-sur-Sane. Toutefois, ausur sicle, le cochon d'Angleterre avait t en grande rpu-tation; c'tait l une des denres que rapportaient le plusvolontiers les marchands franais qui allaient ngocier en- cepays.

    A Nol et la Saint-Martin, jours de rjouissance domes-tiques, depuis les commencements de la monarchie, les gensaiss tuaient un cochon, qu'ils salaient ensuite pour leurprovision de l'anne (1). Ceux qui n'taient pas assez richespour subvenir seuls cette dpense, s'associaient plusieurset la partageaient entre eux. On faisait alors, comme aujour-d'hui, des boudins et des saucisses qu'on mangeait en fa-mille.

    L'auteur anonyme du Wnagier de Paris nous a laiss, sur

    (1) Cet usage existe encore dans plusieurs de nos provinces, notam-ment danslaUourgognc, le Dauphi n, la Franche-Comt, la Lorraine, etc.

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    les diverses boucheries de la capitale et sur la vente hebdo-madaire de chacune d'elles, au xivc sicle, la curieuse statis-tique suivante :

    Boucheries de Paris et leur dlivrance de char (chair) : A la porte de Paris (espace aujourd'hui compris dans la

    place du Cbtelet), dix-neuf bouchers vendent pour sep- maine, eulx tous, l'un temps parmi l'autre, et la forte saison portant la faible :

    Moutons 1,900 Boeufs 400 Pourceaulx 400 Veaulx ". 200

    Saincte-Genevifve : Moutons 500 Boeufs 16ft Porcs 16 Veaulx 6

    Le Parvis : Moutons 80 Boeufs 10 Porcs. 8 Veaulx 10

    Saint-Germain, a treize bouchers : Moutons 200 Boeufs 30 Porcs 50 Veaulx 30

    Le Temple, deux bouchers : Moutons 200 Boeufs 24 Porcs 32 Vaulx 28

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    Saint-Martin : Moutons '. 250 Boeufs.. 24 Porcs 32 Vaulx. 28

    Ce qui faisait, en somme, pour la consommation de Paris, sans le fait du roy et de la royne et des autres nos sei-

    gneurs de France, 512 boeufs, 3,130 moutons, 528 co-chons et 306 veaux par semaine; et 26,624 boeufs,-162,760 moutons, 27,456 cochons, et 15,912 veaux par an.

    Dans cette statistique ne figurent pas les lars (porcs sals),dont on faisait un grand usage. Au vendredi absolu (vendredisaint), il s'en vendait deux trois mille.

    L'ostel du roy en office de boucherie montait bien, pour sepmaine :

    En boeufs 16 En moutons 120 En vaulx 16 En porcs 12

    Soit, par an, 6,240 moutons, 832 boeufs, 832 veaux et624 cochons.

    La royne et les enfants, pour sepmaine : Moutons 80 Vaulx 12 Boeufs. '..... 12 Porcs 12

    Soit, par an, 4,160 moutons, 624 veaux, 624- boeufs et624 porcs, auxquels il faut ajouter 200 lars pour l'ostel du roy et 120 lars pour la maison de la royne et dos enfants.

    Quanta la consommation des maisons des ducs d'Orlanset de Berry, elle tait la mme que celle de la maison de lareine.

    Tel est l'tat de la consommation de la viande de boucherie

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    Paris, pendant le moyen ge. Il nous donne une ide de sonimportance, en la comparant ce qu'elle est de nos jours.

    Nous trouvons galement que, pendant le xive sicle, leporc tait, comme rti, en grand honneur dans les palais etles htels des princes. C'est ainsi qu'on ne manquait jamaisde servir, dans les grands repas, un porc eschaud, un por-celet farci et un bourbelier (poitrine) de sanglier. On servaitmme, en guise d'entremets, des cervelas, une hure de san-

    glier et un jambon de Mayence.C'est ainsi qu'antrieurement la constitution de la com-

    munaut des charcutiers, la viande de porc tait en trs-grande estime non-seulement dans la classe du peuple, maisencore dans les hautes rgions de l'aristocratie.

    Grces au got qu'on avait pour la viande de porc et augrand dbit qu'en faisaient les oyers et les ptissiers, il arrivaque plusieurs de ces derniers se runirent pour former unecommunaut, en vendant du porc cuit et des saucisses toutesfaites. Us se dsignrent sous les noms de saulcissiers ouchaircuiiiers. La profession devenant lucrative et le nombredes dbitants augmentant tous les jours, le Parlement futoblig de les limiter un certain chiffre. Un rglement de1419 interdit l'exercice de cette profession aux chandeliers etaux corroyeurs, qui s'immisaient dans ce commerce. Ce futau milieu de ces circonstances que se constitua, en 1475, lacorporation des charcutiers proprement dite, et dont nousallons faire connatre l'origine et les progrs dans le chapitresuivant.

  • 35

    lit. Parmi ces marchands, ceux de Nanterre se trouvaienttre prcisment les plus dangereux sous ce rapport ; si bien

    que dix-huit d'entre eux furent condamns par sentence de

    police du 1er fvrier 1737 de fortes amendes, notammentle nomm Carthery et sa femme, qui apportaient Paris desviandes de porc gtes. Afin d'obvier cet inconvnient, et

    pour satisfaire aux plaintes lgitimes des charcutiers deParis, on restreignit, par une nouvelle ordonnance du 25 d-cembre 1742, l'autorisation accorde aux marchands forains

    d'approvisionner la ville. A dater de ce jour, il ne leur futplus permis d'apporter du pore coup que deux fois par se-maine, le mercredi et le samedi ; on exera, en outre, sureux une plus rigoureuse surveillance.

    Cette satisfaction accorde aux charcutiers de Paris n'tait

    pas suffisante pour rtablir l'ordre et l'harmonie trouble ausein de la corporation. On jugea donc opportun de rformerles statuts. Nous allons voir dans quel but et sous quel pointde vue on procda cette rforme.

  • CHAPITRE V.

    Les Statuts rforms del corporation des charcutiers. Approvision-nement de Paris au xvm sicle. Usages, moeurs et coutumes de

    ses habitants. Situation du commerce de la charcuterie cette

    poque. Transformation que ce commerce prouva la rvolution

    de 17S9.Coup-d'oeil rtrospectif sur cette premire partie de l'his-

    toire de la charcuterie.

