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CHARLES TALON HISTOIRE DE LA VIE RURALE EN BASDAUPHINÉ Elie BELLIER Editeur

charles Talon Vigne dans les terres froides

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Histoire de la vie rurale en Bas-Dauphiné, Charles TALON, Alie BELLIER Editeur, 1983, 380 pages - ISBN 2-904547-01-0

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CHARLES TALON

H I S T O I R E D E LA VIE RURALE EN BASDAUPHINÉ

Elie BELLIER Editeur

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CULTURES

TRADITIONNELLES

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A. . ..A'.

4 . - / '

LA CULTURE D E LA VIGNE E N BASDAUPHINÉ

A A U DÉBUT D U SIÈCLE

ULTURE noble que celle de la vigne !

Dans les régions de po lycu l ture comme le sont le Bugey et le Bas-Dauphiné, le paysan b ina i t , ta i l la i t , vendangeait avec amour et presque tou­j ou r s avec gaieté. De la vigne monta ient les chan­

sons et les r ires, plus souvent que d u champ ou de la forêt. Des médisants assurent que le v i n et non la vigne suscitait la bonne humeur . Ce n'est pas sûr, encore q u ' i l y participât. Le paysan sans vigne t i r a i t parfo is u n complexe de son état, jamais le vigne­ron . Poètes et chansonniers glorifièrent si souvent ce dernier, en f i rent si souvent u n apôtre de Bacchus, u n prêtre de la re l ig ion d u v in q u ' i l finit par s'imprégner lui-même de cette poésie et qu'en fin de compte i l devint u n autre homme dans sa vigne et dans son cellier. Aussi, t ou t vil lageois désirait u n co in de terre où la vigne pût pousser et le ra is in mûrir.

I l a l la i t parfois le chercher l o in de sa demeure ce co in de terre !

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D ' Inn imon t , en Bugey, i l descendait à Marchamp, à Lompnaz, à Lhuis , à Montagnieu.

Sur le Plateau de Crémieu, certains propriétaires d'Annoisin-Châtelans avaient chois i Optevoz.

Dans les Terres Froides dauphinoises, les gelées tardives, la brièveté de la saison chaude, une exposit ion parfois défavorable condamnaient le cu l t i va teur amateur de vigne à s'éloigner de son village.

— De Badinières, on a l la i t à Nanto in , à Sainte-Anne-sur-Ger-vonde (encore en 1976) ;

— De Be lmont , à Panissage (vigne apportée en dot par la femme) ;

— De B i o l , à Cessieu (une dizaine, assure-t-on, ayant 1914) ;

— De Champier, à La Côte-Saint-André (déplacement terminé en 1976); , , , |

— De Châbons, à Chélieu, Panissage ;

— De Châteauvilain, à Cessieu, La Côte-Saint-André ;

— De Chélieu, à Panissage ;

— De Commelle, à La Côte-Saint-André ;

— De Doissin, à Cessieu, Panissage ; . ,

— D'Eclose, à Sainte-Anne-sur-Gervonde (encore en 1976) ;

— D'Eydoche, à La Côte-Saint-André (encore au jourd 'hu i ) , Nan to in (deux propriétaires) ;

— De Flachères, à La Côte, Nanto in , Commelle ;

— De Longechenal, à La Côte, Gi l lonnay (encore aujour­d 'hui ) ;

— D u Mot t i e r , à La Côte, Gi l lonnay, Saint-Hi la ire (encore en 1976); . „ ; .........̂ . . , 1 . ...... : , . a

— De Lieudieu, à Arzay ;

— De Montagnieu, à Cessieu, Saint-Chef, Chélieu (héri­tage) ;

— De Nanto in , à La Côte (quelques cas) ; , g,; , ,

— D u Passage, à Cessieu ;

•si" — De Torchefelon, à Cessieu;

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L E S C U L T U R E S T R A D I T I O N N E L L E S >; S u 233

— De Valencogne, à V i r i eu , Chélieu. < ;

La l iste ci-dessus ne se prétend po int exhaustive.

A noter, pour les Terres Froides, t ro is pôles d 'a t t rac t ion : Cessieu, Virieu-Panissage, La Côte-Saint-André-Gillonnay. Tro is coteaux bien exposés et donnant u n v i n de bonne qualité.

