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Nalini Singh Chasseuse de vampires – 5 La tempête de l’Archange Avec ses ailes de minuit et son affinité pour les ombres, Jason courtise les ténèbres. Mais lorsque le compagnon de l'Archange Neha est retrouvé assassiné dans le palais qui était aussi sa prison, la colère de Neha menace le monde d’un anéantissement cataclysmique. Jason se doit alors de marcher dans la lumière pour trouver le meurtrier, avant qu’il ne soit trop tard. Mais la confiance de Neha a un prix, Jason doit s’unir à sa lignée par la Princesse Mahiya, une femme aux secrets si dangereux, qu’elle ne se fie à personne et encore moins à un maître espion ennemi. Une chasse implacable pour débusquer un tueur violent et intelligent va alors les unir. Jason et Mahiya s'engagent dans une recherche qui mène à un cauchemar séculaire ... et à la tempête sombre d'une passion inattendue qui menace de les plonger tous deux dans le sang.

Chasseuse De Vampires T5 - La Tempête De L'Archange de ...ekladata.com/zCTh430F7vVD22KjRYAYRnOdGlc/Chasseuse-de-vampir… · Sur la pelouse d'un vert de velours scintillant sous

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NaliniSingh

Chasseusedevampires–5

Latempêtedel’ArchangeAvecsesailesdeminuitetsonaffinitépourlesombres,Jasoncourtiselesténèbres.Maislorsque

lecompagnonde l'ArchangeNehaest retrouvéassassinédans lepalaisquiétait aussi saprison, lacolèredeNehamenacelemonded’unanéantissementcataclysmique.Jasonsedoitalorsdemarcherdanslalumièrepourtrouverlemeurtrier,avantqu’ilnesoittroptard.

Mais laconfiancedeNehaaunprix, Jasondoit s’unirà sa lignéepar laPrincesseMahiya,unefemme aux secrets si dangereux, qu’elle ne se fie à personne et encoremoins à unmaître espionennemi.

Une chasse implacable pour débusquer un tueur violent et intelligent va alors les unir. Jason etMahiyas'engagentdansunerecherchequimèneàuncauchemarséculaire...etàlatempêtesombred'unepassioninattenduequimenacedelesplongertousdeuxdanslesang.

eBookMadeByAthame

DumêmeauteurauxÉditionsJ'ailu

LesangdesangesChasseusedevampires–1№9504

Lesouffledel'ArchangeChasseusedevampires–2№9677

Lacompagnedel'ArchangeChasseusedevampires–3№9887

Lalamedel'ArchangeChasseusedevampires–4№10178

Traduitdel'anglais(États-Unis)parLuceMichelTitreoriginal:ARCHANGEL'SSTORM:AGUILDHUNTERNOVEL

Editeuroriginal:TheBerkleyPublishingGroup.PenguinGroup(USA)Inc.©NaliniSingh,2012

Pourlatraductionfrançaise:©ÉditionsJ'ailu,2013

Jasonnesavaitpasdepuiscombiendetempsilétaitdissimulédanslacachettesombreoùsamèrel'avaitplacéenluidisantderestersilencieux.Ilavaitattendusilongtemps,nes'étaitmêmepasrisquédehorslorsquelafaimluiavaittirailléleventre,maissamèren'étaitpasrevenuecommeelleleluiavaitpromis.Sesailesétaientàl'étroitetluifaisaientmaldanscetespaceconfiné.Sonvisageétaittrempédelarmes.Ellesavaitpourtantqu'ildétestaitl'obscurité.Pourquoil'avait-ellelaissédanslenoir?L'humiditéqui suintaità travers leplancherau-dessusde lui l'oppressait.Songoûtépaiset fort

planaitdans l'air.L'odeur lerendaitnauséeux,et ilsavaitqu'ilnepouvaitrester làplus longtemps,mêmesisadésobéissancedécevraitsamère.Étirantsesmembrescourbatusautantquepossibledansl'espaceréduit,sesailesencorefroissées,ilsoulevalatrappequilesurplombait,maisellerefusadebouger.Ilnehurlapas,avaitapprisànejamaislefaire.—Tunedoispasfairedebruit,Jason.Promets-le-moi.Lespiedsplantésausol,ilpoussa,poussaetpoussaencore,jusqu'àcequ'unminceraidelumière

apparaisseauborddelatrappe.Letapistresséàlamainquilarecouvraitétaitsuffisammentfinpourlaisserpasserdelaclarté.Lachosequibloquaitl'ouvertureétaitlourde.Maisilréussitàglissersesdoigtssouslerebord,àtoucherletapisqu'ilavaittisséavecsamèreaprèsavoirramassélesfibresdelinnécessairesàsaconfection.Illuisemblarêchecontresesphalangeslorsqu'ilparvintàpasserlamainjusqu'aupoignet.Latrappeluifitmallorsqu'elleretombasurcedernier,maisilsavaitquesesosnesebriseraientpas-samèreluiavaitditqu’ilétaitunImmortelpuissant,quesonpouvoirs'étaitdéjàdéveloppéau-delàdecequ'étaitlesienlorsqu'elleavaitfêtésescentans.—Sifort,monpetitgarçon.Lemeilleurdenousdeux.Iln'avaitaucuneidéedutempsqu'illuiavaitfallupourglissersonautremainsousleborddela

trappe,poursetournerdansletrouens'arrachantlapeaudespoignets,jusqu'àparveniràsaisirlescôtésetàpousser.Cequ'ilsavait,c'estqu'ilnes'étaitpasarrêtéavantdeparveniràdégagercequiobstruaitlepassage,déplaçantletapisenmêmetemps.Latrappes'ouvritdansunbruitsourd,commesi son battant avait atterri sur quelque chose de moelleux. Haletant, les bras douloureux, il dutattendreavantdetenterdes'extrairedesontrou,etmêmealors,sesmainsnecessaientdedéraper,renduesglissantesparlesangcoulantdesespoignetsblessés.Il les frotta contre son pantalon et agrippa de nouveau le bord de la cachette... La lumière se

déversantdeslucarnestombasursesmains.Ilsefigea,sesouvenantduliquidesombreetvisqueuxquiavaitgouttésurluipendantqu'ilétait

piégé dans l'obscurité. En séchant, ce liquide avait formé une croûte qui s'écaillait, était devenuecommeune sorte de rouille sur sapeau.Cen'est quede la rouille, essayait-il depenser, quede larouille, mais il ne pouvait plus se leurrer comme il l'avait fait dans le noir. C'était du sang quirecouvraitsesmains,sescheveux,sonvisage,raidissaitl'arrièredesesailes.C'étaitdusangquiavaitsuintéàtraversletapisetleslattesdebois,jusqu'àlacachettespécialequesamèreavaitaménagéepour lui. C'était bien l'odeur ferreuse du sang qui bouchait ses narines alors qu'il haletait pourreprendresonsouffle.C'étaitdusangquiavaitcoulécommedel'eauunefoisqueleshurlementss'étaientéteints.—Quoiquetuentendes,tunedoispasfaireunbruit.Promets-le-moi,Jason,promets-le!Tremblant,ils'efforçadenepass'appesantirsurcetterouillequin'enétaitpas,etpritappuipour

sortirdutrou,refermantlatrappeavecprécaution-leregardalerte-afindenepasfaireunbruit.Ceregards'arrêtaalorssurlemur.Ilnevoulaitpasseretourneretvoircequigisaitdel'autrecôté,cequi avait obstrué la trappe. Mais le mur était éclaboussé de cette rouille qui n'en était pas. Parendroits, les fines plaques rougeâtres, réchauffées par le soleil qui se déversait par les lucarnes,avaientcommencéàfondre.L'estomacrévulséetlecœuraussifigéquedelapierre,ildétournalesyeuxdumurpourlesposer

ausol:cedernierétaitsillonnéd'unmarronpâle,sespiedsavaientlaissédepetitesempreintessurleboisvernis.Lacrassedansletroun'étaitpashumide.Pasaudébut.Maisaprès.Unefoisquelescriss'étaientéteints.Ilfermalespaupières,maispouvaitencoresentirlarouillequin'enétaitpas.Etilsavaitqu'ildevaitseretourner.Qu'ildevaitregarder.

Surlapeloused'unvertdeveloursscintillantsouslarosée,JasonregardaitDmitriquiprenaitdans

sesmains le visagede la chasseusequ'il venait juste d'épouser.La lumière de l'aube embrassait lapeaudelajeunefemme,éclairantsesyeuxquinevoyaientquel'hommequ'elleavaitdevantelle.

Le parc de la demeure de l'Archange Raphaël, l'Hudson qui courait sous le promontoire et lamassederosesodorantesenpleinefloraisonquigrimpaientlelongdesmursavaientvulessièclespasser, pensait Jason, mais ils n'avaient jamais été témoins d'une scène comme celle-là, et ne leseraient peut-être jamais plus.Une scèneoù l'un des vampires les plus puissants aumondeprenaitpourépouseuneChasseusedelaGuilde.

Qu'HonoraimâtDmitrinefaisaitaucundoute. Iln'étaitpasnécessaired'êtremaîtredans l'artdel'espionnagepourdécelerlajoiequiirradiaitdesapersonneetquecontenaitchacundesessouffles.CequisurprenaitJason,c'étaitl'émotionqu'illisaitdanslesyeuxd'unvampirequiavaitétéunelamesanspitiédepuistouscessiècles.

LacruautévenaitaisémentàDmitri,peut-êtretrop,cesdernierstemps.Levampireavaitpresquemille ans. Il était blasé, le sang et lamort ne signifiaient plus rienpour lui, ne le choquaientplus.Jason avait vu Dmitri brandir son cimeterre sur des champs de bataille pour trancher la têted'envahisseurs ; il avait vu avecquelle fierté il répandait leur sang ; il l'avait aussi vu séduire desfemmesavecuneélégancesensuelleetuncœurfroid,danslesimplebutdesedivertir.

Pourtant, l'hommequi touchaitHonor,qui réclamait ses lèvresenunbaiserpossessif, avaitunetendresseen luiaussidoucequedangereuse.JasoncomprenaitqueDmitriseraitunearmeviolentecontre quiconque oserait toucher à un cheveu de sa femme, que l'obscurité en lui ne s'était pasatténuée,maisqu'elleétaitàpeinetenueenlaisse.

—IlnepeutpasnégocieravecleCadresionluitientlabride,ditl'angeàlafemmequisetenaitàsescôtés,unechasseuseauxailesdeminuitetd'aube.

Des plumes d'un bleu de soie riche découlaient du noir profond qui se trouvait sur la courbeintérieuredesesailes,pourvirerprogressivementàunindigodouxetauxteinteséphémèresducielàl'éveildujour,avantdedevenirunorblancbrillantsursesplumesprimaires.

Elenaétaitl'affiliéedeRaphaël,etRaphaëlleseigneurdeJason.C'étaitpeut-êtrepourcelaquecedernieréprouvaitunsentimentd'aiseinattenduensacompagnie.Àmoinsquecenesoitparcequ'elleétait une étrangère sur le territoire des Immortels, à la recherche d'un chemin qui la conduirait àtraverslessiècles,commeluiautrefois.Oupeut-êtreparceque,àl'insud'Elena,ilsétaientunisparunlienplussombre,unlienrelatifauxmèresetausang.Unliquideaugoûtdeferemmêlantsescheveux,détrempantsatunique,collantsursesbras.Elena leva les yeux, secoua la tête.Ses cheveux surprenants, presqueblancs, étaient ramenés en

arrièreenunchignonélégant;elleétaitvêtued'unesimplerobeluiarrivantàlacheville,quiétaitdubleu immaculé d'un lac de haute montagne. Ses bijoux se résumaient aux petites créoles d'ambrequ'elleportaittoujoursàsesoreillescommesigneextérieurdesonlienavecRaphaël.

—Tunevoispas,Jason?répondit-ellealorsquelesmariésmettaientfinaubaiserquienavaitfaitsoupirerplusd'undansl'airpiquantdumatin.Iln'estcethomme-làquepourHonor.

Ellesejoignitauxapplaudissementsetauxacclamationsquandlecouplesetournaverssesinvités.Leursamiss'avancèrentpourlesféliciter.

AyantdéjàdiscutéavecDmitriavantlacérémonie,Jasonattenditquelafoulesedisperse.Elenafitdemême,laissantàd'autreslachancedeparlerauxnouveauxépoux.ToutcommeJasonavaitétéauxcôtés deDmitri avant lemariage - avec Raphaël, Illium et Venin - Elena était restée avecHonor.

L'Archange et son affiliée avaientmis à la disposition des amies de lamariée une suite dans leurdemeure.Ellesétaient touteschasseuses,certainementmuniesd'unearmeoudeux,cachéessouslestenuesélégantesqu'ellesportaientpourlacérémonie.

Ducoindel'œil,JasonaperçutunetouchedebleuetsetournapourvoirIlliumdéployersesailes,àlademanded'unechasseuse.Vêtudumêmenoirdecirconstancequelemarié,Raphaël,etlesautresmembresdesSeptprésents ce jour-là, il affichait un sourire synonymede flirt.Celui-ci était aussisincèrequepossible,c'est-à-direassezpeu.JasonavaitvuIlliumaimeraupointd'enavoir lecœurbrisé,et ilavaitvul'angeporter ledeuil jusqu'àcequesesyeuxd'unorenfusionnereflètentplusaucunelumière.

—Jecomprends,ditJasonàElenalorsqu'elleluilançaunregardquiluirappelaitunefoisdepluslacapacitédesautresàéprouverdesémotionsauxnuancesinfinies.

JasonavaitobservédesmortelsetdesImmortelspendantdessiècles,étaitenmesurederepérerjusqu'auxplussubtilschangementsdans leuréquilibreémotionnel,carpersonnenepouvaitêtreunmaître espion sans cette aptitude. Pourtant, durant tout ce temps, il n'avait jamais été capabled'éprouver de choses similaires. C'était comme si la vie l'effleurait, laissant son cœur et son âmeviergesdetouteémotion.—Tu es le parfaitmaître espion.Un spectre intelligent, talentueux, que rien de ce qu'il voit ne

touche.C'étaitLijuanquiluiavaitdéclarécela,quatrecentsansplustôt.LaplusâgéedesArchangeslui

avaitaussifaituneoffre-richessesetfemmesentraînéesdanslesartsdel'amour,oudeshommessic'était cequ'il désirait - s'il acceptait de changerd'allégeance, de semettre à son service.SaufqueJason avait déjà accumulé suffisamment de biens pour une centaine de vies immortelles. Quant àl'autreproposition...quandJasonvoulaitunefemme,ill'avait.Iln'avaitnulbesoindequiconquepourjouerlerôledefournisseur.

Lesailesd'Elenachatoyèrent légèrementau-dessusdessiennesquandelles'étiraunpeu,et ilnechercha pas à s'écarter. De bien desmanières, il était aux antipodes d'Aodhan, l'ange brisé qui nepouvait supporter qu'on l'effleure. Jason, au contraire, avait parfois le sentiment de revivre et nond'êtreunspectre,ainsiqueLijuanl'avaitappelé, lorsqu'uneautrepeauoud'autresailes lefrôlaient.Commesitoutescesannées,cesdécenniesdurantlesquellesiln'avaitpassentilecontactd'unautreêtrevivant,avaientprovoquéenluiunesoifquinepourraitjamaisêtreétanchée.

Unsybariteivredesensations,voilàcequ'ilétaitpeut-êtredevenu,sil'onomettaitquecesannéesd'une solitude insoutenable, infinie, lui avaient laisséd'autres stigmates -des cicatricesqui l'avaientconduitàembrasserlesombresqu'ilhaïssaitenfant;descicatricesquisignifiaientqu'iln'accordaitsaconfiance que d'unemain très prudente.Carmalgré son besoin, Jason ne permettait qu'à quelquespersonnesdeletoucherhorsdulit;lecontactd'unamiétaitunechosebiendifférentedelacaressed'unemaîtresseprisedanslecœurdelanuitetabandonnéeauleverdujour.

—C'étaitunbeaumariage,n'est-cepas?ditElena,leregardattendricommel'étaientsouventceuxdesfemmesendetellesoccasions.

—Tusouhaiteraisvivreunetellecérémonie?Onvoyait lemariage commeune union destinée aux humainsmais, ainsi que lemontrait celui

célébrécejour-là,quelquesImmortelscontinuaientdes'yengager-Dmitris'étaitmêmemontrédespluspressants.Unrireétonné.

—Raphaëletmoinoussommesmariésau-dessusd'unNewYorkenruinelorsqu'ilesttombéenmetenantdanssesbras.

Raphaël aussi, pensait Jason, était un homme différent avec son affiliée, cette femmemortelledevenue ange. Une ange si faible, en termes de puissance, son immortalité n'étant qu'une flammevacillante.Etpourtant,elleavaituneforcequiparlaitausurvivantqu'ilétait.Alors,illuiavaitappriscomment rester invisible dans le ciel, l'avait observée alors qu'elle poussait son corps dans ses

derniers retranchements, sans pitié, dans le but de parvenir à un décollage vertical si tôt après saTransformation.Ilavaitégalementprêtél'oreilleauxmenacesquisourdaientcontresavie.

CarElenaétaitlaplusgrandefaiblessedeRaphaël.Unpetitgloussement,celuid'unefilletteauregardmalicieuxquicouraitversElenasurdesjambes

vacillantes.Desbouclettesd'unnoirstriédebronze,retenuespardesrubansorange,encadraientsonjolivisage.Souriantd'unplaisirnondissimulé,Elenasepenchapourattraperl'enfantdanssesbras.

—Bonjour,Zoe,DéesseGuerrièreendevenir.(Unbaisersurunejouerebondie.Lapetiterobededemoiselled'honneurfaisaitunfroufroudedentellesurlebrasd'Elena.)Tuasfaussécompagnieàtamère?

Jasonrencontraleregarddel'enfantalorsqu'elleacquiesçait,vitqu'elletenaitsoigneusementdanssonpoinguneplumeauxbords argentésd'unbleudistinctif.La fille de laDirectricede laGuildeadmira ses ailes pendant un moment avant de chuchoter quelque chose à l'oreille d'Elena. Jasonentendit ce qu'elle dit,mais n'en comprit pas unmot, n'étant pas très familier avec le langage desbambins.

Nesouffrantvisiblementpasdumêmehandicap,Elenalui jetauncoupd'œil,sesyeuxd'ungrisargentbrillantderire.

—Celutinconvoiteunedetesplumespoursacollection,Jason.Àtaplace,jeferaisattention.Ellefutdistraiteuninstantplustardparunhommedegrandetailledontleslongscheveuxnoirs

étaientsoigneusementnouésàlabasedesoncou.Sespommettestranchaientcontresapeaucuivrée.RansomWinterwolf.Chasseur.IlétaitétrangedevoirtantdemembresdelaGuildechezRaphaël.Situéedansl'Enclavedesanges,

ducôtéde la rivièrequi faisait face auverre et aumétal scintillantdeManhattan, lademeure étaitévidemment somptueuse,mais Jasonsavaitque sonseigneuravaitproposéàDmitrides lieuxbienplusétonnantspourépouserHonor.Cependant,lechefdesSeptavaitétécatégorique.

—A l'aube, avait-il dit seulement trois heures avant le lever du soleil.Nous nousmarierons àl'aube.

Durantcestroisheures,ElenaetlaDirectricedelaGuildes'étaientdébrouilléespouralertertousleschasseursprésentsdans larégiondeNewYorkquin'étaientpasenmission,pendantqueJason,Illium et Venin représentaient le reste des Sept. Naasir, Galen et Aodhan avaient été prévenus, etavaienttoustroisparléàDmitriavantlesnoces.

Unisdansla loyautéqu'ilsportaientàRaphaël-etqu'ilsseportaiententreeux- lesSeptavaientforgédes liens indestructibles.Maismême s'ils avaient euplusde tempsà leurdisposition, il leuraurait été impossible de se trouver tous ensemble au même endroit au même moment. Afin deconserverl'équilibredupouvoirdanslemonde,RaphaëldevaitmainteniruneprésenceauRefugeetàNewYork,etdésormaisdanslacitéperdued'Amanat,foyerdel'Anciennequiétaitsamère.

QuetoustroissoientréunispourêtrelestémoinsdumariagedeDmitriétaituncadeauinattendu.Bienentendu,d'autrespersonnesavaientétéinvitées-lefierpersonnelquifaisaittournerlamaisondeRaphaël,uncertainnombredefemmesetd'hommesquitravaillaientdirectementsouslesordresdeDmitriàlaTour,etquiétaienttoutautantloyauxauvampirequ'àRaphaël;deuxpoliciershumainsqui faisaient pour ainsi dire partie de la famille de laGuilde. L'homme respecté qui officiait à lacérémonie appartenait lui aussi à cette famille, ayant été à la tête de laGuilde avant de passer lesrênes.

Raphaëllui-mêmes'était tenuauxcôtésdeDmitripendantlacélébration- l'amitiéentrelesdeuxhommesétantsuffisammentancienneetprofondepourquel'Archangejouepourunefoislesecondrôle.Jasonneconnaissaitpasd'autrerelationdelasorteparmiceuxquiservaientleCadredesDix,lesArchangesqui régnaient sur lemonde,mais il savaitquecelle-ci avait supporté lepassagedessiècles,àtraverscolèresetguerres,ainsiqu'unecourtedéfectiondeDmitrienfaveurduterritoirede

Neha.Celan'avaitpasduré,etmaintenant,leslèvresdeDmitriserecourbaientenunsouriresurunbonmotdeRaphaël.

Alorsquelevampireétaitvêtud'uncostumeneufauxtonsnoirsurnoir,Honorportaitunerobed'un vert intense et vif qui caressait et embrassait ses courbes avant d'onduler en cascade jusqu'àl'herbe gorgée de rosée. Le tissu était astucieusement arrangé sur sa hanche gauche pour donnerl'illusion de vagues. Lorsque son regard se posa sur Jason, elle sourit et vint à lui, s'arrêtant à lafrontière invisiblequi leséparaitdurestedumonde.Elle tenaitdansunemainlebouquetdefleurssauvagesqu'Elenaavaitcomposéenutilisantcellescultivéesdanssaserre.

—Merci,dit-elle.Sonbonheurétaitsilumineuxqu'iléclipsaitlesdiamantsqu'elleportaitaucou,achetésparDmitri

souslesyeuxdeJasontroissièclesplustôt.Ilavaitfalluauvampireuneautrecentained'annéespourlesfairefinementtailleretsertirdansun

collier d'une beauté exquise, jusqu'à ce que les pierres semblent être des gouttelettes d'étoilescapturéesdansunbijou.

—À qui l'offriras-tu ? avait demandé Jason à l'époque.Dmitri avait répondu par une grimacesardonique,leregardaussidurquelesgemmesdanssamain.

—Àunefemmedontl'espritéblouiraplusvivementquecespierres.Lecolliern'avaithonorépersonned'autrequelanuquecouleurmielqu'ilornaitdésormais.—Mercipourcetterobederêve,continuaHonor,caressantdelamainletissudecettedernière.Je

nesaispasoùtul'astrouvée,etaussivite,surtout.Ellemevacommeungant.—Inutiledemeremercier.Saviesedéroulaitessentiellementsur la lignede touche- trèssouventparcequ'iln'avaitpas le

choix,parfoisparcequ'ilnesavaitpasoùaller-maisilavaitvouluprendrepartàcettejournée,oùunhommequ'ilrespectait,unamiaussiintimequepossiblepourlui,avaitdécidédeprendrefemme.

—Jasonpeuttout trouver,ditDmitri,envenantglissersonbrasautourdelatailled'Honor.Lesventsluiparlent,luidisentoùaller.

Honor rit, un rire voilé et chaud.PuisElena l'étreignit, les ailes de la chasseuse irisées dans lalumière blanche dumatin. Jason fit un pas à droite et rencontra le regard de Dmitri. Le vampirehaussalesépaules.Lesmotsnefranchirentpasseslèvresmaisfurentnéanmoinsentendus.Personnen'ycroirajamais.Non,pensaJason,personne.Lui-mêmes'étaitcrufou lorsqu'ilavaitatteint la finde l'adolescence. Ilavait fallu la lecturedes

ouvragesd'HistoiredeJessamyunefoisàlaforteresseangéliqueduRefugepourcomprendrequ'ilavaithéritéde«l'oreille»desamère,desacapacitéàsentirdeschosesentraindeseproduireàdesmilliersdekilomètres,par-delà lesocéanset lesmontagnes.C'étaitpourcelaqu'elleavait toujoursdes choses à lui raconter sur le Refuge, alors qu'eux-mêmes vivaient sur un atoll isolé, entouréseulementparlebleuscintillantduPacifique.—Jevaisécrirecettehistoirepourtoi,Jason.Tudoist'entraîneràlalecture.Ill'avaitfait.Encoreetencore,jusqu'àcequeleparcheminsedésintègre.Ilavaitluceshistoires,et

lesautres,quisetrouvaientdansleslivresàlamaison.Puisilenavaitcopiélesmotssurdubois,dulin,danslesable,s'obligeantàserappelerqu'ilétaitunepersonne,qu'ildevaitsavoirlire.Celaavaitfonctionné...pendantunmoment.

— Je suis heureux pour toi, Dmitri, dit-il, faisant s'évanouir les fantômes du passé. Voicimoncadeau,pourtoiettafemme.

PendantqueDmitribaissaitlesyeuxsurlapetitecartequeJasonluitendait, letémoind'Honor-une chasseuse aux longues jambes dotée elle aussi de pouvoirs uniques -vint rejoindre Elena etHonor.Lestroisfemmessemirentàrireetàparlertoutesenmêmetemps.

— Un lieu sûr, reprit Jason quand Dmitri eut fini de lire l'adresse sur la carte. (Le soleil se

réfléchissaitsurlasimpleallianceenorquelemariéportaitàl'annulairegauche.)Oùpersonnenevoustrouvera.

La compréhension se lut sur les lignes sensuelles du visage deDmitri. S'écartant du groupe defemmes,ildit:

—Jenedevraispasêtresurprisdetoutcequetusais,etpourtant,c'est lecas.(Ilglissalacartedanssapoche.)Àquelpointcelieuest-ilsûr?

—Lamaisonm'appartient,etpersonnenel'atrouvéeendeuxcentsans.Cachéedans les forêtsdensesd'unemontagneparailleurs inhabitée,ellenepouvaitêtreatteinte

que par une route spécifique dont il indiquaitmaintenant le trajet àDmitri par l'esprit.Même unearrivée par les airs est impossible à moins que l'ange en question sache où se trouve une petiteclairièreenparticulier. Ilendonna lescoordonnéesàDmitri.Sanscela, impossibledenepas finiravec de sérieuses blessures aux ailes, causées par la voûte épaisse - et les garde-fous qui y sontcachés.

LesyeuxdeDmitribrillèrent.Bien.Ilrepritensuiteàvoixhaute:—Jenesavaispasquetuavaisunautrefoyerdanscepays.—Jen'aiaucunfoyer.Ilavaitdesmaisonsqu'ilutilisaitquandilenavaitbesoin,mais«foyer»étaitunconceptquilui

étaitétranger.DmitridevaitsansdoutefaireréférenceàsonappartementàlaTourdel'Archange.—Vousserezensécuritélà-bas,etdansunespaceprivé.(LaTransformationd'Honord'humaine

envampireprendraitdutemps.JasonsavaitqueDmitris'assureraitqu'elletraversecetteétapedansunsommeilprofond,pourqu'ellen'endureaucunesouffrance,toutcommeilsavaitaussiquelevampirenequitteraitpassonchevetduranttoutleprocessus.)Uneunitédegardesneserapasnécessaire.

—Venantdequelqu'und'autrequetoi,jen'accorderaisaucunevaleuràcetteaffirmation,réponditDmitri, le visage tourné vers Honor. Je ne sais pas quand nous utiliserons ton cadeau. J'ai sapromesse...maisjenelapresseraipas.

—C'estcequetusouhaites.—Oui.(Unecruautésansfard.)Maistuvois,Jason,ilsemblequejesoisatteintd'uneincorrigible

faiblesselorsqu'ils'agitd'Honor-mêmesiellechangeaitd'avisetdécidaitderesterhumaine,jenepourraispaslaforceràêtreTransforméeetcontinueràmeregarderdansuneglace.

Jasonn'ajoutarien.Dmitriretournaverssafemme,quilevalesyeuxpourluioffrirunsourirequeJasonneluiavaitvupartageravecpersonned'autre.Sesamiess'éloignèrentpourlaisserauxmariésunmoment d'intimité. Les convives s'attardaient sur le vert luxuriant de la pelouse et le chant desoiseauxaccompagnaitdélicatement lemurmuredesconversations.LesgensburentduChampagne,renouvelèrentleursamitiés,échangèrentdesfélicitationsdevantlajoierayonnanted'HonoretDmitri.

Contrairement auxautres, Jason se sentait exposé, là,dehors, sous la lumièredu soleil.Lenoirintégraldesesailesfaisaitdeluiunecible,maisilnecédapasaudésirdes'éleverhautdansleciel,au-delàdelacouchenuageuse,oùpersonnenepouvaitlevoir.Uneminuteplustard,lorsquelesventscommencèrentàchuchoter,ilécouta.

Unmotunique.Unnom.Eris.Le seulEris d'importanceque Jason connaissait était lemari deNeha, l'Archange âgéede trois

milleans,uniquemembreduCadreàavoirchoisidesuivrelacérémoniehumainedumariage.Erisétaitaussisonaffilié,maisiln'avaitplusétévuenpublicdepuisaumoinstroiscentsans.Beaucouplecroyaientmort,maisJasonsavaitquel'hommeétaitvivant,emprisonnédansunpalaisauseinduforttentaculaire de Neha. Il n'y avait pas souffert de sévices corporels sauf lorsqu'il avait tenté des'échapper,audébutdesacaptivité.

NehaaimaittropErispourluifairedumal.C'étaitaussilaraisonpourlaquelleellelehaïssaitsiviolemmentpoursatrahison.

Eris.Glissant sous l'ombre des arbres qui bordaient la propriété deRaphaël et lui offraient un répit

bienvenu après toute cette lumière, Jason sortit son téléphone.Des siècles plus tôt,même avec sescapacitésmentalesconsidérables,celaluiprenaitdesjourspourcommuniqueravecseséquipes,dessemainespourpartagerlamoindreinformation.Aveclatechnologie,toutétaitdevenutellementplussimple.Contrairementàcertainsangesdel'ancientemps,etbienquesonarmedeprédilectionrestâtl'épée,Jasonn'éprouvaitpasd'aversionpourlemondemoderne.

Àcetinstant,ils'aperçutqu'ilavaitratéuncertainnombred'appelsqu'ilavaitdûrecevoirpendantlacérémonie,tandisquesontéléphoneétaitenmodesilencieux.IlsvenaienttousdeSamira-c'étaitunedomestique autorisée à travailler dans les appartements privésdeNeha, et, techniquement, sonespiondeplushautrangdanslacourdel'Archange,bienqueJasonaitdesdoutessursonefficacité.

—Samira,dit-illorsqu'elledécrocha.Quesepasse-t-il?—Erisestmort.(Unchuchotementétouffé.)Assassinédanssonpalais.—Quand?—Jenesaispas,maisonl'adécouvertilyauneheure.Nehan'apasquittélecorps.Mahiyaestà

sescôtés.Jasonn'avaitjamaisétéamenéàparleravecMahiya,maisilavaittoutdemêmemenéuneenquête

discrète lorsque Neha l'avait adoptée, il y avait de cela trois cents ans. Il savait que la princesseappartenait à la lignée de l'Archange. Ce lien de sang était un fait couramment admis, mais lescirconstances qui entouraient cette adoption avaient été longtemps dissimulées. Nombreux étaientceuxdanslaproprecourdeNehaquiavaientchoisidenepassesouvenir,denepasvoirlavérité-àsavoirqueMahiyaavaiteuNivritipourmère,sœurdeNehaetmortedepuisaussilongtempsquesafilleétaitenvie.

Lesecretn'étaitpaslàsiterrible...saufsivousconnaissiezlenomdupèredeMahiya.Eris.

Bien queMahiya fût le fruit de l'amour défendu entreEris etNivriti, tous les signes extérieurs

laissaientàpenserqu'elleétaittraitéecommeuneprincessebien-aiméeparsatante.Untitrequin'étaitqu'unepolitessepourexpliquersonstatutdeparentéaveccettedernière.

—Ya-t-ilautrechosequejedevraissavoir?LarespirationdeSamirasefitpresque inaudiblependantuneminute,etJasonpatientasansrien

demander,sachantqu'elledevaits'assurerdenepasêtreentendue.—Nehaestàmoitiéfolle,finit-elleparlâcher.J'aipeurqu'ellenedéchaînesonpouvoir.Connaissantlapassiondel'Archangequandils'agissaitdesonmari-ellen'avaitétécapablenide

lui pardonner son infidélité, ni de le libérer après des siècles de confinement - Jason partageaitl'inquiétude de Samira. EtNeha était un être au pouvoir immense. Si elle laissait libre cours à sadouleur, ellepourraitdévasterdesvilles, et il étaitpresque sûrqu'elledirigerait sa ragevers ceuxqu'elletenaitpourresponsablesd'uneautreterribledouleur:l'exécutiondesafille,Anoushka.

Raphaëlavaitportél'estocadefinalequiavaitréduitenpoussièrelafilledeNeha.—Préviens-moiàl'instantoùilsepasselamoindrechose.Il raccrocha et son regard se reporta vers la pelouse, pour voir les mariés et leurs invités se

dirigervers l'intérieurde lamaisonpour lepetitdéjeuner, sansaucundouteexquis,préparépar lezélé personnel de maison sous la direction deMontgomery, le majordome. Les ailes de Raphaëlscintillaientdanslalumièredusoleil,leursfilamentsd'orbrillantplusquejamaiscontreleblancdesesplumes.Sire.

Raphaëlnemarquaaucuntempsd'arrêtetsonexpressionnetrahitaucunesurprise.Qu'ya-t-il,Jason?Eris estmort. Assassiné. Il savait que Raphaël avait vu Eris courtiser Neha, la séduire, et qu'il

comprenaitlesémotionscomplexesquilesliaienttousdeux.Laréponsedel'Archangefutrapide.Retrouve-moidanslebureau.Deuxminutesplustard,lorsqueJasons'yglissaparlesbaiesvitréesquidonnaientsurlejardin,il

lefitavecunetellediscrétionquepersonnenelevit,bienquelesoleilbrillâtplushautà l'horizonchaque instant.C'était ainsi que les chosesdevaient être - son travail consistait ànepas êtrevu,nientendu. Une ombre parmi les ombres. Après six siècles, son statut de maître espion auprès deRaphaëln'étaitplussecretauprèsdesplusvieuxdesImmortels,maiscesavoirneleurapportaitrienet n'avait aucun impact sur les activités de Jason. Pendant qu'on se concentrait sur lui, ses agentsinfiltraienttranquillementlescoursetlestoursautourdumonde.

Raphaëlentradanslapièceàcemoment-là,refermantlaportederrièrelui.—Nehaétaitdéjàprochedeladémenceaprèsl'exécutiond'Anoushka.(Letondel'Archangeétait

implacable.)Cecipourraitbienlafairebasculer.Jason avait vu d'autresArchanges entrer dans des fureursmeurtrières. Il avaitmarché dans des

villesdévastées,jonchéesdecadavresendécomposition,avaitététémoindelachuted'unpaysentierdansunâgesombreoùtoutelueurd'espoirs'étaitéteintejusquedansleregarddesenfants.MêmesiNehachoisissaituneciblehorsduterritoiredeRaphaël,lemondenepourraitsupporteruntelchaossans sebriser, si tôt après ladestructiondePékin.Et c'était sansparlerde laguerre angéliquequis'ensuivraitetlesengloutiraittous.

Sontéléphonevibradiscrètementàcetinstant.IldécrochapourentendreSamiradire:—Elleaquittéladépouilled'Eris-ellealeregardfou.—Emmène-ladanslapièceoùestinstallésonréseaudecommunication.

—Jason,ellen'entendrapasraison.—Tudoistrouverunmoyen.(Toussesagentsétaientd'uneintelligenceredoutable,capablesdese

débrouilleretdepenserpareux-mêmes.)Puis,quittelefortetleterritoiredeNeha.Samiraprituneprofondeinspiration.—Jepourraisyparvenirsij'arrangelavéritéetluidisqueleCadresouhaiteluiparler.—Net'attardepas,Samira.Dansl'étatd'espritquiétaitlesien,Nehalatuerait.—Jepartiraiaussitôtquejeluiauraiparlé.JasonraccrochaetregardaRaphaël.—Sinousarrivonsàlajoindremaintenant,nousavonsunechancedelaraisonneravantqu'ellene

soitpluscapabledevoiroud'entendrequoiquecesoitendehorsdesafolie.—Jepeuxl'endétourner,répliquaRaphaël,maiscelapourrait impliquerquetusoisprésentsur

sonterritoire.—J'irai.Ilétait trop risquépourSamirade rester surplace,maisJasonétaitbienpluspuissantqu'elleet

savaitqu'ilavaitacquisuncertainrespectauprèsdeNeha.Raphaël acquiesça et attendit que Jason soit hors de vue pour passer son appel depuis un large

écranquisetrouvaitdanslebureau.Luiaussiavaitsaisitoutelavaleurdelatechnologie.LaréponsepritunteltempsqueJasoncraignitl'échecdeSamira.Enfin,l'écranfinitparmontrerNehacommeilnel'avaitjamaisvueauparavant.

L'Archangedel'Indeavaitpourhabituded'êtretoujoursbienmise,toujoursgracieuse.Maisàcetinstant,sescheveuxnoirspendaient,décoiffésetemmêlés,autourdesonvisage,comme

sielleavaittirédessus;destracesdesangbalafraientsapeauetmaculaientlejaunesoucidesonsaridesoie.

— Raphaël, dit-elle d'une voix si calme qu'elle en était effrayante. Tu tournes autour de moicommeunvautour,mêmelorsquelesangd'Erisn'estpasencoresecsurmesmains.

LaréponsedeRaphaëlfutdouce.—Jen'aijamaisétéainsi,Neha.Unlégersourire,celuid'unreptile,quivalaitàNehasontitredeReinedesSerpents.—Non,peut-êtrepas.Alors,viendrais-tuoffrirtacommisération?Une déclaration presque ennuyée, qu'elle articula les cils baissés afin de dissimuler la rage

sauvagequibouillaitderrièreeux.—Jeviensoffrirmonaide.Nehalevaunsourcilroyal.— À moins que tu n'aies gardé des secrets, je crois que ramener Eris à la vie dépasse tes

compétences.Lijuanelle-mêmeenseraitincapable.JasonsedemandasiNehaavaitenvisagélapossibilitédefairedeceluiquiétaitautrefoissonmari

l'horreur que représentaient les « Ressuscites » de Lijuan - ces monstres dénués d'esprit, à ladémarchetraînante,senourrissantdechairhumaine.Ilneputimmédiatementécartercetteidée.Celanefaisaitqu'ajouteràl'urgencedelasituation,parcequesiNehaetLijuanjoignaientleursforces,lemondesombreraitdanslesang,lamort,etuneterreursansnom.

—Non,répliquaRaphaëlàlarailleriedeNeha.Erisaétéassassinéauseindetaforteresse,donctunepeuxfaireconfianceàpersonne.J'aiquelqu'unàmonservicequialescompétencesnécessairespourtrouverlemeurtrier.

Cettefois-ci,lapausedurapluslongtemps.LafoliedanslesyeuxdeNehalaissalentementplaceàuneraisonfroide,implacable.

—Tuparlesdecetteombrenoirequiesttienne?Lechiotsauvé?Jasonne se sentit pas insulté, bien que cette dernière description ne fût pas exacte. Personnene

l'avaitsauvé.Raphaëlluiaussirestaimperturbable,lebleuparfaitdesesyeuxaussicalmequ'unlacglacial.—LetalentdeJasonestincontestable.

—Ilestaussitonmaîtreespion.(Levantunemainensanglantée,ellelafixaavecdesyeuxétonnés.Savoixs'altérasansprévenirenunmurmurebouleversé.)Erisaperdutantdesang-jenesavaispasqu'ilenavaitautantenlui.

—Jemelamentepourtoi,Neha.Ilétaittonmariettonaffilié.C'étaitunedéclarationsolennelle,d'unArchangeàunautre.—Oui.(Lafolieréapparut,tourbillonnanteetdéchirante.)Ilétaitaussilepèredel'enfantquetuas

aidéàassassiner,siffla-t-elle.Sesyeuxchangèrent troprapidementpourqueJasonpuissevraiment levoir,puis revinrentà la

normale.CelaluifitpenserauxserpentsdeNeha,unefoisdeplus.Raphaëlnerelevapascetteattaquevenimeuse,nerappelapasàNehaqu'Anoushkaavaitsignéson

arrêtdemortlorsqu'elles'enétaitprisàunenfantdanssaquêtedepouvoir.—Tusouhaites laisser librecoursà taviolence,celaestcompréhensible,dit-il,maisau lieude

frapperaveuglément,neserait-ilpasplussatisfaisantdet'attaquerauresponsable?Nehasedétournade lacamérapourattraperun jeunepython,qu'elle installaautourdesoncou.

Caressantlabêtecommes'ils'agissaitd'unchat,elles'assitsurunechaisedeboisclair,sculptéeavecuneinfiniepatience,polieetverniejusqu'àenbrillercommeunjoyau.

—Tupensesquejesuisfolle,dit-ellealorsqueleserpentlevaitlatête,goûtantl'airdesalangue.—Jepensequetulepleures.Etquesamortrelèved'unactedelâcheté.Unbattementdepaupièresparesseux,sesdoigtsmarquantunepausesurlecorpslissedupython.—Vraiment?—Erisn'étaitpaspuissant.Ilétaitd'unebeautéexceptionnellepourunhomme,maisiln'avaitque

peudeforce.Àtraverslui,c'estàtoiqu'onvoulaitfairedumal.—MonpauvreEris.(Uneautrecaresselanguissante.)Tuasraison.Jenepeuxfaireconfianceà

personnetantquejeneconnaispasl'identitédel'assassin...Maissitonmaîtreespionentreici,ildoitselieràmoi.

—Ça,réponditRaphaëlavecunegentillessequirendaitsonrefusmoinscuisant,jenesauraislepermettre,pasmêmepourtoi.Ilestl'undemesSept.

—Leprotégerais-tuauprixdemilliersdevies?Acetinstantprécis,elleétaitdenouveaul'Archangedel'Indedanstoutesasplendeur:rationnelle

etmanipulatrice.—Laloyauténeseretirepasaussifacilementqu'unmanteau.Pouruneraisonoupouruneautre,celaentraînal'apparitiond'unsourirepresquesincèresurles

lèvresdeNeha.—Tuessiattachéàteshommes.Jen'aijamaisétécapabledeprendretafidélitéendéfaut.(Son

sourirechangea,devintplusénigmatique.)Trèsbien,alorsildevras'agirdeMahiya.Cettefois,cefutautourdeRaphaëldemarquerunepause.L'enfantd'ErisetdeNivriti,rappelaJasonàl'Archange,carcen'étaitpaslàunsujetqu'ilsavaient

eubeaucoupl'occasiond'évoquer.Elleaaujourd'huiàpeineplusdetroiscentsans.—TupensesàcomparerunangesijeuneàJason?demandaRaphaël.—Envérité,non.Mahiyaestunornementdecour,riendeplus.(L'Archangeautorisalepythonà

donnerunpetitcoupdesalanguesursesdoigts.)Maiscommejesuissûrequelechiott'enainformé,ellefaitpartiedemalignée.Unsermentdesangéchangéavecellesuffira.RaphaëlsoutintleregarddeNeha.

—Jevaisendiscuteraveclui.Nehainclinalatêteenunassentimentroyalavantdemettreuntermeàl'appel.SetournantversJason,sesailesrepliéesdanssondos,Raphaëlconstata:—Ellesemblestablepourlemoment,maiscen'estqu'unrépittemporaire.Plusellevaruminerle

meurtre,plusellevadevenirdangereuse.—Jesuisprêtàendosserlesermentdesang.

Ils'agissaitd'unecoutumeancienne,rarementpratiquée,mêmeparlesplusanciensparmilegenreangélique.EnprêtantunsermentdesangàMahiya,Jasondeviendraitd'unecertainemanièremembrede sa famille et donc tenu de protéger les intérêts de cette dernière. La coutume était tombée endésuétudeparcequ'ellepouvaitêtreassimiléeàuneformed'intimitéforcée.Dansunpassélointain,lesermentdesangavaitétéutilisépourscellerlesrelationslesplusétroites.

Maiscommetouteslesloisetcoutumesangéliques,lesermentdesangétaitunecréationbienplussubtilequ'ellene lesemblaitdeprimeabord.Mêmesi lacérémoniedece lienneprémunissaitpasd'unetraîtrise,enfaisantcetteinvitation,Nehaenappelaitaudevoird'honneurdeRaphaëletdesesSept.Si Jasonutilisait cedroitd'entréedans sacourpour rechercheretexploiter lamoindre failledanssesdéfenses,celaseraitconsidérécommeunedéclarationdeguerre.Etunefoisquelanouvellede cette déloyauté se répandrait, Jason perdrait tout le respect qu'il avait gagné auprès des pluspuissantsdesImmortels.

Cequin'étaitpas rien,enparticulierpourunmaîtreespion.Unegrandepartiedes informationsqu'il recevait luivenait justementde ces Immortels.Pire, ses agents feraient face àundangerbienplusgrand:bienqu'ilssoientlesmeilleurs,ilétaitinévitablequecertainssoientdécouvertsaucoursdeleurmission.Làoù,autrefois,ilsauraientpuêtrepardonnescomptetenudel'estimequelesangesplus âgés avaient pour Jason, ils seraient dorénavant exécutés par ces mêmes anges en signe demécontentementpourcetteviolationduserment.

Les ailes de Raphaël haussèrent lorsqu'il les réarrangea, seul signe de sa surprise face auconsentementimmédiatdeJasonpourcettecoutumearchaïque.

—Tu n'as pas à le faire, dit-il. LeCadre peut la contrôlermaintenant que j'ai suffisamment detempspourprévenirlesautres.Etunsermentdesangtemettraitendanger-siNehavientàpenserque tu l'as brisé, elle pourrait demander ton exécution. (Il secoua la tête.) Tu sais qu'elle a troprapidementacceptél'idéedetaprésencesursonterritoire.Elleteveutensonpouvoiretprévoitdet'utiliserpoursevengerdemoi.

—Oui.(JasonavaitlulecalculdansleregarddeNeha,savaitquel'Archangedel'Indemesuraittoutel'importancequelesSeptavaientpourRaphaël.SiNehanepouvaitatteindreElena,lecœurdeRaphaël,elleétaitparfaitementcapabledes'enprendreàceuxquivenaientensuitesurlaliste.)Mais,ajouta-t-il,bienqueNehapuisseêtreguidéepar lebesoind'unchâtiment,ellea sa fierté.Briser lapromesse du serment de sang entacherait son honneur - et qu'importe ce qu'elle dit, cet honneurcompteàsesyeux.

C'étaittoutcequ'illuirestait.—Es-tuprêtàjouertavielà-dessus?—Oui.(JasonavaitpassédessièclesàobserverNehaetchaquemembreduCadre.Ilsavaitdonc

qu'ellen'était pasArchange à avoir lamain lourdequandd'autresméthodesplus fines suffisaient.)Nehaestdavantagesusceptibled'essayerdemeretournercontrevous,demepersuaderdechangerdecamp.

Raphaëlrencontraleregarddel'ange.—Unjeudangereuxdepatienceetdepouvoir.—Ilseracourt.(Jasons'étaitdéjàforméuneopinionsurlamortd'Eris.)Nousstatueronsquela

promesseseraconsidéréecommetenuedèsl'instantoùjedécouvrirailemeurtrier.(Nehas'attendraitàcetteclause.)Iln'yariendanslacoutumequim'empêchedepoursuivremesautresdevoirs,tantquejenetrahispasNehaletempsduserment.Leregardinsondable,Raphaëldit:

—Celaresteunmauvaismarché...àmoinsquetunesouhaitest'introduiredanslacourdeNehapourdesraisonspersonnelles.

— Il se passe quelque chose là-bas, reconnut-il. Samira n'a pas été enmesure de véritablements'approcher-jesuispresquesûrqueNehasavaitqu'ellefaisaitpartiedemeséquipes.(Permettreuncertainniveaud'espionnagedans le but de répandrede fausses informations était le divertissement

favoridequelquesArchanges.)»Cevœu,poursuivit-il,mepermettradepénétrerdanslesprofondeursdelaforteresse,etcomme

jenesouhaitequ'observeretnonpasinterférer,jenerisquepasdebriserleserment.Ilnepourraitutilisercequ'ildécouvrirait,pasavantderecouper lamêmeinformationavecune

autresource,maiscelaluiconfirmeraitaumoinss'ilétaitsurlabonnepisteounon.—Unelignedangereuse.—Jepeuxm'yaventurer.Raphaëlsefitpragmatique.—Ellenetepermettrapasdefairecequebontesemble.CetteMahiyatesuivrasansdoutecomme

tonombre.Cela importait peu. Jason était doué pour disparaître au cœur d'une foule, pour rester invisible

mêmelorsqu'ilsetenaitfaceàquelqu'un.—Comparéeàmoi,elleestjeune,etàmaconnaissance,ellen'ajamaisfranchilesfrontièresdes

palacesdeNeha.Sûrementrompueàl'artdesintriguesdecour,ilyavaitdeforteschancespourqu'ellenesoitpas

qu'unsimple«ornement»-maisellenepouvaitespérerrivaliseravecunhommequiavaitpassésavieentièreàapprocherl'obscuritéjusqu'àcequelanuitdeviennesonfoyernaturel.

—Jenet'aijamaisliélesmains,ditRaphaël,etjeneleferaipasaujourd'hui.Lechoixterevient.(Il fronça les sourcils.) Quant à Mahiya : souviens-toi que tu avais des doutes sur les rumeursconcernant l'identité de sonpère.Malgré lesmurmurespersistants, l'infidélité d'Eris n'a jamais étéprouvée. Nivriti a aussi été exécutée pour un autre crime des mois avant que le nouveau-nén'apparaisseàlacourdeNeha.Pourquoies-tumaintenantsicertainqu'elleestlafilled'Eris?

—Lestraitsdesonvisage.(C'étaientlesyeuxsireconnaissablesdeMahiyaquitrahissaientcetteparenté,pourn'importequin'étantpasaveugléparlapeurducourrouxd'uneArchange.)Etj'airéunisuffisammentd'élémentsdelapartdemesespionsaufildessièclespourconfirmercequej'aidevantlesyeux.

Raphaëlopina,pensif.—Nehaalaréputationdenepass'enprendreauxenfants,qu'ilssoienthumainsouimmortels,je

peuxdoncl'imagineradoptercelui-ci,mêmedanscescirconstances.(Levantleregard,ilajouta:)Jetelaissechoisir,Jason.Etquisait?Peut-êtrequecetteMahiyaseracellequiteferaenfintomber-onditquel'intimitéd'unsermentdesangesttrèspoussée.

Jasonneréponditpas,maisilssavaienttousdeuxqu'ils'agissaitlàd'unechoseimpossible.Jasonne savait plus ce qu'était l'amour depuis qu'il avait creusé une tombe sous un soleil tropical, silongtemps auparavant. Il ne comprenait plus ces émotions.Le petit garçon qu'il avait été autrefoisétaitunmiragelointaindanssonesprit.SaloyautéenversRaphaëlétaitcequis'enapprochaitleplus,maisilsavaitpouravoirobservéDmitriavecsafemme,RaphaëlavecElena,GalenavecJessamy,et,ilyavaitlongtempsdecela,Illiumavecsamortelle,qu'ilnes'agissaitpasdutoutdelamêmechose.

—Jepartiraidansmoinsd'uneheure.— Souviens-toi, dit Raphaël d'un ton calme qui trancha l'air comme une lame, elle n'est pas

seulementlaReinedesSerpents,maisaussicelledesPoisons.EtJasonétaitsurlepointd'entrerdanssonnid.

Elleportemonalliance.Dmitri regarda le visage d'Honor s'illuminer alors qu'elle riait à quelque plaisanterie que sa

malicieuse amie Ashwini venait de lui glisser à l'oreille. Avec son esprit rusé et ses yeux qui envoyaient trop, la chasseuse avait toujours été pour Honor une amie sur qui compter, et parconséquent,Dmitriétaitenclinàl'apprécier,mêmesi,parailleurs,elleneluiavaitpasfournimatièreàamusement-lejeuduchatetdelasourisauquelelleetJanvierselivraientdepuisplusdedeuxansétaitaussiinexplicablequefascinant.

Honortournasonregardverslui,unequestionmuettesurlestraits.—J'étaisentraind'observermafemme,murmura-t-ilpourelleseule,faisantcourirsesdoigtsle

long de sa nuque tout en se rappelant qu'il devait se tenir puisqu'ils étaient en public.Ma femmesuperbe dont j'aimerais ôter la robe et que j'aimerais asseoir nue surmes genoux pour faire deschosesdébauchéesàsoncorpssisexy.

Iln'avaitjamaisététrèsfortpourbiensetenir.Unlégerfrisson.—Onnedevraitpast'autoriseràtebaladerlibrementpourtourmenterlesfemmes.Unsourirenarquoissedessinalentementsurseslèvres,cequiréveillaunechaleurendormiedans

cesyeuxd'unvertenvoûtant.Ilsepenchaplusprès.Sadéclarationsuivantefutunronronnementtoutcontrel'oreilled'Honor.

—Jeneprévoisde tourmenterqu'une seule représentantede lagente fémininepour le restedel'éternité.

Lepoulsdelachasseusebattitplusfortdanssagorge.L'appeldesonsangfaisaitl'effetd'unchantdesirènesurlevampire.Ilinspiraprofondémentsonparfum,maisilnecomptaitpassepresser.Pasaujourd'hui.

—Tedirais-jecequej'ail'intentiondet'offrircommecadeaupourlanuitdenoces?Ill'enveloppadevrillesdechocolatrichesenpromessessensuellesetdécadentes.—Non!(Ellerefusadansunrire,savoixrauqueenfermantDmitridansdeschaînesdontiln'avait

aucuneintentiondeselibérer.)Oujetediraicequejeportesouscetterobe.Ileutenviedes'étirerdeplaisir,commeunfélinqu'onviendraitdecaresser.Lerired'Honorétait

aussiprécieuxà sesyeuxque lesplus raresdesgemmes. Il était sur lepointde répondre lorsqu'ilaperçutquelquechoseducoindel'œil.IlsetournapourvoirJasonentrerdanslapièce.

—JecroisqueJasonestvenunousfairesesadieux.(Levampireseleva.)Tupars?dit-ilàvoixhauteàl'angeauxailesnoiresquis'arrêtaitdevantlatable.Ques'est-ilpassé?

—Oui,j'aibienpeurdenepouvoirresterpluslongtemps.Erisestmort.JedoismemettreenroutepourleterritoiredeNeha.

LorsqueJasonlevasonavant-bras,Dmitrileserraàlamanièredesguerriersquiavaientcombattusurlesmêmeschampsdebataille.

—Jeteverraiàtonretour.Jeresteraiencontact.LamaindeJasonserralebrasdeDmitriavantdelelâcher.—Profitedetalunedemiel.Jecontrôlelasituation,ettuasunefemmequin'aimeraitpasvoirson

mariaccrochéenpermanenceàsontravail.Dmitri jetauncoupd'œil àHonoretun léger sourirevintplisser ses lèvres.Ma femmeestune

chasseuse et il est fort probablequ'elle se joindrait àmoipour courirà ton secours si tu enavaisbesoin.Ilmarquaunepausepuisajoutaunmessagepersonnelàl'intentiondeNeha,caravantletriste

épisode d'Anoushka, elle avait été une grande dame, une Archange qu'il n'avait pas honte d'avoirservieautrefois.Jem'assureraideluitransmettre.JasoninclinalatêteversHonor.—Jeprendscongé.—Je suis siheureuseque tuaiespuvenir. (Le sourired'Honorétait éblouissant.) Je te reverrai

quandtureviendrasenville.Jasonpartitdansunbruissementdesesailesnoiresquelquessecondesplustard,etDmitrireprit

placeauxcôtésdesafemme,quis'appuyacontrelui.Savoixsechangeaenchuchotementlorsqu'elledemanda:

—Vas-tumedirecequisepasse?Ill'entouradesonbras,frottasonpoucesurlacourbesensibledesonépaule.—Quandnousseronsseuls,murmura-t-il,soncorpsse tendantà l'idéede l'avoirnueetchaude

danssesbras,dansleurlit.Vienstepromeneravecmoi.Honorluilançaunregardperçant.—Afinquetupuissesm'emmenerdanstaFerrari?—J'aimecequetum'yfais.Sensuelle et passionnée, elle avait fait de lui son esclave le jour où elle l'avait pris avec une si

délicieuseconfiance.Unlent,trèslentsouriresurlevisagedelafemmequilepossédaitcorpsetâme.—Peut-êtredevrions-nousfaireundétoursurlechemindelaTouraprèslaréception.Ilsavaitquesesyeuxbrillaientdedésir,maisils'enmoquaitéperdument.Sepenchantverselle,il

emprisonnaseslèvresenunbaiserquifits'acclamerlesinvitésréunisautourd'eux.—Unlongdétour.C'étaitunepromesse.

Après plus de quatorze heures de vol éprouvantes, Jason utilisa les nuages de la nuit à son

avantagependantqu'ildécrivaitdescerclesautourdelamagnifiqueforteressedepierreetdemarbreperchéesurunehautecrête.Elleétaitsimplementconnuesouslenomde«Fortdel'Archange»,carc'étaitlàqueNehaavaitéludemeure.Baignésparlalumièred'unepleinelunequin'avaitpasencorecommencéàdécroître,bienquel'aubenesoitplusqu'àquelquesheures,sesrempartsbrillaientnonpasdel'orambréqu'ilsaffichaientsouslesrayonsdusoleil,maisd'unreflettroublantd'argentpâle.

Ayantcachésonpetitsacdevoyagepourvenirlechercherplustard,ilavaitplustôtdanslanuitvolé jusqu'au sombre miroir d'un lac qui se trouvait au pied du fort, et il avait balayé la villeendormie.Depuiscepointdevueencontrebas,lefortsemblaitêtreunmirage,unfantasme.

Untrôneadaptéàl'Archangequirégnaitsurceterritoire.Déployantsesailesd’ébènequiabsorbaientlalumièredelalunecommecelledusoleil,ilexécuta

unatterrissagesilencieuxetinvisibledanslesombresprojetéesparl'unedesimposantesportesquiprotégeaientlefort,uneportesuffisammentgrandepourlaisserpasserdefrontuneunitédecavalerieentière.Chacuned'ellesétaitcachéede laprécédenteetde lasuivantepar lesanglessur lesquels lefortavaitétébâti,brisant la lignedevueetn'offrantaucunepossibilitéde fuiteen lignedroitequipermettraitdeprendredelavitesse,vitessequipourraitêtreutiliséepourenfoncerlaportesuivante.Commemesuredéfensivefaceàuneattaquemontée,c'étaitsuperbe.

Des ennemis venus du ciel requerraient davantage de contre-mesures. C'était pour cela qu'unescadron d'anges patrouillait dans le ciel et que des vampires pourvus d'armes antiaériennes setenaient sur les remparts.Aucund'entre euxn'avaitvu Jason.Celanevoulaitpasdirequ'ils étaientincompétents-ilauraitétéexceptionnelpourungardederemarquerunhommefaitpoursefondredans la nuit. Jason était aussi pratiquement sûr d'avoir échappé au système de surveillance parsatellite. Sa compétence faisait de lui une ombre indistincte écartée par l'homme comme par lamachine.

Plutôtquedefranchirlaporte,ilobservaleslieux,silencieuxetimmobile,jusqu'àcequ'ilpuissedéterminerleschémaderondedesvampires,puis-prenantavantaged'unanglemort-ils'envolaau-dessusd'euxpourvenirseposeràlalisièredejardinsauxmotifsgéométriques,situésaudeuxièmeniveaudelacour.

Lafontaineaucentrescintillaitsouslalumièredelalunequiéclairaitleslieux.LepalaisprivédeNeha,illesavait,setrouvaitsursagauche.Sesmursdemarbreétaientcouvertsd'anciensornementscomposés de pierres semi-précieuses.Mais ce n'était pas sa caractéristique la plus étonnante - desmilliers de diamants étaient incrustés dans lesmurs, entremêlés aux dessins au point que le palaisscintille commeunénorme joyau... ouchatoie teluncœurenflamméqui éveillait ledésir chez lesjeunesetlesmoinsjeunes.—Detouteslesconstructionsquej'aivuesdemavie,c'estleHiraMahalquimecoupelesouffle.C'étaitTitusquiavaitprononcécesmots,etl'Archangeguerriern'étaitpashommeàverserdansla

poésie. Jason pouvait comprendre ce sentiment, car leHiraMahal ouPalais deDiamant - souventaussinommélePalaisdesJoyaux-étaituneœuvred'artànulautrepareil.Émergeantlentementdesacachette,l'espionminutaunefoisdeplussesmouvementspouréviterlesgardesetatteindrelaporteétincelantedupalaissansêtrerepéré.

QuandJasoneutfrappé,legardequivintouvrirlaportelaissaéchapperunsifflementdesurpriseetcherchaàdégainersonarme.

—Jesupposequ'ils'agitdumaîtreespion,lançaunevoixféminineàl'intérieurdansunelanguequiétaitledialectemajoritairementparlédanscettecontrée.Entre,Jason.

Toutenconservant legardedanssalignedemire,Jasonavançadansl'illusionauxmillerefletsqu'étaitlepalaispourydécouvrirlaReinedesPoisonsetdesSerpents.ContrairementàlorsdesonentretienavecRaphaël,Nehaétaitdésormaislagrâceincarnée,installéedansunfauteuilsemblableàun trône,soncorpsvêtud'unsarid'unvertdespluspâlesplutôtquedublanc traditionneldudeuil.Toutcommelerestedelapièce,ellerayonnaitsouslalumièredesbougiesquirebondissaitàl'infinisurlesfacettesdespierresprécieuses.

—DameNeha.Jason s'inclina dans un salut respectueux, mais dont l'exécution révélait qu'il n'était pas un

courtisanetneleseraitjamais.Illiumluiavaitenseignécettecourbettepolie,quiétaitutiledanslesraresoccasionsoùildevaitfaireuneapparitionpubliquefaceàunmembreduCadre.

—Tumesurprends.Lessalutationsterminées,ilrencontralemarronpénétrantdesonregard,etaperçutlefinserpent

d'unenuanceémeraudequ'elleportaitenguisedebracelet.— Vous attendiez-vous à un sauvage ? demanda-t-il dans le même dialecte, ayant longtemps

auparavant appris les principales langues de cemonde - ainsi que les variations utilisées dans lesterritoiresduCadre.Lessecrets,aprèstout,n'avaientpasdelangagepropre.

Deslèvrespeintesd'unfardlégers'incurvèrent.—Tudonnesbiencetteimpression.Se levant de son imposant siège de marbre noir sculpté, aux gravures incrustées d'or, elle

descendit trois marches jusqu'à un tapis de soie fait main qui était d'une teinte de saphir sous lalumière.

Commeilneluioffraitpassonbras,ellelevaunsourcilimpérieux.—J'aibesoind'avoirmesdeuxbraslibresencasd'attaque,expliqua-t-il.LeriredeNehaétaitdélicat...malgrélanotestridentequ'ilrecelait.—Tantdefranchise!Maisils'agitd'unmensongeintelligent,n'est-cepas?Unmaîtreespionpeut-

iljamaisdirelavérité?Jasonneréponditpas,n'ayantaucunintérêtàentrerdanscejeu-là.—Viens,dit-elleavecunsourireéclatant-celuid'uneImmortellequiperdaitrarementunejoute

verbaleetquinefaisaitpourl'instantques'amuser.Ilesttempsqueturencontrescelleàquitujurerasfidélitéparlesang.Toutestprêtpourlacérémonie.

Jasondévoilasaseuleconditionpendantqu'ilsavançaient.Àsasurprise,nonseulementNehanesoulevaaucuneobjection,maisaccueillitfavorablementcettelimitedetempsauserment.

—Tuesunecréature tropdangereusepourMahiya. (Uneobscurité indéchiffrables'étaitglisséedansletondel'Archange.)Lapauvreenfantmourraitprobablementdepeursiellenesavaitqu'ellesera bientôt libérée des chaînes qui vont la lier à toi. (Elle ne prêta aucune attention à la grandechouette qui les survola aussi silencieusement qu'un fantôme juste sous le passage extérieur où ilss'étaientengagés.)Mahiyaneserapascapabledesupporteruntelpoidspendantlongtemps.

Jason se taisait toujours. La princesse ne lui avait jamais semblé faible, mais il ne l'avait quebrièvement aperçue, car elle n'avait aucun pouvoir au sein de la cour, n'était au centre d'aucuneintrigue, et ne revêtait donc que peu d'intérêt pour unmaître espion.Mais il pouvait s'agir là d'unsubterfugeetMahiyapouvaitêtreunelamebiencachée.Celan'avaitpasbeaucoupdesensdechargerunfragile«ornement»delasurveillanced'unmaîtreespionquiétaitauserviced'unennemi.

D'unautrecôté,Mahiyaavaitsansdouteétéleseulchoixdisponible,laseuledescendantedirectedelalignéedeNehaàêtreàlafoisenvieetnonengagéeauprèsd'unamant.

Toutenpassantenrevuecequ'ilsavaitdelaprincesse,ilprenaitlamesuredesgardesarmésenuniforme, cachés par les colonnes cannelées en pierre rouge. Il nota également la manière dont

l'éclairagemoderneavaitétéintégréharmonieusementàlastructurevieilledeplusieurssiècles.AupassagedeNeha, lesdamesd'honneuravenantesquisepromenaient lasaluaientenbaissant la tête.L'Archangeneleconduisaitnonpasàtraverslesjardins,maisdanslacourauniveausupérieur.

Lesuperbepalacequise trouvaitdans lasection laplusélevéede la forteresseétaituniquementutilisépourlesinvitésdehautrang,commeceuxduCadre.Autrement, ilrestaitvide,sauflorsdesrotationsdesurveillance.Ilétaitsituédanslapartielapluséloignéedufortetsesmursdonnaientsurlevidedel'autrecôté.Certainespartiesdubâtimentétaientplusrécentesqued'autresetceniveauavaitétémodifiéparrapportàsondessinoriginelquidataitdequelquetroiscentsans.

Un pavillon aux colonnes délicates se dressait au centre de la cour. Peu de choses avaient étéchangées,maisdesjardinsavaientétéajoutésautour,dessinantunefleurdontchacundes«pétales»étaitcomposédeplantsdifférents.Unefontainedéversaitquelquepartsadoucemusique,maisJasonne put immédiatement la voir - puis il se rendit compte que l'eau cascadait le long des côtés dupavillon pour tomber dans cinq rigoles qui irriguaient les jardinsmalgré le climat désertique quirégnaitdanscettepartieduterritoiredeNeha.

Là où autrefois la cour entière était entourée d'appartements qui communiquaient entre eux, setrouvaientmaintenantdeuxpalaisdistincts-l'unfaisaitfaceauxmontagnesendentsdescie,etl'autresurplombaitlaville.Lespartiesrestantessemblaientdaterdelapremièredispositiondeslieux.Ellesétaientmaintenantséparéesdespalais,lesappartementsn'étaientplusliés.

Toutecettezoneétaitgardéeparunnombredesoldatsimpressionnant.Ceux-ci n'inclinèrent pas la tête lorsque Neha passa devant eux ; leur attention était portée

exclusivementsurleurdevoir.Lesaridel'Archangechuchotaitdansleventàchacundesespas,ellemaintenait scrupuleusement ses ailes au-dessus du chemin de pierres immaculé qui conduisait aupavillon déjà éclairé. Les côtés ouverts de l'édifice étaient encadrés par des rideaux de soietransparents attachés aux colonnes. Ces dernières, dont les chapiteaux étaient finement cannelés,rappelaientàJasondesvasesallongés.Unefemmesetenaitaucentredupavillon.Elleavaitrevêtuunsariquiauraitpuêtrerosepâle,maisquiserévélablanccrèmedanslalumièredouce-commesielleportaitledeuilqueNeharefusait.

Jasonsavaitdéjàqu'elleavaitunvisagefin,quesoncorpsdessinaitdedoucescourbesetqu'elleluiarrivaitàpeineàlapoitrine.Sesyeuxétaientd'unmarronfauve,trèslumineuxettrèsvifcontresapeaucouleurmieletsescheveuxd'unnoird'encre.C'étaitlapremièrechosequel'onremarquaitchezelle.Desyeuxdelynxoudepuma.Ceuxd'Erisétaientbleus,maissonpèrepossédaitlesmêmesirisdistinctifsquidésignaientlaprincesseMahiyacommesonenfantillégitime.

Maispersonneaumonden'avaitdesailescommelessiennes-émeraudeprofondetd'unbleudecobaltavecdeséclatsdenoir.Ellesétaientparseméesdegouttessauvagesquilesfaisaientressemblerauplumaged'unpaon.D'unemanièreoud'uneautre,Mahiyas'étaitdébrouilléepourresterhorsdesfeux de la rampe, car personne ne pensait à elle lorsqu'il était question des plus beaux anges dumonde,alorsquesesailesrivalisaientpourtantaveccellesduplusmagnifiquedesoiseaux.

Elle fit une révérence gracieuse à l'approche de Neha, inclinant la tête et révélant la nuditévulnérabledesanuque.Sescheveuxétaientséparésparuneraieaumilieuetrassemblésenunsimplenœudsursatête.

—Madame.—Essaie de ne pas trop l'effrayer, Jason,murmuraNeha. (Les filaments cobalt sur les plumes

primairesdelareine,parailleursblanchescommelaneige,laissaientdevinerleurliendeparenté.)Ellepeutserévélerplutôt...utile,àl'occasion.

JasoneutunhochementdetêtepoursaluerlafemmequirendaitlavoixdeNehaaussitranchantequ'unrasoir,eteutdroitenretouràunerévérencetoutaussiélégantemaismoinsprononcéequecelleofferte à l'Archange. La princesse demeura muette quand Neha leva un doigt et qu'un vampireenturbannéportantl'uniformedesgardessurgitdederrièrel'unedescolonnes,unplateaurecouvert

de velours au bras. Le tissu vermillon abritait un couteau de cérémonie, à la garde incrustée desaphirsjaunes.

Nehalepritdeseslongsdoigts,visiblementhabituésaumaniementdesarmes.—Ilesttemps.Lacérémonieétaitimmémoriale,lesmotsqueNehaleurdemandad'échangern'avaientpasvarié

d'unevirguledepuisdesmillénaires.LeursensprofondétaitunepromessedeloyautéquineremettaitpasencauselesermentqueJasonavaitprêtéenversRaphaël.LerituelleliaitmalgrétoutàMahiyaetàceuxdesonsangpourladuréequeprendraitsatâcheetdevaitêtrerespectéstrictement.

— J'entends ton serment, dit Mahiya, prononçant les mots qui clôturaient cette partie du rite.Jusqu'àcequelenomdutraîtresoitconnu.Qu'ilensoitainsi.

NehasouritdanslesilenceépaisquitombaaprèsqueMahiyaeutacceptéleurmarché.—Toncou,Jason.—Jenepensepas,non,dit-ilsansciller.(Iltournasonbrasdemanièreàexposersonpoignet.)Le

sangestlesang.—Tunemefaispasconfiance?Unequestionsoyeused'oùsuintaitunemenace.—Jenefaisconfianceàpersonneencequiconcernemoncou.Ilétait sansdouteassezpuissantpoursurvivreàunedécapitation,mais ilnesouhaitaitpaspour

autantencourirlerisque.Latêteglissadesesmainscouvertesdesangpourtombersurleplancherdansunbruitsourd.—Jesuisdésolé...LorsquelesyeuxdeNehasefirentd'unfroiddeglace,ils'attenditàcequ'ellelefassesaignerplus

quenécessaire,maisellen'imprimaque l'entaille laplussuperficielleà sonpoignet.Tandisqu'unegouttelette du sang de Jason coulait sur sa peau, elle ordonna à Mahiya d'incliner le cou et elleprocédaàunenouvellecoupureau-dessusdelajugulairedecettedernière.

Unlégerhochementdetête,quisignifiaitàJasonlapermissiondescellerleserment.Lemaîtreespionsepenchasurlaprincesse,effleuradesalanguelapetitegoutterougerubisqui

brillaitcontrelapeausombredelajeunefemme.Ilsentitsongoûtdeferchauddanssabouchepuisreculaettenditsonpoignet.

Mahiyaposasesdeuxmainssouscedernieret leportaàseslèvres; leurcontactsurlapeaudeJasonfutaussilégerquelesailesd'unpapillon.Levantlesyeux,elledéclara:

—Lesermentdesangestscellé.Lemasque de son visage était dénué d'expression. S'il n'y avait pas eu cet étrange sentiment de

dégoût pendant la cérémonie, ils auraient pu se trouver à un cocktail mondain, échangeant desplaisanteries.ToutcelasemblaitcurieusementfutileauxyeuxdeJason.

Peut-être que la princesse n'offrait rien d'autre à découvrir,mais tous les instincts de Jason luisoufflaientlecontraire.

IlsetournaversNeha,sansoubliertoutefoislaprésencedel’énigmatiqueMahiya.—Eris?Elleapplauditbruyammentens'esclaffant.—Oh, quelle chose à dire juste après un acte de sang primaire ! (Un rappel qu'à une époque

perdue dans les limbes de l'Histoire, de tels serments étaient prononcés entre amants et le sangéchangéavaitvaleurdebaiserérotique.)Tuesvraimentinsensible,Jason.

Onleluiavaitditàdenombreusesreprisespendantsavie,etc'étaitunfaitqu'ilnecontestaitpas,bienqu'unchaudrondefeunoirbrûlâtprofondémentenlui.

—C'estpourcelaquejesuislà.—Biensûr.Suis-moi.LorsqueMahiyavintseplacerderrièrelui,ilsecoualatête.—Nerestepasderrièremoi.(C'étaituneinconnue,etlamenacequ'ellereprésentaitounonrestait

unmystère.)Marchedevantouàmescôtés.Unéclaird'unmarronfauvesurprenant,maiselleadoptasonallureenvenantseplaceràcôtéde

lui...Unlégerfrissondetensionentrelesépaulesdela jeunefemme.Presqueimperceptible.MêmeJasonauraitpunepasleremarquers'iln'avaitétéenéveil,àlarecherchedumoindresignedecellequi était cachéederrièrecemasque impassible.Manifestement,Mahiyan'aimaitpasnonplusavoirquiquecesoitdanssondos.Inhabituelpourun«ornement»decour,encorepluspouruneprincessequiauraitdûêtrehabituéeàavoirunesuite.

Neha n'ajouta rien avant qu'ils aient atteint le palais qui surplombait la ville et dont les largesportesétaientgardéespardeuxangesarmésd’épéesetdepistolets.

—Faispreuvedanscetteenquêtedetoutlerespectqueméritemondéfuntaffilié.Comprenant que l'Archange n'avait aucune intention de les accompagner, Jason attendit qu'elle

parte pour entrer dans le palais que les gardes n'ouvrirent qu'à contrecœur, le regard suspicieux.L'odeurdeputréfactionfrappaJasonàl'instantoùilypénétra,etilsutimmédiatementqu'Erisygisaitencore,malgréletempsqu'illuiavaitfallupouratteindrelaforteresse.

L'amourdeNehapourErisétaittelqu'ellen'auraitjamaislaissésoncadavreainsienspectacle.Ildevaitdoncs'agird'unacterationnelpourpréserverlascènedecrime.Ilnes'étaitpasattenduàceladesapart,aprèslafoliequ'ilavaitluedanssonregardlorsqu'elleavaitparléàRaphaël,maisilauraitdû. Neha était forte, pas seulement en termes de puissance mais mentalement, et ce, malgré lescirconstancesetlaperteterriblequ'ellevenaitd'essuyer.Ilnel'oublieraitplusdorénavant.

Tenantfermementsesailescontresondosafind'éviterdetoucherparinadvertancedesobjetssetrouvantdanslepalais,ildemanda:

—OùestEris?Il aurait pu facilement suivre l'odeur de décomposition jusqu'au corps, mais il avait besoin

d'instaurerundialogueaveclafemmequisetenaitlàsilencieusement.Mahiyaétaitunmystère,etJasonn'aimaitpaslesmystères.Ilsedevaitdoncdelerésoudre.

—Parlà.Mahiyasemitenmarche,chaquecelluledesoncorpsenéveil,guettantl'angeauxailesnoires,àla

tenuedelamêmeteinte,etquimaintenaitsonallureàsescôtés...unangequilafascinait.Delamêmemanièrequ'unenfantpouvaitvouloir,faceautranchantluisantd'unelame,fairecourirsondoigtsurlemétalpourvérifiers'ilétaitvraimentcoupant.

Unetellefascinationfinissaittoujoursdanslesang.Pourtant,ellenepouvaitréprimersaréaction,car ilneressemblaitàpersonnequ'elleait jamais

rencontré auparavant. Un homme qui portait ses cheveux lisses deminuit en une queue-de-chevalnette et qui ne craignait pas la colèred'uneArchange.Comme si cela ne suffisait pas, un tatouagetribalcompliquécouvrait toute lapartiegauchede sonvisage.L'encred'unnoirprofondcontre lebrunchauddesapeauracontaitencourbestourbillonnantesunehistoirequ'ellevoulaitconnaître,toutensachantinstinctivementqu'ilrefuseraitdelapartager.

Cevisageétaitàluiseulunmélangedecultures:lePacifiqueetl'Europeenchevêtréspourdonnernaissanceàunebeautémasculineaussidurequ'attirante.LemaîtreespiondeRaphaël.C'étaitainsiqueNehal'avaitappelé.Commedescription,c'étaitsuccinct,maisceladévoilaitautant

dechosesquecelaendissimulait.Ilétaitsitaciturnequesiellen'avaitsuivisesmouvementsducoinde l'œil, elle aurait pu se croire seule.Un hommedoué pour devenir une ombre, voilà ce qu'étaitJason.UnhommecapabledenaviguerentrelessombressecretsduCadre,invisible,insaisissable.

Quoiqu'ilensoit,ilnesecontentaitpasd'êtreunespionquiobservaitetrapportait.Ilétaitl'undesSeptdeRaphaël,cegrouped'angesetdevampiresauxliensétroitsqueMahiyacomprenaitpeu.Toutcequ'ellesavait,c'étaitquecessepthommesincroyablementpuissantsavaientchoisidesemettreauserviced'unArchange-etqueleurloyautétrouvaitéchodanscelledeRaphaëlàleurégard.—Jasonestsipuissant.Nehaavaitmurmurécelaaprèsquel'angeeutacceptédeveniraufortpourprêter lesermentde

sangavecMahiya.Cen'étaitpaslaseulechosequel'Archangeavaitdite,seslèvressetordantenunsourireoùperlaitlepoison.—LaTour deRaphaël sera handicapée lorsque lemaître espion changera d'allégeance.Et il le

fera...carjepeuxluioffrirquelquechosequeRaphaëlneserajamaiscapabled'égaler.MahiyasefichaitdujeudevengeanceauquelselivraitNeha.Ellesesouciaitseulementducontrat

pratique qu'impliquait la cérémonie du serment à laquelle ils venaient de se soumettre. Unedétermination glaçante l'emplissait jusqu'au plus profond d'elle : il lui fallait accomplir cette tâchesans laisser tomber cemasque de beauté inoffensive, son arme la plus redoutable. Personne ne laconsidéraitcommeunemenace.Cemaîtreespionnedérogeraitpasàlarègle.

Atteignantlesrideauxtransparentsd'ambreetd'orquivoltigeaientdevantl'archemenantaucœurdupalais,ellepritletempsdelesattachersurlescôtésavantdeluifairesigned'entrer.—Nerestepasderrièremoi.Ignorantsanuquequilapicotait,lamettaitengardecontreundangermortel,elleleprécédadans

la pièce centrale où l'écho résonnait contre les murs qui s'élevaient jusqu'au toit. Son estomacmenaçait de se révulser contre la puanteur,mais elle parvint àmaîtriser ses haut-le-cœur grâce àl'habitudeetàunevolontésansfaille-NehaavaitlaisséMahiyadanslepalaispour«tenircompagnieàEris»desheuresaprèssonassassinat.

—Ilétaittonpère,aprèstout.Jetelaisseletempsdeluifairetesadieux.Pourunefois,Mahiyanepensaitpasquesatantes'étaitmontréedélibérémentcruelle-Nehaelle-

mêmeétaitrevenues'asseoirprèsducorpsetnel'avaitquittéqu'uneheureavantl'arrivéedeJason,caressant lescheveuxd'Eris, leurébèneprofondstriédemèchesplusclaires.Elleavait récemmentpermisàsonmarideprofiterdusoleilbrûlantdelacour.—C'estunecréaturedusoleil,néeausommetd'unefalaisesurplombantlaMéditerranée.Pourtantcettepiècesansfenêtre,sanssoleil,avecsondallagedemarbrerecouvertd'untapisépais

où l'ambre et l'or semêlaient en spirales, était le lieu oùEris avait passé lamajeure partie de sesjournées. Le lustre au-dessus de leur tête était un chef-d'œuvre qui rayonnait de toute sa surface,faisaitbrillerlacornalinedesmursd'unfeuintérieur...etluirelesangséchérépandusurlesold'unéclatàsouleverlecœur.

Ce sang avait goutté d'un large divan où Eris avait pour habitude, de manière ironique, de «recevoirsacour»quandMahiyavenait luidélivrerunmessage.Unverredevinrougeavaitcauséunehorribletachesurlescouleursenchevêtréesdelamoquette,tandisqu'unplateaudefruits-pêchesexotiquesetsombrescerisesvenuesdetrèsloin,cueilliessurdesterresdefroidetdeglace;figuesetabricotsdesvergersmêmesdeNeha-étaitàpeineentamé.