    Les ides de progrs qui, pendant le cours du xvm 0 sicle,pntraient dans la socit et transformaient l'esprit public,influrent sur toutes les institutions qui, par leur origine, serattachaient un pass qui tendait se modifier tous lesjours. La corporation des charcutiers et le commerce qu'ellereprsentait taient de ce nombre.

    Nous avons vu comment les Statuts de leur communautavaient constitu un monopole exclusif dans le droit de pr-paration et de vente de la viande de porc, et comment il futsuccessivement restreint, par suite de l'accroissement de lapopulation, d'une part, et l'extension que prenaient, d'aulrepart, les professions rivales, telles que les ptissiers et lesrtisseurs auxquels il faut joindre les marchands forains, no-tamment ceux de Nanterre, qui lui faisaient une rude concur-rence. Dans ces circonstances, l'autorit, d'accord avec lesyndic et les membres jurs de la corporation, jugea proposde modifier encore les Statuts de la. communaut dans un sensplus conforme l'esprit de libert qui commenait pntrerdans la population. Il nous suffira de citer, ce sujet, quel-

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    ques -uns des articles emprunts aux Statuts rforms par laDclaration du roi, en date du 20 octobre 1705.

    Nul ne peut exercer Paris le mtier de charcutier, s'iln'a fait un apprentissage de quatre ans, et s'il n'a exerc chezson patron ou chez un autre patron, pendant cinq annes, enqualit de compagnon, c'est--dire d'ouvrier,

    Nul ne pouvait entrer apprenti s'il n'avait atteint l'gede quinze jusqu' vingt ans, justifi par son extrait de bap-tme dment lgalis. L'acte d'apprentissage devait, en outre,tre pass par devant notaire en prsence de deux membresjurs de la communaut. Une copie de cet acte devait tredonne, dans le dlai de quinze jours, soit par le matre, soitpar l'apprenti, pour tre transcrite sur le registre de la com-munaut, la diligence de l'un ou de l'autre. L'apprentipayait, en outre, la communaut, pour son brevet, un droitde 12 livres.

    Nul apprenti ne pouvait quitter son matre, ni s'absenter,ni demeurer ailleurs, pendant la dure de son apprentissage,sans cause lgitime, sous peine de cinquante livres d'amendeet d'tre priv du droit d'aspirer la matrise. Le matre quiavait favoris le dpart d'un apprenti tait galement con-damn 50 livres d'amende, et, de plus, l'interdiction, pen-dant six mois, de pouvoir exercer son mtier.

    Nul niallre ne peut prendre un deuxime apprenti, si lepremier n'a dj trois ans d'exercice.

    Tous les autres articles ont rapport la communaut engnral, son organisation intrieure, la bonne tenue destablissements et aux ouvertures des boutiques, aux rapportsqui doivent exister entre les charcutiers et les ptissiers-traiteurs et les rtisseurs, la police des halles et marchs,aux tueries et chaudoirs, la permission que les gens dumtier avaient d'acheter et de vendre des issues de mouton,de veau et de boeuf, aux charcutiers forains; enfin au privi-lge qui leur tait accord, ainsi qu' tous les marchands et

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    matres des corps et communauts d'arts et mtiers de Ja ville et faubourgs de Paris, de pouvoir s'tablir partouto ils voudront.

    Il est remarquer, dans ces nouveaux Statuts, qu'il existe

    plusieurs dispositions favorables, non-seulement au dvelop-pement de la profession, mais encore l'esprit de libert dontle souffle pntrait dj dans l'esprit public. C'est ainsi quel'exercice du commerce d la charcuterie ne se borne plus la vente des saulcisses, char cuite et saingdoux, commele prescrivaient les anciens Statuts; mais cette vente s'tend,comme nous allons bientt le rapporter, toutes autres pr-parations de chairs, denres de boucherie et autres comesti-bles. On s'tait dj affranchi des nombreuses entraves quel'ancienne rglementation avait imposes l'exercice de lprofession de charcutier et son commerce.

    Disons, toutefois, que cette tolrance ou ce relchement dela part de l'autorit, dont le rigorisme galait le despotismedu monopole lui-mme, s'explique par l'tat de la professionelle-mme et celui de la population, dont il fallait satisfaire lesbesoins et pourvoir aux ncessits.

    En 1475, c'est -dire l'poque o s'est constitue, commenous l'avons vu, la communaut des charcutiers, elle necomptait que onze membres, dont les noms mritent d'treconservs dans l'histoire, et qui s'appelaient : Oudin, Bon-nard, Gartie, Yvonnet, Alot, Laurent le Grand, Jean Ma^bonne, Guillaume Alot, Geoffroy Auger, Thomas Bonnard etJean Cbappon, qui furent les fondateurs del corporation descharcutiers. D'un autre ct, la population de Paris, cettemme poque, tait peine de deux cent mille mes, tandisqu'en 1709, Paris comptait 700,000 habitants, c'est--diredeux tiers de plus qu'au milieu du xv sicle, et il rapportait Louis XV, roi de France, prs de cent millions de revenuspar an. C'est pour cela sans doute, dit Mercier, qu'il l'ap-pelait sa bonne ville de Paris.

  • 40

    Si le nombre des matres charcutiers est. fix, ds l'originede la commuuaut, onze; il s'accrut successivement avecnne rapidit assez tonnante, alors surtout qu'on songe auxentraves apportes par les Statuts l'obtention de la matriseet aux difficults qu'il fallait surmonter pour avoir le diplmede matre. Nanmoins, nous trouvons que le nombre descharcutiers de Paris tait, en 1560, de quarante ; en 1680,de soixante, et de quatre-vingt-dix en 1775. A cette poque, dit l'auteur du Tableau de Paris, les boutiques des ptissiers, des charcutiers, des rtisseurs, frappent la vue dans tous les carrefours. On y voit des langues four- res, des jambons couronns de lauriers, de grasses pou-. lardes, des pts vermeils, des gteaux tout sucrs. Les ptissiers cuisent les viandes pour les mnages, dans leurs fours. Il ajoute plus loin : Il se consomme, chaque anne, Paris, prs de 30,000 porcs. Les charcutiers mtamorphosent le porc en cent manires diffrentes ; et ce qu'on appelle saucisses, boudins, cervelas, langues, andouilles, etc, y est d'un got excellent, qu'on n'attrappe point ailleurs. Les charcutiers, la fourchette la main, distribuent les morceaux de petit sal, renfort journalier des dners et soupers des demi-bourgeois.

