CHARRON BONVILLE Typologie Historique Pratiques Journalistiques

Embed Size (px)

Citation preview

  • 8/19/2019 CHARRON BONVILLE Typologie Historique Pratiques Journalistiques

    1/79

    Chapitre 5

    TYPOLOGIE H ISTORIQUE  D ES PRATIQUES JOURNALI STIQUES 

    Jean CHARRON et Jean de BONVILLE 

    Prenant acte de 1’abondance des critiques et des commentaires suscités parles changements récents dans le journalisme, nous avons, il y a près d’unedécennie',avancé 1’hypothèse d’un changement paradigmatique du jo ur-nalisme contemporain et désigné la nouvelle forme en émergence comme un

     journalisme de communication. Pour construire cette hypothèse, nous comparions lasituation contemporaine, qui nous parait caractérisée par la substitution d’une

    forme emergente à une forme ancienne en voie de désuétude, le journalismed’information, à la situation existant un siècle plus tôt, au moment ou un nouveau  journalisme,  le journalisme d’information, ffappait de désuétude le journalismed’opinion jusqu’alors dominant en Amérique du Nord. L’analyse chmensionnelle que nous menions alors de ces formes de journalisme visait un objectifprécis, à savoir caractériser la forme de journalisme en émergence en cette fin de20e siècle. Or, si l’on embrasse 1’ensemble des pratiques journalistiques depuis1’origine de la presse, la nécessité d’un cadre d’analyse plus large s’impose. Sans

    renier les propositions que nous formulions naguère, nous souhaitons remettre letravail sur le métier et élaborer un outil méthodologique applicable à toute l’évolution du journalisme et de la presse, en nous inspirant de la méthode idéaltypique présentée sommairement en introduction.

    Le journalisme étant défini comme une pratique de communication se matériahsant dans des textes, les types que nous entendons élaborer doivent présenter

     Jean C H A R R O N et Jean D E B O N V IL L E ,« Le paradigme du journalisme de communication: essai de définition», Communication, vol. 17, n° 2,1996, p. 5197.

    141

  • 8/19/2019 CHARRON BONVILLE Typologie Historique Pratiques Journalistiques

    2/79

    Nature et transformation du journalisme

    une certaine congruence avec la théorie linguistique ou sémiologique et plusgénéralement avec la Science de la communication. En nous basant sur les fonctions du langage de Jakobson (voir 1’introduction à ce sujet) et sur la tradition

    historiographique, nous avons identifié quatre types généraux que nous nommons d’après une de leurs fonctions dominantes: journalisme de communication, parce que, dans ce type plus que dans les autres, toutes les fonctions du langagesemblent sollicitées; journalisme d’information, parce que ce  type accorde une im-portance très grande, à première vue exclusive, au référent, à ce qui se passe dansle monde; journalisme d’opinion, parce que la fonction expressive y est plus marquée que dans les autres types; journalisme de transmission, enfin, parce que dans cetype la pratique discursive semble exister en 1’absence de journahstes, du fait de1’intervention directe des acteurs sociaux euxmêmes.

    Ces idéaltypes s’appuient sur une définition particulière du journahsme etdécoulent d’une intention de recherche précise. Nous considérons le journa-lisme comme une pratique discursive ayant pour objet les affaires publiques.L’existence de cette pratique discursive peut être établie de plusieurs manières:par 1’observation de ceux qui la revendiquent comme leur, par 1’analyse du dis-cours sur cette pratique et, enfin, à partir de ses traces dans les textes journalisti-

    ques.  Si, comme nous l’avons suggéré, le journahsme se définit à partir d’unensemble de règles, de conventions intériorisées par les journahstes et qui expli-quem la cohérence de cette pratique discursive dans 1’espace et dans le temps, ils’ensuit que, quelle que soit la méthode retenue pour les établir et les interpréter,ces règles ne sont accessibles qu’indirectement, par inférence. Comme notre in-térêt se porte sur 1’évolution à long terme du journahsme, il est clair que lesrègles en question ne peuvent nous être livrées, de manière systématique, qu’àpartir du texte journalistique même. Les types de journahsme construits visent

    donc 1’analyse des transformations du journahsme en tant que pratique observable dans la production textuelle. En d’autres termes, nous ne nous intéressons pasen priorité aux conditions de travail des journahstes ou à leur statut socioprofessionnel, à 1’organisation oú ils oeuvrent et aux techniques à leur disposition, auxmodes de financement et de régulation de la presse: ces facteurs ne deviennentpertinents que dans la mesure oú ils influent sur la pratique discursive des jour-nahstes. Cette perspective impose des choix et conséquemment des exclusions

    aux bricoleurs conceptuels que nous sommes. Dans l’ensemble des traits susceptibles de se prêter à l’analyse sociohistorique, nous retenons deux dimensionsessentielles: le caractère « réahste » du discours journabstique et son mode d’énonciation. Sous la première dimension, le journahsme apparait comme une prati-que engagée dans la représentation du réel et plus spécifiquement de la réalitésociale dans ses manifestations à court terme. Sous la deuxième dimension, le

     journahsme est vu comme un discours produit et reproduit par et dans des actesd’énonciation et se matérialisant dans des «textes». Le socle sur lequel s’appuiera

    la construction de nos quatre idéaltypes comporte donc deux composantes: leréalisme tel que le produit le journahsme (dimension abordée dans la première

    142

  • 8/19/2019 CHARRON BONVILLE Typologie Historique Pratiques Journalistiques

    3/79

    Typologie historique des pratiques journalistiques

    partie de ce chapitre) et le mode d’énonciation propre au journalisme (dimen-sion abordée dans la seconde partie de ce chapitre).

    Chacun des types se construit autour de propositions qui sont autant d’hy

    pothèses, la plupart descriptives (portant sur Fétat d’une variable), mais à Foccasion explicatives (portant sur des processus impliquant plusieurs variables). Cespropositions offrent un niveau élevé de congruence et constituent des configurations spécifiques dont certaines présentent une plus grande vraisemblancesociohistorique: ce sont nos idéaltypes. Conformément à la méthode idéaltypique, ces configurations ne prétendent pas à la vahdité historique et ne seveulent que des instruments heuristiques. En tant que tels, cependant, ceuxci

    peuvent être affinés grâce aux connaissances sur la réahté empirique qu’ils auronteuxmêmes permis de mettre àjour.L ’observation sociohistorique, pour laquelleils sont construits, est donc susceptible d’amener à revoir certaines propositionsparticulières et même Forganisation des propositions à Fintérieur des configura-tions. Même s’il ne représente pas une réalité sociohistorique précise, 1’idéaltype contient des traits dégagés de 1’observation de la réahté, de sorte que sacomposition est influencée par les caractéristiques concrètes de Fenvironnementà partir duquel il a été construit. En ce qui nous concerne, même si nous avons

    puisé à plusieurs sources, tant européennes que nordaméricaines, les idéaltypesqui suivent présentent sans doute plus de ressemblance avec la réalité nordaméricaine, que nous connaissons mieux.

    D ’autres, avant et après nous, ont eu recours à la méthode idéaltypiquepour analyser la presse et le journalisme2. Nous ne prétendons pas qu’il failleremplacer ces typologies par la nôtre; chacune d’elles, au contraire, remplit desfonctions spécifiques et toutes possèdent leur utilité. La typologie que nous pré

    sentons dans ce chapitre devrait, quant à elle, faciliter 1’étude des changements àlong terme, superficiels ou profonds, dans le journalisme en tant que pratiquediscursive et discours public spécifiques.

    LE JOURNALISME COMME DISCOURS SUR LE RÉEL

    Le journalisme est, par définition, une pratique discursive réaliste, portant surun référent réel, par opposition à d’autres modes d’expression, comme la littéra

    ture ou la peinture, dont les référents sont ou peuvent être fictifs ou imaginaires.A la différence de ces modes d’expression, qui se sont émancipés de 1’obligation

    2 Par exemple, Kauko PIETILÀ , Formation of the Newspaper: a Theory, Tampere : University o fTampere, 1980; J. Herbert ATSCHULL,  Agents o f Power: the Media and Public Policy,  NewYo rk: Longman, 1995 ; Kevin G. BA R N H U R ST et John N ER O N E, The Form o f News : a 

    Fíistory,  New York : Guilford Press, 2001 ; Erik NEVEU, « Four generations of political

     journalism », dans Raym ond KU H N et Erik N EVEU, Political Journalism : New Challenges, 

    New Practices, Londres, New Y ork : Routledge, 20 02, p. 21 43 . Faute d’espace, nous ne présenterons pas ces très intéressants travaux.

    143

  • 8/19/2019 CHARRON BONVILLE Typologie Historique Pratiques Journalistiques

    4/79

    Nature et transformation du journalisme

    de représenter fidèlement le réel, le journalisme ne peut, sans cesser cfexister,  

    échapper à cette contrainte essentielle: représenter le réel d’une manière qui  

    donne à tous les acteurs sociaux engagés dans sa produ ction , journalistes, sources 

    d*information, annonceurs — et lecteurs —la co nvictio n du réel. L’ensemble de 

    ces agent$ doit entretenir 1’assurance réciproque de cette conviction, c’est-à-dire  

    posséder la certitude que « tou t le mon de jou e le j e u » du réalisme. Le journaliste 

    est soumis à un im pé ratif no n seulem ent de t/raisemblance, enten due dans le sens 

    de « conformité à la réalité », mais aussi de véridicité: ce qu’il rapporte est censé  

    être vrai3. Certes, il arrive que le réel soit invraisemblable, mais les règles journa

    listiques doivent, même en ce cas, entrainer chez le lecteur la conviction que 

    révé n em en t est réel, quelque éton nant qu’il paraisse. Aussi loin que le jo u m a -  lisme tende dans le sens de la créativité, comme dans toutes les expériences de  

    nouveau jou rnalism e4 il doit sans cesse, au risque de se nier en tant que pratique  

    discursive spécifique, se réclamer du réel. Cette contrainte est profondément  

    ancrée dans finstitution médiatique elle-même, dans les structures de collecte et 

    de traitement de finformation, dans les ressources matérielles importantes mises 

    au service de ces opérations; elle laisse aussi son empreinte jusque dans les sché

    mas cognitifs des acteurs engagés dans la production du journalisme. Si la con

    victio n de véridicité venait à se dissiper, il ne subsisterait plus de raison de consacrer de telles ressources, de consentir de telles dépenses, à la production d’un discours  

    dont le référent se volatilise. Po ur se maintenir en tant que group e professionnel, 

    les journalistes doivent donc négocier, discursivement, avec tous les autres acteurs  

    sociaux un contrat de communication qui garantisse la conformité à la réalité et  

    la vrazsemblance du discours. Cette exigence fait en sorte que le rapport au réel ne 

    po urra jamais être basé sur autre chose que le respect  du réel. Certes, ce respect 

    peut s’exprimer selon plusieurs modalités, qui vont de la déférence à la critique,  

    de f objectivité à la subjectivité, mais les mod ifications dans le rapport au réel ne  po urr on t jamais aller jusqu ’à la négation m êm e de la référence au réel5.