Des mouches bourdonnaient autour du plateau d'argent, mais elles n'étaient pas réellementintéressées.

Non,leurattentionétaitretenueparlecadavrepourrissantquigisait,lecorpsàmoitiétombédudivan,sesailesdéployéesenuneposture très théâtraleet lapoitrineouverteendeuxdévoilantunecavitéévidée.Alorsquelesanghorsdesoncorpss'étaitcristalliséenunesubstancefragilesemblableàde lapierredesel rose,à l'intérieurde laplaiebéante il s'étaitdurcietavaitpris lamême teinterougesombredescerises,preuvequesoncorpsavaittentédeserégénéreretn'yétaitpasparvenu.Desrubisdelamort.

L'idéedeporterdesbijouxnésdusangd'unangemortrévoltaitMahiya,maiscettepratiqueavaitétéconsentieàdesépoques reculées.Lesgemmesétaientportéesen souvenir, commeunmémentomori,par les amants de ces anges décédés en des circonstances ayant conduit à la création de cesrubis. Cela convenait tant à Eris, qui était beau jusque dans la mort et qui, dans la vie, avait étél'incarnationmêmede laperfectionphysique, avec sapeaud'unor chatoyant et sesyeuxd'unbleulapis-lazuli.

Jasonnemontraaucunsignededégoûtàlavueducorpsmutiléd'Eris.Sarespirationétaitsereinependantqu'ilexaminaitlesrestesdu«père»deMahiya.—Sij'avaiseul'opportunitédet'étranglerdanstonberceau, je l'aurais faitsanssourciller.Sans

toi, ellem'aurait pardonnémon écart de conduite il y a longtemps. (Un verre à vin s'écrasa sur lemarbre.)Nedorsqued'unœil,petite fille.J'aidesamisquipourraientencore te tordre lecoupourmoi.

C'étaitsonsouvenirleplusvifd'unhommedontlasemenceavaitcontribuéàsacréation.Ignorant lesmouches qui bourdonnaient autour du cadavre d'un homme qui avait autrefois fait

l'honneur des cours de l'ancienne Grèce comme de la Cité Interdite, Jason se pencha plus près,vérifiant sa première impression selon laquelle le cœur d'Eris avait été arraché, tout comme sesautresorganesvitaux.Ilpouvaitvoiruntasdematièreorganiqueindéterminéeendécompositionsursadroite,etdevinaitqu'ilpourraits'agirlàdesrestestaillésenpiècesdecesorganes.

Quelatêtesoitencoreattachéeaucorpsétaitunesurprise.Bienqu'Erisaitétéconsidérédetouscommetropfaiblepourêtrel'affiliéd'uneArchange,cettefaiblessevenaitdesoncaractère,etnondelapuissancebrutequerecelaitsoncorps.Avecsoncerveauintact,ilauraitdûêtresuffisammentâgéetfortpoursereleverdetellesblessures.

Jasonexaminacequiserévélaêtredusangséchésousl'unedesnarinesdelavictime.Lasubstance

étaitpresquenoire,etpluscoaguléequecristalline.—A-t-ontrouvéunelongueaiguilleprèsducorps?Mahiyasecoualatête.Sonexpressionétaitdépourvuedelatristesseetdudésespoirattenduschez

unefemmesetenantprèsducadavredesonpère.—Rienn'estsortidupalaisdepuisqueNehaadécouvertlecorps.(Unepause.)Souhaites-tuqueje

fouillelapièce?—Oui.SecourbantpendantqueMahiyacommençaitsesrecherches,ilplaçasamainsouslatêted'Eris,la

souleva,tapotantlecrânedesamainlibre.Mahiyas'arrêtaaussitôt.—Celasonne...creux.—Soncerveauaétéôté.Sonsaritenusoigneusementau-dessusdutapisquelesangdélavait,laprincesseretournaaussitôt

à saquête et prononçadesmotsqu'il ne s'attendait certainementpas à entendrede labouched'unefemmevêtueduroseleplusdouxetdontchacundesmouvementstémoignaitd'uneféminitédélicate.

—Comment?(Unecuriositérésoluefiltraitàtraverscettefaçadedepolitessedistante.)Satêten'apasététouchée.

L'intérêtdeJasonpourMahiyagranditencore.—Uneaiguillecrochueenfoncéedanslecerveauenpassantparlenez,répondit-il,décrivantune

méthodeutiliséeparleshabitantsdel'Egypteancienneaucoursduprocessusdemomification.Cetteaiguilleestensuiteremuéejusqu'àcequelecerveausoitenétatd'êtreextraitparlemêmechemin.

D'après lamasse épaisse dematières sèches situées directement sous le crâne, le cerveau avaitprobablementétéréduitenbouillie,luipermettantdes'écoulerdunezd'Erisavantquecederniernesoitretournéetinstallécommeill'étaitmaintenant.

Unpetitsilence,etilsedemandas'ilavaitméjugélaforceintérieuredecetteprincesseélevéedanscetteserrecoupéedumondequ'étaitlefort,quil'observaitdesesyeuxaussiclairsqueceuxd'unchat,avecunespritetuneintelligencequicontrastaientavecsoncalmeassentimentauxdemandesdeNeha,etaveclamanièredontellesuivaitsespropresordressansprotester.

Puiselleparla,etilsutquesesinstinctsnel'avaientpastrompé.Mahiyaavaitbeaunepasêtreunadversairesuffisammentpuissantpourl'inquiéter,ellen'étaitpaspourautantuneprincessed'apparat,uneenfantchoyéequ'ilpourraitignorer.

—Donc... (Unregardévaluateur.)Quiconqueayant faitcela, ilétaitbienpréparé.Passeulementaveclalamequ'ilouelleautiliséepourviderEris,maisaussiaveclecrochet,etpeut-êtred'autresinstruments.

—Unlacetétrangleurparexemple.(Jasonmontradudoigtunemarquesurlachairnécroséeducou d'Eris. Sa peau dorée par le soleil n'était dorénavant plus que la demeure de créatures qui senourrissaientdechair.)Celapeutavoirété lapremièreattaque.Suffisantepourneutraliser l'angeetdonneraumeurtrierletempsd'infligerplusdeblessures.

Les humains taxaient le genre angélique d'« immortel », mais il n'y avait peut-être qu'un seulvéritableImmortelaumonde:Lijuan.Lerested'entreeuxétaitsimplementtrèsdifficileàtuer.

—Ilétaitattaché,ditMahiyaenindiquantlesmarquesencorevisiblessurlespoignetsd'Eris.(Ladécompositiondelachairavaitexposél'os.)Pourquelapeausedécomposeaussivite...

—Ilfautquelesliensaienttranchéjusqu'àl'os.(Celaexpliquaitaussileséclaboussuresd'unsangcristallinsouslespoignets.)Ilétaitsuffisammentpuissantpourbriserdescordesordinaires,celles-làdevaientcontenirunmétalquelconque...

—Oupeut-êtreletueura-t-ilutilisédeslacetssupplémentairesenguisedeliens?suggéraMahiya,unehésitationdanslavoix.

Jasonsedemandaquelgenredevieexactementlaprincessepouvaitavoirvécupourfairelamême

déductionfroidequelui,avantmêmequ'ilaitfinideparler.—Oui.Nehaaurait-ellepuledétacheretsedébarrasserdespreuves?Les gestes d'une femme qui n'aurait pas voulu qu'on découvre son amant attaché et impuissant.

MaisMahiyasecoualatête.—Non,elleestentréedanslapièceseulementtrentesecondesavantmoi.Cequisignifiaitqu'onavaitvolontairementlaisséErisainsi-exposécommeuntrophée,ouune

miseengarde.MaisquioseraitselivreràunteljeuavecNeha?UnautremembreduCadre?C'étaitune possibilité à étudier. Tout comme la méthode employée pour le meurtre. Eris n'avait passimplementété tué : il avait été torturé.Làencore, sa souffrancepouvait avoireupourobjectifdeblesserNeha,maisilsemblaityavoirquelquechosedeprofondémentpersonneldanscetacte.

Toutsemblaitindiqueruncontactproche,del'étranglementjusqu'àlamanièredontlesorganesdel'ange avaient été retirés - par une lame émoussée, si Jason analysait bien les traces sur les os. Ilsentait en son for intérieur que le cerveau avait été gardé pour la fin, et qu'il y avait donc uneprobabilitéélevéequ'Erissoitrestéconscientpendantqueletueurtailladaitlesdifférentespartiesdesoncorps.Ilavaitdûêtresubmergéparladouleuretlaterreur...cequiexpliquaitlachairànuautourdesabouche,etlescoupuressursalangueetseslèvres.

Unbâillonquelconquepourétoufferseshurlements.Il se releva et recueillit les vêtements d'Eris, le pantalon de soie et la veste brodée de dessins

traditionnelsquidevaitlaisservoirsapoitrinemusclée.—S'habillait-ilainsinormalement?—Oui.Iln'étaitjamaisnégligé,maisilavaitdepuislongtempsrenoncéauformalismedelacour.Au lieu de quoi, pensait Jason, il avait opté pour une allure sensuelle susceptible de séduire sa

femme.Unefemmequineluiavaitpaspardonnéentroiscentslonguesannées.Détaillantlapièceduregard, Jason vit un sol propre sous la récente effusion de sang, des statuettes lustrées, desmursimpeccables.Visiblement,desdomestiquesavaientleursentréesdanscepalais.

Ainsiqued'autres,serappela-t-il.Kallistos,levampirequiavaitcherchéàtuerDmitri,connaissaitlalocalisationdelamaisond'Eris

aux États-Unis, bien que cela fût un lieu oublié de la plupart. Il y avait de fortes chances que levampireaitreçucetteindicationd'Erislui-même,enretourd'unefaveurquelconque,ouàsoninsu,enassemblantdesbribesd'informationsquecedernierauraitlaisséeséchapper.Entoutcas,accéderàcepalaisn'étaitpaschoseimpossible.

—J'enaiassezvu.Ilpritladirectiondel'archeparlaquelleilsétaiententrés,attendantMahiyapourqu'ellenerestât

pasenarrière,bienqu'ilaiteuleloisird'estimerqu'ellenereprésentaitpasundangerlorsqu'ellesetrouvait dans son dos.Certes, elle pouvait se déplacer aussi silencieusement que le vent,mais pasassez pour le surprendre. De plus, elle n'avait pas d'armes lourdes sur elle ; son sari tombaitparfaitementautourdesesformes,épousaitsataillenuesousledrapé.

Sadémarcheétaittropfluidepourqu'elleportâtunfourreausurlacuisse,etsesbraceletsétaienttrop fins pour dissimuler un lacet. Toutefois, les aiguilles dans ses cheveux étaient très pointues.Utiliséescorrectement,ellespouvaient rendreunhommeaveugle, luicouper lacarotide,oumêmearrêtersoncœur.Lesarmesd'unefemmequin'étaitpasuneguerrièreentraînée,maisquin'avaitpasl'intentiond'êtreunevictimepotentielle.

Jason sentitunevolutede fascination inattendue s'éveiller en lui.Quelsautres secrets caches-tu,princesse?

Desescalierssuffisammentlargespourunêtredotéd'ailesmontaientsurladroite,aprèsleseuil.Lafaiblelumièredelalunetombaitsursesmarcheslesplusélevées,coloréederougeetdebleuparleverreteintéd'unefenêtrequiétaitpeut-êtrelarged'unequarantainedecentimètres,maishauted'aumoinsunmètre.Ilgrimpa,ignoralecouloirmenantauxchambres,ettournaàdroite-pourfranchir

uneporteàdoublebattantproched'uneautrefenêtredeverreteint.Elles'ouvraitsurunlargebalconfermédetouscôtésparunepierresculptéeendélicatsfiligranes

quipermettaientàErisd'observer lacour toutenétantcachédeceuxqui s'y trouvaient.Délicieusedanssonexécution,c'étaitunetrouvaillearchitecturalecommuneauxtempsanciens,bienquedanslaplupart des cas, elle ait été utilisée par les hommes pour dissimuler leurs maîtresses et leursconcubinesàlavuedeceuxquipouvaientlesconvoiter.

Avançantvers le filigranedepierre, il se retrouvaà regarder lavilleau-delàdu lac,aupieddufort.Lavueduprécipicequiyconduisaitavaitsansdouteétéunepaisibletorturepourunêtreailéàquiilétaitinterditdechevaucherlescourantsaériens.

—J'avaisentenduunerumeurselonlaquelleNehaaurait rognélesailesd'Eris justeaprèsavoirdécouvertqu'illatrompait.

Malgré la profanation que le corps d'Eris avait subie, les ailes que Jason venait de voir étaientintactes.

—J'étais trop jeuneà l'époquepourm'ensouvenir,ditMahiyade làoùelle se tenait,unemainposéesurlemontantdelaporte.Maisjel'aientendumurmurerpard'autres.Quoiqu'ilensoit,ellen'apas réitéré lapunitionune foisque ses ailesont repoussé... et je croisqu'elle a regretté l'avoirjamaisfait.

L'amour,pensaJason,pouvaitêtrelaplusterribledesfaiblesses.—Jason,jesuisdésolédet'avoireffrayé,fils.Jen'avaispasl'intentiondememettreencolère.Avançantplusloinsurlebalcon,ilprit lamesuredesfenêtreslelongdumurintérieur,chacune

composéededixmorceauxdeverreteintésdevertetderouge.Chacundescarreauxétaitdelatailled'unepaume;ilsfaisaientunjolieffetcontrelapierredupalais.Leverreseretrouvaitsurlesportesouvertesquiabritaientunechambre.Celle-ci semblaitoccuper laplusgrandepartiede l'étage.Lesmursenétaientdoucementincurvéspourépouserlecœurdupalais.

Unsuperbechandelierrépandaitunelumièrevacillante,étouffée,depuisleplafond.Sesbougeoirsencristalberçaientunmillierdebougies.Nombred'entreellesétaiententièrementconsumées,sinonlalumièreauraitétéplusvive.

— Eris n'aimait pas la modernité ? demanda-t-il à la jeune femme qui venait d'entrer dans lachambre.

—Non.C'estjustequ'ilpréféraitlalumièredesbougiesdanssesappartementsprivés.Cequisignifiaitquelapiècedubasdevaitservirdelieuderéception.—Combiend'invitésétait-ilautoriséàrecevoir?—Cela dépendait de l'humeur deNeha. (Une réponse qui en disait long sur l'existence d'Eris.)

Jamais aucune femme, excepté Neha et moi. Même les serviteurs qui travaillaient dans ce palaisétaientdeshommes.

Pour quelqu'un qui avait été le favori de ces dames, cette souffrance avait dû être pire quel'amputationd'unmembre.

—Penses-tuquecetterègleétaitobservée?—Jepensequ'Erisn'avaitaucuneenvied'accentuerlacolèredeNeha.Cela ne répondait pas à la question, et la manière dontMahiya avait tourné la tête hors de la

lumièremontraitqu'elleensavaitplusqu'ellenevoulaitbienledire.LechasseurquisommeillaitenJasonfinitdes'éveiller.

— Comme le dit le proverbe, murmura-t-il tout en s'interrogeant sur la véritable loyauté de

Mahiyaetsursessecrets,chassezlenaturel,ilrevientaugalop.Erisn'avaitjamaisétéenclinaurenoncementdesanaturelorsquelesfemmesetlesexeétaienten

jeu.Une conquête enadorationdevant le visagedivin de l'affilié deNeha.Des yeux enflammésd'un

désirfarouche.Jason avait été témoin de cette scène approximativement un siècle et demi après lemariage de

Neha,aucoursd'unbaldonnéparl'ArchangeUram.Àl'époque,ilavaitimputéàlavanitémasculinelesourirequ'Erisavaitadresséenréponseàcetteinvitationsensuelle.Iln'auraitjamaispenséquecedernieroseraitaccepterunetellesollicitation.

Pourtant,Erisaimaittantqu'onflattesonegoqu'ilavaitconçuunenfantaveclasœurdecellequ'ilavait juréd'honorer.Jasonneseleurraitpassurunéventuelamourd'ErispourNivriti- l'affiliédeNeha s'était toujours montré narcissique, ne s'était jamais soucié que de lui-même. Et, malgré laviolationdesonserment,ilavaitsurvécu.Yavait-illàdequoidissuaderunhommedeserisquerunefoisdeplusàséduireunemaîtresseentrelesmursmêmesdesaluxueuseprison?

—Dis-moi,demanda-t-ilàMahiyaenl'épinglantduregard,est-cequ'Erisavaitunemaîtresse?Elleavaitévitésaprécédentequestion,etnes'étaitrenducomptequetroptardqu'elleavaitainsi

trahiunsavoiretunecuriositéquiallaientau-delàdesasupposéecandeur.Ellenepouvaitmettrecefauxpasquesurlecomptedelasurprise-ilavaitétéplutôtdéroutantdeparleravecquelqu'unquil'observait sans la juger et sans pitié dans le regard, et qui n'avait pas remis en cause sa finessesimplement parce qu'elle restait silencieuse... Jason était trop malin pour avoir ce type decomportement. Ilgardait sespenséespour lui, etpourtant, ellen'avaitpasdoutéun instantque sonintelligenceétaitaussipénétrantequ'unepointedeflèche.

Désormais, plongeant ses yeux dans ceux d'un marron profond et impénétrable qui ladéshabillaientjusqu'àl'âme,ellecompritqu'ilétaittroptardpourremettresonmasque.

Jasonl'avaitpercéeàjour.Elleressentaituneétrangesatisfactionàpouvoirmontrersonvraivisage.— Je n'ai pas de preuve d'une nouvelle infidélité, dit-elle,mais dernièrement ilm'est arrivé de

saisiruncertainmuscdansl'air.Une femmenedevraitpassavoirde telleschosessursonpère,maisàpartceluidusang, iln'y

avaitjamaiseudelienentreErisetMahiya.—Tunel'aspasditàNeha.Cen'étaitpasunequestion.Mahiyasoutintlalameobscuredeceregard.—Pourrienaumondejeneserais lemessagerdetellesnouvelles.(Nehal'aurait jetéeausolet

auraitmisuntermeàsaviesur-le-champ.)Libreàtoid'essayer.Saréponseàcedéfifutcalme:—Voyonsd'abordsicelas'avèrenécessaire.L'allégresse dans son sang se transforma peu à peu en glace tandis qu'elle l'observait explorer

chaquecentimètredupalaisquiavaitétélefoyerd'Eris.ElleconnaissaitlaréputationdeJason,maiscen'étaitquemaintenant,aprèsavoirététémoindesaméthodeméticuleuse,approfondie,qu'elleserendait compte du niveau exact de ses compétences et de son dévouement à la tâche. Elle compritqu'aucundesesplansneverraitlejours'ildécidaitdemettresesaptitudesauservicedeNeha.

Serrant lesdentspourréprimerunfrisson,elleserenditcompteque lesgrainscommençaientà

s'égrener plus rapidement dans le sablier. Les Sept étaient supposés être une unité incorruptible,immuniséecontretoutetentativedeséductiondéployéepard'autresauseinduCadre,maisNehaavaiteuunelueurdansleregardquidisaitqu'elleavaitunatoutdanssamanche.Sitelétaitlecas...Mahiyaet ses intentions de rébellion auraient dû disparaître longtemps avant que Jason accepte l'offre del'Archange.

Son cœurbattait si fort contre ses côtes qu'elle en avaitmal.Elle repoussa cespenséesdepeurqu'ellesnelatrahissent,etsuivitJasondansunegrandechambred'ablutionsàl'étagequisetrouvaitsouslasallederéception.Desvolutesdevapeurs'élevaientdel'eauclaire.

— C'était censé être éteint, dit-elle, sentant que les fins cheveux de sa nuque commençaient àfrisotteravecl'humidité.Jem'enoccuperaiaprèsnotredépart.

Sansrépondre,Jasoncommençaàmarcheraubordd'unbainsigrandqu'ilaurait facilementpucontenircinqangesadultes.Sonstyleétaitancien,maislapièceavaitétéconstruiteenmêmetempsque lepalaisdédiéà l'incarcérationd'Eris,etcedernierenavait faitbonusage.Plusd'une foisoùMahiya avait été envoyée parNeha pour voir si Eris avait besoin de quoi que ce soit, elle l'avaittrouvéentraindeparesserdanslebain.—Nehanet'apasencoretranchélagorge?(Unsoupirennuyé,sesailesdéployéespendantqu'il

setenaitappuyécontrelesrebords,sesbrasallongéssurlescarreauxpeintsramenésd'Italiepardescoursiersangéliques.)C'estbiendommage.

Lecoupdepoignarddusouvenirne suffitpasà lui fairemanquer lemouvementdupoignetdeJasonquandilfitglisserquelquechosedanssapoche.

—Qu'est-cequec'est?Nisurpriseniculpabilitésursonvisage.—JesupposequecelaappartientàEris?demanda-t-ilenressortantl'objet.Elle avança pour se tenir plus près de lui qu'elle ne l'avait été jusque-là, elle examina l'épaisse

bague en or sertie de tanzanite, pleinement consciente de l'intensité pénétrante avec laquelle laconsidéraitlemaîtreespion.

— Oui. (Seuls des siècles d'entraînement empêchèrent sa voix de se briser sous la pressionsilencieuse,inexorable.)Pasunedesespréférées,doncilatoutàfaitpul'oublierici.

Jasonladéposadanslamaindelajeunefemme.—Jenevoudraispasêtreaccusédevol.Àcesmotsacerbes,prononcéspourtantavecdouceur,Mahiyasentitlerougeluimonterauxjoues.—Mesexcuses.Jenevoulaispaslaisserentendrequoiquecesoitdecegenre.Cequ'ellevoulaitdire,c'étaitqu'illuidissimulaitquelquechose.Etc'étaitinacceptable.—Regarde-la,Eris.Ellealesyeuxdetonpère-ilssontsiparticuliers.DesmotsqueNehaavaitprononcésenunchuchotementvenimeuxunjourqu'Erisl'avaitmiseen

colère, un siècle plus tôt. À cette époque-là,Mahiya avait déjà pleinement conscience de l'uniqueraisonpourlaquelleelleétaitencoreenvie.Désormais,Erisétaituncadavrequinepouvaitplusêtretorturéaveclecouteaudenteléqu'étaitlaprésencedesonenfantillégitime.QuantàNivriti,ellegisaitdansquelquetombeoubliée,lachairenpoussièreetlesosblanchisparlessiècles.

LaseuleencoredecemondeàquilavuedeMahiyarestaitpénibleétait...Neha.Laprincessedevraitfaireensortequel'Archangenes'enrendepascompte,aussilongtempsque

possible.Elle était presqueprête à s'échapperdu fort.Presque.Mais cen'était pas assez lorsqu'uneArchangevousdétestaitavecuneanimositéquiduraitdepuistroissiècles,uneanimositéquiétaitunepointeacéréeenrobéedepoison.SaseuleutilitéauxyeuxdesatanteconsistaitàsurveillerJason.Dèsl'instantoùellefaillirait,elle iraitrejoindresamèresousterreet lesasticotsserepaîtraientdesoncorps.

Jasonne répondit pas à ses excuses, et se tournapour regagner l'étage supérieur. Il alla jusqu'àl'entréeprincipaledupalaissansralentirsamarche,etelleseretrouvapresqueàcourirpourresterà

sa hauteur ; les plis nets de son sari s'évasaient devant et autour d'elle. Le souffle court, elle sedemandas'ilcherchaitàl'humilierdevantlesgardes.Sitelétaitlecas,ilferaitchoublanc-lesgardesl'avaientvuedansdessituationsbienplusavilissantes.Leclaquementd'unfouet.Lefeusursondos,unliquidecollant,traçantsoncheminlelongdesachairfendue.Jasons'arrêtasoudaindevantlesportesencorefermées.Savoixfitvolerenéclatslesouvenirde

lapunitionquiluiavaitétéinfligéedanslacourintérieuredeNeha,lefouetmaniéavecaisanceparleCapitainedelaGarde.

—Mesappartements?demandaJason.Savoixétaitsipurequ'ellesedemanda,etcen'étaitpaslapremièrefois,àquoisonchantpouvait

ressembler.—Danslepalaisdel'autrecôtédelacour,dit-elle,parvenantàpeineàempêcherl'unedesesailes

deglissersurcellesdeJasonalorsqu'elles'arrêtaitàsontour.Cen'étaitpasunhommequ'unefemmepouvaittouchersansyavoirétéinvitée.Ilouvritlaporteetattenditqu'ellepasseenpremier.Politesse,pensa-t-elle-illuiavaitoffertson

dosplustôtetavaitdonccessédelaconsidérercommeunepossiblemenace.Elleavaittropd'espritpratiquepours'ensentirinsultée.SiJasonvoulaitlablesser,ellenepourraitdetoutefaçonrienfairepour l'en empêcher.Des centaines de guerriers, anges et vampires vivaient dans l'enceinte du fort,mais le seul entraînement martial que Mahiya avait reçu venait de ce qu'elle avait pu glaner enétudiantleursséancesencachette.

Personne,pasmêmelafemmelaplusdéterminéeàseprotégercoûtequecoûte,nepouvaitdevenirmaîtredansl'artdelaluttesimplementenobservant,puisententantdecopierdesmouvementsdansl'intimitédesachambreoul'isolementdesmontagnes.Etellenepouvaitsepermettrededemanderdel'aideàquiquecesoit.

Sapremièreamitiéentantqu'adulte-deuxcentsansplustôt-s'étaitsoldéeparunbaindesang.L'angeaveclequelelleavaitsympathisés'étaitretrouvéaveclesbrasetlesailesexciséspourundélitapparemmentsansrapportavecleurrelation.Mahiyan'oublieraitjamaislamanièredontlesangdeson ami avait recouvert la pierre de la cour des guerriers, assombrissant le granit jusqu'à ce qu'ildeviennepresquenoir, pendant que seshurlements se répercutaient sur lesmursdesbaraquementsalentour.

Elleavaitretenulaleçondecetépisodemonstrueuxetn'avaitplusjamaistentédetisserdesliensavecceuxdelaforteresse,quitteàcequ'onlaperçoivecommeunecréaturevaniteuse.Mieuxvalaitcelaqued'avoirleurshurlementsrésonnantàsesoreilles,commejusqu'àcejourceuxdujeuneange,bienqu'ilfûtdepuislongtempsguéri.Personnen'ajamaisvuJasonarriver.Personne.Lesmotsentendusparhasardrevenaientàsonespritalorsqu'elleatteignaitlacour.Ellel'entendit

direquelquechoseauxdeuxangesquiprotégeaient laporteavantqu'ilneréapparaisseàsescôtés.Ellejetauncoupd'œilauxailesdel'espionpendantqu'ilstraversaientendirectiondupalaissituéducôtéde lamontagne.Elles'attendaità lesvoirargentéespar la lumièrede la lunedécroissante toutcommel'étaientlessiennes,maisiln'yavaitquel'obscuritédansledosdeJason.Siellen'avaitpassuqu'ilétaitunange,elleauraitpenséqu'ilétaitunvampire.

Battantdescils,ellelesregardalonguement,mêmesic'étaitimpoli.—Commentfais-tucela?Ilneluidemandapasoùellevoulaitenvenir.—Undonnaturel,aiguiséparletemps.Conscienteque ceprédateur - fascinant, sombre et intrigant - était plusmeurtrierque tous ceux

auxquelselleavaitfaitface,exceptéNeha,ellemontalesmarchesdupalaisoùJasonvivraitletempsdesonséjour.L'édificen'étaitpasouvertementgardé,maisseulunsimpled'espritenauraitdéduitque

leslieuxn'étaientpassoumisàunesurveillanceconstante.Lorsqu'elleenfranchitlesportesetseretournapouryinviterJason,ils'arrêta.—Tuvisici,dit-il.—Oui.Etilenavaitétéainsidepuisqu'elleétaitrevenuedel'écoleduRefuge,maisilnes'agissaitpaslà

d'unfoyer,etceneleseraitjamais.Bientôt, se promit-elle, bientôt j'aurai un lieu où je serai en sécurité, libérée de l'amertume

haineusedeNehaetdel'ombred'unpèrequineconnaissaitpaslasignificationdumotfidélité.Baissantlatêteenunsigned'apparenteservilité,depeurqueJasonn'envoietrop,ellereprit:—Jevaisteconduireàtachambre.Illasuivitàl'étage,etdanslavastepiècequidonnaitsurlacour.C'étaitlachambrequ'elleavait

autrefoispartagéeavecArav,dontelles'étaitcrueaimée.Avidedeconnaîtrelebonheur,ellen'avaitpasvouluvoirlavéritéavantqu'elleneluiéclateauvisage.— Tu as été un divertissement des plus amusants. (En riant, il lui donna une petite tape

condescendante sur la joue devant son expression médusée.) Et plutôt délicieux. Mais Neha aapprouvémapropositionterritorialeetj'aibienpeurdedevoirretournersurmesterresetdecesserdeparticiperàtesplaisirs.

Lafemmenaïve,jeuneàenbriserlecœur,qu'elleétaitalorsavaitdisparu,maisMahiyarefusaitdelaisser le venin deNeha l'infecter. Elle savait bien qu'Arav ne l'avait utilisée que parce qu'il avaitdevinéquesadouleurraviraitl'Archange.C'étaitunetachesurl'honneurdecethommemaispassurceluideMahiya.Elleaimeraitdenouveau,etelleleferaitdetoutsoncœur;elleessaieraitdemenersaviedansl'espoiretlajoie.

—As-tu besoin de quoi que ce soit ? demanda-t-elle aumaître espion qui, comme son instinctfémininleluimurmurait,étaitbienplusdangereuxpourellequ'Aravnel'avaitjamaisété.

—Non.Reculant, elle ferma les portes de bois derrière elle et se rendit rapidement dans sa propre

chambre, située juste à côté de la sienne. Mais elle savait qu'elle arriverait trop tard, et ce futeffectivement le cas. Quand elle ouvrit les portes du balcon qu'elle partageait avec lui, le maîtreespiondeRaphaëlavaitdéjàdisparudansl'aubegrise,cebaiserd'adieudelanuit.

Glissant sur les vents froids de l'heure qui précédait le lever du soleil, Jason parvint à unatterrissagefacilesurl'épaisrempartduFortProtecteur.IlsurplombaitleFortdel'Archangeetétaitconsidéré comme son extension, un endroit où un nombre considérable des gardes angéliques deNeha avaient installé leur foyer. Vu depuis ces murs puissants, le Fort de l'Archange était uneimposantemasseencoreassoupie,bienquel'éclatdeslumièresquibrûlaientçàetlàauxfenêtresluimontrât que le lieu ne dormait jamais vraiment.Comme cela devait être. LaTour àNewYork nedormaitjamaisnonplus.

Ilvitunangeseposersurlefortencontrebasàcetinstant.Àsonarrêtplutôtrudeendeuxsimplesbattements d'ailes arrière, Jason l'identifia comme étant l'un des gardes guerriers. Ces derniersn'étaient pas exclusivement des anges - Neha avait sa part de vampires à toutes les positions,n'affichantaucunpréjugéquipourraitêtreperçucommeunefaiblesse.

Sielleenavaiteu,ellesavaienteupournomAnoushkaetEris.Mettantlamainàsapoche,ilenressortitlepetitobjetqu'ilyavaitdissimulé,netendantàMahiya

quelalourdebagueenorensapossession.Ill'avaitgardéeaucasoùilenauraiteubesoin,cequis'était révélé judicieux. Il ne s'était malgré tout pas attendu à ce que Mahiya surprenne sonmouvement. C'était quelque chose d'autre à ajouter au mystère de plus en plus intrigant de cetteprincesse,quidécidément l'observaitavecdesyeuxquiensavaientbeaucoup troppourunefemmequiavaitpassétoutesavied'adultecloîtréederrièrelesmursd'unsomptueuxpalais.Puisilutilisasonextraordinairevisiondenuitpourétudierladécouvertequ'iln'avaitpasrendue.

D'après son apparence, la bague appartenait à une femme : des fils d'or fin tissés autour d'une

opale.Mêmesanstenircomptedumotifféminin,elleétait tropétroitepourallerneserait-cequ'aupetit doigt d'Eris. Et Neha était connue pour ne pas aimer les opales, considérant qu'elles étaientsynonymesdemauvaisprésages.Labaguenepouvaitdoncluiappartenir.

L'annulaire de Mahiya... oui, cela lui irait. Mais Jason avait l'intime conviction que les opalesn'étaient pas les pierres précieuses de prédilection de la princesse. Visiblement, il avait aperçuquelquechoseque saconscienceneparvenaitpasencoreà formuler,maisqui le rendait sûrd'unechose : siMahiya était libre de ses choix, elle porterait des bijoux lumineux, joyeux, des pierrescommelacitrineetlepéridot,l'aigue-marineetdesdiamantscanaris.—Améthyste.C'estcommeçaqu'ondit?—Presque.Là,écoute-moileprononcerdenouveau.Améthyste.Ilbattitdescilspourdissiperlefragmentdesouvenir,etseconcentraunefoisencoresurl'anneau.

C'étaitlegenredebaguesimplequ'unefemmepouvaitporterquotidiennement,quiavaitpeut-êtreunevaleursentimentale.Sansprétention,elleétaittoutdemêmesertied'uneopaledebellecouleuretsondessinportaitlamarqued'unexpertenbijouxqueJasonconnaissait,àJaipur.Ilyavaitpeudechancesqu'elle appartienne à une domestique, à supposer même que ces dernières aient été autorisées àpénétrerdanslepalaisd'Eris.

Compte tenudespenchantsd'Eris,uneexplicationinnocenteà laprésencedubijouchezluiétaithautement improbable.Siuneautre femme -unemaîtresse - avait franchi lesmursde sa luxueuseprison,celan'avaitpusefairesanslebonvouloiretlesilenced'aumoinsunepairedegardes.Beauparleur,ill'atoujoursété.À la richesse et au charme inhérent d'Eris s'ajoutait peut-être la complicité des gardes.Certains

parmil'élitel'avaientservidurantdessiècles,etcelapouvaitavoirsuffiàleurfaireoublieràquiilsdevaientrendredescomptes.Nehaavaittoujoursdrapésonaffiliédanslesfourruresetlessoieslesplus chères, lui avait offert les bijoux les plus époustouflants - s'il en avait « perdu» unoudeux,l'Archangenel'auraitsansdoutepasremarqué,etquandbienmême,nes'enseraitpassoucié.

S'iln'yavaitpaseudepots-de-vin,ilpouvaits'agirplussimplementd'unélandesympathiedelapart de ces hommes envers lemari volage.Dans la plupart des unions angéliques, un tel écart deconduite aurait signifié la fin de la relation et non une vie entière de confinement, avec le ciel àjamaishorsd'atteinte.Oui,Jasonpouvaitimaginerdequellemanièrelesgardesavaientétéenclinsàregarderailleurspendantqu'Erisbatifolait.

Quant à la première rencontre, un domestique encore loyal pouvait avoir servi d'entremetteuraprès qu'Eris eut aperçu l'objet de ses désirs à travers la dentelle de pierre du petit balcon quisurplombaitlacour.

Ayantimprimédanssamémoireledessindelabagueets'étantassuréquerienn'yétaitgravé,illafit glisser dans sa poche. Il n'avait pas encore assez d'informations pour découvrir le nom de sapropriétaire,maisilsavaitoùchercher.Pasdanslepremiercercledelacour...niaucœurdecelle-ci.Elledevaitsetrouveràsalisière,unebellefemmequiavaitlesentimentdenepasavoirreçusondû.Quelqu'unquiauraitétéàlafoisflattéeparlesattentionsd'Erisetpleinedefiertéd'avoirtrompéuneArchange.

Aprèstout,elles'étaitmontréesuffisammentaudacieusepourporteruneopaleàlacourdeNeha.C'était un jeudangereuxquequiconqued'unpeuâgé et dotédebon sens refuserait ; elledevait

doncêtrejeuneetsuffisammentimpressionnablepourrépondreauxflatteriesd'Eris.Découvrirsonidentitésignifieraitentrerdanslechampdebataillequ'étaitlacour,cequeJasonn'avaitaucuneenviede faire. C'étaitMahiya, avec ses yeux lumineux de chat et son silence envoûtant comme le chantnocturned'unloup,quiavaitlescompétencesadéquatespournaviguerdansceseaux.—Oupeut-êtreletueura-t-ilutilisédeslacetssupplémentairesenguisedeliens?PeudechosesfascinaientJasonaprèsunevieentièrepasséeàdéterrerdessecretsetàécouterles

vérités lesplusnoires,mais il se surprenait à revenir sanscesseà l'étrangeprincesseMahiya,unefemmequinecollaitpasàsonenvironnementetdontleregardrecelaitdessecretsplusanciensqu'ilsn'auraientdûl'être.

Celaimportaitpeu.Ellen'étaitqu'unecuriositéintellectuelle,quiperdraitsonintérêtdèslorsqu'ilconnaîtrait chaque facette de sa personnalité. Il en était certain. Rien ni personne n'était parvenu às'infiltrer sous sapeaudepuis le jour où il avait creuséun trouprofond sous l'ombrede joyeusesfleursd'hibiscusjaunes,aucridesmouettess'ébattantau-dessusdesatête.

Déployantsesailesaveccettecertitudeprésenteàl'esprit,ildécolladuFortProtecteuretenlongeala crête avant de s'élever à tire-d'aile haut dans les cieux d'un gris sombre, les nuages encoresuffisamment lourdspour le cacher auxyeuxdes sentinelles.C'était là, loin au-dessusde laTerre,qu'ilsesentaitchezluiplusquen'importeoùaumonde.—Plusdoucement,Jason!Unemainagrippafermementsachevillecommeilemmêlaitsesailesetmenaçaitdepiquerdunez.—Père!—Jesuislà,fiston.Étendstesaileslentement...oui,commeça.Attrapantsonautrecheville,sonpèrelepoussaplusloindansleciel.—Jevaistelâcherdenouveau.Prêt?Prenant une profonde inspiration, Jason répondit : « Oui » et sentit son estomac dégringoler

lorsquesonpèreouvritlesdoigts.Iltombait!Saufquecettefois,aulieudeluttercontrelevent,ilyplongea,luipermettantdeselaisserporter

au-dessusdes eaux étincelantesqui entouraient leurmaison. Sous lui, il pouvait voir, aumilieudubleu vert limpide de lamer, les rayures rouge et orange vif des poissons qui nageaient autour descoraux.Ilentenditl'exclamationjoyeusedesonpère,etilrit.Cen'étaitpasqueJasonnesavaitpasvoler.Iln'avaitsimplementjamaiseubesoindepratiquerdes

techniquespluscomplexes,d'allerplusloinqueletoitdeleurmaisonouau-dessusdesarbres.Maiss'ilvoulaitaccompagnersonpèredanslespetitesîlesinhabitéesqu'ilpouvaitdistinguerauloin-oùsonpèrecultivaitdesfruitsquesamèreaimaitparticulièrement-ildevraitapprendreàmaîtriserlescourantsaériensetàéconomisersonénergie.—Père!(C'étaituncrideplaisircettefois-ci.)J'yarrive!Tumevois?—Jesavaisquetuyarriverais,fiston!Bienjoué!Sonpèreapparutdevantlui,avecsesailesd'unnoirpur,misàpartlebrunprofondàlalisièrede

ses plumes primaires. Incliné contre le vent pendant une seconde, il glissa sur un autre courantascendantetrevintfaireletourdeleuratoll.Prenantexemplesurlui,Jasondécouvritquecen'étaitpassidifficiles'ilfaisaitcommesonpèrele

luiavaitapprisetqu'ilréfléchissaitavantd'agir.—Unvolefficacetientautantàdeschoixintelligentsqu'àuneforcebrute.Jasondécidadelui-mêmedechangersoninclinaisonlorsqu'ilserenditcomptequelatailleplus

imposantedesonpèreluidonnaitunavantage...etcelafonctionna!IIsesentitvéritablementportéparlesvents.Ilétaitimpatientdemontrercelaàsamère,etlorsqu'ilvitlevioletpâledesaprésence

au loin,alorsqu'ellevolaitverseux, il s'efforçad'allerencoreplusvite, sesailesd'unbleusombrebrillantdanslalumièredusoleil.Sonpèreluidisaitqu'ilétaitfaitpourêtreunéclaireurdenuit,toutcommelui-mêmel'avaitétédanssajeunesse,avantdesedécideràsuivresapassionpourlamusiqueetlacréationd'instruments.Jasonsedemandaitquand il seraitautoriséàvolerensolitairedenuit. Ilpensaitqu'ilaimerait

chasserlesétoiles,maisqu'ilsesentiraitseulaprèsunmoment.Glacéetseul.

InstallésurlebalconsansrambardedesonbureaudelaTour,Raphaelconsidéraitlerapportqu'il

venait de recevoir de Naasir. Le vampire se trouvait actuellement dans l'ancienne cité perdued'Amanat,ressuscitéedansunerégionmontagneuseduJapon.LacitéétaitcontrôléeparlamèredeRaphael,uneArchangeterriblementâgée,unevéritableAncienne.Leréveild'Amanatagagnéenvitesse,dit-ilàlafemmeauxcheveuxsipâlesqu'ilsenétaientd'un

orblanc,leursmèchesaccrochantlalumièreprojetéeparlesgratte-cielalentouralorsqu'ellevolaitenzigzaguantàunecourtedistancedelaTour.Nous nous y attendions. Elena plongea sur la gauche. Donne-moi une seconde, Ransom m'a

demandédel'aideràpisterunvampirefauteurde...Ah,jel'ai!De sa vue aussi perçante que celle d'un oiseau de proie,Raphael observaElena pendant qu'elle

donnait des indications au téléphone ; il perçut sa vague d'excitation lorsque le chasseur au solcaptura leur cible. Les affiliées angéliques étaient une espèce rare. À part Elena, seule Hannah,l'affiliéed'Elijah,pouvaitvraimentsetarguerdutitre.Mêmeavantsamort,etbienqu'ilaitétépolideparlerdeluiencestermes,lapositionqu'avaitoccupéeErisn'étaitenriencomparableàcelledecesdeux femmes.Celanevoulaitpasdirepourautantqu'HannahetElenaétaient faitesdumêmebois.Non,leurtempéramentetopinionsdifféraientautantquelefeuetlaglace.

Des deux, c'était en vérité l'affiliée de Raphaël qui était considérée comme une créatureparticulière.

—Pourquoicontinue-t-elleàtravaillerpourlaGuilde?avaitdemandéFavashiàRaphaëllorsdeleurdernière rencontre,unétonnement sincèredans lavoix.Necomprend-ellepas l'honneurdesaposition?Favashicroitquetudevraislaissertombertonpenchantpourlachasseauxvampiresettetenirà

mescôtéscommeuneaffiliéetraditionnelle.Sans vouloir la blesser-car Favashi semble assez correcte, comparée à Lijuan la créatrice de

zombies-elleconnaîtquedalleàmonboulot.LeslèvresdeRaphaëls'incurvèrent.—C'estexact.(Ilattrapasonaffiliéeparlataillealorsqu'elleprocédaitàunatterrissageàgrande

vitesse.)Tuteseraissûrement«explosélatête»,commetuledistoi-même,àcettevitesse.—Jesuisarrivéeaussiviteparcequejesavaisquetumerattraperais.Ilétaitunêtred'unepuissanceimmense,avaitvécumillecinqcentsans,etpourtant,elleavait la

capacitédelebouleverserpardesdéclarationsaussisimplesquecelle-ci.Saconfianceenluiétaitunbijoubrillantdesesinnombrablesfacettes.Ilfitcourirsamainsurl'arcdesonailegauche,àl'endroitleplusdélicieusementsensible.Elenaeutunfrissondélicatetlegrispâledesesyeuxsetroubla,lecercled'argentpurquisedéveloppaitautourdesesirisdevintplusvifdanslanuit.

—Donc,dit-elleens'appuyantcontreluiavecunprofondsoupird'aise,quepenses-tuquetamèrevafaireensuite?

—Jenesaispasencore.(Danscejeud'échecs,Calianeétaitunenouvellevenue.Personnenes'étaitattenduàdevoir lui faire face - et encoremoins le filsqu'elle avait laissé sanguinolent et le corpsbrisédansunchamp,loindetoutecivilisation.)Lorsqu'elles'estéveillée,ellen'avaitaucuneintentionderégnersurriend'autrequ'Amanat,maissapuissanceestentraindeserestaureretilyauneplacevacanteauseinduCadre.

LeCadredesDixs'appelaitainsidepuisquelegenreangéliqueécrivaitl'Histoire.Mêmelorsquedeux ou trois cents ans s'écoulaient avant qu'un Archange y accède, et que seuls neuf d'entre eux

régnaient, lenomnechangeaitpas.De tels intervallesnesignifiaient riendansunevied'Immortel.Cettefois-ci,lefauteuiln'étaitvidequedepuisunfragmentdeseconde,l'exécutiond'Uramremontantàmoinsdedeuxans.

—LeretourdeCalianemenacededéséquilibrerlastructuredupouvoirdanslemonde.(Bienqu'ilyaiteudesépoquesoùlenombredesArchangesétaittombéàsept,ilsnes'étaientjamaistrouvésàplusdedix.C'étaitunseuilnaturelquiassuraitdeszones tamponssuffisantesentre lesplusgrandsprédateursdelaplanète.)IlyaurabientôtunnouvelArchangequi...

— Qu'est-ce que tu entends par « bientôt » ? demanda Elena, rappelant à Raphaël combien lamortalitéétaitencoreancréeenelle,carl'immortalitéétaitundonquiavaitbesoindetempspoursedévelopper,s'installer.

—Unedécennie,unsiècle.(Ilinclinalatêtedelajeunefemmepourobserverunbleuqueluiavaitlaisséleurprécédenteséanced'entraînement.)C'estimprévisibleàceniveaudepuissance.

—Doncnousavonsletempsdetrouverunesolution.(Faisantglissersesbrasautourducorpsdel'Archange,elle tournalesyeuxverssoncherManhattan.)Etpuis,cen'estpascommesiquelqu'unétaitenmesuredestopperCalianesiellevoulaitrégnerdenouveau.

Non.Samèreétaittroppuissante.Elleavaitaussiperdul'espritlorsqu'elleavaitdécidédessièclesplus tôt deDormir.Maintenant, elle lui disait avoir retrouvé toute sa santémentale,maisRaphaëlsavait que la folie chez les anges les plus âgés pouvait être insidieuse. Lijuan en était un parfaitexemple.JasoncraintqueLijuannesoitentraindecréerdavantagedeRessuscites.Le rapport était arrivé une heure plus tôt, sonmaître espion continuant à contrôler son réseau

d'informateurstoutendonnantlachasseaumeurtrierd'Eris.—Quoi?!(Elenasecoualatête.)Çan'apasdesens...Cescréaturessontsicontagieusesqu'elles

s'abattraientcommelapestesursesterresetsurcellesdesautresmembresduCadre.Elleabienvucommentilspouvaientseretournercontreelle.Mêmeellen'estpascingléeàcepoint.Jenesuispassûrd'êtred'accordavectoi.—Elleestâgée,etceuxquilesontneréfléchissentpastoujourscommeilsledevraient.Elenapritsontempspourrépondre,sonregardsuivantunepetitetrouped'angesquivenaientse

posersurlebalconinférieur.—Elleapeut-êtretrouvéunmoyendecontrôlerledegréd'infection,etdes'assurerainsideleur

loyauté.—Sic'estlecas,riennepourral'arrêter.(LadernièrefoisqueLijuans'étaitmutinée,lerestedu

Cadre s'était allié pour l'exécuter, mais n'était parvenu qu'à l'aider dans son évolution étrange -dorénavant, sa formen'étaitpluscomplètementmatérielle.) Jedois trouverunmoyende renforcermanouvellecompétence.

Celle-ciétaitnéedesonlienavecsonaffiliéeaucœurmortel,etreprésentaitl'exactopposédelamort,quiétaitlamarquedeLijuan.

— Dommage que nous n'ayons plus l'élément de surprise. Sa main courant dans la soie descheveuxd'Elena,ilsourit.

—Tunousréserverastoujoursdessurprises,Elena.Tuesmonarmesecrète.Ellerit,delajoiedanslesyeux.—Est-cequeJasonaditquoiquecesoitausujetdeNehalorsqu'ilt'acontacté?— Le serment de sang stipule qu'il ne peut pas parler de ce qui se passe au fort, sauf si cette

informationdevientpublique.C'estunequestiond'honneur.Jecomprends.—J'espèrejustequ'ilestensécurité.(Unombred'inquiétudepassasurl'orsombredesestraits.)

LamanièredontNehasecomportaitladernièrefoisquejel'aivue...Elleneputréprimerunviolentfrisson.

—Jasonestunsurvivant.RaphaëlnesavaitpastoutdecequiétaitarrivéàJason,maisilavaitrassembléassezdepiècesdu

puzzle pour comprendre que l'ange avait vécu des choses qu'aucun enfant ne devrait jamaisexpérimenter.

Elenalevalesyeux,commesielleavaitentenduquelquechosequ'ilauraitrévéléinconsciemment.—Tut'inquiètesencorepourlui.Raphaëllarelâchapouravancerjusqu'àl'extrémitédubalcon.Sonespritétaitemplid'imagesd'un

jeune ange aux ailes noir luxuriant qui avait à peine parlé la première fois que Dmitri l'avaitrencontré.

—ContrairementàDmitri,Jasonn'ajamaiscourulerisqued'êtreblasé.Elena était venue le rejoindre, son aile effleurant celle de l'Archangedans ungeste intimequ'il

n'accepteraitdepersonned'autre.Ellereprit:—Tupensesquec'estentraindechanger?—Aucontraire.Dmitriestdevenuaussiblaséparcequ'ilagoûtéàtouslespéchés,s'estabandonné

sansretenueàsessens.Larondesansfindeplaisiretdedouleuràlaquelles'étaitlivrélevampireavaitétéunetentative

désespéréepouréchapperàunepertequil'avaitdéshumanisé.Ilrésultaitd'unteltraindevieunesorted'engourdissement émotionnel.Raphaël avait cruque riennepouvait plus atteindreDmitri, encoremoinsunemortelleàl'espritbrisé.

—Jason,lui,neseplongedansrien.Raphaël le connaissait depuis trop longtemps pour ne pas se rendre compte que même les

maîtressesqueJasonprenaitnetouchaientriend'autrechezluiquesapeau.Elenaexhaladoucement.—Ilestainsitoutletemps,n'est-cepas?Ilfaitpartiedecemonde...toutensetenantàl'écart.Une

ombrequines'impliquejamaistrop.Raphaël n'ajouta rien car c'était là la vérité. Son maître espion n'était pas blasé, mais il était

engourdibienplusprofondément.—Poursurvivreàl'éternité,murmura-t-il,Jasondoittrouveruneraisond'existerau-delàdusens

dudevoiretdelaloyauté.Ilprit encoupe levisagede la femme - sapropre raisond'être,qui faisaitde l'immortalitéune

promesseiriséeplutôtqu'uneroutesansfin.— De telles choses sont vitales et ne doivent pas être prises à la légère... mais elles sont

insuffisantespourfairefondreuncœurenfermédanslaglacedepuispresqueseptcentsans.

Jasonregardaàtraversl'unedesfenêtresdupalaisoùilrésidait,sonattentionportéesurlepetit

jardinclosquisetrouvaitducôtédelamontagne.Ilavaitdûtraverserlecentredelademeurepourlerepérer,etlaprincessen'avaitpasprislapeinedeleluiindiquerlorsqu'elleluiavaitmontrésasuite.Ilcomprenaitpourquoi.

Contrairementàlacourdevantlui,cetendroitcaché,coincéentrelepalaisetlehautrempartquiprotégeait lefort,semblaitavoirétépensécommeunjardind'agrément longtempsauparavant.Descanaux d'irrigation gardaient les fleurs en plein épanouissementmalgré le soleil du désert. Puis ilavaitétéoublié,laisséàl'étatsauvage.

Lesdallesouvragées,encorevisiblessurlescheminsserpentantentrelesbosquets,luiapprenaientqu'il avait été conçu par quelqu'un qui comptait y passer de longsmoments... ou qu'un être cher ypasse de longsmoments, un être dont on se serait suffisamment soucié pour lui créer un paradiscaché.Eris.Son esprit fit le lien qu'il recherchait : les dalles imitaient celles que Jason avait vues sur les

marches du palais d'Eris. Peut-être la demeure actuellement accordée aumaître espion était-elle àl'originelaprisond'Eris,etcejardinsondomaineprivé.Saufqu'Erisavait tentéd'utiliser le tempspasséàl'extérieurpours'échapper-cequiétaitparfaitementpossibledepuiscejardin,etavaitainsiperducetteinfimeliberté.

Jasonpritnotementalementdedéveloppersathéorieaveclafemmequimarchaitàprésentsurlescheminsdujardinsauvage.Ellelevalesyeuxàcemoment-là,etbienqu'ilfûtmasquéparlesombres,unelégèretensionenvahitledosdelaprincessesouslevertéclatantdesatunique.

L'ourletduvêtementdeMahiyaluitombaitau-dessusdugenou;dechaquecôté,desfentesàmi-cuisse lui autorisaient une certaine liberté demouvement tout en restant pudiques, la tunique étantportéepar-dessusunfinpantalondecotonquiépousaitsesjambes.D'unbleusombre,ilfaisaitéchoàl'épaisfestonquibordaitseslargesmanchesetlebasdesatunique.

C'était là des atours qu'il avait vus de nombreuses fois dans cette contrée, aussi bien sur lespaysannes et les domestiquesque sur les damesde cour.Leurs styles seuls variaient, les pantalonsétanttantôtlargesouprèsducorps;lestuniquesrasducououéchancrées,sedéployantcommeunejupeouaucontrairesoulignantlesformes;laplupartdutemps,unelongueétoletransparentevenaitcompléter la tenue.Ladifférence tenaitdans les tissus, lacoupe,et laprofondeurdesornements. Iln'étaitpasinhabitueldevoirl'unedesfavoritesdelacourarborerunvêtementfaitmainincrustédepetitesperles,ouprésentantunebroderiedefilsd'argentetd'orpurs.

Cematin-là,Mahiyaportait une soie légère,maisbienque la tunique épousât sa silhouette, ellen'avaitnibrillantsnibroderies.Sondécolletéétaitpeuprofondetn'offraitqu'unlégeraperçudesesépaulesdélicates,desapeaubrundoréquiresplendissaitsouslesoleil.Desmèchesroussesbrillaientçàetlà,sachevelureétantramenéeenunequeue-de-chevallâchequiatteignaitlemilieudesondos.Une armure,pensa-t-il. Mahiya utilisait ces vêtements conventionnels comme une armure, et il

comptaitbienlaluienlever.Grâceàsestalentsdedissimulation,ilpartitattendresonretouraurez-de-chausséedupalais.

—As-tu déjàmangé ? lui demanda-t-il, surpris par le rayon de lumière qui éclaira lemarronfauvedesesyeux,leurdonnantuneintensitéencoreplusgrande.

—Non.(Ellenetrahitaucunesurpriseouhésitationfaceà lui,commesielleavaitcomprisson

manègeetmisàprofitletrajetjusqu'àsarencontrepourenfilerunearmureémotionnelleautrementplusefficacequesesvêtementspasse-partout.)Onnelaissepasuninvitédéjeunerseul...monseigneur.

Dejolismotsquinesignifiaientrien.—MonnomestJason,répondit-il.Jen'aijamaisétéunseigneuretnesouhaitepasenêtreun,de

quelquemanièrequecesoit.Unbattementdecils.—Jenepeuxpast'appelerpartonprénom.Jasonpritenconsidérationlesmœursdelacontréeoùilsetrouvait,lescomparaaupeudetemps

passéavecMahiya jusque-là,àsonstatutdeprincesse,auxrègles implicitesde lacourdeNeha,etcomprit que, pour elle, utiliser son nom en public briserait une barrière et conduirait les autres àpenserquelesermentdesanglesavaitmenésàunerelationbienplusintime.

—Enprivé,alors,jesuisJason.Unhochementdetête,suivid'unsalutgracieuxdelamainetellelemenadansunepiècelumineuse

quisurplombaitlacourprincipale.Latableenboispoliquis'ytrouvait,etquiauraitpuaccueillirsixconvives,étaitdéjàdresséepourlepetitdéjeuner-leurssiègessituésl'unenfacedel'autre.

—Iln'yapasdeserviteursdanscepalais,exceptéceuxquiviennentfaireleménageunefoisparsemaine,dit-elleensoulevantlathéièrepourluiservirunetasseunefoisqu'ilseurentprisplace.Maisjepeuxdemanderquequelqu'untesoitattribuésic'estcequetusouhaites.

—Non.Ilbutunegorgéedu théau laitetauxépiceset reposasa tasse, souhaitantplutôtboireunverre

d'eau.LeregarddeMahiyapassadelatableàJason.—Cen'estpasàtongoût?(Avantmêmequ'ilnepuisserépondre,elleselevaetdisparutparune

petiteportepour reveniravecuneautre théièrequelquesminutesplus tard.)Peut-êtrepréféreras-tucelui-ci?

Legoûtpurduthénoirtouchaseslèvreslorsqu'ilportalatasseàsabouche,sesfeuillesprovenantsansaucundoutedesplantationsquisetrouvaientsurleterritoiredeNeha.

—Merci.Iln'avaitpasrefuséqueMahiyaleservecarsonempressementàreposerl'assiettequ'elleétaiten

traindepréparerpourengarniruneautre-quiluiconviendraitmieux-luiapprenaitautrechosesurelle.Elleavaitpriscettedécisionensefondantuniquementsursespenchantsenmatièredethé.

Unefemmeintelligenteauxmultiplesfacettes...quiaimaitàlaisserpenserlecontraire.Seservantàsontouraprèsluiavoirtendusonassiette,elledit:—Tuteréveillestôt.(Unregardpénétrant.)Outun'aspasdormi.Peut-êtreas-tuvolépendantles

heuresquiprécèdentl'aube?—Jenesuispasmortel.(Lesangesavaientbesoindesommeilaussi,maisplusilsvieillissaient,

moinsc'étaitlecas.Jasonsereposaitpeut-êtredeuxnuitsparmois,etcelaluisuffisaitpourconserversesforces.)Encequiteconcerne,tuauraisbesoindedormirdavantage.

Delégerscernesbleuâtresmarquaientsesyeux,etnepouvaientêtreimputésàuneuniquenuitdeveille.

Unregardsincèrementétonnéavantquesescilsneviennentdissimulersonexpression.—Jemeréveillequandtuteréveilles,monseigneur.—Jason.—Jason.Il ne s'agissait pas là d'une victoire, pensa-t-il, cette apparente capitulation n'ayant pas plus de

valeurqu'aucunedes amabilitésqu'elle lui avait dites.Cen'était pas là la femmequi avait parlédelacetsétrangleurs,offertde fouillerunepièceà la recherched'uneaiguillecrochetée.Elledressaitdevantelled'irréprochablesboucliersdecourtoisiepourcacherlavéritédecequ'elleétaitdurantcesheuresoùilavaitvolédanslanuitquis'enfuyait.

Décidantdenepasutiliserlaforcebrutepourpassercesdéfenses,maisplutôtunsubtilappâtqui

attiseraitlacuriositédontelleavaitfaitpreuveplustôt,ilreprit:—Parle-moidesgardesd'Eris.Ellereposasonthéetcommençaàparlerd'untonsereinquimontraitqu'elles'étaitpréparéeàla

question-signequ'elleavaitaussicomprispourquoiilpourraitavoirbesoindecesinformations.Ils'avéraqu'ilyavaitdouzegardesentout,uneunitédontl'uniquetâcheconsistaità«protéger»Erisenl'empêchantdesortirdesonpalais.

—L'unitéestcomposéed'angeshautemententraînés,etnecompteaucunvampire.Ungardeailésejustifiaitpourunprisonniercapabledeprendrelafuiteparlesairs.—Atonavis,quiatuéEris?Unautreéclairde surprise.Cette fois, ellenecherchapasà ledissimuler, et il compritquelque

chosed'autreausujetdelaprincesse;ellen'avaitpasl'habitudequ'onsollicitesonopinion,etencoremoinsd'êtreécoutéeaveclerespectqu'elleméritait.Personnen'estplusobservateurqueceuxqu'onconsidèrecommequantiténégligeable.C'étaitpourcetteraisonqueJasonplaçaittantdesesespionsparmilesdomestiques.

MaisMahiyan'étaitpasunebonneàtoutfaire,etilnelaconnaissaitpasassezpourjugersielleselivraitounonàunjeubrillantavecluietsison«vrai»visagen'étaitpasaussifauxquesonévidentefaçade. Une seule chose était sûre : la princesse Mahiya, avec ses épingles pointues comme descouteauxcachéesdanssescheveux,étaitdeplusenplusfascinanteauxyeuxdumaîtreespion.

—Ilnemerevientpasdeledire,répondit-elledansunsourire.(L'humilitédesaphrasesemblaitsisincèrequebeaucoupl'auraientprisepourargentcomptant.)Jen'aiaucunementtonexpérience.

Jason avait l'habitude d'attendre des heures, des jours, voire des semaines s'il le fallait pourdéterrerunevérité.

—J'aimeraisvoirlerestedufort,dit-il,permettantainsiàMahiyadecroirequ'ilnemettaitpasendoutesaréponsemesurée.

—Biensûr.(Lepetitdéjeunerterminé,ellenettoyarapidementlatableetleconduisitàl'extérieur.)Lefortesttropgrandpourquenousmarchions.Jepeuxt'enoffrirunevued'ensemblependantquenousvolonset...

—Non,conduis-moidirectementàl'endroitfréquentéparlacourofficielle.Ilrefusaitdeconstituerunecibleaucœurdubleudouloureuxduciel.Nehan'avaitaprioriaucun

intérêtàcequ'onluitiredessus,maiselleétaitaussiuneArchange.LeseulmembreduCadreenquiJasonavaitconfianceétaitRaphaël.

Mahiyahésita.—Situveuxbienm'accorderuninstant,jedoisretourneràmesappartements.Madameauraitdu

déplaisiràmevoirainsiàlacourprincipale.LorsqueJasonacquiesça,Mahiyasutqu'elleétaitpiégée.Elledevraitlaisserlemaîtreespionseul

pendant qu'elle se changerait, lui donnant une chance de se débarrasser d'elle une fois encore -toutefois, se rendre à la cour vêtuede la sorte n'était pas uneoption.Nehayverrait une insulte etattirerl'attentiondel'Archangeseraitcomplètementstupidedesapartàcetteétapedesonplan.Peuimportaitcequecelaluicoûterait,elledevaitravalersafierté,semordrelalangue,inclinerlatête,fairelenécessairepoursurvivreencoreunpeupluslongtemps.

RemerciantJasonpoursapatience,ellemontaàl'étageetdéfitrapidementlepetitrangdecrochetsà ses chevilles qui resserrait le coton effilé de sonpantalon.Parmi la jeunegénération, nombreuxétaientceuxquipréféraientporterdesjeansmoulantssousleurtunique,maisNehaétaituneArchangedelavieilleécole,préférantvoirlatraditionappliquéeauseindufort.

Les boutons qui fermaient les fentes pour les ailes lui donnèrent du fil à retordre lorsqu'ilsrefusèrentdes'ouvrir,maiselleparvintàenveniràboutetlaissatomberlatuniqueausol.Celafait,elleattrapanonpasunsarimaisunautreensembleavecunetunique.Jasonétaitcapabledeprendrelechemin des airs à toutmoment et,même siMahiya appréciait la grâce qu'un sari accordait à une

femme,celan'enfaisaitpaslevêtementleplusappropriépourvoler.D'undouxtissujaunegénéreusementbrodédefleursblanchesaucentredesquellessetrouvaientde

minusculesmiroirs,latuniqueétaitformelle,sanstoutefoiscontreveniràl'étiquettedudeuilimposéedepuis lamortd'Anoushka.Lepantalondecoton finqui recouvrait ses jambesétaitd'unblancquicontrastaitaveclatunique,toutcommelalongueétolequ'ellepliaàunelongueursage,plaçasursonépaulegaucheetrattachaàlatuniqueparunebrochequiappartenaitauxbijouxàsadisposition,maisquiprovenaientenréalitéduTrésor.

Sescheveuxétaientfacilesàcoiffer-ellelestiraenarrièreenunchignonsoignéàlabasedesanuque, l'y retenant avec des épingles en acier, aussi acérées que des aiguilles, qu'elle s'étaitdébrouilléepouracheteràunbohémiendepassagesansquepersonneyperde,troquantenéchangeunsaririchementorné.Lebohémienpensaitqu'ilavaiteulameilleurepartdeleurmarché,maislesépingles avaient donné à Mahiya un sentiment de sécurité inestimable dans l'obscurité, et luirappelaientconstammentqu'ellen'étaitpasunecréaturedocile,écrasée,maisunefemmecapabledelutterpoursondroitàlavie,àl'existence.

Ellelaissasonvisagesansmaquillage.Sesyeuxattiraientdéjàtropl'attention-ellenesouhaitaitpasaccentuercela.—Commetuasdebeauxyeux.Enfantdéjà,Mahiyanesavaitpaspourquoicesmotsluipesaientsurl'estomac.—Merci.Unlentsouriresurlevisagedel'Archangedontonluiavaitditqu'elleétaitsatante.—Cesontlesyeuxdetongrand-père.Lalignée,semble-t-il,necessedes'étendre.Quittant lesouvenirglaçant,elle fitglissersespiedsdansdessandalesà talonsplats,sesorteils

parfaitementàl'aisedanslecuircloutédecristal;lalanièreautourdesachevilleétantdécoréedelamêmemanière.PersonnenepouvaitreprocheràNehadenepasavoirdonnéàl'enfantqu'elleavait«adopté»toutleluxepossible.

Moinsdeseptminutesaprèsêtremontée,elleredescendaitencourant-pourtrouverJasondevantlepavillondelacour, lesmainsderrière ledosetsonattentionportéesur lepalaisquiavaitété laprison d'Eris. Elle soupira de soulagement alors qu'elle n'avait pas eu conscience de retenir sonsouffle.

Ilnesemblaitpasàsaplaceici,pensait-elle,saisieparlaroideurdesabeautémasculinependantqu'elleavançaitvers lepavillon. Iln'étaitpasassezapprivoisépour l'élégancepolicéeet les règlesrigoureusesduroyaumedeNeha.Car,dutatouagequicouvraitlecôtégauchedesonvisageaunoirimplacable de ses ailes, jusqu'aux lignes nettes de ses vêtements - un simple pantalon noir, unechemisedelamêmeteintesombre,desbottesnoiresetaucunbijou-toutenJasonhurlaitqu'ilétaitunhomme,unangequiavaitsuivisapropreroute,tracésonproprechemin.

IlpouvaitoffrirsesrespectsàNeha,maisjamaisilnelavénéreraitcommeunedemi-déesse,pensaMahiya,dontlesyeuxerraientsurlescheveuxdeJasonramenésenqueue-de-cheval.Elleremarquaalorsqu'ilportaitlelongdudosuneépéedansunfourreaunoirquiseconfondaitavecsachemise.

—Nehan'autorisepaslesarmesdanslacourofficielle,àpartpourlesgardes.Jasonverrouillasonregardausien,etbienqu'ellesûtqu'ils'agissaitlàd'uneillusion,elleeutle

sentimentqu'illadéshabillaitjusqu'àl'âme,voyantenelledeschosesqu'ellen'avaitjamaispartagéesavecaucunêtrevivant.

—Nehacomprendmafaçondetravailler,répondit-il.Mahiya doutait fortement que quiconque comprenne vraiment lemaître espion,mais elle opina

légèrement,saisissantlàl'opportunitéderompreleurcontactvisuel.—Nousyallons?Jasonnedit rienet ilsquittèrent lacour.Lesilencede l'angeétait siprofondqu'elle savaitqu'il

faisaitpartiedelui,sansêtredestinéàlamettremalàl'aise.Étrangement,cemutismenel'inquiétait

pas-ilétaithonnête,contrairementauxmensongesquisortaientdetantd'autresbouches.—Noustrouveronsmadamedanslachambredesaudiencespubliques.Neha était toujoursdisponible ces jours-làpour ceuxde son territoirequi voudraient lui parler

directement. Elle était une reine paradoxalement juste, que le requérant soit un aristocrate ou unfermier.

— Il est suffisamment tôt pour que nous puissions la voir sans la déranger, ajouta-t-elle alorsqu'ils franchissaient une porte à la peinture complexe et suffisamment large pour laisser passerplusieurséléphantsdefront.

Lefortétaitéveilléettrèsanimé;Mahiyasaluauncertainnombredegens.Lesfemmesarboraientdes couleurs douces et non les rouges, jaunes et bleus normalement prisés dans cette région. Lesstylesvariaientcependanténormément.Uncertainnombreportaitdes toges,plusieursvampiresdeclassiquescostumesquiindiquaientqu'ilsfaisaientdesaffairesendehorsdufort,tandisqued'autresétaientvêtusdesarisde travail.Puisvenaientceuxenuniformedegarde,équipésde leursarmes -Nehanefaisaitpaspreuvedediscriminationlorsqu'ilétaitquestiondecompétencesetdetalents.

ToutlemonderegardaitJasondansl'attentequ'ilsoitprésenté,maisMahiyaignoracesrequêtessilencieusesetpoursuivitsonchemin,bienconscientequesoncompagnonneseplieraitpasauxjeuxdepolitessedelacour.Ellefutcontentedequittercetteartèrelorsqu'ilsatteignirentlachambredesaudiencespubliques,quiétaitun immensepavillondepierreouvert sur troiscôtés.Six rangéesdeseptcolonnesémergeaientdusolpourvenirsoutenirleplafondincurvé,et,au-dessusdecedernier,s'étendaitunegrandeterrasse.

Neha s'adressait habituellement auxplaignantsdepuisunhaut trônequi était déjà enplace,maisencore vide pour le moment. Au lieu de présenter une requête au garde qui surveillait l'escalierconduisantàlaterrasse,Mahiyasortitets'envola,grimaçantsouslatensiondudécollagevertical.CemouvementneposaitbiensûraucunproblèmeàJason,quiseposaavantelle.

Son intuition se révéla fondée : Neha se tenait à l'extrémité de la terrasse, là où le mur encroisillonsavaitétéabattupouroffrirunevuesurtoutl'horizon.Leregarddelareinevagabondaitsurlesmontagnes,lescollinesd'unmarrondorésouslalumièredumatin,laverdureclairsemée.

— Son bûcher de funérailles sera enflammé demain, dit-elle quandMahiya la rejoignit. Tu neporteraspasdeblanc.Personneneseraenblanc.

Mahiyaneregrettaaucunementdenepasporterlacouleurdudeuil-Erisavaitmoinsétéunpèrepourellequ'unmatouavecseschatons.QuantauxmotifspersonnelsdeNeha,ilsn'étaientconnusqued'elle seule.MaisMahiya l'avait vue aux côtés du corpsmassacré de son affilié, avait entendu sadouleurdéchirante.Peuimportaitcequ'elleessayaitd'incarnerdanssafierté,lamêmefiertéquiavaitvalutroiscentsansdeprisonàEris,Nehapleuraitsonmari.

—Madame,ditlaprincesseunaccentdecompassiondanslavoixqu'ellen'essayamêmepasderefouler.

Son incorrigible tendance à éprouver des sentiments pour ceux blessés par un autre être -particulièrement quand cet être était l'Archange qui ne voyait en elle qu'un moyen d'exercer unevengeancesansfin- faisaitpartiedeson identité.Elleavaitentretenucettesensibilitédecœuravecunedévotionfarouche,alorsmêmequ'ilauraitétéplusfaciled'acquérirunecarapacerugueuse.

Neha se tourna pour faire face à Jason, ignorant royalementMahiya comme on le ferait d'uninsecte.

—Qu'as-tudécouvert,maîtreespion?

—Lepalaisd'Erisétaitpeut-êtrebiengardé,maisiln'étaitpasimpénétrable,déclaraJason.LeslèvresdeNehas'incurvèrentenunsouriresansjoie.—Seulsdesfousnetenantpasàlavieauraientenfreintlesrègles.Es-tuentraindemedirequ'ily

enaeuplusd'undanscecas?—Jenepeuxrienaffirmerpourl'instant.Jason soutenait le regard deNeha commeMahiya n'avait jamais vu personne oser le faire à la

cour,pasmêmelesconseillersquiavaienttoutelaconfiancedel'Archange.Son ventre se serra en pensant au risque qu'il prenait. Bien qu'il fût un étranger ne pouvant en

appeler à sa loyauté, elle ne voulait pas qu'il soit blessé. Cela profanerait une créature belle etsauvage,unecréaturequineseraitjamaissoumise,nienferméedansunecage.

Neharitauxéclats,unelueurdeconsidérationdansleregard.—VousSept,siarrogants.Sentantqu'elleétaitentraindepasseràcôtédequelquechosed'important,maisincapabledevoir

dequoiilpouvaits'agir,MahiyaemboîtalepasàNehaetàJasonquandilssemirentenmarche.Lesailes de Neha, presque intégralement d'un blanc de glace, contrastaient violemment avec celles,noires, de Jason, de même que la robe d'un corail chatoyant de l'Archange, simple maisadmirablementbientaillée.

—CommentvaDmitri?demandaNeha,lavoixtranchantecommeunscalpel.LaréponsedeJasonfutinattendue.—Neluiavez-vouspasencorepardonnéd'êtreretournéauprèsdeRaphaël?Neharitdenouveau.LalamescintillantedesavoixexprimaitunamusementsincèrequeMahiya

neluiavaitpasconnudepuisl'exécutiond'Anoushka.— J'ai pensé que les deux chiots meurtriers se méritaient l'un l'autre, et j'avais raison, non ?

(N'attendantpasqu'ilréponde,ellepoursuivit:)Ilauraitdû,malgrétout,m'inviteràsonmariage.Lesmotscontenaientunecourtoisievaguementmenaçante.—Oui, il aurait dû,maisunvampiredevotre cour a tentéde le tuer il y a seulementquelques

jours.Neharelevalatête,sonsourireaussifroidquelesangducobraenroulédansunpanierdansun

coindelaterrasse.—Croit-ilquejemecacheraisderrièrequelqu'uncommeKallistos?—Lefaitest,réponditJason,queDmitrivousatoujoursplusappréciéequelaplupartdesautres

membresduCadre.Maissil'onexceptelatrêvedueàmaprésenceici,onnepeutpasdirequevousetRaphaëlêteslesmeilleursamisdumondeencemoment.

—Onveutentrerdanslejeupolitique,Jason?—J'ysuistrèsbon.Uncourtsilence.—Évidemmentquetul'es.(Lacolèrefutremplacéeparunefroideestime.)Unmaîtreespionqui

nesauraitensaisirlesnuancesseraitinutile.Jasonnepritpaslapeinedecommentercetteévidence.Aulieudequoi,ilreprit:—LorsqueDmitriadécouvertlaraisondemavenuesurvotreterritoire,ilm'ademandédevous

transmettresescondoléances.Iladitqu'ilsesouviendraittoujoursd'Eriscommed'unhommed'épéequiétaitunadversairevaleureux.

MahiyaavaitvuErisdanseravecune lamedans leconfinementdesonpalais ; sesmouvementsétaientd'unegrâceétonnante.Unefois,elleavaitmêmeobservéNehaetErisensembledanslacour,

leursépéesetleurscorpssemouvantavecuneharmoniequi,pendantuncaptivantinstant,expliquaitdouloureusementcommentcesdeux-làavaientputomberamoureux.

— J'avais oublié queDmitri et Eris avaient cela en commun,murmuraNeha.Deux hommes sidifférentsliésparlalame.

—Ilm'aaussichargédevousdemandersivouslesaccueilleriez,luietsonépouse,unefoisquevousrecevrezdenouveaudesinvités.

—Jeseraistrèssurprisequ'ilaittournécelaaussijoliment,réponditNeha.MaisMahiyapouvaitvoirqu'elleétait ravieparcettedemandecar lechefdesSeptétaitsupposé

être un bâtard cynique au cœur dur en qui personne n'avait confiance. Pourtant, il respectaitsuffisammentlesensdel'honneurdeNehapouremmenersursonterritoirelafemmequ'ilavaitprisepourépouse.

—Dis-lui,ditl'Archange,quecelanemedéplairaitpasqueluietsafemmeviennentmeprésenterleursrespects.MondifférendestavecRaphaël,pasavecDmitri.

Jasonopina.—Jepasserailemessage.Suis-jeentraindevousreteniralorsquevousdevriezêtreavecvotre

peuple?—Non.(Nehasecoualatêteets'éloignad'unbattementd'ailes.)J'aireportél'audiencepublique.Tu

vasm'escorterauFortProtecteuroùj'aiprévuderesteravecErispourlanuit.Ailesdéployées,elleexécutaundécollageverticalparfait;Jasons'élevaàsescôtés.Mahiyaétait

pluslenteetsetrouvaaussitôtdistancée,maisellenefitaucuneffortpourlesrattraper,sonestomacse retournant à l'idée d'être au Protecteur. Elle préféra laisser son regard s'attarder sur la douceagitationde la cité.Celle-ci avait porté un autre nomautrefois,mais après tant de siècles passés àl'ombreduFortdel'Archange,elleétaitdevenuelaCitédel'Archange.

Il n'était pas surprenant qu'elle reflète les goûts de Neha. Bien que les bâtiments - à part lesrésidencesdevampiresoud'angespuissantsquivivaienthorsdufort-fussentlaplupartdutempsdepetitetailleetd'unseulétage,leursstructuresdepierreétaientgracieusesetavaientrésistéaupassagedutemps.Commen'importequelleautreville,celledel'Archangecomportaitd'étroitesruellesetdesartèrespluslarges,maisrienn'yétaitabîméoulaid,saleounégligé.L'eaudulaccoulaitsiclaireetsifraîchequ'elleétaitpotable.

De l'autre côté deMahiya, juché sur une crête naturelle, s'étirait le fort, qui lui aussi portait lamarque de samaîtresse. En comparaison, le Fort Protecteur était modeste. Il était aussi relié à laforteresseprincipalepardespassagessouterrainset,pourgardersecretslesaccèsetletracédecesderniers, il se disait que bien des hommes avaient dû périr - Mahiya connaissait leur existenceseulementparcequeErisavaitlaissééchappercetteinformationl'unedesraresfoisoùilavaitnoyésafureurdansl'alcool.—Aulieudetenterlavoiedesairs,j'auraisdûattendrelebonmomentetutiliserlestunnels.—Lestunnels?—MenantauProtecteur,idiote!Ilavaitrefuséd'endireplussurlesujet,maiselles'étaitdébrouilléepourqueVanhiluiconfirme

leurexistence.Malgrétout,lavampireàlatendressematernellen'avaitconnaissancequed'uneseuleentrée-danslePalaisdesJoyaux,unlieuquiauraittoutaussibienpusetrouversurlaLune.

DevantMahiya,NehaetJasonvolaientencerclesautourdufortleplusélevé,etelleétaitfrappéepar l'amplitude des ailes de Jason, par la maîtrise de sa technique de vol : pas un seul de sesmouvementsn'étaitperdu.Mieuxvalaitpourellequ'ilnelapoursuivejamaisdansleciel-s'échapperseraitimpossible.

Forçantallure,elleseplaçasouseuxpouratterrirdanslacourprivéedeNehaàl'intérieurdufort,unegouttedesueurfroideglissantlelongdesondos,mêmeaprèstoutcetemps.Quoiqu'ilensoit,cen'étaitpaslàlaraisondesadescenterapide:ilauraitétémalvenudesapartdevolerplushautque

l'Archange - elle avait appris cette leçon le jour fatidique de ses cent ans, lorsqu'elle étaitofficiellement devenue adulte et avait perdu dumême coup la protection qu'offrait la réticence deNehaàblesserdesenfants.

Laleçonavaitétébrutale,leCapitainedelaGardeayanteupourinstructiondelafouetterjusqu'àlui laminer toute la peau du dos.Mahiya avait compris depuis longtemps que sa vie dépendait del'humeur deNeha, ayant appris la vérité d'une nounouqui pensait qu'elle devait connaître sa placedansl'ordredumonde.Unsavoirindispensablequis'étaitrévéléleplusamerdescadeaux.—N'oublie jamaisqueriendeceque tupourras fairene la satisfera.Pourelle, tun'espasune

enfantàprotéger,maisunrappelconstantdelatrahisonquil'ahumiliée.Concentre-toisurlasurvie.Alors qu'elle était attachée au poteau de flagellation, le sang dégoulinant le long de son dos,

Mahiyaavaitassimiléautrechose:Nehavoulaitlabriserpourfaired'elleunemiseengardevivanteduprixdel'infidélité.UnnombresuffisantdegensconnaissaitlesecretentourantMahiyapourquecetavertissementsoitentendu.Jesurvivrai,etjesurvivraientière.Elleavaitfaitcesermentalorsmêmequelefouets'abattaitsurelle,encoreetencore.Etellel'avait

tenu, refusant de laisser Neha la déformer en un affreux miroir de sa propre haine. Permettre àl'Archangedecroirequ'elleavaitréussiàladompterétaitunmouvementstratégiquesurl'échiquierquineluicoûtaitriend'autrequesafierté...etlafiertéétaitinutiledanscetteluttepourlasurvie.

JasonseposaàlasuitedeNeha,commeonpouvaits'yattendre-ilagissaitclairementcommesongarde.IlignoralaprésencedeMahiya,nelagratinamêmepasd'unregard.

Quelque chose d'infect bouillonna dans son ventre, et elle sut qu'elle était la plus pitoyable desidiotes.Àquois'était-elleattendue?Qu'ilcontinuedelatraiteraveccerespectinexplicable,troublant,alorsqu'ilétaitdésormaisclairqu'ellenereprésentaitrienauxyeuxdeNeha?