    Malgr cette apparente prosprit, la corporation des char-cutiers adressa des dolances au roi, au sujet d'un imptinique contre lequel protestait d'ailleurs toute la population ;c'tait l'impt du sel. Le sel pour les salaisons se vend 13 sols la livre, dit la requte du syndic des charcutiers. Il est impossible, sire, qu' ce prix, ceux de notre corpo- ration puissent prparer convenablement leurs viandes et les vendre un prix marchand. Pour bnficier, les reven- deurs (regraltiers) sont obligs de mlanger et de falsifier le sel, ce qui nous expose, malgr nous, vendre nos prparations dfectueuses et par suite ce que nos pro- duits ne rpondent pas l'attente des acheteurs. Le syn-

  • 41

    die et conseil de la communaut supplient donc votre Majest, de vouloir bien les allger de l'impt de la ferme; elle aura la reconnaissance de ses trs-humbles et fidles sujets. t

    II ne parat pas que cette requte soit parvenue jusqu'auroi ; ou s'il en a eu connaissance, les dpenses d'une courfastueuse absorbant les recettes, il jugea propos de laissersubsister l'impt inique du sel. Les charcutiers et le peupln'en continurent pas moins en supporter les inconvnients.

    Quoi qu'il en soit, la corporation fut maintenue toujoursdans tous ses droits et dans toutes ses prrogatives. Aprsles luttes et les procs qu'elle avait eu soutenir et dontnous avons fait mention, elle tait arrive au point d'trereconnue par l'autorit elle-mme, comme une professionaussi utile que celle des bouchers et des boulangers. Nousvoyons, en effet, que dans un rglement de police, en datedu 14 dcembre 1771, le syndic des charcutiers est chargde nommer des membres pris au sein de la communaut pour exercer, la foire aux jambons qui se tient, tous les ans, les mardi, mercredi et jeudi saints, au parvis de Notre- Dame, l'office d'inspecteurs de viandes sales et dessches, et ce, en vertu de notre ordonnance du mois dernier; laquelle se conformeront lesdits-syndics et inspecteurs, llap- port de leurs visites nous sera fait; afin que tout contre- venant soient amends et punis conformment nos rgle- ments. '

    Nous avons dit que la population de la capitale tait, auXVIII 0 sicle, de sept cent mille habitants ; un relev de laboucherie porte qu'en 1765, les tueries de Paris recevaient92,000 boeufs, 24,000 vaches 35,000 porcs et 500,000moulons. Si nous ajoutons ce chiffre, ce que lesmarchandsforains introduisaient de viandes dans l'intrieur de la capi-tale, nous pouvons tablir que l'approvisionnement, cettepoque, tait dans les mmes rapports avec la population que

  • k2

    l'approvisionnement de nos jours l'est avec la population ac-tuelle de la capitale. En faisant ce rapprochement, nous vou-lons constater seulement ce fait : que peu d'annes avant larvolution de 1789, et vers le milieu du xvrrr sicle, lescorps des mtiers, malgr les obstacles que la rglementationopposait lenr essor, taient nanmoins en prosprit, touten se dveloppant dans le sens de leur complet affranchis-sement.

    La charcuterie, nous devons le reconnatre, avait acquisalors un extrme degr de prosprit et participait, commetous les corps d'tat, aux bienfaits de la loi de progrs quidevait rgnrer l'ancienne socit. Afin de convaincre noslecteurs ce sujet, il suffira de retracer l'tat des moeurs pu-bliques au sein de la capitale.

    En 1770, il existait six sept cents caf dans Paris, o l'on y prenait, dit Mercier, du caf trop brl, de la limonade dangereuse, des liqueurs malsaines l'esprit de vin. On y courtisait les cafetires. On y voyait autant de gargoltesappeles Arche de No, o l'on donnait manger pour 22 sols;quelques cabarets o nos anctres allaient autrefois entre-tenir leur belle humeur; et h Marmite perptuelle pendue une longue crmaillre sur le quai de la Volaille. L na-geaient des chapons au gros sel qui cuisaient tous ensembleet qui se communiquaient, ajoute le mme auteur, leurs sucsrestaurants. Enfin, le prix de la viande de boucherie, grce la caisse de Poissy, n'tait que de neuf dix sols la livre.

    Les limonadiers se trouvaient tablis au nombre de dix-huitcents dans les divers quartiers de la ville.

    Quant au commerce de la charcuterie, il n'tait pas moinsprospre. Tandis que les rtisseurs-ptissiers faisaient des.bouillies et des consomms pour le publie, le matre charcu-tier prparait le sanglier la crapaudine cuit sur le gril, lardde foie gras, flamb avec de la graisse fine et inond avec desvins les plus savoureux et le servait entier. A. l'htel d'Ali-

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    re, rue Saint-Honor, s'ouvrait la boutique d'un clbrecharcutier qui exposait des andouillettis, des jambons bruts,des saucissons, des jambons cuits de Bayonne, des gorges etlangues cuites de Vierson. Il tait dj question et on prisaitbeaucoup, dans les boutiques des charcutiers, des dindes auxtruffes du Prigord, des pts de foie gras de Toulouse, des

    pts de thon frais de Toulon, des terrines de perdrix rougesde Nrac, des mauviettes de Pithiviers, des bures cuites de

    Troyes et des saucissons de Bologne.En fait de gibier, on avait introduit alors dans i'alimnita-

    tion publique, les bartavelles des montagnes, les becassonsde Dombes et les coqs vierges de Caux. Ainsi le progrsdans l'art, les tendances vers la libert commerciale et l'a-mour du luxe et de la bonne chre avaient prpar ou taient

    prts accueillir la Rvolution qui allait se produire. Aussi,lorsqu'elle clata et que s'croula la vieille socit franaise,les lments de la nouvelle socit se trouvrent prts sereconstituer. Relativement au commerce de la charcuterie,cette rnovation surtout devait s'effectuer sans faire trop deruines. La destruction des matrises et des jurandes fut leseul sacrifice qu'il eut s'imposer. Sous le rapport de sonexistence et de sa nouvelle constitution, nous allons voir,clans la charcuterie moderne qui compose la seconde partiede cet ouvrage, qu'elle n'a eu qu' suivre les traditions dupassen les compltant par les connaissances et les perfec-tionnements que l'art fait acqurir par la pratique ceux quil'exercent avec zle, conviction et intelligence.

  • CHAPITRE VI.