    3 Gérard GEN ET TE ,. Fiction et diction, Paris : Seuil, 2004, p. 143 (chapitre « Récit fictionnel,récit factuel», p. 141168).

    4 L’historiographie américaine retient au moins deux expériences de new journalism. La pre-mière, menée à 1’instigation d’entrepreneurs comme J. Pulitzer et R . Hearst, dans les années18801890, fait la promotion de méthodes de collecte et de traitement de rinformation plus« dynamiques» que la technique de reportage en usage jusquelà. Ces innovations ont étélargement imitées à travers le monde; sur leur influence au Québec, voir DE BONVILLE,

     Jean. « “Le nouveau journalisme” américain et la presse québécoise à la fin du X IX e siècle ».Dans SAUVAGEAU, Florian. Variations sur Vinfluence culturelle américaine. Québec: Les Pressesde 1’Université Lavai, 1999, p. 73100. La seconde expérience, à laquelle des journalistes commeTom Wolfe ou Truman Capote ont associé leur nom dans les années 1960, visait, par destechniques particulières d’observation et d’entrevue, à recueillir des informations sur les perceptions des protagonistes des événements et à décrire 1’état psychologique de ces derniersdans un style proche du style littéraire.

    5 Lorsqu’une forme de journalisme s’éloigne trop manifestement de cette obligation de réa-lisme pour se rapprocher d’autres modes d*expression, comme c’est le cas pour le new journalism

    144

  • 8/19/2019 CHARRON BONVILLE Typologie Historique Pratiques Journalistiques

    5/79

    Typologie historique des pratiques journalistiques

    Dans cette première partie nous explorerons le rapport du journalisme au 

    réel en nous attardant à (a) la spécificité du réalisme jou rnalistique , aux  

    (b) caractéristiques du réel journalistique, au (c) mode d’accès au réel, et, enfin, à 

    (d) 1’interaction entre le réel journalistique et la réalité sociale.

    Spécificité du réalisme journalistique

    Le journalisme se distingue d’autres discours réalistes  (discours politiques, 

    procès-verbaux, rapports scientifiques, etc.) notamment par (a) le cadre institu- 

    tionnel ou médiatique dans lequel il se produit et par (b) le rapport qu ’il instaure 

    avec le temps, du fait de sa périodicité. II se caractérise aussi par (c) son contenu, 

    qui relève du sens commun. Chaque type de journalisme, enfin, se difíerencie  des autres types par (d) une adhésion plus ou moins étroite aux apparences du  

    réel qu’il contribue lui-même à définir.

    Cadre instit ut ionnel de la prati que 

    Le journalisme est, tout d’abord, une pratique de communication publique: 

    à ce titre, il met ostensiblement en relation un grand nombre d’interlocuteurs, à 

    propos d’une partie de la réalité qui les intéresse tous en tant que sujets, citoyens  ou consommateurs6. Cette pratique est plus ou moins institutionnalisée, mais 

    toujours organisationnelle: institutionnalisée  au sens oú les conventions qui la ré-  

    gissent possèdent une relative coh érence dans le temps et 1’espace, et organisation-

    nelle  parce qu’elle prend place à l’intérieur ou autour d’une organisation  

    permanente, qui régule les rapports entre les agents de la communication, des 

    scripteurs aux lecteurs, et dans laquelle les règles de la pratique sont actualisées7. 

    En ce sens, nous aurions aussi pu la qualifier de médiatique. En somme, le jour

    naliste ou, plus généralement, 1’auteur d’un texte de journal doit respecter un ensemble de conventions découlant des contraintes qui s’exercent sur le média. 

    Son statut se définit par rapport au média: ce sera tantôt un correspondant de 

    1’éditeur, tantôt 1’unique rédacteur du journal, tantôt le repórter salarié d’une  

    entreprise de presse. Ces conventions trouvent par ailleurs un fondement maté- 

    riel, qui leur garantit une certaine permanence, dans des flux financiers entre

    américain des années 1960,1a communauté journalistique, même si elle peut être séduite parl’innovation, a tendance à y résister et à la repousser aux marges de la pratique acceptée.Nous pourrions donner une définition plus restrictive de la communication publique et,conséquemment, exclure le terme consommateur  de la précédente énumération. Dans ce cas, lacommunication publique ne concernerait que les questions d’intérêt public ; en seraient écartéesles questions d’intérêt privé exposées publiquement. Cette définition nous parait trop étroitedu point de vue de notre objet, puisqu’elle risquerait de soustraire à notre attention certainsaspects du journalisme.Certains traits spécifiques du journal en tant que média, comme la permanence du titre et la

    numérotation séquentielle des fascicules, sont des indices du caractère institutionnalisé etorganisationnel du journahsme.

    145

  • 8/19/2019 CHARRON BONVILLE Typologie Historique Pratiques Journalistiques

    6/79

    Nature et transformation du journalisme

    diíFérents protagonistes. La contribution de ces intrants varie dans le temps et 

    T espace, mais, de façon générale, on p eut identifier au moins quatre sources de 

    revenus :les lecteurs, abonnés au journ al8, les annonceurs, les auteurs de te xte9 et, 

    enfin, diíFérents mécènes dont la contribution peut prendre des Formes variées10. A long terme, deux sources, les auteurs et les mécènes, ont tendance à se tarir,  

    tandis que les lecteurs, mais plus particulièrement les annonceurs, deviennent les 

    sources prépondérantes. La définition du réel de chacun des types de journalisme 

    subit 1’influence indirecte et diffuse des conditions de financement.

    Dans le journalisme de transmission, la prépondérance des acteurs sociaux  

    dans le financement du journal rend 1’éditeur très sensible à leur opinion. Les  

    auteurs des textes et les mécènes sont souvent engagés dans 1’action; les lecteurs  et les annonceurs, qui sont invariablement des individus, appartiennent à l’élite  

    socioculturelle et politique, à 1’intérieur de laquelle se recrutent les « décideurs». 

    Le petit nombre d’individus dans chacune des catégories de sources de finance

    m en t oblige 1’éditeur à se soucier des opinions de chacun.Tou teFois, la polarisa- 

    tion de ces opinions autour d’idées, de principes ou d’intérêts précis demeure 

    relativem ent Faible, de sorte que 1’éditeur d oit « naviguer à vue », au gré des pres- 

    sions individuelles et des intérêts particuliers. Le journalisme d’opinion se carac-  

    térise, au contraire , par la polarisation des idées et des opinions autou r des intérêts des mécènes, généralement politiques, dans la mouvance desquels se recrutent  

    aussi une bonne proportion de lecteurs et d’annonceurs. Dans les journalismes  

    d’inFormation et de communication, les annonceurs constituent la source de 

    financement la plus importante; touteFois, comme il s’agit souvent de grandes  

    entreprises nationales et internationales, ces annonceurs se désintéressent du con

    tenu particulier des textes. Leurs attentes, qu’ils expriment essentiellement dans 

    leurs décisions d’annoncer, porte nt p lutôt sur le discours journalistique dans son 

    ensemble, qui doit être en phase et, si possible, en harmonie avec leurs intérêts  

    com m erciaux. Le journalisme de comm unication prend place dans un con texte  

    technique et commercial caractérisé par 1’interactivité de 1’offre et de la de

    mande (la télévision à péage est typique de cette situation) et la concurrence  

    intense entre médias, de sorte qu’un bon nombre sont financés par le public.

    Dans les médias électroniques, les redevances sur les récepteurs constituent une source de

    revenus que 1’État peut verser aux sociétés de radiodiffusion, mais les modalités de perceptionet de distribution font en sorte que 1’effet sur les médias de ce type de revenu est different.II est difficile de juger de la généralité de cette pratique, qui touche surtout la presse du18e siècle et grace à laquelle le gazetier couvrait une partie sans doute assez faible de ses fraisde composition et d’impression à partir de sommes que lui versaient certains acteurs sociauxdésireux d’avoir accès aux pages de sa gazette.Institutions ou groupes sociaux, gouvernements, partis politiques, clergé, etc., soutiennent des

     journau x dévoués à leurs intérêts. Ce soutien se matérialise par exemple sous formede subventions, de contrats d’impression ou de publicité, de contributions aux dépenses d’in

    vestissement et de fonctionnement (salaire d’un correspondant parlementaire en partie assumé par le gouvernement ou par le parti), de participation au capital du journal, etc.