—Jason.Neha inclina la tête en un salut royal avant d'entrer dans le palais qu'elle utilisait lorsqu'elle se

trouvaitauProtecteur,prêteàcommencersaveilleauprèsducorpssansvied'Eris.Ravalantsacolèrequipourraittoutfairerater,Mahiyademandapatiemment:—Souhaites-turetournerauFortdel'Archange?Unacquiescement,etils'élevadenouveau,uneexplosiondevitesseaveuglante.Mahiya sentit son cœur remonter jusqu'à sa gorge. Il était plus rapide que Neha. Son propre

décollage semblait enfantinetgaucheencomparaison,maiselle s'élevaetprit le chemindu fort àtraversdescieuxd'unbleucristallinpendantqueJasonallaitsihautqu'iln'étaitmêmeplusunpointdanslelointain;ilneréapparutqu'àladernièreminutepourpiquerenflècheetatterrirdevantson-leur-palais.Leslieuxsemblaientdéserts,lesgardesayantlevélecampaprèsquelecorpsd'Eriseutétéenlevé.

Jason replia ses ailes, et attendit qu'elle ait fait demême.Alors, il se tourna vers elle.D'un toncalmeetmesuré,ildemanda:

—N'as-tuaucunamour-proprepourlaisserNehatetraitercommeunechosequ'elleviendraitdegratterdesessemelles?

Lechocdececoupinattendufutsiabsolu,qu'ilsemblaàMahiyaqueJasonvenaitdelafrapperenpleinepoitrine,enfonçantsacagethoracique,broyantsesosetdéchirantsoncœur.

Jasonserenditcomptedesonerreuràl'instantoùilrefermalabouche.LevisagedeMahiyapâlitjusqu'à prendre une teintemaladive et sa respiration devint hachée.C'était la première fois depuislongtemps qu'il parlait sans réfléchir. Il sut qu'il avait permis à sa colère de fausser son jugementdevantlarésignationdontMahiyafaisaitpreuveenverslesbrimadesdeNeha.

Serapprochanttrèslégèrement,ildéployasesailescommes'illesétirait.—Noussommessurveillés.(Sontonsefitcinglantcommeunfouet.)Neflanchepas.Ellecillasouscetordresansappel,etpuiscefutcommesiunetigedeferavaitétéplantéedanssa

colonnevertébrale.Sesyeuxfauvesdevinrentfousderage.—Untest,maîtreespion?Sic'estlecas,j'aiéchoué.JevoisdenouveautonvraivisageMahiya,enfin.—J'auraispuprendreplusdeprécautionsoratoires,maiscelan'auraitpaschangélefonddema

question.Safureurdésormaissouscontrôle,elleavançanonpasversl'intimitéqueprésentaitlepalais,mais

vers les chemins dessinés du jardin de la cour, vers le lieu lumineux où les fleurs luxuriantes seriaientduclimat,oùl'eauquicoulaitlelongdescôtésdupavillonoffraitunerafraîchissantegouléed'air.

—Suis-jesupposéeteremercierdem'avoirtraitéedelâche?—Non,répondit-il,saproprecolèreplustempérée,pasmoinsdangereusecependant.Maistudois

savoirquelafaiblesse,réelleoufeinte,nefaitqu'éveillerlesprédateurs.(EtlesArchangesétaientlespremiersdelaplanète.)Nehaapprécieceuxquiluitiennenttête-tuesassezfortepourlefaire.(Elleavaittoutautantdecaractèrequeluid'intelligence.)Tun'asaucuneraisondejouerlamorte.

Lerougeluimontaauxjoues.Elleserralespoings.—Ne crois pasme connaître ni tout savoir dema vie après une journée de familiarité forcée,

monseigneur.Surcesmotsglacés,ellesedétournadujardin,franchitunseuiletleconduisitjusqu'àdespièces

plus fraîchesde la forteresse,descendant toujoursplus jusqu'àse retrouver, selonJason,auniveauquiabritaitlePalaisdesJoyaux.

Ilsn'échangèrentplusunmotavantqu'ellenes'arrêtedevantun jeudeportesdécoréesdumotiffamilier des vases élancés ; les gravures étaient incrustées d'agate et de ce qui semblait être de latourmaline verte. Les portes étaient entrebâillées de telle sorte qu'ils restaient hors de vue despersonnessetrouvantàl'intérieur.Ilsaisitcetteopportunitépourétudierlapièceetsesoccupants.

Spacieuseetrelativementpeumeublée,elles'ouvraitsurunlargebalcond'oùlejoursedéversaitenbiais,ainsiqueparlespetitscarrésdugrillagedelafenêtresurladroite.Lasalleétaitlumineusemais pas trop, embellissant les anges et vampires qui discutaient ou riaient par paire ou par petitsgroupes, tousvêtusde riches tissusqui étincelaient et luisaient sous le soleil.Lesdiamants à leurslobesouparsemésdansleurscheveuxformaientcommedesgouttesdeglace.

—Descourtisans,ditMahiyad'unevoixaigre.UnbrunchprivéoùilspeuventfaireétalagedeleurparuresansoffenserNeha.Jepeuxfairelesprésentations.

Déclinantl'offred'unsignedetête,Jasonavançadequelquespassurladroite-jusqu'àuneportequi,commeill'avaitespéré,menaitdirectementàunbalconparallèleàlapiècedescourtisans.Uneaubainepoursonobjectif:lebalconétaitpetitetn'étaitpasreliéauplusgrandqu'ilavaitremarquéaubout de la salle. Jason sortit, s'appuya contre la pierre chauffée par le soleil, juste sous la fenêtregrillagéeets'installapourécouter,sombrementconscientdelaprésencesilencieusedeMahiyaàsescôtés.

Commeellel'avaitétédevantNeha.Sacolèrerenouveléefaceàsoncomportementétaitviscérale,lefaisaitsortirdesesgonds.Après

septcentsansàvivreavecdesimagesquin'avaientjamaisjauni,ilconnaissaitlacausedesaréactionhouleuse, savait que sa fureur était nourrie par le souvenir d'une autre femmequi n'avait pas luttécontrelaviolenceàlaquelleelleétaitsoumise.—Ilnepeutpass'enempêcher,Jason.Uneterribleobscurités'estrenduemaîtressedesoncœur...

maisnouspouvonslerameneràlui.Nousavonsjusteàl'aimer.LemauvaistraitementqueNehainfligeaitàMahiyan'étaitpasaussidirectquedescoups,maisil

étaittoutaussiefficacepourlasoumettreetéteindresapersonnalité.—...rumeurscommequoiilavaitunemaîtresse.Refoulantsacolère,Jasonseconcentrasurlesvoix.

—Ridicule.Quiauraitprislerisqued'êtreexécutépourquelquechosed'aussisurfaitquelesexe?—Komalauraitpu.TusaiscombienelleestencolèredepuisqueNehaabannilevampiresurqui

elleavaitdesvues.—Komalestunefriponne,maisellen'estpassuicidaire.Jason écouta pendant presque une heure, mais n'entendit rien d'aussi explosif que cette courte

conversation.—QuiestKomal?demanda-t-ilàMahiyaunefoisqu'ilsfurentassezéloignésdelapièce.— Une vampire qui fait partie de la cour officielle depuis cinquante ans. Sa beauté est

considérable, et elle sait l'utiliser pour manipuler les hommes. Je crois qu'elle ne comprend pasvraimentqueNehan'ysoitpasaussisensible.(Lajeunefemmeluijetauncoupd'œilquin'étaitpasaussi hostile qu'il l'avait prévu, même s'il y avait encore de la glace dans les profondeurs de cemarronfauve.)Jet'emmèneraiàellesitulesouhaites.

—Oui.Jason sentit sa propre colère frémir en constatant ce retour de la princesse à la docilité. Il sut

immédiatement qu'elle l'avait sentie lorsqu'elle rejeta la tête en arrière et allongea le pas dans lecouloir, oubliant son attitude réservée.Cen'était sans doute pas sonbut,mais sa démonstrationdemauvaisehumeurapaisacelledumaîtreespion.

—Lavoilà.Mahiyadésignaunefemmequimarchaitlelongdel'undescouloirsouvertssurplombantlaville.KomalrépondaitexactementàladescriptionqueMahiyaavaitfaited'elle:uneinvitationsensuelle

avec ses cheveux noir corbeau et ses lèvres rouges, sa peau d'un miel doré et ses courbesdangereuses.Une femme sur laquelle le vampirisme avait posé son baiser exotique, et qui était sigâtéeparlanaturequ'ellefitlamouelorsqueJasonnetombapasimmédiatementàsespieds.

— Nous savons tous deux que la souris ne te satisfera pas, ronronna-t-elle avec une douceurvenimeuse.Jeteprometsdesplaisirsauxquelstun'asjamaisgoûtéavant.

Jason fixa d'un regard impassible lamain qu'elle avait levée, comme si elle voulait le toucher,jusqu'àcequ'ellepâlisse,etlalaissefinalementretomber.Puisiltournasonregardverscesyeuxd'unmarronlascifquiavaientdûmenerplusd'unhommeenenfer.

—Étais-tuaussiempresséed'obligerEris?

Unepaniquepure,absolue.—Qui a lancécette rumeur ? (Un sifflementpresque inaudiblependantqu'elle regardait autour

d'ellepourvoirsiquiconqueavaitpulesentendre.)Neham'exécuterasicelaluiparvientauxoreilles.Mon Dieu, elle commencera probablement par me torturer, elle me gardera en vie pendant desannées.

Jasonneditrien,l'observasetournerversMahiya,sescrocslançantdeséclairs.—Dis-le-moi,oujeteferaifouetterdenouveau.— Si j'étais toi, Komal, dit Mahiya d'un ton aussi froid que la mise en garde qu'il contenait,

j'éviteraisdecauserdesproblèmesetjemeferaisdiscrètepourlemoment.Devenant encore plus pâle, la vampire se détourna et se précipita à l'intérieur, sa toge près du

corpsbalayantlapierregrisequirecouvraitlesoldanscettepartiedufort.Jasonlalaissapartir,sûrqu'elle n'avait jamais été la maîtresse d'Eris ni n'avait eu connaissance de cette liaison. Cetteaccusation l'avait ébranlée. Et sa mauvaise nature mise à part, Komal n'était pas suffisammentintelligentepouravoirmontéunetelleintrigue.Elles'enseraitvantéeauprèsdequelqu'un,seseraitfaitprendredepuislongtemps.

— Pourquoi as-tu été fouettée ? demanda-t-il à la femme à ses côtés, bien plus intelligente etcomplexe.

Mahiyaneralentitpasl'allure.—Quellefois?LesonglesdeJasons'enfoncèrentdanssapaume.—Ladernière?—Jemesuismontréeirrespectueuseenversuncourtisandehautrang.—L'avait-ilmérité?Guère surprisepar la questionde cet hommequine suivait aucune règledebienséance et avait

provoquéenelleunefureurincontrôlable,Mahiyarépondit:—Non.Ilnerimaitàriendeluimentirmaintenant.—Alorslaflagellationétaitjuste.C'était une sensation étrange que d'être complètement libérée du besoin de dissimuler ses

véritablespensées.Commesielleétaitsaoule.—Non,dit-elle,sarageencoreassezvivepours'enflammerdenouveau,parcequ'unefoisquej'ai

étébattueetaffaiblie,ilareçucequ'ilvoulait.(Mahiyaavaitdûseprosterneràsespieds,lesupplierdeluipardonnerl'affrontqu'elleluiavaitinfligé.SeullerefusentêtéderessemblerunjouràNehal'avaitempêchéedes'abandonnerà l'amertumeetà lahainequiavaientcherchéàécloreenellecejour-là.)J'aiapprisàchoisirmescombats.

LesyeuxdeJason,sisombres-commeleplusfindeschocolats,richeetdécadent-s'attardèrentsurellependantuninterminablemoment.Puisileutunpetitgested'assentiment.

—Tantquetucontinuesàtebattre.Lacolèreenfladanssesveinesunefoisencore,etilluifalluttoutessesforcespourformulerune

réponseenapparencepolie.—Oui,monseigneur.Lemaître espionmarquaunepausequi lui rappelaqu'elle était en trainde railler unhomme si

dangereuxqu'ilosaitrencontrerleregardd'uneArchangesansciller.Puisildit:

—Jeteprésentemesexcuses.Jeneconnaisriendesbataillesquetuasdéjàmenéesoudeschoixquetuasdûfairepoursurvivre.

Aucunhommenes'étaitjamaisexcuséauprèsd'elle,etentendrecesmotsvenantdecethomme-làlasecouasuffisammentpourqu'ellen'ajoutâtpasunmotlorsqu'ilsedétournapouravancerlelongdesalléesdufort.Ellesavaitqu'ilentendaitplusdechosesqu'elle,envoyaitplus,bienqu'ellemarchâtàsescôtés.

Ilétaitplusquefascinant.Dangereux, imprévisible et terrifiant d'intelligence. Une menace. Et pourtant, elle voulait faire

courirsondoigtsurlalamequ'ilétait,mêmesiceladevaitlafairesaigner;ellevoulaitdansertropprèsdelaflamme,voulaitprendreunrisquequipourraitladétruire.

Sonregardseposasurlenoird'encredesailesdeJason.Elleavaitl'enviefolledelesexplorer,commesil'aveusilencieuxdecombienill'attiraitavaitouvertunverrouenelledontellen'avaitpaseuconsciencejusque-là.Saufque...

Sonregardglissaàtraverslui,Jasondisparut,bienqu'ellesûtqu'ilsetrouvaitjustelà.Sessensdenouveauenalerte,elleserenditcomptequelaplupartdesgardesneremarquaientpas

laprésencedeJason,alorsqu'ilslasaluaienttousdelégershochementsdetête.Elleplissalesyeux,lefixa d'un regard soutenu, et elle ressentit commedes pulsations douloureuses dans son crâne.Ellepouvait discerner son contourmais, un instant plus tard, il avança dans l'ombre que projetait unejardinièredefleurshautsurlemur,etils'effaçapourdebon.

Sansréfléchir,elletenditlamain,effleurantsonaile.Lesplumesétaientlissesetchaudessousleboutdesesdoigts.

Jasonsefigea,lesmusclestendus.Lesjouesdelajeunefemmes'empourprèrent,etellelaissatombersamain,serendantcomptede

lanatureinacceptabledesongeste.—Jesuisdésolée...maisjeneparvenaisplusàtevoir.— Je suis très doué lorsqu'il s'agit de rester invisible. (Sa voix ne contenait aucun signe du

mécontentementauquelelles'étaitattendueaprèsavoirvulamanièredontilavaitrepousséKomal.)J'aieudescentainesd'annéespourm'entraîner.

Ellen'encroyaitpasunmot,mais ilne fallaitpasêtreungéniepourcomprendreque lemaîtreespionneluiconfieraitpassessecrets.

— Encore pardon. (Ses doigts continuaient de la picoter à ce contact éphémère.) Je n'en avaisaucundroit.

—Enfait,si,répondit-ilàsasurprise,sontatouageétantuneinvitationautoucherdanslalumièredusoleil.J'aiprêtéunsermentdesangenverstoi.Lapeauetlesplumesnesontriencomparéesausang.

—Jeneprofiteraijamaisdusermentd'unetellemanière.Fermant lepoingpourrésisteraudésirdesuivredudoigt les lignesdu tatouagedeJason-une

entorsebienplusgrave-,elledétournaleregardetrepritsamarche.Sapeaulabrûlait,puisdevintd'unfroiddeglace;soncœurbattaitdemanièreirrégulière...etelleserenditcomptequemalgrésafascinationdeplusenplusprofondepourlemaîtreespiondeRaphaël,elleavaitpeur.

Jason,avecsavoixposéeetsonregardattentif,étaitinfinimentplusdangereuxpourellequeNehanel'avaitjamaisété.Ilécoutaitquandelleparlait,avaitdéjàapprisdeschosessurellequepersonned'autre ne savait. Un tel homme ne ferait pas usage de sa force physique pour la dominer, ni nementiraitpourluijouerdestours.Ilapprendraitsibienàlaconnaîtrequ'ilobtiendraitd'ellequ'ellecontribueàsaprochechute.

Lespaumesmoites,elle réalisa,mais trop tard,qu'ilss'étaientdirigésversunepartiedufortoùNehanevoudraitvoirJasonsousaucunprétexte.

—Nousnepouvonsallerplusloindanscettedirection.

—Pourquoi?—Cetendroitestàl'usageprivédeNeha.Ilestinaccessibleàmoinsd'yêtreinvitéparelle.—Trèsbien.Déployantsesailessurcetacquiescementempresséetsuspect,ileffectuaundécollageverticalsi

foudroyantqu'ellen'avaitaucunespoirdelerattraper.Attirant...Etmortellementdangereux.C'étaitunevéritéqu'ellenepouvaitsepermettred'oublier,quellequesoitlaforcedelatentation.

Elleavaittropàrisquer-sonexistenceentière,saviemême.Jasonétaitunrêvequ'elleauraitaimépoursuivredansuneautrevie...maispourl'heure,elledevaitsedépêtrerdecelle-ci.

Leperdantdevueau-delàdesépaisnuagesblancsquimoutonnaientdansleciel,ellereportasonregardsurl'alléedepierresrougesetsurlepetitpalaisoùelleavaitrecommandéàJasondenepasserendre.NehaétaitrecluseauProtecteur,nereviendraitpasavantlematin.JasonavaitlaisséMahiyaseule.Ellen'auraitpasdemeilleurechancedefranchirlepas.

Elleavança,glacéeparlefiletdesueurquimouillaitsondos.Aucundesgardesnetentadel'arrêter-Nehalafaisaitsouventappelerenceslieux.Maisdansces

cas-là, Mahiya n'allait jamais plus loin que les premières pièces. Ce jour-là, saisissant la chancequ'aucungardene soit autoriséà l'intérieur, ellepoursuivit le longducouloirvers lapiècequi setrouvaitaucœurmêmedupalais,unepiècedanslaquelleellepouvaitsentirdeschosesquihurlaientàsoncerveauunemiseengarde,luiordonnantdereculeretdefuir!

Mahiyaplaçabrutalementsouscontrôlecettepeurprimaire.Cen'étaitpassapremièreincursiondans la section interdite. La dernière fois, c'était dans les profondeurs de la nuit, lorsqueNeha setrouvaitenfaitdanscettepièce.Celaluiavaitdemandéuncouragenichéaufonddesesentraillesetunedéterminationàtouteépreuve.Sonpoulsfrénétiquefaisaitchevroterchacunedesesinspirations.Cequ'elleavaitdécouvertcettenuit-làétaitperturbant,maisavaitsuffipourqu'elleachèvedemettresonplanenplace.

Cette fois, lesmursd'unmarbredouxn'étaientpas incrustésdeglace, sonsoufflen'embuaitpasl'air, et ses os n'étaient pas douloureux sous le froid intense. Touchant le marbre des doigts, elleavançarapidementetsilencieusementlelongduderniercouloir.Laportedelapièceétaitvisible.Ladernière fois, la glace l'avait tant durcie que la jeune femme n'avait pas pu poser la main sur lapoignée.

Mais en ce jour, cette dernière brillait d'un or lumineux. Mahiya allait poser la main dessuslorsqu'ellehésitaàladernièreminute.C'étaittropfacile.S'obligeantàpatienterencoreunpeu,ellesedissimuladansunepetitealcôvetoutenétudiantlasituationsoustouslesangles.PourdécouvrircequetramaitNeha,elledevaitentrerdanscettepièce,maiscelapourraitbiensignersonarrêtdemort.ParcequeNehaétaituneArchangedotéedenombreuxpouvoirs,connusounon.

Lepluscélèbreétaitsacapacitéàcontrôleretmanipulerlesreptilesdetoutesespèces.Commeleserpent doré enroulé autour de la poignée. Le cœur de Mahiya battait contre ses côtes devant lacréaturequiagitaitsalanguerouge.Lajeunefemmeserenditcomptequecequ'elleavaitprispourunornementétaitunêtrevivant.

Unêtrevivantetvenimeux.Carl'undessecretslesmieuxgardésdeNehaétaitqu'ellepouvaitrendrevenimeuseuneespècequi

ne l'étaitpas.SiMahiyaavait touchécettepoignée,elleaurait reçuunemorsurequi l'aurait laisséeparalyséeetimpuissantependantdesheures.

Malgrétout,ilyavaitpeudechancesqu'ils'agisselàdelaseulesécuritémiseenplace,carNehaavait beau être de la vieille école, elle n'était pas fermée aux possibilités qu'offrait la technologiemoderne.MaintenantqueMahiya réfléchissaitposément sansse laisseraveuglerparcetteoccasionunique, elle comprenait que, même si cette porte n'était pas fermée à clé, Neha avait sans douteinstalléunealarmesilencieusequil'alerteraitàlamoindreeffraction.

Unefoisàl'intérieur,unintrustrouverait-illapiècevide...ouserait-ilcernépardescentainesdeserpentsénervésetsifflantleurraged'êtredérangés?

Unlégerbruit,unmurmure.Mahiyasefigea,priantpourquel'intrus-unebonnepeut-être?-nesoitentréquepours'occuper

dequelquechosedanslespremièrespièces.—Donc,ditunevoixcalmeetfamilièredepuislecôtégauchedel'alcôve,tucherchesàdéterrer

lessecretsdeNeha?Unéclair de terreur courutdans sesveines, et elle sedéplaçadans la lumièrepour faire face à

Jason.—Jesuisvenuechercherquelquechosequej'aioublié,dit-elle.(Puis,regardantsesmainsvides:)

Jenel'aipastrouvé.Desyeuxpresquenoirsl'observaientsansciller.— Tu mens très bien, mais je suis encore meilleur pour déceler l'hypocrisie. (Reportant son

attentionsur laportegardéepar leserpent, il l'observaminutieusementpendantplusieurssecondesavantdetournerlestalonsetdéclarer:)Nousdevonsparlerenprivé.

Cen'étaitpasuneinvitation.Mahiya aurait voulu refuser,mais s'ilmentionnait cet incident àNeha, c'en serait fini d'elle.Un

mélangede frustration,depeur et de colèrebouillait en elle.Elle suivit Jasondehors, clignant lesyeuxdanslalumièreviolentedusoleil...pourdécouvrirqu'ilnesetrouvaitplusàsescôtés.

—IlneseraitpasbonqueNehaapprennequejesuisentrélà,luiexpliqua-t-ilplusieursminutesplustard,l'ayantretrouvéeunefoisqu'elleeutatteintunespacepublic.

—Commentes-tuentré?luidemanda-t-elle.Aumomentmêmeoùlesmotsfranchissaientsabouche,elleserappelatouscesgardesqui, tout

simplement,nelevoyaientpas.Saseuleréponseconsistaàjeteruncoupd'œilauxailesdelajeunefemmeetàdemander:—Peux-tueffectuerunautredécollagevertical?—Oui.(Elleétaitlente,pasfaible.)Oùallons-nous?—Suis-moi.S'élevant dans le ciel, il attendit qu'elle le rejoigne, puis survola la ville, la dépassa, continua

jusqu'àcequ'ilssoientau-dessusdevillagesoùdesenfantsexcitéscouraientenleurfaisantsigne,oùdes poteries bleues entassées attendaient d'être décorées, pendant que des troupeaux sommeillaientpaisiblementdansderarespâturagesalimentésparunfiletd'eaupresqueentièrementcamoufléparleshautesherbes.Celamemanquera.

C'était une pensée qui peinait le cœur de Mahiya. Cette terre de désert, de couleurs et d'oasiscachéesétaittoutcequ'elleavaitjamaisconnu.Ellenepouvaitimaginervivredansunlieusansdunesde sable, sans la vue des chameaux et de leur démarche oscillante, aussi familière que celle deséléphantsroyaux.Lesanimauxétaienttraitésavecdéférenceetaffection.CesrèglesavaientétéfixéesparNeha ily avait longtemps, etnombreuxétaient ceuxqui erraient surdes terresqui leur étaientréservées,commeceschameauxqu'ilssurvolaient,etquipenchaientlatêteenbroutant.

Une bergère solitaire, à la longue jupe d'un jaune éclatant, leva la tête et les salua de lamain.Mahiya lui retourna le geste, surprise une fois de plus par les facettes nombreuses et parfoiscontradictoiresducaractèredeNeha.Elleétaitreine,pouvaitsemontrercruelle,maiselleétaitaiméedesonpeuplepoursagénérositéetsonéquité,etlesangesdesacourétaientbienvenuspartoutoùilsserendaient.

SiMahiyaseposaitdanscevillage,elleyseraitreçueavecchaleur,severraitoffrirunthéchaudetdespâtisseriestoutjustesortiesdufour.Lapeurétaitprésentechezlapopulation,biensûr,maiscen'était pas de la terreur. Les humains étaient simplement conscients que les Immortels étaient plusfortsetplusdangereux,etqu'ilétaitpréférabledevivreenpaixaveceux,delesservirlorsqu'ilsle

demandaientplutôtquedeserebeller.Jasonnel'emmenapasdansl'undecesvillages,maisjusqu'àunpetitterraindésert.Ilseposasous

les branchesd'un arbre dont les racines étaient si profondesque ses feuilles d'unvert clair délicats'épanouissaientmêmelorsqu'ilnepleuvaitpas.Lemaîtreespionrepliasesailesnoirescontresondos,etlaregardaamorcersadescente.Ellesemblaitsansgrâcecomparéeàsaproprearrivée,telleuneombresilencieuse.LesailesdeMahiyabruissaient,sespiedsétaientlourds.

—Maintenant,ditJasonunefoisqu'ellefutinstallée,nousallonsparler.Lavuedésoléedelaterreenjachèren'enréconfortapasmoinsMahiya.Elleétaitchezelleici.—Queveux-tudemoi?JasonplongeasonregarddansceluideMahiyapoury lireunedéterminationdefer.Ellen'était

pas femme à céder facilement.Malgré tout, il y avait d'autresmoyens pour qu'il obtienne ce qu'ilvoulait-etiln'avaitpasdetempsàperdre.

—Noussavonstousdeuxquec'estmoiquiailescartesenmain.—Tuasprêtéunsermentdesangavecmoi,rappela-t-elle,bienquesapeauaitpâlisousladouce

ombredesfinesfeuillesdel'arbresouslequelilssetenaient.Tunepeuxpasmefairedemal.—Souviens-toidesmotsquenousavonsprononcés,luidit-il,réprimantviolemmentsaréaction

premièrefaceàsonrefusdeserendre.Jesuisseulementchargédedémasquerlemeurtrierd'Erisetde protéger les intérêts de ta famille pendant mon enquête. Et il semble que tes intentions soienttraîtresses.

Elleserralamâchoire.—Queluidiras-tu?—Celadépenddel'accordquenousparviendronsàtrouverounon.Tantqu'ilremplissaitsonofficeetrévélaitl'identitédel'assassin,iln'étaitpastenudereportertout

cequ'ildécouvraitàNeha.Destraitscrispés,desyeuxdurscommelesilex.—Etquelesttonprix,monseigneur?Cesderniersmotsauraientpuêtreuneinsulte.—Parle-moidecettepièce,dit-il,sonregardtombantsurdeslèvresaminciesparlacolère.Dis-

moidecequ'ils'ypasse.—Jen'ensaisrien,grinça-t-elleentresesdents.Jen'aijamaisréussiàyentrer.Elle disait la vérité, pensa-t-il, observant ce visage incroyablement expressif si l'on prenait le

tempsd'enapprendrelessubtilsmouvementsquitrahissaientchacunedesespensées.EtJasonavaitprissontemps.

—Maistuasvuquelquechose.Sesailesbruissèrentnerveusementetelleexpiralentement,entremblant.—Delaglace.Ellerecouvraitlesmurs,laporte.Monsoufflegivraitetjepouvaissentirmonsang

commenceràgeler. (Elle frissonna.)Mesveines...ellessepressaientcontremapeauet lorsque j'aiappuyédessus,ellesétaientdures.

Lesangesétaientfaitspourvoleret,decefait,étaientmoinssensiblesaufroidqueleshumains.CequeMahiyadécrivaitétaitunfroidsiterriblequ'ilétaitimpensabledanscetterégion.Deplus,pourautantqu'ilsache,lescompétencesangéliquesdeNehan'incluaientpaslapossibilitédemanipulerleséléments.

—Est-cequeNehaétaitseuledanslapièce?Lapluslégèredeshésitations.

—Jenel'aijamaisvueyentreravecquelqu'un.C'étaittrèsintelligemmentformulé,maisJasonavaitplusd'expériencequ'elleàcepetitjeu.—L'as-tuentendueparleràquelqu'unlorsqu'elleétaitàl'intérieur?—Sijetedistout,répondit-elled'untonsirésoluqu'ilenétaitdegranit,peuimportequetume

trahissesauprèsdeNeha.Lerésultatfinalseralemême.Jasonsedemandapourquoiuneprincessepréféraitgarderpourelleunsavoiraussidangereux.—Tuasbesoind'unemonnaied'échange,devina-t-il.Maispourquelleraison?—Pourquoifais-tucela?(Unregardhanté,sespupillesd'unnoirvifcontresesirisclairscomme

ceuxd'unchat.)Memettreainsiànu?Ce regard trouva écho en lui, réveilla cette partie de son âme dont il feignait de croire qu'elle

n'existaitpas.Maisilnereculapas,neselaissapasattendrir.Ilavaitbesoindesavoirquisetrouvaitavec Neha dans cette pièce parce que, si ce qu'il suspectait s'avérait, le monde pourrait bien êtreemportéparunevagued'horreurtellequepersonnenepouvaitl'imaginer.

Laprincesse se détourna, ses ailes balayant de leurs courbes gracieuses la poussière du sol.Lecontrasteaveclaraideurdesondosétaitsaisissant.

— Je vais bientôt mourir si je ne trouve pas unmoyen de sortir d'ici. (Lesmots étaient aussiaustèresquelepaysagequilesentourait.)Nehanemelaisserajamaisvivrecommejel'entends,etellen'adorénavantaucuneraisondemegardervivante.Jen'étaispourellequ'unmoyende tourmenterEris.

— Et un souffre-douleur, ajouta Jason. (Toutes les pièces qu'il avait devinées jusque-làs'emboîtaientdésormaispourformerunensembleperverseteffrayant.)Oùcomptes-tualler?

Ellepivotasursestalons,luitenditsespaumesvides.—Oùpuis-jealler?(Lacolèrerésonnaitdanschacundesesmots.)Jeveuxjusteuneviehorsde

cette prison de haine, soit elle dans un bouge,mais seul un autreArchange peut se dresser face àNeha,doncceladoitêtreunmembreduCadre.

—Lijuanestlaplusproche.Uneterreuraveuglesecouasoncorps,sibrutaleetprofondequeJasonfitunmouvementquilui

étaitinhabituel,ettenditlamainpourlatoucher.Ilserrasonbras.—Mahiya,luidit-il.—PasLijuan.Elleavaitlavoixrauque,commesielleavaithurlé.—Tuasdéjàessayéauprèsd'elleauparavant,devina-t-il.(Lachaleurdelapeaudelajeunefemme

s'attardaitsursapaumebienquelecontactaitétébref.)Ques'est-ilpassé?Ilseproduisaitdesmilliersd'horreursàlacourdeLijuan.Desmilliersdecauchemarsyavaient

priscorps.Mahiya s'appuya contre l'arbre.La lumière découpait sonprofil et laissait des touchesde soleil

danssescheveux.—C'estdifficiled'avoiruneconversationavecunhommequivoittout.—Tuveuxdirequ'ilestdifficiledememanipulerpourquejenevoiequecequetusouhaites.Envérité,saforcenevenaitpasdesacapacitéàlireenelle,maisdelaconsciencequ'ilavaitdes

choses qui lui échappaient. Même lorsqu'il connaissait quelqu'un depuis des siècles, il gardaittoujoursàl'espritqu'iln'avaitsaisiqu'unaperçudelatapisseriecomplexequ'étaitlavieintérieuredecettepersonne.

Lafemmequiluifaisaitfaceavaitundessincompliquédanslecœuretdesémotionsqu'ilpourraitbiennejamaiscomprendre,n'étantpeut-êtrepasenmesuredelefaire.Ilsavaitseulementobserverlesindicesqued'autresprenaientpourdescertitudes,etensuitecombinercesindicespourformeruntableaud'émotions.Ilsavaitquecen'étaitpasainsiquelerestedumondeprocédaitetsavaitaussiquesonincapacitéàselieràceuxquil'entouraientétaitunmanqueenlui.

Celaleperturbaitassezpourqu'ilenaitfaitpartàJessamyunsiècleplustôt.Ladouceinstitutricedesjeunesangesavaitprisletempsdeconsidérersaquestion.— Je pense, avait-elle dit, que tu as la capacité d'éprouver des sentiments aussi profonds que

n'importequelautreImmortel.Peut-êtreplus.» Tu as un cœur si grand que celam'effraie parfois. Et lamanière que tu as de verrouiller tes

émotions...(Unregardattentif.)Latempêteéclateraunjour.Decela,jesuiscertaine.Tun'asencorejamaiseuderaisondecourircerisque.(Elleluiavaitoffertunsourireattristé.)J'enconnaisquelquechoselorsqu'ils'agitd'éviterladouleur,alorsfais-moiconfiancelorsquejetediscela.

JasonavaitleplusgrandrespectpourJessamyetsavaitqu'ellenementaitpas.Néeavecuneailedifforme qui lui interdisait tout espoir de voler un jour, elle avait dû vivre un enfer que Jason nepouvaitimaginer.Ilnemépriseraitjamaiscela,neconsidéreraitjamaiscetteépreuvecommemoinsdifficile que celles qui l'avaient façonné, mais il savait que Jessamy et lui avaient un vécufondamentalementdifférent.

Toutcommeilétaitincapabled'imaginercequec'étaitquedenepouvoirtoucherlecielàvolonté,Jessamy ne pouvait comprendre ce que c'était que d'être seul. Profondément, absolument seul. Paspendantuneheure,unjour,unan.Maispendantdesdécennies.

Jusqu'àcequ'ilaitperdul'usagedelaparole,oubliéd'êtreunepersonne.Cet isolement sans fin avait desséché quelque chose en lui lorsqu'il n'était encore qu'un petit

garçon avec des ailes trop lourdes pour son corps et, contrairement à Jessamy, il pensait qu'ils'agissaitlàd'uneperteirréversible.Aussiirrévocablequeladisparitiondel'atolloùilétaitné,oùsamère avait été enterrée, et qu'un tremblement de terremassif dû à une explosion volcanique sous-marineavaitengloutisousleseaux.C'étaitcommesisesparentsn'avaientjamaisexisté,commes'ilavaittoujoursportéenluicettesolitude.

—Visiblement,ditMahiyaenrompantlesilence,jesuistombéesurplusfortquemoi.Elleavaitprofitédecettepausepourarborersursonvisagelemasqued'unefemmedecour-oùle

veninétaitleplussouventinoculéavecunsouriredouxcommelemiel.—Assez joué. (Le survivant en lui admirait la volonté acharnée de la jeune femme,mais il ne

pouvait permettre que cela lui donnât la mainmise dans cette conversation.) Prends ta décision etprends-lavite.

Unlégertremblementagitasapeau,etilsutquederrièresonrefustêtudelâcherprise,elleétaiteffrayée.Jasonn'aimaitpasprovoquercesentimentchez les femmes.Cela faisait remonter tropdesouvenirsàlasurface,dessouvenirsquines'évanouiraientpas,quelquefût lenombredesannées.Sesmains le picotaient comme s'il avaitmartelé en vain la porte d'une pièce pour en sortir, pourarrêtercequiétaitentraindesepasserdel'autrecôté.—Non,tune...—Nemenspas!J'aivudequellemanièretuleregardais!Lesvociférationsfirentéchojusqu'àluimais,tourmentécommeill'était,Jasonavaitapprisdepuis

longtempsàdanseravecsesdémons.Ilneditmot,mêmequandunsilencepesants'installaentreeux,plombéparlapeuraiguëdeMahiya,etmêmequandtoussesinstinctsluisoufflaientdedétruirecequiprovoquaitcesentimentchezlajeunefemme.

— Tu dois me donner quelque chose en retour. (Des lignes se formèrent autour de ses lèvresdouces, ses épaules se redressèrent.) Je ne peux te céder l'information la plus précieuse en ma

possessionsansobtenirquelquechosed'aussiprécieuxenéchange.Jasoncompritalorsquecetteprincesse,avecsagrâcecalme,avaitapprisàutiliser lapeurpour

devenir plus forte plutôt que de se laisser écraser par elle.Une partie cachée, inconnue de lui, enéprouvaunevive joie.Uneémotionbrute, inattendueet si extrêmequ'ildut faireuneffortpour laconteniretresterdemarbre.Mêmealors, ilbrûlaitdecetteémotion,pouvaitsentirsesflammesdeminuitparcourirsesveines.

— Si ton information se révèle importante, dit-il, réfléchissant à sa violente réaction ets'apercevantqu'elleétaitprêteàrisquerlamortpourconservercesecret,j'enparleraiàRaphaël.

L'espoirilluminasonvisage.—Est-cequ'il...Jasonnemarchanderaitpasàcoupsdemensongesetdedemi-vérités.—AucunArchangeneselanceradansuneguerrepourtoi,dit-ilsansambages.Qu'importentles

secretsquetudétiens.Mahiya se sentit craqueler de toute part. En quelquesmots, Jason venait de détruire l'unique et

fragile lueur d'espoir qu'elle avait cultivée à travers l'humiliation, les blessures et une vie entièrepassée à savoir que ses jours étaient comptés. Et le comble était que Jason nemanifestait aucuneémotionfaceàtoutcela-commesisavieàellenesignifiaitrien.Etc'étaitlàl'hommequ'ellevoulaittoucher,apprendreàconnaître?

—Alors,dit-elle,s'extirpantdesonabyssesurunetourfaitedefureur,defiertéetd'unsentimentaigudepertepourquelquechosequ'ellen'avaitjamaispossédé.Dequellevaleuresttapromessedanscecas?

—Unedéfectiondirecten'estpaslaseulemanièred'obtenircequetuveux.(LetondeJasonétaitplusdurquejamais,sesyeuxaussisombresquel’ébène.)Tuasgrandiauseind'unecour.Penses-y.

Mahiyacillafaceàsacolère.Sespropresémotionss'écartèrent.—L'information,exigeaJasonavantqu'ellenepuissedémêlerl'écheveaudesespensées.Auboutducompte, lechoixn'étaitpasdifficile.Lavéritédure, implacable,étaitqueJasonavait

raison -peu importaitqu'ellen'ait rien faitpourmériter son incarcérationdanscetteprisondorée.Neharégnaitsurceterritoire,avaitautoritéabsoluesursescitoyens.SiellevoulaittorturerMahiyapendantdessiècles,c'étaitsondroit.

CommeJasonl'avaitsouligné,aucunArchangenesemêleraitdecettehistoireetnerisqueraitdeprovoqueruneguerresimplementpourl'informationqueMahiyaavaitensapossession.Donc,illuifallaitcomptersurJason.Aumoins,ilneluiavaitpasmenti.Aucontraire,ilsemontraittropbrusquedanssonhonnêteté,arrachant toutà la foisses illusionsetsesespoirs.Elle jetteraitdonc lesdésetespéreraitqu'iltiendraitsapartdumarché.

—Lijuan,dit-elle,sapoitrinedouloureuseausouvenirdelasensationdefroidàglacerlesosdanslecouloircettenuit-là.Personnenel'avuearriver,etpersonnenel'avuepartir,maisdanslamesureoùellen'estplusvéritablementincarnée,celaneveutriendire.Jel'aientendueparleravecNehadanslapiècegardéeparleserpent-etoui,j'ensuissûre.Savoixestreconnaissable.

Deshurlements,voilàcequ'onentendaitdanssavoix.Jason garda le silence pendant un long, très longmoment. Les courbes tourbillonnantes et les

pointsdesontatouagesemblaientsévèresdanslalumièredujour.Lorsqu'ilpritenfinlaparole,cefutpourdéclarer:

—J'aibesoinquetudécouvressiunefemmedelacour-officielleounon-estportéedisparue.Neteconcentrepassurcellesquisontenfaveur,maissurcellesquigravitentautour.

Surpriseparlebrusquechangementdesujet,elleréponditinstinctivement:—Celadevraitêtreassezfacile.Lapopulationàl'intérieurdufortestétroitementcontrôlée.Jasondéployasesailesquirépandaientl'obscurité,etellesutqu'elleétaitcongédiée.—C'est tout?demanda-t-elle,voulant l'agripper, lesecouer,brisercesmursd'obsidiennequi le

tenaientàl'écartdumonde.C'esttoutcequetuasàdire?Ill'avaitsifacilementanéantie,puisoubliée.—Pourlemoment.Etils'élevadanslesairs.Les dents serrées, elle se propulsa en un décollage vertical, sachant que la conversation était

terminée.Ellenepourraitjamaislerattraperdansleciel.Etpuis,ilétaitunmaîtreespion.S'ilvoulaitdisparaître,Mahiyan'étaitpasenmesuredesuivresatrace...etNehadevaitbienlesavoir.

—Unjeu,dit-elleens'étranglantsursaragepresqueaveuglante.Toutcelan'estqu'unjeudepuisledébut.

NehaavaitchoisiMahiyapourqu'elleéchoue,pourqu'ellemeure.

Dmitris'appuyasuruncoudeetsepenchapourréveillerd'unbaiserlafemmeàlapeausoyeuseet

chaudequiétaitdanssonlit.Lesommeilembrumaitencorelevertinsondabledesesyeuxlorsqu'ilss'ouvrirentenpapillonnant.

—C'estdéjà lematin? (Passantsesdoigtsdans lescheveuxduvampire,elle réclamaunbaiserplusprofondquirappelaàcedernierqu'illuiappartenait,sijamaisill'avaitoublié.)Bonjour,époux.

—Bonjour,femme.(Ilnesefatigueraitjamaisdeledire.)Tuasfaim?Laréponsed'Honorfutunrirerauquequis'enroulaautourducœurdeDmitri.—Jecroisbienqu'ilyaunsous-entendudanscettequestion.Danslamesureoùilavaitdéjàabaisséledrappourdévoilerlesmontsgénéreuxdesseinsdela

jeunefemme,c'étaitunequestionrhétorique.Illacaressademanièretaquine,joueuse,etlorsqu'elleenvoyapromener lesdrapsavecune impatiencenondissimulée, il sedéplaçapours'installerentresesjambes.

Oùillataquinaunpeuplus.Desesdoigts.Desoncorps.Desabouche.Honor se tendit sous lui dans un doux halètement, ses mains se refermant sur les cheveux de

Dmitri suffisamment fortpour lui faireunpeumal.C'étaitunedouleurdélicieusequipourraitvitedevenirunedépendance-ladouleurquidécoulaitdesonplaisiràelle.Dansunsourire,ilfrottasajouenonraséecontrelapeaudoucedel'intérieurdesacuisse,àl'affûtdumoindresignededétresse,avantderôderautourdesaféminitétressaillantsousl'extaseérotique.

—Ouvrelesyeux.Ilattenditqu'elleobéisseavantd'entrerenelle.Ils'assuraittoujours,toujours,qu'elleétaitaveclui

à chaque étape de ce chemin. Parce que Honor avait été violentée et que ses cicatrices nedisparaîtraientpasmiraculeusementenunesemaine,nimêmeuneannée.Ellesétaientunepartd'elleindélébile,maisiln'étaitpasnécessaired'alourdir lesdégâts,chosequ'ilavaitfaiteunefoisetqu'iln'étaitpasprèsderecommencer-ilpréféreraitplutôts'arracherlecœur.

—Dmitri.Unsonrauque,seslèvressurlecoudel'homme,sesdoigtssursanuque,lecaressant,l'embrassant

exactementcommeill'aimait.Cen'étaitpas lamêmechosequ'auparavant, lorsqu'ilétaitavecIngrede,et ilne le regrettaitpas.

Non,ilsesentaitlepluschanceuxdetouslesenfoirésdelaplanète.SiIngredeavaitaiméleDmitriqu'ilétait,Honoraimaitceluiqu'ilétaitdevenu.Iln'yavaitnihorreurnidégoûtdanssesyeuxfaceàl'obscurité qu'il avait en lui, rien d'autre qu'une acceptation qui lui disait qu'il pouvait se sentir denouveauchezlui,aprèsdessièclespasséssurlesterreslesplusdésolées.

—Arrête,lamit-ilengardealorsqu'ellejouaitdetoussesmusclesinternesautourdesaqueue,luiprocurantunplaisirqu'ilnepourraitsupporterlongtemps.Jesuisloind'enavoirfiniavectoi.

—J'adorecetondanstavoix.(Mordantgentimentsamâchoire,elleselaissaretombersurlelitetcroisalesbrasau-dessusdesatête.)Jesuisàtamerci.Dequelnouveautourmentprévois-tudemetorturer?

Elleletitillait, ladévergondée;soncorpsétaitunpoingenfusionquiseserraitet letentait.Unautrejour,ilauraitpuentamerunjeuérotiqueavecelle,maiscommeill'avaittenueéveilléepresquejusqu'àl'aube,ilsesentaitaussisatisfaitqu'unchatbiennourricematin-là.

—Unelongueetlentechevauchée,jesuppose.(Ilplaçasamainsursonsein.)Trèslente.—Pasça.(Denouveau,cettelueurjoueusedanssesyeux.)Toutsaufça.Embrassantsonsourireetsentantlachaleurdecederniervoyageràtraverssesveines,ilbougea

son corps en un rythme calme et régulier qui plongeaHonor dans une nouvelle vague de plaisir.Alorsqu'ellecriait,soncorpsverrouilléausiendemanièrepossessive,ils'abandonnaàsonproprebesoinetluiplantasescrocsdanslecou,oùlegoûtétaitlemeilleur.

—Dmitri.Unsoupirdeplaisirsensuel,etpuisilss'écroulèrentdansunelangueurbéate,membresetcœurs

emmêlés.Plustard,ilsavonnasoncorpsetl'aidaàsesécherlescheveux.Iln'avaitjamaisfaitpreuvedece

genredetendresseavecaucuneautrefemme,ayantlongtempscruqu'iln'enétaitpluscapable-maistout soncorps ronronnaitde satisfactionmasculine lorsqu'elle le laissait fairecequ'ilvoulait avecuneconfianceaveugle.Honordéposadesbaiserssur lapoitrinenuedeDmitri,enroulases jambesautourdujeanduvampirealorsqu'elles'asseyaitsurlecomptoir,emmaillotéedansunpeignoirdebainrose.Elletentaittoutpourledistraire,etilrit,menaçantdelapunir.

—Despromesses,despromesses.Dixminutesplustard,ilsétaientassisl'unenfacedel'autreàlatabledupetitdéjeuner,danslavilla

auxconfinsdelaToscanequeRaphaëlleuravaitoffertepourleurmariage.Encemoment,Michaelaet l'ArchangedeNewYork étaient en bons termes, personnene savait oùDmitri etHonor avaientprévudepasserleurlunedemiel,lelieuétaitdoncsûr.

—Dmitri?Son inflexiongrave l'interpella. Il leva les yeuxde son téléphone, sur lequel il était en train de

vérifiersesmessages.—Qu'ya-t-il?LesaffairesdelaTourpouvaientattendre.Toutpouvaitattendre.Honorpassaitenpremier.Elleseleva,fitletourdelatablepours'yappuyeràsescôtés,sesdoigtsjouantaveclesmèchesde

cheveuxmouillésdeDmitri.—Tun'aspasreparléduchangement...pourdevenirvampire.Repoussantlégèrementunpandupeignoirdelajeunefemme,ilvintposersamainsurladouceur

desacuisse.—Riennepresse.Ilavaitautrefoispenséàlapousserversl'immortalitéavantqu'ellenepuissechangerd'avis,mais

avecl'aubeétaitvenuelaprisedeconscience.Ilnepouvaitpasl'yobliger.—J'aifaitmonchoix.Letondesavoixluirappelaqu'elleétaitunechasseusepureetdure.—Tul'asfaitdanslessuitesduplaisir,répondit-il,lesémotionsdecettenuit-làencorevivement

présentesàsonesprit.Jen'essaieraijamaisdetedétournerdecetteidée.(Ilvoulaitunmillierdeviesavecelle.)Maisj'aidécouvertquej'avaisencoreunpeudebontéenmoietjenet'entraîneraipaslà-dedansavantquetadécisionnesoitmûrementréfléchie.

Ellesourit,cettefemmedontlecœurluiappartenait.Uncadeausansprix.—Jen'arrivetoujourspasàcroirequetusoislà,quenoussoyonsensemble.(Seglissantsurles

genoux deDmitri, elle appuya sa tête contre son épaule.) Jem'attends toujours à ce que tout celadisparaisse.

—Celan'arrivera pas. (Il honorerait cette promessedans le sang s'il le fallait.)L'éternité ou letempsd'uneviemortelle,nousparcourronscetterouteensemble.

Ayantpassélerestedelajournéeàécoutersansêtrevudescourtisansetdessoldats,deshumains

etdesvampires,desangesjeunesetvieux,Jasonsedrapadumanteaudelanuitpendantqu'ilvolaitau-dessusdufort.Ilétaitpresquesûrdel'identitédel'assassind'Eris,maisilluifallaitencoredeuxinformationssupplémentairespourconfirmer son intuition -Mahiyaessayaitd'obtenir l'uned'ellesdanslescoulissesdelacourdeNeha.

Opérant une descente pour venir se poser dans le délicieux jardin de la cour, où les élégantesdames s'étaient rassemblées ce soir-là pour partager leur peine, il laissa l'obscurité de sa cachettel'envahir.Malgrécequecertainsmurmuraient, Jasonnepouvait créerdesombresàpartirde rien,maisilpouvaitdistendreetamplifierlesplusmincesfilsd'obscuritéjusqu'àdisparaîtredelarétinedes gens. Si jamais ils réussissaient malgré tout à l'apercevoir, ils ne distinguaient qu'une imagefantomatique.

Iln'avaitpastoujoursétéaussiàl'aiseaveclesombres.—Commentpourrais-jeêtreunéclaireurdenuitsij'aipeurdunoir?Sa lèvre inférieure tremblait alors qu'il marchait aux côtés de samère, l'aidant à ramasser des

coquillagessuruneplageàdeuxheuresdevoldechezeux.—Toutlemondeapeurdunoirquandilestpetit.(Letirantversunecrevassepeuprofondetaillée

danslapierre,elleluimontraunbernard-l'hermitequiavançaitavecsamaisonsurledos.)Etpuistuaimesl'obscuritéparfois-commelorsduvoldenuitquetuaseffectuéavectonpère.— Il y avait des étoiles. (Elles lui avaient rappelé les bijoux étincelants que sa mère portait

lorsqu'ilsrecevaientdelavisite.Personnen'étaitplusvenudepuislongtemps,probablementparcequesonpèreétaittoutletempssiencolère.)Ilnefaisaitpasvraimentsombre.Larobecouleuraméthystedesamèreflottaitdanslabrise.—Tuvoisdéjàmieuxquemoidanslenoir-tum'asaidéeàretrouverlaboucled'oreillequej'avais

perdueilyadeuxjours,tutesouviens?Jasonopina.—Cen'étaitpasdifficile.Laperlenoireavecsonjoliscintillementbleuluiavaitcommeclignédel'œildansl'obscurité.—Paspourtoi,monintelligentpetitgarçon.(Riantdecettemanièrecommunicative,elleajouta:)

Unjour,tuverrasaussibiendenuitqu'enpleinjour.Tun'aurasplusjamaispeurdunoir.Samèreavaitraison.Àsescentcinquanteans,savisionnocturnes’étaitaccruejusqu'àégalercelle

d'unoiseaudeproie.L'obscurité luiétaitfamilière,età laminuteprésente, ils'enenveloppaitpourmieuxépierentoutediscrétion.

Lacourdevantluiétaitéclairéeparlalumièrevacillantedecentainesdebougies,abritéespourlaplupart derrière des verres colorés qui changeaient le marbre des bâtiments environnants en unpaysage onirique. Quant aux gens qui se tenaient là, ils ne riaient que discrètement, se retenaientd'éleverlavoixetfaisaientbienmoinsdebruitqu'unecourd'Archangeentempsnormal,maisc'étaitlàlesseulesmarquesdeleurdeuil.

Personnen'auraitdevinéenlesvoyantquelebûcherfunéraired'Eriss'enflammaitlelendemain.Malgré les nombreuses frivoles qui tenaient des coupes de Champagne et parlaient avec une

gestuelle distinguée tout en manœuvrant habilement pour se déplacer, il n'eut aucune difficulté àrepérerMahiya.Vêtued'unsaridesoiebleu-vert,relevéd'unefrangedorée,ellesemouvaitàtraverslafouleavecl'aisancedequelqu'unquisetrouvaitenterrainfamilier.

Àcetinstantprécis,elles'arrêtaettournalatêtedanssadirection.Sonregardétaitsiintensequ'ilimaginapouvoirensaisirl’étincelantmarronfauvemêmeàcettedistance.Ilétaitimpossiblequ'elleait pu sentir sa présence, et pourtant il était sûr qu'elle savait qu'il était là. Lorsqu'elle se remit enmarche,unefinelignedetensionétaitvisibleentresesépaules.Mahiyaétaituneénigme,dotéedesmanièresdel'élitedelacouretdesinstinctsd'unechasseuse.

Détournant les yeux pour balayer la foule du regard, il eut confirmation que Neha était restéeauprèsducorpsd'Eris.Jasonavaitapprisqu'elleavaitpermisà la familledudéfuntd'êtreprésenteauxfunéraillesquisetiendraientàl'aube,etàpersonned'autre.Certainsmurmuraientquel'Archangeétaitjalousedesonaffiliémêmedanslamort,maisselonJason,Nehalepleuraittroppourpartagersapeine.

ReportantsonattentionsurMahiya,ilvitqu'elleétaitentraindes'éloignerdugroupe.Ilétudiaunedernièrefoislesconvives,avantdeprendrelechemindupalaisqu'ilpartageaitaveclajeunefemme,apercevantunéclatdesoiebleu-vertquidisparaissaitdansl'allée.

Ilentraaprèselle,refermalesportesetmontaàl'étagepourlatrouversurleurbalconcommun,leregardperdusurlacouréclairéeseulementdequatrelampes.Ellenemontraaucunsignedesurpriselorsqu'ilvintlarejoindre.Seulunpasséparaitlesdeuxcôtésdubalcon.CeluideJasonpossédaitdescolonnes soutenant le toit et son bord était ouvert demanière à faciliter l'envol. Celui deMahiyaprésentaitunerambarde,qu'elleagrippaitfermementàcemoment-là.

—Elle s'appelaitAudrey. (Desmots calmes, ne portant aucune trace apparente de la colère quil'avaitpriseplustôt.)Unegrandevampireblonde,plantureuse.EllefaisaitpartieducercledeNehadepuisvingtans,maisnétaitpasparvenueàentrerdanslacourofficielle.

—Quanda-t-elledisparu?—LejouroùErisaétéassassiné,bienquepersonnen'aitencorefaitlerapprochemententreles

deuxévénements.Ceuxquiontremarquél'absenced'Audreypensentqu'ils'agitd'unsimplehasarddecalendrier.Personnen'aprislapeined'essayerdelacontacter-ellen'étaitpasl'unedesfavorites,etlesamitiésqu'elleanouéesétaientaumieuxsuperficielles.(Sesmainscrispéessurlabalustrade,ellerestaitleregardfixésurlanuit.)Crois-tuqu'elleatuéEris?Regarde-moi,princesse.—C'estpossible.Lesdoigtsdelajeunefemmefléchirent.—Est-cequejecomptepourtoi?(Laquestioncomportaitdessous-entendusplussubtilsquilui

échappaientsûrement.)Dansletableaudetasiprestigieuseexistence,est-cequemaviecomptepourtoid'unequelconquefaçon?

Il était habitué à garder des secrets, mais il sut à cet instant qu'il devait répondre à cela, ou ilrisqueraitdeperdrequelquechosequ'iln'avaitpaseuconsciencederechercher.

—Oui.Tucomptes.UnfrissonsecoualasilhouettedeMahiya...et,enfin,elletournasonlumineuxregardverslui.—Alorsturespecterastonmarché?—Oui.Marchéoupas, Jasonn'avaitaucune intentionde la laisserà lamercideNeha,mais ilne ferait

aucunepromesseàmoinsd'êtresûrdepouvoirlatenir.Lorsqu'ilavançaauborddubalcon,prêtàdécoller,Mahiyadit:—Ellen'estpasdanssesquartiers.J'aivérifiéplustôt.Jasonn'avaitpasl'habitudedes'expliquerauprèsdequiquecesoit.MêmeRaphaëlluilaissaitles

coudées franches. Mais la déclaration de Mahiya contenait une fierté blessée qui disait que cettefemme,cettesurvivante,avaitétépousséeàbout.

—Bien.(Ilseretourna,soutintsonregardpourluimontrerqu'ilnel'ignoraitpas.)J'aiuneautreidéequejesouhaiteraisétudier.

Unepause,puisunlégeracquiescement.Savoixn'étaitplusfroidedutoutlorsqu'elleajouta:—J'attendraitonretour.Étonnantcequecessimplesmotsprovoquèrentenluialorsqu'ildécollaitets'élevaitdansleciel

nocturne semé de diamants. Là, il semit à planer, invisible contre les étoiles, et il écouta. Il étaitincapablede faireappelàcedonsurcommande,mais ilpouvait seplacerdans l'étatd'esprit idéalpourledéclencher.Cequ'ilfit,alorsquedesmèchesdecheveuxéchappéesdesaqueue-de-chevalluifouettaientlevisagesouslesventscapricieux,etquesachemisedelinsecollaitcontresoncorps.

Des chuchotements commencèrent à s'infiltrer dans son esprit quelques minutes plus tard, unmillierdepetitsfragmentsinintelligibles.Patiemment,ilpermitàlarivièredesensationsdes'écoulerautourdelui.Puisilsaisitununiquemurmurequiétaitdavantageunesensationquedesparoles.Sedéplaçantdanslevent,ilsurvolalescrêtesetlesvallées,suivantuninstinctaiguiséparpresqueseptcentsansdevie.

Rien ne distinguait cette vallée où la piste s'arrêtait net. Mais il descendit malgré tout sous lalumièredelalunepourseposerfurtivement,uneattitudequiétaitaussiinnéechezluiquederespirer.Plongédansl'ombre,l'endroitnerévélaitriendesessecrets...puisleventtourna.Décompositionpoussiéreuse,maispasd'odeurdepourriture.Suivant le fil de labrise, il remontaversdes rochersgris, dont certains faisaient la tailled'une

voiture.Laformedecettepierreescarpéeluiracontaitsonorigine,bienquesuffisammentdetempssesoitécoulépourquelesherbesvigoureusesaientmutédanslebutdesurvivreàceclimatdifficileetaientpousséjusqu'àhauteurdesongenouautourdelaroche.

C'était,pensa-t-il,unevéritablechancequelecadavrefûttombédansunecrevasselorsqu'ilavaitétéjeté.Oucequ'ilenrestait,dumoins.Lalonguejupeincrustéedecentainesdeminusculesmiroirsaurait sinon brillé comme un phare sous la lumière du soleil. Le vêtement de starlette se trouvaitcoincédansl'ombredespierres,laplusgrandepartieducorpsprisdansunefissureentredeuxrocs.

Le sang avait séché et s'était écaillé depuis le tempsqu'elle gisait là, seule et oubliée, ses longscheveuxblondssecsmaisencorebrillants,sonvisageméconnaissable.L'ombreentrelesrocsavaittoutefoispermisdepréserverassezdechairsursoncorpspourqu'ilpuissedevinerque lavictimeavait été sévèrement tabassée. La chute sur ces pierres aurait sans doute pu causer ces contusions,maisJasonétaitprêtàparierqu'elleavaitsouffertdemauvaistraitementsavantsamort.Parcequecemeurtre,toutcommeceluid'Eris,étaitunactedefureur,depassion.

On s'était si cruellement acharné sur elle quemême la décomposition et le picotage des petitscharognardsetdesoiseauxnepouvaitcacherqu'elleavaitétépoignardéeàdemultiplesreprises.Làoùsonsqueletteétaitexposéauxéléments,ilpouvaitvoirlesentaillesquelalameavaitprovoquéessursesos,desmarquesd'unehorribleviolencequiavaitpersistébienaprèsque lesasticotseurentnettoyécequirestaitdesachair.

Visiblement,Audreyn'étaitpaslapluspuissantedesvampires,carsisoncœuravaitbiendisparu-arraché d'une main brutale comme semblait l'indiquer l'état de sa cage thoracique - sa tête, enrevanche, était encore sur ses épaules, même si elle avait été violentée. La peau de son cou étaitplissée comme celle d'unemomie - là où il y en avait encore,mais d'après ce que Jason pouvaitconstater, ces dégâts avaient été causés par les oiseaux et les rongeurs, et nonpar une tentative dedécapitation.

Sesmainsétaientàl'étatdesquelette,ilétaitimpossibledediresielleavaitportéunebagueàundoigtparticulier,maisilpouvaitaisémentglanercetteinformationsurunephotopuisqu'ilconnaissaitdésormaissonnom.Ilétudialazoneautourducorpsetneremarquariend'autre.Lelaisserlàallaitcontretoutessescroyances,maisilnepouvaitpasprendrelerisquedel'emmeneraufort.LaréactiondeNehaétaitimprévisible-s'ilnes'yprenaitpasdelabonnemanière,leschosespourraienttrèsmaltourner.

Et Audrey avait dépassé depuis longtemps le seuil de la douleur. Il devait maintenant prendre

d'autresviesenconsidération.—Quoiqu'ilarrive,jem'assureraiqueturentrescheztoi,promit-ilàladéfunteavantderetourner

dansunepartiemoinsencaisséedelavalléeetdes'éleverànouveaudanslecielnocturne.LesportesdubalcondeMahiyaétaientouvertes,commeune invitation,et lorsqu'ilentra,ce fut

pour la trouver installéesuruncoussinposéàmêmelesol.Elles'étaitchangéeetavait troquésonsari pour une tunique aigue-marine vive qu'elle portait avec un fin pantalon de coton noir, sescheveuxarrangésencechignonfamilieràlabasedesanuquegracieuse.

Devantellese trouvaitune tablebassed'unboissombresculptéeet incrustéedediscrètes lignesd'orfinsurlesbords.Unethéièreetunassortimentdedouceursetdepâtisseriesétaientposésdessus,ainsiquedeuxtasses.Ils'arrêta,déçu.

—Tuattendsquelqu'un.LeriredeMahiyaétaitchaleureux.—Oui,toi.Iln'avaitpasétéprisparsurprisedepuisdelongues,longuesannées.—Commentsavais-tuquandjereviendrais?Desvolutesdevapeurs'élevaientduthénoirqu'elleavaitcommencédeverser.—Unebonnehôtesseapprendlerythmedeviedesesinvités.(Elleagitasamaindélicate,nuede

toutebaguemaiscercléededeuxbraceletsdelamêmeteintequesatunique,pourindiquerlecoussinplatdel'autrecôtédelatable.)Assieds-toi,jet'enprie.

Ilsedemandasiellecherchaitàleséduire,décidaquec'étaitpeuprobable-satuniqueétaittroppudique, le colmao très haut, sesmanches descendaient jusqu'aux coudes et son visage n'était pasmaquillé.Légèrementdéstabilisépar tout lemalqu'elle s'étaitdonnépour lui, il s'assitdirectementpar terre, ses ailes recouvrant les plus petits coussins aux couleurs de pierres précieuses qui setrouvaientautouretdontletissuétaittrèsdoux.

— Tu dois être dotée de quelque don sensoriel pour avoir anticipé mon retour avec une telleacuité.

— Quoi ? Non. (Son regard étonné laissa place à une honnêteté attristée, signe qu'elle auraitpréféré pouvoir se vanter d'undon.) J'observais les cieux à ta recherche.Donc, tu vois, il n'y a làaucunmystère.

Sauf qu'elle l'avait vu. Et personne ne voyait Jason s'il ne le souhaitait pas. En l'occurrence, iln'avaitriensouhaitédetellorsdesonretouraufort.CequisignifiaitqueMahiyaavaitbienundon.

— Quand m'as-tu repéré ? demanda-t-il d'un ton neutre, voulant jauger de l'étendue de sescapacités.Lorsquejesuissortidesnuages?

—Jesuppose.Jet'aivuàl'horizonjusteaprèsquetuaspasséleProtecteur.Ilétaittrèshautdanslecielàcemoment-là,unpointnoirperdusurunetoilenoire.Ilétaitétonnant

que Mahiya ait développé ce qui semblait être un sens visuel perçant à un âge aussi jeune. Celaindiquait qu'elle avait le potentiel pour gagner en puissance parmi le genre angélique. Il s'étaittrompé,admettait-il,bercéjusqu'àlacomplaisanceparladouceurdelaprincesse,dontlaforceétaitsemblableàunecalmemaispersistantechuted'eaucontrelapierreplutôtqu'àuneviolentesecousse.Ilavaitoubliéunpeuvitequ'elleétaitnéededeuxpuissantsImmortels.

—Tonthé.—Merci,répondit-ildanslamêmelanguequ'elle,cequiluivalutunsourireenretour.Lorsqu'ellepoussaversluileplatdepâtisseries,ilenmangealamoitiéavantdes'arrêter-ilavait

sautéledîner,etnes'étaitpasrenducomptequ'ilavaitaussifaim.Toutdulong,Mahiyal'observadesesyeuxdechat. Ilychercha lahainevenimeusedont ilsauraientdûêtre injectés...maisne trouvaqu'uneintelligenceviveetunedouceurd'espritqu'ellenepouvaitdissimuler,malgrétoutsontalentauxjeuxdedupesdelacour.

La fascination semêlait désormais à l'admiration. Un sentiment qu'il n'aurait pas cru éprouver

pourlaprincesseMahiya.Elledevaitavoirlavolontéd'unelionnepouravoirrésistéaupoisondesatante,bienqu'ildégouttâtsurellechaquejour.

—As-tutrouvéAudrey?Jason étudia la question et décida de lui faire confiance en lui disant la vérité.C'était aussi une

occasiondemesurersaréaction.—Oui.—Elleestmorte,n'est-cepas?Elleétaittrèscertainementlafemmequiréchauffaitlelitdemon

père.Jasonsefigeafaceàlarapiditéetlaprécisiondesaconclusion.—TusaisquiatuéEris,dit-illentement,serendantcomptequ'ils'étaittrompésurbiendespoints.

Tul'astoujourssu.Elleétaittropintelligente,tropbonneàdécelerlesnon-ditspournepasavoirassembléelleaussi

lespiècesdupuzzle.Elleétaitalorsentraindereposersatasse,etrelevabrusquementlatête.Ellefaillitfairetomberla

belleporcelaine.—Quoi?Posantsapropretasse,Jasonpritlathéièreetluiversaplusdethé.—Bois.Lamain tremblante, elle ne discuta pas l'ordre.Quand elle reposa sa tasse, son expression était

déterminée.—Toid'abord.

Jasonnevitaucuneraisonderefuseralorsqu'ilspartageaientlemêmesavoir.—Peut-êtrequed'autrespouvaientmonnayerleurentréedanslepalaisd'Eris,maisnoussavons

tousdeuxqu'uneseulepersonnepouvaitensortirtrempéedesangsansêtrearrêtéepar lemoindregarde.

Gardesquiassuraientnepasserappelerunseuldétailinhabitueldecettenuitmeurtrière-etquepourtantNehan'avaitpasexécutésbienqu'ilsaientlaissésonaffiliésefairetuer.

Mahiyapritunbonbon :unmélangede sucreetdemiel, épicédeclousdegirofleet recouvertd'éclatsd'amandes.Elleledégustatranquillement.

—Oui,dit-elledebutenblancdesavoixsoyeuse.Celaaétémapremièrepensée.—Tuaschangéd'opinion?—Pourquoi...Taprésence,ellen'aaucunsens.Oui, pensa Jason, pourquoiNeha l'inviterait-elle à résoudre unmeurtre qu'elle avait elle-même

commisetpourlequelellen'auraitjamaisàrépondre?C'étaitlàunmystèrebienplusopaquequelaraisonmêmedelamortd'Eris.Lafolieouunearrogancefataleavaitamenécedernieràpenserquesa femmenedécouvriraitpas sa liaisonavecAudrey.Oupeut-être avait-il cherchéàmourir aprèstroiscentsansd'emprisonnement.

Jasonrejetacettehypothèsejusteaprèsl'avoirformée.Erisétaitunhommetropégocentrique,tropégoïstepouravoirchoisilesuicide,surtoutparcebiaissialambiqué,quilaissaitsoncorpsmeurtri,dépouillédesafiertéetdesabeauté.

Unbruitdeporcelaine,Mahiyadéposantsatassesursasoucoupe.—NehachercheraitàtedétournerdeRaphaël.Peut-êtreest-celaraisondesoncomportement.—Non.(PasquandNehal'avaitrencontrésipeudetempsaprèssonarrivéeauRefuge.)Ellesait

sûrement que je ne servirai jamais une femme ayant fait une chose pareille à l'homme qu'elleprétendaitaimer.

Le regarddeMahiya se fit plus perçant, comme si elle devinait l'histoire qui avait inspiré cettedéclaration.

—Etelleatropdefiertépourmentiretdirequetuastrahilesermentafindetefaireexécuter.Cequinouslaissesansréponse.(Elletenditlamainetremplitsatasseàrasbord.)Qu'allons-nousfaire?

Ilconsidéralesfaitsdansleurensemble,puisunparun.Lemeurtren'étaitpasleplusimportant.LarelationdeNehaetdeLijuanétaitproblématique,maisellesétaientvoisines-uneamitiéentreellesn'était pas incompréhensible.Sansdétailsplusprécis, lanature exactede leurs rendez-vous secretsrestaitfloue.

Et...iln'avaitpasencoretrouvélasolutionpourqueMahiyagagnesaliberté.—Jenecomptepaspartirtoutdesuite.Mahiyafouilladenouveauparmilesfriandises.—T'attends-tuàcequejementelorsqu'ellemedemanderacequetuasdécouvert?Ilmangeadeuxautrespâtisseriesempliesd'unmélangedelégumesaigre-doux.—Ellen'écouterapasunevéritévenantdetoi.(Jasonlâchaceconstatsansménagement,sedoutant

que la jeune femme était déjà parvenue à la même conclusion.) Elle l'utilisera plutôt comme uneexcusepourtetuer.

Mahiyaseresservit.Sonexpressiondemeuraitimperturbable.—Ellen'apasbesoind'uneexcuse.—Jen'ensuispassicertain.

En tuant Mahiya, Neha tuerait un enfant qu'elle avait participé à élever, et le genre angéliqueaccordaitbeaucoupdevaleurau liend'unenfantavecsonparentousontuteur.Qu'untuteur tuecetenfant...celabriseraituntaboutrèsancrédanslesmœurs,etmêmeplusquecela:uneloinaturelle.

Jason,plusquequiconque,comprenaitquedetelstabouspuissentparfoisêtreignorés,maiscelaavaitunprix.

—T'exécutersansraisonvalable,alorsqu'elleestvisiblementsained'esprit,feraitd'elleunpariaparminotreespèce.

EtNehaétaitunêtresociable,quiaccordaitdelavaleurauxliensqu'elleavaittisséstoutautourdumonde.

Prenant une gorgée de son thé qui devaitmaintenant être tiède,Mahiya rencontra le regard del'ange.

— Je garderai le silence, mais ta réputation te précède. Si les jours passent et que tu ne luiprésentesaucunrésultat,elledeviendrasuspicieuse.

Mais Jason n'allait pas avoir à se soucier longtemps de tromper la méfiance de Neha, car levermillondusangétaitloind'avoirfinideserépandre.

Le choc et la tristesse se lisaient dans les yeux de Neha lorsqu'elle rejoignit Jason à côté ducadavretoutrecroquevillé,découvertsuruneterrasseducôtédelacouropposéauPalaisdesJoyaux.Lafaiblelumièredel'auberecouvraittoutdesonordoux,donnantàcettescèneunaspectdetableaumacabre. Au centre se trouvait une vampire vêtue d'un pyjama en soie noire ; les cordons de sachemiseavaientétéarrachés, laissantvoirsesseins lourdsetsapeauquelamortavaitdéjàunpeugrisée.

Sesjambesrompuesétaienttorduesdansunanglebizarre,commesielleétaittombéeouavaitétéjetéedepuisunpointenhauteur.Lapositionde soncorpsnepermettaitpasd'affirmer si elleavaitchutédepuislecieloudepuisl'unedestoursquiceignaientlefort-laplusprochesetrouvaitàbonnedistance.Jasonparleraitaugardequiétaitdequartdurantlesheuresprécédantleleverdujour,maisson instinct lui soufflait que la victime ne s'était jamais trouvée dans la Tour, et qu'elle avait étéprécipitéedepuislesairsparunange.

Malgrélesseinsnus, l'attaquenesemblaitpasd'ordresexuel.L'étatdesesvêtementss'expliquaitprobablementparunelutte.ContrairementàAudrey,cettevictimen'avaitplussatête;cettedernièreavaitroulépourallers'arrêtercontrel'unedesbalustradesouvragéesencroisillonsoùilavaitvulaveilleplusieursfemmesvêtuesdemanièreexquises'accouderetrire,observantlacoursouselles.Cematin-là,seullebruitdessanglotsd'unefemmeétaitperceptible,etilnevoyaitqueleséclaboussuresderouillelàoùlatêteavaitrebondi.Elle le regardait depuis l'autre côté de la pièce, ses jolis yeux marron voilés d'une blancheur

anormale.Labasedesanuqueétaitbordéedesang,làoùlatêteavaitétéposée,surlatableducoin,commesielleavaitétéplacéelàdanscedessein.

Leséchosdel'horreurquirésonnaientàtraversletempsnecréantnullesurprise,Jasonenfermalesouvenirderrièrelesboucliersqu'ilavaitmisunevieentièreàériger,etcontinuad'observerlecorpsquigisaitdevantlui,etquelavien'avaitpasquittédepuislongtemps.

La poitrine de cette femme était intacte, on ne lui avait pas ôté son cœur, mais à part cela, cecadavre et celui d'Audrey étaient identiques. Les blessures dues à la chute cachaient la plupart descontusions, malgré tout, Jason pouvait voir que la victime avait été battue avec une brutalitéimpitoyable avant de mourir. Lorsqu'il la retourna pour étudier son dos, il vit que sa colonnevertébraleavaitétéarrachéeetgisaitàcôté,contrelapeaumaculéedesang.Ilreposalavictimeavecprécaution, certain qu'elle avait été consciente pendant les coups, la torture, paralysée et aussiimpuissantequ'unnourrisson.Fureuretviolence.C'étaitbienlasignaturedutueur.

—Lareconnaissez-vous?demanda-t-ilàNeha,conscientqu'ellevenaitseulementderevenirduFortdel'Archangeaprèslebûcherfunéraired'Eris.

Sescheveuxencoregorgésd'eau, réunisenchignonà labasede sanuque,et sa simple tuniqued'un bleu pâle portée avec un pantalon blanc indiquaient qu'elle était en train de se laver après lacérémonie,commelevoulaitlacoutume,quandonluiavaitappriscenouveaudécès.

—Elles'appelaitShabnam.(Unepeinesincèreperçaitdanssavoix.)Elleétaitl'unedemesdamesdecompagnie.Laplusancienne.(S'accroupissantprèsdelatêtedelavampireàlapeaudévastée,sanssesoucierquesesailess'égratignentcontrelemarbrefroidetlesangquiletachait,elletenditlamainpourfermerlespaupièresdeShabnamsursesyeuxnoisettequelamortrendaitternes,utilisantunetouchedepouvoirpourêtresûrequ'ilsrestentclos.)J'aiéparpillélescendresd'Erisilyamoinsd'uneheure, alorsque samère sanglotait, etmaintenant jedois informer la familledeShabnamdecettenouvelle.

Jasonentenditlacolèrequipointaitderrièrelapeinedel'Archange,etc'étaitunautremystèrepourlui.

—Pourriez-vousmeparlerd'elle?— Elle était aussi douce qu'un papillon, dit Neha en se relevant avec difficulté, comme si la

tristessel'alourdissait.Unjoliornementquinesesouciaitquedepaillettesetdebrillants.Ellen'avaitpaslecœurnoiretn'étaitpasdouéepourlapolitique.Sielles'esthisséesihautdansmacour,c'estparcequej'appréciaissoninnocence.(Seslèvressetordirent.)Detouteslesfemmesquimeservent,elleétaitlaplusinoffensive.

Et pourtant, elle avait été tuée avec une cruauté terrible. Jason ne se targuait pas de pouvoirdécryptertoutesleshumeursdeNeha,maissatristessenesemblaitpasfeinte.Ilpouvaitsel'imaginersanspeinetuantErisdurantunaccèsdejalousie,maisilnelavoyaitpasrépandreunsanginnocenttoutensepréparantàfairesesderniersadieuxàsonaffilié.Etmêmesielleavaitcommiscecrimedans la folie de la douleur ou de la culpabilité, elle n'avait aucun besoin de jouer la comédie. Sityranniquequecelapuisseparaître,NehaavaitdroitdevieetdemortsurShabnam.

—Penses-tuqu'ils'agissedelamêmepersonnequiatuéEris?demandaNeha-lafroidecolèredel'Archangenimbaitsesailesd'unhaloinquiétant.

—Peut-être.(Jasonseredressa.)Ouilpourraits'agirdequelqu'unquiutiliseraitlemeurtred'Erispour couvrir un meurtre sans rapport. (Shabnam avait sûrement été une femme splendide, ce quidéterminalaprochainequestiondumaîtreespion.)Avait-elleunamant?

—Oui.MaisTarunestendéplacementenEuropepouraccomplirunetâchequejeluiaiassignée-iln'auraitpaspufairecela.

Jasonpritnotedeconfirmerpar lui-mêmelesfaitsetgestesdeTarun.C'étaitpresqueuncliché,maisl'amantétait trèssouventlecoupablelorsqu'unefemme,humaineouimmortelle,était tuée.Lemalnefaisaitpasdedistinctionentrelesraces.

—Quid'autreauraitpuluitenirrancune?Neha avança jusqu'à une partie de la terrasse menant à une marche imposante et à une allée

couvertequi,sionlasuivait,conduisaitàuneautreterrasse,plusbas.—C'étaitunedamedecompagnie,Jason.Jesaispeudechosedesavie.Évidemment.Contrairement aux Sept de Raphaël, les dames de compagnie de Neha n'étaient là que pour la

divertir,l'amuser,veilleràsonconfort.Ellessortaientdesonespritdèsqu'ellesdisparaissaientdesavue.

—Puis-jeavoiraccèsauxautresfemmesquivousservent?IlcontacteraitaussiSamira,recueilleraitsesimpressionssurShabnametTarun.—Oui.(Nehadéployasesailes.)Mahiyasauraoùlestrouver.Surce,elledécolla,unangedegrâce,depuissance...etdontlesmainsaufildessiècless'étaient

tachéesd'uneobscuritécouleurrubis.Jason trouvaMahiya dans la cour située sous la terrasse, et bien qu'il ne lui eût donné aucune

instruction,elledit:—Laplupartdesdamesdecompagnie sontencemomentmêmeen traindese regrouperdans

leurjardinprivé.Jeterecommanderais,malgrétout,deleurparlerseulàseul.—Soit.Toutefois,ilpourraitêtreintéressantdevoircommentellessecomportentengroupe.—Par là. (Elle tournaàgauche.Satuniquevertmenthebruissaitcontresapeauàchacundeses

pas.) Les nouvelles vont vite dans la petite ville qu'est le fort, dit-elle, répondant à sa questionimplicite. J'ai appris ladécouverteducorpsdeShabnampeut-être cinqminutes aprèsque legardel'eutsignalée.(Attachantl'épinglequiretenaitsalongueécharpeblancheavecélégancesursonépaulegauche,elle lui lançaunregardévaluateur.) Iladitque tuétaisarrivéquelquessecondesplus tard.Tombéducielcommeuneflèchenoire.

—Tucroisquej'aituéShabnam?Ilsavaitqu'il seraitcapablede tuersi jamais ilavaitun jourunêtrecheràprotéger.Cedernier

pointrelevant,biensûr,delapurefiction.—Non.(Uneréponsebienplusfermequeceàquoiils'étaitattendu.)Maisiln'empêchequetoutle

mondesedemandecommenttuassu.Lesventsavaientchuchotéunnom,l'avaientattirédansunecertainedirection,maiscen'étaitpas

unsecretqu'ilpouvaitpartageravecuneprincessequivoyaitdeschosesquepersonnenedevraitêtrecapabledevoir...etquiluiavaitdonnél'envieimpossibled'êtretoujoursaccueillichezluicommeill'avaitétélanuitdernière.

—J'étaisentraindesurvoler lefort,et j'aivulegardecourir,paniqué.Iln'étaitpasdifficiledeplongeretd'endécouvrirlacause.

Mahiyahaussaunsourcilmaisrestasilencieuse,etuneminuteplustard,ilstraversaientl'unedesgaleries taillées dans le fort pour déboucher sur des jardins recouverts d'une profusion de fleursodorantes.Cinq femmesse tenaientproches lesunesdesautresdansuncoin.Des fleursd'unautregenre.Alors queMahiya s'apprêtait à semontrer, Jason l'arrêta en posant samain sur la douceursoyeusedesonbras,sonodeurcaressantlessensdumaîtreespion.

—Attends.—Lelangagecorporelpeutêtresignificatif,c'estça?Le calme commentaire deMahiya faisait écho aux pensées de Jason. L'aile de la jeune femme

effleuralasiennealorsqu'ellesepenchaitpourqu'ilpuissel'entendre.Ilnereculapas.—Très.La dame la plus grande, une ange, se tenait légèrement à l'écart.Une autre ange, dont les ailes

étaientd'unmarronpâledemoineau,seretenaitàunevampiresylphide,avecledésespoirimmensedequelqu'unquin'estpassûrquesesjambesvontleporter.Enfin,uneangeauxyeuxsombresetunevampireàlapeaupâles'essuyaientlesyeuxaveccequisemblaitêtredesmouchoirsdedentelle.