    Juridiction de la corporation des matres-chaicutiers de la ville de

    Paris. Ce qu'on appelait fenestres, boutiques et ouvroirs. En-

    seignes des marchands avant la rvolution de 1789. Origine do

    l'enseigne de l'Homme de la roche de Lyon. Rflexions sur cette

    dernire partie de l'histoire ancienne de la charcuterie.

    En vertu des statuts qui rgissaient les anciennes corpo-rations des arts et mtiers, chaque communaut avait unsyndic, trois et quelquefois cinq membres jurs qui, lus partous les autres membres du corps d'tat, taient chargs deson administration intrieure, de dfendre ses droits et de faireexcuter les rglements qui le concernaient.

    C'est ainsi que nous avons vu le syndic de la corporationdes charcutiers faire saisir le produit de tout infracteur desarticles des statuts et condamner ce dernier l'amende. Il yavait, ce sujet, une procdure suivre, laquelle nous tenons faire connatre, car elle prouve que les anciennes corpora-tions n'taient pas soumises, comme on le croit gnrale-ment, un pur arbitraire;

    D'abord, chaque corps d'tat avait son huissier particulierqui tait charg de faire toutes les significations ordonnespar le syndic de la communaut; et ce n'tait que par la voiede la procdure que le dlinquant ou-le contrevenant compa-raissait devant le prvt, juge au Chtelet, pour rpondreaux inculpations formules contre lui. Il s'agissait presquetoujours soit d'une violation de certains articles importantsdes statuts, soit de la vente sans autorisation de quelque pro-

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    duit dont le dbit appartenait une autre communaut, soitenfin d'une infraction aux ordonnances de l'autorit.

    Dans tous les cas, le dlinquant ou contrevenant compa-raissait devant le jug assist d'un procureur spcial, ayantcontre lui, pour accusateur, l'avocat de la corporation chargde reprsenter le syndic lui-mme. Ce n'tait donc qu'aprsla production du procs-verbal, l'avoir discut contradictoi-rement, que le juge prononait sa sentence.

    Ci a comparu devant nous, juge au Chtelet, dit un juge- ment copi dans un vieux recueil d'arrts, le nomm Fran- oisJammin, chaircuitier, demeurant rue Sainte-Oppor-o tune, l'angle de l'impasse Barrois, lequel a t surpris vendant de la chair crue de porc, le jour de la fte de Notre-Dame d'aoust, contrairement l'ordonnance de Sa Majest; laquelle char (chair) elle-mme, n'tait ni saine ni mangeable. Pour ce et afin de punir pareilles infractions; oui le procureur de la communaut des charcutiers de Paris dans son procs-verbal d'ordre et conclusions; oui galement l'avocat du lieutenant de la prvt, au nom du -

    . roi, condamnons ledit Franois -Jammin, chaircuitier, 300 livres d'amendes et la confiscation des viandes sai- sies en son ouvroir; de plus, en 80 livres de dommages- intrts en faveur de la communaut des chaircuitiers. reprsente par le syndic. Le prsent jugement sera excut la diligence du syndic de la susdite communaut, etc.

    Nous ferons observer que ces sortes de condamnationstaient d'autant plus rares, que les motifs qui pouvaient lesprovoquer taient peu nombreux, cause du discrdit qu'ellesjetaient sur celui qui les avait encourues. En gnral, sontablissement tait mal not de la part du public, et ses con-frres eux-mmes ne le voyaient pas d'un bon oeil. Nousajouterons, au reste, que les infractions graves aux rgle-ments de la corporation ou aux ordonnances de l'autorit

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    n'taient pas communes. On n'en constatait, pendant ces

    temps, qu' de trs-longs intervalles.Si les gens du mtier avaient, cette poque, le mme

    respect que nous avons pour notre profession, il faut recon-

    natre, toutefois, que la manire de l'exercer diffrait de cellede nos jours. La vente des denres s'effectuait, pendant lemoyen ge, non p'us dans des boutiques splendidementornes et richement pourvues de comestibles, mais bien dansdes salles troites, obscures souvent et quelquefois humides.Outre que les produits de la charcuterie se trouvaient trealors trs-peu varis, consistant seulement en jambon, porcfrais, saucisses, lard, cervelas et boudins, ces mmes pro-duits n'taient mis en montre que sur des fentres ouvrantsur la rue, ct de la porte d'entre de l'ouvroir. On laitloin encore d'imaginer la possibilit de pouvoir tablir cesbelles devantures et ces talages lgants que l'on distinguede nos jours.

    Cantonn de la sorte, dans ces modestes rduits, le com-merce de la charcuterie n'attirait pas moins le respect et laconsidration que lui avaient acquise nos anctres par leurprobit et l'amour du travail,

    Nous ajouterons ces considrations que la rglementationdel'exercice du charcutier, quoique fixe parles ordonnances,laissait beaucoup dsirer sous le rapport de la salubrit.C'est ainsi que la facult qu'avaient les charcutiers de pouvoirgorger les porcs dans leur domicile donnait lieu de gravesinconvnients. Aussi ce droit leur fut-il retir dans la suite,et c'est partir de cette prohibition que l'exercice do la pro-fession prit un plus libre essor dans le sens de son perfec-tionnement.

    A cette poque galement, le march du Parvis de Notre-,Dame faisait concurrence aux gens du mtier, si bien qu'ilsse trouvaient dans la ncessit de se conformer aux prix fixsaux denres qui s'y vendaient, et dont le jambon et le lard.

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    constituaient celles qui s'y vendaient le plus communment.C'est ainsi qu'en 1753, nous voyons que la livre du jambony tait cote 10 sous et 11 deniers, et celle du petit lard10 sous et 12 deniers. Il est remarquer que ce march tait,pour le temps pass, ce qu'est de nos jours la foire aux jam-bons, qui se tient tous les ans, Paris, pendant la derniremoiti de la semaine sainte.

    Afin de distinguer les boutiques des charcutiers, dans levieux Paris , on avait adopt comme indication des figuresemblmatiques qui tenaient lieu d'enseignes. Nous voyonsainsi que dans la rue St-Paul, avant la rvolution de 1789,et remontant peut-tre une date trs-ancienne, il existaitune boutique de charcuterie l'enseigne del-Hure de san-glier. On en voyait une, l'angle de la rue Saint-Honor etde celle des Bons-Enfants, qui portait SaintAntoine, re-prsentant un ermite ayant un cochon ses pieds; l'enseigne l'Homme de la Roche de Lyon se trouvait l'entre de la ruedes Petits-Champs, en face de l'htel de la Vrillire, o ellesubsiste encore. Plusieurs enseignes de genres diffrents exis-taient dans les autres quartiers de Paris. Celle de YHomme dela Roche de Lyon nous intressant plus d'un titre, nouscroyons devoir en faire connatre l'origine.