    146

  • 8/19/2019 CHARRON BONVILLE Typologie Historique Pratiques Journalistiques

    7/79

    Typologie historique des pratiques journalistiques

    TABLEAU 5-111

    Sources de financement du journal

    Journalisme Source de financementLecteurs  Annonceurs  Mécènes Auteurs  

    Transmission  ++++ +++ ++ + 

    Opinion  ++++ +++ +++

    Information  ++ ++++

    Communication  +++ ++++

    Une prat i que récur rent e 

    Le journal entretient aussi un rapport au temps qui lui est spécifique. II se 

    distingue par sa périodicité régulière d’autres médias comme le livre ou la bro- 

    chure. Dans une perspective historique, le journal contribue, avec d’autres tech

    niques sociales com me le calendrier ou le beffroi, à régler le temps. A la différence 

    des médias dhnformation qui 1’ont précédé, comme les occasionnels (imprimés  

    mais non périodiques) ou les nouvelles à la main (plus ou moins périodiques  

    mais non imprimées), il régule publiquement (à la différence des nouvelles à la 

    main) le flux d’information. En effet, ce qui spécifie le journal, ce n’est pas qu’il  

    s’agisse d’un média imprimé (bénéficiant d’une diffusion publique, même res- 

    treinte) ou le fait qu’il diffuse des nouvelles, mais sa périodicité12. Dès lors, on

    11 Les appréciations générales inscrites dans les tableaux qui suivent, notamment sous forme de« + » , n’ont pas pour but, conformément à la nature de l’exercice idéaltypique, d’évaluer

    avec précision des situations empiriques. On ne doit pas non plus lier leur utilité théorique àla vraisemblance et à la justification dans le détail de ces indications. En effet, sur plusieurs desaspects qui nous intéressent, les données empiriques sur un échantillon représentatif des populations font défaut, de sorte qu’il est difficile de tracer les tendances les plus typiques.D ’autre part, 1’insistance sur la précision des indices («+ ») nous engagerait dans une stratégiede justification de chacun des indices excédant de beaucoup les objectifs de ce chapitre. Enconséquence, il faut plutôt considérer le caractère heuristique et exploratoire de ces instruments. Dans cet esprit, les variables et les catégories du tableau sont plus importantes que leurpondération. Par ailleurs, en général, les tableaux se hsent en priorité dans le sens des colon

    nes, c’estàdire qu’ils servent à comparer les types entre eux plus qu’à évaluer la contributionde chaque catégorie à la spécification du type.

    12 « Le temps apparait comme une durée animée par un retour permanent. La périodicité est laplus simple des formes temporelles et l’on en parle dès les années 1730 comme d’une “méthode”. C’est une technique d’édition consistant à produire et à distribuer des imprimésselon des intervalles de temps qu’on cherche à faire égaux. La “méthode” permet d’associerun schème temporel de publication lié à un marché et à un public à un processus de circulation et d’appropriation de 1’information, des messages, des données, des connaissances et àune représentation temporahsée de “ce qui se passe” (événements)» (Claude LABROSSE,

    « L’avènement de la périodicité », dans A. VITALIS, , J.F. TÉTU, M. PALMER etB. CASTAGNA, Médias, temporalité et démocratie, Ren nes: Apogée, 2000, p. 111).

    147

  • 8/19/2019 CHARRON BONVILLE Typologie Historique Pratiques Journalistiques

    8/79

    Nature et transformation du journalisme

    com m encera à découper le récit de 1’expérience humaine en fonction du retour 

    périodique du journ al. A 1’origine, 1’activité sociale et le nouveau média ne sont 

    pas synchronisés, mais à la longue, le média se généralisant, la récurrence du 

    journal est prise en compte, incorporée pour ainsi dire, dans le fonctionnement  des autres jnstimtions sociales. Avec la périodicité, le temps entre pour ainsi dire 

    dans la structure du média13.

    La périodicité du journal instaure donc une nouvelle façon de concevoir  

    1’activité sociale. Par ailleürs, cette périodicité se resserre progressivement: les 

    gazettes du 17e siècle sont généralement hebdomadaires, mais les premiers quo

    tidiens apparaissent au début du 18e siècle pour se généraliser au 19e siècle; au  

    20e siècle, les médias électroniques augmentent encore la fféquence de la communication jusqu’à introduire rinform ation en direct, puis rinform ation en c on - 

    tinu. La périodicité influe évidemment sur la définition du réel dans le journal et  

    autorise quatre situations typiques.

    Le journalisme de transmission se caractérise par une périodicité ample, l’heb-  

    domadaire étant la catégorie typique, adaptée à une temporalité lente. II n’est pas 

    nécessaire que les occurrences soient récentes, car la chronique en est faite pour  

    le futur14. Si une occurrence15 de très grande importance le justifie, 1’éditeur peut publier un extra.  Les auteurs s’autorisent de longues descriptions, puisque les 

    lecteurs, peu sollicités par d’autres informations, ont tout le loisir de lire en entier 

    le journal; la chronographie16 est donc un texte typique. Ce journalisme est 

    contemporain de techniques de transport et de transmission caractérisées par la

    13 Claude LABR.OSSE, op. cit., p. 121.14 Les fascicules, dont la pagination est continue, sont souvent reliés à la fin de 1’année.15 Dans la sociologie du journalisme, la compréhension du concept d’événement contient géné-

    ralement l’idée d’une interprétation, par une collectivité donnée, de « quelque chose » quis’est passé. Dans cet esprit, nous utiliserons le terme occurrence  pour désigner ce « quelquechose » qui se passe, et le terme événement pour désigner ce « quelque chose » tel qu'interprété  et représenté  dans le journal.

    16 Nous empruntons ce terme à C. Cave, pour qui, « [i]l s’agit de toutes les “informations” quiconcernent la représentation pofitique et qui, à travers la représentation d’une société de cour,disent un certain ordre pofitique et social, une certaine représentation du monde. En relèvent

    les multiples indications de fêtes, de cérémonies, des “relations”, de cortèges, de supplices[etc.] [...] Aussi serionsnous tentés [sir] d’appeler ce mode discursif spécifique à la gazette :“défilé”, entre récit, description et énumération. Le “récit” de ce type d’événements dans lagazette se mue en eflèt très vite en “description” car dans un grand nombre de cas 1’événement se trouve reproduire une situation ritualisée, ellemême conçue comme un tout fini,prévisible et décomposable » (Christophe CAVE,« Chronographie », dans Denis REYNAUDet ChantalTHOMAS, La suite à Vordinaire prochain : la représentation du monde dans les gazettes, Lyon : Presses Universitaires de Lyon, 1999,p. 63). Nous prenons à notre compte cette définition avec la réserve suivante. Ce type de contenu n’est pas exclusif à la gazette, puisqu’on le

    retrouve dans le journal du 19c siècle, et il ne concerne pas seulement les sociétés de cour etdes référents politiques, puisque la même forme sert à rendre compte de « rituels » bourgeois.

    148

  • 8/19/2019 CHARRON BONVILLE Typologie Historique Pratiques Journalistiques

    9/79

    Typologie historique des pratiques journalistiques

    lenteur de la circulation et la faiblesse du débit. Le bateau à voile, le cheval et lavoiture hippomobile sont les moyens les plus rapides de transmission de l’information. La quantité d’information pertinente transmise au journal est générale-

    ment inférieure à sa surface totale d’impression17. Le temps du journalisme detransmission s’écoule lentement et se montre respectueux des institutions. Lesliens entre le passé, le présent et le futur ne sont pas gommés, mais le passé est untemps fort et influe sur le présent. Dans son rapport au temps, le discours journa-listique se distingue peu de celui du chroniqueur et du mémorialiste.

    Dans le journalisme d’opinion, plusieurs périodicités cohabitent, de l’hebdomadaire, très fréquent, au quotidien, plus rare, en passant par les périodicités

    intermédiaires du bihebdomadaire et du trihebdomadaire. Les occurrences signalées sont relativement nombreuses, mais, sauf en ce qui concerne leschronographies notamment, elles ne donnent généralement pas lieu à des développements importants. La nouvelie brève (dépêche) est un texte typique de cerégime d’information. Ce type de journahsme peut coincider avec un état de latechnique comparable à l’état caractéristique du journahsme de transmission.Cependant, les techniques de transport et de transmission que l’on retrouve gé-néralement sous cette forme de journahsme sont caractérisées par une vitesse de

    transmission accrue et par la faiblesse du débit. Le bateau à vapeur, le chemin defer et le télégraphe optique, puis électrique, sont les moyens les plus rapides detransmission de 1’information. Cependant, les contraintes et les coüts de la trans-mission télégraphique sont tels qu’une partie importante de 1’information estencore transportée avec son support. La quantité d’information pertinente trans-mise au journal et sa capacité physique (sa surface totale d’impression) de lareproduire s’équilibrent. Dans ce type de journahsme, qui institutionnalise ledébat sur les enjeux sociaux, le temps, qui demeure tridimensionnel (passé, pré-sent, futur), apparaít comme le média du changement.

    Le quotidien est la périodicité typique du journahsme d’information. Ce journal se concentre sur ce qui s’est passé depuis la dernière livraison et met1’accent sur la narration des événements. II édite même plusieurs éditions dans lebut d’atteindre 1’ensemble de son lectorat dans les meilleurs délais avec les nou-velles les plus récentes possibles. La technique de transmission de 1’informationtypique de ce journalisme est caractérisée par un fort débit à faible coüt. Au

    système télégraphique se greffent des techniques, comme le téléscripteur, le télétype ou le bélinographe, qui permettent la transmission quasi instantanée d’unetrès grande quantité dhnformation textuelle et iconographique. Des organisations professionnelles, les agences de presse en particulier, se spécialisent dans la

    17 Dans la suite du texte, dans les contextes semblables, le syntagme surface ã’impression signifie la

    capacité physique du système de journaux, en tant que support, de reproduire une quantitédonnée d’information.

    149

  • 8/19/2019 CHARRON BONVILLE Typologie Historique Pratiques Journalistiques

    10/79

    Nature et transformation du journalisme

    collecte et la transmission de 1’information destinée aux journaux. La quantitéd’information pertinente transmise au journal dépasse généralement sa surfaced’impression. Dans ce type de journalisme, le passé et le futur sont gommés, et

    seul importe le présent, sous la forme d’un passé immédiat constitué à'oaurrertces recentes.