A de rares exceptions près, ce mouvement a cessé ou a d im i ­nué d 'ampleur.

I l semble — encore q u ' i l ne fai l le accorder aux renseigne­ments négatifs qu 'un crédit re la t i f — que certains villages d u centre des Terres Froides tels Bizonnes, Saint-Didier-de-Bizonnes, Be lmont , où la vigne ne croît pas, se soient abstenus d'aller la cul t iver ai l leurs.

Quelle perte de temps, dira-t-on à propos de ces déplace­ments. Quelle fat igue supplémentaire ! Oui , mais on avait son v in , on avait de l'eau-de-vie, médicament considéré comme pré­cieux. E t puis à l 'auberge ou sous le porche d u four , on pouvai t par ler en vigneron. D'ai l leurs, on aura i t t o r t de ne retenir de cette prat ique que la peine et le temps perdu. On édifiait parfois dans la vigne u n « grangeon » — ceux d u Bugey sont entrés dans la littérature avec le ba ron Raverat — o n s'y abr i ta i t , o n y mangeait, buva i t , do rma i t ; on y raconta i t ses déboires et ses aventures. Cela n'était pas désagréable. Ce dépaysement préfigurait nos vacances sous la tente !

DES MESURES DE SUPERFICIE AFFECTEES EXCLUSIVEMENT A LA VIGNE.

Afin d'éviter toute confusion avec le champ, on l u i a t t r i bua i t des mesures spéciales. Alors que le j o u r n a l ou la « bicherée » s 'appl iquait aux espaces consacrés à l 'agr icu l ture ou à l'élevage, on évaluait en « hommes »,« hommées » , « ouvrées » , « fosserées » ceux que l 'on p lanta i t de vigne. Ces noms différents recouvraient à peu près la même surface, celle qu 'un homme pouvai t piocher en une journée. Comme toutes les mesures anciennes, sa valeur var ia i t d'une contrée à l 'autre :

— r « homme » couvra i t 3,15 ares à Vaux-en-Bugey ; 3,50 à Cerdon (Ain) ; 3,3 à Mo l l on (Ain) (1) ; ^

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— r « hommée » vala i t 1/4 de bicherée : 379,8 m2 (400 toises nationales carrées) à Vienne, Saint-Symphorien-d'Ozon, Vi l let te-Serpaize (2) ; 418,64 m2 (1.200 toises delphinales carrées) à Cham­pier, Nanto in , La Côte-Saint-André, Chonas (2) ; à Lyon, elle valait grosso modo 1/3 de bicherée, soit env i ron 1.000 ceps (3) ; à Estra-b l i n et Meyssiés, on l ' es t imai t à 400 m2 env i ron (4) ;

— la « fosserée » vala i t 209,32 m2 à Vienne, Maubec, Bour-goin, Saint-Chef, Roche (2) ; ^ ^

A noter que ces mesures, comme le j o u r n a l (surface labourée par u n attelage en une journée), ne correspondaient pas à ime superficie définie géométriquement mais qu'elles se référaient au résultat d u t rava i l de l 'homme o u de l'attelage.

LA PLANTATION DE LA VIGNE.

On a planté de la vigne u n peu par tout en Bas-Dauphiné, non en fonct ion des propriétés d u sol ou d u c l imat , mais en fonct ion des besoins.

Une p lanta t i on nouvelle prenai t le n o m de « p lant ier » durant les quatre ou c inq premières années ; le mo t a enr ich i la topony­mie régionale (Chamagnieu, Saint-André-le-Gaz...). ,,,,, ,

Au début d u siècle, le v igneron préparait lui-même ses bou­tures q u ' i l appelait « chapons » la première année et « barbelés » l'année suivante. Le co in d u j a r d i n réservé à cette pépinière devenait la « chaponnière ».

Le marcottage o u provignage semble avoir d isparu avec la guerre de 1914-1918.

Au moment de planter, le v igneron « regardait la lune » ; à Dolomieu, par exemple, l'opération avait l ieu, de préférence, durant le premier quart ier .

(1) A. DurafFour : Lexique patois-français du parler de Vaux-en-Bugey (Ain).