    L'enseigne, sinon la boutique, qui existait peut-tre depuisde longues annes, date de l'anne 1777. C'est un nommCailloux, originaire de Lyon, qui, venant exercer la charcu-terie Paris, l'adopla comme indication de sa maison.Qu'tait-ce que VHomme de la Roche de Lyon? reprsentantun chevalier tenant une pique d'une main et une bourse del'autre? C'est l'histoire qui va nous le dire. .

    Jean Flberg, qu'on appela plus tard, par corruption dumot,. Clbtrg, naquit Nuremberg en 1485, et tait parconsquent d'origine allemande, d'une famille trs-considredans le ngoce. Il reut une brillante ducation; mais destinau commerce par ses parents, il commenait s'y distinguer

  • _. 49

    par toutes les qualits qui caractrisent l'homme d'ordre et

    d'intelligence, lorsqu'il fut appel au service du ride France;

    Franois I", pendant les guerres d'Italie. Il assista plu-sieurs combats clbres, o il se distingua par son courage et

    sa bravoure, notamment l bataille de Pavie, qui fut si fatale

    au roi de France.

    Aprs cet chec, Franois I,r, qui avait pu apprcier l-

    mrite et la valeur de Jean Flberg , l'attacha sa personneet lui donna la direction de sa maison en qualit d'officier d

    bouche du Palais. Il remplit ses fonctions avec tout le dvouerment dont il tait anim l'gard de la personne du roi, et cen'est qu'aprs la fin de sa captivit qu'il se retira d'abord Berne et ensuite Lyon, o il continua d'exercer le ngoceauquel il s'tait consacr avant d'entrer au service du roi deFrance.

    Ce fut en 1532 que nous le voyons dj dans la ville deLyon, o i! avait acquis non-seulement une grande rputationd'homme de finances, de ngociant intgre et d'honnte

    citoyen, mais encore une grande fortune. On assure que c'est son influence que Franois I- ' obtint de la ville de Lyon un

    emprunt de six millions, qui servirent le relever de lamauvaise fortune dans laquelle il tait tomb depuis la fatalebataille de Pavie.

    Quoi qu'il en soit, Jean Flberg n'en continua pas moins dejouir d'une trs-grande considration dans la ville de Lyon, parsafortune et son crdit, mais surtout par sa gnrosit et sonextrme bienfaisance, sa bourse tant ouverte toutes les infor-tunes soit publiques, soitprives. En 153l,lafamine svissaitdans la ville de Lyon. Jean Flberg ou Clberg,.car les Lyon-nais prononaient indistinctement les deux noms, fut le pre-mier venir en aide aux malheureux, et il versa une sommede 500 livres cet effet dans la caisse des pauvres. Son exem-ple trouva bientt des imitateurs, et en peu de jours on putfournir la ville et aux malheureux qu'elle renfermait toutes les

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    subsistances dont ils avaient besoin. Un historien faitobserver qu'en moins de trois ans, ce gnreux bienfaiteuravait donn 2,344 livres 10 sols pour le soulagement desmalheureux. Or cette somme tait considrable pour l'poque.

    L ne se borna pas sa gnrosit, car il ajouta ses nom-breux bienfaits une somme considrable qui servit la fon--dation de l'hospice de la ville de Lyon. C'est ainsi que JeanClberg, possesseur d'une immense fortune, la dpensa enbonnes oeuvres, ce qui lui valut l'estime et la vnration detous les habitants de Lyon. Ce gnreux citoyen, aprs unelongue maladie ^qui devait l'enlever l'attachement de tousles malheureux, mourut le 6 septembre 1546, l'ge de62 ans. On voit, sur.une minence qui se trouve l'entredu Bourg-Neuf, appele la Roche, une vieille statue en boisreprsentant un chevalier arm tenant une lance d'une mainet une bourse de l'autre ; c'est la statue que ses contempo-rains levrent Jean Clberg aprs sa mort. Elle est vnrepar tous les habitants de la cit, qui l'appellent l'Homme dela Roche.

    Une nouvelle statue lui a t leve par la reconnaissancede la municipalit, en souvenir de ses bienfaits, le 20 juin1820, sur la place de l'Hommond.

    L'enseigne l'Homme de la Roche de Lyon remonte doncen 1777 et reprsente la vieille statue de Jean Clberg, dontle charcutier Cailloux voulut rappeler le souvenir dans lacapitale de la France, o il tait venu exercer son industrie.

    Si nous jetons maintenant un coup-d'oeil rtrospectif sureette premire partie de l'histoire de la charcuterie ancienne,nous trouvons que les Romains d'abord faisaient un si grandcas des jambons, que Caton lui-mme se donna la peined'instruire comment il fallait les saler, les enfumer et les pr-parer pour les rendre bons et les conserver.

    Nous voyons encore que les charcutiers de notre temps ontsu faire revivre dans les dners de luxe l'usage cher aux

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    anciens, et aujourd'hui les convives des tables officielles oudes riches maisons ne craignent point de droger leurs habi-

    tudes de tous les jours, en acceptant, au milieu des festins lesplus copieux comme les plus fins, la tranche de jambon fumdestine aiguiser l'apptit, la saucisse truffe, le pt de

    foie, etc.L'usage du porc lui-mme tait trs-rpandu pendant la

    priode que nous venons de parcourir, surtout en France, onous constatons plusieurs provinces qui viennent approvi-sionner Paris seulement d'une quantit considrable de porcsvivants.

    Une statistique, cite par M. Husson, nous fait connatre,en effet, qu'avant 1789, le poids moyen d'un porc tait, enviande nette, de 91 kilog. 500 gr., se divisant comme suit :

    Lard gras kil. 15Lard maigre 15.500Porc frais 17Deux jambons dsosss 9Viande pour les hachis 14.500Quatre'jambonneaux. 5Petit-sal 6.500Graisse 7Dchet 2

    Total gal kil. 91.500En ajoutant le poids moyen des abats et

    issus 13

    on obtenait un poids de kil. 104.500Quant la consommation de Paris en viande de'porc, elle

    tait considrable relativement la population. Savary, aprsSauvai, vahie le nombre des porcs abattus en 1634 27,000.La consommation de 1688, d'aprs les registres du Cbtelet,se serait leve 58,000, au dire de M. Benoiston de Ch-teaimeuf. Quant aux poques postrieures, les relevs de

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    Lavoisier et de M. Teissier, oprs sur les annes immdia-tement antrieures 1789, portent le nombre des porcs con-somms 35,000, selon le premier, et 41,000 d'aprs lesecond.