—Lemoineau,murmuraJason,pleuresincèrementcetteperte.Lesautresétaientenreprésentation.—Oui.(Delacompassiondanscetuniquemot.)ElleetShabnamonttoutesdeuxétéétabliesdans

leurpositionenmêmetemps,etplutôtquedese livreràunecompétitionpourattirer l'attentiondeNeha, elles sont devenues amies et se sont mutuellement aidées à naviguer dans les tourmentespolitiques.

—Pourquoiyenaurait-il?Ellesoccupenttouteslamêmeplaceexceptionnelle.Mahiyaleregardaenfronçantlessourcils.—Tuplaisantes?Jasonn'avaitjamaisétéaccuséd'unetellechose,mêmeparl'incontrôlableIllium.— Si étrange que cela puisse paraître, dit-il, je n'ai jamais eu de raison deme pencher sur le

fonctionnementinterned'ungroupededamesdecompagnie.Ilavaitdesespionsbienpluscapablesque luidanscedomaineetqui l'informaientden'importe

quellenouvelleimportantevenantdetelsquartiers.—UnedamedecompagnieaunecertaineproximitéavecNeha.(Mahiyasemblaitavoirdécidéde

leprendreaumot,bienquelasuspicionn'aitpasentièrementdisparudesonregard-cequi,pouruneraison quelconque, provoquait un calme amusement chez l'ange aux ailes noires.) Aucune d'entreellesne serait suffisamment stupidepour risquer sapositionen luidemandantdirectementquelquechose, mais à l'occasion, si l'une d'elles est particulièrement en faveur, Neha lui accordera unavantage.

Etmêmeunpetitavantagedelapartd'uneArchangepouvaitchangerl'équilibredupouvoirdansunesituationdonnée,comprenaitJason.

—Représentent-ellesdifférentsgroupesauseindelacour?Ilobservaitlesfemmesdevantluiavecunregardneuf,voyaitdésormaisenellesdespapillonsde

fer,auxailesaffûtéesparlesrasoirsdel'ambitionetdelaconvoitise.—Passeulementàlacour,maissurtoutleterritoire.Ainsi,ellesétaienttouteslesmarionnettesdemaîtresquitiraientdeloinlesficelles,lesmanipulant

pourservirleursintrigues...leslaissantfairelesaletravail.— Lisbeth est celle qui a le plus de pouvoir aujourd'hui. (Mahiya désigna l'ange aux yeux

sombres.)Elleesttrèsintelligente.Elleslesonttoutes,d'ailleurs.Ilopina,comprenantlamiseengarde.—Jeprends soindene jamais sous-estimerun adversaire,mais j'auraispu le fairedans le cas

présent.(Commelesautresautourd'elle,Lisbethsemblait...frivole.Desvêtementsautissutransparentquifrissonnaitauvent,descheveuxd'unchâtainbrillantcoiffésenunemassecompliquéedeboucles,des peignes de pierres précieuses dans sesmèches, un visagemaquillé avec une délicatesse pleined'artquisoulignaitlabeautédesapeaucouleurébène...)J'enaiassezvu.

—Souhaites-tuquej'organisedesentretiensavecelles?luidemandaMahiyaquandilsfurentderetourdanslecouloir.

—Non.(Iliraitlestrouverlorsqu'ellesseraientseulesetnes'attendraientpasàêtrequestionnées.Pourlemoment,ilvoulaituneréponseàuntoutautregenredequestion.)Tucoopèresau-delàdecequerequierttondevoir.

Unsourirefactice-qu'ildétestaitdepuisqu'ilavaitaperçuceluiquiétaitsincèrelanuitprécédente,lorsqu'elleavaitavouél'avoirrecherchédanslescieux.

—Tues,murmura-t-elle,monmeilleurespoirdepouvoiréchapperàcetenfer.Ilsedemandaalorsjusqu'oùexactementelleseraitprêteàallerpourcela.

—Dis-moiàquiprofitelamortdeShabnam.MahiyaéprouvasoudainlebesoindehurlerdefrustrationlorsqueJasonposacettequestiondesa

voix ensorcelante. Elle l'avait volontairement appâté avec sa réplique doucereuse et empoisonnée,voulantprovoqueruneréponsedesapart,briserenmorceauxlaglaced'obsidiennequil'entouraitetluidonnaitl'impressiondes'adresseràunmiroirsombre.

—Une autre dame de compagnie attend-elle de prendre sa place ? clarifia-t-il lorsqu'elle restasilencieuse.

—Ilyenatoujoursquiattendent.(Elletorditlecouàsonétrangefolie,aprèstout,enquoiétait-elleconcernéesiJasonpréféraitvivreàl'écartdumonde?)MaisNehachoisiraquiellevoudra-uneprétendantepourraittuertoutlegroupedesesrivalesetnepasobtenirlaplacepourautant.

Sonécharpefutsoulevéeparleventtandisqu'ilsprenaientlechemindelaterrassesupérieure,etvoletasurlebrasdeJasonavantderetomber.Jesuisjaloused'unmorceaudetissu.C'estridicule.Ilnemeremarquemêmepas.—Désolée.Lanuitdernière,surlebalcon,lorsquel'ombrefatalequ'étaitcethommeavaitfaitl'effortévident

denepasheurter ses sentiments, la fascinationqu'elleéprouvait à sonégard s'était transforméeenquelquechosedeplus tendreetdebienplusdangereux.Àlamanièredont il l'avait regardéeàsonretour,elleavaitespéréquepeut-être...Maisdetouteévidence,sesactionsn'avaientétédictéesqueparlagentillesse,etriend'autre.Cetteprisedeconscienceluitorditlecœur.

— Tu ne peux pas tenir le vent en laisse, lui répondit-il avec un regard d'une profondeurinsondable.

—Non, je suppose que non. (Elle rompit leur contact visuel trop fort, trop viscéral, trop, toutsimplement.)IlauraitmieuxvaluqueShabnamdisparaissesicetacteavaitunemotivationpolitique,dit-elleens'efforçantdeseconcentrersurcecrime.SonassassinatpourraitmenerNehaàéprouverdelacompassionpoursesprochesetàchoisirdansleursrangssaprochainedamedecompagnie.

—Pourraient-ilsainsiobtenirunavantagesupplémentaire?L'aile de Jason était si proche qu'elle pouvait discerner les filaments noirs qui constituaient

chacunedesesplumesdeminuit.Elleserralepoing.—Non.(Bienqu'ellenedoutâtpasque,sicelal'avaitaidée,la«famille»deShabnamauraittrès

bienpu la sacrifierde sang-froid.)Shabnamvalait plus envie.Elle était auxcôtésdeNehadepuislongtemps,elleavaitgagnésaconfianceetsonaffection.

—Tesailestraînentparterre.—Quoi?Oh.Cerappelquiauraitpuêtreadresséàunenfantfits'enflammersesjoues.Ellesoulevasesailesafin

queleursextrémitésnefrôlentpluslapierrerougedelaterrasse.Ilrepritalorslaparoleetsonembarrassechangeaenuneémotiondouce-amère.—Tudois travaillerà renforcersérieusement tesailes.SiNehachanged'humeur, il sepourrait

que tu doives fuir le plus rapidement possible en un lieu sûr, le temps que je puisse trouver unesolutionpolitiqueàtaliberté.

—J'aiàpeineplusde troiscentsans,Jason,dit-elleen l'appelantpour lapremièrefoisparsonnomdesapropreinitiative.

C'étaituneinfractionauxrèglesqu'elles'étaitelle-mêmefixées.Cetteintimitéluirappelaittousles

autresmoments fragilesqu'elle avait rêvédevivre avecunamant sansnomet sansvisage inventédanssesheureslesplussombres.Unamantavecquiellevolerait,verraitlemonde,construiraitunevie,unfoyer,empliderire,dejoieetd'amourcommeellen'enavaitjamaisconnu.

—Mêmesijem'étaisentraînéeàdesvolsd'endurancetoutemavie,reprit-elle,s'agrippantàsonrêvedetoutessesforcesfaceàladureréalité,jenepourraisdistancerNeha,mêmepasletempsd'unbattementdecil.

Neha était une Archange qui avait vécu des millénaires et sa puissance était immense. ElleécraseraitMahiyacommeuninsectesanslemoindreeffort.

—Etoùmecacher?(Ellesecoualatête.)Jenelalaisseraipasm'asservirdenouveau.Jepréfèremouriren luttantpourma libertéque finircommeEris,mortdans seschaînes. (C'étaitunsermentféroce.) Je ne lui permettrai pas d'épingler mes ailes au mur comme Lijuan le fait des papillonsqu'ellecollectionne.

Jasonsentitunesombreviolencesourdreen luià ladéclarationpassionnéedeMahiya,mais lesmotsquisortirentdesaboucheétaientfroids,etdifférentsdeceuxqu'ilauraitaiméprononcer.Ceux-làrestèrentcachésenlui,emmurésdanslesilencequirésumaitsonexistencedepuissilongtemps.

—Lijuanvoudraitm'ajouteràsacollection.Mahiyatrébuchasurunedalleirrégulièredelaterrasse,etseraittombées'iln'avaittendulamain

pourattrapersonbras.Tâchantd'ignorerqu'illatenait,elleleregardafixement.—Tel'a-t-elledéclaréenface?—Tuasdesailessiuniques,Jason.Quelgâchisceseraitsitumouraisaucombatetsicesailesde

minuitétaientperdues.Unemortpaisible, sansdouleur,dans lesbrasd'une femmecharmante,déjàavancéedanssonâgeadulte,seraitbienplusagréable,netrouves-tupas?

—Ellem'aoffertunemortpaisible.(Ils'obligeaàrelâcherMahiya.Sonbesoind'uncontactavecelleledéchirait.)Elles'estmontréebienplusdiserteausujetd'Illium.

—Oui,sesailesbleuesauxbordsargentéssontétonnantes,murmuraMahiya.Jel'aivuunefois,ilaccompagnaitRaphaëlenvisite.

Jasonplongeasonregarddanscesyeuxclairsmêmedansl'ombredupassage,etréalisasoudainque cette lueur était une indication de puissance en devenir. Une indication que personne n'avaitremarquéecarlechangement,commechaqueaspectdelapuissancedeMahiya,devaitprocéderparétapes.

—Tespropresailessonttoutaussiuniques.—Non.(LavoixdeMahiyas'infléchit.)Mamèreavaitlesmêmes.Ill'ignorait,etsidesailesd'unetellebeautéavaientétéoubliées,celasignifiaitquequelqu'unavait

toutfaitpourqu'elleslesoient.Nehaavaitapparemmenteffacédumondetoutetracedel'existencedesasœur.Maintenant,elletentaitdefairedemêmeavecl'enfantquiportaitdesailesd'unsaphirexquisetd'unvertémeraude,aussiéblouissantesquelaroued'unpaon.

—As-tu...Est-cequetuasdéjàvulaChambredescollectionsdeLijuan?Jasonfitunepause,observaMahiyaquisefrottaitlesbrasenfrissonnant,commesiellen'étaitpas

souslalumièredusoleil,alorsquecettedernièreétaitéclatante.—Oui,répondit-elle,jel'aivue.LaChambredescollectionsétait situéedans la forteresseoùLijuanavaitcréépour lapremière

foissesRessuscites.Cettechambreétaitfroideenpermanencepourpréserverlescorpsquipendaientauxmurs,leursailesclouéesàlaparoienuneexpositionmagnifique.

Certains,Jasonlesavait,étaientmortsdansdescirconstancesquiavaientlaisséleursailesintactes,maisd'autres...d'autresavaienttoutsimplementdisparudumonde.

—Situasvucettepièce,dit-ilencaressantduboutdesdoigtslajouedeMahiya,tuasdelachanced'êtreencoreenvie.

Ellenerepoussapassamain.Croisantlesbrascommepourseréchauffer,ellereprit:

—J'aicruquejepourraisproposermesservicesenéchangedesaprotection.J'étaisconvaincuequ'ilmeseraitpossibled'êtreunesortedeservanteetdedevenir libreunefoismondevoirrempli.(Unfrissonlasecoua.)JecroisqueLijuanm'arenvoyéeàNehaaulieudemegardercommetrophéeuniquement parce qu'elle était profondément choquée que j'aie osé fuir l'Archange auquel je «medevais».

— Si tu étais un chat, murmura Jason, l'esprit tourné vers l'immense pièce de stockage qui setrouvaitderrièrelaChambredescollections,empliedetiroirssuffisammentgrandspourcontenirdescorpsangéliques,jetediraisquetuasperduaumoinsseptdetesneufviescejour-là.

—Quesais-tudecetendroit?C'étaitunmurmurequidansaitsurlapeaudumaîtreespion.—Denombreuseschosesquejenepeuxeffacer.LesmotsdeJasoncontinuaientdehantersonesprit,lourdsd'uneobscuritéinsidieusequisemblait

menacersafragileexistence.Malgrécela,ellenepouvaitsesortirdelatêtelaconclusionàlaquelleelleétaitarrivéeunpeuplustôt:iln'éprouvaitpaslamêmeattirancequ'elle.Ellelequittaplusieursminutesplustard.

—JedoismerendreauprèsdeNeha.Jesuissupposéet'espionner,aprèstout.LaréponsedeJasonfutaussiinattenduequelalégèrecaressequil'avaitramenéeauprésentquand

lecauchemardelaforteressedeLijuanmenaçaitdel'engloutir.—Tuestroptendrepourunetelletâche.(Desmotspresquedélicats.)Etj'admirelaforcedonttu

asdûfairepreuvepourluttercontrel'amertume,pourrefuserquetoncœursepétrifieenunepierreinerte.

Personnen'avaitjamaiscompriscettevérité,comprislavolontéquecelaluiavaitdemandéepourresterintacteetenunseulmorceau.Troubléeparlafaçonqu'ilavaitdel'atteindresiprofondémentlorsquelui-mêmerestaitsidistant,elledit:

—Jedoisyaller.Etellesedétournapours'éloigner.Lorsqu'elleregardapar-dessussonépaulequelquessecondesplustard,ilavaitdisparu,lecielne

dévoilantaucunsignedumaîtreespionquisemblaitvouloirmettresonâmeànu.Quies-tu,Jason?Leventneluiapportaaucuneréponse.Ellebaissa lesyeux,prituneprofonde inspirationet endossadenouveau l'armureémotionnelle

queJasonavaitsudéfaired'unsimplecontactetdequelquesmots.EllenepouvaitserendreauprèsdeNehaenétantvulnérableetexposée.

Dixminutesplustard,lorsqu'ellelocalisal'Archange,cenefutpasdanslesméandresdesonpalaisprivéoùl'airétaitfrais,maissurlesremparts,qu'ellearpentaitencontemplantlavillesoussespieds.Gardant ses ailes soigneusement pliées contre son dos, et ses émotions placées sous un étroitcontrôle,Mahiyaobserval'Archangefaireunsignedetêteàdesvisiteursquigravissaientlecheminraide et sinueux menant au fort. Neha n'y autorisait pas les véhicules modernes, pas plus qu'àl'intérieurdufortlui-même.Leséléphants,leschameauxetleschevauxétaientconsidéréscommedesmoyensdelocomotionacceptables.

—Aurais-tuoubliéàquituvenaist'adresser?C'étaitunequestionsournoise.—Jesuisdésoléesij'aifaitunfauxpas,madame.Autrefois, les mots lui auraient fait l'effet de tessons de verre dans la gorge. Maintenant, ils

n'étaientquedesoutilsutiliséspourdistrairel'Archangependantqu'elletravaillaitàs'échapperdesaprison.

Unsilence.LeblancpolairedesailesdeNehaétaitparsemédequelquesfilamentsd'unbleuroyalquifaisaientéchoauxplumesdeMahiya.Leurparentésemontraitégalementsousd'autresaspects,mais seulement pour quelqu'un qui savait ce qu'il cherchait, et pour ceux qui étaient suffisammentâgéspourconnaîtrelavérité,maissavaientaussin'endevoirjamaisparler.

Pour tous les autres,Mahiya était une lointaine descendante deNeha, que l'Archange avait prissoussonailepargrandeurd'âmeaprèslamortdesesparentsinconnus.Lefaitquelenouveau-nésoitapparu huit mois après l'incarcération d'Eris et l'exécution présumée de Nivriti avait encore plusbrouillé les liens que certains auraient pu être tentés d'établir. Peu nombreux étaient ceux quiimaginaientNeha assez cruelle pour garder sa sœur enchaînée pendant sa grossesse,maisMahiyaavaitentendul'histoiredelabouchemêmedel'Archange.—Unprésentpour tescentans. (Lesourirede l'Archange fitnaîtreun frissonsur l'échinéde la

jeunefemme.)L'histoiredetanaissance.Les anges ne mouraient pas facilement, mais les femmes étaient plus vulnérables après avoir

donné lavie,particulièrement lorsque leurventreavaitétéouvertà l'aided'une lamerouillée, leurbébélittéralementarrachéàellepardesmainsindifférentes,leursorganeslaisséslàsurlesol.Sil'onajoutaitàcelalemanquedenourritureetd'eau,etl'airrare,sirare,enhautdelamontagnelointaineoùsamèreavaitapparemmentétédétenue,Nivritin'avaiteuaucunechancedes'ensortir.

Mêmealors,puissantecommeellel'était,celaavaitdûprendredesannéesd'horriblessouffrancesavantqu'ellenemeuredefaim.

—Tonexistencemêmeestunfauxpas,ajoutaNehad'untonpresqueabsent.Parle-moideJason.Mahiyas'exécutaetditlavérité...pourcequ'elleracontaentoutcas.CommeJasonl'avaitsouligné,

ellepouvaitdifficilementaccuserNehademeurtreetespérervivre.— Il semble respecter le serment, conclut-elle, et travailler à découvrir l'identité du ou des

meurtriers.Nehaavait lesyeuxrivéssurquelquepoint lointainqueMahiyanepouvaitdiscerner.Lesaride

soie qu'elle portait maintenant était d'une teinte de Champagne aux reflets de bronze ; les plis enétaientfixésavecélégancesursonépauleparunebroched'époque.Lacoupedesonchemisier,àlacouleurdubronzeluiaussi,étaitparfaite;ledosavaitdûrequérirungrandtravaildeprécisioncarlesailesenémergeaientsansmêmedéformerlevêtement.

Personne, pensait la jeune femme, ne pouvait dire que l'Archange de l'Inde n'était pas la plusdistinguéedescréatures,maisseuleMahiyaconnaissaitlaprofondeurdelarancœurquiguidaitNehadepuis si longtemps. Elle n'avait pas été surprise qu'Anoushka soit déclarée coupable d'actes deviolenceenversunenfant-l'angeavaitvusapropremèreenéleverundansleseulbutdesevenger,aprèstout.Sabontéenversmilleautresenfantsnepourraiteffacerlatachediaboliquedecetactedehaine.

—Pleures-tutonpère?demandaNeha.—Jepleureceluiqu'ilauraitpuêtre.S'ilavaitreçudemeilleursconseilslorsqu'ilétaitjeunehomme,Erisauraitpeut-êtrerespectéses

devoirsunefoisdevenuépoux.C'étaitlàtoutlepardonqu'ellepouvaitluiaccorder,parceque,entantqu'adulte,ilavaitfaitsespropreschoix.

—Encelanoussommesd'accord,enfantdusangdemonsang.Mahiya se fit immobile - cela n'avait jamais rien auguré de bon pour elle lorsqueNeha faisait

référence à leurs liens.Mais ce jour-là, l'Archange se contenta d'incliner la tête en arrière vers lesoleil brûlant, lui permettant de caresser sa peau dorée, s'imprégnant de la chaleur des rayons.Lorsqu'ellesetenaitainsi,Mahiyapouvaitimaginerpourquoisonpeuplelavoyaitcommeunedéessebienveillante.

—Jel'airencontrépourlapremièrefoisalorsquej'étaisunanged'unmillierd'années.(Lesmotsétaientdoux,sonregardperdudansunpassédisparudepuislongtemps.)Aquatrecentsans,ilétaitàpeineunadultepourmoi,etjeletraitaisainsi.Irresponsable,pensai-je,maisbeauetdotéd'uncharmesimasculin.NoscheminsnesesontpluscroisésavantquejenedevienneArchangeetErisunhommeraffinéetsûrdelui.

Unventchauddudésertlesbalayaunesecondeplustard,brisantlarêveriedeNeha.

—As-tujamaisaimé,Mahiya?Sachantcequiallaitvenir,elleseraidit.—Non.—PasmêmeArav?Levoilà,lecoupquiluirappelaitl'humiliationquiavaitpiétinésonjeunecœur,faillibroyerson

espritinexpérimenté.—J'étaisuneenfantalors.Quesavais-jedel'amour?Elle avait appris qu'on ne pouvait se fier à de belles paroles - et qu'elle avait en elle une force

insoupçonnée.—Ma fille estmorte, ditNeha, passant apparemment du coq à l'âne.Tout commemonmari et

affilié. Certains diraient que j'ai été punie pour ce que je vous ai fait, à toi et tamère. (Des yeuxsombressurlevisagedeMahiya.)Penses-tuquej'aiétépunie,Mahiya?Situledis.Cartuconstruistonproprekarma.—Ilnemerevientpasdepenseràdepareilleschoses,madame.(Mahiyautilisachaquebrinde

compétenceacquispendantcesannéespasséesàlacourpourdissimulersespensées,gardersavoixd'uneneutralitéabsolue.)Jevoussuisseulementreconnaissantedelabontéquevousavezmanifestéeenm'offrantunfoyer.

LeslèvresdeNehas'ourlèrentd'unsourire,maissonregardrestaitdeglace.—Unjolidiscours.Peut-êtretemontreras-tuintéressante,aprèstout.Ungestelégerdelamain,etMahiyasutqu'onluidonnaitcongé.Empruntant le large chemin de ronde des remparts jusqu'à l'escalier qui menait dans la cour

principale tentaculaire - construiteàuneépoqueoù l'infanterie sedéplaçait àdosd'éléphants - elledescenditavecunelenteurmajestueuse,malgrésonenviededéployersesailesetdedécollerverslesmontagnes. Cette option, quasiment synonyme de suicide, était celle qu'elle risquerait en dernier,lorsqu'ellen'auraitplusaucunespoir.—Oui.Tucomptes.SerrantcontresoncœurlesmotsdeJason,avecunefoiinébranlableenl'intégritédecethomme,

Mahiya traversa la cour à pas mesurés. Dans ce grand espace découvert, pourvu seulement dequelquespetitsarbresdansdesbacsplacéssurlescôtés,ellepouvaitsentirunecentained'yeuxposéssurelle-gardes,courtisans,serviteurs.

Elle salua ceux qui faisaient demême à son égard,mais ne s'arrêta pour personne... jusqu'à cequ'unangedegrandetaille,beau,àlapeaumate,trèssombre,etauxyeuxd'ungrisdefuméecroisesonchemin.Sesailesd'unmarronbigarréétaientdeuxfoispluspâlesquesapeau.Alorsellecompritpourquoi Neha avait parlé de l'homme qui lui avait appris sa première et plus durable leçon surl'amour.

—Mahiya,madouce.Aravsepenchapourprendresamain,commes'ilsepréparaità laporteràseslèvres,maiselle

l'arrêtadanssonmouvementd'uneinclinationpoliedelatête,lesmainsjointesdevantelleensignedebienvenue.

—Sire,dit-elle.(Etdanssonespritils'agissaitd'uneinsulte.)Jenesavaispasquetuétaisenvisiteauprèsdemadame.

—Biensûrquejeluirendsvisite.Unsourirecharmeur.IlavaitautrefoispersuadéMahiyaqu'ilne l'adressaitqu'àelle.Maintenant,

ellen'avaitconfianceenaucunsouriremasculin...Etcommençaitenrevancheàéprouvercesentimentpourunhommequinesouriaitjamais.C'étaitunechoseimpossible,etpourtantcelaétait.Ellesefiaitplusàunmaîtreespionennemiqu'àquiconquedansl'enceintedufort-lesvéritésassenéesparJasonpouvaientêtresombresetsouventbrutales,maisn'étaientjamaisdesmensongesenveloppésdansunedouceuracide.

—Noussommesamisdelonguedate,elleetmoi.(Aravlevalesyeuxversl'endroitoùsetenaitNeha.Leregarddecettedernièreétait tournévers laville.)Etbiensûr, jene t'aipasvue, toi,monamantepréférée,depuisdenombreusesannées.

—Jenesuisplustamaîtresse,etcedepuisdessiècles.(Ellesesentaitsouilléeparlesouvenirdecette nuit où elle l'avait laissé prendre son innocence avec une satisfaction qu'elle avait prise parerreurpourdel'amour.)Jetesouhaiteunbonséjour,j'aiàfaire.

Arav lui bloqua le passage alors qu'elle allait le contourner. Insister provoquerait une scène.Mahiya n'aurait eu aucun scrupule à lui donner une claque si le besoin s'en faisait sentir,mais selaisseralleràcetteenviealorsqueNehasetenaitsiprèspouvaitêtredangereux.Parcequ'ilyavaitunechoseausujetdelaquelleAravnementaitpas:Nehaetluipartageaientbiendesliensd'amitié.

Jusqu'àcejour,ellenesavaitpassiAravavaitagicommeonleluiavaitordonnélorsqu'ill'avaitséduitepuis jetéecommeunemalpropre,ous'ilavaitsimplementsaisiuneopportunitéenprofitantd'unejeunefemmesansinstructionquin'étaitpasdanslesbonnesgrâcesdesonArchange,cequi,parconséquent,lelaissaitsanscraintedereprésailles.

—J'aientendudirequetupartagestesappartementsavecquelqu'unquiajuréunsermentdesang.(Lesyeuxd'Aravbrillèrent.)L'animaldecompagniemuetdeRaphaël.Muet?C'étaitune insultesi incompréhensiblequ'elleenperdait tout impact.Jasonn'étaitpasdu

genrebavard,maisiln'étaitpasunecréaturecomplètementsilencieuse-ilchoisissaitsimplementdesetairetantqu'iln'avaitrienàdire.

—Neha,répondit-elleavecunepolitesseglaciale,sembleletenirengrandeestime.Les lèvres d'Arav se tordirent, reflétant sa personnalité putride qu'elle n'avait pas su voir avant

qu'ilnesoittroptard.—Elleestanéantieparledeuil.Ah.—Est-celaraisonpourlaquelletuesvenu?Pourluioffrirtonréconfort?—C'estledevoird'unami.—Unamiquisouhaiteprendrelaplaced'Eris.—Jesuispluspuissantqu'ilnel'ajamaisété.(Lesfaitsvenaientétayersonarrogance;Aravétait

l'undesgénérauxdeNeha.)Quandjeseraisonaffilié,dit-ilenagrippantlementondelajeunefemme

entresonpouceetsonindexavantqu'ellenepuissereculer,jedemanderaiàNehadetedonneràmoipourquetusoismachose.Idiot.Mahiyas'arrachaàsapoigne,sanssesoucierquecelapuisseattirerl'attentiondeNeha.S'ily

avait une chose que l'Archange n'avait jamais faite, c'était de fermer les yeux sur le mauvaistraitement des femmes à sa cour. N'importe quel homme dont on découvrait qu'il avait contraint,frappéousoumisunefemme,étaitsommairementpuniparl'amputationdecertainsdesesmembres-plusl'agressionétaitviolente,plusilenperdait.CertainsImmortelsneparvenaientpasàserégénéreretn'ysurvivaientpas.

PeuimportaitquelafemmeaitounonlesfaveursdeNeha,qu'ellesoitricheoupauvre,paysanneoucourtisane.Larègleétaitabsolueetc'étaitenpartiepourcelaqueNehaétaitunereinesiaimée.MaiscetteNeha,pensasoudainMahiya, lasueurfroideluicoulantdansledos,pouvaitbiennepasêtrecellequirégnaitpourlemoment...surtoutlorsqu'ilétaitquestiondesachèrenièce.—Certainsdiraientquej'aiétépuniepourcequejevousaifait,àtoietàtamère.Étouffantcetteprisedeconscienceglaçante,elleaccordaunsouriretranchantcommeunscalpelà

Arav.—Nehaapprécielafidélitéchezunhommeplusquetoutautrechose.Sijamaisellepensequetu

asprévud'entoucheruneautrealorsquetuluieslié,latortureetl'éviscérationd'Erissemblerontunepunitionclémenteencomparaison.

Malgrélacouleursisombredesapeau,Aravpâlitàvued'œil.Ils'éloignarapidementdeMahiya.Mais elle partait déjà, profitant de ce choc momentané pour longer et descendre l'allée vers lesétables.Caresserleschevauxqu'elleaimaittantseraitunemanièredesecalmer.Ellesentitleregardd'Aravrivésursondosjusqu'àcequ'elledisparaisseàuntournant.Ellesavaitqu'ill'avaitconsidéréejusque-làcommeunjouet,etqu'illavoyaitmaintenantcommequelquechosequ'ilvoulaitbriser.Ellevenaitdesefaireunennemi.

TroisheuresaprèsladécouverteducorpsdeShabnam,etaprèsavoirachevéuncertainnombre

d'autresmissions cruciales, Jason avait l'intentionde questionner les damesde compagnie.Mais ilavaitd'abordbesoindeparleràNeha.

—Venindemandelapermissiondepénétrersurvotreterritoire.Les lèvres de Neha se relevèrent légèrement alors qu'elle marchait près d'une large fresque

représentantuneviergegracilequiportaitunecruchesurlatête.—Leretourdufilsprodigue,dit-elle,lapeineetlacolèredanssavoixatténuéesparladouceur.

Est-ilencheminpourleRefuge?—Ilditqu'iln'oseraitpaspassernonloind'icisansvenirprésentersesrespects.LeriredeNehaserépercutasurlemarbrequilesentourait.—Bienqu'ilaitosés'enfuirauprèsdeRaphaëlaussitôtsonContratachevé.—Jepensequevousauriezétédéçues'iln'avaitpasmontréassezdecranpoursuivresapropre

route.Mêmesiellen'allaitpasêtreraviedeconstateràquelpointlevampireétaitdevenupuissantdepuis

sondépart.LesouriredeNehas'élargitetelledit:—Jeconsensàlerecevoir, tantqu'ilacceptequelesermentquiteliel'inclueluiaussidurantle

temps de sa présence. Espérons qu'il ait apporté un cadeau qui adouciramon courroux suite à sadéfection.

Cequ'apportaVeninétaitplutôtdéconcertant.Pasdeserpentexotique,nideras-du-couenformedecobra,pasdepeigneornédepierresprécieuses,nidevinrare.

— Explique-moi ce qu'est cela, demanda Neha d'un ton froid lorsqu'il dévoila le petit singemécaniquequitapaitsuruntambouretfaisaitclaquerdescymbalesavecunejoiefrénétiquependantqu'ilfaisaitdescerclessurletapisdesoied'unbleudesaphirfaceautrônedeNeha.

Veninarrêtalejouet.—C'estpourvousredonnerlesourire,madame.(Accroupi,illevalatêteverselle.Lesoleilqui

sedéversaità travers lesfenêtresvintfrapper levert inouïdesesyeuxquin'avaientriend'humain.Leursfentesverticalessecontractèrentdanslalumière.)J'aipenséquevousenaviezplusbesoinquedebijoux.Surtoutencejour.

Nehaneditrienpendantunelongueminuteavantdesoupireretdeluifairesignedeserelever.—Mets ça dansmes appartements privés, dit-elle à la servante qui se tenait discrètement à ses

côtés.JasonsutalorsqueledangerétaitpasséetqueleparideVeninconsistantàévoquerlesfunérailles

d'Erisavaitpayé.—Dis-moicequetuasfaitàlaTourdeRaphaëldepuistoutcetemps,reprit-ellequandlaservante

futpartie.C'étaitunequestionpiège,quidemandaitàVenindefairelegrandécartentresesloyautés,maisle

vampiremanœuvrasansmentir-etsanstrahiraucunsecret.—J'yaiapprisàêtreplusfort,meilleur.Maintenant,jevaistravaillersouslesordresdeGalen.—Oui,celui-làestunhommedepatience,contrairementàtoiquienastoujoursétédépourvu.—C'estdansmanature.Venin haussa les épaules, et Jason sut qu'il faisait référence aux impulsions qui avaient été

implantéesenluiparlaReinedesSerpentsetdesPoisons.UnlégersourirevinteffleurerleslèvresdeNeha.Lalueurcalculatricedesaquestionprécédente

avaitfaitplaceàuneaffectionamusée.—Etquandes-tucensérejoindrecebarbaremaîtred'armes?—Jesuisenavance.Sijepuismepermettredefaireappelàvotrehospitalité,j'aimeraisresterici

quelquetempsetdiscuteravecmesamisquejen'aipasvusdepuisdenombreusesannées.LesyeuxdeNehachangèrentàlamanièredumercure,uninstantmarron,lesuivantd'unverten

dentsdescie,fendu,àunevitessetellequeJasonpouvaitpresquecroirel'avoirimaginé.—Alorscommeça,Raphaëlvoudraitplacerundeuxièmeespionàmacour?—VousinsultezJason,madame.(Uncharmedésarmant.)Jeneseraisqu'unbruyantéléphanten

comparaisondecetinsaisissablecobra.Nehaeutunmouvementdetêteexaspéré,maisellesemontraitplusindulgenteavecVeninqu'avec

n'importequi,exceptéErisetAnoushka.—Trèsbien,tupeuxrester.Livre-toiàtespetitsjeuxtantquetuvoudras,mais,Venin?N'oublie

pasquijesuis.Levampires'inclinasurlamaindel'Archange,l'effleuradeslèvres.—Madame,jamaisjenepourrail'oublier-vousnem'avezpasTransforméenidiot.Plustard,alorsqueJasonetVeninarpentaientlemurquisurplombaitl'unedessplendidesportes

dufort,l'angevitsoncompagnonsoupireralorsquesonregardparcouraitlavillequis'étendaitsouseux.Iladmiraitavecmélancoliecesmaisonssimples,peuélevées,quisedistinguaient lesunesdesautresparlacouleurlumineusedeleurporte,oubiendesvoletsrouges,untoitbleu.

—Cetendroittemanque.—Detempsàautre,réponditVenin,sescheveuxsesoulevantdanslabrisequitiraitsurlaqueue-

de-chevaldeJason.C'estlaterreoùjesuisné,lefortoùj'aiétéTransformé.Ilseratoujourscheràmoncoeur,bienquemaloyautéailleàRaphaël.

Jason pensa aux sables ombrés de palmiers du Pacifique, à son île éloignée où il se rendaitlorsqu'ilvoulaitdisparaîtreaumonde.Cen'étaitpassonîlenatale,maiscelayressemblaitassezpourlerendrenostalgique.

—Jecomprends.—Raphaëlapenséquetuapprécieraisdevoirunvisagefamilier,quelqu'unenquitupuissesavoir

confiancepoursurveillertesarrières.

—Jesuiscontentquetusoislà,réponditJason,dontlespenséesallaientàunefemmequivivaitdansunpalais,entouréedegens,maisquiétaitetavaittoujoursétéseule,sansaucunproche.

Mêmeluiavaitdessouvenirsd'amourquiluipermettaientdecontinueràavancer.Mahiyan'avaitrien.Etpourtant,soncœurétaitemplid'espoir,sonâmecapabledetendresse.Elleétaitsiforte,plusfortequelui,carilavaitdûsefermerpoursurvivre,alorsqu'elles'étaitdébrouilléepouryparvenirenrestantintacte.

—Donc, dit Venin, raconte-moi ce que tu as déjà découvert. Je ne trahirai pas ton serment etRaphaëlnes'attendpasàcelademapart.

Jasonn'avaitjamaispenséqu'ilpuisseenêtreautrement.—Ilyaquelquechosequinecollepasdanscettehistoire.(IlparlaàVenindutriplemeurtre,des

détails qui n'allaient pas ensemble.) Tu as encore des relations dans cette cour. (Des amis aveclesquelslevampireétaitrestéencontact;aveccertainsparcequel'affectionquilesliaitétaitréelle,etavec d'autres parce que cela pouvait se révéler utile - Venin était capable de se montrer trèspragmatiquesoussesdehorscharmants.)Trouvelelien,situlepeux.

Les meurtres portaient une empreinte émotionnelle trop distinctive pour être le travail depersonnes différentes, et Neha n'avait ni besoin ni motif apparent pour assassiner sa dame decompagnie d'une manière aussi violente. Et quand bien même, il ne pouvait tout simplement pasl'imaginer interrompre sa veille auprès du corps d'Eris pour commettre cet acte, pas quand ils'agissaitlàdesdernièresheuresqu'ellepasseraitjamaisaveclui.

Veninacquiesçademanièrepensive,faisantglisserseslunettesréfléchissantessursesyeux.—Jeferaitoutcequiestenmonpouvoir,maisjedevraipartirdanstroisjoursauplustard.Neha

nesemontrerapascomplaisanteau-delàdecedélai.—Tuesmeilleur jugedeseshumeursquemoi -parsquand il le faudra. (Veninopinaet Jason

posa alors une question au vampire qui n'avait aucun rapport avec sa tâche au fort.) Comment vaSorrow?

Lajeunefilleavaitsurvécuàl'attaqued'unArchangedevenufou,maisenétaitsortieinfectéeparune toxine qui l'avait changée. Elle était passée d'humaine à quelque chose d'autre, aux pouvoirsinstables.

Venincrispalamâchoire;sestendonssaillaientcontrelapeaudesoncou.—Janvieraprisenchargesonentraînementvampiriquepourlemoment,répondit-il.CevampireavaittravaillédirectementsouslesordresdeDmitrilorsdenombreusesopérationset

saloyautéenverslaTourn'étaitpasàremettreenquestion.Jusque-là,ils'étaitsurtoutmontréutileenœuvrantailleursdanslemonde,plutôtqu'àNewYork.Ils'agissaitd'unélectronlibre.

—Tu sais combien Janvier est doué, ajoutaVenin,mais il faudra que je revienne à intervallesrégulierspourpratiquerladanseduserpentavecelle.

Veninpouvaitsemouvoiràunevitessereptilienne,undonqueSorrowpartageaitaveclui,mêmesilesienprovenaitd'unesourcedifférente.

—Peut-elleyfaireappelàlademande?—Non.Etsiellen'apprendpasàlefaire,ellemourra.(Unedéclarationimplacable.)MaisHonora

raison,Sorrowabesoind'acquérir lesbasesavantquejenerecommenceàlapousser,ouelleferadeserreursstupidesquelavitesseseulenepeutcompenser.

—Quiaprisenchargesonentraînementphysiquependantqu'Honorestabsente?—Ashwini. (Les traits de Venin se détendirent. Ses lèvres se relevèrent très légèrement en un

sourire.)Tusaiscequ'elleafaitàJanvierladernièrefoisqu'ilssesontcroisés?—Unehistoireavecdumiel,jecrois.Jason avait observé les joutes de la chasseuse et du vampire depuis leur première rencontre et

n'avaitjamaisvraimentcomprislanaturedeleurrelation-adversairesuneminute,déterminésàjeterl'autreausol,etalliéslasuivante.C'étaitJanvierqu'Ashwiniavaitemmenéavecellelorsqu'elleavait

dû travaillerdans le territoiredangereuxdeNazarach, et c'était le saphirdonnépar Janvierque lachasseuseportait autour du cou.Pourtant, d'après ce que Jason savait, ces deux-là n'avaient jamaispartagéunlit.

— Pourquoi ne se contentent-ils pas de coucher ensemble ? demanda-t-il à Venin, curieux desavoirs'ilétaitpasséàcôtéd'unenuancesubtiledansleurrelation.

Levampireeutungloussementdiscret.Ilrepoussaseslunettessursonfront.Sesyeuxparaissaientencoreplusinquiétantsdanslalumièredusoleil.

—C'estunmystèrequinousdépasse.(Ilinclinalatête.)Quiestcettebeautéquivientversnous?Jasonn'avaitpasbesoindesuivresonregard-ilpouvaitsentirlaprésencedeMahiyacommeune

tendrechaleurcontresesailes.—LaprincesseMahiya,etelleestàmoi.Il n'avait aucun droit de faire une telle déclaration, mais Venin avait la manie de séduire les

femmes lorsqu'il étaitd'humeur,et Jasondécouvraitqu'ilne souhaitaitpasqueMahiya tombesoussoncharme.

—Ah.Le vampire se retourna et sauta du rempart avec une insouciance ahurissante ;Mahiya porta la

mainàsoncœurparréflexe.MaisVeninatterritaccroupisur lapointedespieds,agilecommeunchat.Seposantàsescôtés,

JasonobservaitMahiyaplusqueVenin.Levampireserelevaetdéposaunbaisersur lamainde laprincesse.

—Siincroyablequecelapuisseparaître,jenecroispasquenousnoussoyonsdéjàrencontrés.Mahiya,fascinée,laissasonregards'attardersurlesyeuxdeVeninquandillevalatêteetrelâcha

sesdoigts.—Non...maisj'aientenduparlerd'unvampireauxyeuxdevipère.TuétaisbaséàlacourdeDelhi

laplupartdutemps.—Oui, reconnut Venin, mais je suis venu ici plus d'une fois. Tu devais alors être en train de

poursuivretesétudesauRefuge.—C'estexact.JecroisquetuasprêtéallégeanceàRaphaëlàl'époquedemonretouraufort.Jason perçut le léger frémissement deMahiya à l'évocation de ce retour qui avait dû être une

expérience terrifiante pour la jeune fille qu'elle était. Il déploya son aile juste assez pour qu'ellevienneeffleurercelledelaprincesse.C'étaitungesteintime,qu'ellen'avaitpasappelé,etqu'iln'auraitjamaisoséfaires'ilavaitprisletempsd'yréfléchir,etpourtant,aulieudereculer,ellesedétendit.

—Jesuiscontentedefaireenfintaconnaissance,dit-elleàVeninavecunechaleursincère.Nehaatoujoursditquetuétaisl'undesTransformésdontelleétaitlaplusfière.

LesouriredeVeninétaittranchant,lesmotsqu'ilprononçaensuiteadressésàJason:—Nousretrouverons-nouspourdîner?—ViensaupalaisdeMahiya.—J'aihâte,dit-ilenbaisantdenouveaulamaindelajeunefemmeavantdepartir.Jason suivit du regard le contour du visage de Mahiya pendant qu'elle regardait le vampire

s'éloigner.—Tun'aseuaucunehésitationlorsquetuluiaspermisdetetoucher.—Jepensequecelas'expliqued'abordparlechoc.Cesyeux...(Ellesecoualatête.)Etensuite,j'ai

vuqu'ilétaittonami.Unlégercraquement,quelquechosedefondamentalsefêlaenlui.Commeilnerépondaitpas,Mahiyapoursuivit:—Nehaaessayéderecréerceteffetparlasuite,tusais,etcelasevoitlégèrementsurcertainsde

sesTransformés,maisellen'aplusjamaiseulemêmesuccèsqu'avecVenin.—Ilseraheureuxdesavoirqu'ilestunique,ditJason,examinantlafissurequ'elleavaitprovoquée

danssesboucliers,l'ampleurdesdégâts,irréversibles.

LesyeuxlumineuxdeMahiyaluisourirent.—Tuvasparlerauxdamesdecompagnie?Ilmitsilongtempsàrépondrequelesouriredelajeunefemmes'évanouit,etquesonexpression

se fit plus tendue. Et il sut qu'il la toucherait de nouveau si elle lui offrait le plus mince desencouragements.Soncorpsavaitfaimdecettesensation,maisaussidumystèreet-lorsqu'ellelaissaittombersagarde-del'inexplicabledouceurqu'étaitMahiya.

MahiyasuivitdesyeuxlesailesnoiresdeJasonlorsqu'ils'élevadansleciel.Leduvetsurlesbras

de la jeune femme était encore hérissé après avoir surpris ce regard dans ses yeux.Cette réactionprimaire n'était pas nourrie par un sentiment d'alarme ou de peur,mais par une passion qui ne serésumait pas au simple désir. Jason la fascinait à biendes égards. Il était une sculpture aux anglesdurs, unbel hommedont elle pressentait qu'aucune femmene s'était suffisamment approchéepourl'apprivoiser.

Elle pensamême qu'il serait dommage que cela arrive un jour. Son côté sauvage faisait partieintégrantedecequ'ilétait.Peut-êtrequelesautresnevoyaientpasleschosesainsi,comptetenudeladistance avec laquelle il analysait le monde, mais Mahiya comprenait... Elle portait la mêmesauvagerieenelle.Sicecaractèresauvageavaitétéemprisonné,confinéetréduitausilence,celanesignifiait pas pour autant qu'il n'existait pas. Jason affichait sa nature jusque sur sa peau, dans leslignesincurvéesd'untatouagequ'ellevoulaitsuivreduboutdesdoigts...duboutdeslèvres.

C'était un aveu dangereux qu'elle se faisait là.Mais il était inutile de sementir plus longtemps.Mieuxvalaitadmettresavulnérabilitélorsqu'ilétaitquestiondel'impénétrablemaîtreespion,afindemieux seprémunir contre cette faiblesse.Le seulproblèmeétaitqueMahiyan'était pas certainedevouloirsedétournerdunoirdansantdecetteflammequinaissaitentreeux.

JasonseposaderrièreLisbeth.Elleétaitassisesurunbancdemarbredansunpetitjardinferméenterrasse,àl'extérieurdupalaisquiabritaitlesdamesdecompagnie.Leshommesétaientstrictementinterditsdanscettezone,saufs'ilsétaientenvoyésparNehaelle-même.Tous lesgardesdes lieux-aussibienangesquevampires-étaientdesexeféminin.

Lapetitefemmesautasursespiedsavecunhoquetdesurprise.—Sire, jeme rendsbiencomptequevousêtes l'invitédemadame,maisvousnepouvezvous

trouverici.—Nehanevousenvoudrapas,rassurez-vous.(Elleenvoudraitpeut-êtreàJason,maispuisqu'elle

neluiavaitpasexplicitementinterditdeparlerauxdamesdecompagniedansleursquartiersprivés,ilneviolaitaucunerègle.)JesouhaiteraisparleravecvousdeShabnam.

Unchangementdansl'expressiondesonvisage,unepenséetrèsrapide.—Noussommesbouleversées.Les larmes luivinrent.Lemarronprofondde sesyeux se fit topazebrillant, et leurbeautéplus

lumineuseencore.Levantundélicatmouchoirjusqu'àsonvisage,elletamponnalapuretécristallinedeseslarmes.

—Jesuisdésolédevouscauserunepeinesupplémentaire.Sontonétaitceluidel'apaisement.IlétaitincapabledeparodieruneémotionavecautantdemaîtrisequeLisbeth,maisilétaittrèsbon

lorsqu'ils'agissaitd'utilisersavoixcommeunearme.Autrefois,ilaimaitchanter,maisleschansonss'étaienttuesdepuislongtempsdanssoncœur,etilsavaitqu'unjour,ileniraitdemêmedesavoix.Unhommequin'avaitquelevideenluifinissaitparn'avoirplusrienàdireaumonde.Desailesd'unbleudeminuitetd'unvertvifainsiqu'unsourirequiendévoilaittropremuaienten

luideschosesquiétaientrestéespétrifiéesdepuisuneéternité.LavoixdeLisbethsemêlaauximagesinattenduesquihantaientsespensées.—Çavaaller.(Reniflantavecunedélicatessequinegâchaitenriensabeauté,elledit:)Vousavez

besoind'aidepourchercherlemeurtrierdeShabnam?Ilinclinalatête.—Savez-vousquoiquecesoitquipourraitéclairercetteaffaire?

Unehésitationcalculéeavantqu'ellenesecouelatête.—Jesuissûrequejedevraismetaire.—Elle estmorte, l'encouragea doucement Jason, des notes chaudes dans la voix. Ce que vous

direznepourraplusluifairedemal.Ravalantsasalive,Lisbethenroulasesbrasautourd'ellecommesielleavaitfroid.—Onneditpasdemaldesmortsmais...Shabnamn'étaitpasfidèleàsonamant.(Lesmotsétaient

prononcésavecunesincéritéconfondante,etpourtantJasonsavaitqu'ilsétaientfaux.Malgrétout,illui permit de poursuivre, voulant savoir jusqu'où elle irait pour calomnier la victime.) Elle étaitgénéreuse de ses faveurs... particulièrement avec les gardes - je crois qu'elle pensait se faciliterl'entréeendeslieuxoùnousnesommespassupposéesnousrendre.

Uneaccusationadroited'espionnage,voiremêmedetrahison.—Pensez-vousquel'undesgardesaitpudevenirjaloux?demanda-t-il,jouantlenaïf.Laplus légère touched'impatienceeffleuraune seconde sonvisage, abîmant l'illusion jusque-là

sansdéfautd'unebelletristesse.—Jesuis sûrequemalgré sesairs,Shabnamn'était riendeplusqu'undivertissementpoureux.

Maislesgensdesafamillesontfiers.Ilsontpuconsidérersesactionscommehonteuses.(Undiscretbattement de ses cils noirs recourbés.) Je ne les accuse de rien, et je suis sûre qu'ils n'oseraientjamais...maisvousavezposélaquestion.Etjevoulaisjuste...Oh,oubliezcequej'aidit.

—J'apprécievotreconfiance.Merci.—De rien. (Elle ne put complètement dissimuler le contentement dans sa voix.) J'espère vous

avoiraidé.—Oui,beaucoup.S'excusant,Jasons'élevadanslesairs.Ilneluifallutpaslongtempspourtrouverlatracedesautres

damesdecompagnie.Cescréaturesn'aimaientguères'éloignerdeleurhabitat,craignantqu'uneautreneprenneleurplaceounegagnequelquefaveurdontellesneprofiteraientpas.

Toutes,exceptéTanuja,l'amiedeShabnamauxailesdemoineau,critiquèrentladéfunte.Uneallamêmejusqu'àinsinuerqu'elleavaitséduitEris.Quoiqu'ilensoit,Tanujafutcatégorique:Shabnamétaitunefemmefidèleetn'espionnaitpas.

— C'était une personne gentille, sanglota Tanuja, sa peau d'un marron léger marbrée par sondésarroi. Trop gentille pour ce nid à vipères. Son statut de favorite ne provoquait chez les autresqu'un comportement encore plus horrible envers elle. Elle en riait et disait qu'elles étaient dessorcières jalouses,maismaintenant,elleestmorte. (Unregarddurdesesyeuxrougisdechagrin.)Lisbethn'aimepeut-êtrepassesalirlesmains,maisellevientd'unefamillequin'apaspeurdusang.

Lesoirétaitd'ungrisfeutrélorsqu'ilvintseposersurlebalcondevantsasuite.Ignorantlesportesquimenaient à ses appartements, il alla frapper directement à celles deMahiya.Elle entrebâilla lebattantgaucheetsonexpressionméfiantechangeaàlasecondeoùellelevit.

—Oh,c'esttoi!Le sourire atteignit ses yeux pour les illuminer d'une lueur fauve. Elle tira les portes pour les

ouvrirengrand.Àcetinstant,Jasonsentitquelquechoseclaquerenlui.Uneprisedeconsciencedéstabilisantequ'il

essayadecapturer,d'examiner,maiselleétaittropnébuleuse,s'échappaitenvolutesdesamaintoutenylaissantsonempreinte.

—Pourquoies-tuinquiète?demanda-t-ilavecl'impressionqu'onl'avaitmarquéauferrouge.—Je...(Mahiyasecoualatête.)Entred'abord.Lerepasestchaud.Ellesedétournaetillasuivitdanslapièce,refermantlesportesderrièrelui.Ellenes'étonnapas

desongeste.Lesempiècementsd'argentsurlerosepâledesatuniqueprèsducorpsetsurlesreversde son sarouel reflétaient la lumière du petit chandelier de cristal. Le peigne dans ses cheveuxsoigneusementattachésétaitunbijouenargentsertidediamants,etl'étoled'unblanctransparentjetée

négligemmentpar-dessussonépauleétaitornéedefilsdelamêmeteintemétalliqueàsesextrémités.—Tuesenhabitsdecérémonie.S'asseyantd'unmouvementgracieuxsuruncoussinplatdevantunetablebasse,sesailesdéployées

derrièreelleenunegloiredebleuauxéclatsdejais,elleattrapalacarafed'eau.— Tu dois toi aussi te changer. Neha nous a convoqués à un dîner officiel. Mais nous avons

suffisammentdetempspourmangeretboireavantdenousyrendre.Ilpritplacefaceàelle,remarquaseslèvrescolorées, l'utilisationmaîtriséed'autrescosmétiques

pour souligner ses pommettes tout en n'insistant pas sur ses yeux. Ceci aussi, pensa-t-il, était unmasquesubtil.

—Lanourriturequ'onnousserviralà-basneserapasànotregoût?—Elleseracertainementexquise,maislaconversationmeretourneral'estomac.Ettuserastrop

occupéàobserveretécouterchacundesconvivespourmangerplusqu'unebouchéeoudeux.Il imputa l'étrange sensation dans sa poitrine à de l'amusement. Illium, à l'occasion, suscitait la

mêmeréactionenlui,maisavecelle,lachoseétaitpluslégère,plusdouce.—Danscecas,jeteremerciepourtaprévenance.Elleluilançaunregardperçant.—Faisattentionouj'arrêteraidecuisinerpourtoi.—Unepunitionbiensévère,envérité.(Etceseraitlecas;cefragileritueldebienvenueluiétait

plus précieux qu'elle ne le soupçonnait.) Puis-je avoir de l'eau ? demanda-t-il, remarquantdistraitementunsachetdecarottesposésurunepetitetableoùsetrouvaitunelampeéteinte,commesiMahiyal'avaitmislàpuisoublié.

—Puisquetuledemandessigentiment.(Seslèvress'incurvèrentetelleremplitsonverre,puisôtalescouverclesdesplatsquisetrouvaiententreeux.)J'étaisd'humeuràcuisiner,donctuaslechoix.Veux-tugoûterunpeudechaque?

—Volontiers.Ilsavaitqu'ilauraitdûprotesterdevantsesfaçonsqu'elleavaitde leservir,maisellesemblaity

prendreplaisir...etluiaussi.Alors,ilrestasilencieuxetpritl'assiettequ'elleavaitpréparéepourlui.Pendantqu'ilsmangeaient, les souvenirsaffluaientdanssonesprit.À l'époqueoù il s'était retrouvéseul, il avait bien essayé de cuisiner,mais il faisait tout brûler et il avait dû pendant un temps senourrirexclusivementdefruitsetderacinesdemanioccrues,jusqu'àcequesonestomacfinisseparserebeller.

Plustard,lorsqu'ilétaitarrivéauRefuge,ilavaitdemandéàêtretraitéenadulte,sansquesonâgebiologiquesoitprisencompte,etpersonnen'yavait trouvéàredire.AvantdeconnaîtreMahiya, iln'avaitpaseul'habitudequel'onsesouciedesavoirs'ilavaitmangéounonetiln'avaitjamaispenséqu'unemarqued'affectionaussicommuneavaitpuluimanquer.

—Maintenant, reprit-ilaprèsqu'ilseurentdébarrassé la tableetqu'elle leureutservidu théà lamenthe,rafraîchissantetfort,dis-moisilaraisonquirévulsetonestomacestlamêmequecellequit'effrayaitàl'idéed'ouvrirlaportetoutàl'heure.

Mahiyaleregardadepuisleborddesatasse,desvolutesdevapeurcaressantseslèvres.—Es-tutoujoursaussi tenace?(Ilsoulevaunsourcilet les lèvresdeMahiyasefendirentenun

riredoux.)Biensûrquetul'es.Sinoncommentserais-tudevenulemeilleurmaîtreespionduCadre?(Prenantsa tasseencoupe,elledit :)C'estàcaused'Arav...Unhommeavecqui j'aieuunehistoirelorsquej'étaisàpeineplusqu'uneadolescente.(Leriredisparutdesonregard.)Ilestaufort,etilesttenace,luiaussi,d'unemanièreinopportune.Unfeunoir,froidetmortel,seformadanssonsang.

—T'a-t-iltouchée?—Seulementmamain. (Elle la frottanerveusementaprèsavoir reposé sa tasse.) Il estvenume

voirdanslacouraujourd'huialorsqu'iln'avaitaucuneraisondesetrouveràcetendroit.Jesaisqu'ill'afaitpourserappeleràmaprésence,pourm'intimider.Jel'aiplantélàsansriendire,etpersonnen'agitainsiaveclui.

Jason l'écouta attentivement pendant qu'elle lui racontait sa rencontre dumatin. Le feu noir quicouvaitenluis'atténuaunpeulorsqu'elleajouta:

—M'attirervolontairementsonhostilitén'étaitsansdoutepaslachoselaplusintelligenteàfaire,maiscelam'afaitplaisir,etjen'ensuispasdésolée.

Elleserralamâchoirecommesielles'attendaitàêtrecritiquée.—Lorsquej'avaiscentvingt-troisans,ditJason,notantdansuncoindesatêtedefaireunevisiteà

Arav à l'heure la plus sombre de la nuit, afin de lui rappeler l'odeur acide de la peur, j'ai invitéMichaelaàdanser.(Cen'étaitpasparcequelabeautédecettedernièrel'avaitenivré-ilavaittoujoursvu la nature égoïste de son cœur - mais parce qu'il voulait expérimenter cette ivresse, voulaitéprouverplusquecettedistancelointainequiétaitsonmodedevienormal.)Ellen'étaitpasArchangeàl'époque,maisnéanmoinsunereine,aupouvoirimmense.

Lesyeuxécarquillés,Mahiyasepenchaenavant.—Et?demanda-t-ellesanscachersonimpatience.Ques'est-ilpassé?—Elleaétésisaisieparmonculotqu'elleaaccepté.(Etilavaiteuréponseàsaquestion;cequi

étaitbriséenlui,mêmelaproximitédelaplusbellefemmeaumondenepouvaitleréparer.)Aprèscoup,Raphaëlm'aditqu'elleaurait toutaussibienpus'enoffenseretmetuersur lecoup...mais jen'étaispasnonplusdésolé.

Mahiya rit de nouveau. La vive clarté de ses yeux lançait des éclats dorés qui le captivaient. Iln'avaitencore jamaissurprisdanssonregardunscintillementaussi frappant.Et ilpensaalorsque,peut-être,lejeuneangequ'ilavaitétés'étaittrompéetqu'uncœurglacépouvaitunjourêtreréveillé.

—Sûrement, dit-elle lorsqu'elle reprit son souffle.Cela a dû faire de toi une légende dans toncercled'amis.

Jasonn'avaitpasbeaucoupd'amisàcetteépoque,maisilavaitDmitrietRaphaël.—Raphaëlm'averséun scotchvieuxdemilleans,puis, avecDmitri, il aportéun toast àmon

audace.Cela avait scellé sa relation avec lesdeuxhommes.Les autresmembresdesSept avaient par la

suiteajoutéleurspropresmaillonspourcréerunechaînequilereliaitaumonde,àlavie.—JenecroispasqueNehasesoitdéjàmontréeaussifamilièreavecquiquecesoitàsacour,dit

Mahiya.Bienquejenel'aiepasconnuelorsqu'elleétaitaussijeunequeRaphaëldevaitl'êtrelorsdevotrepremièrerencontre.

—JedemanderaiàLijuanlaprochainefoisquenoscheminssecroiseront.Mahiyabattitdespaupières,sesyeuxs'écarquillèrentpuispétillèrentunefoisdeplus.—Tunesaispasplaisanter,toi!(Ellelevaundoigtjusqu'àseslèvresquel'espièglerierecourbait.)

Jeprometsdenejamaislerépéter.—Personnenetecroiraitdetoutemanière.Mahiyareposasatasse,lethééclaboussantpresquelasoucoupe.—Jen'arrivepasàcroirequetum'aiesfaitglousser,l'accusa-t-elleentredeuxhoquets.Ilnepouvaitdétourner le regarddesa joie lumineuse.Sesdoigts ledémangeaientd'agripper le

mentondelajeunefemme,del'attireràluipar-dessuslatableafindegoûteràseslèvreshumides,quesadernièregorgéedethéfaisaitbriller.

— Qui d'autre sera présent à ce dîner ? demanda-t-il alors que le sourire de la jeune femmes'évanouissaitpourêtreremplacéparunviféclatdecouleursursesjoues.

Ravalantsasalive,ellebaissalatêteafindeseresservirduthé,maisilvitsesdoigtstrembler.Soninstinctprimairedechasseurgrondaenlui.

—Unpetitgroupedepersonnes,jepense.Elle passa en revue une liste concise d'invités potentiels, pendant qu'il luttait pour contenir son

enviederenverserlatableetd'assouvirlasoifquecetteprincessefaisaitnaîtreenluiavecsonespoirbuté, son cœur pur et sa façon de le regarder... qui laissait deviner qu'elle pourrait bien accéder à

chacunedesesexigences.—Qu'elle porte ou non du blanc en signe de deuil, ajoutaMahiya sans rencontrer son regard,

NehapleureEris-mêmesiellecontinuedelehaïr.Ils'agiradoncd'unrepassolennel.—Jesuisdésolé.Pardonne-moi.L'écho,vieuxdeplusieurssiècles,étaitunrappelàglacerlesangquel'amouretlahaineétaient

souvent intimement liés - d'une manière sans doute incompréhensible pour un enfant, mais qu'unhommene saisissait que trop bien.Tout comme cet homme saisissait que les braises qui brûlaientdanssesentraillesnerefroidiraientpasavantqu'ilsesoitrepudelapeaudouceetdescrisdeplaisirdelajeunefemmedevantlui.

—Mahiya.Desdoigtsrepoussantunemèchedecheveux.—Oui?—Jepense,dit-ilensepenchantversellepourprendresonmentondanssamaineteffleurerdu

poucesalèvreinférieure,quetudoisdéciderdequelquechosecesoir.

Mahiya nettoya la table après qu'ils eurent fini leur thé. Elle ramena le service dans sa petite

cuisine.Jasonétaitpartisechanger.Elleseversaungrandverred'eauglacé.—MonDieu.Jasonétait...Frissonnante,ellefitglisserleverrefroidcontresoncou.Lefeusensuelquibrûlaitentreeuxet

quimenaçaitde faire fondresesosne luiavaitpasencoreôté tout jugement.Ellenevoyaitpas lemondeavecdeslunettesquiauraienttoutteintéderose.EllecomprenaitqueJasonétaitunprédateursituéenhautdelachaînealimentaireetdontlaloyautéallaitàunArchangerival.Deplus,ilétaitunmaîtreespionavecdessièclesd'expériencedanslemondedesintrigues,etilétaitpeut-êtreentraindesejouerd'ellepourdesraisonsencoreinconnues.

Mais... il ne lui avait fait aucune promesse, et ne pouvait donc en briser aucune. Il l'écoutait,simplement. La traitait comme quelqu'un de valeur. Et si cette valeur tenait uniquement auxinformationsqu'ellepouvait luidonner, aumoinsc'était sincère.Ellene leprenaitpascommeuneinsulte,carlessecretsetlesinformationsétaienttoutelaviedeJason.

Quantaumanquedemotsd'amouretderomantisme?Mahiyasecoualatête.Ellepréféraitdeloinêtreavecunhommehonnêtedanssondésirqu'avecunhommequi l'abuseraitdedouxmensonges.Jasonavaitplusd'honneurdanslamoindrecelluledesoncorpsqu'Aravenferaitpreuvedurantsavieentière.

Reprenantlechemindel'étage,elleretouchasonmaquillageavantd'appliquerunelarmed'argentscintillantsursonfront,justeentresesdeuxsourcils.

—Oui,murmura-t-elleàsonrefletdanslemiroir,laréponseestoui.Uncoupàlaporteretentitàcemoment-là,commes'ill'avaitentendue.Glissantlespiedsdansdes

sandalesargentées,elleprituneprofondeinspirationetsortitdelachambrepourallerouvrirlaporte- et découvrir labeautédurementmasculinede Jason, soulignéeparun costumenoir parfaitementcoupé,portéavecunechemised'ungrisacier.

—Tuesparfait.(Beau,sescheveuxprisdanscettequeue-de-chevalimpeccablequ'elleéprouvaitsoudainlebesoindedéfaire.)Nehaseracontente.(L'expressiondeJasonnechangeapas,etpourtant,ellesut.)TutefichesdecequepenseNeha.

—Aucontraire,répondit-il,lalaissantleprécéderdanslesescaliers.La nuque de la jeune femme la picotait, non pas en signe demise en garde,mais parce qu'elle

sentait qu'il observait son corps enmouvement.Elle retint sa respiration ; sa peau se tendit sur sachair.

—Cen'est jamaisunebonne idéed'énerverunArchange,continua-t-il.Maisbienqu'ellepuisseexigerlaservilité,Nehanel'admirerajamais.

Mahiyasecoualatêtealorsqu'ilsquittaientlepalais.—Taforceinfluencetonopinion.(Uneforcequ'ilpossédaitdepuisuntrèsjeuneâge,elleenétait

certaine.)Tupeux tepermettrede fairenaître sa colère car elle te voit, non commeun égal,maiscommequelqu'unde suffisamment intrigant pour nepas être exécuté demanière sommaire.Tunesaispascequec'estqued'avoirpeur.

—Jen'aipastoujoursétél'hommequejesuisaujourd'hui,ditJason,uneportesedéverrouillantdanssonesprit,laissantuneombrefroiderecouvrirsonâme.Elle le regardait depuis l'autre côté de la pièce, ses jolis yeux marron voilés d'une blancheur

anormale.Labasedesanuqueétaitbordéedesang,làoùlatêteavaitétéposée,surlatableducoin,

commesielleavaitétéplacéelàdanscedessein.Ilnehurlapas.Ilavaitapprisànejamaislefaire.Aulieudequoi,ilregardalemorceaudeviande

quiavaitbloquélatrappe.Uncorpsvêtud'unfourreaudesoied'unecouleuraméthystebrillante.Améthyste.Samèredisaittoujoursqu'ils'agissaitlàdesacouleurpréférée.Améthyste.Il lui avait fallu du temps avant de pouvoir le prononcer correctement, et elle riait de plaisir

chaquefoisqu'ilemployaitcemot,sescheveuxnoirsetbrillantsdansantdanslevent.—Jason.(Unvisageàladélicatesseféminine,éclairéparlachaudelumièredeslampeslelongdu

chemin.L'inquiétudeinscritesurchacundesestraits.)Tu...étaisailleurs.Oùétais-tu?Des sables d'un blanc brillant brûlaient ses petits pieds. Le vent passait entre les feuilles des

palmiers, envoyaitde tempsàautreunenoixdecocoplonger sur le sableavecunbruit sourd.Lesmouettes cancanaient en montant et redescendant le rivage, laissant des empreintes que la mereffaçaitchaquefoisqu'elles'yécrasait.—Jason!Viensdéjeuneravantquecelanerefroidisse.—Dansunendroitquin'existeplus,dit-ildoucement.(Ilenlevalamainqu'elleétaitvenueposer

sursapoitrine...pourl'installersursonbrasgauche,oùellenelegêneraitpass'ildevaitsesaisirdeson épée.)À propos d'Arav, dit-il, profitant qu'ils soient encore seuls, tu n'as aucune raison de lecraindre.

—Ilesttrèsfort.(L'inquiétudedanssesyeuxs'attarda,s'étenditencore.)Nelesous-estimepas.— Je connais sa force. (Ils ne s'étaient jamais rencontrés, mais comme l'ange était l'un des

générauxdeNeha,Jasons'étaitfaitundevoirdes'informersurlui-etmalgrésonarroganceetsesmanières,Aravn'étaitenrienl'égalde

Jason.) Il est commeunpaon, déployant ses ailes et couinant bruyammentpour faire oublier lafaiblessedesoncorps.

Unrireétouffé,unplaisirsincèrequiétaitunemusiquepourlui.—Jeproposeuncoq,l'analogien'enseraitquemeilleure,murmura-t-elle.Uncoqsepavanantet

donnant des coupsdebec à qui semet en travers de son chemin. (Relâchant le brasde Jason, ellebaissa encore la voix alors qu'ils entraient dans des couloirs peuplés à la fois de servantes et decourtisans.)Iln'estquelepremier.Nombreuxseprésenteront,espérantprendrelaplaced'Eris,oudumoinslaplacequ'ilauraiteues'ilavaitétécapablederefrénersespulsions.

Jasonremarqualesregardsspéculatifsqu'ilsattiraient,maisnefitrienpouraugmenterladistanceentre lui et la princesse. Le frôlement occasionnel de son aile contre la sienne était une caressebienvenue.

—As-tujamaisconsidéréEriscommeunvraipère?—Pasaprèsquejemesuisrenducomptequ'ilvoulaitmamort.(Unsourirefeintàl'intentionde

ceux qui les observaient,mais la femme avec une touche d'espièglerie dans la voix avait disparu,balayéeparlesvaguesdusouveniretlaréalitécruelledelavie.)J'étaisuneenfant.Celam'abrisélecœurde réaliser que le bel hommequeNeham'emmenait voir chaque semainemedétestait. Je necomprenaispas,alors,qu'ellem'utilisaitcommeunearme.

Jasonavaittoujoursfaitlecommercedesinformations,aupointquelesassemblerétaitpourluiune seconde nature,mais il aurait préféré rester silencieux cette nuit-là, et permettre aux yeux deMahiyaderireunmomentdeplus.

—Es-tuprochedetonpère?demanda-t-elle,fouillantlespagesdelamémoiredeJason.—Ici,fils.Tuutiliseslefilpourletirerenavantcommeça.Tuvois?—Jel'étais.(Avantquesonpèrenesoitdévorédel'intérieur.LaprogressiondecequeJasonavait

pensé être unemaladie avait été si lente et si sournoise quepersonne en le voyant ne s'était renducomptedelaprofondeurréelledumaldontilétaitatteint.)Ilestmort.

—Jesuisdésolée.Les doigts de la jeune femme s'arrêtèrent un bref instant sur son avant-bras, et il ressentit leur

contactjusquedanssesos.— C'était il y a longtemps. (Il avait appris à vivre avec ses fantômes.) Parle-moi d'Anoushka,

demanda-t-il,fermantlaporteàsessouvenirs.DesarelationavecEris.— Ils ont pu être proches lorsqu'elle était jeune, dit lentement Mahiya. (Son parfum était un

mélangesubtildefleursexotiquesetdequelqueépiceentêtantequilefascinait.)Maislorsquejel'aiconnue, elle le méprisait, le considérant faible et veule. Cependant elle n'a jamais assumé sessentimentsenprésencedeNeha.

Non,pensaitJason,Anoushkaétaittropfutéepoursemettresamèreàdosdecettefaçon.—Nousysommes.Mahiya s'arrêta devant lePalais des Joyaux.Desmilliers de bougies vacillaient le longdumur

extérieur,dansdesalcôvesetsurdeschandeliers.Chaqueflammeseréfléchissaitsurlesdiamantsquicloutaientlafaçadedupalais,aupointquecederniersemblaitenfeu.Uneétonnanteœuvred'art.

—Ceci,dit-ilaveclaplusgrandehonnêteté,estsaisissant.Iln'étaitpasétonnantqueNehapréférâtcepalaisàd'autresplusgrandsetplusornés.—Oui.(LaréponsedeMahiyafutdouce.)Ilmefascinaitquandj'étaisenfant.Quelquechose là,à lapointedesavoix.Mais iln'eutpas l'occasiondepoursuivre,parcequ'ils

avaient été remarqués par les gardes. Ouvrant les portes, les deux vampires s'inclinèrentprofondément à leur passage. Jasonn'avait pas l'habituded'une telle servilité - laTourdeRaphaëlfonctionnaitsurunmodèletrèséloignédecelui-ci-maisiln'étaitpluslegarçonsanséducationquiavaitfaitcheminjusqu'auRefugeenpistantd'autresanges.

Sonpèreavaitvolontairementchoisiune îleendehorsdes routesaériennesangéliques,et raresétaientlesangesquiavaientsurvoléJasonquandils'étaitretrouvéseul.Ilavaitessayédeleshéler,maisilétaitalorstroppetitettropfaiblepours'éleversuffisammenthautafind'attirerleurattention.Alors,ilavaitsurvécu,étaitdevenuplusfort...etaprèsuntemps,ilavaitmisuntermeàcestentativesinfructueusesets'étaitcontentéd'attendre- jusqu'àcequ'il sûtqu'ilétait suffisamment robustepourvolerunejournéeetunenuitentièressanstomber,s'ilnetrouvaitaucuneîleoùsereposer.

Dansl'intervalle,ilavaitvécuensilence.—C'estunehontequecegaminsoitmuet.Lesinstrumentsqu'ilfabriquesontd'unetellevirtuosité

qu'oncroiraitqu'ilaapprisàlesfairedeYaviellui-même.Jasonn'avaitjamaisétémuet.Ilavaitjusteeubesoindeserappelerl'usagedelaparole.Cequ'il

avait fait en observant et en écoutant. Ces compétences lui seraient utiles ce soir-là. La pièce quis'offraitàsavueétaitéclairéeparlalumièretamiséedeschandeliers.Latabledeboiscouleurmielétaitsipoliequesonlustrebrillaitcommedel'ambreau-dessusdutapis.Lescoussinssurleschaisesassortiesétaientd'ungrenatintense,quicontrastaitaveclescouleurspâleschoisiesparlesinvités.Laconversationétaitpourl'instantensourdine,carpersonnen'étaitprêtàdansersurlatombed'Eris.

Saufpeut-êtreunhommequeJasonidentifiacommeétantAravàlamanièrequ'ileutdesefaireune place aux côtés deNeha. Il faisait un compagnon charmant et élégant pendant que l'Archangejouaitàl'hôtessegracieuse.Jasonsavaitqu'ellecachaituneterribletristessederrièrecemasque,maisenlui-même,cetattachementàlacourtoisien'étaitpasunmensonge.—JenesuisjamaisallédansunecouraussidistinguéequecelledeNeha.(Dmitrijouaitentreses

doigtsavecuncouteauqu'il avait ramenédu territoirede l'Archange.)Elle tient réellementà fairehonneuràsoninvité.IljetalecouteauàJason.Illeluirenvoya,alorsqueVeninajoutait:—Bienqu'ellepuissefaireexécutercemêmeinvitépendantquelacourdort.LaréponsedeVeninétaitaussijustequel'assertiondeDmitri-Nehan'étaitpasunecréaturequise

résumaitàununiquetraitdecaractère.AucunArchangenel'était.Croirelecontrairepouvaitréserverdemauvaisessurprises.Jasonn'avaitaucune intentiondesuccomberàun telaveuglement.Certains

humainsavaientbeauchercher ledivindans lesArchanges,Jasonlesvoyaitpourcequ'ilsétaient :desêtresaupouvoirimmensequiavaienteudesmillénairespouraiguiserchacundeleurspenchantsmeurtriers.

Acetinstant,laReinedesSerpentsetdesPoisonssetournaetrencontrasonregard.Jason inclina la têtemais n'alla pas vers elle, et elle lui rendit son salut avant de reporter son

attentionsurl'invitéquisetenaitfaceàelle.—Levampirequivientversnous,ditMahiyasottovoceaprèscetéchangesilencieux,estRhys,

l'undesconseillerslesplusprochesetenquiNehaatouteconfiance.—Jel'airencontréauRefuge.Cependant,ilneconnaissaitpasaussibienqueMahiyalesgensprésentsdanslasalle,etilcomptait

luidemandersonopinionunefoisledînerterminé.— Jason. (Un mouvement de tête poli avant que Rhys ne se tourne vers Mahiya.) Vous êtes

ravissantecesoir,princesse.La réponse deMahiya était suffisamment emplie de chaleur pour que Jason comprenne qu'elle

appréciaitlevampire.—Merci,monsieur.CommentvaBrigitte?—Trèsbien,envérité.Maisvoussavezcommentelleest. (Ilséchangèrentunsourire.)J'aibien

peurquemonaiméenesoitpasunecréaturedecour,expliqua-t-ilàJason.Quoiqu'ilensoit,elleesttellementreconnuedanssondomaine,lacryptographie,queNehaluipardonnesonexcentricité.

—Jeconnaissontravail.(ToutlemondedanslaprofessiondeJasonconnaissaitlenomdecettefemme.)J'aimêmetentédeladébaucherunefoisoudeux,sanssuccès.

Levampirerit,sesyeuxpétillants.—Ah,jedoisadmettrequej'étaisaucourant.Elleenaététrèsflattée,maisnoussommesloyaux.En tantquemaître espion, il en était navré,mais en tantquemembredesSept, il le comprenait

parfaitement.—EtmaintenantNehaessaiedefairedemêmeavectoi.LetondeRhysétaitcordial,maislefroidcalculquiselisaitdanssonregardmontraitassezqu'il

considéraitJasoncommeunemenacepourlasécuritédufort.Cedernierneréponditrien-lesilenceétaitsouventunemeilleurearmequelesmots.Aulieude

quoi,ilchoisitdedirigerl'attentiondeRhysversuneautremenace.—Lefortaccueilleunvisiteurquisouhaitedeveniraffilié,semble-t-il.RhysneseretournamêmepaspourregarderArav.—Ilyatoujoursdesprétendants.Uneduretédanssavoixquitrahissaitlegénéralimpitoyablesouslemasquedelacourtoisie.Puis

Rhyss'excusaetpartitdiscuteravecuneangequeJasonsavaitêtreuneautreprocheconseillèredeNeha.

—Parle-moidelui,demandaJasonàMahiya.LaréponsedeMahiyaétaitcalme,maisd'uneinflexiontrèsferme.—J'aicommel'impressionquetuadoresdonnerdesordres.Jasonmédita sa déclaration pendant qu'il observait le flot des intrigants qui allaient et venaient

danslapièce.—Tun'espasmonégale,luidit-ilenguisedetest.Elleserralepoing,puislerelâchaaussitôt.—Jedétienslesinformationsdonttuasbesoinsurlesgensquisetrouventici.(Lesourireféminin

qu'elle luienvoyaétaitunecréationd'une tellecomplexitéqu'ilsavaitn'envoiretn'encomprendrequelamoitié.)Donc,pourlemoment...(uneombrevoletaàtraverssonregard)...c'estmoiquiailescartesenmain.

Jasonnesavaitpascommentsecomporteraveccettefemmequin'étaitpasencoresamaîtresseetquileconnaissaitpourtantdéjàmieuxqu'aucunedecellesqu'ilavaiteues.Unetelleintimité,pensait-

il,étaituneconstanterecherched'équilibre.Ils'agissaitd'offrirautantquederecevoir.—Danseavecmoi.—Jesuisentraindepréparerlepetitdéjeuner.Yavi!Sonpère,lesbrasautourdelatailledesa

mère, la faisait tournoyer dans la cuisine. Leurs ailes balayaient l'air et venaient ébouriffer Jasonalorsqu'ilétaitassissurlesolàjoueravecsescubes.—Repose-moi!(Unordrerieur.)Yavi!Lespancakesbrûlent.Lacourbantsursonbras,sonpèreréclamaunbaiserensouriant.—Dis«s'ilteplaît».—Parle-moidelui...s'ilteplaît,dit-ilàcettefemmeaveclaquelleilnepourraitsansdoutejamais

danser,maisquiavaitnéanmoinsdroitàsaloyauté.Elleluienvoyaunautreregardimpénétrablepuisdétournalesyeux,etilcrutqu'ilavaitmanqué

quelquechose,unmoment,uneémotionquiluiauraitglissécommedel'eauentrelesdoigts...commelatêtetranchéedesamèreluiavaitautrefoiséchappédesmainspourallerheurterlesol.—Jesuisdésolé,Maman.—Engrandepartie,Rhysestconformeàcequ'ildégage.(LavoixdeMahiyatranchadanslebruit

sourdquil'avaitsuiviàtraversletemps.)IlestavecNehadepuisplusdesixcentsansetsonambitions'arrêtelà-maisilsedéfendrafarouchementsiquelqu'unosebriguersaplace.Erisentantqu'affiliéne représentaitpasune tellemenace,ajouta-t-ellependantque lamêmepensée traversait l'espritdeJason. Rhys savait que lorsqu'il faudrait discuter politique et guerre, puissance et stratégie, Nehaviendraitcherchersesconseils.Arav,enrevanche,estungénéral trèscapable,et iladéjàmenélestroupesdeNehaaucombat.

Deplus,ilestaussiefficacequeRhyslorsqu'ils'agitdenégocierenpolitiqueangélique.Aravlevalatêteàcetinstant,toutcommeNeha.Cettefois-ci,l'Archangeondoyajusqu'àJason.—Jenet'aijamaisvuvêtuainsi,dit-elle.(Sonapprobationétaitmanifeste.)Décidément,lesSept

deRaphaëlprésententbien,mêmesonespècedebarbaregénéral.—JeletransmettraiàGalen,réponditJason,sachantquelemaîtred'armessemoquaitéperdument

decequetouteslesfemmes,saufune,pouvaientpenserdelui.LeregarddeNehaallaseposersurMahiya.—Tun'aspassaluéArav,luidit-elled'untonglacé.

—Nousnoussommesrencontrésplustôtdanslacour.Mahiyagardauntonposé,refusantdedonnerlasatisfactionàAravdelavoirhésiter.Peut-êtreson

couragevenait-il de la force sombrede Jason à ses côtés -mais elle endoutait.Arav était le seulindividucapabledelafairesortirdesesgondsetdelarapprocherdangereusementdel'insulte.—Uneinsulteàl'undemesinvitésestuneinsultequim'estfaite.Nehaavaitdéclarécelailyavaitlongtemps,lorsqueMahiyaétaitenfantetqu'elleétaitrevenueau

fortpourlesvacances.Ellen'avaitjamaisaimécesséjours.Lapériodepasséeàl'écoleavecJessamyétait de loin la plus heureuse de sa vie. Le blâme ce jour-là ne lui avait pas été personnellementdestiné, et pourtant, la manière que l'Archange avait eue de la regarder lui avait fait dresser lescheveuxsurlanuqueensignedemiseengarde.