    La périodicité n’est plus une considération pertinente pour le journalismede communication, puisque 1’information circule à une vitesse et avec un débittels que les occurrences peuvent être rapportées en direct et dans leur continuité,au fur et à mesure de leur déroulement. Ce type de journalisme est contemporain des techniques de transmission électroniques et, éventuellement, numéri

    ques, des messages écrits ou audiovisuels. Des médias d’information électroniques(radio, télévision, internet) assurent la transmission de l’information presque sansarrêt et, éventuellement, à la demande. Le présent est le temps du journalisme decommunication: présent du direct, de 1’information en continu, du commentaire sur l’événement récent ou en cours.Toutefois, le passé et le futur ne sont pastotalement absents puisque, dans le discours journalistique, ils peuvent devenirune source de références au présent, un arsenal de métaphores et la cible deconnotations diverses.

    D’un type de journalisme à l’autre, le délai de représentation du réel dans lemédia diminue substantiellement, se mesurant souvent en mois dans le cas du

     journalisme de transmission, alors qu’il est pratiquement disparu dans le journa-lisme de communication. La diminution du délai entre les occurrences et leurprésentation par le journal est évidemment fonction d’améliorations dans lestechniques de transmission de 1’information, grâce auxquelles il devient économiquement possible de rapporter de plus en plus rapidement ce qui se passe de

    plus en plus loin. Pour le journalisme de transmission, le temps (envisagé commedélai entre 1’occurrence et sa représentation dans le journal) n’est pas une consi-dération importante. Le journal publie ce que l’on a appris entre deux livraisons,peu importe le moment ou 1’occurrence est survenue. Sous le journalisme d’opi-nion, le moment oü 1’occurrence survient est pris en compte: le journal publiece qui est venu à sa connaissance entre deux livraisons et tend à mettre 1’accentsur les occurrences qui datent d’au plus une semaine. Sous le journalisme d’information, le moment oü 1’occurrence survient est primordial, puisque le jour-

    nal ne publie que ce qui s’est passé entre deux livraisons quotidiennes. Sous le journalisme de communication, 1’occurrence et sa représentation coincident, sinon le délai entre les deux événements est réduit au minimum.

    150

  • 8/19/2019 CHARRON BONVILLE Typologie Historique Pratiques Journalistiques

    11/79

    Typologie historique des pratiques journalistiques

    TABLEAU 5-2 

    Délais entre les occurrences  et leur représentation journalistique

    Journalisme,

    Délai

    Mois Semaine Jo ur 

    (différé)Heure

    (simultané)

    Transmission ++++ +++

    Opinion ++ ++++ +

    Information + ++++ ++

    Communication + ++++ +++

    Le journalisme entretient aussi un rapport avec le temps en tant que prati

    que discursive proprement dite. En effet, le texte journalistique peut prendre des libertés avec l’ordre temporel des occurrences, qui, lui, demeure unidirectionnel et irréversible. Dans le journalisme de transmission et le journalisme d’opinion, le récit journalistique présente une synchronie de construction, c’est-à-dire qu’il 

    y a coincidence de Yoccurrence et du récit qui la rapporte. Le journalisme d’infor- mation et le journalisme de communication autorisent des libertés avec le temps, puisque certains types d’occurrences commandent une construction en rupture avec 1’ordre prescrit par 1’occurrence. Ainsi, la  pyramide inversée du journalisme d’information est la négation systématique de la synchronie18. Dans le journa

    lisme de communication, la synchronie peut être sacrifiée à la recherche d’effets 

    stylistiques19.

    Les difíerents types de journalisme entretiennent avec 1’espace un rapport  spécifique. Laire géographique à 1’intérieur de laquelle les occurrences advien-  nent est constituée de zones concentriques tracées autour du lieu d’édition. La première zone délimite une aire locale ou régionale, et la seconde, une aire nationale; la troisième zone correspond à une aire internationale rapprochée, constituée de territoires extérieurs au pays ou le journal est édité et accessibles dans un délai correspondant approximativement à la périodicité typique compte

    18 Voir une illustration de ce phénomène dans Jean DE BONVILLE,« Les notions de texte etde code journalistique .définition et critique », Communication, vol. 17, n° 2,1996, p. 117119.

    19 D’autres dimensions du rapport au temps, dans une perspective textuelle, pourraient êtreabordées. C’est le cas en particulier de la intesse du récit, variable sous les difiérents types. Les

     journalismes de transmission et d’opinion tolèrent facilement les pauses descriptives (longueur textuelle quelconque pour une longueur de récit nulle) ou les scènes (égalité de tempsentre histoire et récit) du type chronographie ou dialoguées comme le reportage sténographiquedes assemblées délibérantes. Le journalisme d’information autorise dans certains cas le repor-

    tage sténographique (par exemple dans le compte rendu des débats parlementaires), mais cedernier est tout à fait absent du journalisme de communication.

    151

  • 8/19/2019 CHARRON BONVILLE Typologie Historique Pratiques Journalistiques

    12/79

    Nature et transformation du journalisme

    tenu des techniques de transport et de communication en usage; la dernièrezone est une aire internationale éloignée, constituée de territoires accessiblesdans un délai excédant de manière significative la périodicité typique.

    Dans le journalisme de transmission, aucune aire n’a préséance sur les autres,mais les informations concernant chacune d’elles sont soumises à des niveaux decontrole variable: ce dernier se relâche si 1’information concerne l’aire interna-tionale. C ’est pourquoi les occurrences s’y déroulant sont particulièrement nombreuses dans le journal. Sous le journalisme d’opinion, les aires sont aussirelativement indifférenciées, mais la dimension nationale jouit d’une certainepréséance, puisque c’est à ce niveau que se définissent les enjeux pohtiques pré

    sentant le plus d’intérêt pour les lecteurs. Le journalisme d’information com-porte une hiérarchisation de 1’espace, les aires locale et nationale y bénéficiantd’une nette préséance. Toutefois, les deux principaux soustypes de journalismed’information (soit le quotidien populaire et le journal d’éhte (quality paper))  secomportent différemment à cet égard, le premier accordant la priorité à la di-mension locale, puis nationale, et le second aux dimensions nationale et interna-tionale. Le journabsme de communication offre une hiérarchisation de 1’espacesemblable à celle du journabsme dbnformation, mais le principe de hiérarchisa-

    tion tolère facilement les exceptions lorsque les occurrences concernées sontsusceptibles de susciter 1’intérêt des lecteurs.

    Déf ini t i on du réel jou rnal i st i que 

    Le journabsme se distingue d’autres discours réabstes non seulement par descirconstances comme son caractère institutionnel ou sa périodicité, mais aussipar la spécificité de son objet. En effet, à la difference du réel représenté par

    d’autres discours réabstes, comme les discours juridique ou sociologique, le réel journalistique exploite les catégories du sens commun, entendu dans son acception ordinaire: le journal traite de situations concrètes qui ont une significationimmédiate pour la collectivité à laquelle il s’adresse, et cela en vertu de critèresimpbcites partagés par la majorité de ses membres; il offre un beu commun oüest exposée et pour ainsi dire négociée la représentation des aspects de la viesociale auxquels ils accordent de 1’importance dans leur vie quotidienne20. Selonle principe épistémologique dont s’inspire le journabsme, la réalité se réduit à ses

    20 Ce lieu commun «est un espace de rencontre, d’argumentation, d’échange. [...] Sa fonctionest analogue à celle du mythe: ménager un espace pour une communication possible et par làréactiver une communauté latente » (Francis JA C Q U ES,« Paradoxes sur le sens commun », La communication . Actes du X I* Congrès de l’Assodation des sociétés de philosophie de languefiançaise (volume I), Montreal: Éditions Montmorency, 1971, p. 115). A propos du sens commun

     journalistique, voir aussi Risto KUNELIU S, The News, Textually Speaking : Writings on News 

     Journalism and Journalism Research, Tampere: University ofTampere, 1996, (Acta universitatistamperensis), p. 20221 1.

    152

  • 8/19/2019 CHARRON BONVILLE Typologie Historique Pratiques Journalistiques

    13/79

    Typologie historique des pratiques journalistiques

    apparences ou, à tout le moins, elle est directement accessible à travers elles. Ces 

    apparences sont sensoriellement perceptibles et manifestes. La réalité n’est pas ce 

    que vivent  les protagonistes au niveau psychologique ou sociologique, mais ce 

    qu’ils paraissent vivre aux yeux de leurs congénères. Cette épistémologie n’écarte pas, certes, les motivations, mais celles-ci n’interviennent que comme une expli- 

    cation plausible de la réalité21. En somme, 1’épistémologie du journalisme ne 

    franchit pas le seuil de 1’introspection et ne s’aventure pas loin dans la généralisa

    tion et 1’abstraction. Au-delà des apparences, ou bien le discours cesse carrément 

    d’être journalistique ou encore il exploite un genre à la marge de la démarche 

    journalistique typique, com m e le journalisme d'enquête, qui se propose d’explo- 

    rer les arcanes des institutions et du pouvoir, ou le new journalism   américain des 

    années 1960, qui veut pénétrer dans la conscience des acteurs et pour lequel le 

    réel est le vraisemblable psychologique.

    M êm e si, sous toutes ses formes, le journahsm e vise la représentation du réel, 

    chaque type de journalisme entretient avec lui un rapport spécifique. Dans le 

    journalisme de transmission, la réalité s’impose comme évidente et immuable. 

    Le journal existe dans  la réalité, il est littêralement  (au sens de discursivement)  tra- 

    versé par la réahté sociale, il ne dispose pour ainsi d’aucune indépendance à son 

    endroit: la réalité des acteurs sociaux s’y donne à lire sans intermédiaire22. Cette réalité est ordonnée: les apparences du réel vont de soi, et il n’y a pas heu de les 

    contester; ce qui les menace est suspect et doit être dénoncé. La question de 

    1’existence du réel, de son statut, est dépourvue de sens23. Le réel est aussi en 

    partie prévisible, institutionnalisé, voire ritualisé.

    Le réel du journalisme d’opinion est partiellement objectivé. En effet, le 

    journal est à l’intérieur du réel dans la mesure oú il se définit comme un moyen  

    d’agir sur le réel, mais il est en m êm e temps extérieur au réel, puisqu’il peut agir sur lui. Bien qu’il reconnaisse que la réahté doit reposer sur un ordre institution- 

    nel, le journahsme d’opinion considère comme légitime la discussion de l’ordre 

    établi. Ce postulat ouvre des perspectives sur des réalités différentes, soumises à la 

    libre discussion.