    Voici, au reste, les quantits rsultant des moyennes prisessur 4, 6, 8 et9 annes:

    De 1757 1764 33,576 porcs.De 1766 1774 ...... 32,455 De 1777 1780 . , 38,833 De 1781 1786 40,441

    Enfin, ces poques, le poids moyen des quantits deviande de porc consomms Paris tait de 8,588,700 liv.Chiffre norme si l'on rapproche ce chiffre de celui de lapopulation, qui n'tait que de 700,000 habitants. Ainsi, sousquelque point de vue que l'on envisage l'poque ancienne,relativement l'alimentation publique, nous trouvons quela consommation du porc tait considrable; il est justede reconnatre aussi que l'organisation elle-mme de la pro-fession ne laissait rien dsirer au point de vue des moeurset du progrs des temps anciens. C'est, au reste, ce que nousavons voulu constater dans cette premire partie de notreTrait.

  • DEUXIME PARTIE.

    CHARCUTERIE MODERNE.

  • DEUXIMEPARTIE,

    CHARCUTERIE MODERNE.

    Cette seconde partie de notre Trait, la plus importante aupoint de vue thorique et pratique la fois, se divisera entrois sections ainsi dnommes :

    1 De l'levage du porc en gnral et de ses diverses es-pces ;

    2" De la charcuterie proprement dite ;3" De la charcuterie-cuisine et ptisserie.Avant d'entrer, toutefois, dans les dtails qui composent

    chacune de ces divisions, il importe d'exposer, en peu demots, comment la charcuterie ancienne se rattache la char-cuterie moderne, et quel est le lien qui les unit sous le rap-port de.la lgislation et de la rglementation qui les concer-nent.

    Avant la rvolution de 1789, on dfinissait comme suit lecharcutier : C'est un marchand de chair de pourceau qui la coupe, qui la hache, qui la sale, qui l'assaisonne, pour en faire (mle avec du sang ou sans sang), ds "saucisses

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    boudins, andouilles, cervelas et autres ragots de chair ha- che, enferme dans des boyaux de porcs ou d'autres ani- maux.

    Ce sont aussi les charcutiers qui prparent, qui fument et qui vendent les jambons, languets, langues de boeuf, de pore et de mouton, et qui font le ngoce du lard, du petit sal, cuit ou frais, du saindoux ou graisse du co- chon.

    Telle tait l'ancienne charcuterie.

    Sous le rapport de la rglementation, on avait dj compris,avant la rvolution de 1789, qu'en France, le commerce et la consommation de la viande taient un objet trs-impor- tant, et, cpnsquemment, que le rgime auquel tait sou- mis la charcuterie pouvait tre bien avantageusement remplac par la libert.

    Aussi, en 1791, la charcuterie profila-t-elle de l'abolitiondes matrises et des jurandes pour continuer librement soncommerce. Toutefois, la limitation du nombre des charcu-tiers, rtablie ds l'anne 1793, ne fut dfinitivement sup-prime qu'en 1823. Pendant cet intervalle de temps etjusqu' nos'jours, il s'est form, sur le commerce de la char-cuterie, une lgislation et une rglementation que nousallons indiquer, afin d'tablir le lien qui unit le pass au pr -

    sent, en pareille matire. Voici la date des principales ordon-nances de police :

    Sentence de police du 27 mars 1778 ;Lettres-patentes du 20 aot 1783 ;Arrt du Conseil du 27 janvier 1788 ;Ordonnances de police du 16 juin 1802, 24 avril 1804,

    21 aot 1805, 30 avril 1806, 13 juillet 1806;Circulaire de M. le Prfet de police du 24 dcembre 1811 ;Ordonnance de police touchant la sret et la salubrit des

    denres alimentaires, 3 dcembre 1829;.

    St*

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    Ordonnance concernant les tablissements de charcuterie,J9 dcembre 1835 ;

    Statuts organiques du commerce de la charcuterie, 19 sep-tembre 1834;

    Admission des charcutiers la vente des halles et mar-chs (arrt du Prfet de police du 17 juillet 1840) ;

    Ordonnance de police concernant la vente du porc frais etsal, 3 mai 1840 ;

    Droits de douane et d'octroi des porcs, 10 mai 1846 ;Rglement et droits d'octroi, 23 dcembre 1846;Ordonnance concernant la vente la crie, 21 mai 1849;Police des garons et ouvriers charcutiers, loi du 22 f-

    vrier 1851 ;Lettre de M. le Prfet de police aux mandataires du bureau

    du commerce de la charcuterie de Paris, du 13 aot 1864 ;Dlibration de l'assemble gnrale des mandataires du

    bureau du commerce de la charcuterie, du 16 dcem-bre 1864;

    Lois et rglements concernant le commerce de la charcu-terie, 21 septembre, 10 et 12 octobre 1867.

    Au nombre des principales dispositions que contiennent ceslois et ordonnances, nous citerons les suivantes :

    Il ne peut tre form, dans le ressort de la prfecture depolice, aucun tablissement de charcuterie sans une permis-sion du prfet.

    Les charcutiers doivent tenir leurs chantiers et leurs us-tensiles dans la plus grande propret, sous peine d'amende. Ils no peuvent acheter des issues de boeuf, veau ou mou-Ion que pour les employer dans la prparation des viandes decharcuterie.

    Il est dfendu d'acheter et de vendre des porcs vivants,dans le ressort de la prfecture de police, partout ailleursque sur les marchs de la Maison-Blanche et de la Cha-

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    pelle-Saint-Denis, et dans les foires et marchs ce des-tins.

    La vente du porc frais et sal et des issues de porc Paris,a lieu au march des Prouvaires, les mercredi et samedi dechaque semaine, depuis sept heures du matin jusqu' midipour la vente en gros, et jusqu' cinq heures de releve pourla vente en dtail.

    Vingt places sont rserves au march des Prouvaires pourles charcutiers forains, dits gargots, qui vendent du porcfrais en gros.