Àl'instantoùNehaétaitpartie,elles'étaitréfugiéeencourantauprèsdelanounouquiprenaitsoind'ellelorsqu'elleétaitaufort,lamêmequiluiavaitdéclaréplustardqueriendecequ'ellepourraitfaireneconviendraitjamaisàNeha.—Pourquoinem'aime-t-ellepas?Sur le visage sévère de sa nounou s'afficha un froncement de sourcils, puis elle eut un bref

hochementdetête.—Tuesenâgedesavoirmaintenant.Bienquetunedoivesjamaisrépétercelaenpublic:Eris,

l'affiliédeNeha,esttonpère.TamèreétaitlasœurdeNeha,Nivriti.Elleétaitjeune,necompritpasimmédiatement.—Ellesontpartagéunaffilié.Levisagedesanounous'emplitd'effroi.—Neprononcejamaisplusunehorreurpareille,enfant.(Posantlatuniquequ'elleétaitentrainde

plier,ellerefermaleplacard.)Tamèreaséduitunhommequineluiappartenaitpas,etelleaportélefruitissudecetteabomination.Moi,pensaMahiya,cefruit,c'estmoi.—Jesuisabominablealors?Unsoupir.L'expressiondelanounous'adoucit.—Non,monenfant,maisturappellescetteabominationàmadame.Lefaitqu'ont'aitofferttous

lesdroitsetprivilègesd'uneprincessetémoigned'autantplusdesanaturegénéreuse.Cedernierpointétant,biensûr,unmensonge.MaismêmeMahiyareconnaissaitqueNehaavaitagi

correctementlorsqu'elleétaitenfant.Peut-êtren'avait-ellepasfaitmontredechaleur,maisiln'yavaitpas eu de mauvais traitements non plus. Elle avait été scolarisée au Refuge, avait étudié dans lesbibliothèques-etlà,elleavaiteuaccèsàladouceurdeJessamy,àsesconseils,avaitsucequec'étaitqued'êtreaimée,carcettedernièreaimaittoussesélèves.

Elleétaitensuiterevenue«àlamaison»,avaitfêtésescentans...etavaitapprisàsesdépensqueNeha avait simplement gardé en réserve toute sa cruauté pour l'adulte qu'était devenue cette enfantinnocenteetpleined'espoir.L'hommequise tenaitcesoir-làauxcôtésdeNehaétaità lui seulunepreuvesuffisantedecettecruauté.Mêmesil'Archangen'avaitpasdonnédirectementl'ordrequ'il laséduise,ellen'avaitrienfaitpourmettreMahiyaengardecontrelafourberied'Arav,s'assurantquelepremiergoûtqueMahiyaconnaîtraitdel'amoursoitamer.

—Tunem'aspasditquetuavaisparléavecMahiya.LavoixdeNehaétaitunfourreaudesoiesurdel'acierpur.Lesjouesd'Aravsecreusèrentenunsourirecharmeur.

—Nousnoussommescroiséslorsquej'étaisenroutepourvenirtesaluer.(IlaccordaàMahiyaunregardcondescendant.)Jen'aid'ailleurspaseuletempsdeluidirecombienjesuisheureuxdevoirqu'ellevabien.

Levantsonverre,ilbutunegorgéedevin.Lachevalièreàsonindexenvoyaitdeséclatsd'unbleuvifsouslalumièredesbougies.Lapierreenétaituneformeraredetourmaline.—Ilestcommeunpaon,déployantsesailesetcouinantbruyamment...—Merci,dit-elleavecunsourireéblouissantquipritvisiblementAravparsurprise.Depetitsbruitscristallinsargentèrentl'airlorsquelesbraceletsdeverredeNehas'entrechoquèrent

àsonpoignet.— Venez. Allons nous asseoir. (Son regard se posa sur Jason.) En tant qu'invité d'honneur, tu

siégerasàmadroite.Aravpeuts'occuperdeMahiya-ilssontdevieuxamis.Mahiya sentit une tension indicible monter chez l'homme à ses côtés, bien que son expression

restâtimpassible,etellesutquec'étaitàcaused'elle.Ellesavaitaussiqu'ellenepouvaitluipermettredesefaireunennemid'uneArchangedansleseulbutdeluiépargnerlacompagnied'Arav.

—En fait, dit-elle avecunpetit sourire, j'aperçoisFéru-ditQuinnde l'autre côtéde lapièce. Jeviensjustedeliresonnouveautraitéetjeluiaipromisd'endiscuteraveclui.

Nehanefutpasirritée-levampireétaitl'undesesfavoris.Toutcequiimportait,c'étaitqueJasonnesoitplusunelamesurlepointd'êtretiréedesonfourreau.

—Auboutducompte,ditMahiyaàJasonaprèsquelethéeutétéservietqu'ilssepréparaientàrentrer à leur palais, ce ne fut pas une soirée si terrible. (Quinn s'était révélé un voisin de tableadorable, etNehaavait été si absorbéepar sa conversationavecRhyset Jasonqu'elle avait ignoréAravlaplusgrandepartiedelasoirée.)Aravn'aaucuneidéedecelleàquiilaaffaire:Nehajoueavecluicommeunchatavecunesouris.

LaréponsedeJasonàsasuppositionmurmuréefutlesilence.Ellen'ylutrien.Ilétaitentrainderéfléchir à la question avant de lui donner son avis, pensait-elle alors qu'ils sortaient du palais etcommençaientàtraverserlacour.

—Latempératureabaissé.Malgrétout,l'airnocturnerestaitrelativementdoux,mêmesi,enlevantlesyeux,ellevitqueles

étoilesétaientcachéespardelourdsnuagesannonciateursdepluie.Lorsqu'elleaperçutquelquechosequitombaitduciel,ellecrutd'abordqu'ils'agissaitd'unoiseau,

tantc'étaitpetit.Maislachosesefitdeplusenplusgrosseet...—Jason!Jasonl'avaitdéjàvu.Aulieudeseprécipiterverslecorpsquivenaitdes'écraserausoldansune

éclaboussure de sang et d'os qui jaillit sur les invités les plus proches de l'impact, il s'élevadirectementdanslesairspourdonnerlachasseauresponsabledecenouveaumeurtre.

Labouchesèche,Mahiyaleregardas'éloigner,uneflèchenoirebientôtinvisibledanslanuit.Puiselleavançaverslecorps,prenantsoindenepasmarchersurlesrestesdudéfunt.Ellefitabstractionduhurlementd'unefemmedont levisageétaitcouvertdesang,desvoixplusprofondesd'hommesquis'interpellaient,paniques,duclaquementduventalorsqued'autresselançaientàlapoursuiteducoupable,et,ravalantsabile,elleseconcentrauniquementsurl'identitédelavictime.

Lachevalièred'unetourmalinebleuerare,cesailesmarronmouchetées...Pendant une seconde, son cerveau ne parvint pas vraiment à analyser ce qu'elle voyait, et puis

toutes ses synapses s'activèrent, les connexions se firent et elle comprit que l'ange sans tête etprobablementsansorganesinternesn'étaitautre...qu'Arav.

Jasonétaitrapide,etunasdesdécollagesverticaux,maissaproieavaitdisparuquandilperçalalourde couche de nuages denses chargés de pluie.Compte tenu du temps limité dont avait disposél'agresseuretdelavitessedeJason,cedernierendéduisitqueletueurs'étaitcontentédevolerhorsdevuepuisavaitpiquérapidementpourseglisserdansunecachette.

Tendantsonoreilleauvent,ildétectalazoneoùlefildel'airavaitétérompu,l'utilisantcommeunchasseur-nésuivraituneodeur.Latraceéphémèreprenaitabruptementfindanslesmontagnesquisetrouvaientjusteau-delàdufort.ConscientquesaproieavaiteujusteassezdetempspoureffectuerunvolbasetrevenirsursespasalorsqueJasonétaitau-dessusdelacouchedenuages,iln'enatterritpasmoinsetcommençaàétudierlesolpierreuxautourdelui.Iln'yavaitaucuneindicationfranchequequelqu'unsesoitposé,riend'autrequel'obscurité,et...Unbleuvertluisantprisdansunrayond'argentavantquelalunenesoitdenouveaucachéeparun

nuage.Glissant la plume dans sa poche pour l'examiner plus tard, il reprit son vol et alla rejoindre

Mahiya,certainque,malgrélaviolenceduchoc,elleneseraitpasbrisée.Etellenel'étaitpas.D'ailleurs,elleavaitenjointungardeexpérimentéd'organiserunpérimètreautourdesrestes.Le

gardedevaitmêmeêtrepersuadéqu'ils'agissaitlàdesapropreinitiative.Jason envoya deux gardes pour trouver de puissantes lampes ou des torches. Pendant qu'ils

s'exécutaient, il examina le corps ensanglanté d'Arav, ajouta ce nouveau crime dans la balance.Lemeurtre deShabnam aurait pu éventuellement être imputé à un copieur intelligent se servant de lamortd'Eriscommed'unecouverture,maisceluid'Arav?

Il était hautement improbable qu'un second tueur ait ainsi attendu pour tirer avantage de lasituation.IldevaityavoirunliencachéentrelesvictimesqueJasonnepercevaitpasencore.Aussi,comptetenudel'insistanceaveclaquelleAravtenaitàêtreunsoutiendanslatempêtepour

Neha, ce qui l'avait attiré dans les cieux avait dû être extrêmement tentant. Arav n'avait aucunintérêtàs'éloignerdeceuxquipouvaients'opposeràsonoffred'êtreleprochainaffilié.

JasonpritenconsidérationlamanièredontAravavaitregardéMahiyalorsqu'ils'étaitcruàl'abridesregards,verslafindudîner.Sonmasqueavaitglissépourrévélerunehorriblepossessivitéquiprouvaitqu'ilnevoyaitenMahiyaqu'untrophée,unechoseàprendreetàutiliser.

Comme Jason avait déjà décidé de donner une leçon inoubliable à cet ange sur ce qu'étaitvéritablement la peur, il n'était pas particulièrement motivé pour découvrir son assassin. MaisShabnamn'avaitrienfaitpourméritersonsort,etcefutdoncpourellequ'ilcommençaàréfléchirauxcirconstancesdecemeurtre-ci.

Un homme tel qu'Arav était susceptible de céder à l'impulsion de prendre ce qu'il désirait si lachances'enprésentait.Pourtant,malgrélaplumequeJasonavaittrouvée-ouqu'onavaitvouluqu'iltrouve?-Mahiyanel'avaitjamaisquittéetn'auraitpuattirerAravdanslescieux.

Uneautrefemme?Aravneseseraitpasmontréaussistupide,pasmaintenant.Celalaissaitlapolitique.Ilétaitsûrqu'Aravavaitunespionàlacour.Maisleminutagen'avaitpas

desens -pourquoi l'angeaurait-ilchoiside rencontrersonespionmaintenant?Certes, ilétait sortipour fumeruncigare,mais ilétaitévidentauxyeuxdeJasonque l'hommecherchait simplementàpasserletempsenattendantqueNehafinissedes'entreteniravecsesinvités.

Rhysétaitpartiplustôt,Aravauraiteulescoudéesfranchespours'attarderetêtreledernierinvitérestant. Il n'aurait jamais pris le risque de rater ce moment d'intimité qui lui aurait permis depoursuivresacour.Aucunetentationdelachairn'auraitpuledétournerdecela.

Rhys?Jason avait été surpris quand l'aîné des généraux de Neha avait pris congé alors qu'Arav était

encoreentraindefairelebeauautourdel'Archange,maiscettesortieprématuréefaisaitparfaitementsenssiRhysavaitplanifiéuneembuscade.Iln'auraitmêmepaseuàsesoucierd'échapperàl'attentiondesgardes.Ilétaitungénéralconnupourlaloyautéqueluivouaientseshommes-parcequ'iln'avaitpaspeurdemettrelamainàlapâte.

—Étiez-vousicilorsqueAravestsorti?demanda-t-ilaugardeleplusproche,unangeauxaguets,

quitournaitledosaucadavre.—Non,monsieur.J'étaisentraindesurvolerleslieuxlorsqu'ilachuté,etjesuisvenuvoirsije

pouvaisaider. (Unecourtepausependantqu'il jetaitunregardauxautresgardesprésents.)Jecroisqu'IshyaetGregor-quiestalléchercherunelanterne-devaientsetrouverdevantlesportesàcetteheure-là.

JasonparlaensuiteàIshya,unefemmemenueetcompétente.Elleluiconfirmaqu'elleetGregoravaientvuAravsortirpourallerfumeruncigare.

—Maisiln'estpasrestéprèsdupalais,repritlavampire.Jel'aientendudireàunautreinvitéqu'ilavaitquittéledînerenattendantdepouvoirparleràDameNeha.(Ishyadésignad'unsignedetêtelejardin de la cour, plongé dans une épaisse obscurité qui formait comme un cadre autour durayonnementduPalaisdesJoyaux.)Commenotretâcheétaitdesurveiller laporte,nousnel'avonspassuivi.Jianétaitdel'autrecôtédelacour,ilpourrapeut-êtrevousendireplus.

—J'aivulalueurdesoncigaredanslenoir,confirmacedernier,sesyeuxbridéstémoignantdelaproximité du territoire deNeha avec les terres deLijuan. (Ses ailes étaient d'unblancpoussiéreuxmoucheté d'ambre à leurs bords.) Quand j'ai reconnu en lui l'un des invités, j'ai poursuivi lasurveillancedemonpérimètre.Ilavaitdisparuàmonpassagesuivant.

Sur ces entrefaites, Gregor revint avec les lampes électriques ; Jason attendit qu'il les aitdistribuéespourparlerauvampire.Ilconfirmalaversiond'Ishyamaisajouta:

—J'aibienvuquelqu'unvolerversAravalorsqu'ilcommençaitàêtrehorsdevue,maisiln'apascherchéànousalerteretj'aidoncpenséqu'ils'agissaitd'unami.(Lorsqu'onluidemandadedécrirecetange,toutcequ'ilputdirefut:)Unefemme...peut-être.Ouunhommemince.

—Merci.Laissant là le corps mutilé, éclairé par la lumière indécente des lampes qui faisait ressortir le

rougecru et le rosemouillé sur lesplumesd'unmarronmoucheté, Jasoneutungestede la tête àl'intentiondeMahiyapours'assurerquepersonneneperturberait lascène,et ilentradans lePalaisdesJoyaux.Nehayfaisaitlescentpas.Sacolèreétaitsifroidequ'elleenavaitrecouvertlesmiroirsdegivre.Donc.—Desjeux,siffla-t-elle.Quelqu'uns'amuseàmacour.Oui.Seullemotifdecesactessedérobaitencore.Erisétaitl'affiliédeNeha,Audreylafemmequi

avaitpensétromperuneArchange,ShabnamunedamedecompagniequeNehaavaitpleuréeavecunetristessesincère,etAravunprétendantquel'Archangetenaitauboutd'unelaisseparjeuetpoursonpropredivertissement.

Jason dut admettre que sa première conclusion était fausse ; Neha était innocente desmeurtresd'Eris et d'Audrey.Au lieu de quoi, elle avait été victime d'un audacieux coupmonté qui les avaittrompés, lui et Mahiya. Un adversaire intelligent, qui avait suffisamment de compétences et depouvoirpouréchapperàl'élitedesgardesetattireràlafoisunefemmeetungénéralexpérimentéàlamort.—Unefemme...peut-être.Ouunhommemince.Ilpouvaitencores'agirdel'unoudel'autre.L'appâtn'étaitpasnécessairementsexuel,pasquand

desImmortelsselivraientàdesjeuxdepouvoir.—Tuvasmetrouverleresponsabledetoutceci,ordonnaNehad'unsouffleblancdansl'airglacé.

Tuastouteslesressourcesdufortàtadisposition.Ilcompritqu'onluidonnaitunelibertéplusgrandequecellequ'ils'étaittoutd'abordvuoffrir.—Savez-vouspourquoionauraitvoulutuerArav?—Iln'étaitmêmepassupposésetrouverlà,ditNeha,sesailesbalayantlesolrecouvertdegivre,

leurs extrémités luisantdepetits cristauxdeglace. Il est venuprésenter ses respects après ledécèsd'Eris, et il est resté pour poursuivre sa cour. (Elle secoua la tête, son ton se faisant étrangement

calme.)Ildevaitmepenserbieninsensibleenvérité,poursupposerquej'accueilleraisavecplaisirdesgalanteriesalorsquejemetenaislematinmêmeauxfunéraillesdemonépoux.

Lemeurtred'Aravavaitdoncétéuneopportunité,etnonlerésultatd'unplanétablidelonguedate.—Celaprendraplusdetempsquejenel'avaisd'abordestimé,ditJason.Ilsepourraitquej'aieà

quittervotreterritoirependantunmomentpourm'occuperd'autresaffaires.Le regard de Neha le frappa de toute sa force, sa peau rendue incandescente par la puissance

meurtrièrequifaisaitd'elleunmembreduCadre.

—Netrahispastonsermentetmafoientoi,Jason.—Jenevousaijamaismenti,répondit-il,remarquantlaglacequiavaitcommencéàgrimperle

longdesmurs,exactementcommeMahiyal'avaitdécrite.La maîtrise des éléments ne faisait pas partie jusque-là du répertoire de Neha. De nombreux

Archangessemblaiententraind'évoluer.—Non,finit-elleparrépondre,lefroiddanslapiècereculanttrèslégèrement.C'estinattendudela

partd'unmaîtreespion,maistuastonhonneur.C'estlaraisonpourlaquellej'aiacceptétonsermentdesang.(Àcetinstant,elleétaitl'ancienneNeha,celled'avantEris,d'avantAnoushka.UneImmortellemortellementdangereuse,maisdont l'espritn'étaitpasembruméparl'amertumeoulafureur.)Si tudoisvraimentt'absenter,arrange-toipourfairevite.

—J'éviteraidepartirsijelepeux.Songeant déjà aux solutions pour y parvenir, il la salua et sortit pour découvrir queRhys était

arrivéavecuneéquipedepolicescientifiqueaussimodernequelefortétaitancien.Ilauraitpréférésapropreéquipe,maissesinstincts luisoufflaientqueRhysn'étaitpasimpliqué

dans cesmeurtres. Jason avait étudié l'homme, compris qu'il était un vampire d'un autre temps. Ilauraitétéenmesuredetuer

Shabnam,maisilnel'auraitpaslaisséeainsi,lesseinsexposésàlavuedetous.—Aucunsignedevie?Aravétaitun Immortelpuissant - ilétaitconcevablequ'il régénèresa tête, sonbrasmanquantet

uneailearrachée.Rhyssecoualatête.—Nousluidonneronslanuit,maissonsangacommencéàcristalliser.Ilnes'enrelèverapas.Jason avait lemême sentiment. Les dégâts infligés au corps par la chute à grande vitesse avait

effacé les autres blessures, mais il avait l'impression que les organes internes d'Arav avaient étéarrachés, tout comme son épine dorsale. Jason pourrait survivre à de telles blessures, et Rhységalement,maisAravétaitloind'égalerleurforce.

—Est-celamêmeéquipescientifiquequiacouvertlamortdeShabnam?—Oui.Lerapportauraitétéprêtcesoir,s'iln'yavaiteucela,réponditRhys.Entoutcas,Nehan'a

permis à personne de toucher Eris. Il a été incinéré sans avoir été examiné par quelque équipemédico-légalequecesoit.

Avant,quandtoutsemblaitdésignerNeha,cetoublin'avaiteuaucuneimportance.Maintenant...— J'ai besoin qu'ils récupèrent un autre corps, dit-il, décidant de prendre le risque de faire

confianceauvampire.Etilfautquetoutlemonderestesilencieuxàcesujet.LeregarddeRhyss'assombrit.—Madame...—...nedoitpassavoir.JasonracontaàRhyscequ'ilsuspectaitausujetdelafemmedontlecorpsdécomposéétaitresté

exposéauxélémentsbientroplongtemps.Rhyslevaunemaintremblante.—Lesfous!(C'étaitunjugementcrachéàvoixbasse,queseulJasonavaitpuentendre.)Audrey

étaitunefemmedepeud'esprit,maistenterdefaired'uneArchangelariséedetous?Siellel'avaitdécouvert,Nehaaurait...

Il ravala ses mots, redevenant soudain le général au visage sévère dont la loyauté allait àl'Archange.

—Ceci(d'ungestedelatête,Jasondésignalecorpsd'Arav)changetouteladonne.JenecroispasqueNehasoitimpliquéedansaucundecesmeurtres.

Rhyslaissaéchapperunsoupirentremblant,commes'ilétaitsoulagéd'unimmensepoids.Jasonne comprenait pas cette réaction, alors que Neha était Archange et que la violence faisait partieintégrantedesanature.Maislevampireajouta:

—Qu'importel'ampleurdesafureur,sielleavaittuéEris,celaauraitfiniparlarendrefolle.Madamel'aimaitvraiment.

Jasonavaitétéauxpremières logespourassisterà la foliequepouvaitengendrer l'amour. Ilenavaitvul'empreintecouleurderouillesurlesmurs,avaitsentilesrestesfumantsdesoncarnage.Lemaîtreespionneconnaissaitquetropbienlesdégâtsquecesentimentpouvaitprovoquer.Detouteslesémotions,c'étaitsansnuldoutelaplusdangereuse,laplusdestructrice.

—Lemonde,ajoutaRhys,nesupporteraitpasundeuxièmeArchangefou.Lijuan,complétasilencieusementJason,suffisaitamplement.MahiyaavaitcessésasurveillanceauprèsducorpsunefoisJasonarrivé,etelleétaitretournéeà

ses appartements. Sa peau portait l'odeur de lamort.Cela lui prit vingtminutes sous le jet fort etpresquebouillantdeladouchepourqu'ellesesenteenfinlavée.Vêtued'unesimpletuniquenoireetd'unfuseaud'unbleuprofondquifaisaitéchoàunepartiedesesailes,elleessuyasescheveuxetlesattachademanièrelâcheavantdesortirsurlebalcon.

Illuiétaitimpossibledepenseràautrechosequ'àlafuriesanguinairequiavaittransforméleforten boucherie. Les images de la chair violentée de Shabnam et du corps écrasé d'Arav tournaientdevant ses iris. Sans la preuve que représentaient les ailes d'Arav et la bague à son doigtmiraculeusementintact,ellen'auraitjamaisdevinéqu'ils'agissaitdelui.

Unbruitdepas.Ellesepenchasurlabalustradeetvitunserviteurquipassaitsurlecheminbaignéd'unelumière

douce. Elle l'appela. Lorsqu'elle descendit le rejoindre, lui demandant si les domestiques avaiententenduquoiquecesoitausujetdelamortd'Arav,sonvisageseferma,etsonexpressiondevintdesplusformelles.

—C'estavecunegrandetristessequenousavonsapprislamortdugénéralArav.—Personnenetepunirasituparlesmaldelui,dit-elle,moimoinsquequiconque.(Toutlemonde

était au courant de son humiliation - elle avait eu le cœur sur la main pendant son histoire avecl'ange.)Lefortdeladameestsouillépar lesangetelleveutdesréponses.(MahiyanepleuraitpasErisouArav,etAudreys'étaitmisedanslepétrintouteseule,maisShabnamétaitinnocente.)Est-cequ'Aravacauséunquelconqueaffront?

Il était évident que le domestique était partagé entre l'idée de remplir son devoir auprès del'Archangequiétaitsasuzeraine,etsetairepournepassemêlerdeceshistoires.Lepremierchoixl'emporta.

—Onl'aentendudiscuteravecunhommefidèleàRhys,luioffrantunepositionqu'iln'étaitpasencoreenmesuredeluiassurer,àlaconditionqu'ilchanged'allégeance.—Quandjeseraisonaffilié...—Commenta-t-ilétésurprisentraindetenircespropos?Aravn'auraitpasévoquéunetelleperfidieenpublic.Baissant les paupières, la tête inclinée, le domestique recula dans l'ombre.Au début, elle pensa

qu'il refusait de répondre, puis elle se rendit compte qu'il s'agissait là de sa réponse. Non, Aravn'avaitpasétéstupidemaisarrogant,unangedeneufcentsansquiconsidéraitlesêtresplusfaiblescommeindignesd'êtreremarqués.

—Jevois,dit-ellecommeledomestiqueréapparaissaitd'entrelesombres.Rhysétait-ilaucourantdecestentativesdecorruptionauprèsdesesgens?

Unautrebattementdecils.

—Jenesaispas.Oui,Rhyssavait.Ilsaittoutcequisepasseaufort.—Mais,dit-elleà Jason lorsqu'il revintbienplus tard,Rhys s'est toujoursmontrébienplus fin

pouréliminersesennemis.Sortant sur sa moitié de balcon où Jason l'attendait, elle lui tendit un verre du cognac qu'elle

réservaitauxinvités.—Jepensequ'ilmefautquelquechosedeplusfortqueduthécesoir.Cesmotsluiavaientdonnéuninexplicablesentimentd'intimité.— J'ai éliminé Rhys de la liste des suspects avant d'avoir cette information, mais je ne crois

toujourspasqu'ilsoitletueur.(Ilbutunegorgéedusombreliquideambré.Lesmusclesdesagorgesaillirentlorsqu'ilavalal'alcool.)LamanièredontShabnamétaitexposée-Rhys,jecrois,n'auraitpascommisunetellechose.

—Oui.Iln'ajamaistraitéunefemmeavecuntelmanquederespect,mêmedanslamort.Avalantuneautregorgée,Jasonposasonverresurlereborddelafenêtrederrièrelui,avantdese

tourner et de laisser pendre ses avant-bras nus le long de la rambarde du balcon. Il avait pris unedoucheets'étaitchangéluiaussi.Ilneportaitqu'untee-shirtnoiretunjean.Ilétaitpiedsnus.Derrièrelui,sesailestombaientgracieusementjusqu'ausol,ombresparentesdelanuit.Ellenel'avaitjamaisvusi...détendu,commes'ilavaitdéposéunepartiedesonarmure.

Lesyeuxdelajeunefemmeseposèrentsurlenœuddesaqueue-de-cheval,lapeautannéedesanuqueparaissaitincoloredanslanuit.Elleserappelal'effleurementdupoucedeJasonsurseslèvres.—Jepensequetudoisdéciderdequelquechosecesoir.Sonventreseserra.Ellen'avaitpasconfiésoncorpsàunhommedepuisuneéternitéetJason...ne

luiavaitjamaismenti.—Puis-jedéfairelenœuddetescheveux?Ilsefigeaenentendantsadoucedemande,aussiimmobileavecsesailesdejaisqu'unegargouille,

laplusbelledesgargouillesjamaissculptées.Lecœurbattantlachamade,Mahiyaattendit...jusqu'àcequ'ilinclinelatêteensigned'acquiescement.

Lajeunefemmetenditunemaintremblante.Prenantsoindenepastoucherlanuquedel'ange,dene pas présumer d'une plus grande intimité, elle fit glisser le nœud.Une cascade de soie noire sedéversasurlesépaulesdeJason.Lesmèchesdesescheveuxétaientfraîchesmaisplushumides;l'airde lanuit les avait séchées. Incapablede résister, elley fit courir légèrement leboutde sesdoigtsavantdelaisserretombersamain.

—Jusqu'oùirais-tu?Surpriseparlaquestionmurmurée,ellesursauta.—Pardon?—Commetul'asdit,jesuistaseuleissue.Donc,jusqu'oùirais-tu?Sapeaus'embrasaavantdedevenirfroide.—Jet'aiprovoqué,admit-elle.Maismêmepourobtenirmaliberté, jenetroqueraispaslaseule

chosequiaitjamaisétémienne.Soncorps,sondésir.—Bien.As-tupristadécision?—Oui.Elleretintsonsouffleetlevalamainverslui,hésitante.—N'aiepaspeur,Mahiya.C'étaittoutcedontelleavaitbesoin.Selaissantalleràsondésir,ellefitcourirsesdoigtsdansles

cheveuxdeJason.C'étaitcommedecaresseruntigrequiaurait,pourquelquesraisonschimériquesqui lui étaient propres, décidé de ne pas lui arracher la main d'un coup de crocs. Elle ne fit pasl'erreur de croire que celamontrait une fêlure dans les boucliers d'obsidienne qui encerclaient lecœurdeJason,nes'abandonnapasàquelquerêverieéveilléesurunerelationplusprofonde.

Pourtant...c'étaitbond'êtreproched'unhommequinelatraitaitpascommeunechose.Mêmeautoutdébut,illuiavaitmontréuneformederespectformel.Maintenant,ellevoyaitdanscesyeuxd'unmarronsombre,dense,quecesentimentétaitsincère.Celal'attristaitprofondémentdesavoirquelelienfragileentreeuxseraitrompuunefoisqueJasonauraitremplisatâche.

Iln'étaitpas,ellelesavaitsansavoirbesoindeledemander,unhommequipermettaitàquiquecesoitdeserapprocherdelui,pasmêmeàuneamante.Sapoitrinelafaisaitsouffrir;Mahiyadevinaitquelleblessureavaitdûenfermer l'angedansunetellesolitude,maisellesavaitaussiqu'elledevaitfairetrès,trèsattentionànepastomberamoureusedelui,ànepaschercherau-delàdusombredésirquitourbillonnaitentreeux,chaudetsuperbementviolentcommeunetempêtedudésert.

Jason avait conscience qu'il suivait une pente périlleuse avecMahiya, mais il savait aussi qu'ildésirait trop soncontactpour s'endétourner.Serrant lamâchoirepour contrôler son frissonalorsqu'elletouchaitsatête,lacaressait,ils'obligeaàresterimmobilealorsquesaseuleenvieétaitdeseretourner,delaplaquercontrelemuretdes'enfoncerdanslachaleurdélicieusedesoncorps.

Ilentenditgrincersespropresdentsalorsqu'ellelecaressaitencoreet,toutàcoup,ellecessa.—Jet'angoisse.Jesuisdésolée.(Unepointed'horreurdanssavoix.)Jeneferaijamais...Repoussant la rambarde, ilmitun termeà ses excusesenprenant sonadorablevisageentre ses

mains.—Arrête.Sa respiration devint rauque. Ses yeux s’écarquillèrent. Au lieu de sursauter sous ce contact

imprévu,ouderepousserJason,elleempoignaledouxcotondutee-shirtdel'ange...etsemitsurlapointedespieds.

Il lui fallut tout le contrôle qu'il avait sur lui-même pour ne pas accepter sur-le-champ cetteinvitationmuette.

—Tudoiscomprendre,dit-ild'unevoixâpre,quecelanemeferapasresteravectoi,nemeferapasm'engager.J'ensuisincapable.

Incapabledeselier,d'ouvrirsoncœur,d'enconfierlacléàquiquecesoit.LesouffledeMahiyaglissasurseslèvresalorsqu'ellemaintenaitsaposition.—Jesais.(Desmotsdoux.)Jesaisaussiquej'aimeraismedonneràunhommefortquinecherche

pasàmeséduireavecdesmensonges,quiestfrancdanssondésir.Illavitdéglutir,sutqu'ellen'étaitpasaussiconfiantequ'ellevoulaitlefairecroire.—Soissûredetoi.Tunepourrasjamaisrevenirenarrière.Etilnesouilleraitpasuneinnocenceavecsanoirceur,nelarendraitpasamèreàcausedecevide

enlui.Leslèvresdelaprincesseeffleurèrentlessiennes.Plongeant ses mains dans les cheveux de la jeune femme, dont les mèches commençaient à

s'éparpiller,ilinclinasabouchesurlasienne,ayantl'intentiondeladévorer...lorsqu'ilsentitledosdeMahiyaseraidir.Ralentis,Jason.Ralentis.Ellen'apasl'habitudedeselivrerauplaisir.Celaluidemandaunepatiencequ'ilallachercherauplusprofonddesesentrailles,maisiladoucit

sonbaiser,suçantlalèvresupérieuredeMahiyapuislarelâchantseulementpourlaséduireavecdespetitsbaisersquicourtisaientplusqu'ilsn'exigeaient.

LesdoigtsdeMahiyafléchirentsurlatailledeJason.Sesmusclessedétendirent.Ellesedressadenouveau sur la pointe des pieds pour se rapprocher de lui ; ses ailes commencèrent à s'ouvrir.L'amadouantd'unautrebaisercaressant,illapoussagentimentverslesalon,uniquementéclairéparla lueurd'une lampesur la table. Ilavaitutilisésespouvoirspour lescacherauxyeuxdescurieuxjusque-là,maiscelanécessitaitdelaconcentration,etlasienneétaitportéetoutentièresurMahiya.

Mettantuntermeaubaiserunefoisàl'intérieur,ilmurmura:—Laported'entrée.

Au son de ses battements de cœur affolés, elle eut un brusque hochement de tête et s'empressad'allerverrouillerlesportesdesasuitealorsqu'ilfermaitcellesdubalcon.

—J'ai...LesmotsdeMahiyas'arrêtèrentdansunhalètement,lapoitrinedeJasonappuyéecontresondos,

latêtedel'angepenchéesurlacourbedesanuque.

Posantsesmainssurleshanchesdelajeunefemme,Jasonlamaintintdanscettepositionpendant

qu'ilgoûtaitàsapeau,qu'ilsenoyaitdanslesentimentd'apparteniràquelqu'un,d'êtreréel,mêmesicelanedevaitdurerquelanuitfugacequ'ilpasseraitdanssesbras.Sonparfum,cetteépicesauvage,l'enivrait,toutcommesapeaudouceetchaude,soncorpstoutencourbesgracieuses.Ilauraitaiméqu'elle porte un sari, il n'aurait eu qu'à faire courir ses mains pour caresser la peau nue de seshanches.

Lesailesdelaprincesse,piégéesentreeux,s'agitèrentdepetitstressaillementsd'impatiencequandilenleval'unedesesmainspourôterlesépinglesrestantesqu'elleavaitutiliséespourmaintenirsescheveuxenplace. Ilsdégringolèrent sur lesmainsde Jasonenunecascadedebouclesabondantes,lourdes,d'undouxsatiné.Empoignantleursmèches,iltirasatêteenarrière,arquantsanuqueverssabouche.

UnfrémissementtraversalecorpsdeMahiya.Sesdoigtsserrèrentlemontantdelaporte.Uncoupdelangue,legoûtgrisantdelajeunefemmedanssabouche.Lepoulsdecettedernièremarquaitunrapidestaccato.Sesailesfrissonnaientcommecellesd'un

petitoiseau.Jasonretirasamaindelahanchedelaprincessepourlaposerdélicatementsursonailegaucheetlacaresserdehautenbas.

Ungémissementétouffé,lespupillesdeMahiyaétaientdilatéesquandellerouvritlesyeux.—Jason.Mettantuntermeàcettecaresseintimeavantqu'ellenelesemportetroploin,ilétenditsapaume

surleventredelaprincesse.—Commentjet'enlèveça?—Lesboutonsautourdesailes.(Desmotsrauques.)IlyaaussiunefermetureÉclairsurlecôté.Ilavaithâtedesentirsapeaucontre lasienne. Il reculad'unpasetpassa lescheveuxdeMahiya

par-dessussonépaule.Lesboutonsencristalnoirchatoyaientdansladoucelumière.Détachantceuxduhautsanstoucherl'arcsensibledesesailes,ilbaissalesyeuxettrouvaceuxquiétaientenbasduvêtement.

Letissuquicachaitsondostombalelongdesescourbes.Illaregarda,fasciné,retirerceluiquicouvraitledevantdesoncorps.Elletenaitcelui-citoutfroissécontresapoitrine,avecunepudeurquienflammait d'autant plus l'ange aux ailes noires.De samain libre,Mahiya fit glisser la fermetureÉclairquicouraitdepuissescôtesjusqu'àlafenteenbasdesatunique.

Jasonsentitlachaleurenvahirsesdoigtslorsqu'illesfitcourirsurledosdelajeunefemme,dontla peau était traversée de légers tremblements. S'il avait eu plus d'honneur, il se serait arrêté là -Mahiyaneréagissaitpascommeunefemmequiavaiteuassezd'amantspourperdresatimidité.—...quinecherchepasàmeséduireavecdesmensonges,quiestfrancdanssondésir.Sondésirnerecelaitaucuneduperie.C'étaitunpoingdanssesentrailles.Nel'obligeantpasàrelâcherledevantdelatunique,ilplaçasesmainssurseshanchesets'appuya

denouveaucontreelle,sespropresailesdéployéeslargementderrièreeux.Ellefrémitàsoncontactcarilavaitretirésontee-shirtpendantqu'elles'affairaitavecsatunique.

LadouceurdesplumesdeMahiyacontresapeaunueluirenvoyaitdessensationsélectrisantes.Ilavait l'impressiond'êtreprisdansunerivièreenfusion.Sepenchantunefoisdeplussur lacourbelissedesanuque,ilécartad'undoigtunemèchedesachevelure,lasentitfrissonnerlàoùleurscorpsétaientunis.Toutenposantseslèvrescontresapeausensible,ilcaressasonbraspourvenirrefermersamainsurcelledelajeunefemmequiagrippaittoujourssatunique.

Ilneforçarien,tirajusteavecdouceur.Ilsentitchezellelapluslégèredeshésitationsavantqu'ellen'ouvrelesdoigtsetneluipermettede

saisirl'unedesesmainspourlaposeràplatcontrelaporte.Lorsqu'ilfitlechemininverselelongdeladoucechaleurdesonbras,ellelaissasamainoùill'avaitmise.Changeantdecôté,ilfitglisserlescheveuxdeMahiya sur sonautreépauleavecune lenteurdélicieuse...parcequemaintenantqu'il latouchait,lafièvreenluis'étaittransforméeenunesombrepatiencesexuellequipromettaitunplaisirécrasant.

Ellesavaitcequiallaitveniretsarespirationsefitplusrapide,pluscourte.Laissantsesdoigtssurceux deMahiya, Jason effleura la courbe de sa hanche de son autremain. Puis il déposa un longbaisersursanuqueavantdesuivredeseslèvresl'arrondid'uneépaulegracieuse,sonvisagefrôlantl'arcsupérieurdesailesdelajeunefemme.

Tremblante,ellerelâchasatuniqueetluipermitd'installersamaindroitesurlaporte.Levêtementtomba. Il refit le chemin inverse le long de son bras en la caressant tout aussi lentement que lapremièrefois,etsansarrêteruneseconded'embrassersapeausitentante.Puisilattrapalatuniquequis'étaittasséeautourdeshanchesdeMahiyaettira.

Elleglissapouratterrirauxpiedsdelajeunefemme.Ellefitunpasendehorsdutissu,lelaissal'endébarrasserd'uncoupdepied.

—Monpantalon(elledéglutit,commesielleavaitlagorgesèche)adesagrafesauxchevilles.—Onvalaisserçapourlemoment,dit-il,sedressantpourmieuxapprécierlespectaclequ'offrait

Mahiya,lesaileslégèrementdéployées,soncorpsnujusqu'àlataille,lesbouclesluxuriantesdesescheveuxtombantpar-dessusl'unedesesépaules.Inutiledesepresser.(Ilfitcourirledosdesamainsurlacambruredelajeunefemmeunefoisencore,enaugmentantcependantlapression.Lelégercriqu'ellelaissaéchapperluifitl'effetd'unpoingferméautourdesonsexe.)Replietesailes.

Alasecondeoùelles'exécuta,ilsepressaplusprèsetmitlamainàlaceinturedesonfuseaudecotonpourdéfaire laceinturequi leretenait.Permettantauvêtementde tomberuniquementsurseshanches,ilenrefitlelien.Leventredelajeunefemmesecrispanerveusementcontrelamainqu'ilétendaitsursapeausatinée.Sonannulaireeffleura lehautdesonpantalon...quidissimulaitàpeinesonétroitessehumide.

LecorpsdeJasonpuisa,épaisetchaud.Ellelesentitetneputréprimerunfrisson,maisellenetentapasdes'éloignerlorsqu'ilfitglisser

samain libredepuissahanche jusquesoussesseins. Ilnepritpasencoupe lespetitsmonts,aussimûrsquedesfruits,maissecontentad'eneffleurer lecontouravantdeprendreentresesdoigtsuntétondurciparledésir.

LedouxbesoinquiperçadanslecrideMahiyachuchotasurlapeaudeJasoncommeunecaresse.Illagratifiad'unautreeffleurementtaquin,d'unautretiraillementquilafittrembler,etilintroduisitson autremain juste sous sa ceinture. Son nombril se tendit, avant de se dénouer dans un frissonlorsqu'ilcaressasesseinsunefoisdeplus.

Embrassant le cou si sensible de la jeune femme, il fit glisser sesmains plus bas, sous l'âpretésoyeuse de fines dentelles pour toucher les boucles délicates entre ses cuisses, sentir la chaleurhumidedelaplusexquisedestentations.—Jason.(Elleretiraunemaindelaporteetlatenditenarrièrepourallertoucherlescheveuxde

l'ange.)Embrasse-moi.C'étaitunerequêtechuchotée.Ilarrêtasonexplorationérotiqueetlatournaverslui.Lesailesdelaprincessesedéployèrentde

touteleurlargeur.Ilcontemplacettefemmeauxjouesrougies,auxseinstendussurmontésdetétonssombresqu'ilsavaitgoûterbientôt.

—Toi,murmura-t-il,refermantsamainsurunsein,tuesadorable.Il appuya son bras contre le mur, à côté de la tête de la jeune femme, pendant qu'elle-même

l'enlaçaitetsemettaitdenouveausurlapointedespieds,etilluioffritlebaiserqu'elleavaitréclamé.C'était unmélange exalté et humide de bouches qui la fit se frotter contre lui, son ventre glissantcontrelesexedouloureuxdel'ange.

Ilperdittoutemaîtrise,défitlepantalondeMahiyaetrompitleurétreintepourlefaireglisser.Sonnombrilétaitunetentationàlaquelleilnepouvaitrésister.Lebaiserqu'ilydéposalafitempoignerlescheveuxdeJason.Ilfitcourirsespoucessurseshanchespuisrelevalatête.

—Nebougepas,intima-t-ilavantd'embrasserl'intérieurd'unecuissesatinée.Mahiya cherchait désespérément à reprendre son souffle. La cadence de son désir était une

musiquepourlesangdeJason.Ilmouraitd'enviedeluiarrachersonpantalon,maisilserralesdentsetpritletempsdedéfairelesagrafes,s'efforçantderalentir,denepasengloutirsonamantesoussapassiondévorantealorsqu'elleluiaccordaitsaconfiancepourmenerladanse.

Lepantalonfinalementenlevé, ilcaressadoucement lesmolletsde la jeunefemme,sescuisses...Seuleuneculottededentelleblanchelacouvraitdésormais.Quandilseredressa,l'odeurdesonmuscembaumal'air.

—Retire-la.Ilvoulait lavoirhumideetprêteà l'accueillir,brûlaitde lagoûterduplusérotiquedesbaisers,

maispassansqu'elleluiindiqued'abordqu'elleenavaitaussienvie.LarespirationdeMahiyasebloqua...maisellebaissalatêteetglissasespoucessousl'élastiquedu

petitboutdedentelleimportun.Ilfitunpasenarrièrepourlaregardertirerverslebas.Cettevisionétait un véritable don du ciel -même si rien pour lui ne pouvait surpasser le contact physique, leplaisirtactileétantsaseulevraiedépendance.

Chaque millimètre de la peau de Mahiya était enflammé. De son pied mince, la jeune femmerepoussa sur le côté la dentelle. Ses cils dissimulaient pudiquement son regard. Il tendit la main,effleurad'undoigtuntétondurcommedelapierre.Elletressaillit.Incapablederésister,ilplongealatête,happaletétondanssaboucheetlesuçalonguement.

LesgenouxdeMahiyafléchirent.—Jason,ohs'ilteplaît...Illaretinttoutenrelâchantsachairsensible,etl'apaisad'unbaiserlangoureuxquiattisalanoire

tempêtedesapassion.—Commeça,murmura-t-il contre les lèvres de la jeune femmegonflées par les baisers. Juste

commeça.Sa hampe douloureusement rigide, il introduisit samain entre les cuisses deMahiya et caressa

légèrementlalignedesonsexed'unseuldoigt.Encore,encore...etencore.Larespirationdelaprincesseétaithachée,ledoigtdeJasontrempéparsondésir.Elles'agrippa

auxbrasdel'ange,luijetaunregardéperduquandilmitfinaubaiser,etilsutqueleplaisirétaitentraindemonterenelleenunlentcrescendo.

— Vole. (C'était un encouragement brusque alors qu'il exigeait un nouveau baiser, désirantardemmentsoncontact.)Jesuislà.

Ilcontinuasalenteetimpitoyablecaresse,tourmentantàchaquepassagelapetitebosseluisanteausommetdesescuisses,qu'elleavaitécartéesafindeluifaciliterlatâche.

LesonglesdeMahiyaseplantèrentdanslesbrasdeJason.Ellerejetalatêteenarrière.Il la pencha sur son bras, prit un sein négligé dans sa bouche, fit courir ses dents sur la chair

tenduequand il le relâcha... aumomentmêmeoù il captura lemonticule sensible entre ses cuissespourlepincerfort.

—Jason!Relevant la tête, il retira sa main avant que le plaisir qui torturait son corps ne devienne

douloureux.

—Jesuislà,répéta-t-il,frottantsonvisagecontrelesien.Jesuislà.Ce ne fut que lorsqu'elle arrêta de trembler qu'il changea sa prise sur ses cuisses et la souleva

jusqu'àcequ'ellepuisseenroulersesjambesautourdelatailledel'ange.Sonregardétaitvaporeux,rassasié, sonbaiser langoureux.Entourantde sesbras le coude Jason, elle s'ouvrit à lui avecunegénérositésensuellequidonnaenvieàcedernierdeladévorer,pendantquesesdoigtsfourrageaientdanssescheveux.Ilglissaunemainentreeuxpourdéfairesonpantalon,agrippersonmembreetlepositionnerpourentrerenelle.

Ilhaletadoucementquandsongland frottacontre lachairgonfléepar lapassionet il s'enfonçaalorsdanssonfourreaudesoie.

—Oh!Mahiya l'enserraplus fermementdechaquepartiedesoncorps,son intimitécontinuantàvibrer

desdernièresvaguesdesonplaisir.Frissonnant, ilposasonfrontcontreceluide la jeunefemmependantqu'il luttaitcontre ledésir

ardent de ruer violemment en elle. Il sentait que le corps deMahiya n'avait pas connu cela depuislongtemps.Lesmusclesdelaprincesses'étiraientpéniblementautourdelui.

—Çava,Jason.(Sesdoigtssurlesjouesdesonamant,doux,tendresetinattendus.)Jeteveuxtant.Sarespirations'accentua,ilpoussalégèrementplus.Encoreunpeuplus.Unechaleurbrûlante,sa

féminitésecontractantsursachairrigide.Leplaisirenétaitpresquedouloureux,lamorsureexquise.Tournant la tête demanière à ce que ses lèvres viennent effleurer celles deMahiya, il continua às'engouffrerenelle,lentementetsansà-coups.

—Jason.Hanchesfléchies,àl'écoutedecegémissement,ilsecontraignitàs'arrêter.—Jetefaismal?demanda-t-ilsansdétour.Unregardlascif.—Çabrûleetpourtantc'estbon.Jeteveuxenmoi.C'étaittoutcequ'ilavaitbesoind'entendre.Glissant ses mains sous les cuisses de la jeune femme, il la souleva et repoussa ses genoux

largementverslehaut.Ilétaitbienassezfortpourlaporterainsialorsqu'ilentraitenelle.Lesonglesde Mahiya labourèrent son dos ; le corps de la princesse était secoué de spasmes autour de lui,baignantsaqueued'undésirenfusion.

Ilcommençaalorsàbouger.

Honorétaitassisedanslalumièredusoleil,doréecommedumielettoutaussiindolente.Unverre

de jusd'orangeà lamainet la largechemiseblanchedeDmitri sur lesépaules, elleobservait sonmari qui faisait les cent pas dans les jardins s'étendant autour de leur villa privée. Il avait sontéléphoneàl'oreilleetdonnaitdesordresbrefsd'untonautoritaire.

Illuiavaitdemandésiellevoulaitexplorerlesenvirons,maistoutcequ'ellesouhaitait,c'étaitêtreavec lui. Ils avaient fait l'amourde jour commedenuit, avaient inaugurédes jeuxdechambrequil'avaientfaitrougir,ets'étaientnourrisdemetsdélicatslivrésparunépicierdiscretduvillagevoisin.C'étaituneexistenceparesseuse,tranquille,etelleenétaitravieaprèsl'horreurdetoutcequ'elleavaittraversé.

Bien sûr,Dmitri ne pouvait se permettre de rompre tout contact avec laTour, qui était sous saresponsabilité depuis des siècles, et Honor ne l'attendait pas de lui. Ce qui importait, c'était qu'àl'instant où elle le regardait d'une manière qui montrait qu'elle avait besoin de lui, il coupait letéléphone.Iln'yavaitaucundoutedanssonesprit:elleétaitcequicomptaitleplusdanslaviedesonmari...Ellecomptaittantpourluiqu'ilétaitprêtàrenonceràl'immortalitésiellechoisissaituneviehumaine,carDmitrinechoisiraitpasdeluisurvivre.Ill'avaitfaitunefoisetnerecommenceraitpas.

Avançantàgrandspasverselle, ildéposasontéléphonesurla tabledeferforgéoùétaitplacéeuneassiettedefruitsqu'elleavaitcoupéspoureux.

—Aquoipenses-tu?(Ilsepenchaenavant,lesmainssurlesaccoudoirsdelachaised'Honor.)Tuasl'airtendue.

Ilenétaitarrivéàcetteconclusionalorsqu'il se trouvaitàdesmètresde làetqu'elle l'avaitcruabsorbéparsaconversation.

—J'auraispresquepréféré,dit-elleenposantsonjusdefruitssurlatableetinstallantsespiedssurlachaise,quetunem'aiespaslaisséleloisirderepenseràmonchoix.

Ilbaissalatête,etinstinctivementHonorsemitàpassersesdoigtsdanslescheveuxdeDmitri.— Je suis un salaud, Honor. (Un ton sauvage, son regard se verrouillant à celui de la jeune

femme.)Nouslesavonstousdeux.(Elleallaitprendrelaparolemaisilsecoualatêteetpoursuivit:)BonDieu,j'aitoutfaitpourorientertapremièredécision.Jepensaispeut-êtretelaisserlechoix,maisenteposantlaquestionaumomentoùjel'aifait,jemesuisassuréquetufassesceluiquejevoulais.

FaisanttramersesdoigtslelongducoudeDmitrietsurlegrisdélavédesontee-shirt,elledit:—Était-cecensémechoquer?Hum?Leslèvresduvampiresisexyettentantess'ourlèrentd'unsourire.—Tuterendscomptequej'intimidelaplupartdesgens.—Vraiment?feignit-ellededemanderd'untonironique.Commec'estétrange.Ilrit,sonDmitriquin'avaitjamaisricommecelaquandilss'étaientrencontréslapremièrefois,

delalumièredansleregard.—Tun'esdéfinitivementpasIngrede.Elles'étaitdemandés'ill'avaitvraimentcomprislorsqu'ilss'étaientmariés,s'ilavaitcomprisque,

bienqu'elleportâtl'âmeetlessouvenirsd'unefemmeaveclaquelleilavaitdansédansunchampdefleurssauvages,elleavaitétéfaçonnéeparlesventsd'uneautrevie.Maintenant,ellepouvaitliredansses yeux qu'il le savait. Elle y voyait aussi l'amour violent qu'il portait à la femme qu'elle étaitdésormais,unechasseuseauxnombreusescicatricesmaisquin'étaitplusbrisée.

—Oh?dit-elleavecunsourirequ'ellepouvaitsentirdanschaquecelluledesoncorps.Pourtant,jenecroispasmerappelerquetapremièrefemmeprenaitchacundetesmotspourparoled'évangile.

—Alorsjecroisquetamémoiretejouedestours.Effaçant ladistancequi lesséparait, il réclamasansvergogneunbaisersensuelquifit fondrela

jeunefemme.Alorsqueleslèvresduvampireglissaientlelongducoud'Honorjusqu'àsagorge,elleempoignasescheveux.

—Mords-moi.(C'étaituneoffrequ'ellen'avaitfaitequ'àDmitri.)Tunet'espasnourriaujourd'hui.Maisaulieudeplongersescrocsdanssachairconsentante,ilrelevalatête,fronçalessourcils.—Jeneveuxpast'affaiblir.Jepeuxmefairelivrerdusang...—Non.Tutenourrisdemoi.Dmitriétaitsien.Ilnerevenaitqu'àelledeprendresoindelui,del'adorer.—Honor.—Jesuisunrégimeàhauteteneurencalories,enferetenlipides,etc'estpourunebonneraison.

(ElleavaiteuunelongueconversationavecunmédecindelaGuildeavantleurdépartpourl'Italie.Levieil hommequelque peu irascible était habitué à avoir affaire aux couples vampire-humain et luiavait donné des consignes à suivre si elle avait l'intention d'être l'une de « ces bonnes femmespossessives».)Situmedisquetupréfèresunsacdevieuxsangàmoncou,marmonna-t-elle,c'estmoiquivaistemordre.

Il ne s'adoucit pas à la plaisanterie, resta penché au-dessus d'elle, sombre, dangereux et un peuénervé.

—Jevaispassercommande.—Dmitri...— Je te laisserai faire à ta manière dans tous les autres domaines, mais il n'y aura pas de

compromisencequiconcernetasanté.(Sontonétaittranchantcommedel'acier.)Jemenourriraidetoiunefoisparsemaine.

Honorplissalesyeux.—Unjoursurdeux.—Nousnesommespasentraindenégocier.—Si.Onestmariés.Donc,onnégocie.LesmusclesdesbrasdeDmitriseraidirentsurlachaise.—Deuxfoisparsemaine,lâcha-t-ilentresesdentsserrées,ettuferasuneprisedesangpourtester

tontauxdefertouslescinqjours.Tapotantlepoignetdesonépouxdudoigt,ellevitlarésolutionimplacablequis'étaitinscritesur

sonvisage,etsutqueladiscussionn'iraitpasplusloin.Celas'étaitmieuxpasséqueprévu-aprèstout,Dmitriétaitâgédeprèsdemilleansetsemontraittrèspointilleuxsurlesujet.

—Bien,dit-elleenprenantunairfaussementrenfrogné,maissituenviensmêmeàarrêterdememordillerquandnousfaisonsl'amour,jedemandeledivorce.

Lesbaisersdesangérotiquesétaientseulementsexuelsetn'avaientrienàvoiravecl'alimentation.Cettefois-ci,sonsourirefutceluidel'hommetrèsmauvaisqu'elleavaitdanssonlittroisfoispar

jour,auminimum.—Oh, je n'arrêterai jamais cela. Si tu demandes gentiment, je pourrai même te mordre à cet

endroitquetuaimestant,àl'intérieurdetacuisse.Honorfrissonna.Autrefois,laseuleidéed'unemorsureàcetendroitl'auraitfaitvomir,etmême

Dmitri ne pouvait s'y livrer que si elle se trouvait dans une certaine position, où elle pouvait lerepousser d'un coup de pied si besoin était...mais lorsque cela se passait bien et que les horriblessouvenirsdecequ'elleavaitsubinelasubmergeaientpas...waouh.

—Tuesunemenace.Sesyeuxbrillèrent.—Rentrons,quejepuissetecorrompreunpeuplus.Celan'aaucunsens,maisildevientplussexychaqueminutequipasse.L'attirantverselle,elleembrassaceslèvressensuelles,ressentitunamourquifitgonflersesseins,

durcirsestétons.—Vienst'asseoiravecmoi,dit-elleavantd'enoubliersapremièreintention,quenouspuissions

parlerdemadécision.Une fois glissé sur la chaise de l'autre côté de la table, il tendit unemain languissante vers un

quartierdepêcheblanche.—Nemedemandepasde tedissuaderduvampirisme.Si jememontreaussibonavec toi,c'est

seulementparcequejeneveuxpasquetumehaïsses.Ellecroquadansunmorceaud'abricot.—C'estnoté.Changeantdeposition,elleposalespiedssurlesgenouxdeDmitri;sesorteils,vernisd'unbleu

vertvif,brillaientsouslesoleil.Dmitrilacaressad'unemainabsente.— Tu ne seras jamais comme ces monstres, dit-il calmement, en appelant à sa peur la plus

profonde.Jamais,Honor.Cen'estpasentoi.Cela l'étouffait d'une terreur sans nomqu'elle puisse devenir un jour comme les créatures sans

âmequiluiavaientfaittantdemal,luiavaientbrisélecœurdanscettevieetdanscelled'avant.Elleregardaalorsl'hommequil'avaitaiméependantcesdeuxvies,etnevitpassimplementlemalquiselisaitsursapeau,maisaussilavérité:ils'étaitaccrochéàl'honneur,mêmequandilavaitplongédanslepéchéetladépravation.Dmitrin'avaitjamaisbrutaliséunefemme,n'avaitjamaisblesséunenfant...Pasdepuisqu'ilavaiteuàbriserlecoudeleurfilspoursauverMishad'unehorreurinimaginable.

ContrairementàDmitri,ellen'entreraitpasdanscettenouvellevieenpassantparunatroceactedecoercition,briséeettorturée.Elleyseraitconduiteparunhommequil'adorait,passeraitl'éternitéàdécouvrirchaque facettechangeantedesapersonnalité. Jamais ilsnese lasseraient l'unde l'autre -jamais.C'étaitunevéritécalmequ'elleportaitenelle,néed'unamourquiavaitsurvécuàlamortetautemps.

—Dmitri,demanda-t-elledanslesilenceensoleillé.Oùesttoncœur?Saquestionpouvaitêtreinterprétéedebiendesmanières,maissonépouxsavaitcequ'ellevoulait

dire.—Entretesmains,oùilatoujoursété.Unejoielumineusedanschacundesessouffles,unsentimentdepaixdanssonâme.—Toutcommelemienestentretesmains.Donc,tuvois,jen'aiàmesoucierquedetoncœuret

nondumien.(EtlecœurdeDmitriétaitsontrésorleplusprécieux,toutcommelesienétaitceluideDmitri.Ilaimeraitetprotégeraitcecœurdetoutessesforces,neluipermettraitjamaisdeperdrelacompassionetl'humanitéqu'ilchérissaitenelle.)Rentronsàlamaison,reprit-elle,pourcommencerleprocessus.

LesmainsdeDmitriserrèrentsesjambes.—Cettefois,onyest,Honor.Iln'yaurapasd'autreschances.—Non,Dmitri.Maintenantnousauronsuneéternitédechances.

Mahiya se sentait contusionnée en des endroits insoupçonnés. Ses muscles l'élançaient comme

jamaisauparavant.Jasonétait...unetempête.Lent.Patient.Inexorable.Elleavaitpenséqu'ilauraitétécombléaprèscetteunioncharnellefougueusecontrelaporte,mais

ill'avaitramenéeàsonlit,neluioffrantqu'uncourtrépitavantdelaprendredenouveau.Mahiyanes'enplaignaitpas.Nes'enplaindraitjamais,pastantqu'illarejoindraitaulit.—...celanemeferapasresteravectoi,nemeferapasmengager.Elle ressentit un pincement au cœur tandis qu'elle ouvrait la fenêtre de la chambre pour laisser

entrer lebeausoleilmatinal.Cepincementn'étaitpasuniquementceluid'unefemmevaincuepar lasensualitédeJason,maisd'unefemmefascinéeparcequ'elleavaitentrevudel'hommequisecachaitderrière lemaître espion... et cet homme était une créature dangereuse, complexe, abîmée, qu'ellemouraitd'enviedeconnaître.

Maisellen'enaurait jamais l'opportunité,car Jasonne la luioffriraitpas.Ellen'étaitpasmêmesûrequ'ilreviendraitàelle.—Bonnenuit,Mahiya.Unregardattentif.Elleaurait vouludormirenrouléeautourde sa forceetde sachaleur,mais elle s'était satisfaite

d'unedernièrecaressedesonamantsursajoue.Elleavaitéprouvélesentimenttroublantderedonnersalibertéàunebêtesauvage.

—Àdemainmatin.—Àdemain.Unbruissement à laporte fit voler en éclats lemurmuredu souvenir.PuisVanhi s'empressade

rentrerdanslapièce.Sescheveuxcouleurébèneétaientramenésenunchignonsévèreàl'arrièredesatête ;elleétaitvêtued'unsarinoiràpoisécarlates.Elleseulepouvaitsepermettredeportercesteintes osées lorsque le reste du fort affichait les couleurs pastel d'un demi-deuil. Parce que seuleVanhivivaitdepuispluslongtempsqueNeha.

Lavampireauxyeuxvertsetàlapeaud'unbronzeprofondavaitl'apparenced'unefemmesuperbedanslatrentaine,maissesmanièresétaientcellesd'unegrand-mère.ElleavaitbercéNehaetNivritidanslapouponnièrecommeellel'avaitfaitplustardavecAnoushka,puisMahiya.ElleétaitlaseulepersonnequeMahiyaavaitoséchériraprèsletraitementbrutaldontsonuniqueamiavaitétévictime.Duvermillonsurlespierres,lisseetépais.Desailesdétrempéesdesanggisantinertesauxcôtés

ducorpsinconscientd'unhommedontleseulcrimeavaitétéd'êtregentil.MêmelajumentqueMahiyaadoraitetqu'elleavaitaidéàéleveralorsquel'animaln'étaitencore

qu'unepoulicheavaitétédonnée.Àlanouvellemaîtressed'Arav,biensûr,pourparfairelacruautédugeste.MaisVanhi,elle,bénéficiaitdel'affectiondeNehaetparconséquentiln'yavaitpasdedangeràl'aimer.Toutefois,lavampiren'étaitpasautoriséeàpassertropdetempsavecMahiya,souspeinedesefaireexpédierenvacancesàl'autreboutduterritoire.

—Alorscommeça,ditVanhi,cetteengeancedecoureurdejuponsestmort.Mahiyanefutpassurpriseparcejugement.—JenepleureraipasArav,maislamanièredontilafini...jeneluisouhaitaispasuntelsort.Vanhirenifla.—Ilauraitdûêtrecastrépouravoirprofitéd'unejeunefilleayantàpeinesespremièresplumes.

— Je le lui avais permis, répliquaMahiya, habituée à ce vieux sujet de fâcherie. J'étais idiote.(Prêteàconfondrelemoindremétaldoréavecdel'or.)Jeneleseraiplus.

—Ohvraiment?(Vanhisoulevaunsourcilinquisiteurtoutenramassantuneplumenoiresurletapis.)Pourtant,lemaîtreespiondeRaphaëlestlebienvenudanstachambre?

—Ilnemeracontepasdemensonges,lui.La calme déclaration stoppa net Vanhi, qui jusque-là s'activait avec énergie dans la pièce,

arrangeant une chose, en remettant une autre d'aplomb. Son expression devint profondément tristelorsqu'elleposaunedoucepaumesurlevisagedeMahiya.

—J'auraisaiméquetuplacestesespoirsplushaut,petite.— Un jour, promit Mahiya, j'aurai l'occasion de faire de plus grands rêves. En attendant ce

moment,jedoisfaireaveccequej'ai.Defauxespoirspouvaientêtreplusdévastateursqu'unpragmatismesansfard-ellel'avaitappris

lorsqu'elle avait tenté de trouver refuge auprès de Lijuan des années avant « l'évolution » del'Archange.—Stupidepetitefille.(LesailesgriscolombedeLijuanbalayèrentlesolquandellerenvoyad'un

gestedelamainlegardequiavaitescortéMahiya,totalementépuisée,jusqu'àcettepiècecaverneuseauxéchosinquiétants.)TumedemandesderuinermonamitiéavecNehapourtoi?—Non,jedemandeseulementl'asile.Des yeux étranges, d'un gris de perle sinistre, la regardaient avec insistance. Le visage de

l'Archangeétaitsipâlequ'ellepouvaitpresqueenvoirlesos.—Soittuessimpled'esprit,ditLijuan,soittuesentraindetemontrerdéloyale.Mahiyaluttacontrelaglacequiprenaitpossessiondesesveinespourdéclarer:—Vous êtes bienplus puissante queNeha.Elle nemettrait pas votre relation enpéril pourune

choseaussiinsignifiantequemoi.—Ils'avèrequejen'aiaucunbesoindetoi.Tun'asrienàmoffrir.(Unsourirequifitseserrerle

ventredeMahiya,sesosgrincer.)Tesailes...Hum,peut-êtretegarderai-jeaprèstout.Lijuanl'avaitalors« invitée»àvoirsaChambredescollections, l'avaitobservéeaveclemême

sourireinhumainquandelles'étaitpliéeendeuxpourvomirlepeudenourriturequ'elleavaitdansl'estomac.—Junettoieracela,net'enfaispas.L'hommequisortitdel'obscuritéentraînantdespiedsn'étaitpasnormal.Relevantbrusquementla

tête,Mahiyaplaquaunemain sur sa bouchepour s'empêcher de crier pendant que Jumaniait uneserpillièrepoureffacerlestracesdesonécœurement.Sesyeuxétaientnoirsetternes,sesmouvementsceuxd'unemarionnette.—C'étaitunhommefortautrefois,maisjel'aibrisé.Pourtant,jen'arrivepasàm'enséparer.Lijuantenditlamainpourcaresserl'ailedeMahiya.Sesoustrayantaucontact,Mahiyas'attendait

àêtreréduiteenpoussièrepoursoninsolence,maisLijuansourit.—C'est dommage que je ne puisse t'ajouter à ma collection. Il vaut mieux, je pense, que je te

renvoieàNeha.Jeseraipatienteet luidemanderaide tedonneràmoiquand tuserasmorte.Jenevoudraispasqu'unetellebeautésoitperdueàjamais.

Unenuitetunjour.C'étaittoutletempsqueMahiyaavaitpassédanslaforteressedeLijuan,desheuresdecauchemar

quilaglaçaientjusqu'auxosmêmelorsqu'elleyrepensaitmaintenant.—Vanhi,demanda-t-elleàlavampire,s'efforçantderevenirauprésent,quepenses-tudelamort

d'Arav?—Cetteboused'éléphantadûmanquerderespectàquelqu'un,oubienils'estpeut-êtresimplement

trouvéaumauvaisendroitaumauvaismoment.Vanhihaussalesépaules,attrapaunsariqueMahiyaavaitlaissédehorspourqu'ils'aère.Prenant

l'autrecôtédutissuglissant,MahiyaaidaVanhiàleplier.—Jenesaispas.Toutcelamesemblecalculé.—Jevaistedireunechose,petiteMahiya.(Untonsolennel.)Lesjeuxpolitiquessontunechose,

mais jouer contreNeha ? (Secouant la tête, la vampire fit un signe des doigts, un ancien symboledestinéàéloignerlemauvaissort.)Riendebonnepeutsortirdecela.Oui.Sortantdupalaisunedemi-heureaprèsledépartdeVanhi,Mahiyatombasurunvisiteurinattendu

surlepointdemonterlesmarchesjusqu'àsaporte.—Venin.Arborantunsourirenonchalantetpleindecharme,ildissimulaitsesyeuxderrièreseslunettesde

soleilquirenvoyaientàMahiyasonproprereflet.Vêtud'unpantalonnoiretd'unechemiseblanche,ses cheveux humides proprement coiffés, il représentait à merveille le type de courtisans le plusdangereux-ceuxquiavaientl'espritfaitpourmaniganceretcomploter.

—DameMahiya.—Mahiya suffira, répondit-elle en laissant la lumière dumatin l'envelopper. (Le ciel était d'un

bleu si pur qu'il semblait obscène de penser qu'il puisse sans doute être le théâtre de nouveauxcarnages.)Sic'estJasonquetucherches,iln'estpaslà.

CommeNehaavaitétendulemandatdecedernier,onn'attendaitdorénavantplusdeMahiyaqu'elleagissecommeuneespionneetrapportesesfaitsetgestes.—Jason. (Elle sortit sur lebalcon, résistantà l'enviede le touchermaintenantque lanuitétait

passée.Ellenevoulaitpasavoirl'airdeprétendreàunquelconquedroitsurlui,celaseraitaussiidiotqued'essayerdeposséderunetempête.)Prendras-tulepetitdéjeuneravantdepartir?—Non,j'aiunrendez-vousàorganiser.(Ildéployasesailes,marquauntempsd'arrêt.)Jeteverrai

àmonretour.Peut-êtreétait-cestupide,maiscelasignifiaitbeaucouppourellequ'ilaitfrappéàsaporteaulieu

desimplements'évanouirdansl'aube,sonmaîtreespionquiavanceraittoujoursseul.—J'auraisdûtéléphoneravantdevenir,ditVenin.(Savoixdissipalesouvenir.Sonsourireétait

celuid'unhommequisavaitenjôleretséduirelesfemmes.)Puis-jeteservird'escorte?Leflirtamicallafitsourire.—JevaisvoirNeha.—Lehalldesaudiencesprivées?—Non.(Mahiyafronçalessourcils.)LemessagemedemandaitdelaretrouverprèsduProtecteur.Levantlesyeux,ellecherchaduregardleforttrèsSpartiatequisurplombaitceluidel'Archange.Il

étaitisolé.Iln'yavaitpersonnealentoursaufdestroupesdeNeha,quineverraientrienetneferaientriensil'Archangedécidaitd'éliminerletracasquereprésentaitl'enfantillégitimedesonaffilié.

Envérité,ceneseraitguèredifférentqued'êtredanscefort-ci.Saufque...Jasonétaitlà,d'habitude.Non, sedit-elle sévèrement,ellenedevaitpascommencerà fonderdesespoirsàpartirdecette

sombresensualitéquil'avaitmarquéeenprofondeur.Jasonavaitpromisdel'aideràs'échapper,maisellenepouvaitréclamersaprotectionau-delàdeça.

—Donc,vois-tu,dit-elleàVenin,jedoistelaisserlà.Levampirefronçalessourcils.— Es-tu sûre que le message provenait de Neha ? Je l'ai vue partir vers la ville il n'y a pas

longtemps.—Oui.Nousdevonsnousretrouverautempleenruinequisetrouvejusteàl'extérieurdesmurs

dufort.(Pourtant,unpeutroubléeparlechoixinattendudulieu,ellemitlamainàunepochesecrètedesatuniquepourensortirunepetitecarte.)C'estdesamain.Prenantlacarte,Veninpassaledoigtsurl'écriture.

—Oui,tuasraison.Maissonécrituren'estpassitravailléequ'ilsoitimpossibledelacopier.Je

n'aimepasça.Toutàcoup,ellesutpourquoiVeninétaitvenuaupalais,etsoncœurseserra.—Jasont'ademandéd'assurermaprotection.CelaluifitquelquechosedepenserqueJasonsesouciaitsuffisammentd'ellepouravoirdemandé

à un autremembre des Sept de garder unœil sur elle. Personne ne l'avait fait depuis qu'elle avaitquittéleRefuge,oùdesangesétaientchargésdeveilleraubien-êtredesplusjeunes.Ellen'étaitpasfièreaupointdenierlesémotionsquecetteattentionfaisaitnaîtreenelle.

Veninréponditavecunlégersourire.—Celaditquetonrendez-vousestdansquinzeminutes.—Jepensaisarriverenavance.Pourmedonnerletempsdemepréparer,afinqueNeha,quoiqu'ellefasse,nepuissemepousserà

commettreuneerreurfatale.—Fais-moiplaisir,etarrivejusteàl'heure,demandaVenin.Levantlatête,elleluiretiraseslunettesdesoleilavantqu'ilneserendecomptedesonintention.

Parréflexe,ilsereculad'unemanièresinueuse,belle,rapide,maisellenecillapas.—Tun'avais qu'à demander, dit-il, repoussant desmèches de cheveuxdésordonnées alors qu'il

quittait sapositionde combat.Sesyeuxhypnotiques,d'unvert vif, contrastaient avec lebrunde sapeauchaude,quirappelaitledésertetlesterresoùilavaitgrandi.

— Je voulais lire ton regard. (Mahiya lui rendit ses lunettes, un léger sentiment insidieux àl'arrière de son esprit.) Mais c'était idiot, dit-elle. (Le sentiment familier qu'elle passait à côté dequelquechosedisparutavantqu'ellepuisseyaccorderdel'attention.)Jeneconnaispersonnecapablededécryptercequecachentdetelsyeux.

Faisantglisserleslunettesàleurplace,Venincommençaàséloignerd'elle.—Rappelle-toi,arrivejusteàl'heure.Puisilaccéléraàunevitessesurhumaineetdisparutenunéclair.Pourtant,si rapidequ'il fût, ilnepourraitpasatteindre leProtecteuravantelle.Malgré tout,elle

volajusqu'autoitdupalaispourattendre,ayantdécidédeluiaccorderletempsqu'ildemandait.Pluselleréfléchissaitàlasituation,pluslesentimentquequelquechoseclochaits'amplifiait.Nepasallerau rendez-vous n'était pourtant pas une option, pas quand Neha lui avait fait parvenir ce mot -l'ArchangesavaitqueMahiyaavaitunepeurmaladiveduProtecteur...etellesavaitpourquoi.Pitié,non!Pitié!C'étaitlaseulefoisoùelleeûtjamaissupplié.C'étaitaussilaseuleoùelleavaitvuuneexpression

d'horreursepeindresurlevisagedeNeha,commesiellenepouvaitcroireàsespropresactes.Celanel'avaitpourtantpasarrêtée...etAnoushkas'étaittenueàsescôtéstoutdulong,ombredesamèreauregardfroid.

Seulementdeuxminutesavantl'heuredurendez-vous.Elle déploya ses ailes et décolla du toit pour s'élever dans les nuages, prenant la direction du

templeenruine.SileProtecteurrendaitmoitelapeaudelajeunefemme,letemple,lui,n'abritaitqued'heureuxsouvenirs.

Seraccrochantàcesdernierscommeàuntalisman,ellesurvolaleProtecteuretsessentinelles.Àquelquedistanceausuddesrempartsdufortsetrouvaitletempleeffondréquiavaitétéconstruitilyavait longtemps pour honorer l'Archange qui régnait avant Neha. Cette dernière n'était pasresponsabledesadestruction.Ilétaitsimplementtombédansl'oubliaprèsquel'Archangeenquestioneutététuélorsd'uncombatcontreunautremembreduCadre.

Le toit s'était écrasé sur les pavés et un pan entier du temple s'était écroulé,mais l'autremoitiétenait plus oumoins debout.Dix robustes colonnes soutenaient ce qu'il en restait.Depuis les trousdansletoit,lalumières'éparpillaitsurlesolenunemosaïqued'ombreetdeclarté.

Mahiyaseposaàl'extérieur,prituneprofondeinspirationdel'airmontagneuxléger,etrepliases

ailes...quandelleentenditmarcherderrièreelle.EllepivotapoursetrouverfaceàVenin,dontlapeauluisaitdesueur.Sachemiseauparavantd'unblancimmaculéétaitmaintenanthumideetcolléeàsoncorpsmusclé;sesyeuxnondissimuléscillaientdanslesoleil.

Stupéfaite,elleleregardafixement.—Personnen'estaussirapidequecela.Unéclatdecrocquandilsouritlargement.—Désolédedevoirtecontredire.Ellefitfonctionnersesméninges,regardalesmursplatsdufortderrièreluiavantderevenirau

vampire.—Tuconnaislestunnels.D'aprèslepeud'informationsqu'elleavaitpurassembler,lespassagessouterrainsquireliaientles

deuxfortsavaientétéconstruitsilyavaitdesmillénaires,etdevaientêtreunvéritablelabyrinthe.—Peut-être.Ill'effleuraenladépassantàunevitessesurhumaineetmontaencourantlesmarchesdutemple.—Venin!Sursestalons,ellepénétradansletempletachetédelumière...etfutenvahieparunsentimentde

paix.Cetendroitavaitétésonterraindejeuxfavori lorsqu'elleétaitenfant.Ellevenaitséjourner làdepuisleRefuge.Elleavaitvécuunmillierd'aventuresentresesmurséboulés,effondrés,avaitécritson nom avec unmorceau de charbon sur l'une des colonnes avant que la culpabilité ne la fasserevenirpourl'effacer.

Lesouvenirluiarrachaunsourirealorsqu'ellecherchaitunsignedelaprésencedeNehaetn'entrouvaitaucun.Veninsetenaitdevantelle,nonloin,inspectantunealcôvedansl'ombre.

—Tudoissortiravantd'éveillersacolère.(NehanetoléreraitpasqueMahiyasoitescortéeparunvampirequirestaitenquelquesorteunfavori,malgrésonchoixdeservirRaphaël.)Tupeuxremplirtonrôledegardedepuisl'extérieur.

Sonaide serait labienvenue si sonmauvaispressentimentn'étaitpasuniquement le fruitde sonimaginationdébridée.

—Hum?Non,jenecroispas.—Jetetraîneraidehorss'illefaut.Ilétaitl'amideJason,etcedernier,ellelesavaitinstinctivement,étaitunhommequiencomptait

peu.Veninn'avaitpasledroitdejouercommecelaavecsaproprevie.Ilréponditàvoixbasse.—Viensvoircela,Mahiya.

Intriguéepar le tonétrangedesavoix,elle traversaun faisceaude lumièreet s'arrêtanet.Dans

l'alcôvefaceàVeninsetrouvaituneboîteenveloppéed'unpapierdoré,ferméeparunnœudargenté.Lorsquelevampiretiraavecprécautionlacartecoincéesousleruban,ellen'indiquaitquelenomdelaprincesse,tracédelamêmeécriturequelanotequil'avaitconduitelà,àcetteheureprécise.

—Jenesuispeut-êtrepasmaîtreespioncommenotreJason,songeaVeninàvoixhaute,maisjehasarderaiqueNehan'apasenvoyécemot.

Mahiya ne pouvait qu'acquiescer. Son esprit essayait, sans succès, de trouver un sens à cescirconstancesétranges.

—Emmenonslaboîteàl'extérieuravantdel'ouvrir.—TunedevraispasfairecelaavantqueJasonetmoi-mêmen'ayonseuletempsde...—Entantquevampirepuissant,tuesdotéd'uneouïedéveloppée,l'interrompit-elle.Entends-tuun

tic-tac?Quoiquecesoitquiindiqueraitqu'ellepuissecontenirunpiège?Uneexplosionbiencalculéepourraitéventuellement lesdécapiteret les tuer l'uncomme l'autre.

Veninpenchalatête,finitparlasecouer,réticent.—Non.Mais...—Etilyadefortesprobabilitéspourquetuaiesunexcellentodorat.(Ellel'avaitvu«goûter»

l'airdelalangue.)Tusensquoiquecesoitdesuspect?(Ellesavaitquesielles'enallaitmaintenant,VeninouJasonprendraitlerisqued'ouvrirlaboîte.Etcela,ellelerefusait.)Desproduitschimiques,ouautres?

—Non,grinça-t-il.—Moinonplus,ets'ils'agitdumeurtrier,dit-elle,rationnelle,ilouellen'aaucuneraisondese

prêteràdetelsjeux.UnangesuffisammentfortpourannihilerAravpourrait labriserendeuxsanseffort.Quelqu'un

d'autrepourraitêtretombésurcepaquet-ungardelorsdesapause,unenfantcurieux-etjusque-là,aucundesmeurtresn'avaitcédélamoindrepartauhasard.Ledernierétaitdiscutable,maissestripesluidisaientqu'ilyavaitunlienentrelesquatrevictimes,etellesavaitqueJasonétaitd'accord.

LespupillesfenduesdeVeninserétrécirentpendantqu'illajaugeait.—Jepensaisquetuétaisuneprincesse.—Tudevraispourtantsavoirquelacourd'unArchangeestdeloinbienplusdangereusequeles

ruesdeNewYork.(Ellesoulevalaboîteavantqu'ilnelefasseetl'emportatrèsprécautionneusementausoleil.EllecontournaletemplepourêtrecomplètementcachéeduProtecteuretplaçal'objetsuruncoindepelouseàunequinzainedemètresdel'édifice.Danslepiredescas,ellevoulaitéviterquelesmursneluitombentdessus.)Vatemettreplusloin.

Unsourcilhaussé.—Jenepensepas.—Ne sois pas idiot, dit-elle, décidant qu'elle aimait bienVenin non seulement parce qu'il était

l'amideJason,maisaussiparcequ'il la regardaitcommesielleétaitunecréaturedangereuse.S'ilm'arrivequelquechose,tuneseraspastouchéettupourrasallerchercherdusecours.Oupréférerais-tuêtreblessétoiaussi?

Seslèvresserecourbèrent.—Tonraisonnementtientaussisic'estmoiquiouvrelaboîte.—Exact.Maismeschancesdesurviesontplusélevées.—J'endoute. (Il croisa lesbras.)Tuespeut-êtreunange,mais je suispluspuissantque toi.Et

Jasonl'estplusquenousdeux.Oui,etilneserapasblesséàcausedemoi,qu'importes'ils'agitlàd'unedécisionridicule.—Donc,tuseraisd'avisdel'attendre?(Commelevampirenerépondaitrien,elleajouta:)C'est

biencequejepensais.Cetteboîtem'estdestinée,Venin.Jenepermettraiàpersonned'autredel'ouvrir-d'être blessé - et tu ne pourrais pasme suivre dans le ciel si je décidais dem'envoler avec. Nepréférerais-tupasquejeresteici?

Unautreregarddur.—Visiblement,ilmefaudraétudierunpeumieuxlesprincesses.Surcesmots,iltournalestalonsetpartitentrottants'agenouillerderrièreunblocdepierre.Mahiyas'accroupitetdéfit le rubanaprès l'avoirexaminésous tous lesanglesà la recherchede

filscachés.Ellevitàcemoment-làque laboîten'étaitpasenveloppéedepapierdoré,maisqu'elleétaitenfaitpeintedecetteteintemétallique.Unefoisqu'elleeutretiréleruban,ellen'eutplusqu'àensouleverlecouvercle.