(2) Le Dauphiné. Recueil de textes historiques choisis et commentés par H. Blet, E . Esmonin, G. Letonnelier (Arthaud, Grenoble).

(3) Nizier de Puitspelu : Le Littré de la Grand'Côte (édition de 1968). (4) A. Devaux : Dictionnaire des patois des Terres Froides (Lyon, 1935).

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L E S CXJLTURES T R A D I T I O N N E L L E S 235

Le jeune p lant , mis en place, est soutenu par u n échalas s i l 'on adopte la p lanta t i on en vigne basse, o u attaché, dès la pre­mière pousse, au f i l de fer d u bas de la rangée dans le cas de la vigne haute. „ „ , j ^ , , . j ,

Les échalas, appelés « païchô » à Chaponnay, Colombier, Moras, Simandres ; « pachô » à Gênas, Marennes, Saint-Just-Cha-leyssin, Saint-Priest, Valencin ; « païse » à Saint-Savin sont o rd i ­nairement en acacia ou en châtaignier, mais d'autres essences peuvent être utilisées ; c'est ainsi qu'à Saint-Romain-de-Jalionas, naguère encore, on s'est servi de branches de mûrier. Ces échalas descendaient parfois, à la f i n d u siècle dernier, des villages d'al­t i tude ; d ' I nn imont , des charretées complètes d'échalas dérobés dans la forêt communale fournissaient la région de Morestel-Les Avenières.

Avec la chèvre à refendre, la d iv is ion en deux, dans le sens de la longueur, des perches d'acacia et de châtaigniers, devenait opération aisée.

Si les ceps s'alignaient en rangées parallèles, soutenus par des f i ls de fer, u n tu teur très résistant s ' imposait aux extrémités de chaque ligne, tu t eur généralement en bois, parfois en p ierre taillée sur le plateau de Crémieu, et désigné en patois sous les noms de « koshya » (Dolomieu) ou de « bi 'ga » (Chaponnay, Cré­mieu, Moras, Porcieu, Saint-Chef, Saint-Romain-de-Jalionas, Trept, Saint-Priest...).

Suf f isamment écartées, les rangées permetta ient la cu l ture soit de fourrage vert , soit de plantes sarclées : betteraves, raves, carottes, haricots.

LA TAILLE.

Première façon : la ta i l le .

Un d ic ton très répandu f ixa i t l'époque de cette opération :

ta l y i t ou , t a l y i tâ. Tai l le tôt, ta i l le t a rd , ' ran ne vô la ta l y i de mâ. Rien ne vaut la ta i l le de mars.

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Les termes patois d u d ic ton ci-dessus sont ceux de Saint-Priest, mais le d i c ton lui-même a été relevé à Charantonnay, Chèzeneuve, Saint-Georges-d'Espéranche, Saint-Pierre-de-Chandieu, Saint-Savin, Siccieu, Simandres, Villette-de-Vienne.

I l est bon d'ajouter que cette t r a d i t i o n subi t au j ourd 'hu i de nombreuses entorses.

Le verbe « t a l y i » rappelle le français ta i l l e r ; le verbe spé­ci f ique est « pwâ » : Le Bouchage, Bourgoin-Jal l ieu, Colombier, Corbas, Courtenay, Dolomieu, Luzinay, Marennes, Mions, Roche, Saint-Savin, Septème, Satolas, Simandres, Saint-Priest...

D'autres impératifs t rad i t ionne ls l im i ta i en t l ' in i t ia t i ve du vigneron ; en par t i cu l i e r i l devait se f ier au quar t i e r de la lune au moment de la tai l le . D'une manière générale, la pleine lune favorisait , disait-on, la f ruc t i f i ca t i on plutôt que la poussée des rameaux : Dolomieu, Saint-Georges, Saint-Priest, Siccieu, Siman­dres... Dans certains cas — jeunes plants, vieux ceps, t e r ra in ingrat — en ve r tu de ce même adage, on ta i l l a i t au contra ire en lune nouvelle : Marennes, Villette-de- Vienne...