    Les porcs, Paris, ne sont abattus que dans les chau-doirs autoriss cet effet, peine de saisie et de confiscationdes porcs. Les propritaires des chaudoirs ne peuventpercevoir plus de 1 fr. 50 c. pour abat, prparation et trans-port d'un porc.

    Le commerce de la charcuterie Paris s'est compos unbureau, form do trois mandataires gnraux et spciaux. Ces derniers sont nomms par vingt^quatre mandataireschoisis par les charcutiers, raison de deux par chaquearrondissement municipal. Les trois mandataires repr-sentent le commerce de la charcuterie.

    Pour avoir une ide de l'ensemble de cette rglementation,il importe de savoir que la plupart des dispositions qui con-cernent le commerce de la charcuterie moderne ont t em-pruntes aux anciennes ordonnances ; on les a appropriesaux exigences de l'poque actuelle. Quelques parties seule-ment do l'ancienne rglementation ont t modifies d'aprsles besoins de la nouvelle socit.

    Si nous voulons maintenant comparer les deux poques,l'ancienne et la moderne, nous trouvons qu'avant la Rvolu-tion de 1789, la population de Paris tait de 700,000 habi-tants; en 1817, la statistique officielle la fixe 713,966 ha-bitants. Dans l'espace de vingt ans; son accroissement n'avait

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    donc t que d'environ 14,000 habitants. Ce qui s'explique,au reste, par suite des guerres de la Rvolution et de l'Em-

    pire, qui avaient singulirement arrt la marche de la popu-lation.

    Constatons galement un fait trs-remarquable, sous le

    rapport de la consommation, c'est qu'avant la Rvolution,celle-ci tait bien plus considrable qu'en 1817. Ce qui res-

    sort, au reste, de la statistique dresse par la ville de Paris,en 1817, et de celle que publia, en 1789, M. Lavoisier.

    En 1789, M. Lavoisier tablit le chiffre de la consomma-tion de la viande de boucherie de Paris comme suit :

    Boeufs 70,000 ttes.Vaches 18,000

    Veaux 120,000

    Moutons 360,000

    Porcs, sangliers.. . 35,000 Viande la main.. 675,372 kilog.

    Eu 1817, la statistique officielle fournit le chiffre sui-vant :

    Boeufs 69,955 ttes.Vaches 8,978 Veaux 77,056 Moutons 335,933

    Porcs, sangliers.. 69,684 Viande la main.. 366,354 kilog.

    C'est en partant de ces donnes que nous allons voir lacharcuterie moderne, d'abord en arrire au commencementde ce sicle, prendre son essor et arriver un haut degr deprosprit. Ce que nous constaterons mesure que nousaborderons les diffrentes questions pratiques qui composentcette seconde partie de notre Trait.

  • PREMIRE DIVISION.

    De l'levage du porc en gnral et deses diverses espces.

    CHAPITR I",

    Le porc considr dans son origine et dans S3S rapportsavec IVimentation.

    Le porc n'est autre chose que le sanglier domestique. Ilest d'une utilit incontestable, ainsi que nous allons le d-montrer.

    Les porcs de la race primitive prsentaient, dans tous lespays, il y a environ un demi-sicle, les mmes caractres.Ils taient robustes, bien lailis pour la marche, capables debraver toutes les intempries, trs-prolifiques, mais peuprcoces, difficiles engraisser et d'une qualit grossire.

    Malgr la transformation de cette race, qui s'est opre ets'opre de nos jours, la France a eu et a encore quelquesraces indignes qui mritent d'tre mentionnes. Ce sontprcisment ces races qui fournissaient l'approvisionne-ment del charcuterie ancienne. Celles qui conservent encore

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    les caractres primitifs sont les races normande, craonaise,prigourdinc, du Quercy. Les premires sont blanches, lesdernires noires et blanches; elles sont videmment la souchede toutes les races du midi et de toutes les modifications plusou moins heureuses qu'on y rencontre.

    La race limousine est suprieure celle du Quercy; elleest plus fine et moins leve. Quant aux races craonaise etnormande, de mme couleur, elles ont entre el'es quelquesautres points de ressemblance et sont parfaitement distinctesdes races mridionales, avec lesquelles il serait impossible deles confondre. Le corps de ces porcs est plus pais, plus cy-lindrique, et ils atteignent des poids plus levs.

    La charcuterie de Paris place m premire ligne la racetraonae, qui est connue sur les marchs sous le nom demancelk, et dont les animaux proviennent des dpartementsde la Mayenne, de la Sarthe, de Maine-et-Loire, de la Seine-Infrieure et de l'Orne, et plus particulirement des arron-dissements d'Angers et du Mans. On considre les animauxde ce groupe comme l'emportant sur tous les autres animauxindignes, par la qualit suprieure des viandes et commedonnant un poids net plus lev.

    Au second rang viennent les races normande et cotantine,dont les os sont plus forts, la fibre plus faible, et dont laviande, dans son ensemble, prsente moins de finesse etsemble moins bonne la fabrication des produits les plusfins de la charcuterie parisienne.

    Au troisime rang seulement se placent d'abord les races dela Bourgogne, et ensuite de la Champagne, du Quercy et du

    . Limousin, dont on regarde les viandes comme plus molles etse prtant moins bien la salaison. Relativement la racelimousine, nous devons dclarer que, dans le concours deboucherie de l'oissy de 1857, on a reconnu, l'preuve,que les porcs limousins l'emportaient sur les porcs normands,et qu'on leur avait trouv la chair plus fine, un lard pais

  • Race middlesex-craonnatse.

  • 67

    couvert de couenne fort mince et d'une fermet extraordi-naire. Pour moi, ce fait me parait extraordinaire.

    Dans ces derniers temps, au moyen de croisements avec

    des races originaires de l'Asie, de l'Afrique, de l'Amrique,issues elles-mmes des porcs sauvages de ces contres, onest parvenu oprer de nouvelles transformations. C'est l'in-troduction d'une race de porcs toute nouvelle, de conforma-lion trapue, de temprament lymphatique et dlicat et d'apti-tudes qui ne devaient convenir qu'aux pays d'une cultureavance ou dont les animaux reoivent de la main de l'hommela nourriture qu'ils ne pourraient aller chercher eux-mmes.

    C'est par l'Angleterre que cette introduction a eu lieu;c'est en Angleterre que s'est dvelopp ce type nouveau, qui,de l, est pass en France. Ce type nouveau est celui despetites races, que nous ne faisons qu'indiquer, afin de ne passortir du cadre de notre ouvrage.