—Venin!Est-cequetuvoisdesbranchesdanslesparages?Unarbresetrouvaitnonloindelui.—Attends.(Uneminuteplustard,illuilançaunebranchesolided'unbonmètredelong.)Jesuis

contentdesavoirquetun'espassuicidaire.Non, je prévois de vivre, d'aimer, de voler. ..et s'ilme le permet, de danser de nouveau avec un

maîtreespionauxailesdejais.—J'yvais.Aplatissant son corps au sol pour amoindrir l'impact d'une explosion, elle tendit le bâton et

soulevalecouvercle.Ilnesepassarien.Laissantéchapperunsouffletremblant,elleserelevaets'approcha,conscientequeVenincourait

verselle.Tousdeuxregardèrentcequecontenaitlaboîte.Venins'accroupit.— Aucune odeur. (Il leva la main alors qu'elle s'apprêtait à saisir l'objet.) Attends, laisse-moi

m'assurerqu'ilnereposesurrien.Mahiyafitcommeonleluidisaitetpatienta,jusqu'àcequ'illuiindiqued'unsignedetêtequ'elle

pouvaitpoursuivre.—Ondiraitquetuasunadmirateursecret,murmura-t-ilalorsqu'elleexaminaitl'oursenpeluche

roseavecsespattesetsonmuseaublanc.Peut-êtrel'ai-jefaitfuir.—Peut-être.(Elleétudialapeluchedeprès,maisneputdécouvriraucuncompartimentcaché.)Je

doisadmettrequec'estsiétrangequejen'aiaucuneidéedequoienfaire.Peut-êtrequeJasonsaura.—Sijepuismepermettre,ilvaudraitmieuxquejeleporte.—Oui,c'estmieuxsionnemevoitpasavec.Alorsquesic'esttoi,onpenseraquec'estpourune

amante.—J'aiuneréputation,semble-t-il.Unedéclarationdoucecommelasoie,sonmordantmisàpart.— Il faudrait que je sois aveugle pour ne pas avoir remarqué ta sensualité. (Dangereuse et

languissanteenmême temps.) Je suispratiquementcertaineque tunedors jamais seul, àmoinsdel'avoirchoisi.

Indépendammentdesesétrangesyeux,si«différents».—Attention(prenant laboîteet l'ourson, ilserelevad'unmouvementfluideetgracieux),Jason

pourraitêtrejaloux.—Nelaissepascettenouvelletedévaster,maistun'espasmongenre.(Bienqu'elleaitditcelasur

le ton de la plaisanterie, elle devait admettre queVenin l'effrayait un peu, parce qu'il lui rappelaitNeha.Sesyeuxétaientceuxdesescréatures,idempoursesmouvements.MaisellerefusaitdelaisserNehagâterunepossibleamitié,etce futpourcelaqu'elleajouta :)Jesuissûrequenousferonsdemerveilleuxamis.Unseulsourcilhaussé,uncalmeétudiédanssaréponse.

—Vraiment?

—Biensûr.Admets-le,tum'appréciesdéjà,mêmesij'aigagnénotredifférend.UnlégersouriresurleslèvresdeVenin.—Lorsque je t'ai rencontrée lapremière fois, jeneparvenaispasàcomprendre l'attirancequ'il

éprouvaitpourtoi,maisjecroissincèrementqueJasonatrouvélapersonnequ'illuifaut.IlfallutàMahiyauneffortpourgarderuntonégal.—Jedoisallerenvillepourunpetitmoment.Jeteverraiàmonretouraufort.C'étaitaumieuxunsouvenirconfus,datantdedeuxansauparavant,maissielleavaitraison,ily

avaitunepetitechancequecelapuisseleurapporterunélémentderéponse.Veninluifitlesgrosyeux.—Jasonm'aordonnédeveillersurtoi.Son cœur fit un bond en s'entendant confirmer ce qu'elle avait supposé. Certaines femmes se

seraient irritéesdecepenchantpaternaliste,maispourMahiya,quin'avait jamaisvraiment comptépourquiconque,unetelleattentionn'étaitpasunfardeau-plutôtunsignebienvenuqu'onsesouciaitd'elle.Celanevoulaitpasdirequ'elleavaitl'intentiond'arrêterdepenserparelle-même.

—Il fait jour,dit-elle, et jeneprévoispasde traînerdansdes ruelles sombres. Je seraidans lequartierdumarché,quiesttrèsanimé.

—Tuparlesd'uneprincesse,marmonnaVenin.(Ilplongealamaindanssapochepourensortiruntéléphone.)C'estunportabledesecours.J'yrentremonnuméroetceluideJason.Appellesituaslemoindreproblème.

Quelquesminutesplustard,elledescendaitenvolantverslaville.Sadestinationétaitunimmeublejaunevifprésentantunevieillemaisbrillantemachineàcoudreàpédalesdanslavitrineetunenfantenshort,couvertdepoussière,quijouaitsurleseuil.

Sesyeuxs’écarquillèrentàlavuedeMahiya.Ildisparutàlavitessed'unbouletdecanonl'instantsuivant,courantdanslamaisonenhurlant:

—Maman!Maman!Ne faisant aucun effort pour dissimuler son sourire, Mahiya attendit poliment dans la rue,

consciente des autres commerçants qui pointaient la tête hors de leurs échoppes, et des clients quis'agglutinaientsurlesseuilsdel'alléeétroite.Sixouseptboutiquesplusbas,unchameaumâchouillaitdel'herbe,tandisquesonpropriétairebricolaituneselleornéedepetitsgrelotsd'argentenfeignantdenepasregarderMahiya.

Les anges emplissaient les cieuxde laville,mais il était raredevoir l'und'euxdescendredanscette rue dumarché. Ce n'était pas le snobisme qui les tenait éloignés, car les anges étaient aussicurieuxquelesmortels lorsqu'ilétaitquestiond'explorer ledédaled'uneville.C'étaitparcequelesboutiques étaient si minuscules qu'elles ne laissaient aucune place pour des ailes. Si Mahiyaconnaissaitcelle-ci,c'étaitparcequesapropriétaireavaitétéinvitéeàmontrersescréationsaufortàl'occasiond'unefoire.

La jeunehumaineparutsur leseuil.Biensûr,pensaMahiya, la jeunesseétaitunechoserelative.Cette femme qui avait vécu quoi, vingt-sept, peut-être vingt-huit ans, était suffisamment âgée pouravoirunpetitgarçonquisecachaitderrièresesjupes.Aumêmeâge,Mahiyaétaitunbébéguèreplusgrandquecegarçonnet.

—Madame. (La fabricante de jouets inclina la tête et serra sesmains sur son tablier.) Je vousaccueilleraisbienàl'intérieur,mais...

—L'intentionsuffit,ditMahiyaaveclaplusgrandegentillesseetens'exprimantdansledialectelocal.Jenevousretiendraipaslongtemps.

—S'ilvousplaît,laissez-moiaumoinsvousoffrirunetassedethé.(Uneprièredanscesyeuxdechocolatfondu.)Jenepeuxrecevoirunangesurmonseuilsanspolitesse.

—Merci.Unthéseraitlebienvenu.Unsouriretremblantilluminalevisagedelafemme.

—J'aiunethéièresurlefeu.Donnez-moiuneminute,pasplus.Alorsqu'ellese tournaitpour rentrer, lepetitgarçon trouva lecouragederester,sesyeuxde la

mêmecouleurqueceuxdesamèrefixésavecémerveillementsurMahiya.— Bonjour, dit celle-ci. (Comme il ne déguerpissait pas, elle ajouta :) Pourquoi n'es-tu pas à

l'école?Sesyeux se firent encoreplus ronds, et il planta sonpoucedans sabouche.VoyantqueMahiya

n'ajoutaitrien,ill'enretiraaveclenteur,commes'iln'avaitpasconfianceencesilence.—JenesuispasencoreaussigrandqueNishi.(Unepause.)Nishivaàl'école,dit-ilpours'assurer

qu'ellecomprenaitbien.—Ah.Seras-tubientôtassezgrand?Sonfrontsecreusa.—Pasencorebientôt.Maispresquebientôt.Ravalantsonsouriredevantcetteimplacablelogiqueenfantine,ellevitsonregardseportersurses

ailes.—Tupeuxt'approchersituveux.Le pouce de nouveau à la bouche, il avança sans bruit jusqu'à quelques centimètres d'elle,

examinantsesailesaveclafranchisedestoutjeunesenfants.Lorsquesamèreapparutsurleseuil,unetasseàlamain,ellefitminedelerappelermaisMahiyasecoualatête.Acceptantlebreuvage,elledit:

—Ilal'airintelligentetbrave.—Oui.(Lamèreserengorgea.Elleavaitunvisageminceetbeau.)Iltientdesonpère.Mahiyaposaalorslaquestionquil'avaitamenéelà.—J'aivuquelqu'unavecunoursenpeluche:roseetblanc,avecuncolbrodé...—Demargueritesblanches.L'excitationlagagna.—Oui,exactement.J'aipenséqu'ilpouvaits'agirdevotretravail.Cousumainetbrodé,lesyeuxd'unadorablebleucristal,etd'untravaild'aiguilleremarquable.—Vousrappelez-vouss'ilavaituneminusculeétoilejaunesurlapattegauche?Mahiyayréfléchit.—Oui.—Alors,ilvenaitd'ici,c'estsûr.Maisjesuisdésolée,madame,jen'enaipasd'autre.—Oh,queldommage.Faites-vousbeaucoupdepeluchescommeça?—Non,ellessonttoutesuniques.(Ellelissasontablier.)J'aivenduDaisyilyaunesemaine.Oh,

laissez-moiprendrevotretasse.—Merci,lethéétaitdélicieux.(Riche,aulait,parfuméàlacardamomeetadouciavecdumiel.)

Vous rappelez-vous à qui vous avezvenduDaisy ? Je vais essayer de voir si cette personne seraitenclineàmelecéder.

—Unvampire.Inconnu,peut-êtreuninvitédufort.(Lafemmesemorditlalangue,secoualatête.)Il nem'a pas donné de nom,mais il avait des cheveux écarlates et la peau blanche comme de laporcelaine.

—Unhommedifficileàrater.Pourtant,elleneconnaissaitaucunvampireavecdetelstraitsdanslesenvirons.Unautremystère.Jason avait passé la matinée à glaner des informations dans des quartiers proches les uns des

autres.Ilseposasurlechampenjachèred'unfermier,àl'ombred'unehuttedontlestravailleursseservaientprobablementpourse reposerdurant lasaisondesplantations. Ilavaitbesoindequiétudepourréfléchiretassemblertouteslespiècesdupuzzle.

Ilavait lesentimentconfusqueMahiyaétait lacléde l'énigme,bienqu'iln'enait rienditàcettedernièreouàVenin.Maiss'ilétaitfaciledelarelieràErisetArav,enrevancheriennel'associaitàAudreyouShabnam.Pourtant,soninstinctpersistaitdanscettevoie-commes'ilavaitvuouentenduquelquechosequ'iln'avaitpasencorecomprisdemanièreconsciente.

Frustré,ilsortitsontéléphone,décidéàchercherlaréponseàuneautrequestion.—Jason. (LachaleurdusouriredeJessamytraversamêmeleminusculeécran.)C'estbonde te

voir.—Toiaussi.C'étaitJessamyqui lapremière l'avaitaidéàserappelercequec'étaitqued'êtreunepersonneà

partentière.Ilsetenaitdevantlelieuoùilavaitvuentrerlesbébésangespourapprendredeschoses,ilattendit

quelederniertraînarddisparûtpourseglisseràl'intérieur.Lafemmequis'ytrouvaitlevalesyeux,sonregarddoux,pleind'unegentillessequin'étaitpasdela

pitié.—J'aiquelquechosepourtoi,dit-ellecommesiellel'attendait,commesiellesavaitqu'ilécoutait

sesleçonscachédanslapénombredepuisdesjours.Elleavançaetluitenditunepiledelivresavecdegrandeslettressurlespages.—Pourt'aideràtesouvenir.Iltouchalacouverture,tournalespages.Il avait euautrefoisdes livres commeça, lesavait lus encore et encorequand il s'était retrouvé

seul,maisilsavaientfiniparsedéliteret,aprèsunmoment,ilavaitoubliéqu'ilétaitsupposésavoirlire. Jusqu'à ce jour où la dernière leçon de Jessamy avait tourné une clé dans son esprit,déverrouillantlesondelavoixdesamèrequandelleluiavaitapprisl'alphabet.Ilpritleslivres,partitsansunmot.Illuiavaitfalludesmoispourbrisersonsilence,maisJessamy,avecsonregardavisé,nel'avait

jamaispoussé,luiavaittoujourslaissésesaisespourrespirer.—J'aiunequestionpourtoi,luidit-il.(Uneinclinationdelatête.)TusaisqueLijuanaévoluéet

queRaphaëlagagnéunenouvellecompétence.Dessignesindiquentmaintenantquequelquechoseestentraind'arriveràTitus,bienquejenepuissepasencoredirequoi.

Les gens de l'Archange guerrier étaient d'une loyauté farouche et les espions de Jason avaientseulementpuaffirmerqueTitusluttaitcontreunemaladie.CommelesArchangesnetombaientpasmalades,TitusdevaitsansdoutetraverserunephasedeTransformation.

L'aptitudedeNehaàmanierlaglacen'étaitpasencoredenotoriétépublique,ilnepouvaitdoncenparlersansbrisersonsermentdesang,mais ilavaitplusieurspreuvesd'unphénomène touchant leCadreentier.

—Tu te souviens du comportement irascible d'Astaad, reprit-il. (L'Archange avait battu àmortl'unedesesconcubinesjusqu'àlaréduireenbouilliealorsqu'ilétaitconnupourêtretolérantenversses femmes au point de les gâter.) J'ai entendu dire que son état s'était stabilisé et qu'il disposaitmaintenantdepouvoirsnaissantssurlescréaturesmarines.

L'expressiondeJessamysefitpensive.—Al'époque,onavaitexpliquésoncomportementparlesperturbationscauséesparleréveilde

Caliane.—Le réveild'unAncienn'estpasunechoseque l'onpuisse ignorer, fit Jason,pensant à la cité

perdued'Amanatquis'étaitélevéeàunendroitfortéloignédesesorigines.MaisleréveildeCalianeaurait-ilpuêtredéclenchéparunepuissancesupérieure?

LasombreévolutiondeLijuanavaitprécédé le réveildeCalianedequelquesmois.Etcesdeuxévénementsavaientmodifiélecoursdel'Histoire.

—Iln'yaaucun...(Jessamysetut.)Attends.Elle revint en ligne avec un vieux livre relié, et visiblement très fragile, qu'elle tenait avec

beaucoupdeprécautions.— Cette histoire mentionne un événement appelé la « Cascade » et dit que : « Les Archanges

n'étaientpas cequ'ils devaient être, et les corpspourrissaientdans les rues, et le sangpleuvait descieuxpendantquelesempiresbrûlaient.»(Avecuneexpressionsolennelle,Jessamylevalesyeuxdespagesracornies.)CetteCascades'estproduiteilyaplusdevingt-cinqmilleans.Jevaiscommencer

mesrecherchesdanslesarchivespourplusd'informations,maisbienquesonâgeexactsoitsujetàdiscussion, je crois qu'il n'y a qu'un seul Archange éveillé qui aurait pu la vivre en étant auxpremièresloges.Caliane.

Mettantrapidementuntermeàl'échangeafindepouvoirpasserunautreappel,Jasons'envolaversle fort, prenant la direction du bureau de Rhys, près des baraquements où vivaient la plupart desgardes.Cedernierétaitentraindesuperviserunexerciced'entraînementdepuissonbalcon.Ilavaitlesrapportsmédico-légauxensapossessiondésormais.

—Rienquenousnesachionsdéjà,dit-ilàJason.Cesmeurtresontétécommissansfinesseetsansessayerdecacherquoiquecesoit.Ilapparaîtquelesorganesinternesd'Audreyontétéretirés,alorsquelatêtedeShabnamaétéarrachée.Aravaussiaétédéchiqueté-sestendonscoupés,sesmusclesbroyés.

Jasonétudialesrapports,vit lanoteausujetdelatêtedeShabnam,lutqu'eneffetAravavaitétédéchiqueté-àmainsnues.Pasuneseulemarquequ'onauraitpuattribueràunearmen'étaitvisiblesurson corps. Cela indiquait quelque chose d'important à Jason. Très peu d'anges avaient la forcephysiquenécessairepourarracherl'épinedorsaled'unautre,oupireencore,latête.

Et faire cela envol contreungénéral ayant les capacitésd'Arav?Celademandaitunniveaudepuissanceprochedeceluid'unArchangeoubienunenouvellefacultéencoreinconnue.Ilfallaitqueses espions commencent à vérifier discrètement le degré de puissance de certains anges, qu'ilsobtiennentune indicationafinde savoir si euxaussi étaient touchésparcetteétrangeévolutionquisemblaitaffecterleCadre.

Remontant les pages, il vérifia de nouveau le dossier de Shabnam. Bien que le légiste ait étéincapabledeleconfirmer,auvudelanaturedesblessuresdelavictime,ilsupposaitquesonvisageavait été ratissé avec un genre de griffes. Jason avait déjà vu les ongles de Neha s'allongerdémesurément, mais elle n'était pas la seule à être capable de le faire. Malgré tout, c'était là unenouvellepiècedupuzzle.

—Oui,dit-ilenemportantsonexemplairedesrapports,iln'yalàriend'important.Rhysavaitbeauêtrel'hommedeconfiancedeNeha,iln'étaitpasceluideJason.

Raphaëlconsidéraladiscussionqu'ilvenaitd'avoiravecJasonetpritladécisiond'appelerCaliane.

Samèreavaittoutd'abordrejetél'idéed'utiliserunquelconquemoyendecommunicationmoderne,maisaprèsqu'ileutrefusédes'entreteniravecelleenutilisantdupouvoirbrut,elleavaitfinalementautorisél'aménagementparNaasiretIsabeld'unepetitesuitedédiéeàceteffet.

Raphaëlpatientaitpendantquel'angedegardeallaitcherchersamère.—Raphaël,dit-elleavecdesyeuxremplisd'amour.(Elletenditlamainversl'écrancommeellele

faisaittoujours,commesiellevoulaitletoucher.)Monfils.—Mère. (Pendant si longtemps, il l'avait pensée perdue à jamais. Chaque fois qu'il lui parlait,

c'étaituncoupauventre,unedouleuraucœur.)Jevoudraisteposerunequestion.— D'abord, réponds à l'une des miennes. (L'ordre d'une Archange qui avait vécu pendant une

éternitéavant sonSommeil.)Quandpuis-jeespérer laprésencedemon fils? (Elleeutungestededénégation.)Etjeneveuxpasdireàtraverscetappareil.

—JenepeuxquitterlaTouravantquel'undesSeptlesplusanciensnerevienne.—Etceluiquiesttrèsbeau,lebleu?Ilnedoitpasêtrefaible,lui.Non, Illium était loin d'être faible, mais sa puissance avait grandi de manière chaotique et

imprévisible;celasuffisaitpourqu'iln'aitpasvraimentlecontrôledesanouvelleforce.—Mère, dit-il avec douceur, car il la traiterait avec honneur à moins que sa terrible folie ne

revienne,jesuistonfilsmaisjesuisaussiCadre.NetentepasdegouvernermaTouretjenetenteraipasdegouvernertacité.

LeregarddeCalianes'embrasad'uneflammebleuespectaculaire,àlalueurmeurtrière.—Etsijedécidaisdeterendrevisite,moi?—Monaffiliéeetmoi-mêmet'accueilleronsàbrasouverts.—Tuasdoncl'intentiondepoursuivrecetteliaison?Jepourraisbrisercettefilled'unclaquement

dedoigts.—Etjedevraisalorstetuer-toutcommejetetueraissijamaisj'envenaisàteconsidérercomme

unemenacepourElena. (SamèreétaituneAncienne,habituéeà faire leschosesà sa façonet à letraitercommeunenfant.Elledevaitserappelerquecegarçonqu'elleavaitlaisséensang,démoli,lecœurmaladesurunchamploindetoutecivilisationavaitdisparudepuislongtemps.)Jenesuisplusceluiquej'étaisautrefois.

Lalueurseternit.Latristesses'inscrivitsurtoutesleslignesdesonvisage,etilsutqu'ellerevivaitlesmêmessouvenirs.

—Posetaquestion,Raphaël.Illuiparladela«Cascade»etvitimmédiatementqu'ellecomprenaitdequoiils'agissait.—C'estdoncvrai.(Unmurmurequiportaitlepoidsd'untropgrandsavoir.)J'avaiscommencéà

ensentirlespremierssignesmaisj'espéraismetromper.Sescheveux,delamêmeteintequeceuxdesonfils,tombèrentsursesépaulesquandellesecouala

tête.—Quepeux-tumedireàcesujet?—C'est exactement ce que les historiens duRefuge supposent - une confluence de temps et de

certainsévénementscritiquesquiontprovoquéundéferlementdepouvoirauseinduCadre.Certainsgagneront en puissance, pendant que d'autres renaîtront avec de nouvelles facultés. Il n'y a aucunmoyend'enprédire l'issue,etbeaucoupdecescapacitésserontaumieux instables,aupirenéfastespourlemonde.

—LeCadrepeutréussiràtempérercechangementmaintenantquenousenavonsconnaissance.Calianeeutsoudain l'airâgée,siâgéequ'ilpouvaitcroirequeLijuanavaitditvrai,enaffirmant

qu'elleavaitvécudeuxcentcinquantemilleans.—Oui,mais tuvois,c'estaucoursde ladernièreCascadeque jecroisavoirété touchéepar la

folie.Même si je ne le savais pas alors, car c'était unmal insidieux. Il n'y a aucunmoyen de seprotégerd'untelchangement.

Venin,lunettesréfléchissantessurlenez,étaitassis,lesjambespendantes,surlebalconattenantà

lachambredeJasonlorsquecedernierrevintaupalais.Unetassedecaféfumanteétaitposéeàcôtéduvampire.

— J'ai dû supplier, dit-il lorsqu'il vit le regard de Jason se porter sur la tasse. Ta princesseconsidèrequelecaféestuneinsulteaubongoût.(Illevalevisageversleciel,buvantausoleilavecunplaisirsinueux.)T'ai-jedéjàditquejedétestaislefroid?

—Chaquehiver.(JasondonnaàVeninlesrapportsmédico-légaux.)Qu'est-cequetuendis?— La force d'un Archange ou quelque chose s'en approchant... ou peut-être un talent spécial,

réponditVenin.(IlavaitétéentraînéparJasonàdiscernerdetelleschoses.)Celadonneunéclairagenouveauauxderniersévénements.Lijuan?

—Elleauraitpulefaireetdisparaîtreavantmêmequenousayonsremarquésaprésence.L'Archange de Chine avait le pouvoir de se dématérialiser, même si, comme Raphaël l'avait

prouvélorsdelabatailleau-dessusd'Amanat,ellen'étaitpasomnipotente,contrairementàcequ'ellevoulaitfairecroire.

—Oui,maiselleatoujourseuunerelationplutôtcordialeavecNeha,fitremarquerVenin.EttuerEris de cettemanière ? J'ai été témoindes choses torduesqueLijuan a faites,mais là, il s'agissaitd'uneaffairepersonnelle.

—Oui.Attrapantdansl'airunetouchedequelquefleurinconnuemêléàdesépiceslégèresetenivrantes,il

se tourna pour voirMahiya sortir de sa suite.Une partie de lui se figea, attendant de voir si elleregrettaitlapassionqu'ilsavaientpartagéeavantl'aube.

Sonregards'illumina.—J'aientendutavoix.Celaluidemandauneffortpourseretenirdetendrelamain,d'ouvrirleslèvresdelajeunefemme

d'unbaiser,degoûtersonsourirequiétaitunecaressecontresessens.—Qu'as-tudécouvertaujourd'hui?Veninserelevaavantqu'ellenepuisserépondre.—Discutonsplutôtàl'intérieur.Il lui semblait si naturel de suivre Mahiya chez elle, de trouver la table basse recouverte de

nourriture.—J'aipenséquevouspourriezavoirfaim,commel'heuredudéjeunerestpassée,dit-elle.Maisl'attentiondeJasonétaitrivéesurl'oursenpelucheroseinstalléprèsdelalampe.—Ah,ditVeninenfermantlesportes,j'aiunehistoireàrelateràcesujet.JasonrestasilencieuxpendantqueVeninracontaitcettefableétrange.—Unvampireauxcheveuxécarlates?demanda-t-ilàMahiyaunefoisqu'elleeutfaitpartdeses

découvertes.Quantaurisquequ'elleavaitprisenouvrantlaboîte,ilsendiscuteraientenprivé.—Oui. (Une lueur enflammée dans le regard.)Malheureusement, je ne pouvais demander aux

gensducoins'ilsavaientvucethomme-celaauraitcausétropdevagues.JasonregardaVenin.Prenantunegorgéedesoncafé,levampireluioffritunsourireparesseux.—Oui,jemesuisrenduenvilleetj'aimenémapetiteenquête.(Ils'appuyacontrelemuretajouta

:)Notre acheteurn'est pasdugenre àpasser inaperçu, et pourtant, personnene le connaît.Mais jevousrappellequemescontactsfontplutôtpartiedesjeunes.Enfin,façondeparler.Peut-êtres'agit-il

d'unvieuxvampirequivientjustedesortirderéclusion.LesangesDormaientquandl'immortalitédevenaitunfardeau trop lourdàporter.Lesvampires,

eux,n'étaientpasdotésdelafacultédeplacerleurcorpsdansunétatdecoma,maisilschoisissaientparfoisdeseretirerdumonde,uniquementaccompagnésde leur« troupeau».C'étaitainsique lesplusâgésappelaientleshumainsquiavaientunedépendanceaubaiservampirique.Ilsrestaientalorsaveceuxcommesourcedenourrituretouteprêteetconsentante.

Pourlesplusvieuxvampires,ils'agissaitd'untermeaffectueux.Lesdonneursétaienttraitésaveclemêmerespectquel'onpourraittémoigneràunanimaldecompagniechéri.Cetroupeaurecrutaitdesremplaçantsaufildutemps-Jasonavaitconnuunvampirequiétaitrestéenréclusionpendanttroiscentsans.

—Ilvientpeut-êtredel'extérieurdelarégion,ditMahiya.—Ilt'aenvoyécequipourraitêtreuncadeaupourteséduire.Celanevapasdanscesens.(Selon

toutcequ'elleluiavaitraconté,sonvoyagejusqu'àlaforteressedeLijuanavaitétésaseuleincursionau-delàdesfrontièresduterritoiredeNehadepuissonretourduRefuge.)As-tuvuquiquecesoitquipourraitcorrespondreàcettedescriptionlorsquetuétaisenChine?

Unlégerfrissonparcourutsesépaules.—Non.Desailes rouges,oui,maisdescheveux,non.Personneaveccettecouleurdepeaunon

plus.—AuRefuge peut-être ? demandaVenin. Pourrait-il t'y avoir vue lorsque tu étais plus jeune ?

(Mahiya secoua la tête.)Un visiteur à la cour deNeha qui t'aurait prêté une attention un peu tropappuyée?

Lacouleurdescheveuxpouvaitêtremodifiée.—Laflatteriedecourhabituelleetinsignifiante.Rienquiauraitpumeneràquelquechosed'aussi

pousséquecerendez-vousetceprésent.Et lecadeauenlui-même,pensaitJason,étaitsingulierpourunImmortel.Laplupartd'entreeux

séduiraient une femmeavecdesbijouxoudes trésors rares.Quant à cette femmeenparticulier, ildécouvraitque l'idéed'unautrehomme lacourtisant faisaitnaîtreen luiunesombreviolencequ'ilavaitapprisàcontenirtoutesavie.—Nememenspas,Néné!—Maisjenemenspas!Pourquoinemécoutes-tupas?C'estunami...—Est-cepourcelaquetuasdisparuavecluipendantuneheure?—Jeluifaisaisvisiterl'atollpendantquetudiscutaisavecsonpère!(Unsanglotdefrustration.)

Jedétestecettehorriblejalousie,Yavi.Elleestentraindenoustuer.Ladéclarationprophétiquedesamèrerésonnantencoreàsesoreilles,JasonsetournaversVenin.—Voissitupeuxcreuserplussansquecelaparvienneauxoreillesindésirables.Levampiresepenchapourposersatassevidesurlatableavantdebondirsursespiedsavecune

grâcevivequiévoquaitlabeautéauxunsetledangerauxautres.—Jepensequejevaissauterparlebalconpoureffrayerlesgardesquisecachentdehors.Surcesmots,ildisparut.JasonserapprochadeMahiya.—Tun'auraispasdûprendrecerisque.— C'était un choix mûrement réfléchi. (Elle avait un ton résolu.) Je referais de même sans la

moindrehésitation.JenetroqueraipasmavieaveclatienneoucelledeVenin.Agrippant sonmenton, Jason plongea son regard dans celui de la jeune femme, aussi ferme et

lumineuxqueceluid'unchatsauvage.—Jenevoudraispasavoiràramassertoncorpsenpetitsmorceaux.(C'étaituneconfessionvenant

d'unepartiedesonêtrequin'avaitpasvulejourdepuisuneéternité.)Donc,tudoismepermettredetegarderensécurité.

Mahiyas'étaitpréparéeàluttercontrel'arrogance,etseretrouvadéconcertéeparlacalmerequête

sichargéed'émotionsnondites.— Je ne prendrai pas de risques inconsidérés, dit-elle en fermant les doigts sur le poignet de

Jason,àlapeausichaude.Jelepromets.—Tueslaplusfaibled'entrenous,Mahiya.—Mais,murmura-t-elle,luidemandantdecomprendre,jenesuispasfaible.Jenepeux l'êtreet

survivre.Sonamantauxailesnoiresneditrienpendantunlongmomentavantdelalibérer.Elles'obligeaà

lelaissers'éloigner,sesentantcommeendeuil.—Viens,dit-elle,mangeavecmoiavantquecelanerefroidisse.Jasonagrippasonpoignetalorsqu'ellesedirigeaitverslatable.—TunetraitespaslanourriturecommelesautresImmortels.(Sonpoucecaressalamaindela

jeunefemme.)Dis-moipourquoi.Desserpentssifflanttoutautourd'elle,descrocsseplantantdanssachair,dupoisoncourantdans

sesveines.Sesdoigtssefermèrentenunpoing,ellecampafermementsursespositions.—Non,Jason.Jenetepermettraipasdevolertousmessecretsquandtugardesjalousementles

tiens.Ilensavaittantsurelle,quandelleignoraitmêmeoùilavaitinstallésonfoyer.Lesdoigtsdumaîtreespion fléchirentet il l'attiraplusprèsde lui, jusqu'àceque leurspiedsse

touchent.—Connais-tul'histoiredeYavieletAurelani?C'étaitlaplussurprenantedesquestions.—Bien sûr. (Leur amour était l'une des plus grandes romances angéliques.) Ils appartenaient à

deux familles en guerre de différents côtés du monde. Yaviel était un chanteur devenu artisan,Aurelaniuneéruditedontlerenomgrandissait.(Lesdeuxfamillesétaientextrêmementfièresdeleurenfant,maislorsqu'ilstombèrentamoureux,unehainevieilledeplusieurssièclesavaitprisledessussurlatendressedeleurunion,etilsavaientétébrutalementséparés.)

» On dit que Yaviel a survécu à la torture pour s'introduire par effraction dans la chambred'Aurelanietl'enlever,etqu'ilsontdisparupourallervivreensemble,loindelacolèredestructricedeleurs familles. (Le romantisme de cette histoire avait fait soupirer son cœur de petite fille.Mêmemaintenant, en tant qu'adulte, son âme se languissait à l'idée d'être aimée un jour avec une telledévotion.) Les instruments de musique de Yaviel ont continué de faire leur apparition au Refuge.Certainssavaientdoncoùsecachaientlesamants,maislesecretn'ajamaisététrahi.

LavoixdeJasonétaitdurelorsqu'ildéclara:— Il l'appelait Néné et elle l'appelait Yavi. (Un frisson sur sa peau, une vision d'une obscurité

suffocante.)Nénénepouvaitsupporterlefroid,etYavil'aimaittantqu'illeurtrouvaunatollinhabitédans les eaux chaudesduPacifique, loin, loinde tous les chemins aériensmenant à la civilisation.(Ses doigts serrèrent le poignet de Mahiya plus fortement, mais elle ne bougea pas, n'osait plusrespirer.)Desamisdeconfiancevenaientetemmenaient lesœuvresdeYaviauRefuge,oùellessevendaientpourdessommesquiluipermettaientd'offriràsaNénétoutcequ'elledésirait.Elleaimaitlesaméthystes,etill'encouvrait...mêmesicequeNénéaimaitleplus,c'étaitsonYavi.

Unelarmecoulasur levisagede la jeunefemme,mêmes'iln'avait rienditd'horrible jusque-là.Pourtant, latristessequ'elleentendaitenluiétaitunpoidsécrasantquiauraitpudétruireunhommemoinssolide,pensait-elle.

—Elle devait t'aimer aussi,murmura-t-elle, voyant sur son visage l'histoire de deux clans quiavaientfinipars'exterminerdansuneexplosiondeviolence.

—Oui.(UnregardhantérencontraceluideMahiya.)J'étaisaimédemesparents.Mahiyavoulaitluidemanderpourquoiiln'avaitemployéquelepassépoursonrécit,pourquoiil

portaitenluiuntelabîmedetristesse,etcequ'ilseraitadvenudeNénésiYaviétaitmort...Maisellenepouvaitprendrelerisquedeleblesseralorsqu'ill'étaitdéjàtant.

—Jen'ai jamais traité lanourritureà la légèreparceque je sais cequec'estquedemourirdefaim.

La tristesseprofonde en Jason changea, devint une lamenoire léchéepar les flammes. Il fallaitbeaucoupdetempspouraffamerunvieilange,maisunindividudel'âgedeMahiyarestaitvulnérable.

—Quand?Mahiyaravalasasalive,sesdoigtssecrispèrentsurlapoitrinedeJason.—AprèsqueLijuanm'aescortéederetourdesonterritoire.Neham'ajetéedansuneoubliettedu

Protecteuretenarefermélaporte.Lapeurquiémanaitd'elleétaittropviolentepourqueseulelalentedouleurdelafaiml'explique.

EtJasonsut.—Tun'étaispasseuledanslapièce,n'est-cepas?Les larmes jaillirent de ses yeux. Elle se mordit la lèvre inférieure en secouant la tête. Jason

relâchasonpoignetet l'entouradesesbras.Maisellenesanglotapas, lafièreprincessequ'il tenaitdanssesbras.

—Ilsétaientsinombreux,dit-elle,larespirationhachée.Vipèresetcobras,serpentsàsonnettesettaïpansdudésert.

Desserpentsvenimeux.Leurpoisonnepouvait tuerunangeadulte,mais ilpouvaitprovoquerunedouleurabominable,

desconvulsionsetmêmeunecécitéetuneparalysietemporaires.—Dis-moiunechose.Ilposasajouecontrelatêtedelajeunefemme.—Oui?—SitupouvaistuerNeha,leferais-tu?Unmaîtreespionsavaitbeaucoupdechoses,notammentàquelmomentunArchangepouvaitêtre

leplusvulnérable.Mahiyasecoualatête.—Non. (Ellebougeaafindepouvoir le regarderdans lesyeux,etmurmura :)Si j'enavais fait

mon but, je serais devenue exactement comme elle, une femme guidée par la haine, et dontl'amertumefinitparinfectertoutcequ'elletouche.

Anoushka,pensaJason,n'étaitpasdevenuequielleétaitenétantisolée.—Jeprendraimarevancheenmenantuneviepleinedebonheur,promitMahiya.Enmenoyant

dansl'amouretnondanslahaine.Acetinstant,sesyeuxbrillèrentcontrelemarrondorédesapeau.Elleétaitlaplusbellefemme

qu'il ait jamaisvue, et il sutqu'elle était tropbienpour lui,que levidenoir en lui ladétruirait.Etpourtant,ildit:

—Lescieuxserontclairscesoir.Voleras-tuavecmoi?Sonsourirefutlumineux,l'horreureffacéeparunejoiesanspeur.Les heures passèrent avec une lenteur de plomb. Jason reconstitua chacune des étapes de la

recherche du meurtrier. C'était l'entretien avec les gardes en faction devant la porte d'Eris quil'intriguaitleplus.LorsqueJasonavaitcruNehacoupable,ilnes'étaitpasétonnéquandelleluiavaitdit n'avoir rien trouvé en entrant dans leur esprit. Il n'avait pas compris qu'elle avait parlé au senslittéralduterme.

—Jen'arrivepasàmerappeler,ditlepremiergarde,uneexpressionaffligéedansleregard.Surlemoment, jen'enaipaseuconscience,maisplus tard, lorsqu'onm'aquestionné, jemesuisrenducomptequejen'avaisaucunsouvenirdecettenuit-là.

Ledeuxièmegarderacontalamêmehistoire.JasonsavaitqueVeninétaitcapabled'hypnotiserlesgens-levampireavaitacquiscetalentdurant

saTransformationparNeha.—Connais-tuquelqu'und'autrequipossèdecedon?demanda-t-ilàMahiyacesoir-là.—C'estfamilial,répondit-elle.OnditquemamèrelepartageaitavecNeha,mêmesileurstalents

n'étaientpaslesmêmes.Jen'enaipashérité,maisAnoushka,si.LalignéedeNehaestancienne-jeneconnais pas d'autre descendant directmaintenant qu'Anoushka estmorte,mais elle compte d'autresmembresplusâgésquineDormentpas.

Jasonpassaquelquescoupsdefil,pistalesdifférentsancêtres.—Leliendeparentéestassezlointain,etilssonttoustropfaiblespouravoirtuéneserait-ceque

Shabnam.Ladamedecompagnien'étaitpasunêtrepuissant,maiscomme tous lescourtisans, elleavaittoutdemêmeunecertaineforce.

Mahiyafronçalessourcils.—Jenevoispersonned'autre,maiscertainsangesrestentdiscretsausujetdeleurpouvoir.Oui,pensaJason,enparticuliersil'impactdelaCascadesepropageaitau-delàduCadre.—As-tudécouvertquoiquecesoitdetoncôté?Elleavaitpassétoutl'après-midietledébutdesoiréeànaviguerdanslelabyrinthedesobligations

delacour.—Unsentimentdemalaise,dit-elle.Toutlemondeapeurd'êtrelaprochainecible,etuncertain

nombre de personnes projettent de quitter le fort, mais ce sont des paroles en l'air. Neha nepardonneraitpasunedésertion,et ilssont tous tropobsédésà l'idéedeperdre leurplaceà lacour.(Elleexpirabruyamment, frottant son frontduboutde sesdoigts.) J'aimalà la têted'avoirécoutétoutescesinepties,etjen'aipasobtenuuneseulebonneinformationpourrécompensermesefforts!

—Celasuffit,ditJason.Nousavonstousdeuxbesoindedéployernosailes.Il permit àMahiya de donner le rythme, de choisir leur direction, ombrageant ses ailes vives

pendantqu'ellebalayaitlescieuxaveclafacilitéetlagrâcedequelqu'unquiconnaissaitlescapricesdesventsdanslesmontagnes,comprenaitcommentlaterreetlecielinteragissaient.Satechniquedevoln'étaitpasparfaite,maisilyavaitunejoiepersistantedanschacundesesmouvementsqu'ilétaitimpossibledemanquer.L'observerétaitsaisissant.

— Libre, lui dit-elle lorsqu'ils firent halte sur une haute colline surplombant les lumièresvacillantesdelaville.Dansleciel,jemesuistoujourssentielibre.

Enapercevant leplaisirnaïfque levisagedeMahiyaaffichait, Jasondut lutter contre lebesoinurgent de l'envelopper de ses ailes, de la cacher à ceux qui pourraient transformer cette joie endésespoirenutilisantsonamourducielpourlatorturer.

—Soisprudente.MahiyaserapprochadeJason,posalamainsursapoitrineenunedouceinvitation.Iln'auraiteu

qu'àfaireunpasenarrièrepourlarejeter.Malgrélavivacitédesesémotions,ellen'étaitpasfemmeàpoursuivreunhommedesesassiduitéss'illuimontraitclairementqu'ilnevoulaitpasd'elle...Carellenesedoutaitpasqu'ensedonnantàlui,ellerisquaitdeperdresagaietéquiencerclaitJasondansseschaînesdélicates,sidouloureusesparl'espoirqu'ellesfaisaientnaîtreenlui.

—Jesuistoujoursprudente,dit-elle,maistoi...maintenantjesaispourquoituesunsibonmaître

espion.Ilnecompritpascequ'ellevoulaitdire.Ladouceurdesoncontactpassaàtraverslafinechemise

noirequ'ilportaitpourimprégnersapeau.S'abandonnantàcettesensation,ilfitcourirsesdoigtssurlanuquedelajeunefemme;lefrissondeMahiyaluiremualesang.Ilyavaitunplaisirplusprofonddanscescaresses,danslefaitdesavoircequilafaisaitsoupirer,d'apprendrel'intimitédesoncorps.Unplaisirqu'ils'étaitrefusépendantdescentainesd'années.—Jason?(Unregardblessé,desyeuxbleushumides.)Tut'envas?—Jet'aiditquejenepouvaispasrester.Qu'ilnepouvaitluidonnersoncœur.Sesdoigtsseserrèrentsurlesdrapsqu'elletenaitcontresapoitrine.Deslarmesroulèrentsurses

joues.—J'aipensé...commetucontinuaisderevenir...Ilétaitsijeunealors,trèsdouédanssontravail,maisloinderrièresespairslorsqu'ils'agissaitdes

émotions,desrelationshumaines.Ilavaitcruquecettemaîtressedel'époqueavaitcomprislorsqu'illuiavaitparléavecsincérité. Ilnes'étaitpas renducomptedes rêves secretsdontelle seberçait. Ilavaitbrisésoncœursanslevouloir,ennesachantmêmepasquec'étaitensonpouvoir.Cecœuravaitbientôtguéricarelleétaitjeune,elleaussi.Jasonpensaitmêmequecettefemme,sansdoute,nedevaitplussesouvenirdel'angeauxailesnoiresqu'elleavaitimploréderesteràsescôtés.

Maisiln'avaitpasoubliélaleçon,etilsedemandaitsiMahiyaavaitvraimententenducequ'illuiavaitditlanuitprécédente,ousielleaussientretenaitlerêvederassemblerlesmorceauxbrisésenlui.Elleréaliseraitbientôt,hélas,quecequiétaitcasséenluiétaitirrémédiable.Letraumatismequ'ilavaitsubiàunâgesitendrefaisaitdésormaispartiedesapsyché.L'invincibleattirancequ'iléprouvaitpourellen'ychangeraitrien.

Pourtant, au lieu de reculer, il eut un geste égoïste. Baissant la tête, il réclama l'intoxicationérotiquedesonbaiser,passasesmainsdanslescheveuxdeMahiyapourfairedégringolerleursoiesursapeau.Elles'ouvritpourluiavecunegénérositésensuellequiluifaisaitperdrelaraison.Ilavaitenviedeparcourirchaquecentimètredesoncorps,del'entraînerdansuntourbillondeplaisirquilamarquerait.Ilvoulaitlaconnaîtrecommeaucunhommenelaconnaîtraitjamais.—Jason?Tut'envas?TirantsurlescheveuxdeMahiyapourluifairereculerlatête,ilseforçaàquitterseslèvres.—Ouvrelesyeux.C'étaitunordredur.Descilsépaisserelevèrentpourrévélerdesyeuxembrumésparlapassion.—Jetevois,Jason.—Etquevois-tu?Ilcaressasoncorpsdesamainlibre,frottadupoucesontétonàtraverslevêtement.Sonsoufflese

fitpluscourt,maisellenelelâchapasduregard.—Unhommequiestunetempête,quin'appartientàpersonneetneserajamaisdompté.Attendre

autrechosereviendraitàfoncerdroitversunedéceptiondouloureuse.Lucide,pensa-t-il,elleétaittrèslucide.—Certainspourraientdirequetutentesdemeséduirepourmetenirenlaisse.Unrirechaudetétonnésedéversasurlacolline.—Seulunidiottenteraitdeconteniroudedirigerunetempête.Jesuisbientropintelligentepour

ça.

Il prit ses lèvres à pleinebouche, essayant deboire son rire, devoler unepartie de sa douceuréblouissante pour la conserver en lui. Les ongles de Mahiya creusèrent sa poitrine à travers sachemise,sonseinsepressacontresamain,etsonodeurs'emmêlaautourdeluidansunesauvagerieexotique.

Il éprouvait jusqu'au fond de ses entrailles ce lien impossible qui les unissait et enflammait sesterminaisonsnerveuses. Ilnes'était jamaissentiaussivivant. Ilavait l'impressionpour lapremièrefoisdefairepartiedumonde.

Mettant un terme au baiser uniquement pour qu'elle puisse respirer, il pencha sa bouche sur lasiennedenouveau,léchant,goûtant,seplongeantdansleplaisircharnel.Letétondelajeunefemmeétaitunpointdursous le tissudesa tunique,et lorsqu'il lepinçaentresonindexetsonpouce,ellesursauta,selibérantdesoncontact.

Il replia ses ailes qui s'étaientmaintenant complètement déployées et la regarda pendant qu'elletentaitd'apaisersonsouffle.

— Pas ici, finit-elle par dire, sa poitrine s'élevant et s'abaissant à un rythme erratique. Merejoindras-tudansmonlit?

C'étaituneinvitationsipolie,etpourtantseslèvresétaienthumides,sesjouesrougiesparledésir.—Oui.Ilavaitditoui,maisJasonétaitrepartiaprèsavoirescortéMahiyajusqu'aupalaiscarilavaitreçu

un appel auquel il devait immédiatement donner suite. La frustration l'envahit et elle décida de setrouver elle aussi une occupation en attendant. Elle se dirigea vers les appartements de Vanhi enempruntant les couloirs les plus fréquentés. Si elle était une cible, il serait plus difficile à sonagresseurdel'isolerdelafoule.

Lorsqu'ellearriva,Vanhiétaitentraindelire.Mahiyasepenchapourembrassersajouesourianteavantdeprendreplacedansl'undesfauteuilsconfortablesdusalondelavampire.

—Jetedérange.—Tusaisquetuestoujourslabienvenue.(Vanhifitglisserunmarque-pagemétalliqueaumotif

complexe dans son livre et le posa sur la table basse.) Ce que je peux deviner dans ton regardm'inquiète,Mahiya.

—Vanhi...Lavampirelevalamain.—Jeteconnaistropbien,machérie.Jet'aibercéequandtuétaisbébéetquand,jeunefille,Arava

brisétoncœur.(Ensoupirant,elletenditlamainpourprendrecelledeMahiyaentrelessiennesetlaserra.)Tuasattendutavieentièred'aimerquelqu'un,madoucepetite.Jeneveuxpasquetugaspilleslaforcedecebeaucœurpourunhommequinesauraitapprécierlavaleurd'untelcadeau.

—Jelecomprends,Vanhi.(Jamaisellen'oublieraitlaterribletristessequ'elleavaitsentiedanssonrécitsurNénéetsonYavi.Ellesetorturaitententantd'enimaginerlacause.)Jen'attendsriendeplusquecequ'ilpeutmedonner.

—Tu dis cela,mais tu es profondément vulnérable à la gentillesse, à n'importe quellemarqued'attention.

Lecouplafrappa.—Tuparlesdemoicommed'unchienmaltraité.Vanhiserenditdanslasalleàmangerpourleur

servirdeuxverresdevin.—Jenejalousepastonbonheur.(Lesoucidanschacunedecessyllabespendantqu'elleretournait

àsonsiègeaprèsavoirtendulesecondverredevinàMahiya.)Simplement,jeneveuxpasquetusoisblesséeunefoisdeplus.

Lajeunefemmeoffritàlavampireunsouriretriste.—Silablessureestinvolontaire,jesurvivrai.

Peut-être avait-elle attendu sa vie entière quelqu'un à aimer, et Jason... avait besoin de l'être,commeuntournesolavaitbesoindesoleil.

Vanhisecoualatête.—Jeporteuneresponsabilitédanstoutcela-monregretestdenepasavoirpuêtrelàpourtoi,de

nepasavoirputedonnerl'amourquetouslesenfantsdevraientconnaître.—Tu as fait tout tonpossible. (CequeMahiya connaissait de la gentillesse et de l'affection lui

venaitdeJessamyetdeVanhi.)ElleestArchange.Ettaloyautévad'abordàelle.C'étaitunevéritéqueMahiyaavaitacceptéedepuislongtemps.Unesombretristessesurlestraits

deVanhi.—Dis-moipourquoituesvenuemevoirsitard,mapetiteMahiya.Reposant son verre de vin, cette dernière parla de l'ours en peluche, du vampire aux cheveux

écarlatesetàlapeaudeporcelaine.Vanhifrottaleslignesquis'étaientforméesentresessourcils.—Oh,jeleconnais.(Untonfrustré.)J'aisonnomsurleboutdelalangue,maisjen'arrivepasà

l'attraper.—Laissepasserlanuit.(L'excitationpoussaitMahiyaàinsister,maisVanhiétaitâgéedeplusieurs

milliers d'années, portait un million de fragments de souvenirs.) Si cela te revient demain matin,envoie-moiunmessage.

Lefronttoujoursplisséparlaréflexion,Vanhiacquiesçalentement.—Cen'étaitpasquelqu'und'important, jecrois.Mais toujours là, à la frontière.C'estpourcela

qu'ilestsidifficiledeselerappeler.(Unsouriretriste.)Vraiment,jemefaisvieille.Tantd'instantsdevie-parfoisjepensequ'ilssecachentdansdesrecoinssecretsdemonesprit.

—J'aimeraisquemamémoiresoitaussibonnequelatienne.LesouriredeVanhis'évanouit.—J'auraistellementsouhaitéquetupuissesconnaîtretamère,mapetite.Mahiyaseraidit.—Elles'estdonnéeàunhommemarié.Unhommequiappartenaitàsasœur.—Oui.(Vanhiopinasolennellement.)NehaetNivritionttoujoursétéencompétition.(Buvantune

longuegorgéede sonvin, lavampire soutint le regarddeMahiyade sesyeuxvertvif.)Eris avaitcourtiséNivritienpremier.

Lesmotslafrappèrentcommeuncoupdepoingdanslescôtes.—Nehaestcellequiacommislatrahisoninitiale?—Çan'ajamaisétéaussisimple.(Vanhifermalesyeux,lesouvritpourrévélerunerésolutionde

fer.)Jenet'aijamaisparlédecettehistoireauparavant,carquelbiencelaaurait-ilfait?Lepasséestderrièrenous,enterré.(Finissantsonvin,ellejouaaveclepiedduverreentresesdoigts.)Maintenant,jevoisquej'avaistort.Tudoissavoird'oùtuvienssituveuxtenirlesrênesdetapropredestinée.Etsijenepartageaispascessecretsavectoi,quileferait?

Mahiyaeutl'impressionquesapeaubrûlaitdetouteslesquestionsqu'elleavaitenelle,maisellerestasilencieuse,attendantfiévreusementquelavampireneluidévoilecessecrets.

—Toutlemonde,murmuraVanhi,atoujoursdésignéNivriticommeétantlaplusjeunesœur,etellel'était...decinqbattementsdecœur.

Sonsilencevolaenéclats.—Desjumelles?Commentest-cepossible?Personnenelementionnejamais.—Nehaatoujoursétélaplusforte,aupointqueNivritis'est trouvéerejetéedansl'ombredesa

sœur.Elleétaitpourtantlaplusinnocentedesdeux.Lessièclespassant,lesgensontoubliélavéritéetontretenuqu'elleétaitlacadette.(LavoixdeVanhiétaitrenduegraveparl'âgeetl'histoirelorsqu'ellerepritsonrécit.)Enfants,ellesnesebattaientpasetn'étaientpasencompétition-Nehaavaitl'habitudede prendre grand soin de Nivriti, et leur lien était si fort que je pensais que rien ne pourrait lesséparer.

MahiyaparvenaitàpeineàassimilercequeVanhiétaitentraindeluidire.—Qu'est-cequiachangé?—L'âge,letemps,lavie.(Unesecoussedelatête.)Peut-êtreétait-cedelajalousiechezNivriti,de

l'arrogance chez Neha, ou peut-être était-ce simplement une rivalité entre sœurs, mais elles ontcommencéàse livreràunjeu.Celaacommencécommeunebatailled'esprits,puisçaaévoluéenquelquechosedesiaffreuxquemoncœurs'affligeaitd'assisteràpareilspectacle.(LesyeuxdeVanhisefirenthumides.)

»D'abord,siNivritidemandaitàunecouturièredeluiconfectionnerunerobespéciale,Nehaenvolait lepatron,s'enfaisaitfaireuneidentiqueavantsasœuret laportaitavantlegrandévénementpour lequelNivriti l'avait commandée.Nivriti répliquait en cachant les pierres précieuses deNehaafin que sa sœur soit obligée de paraître sans bijoux alors qu'elle-même resplendissait. Après untemps(unsoupirétouffé)ellesontcommencéàfairedemêmeenutilisantlesgenscommedespionssurleuréchiquier.

LacuriositélancinantedeMahiyasetransformaenunnœudauventre.—Si l'uned'entreellesse faisaitunami, l'autre lecharmaitouattaquaitcette relationauvitriol

jusqu'àladétruire.C'étaitungaspillagetellementpuérildeleurstalentsetdeleursdons.Mahiyasefrottaleventreavecsonpoing,carellesavaitquelasuiteseraitpire.— J'ai entendu dire que le talent le plus développé demamère avait à voir avec les créatures

capablesdevoler?—Oui.(L'ombred'unsourire,deslèvresd'unrougevoluptueuxs'incurvantdevantcesouvenir.)

Ellem'assuraitquelesoiseauxluiparlaientetqu'ellepouvaitvoiràtraversleursyeux.Lesfauconsvenaient sepercher sur sesépaules sans fairepreuved'agressivitéoudecolère...mais lorsque sonamertume grandit, elle ne prit plus plaisir à admirer leur beauté sauvage, et elle commença à lesutilisercommedesarmes.(Unelarmes'échappadel'œildeVanhipourroulerjusqu'àseslèvres.)

»Jel'aivueunefoisenvoyerunfauconarracherlesyeuxd'unvampire.Ilavaitétésonamantetvenaitd'obteniruneplacedanslacournouvellementforméedeNeha.Lorsquejesuisarrivéeprèsdelui,sonvisageétaitunmasqueécarlate.Seshurlementsdedouleurmepercèrentjusqu'àl'os.

Adulte,Mahiyan'avait jamaiscruquesamèreétaitune jeunefilledecontedeféesquiavaitétéabusée...maiselleavaitnourridesespoirs-queNivritiavaitétémeilleurequeNeha,quesaproprenaissancen'avaitpasétéunultimeactedehaine.Maismêmesiceladevait fairevolerses rêvesenéclats,elledésiraitardemmentconnaîtrelavérité,etl'écouteraitjusqu'aubout.

—Erisn'étaitdoncpasleurpremiersujetdeconflit.—Maisilétaitlepremierqu'ellesaimaienttoutesdeux.(LeverredeVanhisebrisasouslaforce

desapoigne.Lesangcouladesapaume.ElleeutungestedelamainquandMahiyacria,puiselledéposaleséclatssurlatablebasseettamponnalaplaieavecunmouchoir.)Celam'attristedeledire,maisErisn'étaitàlahauteurd'aucunedemesfilles-oudesfillesqu'ilaengendrées.

—Vanhi,laisse-moiallerchercherunpansement.—Chut, petite, ce sera bientôt guéri. (Un sourire qui adoucit la réprimande.)Mais tu peuxme

servirunautreverre.Mahiyas'exécuta,soulagéedevoirquelavampireavaiteffectivementarrêtédesaigner.— J'en étais venue à croire qu'Eris avait courtisé Nivriti en premier parce qu'elle était plus

accessible,repritcettedernière,avalantunegorgéedevinblancfrais.NehaétaitdéjàArchange,maistamèreaussiétaittrèspuissante.Jemaintiensencoreaujourd'huiqu'elleauraitpuêtreCadresielleavaitvécu.Maissondéveloppementétaitunebrûlurelentecomparéaubrasierqu'étaitNeha.

—Une fois qu'Eris a gagné sa confiance, devinaMahiya, qui ne se faisait aucune illusion surl'hommequil'avaitenfantée,ilautilisécelienpouratteindreNeha.

—Jene saispas si elle savaitqu'il appartenait alorsàNivriti. (LesmotsdeVanhiétaientdoux,empreintsde l'amourqu'elleavaitpour les fillesqu'elleavaitaidéàélever.) JepensequeNehaest

tombéeprofondémentamoureused'Erisparcequ'elleneconnaissaitpaslavérité.Sisaconduiteavaitétédictéepar le jeu,elleseseraitassurédeprotégersoncœurafinderenvoyerErisunefoisqu'ilauraitquittéNivriti.Quantàlui...l'amourn'étaitqu'unmot,unjetonéchangeablepourlui.

Mahiyan'avaitrienàajouteràcela.Elleavaittropbienconnusonpère.—Àcetteépoque,repritVanhi,Nivritinefitaucunscandale.Lapauvreenfantavaitlecœurbrisé.

Ellequittamêmelapartieduterritoiresur laquelleellerégnaitets'éloignapendantdenombreusesannées sur les terres qui sontmaintenant celles de Favashi. Je ne l'avais jamais vue aussi abattue.Neha, elle aussi, avait du chagrin pour sa sœur. Je suppose qu'elle pensait avoir remportédéfinitivementlavictoireetqu'elleavaitdécidédesemontrerenfinplusadulte.Leurpetiteguerrepritfin.

Lacolère,propreetclaire,bouillonnaitsouslapeaudeMahiya.—MamèreavisiblementdécidéderomprelatrêveaprèslemariagedeNeha.Mettantainsienbranle lesévénementsquiavaientconduitsa filleàgrandirsansmèreetpiégée

danscefort.MaisVanhisecoualatête.—Non,cen'étaitpasparespritderevanche.Nivritin'ajamaiséprouvépouraucunautrehomme

cequ'elleressentaitpourEris.(Lavampirereposasonverrecommesiellecraignaitdebrisercelui-làaussi.)C'estl'unedesplusgrandesinjusticesdecemondequelui,parmitousleshommes,aitravilescœursdedeuxfemmesfortescommeelles.

LacolèredeMahiyas'effritaenuneindulgencedouloureuse.Ellecommençaitàcomprendrecettemèrequ'ellen'avaitjamaisconnue.Derrièrelalaideurdel'adultèresecachaitunamourinoubliable,unamourqu'Erisn'avaitpasmérité.Apprendrequ'elleavait étéconçueparamour, aumoinsde lapartdel'undespartenaires,changeaitlanaturemêmedesonhistoire.

— Tu pleures. (Vanhi essuya les larmes deMahiya.) Ah, ma douce petite, je ne voulais pas terendretriste.

—Jemesuistoujoursdemandésielles'étaitmêmepréoccupéedufaitquejeluisoisenlevée,ditMahiya,lavuebrouilléeparleslarmesquinecessaientdecouler.Maintenant,jepensequ'elles'enestsouciée,etquepeut-êtrejesignifiaisquelquechosepourelle.

Ladétresses'étalasurlevisagedeVanhi.— Tu ne signifiais pas quelque chose pour elle. Tu signifiais tout. (Prenant dans ses mains le

visagedeMahiya, elleajouta :) J'aigardéunautre secret, comme tamèreme l'avaitdemandé,carj'étaislààtanaissance.

Mahiyarefoulaseslarmesd'unbattementdepaupières.Toutsonmondechancelait.—Jen'aipasétéarrachéeauventredemamère?—Non,non.(LadétressedeVanhiaugmenta.)Jemesuisassuréquel'accouchementdeNivritise

déroule aussi facilement que possible pour une femme incarcérée. (Les doigts tremblants, ellerepoussaenarrièrelescheveuxdeMahiya.)C'étaitaprèstanaissance,quandtuluiasétéretiréeetquej'étaisseuleavecelledanslapiècependantuntrèsbrefinstant.Ellem'amurmuréqu'ellelaisseraituncadeauàsonenfant,etm'afaitpromettredeteleremettrelemomentvenu.

—Qu'est-cequec'est?demanda-t-elle,tremblantàl'idéed'unlienavecsamère.LeriredeVanhiétaithumide.—Mahiya,unnomsibeau,netrouves-tupas?Unnomquej'aisuggéréàNeha.MahiyaavaittoujourspenséquesonprénométaituneplaisanteriecruelledelapartdeNehacaril

signifiaitbonheur,joie...etparfois,aimée.—Mamèrem'adonnémonnom?C'étaituncadeauquepersonnenepourraitluienlever.—Oui,mais la secondepartiede tonnom, j'aidû lagarderpourmoi, carNehane l'auraitpas

tolérée.L'angoissed'unefemmequiaimaitl'Archangemaisvoyaitsestravers.Mahiyasepenchaverselle,

aucombledel'anxiété.—Quelleestlasecondepartie?—Geet,chuchotaVanhi.TonnomestMahiyaGeet.Chantjoyeux...chantaimé.Soncœurexplosa.Loind'êtreunemoquerie,sonnométaituntrésor,unultimecadeaud'unemère

qui n'avait pas été autorisée à tenir sa fille dans ses bras. Elle le savait sans avoir besoin de ledemander.

—Merci,murmura-t-elleàVanhi,lagorgenouéeparl'émotion.—Jevoulais te ledireplus tôt...mais tun'étaispasprête,ditVanhien laprenantdans sesbras.

Maintenant,tul'es.Jepensequelemondetremblerad'entendretonchant,doucepetite.Chantaimé.Mahiya serra la rambarde du balcon et se tourna pour regarder l'homme qui était le seul être

vivant,Vanhiexceptée,àconnaîtredésormaissonnom.Elleavaiteubesoindeledireàquelqu'un,etJason...ilgarderaitsessecrets.

Ilétaitprèsdeminuitet lescieuxétaientvides,sauf lorsqu'unesentinellepassaità l'extérieurdufortpourfairesaronde.Àl'intérieurdel'enceinte,toutétaitcalme.Lesinsectesnocturneschantaientinlassablement leur litanie, l'air était aussi immobile qu'une mare transparente, et il faisait frais.L'hommeà ses côtés se fondait dans la nuit. Ses ailes étaient presque indiscernables aumilieudesombres.

— Il te va bien, dit-il, une de ses ailes venant effleurer celles deMahiya quand il les déployaderrièreelle.

Réprimantunfrissonàcecontact,ellerit,d'unriredouxetintimedanslenoir.—Jenesuispaslaplustalentueusedeschanteuses,maisçam'estégal.Un léger tiraillement dans ses cheveux. Les doigts de Jason défaisaient son chignon avec une

patience délicieuse. Il déposa soigneusement chaque épingle dorée sur la rambarde. La dernièrescintilla dans le noir et ses cheveuxdégringolèrent et vinrent couvrir sondos et ses ailes.Mahiyatrembla.Elleétaitnéeàuneépoqueoùunefemmenedéfaisaitsacoiffuredevantpersonned'autreque

sonamant,etunepartied'elleétaitencorecettejeunefille.C'étaituneintimitéqu'ilspartageaientsouslecielétoile.Lorsqu'ilfitglissersamaindanssachevelurepourlafermersursoncou,elles'attenditàcequ'il

l'attirepourunbaiser,maisilsecontentadefrottersonpoucesursapeauavantdefairecourirledosde sa main sur sa colonne vertébrale. Il retourna ensuite s'accouder contre la rambarde. Son ailepesaitlourdementsurcelledeMahiya.

—Jesaischanter.C'était ladernièrechosequ'elles'attendaitàentendredesapart.De labouchedecethommequi

menaçaitdefairevolerenéclatssesdéfensesetàquielleavaitrépétél'histoired'amouràsensuniquede sa mère. Pourtant, maintenant qu'il avait parlé, son esprit se remémora des fragments deconversationqu'elleavaitsaisisetdontellesesouvenaitàmoitié.—UnevoixplusbellequecelledeCaliane,dit-on.—...m'abrisélecœur.—Lapureté,voilàcequ'estlavoixdeJason.Ceuxquiparlaientainsiavaienttousplusdequatrecentsans.—J'aimeraist'entendre,murmura-t-elle.—Jen'aipaschantédepuisdenombreusesannées.—S'est-ilpasséquelquechosequiafaittairetonchant?demanda-t-elle,refusantdefairemarche

arrièrealorsquec'étaitlapremièrefoisqu'illuioffraitspontanémentunaperçudumystèrequ'ilétait.Sa réponse fut lenteàvenir,maisMahiyanepritpas sonsilencepourde lacolère, sachantque

Jasonétaitquelqu'unquin'éprouvaitaucunbesoindecomblerlevideavecdesmots.Aulieudequoi,elleprofitadufaitquesatêtesoitplusbassequelasiennedanslapositionoùilétaitpourtendrelamainetdéfairelenœudquiretenaitsescheveux.

Ilstombèrentcommedel'eaunoireautourdesonvisage,etilnel'arrêtapasquandellecommençaàleslisserenarrièrepourqu'ilsviennentsursesépaules.

—Tuasdesibeauxcheveux.—Jepréfèrelestiens.Samainlesempoignant,seslèvressursagorge.Sescuissesseserrèrent.Ellefitcourirsesdoigts

surlatêtedel'espion.—Alors,nousallonsbienensemble.Ilsetenditlégèrementsoussoncontact.—LesseuleschansonsdansmoncœurfaisaientfondreleRefugeenlarmes.C'estpourcelaque

j'aiarrêté.Ellenes'étaitpasattendueàune réponseaussi sincèreet se trouvamomentanémentdéstabilisée.

Sesdoigtss'immobilisèrent.Ellepaniquaàl'idéequ'unechancefuyaitentreeux,uneopportunitéquiallaitêtreperdueàjamais.

—As-tuétéattristéd'arrêter?demanda-t-elle,agrippantcettechanceavecuneâpredétermination.—Oui,finit-ilpardire.Celaaétécommedemecouperunmembre,maisdetelleschansonsneme

faisaientaucunbien.Ellefronçalessourcils,ouvrit labouchepourdemanderpourquoi,avantdesereprendre.Jason

étaitunhommeenveloppéd'ombres-donnervoixàl'obscuritéenlui...oui,ilneseraitpasbonpourluides'ylaisseraller.

—Sijamaistutrouvesquelquechosequiméritequetuchantesànouveau,dit-elle,unespoirmuetetardentdanslecœur,j'espèrequetum'inviterasàvenirt'écouter.

Jason repoussa la rambarde pour se redresser de toute sa taille, repliant ses ailes du mêmemouvement.Déjà, lachaleurdeleurpoidsluimanquait,maisilplongeaalorsla têteverselleet lachaleurdevintunfeunoirquiserépanditdanssesveinesetenflammachaquecelluledesoncorps.OublierJasonseraitimpossible.Il l'avaitmenéedans lachambre,mais lorsqu'il s'arrêtaaupieddu lit,elle leva lamainvers les

boutonsdelachemisedeJasonaprèsavoirdéfaitlabretelleduharnaisdesonépée.Lamanièredontilavaitprislecontrôledeschoseslanuitdernièrel'inquiétait.Accepterait-ilsondésirdedécouvrircequi luiplaisait ? Il jouaavecsescheveuxpendantqu'elledéboutonnait lachemisepourdévoiler labeautédesoncorps.

Chaquelégertiraillementsursoncuircheveluquandilentortillaitunelourdeboucleautourdesondoigtavantdelarelâcheraccéléraitlesbattementsdesoncœur.Maiscefurentlesmontsetlesvalléesdu corps de Jason qui la firent soupirer d'un plaisir tout féminin quand elle ouvrit les pans de lachemisepoursentirsapeausoussesdoigts.LamaindeJasonseserradanslescheveuxdelajeunefemme,maisilneluidemandapasdemettreuntermeàsonexploration.

Enchantée, elle façonna l'acier chaud du corps de son amant, caressa les muscles lourds quiattestaientdesapuissanceetdesavitesse.Malgré laforcequ'il fallaitpourprendresonenvol,unecaractéristique de l'anatomie angélique faisait que la musculature du haut du corps n'était passurdéveloppée.Lesmusclesdesangesétaientsecs,nerveux,subtilementcachéssousleurpeau.

Mais Jason était différent. Son corps était celui d'un guerrier qui avait besoin de réaliser desmanœuvresaériennesquelesmusclesnécessairesauvolnesuffisaientpasàaccomplir.

—Peux-tumaniertonépéeenvol?—Jeferaisunbienpiètrecombattantsanscela,murmura-t-il,levantlesdoigtsdelajeunefemme

jusqu'auxsanglessursesépaulesquimaintenaientleharnaiscontresondos.Acceptant l'invitationsilencieuse,elledéfit laceinturesoyeusemaissolide, fit lemêmegestede

l'autrecôté.Lecuirétaitdouxàforced'avoirétéutilisé.—Tesépares-tujamaisdetonépée?—Non.(Ilretiraleharnaisetl'arme,lesdéposaàcôtédulit.Àportéedemain.)C'estmonarmede

prédilection.—Oui,jecomprends.Ellerepoussalachemisedel'ange,massaleslégèresmarquesrougescauséesparlecuir.Unetelle

chosen'étaitrienpourunangedelatrempedeJason,maisellen'aimaitpasvoirsoncorpsmaltraité,mêmed'unemanièresiinsignifiante.

Elleenvoyavalsersessandalesdanslasalleàmanger,oùJasonavaitlaissésesbottes,etsereleva,piedsnus,pourvenirappuyerses lèvressur l'unedesmarques.Jasonvintentourersa tailledesonbraslibreetnefitrienpourl'arrêterlorsqu'elletraçasoncheminàcoupsdebaisersjusqu'àl'autre.

—Jepourraisfairecelapendantdesheures,dit-elle,accroàsongoût,àcettesensation.LaréponsedeJasonfutunefoisencoreinattendue.—Sic'esttonsouhait.Cela la fit frissonner, l'idée d'avoir cet homme dans son lit, rien qu'à elle, libre de l'explorer.

Retombant sur ses pieds une fois de plus, elle ne lui laissa pas le temps de changer d'avis et lecontournapourallerdéfairelesboutonsquifermaientlesfentesdesailes.Lachemisetombaausoluninstantplustard.Sesailesétaientdesarcsd'unnoirprofond,étonnants.

Elle fit courir ses doigts sur la perfection ombragée de ses plumes, soudain rattrapée par latimidité.Mais il étaitdéjà en traind’ôter sa ceinture, avecdesbruitsmétalliquesdurs, intimes,quitranchaientdanslatranquillitédelachambre.Lesoufflesaccadé,ellerevintàsaplaceinitialepourprendrelerelais.Sesdoigtseffleurèrentceuxdumaîtreespion.

—Laisse-moifaire.Rienqu'unmurmure,maislamaindeJasons'éloigna...pours'éleveretvenirdétacherlesboutons

delatuniquedeMahiya.Ellefitglisserlaceinturedesespassants,lalaissatomberausol,puisl'aidaàladébarrasserdesa

tunique.Ses seins, petits comme ils étaient, n'avaientpasbesoinde soutien-gorge et elleneportaitqu'uncaracodessous.Enunclind'œil, Jason le lui enlevaetpassa ledosde samain surunmonttendu.

—Superbe.Un tremblementsepropageasoussapeauàcedouxmurmure.Elledéfit lesboutonsdu jeande

Jason, caressa son nombril. Ses muscles se contractèrent. Sa réaction l'enivrait, et elle désiraiturgemmentconnaîtrechaquetoucher,chaquecaressequifaisaitfrémirdeplaisircethommefortetsensuel.Ravalantsasaliveàcettepenséeenvoûtante,elleeffleuradudoigtsafermetureÉclairetlalignedurequisedessinaitdessous.

LaboucheexigeantedeJasonfutsoudainsurlasienne,etsamaindanssescheveuxluiinterdisaitde bouger. Elle ne sut dire comment,mais son pantalon s'envola en quelques secondes, et elle seretrouvaallongéesurledos,Jasonentrelesjambes,lamatièrerugueusedesonjeanfrottantcontresapeaupendantqu'ildévoraitsabouche.

Ellepassal'unedesesjambesautourdesahanche,ouvritlaboucheàladouceséductiondesonbaiser,léchasalangue,embraséeparledésir.Dansungrognement,ilvints'installerpluslourdementsurelle.LefroidmétaldesafermetureÉclairappuyaitcontre leventredeMahiyapendantquesesailessedéployaientau-dessusd'elleenunecaressedeminuit.

—Plustard.(Desmotsrauquescontreleslèvresdelajeunefemme.)Tupourrastouchertoutcequetuveuxplustard.

Lapromessebrutelafitfondre.—J'enaibienl'intention.LamaindeJasonsursapoitrine lapressaitunpeu tropdoucement.Peut-êtreétait-ceaudacieux,

maiselleplaçasamainsurcelledesonamantpourenaugmenterl'étreinte.Sarécompensepourunetelleeffronteriefutunplaisirbrutal;leslèvresdeJasonserefermèrent,chaudesethumides,sursoncoupendantqu'il titillaitsonsein,agaçaitsontéton.Ellemaintenait la têtedeJasonàsaplaceetsemouvaitcontrelui,frustréeparletissuquilesséparait.

—Jason,tonjean.Unfrissonsoudainquandilselevapoursedébarrasserdecequ'illuirestaitdevêtements.Lavue

de Jasondans la lumièredoucede la lunequi entraitdans lapièceparunehaute fenêtredécoupéefinement dans la pierre lui coupa le souffle. Il était un chef-d'œuvre. Chaque partie de son corpssculpturalétaitmortellementaiguisée.Elletenditlamainversluipourlerappeleraulit.

Ilrevintdansunevaguedechaleurprimairequil'emporta.Sefrayantuncheminsurlecorpsdelajeunefemmeàcoupsdebaisers,ilaccrochadesdoigtslesatinetladentelledesesdessouspourlestireretlesjetersurlecôté.

Unbaisermouillé,unesuccionjusteau-dessusdesonmontdeVénusavantqu'ilneluiécartelescuisses...

Mahiya se cambra sur le lit sous l'intimité extrême de sa caresse suivante. La bouche de Jasongoûtasachairlaplusdélicateavecunérotismevoluptueuxpendantqu'ilgardaitlescuissesdeMahiyaouvertespourson-pourleur-plaisir.Elleagrippa lesdraps,sesailesbattantcommedescréaturesprisesaupiège,etsarespirationsefitsanglot.

LebaiserdeJasongagnaenprofondeur,undesesdoigtsvenantseglisserdanslefourreaudelajeunefemme.

L'intrusionsensuellelafitchavirer.Leplaisirétaitsiintensequ'elleenperditsavoix.Ilremontalelongdesoncorpstremblantavecuneminutiequinelaissaitaucuncentimètredesa

peauintouché.Sestétonsétaientdepetitesgroseillesàfaireroulersurlalangue.LesseinsdeMahiya,luisantsethumides,sefrottaientcontrelabeautéviriledesapoitrinequandilfinitparatteindreseslèvres.

Ilembrassad'abord lecoindesesyeux,goûtant leselduplaisirquimiroitait sursapeau.Maislorsqu'elletenditleslèvresverslui,ilacceptal'invitationavecundésirbrut,unedesesmainscourantlelongdelatailledesamaîtressejusqu'àagrippersacuisse,pourlaplacersursaproprehancheets'ouvrirl'intimitédeMahiya.

Ilentraalorsenelle,lentement,avecinsistance.Ellehaleta,lachairgonflée,maissanséprouverdedouleur.

Seulementunbesoin lancinantde le sentir enelle.Enroulant sonautre jambeautourde lui, elleappuyapourlepresserd'allerplusloin.—Mahiya.Lecontrôledesonmaîtreespioncéda.

Dans les heures précédant son retour auprès de Mahiya, Jason avait volé à une distance

considérabledufortpourdiscuteravecuncoupled'angestoutjusterevenusurleterritoireaprèsunséjourauRefuge.Ilsavaientreçusonmessageetluiavaientdemandédeserencontreraupavillonoùilsfaisaienthalte,carilsavaientprévudereprendrelaroutejusqu'àleurdomiciledel'autrecôtéduterritoiredeNehaaupointdujour.

Ilavaitétéchanceuxdeleslocalisercarilspassaientlaplusgrandepartiedeleurtempsàexplorerlemonde.Ilsbénéficiaientd'unrépitdansl'accomplissementdeleursdevoirsaprèsdesmillénairesdeservice.BienquetousdeuxsoientindiscutablementloyauxàleurArchange,ilséprouvaientaussiuneaffectionnondissimuléepourRaphaël.— Nous l'avons vu grandir, devenir Archange. Il ne s'est jamais montré trop fier pour ne pas

discuteravecceuxd'entrenousquiétaientplusfaibles,mêmesisapuissanceaéclipsélanôtrealorsqu'iln'étaitencorequ'unbébé.

Cetteaffections'étendaitauxSept,et tousdeuxavaientétéheureuxderépondreauxquestionsdeJason sur le vampire aux cheveux écarlates, bien qu'il ait fait en sorte que le déroulement del'entretiennefassepasapparaîtrecesujetcommeprimordial,maisseulementunparmitantd'autres.Ilnevoulaitpasquedesparoleslancéesparinadvertancen'effraientsaproie.Cequ'ilavaitapprisétait...intéressant.Ilsentaitqu'ilavaitlaréponsesurleboutdelalangue.

Unmouvement contre lui, les doigts deMahiya bougèrent contre lui. Les cheveux de la jeunefemmeglissèrententraversdesonbrasetdesapoitrineaumêmeinstant,unedesesailesàmoitiésurlecorpsdeJasonalorsqu'ilétaitallongésurledos,lesmainsderrièrelatête.

—Combiendetempsai-jedormi?demanda-t-ellesansleverlatêtedesonépaule,lavoixrauque.Iljetauncoupd'œilàlalumièredelalunefiltrantàtraversleslacisdelahautefenêtreavantde

répondre.—Paslongtemps.Peut-êtreuneheure.Uneheurependant laquelle il l'avaitécoutée respirer, traçantdudoigtdesdessinssursapeauet

percevant les propres battements de son cœur, lents, bercés par le rythmede ceuxdeMahiya.Uneattitudeinhabituellepourlui,àlaquelleilavaitréagiviolemment.Iléprouvaitunvifbesoindesortirdelà,deselibérer.

MaisJasonavaitpresqueseptcentsans,etcomprenaitcequiseproduisaitenlui.Ilavaitobservél'abyssedesonâme,yavaitvuunpetitgarçonseuletoubliédeluirendresonregard.Ilsavaitquecetenfant n'avait confiance en rien ni personne, savait qu'il appréhendait tout type de lien émotionnelavecsuspicion,n'attendantriend'autrequedelapeine.

Cegarçon,ilétaitsieffrayé.C'étaitunevéritéqueJasonavaitacceptéedepuislongtemps.Lepetitgarçoneffrayénerégnaitpas

sursaraison,maisétaitsienchevêtréàsoninconscientque,souvent,Jasonagissait instinctivementjusqu'àceque sonesprit s'éclaircissedenouveau.Ce soir, il avait lutté contre l'enviedepartirquil'avaitrattrapé,parcequeêtredansunlitavecMahiyaendormieétaitunplaisirensoi.

Il aimaitquesonparfum luidonne l'impressiondese réchaufferetde s'infiltrerdans saproprepeau,depouvoirtressersescheveuxparesseusementautourdesesdoigtsetdejoueraveccommeillevoulaitpendantqu'ellefaisaitdepetitsbruitsets'enfouissaitcontreluidetempsàautre-commesielleadoraitêtreaveclui.Ilsesentaitpresqueréel,presquenormal,capabled'aimerunefemmeetdelaserrercontrelui.

C'étaituneillusion,maisuneillusionàlaquelleilétaitdisposéàcroirepourcettenuit.—Humm.Tendantlamainverslebas,Mahiyatirasurledrapquis'étaitemmêléautourd'elle,desescuisses

jusqu'àsataille,avantderevenirlaposersurlecœurdeJason.Sonailes'élevatrèslégèrementquandsabouches'ouvritenunbâillement,etlalumièreargentéedelaluneembrasasesplumesjusqu'àlesfaireétincelercommeunjoyau.

Avant qu'elle ne s'endorme, ces ailes avaient scintillé devant Jason pendant l'heure qu'elle avaitpasséeàtoucheretembrassersoncorpsavecunplaisirnondissimulé.Ivredecettesensation,ilavaitdûl'amadouerpourqu'ellelechevauche,satimideMahiya,maisunefoisdécidée,elleavaitutilisésapositionpourlecaresseravecunedouceuretunplaisirtoutféminins.

Restantdans l'illusion, ildéplaçaunemainpour fairecourir sesdoigtssurunecourbesensible.Ellefrissonna,sonaileserabaissapourvenirdenouveaucouvrirlecorpsdeJason.

—Tupourraismefairecommettredenombreuxpéchésaveccesdoigts,Jason.—Iln'yapasdepéchésdansleplaisir.C'étaitunprincipequeDmitriluiavaiténoncéunjouravecunsouriresardonique,ensemoquant

delui-même.LedouxriredeMahiyatransformalesmots,lesfitsensuelsetjoueurs.— Je pense que je devrais en faire mon leitmotiv quand je serai libre, et mener la vie d'une

hédonistedébridée.Desimagesd'ellevêtuedesoiespuresetdecachemirescharmants,soncorpscaresséetadoucipar

descrèmesexotiques,ses lèvresserefermantsurdesmetsdélicieuxpendantqu'elleseraitallongéesurdesdrapsdesatin,luitraversèrentl'esprit.Descendantlelongdesacolonnevertébraleduboutdudoigt,ilétenditsamainsursesreins,effleuralanaissancedesesfesses.

—J'adorerais temasser avecdeshuilesparfumées. Jusqu'à ceque sapeaubrille et qu'elle gisealanguiesoussescaresses.

Sonrireétaitétonnécettefois-ci,plusrauque.Frottantsajouecontresapeau,elledéclara:—Hommedangereux-jenesuispassûrequejesurvivraisàceplaisir-là.Elles'appuyasurletorsedeJasonpourseredresser.Ellel'observa,sescheveuxéparpilléssursa

douceépaule,sesseinscachésparledrapqu'elleavait tirépourdissimulersapoitrine.Toujourssipudique,bienqu'entantquemaîtresse,ellenesefûtdérobéeàaucunedesesexigences.