A Dolomieu, on p ra t i qua i t la ta i l le de préférence durant la pleine lune de Pâques. # , r > , - :

A Diémoz, Saint-Georges-d'Espéranche, i l était de t rad i t i on de ta i l l e r le j o u r de la saint Vincent , ne fût-ce qu 'un seul cep, si on vou la i t bénéficier d'une abondante récolte : geste prop i t ia to i re en même temps qu'hommage au pa t r on des vignerons.

On s'explique moins b ien pourquo i , en Bresse (Bu l l e t in des Natural istes et Archéologues de l 'A in , 1963) on considérait le vendredi saint comme particulièrement propice à ce t rava i l .

Les sarments, recueil l is par la fermière ou les enfants, liés à l 'aide d 'un b r i n d'osier en pet i ts fagots, t rouva ient leur utilité dans le chauffage d u f our à pains, l 'al lumage d u poêle à bois le soutien d u charr ier dans le cuvier à lessive, l 'adoucissement des chocs en cas de t ranspor t des tonneaux.

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L E S C U L T U R E S T R A D I T I O N N E L L E S

LA PREPARATION DU SOL. ; ; /. " ^ I , ; ' ; . . o , ; , ^ ; ,

E n mars-avr i l , venait le temps de piocher la vigne, de « fos-ser » : « fosâ » à Do lomieu ; « fousâ » à Bourgoin-Jal l ieu. Si le français n'a pas adopté le verbe, on trouve encore par contre « fossoir » dans les vieux dict ionnaires : houe spéciale à la v i t i ­cul ture à une ou deux dents larges et inclinées, à manche cour t , ce q u i obligeait le v igneron à se courber out re mesure. Au repos, le fossoir se suspendait à la cuve où i l passait l 'h iver .

Certes, la fatigue était intense pour q u i man ia i t le fossoir et pour tant le v igneron écoutait le chant des oiseaux et l'interpré­ta i t à sa façon. C'est ainsi qu'à Chaponnay, u n pet i t oiseau, peut-être le bruant o r to lan , de passage à cette période de l'année, encou­rageait notre homme :

« b i 'na , b i 'na , bi 'na... » -

A Siccieu, i l l ' i nv i ta i t à p lanter ses échalas :

« f i ' sh i don, f i ' sh i don, f i ' sh i don... »

A Sermérieu, i l se contentai t de l u i annoncer le mauvais temps :

« f o t yu tyon , f o t yu tyon ( f i chu temps, f i chu temps).

Lorsque deux hommes piochaient la même vigne, l ' u n sui­vait l 'autre en léger re t ra i t pour éviter toute gêne, chacun pio­chant la moitié de l'espace compris entre deux rangées, ce q u i correspondait en gros à l'écartement des jambes, d'où le n o m de « jambée » donné à ces si l lons ; « sanbâ », à Chaponnay, Chu-zelles ; « dzanbâ », à Valencin.

Le long des coteaux, ce genre de t rava i l avait pour effet de faire descendre la terre, au détriment d u sommet de la vigne. On palliait cet inconvénient en la remontant d u bas soit à l 'aide d u bayart à deux porteurs , soit en ut i l i sant la hot te indiv iduel le , voire l 'oiseau de maçon. Le peu de fumier of fert à la vigne était aussi, b ien souvent, transporté par les mêmes moyens.

A Cessieu, la hot te couvra i t par intermit tence l'échiné d u vigneron, rempl ie de terre, d'engrais, de raisins selon la saison. Pittoresques silhouettes d'hommes ainsi bâtées ! On a prétendu que de là serait venu le sobriquet d ' « Anes » inscr i t jad is au bla-

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son popula ire d u village. Rien n'est moins sûr ; la vigne et le v igneron inspirèrent plus d ' i ronie et de subtilité que de sottise.

De nos j ours , les surfaces occupées par la vigne vont se rétré­cissant. Voués à l 'abandon, les coteaux, y compr is ceux qu i connu­rent une réputation méritée, s'abandonnent à la ronce ou à l'aca­cia. La jeune génération, q u i d 'ai l leurs n'accorde pas à la vigne ni au v i n la même at tent ion que ses aînés, refuse de gravir les pen­tes. Le t racteur l u i aussi. La chenil lette a pr i s la relève à Saint-Savin ; le désherbant ch imique , à Charantonnay, prolonge pour u n temps la vie d'une part ie d u vignoble d 'autrefois.