    21 Voir par exemple, en ce qui concerne le journalisme d’information, James W CAREY,« Why :the dark continent o f American journalism », Dans Robert K. MANO FF et MichaelSCHUDSON, Reading the News. New Yo rk: Pantheon Books, 1986, p. 146196.

    22 Voir à ce sujet Yannick SÉ IT É ,« Le document inséré ou les procédés textuels de 1’objectivité », dans Denis REYNAUD et Chantal TFIOMAS, op. cit., p. 81108.

    23 Rappelons ici la fonction de l’idéaltype, qui est de fournir une méthode pour analyser laréalité sociale et ne saurait en constituer une représentation fidèle. En 1’occurrence, plusieursdes gazetiers des 17' et 18' siècles n’auraient sans doute pas souscrit à cette dernière proposition, comme le souligne Y. Séité (Yannick SÉITÉ, op. cit., p. 105.), pour qui, si la gazette de

    1’époque de Théophraste Renaudot est entièrement soumise et dévouée à 1’autorité royale,celles du milieu du 18' siècle accueillent souvent des points de vue contradictoires.

    153

  • 8/19/2019 CHARRON BONVILLE Typologie Historique Pratiques Journalistiques

    14/79

    Nature et transformation du journalisme

    Dans le journalisme cTinformation, le réel est extérieur au journal, sans co n- tact avec lu i.Le journal demeure neutre à 1’égard du réel, sauf dans des genres de Vinformation commentée ou Viérités du journalisme d’opinion, comme f édito- 

    rial.Toutefois,le journal d’information entretient une manière spécifique d’ex-  primer fopinion, puisque 1’éditorialiste ne prétend pas vouloir changer le réel,  sinon én éclairant le lecteur sur le réel. Ce type de journalisme se considère  comme le serviteur du réel: 1’actualité doit être rapportée le plus rapidement et le plus exhaustivement possible24. Le journalisme d’information adopte enfin une attitude « positiviste » à l’égard de la réalité. Le réel se résume à ses apparen-  ces: l’ordre social n’y est pas perceptible en tant que tel sauf sous la régularité des occurrences, la stabilité interne de cet ordre rendant superflu tout effort pour le défendre.

    Le journalisme de communication se manifeste dans une société dont les assises sont à ce point solides que la critique de ses structures est non seulement  autorisée, parce que sans risque véritable pour ces dernières, mais récupérée par le système social, toutes les marginalités se dégradant en modes ou en snobis-  

    mes25. Les apparences en viennent à être considérées comme telles, le réel se trouvant plutôt dans 1’attitude adoptée à son sujet. Le journalisme de communi

    cation met le réel à distance dans le sens ou il ne se considère pas comme tenu de rapporter tout le réel, ni de le rapporter comme il est advenu. Le réel n’est pas  seulement objectivé, il est aussi relativisé. En effet, le discours acquiert une telle prégnance que les journalistes sont consdents de pouvoir « créer » du réel à partir du réel26, par exemple en choisissant 1’angle sous lequel aborder les occurrences27, en prenant 1’initiative d’un reportage sur un phénomène que l’« on » veut garder  caché, ou encore en s’intéressant à certames parties moins evidentes du réel  comme le «vécu» des gens ordinaires. Le journalisme de communication se place pour ainsi dire au-dessus du réel, dans une posture critique s’exprimant par  1’humour, la désinvolture, la dérision. L’opinion sur le réel n’est pas confinée aux  genres de finformation commentée, elle se manifeste aussi dans ceux de finformation rapportée, soit explicitement, soit par des procédés indirects comme la métaphorisation du réel.

    24 Les délais ou, pire, les lacunes dans le reportage des événements sont considérés comme lesconséquences d’erreurs ou d’incompétence professionnelles.

    25 C ’est la thèse défendue par H. Marcuse dans Uhomme unidimensionnel (Herbert MARCUSE,L’homme unidimensionnel: essai sur Vidéologie de la société industrielle avancée, Paris: Éditions deMinuit, 1968), à laquelle D. Hebdidge apporte un complément intéressant en montrant com-ment différentes formes de contestation du système sont transformées en modes (DickHEBDIGE, Subculture : the Meaning of Style, Londres : Methuen & Co, 1979).

    26 Dans le journalisme d’information, les journalistes sont en mesure de le faire, mais ce pouvoir  relève de leur conscience pratique, tandis que dans le journalisme de communication, ilaccède à leur conscience discursive. Voir le chapitre 1 (notes 43 et 50) pour une définitionsommaire de ces notions.

    2' Todd GITLIN, The Whole World is Watching :Mass Media in the Making & Unmaking of the New Left, Berkeley: University of Califórnia Press, 1980.

    154

  • 8/19/2019 CHARRON BONVILLE Typologie Historique Pratiques Journalistiques

    15/79

    Typologie historique des pratiques journalistiques

    TABLEAU 5-3 

    Attitude par rapport au réel

    Journalisme

     Attitude

     Adhésion aux apparences du réel

    Distance par rapport  au réel

    Transmission ++++

    Opinion ++ +

    Information +++ ++

    Communication ++ +++

    Caractéristiques du réel journalistique

    L’attitude du journalisme à Tégard du réel étant ainsi sommairement circonscrite, il faut préciser la nature de ce réel journalistique, se demander de quoiil est composé. Nous poserons tout d’abord un ensemble de (a) classes générales

    de référents, universellement valables pour toutes les formes de journalisme, etpostulerons ensuite fexistence de (b) catégories de référents spécifiques à chaquetype de journalisme formant des systèmes cohérents d’appréhension du réel.

    Cl asses générales de référen t s 

    La première classe de référents comprend les phénomènes naturels, gels, canicules, tempêtes, tremblements de terre, éruptions volcaniques, et autres acci

    dents du même ordre. La seconde catégorie couvre des phénomènes liés à la vieen société. Certains d’entre eux expriment un état de chose, une situation ouconcernent les aspects routiniers ou prévisibles de factivité sociale, comme l’arrivée d’un bateau, un mariage, la promulgation d’une loi; ils représentent ladimension continuité   de la vie en société. D ’autres phénomènes se manifestentdans des actions ponctuelles, comme un accident, la fermeture d’une usine ou uncoup d’Etat, et mettent plutôt 1’accent sur la dimension rupture dans la vie quo-tidienne.

    Le réel et le discours journalistiques peuvent entretenir entre eux, du point devue de leur nature et de leur forme, une relation d’homologie ou d’hétérologie.Les objets et phénomènes naturels sont en situation d’hétérologie avec le dis-cours journabstique, puisqu’il n’existe aucune ressemblance entre, d’une part,1’occurrence et, d’autre part, le système social dans lequel elle est interprétée et lediscours qui la représente. En situation d’hétérologie, le problème de 1’objectivité de la représentation ou de 1’impartialité du discours ne se pose pas. Dans le

    cas des événements ou faits sociaux, il existe une homologie entre le systèmed’interprétation par lequel la société donne sens à ces occurrences et celui

    155

  • 8/19/2019 CHARRON BONVILLE Typologie Historique Pratiques Journalistiques

    16/79

    Nature et transformation du journalisme

    qu’applique le jou rnal aux mêm es o ccurr enc es. Toutefois, ces occ urren ces de-  

    meurent en situation d’hétérologie avec le discours  journalistique. Comme les 

    occu rren ces naturelles, ce type cfo ccu rren ces , po ur être représentées dans le jo u r

    nal, nécessitent une mise en discours, prise en charge par une catégorie quelcon-  que de scripteurs, variable selon le type de journalisme. N onobstant c e qui précède,  

    une partie des faits sociaux présentent une homologie complète avec le discours 

    journalistique: ce sont les actes de discours (nomination, démission, déclaration,  

    prise de position, etc .). C e type d’occurrences peut être transposé tel quel dans le 

    journal avec une intervention minimale de la part de ses responsables. Comme il 

    s’agit d’occurrences dont la représentation est peu onéreuse pour le média, puis- 

    qu*elles ne demandent pas de mise en discours, on en retrouve beaucoup dans le  

    jou rna l, en particulier sous certaines form es plus anciennes de journalisme. C ’est 

    à Fégard de ce type d’occurrences que 1’application des normes d’objectivité et 

    d’impartialité pose le plus de difficultés, puisque les responsables des discours 

    rapportés peuvent s’ériger en juge de la qualité du compte rendu et critiquer le  

    travail du rapporteur.

    U accent placé sur les aspects de rupture ou de continuité  dans le réel jou m alis-  

    tique est fonction de deu x phén omèn es complémen taires, soit la densité de Tac-  

    tivité sociale et celle du flux d’information dans la société en question28. On

    La densité de 1’activité sociale pourrait se définir, d’un point de vue opératoire, comme lenombre d’actes de même type posés par un certain nombre d’individus dans un cadre spatiotemporel plus ou moins étendu. Un exemple trivial, celui de la fabrication de chaussures à lafin du 18esiècle et à la fin du 19e, éclairera cette proposition.Au 18esiècle, un artisan cordonnier travaillant seul ou avec un apprenti dans son atelier fabrique deux paires de chaussurespar jour. II s’interrompt à 1’occasion pour recevoir des clients venus du voisinage commander,faire réparer ou chercher leurs chaussures. Un siècle plus tard, une fabrique de chaussuresréunit des dizaines, voire des centaines, d’ouvriers qui, travaillant sur des machinesoutils,fabriquent quotidiennement près de 300 paires de chaussures. Le produit de leur travail estacheminé par chemin de fer dans des milliers de magasins situes à des centaines de kilomètresde la manufacture, pour être acheté par des centaines de milliers de clients inconnus. Lemême type d’observations pourraient s’appHquer à tous les domaines d’activité avec uneconclusion semblable : au fur et à mesure que Torganisation de la vie sociale et de 1’activitééconomique embrasse une durée plus grande et un espace plus étendu, il devient plus difficileet moins pertinent de circonscrire les limites spatiotemporelles d’une action (fabriquer une

    paire de chaussure) et d’identifier son auteur. II est plus difficile aussi de discerner les tenantset aboutissants de chaque acte. Pour caractériser ces deux types de contexte social, A. Giddens(Anthony GIDDENS, La constitution de la société: éléments de la théorie de la structuration, Paris :Presses Universitaires de France, 1987, p. 198200) emprunte à D. Lockwood les conceptsd'intégration sociale  et d’intégration systémique (David LOCKWOOD, « Social integration andsystem integration », dans George Z. ZOLLSCHAN et W. HIRSCH, Exploration in Social Change, Londres: Routledge, 1964, p. 244257). Le concept d’intégration sociale désigne lesmodes d’interaction par lesquels un individu s’insère dans son environnement immédiat; ils‘agit généralement d’interactions personnelles, souvent en situation de coprésence. Le con-

    cept d’intégration systémique, par ailleurs, renvoie aux modahtés par lesquelles un individuou un groupe s’insère dans im environnement très large ;dans ce cas,l’individu agit en 1’absence