—Vanhim'aditautrechosed'important,reprit-elle,plussérieuse.J'aioubliédeteleraconteravectoutlereste.Ellepenseavoirvulevampireaveclapeaupâleetlescheveuxécarlatesautrefois.Ilyalongtemps.

Jasonécouta,recoupacetteinformationaveccelledéjàensapossession.—Alors?lepressa-t-ellecommeilnedisaitrien.Jesaisquetuétaisdehorsplustôtàvaqueràtes

occupations.Qu'as-tu appris ? (Un regardmauvais.)Ne t'avise pas de croire que tu vasme laisserdansleflou.

Ilauraitdûluirappelerqu'ellen'avaitaucunecarteàjouer,maiscelalablesserait,etilnevoulaitpas faire demal à cette princesse au cœur assez fort pour avoir survécu trois cents ans avec uneArchangequinevoyaitenellequ'unmoyendeparveniràsesfins.

—Lanuitesttrèsclairepourtant.Ellemanifesta son exaspération, et plongea la tête pour l'embrasser, plantant ses dents dans sa

lèvreinférieuredansunemorsurequitenaitdavantagedelapiqûre.—Cen'estpaslemomentdefairedel'humour,maîtreespion.Avecuneautrefemme,ilauraitpenséqu'elletentaitd'utiliserlasatisfactionsuivantl'amourpour

l'influencer,maisils'agissaitdeMahiya-quiavaitgrandidansuneserreauxmensongesmaischoisidenepasutilisercestactiques.Lacaressantdesamainquireposaitsursesreins,ildit:

—J'aitrouvéuncouplequisesouvientd'avoirvuunvampirecorrespondantàcettedescriptionil

yatroisouquatrecentsansàlacourdeNeha.—Ilsnepeuventpasêtreplusprécis?demanda-t-elle.Unesortedetensionfitfrémirsoncorps.—Quandonacinqmilleans...Ellesoupira.—CommepourVanhi, leurssouvenirssontégarésdansdesrecoinssecretsde leuresprit. (Une

pausepensive,avantd'ajouter:)Ilyatoutjustetroiscentsans,Erisaétéexilédanscepalaisetmamèreexécutée.Aprèsavoirétégardéeenviesuffisammentlongtempspourdonnervieàl'enfantqu'elleportait.Les

motsnonditsflottaiententreeux.— Ils ne furent pas les seuls, reprit Jason, se demandant ce qu'elle savait exactement.Ceux qui

étaientaucourantdeleurliaisonetlesavaientaidésontétéexécutés;d'autresquiétaientsimplementloyauxenversNivritiontétéexilés.

Mahiyas'appuyacontreluipours'asseoir.SonaileeffleuraJasonetsoudainsachaleurnefutpluscontrelui.

—Unhommeévoluantdansleurcercle,murmura-t-elle,auraitétéconsidérécommeunparasite.Exilé,donc.

—C'estunepossibilité.(Seconcentrersuruneseulehypothèsealorsquerienn'étaitencoreassurécréaitdesanglesmortsoùl'ennemipouvaitsecacher.)Laquestionest:pourquois'exposerait-ilàtoi?

— Un reste de loyauté, peut-être. (Des yeux fauves lumineux comme ceux d'un chat dansl'obscuritérencontrèrentlessiens.Lepotentielquerenfermaitsoncorpsétaituneflammevive.)Maisilyauneautrequestion.

—Laquelle?Jasondécelait lemême typedepuissancechezMahiyaquechez Illium lorsqu'ilétaitplus jeune.

Cela lui demanderait sans doute plus de temps qu'à l'ange aux ailes bleues pour développer cettepuissance-dignefilledesamèreencela-maissionluipermettaitdes'épanouir,Mahiyadeviendraitunangeavecquiilfaudraitcompter...etileutlapenséesoudaineetaveuglantequ'ilvoulaitassisteràcechangement,lavoirdéployersesailes.

—Comment,dit-elle,a-t-ildéposélaboîteautemple?C'étaitmalin.—Certainsvampirespeuventgrimpercommedesaraignées,répondit-il.(IlavaitvuVeninavecun

grandsourireauxlèvresescaladerlaTourunenuitsansluneàlasuited'unpariavecIllium.)Maisleschancesd'êtreprisauraientététrèsélevées.

Nonseulementlesgardesangéliquessurvolaientlesenvirons,maislessentinellesquisurveillaientleFortProtecteuravaientunevuetrèsdégagéedevanteux.

—Ilauraitpuutiliserlestunnels-Veninaditqu'iln'avaitpasvud'autrestracesdepaslelongducheminqu'ilasuivi,maisj'aientendudirequec'estunvrailabyrinthelà-dessous.

—Jevaisl'envoyervérifierdenouveau.Iltenditlamainversletéléphoneportablequ'ilavaitposésurlatabledenuit.—Maintenant?—C'estlemeilleurmoment.Personneneprêteraitattentionàunvampiremarchantdanslanuit,encoremoinslorsqu'onsavait

celui-ci en faveur auprèsdes femmes. Jasonentendit d'ailleursundoux soupir féminin enbruit defondlorsqueVenindécrocha.

—Pasdeproblème,ditcedernier.Jeviensjustedemenourrir,jesuispleind'énergie.Jasonentendit lasatiétédans le tonduvampire,sutqu'il s'étaitnourrià laveine-etassurément

d'unefemmetrèsconsentante.—Surveilletesarrières.Lesexepouvaitembrumermêmeleplusperspicacedesesprits,etbienqueNehaappréciâtVenin,

ilrestaitl'undesSept.Unbruissement,commesiVeninsortaitdulit.

—Net'inquiètepas.Elleestunecharmantecompagnedejeux,maistoutcequ'ellevoulaitsucer,c'étaitmaqueue,pasmoncerveau.

—Seras-tuenmesuredevérifiertouslescheminspossiblesmenantauProtecteur?—Jepeuxlefaireavantl'aube.Aprèsavoirraccroché,Jasondemandaàlafemmeàsescôtés,d'unairpensif:—Tupensesquelaboîteaétéemmenéeparlesairs?—Oui.Mahiyaprit le drap avec elle en sortant du lit.Les filamentsde sesplumes frôlèrent la peaude

Jasonenunmillierdedouxbaisers.Disparaissantdanssapenderie,elleenressortitvêtued'unerobed'unbleuvifserréeàlataille.

Il avait déjà enfilé son pantalon bien qu'il ait laissé derrière lui sa chemise et son épée - cettedernière àportéedemain, comme toujours. Il s'adossa aumur à côtéd'unepetite fenêtredeverreteinté, et l'observaavancerpourouvrir cettedernière et regarderdehors, sonvisagebaignépar lalumièredelalune.

—Un ours en peluche est soit un cadeau d'un romantisme niais,murmura-t-elle après un longmoment,soitlegenredechosequ'onoffreàunenfant.

Ilpensaà laplumebleu-vertqu'ilavait trouvée lanuitdumeurtred'Arav,pensaaudonqu'avaitNivritid'hypnotiserlesgens,et ilnepouvaitnégligercettepossibilitéderrièreleregardtroublédeMahiya.

—Quet'aditNehaausujetdel'exécutiondetamère?—Qu'elleavaitcommencésonagonieenhurlantetensuppliantqu'onluilaisselaviesauve.Sesdoigtsseserrèrentsifortsurl'appuidelafenêtrequesesosapparurentsoussapeau.—«J'airegardélesorganesdemachèresœursedéverserdutroubéantqu'avaitétésonventreet

lesangcouleràflotsdesextrémitésdesesailes,puis je l'ai laisséemourirdefaim.»VoilàcequeNeham'aditlorsquejel'aiinterrogéesurmamère.(Elledéglutit.)Vanhiaffirmequ'elleamentisurma naissance,mais la vampire a dû partir après que je fus venue aumonde.Neha peut avoir agiexactementcommeellemel'adit.

La douceur d'une main sur sa joue, un pouce sur sa mâchoire, la pression gentille maisintransigeantepourluifairetournerlatêteverslui.Ellesetrouvafaceàdesyeuxaussidursquedel'obsidienne,quibrûlaientd'uneflammesisombrequesoncœurrataunbattement.

LepoucedeJasonsedéplaçaaveclégèretéjusqu'aucreuxdesonmenton.—Décidément,commenousl'avonsvuavecEris,Nehasaitcommenttenirrancune.Mahiya reprit son souffle, car elle s'était attendueà ceque Jason réfute l'espoir douloureuxqui

enserraitsapoitrine.—Maisavoirgardémamèreenviependanttoutcetempsparmalveillance?(Ellesecoualatête.)

Pourquoiferait-ellecela?—Pourlamêmeraisonqu'elleaépargnéEris-amourethainemêlés.Tum'asditqueNivritiétait

sajumelle.C'estunlienindéfectibleentredeuxâmes.MahiyarepensaaujouroùelleétaittombéesurNehaetErisdanslacouralorsqu'ilssecroyaient

seuls.Elleauraitpusedétourner,s'éloigner,maiselleavaitétésaisieparletableauqu'ilsformaient:Neha,uneexpressionjuvénileetvulnérablequeMahiyaneluiavaitjamaisvue,permettantàErisdereleversonmentond'undoigt,lataquineriefaisantsourirel'Archange.

Bien sûr, cemoment n'avait pas duré. Le passé était trop lourd pour permettre à de si fragilesgrainesdeprendremais...

—Jepenseques'iln'étaitpasmort,Nehaluiauraitpermisdesortir.Peut-êtremêmebientôt.(EllesetournapourfairefaceàJason.Lamaindecedernierglissapourvenirseposersursoncou.)Lamort d'Anoushka l'a durement frappée. Elle a commencé à rendre visite à Eris de plus en plusfréquemment.

—Desrumeursdisentqu'elleessayaitdetomberenceinte.— Je ne peux t'assurer si elles étaient fondées ou non,mais ce que je crois, c'est qu'elle avait

besoinduréconfortdupèredesonenfant-etEris,àsoncrédit,leluiaapporté.Aquelpointavait-ilétésincère,etàquelpoints'agissait-illàd'unstratagèmepourrentrerdansles

bonnesgrâcesdeNeha,ellen'ensavaitrien.Entoutcas,celaavaitdonnéunsursisàNeha.EtquiétaitMahiya pour blâmer les choix d'un homme qui avait passé trois cents ans enfermé dans de jolieschaînes,mêmes'ils'étaitretrouvélàparsafaute?

Jasonlarelâchaetappuyaunedesesépaulescontrelemur.—Jenesaispascombiendetempssalibertéauraitduré.J'aipuconfirmerqu'Audreypartageait

biensacouche.(Unepause.)Sielleétaitlapremièreetqu'ilatenutroiscentsansavantdecraquer(letondeJasonlaissaitclairemententendrequ'iln'ycroyaitpas)alorsils'estmontréplusfortquenousnelepensions.

MahiyaréfléchitdenouveauàcetteexpressionvulnérablesurlevisagedeNehaetsedemandasiunefemmeavectantd'amourdanslecœurauraitauboutducompteétécapabledepardonnertouslesécartsdesonaffilié.

—Celan'aplusd'importance.Erisestmort,etquelqu'unse livreàun jeuperversavecmoi,oualors...

Lesmotsrestèrentcoincésdanssagorge,troplourds,tropgravespourensortir.J'espèrequ'elleestenvie.Jasonn'exprimapassapenséeàhautevoix,maisilespéraitunmiraclepourMahiya.Mêmesicela

entraînait un lot considérablede complications. Il comprenait ceque c'était quedegrandir sans samère,maisilavaitaumoinspuprofiterd'untemps,sifugacesoit-il,aveclasienne.—Jason,monbébé,qu'es-tudoncentraindefaire?Illançaàsamèreunregardpenaudetarrêtasestravaux.—Jeplantedescocotiers.Unhochementdetêtesolennel.—Je vois. (Elle semit à genoux et prit l'une des noix de cocoqu'il avait ramassées.)Peut-être

devrais-tulesplanterunpeuplusloindelaplage.Il tapota le sable au-dessus de celle qu'il avait enterrée. Le bruit des vagues léchant le sable

mouilléjouaitunemusiquefamilièreautourd'eux.—Pourquoi?—Lamerrisquedelesemportersinon.Prenantcelaenconsidération,ildécidaqu'elleavaitraison.—Tum'aiderasàlesporter?Sonsourireluifitsentirunechaleurqueriend'autreneprovoquait.—J'attendaisquetumeledemandes.Jasonpouvaitàpeinesesouvenirdecettechaleurdésormais.L'échodel'amourdesamères'était

atténuéaufildessiècles,maisilsavaitquecelaavaitétéquelquechosed'immensémentbeaudanssoncœurdepetitgarçon.Ilsavaitqu'unetellebeautéexistait.Mahiyan'avaitmêmepasça.Poursonbien,ilespéraitqueNehas'étaittrouvéeincapabled'exécutersajumelle,commeelleavaitétéincapabledetuersonaffilié.

—Lediras-tuàNeha?(LaquestiondeMahiyaétaitpresquesilencieuse.)Cequenouspensons?Que...mamèrepourraitêtreenvie?

—SeuleNehaconnaîtlavéritésurcequenoussupposons,ditJason,réfléchissantàvoixhaute.Et

sinousavonsraisonetquetamèreestlibre,ledireàNehaneladésavantagerapas.(Levampireauxcheveux écarlates n'était probablement pas le seul de ses gens queNivriti avait rassemblés autourd'elle.)Nehapeutaussiavoiruneidéed'oùNivritiainstallésabasede...

Mahiyaeutsoudainuncriétouffé.—Simamèreestderrièretoutça,jesaispourquoielleatuéArav.Jasonaussi.L'hommeavaitfaitdumalàMahiya,blessél'enfantdeNivriti,etméritaitd'êtrepuni.

Jason découvrit qu'il n'avait rien à reprocher à cela.Cette prise de conscience lui fitmarquer unepauseetconsidérercequeMahiyaétaitpourlui.Iln'avaitpasderéponseàcettequestion,maiscelaluienoffrituneàlaquestionprécédente.

—JeneparleraipasàNehadecela.Mahiyahaussalesépaules,secoualatête.—Non.SiNivritiaassassinéShabnam,jenepeuxpaslaprotéger.—Ilnes'agitpasdelaprotéger.Mahiyacherchaàliresurlevisagedel'ange.—Dequois'agit-il,alors?Ellese rapprochaetposasamainsursapoitrine.Legesteétait tendremaispaspossessif. Il sut

qu'ellen'avaitpasparléenl'airetqu'ellen'attendaitriend'autredeluiquel'hommequ'ilétait.En lui, la tension et l'attente s'apaisèrent. Il ne voulait pas mettre un terme à sa relation avec

Mahiya, mais c'était une décision qu'il aurait été obligé de prendre si elle avait cherché à ledomestiquer,àvoirenluiunavenirqu'ilnepouvaitconstruireavecelle.PascommeDmitrilefaisaitavecHonor,ouRaphaëlavecElena.

—Unotage, lui dit-il, lamain sur la courbe de ses reins. Si nous donnons cette information àNeha,nousluioffronsunotage.

LesyeuxdeMahiyas'écarquillèrentquandellecomprit,maisellesecoualatête.— Tu risques de briser le serment de sang, Jason. (Un chuchotement exalté.) Cela pourrait

signifiertamort.—Nousavonsencoredutemps.(Tantqu'iln'étaitpascertainqueNivritiétaitenvie,celarelevait

desonmandat.Sonsilencenerompaitpasleserment.)Etjenetemettraipasendanger.Il avait fait son choix, et c'était pour cette femme aux yeux aussi lumineux que ceux d'une bête

sauvagequ'ilbrandiraitl'épée,nonpouruneArchangeemplied'unehainevieilledeplusieurssiècles.LalèvreinférieuredeMahiyatrembla.— Tu ne dois pas. (Ses doigts effleurèrent la joue de Jason, sa bouche douce contre celle de

l'espion.)Mercidemefairepasserenpremier.Jen'oublieraijamaiscegeste.(Savoixsebrisa.)Maistuasdittoi-mêmequeNehapouvaitsavoiroùmamèresecachait.JenepeuxachetermavieauprixdusangdeShabnam,quiréclamequejusticesoitfaite.Sinousavonsvujuste,alorsmamèrel'atuéeaussisûrementqu'elleaexécutéArav.Maiscettefois-ci,sansmotif.

—Ilyenavaitun:ShabnamétaitlafavoritedeNeha.Mahiyasecouvritlabouched'unemaintremblante.—Commeunenfantcasselejouetpréférédesasœurparjalousieoupardépit.Unhurlementserépercutaàtraverstoutlefortàpeineavait-elleprononcécesmots.Aucuncadavredevampireoud'angene les attendait cette fois-ci,mais ily avait euuncarnage

malgré tout.Lemoindrecentimètrecarréduhalldesaudiencespubliquesétait recouvertdes restesmutilésd'aumoinsvingtdesserpentsdecompagniedeNeha.Lescolonnesdelagrandesalleétaient

touteséclabousséesdeleursang.—Ilaurafalludutemps.(Mahiyas'accroupitàcôtédelamasseimpressionnanted'unboa,dontla

peau sèche comme du cuir continuait de briller d'un vert spectaculaire.) Les serpents ne sont pasdociles-ilssontdresséspourn'obéirqu'àNeha.Celaadûrequérirpatienceettalent.

Remarquantlatristessedanssavoix,Jasonluilançaunregardinterrogateur.—Après cequim'est arrivé auProtecteur, dit-elle avecun sourire tendu, jenepeuxéviterque

monventreseserredepeuràlavuedesreptilesdeNeha,maisjenepermetspasàcettepeurdemecontrôler. (Une détermination féroce.) J'essaie de me souvenir de ce que j'ai toujours su : en leslaissant tranquilles, ces créatures m'évitent tout comme je les évite. Elles ne méritaient pas d'êtreexterminées.

Une rafaledevent.Nehavint seposerà leurscôtés, la colère sur sonvisagemêléeauchagrin.Sansdireunmot,elleavançajusqu'auborddelasalled'audienceetsecontentaderegarderautourd'elle, comme si elle prenait note de chaque serpent qui avait été taillé en pièces. Et ils avaientvéritablement été massacrés. Le boa auprès duquel Mahiya s'était agenouillée semblait être uneexception,maisàyregarderdeplusprès,ons'apercevaitqu'iln'yavaitlàquelamoitiédel'animal.

Aprèsavoirétécoupésenmorceaux, les reptilesavaientétédisséminésdans toute lapièce.Unetellechoseauraitétéimpossibledejour,maiscelieuenparticulierétaitabsolumentdésertpendantlanuit.Ladécouvertematinalen'étaitduequ'auhasard : suiteàunequerelled'amoureux,unvampireavaiterréàtraverslefort.

—Est-cequeleurscorpst'apprennentquoiquecesoit?demandaNehaavecunepolitesseglacée.Jasonsecoualatête.—Seulementque la lameutilisée est probablementunhachoir deboucher.Une entaille unique,

nette.Ya-t-ildespointscommunsentreceuxquiontététouchés?LeregarddeNehas'attardasurplusieursdesserpents.— C'étaient les plus dociles - des animaux de compagnie plus âgés qui étaient suffisamment

habituésàlaprésencedeshumainspournepass'éloigneràleurapproche.(Sesailessoigneusementtenuesau-dessusdusolmaculédesang,elleajouta:)Jedoism'occuperd'eux.

Elle s'écarta pour prendre le panier tressé que lui tendait la dame de compagnie qui l'avaitaccompagnée.

Mahiya se saisit d'un autre panier et aida Neha à rassembler les dépouilles. Le silence étaitprofond, la colèredeNehaunepulsationque Jasonpouvaitpresque sentir contre sapeau.Mais cen'étaitpascelaqu'ilcherchaitàcapter.Parcequ'ilétaitpresquecertainquelà,dansl'ombre,setenaitquelqu'unquiriaitdeladétressedeNeha.

Maismême avec ses yeux dotés de cette incroyable vision nocturne, il ne pouvait pénétrer lesépaissesvolutesd'obscuritéquis'amassaiententrelesarchesetlesseuilsdelapiècevisiblesdepuissonpointd'observation.Selanceràlapoursuiteduresponsableseraitvain.Ilouelleavaitl'avantaged'avoirorganisésafuite,etauraitdisparuavantqueJasonaitatteintsacachette.

Ilcontinuadoncdemonterlagarde,neperdantjamaisdevuel'endroitoùsetenaitMahiya,toutenépiantlesrecoinssombres.

—Viens.Nehan'ajoutarienendécollant,sonpanieràlamain.Mahiyas'élevaàsasuite.Jasonsuivitlemouvementetseplaçaau-dessusd'elles,protecteur.Neha

n'alla pas loin, se posant sur le plateau d'une petite montagne environ cinqminutes plus tard. Aucentre de cet espace ouvert se trouvait une pierre grise et plate, installée au sommet d'une petitepyramidecomposéed'autrespierresgrossièrementtailléesetempilées.

Nehaposalesdeuxpanierssurlapierreplateavecdélicatesse,sebaissaetmurmuraquelquechosesibasque leventemporta lesmotsavantqueJasonnepuisse les saisir.Lepremier filetde fuméeapparutsouslespaniersunesecondeplustard.

Quand Neha s'éloigna du petit bûcher, les flammes léchaient les paniers, et il comprit quel'Archange n'avait pas seulement acquis une influence sur la glacemais aussi sur le feu. La glacepouvaitcauserdesdégâts,maislefeu...lefeureprésentaituntoutautreniveaud'anéantissementetdeviolence.EtNehaavaitmaintenantlepouvoirdefairepleuvoircettemortorangevifdepuislescieux.

Dmitri s'assuraqu'Honorétaitconfortablement installéedans le lit àbaldaquinoùelleavaitmis

desdrapsd'unblancéclatantmouchetédeminusculespenséesbleues.IlsétaientrevenusaussivitequepossibledansleurpayspourensuiteprendreladirectiondelamaisonqueJasonleuravaitindiquéelejourdeleurmariage.Àl'instantoùDmitrivit les lieux, ilcompritpourquoiJasonétaitcertainquepersonneneviendraitjamaisjusqu'àeuxàl'improviste.

L'endroitétaituneforteressenaturelle.La montagne ne comportait aucune route - Honor et lui avaient dû escalader le chemin très

spécifique que Jason leur avait indiqué. S'ils en avaient dévié, ils se seraient retrouvés face à desfalaisesinfranchissables,desfaçadesrocheusespresqueàpicauxgravierstraîtresetauxnombreuxpièges.Faitedepierresetdebois, lamaisonsefondaitdans l'environnement,etau-dessusd'ellesetrouvaitunevoûtevertequilaissaitpasserlesrayonsdusoleiltoutencamouflantleslieux.

Un système de sécurité sophistiqué s'ajoutait à cela. Il alerteraitDmitri de lamoindre présencedanslaforêtouleciel.

C'était le lieusûrpromisparJason,unendroitoù la femmedeDmitriembrasserait sanouvelleexistenceentantquepresque-Immortelle.Latoxinequiferaitd'elleunevampireluiavaitétéinoculéetroisheuresplustôt.

RaphaëlavaitquittéNewYorksouslecouvertdelanuitpourprocéderàl'opération-unetâcheàlaquellel'Archangeselivreraitdeuxfoisencoreàquelquessemainesd'intervalle.

Dmitrin'auraitfaitconfianceàpersonned'autrepourlaTransformationd'Honor,etRaphaëls'enétaitmontré digne en traitant la jeune femmeavec la plus grande courtoisie. Seules deuxmarquesnettesdecrocssursonpoignetétaientvisibles,ensouvenirduchoixquimodifieraitsonexistenceàjamais, mais Dmitri savait que la toxine avait déjà commencé à modifier ses cellules. Honor nesentiraitpaslabrûlureduprocessusavantencorequelquesminutes.

Il avait l'intention qu'elle soit endormie à ce moment-là. Tout était prêt. Dans l'un de ses brascouleur miel s'écoulait une perfusion de sérum physiologique qu'il avait installée en utilisant lesconnaissances médicales qu'il avait accumulées par curiosité, pour lutter contre l'ennui quel'immortalité lui imposait. Une autre perfusion délivrait au compte-gouttes une dose demorphinesoigneusementcalculée,afindecompenserladouleurdelamutation.

—Dors,murmura-t-ilquandlesyeuxd'unvertdeminuitenvoûtantcommencèrentàsetroubler.Jeserailààtonréveil.(Ilfaudraitapproximativementtroismoisauprocessuspourêtreachevé,maislechangementseferaitendouceur,pasdans ladouleuratrocequi l'avait transforméluienunanimalenchaîné qui se grattait la peau jusqu'au sang, sa chair exposée à la crasse de la pièce où il étaitenfermé.)Rêvedemoi.

—Comme si, chuchota-t-elle avecun sourire ensommeillé, je pouvais rêver de qui que ce soitd'autre.

Ses paupières se fermèrent dans un battement. Sa respiration adopta le rythme calme du plusprofonddessommeils.

Ilrepoussad'unecaresselesfinesmèchesdecheveuxquibarraientsesjoues,puisvérifiaquesesconstantes étaient stables. La partie la plus éprouvante commençait : l'attente. Honor n'aurait pasbesoindenutrimentspendant lespremiers jours,etsoncorpsavaitcessédeproduiredesdéchetsàl'instantoùlatoxineavaitcirculédanssesveines,toutétantbrûléparl'importantbesoinenénergienécessaireaucommencementdelamutation.

Aprèscestroisouquatrepremiersjours,selonlavitesseàlaquellelechangements'opérerait, ill'amèneraitàunétatdesemi-conscienceafinqu'ellepuisseboirequelquesgorgéesdelui.Lebaiserdesangétaitunepremièreétapequ'ilrépéteraitjusqu'aurepasfinal,oùellesenourriraitréellementdelui.PourlaplupartdesCandidats,ils'agissaitd'unprocessuscliniqueoùlesangétaitintroduitparuntube,maispourHonor,ils'agiraitd'unvoyageintime.

Safemmeseréveilleraittoujoursdanssesbras,ensécuritéetaimée.—Reviens-moi,chuchota-t-ildanslalanguedeleurterrenatalesiancienne.Une partie de lui était mortellement effrayée maintenant qu'il ne pouvait entendre sa voix, ni

l'intimitérauquedesonrire.Il ne savait pas comment il supporterait le silence, mais il devait trouver un moyen car elle

souffriraits'ilprovoquaitunréveilprématuré.EtHonornedevaitjamais,jamaissouffrir.PastantqueDmitrivivrait.

DeuxheuresetdemieaprèsavoirdécouvertlescorpssansviedesanimauxdecompagniedeNeha,

JasontéléphonaàRaphaëldepuislesommetd'unemontagneoùl'aubeaffleurait.— L'un de mes contacts vient de me faire parvenir un rapport selon lequel il est dorénavant

presquecertainqueLijuanselivreàlafabricationdenouveauxRessuscites.L'espiondeJasonnesetrouvaitpasdanslaforteresseoùcettedernièrevivait,maisdansunautre

bastionde son territoire.Ladistancequi séparait lesdeux lieux rendait toute informationsuspecte,mais cette rumeur-ci avait enflédurant les semainespassées, aupointquecevampireà l'espritvifétaitdésormaiscertainqu'elles'enracinaitdanslavérité.Lesmurmureslesplusrécentsfaisaientpartdedétailsdesplusinquiétants.

—Jenepeuxpascroirequ'ellesoitaussistupide.(DelaglacedanslavoixdeRaphaël.)C'estl'unedesescréaturesquil'aattaquéeenpremieràPékin.

—Onmurmurequ'ellenechoisitdorénavantpluslescandidatsauseindesacour,maisparmilespaysans,ceuxquilaconsidèrentcommeunedemi-déesse.

Abiendeségards,Lijuanétaitunebonneimpératrice.Sonpeupleavaittoujoursmangéàsafaimetellepratiquaitlajusticeavecéquité.Cependant,ellepréféraitmaintenirlamajoritédesessujetsdansunétatculturelettechnologiqueinchangédepuisdessiècles.— Pourquoi créerais-je du mécontentement en leur permettant de savoir des choses qui les

dépassent?Cen'estpascommes'ilsvivaientassezlongtempspourquecelaimporte.Unedéclarationqu'elleavait faiteàRaphaëlquatrecentsansplus tôtalorsqueJasonse trouvait

danslapièce.Cettedécisionétaitcelled'unArchangequiavaitvécuunmillénaireetquiconsidéraitlesmortelscommeàpeineplusqu'unemain-d'œuvrejetable.Pourtant,l'âgeseulnepouvaitexpliquersonchoix.Calianeétaitbienplusâgéeetd'aprèstouslesrapportsqueJasonrecevaitdeNaasir,sonpeupleétaitéduquéetdanssacitésetrouvaitunebibliothèquetentaculaireouverteàtous.

Non,ledésirdeLijuanconsistantàgarderunsigrandnombredesessujetsdansl'ignoranceétaitpersonnel, toutcommesonpouvoirde ramener lesmortsàunhorriblesimulacredevie.Etc'étaitcetteArchangequi enseignait peut-être àNeha commentmanier ses nouveaux talents. Jasondevaitdécouvrirlecontenudecesleçons.

SiLijuans'étaitconstituéunealliéepoursesfunestesmanigances,laTerrepourraitbiendevenirlethéâtred'unehorreursansfin.Un lieuoù le feu tomberaitducielet lesmortspourchasseraient lesvivantspourseplongerdansleurchair,leurchaleuretleursang.

LorsqueJasonrevint,Mahiyaétaitassisesurunbancdanslepavillonquisetrouvaitdanslacourfaceàsonpalais,sesailessublimesétenduessurlemarbrederrièreelle.Elleneditrienjusqu'àcequ'ils'assoieàsescôtés.

—Jen'arrêtepasdepenseràelle.Jasonn'avaitpasbesoindeluidemanderàquiellefaisaitallusion.—C'estnaturel.Nivritiétaittamère.Ellelevalatête,hésitantlégèrementavantdedemander:—Tamère,Aurelani,est-ellevivante?—Non.—Réveille-toi,réveille-toi,réveille-toi!Cachée aux regards indiscrets par ses ailes déployées et les colonnes du pavillon, elle tendit la

mainpourprendrecelledeJason.—Jesuisdésolée,jet'aifaitdelapeineenévoquantcesujet.

—Non,dit-il,celas'estproduitilyauneéternité.Sesémotionsavaientvieilli,s'étaientnuancéesdemanièreindescriptible.—Tuveuxbienmeparlerd'elle?Desyeuxfauvesverrouillésauxsiens,sescilsdessinantdesombresendentellessursesjoues.Jusqu'àMahiya, il n'avait parléde samère àpersonne, etmêmealors, il l'avait fait par lebiais

d'unelégenderomantique.Ilnesavaitpass'ilpouvaitparlerd’elle,delacélèbreAurelaniquiavaitétésamère.Lacicatriceenluifaisaitunebarrièreendentsdescie.

—Unautrejour.— D'accord. (Sur ce doux acquiescement, Mahiya posa la tête contre le flanc de Jason.) J'ai

demandéàVanhideme raconterdeshistoires au sujetdemamèrecematin. (Sesdoigts serrèrentceuxdeJason.)Ellem'aditbeaucoupdechoses.Ellem'anotammentparlédupalaisdulacquiétaitsonlieupréférédetoutleterritoire.Cen'estpastrèsloind'ici.Uneheuredevol.

Jason baissa les yeux sur la soie noire des cheveux de la jeune femme. Il se représentait uneconstructiondésoléecouvertedemousse,auxfenêtresetauxportessemblablesàdesgueulesbéantes.

—Abandonné.—Oui.Quandmamèreaétésupposémentexécutée. (Unsoupir tranquille.) Ilavaitétéconstruit

pour durer, ce palais. Fait de marbre au sein du cratère d'une montagne. Le lac se remplit à lamousson.Jenesaispass'ilestencoredebout.

—Ill'est.(Illuiracontaalorssonvoljusqu'auterritoiredeNeha.)Jesuisarrivéalorsquelesoleilmontait,etquelquechosearéfléchilalumière.Lorsquej'aidécritdescerclesau-dessusdelazone,jen'aivuquelemiroitementdel'eau.Celam'aprisuneminutepourtrouverlebâtimentàdemicachéauseindulac.

Recouvertdemoussecommeill'était,lepalaissurl'eausemélangeaitauvertprofonddulac.Uncamouflageparfait.

—Nous avons toute la journée, ditMahiya, son corps chaud contre celui de l'espion.Neha estrecluse - je ne sais pas qui elle pleure, si ce sont les êtres qu'elle a perdus ou ses animaux decompagnie,mais je l'aidéjàvuedanscetétat.Ellene ressortirapasavant lanuit,nepenserapasàdemanderoùnoussommesallés.

—Viens,dit-il,celamedemanderapeut-êtreplusieurspassagespourlocaliserlepalais.Mahiyaavaitleregardrivésurlebâtimentquis'étaitfondudanslepaysageteluncaméléonaufil

dessiècles,sedérobantàlavuedetous.Ilétaitnonseulementrecouvertd'unemoussevertsombrequi rappelait la couleur de l'eau, mais aussi d'un voile de lierre fin de la même teinte. Le palaissemblaitn'êtreriendeplusqu'unmassifflottantdevégétation.Peud'angessurvolaientcelieudésolé,etceuxquilefaisaientn'étaientpastentésdes'yattarder.SeulelacuriositédeJasonl'avaitpousséàledécouvrir.

—Jen'avaispaseuletempsdem'yposeralors,dit-il,planantàsescôtésavecuneaisancequ'elleenviait.Onnepeutpasêtresûrsqu'ilsoitstable.

— Il tiendra, lui répondit-elle. Il a été construit pour résister à l'érosion de l'eau pendant dessiècles.

Plongeant sans l'attendre,elleprit ladirectiondecequ'elledevinait avoirétéautrefoisun largebalconouunecourau-dessusdel'eau.Uneimposantevisionfloueladépassaunesecondeplustard,etJasons'étaitposé,sesailesrepliées,avantqu'ellenetoucheterre.

Unetempêtetourbillonnaitdanssesirisdevenusd'unnoirtumultueux.—Cen'étaitpasmalin,Mahiya.Fascinée, elle le regardait intensément. Elle ne l'avait jamais vu en colère. Mais même là, il

contenaitsonémotion,etMahiyasedemandajusqu'oùpouvaitallercecontrôle.—Jesavaisquetuétaisplusrapide,dit-elle.Etquetum'auraisarrêtéesituavaisaperçuquoique

cesoitdedangereux.

Latempêtegranditencore,sombreetviolente.—Tunedevraispasavoirunetelleconfianceenunmaîtreespionennemi.—Mais ce n'est pas en lemaître espion que j'ai confiance.C'est en toi. (Tendant lamain pour

toucher son aile, elle sourit à l'homme qui était une énigme qu'elle n'aurait jamais la chance derésoudre, et qui pourtant prenait plus de place dans son cœur à chacun de ses battements.)Allonsexplorer.

Jasonauraitdûcampersursespositions,obligerMahiyaàreconnaîtrequ'elleavaitagiavecuneimpatience irréfléchie,mais il sentitque laisser librecoursà sacolèreenverselleàcemoment-làseraitcommepiétinerduverre.Ilvoyaitbienlaconfusionderrièrel'empressement.Mahiyanesavaitpasvraimentsiellevoulaitquesamèresoitenvieounon.SiNivritiétaitdecemonde,ilnefallaitpasoublierqu'elleavaitunpenchantpourlaviolencesadique.

—Resteprèsdemoi.Ildégainasonépée.Mahiyalevalamaincommepourtoucherlalamed'obsidiennequisemblait

ondulerd'uneflammenoire,avantdeseraviseretdeluiemboîterlepas.Décidantdenepasentrerpar la porte enveloppée de lierre devant eux, il avança à pas mesurés vers le côté du palais. Ilsdevaientfaireattentionoùilsmettaientlespieds;lamoussefaisaituntapistrèsglissant.

Lepalaisavaitétéconçupoursesituerau-dessusduniveaudel'eau,maisilétaitévidentquelespluiesdelamoussonavaientétésuffisammentfortespourlesubmergerlesannéesprécédentes.Cesinondationssuccessivesavaientlaissédesmarquesmarronsurlemarbredécolorédubâtiment.Lelacdevait sansdouteêtredotéd'unmécanismegrâceauquel leseauxpluvialespouvaientêtredérivéesvers d'autres cours d'eau au-delà d'un certain niveau - Jason avait déjà vu de tels systèmes dansd'autres parties du territoire de Neha.Mais ce palais et ses alentours étaient tombés en désuétudedepuisplusdetroiscentsansetpersonnenes'étaitoccupéd'entretenirlescanalisations.

Uneembrasurepermettaitàlalumièredusoleildes'écoulerdanslapièceendessous.—Attends.Ilentraprécautionneusement,fouillachaquecoinsombreduregardavantdefairesigneàMahiya

delesuivre.—Iln'yarienici.(Ladéceptionpointadanssavoixpendantqu'elleévaluaitlesdébris,lamousse

etlesrestesdesséchésdevasequiavaitaccompagnélamontéedeseaux.L'airn'étaitpashumide,carlalumièredusoleilpénétraitloindanslepalais,maislescouchesdesaletédégageaientuneodeurdemoisi,deterre,quiprouvaitassezqu'ilsétaientlespremiersêtresvivantsàpénétrerdanscettepiècedepuisdessiècles.)Lesmeublesdevaientêtreenbois,ilsontpourri.

—Oui.(Ilavançaversunseuilfantomatiquequimenaitversuneautrepièce.)Sijemecachaisici,jechoisirailecœurdupalais.

Oùlalumièreseraitmoinssusceptibledefiltrer,lanuitvenue.L'ailedeMahiyafrôlacelledeJasonlorsqu'ellepritdenouveauplaceàsescôtés.Lespiècesquisuivaientétaienttoutaussidésoléesquelapremière.Dépouilléesdemeubles,tapis,

et peintures, elles n'étaient que des cavernes en ruine aux échos lugubres. Toutefois,Mahiya étaitcapable de deviner les fonctions de certaines d'entre elles d'après l'emplacement des fenêtresdépourvuesdevitresetdesportesdétruitesdepuislongtemps.

—Cetendroitdevaitêtresuperbequandilétaithabité,chuchota-t-elle.Ildevaitétincelercommeunbijoupendantlanuit,avectoutesleslumièresquisereflétaientdanslelacet...

Alerté par son silence soudain, Jason suivit son regard et vit un éclat de couleur. Vermillon.Brillantetimmaculé,unrubanquiauraitpuprovenirdelarobed'unefemme.

—Des amants utilisent peut-être ceci comme un code pour des rendez-vous secrets, murmuraMahiyaenramassantletissuchatoyantquin'appartenaitpasàcelieusolitairedépourvuderires.

Ilétaitévidentqu'elleluttaitcontrel'espoir.—Peut-être.

Le lieu était tropvétusté et inhospitalier pour en tenter beaucoup,mais il avait connude jeunesangesquifaisaientdeschosessurprenantes.

—C'est doux. (Elle caressa le ruban des doigts.) Il ne doit pas être là depuis longtemps, sinonl'humiditél'auraitpénétré,auraitdurcilesatinenséchant.

Savoixétaitpresqueinaudible,sesailestenuesserréescontresondospouroffriràJasonautantdeplacequepossiblependantqu'ilssedéplaçaientàtraverslepalais.

Deuxpiècesplusloin,illevasonpoingpourluiintimerdes'arrêter.Mahiyasefigea.Sans bouger unmuscle, Jason écoutait.Mais le vent ne murmurait pas le nom de la mère de

Mahiya,ninemettaitengardecontreundanger.Malgrétout,ilsentaitquelquechose,etunesecondeplustard,ilsutcequec'était.Unesensualité,voluptueuseetforte.Unparfumdefemme.Unefois lacausedecettealerte identifiée, il laissa tombersonpoingetmitundoigtdevantses

lèvres. Opinant, Mahiya resta silencieuse pendant qu'il tendait la main pour écarter un rideau delierre...etrévélerunechambreaussidifférentedesautresqu'unrubisl'étaitd'unmorceaudepierre.Ici, lemarbre avait été nettoyé avec un soinméticuleux, jusqu'à faire briller lesmurs, en dépit deleurstachesindélébiles.

Lalumièreentraitparunelucarnedépourvuedeverreetàmoitiéobstruéepar lavégétation.Lapluie pourrait facilement pénétrer la barrière verte,mais le risque de précipitations était faible encettepériodedel'année.Detouteévidence,lapersonnequiavaitinstallécettechambrenes'étaitpasinquiétéedesdégâtspotentielsquel'eaupourraitcausersurlerichetapisindigoquirecouvraitlesol,ousurlescoussinsdesoiebrodésd'orquiétaientéparpilléssurlelitaumilieu.

Une petite coiffeuse était installée contre unmur, recouverte d'épingles à cheveux et de diversbijoux.Devantsetrouvaituntabouretoùs'asseoirpoursepréparer.

—Aucunvampiren'auraitpuamenertoutçaici.Pasavecl'uniquecheminquidescendaitdanslecratèreetquiavaitétéenfouiparunglissementde

terrainsuffisammentancienpourquedesarbresaientdepuispousséenbataille le longde lapenteaccidentée.

—Jason.Il se tourna à ce murmure tremblant et vit le reflet deMahiya dans le miroir au-dessus de la

coiffeuse.Sesdoigtsserraientquelquechose.Uneenveloppe.Surlaquelleonlisaituneuniqueinscription:«Mafille.»Mahiya savaitque Jasonavait eu raisond'insisterpourqu'ilsvolent jusqu'àunedestinationplus

sûreavantd'ouvrir la lettre,mais lorsqu'ils seposèrent surunchampéloigné,parseméd'arbres etentouré par rien d'autre que des feuillesmortes tourbillonnant dans cette étendue sans fin, elle eutcommelesentimentquesapeauallaitéclater.

Maisilsétaientlàet lemomentétaitvenu.Ledoscontreletroncd'unarbrerabougriquioffraitmalgrétoutdel'ombre,elleavaitlesyeuxrivéssurlesceaurougedelalettre.L'angeauxailesnoiresquin'étaitdésormaisplus sonennemimontait lagarde. Ilnedisait rien, luidonnait tout son tempspourrassemblersoncourage,etbriserlesceau.MatrèschèreMahiyaGeet,J'aiespoirquetutrouverasceci.Toiettadangereuseombrenoire.J'aid'abordpenséàletuerpour

toi...Mahiyaretintuncri,appuyantsonpoingcontresabouche....mais jemesuisrenducompteaprèsplusampleréflexionqu'ilest laseulechosequisedresse

entre toi et Neha. Et de manière délibérée. Donc, je dois maintenant te dire que j'approuve cetterelation.Tuasfaitunmeilleurchoixquemoi.

Soncœurseserraàladouleurcontenuedanscettesimpleconfession.Jesuisdésoléedenepouvoirêtrelàpourt'accueillir,monenfantaimée.Maiscettepartieduplan

estaccomplie.C'étaitun testdema forceetdemescapacités.Unemiseengarde,aussi,maisnoussavonstoutesdeuxqueNehaestbientroparrogantepourécouter,pourcomprendre.Cetendroitestpourtoi.Restes-y.Tuyserasensécurité.Tonmaîtreespionteprotégera.S'ildoit

retournerauprèsdeNeha,soiscertainequejem'assureraiqu'il terevienneindemneunefoisquelavéritable partie sera jouée et gagnée. Tu ne peux te trouver à la cour à ce moment-là. Neha tetrancheraitlagorgeetarracheraittoncœurencorebattantdetapoitrinejustepourmeblesser.Tuneresteraspaslongtempsici.Bientôt,jetetiendraidansmesbrascommeunemèredevraittenir

sonenfant,pendantquelecœurdeNehasaigneraetquesesgensramperontdepaniqueetdeterreur.Soissanscrainte,j'aieutroiscentsanspourplanifiermavengeance.Nivriti.

Tremblante,MahiyaavançapourplacersonvisagecontreledosdeJason.Lesailesdecedernier

étaientfortesetlisses,etparadoxalementdouces.—Jenesaisquepenser.Elleluipassalalettresansbouger.Ilnel'obligeapasàlefaire,n'essayapasdesetournerpourla

prendredanssesbras-commes'ilcomprenaitqu'elleavaitbesoindesereposerunmomentsursaforcejusqu'àcequelemondecessedetournoyerautourd'elle.

—Lepapieràlettresestunpeuhumide,ditJasonaprèsenavoirlulecontenu.Maislacireporteencoreunetracedesonparfum,toutcommelachambre.

Samère n'avait pas quitté le palais depuis suffisamment longtemps pour que sa présence en fûteffacée.

—Jepensequesafiertéesttellequ'elleneseseraitpaspermisd'infligercelaauxserpents.(MaiselleétaitcertainequeNivritiétaitaucourantdecetactedecruautégratuite.)Elleadûquitterlepalaisdulacaprèslemeurtred'Arav,etlaissésesgensderrièreellepourcauserplusdetroubles.

Jasonreportasonregardsurlalettre.—Ellenepeutplanifieruneattaquemilitaire.Malgré tout le tempsqu'elleaeuàsadisposition

pouréchafaudersonplan,NehaestuneArchangeavectouteunegarnisonàsesordres.Mahiyasavaitqu'elleauraitdûrépondrequelquechoseàcela,maisellesesentaitperduedansun

mondequiavaitdéviédesonaxe.Mamèreestenvie.Lefroissementdupapier,desailespuissantessesoulevantsoussesdoigts,etJasonsetournavers

elle. Surprise, effrayée à l'idée qu'il la repousse quand elle avait si désespérément besoin d'unancrage,delui,elles'immobilisa...Maisilfitcourirsamainduhautdesanuquejusqu'aubasdesesreins,l'étreignitjusteassezpourqu'ellesachequ'ilétaitlà,qu'ilmettaitsaforceàsadisposition.

Un sanglot la secoua, et elle ne put s'arrêter de pleurer. Son corps entier tressaillait. Ses ossemblaientsoudainfragilescommeduverre.

Des bras puissants, des lèvres contre sa tempe, des ailes de minuit se déployant autour d'elle,jusqu'àcequeJasonl'entouredetoutepart.Soncœurbattaitrégulièrement,sesmainsétaientdoucescontresatêteetsesreins,etsachaleurétaitunefournaisecontresapeau.Noir.C'étaitlacouleurdupouvoirdeJason,ellelesavait.Elleavaitl'impressiond'êtreentouréeparune

tempêteenfurie.Lasensationauraitdûlaterrifier,maiscettetempêten'auraitjamaistouchéàunseuldesescheveux.Dansl'œildececyclonerégnaituncalme,unedouceurprotectricetellequ'ellen'enavaitjamaisconnuauparavant.

Ellenesutpascombiendetempsilsse tinrentainsi,maisaprèsunmoment,elleputrespirerdenouveau.Etchaquesouffleportaitl'odeurdecefeunoir.Elleétaitincapabledeposerd'autresmotssurlasauvagerieintensedeceparfum,maispourelle,ils'agissaitdel'essencedeJason.Essayantdeserapprocherencoredelui,ellesedébrouillapourglissersespiedsentrelessiens.

—Mamère,dit Jasond'unevoixquiétaitun ronronnementcontreelle,était lapersonneque jepréféraisaumonde.Neteméprendspas,j'aimaisaussimonpère.Maismamère?C'étaitversellequejecouraislematinensortantdulit.(Illuicaressalescheveux,frottasajouecontresatempe.)Puis,unjour, elle n'a plus été. Si le monde changeait brutalement et qu'elle se trouvait là, face à moi, jecourraisdanssesbrascommeunpetitgarçon.

LevantsonvisagecouvertdelarmesversceluideJason,elledit:

—C'est ceque je veux faire. (La réactionviscérale, qui l'avait terrifiée, témoignait d'unbesoinviolent dont elle ne s'était jamais rendu compte.)Mais je n'ai jamais eu demère. Je ne l'ai jamaisconnue.Jenedevraispasréagircommeça.

JasondéplaçasamainsurlevisagedeMahiya,essuyasesdernièreslarmesavecsonpouced'ungestenaturel,familier.

—Tuasrêvéd'elle,penséàelle,tut'esdemandétoutetavieàquoielleavaitbienpuressembler.Celacompte.

— Parfois, dit-elle en surmontant le nœud dans sa gorge, quand j'étais plus jeune, je meconvainquais qu'elle était horrible, méprisable, qu'elle ne s'était pas battue assez fort pour moi.Lorsque j'étais vraiment en colère, jemedisais qu'elle nem'avait jamais désirée etm'avait en faitdonnéeàNeha.(ElleétenditsesdoigtssurlachemisedeJason,essayantd'eneffacerlesplisqu'elleyavait inscrits en serrant le tissu pendant qu'elle pleurait.) Puis, d'autres fois, avant que je soissuffisammentgrandepourcomprendrecequ'elleavaitfait,jel'imaginaiscommeunesortededemi-déesse, une femme adorable, gracieuse et parfaite, qui m'emmènerait quelque part où je n'auraisjamaisàmesentireffrayée.

Jasonnesemoquapasd'elle. Ilne tentapasnonplusde luidirequecesrêvesétaient toutàfaitnormauxpourl'enfantsolitairequ'elleavaitété.Ilsecontentadelatenirdanssesbrasetdelalaisserparler.Sesailesoffraient àMahiyauncoconprotecteur, lagardaient fermementcontre sachaleur,contrelebattementdesoncœur,contrelui.Jenetelaisseraipast'enaller.C'étaitunserment.Quoiqu'iladvienne,quoiqueJasonpensedesonincapacitéàforgerdesliens

durables,ilétaitsien,etellelutteraitpourleretenir.Ilsavaientbesoinl'undel'autre,elleetsonangeauxailesdenuit.Ilavaitunepuissanceconsidérableetuneconnaissancedumondebienplusétendueque la sienne, mais elle avait le cœur suffisamment fort pour se soucier d'un homme qui ne luiouvriraitpeut-êtrejamaiscomplètementlesien...MêmeunéclatducœurdeJasonluiseraitunejoiebrute,sincèreetéblouissante.

JasonregardaMahiyaavancerjusqu'àlaboucheducratèreauseinduquellelacondoyait,etquiabritaitlepalaisd'eaudeNivriti.

Ellevoulaityretourner,etcomptetenudesproposdelalettre,ilnevoyaitaucuneraisondel'enempêcher. En utilisant un nom que Vanhi était la seule à connaître à ce jour, la lettre devait êtreauthentique, et le lieu un refuge sûr pour Mahiya. Malgré tout, il opérerait des vérificationsconcernantVanhi,pours'assurerquelavampirenejouaitpasundoublejeu.

Les yeux enfin libérés des larmes qui y avaient étalé plus tôt leur clarté cristalline,Mahiya luitournait le dos. Ses ailes d'un vert et d'un bleu vifs commecelles d'unpaon se détachaient dans lalumière de la montagne. S'il s'était trouvé seul, il aurait choisi une position bien moins exposée.Mêmeàcetinstant,ilsetenaitdansl'ombred'ungrandarbredontlesracinesallaientpuiserassezloinpourluiassureruneépaisseurrobuste.

MaisMahiya,malgrél'habitudequ'elleavaitdenaviguerdanslesrecoinsd'unecourhostile,étaitunecréaturedelumière.Pourtant,ellenesemblaitpasperturbéenirepousséeparlaflammenoirequiétait lamanifestation de son propre pouvoir.Lorsqu'il l'avait tenue contre lui, elle avait cherché àl'embrasserde tout sonêtre, jusqu'àcequ'ilpuisse sentirchacunedescourbesdesoncorps.Alorsqu'ilréfléchissaitàcetinstinctprotecteurquis'étaitimposéàluietl'avaitamenéàlaserrercontrelui,elle se retournapour regarderpar-dessussonépaule.Sesyeux fauves le localisaient toujoursavecuneprécisioninfaillible.

— Il y a une chose qui me travaille, dit-elle en venant le rejoindre. Je reconnais qu'un assautmilitaireestpeuprobable,maisnousnesavonspasdepuisquandelleestlibre.L'attaqued'Erisn'étaitqueledébutdeson«test».

—Ilestdoncpossiblequ'elleaitrassemblébienplusdesympathisantsquecequenousestimons.

Lamortd'AnoushkaaeuunimpactprofondsurNeha.Peut-êtrequ'elleaeuunmomentd'inattentiondanssasurveillancedel'incarcérationdeNivriti.

Mahiyabaissalesyeuxausol.Sonfrontseplissa,puisellerelevalatête.—Oualors...Nehaalaissémamèrepourrirpendantdesannéessanssesoucierd'elle.L'isolement

estl'undeseschâtimentsfavoris.L'obscuritégrondaenlui.Unevagueviolentedefeunoir.— Personne ne t'emprisonnera plus jamais, dit-il calmement, conscient qu'il prononçait une

promessequiallaitprobablementlemettredanslalignedemired'uneArchange.LevisagedeMahiyas'illuminad'unelueurquileretintcaptif.—Jesais.Déployantsesailes,elletouchasesjouesduboutdesdoigts.Latendressedecegesteeutuneffet

aussi puissant sur lui que la lame d'un couteau. Il sentit alors que son monde avait basculé pourtoujours.

—Donne-moilasoirée,dit-ilens'arrachantauchaosdesesémotions.Jeseraipeut-êtreenmesured'apporterplusd'éclaircissementssurlasituation.

Ilavaitdescontactsetdesgenstravaillantpourluisurtoutleterritoire-iln'avaitsimplementpasposélesbonnesquestionsjusque-là.

Mettantuntermeàleurcontactphysique,Mahiyaluilançaundrôlederegard,empliderires.—Tuesmerveilleux.Sesdéfensess'enflammèrent.—Mahiya,nevoispasenmoiplusqu'iln'ya.Elleinclinalégèrementlatêtesurlecôté.—Peut-êtresuis-jelafilledemamèreaprèstout-jet'aichoisi,Jason.Etsic'estunchoixstupide,

c'enestaussiunquejeneregretteraijamais.Ilrefermasamainsurlepoignetdelajeunefemmealorsqu'elleallaitsedétourner,etlaretint.Au

lieudesedébattre,elles'immobilisa,sesyeuxbrillantd'unedéterminationsansfailleetd'uneautreémotionbienplusdangereuse.

—Jenepeuxpastedonnercequetuveux,répéta-t-il.Unechoseinconnuesecraquelapuissepropagearapidementenluiàl'idéed'avoiràinterrompre

sarelationavecelle,quandc'étaitlapremièrefoisdesaviequ'ilconfiaitunepartiedesavieàunefemme.

Undouxsourire.—Ai-je exigé quoi que ce soit ? (Elle leva lamain et vint effleurer la joue de Jason.) J'ai tant

d'amourenmoi,Jason.Tant.Etjen'aijamaispuenfairebénéficierquiconque.Personnen'envoulait.Laisse-moiétirerlesailesdemoncœurverstoi.

Ilpouvaitsentirsespropresdoigtsraffermirleurprisesursonpoignet.Ils'obligeaàdesserrersaprise.

— Cela sera-t-il suffisant d'aimer et de ne pas l'être en retour ? demanda-t-il, sachant que laquestionétaitbrutale.

Sonsouriresefitencorepluslumineux.—Tun'aspasidéedecequetumedonnes.Jasonnerelâchapaslepoignetdelajeunefemme.Toutcecinepouvaitfinirquedansleslarmes-

c'étaitinévitable.Maisalorsqu'ilallaitparler,ellebarraseslèvresd'undoigt.—Nesoispasarrogant,et jen'auraipasàêtreblessante. (Desmots taquins,mais son intention

étaitaussifermequel'acierlepluspur.)Jesuisuneadulte,dit-elle.Jesaisquijesuisetj'assumemeschoix. Si ce que tu peux me donner ne me suffit pas, je m'en irai. Je ne te ferai pas porter laresponsabilitédemesdécisions,alorslaisse-moidéterminerdecequiestbonpourmoi.

Jason libéra lepoignetde la jeunefemmeavantd'abîmerpourdebonsesossi fragilessoussaforce.Endépit de l'éloquente promessedeMahiya, ses instincts lui hurlaient demettre un terme àcettehistoire,delaprotégerdeladouleurqu'illuicauseraitinévitablement.Maisilétaitclaircomme

del'eauderoche,envoyantlecalmedéfiquivibraitdanschaqueparcelleducorpsdeMahiya,qu'ellenerenonceraitpasfacilement.Non,cetteprincesseavaitmenéuneviequienauraitbriséplusd'un,etenétaitsortiecroyantenl'espoiretenl'amour.

Mahiyalutteraitpourlegarder.Une étrange bourrasque d'émotions s'écrasa en lui... et il sut qu'il ne prendrait pas de décision

rationnelle.Pasquandils'agissaitdeMahiya.—Ilyaquelquechosequejenet'aipasdit,commença-t-il.(Ilruminaitsonregretdenepouvoir

offriràMahiyacequ'unhommedevaitoffriràunefemme.Ilavaitétéplongétroplongtempsdansl'obscuritépourcela.)Veninabientrouvédestracesfraîchesdanscertainsdesautrestunnels.

FaceàladécisionqueJasonn'avaitpasénoncéeàvoixhaute,levisagedeMahiyan'arboraaucunsigned'exultation.MaissajoiesilencieuseeffrayanéanmoinsJasonàunpointqu'iln'avaitpasconnudepuisuneéternité.

— Et vieux comme sont les tunnels, dit-elle, certaines entrées et sorties ont dû être oubliées,laisséessanssurveillance.

JasonsesouvintdecequeVeninavaitdit.—La seule raisonqui expliqueque je connaisse chaqueentrée et sortiedu labyrinthe est qu'au

débutdemaTransformation,j'étais...disonsplusprochedemoncôtéreptile.Jenepeuxpasexpliquercommentquiquecesoitd'autreauraitpuconnaîtrelespartieslesplusanciennesdestunnels-maisc'estlàquej'aitrouvélesempreintesdepas.

—Desjumelles,murmura-t-il,dontl'uneauneaffinitéaveclesserpents,auraienttransformécestunnelsenterraindejeux.(LàoùNehapouvaitavoiroubliélesméandresdecessouterrains,Nivriti,elle,avaiteudessièclesàsadispositionpouraiguisersamémoireetruminersavengeance.Pourtant,Jasonreprit:)JenevoispasNivritilesutiliserpouruneattaqueàgrandeéchelle.Celademanderaittrop de temps d'y faire entrer ses troupes une par une, et cela les laisserait vulnérables. Ellespourraientêtreexterminéessiellesétaientrepérées.

Unfeudanslestunnelslesanéantirait.Mahiyaserrasesbrasautourd'elle.—Jeveuxquemamèrevive,maissiNehavenaitàmourir,toutleterritoireseraitplongédansle

chaos.Desmillionsdeviesseraientenjeu.Jasonsecoualatête.—SeulunautremembreduCadreseraitenmesuredetuerNeha.SiNivritiétaitdevenuedesleurs,

lemondeentierl'auraitsu.Toutes lesaccessionsauCadreprovoquaientdesphénomènesperceptiblesdans lemondeentier,

commesilesArchangesfaisaientpartiedutissumêmedelaplanète.Le jour où Raphaël avait franchi cette étape, les mers étaient devenues d'un bleu violent,

impossible, tout comme chaque rivière et lac dans lemonde.Même la pluie tombait du ciel sousforme de splendides cristaux bleus, et quand elle se brisait, elle laissait derrière elle un résiduscintillant,unepoussièredediamantdanslapaume.

—Nousdevonsarrêtertamère,dit-il,pensantaupouvoirdontdisposaientlesmembresduCadre.EllenesurvivrajamaisàuneconfrontationavecNeha.(L'Archangedel'Inden'auraitbesoinqued'uncouppourmettreuntermedéfinitifàlaviedesasœur.)ParleàVanhi,voiscequetupeuxdécouvrird'autre.

—Jenepeuxpasluirévélerquemamèreestpeut-êtreenvie-VanhiestloyaleàlafoisàNehaetàNivriti,etpourraitprendresurelledetenterunenégociationdepaix.(Sespoingsseserrèrentetsonfinvisagesecrispa.)J'espèrejustenepasavoiràpleurermamèreavantmêmedel'avoirrencontrée.

Jason commença à prendre contact avec ses informateurs tandis qu'ils revenaient au fort,rassemblant des informations à travers son réseau. Venin était parti. Il avait pris la direction duRefugeaprèsavoirtéléphonéàJasonausujetdestunnels.

—Sijerestepluslongtemps,Nehaconsidéreraquejesuisunespion.MaisunautremembredesSeptarrivauneheureavantlecoucherdusoleil,aumomentoùJason

revenaitd'unrendez-vousavecunvampire,lui-mêmederetourd'unezonesituéeàpeuprèsàquatreheuresdevoldufort.

—Aodhan, dit-il à l'ange qui semblait fait demorceaux fracturés de lumière, depuis l'éclat dediamantdesescheveuxjusqu'àsesailes,dontlesfilamentssemblaientcoususdetessonsd'unmiroirbrisé. (Seul le lustredorédesapeauet lebleuvertcristallindesesyeux fendusde lapupilleversl'extérieurl'empêchaientd'êtretoutàfaitunesculpturedeglace.)Jenet'attendaispas.

—Jenepeuxpasrester,Nehan'autoriserapasunautreSeptici.Veninestuneexception.Jasonacquiesça.—Tuasquelquechosepourmoi?Aodhanétaittrèsdouélorsqu'ils'agissaitdefiltrerlesinformationsquiinondaientcontinuellement

leRefuge.Ilauraitfaitunexcellentmaîtreespion,àceciprèsqu'iln'existaitaucunlieuaumondeoùilneseferaitremarquer.

Aulieudequoi,l'angeavaitpendantlongtempsétélebrasdroitdeGalenauRefuge.Ilserendaitmaintenant à la Tour où il devait prendre en charge de nombreuses responsabilités incombant àDmitri pendant que le chef des Sept aidait sa femme à franchir le cap de sa Transformation. Cetransfertfonctionnerait-il?Personnenepouvaitleprévoir.EntantquepremieradjointàlatêtedesopérationsdelaTour,Aodhanauraitaffaireàdenombreusespersonnes,alorsqu'ilnesupportaitpaslecontactphysiqueetrecherchaitl'isolementaussisouventquepossible.—C'estlapremièrefoisdepuisdessièclesqu'Aodhanmanifesteledésirdefairepartiedumonde.

(LesyeuxdeRaphaël,d'unbleuquin'avaitétévudanslemondequelejouroùilétaitdevenuCadre,rencontrèrentceuxdeJason.)Ildoitencourirlerisque.

Jasonétaitd'accord,espéraitquel'anges'ensortirait.Acetinstant,cedernierdisait:—Je saisque tunepeuxpasme raconter endétail de ceque tu fais ici,mais j'ai découvert un

phénomènetroublantliéàcetterégion.Celapeutn'avoiraucunrapport,maismoninstinctmesoufflelecontraire.

Avant qu'Aodhan ne puisse continuer, un papillon, aux ailes d'un rouge parfait et parsemées de

points jaune safran, se posa sur l'épaule de l'ange. Un autre le suivit une seconde plus tard ; sescaractéristiques étaient moins marquées, mais son envergure plus grande. Aodhan les regarda, etpendantuninstantfugace,ilfutdenouveauunjeuneange,honteuxdupluscurieuxdesestalents.

—C'est comme s'ils pouvaientme sentir,marmonna-t-il. (Mais il ne repoussa pas les délicatescréatures.Aucontraire,illevaundoigtetuntroisièmepapillonapparut,descendantducielpours'yposer.Celui-ciavaitdesailesd'uncoucherdesoleillaiteux.)Illiumditquejepourraispeut-êtrelesutiliserpourémouvoirquelqu'unàmort.

JasonobservaAodhanpendantqu'ilposaitdélicatementlepapillonàcôtédesdeuxautres,créantune décoration vivante sur son tee-shirt marron foncé tout ce qu'il y avait de plus basique. Lespapillonsn'étaientpaslesseulsêtresvolantsfragilesàêtreattirésparAodhan.Unefois,longtempsauparavant,Jasonl'avaitvurirealorsqu'ilétaitcouvertparunaréopagedeminusculesoiseauxauxteintesvivescommedesbijoux.L'angeétaitplusattirant à leurs sensque lenectarqu'ils sirotaienthabituellement.

—CommediraitGalen,répliqua-t-il,Campanulealui-mêmedesailesdepapillon.Ilsavaitqu'IlliumavaitfaitbeaucouppourtirerAodhanhorsdel'abysse,queleliend'amitiéentre

euxdeuxétaitsolide.Secouantlatêteensouriant,Aodhanrevintausujetdujour.—Uncertainnombred'angesetdevampiresâgésontdémissionnédeleurspostessansfanfareet

dans plusieurs cours de différentes régions au cours des six derniers mois, puis ont disparu desradars.Tousontétéliésd'unemanièreoud'uneautreauterritoiredeNehaparlepassé.Sixmois.Untempssuffisantpourinstallerunebasebiengardée.—Quelleestlaforcedecesangesetvampires?— Aucun n'est aussi fort que toi ou Dmitri, mais ils sont loin d'être faibles. Ensemble, ils

constitueraientunbataillonsuffisammentpuissantpourrésisteràunassautsignificatifetprolongé.Si,pensaitJason,cetteforced'assautnecomptaitpasdanssesrangsunArchange.—Ont-ilsprisdesgensaveceux?—Approximativementcinqcentssituadditionnesletout.Ceux qu'Aodhan était parvenu à pister dumoins. Il pouvait y en avoir beaucoup plus avec les

vampireset lesangesquin'étaientengagésauprèsd'aucunecouretquiparconséquentn'étaientpasrepérables.Nivritin'étaitpeut-êtrepasArchange,maisentantqu'angeaupouvoirreconnu,elleavaitrégnésurunevastebandedeterritoiresouslecontrôledeNeha.

Jasonn'avaitrienentenduquimontraitquelesgensdeNivritineluiavaientpasétéfidèles.Etdetellesloyautésavaientladentdure.Troiscentsansn'étaientpasuneéternitépourunevied'Immortel.

—As-tuétécapabledeglanerquelqueinformationsurleurdestinationéventuelle?—Justecesous-continent.(Lesyeuxd'AodhandivisèrentlerefletduvisagedeJasonendeséclats

innombrables.)C'estunsecretquiaétébiengardé.Pas surprenant. Ceux qui avaient suivi Nivriti devaient savoir que si Neha découvrait cette

conspiration, elle traquerait sa sœur avant que cette dernière ne soit prête pour la bataille, ettermineraitl'exécutionqu'elleavaitcommencéeilyavaitdenombreusesviesmortellesdecela.

—Unjourprochain,ditJason, jeseraiautoriséà tedévoiler l'importancedeceque tuviensdem'apprendre.

Aodhandéployasesailes.L'airautourdeluirayonnadecouleursquandlespapillonsperchéssursesépaulesprirentleurenvol.

—JeteverraiàNewYork.—Oui.Bonvoyage,Aodhan.Pendant qu'il regardait l'ange décoller, une écharde de lumière dans le ciel, il semettait déjà à

calculerchaqueangleduproblème.Cenefutpasavantlematinsuivant,lecielencorenoirdenuages,qu'iltrouvalaréponse.—IlesttempsdeparleràNehadelarésurrectiondeNivriti.—Oui.Le sangdeShabnam... réclame justice àgrands cris. (Des sillonsprofonds autourde la

bouchesensuelledeMahiya.)Qu'as-tudécouvertpourchoisircemoment?Lorsqu'illeluidit,elleenrestabouchebée.—TujouesàlarouletterusseavecuneArchange.Iln'avaitjamaiseupeurdelamort,delasienneentoutcas.MaisilnepermettraitpasqueMahiya

soitsacrifiéesurl'auteldelaguerrequiétaitsurlepointd'éclater.Cettebatailleétaitnéed'unevieillequerelleetd'uneanciennerancœur, tenaceetamère.NivritiaimaitMahiya,maiselledétestaitNehaencoreplus.Quiconqueprisaumilieudeleurconflitseraitdétruit.

IlimaginaMahiyalesailesbrisées,levisagefracassé,lesyeuxpleurantdeslarmesdesang,etsutqu'il lui forcerait la main si la situation l'exigeait. Il n'y gagnerait que sa haine, mais il ne laregarderaitpasmourir.PasMahiya.

—Àquoies-tuentraindepenser,luidemanda-t-elledoucement?Tun'étaispluslàpendantuneseconde.

Il pensa la laisser dans le vague, se décida finalement en faveur de la vérité. Sa réponse futimmédiate.

—Jenepourraisjamaistehaïr.Ilyamêmeplusdechancesquej'aimeNehaplutôtquejenetehaïsse.(Embrassantlalignedesamâchoiredeseslèvresdoucesethumides,elleajouta:)D'accord,Jason.Tuasplusd'expériencequemoidansleschosesdelaguerre-jeferaicequetumediraspourcettefois.

Jasonavaitprévud'approcherNehatoutseul,maisMahiyacroisalesbrasetsecoualatête.—Jelaconnaisautrementmieuxquetoi,etplusquetunepeuxl'imaginer.Surtoutquandils'agit

duseulsujetàproposduquelellen'estpasrationnelle.— Je veux que tu sois en sécurité. (Personne n'avait jamais été pour lui ce que Mahiya était

devenue.)UneseuleexplosiondecolèredeNehaettuseraisrayéedelacarte.Et ilnepouvaits'imagineravançantdans lemondeensachantqu'ilne reverraitplus l'étrangeet

dangereuxespoirquivivaitdanscesyeuxlumineux.—J'aiacceptétonaideparcequetuesleplusfort,dit-elle,uneémotionbrutedanschacundeses

mots,maisjenemecacheraipasderrièretesailes.C'estmoncombatetjen'agiraipasenlâche!Non,Jason.

Avantqu'ilaitatteintcetéquilibreinexplicableavecMahiya,avantqu'elleaitrevendiquéundroitsur lui, il l'aurait immobilisée et enfermée quelque part, et aurait accompli sa tâche avant mêmequ'elles'enrendecompte.Lacolèrequiseseraitensuivien'auraitquepeucompté.Maisdésormais,ilcomprenaitquiétaitMahiyaet réalisaitcequecetactepouvait luivoler. Il savaitque le lui refuserseraitluiprendrequelquechosequineluiseraitjamaisrendu.

Cequiexpliquaitpourquoielleseposaitmaintenantavecluidanslesjardinsquisurplombaientlelac,alorsquelecoucherdusoleils'attardaitàl'horizon-Jasonavaitutiliséletempsdutrajetpourréduire le champ des possibilités sur l'emplacement probable de l'armée deNivriti.Mahiya l'avaitaidé en rassemblant unmaximumd'informations en questionnant demanière habile les plus vieuxdomestiques.

Nehasetenaitseulesurlebordduprécipiced'oùlesmursdufortplongeaientenflèchedansl'eau.

Elleregardaitverslacitéencontrebas.— J'ai entendu dire que les gens deRaphaël entraientmaintenant commebon leur semblait sur

monterritoire,dit-elled'untondeglace.—Aodhanavaitdesinformationscrucialespourmamission.LesplisdusagesarivertqueNehaportaitcejour-làflottèrentautourdeseschevillesquandellese

retourna.Sesailesformaientdesarcsparfaitsdanssondos.—Dois-jesupplierpourobtenircesinformations?—Loindemoicettepensée,dit-ilhumblement.(Ilgardaitsanscesseàl'espritlaprésencerésolue

deMahiyaàsescôtés.Ilsavaitque,malgrélesconsignesqu'illuiavaitdonnées,ellenefuiraitpassileschosestournaientmal.)Quoiqu'ilensoit,lesenjeuxontchangé.

Nehacaressalapeaudoréed'unserpentenrouléautourdesonbrascommeunbraceletvivant.—Jevois.(Unelueurmenaçantedansleregard.)Tuasbrisélesermentdesang.Ill'auraitfaitsansremordssicelaavaitpermisdesauverMahiya,maisleschosesétantcequ'elles

étaient,iln'avaitplusbesoind'agirainsi.—Parmesactes,jeprotègelesintérêtsdelafamille.Neha, Nivriti etMahiya étaient les dernières descendantes directes d'une ancienne lignée. Avec

NehaetNivritisurlepointdeselivreruneguerrefratricide,Mahiyaincarnaitleseulespoirdesurviedecettebranche.

—Tudoiscouriraprèsquelquechosedevaleurenvérité,situosesjoueravecmoi.— Pas de valeur... Mais intrigant. (Il savait que Mahiya écoutait ce qu'il disait, et pourtant il

n'enrobapasleschoses,ayanttotalementconfianceensonintelligence.)Macuriositén'estpasencorerassasiée.

Le regard deNeha, aussi froid que le sang de la créature à son bras, passa dumaître espion àMahiya.

—Tun'aspasbesoindenégocieravecmoipourelle,Jason.Tueslebienvenuiciettupeuxresteràcettecouraussilongtempsquetulesouhaites.

—Jesuisl'undesSeptdeRaphaël,luirappela-t-il.JedoisbientôtrepartiretjevousdemandedelibérerMahiyapourmoi.

LesyeuxdeNehaprirentsoudainunéclatdeglace.—Pourquoitecéderais-jemonjouetpréféré?EllefitunmouvementdupoignetetMahiyasetorditdanslesairs,soncouployéd'unemanière

quiindiquaitqu'ellenepouvaitplusrespirer.La fureur, noire et violente, déferla dans les veines de Jason, mais il la garda sous contrôle.

Manifesterlemoindresigned'attentionenversMahiyaseraitlafindecettenégociationavantmêmequ'elle ait commencé, et, àmoins que laCascade aitmodifié les choses, ce pouvoir deNeha étaitrelativementfaible.EllenepourraittenirMahiyaainsilongtemps.

—Parcequecequej'aiàvousdirevousprocureraunesatisfactionbienplusgrande.—JepeuxdéchirertonespritcommelepapierderizdesterresdeLijuan.—Non,réponditJason,vousnelepouvezpas.Ilsentitalorssoncontactmentalplanantcontresesboucliers,lesgriffantviolemment.LesyeuxdeNehas'écarquillèrentetlacolèrefitplaceàlafascination.—Incroyable.C'estcommesitonespritportaitunecarapaceenonyx.Raphaëlavaitfaitunedéclarationsimilairelorsqu'ilavaittentéd'atteindrel'espritdeJasonafinde

lui apprendre - ironie de la situation - comment protéger ses pensées d'une tentative d'intrusion.Aucundeceuxqu'ilsavaientconsultés,pasmêmeJessamyouKeir,leguérisseur,n'avaitjamaisvuouentenduparlerdequelquechosedesemblablechezunangeaussijeune.—Peut-être(leregardintelligentdeKeirposésurcevisagetropjeune)l'as-tucrééavantmêmede

savoirqu'ils'agissaitd'uneimpossibilité.Unedéfenseinstinctive.Jasonavait toujourspenséqueKeiravaitvujuste.Seuleteffrayéalorsqu'iln'étaitencorequ'un

bébé,ilavaitdûapprendreàseprotégerd'unmondetropgrand,tropdangereux,tropvide.—Vouspouvezmetuer,dit-il.(Iln'yavaitriendeplusvrai.)Maisenagissantainsi,vousperdrez

l'informationquejedétiens.—Tuferaisdemoitonennemiepourdesfrivolités?JasonentenditMahiyatomberderrièrelui,sutqu'elledevaitêtreblessée,maisneseretournapas

encore.—Jenepensepasquevousmeconsidérerezainsiaprèsavoirentenducequej'aiàvousdire.Mahiya inspirait douloureusement de grandes gorgées d'air. Elle avait au moins trois côtes

cassées.Effondréeau sol, ellepeinaà s'asseoir etprituneprofonde inspirationavantd'yparvenir.C'étaitcommeavoirdespoignardss'enfonçantdanssonfoie,maislebrouillardquiobscurcissaitsavue se dissipa et elle put voir distinctement Jason et Neha. Le visage de l'Archange affichait uneexpression froide, celui de Jason un masque impénétrable. Son tatouage était encore plusspectaculairesouslalumièredusoleil.

Toutàcoup,Nehasemitàrire,d'unriresincère,pleindeplaisir.—Jesavaisquej'avaisbienchoisi.LesangdeMahiyaseglaça.Laprisedeconsciencefutpourellecommeunevaguedefroiddans

sesveines.—JepeuxoffrirquelquechoseàJasonqueRaphaëlneserajamaiscapabled'égaler.Jasonneserendraitpascompte,necomprendraitpas,maiselleconnaissaitcetteexpressionsurle

visagedeNeha.Elleavaitdéjàvucettelueurdanssesyeux,aprèsdesquerellesavecEris.Celan'avaitjamaismenéàriendeconcret,maismaintenant,Erisétaitmort.

Ravalantladouleurquimenaçaitdefairevolerenéclatssespensées,elleessayad'atteindrel'espritdeJason.Ellen'avaitjamaisoséfaireunechosepareille,carcelaimpliquaituneintimitéqu'iln'avaitpassouhaitépartager,maisilfallaitqu'ilsacheàquoiils'exposait.

Lorsque ses pensées se heurtèrent au noir luisant et rigide de ses boucliers et ricochèrent, lapanique l'envahit de ses ailes papillonnantes, mais elle s'efforça de rester calme, de se montrerpatiente.Siellen'yparvenaitpas,JasonpourraitparinadvertanceinsulterNehaetlepayerdesavie.Jenelalaisseraipastetuer,Jason.Non.Prenantuneautreprofondeinspiration,elleessayadenouveaudel'atteindre,réalisaavecunfilet

dedésespoirqu'elleétaitbientropfaiblepouravoirquelqueimpactquecesoitsurunbouclieraussisolide,dontlarésistanceallaitau-delàdecelledudiamant.Ilétaitpeuprobablequ'ilremarquâtmêmesestentatives,surtoutquandl'Archange,d'aprèssesdires,venaitelleaussid'éprouversesdéfenses.

Reculant, elle concentra toutes ses pensées à la recherche d'un autre moyen pour attirer sonattentionouprovoquerunediversion.Es-tublessée?Unevoix,clairecommelesond'unecloche...danssatête.L'émerveillementnédecelienqu'ilavaitinitiéavecelleauraitdûlaparalyser,siellen'avaitétési

effrayée pour lui.Non, ça va,mentit-elle, capable de goûter à l'obsidienne brillante de sa fureur.Jason,écoute,ilyaquelquechosequetudoissavoir.

Unsilence,maislacommunicationrestaitouverte.Ellesefichecomplètementdemoi.Jenesuisqu'unjouetpourelle,ainsiqu'ellem'aappelée.Mais

elleteveut.Nehan'estpaslepremierArchangeàvouloirs'arrogermescompétences.Non.Elleretintsonsouffle,tâchad'expirercalmementalorsqueladouleurluilancinaitlapoitrine.Tuesblessée.Quelquescôtescasséesn'aurontaucuneimportancesinousmouronstousdeux,alorsécoute.Elle

neveutpasdetescompétences,elleteveuttoi-pourêtresonnouvelaffilié.

LavoixdeNehabrisaleuréchangesilencieux.—Jenem'attendaispasàcequ'unecréaturesifaiblet'intrigueautant,maiselleestindubitablement

d'uncertainintérêt.Trèsfugace,toutefois.(CettedéclarationexpédiaitlecasdeMahiya.)Cequej'aiàt'offrirdépassetoutcequetupeuximaginer.Elleaperdulatête.Mahiyacillaàl'évaluationnaïveémiseparJason.Non, Neha a tous ses esprits. Au contraire. Elle sait que tu ferais un affilié fort, dangereux et

intelligent.Jasonétaitunhommequetoutefemmeseraitfièred'avoiràsescôtés.Ettuesbeau.Nehaatoujoursétéattiréeparlabeautéchezunhomme.BienqueJasonsoitunelamenuecomparéaujoliornementqu'étaitEris.Seule la folie peut l'aveugler à ce point. Il faudrait être bien stupide pour accepter l'offre d'une

femmequiaemprisonnésondernieraffiliépendanttroiscentsans.Mahiyafaillitsedécrocherlamâchoire.Évidemment,présentécommecela...—J'ai besoin d'un affilié, disaitNeha. (Elle s'avança jusqu'à la lisière du jardin. Son regard se

perditsurlelac,dontlasurfacereflétaitlecielbleu,quiviraitàl'horizonversunrougeorangé.)Jeneteveuxpaspouramant,donctupeuxgarderMahiyacommedistractionsitulesouhaites,maisjet'offreunpouvoirquetun'atteindrasjamaisàlacourdeRaphaël.Jasonrestasilencieuxpendantunlongmoment.

—Jenem'attendaispasàunetelleoffre,finit-ilpardire,commesiNehal'avaitprisaudépourvuetqu'ilavaitbesoindetempspourmettredel'ordredanssesidées.

Oui, pensaitMahiya, observant le visage de Neha quand elle se retourna vers Jason. C'était labonne option. Refuser de but en blanc serait une insulte que l'Archange n'oublierait pas etpardonneraitencoremoins.

—Unaffiliédoitavancerauxcôtésd'unArchange,ajouta-t-il.Etjepréfèrelesombres.—Mondernieraffiliéétaitunecréaturedelalumière,éblouissantetmagnifique,etilm'atrahie.Desmotscassants.J'aibesoindetonaide,MahiyaGeet.Étonnéeparlatendressedesontimbremental,quelquechosequ'ellen'avaitjamaisperçudanssa

voix,ellemitunesecondeàrépondre.ElleaimeencoreEris,ettuesunhommetropfierpourêtreavecunefemmequienpleureunautre.Lesuis-je?Seslèvress'incurvèrent.LeriredeJasonétaitcachéenprofondeur,làoùlalumièrenepénétrait

passouvent,maisilexistait.Tul'es,dit-ellefermement,profitantqueNehafûtpréoccupéeparJasonpourseremettresurpied.—Cettefois,poursuivitl'Archange,unaffiliéquirestedansl'ombremeconviendraittrèsbien.Jasons'inclinaplusbasqueMahiyanel'avaitjamaisvufaire.Sesailessedéployèrentdetouteleur

amplitude. C'était une vision à couper le souffle ; les couleurs du soleil couchant jouaient sur lesplumesdejaisdansunflamboiementdeflammèchesnoires.Lorsqu'ilsereleva,sonexpressionétaitaussiindéchiffrablequed'habitude,maissavoixs'étaitadoucie.