    Les premiers animaux de petite race introduits en Angle-terre venaient de la Chine et de Naples, o se trouvaient djacclimats des porcs d'Asie. Des croisements oprs dans lesdivers comts, il en est rsult deux races bien distinctes :l'une noire, l'autre blanche.

    La race noire 'Essex est issue de la race napolitaine ; lespetites races blanches viennent du porc de Chine. Du croise-ment de la race noire et de la race blanche entre elles, il enest rsult des sous-races grises trs-dignes d'tre entrete-nues et fixes. C'est, au surplus, ce qu'ont fait et ce que fontles leveurs modernes. Au moyen de ce croisement, on"aalli des animaux de petite taille, d'une finesse, d'une dlica-tesse trs-grandes, originaires de climats trs-chauds, etconstitus de manire ne pouvoir aller chercher leur nour-riture avec des animaux grossiers, mal conforms, mais vi-goureux et possdant les qualits de reproduction, la scr-tion laitire abondante, dont sont doues les races communes.

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    Oh a reproduit ainsi des animaux qui runissent la taille et lavigueur aux finesses et aux aptitudes extraordinaires l'en-

    graissement des petites races.Tel est le mode de la reproduction adopt en Angleterre ;

    la France y a puis, de son ct, les lments amliorateursdont elle avait grand besoin, et sur lesquels nous allons dire

    quelques mots.Sans recourir aux chiffres de la statistique, nous tablis-

    sons en fait qu'il se mange en France plus de viande de porcque de viandes de boeuf, de vache et de mouton runies, et ceseul fait proclame assez haut que l'levage du porc se placeau rang des questions qui doivent proccuper le plus les pro-ducteurs et les conomistes.

    Dans l'tude qui.a.t:faite au sujet du eroisemenLdesraces, i! a t dmontr :

    Que les petites races anglaises sont les meilleures pour lepetit cultivateur et pour les.mnages d'ouvriers ;

    Que c'est le lard surtout que produisent les petites races ;Que la quantit de lard n'est pas infrieure et serait plutt

    suprieure dans les petites races.que.dans les grandes ;Que pour une quantit donne de nourriture, les petites

    races produisent enfin une plus grande quantit de graisse etde Yiande.

    Or, il est constat que le porc qui provient eu croisementdes races trangres avec nos races indignes, est assur-ment l'animal de consommation qui rsume le mieux les apti-tudes diverses que recherchent le commerce actuel et le petitcultivateur. Il ne faudrait pas pourtant prendre cette propo-sition dans un sens absolu. Il est incontestable que nos races

    indignes ont des qualits gales, sinon suprieures , auxraces anglaises. Ainsi, sous le rapport de l'levage, dans lescontres o les animaux vont chercher leur nourriture dansles bois de chnes, de htres ou de chtaigniers, les races an-

    glaises ou sdentaires ne sauraient convenir ; elles n'ont pas

  • Race mancelle.

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    une conformation qui leur permette de marcher sans fatigue ;mais elles conviennent pour l'ouvrier des villes ou des cam-

    pagnes, qui peut les laisser libres dans un enclos ou dans Unecour, qui sont son seul domaine. Ce fait est admis par tousles producteurs. -,

    On se plaint, nanmoins, que les*petites races donnent

    plus de lard que de viande, et que la chair des jeunes ani-maux est moins savoureuse. Cette plainte n'est pas sansavoir un certain fondement. Si l'conomie demande une ra-pide croissance de l'animal, la qualit de la viande veut del'get et il est certain que les jambons d'un animal g sontsuprieurs ceux d'un jeune, s'il a t d'ailleurs suffisam-ment nourri. Il s'ensuit que le riche qui ne regard pas laviande, fera bien de prfrer un jambon de Westphalie, deBayonne ou de Mayence celui d'un porc d'Essex. L'tudecomparative des viandes des porcs a fourni, du reste, sur laquestion de l'levage de cet animal, des considrations quenous croyons utiles de rapporter, sans sortir de notre sujet.

    Une viande de porc n'est de premire qualit que si ellerunit toutes les conditions d'une bonne couleur, d'unegrande finesse de grain et de marbrure une maturit con-venable. Elle est de qualit infrieure, si elle n'est ni mar-bre, ni fine, ni claire clans la teinte. Il est, en outre, deuxqualits fort estimables dans la viande de porc, en raison desmanipulations que lui fait subir la charcuterie : l'une con-siste ne pas perdre, ne pas dchler la cuisson ; l'autre, prendre facilement le sel.

    Les parties du porc qui sont vendues l'tat de viandefrache comprennent le filet, le train de ctes, l'chign, dechaque ct. Les ctes de la poitrine se vendent comme petitsul. Tous les dbris qu'on obtient quand on parc les picesqui doivent tre vendues fraches, sont employs la prpa-ration de la chair saucisses. La chair saucisses, les sau-cissons de Paris, le saucisson de Lyon, exigent la premire

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    qualit de viande, celle qui, compltement exempte de nerfs,est la plus fine et la plus marbre. Les autres viandes s'em-

    ploient plus particulirement pour les cervelas et les saucisses

    fumes.On comprend d'aprs cela, comment c'est faire l'loge

    d'une race porcine et mettre sa viande au premier rang, quede la reconnatre apte fournir les meilleurs lments pourles prparations les plus fines de la charcuterie, etc.

    D'un autre ct, dans l'intrieur du porc, il faut remarquerla graisse qui a les qualits suivantes : Le ratis ou graissede dedans, est employe faire le saindoux, pour la fabrica-tion des boudins ordinaires, etc. La panne donne aussi le

    saindoux; mais, pour le boudin de table, on se sert de la

    graisse de la panne, la plus frache possible, afin de lui laissertout son parfum.

    Quant au lard, lorsqu'il est sal, il doit offrir une belleteinte, lgrement rose et un grain fin. Le lard trs-ferme

    peut se couper aisment, et sans ce casser, en petits frag-ments longs, carrs et minces qui servent piquer les viandesUn peu moins ferme, il donne principalement des bardesdans lesquelles on enveloppe les pices de viande et ls vo-lailles. Quand il n'a pas assez de fermet pour ce double em-ploi, on l'ajoute la panne pour faire du saindoux, et le rsidu,le crton, est utilis dans la fabrication des boudins ordinairesse vendant au poids.

    En partant de ces considrations, on a reproch la