    156

  • 8/19/2019 CHARRON BONVILLE Typologie Historique Pratiques Journalistiques

    17/79

    Typologie historique des pratiques journalistiques

    pourrait dire, en somme, que 1’aspect continuité,  c’est-à-dire Yactivité   (arrivées et 

    départs de bateaux, cérémonies, délibérations d’une assemblée représentative, etc.), 

    caractérise le type de référents congruent avec les régimes à faible densité d’ac- 

    tivité sociale et de flux d’information, tandis que 1’aspect rupture ou Yaction cons- tituerait le type de référents congruent avec les régimes à forte densité d’activité  

    sociale et de flux d’information. Le rapport entre 1’augmentation du flux d’in- 

    formation et le passage d ’un type de référents à 1’autre s’expliquerait à 1’intérieur 

    de la théorie de la pertinence de Sperber et Wilson. La pertinence étant définie  

    à partir des notions de coüt et d’effet cognitif29, il s’ensuit que plus la densité de 

    1’activité sociale et le flux d’information augmentent, moins la pertinence d’une 

    même proposition, par exemple«Le bateau x   est arrivé hier», est grande. En  

    d’autres termes, à une époque oú des milliers de bateaux, de trains, d’autobus ou 

    d’avions entrent chaque jour en ville, il est difflcile pour le lecteur de déduire les 

    conséquences, pour lui ou pour des personnes et organisations de sa connais

    sance, de la proposition «Le bateau x est arrivé hier»; au contraire, à une époque 

    oú les quelques bateaux à entrer chaque semaine dans le port constituaient le 

    seul lien avec l’« extérieur », la même proposition pouvait signifier la livraison de 

    marchandises pour le commerçant, la visite d’un diplomate pour le gouverneur, 

    la fin d’une longue attente pour une autre personne. Bref, au risque de perdre son utilité pour les individus et la collectivité, le journal doit produire un dis

    cours pertinent; en d’autres termes, le type de propositions soumises aux lec

    teurs doit attirer fattention, soutenir 1’intérêt et leur paraítre de conséquence.

    À partir de la distinction entre activité   et action, situation  et événement,  il est 

    possible de définir deux sous-catégories supplémentaires de référents auxquels 

    auront recours les journahstes dans les sociétés à très forte densité d’activités et 

    de flux d’information. La première découle de finstitutionnalisation des rap

    ports entre les médias et certaines institutions sociales: il s’agit d’événements 

    organisés par ces institutions à 1’intention des médias dans le but d’attirer fatten

    tion de ces derniers sur leurs activités. Conférences de presse, entrevues, lance- 

    ments, inaugurations, etc., appartiennent à ce que Daniel Boorstin a suggéré 

    d’appeler des pseudo-événements30. Depuis la publication de f ouvrage de cet 

    auteur, le processus à f origine des pseudo-événem ents ne s’est pas interrompu,

    des systèmes dans lesquels il s’intègre. La densité du flux d’information, par ailleurs, se mesureau volume et à la vitesse avec lesquels sont transmis les renseignements portant sur 1’activitésociale, dont il vient d’être question.

    29 II serait trop long de résumer ici cette théorie. Pour une présentation sommaire, voir OswaldDUCR.OT et JeanMarie SCHAEFFER,  Nouveau dictionnaire encyclopédique des Sciences du langage, Paris : Seuil, 1995, p. 773775. Qu’il suffise pour le moment de définir le coút comme«1’effort nécessaire à 1’interprétation », et 1’efFet cognitif d’une proposition dans un contextedonné comme «1’ensemble des propositions que l’on peut infèrer d’elle quand elle est jointeà un contexte, et que l’on n’infererait pas du seul contexte » (p. 773).

    30 Daniel BO ORST IN , The lmage: a Guide to Pseudoevents in America, NewYork :Vintage Books,1992.

    157

  • 8/19/2019 CHARRON BONVILLE Typologie Historique Pratiques Journalistiques

    18/79

    Nature et transformation du journalisme

    réduisant la pertinence d’un grand nombre de ceux-ci et forçant 1’apparition 

    d’une classe distincte de pseudo-événements. Alors que les premiers pseudo- 

    événem ents cherchaient à attirer 1’attention sur des activités  institutionnalisées et 

    routinières, les pseudo-événements de la seconde classe sont mis en scène pour les médias sur le modèle de Yaction ponctuelle, de la rupture: c ’est la manifestation, 

    la grève de la faim, 1’attentat. Le passage de la première classe de pseudo-événe

    ments, généralement de nature discursive, à la seconde classe, généralement de 

    nature non discursive, reflète rintensification de la concurren ce entre les institu

    tions, associations et groupes de toutes sortes31 qui doivent accepter de « payer un 

    coüt plus élevé» pour produire un effet cognitif chez les consommateurs de 

    médias.

    Historiquement, le point focal du journalisme se déplace de plus en plus 

    vers l’événement. Avec le temps, en effet, la représentation spécifique de ce type 

    d’occurrences se généralise aux autres types d’occurrences, y compris aux situa

    tions ou aux activités, pour lesquelles la chronographie avait d’abord semblé une 

    représentation adéquate. Cette transformation, qui implique un régime d’infor- 

    mation basé sur le flux rapide de référents de type événementiel, requiert une  

    plus grande capacité technique, qui ne sera guère disponible avant la seconde 

    moitié du 19e siècle32. Chaque type de journalisme présente une configuration spécifique de ces différentes catégories de référents.

    Dans les sociétés ou prévaut le journalisme de transmission, peu de choses 

    ne sont tenues pour acquises; même la situation jugée « normale » ne présente 

    pas un niveau de probabilité suffisamment élevé pou r aller de soi. Par exemple, le 

    bateau attendu a souvent fait naufrage, la récolte est perdue faute de pluie, la cour 

    ne siège pas faute de bois de chauffage, etc. De plus, comme le flux d’informa-  

    tion est faible et souvent inférieur à la surface d’impression du journal, il suffit que le journal diffuse des renseignements, même sur les situations allant de soi, 

    pour jo uer un rôle socialement utile: d’ou les témoignages des capitaines de

    31 « [A]t a given time, every society has a normal quota of social problems.While it is dear thatthe number of situations that could potentially be interpreted as social problems is so huge asto be, for practical purposes, virtually infinite, the prime space and prime time for presenting

    problems publicly are quite limited. It is this discrepancy between the number of potentialproblems and the size of the public space for addressing them that makes compétition amongproblems so crucial and central to the process o f collective définition ». (StephenHILGAR.TNER. et Charles L. BO SK ,« The rise and fali o f social problems : a public arenasmodel», American Journal o f Sociology, vol. 94, n° 1,1988, p. 59.

    32 Par ailleürs, il faut attendre le début du 20e siècle avant que ne soient réunies toutes lesconditions permettant, de routine, de consacrer à un même événement un volume importantde texte, dans un laps de temps court et à faible coüt, c’estàdire de transmettre non seule-ment un très court texte ne contenant que les éléments essentiels de 1’événement (situation

    typique du journalisme d’opinion), mais le texte complet de ce que l’on nommera éventuel-lement une nouvelle  (situation typique du journalisme d’information).

    158

  • 8/19/2019 CHARRON BONVILLE Typologie Historique Pratiques Journalistiques

    19/79

    Typologie historique des pratiques journalistiques

    navire sur leur traversée et les chronographies de toutes sortes. Uévénement n’estpas absent, mais il n’est pas le référent typique, sur lequel il faudrait conformertoutes les occurrences. Par ailleurs, comme il est difficile et coüteux de collecter

    et de «détailler» les occurrences de type événementiel, 1’événement n’est pasl’objet dlun fort investissement «discursif» de la part du journal: les textes surdes événements sont donc brefs et dépouillés.

    Le journalisme d’opinion est contemporain d’une société dans laquelle uncertain nombre d’institutions, notamment politiques, génèrent un volume d’activités suffisamment important pour fournir au journal un flux soutenu de réfé-rents du type continuité,  d’ou la fréquence des chronographies. Par ailleurs, les

    référents événementiels possèdent un statut comparable à celui qui leur est concédé dans le journalisme de transmission. Le flux d’information et la surfaced’impression du journal sont en équilibre, mais le volume d’information a ten-dance à excéder la surface d’impression (d’oü une présentation différente du

     journal (format plus grand, caractères plus petits, etc.) et un resserrement de lapériodicité).

    Le journalisme d’information se caractérise par la prédominance du référent

    événementiel. Les occurrences de ce type, celles qui manifestent une rupture parrapport à un état du monde naturel ou social, sont privilégiées. Les occurrencesqui n’exhibent pas d’emblée cette caractéristique, en particulier les activités discursives, doivent pouvoir être transformées en événement pour devenir acceptables au journal. Le journalisme d’information étant contemporain d’une sociétéfortement institutionnalisée, dans laquelle le volume d’activités discursives esttrès important, le pseudoévénement est la catégorie de référents typique. Laforte densité du flux d’information, qui dépasse largement la surface d’impres

    sion, oblige le journal à écarter les occurrences relevant de 1’activité routinièredes institutions sociales et à privilégier les occurrences offrant un coefficient denouveauté plus élevé, un plus grand écart à la norme. La pertinence de ces oc-currences est soulignée par des procédés comme les gros titres ou 1’exploitation

    de la «une ».

    Sous le journalisme de communication, la densité du flux d’information esttelle que 1’événement luimême ne présente pas une prégnance suffisante pour

    imposer sa pertinence au lecteur. Celleci doit être établie par la mise en page etpar des procédés discursifs divers. La frontière entre oaurrence et discours sur 1’occur rence  est relativement poreuse; la clôture des événements, plus ou moins nette.Uévénement, pléthorique du fait de la multiplicité des médias et des canaux detransmission, est prétexte à échanger et à discuter. Le flux d’information dépassetrès largement la surface d’impression du journal, et les acteurs sociaux qui veulent communiquer avec le public sont soumis à une concurrence extrêmementfo rte; le recours au pseudoévénement de la seconde classe est la stratégie usuelle

    des groupes et organisations qui ne possèdent pas les ressources pour imposerleur point de vue à fattention du public au moyen de la première classe de

    159

  • 8/19/2019 CHARRON BONVILLE Typologie Historique Pratiques Journalistiques

    20/79

    Nature et transformation du journalisme

    pseudo-événem ents. Le pseu do-événem ent est donc le référent typique de cette form e de journalisme33.

    TABLEAU 5-4 Types de référents présents dans le journal

    Journalisme

    Type de référents

    Occurrences naturelles 

    (situation et  événement)

     Activitéssociales

     Actions ponctuelles(événement)

    Pseudo-événement (activité)

    Pseudo-événement 

    (action)

    Transmission +++ ++++ ++

    Opinion +++ ++++ +++Information +++ ++ +++++ +++ +

    Communication ++ + ++++ ++++ +++

    La tendance à l’« événementialisation » des occurrences et des phénomènes 

    s’accompagne d’une hausse du seuil de nouveautP4  imposé aux occurrences rete- 

    nues dans le journal. Dans un contexte de faible flux d’information, toute nou

    velle occurrence mérite d’être rapportée: mieux vaut une occurrence banale que pas d’occurrence du tout35. Dans un contexte de fort flux d’information, le 

    seul fait de la nouveauté ne suffit plus, parce que trop d’occurrences disponibles 

    pour publication possèdent ce caractère. D ’oü recherche de 1’aspect singuber 

    dans chaque occurrence, puis recherche des occurrences singulières.

    TABLEAU 5-5 

    Positionnement des types de journalisme par rapport à la nouveauté

    Caractère actuel (récent) des occurrences

     Ancien O T C l

    Caractère ordinaire (habituei) des occurrences

    Nouveau

    Normal \ / AnormalOrdinaire

    O C 1 / Exceptionnel

     Attendu / \ ImprévuConnu ' ' Inconnu

    33 À un stade d’évolution caractérisé par 1’hyperconcurrence, les journalistes en viennent mêmeà prendre partiellement en charge ce type de pseudoévénement en incorporant dans leurspropres reportages la reconstitution de certains événements (en particulier lorsque les protagonistes sont réticents à les mettre euxmêmes en scène, par exemple dans le cas d’un crimi-nei et du délit).

    34 Ici, nouveauté   est entendue dans les sens de: (a) récent, d’actualité, (b) inédit, original,(c) inhabituel, inattendu, étrange, (d) changement, innovation (Jean DE BONVILLE,«Lesnotions de texte et de code journalistique : définition et critique », p. 114 et 135).

    35 Cet état de fait est, dans une société donnée, idéologiquement fonctionnel, d’ou une certainerésistance à l’abandonner lorsque l’augmentation de la densité de 1’activité sociale et du fluxd’information le rend superflu.

    160

  • 8/19/2019 CHARRON BONVILLE Typologie Historique Pratiques Journalistiques

    21/79

    Typologie historique des pratiques journalistiques

    Ca tégo r i es d e référ en t s spéci f i q u es à ch a q u e t y p e d e jo u r n a l i sm e 

    La classification qui précède regroupe les référents journalistiques en caté

    gories abstraites et très générales. D ’autres classifications s’apparentent de plus près à 1’univers référentiel concret des journalistes. En effet, comme le suggère  M. Sahlins36, un événement est la rencontre d’un phénomène (occurrence ap- partenant à un système quelconque) et d’un système d’interprétation37. En d’autres mots,le contenu du journal résulte d’une typification de 1’expérience collective d’une société par laquelle une communauté de scripteurs et de lecteurs résume  et organise de manière plus ou moins systématique, à partir de leurs caractéristi-  ques essentielles ou les plus saillantes, les diíFérents objets de perception et de  

    connaissance38. Cette communauté hérite d’un système typologique, qu’elle ex-  ploite et transforme39. Ce système typologique, qui trace la frontière entre ce qui présente un intérêt pour le journal et ce qui en est dénué, est une composante importante de 1’appareil sociocognitif nécessaire à la détection et à 1’interpréta- tion des faits et des événements. II serait sans doute plus juste de dire que le  système cognitif de la communauté de scripteurs responsable de la production du journal est la résultante d’un processus de typification. En d’autres termes,  pour être fonctionnel, le système sociocognitif des journalistes doit être typolo

    gique ; c’est cette propriété même qui garantit son efficacité.

    38 Marshall SAHLINS, Des íles dans Vhistoire, Paris: Seuil, 1989, p. 158159.37 Si la perception sensorielle des objets ne requiert pas de posséder au préalable le concept

    correspondant à cet objet (on peut toucher, sentir, goüter un psalliote sans connaitre au préa-lable le  psalliote), la perception des faits, en revanche, est épistémique: on ne peut saisir etcomprendre un fait sans posséder au préalable une représentation au moins partielle de ce fait.« Though it does not make objects invisible, écrit Fred Dredske, ignorance does tend to makefacts perceptually inaccessible » (RobertAUDI, Cambridge Dictíonary o fPhilosophy, Cambridge :Cambridge University Press, 1999, p. 655).

    38 La typification n’est pas un processus exclusif aux journalistes ; toutes les activités spécialisées,tous les rôles sociaux, impliquent une typification des expériences (voir à ce sujet AlfredSCHÜTZ, Le chercheur et le quotidien: phénoménologie des Sciences sociales.  Paris: MéridiensKlincksieck, 1987). Ainsi, un accident d’automobile ne sera pas interprété de la même ma-nière par un policier, un ambulancier, un médecin, un journaliste ou la mère de la victime. Denombreux acteurs sociaux développent ainsi des typifications propres à leur activité profes-sionnelle ; dans le cas de la production du journal, la typification peut être commune à 1’en-semble des membres de Ia société ou encore spécifiquement liée à une activité professionnelle, comme dans le cas des journalistes.

    39 « The news, then, is produced by people who operate, often unwittingly, within a culturalsystem, a reservoir of stored cultural meanings and patterns of discourse. It is organized byconventions of sourcing who is a legitimate source or speaker or conveyer of informationto a journalist. It lives by unspoken preconceptions about the audience less a matter ofwhothe audience actually may be than a projection by journalists of their own social worlds.News as a form of culture incorporates assumptions about what matters, what makes sense,what time and place we live in, what range of considerations we should take seriously»

    (Michael SCHUDSON, The Power of News, Cambridge (Mass.): Harvard University Press,1995, p. 14).

    161

  • 8/19/2019 CHARRON BONVILLE Typologie Historique Pratiques Journalistiques

    22/79

    Nature et transformation du journalisme

    Le système typologique des référents41’ possède une structure hiérarchique: certaines catégories, les chefs d’Etat par exemple, occupent une position plus élevée que d’autres, comme les policiers. L’importance respective des catégories 

    est d’ailleurs relative, puisque les facteurs permettant de déterminer le niveau d’une catégorie dans la structure hiérarchique sont associés à des facteurs de pondé- ration, qui font varier le niveau d’une même catégorie dans des textes différents. Ainsi le statut de 1’acteur est un facteur de hiérarchisation: un chef d’Etat est toujours important; tandis que la distance, par exemple, est un facteur de pondé-  ration: en règle générale, dans le journalisme d’information, le chef d’Etat du pays oú parait le journal est plus important que celui d’un pays étranger. Le  système typologique ne comprend pas seulement des catégories d’agents; il cou- vre, au contraire, tous les aspects de la réalité. Ainsi, il délimite des sphères (publi- que/privée) et circonscrit des aires (locale, régionale, nationale, etc.) ou des périodes (il y a une heure, hier, la semaine ou 1’année dernière, etc.); il découpe des domaines d’activités (le sport,la politique,l’économie, etc.), dresse une liste d’ac- tes observables (signer, déclarer, investir, manifester, élire, tuer, etc.). Le système des référents typologiques est une composante essentielle du paradigme journalistique41.

    Les catégories du système typologique sont en grande partie empruntées aux groupes sociaux auxquels s’adresse le journal: leurs domaines d’activité et leurs rôles, en particulier, y sont privilégiés. Le système est en somme la résul-  tante de la rencontre d’une structure sociale avec une structure de traitement de 1’information. En ce sens, il constitue une représentation idéologique de la structure sociale: en effet, le croisement des topiques journalistiques (qui, quoi, oü, quand, comment, pourquoi)  s’opère conformément à ce que prévoit l’« idéologie  dominante »42. Ainsi les chefs d’Etat déclarent la guerre et signent des traités, les ouvriers font la grève, et les SDF meurent sous les ponts. Chaque forme de

    40 Ce concept a été abordé dans Jean DE BONVILLE,«Les notions de texte et de code jour-nalistique : définition et critique»,p. 112116.

    41 Aux éléments de ce système sont aussi associées des procédures et des règles discursives spé-cifiques. Dans toutes les formes de journalisme, on ne parle pas de la même manière de lamort d’un roi et de celle d’un vagabond. Le dispositif de collecte et de traitement de l’information comporte donc un arsenal de situations typiques auxquelles sont associées des règlesde production particulières. La sociologie du journalisme d’information s’est beaucoup intéressée à ces questions. Voir en particulier les travaux de M. Fishman et G. Tuchman (MarkFISHMAN, Manufacturing the News, Austin: University ofTexas Press, 1980; GayeTUCHMAN,

     Making News : a Study in Construction ofReality New York: Free Press, 1978). Nous n’entreronspas dans ces considérations ici, faute d’espace.

    42 Nous n’abordons dans ce texte que de manière incidente la question de 1’idéologie. Ce

    thème exigerait en soi des développements trop importants et, d’autre part, il introduit dansdes considérations sociohistoriques particulières qui débordent notre propos.

    162

  • 8/19/2019 CHARRON BONVILLE Typologie Historique Pratiques Journalistiques

    23/79

    Typologie historique des pratiques journalistiques

     journalisme possède ses événements typiques, résultantes de croisements spécifi-ques de topiques43.

    Le système sociocognitif nécessaire à 1’appréhension et à 1’interprétation desfaits peut être commun à 1’ensemble des acteurs sociaux ou encore spécifiqueaux membfes d’un groupe socioéconomique (par exemple, 1’élite culturelle, po-li tique, économique) ou professionnel (les journalistes). Au moins trois cas defigure, non exclusifs les uns des autres, sont possibles. Dans le premier cas, lesystème d’interprétation appliqué à la collecte, à la sélection et à 1’interprétationdes occurrences susceptibles d’être représentées dans les journaux est partagé partous les membres de la société. II repose sur des principes de sens commun et

    exploite des connaissances et des compétences disponibles dans 1’ensemble de lasociété. Dans une telle situation, tous les individus qui disposent d’un bagageculturel optimal sont en mesure de réaliser les opérations requises par 1’activité

     journalistique. Dans un second cas de figure, seules certaines catégories d’individus, par exemple les personnes cultivées ou encore les membres d’un corps électoral censitaire, possèdent les connaissances requises et 1’intérêt suffisant pourinterpréter les occurrences, pour les représenter dans les journaux, voire, à lalimite, pour en prendre connaissance. Dans le dernier cas de figure, un groupe de

    professionnels, les journalistes, évaluent la pertinence des occurrences à partir decritères qui leur sont spécifiques et les représentent conformément à des règlesde mise en discours différentes de celles qui régissent les autres types de commu-nication publique.

    La situation décrite dans le premier cas de figure est typique du journalismede transmission (à condition de considérer que la communication publique, no-tamment le journalisme, ne concerne que 1’ensemble des élites sociale, économi-

    que et culturelle). Dans le journalisme d’opinion, le poids des groupessociopolitiques et économiques est prépondérant. Les rédacteurs de journauxpossèdent le même bagage culturel et les mêmes aptitudes pour la rhétoriqueque les milieux politiques ou juridiques dont ils proviennent. Le journalismed’information présente une situation conforme au troisième cas de figure: laproduction du journal relève en exclusivité de journalistes professionnels. Dansle journalisme de communication, les journalistes maitrisent la production du

     journal, mais le code journalistique ne possède pas une spécificité et une rigidité

    suffisantes pour exclure d’emblée les membres du public. Le discours du journalpartage plusieurs traits avec les autres formes de communication publique.

    Nous ne chercherons pas à décrire même sommairement le système typologique de chaquetype de journalisme. L’opération dépasse largement le cadre de ce chapitre et relève, de toutefaçon, de la recherche historique plus que de la réflexion théorique. Par exemple, dans le

     journalisme de transmission, les acteurs sociaux des classes « inférieures » ne sont pas désignés

    en tant quindividus, mais pour ce qu’ils représentent socialement: ils ne portent pas deprénom (ni même de nom lorsqu’il s’agit d’une fernme). L’usage de leur seul nom les désigne

    163

  • 8/19/2019 CHARRON BONVILLE Typologie Historique Pratiques Journalistiques

    24/79

    Nature et transformation du journalisme

    TABLEAU 5-6 

    Appartenance du système cognitif servant à l’appréhension des faits parle journal

     joumattsme Commun à 1'ensemble 

    des acteurs sociaux 

     Appartenance du système cognitif 

    ^ Propre à des groupes ^d'intérêt spécifiques

    Propre aux   journalistes

    Transmission ++++

    Opinion

    Information

    Communication

    La typification du contenu procède à deux niveaux. Au niveau des occur-rences individuelles, la typification permet au journaliste de discerner les phénomènes et les occurrences particuliers susceptibles d’être représentés dans le journal.

    A un niveau plus général et plus abstrait, le processus de typification porte sur lacatégorisation du contenu du journal. Plus précisément, ce processus concernela spécialisation thématique de 1’espace du journal et les critères qui y sont associés. La séparation de la publicité et du contenu rédactionnel, le développementde la typographie secondaire44 et la généralisation de rubriques thématiques sontdes indices du processus. Cette typification possède une dimension idéologiqueévidente. Ainsi, la spécialisation thématique de la surface du journal au début du20e siècle (la « départementalization » du journal, selon la terminologie des édi-

    teurs américains de 1’époque), avec son insistance sur le sport et différentes ru-briques de divertissement, effectue un découpage du réel non seulement enfonction des informations disponibles, mais aussi des attentes pressenties des lec-teurs et des ressources publicitaires disponibles.

    comme appartenant à cette classe, et seul le type d’événement (accident, meurtre) dont ils

    sont les victimes ou les protagonistes justifie leur intrusion dans le journal. En somme, le

    système typologique distingue deux grandes classes d’acteurs: les sansgrade, souvent sans

    nom, qui n’entrent dans le journal qu’à titre de représentants d’un groupe (voyageurs), d’un

    type (marin noyé), et les personnages dont le statut ou le rôle justifie qu’on les désigne parleur nom et leur fonction. Cette règle jou e évidemment une fonction idéologique profonde.

    44  Les differentes sortes de titres (surtitres, soustitres, intertitres, etc.) se décom posent en deuxcatégories. La typographie primaire rassemble les titres assignés aux textes particuliers, tandis

    que la typographie secondaire est constituée des titres qui balisent la surface du journal sans

    renvoyer à des textes particuliers. Le titre du journal, qui apparait dans le cartouche au som

    met de la première page, et les titres des cahiers ou sections appartiennent à cette secondecatégorie.

    164

  • 8/19/2019 CHARRON BONVILLE Typologie Historique Pratiques Journalistiques

    25/79

    Typologie historique des pratiques journalistiques

    La typification de premier niveau conditionne la production de tous lestypes de journalisme, mais la typification de deuxième niveau n’apparait quelorsque la densité des activités sociales et du flux d’information le justifie. Ainsi,

    elle est absente du journalisme de transmission, qui ne distingue pas même lestextes publicitaires des autres textes. Le lecteur de ce journal en attend ce qu’ilattend de sa présence sur la place publique, à savoir 1’occasion d’entendre deschoses utiles (nouvelles, avis, rumeurs, discussions, sollicitations, boniments, etc.),mais sans préjuger du caractère systématique et exhaustif de cette information.Cette attente se justifie aussi du fait que les autres médias disponibles (correspondances privées, nouvelles à la main, etc.) sont eux aussi lacunaires et non systématiques. Dans le journalisme d’opinion, cette typification porte surtout sur lecontenu pofitique du journal. Les institutions politiques génèrent un volumed’activités suffisamment important et régulier pour en justifier la représentationsystématique dans le journal, d’ailleurs soutenu par le mécénat pofitique; d’oules rubriques liées à 1’activité parlementaire, par exemple. Le journal d’information distingue clairement les messages publicitaires45, des sphères d’activités (sport,culture, etc.) et de certaines caractéristiques sociodémographiques du lectorat(rubriques pour les femmes, les enfants, les personnes âgées, etc.). Le journal de

    communication reconduit les mêmes critères de typification, mais y ajoute lecritère des styles de vie (rubriques associées au thème du plaisir, de 1’évasion,etc.).

    L'accès au réel

    La manière dont les agents de la communication journalistique coordonnent leur activité pour rendre compte collectivement de la réalité détermine

    (a) les modafités d’accès au réel.Toutefois,l’accès au réel n’est pas universel, maisau contraire limité par (b) des contraintes externes au journalisme et les proprié-tés mêmes de ses instruments sociocognitifs de collecte et de traitement de rin-formation. Un (c) cadre normatif, enfin, conditionne 1’accès au réel, et oriente lanature du réel journalistique.

    Modal i tés d accès au réel 

    Le journal peut avoir accès au réel par le truchement de différents agents,plus ou moins intégrés à son fonctionnement. En voici une liste non exhaustive:

    1. informateurs occasionnels: voyageurs, capitaines de bateau, militaires,clercs, individus personnellement impliqués dans un événement, quicommuniquent par écrit ou oralement avec 1’éditeur du journal;

    Ces messages sont euxmêmes subdivisés, notamment en fonction des types d’annonceurs :

    particuliers (petites annonces) et entreprises (publicité commerciale), et organisent leur con-tenu sur la base des institutions (parlements, tribunaux, etc.).

    165

  • 8/19/2019 CHARRON BONVILLE Typologie Historique Pratiques Journalistiques

    26/79

    Nature et transformation du journalisme

    2. lecteurs et correspondants habitueis (non professionnels) du journal qui jouent d’autant plus volontiers le rôle d’informateurs occasionnels qu’ilsentretiennent un lien stable avec le journal;

    3. acteurs sociaux, impliques institutionnellement dans les événements: parexemple, les dirigeants politiques et religieux, les représentants de groupes d’intérêt, qui cherchent à faire valoir leur point de vue auprès deleurs clientèles respectives et du public;

    4. autres journaux ou médias, auxquels les éditeurs empruntent la repré-sentation des occurrences et des opinions;

    5. journahstes à 1’emploi du journal, en particulier les reporters;

    6. agences de presse;

    7. représentants professionnels des acteurs sociaux: pubücistes, relationnistes,etc.

    Le degré dhnitiative du journal dans son accès au réel se mesure à sa dépendance envers l’une ou 1’autre de ces classes de sources. Par exemple, si 1’informa

    tion ne lui parvient que d’informateurs occasionnels (1) ou de correspondants(2), son initiative peut être considérée comme nulle; en revanche, son initiativeest