—Jesuissincèrementflatté.—Mais?

LetondeNehaétaittranchantcommeunefaux.—Maisbienqu'Erisvousaittrahie,ildétienttoujoursvotrecœur.Nehasoupirabruyammentaumilieudusilence.—Jenesuispasentraindet'offrirl'amour.—Jesais.(Jasonrepliasesailesavecunsoinméticuleux.)Maisjesuisl'undesSeptetj'aipuêtre

témoind'uneréelleharmonieentreunArchangeetsonaffilié.Uneharmonienéed'unlienducœur.Sij'acceptais,jeconnaîtraistoujourscemanque.

LacolèredeNehabalayasescheveuxnoirsdesonvisage,unelégèrelueurembrasantsesailes.—L'affiliéedeRaphaëldevraitêtremorte.Elena,sesouvintMahiyatroptard,avaitjouéunrôlecrucialdanslamortd'Anoushka.—Pourtant,réponditJasondanslafoulée,Raphaëlseraitprêtàs'attaquerauCadreplutôtquedela

laisserêtreblessée.Vousneferiezpasdemêmepourmoi.Nehaledévisagea,légèrementconfuse.—Jenem'attendaispasà tantde romantismede tapart, Jason. (Son regardbascula rapidement

versMahiya.)T'attends-tuàtrouveruntelamouravecça?Mahiyasentitune tempête léchersessens,serenditcomptequecen'étaitpas l'expressiondeses

propressentiments.Jason.—Jen'attendsd'ellequedudivertissement,dit Jasond'un tonsicalmequesiMahiyan'avaitpu

sentirsafureurdanssonesprit,ellen'enauraitjamaisdevinél'existence.Maisj'entendsprofiterdecedivertissementselonmesconditions,surmonterritoire.

Lorsqu'ellesedétourna, lesailesdeNehabalayèrent le tapisd'herbe,aussidouxqueduvelours,quelesjardiniersentretenaientavecleplusgrandsoin.

—Jeteladonneraisilesavoirquetudétienss'avèreaussiprécieuxquetulepenses.Mahiyasavaitqu'ilsn'obtiendraientpasmieux.Nehaprendraittouteautretentativedenégociation

commeuneattaquecontresonhonneur.Nousdevonsaccepter.Etjeterlesdés.—Lameurtrière d'Eris et des autres n'appartient pas à votre cour. (Jason avança pour venir se

tenir aux côtés deNeha.Les ailes dumaître espion deRaphaël contrastaient demanière frappanteavecleblancpoussièred'indigodecellesdel'Archange.)Etellenesetrouvepasdanslesparages,maismessourcesm'indiquentqu'ellereviendraicidanslesheuresquisuivrontlecoucherdusoleil.

Le cœur de Mahiya se serra à l'idée de savoir sa mère si proche. Jason avait été surpris dedécouvrirquel'assautauraitlieusitôt,maiscelafaisaitcruellementsens:Nehaétaitblesséeparlamortd'Eris,etdoncplusvulnérable.

Lescheveuxdel'Archangeétaientsoulevésparunventquepersonned'autrenepouvaitsentir.—L'unedesesputes?Mahiyaserralespoingsjusqu'àcequesesongless'enfoncentdanssespaumes.—Jeneportepasdejugement.(LaréponsedeJasonétaitarticuléed'unevoixneutre.)Maisjesuis

presquesûrque,jusqu'àcemeurtre,ellenel'avaitpastouchédepuisplusdetroiscentsans.Nehadevintd'uneimmobilitéabsolumentinhumaine.Commesielleavaitcesséd'existerdanscet

instantetcelieu,pourpartirailleurs.—Tuinvoqueslesmorts.Perturbée par l'étrange écho dans la voix de l'Archange,Mahiya frotta le duvet de ses bras qui

s'étaitdressésouslecoupdel'inquiétude.—Jenepensepas,ditJason.Etjecroisaussiquecettefemmerassembleunearméeencemoment

même.LesailesdeNehaclaquèrentbrutalement.—Viens.

Surcesmots,elledécollapoursurvolerlejardinetlelacavantdes'éleverenspiralesverslefort.Jasonlasuivit.Tuesblessée.Attendslà.MaisMahiyaétaitdéjàdanslesairs.Jepeuxmereposerplustard.Battredesailesinfligeaitunepressionterribleàsacagethoracique.Ladouleuratrocemenaçaitde

l'emporter,maisellenepouvaitfairedemi-tour.Mahiya.Ellesentitqu'ilhésitait,qu'ilétaittentédelaforceràseposer.J'aibesoindesavoir,dit-elle,ouvrantsoncœur,lecœurd'unepetitefillequin'avaitjamaisconnu

ledestindesamère.Unepause.Alors,utilise-moi.Passûredecomprendrecequ'ilentendaitpar là,elles'accrochanéanmoinsà la forcedeminuit

qu'ellepouvaitsentirdanssonesprit,etseposaauFortProtecteurseulementquelquessecondesaprèsNehaetJason.L'Archangeneremarquamêmepassaprésence,avançantavecdéterminationversunesectiondufortqueMahiyaavaittoujoursconnuefermée.Elleavaittentédel'explorerunefois,quandelleétaitenfant,etavaittrouvélelieubloquépardesdécombrestroplourdsàdéplacer.

Maintenant,Nehatouchaitcesmêmesdécombres,ydessinaitdudoigtunmotifcompliqué...etcettepartiedusoldisparutpourdévoilerunescalier.LecœurdeMahiyacognaitsifortqu'elleétaitsûreque l'Archange l'entendrait.Chaque battement saccadé appuyait contre ses côtes brisées,mais cettedouleurétaitéclipséeparlarévélationbrutalequivenaitdesefairejourdanssonesprit.Ici,elleétaiticipendanttoutcetemps.C'étaituncridelamentation.Ellen'yestplus.Souviens-toi.Refrénantvivementsonanxiété,Mahiyaenroulaautourd'elleleparfumdeJasonets'engouffraà

sasuitedansl'escalierpuisdansuncouloiréclairépardesampoules.Fixéesàdesappliquesmurales,ellesprojetaientunedoucechaleursurlesmursdepierre.Plusieursavaientgrillé,alorsqued'autresétaient prises dans des toiles d'araignées. Des indications silencieuses du temps qui s'était écoulédepuis que quelqu'un avait emprunté ce passage pour la dernière fois. Quelquesmètres plus loin,Nehaempruntaunautreescalierquis'enfonçaitencoreplusprofondémentsousterre.

Leslumièresiciétaientdesampoulesnues,etlecouloirlui-mêmen'étaitquedelaterrebattue...Laseulepièceàsonextrémitéétaitunfossécreuséàmêmelesoletfermépardesgrillescroisées,quiplongeait dans l'ombre ce qui se trouvait derrière. Neha avança la main sans hésiter et alluma lalumière.Uneclartéviolenteinondalacellule.Elleétaitvide.

Mahiyavacilla,seraittombéesiJasonn'avaitagrippésamain.Mahiya.Çava.L'airseprécipitadanssespoumonsquandellerepritsarespirationetréfléchitàcequ'ellevoyait:

dumétalfonduoùdesmenottesdevaientavoirpendudepuislesmurs,desmarquesdebrûluresautourdelabrèchedanslesbarreauxdelacellule.Quellequesoitlapersonnequiavaitsauvésamère,elleavaitutiliséunchalumeaupourlalibérer.Promis.

IllarelâchaavantqueNehapuisselesvoir.Àquelpointes-tublessée?Jesuisdéjàentraindeguérir.C'estjuste...cetendroit.Aufondd'elle,elleavaiteupeurqu'ilsnesesoienttrompés,quesamèrenesoittoujoursenfermée

danscelieudecauchemar.Unecréaturefaitepourlescieux,gardéesilongtempsdanslesténèbres...Sesailesdevaientêtreabîmées.Ellen'apaspus'enfuirenvolant.

Celasignifiequ'elleaétésecourueilyaplusdesixmois.Sionmedemandaitdeparier,jediraisquecelaaétéfaitquandRaphaëlaexécutéUram.

Lemondeétaitalorsenpleinchaos,etNehaavaitsouventàs'absenterdufortpourlesaffairesduCadre.

Uncrideragelacéralesilence.Nehamarchaitdelongenlargedansuntelétatdefureurquedelaglacejaillitd'unmur,etdesflammesd'unautre.Mahiyaparvinttoutjusteànepasêtrebrûlée...etsonmouvementd'esquivelaplaçaenpleinelignedemiredeNeha.Leregarddel'Archangelaclouasurplace,froidcommelamort,etMahiyasutquesonheureétaitvenue.

Du noir chatoya devant ses yeux. Elle ne voyait plus que les ailes de Jason qui était venus'interposer.Non,Jason,non!Vul'humeurdanslaquelleNehasetrouvait,ellel'exécuteraitsansmêmeyréfléchir.—L'informationenvalait-elle leprix?dit-il alorsque la jeune femme tentaitde repousser ses

épaules,deleplacerhorsdedanger.Un silence mortel, la glace se fendit et tomba à leurs pieds, le feu se consuma en laissant de

grandestracesnoiressurlesmurs.Lecouloirn'étaitpluséclairéqueparl'uniqueampoulequiavaitsurvécu.LeriredeNeha,cettefois-ci,étaitsuffisammentinhumainpourserrerleventredeMahiya,etpourtant,ilrecelaituncertainamusement.

— Je comprends,maintenant, Jason. Tu as un faible pour les oiseaux aux ailes brisées, et ellem'aurait fait un bel otage. (Cette justification semblait faire plaisir à Neha.) Très bien, tu asadmirablementremplilesermentdesang.Prendscetoiseaublessé.Garde-la,laisse-ladansquelquenid d'aigle protégé, je m'en moque. Je n'ai aucun besoin d'un otage quand je peux arracher lesmembresdemasœuradoréedemespropresmains.

LesgenouxdeMahiyaflanchèrentpresque,etseulesaprisesurJasonluipermitderesterdebout.Jesuislibre...etmamèreestsurlepointdemourir.

Dmitri prit en main plusieurs affaires liées à la Tour. Il faisait son possible pour soulager la

chargedetravaildesesremplaçants,cequiincluaitnotammentd'envoyerunangeexpérimentéhorsdel'Étatpournégocieravecunautreangequipensaits'octroyerunfiefindépendantducontrôledelaTour.

Celafait,ildiscutaavecIllium.—Autrechosed'urgentquetudevraisrégler?—Non,Aodhandevraitavoirletempsdes'installer.—Bien.(Dmitriavaitconsciencequel'angeseraithorsdesonélément,maisilavaitconfianceen

lui.Ilnedoutaitpasqu'ilseraitcapabled'endossercerôledechef-dumoinsjusqu'àuncertainpoint.Aodhanet Illiumétaient tousdeuxbienplus jeunes,avaientmoinsd'expérience,maisensemble, ilsreprésentaientuneforcedangereuse.)Tusaiscommentmejoindresituasbesoindemoi.

—Dmitri. (Des yeux dorés bordés de cils noirs aux extrémités bleues rencontrèrent les siens.)Prendssoind'Honor.Je teprometsdenepasmettre le feuà laTouren tonabsence.Jenesaispaspourquoitoutlemondes'estaffoléàlavued'unpeudefumée.

Conscientquel'angeauxailesbleuesessayaitd'allégersonhumeur,ildit:—Jesuisrassuré.Laisse-moijusteappelerlespompiers.Ilraccrochasurlerired'Illiumetjetauncoupd'œilpardessussonépaulepourvérifierqu'Honor

allaitbien,commeill'avaitfaitunmillierdefoisdurantlajournée.Il avait déplacé son bureau dans la chambre, ne s'était jamais éloigné d'elle plus de quelques

minutes.Ilnevoulaitpasqu'ellepuisseseréveillerseule.Aveclatoxineprovoquantdesravagesdanssonsystèmesanguin,ellepourraitpaniquer.—Seras-tutoujourslàlorsquejemeréveillerai?—Toujours.Unefoisassuréqu'elleallaitbienetquesarespirationétaitcalme,ils'efforçaderetourneràson

travail.Lesarbresderrièrelafenêtrebruissaientsouslacaressejoueuseduvent.Deuxjoursencoreavantqu'ilpuisselaréveiller,avantqu'ilpuisseentendresavoixdenouveau.Deuxjoursencore.

Mahiyan'eutbesoinquedequelquesminutespourempaqueter leschosesqui luiétaient lesplus

chères. Le sac était misérablement petit, mais elle avait toujours su qu'un jour elle quitterait cetendroit.

—Jen'aiprisaucunbijou,saufceuxquiétaientdescadeauxpersonnels,dit-elle.(Ilnes'agissaitpaslàd'unequestiondefiertéstupide,maisdesécurité.)JenepeuxrisquerqueNeham'étiquettedevoleuseetexigemonretourenguisedepunition.

—Tun'aspasbesoindecourircerisqueeneffet.(Jasoneutunhochementdetêteappréciateuràlavuedelatuniquesimpleetdupantalonqu'elleavaitenfiléspoursonvolhorsduterritoiredeNeha.)Jeteprêteraicedonttuasbesoinpourdémarrerunenouvellevie.

Latensionquiavaitnouésondosàsapremièrephrases'évaporaàlaseconde.—Merci. (Un prêt impliquait un remboursement.Ainsi, elle ne se verrait pas dépouillée de sa

libertéfraîchementacquiseendevenantdépendantedelui.)Tonsac?—Rienquinememanquera. (Il sortit sonépée, lavérifia,et la fitglisserdenouveaudansson

fourreau.)Donne-moiletien.—Iln'estpaslourd.Conçupourêtreportésurleventre,illaissaitlesaileslibres.Ilsecontentades'ensaisiretlepritd'uneseulemain.—Tescôtesn'ontpasencorecomplètementguéri,alorsnediscutepas.—Jeleprendraiàlamain,justecommetulefais-aumoinsjusqu'àcequenoussoyonssortisdu

fort.Tuasbesoinquelestiennessoientlibressijamaistuavaisàtebattre.Ses épingles à cheveux pourraient se révéler utiles s'ils se trouvaient acculés, mais une épée

maniéed'unemaindemaîtremettraituntermeauproblèmeavantqu'elleaitbesoind'enarriverlà.Tuastoi-mêmetendanceàdonnerdesordres,princesse.Endépitdesasombredéclaration,illuirenditlesac.—Viens,nousdevonsyaller.Mahiyafitunpassurlebalcon,hésita.—Vanhi,jenepeuxpaspartirsansluidireaurevoir.—TulaverrasauRefuge,elles'yrendaumoinsunefoisparan.EtNehatienttropàellepourlui

interdiredecontinueràtevoir.Sur ces mots, il quitta le balcon pour atterrir gracieusement dans la cour, les ailes déployées.

Étonnée,ellelesuivitensilence.Qu'est-cequinevapas?JenefaispasconfianceàNeha.Ellepourraitnousfaireabattredansleciel.Mahiya partageait sa crainte, le toit du fort était hérissé d'un nombre croissant d'armes

antiaériennesenvueduretourdeNivriti.Unsimple«accident»suffiraitpoursedébarrasserd'uneangeimportuneetdumaîtreespionquilaprotégeait.Lestunnels,dit-elle,est-cequeVenint'adonnéunecarte?Oui.Resteaussiprèsdemoiquepossiblesansgênermesailes.Elledécouvritlaraisondesonordrequelquesmomentsplustard,lorsquedeuxgardesprenantla

direction de leur palais les dépassèrent sans même un salut de la tête, alors que Jason et elle setenaientdansunealcôvejusteàcôté.Devinantqu'ilsavaientsimplementvuunemared'obscurité,ellese fit l'ombre de Jason pendant qu'ils progressaient dans le fort, avançant avec précautionmais àallurerégulière.

Aulieudetraverserlescours,Jasonchoisitdepasserparl'intérieur,empruntantdescouloirspar

ailleurs déserts et franchissant une à une de lourdes portes jusqu'à se retrouver dans un jardinetseulementéclairéparquelquesphotophores.C'était,sesouvenait-elle,l'annexed'unpalaisdésaffecté.Comme les bougies l'indiquaient, le jardin était fréquenté par de rares couples à la recherched'intimité,maispersonnen'étaitassissurlesbancscesoir-là.

Jason s'arrêta dans l'obscurité après la porte qu'ils venaient de franchir, et elle vit des ombrestourbillonnerautourdesbougiesunmomentplustard,faisantdisparaîtrelafaiblelumière.Peux-tuvoir?Pasbien.Unemainchaudeagrippalasienne.Sedéplaçantaveclagrâcefélined'unhommeaussiàl'aiseparunenuitsanslunequ'enpleinjour,

Jason la conduisit aucentredu jardin, et jusqu'aupiédestal sur lequel se tenait la statued'uneangesansnom,lesailesdéployéespourprendresonenvol.Unetorsionaupoignetdroitdelastatue,suivieparunetractionvivesursonaileopposée,etl'undescôtésdupiédestals'ouvritenpivotant.Leseuilétaitétroit;cetteentréen'étaitpasconçuepourunêtredotéd'ailes,maisMahiyafitabstractiondesaclaustrophobienaissanteetentra.LachaleurducorpsdeJasonluifutunréconfortappréciablequandilentraàsasuite.

Unesecondeplustard,laporteserefermait.L'obscuritélugubregrouillaitdefantômesauxlanguessifflantes.Ellepensaqu'elleallaitsombrer

dans lapanique, jusqu'àcequ'une lueurdouceemplisse l'espace.Unebouledechaleurflottait justedevantelle.Cen'étaitpasunechosedontellel'auraitcrucapable;luidontlapuissancesemanifestaitenteintesdeminuit,maiselleenétaitplusquereconnaissante.Merci,dit-elle,capablederespirerdenouveau,maintenantqu'ellepouvaitvoirqu'iln'yavaitpasdeserpentsautourd'elle.

LebrasdeJasonl'enlaça.Desescaliersdanslestunnelsvonts'ouvrirsoustespieds.Aussitôtquecelaseproduira,vas-y.Ilappuyasurquelquechosedanslemuretlamoitiédusoldisparut.Dépêche-toi,princesse.Mahiyan'avaitpasbesoinqu'il luiexpliquepourquoi.SiNehachangeaitd'avisetdécidaitde les

tuer, elle le regretterait peut-être plus tard et y verrait une tache sur son honneur, mais cela nechangerait rien au fait qu'ils seraientmorts.Utilisant la lumière qui planait devant elle comme unflambeau,sesaileséraflant lesbordsde l'escalierétroit,elleprogressa jusqu'àun tunnel toutaussimince.

Deuxminutesplustardenviron,ellefinitpardébouchersurunegaleriebienpluslarge.Tourneàgauche.Jasonmarchait désormais à ses côtés.Tousdeuxn'étaientplus contraintsd'avancer courbés.Un

seultyped'empreintesprécédaitlesleursdanslapoussière.Venin?Iladitqu'ilconnaissaitcestunnelscommeunserpentconnaîtsonrepaire.Commes'illesavaitconvoquésàcesmots,deuxserpentssefaufilèrentsousleurspieds.Mahiya

s'arrêta,examinalacouleurdeleurpeautannéeetlaissaéchapperunsoupirdesoulagement.Ilsnesontpasvenimeux.Nehanetrafiquaitpaslanature,saufquandelleavaituneraisonprécisedelefaire.Jasonluilançaunregardscrutateur.Tun'aspaspeur?Pasdanslalumière,répondit-elleavechonnêteté.Cenefurentpaslesseulsserpentsqu'ilscroisèrent,maislaplupartvoulaientsimplementqu'onles

laissetranquillesousemontraientjustecurieux.Unseuleutuncomportementagressif,etilconnutunemortrapidesouslalamed'obsidiennedeJason.Soncorpstombaenpoussièreenunefractiondeseconde.

—Est-ce l'effet de l'épée ? demanda-t-elle à voix haute, sentant qu'ils étaient suffisamment loinpourquelesonneportepasjusqu'àlasurface.Lefeunoir?

—Non.Maiselleestunvecteurtrèsefficace.Saréponsen'étaitpasunesurprise,pasquandelleavaitsentisaflammedeminuitplusd'unefois.—Lestunnels...—J'aienvoyéunmessageàRhysjusteavantnotredépart.—Bien.Ellenevoulaitpashandicapersamère,maiscommeJasonavaiteuventdeleurexistenceetdeleur

possibleutilisationtactiqueavantquelesermentdesangnesoitconsidérécommeaccompli, restersilencieuxauraitternisonhonneuretmissavieendanger.

—Plusvite,Mahiya.Lesmusclesdesesmolletscommençaientàfatigueralorsquel'inclinaisondestunnelsaugmentait.

Elle conserva son souffle et sa force jusqu'à ce qu'ils sortent enfin... depuis une trappe dans leplancherdutempleenruineoùelleavaittrouvél'oursenpeluche.

—PourquoiVeninn'a-t-ilpasutilisécelaplustôt?Lasortieétaithabilementdissimuléedansunesombrealcôve.—Ilcraignaitsansdoutequelaportenesoitcoincée,aprèstoutcetemps.Ilahuilélescharnières

pournousavantdepartir.(Ilalladansuneautrealcôveetenrevintavecunsac,misdecôtéparVenin,supposa-t-elle.)Desarmes,aucasoùonenauraitbesoin.

Elle se frotta levisagepour sedébarrasserde la finepoussièrequi s'y étaitdéposée.Des toilesd'araignéesdevaientsansdouteparsemersescheveux.Ellelaissatombersonsacdansuncoinetentradansunevastesalledelapartienondétruitedutemple.

—Jenepeuxpaspartir.Ladéclarationsansambagesfutformuléeavantmêmequ'elleaiteuconsciencedefaireunchoix.—Jesais.Uneterribledouleursedéployadanssapoitrineàcettesimpleacceptation.—Silemondechangeaitbrutalementetqu'ellesetenaitlà,faceàmoi,jecourraisdanssesbras

commeunpetitgarçon.Ilauraitétéplussagederestersilencieuse,denepaslepousserdanssesretranchements,maisune

viedemursetdesecretsn'étaitpascequ'elledésiraitavecsonmaîtreespion.—Me raconteras-tu ? dit-elle, lui demandant de partager une partie de son histoire avec elle,

mêmes'ilnepouvaitfairedemêmeavecsoncœur.Commentest-ellemorte?Jason s'appuya contre lemur à l'arrière du temple abandonné, ses oreilles à l'écoute du vent. Il

n'apportaqu'unseulmot.Nivriti.L'attente ne sera pas longue, pensa-t-il, devinant que l'ange obsédée par la vengeance avait un

espionauseindufortl'ayantaussitôtinforméequesafilleétaithorsdeportéedeNehaetnerisquaitplusdeservird'otage.

Sonregards'attardasurlafemmequisetenaitadosséecontreunecolonnequiavaitsurvécuauxravages du temps. Son visage était un modèle de force et de vulnérabilité mêlées. Attendant saréponse,attendantqu'il lui raconteuncauchemarqu'iln'avaitpartagéavecpersonnesurcette terre.Maiscetteprincesseavaitdescauchemarsbienàelle.

C'est peut-être ce qui le décida à parler.Oupeut-être était-ce à cause de la chaleur lumineuse àl'arrièredesonespritqu'étaitlaprésencedeMahiya.Ilauraitpulabloquersanslemoindreeffort.Ilétaitcertainqu'ellenes'étaitmêmepasrenducomptequ'elleavaitmaintenulaconnexiondepuisqu'ill'avait autorisée à franchir ses boucliers.Mais il aurait détesté la repousser - il avait l'impressionqu'elleétaitentréeenlui.Pasdemanièreindiscrèteouindésirable,justelovéecontreluicommeelleaimaitl'êtreaulit,lamainposéesursoncœur.

—Onluiavolésavie,commença-t-il,puisantsesforcesdanscedouxrayonnement,alorsquejen'étaisencorequ'unenfantauxailestroplourdespoursoncorps.Tremblant,ils'efforçadenepass'appesantirsurcetterouillequin'enétaitpas,etpritappuipour

sortirdutrou,refermantlatrappeavecprécaution-leregardalerte-afindenepasfaireunbruit.Ceregards'arrêtaalorssurlemur.Ilnevoulaitpasseretourneretvoircequigisaitdel'autrecôté,cequi avait obstrué la trappe. Mais le mur était éclaboussé de cette rouille qui n'en était pas. Parendroits, les fines plaques rougeâtres, réchauffées par le soleil qui se déversait par les lucarnes,avaientcommencéàfondre.L'estomacrévulséetlecœuraussifigéquedelapierre,ildétournalesyeuxdumurpourlesposer

ausol:cedernierétaitsillonnéd'unmarronpâle,sespiedsavaientlaissédepetitesempreintessurleboisverni.Lacrassedansletroun'étaitpashumide.Pasaudébut.Maisaprès.Unefoisquelescriss'étaientéteints.Ilfermalespaupières,maispouvaitencoresentirlarouillequin'enétaitpas.Etilsavaitqu'ildevaitseretourner.Qu'ildevaitregarder.Elle l'observait depuis l'autre côté de la pièce, ses jolis yeux marron voilés d'une blancheur

anormale.Labasedesanuqueétaitbordéedesang,làoùlatêteavaitétéposée,surlatableducoin,commesielleavaitétéplacéelàdanscedessein.Ilnehurlapas.Ilavaitapprisànejamaislefaire.Aulieudequoi,ilregardalemorceaudeviande

quiavaitbloquélatrappe.Uncorpsvêtud'unfourreaudesoied'unecouleuraméthystebrillante.Améthyste.Samèredisaittoujoursqu'ils'agissaitlàdesacouleurpréférée.Améthyste.Il lui avait fallu du temps avant de pouvoir le prononcer correctement, et elle riait de plaisir

chaquefoisqu'ilemployaitcemot,sescheveuxnoirsetbrillantsdansantdanslevent.Le tapiscraquasoussespieds. Il serenditcomptequ'ilétaiten traindes'activer,de traîner les

tronçonsportantunhaut couleuraméthyste vers l'autrepartiequiallait avec, qu'il lui ajoutait desbrasetdesjambesetlesplumesensanglantéesetarrachéesdesesailesd'unblancargenté.Ilavaitlapoitrinetendueparl'effort;lesmorceauxétaienttroplourdspoursespetitsmuscles.Maisildevaitlefaire.Lesmorceaux restésdans l'ombren'avaientpas été séchéspar les rayonsdu soleil, et sesmains

devinrentunefoisdeplusglissantes,couvertesd'unrougesombre.Lorsquelatêteluiéchappaetallaheurterviolemmentlesol,ilsemorditfortementlalèvreavantdelasouleverdenouveau,repoussantd'unecaresselescheveuxquiétaienttombéssurlesyeuxdesamère.—Jesuisdésolé,Maman.Ilavaitlescheveuxdesamère,sapeau,sesyeux,disait-elletoujours.Maisaujourd'hui,sesyeuxà

ellen'étaientpascommeilfallait,nesouriaientpascommed'habitudelorsqu'elleleregardait.Installantenfin sa tête làoùelledevait se trouver sur soncorps, il s'agenouilla sur le tapisqui

imprimaittoujoursdescroisillonssursesgenouxetdit:—Réveille-toi,maintenant.Samèreétait immortelle, toutcomme lui.Seulementâgéedequatrecent soixante-cinqans,mais

celasuffisait.Lesangesvivaientpourtoujours.C'étaitceque leshumainsracontaient,d'aprèssamère,maiselle luiavaitpréciséque lesanges

vivaientsimplementtrèslongtemps.Illuisecoualesépaules.Sapeauétaitfroideaulieud'êtrebrillanteetdouce.—Réveille-toi.Ilessayaitdenepassesouvenirdecequ'elleavaitditd'autre,maissesmotss'infiltrèrentdansson

esprit,danslalanguelyriquedel'îleoùelleétaitnéeetavaitvécujusqu'àcequ'ellesoitemmenéeà

l'écoledansunendroitqu'elleappelaitleRefuge.— Les anges peuvent mourir. C'est une chose difficile mais pas impossible. Particulièrement

lorsqu'ilssontjeunes.Ilregardaitmaintenantlemorceaudeviandevêtudesoieaméthysteetilsutcequecetroudanssa

poitrinesignifiait.Soncœuravaitdisparu,arraché.Elleavaitaussiuntrouauniveaudel'estomac.Etsatête...ellen'avaitpasététroplourdeàsoulever.Parcequ'ilyavaituntrouenelle,làencore.Touslesorganesinternesdesamèreavaientdisparu.Unangedesonâgeetdesapuissancenepouvaitseréveillersanseux,nepouvaitserégénérer.

Malgrétout,illasecoua,lasommadeseréveiller:—Réveille-toi!Réveille-toi!Réveille-toi!Jusqu'àcequ'ilréalisequ'ilétaitentraindehurler,alorsqu'ilétaitsupposénejamais,jamaisle

faire.Se contraignant au silence en semordant encore une fois la lèvre jusqu'au sang, il recoiffa les

cheveuxdesamèreetsereleva,posaunemainensanglantéesurlapoignéedelaportepourl'ouvrir.Lesilencel'accueillitdel'autrecôté.Ilsuivitlatracedesangséché,déterminéàtrouverlesorganesdesamère.S'illesremettaitenplace,elleseréveillerait,illesavait.Sesailestraînaientausol,striantdepoussièreetderougelesparquetspolis,etilsutquesamère

legronderait.Ilétaittoujourssupposélesgarderau-dessusdusolafinquesesmusclesnécessairesauvolsedéveloppent,maisilétaitsifatiguéetaffamé.—Jesuisdésolé,Maman,chuchota-t-ilencore.Jeteprometsquejeferaimieuxdemain.Quandelleseseraitréveillée.Dehors, le soleil à son zénith était aveuglant. La lumière se réfléchissait sur le sable blanc de

l'autrecôtédujardinluxuriantdesamère.L'eauétendaitsonhorizonbleusansfindevantlui.Ilbattitdespaupièresjusqu'àcequelespointsdevantsesyeuxs'évanouissent,etpoursuivitsatâche.Lapistemarron-noir séchéepar le soleil contournait lamaisonetmenaitàcequiavait été lepetitabridejardinoùsonpèreconstruisaitdeschoses,commelesinstrumentsquesesamisemmenaientpourêtrevendusauRefuge,oulesjouetsqueJasonaimaittant.Avant.Lafumées'élevaitencoredesresteseffondrésdel'atelierdesonpère,maislefeuavaittoutdévoré

et s'endormaitpeuàpeu.Lespoutres tombées luisaient encoredesdernièresbraises. Il savaitqu'iln'était pas supposé s'approcher du feu, mais il avança malgré tout, repoussant de ses mains desmorceaux encore incandescents. Lorsque les braises lui brûlèrent la peau, roussirent ses plumes, ilrepoussa ladouleuretcontinua,envoyantpromeneràcoupsdepied lescendreset lesmorceauxdecharbonjusqu'àcequ'ildécouvrelatêtedesonpère.Soncrâneroulaitsurlesollescavitésoculairesvides.Lecorpsdesonpère-quin'étaitplusque

desosnoirscarbonisés-gisaitdansunautrecoindupetitbâtiment,etJasoncompritquesonpèreavaitfaitbrûlerlesorganesdesamèretoutcommelessiens,etqu'ils'étaittranchélatêteenutilisantlamachettequ 'ilavait fabriquée...etqu 'ilaurait faitdemêmeàJasonsicedernieravaitémis lemoindrebruit lorsquesonpère l'avaitappelé,une foisque leshurlementss'étaientéteintsetque lesangavaitcommencéàs'infiltrerparlatrappe.

Maispeut-êtrequesonpèreavaitfaituneerreur,pensa-t-ilsoudainavecunelueurd'espoiraufond

delui.Peut-êtrequelesorganesdesamèreavaientsurvécu?Ilrecommençaàfouillerlescendres,lapeaubrûlanteetlevisagenoirciparlapoussière.Ilcreusa

etcherchaavecacharnement,laissantpartoutdestracesrougesetcollantesquandsapeaupelaetquesesmainsbrûléescommencèrentàsaigner.Àlanuittombée,ilcompritqu'iln'yavaitrienàtrouver.Lesorganesinternesdesamèreavaientétéréduitsenpoussière.—SeulunImmorteltrèspuissantpeutsereleverdescendresetdesflammes.(Desyeuxmarronque

l'inquiétudeetlesoulagementrendaientbrillants.)C'estpourcelaquetunedoisjamaisjoueraveclefeu,Jason.Mêmemoi,jenepourraissurvivreàunincendies'ilatteignaitmoncœuretmonesprit,ettun'esqu'unbébé.Lesailestraînantsouslalumièreducroissantdelune,ilavançajusqu'àlapartielaplusprochede

leurlagon,selavadansl'eauchaudeetpeuprofonde.Samèren'aimaitpasquandilrentraitsaleàlamaison,alorsilcontinuaàfrotterencoreetencorejusqu'àcequelesangetlapoussièreaientquittésoncorps.Sapeauàviflepiquaitdansl'eausalée.Commesesvêtementsétaientsales,illeslaissasurleporcheoùelle lesprenait toujourspourles laver.Sesailesétaientruisselantesd'eau,alors il lesdéployaetlessecouaavantderentrer.Mamanluidonnaittoujoursunbaisersurlajoue,ettapotaitsesailesavecundouxtissupourles

sécher,maiscejour-là,ildutlefairelui-même.C'étaitdifficile-sesailesétaientplusgrandesquesoncorps,etilnepouvaitenatteindrelesextrémités.—Commeça,monbourdon.Écoutant le souvenir, il étala le tissu sur le sol et s'allongea dessus commeMaman et son père

l'avaientfaitunefois,tousdeuxriantaprèsunbain,leursailesscintillantdanslalumièredusoleilpendantqu'ildécrivaitdejoyeuxcerclesau-dessusd'euxcomme«ungrosbourdon».C'étaitunbonsouvenir,quiremontaitàl'époqueoùsonpèren'étaitpasencoredevenucetétrangerquiverrouillaitlaportedesachambreetfaisaitémettreàsamèredespetitscrisdouloureuxquitordaientleventredeJasonjusqu'àcequ'ilneparvienneplusàrespirer.Unefoisséché,ilmitdesvêtementspropres,etmêmes'iln'étaitpassupposéporterdeschaussures

danslamaison,ilpensaqueçairaitpourcettefois-ci,parcequelesolétaitsisale.Quandilfutprêt,ilalla jusqu'à laporteà l'arrièrede lamaisonetsortitvers l'endroitoùsamèregardait leschosesaveclesquelleselletravaillaitàsonjardin.Elleaimeraitêtreprèsdesongroshibiscusjaune,sedit-ilencommençantàcreuser.C'étaitsaplantepréférée-quandilluienapportaitunefleur,ellelamettaittoujoursderrièresonoreille,oùelleresplendissait«vivecommeleleverdusoleilcontrelasoienoire»desescheveux.C'estsonpèrequiavaitditçaavantdel'embrasser.Avant.Iln'étaitqu'unenfant.Celaluipritdeuxjourspourcreuserletrou.Ilnevoulaitpasmettresamère

enterre,maislesmouchesavaientcommencéàtournerautourd'ellemalgrélesdrapsqu'ilavaitprisdanslesautrespiècesetdéployéssurelle.Ilsavaitqu'ellen'auraitpasaimécela.Alorsaprèsavoirutiliséuntapispourtireravecdouceurlesmorceauxdesoncorpsdanslafossequ'ilavaitcreusée,ilplaçaunefleurd'hibiscusdanssescheveuxetlacouvritdesonchâleaméthystepréféré.—Jet'aime,Maman.

Puis il commença à jeter la terre dans le trou, par-dessus sa mère. Ses larmes coulaientsilencieusementetsansdiscontinuerlelongdesesjoues.Ilavaittropbienapprisànejamais,jamais,fairedebruit.Quandlafossefutremplieetqu'ilsutqu'aucundespetitsanimauxdelaforêtneseraitcapabledeladéranger,ilallasurlaplageramasserdescoquillages,encoreetencore,jusqu'àcequelatombeentièrescintilleetbrilledescourbes,destortillonsetdel'éclatdelamer.Delourdesfleursd'hibiscussurmontaientlemonticule.Puisilplaçalesosdesonpèredansunsacetletirasousl'épaisseurhumidedesarbres.Lepoids

étaittroplourdpourqu'ilpuissevoler.Ilnesutpascombiendetempsilmarchaettira.Longtemps.Parfois, il se reposait.Mais il finit par atteindre le petit lagon encerclé par unepetite barrière decorailquijouxtaitl'atollprincipalcommeunjumeauquineseseraitpascomplètementdéveloppé.Ilétaitautoriséàjouerdansleurlagon,maispasdanscelui-là.Sonpèreluiavaitditqu'ilyavait

unvolcanaucratère trèsprofondsous la surface.Cevolcan, il faisaitquelquechoseà l'eau,avaitbrûlélesyeuxdeJasonlaseulefoisoùils'étaitmontrécurieuxetétaitvenul'explorer.Soncœurbattantcontresescôtessousl'effort, ils'élevadanslesairsetvolaau-dessusdulagon

interdit. Il laissa tomber le sac dans son cœur noir, et le regarda couler dans la gueule du volcanenglouti. Pendant que le lagon dévorait son père, et bien que Jason voulût le détester, détester,détester,soncœurluifaisaitmal.Il se souvenait de ce que sonpère lui avait appris sur le corail, sur les créaturesmarines...Ou

encore comment travailler le bois pour en faire des instruments qui produisaient une musiqueenvoûtante... Savision sebrouilla jusqu'à cequ'il nepuisseplus rienvoir. Il sutqu'il devaitpartiravantdetomberdanslelagoninterdit.Etirantsoncorps, ils'élevadanslesairsets'éloigna.Il fuitaussi loin que ses muscles fatigués et ses ailes lourdes le lui permirent avant de s'arrêter et deregarderautourdelui.Leuratollétaitd'unvertémeraudeauxlagonsscintillants.Ilnepouvaitencoreenfaireletouren

unejournéedevol,maisilprojetaitd'yparvenirquandilseraitplusgrand.Samèreavaitditqu'elleviendraitaveclui, luimontrerait tous lesendroitssecretsqu'elleavaitdécouverts,maismaintenant,ellen'étaitpluslà.Iln'yavaitpersonned'autre.Ilétaittoutseul.LecœurdeMahiyas'étaitbriséunmillierdefoisenécoutantlerécitdeJasonetenpensantàce

petitgarçonsiseul,terrifiéettriste.Ellesavaitpourtantquel'hommequiluifaisaitfacen'étaitpluscegarçondepuisdescentainesd'années.Ellenepouvaitbalayersapeineetluidirequetoutiraitbien.

Jasonavaitapprisàsesdépensqueparfois,riennepouvaitréparercequiavaitétécassé.Elle avança vers lui sans réfléchir. Cela semblait simplement la chose à faire. Tout comme de

glissersesbrasautourdeluietdeposersajouesursapoitrine.Parfois,unsimplecontactpouvaitdirebienplusquedesmots.Alorselleletintcontreelleetsentit

de nouvelles larmes luimonter aux yeux quand les bras de Jason l'entourèrent pour la serrer fortcontrelui.LesmainsdeMahiyaétaientsouslesailesdel'espionqui,lui,avaientposélessiennessurlesailesdeMahiya.Etc'étaitcommesicettemanièredes'enlaceravaittoujoursétélaleuretleseraitencoredansmilleans.

—Monpère,murmuraJason,sajouecontrelatempedelajeunefemme,étaitunhommeautalentincroyable et au caractère passionné. Sa Néné était tout pour lui. (Des ailes noires vinrent autourd'elle.Unecaressedeminuit.)Peut-êtrequesonattachementpassionnelpourmamèreauraitpuêtretempéré s'ils avaient été autorisés à vivre en paix parmi les autres, ou peut-être que ces ténèbresétaientleprixàpayerpoursontalent...Maisill'aimajusqu'àl'obsession,jusqu'àcequ'iléloigneunà

untousleursamisavecsajalousie.Mêmelesfemmesn'étaientpluslesbienvenues,ilcroyaitqu'ellescherchaientàladétournerdeluiavecleurscontessurleRefuge.

Cetisolementtotal,pensaMahiya,avaitlaisséunefemmeetunenfantauxprisesavecunhommedontl'amourétaitdevenuunnœudcoulant.

—Tamère...Elles'interrompit,s'apercevantunpeutardquelaquestionluicauseraitunepeineterrible.Maisil

avaitcompriscequ'elleavaittu.—Elle est allée contre les souhaits de sa famille en acceptant de partir vivre avec lui,mais ce

n'étaitpaslafiertéquil'empêchaitdemeprendreavecelleetderetournerauRefuge.C'étaitl'amour.(Sesbrasseresserrèrentautourd'elle.)Mêmequandsajalousieaaugmentéaupointqu'ilimaginaitqu'elleavaitunamantsecret,quiluirendaitvisitependantlesraresmomentsoùilvolaitjusqu'àuneîle proche pour cultiver des fruits. Même quand il a commencé à la battre d'une manière qui nelaissaitd'autresmarquesquecellesdanssonregard.

Mahiyavoulaits'emportercontrelamèredeJason,lasecouerdesatorpeur.Pourquoin'avait-ellepuprotéger son filsd'une tellehorreur ?Pourtant, alorsmêmequ'ellehurlait silencieusement à ladouleur qui avait forgé l'homme dans ses bras, elle savait que les émotions n'étaient jamais aussisimplesqu'ellesparaissaient.

L'amourdeNehapourErisn'enétaitqu'unexempledeplus.—Jesuisdésolée,dit-elle.Cesmotscontenaienttoutesatristesse,toutesafureur.En réponse, Jason lui caressa ledos.Soncœurbattait fort et régulièrementcontre la jouede la

jeunefemme;soncorpsétaitunefournaiseetsapuissancesemblaitsiimplacablequ'elleauraitdûenêtreterrifiée.Maisils'agissaitdeJason.Jamaisilneluiferaitdemal.Ellesavaitcelaauplusprofondd'elle-mêmeavantmêmequ'ilneluiaitparlédecepasséquiluipermettaitdecomprendrepourquoiilvenaitenaideaux«oiseauxblessés».

Unélancementdedouleur,maislebesoinqu'elleéprouvaitderamenerJasondecettehorreurétaitplusfort.Ellevoulait lui rappelerque lemonden'étaitpasfaitquedepeine,desouffranceetde laperteinévitabledesêtresaimés.Sereculantjusteassezpourpouvoirleregarderdanslesyeux,ellepensaàtoutcequ'illuiavaitdit,enextirpaundésircaché.

—Sais-tunager?demanda-t-elledanslesilence.(Lanuitétaitcalmeautourd'eux.Seulunlégercliquètementparmilespierrestrahissaitlaprésenced'unlézardcurieux.Lepetitreptile,d'unvertdejoyau,finitpardisparaîtreenunbrusquezigzagdanslacrevassedumur.)Tuasditquetujouaisdanslelagon.

LaquestionsurpritJason.Ils'étaitattenduàcequelafemmedanssesbrasluidemandedesdétailssurlamanièredontilavaitfinalementatteintleRefuge,maiscechangementdesujetpourlemoinsinattenduledétournadesessouvenirspénibles.

—Commeunpoisson.Jet'apprendraisituveux.Tous les anges pouvaient flotter, leurs ailes soutenues par l'eau.Mais cette flottaison naturelle

rendait la nage athlétique difficile, particulièrement les plongeons en profondeur. Les parents deJasonluiavaientenseignédesastucespourencontrerl'effet,aumoinssurdecourtesdurées.

—J'aimeraisbien.Le sourire deMahiya fit fondre la glace qui s'était formée dans le cœur de Jason pendant qu'il

parlaitdespertesquiavaientirrémédiablementchangélecoursdesavie.—Ilyaautantdelibertédansl'eauquedanslecielsitusaist'ydéplacer,luidit-ilenl'attirantun

peuplusprèsdelui.Seul et sans parents pour s'alarmer qu'il aille trop loin, il avait appris à s'élancer dans les

profondeurs,sesailescolléesàsondos.Nivriti.

IlrelâchaMahiyaaumurmureduvent,repliasesailes.—Viens.Ilsortitdutempleetencontournalamassesombre,avecMahiyaquilesuivaitsilencieusement.Il

regardaendirectiondufort,àlarecherchedumoindresignedecombat.Ilnevitrien...jusqu'aumomentoùildéplaçasonregardsurladroite.Lecielnocturneétaitundrapnoir,lescintillementdesétoilesoccultéparunearméed'ailes.Ces

ailesluisemblèrent«bizarres»jusqu'àcequ'ilserendecomptequ'ellesétaientdunoirlepluspur.Danslamesureoù,àsaconnaissance,aucunangevivantn'étaitdotéd'ailescommelessiennes,celasignifiaitqu'ellesavaientététeintespourmieuxsefondredanslanuit.Lestroupesvampiriquesausoldevaientsetrouveràquelquesminutesdufort.C'estfou.LavoixhorrifiéedeMahiya.Mêmeaveccettearmée,mamèrenepeutespérergagnerun

combatcontreNeha.Jasonnepouvaitlacontredire.SiimpressionnantesquesemblassentêtrelesforcesdeNivriti,elles

étaientdérisoirescomparéesàlagarnisondufort-quireprésentaitseulementunfaiblepourcentagedesressourcesoffensivesdontNehadisposait.Tunedevraispasregarderça.Non...Jedevraisyêtre.Jeneconnaispeut-êtrepasNivriti,maiselleestmamère,etNehan'arien

faitpourméritermaloyauté.Jasonsetournapourlaclouerduregard.Situteprésentessurceterrain,tuneferasriend'autre

quedistraire tamère.Nehat'utilisera, feraensortequeNivriti teregardesaigner.Tues tropfaiblepourêtreautrechosequ'unhandicap.

Mahiyavacilla.Cequetuviensdedireétaitcruel.Lacruautéestparfoisnécessaire.Tuesfort,rétorqua-t-elle.Tupourraisaidermamère-maistueslâche,àtecacherici.Ilneluipermitpasdevoirl'effetquecetteclaquementaleeutsurlui.Àl'instantoùjeposelepiedsurcechampdebataille,j'entraîneRaphaëlettoussesgensdansune

guerre.Desmilliers,desmillionsdepersonnesmourraientdesconséquences.Mahiyasemblasefaner,lesyeuxposéssurlesailesnoiresàl'horizon.Jesuisdésolée,jelesavais...Jenedevraispaspassermacolèresurtoi.Pardonne-moi,Jason.Ilpouvaitsentirsonchagrin.C'estdéjàoublié.Se tournantdosaumur, elle se laissaglisser le longdecedernierpour se retrouverassisepar

terre.Iln'avaitencorejamaisvuledésespoirquiselisaitsursonvisage.Sonbelespoirbutéétaitsurlepointdes'éteindre.Jel'aiattenduesilongtemps,etmaintenant,ellevamourir.Jasontournalevisageverslescieux.Resteici.Ils'élevadanslenoircloutéd'étoilesavantqu'elle

nepuisseposerunequestion,semêlantauxombresdelanuitavecuneaisanceinstinctive.Puisilsedirigeadroitversl'arméequiapprochait.Ilrejoignitsanspeineleurprogressionlenteetmesurée.

Ununiquecrid'alertes'élevadusolquandilsefitvoir.Élevantunemainpourempêcherlesarcsdetirer,unefemmequiétaitsansaucundoutepossiblelasœurdeNehasedétachadugroupepourallerverslui.Ilsentitsatouchementale,choisitdenepasl'accepter.

Impérieuseethautaine,elles'arrêtafaceàlui,battantdesesailesnonpeintespoursemaintenirenposition.

—Maîtreespion.Cettefemme,pensa-t-il,avaitbeauavoirtransmisàMahiyaledessindélicatdesonvisage,levert

etlebleuvifsdesesailes,ellen'étaitenriencommel'enfantàquielleavaitdonnélavie.Sonregardétincelaitd'uneragedévorante.

—Vousdevriezparleràvotrefilleavantdevouslancerdanscettemissionsuicide.Sesyeuxs'écarquillèrentavantquesonrireemplissel'air,rauqueetdouxàlafois.—Ah,unetelleconfiance.(Seslèvressetordirent.)Mène-moiàelle.Jasonnefutsurprisnidesonmanqued'inquiétudefaceaurisqued'embuscadenidesonmépris

total à saproposition implicited'une retraite.L'amouret lahaineavaient tousdeuxune tendanceàaveugler,àanéantirlaraison.

—Ellen'estpasloind'ici.LeFortProtecteurbourdonnaitd'activitéquandilsallèrentautemple,etcelademandaunebonne

combinaison de synchronisation et de chance pour amener Nivriti à se poser sans être repérée.Mahiyan'étaitpaslàoùil l'avait laissée-ellesetenaitsurlesmarchesdutemple,unearbalèteàlamain,prêteàtirer.

Ilsouritpresque.Ilsavaitquelefouetdecolèrequis'agitaitdanslalumièrefauvedesesyeuxétaitdirigécontrelui,àcausedelamanièrecavalièredontill'avaitquittée.MaiscefouettombaaussitôtpourrefléterunchocfoudroyantlorsquesonregardseposasurNivriti.

Lebruitsourddel'arbalètetouchantlesolsortitMahiyadesastupeuretdesonimmobilité.Ellesebaissaparréflexepourlaramasser,sansquitterdesyeuxlafemmequiavançaitverselle,vêtued'unpantalondecombatencuir,etdotéed'ailessisemblablesàcellesdeMahiya.

—Mafille.(Unmotmurmuré.LesdoigtsdeNivritiseposèrentsurlajouedesonenfant,quiétaitsubmergéeparleflotd'émotionsquisedéversaitdanssonâme.)Mafilleadorée.

Cette fois-ci, Mahiya ne se soucia pas de l'arbalète lorsqu'elle tomba à nouveau. Des larmesstriaientsonvisagequandelleallaseréfugierdanslesbrasdesamèrepours'abandonneràundouxsentiment de sécurité.À cet instant, peu importait queNivriti fût unmonstre qui avait arraché sesorganesinternesàunhommeetbrutaliséunefemmesansautreraisonquecelledefairesouffrirsapropre jumelle.Rien d'autre n'importait àMahiya que d'être étreinte avec amour pour la premièrefoisdesavie.

Nivritimurmura,savoixétaitunemélodiechantante.— Elle pensait me faire souffrir enme racontant ce que tu endurais, mais l'assurance quema

précieuseenfantétaitenvieétaitleplusbeaucadeauqu'ellepouvaitmefaire.PrenantdanssesmainslevisagedeMahiya,ellesereculaetl'embrassasurlefront.— J'ai lutté pour rester en vie et ne pas perdre l'esprit quandmes ailes ont pourri et quemes

souvenirsontmenacédesedésintégrer.J'ailuttépourtoi.Jenet'aijamaisoubliée.—Moinonplus,murmuraMahiya.(Audiablecequ'elles'étaitracontédebonoudemauvaisaufil

dessièclessursamère, laseulechosequ'ellen'avait jamaisfaiteavaitétédel'oublier.)Tun'espasforcéedefairelaguerreàNeha.

L'expressionsurlevisagedesamèrechangea.Toutedouceurdisparutdesestraits.—Si.Ouellenem'accorderajamaislapaix.Matrèschèresœurabesoindevoirquemesgriffes

ontpoussé.(UnsourirequeMahiyaneputdéchiffrer.)C'estcurieuxdevoircequipeutcroîtredansun sous-sol sombre, alors que d'autres choses pourrissent. (Sur cette déclaration énigmatique, elletournabrutalementlatêteversJason.)Jetechargedelasortirdelà.

Jasondemeuraindifférent,telleunesombresentinelle.—JenesuisniàvotreserviceniàceluideNeha.LaréactiondeNivritiàcettedéclarationdeloyautéquinelaissaitplaceàaucuneambiguïténefut

paslacolèremaisunriredepurplaisir.—Jevoispourquoiilt'attire,dit-elleàMahiya,maissouviens-toi,ilresteunhommeetn'estdonc

pas digne de confiance. (Ses yeux brillaient d'un éclat aussi dur que celui d'un diamant quand elledéployasesailes.)Jetereverraibientôt,mafille.

Mahiyaavait lesyeux rivésaucielquandsamère s'élevaavecunegrâceparfaite, soncorpsnegardantaucunetracedesalonguecaptivité.

—Mamèreestlibredepuisplusieursannées,finit-ellepardire.Sesailesonteubesoind'aumoinsunanpourserégénérer.

—Peut-être.LetondeJasonétaitmystérieux.—Qu'as-tuvuquim'aéchappé?Aveugléeparlesémotions,ellesavaitqu'ellenepouvaitfaireconfianceàsonseuljugement.Mais

enceluideJason?Toujours.—NivritiesttropconfiantepourunangesurlepointdelivrerbatailleàunmembreduCadre.(Il

regarda par-delà le fort, suivit des yeux l'armée deNivriti.) Et elle vole avec trop de force et detechniquepourquelqu'unquiasubidesannéesd'emprisonnementsousterre.

— Comment ceux qui l'ont secourue, demanda Mahiya lentement, savaient même où elle setrouvait?

Ellenes'inquiétapasdeparleràvoixbasse,lebruitauProtecteurétaitassourdissantalorsquelestroupesemplissaientlescieux.

—Toutes les loyautésne sont pas cequ'elles semblent être. (Desmèches libresdes cheveuxdeJason voletaient doucement sous le vent froid de la nuit.) Si Nivriti s'estmontrée futée, elle a dûplaceraumoinsl'undessiensdanslacourrapprochéedeNehalorsdelaformationdecettedernière.

Et même les Archanges, pensa Mahiya en effleurant les doigts de Jason, pouvaient faire deserreurslorsqu'ils'agissaitd'accorderleurconfiance.

JasonrefermasamainsurcelledeMahiya.—Regarde.

Suivant son regard, ellevit un ange s'éleverpour allerplanerdirectement au-dessusduFort del'Archange.Lalueurdepouvoirmeurtrierquiémanaitdesasilhouetteindiquaitqu'ilnepouvaits'agirquedeNeha.Mahiyatournalatêteversladroite,espérantquesamèreétaitprotégéeparlamassedesesguerriers,maisnon,ellevolaitàlatêtedesonarmée.NehacommençadesedirigerversNivriti.Cettedernièrefitdemême.Lestroupesdel'Archangeserassemblaientpeuàpeuau-dessusdufort.Leurfaiblenombreétaitunsignedeméprisenversl'arméedeNivriti.Nehaétaitsisûred'ellequ'ellen'avaitdéployéqu'unescadron.Quandlesjumelless'arrêtèrentau-dessusdelaville,Mahiyasutqueleshabitantssousellesdevaientleverdesyeuxémerveillésetterrifiésàlafois.Parcequelorsqu'unArchangeluisaitainsi,desgensmouraient.

NehaetNivritistoppèrentleurcourseàmoinsd'unmètrel'unedel'autre,suffisammentéloignéespourqueleursailesnesetouchentpasmaisqu'ellespuissentseparler.Mahiyaauraittoutdonnépourêtredanslecielàcemoment-là,poursavoircequ'ellessedisaient.Maisquellequefûtlanaturedeleuréchange,elleeutl'impressionquesamèrerejetaitsatêteenarrièreenriantavantd'esquisserunerévérencesihypocritequeMahiyaputs'enrendrecomptemalgréladistance.

LalueurdeNehas'intensifia...etNivritilaissaretomberlebrasqu'elletenaitau-dessusdesatête.SestroupesaffluaientverslefortpendantquelesforcesdeNehaconvergeaientpourlesrencontrer.Les deux groupes évitèrent les sœurs au centre du chaos et entamèrent la bataille.Neha etNivriticontinuaientdeplanerl'uneenfacedel'autreaumilieudufracasdesarmesetdestirsd'arbalètesquitransperçaientdesailes.Lesdeuxennemiess'observaientsansciller,engagéesdansunaffrontementdevolontésqueMahiyanepouvaitconcevoir.Tuernonseulementsasœur,maissajumelle...Jenepeuxpasl'imaginer,Jason.Ellessontstupides.Unecondamnationsévère.Ellesnevoientpasquecequileuraétédonnéétait

uncadeauànepasgâcher.Lacompréhensionentonnaunenocturnemélancoliqueetenvoûtantedanssonâme.NehaetNivriti

étaientnéescommedeuxmoitiésd'unmêmetout.Siellesétaientrestéesliéesparl'amitiéetlaloyautéaufildessiècles,NehaauraitétéuneArchangeavecunealliéedesplusfidèlesàsescôtés.EtNivritiauraitété lebrasdroitd'uneArchange, soit laposition laplusélevéeendehorsduCadre.Surtout,ellesauraienteutoutesdeuxquelqu'unenquiavoirconfiancepoursedirelavérité,surquelquesujetque ce soit.Une telle confiance aurait pu leur épargner bien des erreurs, et leur aurait sans douteapportéunevieplusheureuse.

Maisellesavaientgaspillécecadeau.Ellesavaientlaissélafiertéetlavanitélesdéchirer,jusqu'àce queNeha devienne une femme sans affilié ni enfant,mourant d'envie de tuer sa sœur de sang.Nivriti,quantàelle,étaitdésormaisunefemmeconsuméeparlafureurquipréféraitprendrelerisquedenejamaisrevoirsafilleplutôtquederenonceràsaquêtedevengeance.

LalueurautourdeNehasefitd'unblancincandescent.— Feu d'Ange, murmuraMahiya, évoquant la puissance mortelle qui pouvait tuer sur le coup

mêmeunArchange.Jasonsecoualatête.—Nehanepeutencréer,maiscequ'elleproduitesttoutaussimeurtrierquecequefontlesautres

membresduCadre.Tandisqu'ilparlait,unéclairvertjaillitdelamaindeNeha,unechosevicieuseetaussirapideque

lesserpentsquivenaientsifacilementàelle.Nivritirefermasesailesetselaissatomberpresqueaumêmeinstant.Sonesquiveétaitd'unetelle

vélocitéqueMahiyanepouvaitlasuivreduregard.—Qu'est-cequec'étaitqueça?Ellen'étaitpassûredeparlerdeNehaoudeNivriti.—LeCadreappellecetteattaquelefouetempoisonné,réponditJason.Unseuleffleurementdece

fouetcontrelapeauetilrelâcheunetoxinemortellequis'infiltredanslesang.CommeavecleFeu

d'Ange,unArchangepeutrésisteràquelquescoups,maisunangeordinaireenmourraitenquelquessecondes.Uncoupdufouetportéaucœurouà la têteest fatal. (Jasonsuivait lesdeuxfemmesdesyeuxpendantqueNehalançaitsonfouetetqueNivritil'évitaitàunevitessesurnaturelle.)Est-cequetamèreaaussiunpouvoirsurlesserpents?

—Non,lesoiseaux.Ses doigts se crispèrent sur ceux de Jason quand le fouet empoisonné sembla rater d'un fil le

visagedeNivriti.Soudain, le ciel s'embrasa.Les ailes en feu, des anges s'écrasèrent enhurlant sur les toits de la

ville.Jasonsavaitquelamajoritéd'entreeuxsurvivraientàleurchuteetàleursbrûlures.Tantquelatêterestaitattachéeaucorpsetquelesflammesétaientéteintesavantd'atteindrelesorganesinternes,cescorpscalcinés,noircis,continueraientdevivreetdesouffrir.

—LenouveautalentdeNeha,murmuraMahiya.Lefeus'éclipsaenunclind'œil,aussirapidementqu'ilétaitapparudansleciel,maislestroupesde

Nivritiavaientétédécimées,bienqu'elle-mêmeaitétésuffisammentrapidepouréviterletorrentdeflammes.Enguisederiposte,ellefitunsigneétrangeavecsesmainsetunetoiled'araignéed'unvertacide identiqueàceluidu fouet empoisonnédeNeha sedéployabrutalementpourvenir s'enroulerautourdel'Archange,piégeantsesailes.

Nehatomba.Aumoment où elle allait s'écraser sur la cité en flammes, elle brisa net ses liens et stoppa sa

descente.MaisNivriti ne s'avouapasvaincueet continua sans relâched'engluer sa sœurdanscettetoile d'araignée verte. Mahiya crut entendre Neha hurler de rage pendant que l'Archange brisaitencoreetencorelesliensavantderelancerunefoisdepluslefouetempoisonné.

Nivritivoulutl'éviter,maisnefutpasassezrapidecettefois-ci,etlepoisontouchalebordd'unedesesailes.Maiscontrairementàcequelefouetétaitcenséprovoquerchezlesangesordinaires,ellen'enfutpasterrasséeetnetombapas.Aulieudequoi,elles'élevarapidementdanslesairs.

Nehalasuivit,sesailesenflamméesdepouvoir,sesmainscouronnéesdevert.Nivritisetourna,laissa tomber un filet vert qui s'enroula autour deNeha, recouvrant tout son corps.L'Archange sedébattitcommeunemoucheprisedansunetoiled'araignéeettombadenouveau,maiscettefois-ci,latoilevertedevintblancheetsebrisasurelleenmorceauxfragilescommeduverre.Laglace.LedeuxièmeaspectdesnouveauxtalentsdeNeha-maiscommelefeu,cepouvoirsemblaitlimité

carl'Archangenetentapasdegelersonadversairedansleciel.— Jason. (Mahiya s'appuya sur lui ; l'aile de l'espion vint glisser demanière protectrice sur la

sienne.)Mamèredevraitêtremorte,n'est-cepas?—Oui.Pourtant,Nivriticontinuaitd'échapperàNeha.Unmomentplustard,ellefitmêmemieuxquecela.Ellejetasatoilecollanteunenouvellefoissur

Neha. Sachant déjà qu'elle pourrait la neutraliser,Neha ne fit aucun effort pour l'éviter.Mais cettefois-ci, lesmèches vertes enflammées étaient incandescentes, et le hurlement de douleur que lançal'Archangeétaitsiatrocequetouslesguerriersquiselivraientencorebatailledanslecielsefigèrentsurplace.

Mahiyatenditlamain.Àqui,ellenelesavaitpas.Illuisemblaittellementinjustequ'ellesdoivents'entre-tuer.Neha,dontlecorpsétaitléchéparlesflammes,avaitbrisélepiègeàladernièreseconde-etlamèredeMahiyaétaittropprèspourréussiràéviterlecoupdefouetempoisonné.

Lecoupn'étaitpasbienajusté,maisilprovoquadesdégâts.Mahiya réprima un cri,maisNeha n'enchaîna pas par d'autres coups. Son tracé de vol devenait

incertain.—Elleestgrièvementblessée.

Impossible,NehaétaitArchange.Etpourtant...Lefeuléchadenouveauleciel,tombaenpluiesurlavillequis'illuminad'autresfoyersd'incendie.

Sa mère traînait de l'aile. Les mèches vertes qu'elle jeta pour contre-attaquer ratèrent Neha. Deshurlements d'angoisse se firent entendre depuis le sol. La ville commençait à briller d'une lueurorangéealorsquelesflammessepropageaient.

LesangdeMahiyaseglaçad'horreur.Unbesoinbouleversantdefairequelquechoselapritàlagorge.Desimagesdel'enfantdelafabricantedejouetstournaientdanssonesprit.Aumomentmêmeoùelleallaitparler,Jasondéployasesailes.

—Jedoismettreuntermeàcela.—Oui.(Àellesdeux,NehaetNivritidévasteraientlavilleetnes'arrêteraientpas,tropenragées

pour renoncer, alors qu'il était évident qu'elles étaient suffisamment blessées pour que ce combatpuisse être fatal pour l'une commepour l'autre.Ne cherchant pas à comprendrepourquoi samèreavaitétécapabledeblesseruneArchange,elleserralamaindeJason.)Nousdevonslefaire.Ils'agitdemonpeupleetjeneleslaisseraipasbrûler.

Elle se préparait à prendre son envol, mais Jason toucha sa joue dans une caresse fugace etinattendueavantd'opinerlégèrement.

— Les troupes de Neha sont aussi mal en point que celles de ta mère. La voir blessée les adémoralisées.

—J'aidenouveaudelavaleurcommeotage.(Mahiyahochalatête.)Jeresteraiprèsdetoi.Soncœursaignaità lapenséequeJasonpuisseêtreblessépour laprotéger,mais toutcommeil

comprenait son besoin d'agir, elle comprenait qu'il n'accepterait jamais qu'elle affronte le dangerseuleetdésarmée.Mahiya?Cettetendressedenouveau,quelquechosequ'ellen'avaitjamaisentendudanssavoix.Oui?Netefaispasblesser.C'étaitunordre,suiviparunbaiserintensequiluicoupalesouffle.N'ayantpasl'intentiond'arriver

lesmainsvides,Mahiyaramassal'arbalètequ'elleavaitlaisséetomber,etunecaissededixcarreauxsupplémentairesqu'elleaccrochaàsonbras.Elleavaitvoléunevieillearbalèteàungardeplusieursdécenniesplus tôt.Sa raison luiavaitdictéque,contrairementà l'épéeouaucombatàmainsnues,c'étaitquelquechosequ'ellepouvaitapprendreseule.

Dans l'intervalle, elle avait dû en voler d'autres, mais son plan avait fonctionné. Elle s'étaitdébrouilléepoursefaufilerdanslesmontagnesetpratiqueraumoinsdeuxfoisparmoisjusqu'àcequesadernièrearbalètesebrise,cinqansplustôt.Jenesuispasuneexperte,dit-elleàJason,maisjetouchegénéralementmacible.Bien.J'auraibesoinquetusurveillesmesarrières.Surcettedéclarationinattendue,ilsdécollèrent,volantbas,justeau-dessusdelachaleurtorridede

laville,jusqu'àcequ'ilssoientpostéssousNehaetNivriti.Elleavaitpenséqu'ilvoleraitjusqu'àellespourtenterd'unemanièreoud'uneautredelesséparer,maisiltirasonépéeetlapointaverslebas.Unesecondeplustard,unéclairnoircrépitalelongdesesbrasetsursesmainsqu'iltenaitserréessurlagarde,etelleserenditcomptequ'ilétaitentraindetransférersonpouvoirdeminuitàsalame.

Unfiletdesueurinondasonvisage,sesbicepstendus...etlesombrescommencèrentàfondresurlaville,épaissesetlourdes,étouffantlesflammes,arrêtantladouleur.Lesgenshurlèrentd'abordàlavue de cette rivière de soie noire jusqu'à ce qu'ils la voient envelopper des victimes de brûlures,étouffer les flammes avant de reprendre son avancée. Puis ils tentèrent de la diriger vers leurspropresmaisonsetboutiques,maislesombresétaientconduitesparl'espritd'unangedontlecorpscontenaitunepuissancestupéfiante,etellesallaientlàoùellesétaientleplusnécessaires.

Verslesgens.Lesanimaux.Lesbâtimentsoùdesêtresvivantsétaientpiégés.

Lorsqu'unguerriervisiblementhostileavançarapidecommel'éclairversJason,ellen'hésitapasetnecherchapasàsavoiràquellearméeilappartenait.Levantl'arbalète,elleenvoyauncarreaudansson aile. L'assaillant tomba en une spirale incontrôlable qui prit fin lorsqu'il s'écrasa sur un toitdévoré par le feu.Mahiyagrimaçamais remit unprojectile dans son arme, et lorsqu'undeuxièmeagresseursedirigeaverseux,ellevisaettiradenouveau.

Peut-êtren'était-ellepasuneguerrière,maisellenepermettraitàpersonnedeblesserJason.Elle venait juste d'abattre cet ange avant qu'il ne puisse lui-même tirer quand Jason trembla et

relevasonépée.—Lesfeuxlesplusviolentssontéteints,dit-ild'unevoixrauque.Émerveillée par sa force, et lamanière pacifique dont il l'avait utilisée, elle sentit sa gorge se

serrerd'émotion.—Grâceàtoi,ilsontunechancedes'ensortir.Elle pouvait voir les camions de pompiers arroser les bâtiments encore en flammes, les gens

courirjusqu'aulacpourcréerunechaînedeseaux.Jasonavaitlestraitstiréslorsqu'ilsetournaverselle.—Continuedefairefeusurquiconquevenantdanstadirectionetattendsmonsignal.Surcesmots,ils'élevatoutdroitpourvenirplanerentrelesdeuxfemmesenpleincombat.Elle avait toute confiance en ses compétences de guerrier et ne discuta pas. S'il te plaît, sois

prudent.Unseulcoupdufouetempoisonnéoudelatoileacidedesamère,etilneserelèveraitpas.Mais il se contentait de reculer lorsque les jumelles se tiraient dessus. Les coups frôlaient parmoments lebordde sesailes.QuandNivriti concentra ses forcespour lancerunenouvelleattaquecontreNeha,sonbrasfaiblitetlejetmortelfutinvolontairementdirigéversJason.Lemaîtreespionluifitchangerdedirectionavecunrubandefeunoirquijaillitdesonépée.Maintenant,princesse,dit-il,etsontitresonnacommeunmotdoux.Ellesontépuiséleurénergie

pourlemoment.

Mahiyas'élevaàcoupsdepuissantsbattementsd'ailes,s'assurantderesterducôtédela lignede

front de samère, afin de ne pas devenir une proie trop facile pourNeha. Jason opina demanièrepresque imperceptible lorsqu'elle le rejoignit, et elle sut qu'il lui laissait les rênes, manière dereconnaîtrequ'elleconnaissaitlesjoueusesenprésencebienmieuxquelui.

—Tuesentraindedétruiretaville,dit-elleàNeha.Tutuestonproprepeuple.Sesailescontinuantdebriller,Nehabaissalesyeux,fronçalessourcilsetagitalamain.Unemince

couchedeglace se formasur lesendroitsoù levertnocifde la toiledeNivriti avait commencéàbouillonnersurlestoits,lesmurs...etlesgens.Ilgela,puissemblasebriserenmorceauxfigés.Neharéitérasongeste,maissacapacitéàformerdelaglaceétaitapparemmentépuisée.

Cen'étaitpasseulementlafatiguequimarquaitlesdeuxfemmes.LesailesetlecorpsdeNehaportaientlestracesdeblessuresàvifprovoquéesparcemêmeacide.

Sajoueétaitrongéeaupointderévélerl'osdesapommette,sonailegaucheavaituntroudelatailledelapaumedelamainquiauraitimmobilisélaplupartdesanges.Desoncôté,lenezetlesoreillesdeNivritisuintaientd'unsangpresquenoir,quis'écoulaitaussiducoindesesyeux.Lepoisondanssonsangl'attaquaitdel'intérieur.

—Tes troupes sont décimées, ditMahiya à sa propremère, voulant amener cette dernière à seretournerpourvoircombiendesesgensétaientmortsougrièvementblessés.Ettuesaffaiblie.

Nivritibalayal'airdelamain.Lesvaisseauxéclatésdanssesyeuxluidonnaientunregardinjectédesang.

—Horsdemonchemin,enfant.—Ce n'est pasmoi l'enfant ici. (Mahiya tint bon et tenta de les raisonner.)Vous êtes dans une

impasse,etbientôt,vousserezausol,àlutteràmainsnues,pendantquelesmortelsvousobserverontcommeilsleferaientdeclownsdecirque.

Unsilenceglacialchezlesdeuxadversaires.Puissamèrecommençaàrire,etcerireétaitinondéd'unplaisirpresquefou.

—Celaneflatteraitpastonegodémesuré,machèresœur.—Maiscelat'iraittrèsbien,cinglaaussitôtNeha.(Ladouleurimprimaitdessillonsaucoindesa

bouchependantquel'undestendonsdesonailegauchesemblaitsurlepointdecéder.)Tuastoujoursvouluêtresurledevantdelascène.

Nivritihaussalesépaules,essuyalesangdesonnezsursamanche.—Aumoins,jen'aipasprisunemisérablecomédiepourlavéritéetchoisipouraffiliéunhomme

quinem'aimaitpas.—Non,tuasseulementportésonenfantettuluiesrestéefidèlependantqu'ilengraissaitcomme

unmatou.ÊtreprisedansunequerelleentresœursprovoquaitunsentimentdesplusétrangeschezMahiya.

Saufquecettequerelleavaitdéjàcoûtédescentaines,peut-êtremêmedesmilliersdevies.— Mon père, dit-elle après mûre réflexion pour désamorcer ce dialogue de sourds, était un

hommeassezbeaupourfairefondreuncœurdepierre,maisiln'étaitpasfort,etencoremoinsdigned'aucunedevousdeux.

—Mafilleditvrai.(UnegrandeamertumeselutsurlevisagedeNivriti,unechosehorriblequipouvaitdévorerquelqu'undel'intérieur.)Jet'airenduservice,masœur.Ilétaitentraindesouleverlesjupesdel'unedesesnombreusesputes,àn'enpasdouter,à l'intérieurdetonfort,quandjesuisarrivéepourlesecourir.Jesuisdoncrepartieavecquelquescadeaux.

Nehasifflaetfitclaquerlefouetempoisonné,maisaffaibliecommeellel'était,iln'allapasloin.—Cen'étaitpasàtoiderendrejustice.—Commentoses-tudireunechosepareille?(Nivrititentadel'éclabousserdesonacide,échoua

lamentablement.)Aprèsquetuasjouélerôledejuryetdejugeenmêmetemps?Jason, tudoisdirequelquechose.Ellesnem’écouterontpas,quoique jedisedesensé.Eneffet,

ellesnelaprenaientpasausérieux.Leurfiertéestleurpointfaibleàtoutesdeux.Jasons'avança.—Si vous souhaitez vous lancer dans un duel àmort, dit-il d'une voix calme et inflexible qui

requerraitl'attention,nousnenousmettronspassurvotreroute,maisdansvotreconditionphysiqueactuelle, vous finirez par vous donner en spectacle au sol à vous battre bec et ongles comme desécolières.Jesuissûrqu'aucunArchangeouangen'aconnuunemortaussiignominieuse.

Unsilence.Puis Nivriti leva la main et le reste de ses troupes se rassembla autour d'elle, pendant que les

troupesdeNehaseposaient.Leslèvresdel'Archanges'incurvèrentenunsourirefroid.—Fuistantquetulepeux,petitesœur.Jem'assureraiquenousnousrencontrionsdenouveau.Le,sourireaffichéparNivritienréponseétaitaussisombrequelesanggouttantdesesyeux.— Je t'attendrai de pied ferme. (Sur cesmots, elle fit demi-tour et ses troupes reformèrent les

rangsderrièreelleenunegardenoire.)Mahiya.Elle tressaillit enentendant l'ordredesamère,mais lechocne fut riencomparéàceluique lui

infligèrentlesmotsdeJasondanssonesprit.Vaavecelle.C'estlelieuleplussûrpourtoi.Ellevoulaitprotester,argumenter,luidirequesaplaceàelleétaitàsescôtés,maisilsetournait

déjàversNeha.Elleréalisaqu'ilyavaitbienplusenjeuquelesbesoinsetlesdésirsd'uneprincessequin'avaitjamaiseuunroyaumesurlequelrégnerniunhommeàaimer,jusqu'àcequ'elleoffresoncœuràunmaîtreespionennemiauxailesdeminuit.

Maismalgrélagravitédelasituation,ilauraitpuprendreunesecondepourlarassureretluidirequ'illaretrouveraitbientôt.

UnedouleuratrocelatraversaenvoyantJasons'éloignertoujoursplusàchaquebattementd'ailes.Ellesemorditleslèvres,résistaaubesoindel'appeler.Elleavaitdéjàdéposésoncœuràsespieds,ellen'imploreraitpas.Aveclescicatricesprofondesqueportaitl'âmedeJason,ellenes'attendaitpasà cequ'il l'aimeautantqu'elle l'aimait.S'il devait choisir d'être avec elle, il devait le faire en étantlibredetouteautreconsidération

Celan'étaitpassuffisant,etneleseraitjamais,sitoutcequ'iléprouvaitpourelleétaitunsentimentderesponsabilité,undevoirdes'occuperd'elleparcequ'ellen'avaitpersonned'autre.Maintenantquecettedernièreassertionn'étaitplusvraie...Ravalantsasalive,elleatteignitsonespritunedernièrefoisetlelibéra.Prendssoindetoi,Jason.L'escadrondesamèresefenditpourl'accueillirensonseinetserefermaderrièreelleenunmur

infranchissable.Jasons'obligeaànepasseretournerpourregarderMahiya.Ilsavaitqu'àcetinstant,ilétaitcelui

qu'elleconnaissait,qui luiétait familier.S'il luidemandaitdeveniravec lui,elle leferait.Unefoisqu'elleauraitpassédutempsavecNivriti,peut-êtrequelà...

Non, il ne volerait pas le lien familial qu'elle avait une chance de pouvoir tisser, pasmême siperdreleurconnexionmentalependantqu'ellevolaithorsd'atteinte,protégéeparleshommesdesamère, causait en lui un vide douloureux. Il lui donnerait suffisamment de temps et d'espace pourdécidersiellesouhaitaitmarcheràsescôtésmaintenantqu'unenouvellevies'ouvraitàelle.

AprèsavoirescortéNehajusqu'aufortpendantqueRhyss'assuraitdelaretraitedeNivriti,ilgarda

l'œil sur l'aile abîmée de l'Archange quand elle s'apprêta à se poser devant le Palais des Joyaux.Lorsqu'ellevacilla sur lecôtéenmettant lespiedsausol, il atterritvolontairement tropprèsd'elleafinquesontrébuchementsoitattribuéàsamaladresseàluiplutôtqueconsidérécommeunsignedefaiblesseparceuxquiseposaientautourd'eux.

Lafierté,commel'avaitditMahiya,faisaitpleinementpartiedelanaturedeNeha.Elleseredressaens'appuyantsurlui,puisl'ignoraroyalementenpénétrantdanssesappartements

privés,maisilsavaitquepartirmaintenantreviendraitàannulertoutcequ'ilavaitpugagnerjusque-là. Il sortit donc dans la cour pour secourir les blessés. Ce n'était pas parce que les anges et lesvampires étaient durs à tuer qu'ils étaient insensibles à la douleur.Un homme qui savait faire uneinjectiondemorphineoud'autresantidouleurétaittoujoursutileentempsdeguerre.

LorsquelegardeprivédeNehaleconvoquadeuxheuresplustard,lacourétaitpresquevide;lesblessésavaientététransportésdansdeschambresàl'intérieurdupalais.Prenantcongéduguérisseursous la supervisionduquel il avait travaillé, il entra à son tour pour trouverNeha assise dans sonfauteuil qui ressemblait à un trône aubout de la pièceprincipale.L'Archange avait pris unbain etenfilédesvêtementspropres,etonavaitpansésesplaies.

Cesbandagesluiapprirentquelesblessuresguérissaientàunrythmebienpluslentquelanormale-etluiconfirmèrentqueNivritin'étaitdorénavantplusunangeordinaire.

—Alors,tuesunnégociateurdepaixmaintenant?LetondeNehaétaitdangereusementneutre.—Vousêtesl'undesArchangeslesplusrationnels,répondit-il.(MalgrélesactionsdeNehaaprès

lamortd'Anoushka,c'étaitvrai.)Vousperdrecréeraitplusdeproblèmesquecelan'enrésoudrait.—Jusqu'àquelpointexactementpenses-tuquejesoisrationnelle?Unregardfinementcalculé.—Suffisamment pour prendre et utiliser ce queLijuan pourrait vous apprendre sur lamanière

d'accélérerl'émergencedevosnouveauxtalents,sanspourautanttomberdanssesfilets.C'étaituncouplancéauhasard.—Enfin, ditNehadans un chuchotement sinueux, nousy voilà.C'était pour cela que tu étais si

désireuxdem'assister,n'est-cepas?—Jesuisunmaîtreespion.LesouriredeNehaétaitfroid.—Et te demander d'agir autrement serait commede prier un aigle de ne pas dévorer un lapin.

(Attrapantunbébévipèrequiavaitrampésurlesolverselle,ellel'enroulasursesépaules,caressantdemanièreabsentelapeaujauneorangé.)Oui,Lijuanaétédebonconseilcesdernierstemps.

Jasonn'endoutaitpas.Le traumatismequiavaitsuivi lamortd'Anoushkaavait faitdeNehauneproiefacilepouruneprédatricecommeLijuan.

—Jemeposeunequestion,ajouta-t-il. (Nehahaussaunsourcil.)Peut-êtrequeLijuanauraitpu,d'unemanièreoud'uneautre,siphonnerlapuissanced'autresmembresduCadre,oudumoinstenterdelefaire.(C'étaitunethéoriesirécentequ'iln'avaitpasencoreeuletempsd'enfairepartàRaphaël.)Sonoffredevousaidertrouveraitalorssonexplication.

—Bien,bien,bien.(Nehaselevaetdescenditlespetitesmarchesendessousdutrôneensecouantlatête.)Queldommagequetun'enviennesjamaisàrégner.Oui,l'obligeanteLijuanapensésejouerdemoi.(L'éclatd'unedent.)Maiselleoubliequejejouemoiaussiàcejeudepuisdesmillénaires,etjesaiscommentobtenircequejeveux.

Jason était presque certain qu'en réalité, il n'existait aucun secret permettant d'accélérer ledéveloppement de la puissance, et queLijuan avait simplement tiré profit de l'effet de laCascade.Âgée d'aumoins neufmille ans, elle avait eu desmillénaires pour extraire de la bibliothèque duRefugede telssecrets,mêmesiellen'avaitpasatteintsapuissanceà l'époqueoùplusieursAncienssiégeaientencoreauCadre.IlspouvaientluiavoirparlédelaCascade.

Un tel plan correspondrait bien à l'esprit intelligent et sournois de l'Archange de Chine, mais

évoquer cette hypothèsemaintenant ferait passerNeha pour une idiote. Il garda donc le silence etpensaàsonrapportàRaphaël.IlnepouvaitluirévélerlelienentreNehaetLijuan,maisilpouvaitdésormais l'informer des nouveaux talents de l'Archange de l'Inde, puisqu'elle en avait faitdémonstrationau-dessusdelaville,auxyeuxdetous.

—Situvoulaisgardermesfaveurs,Jason,ditNeha,sonsarichuchotantsurletapisquandelleallaverslafenêtrepourregarderendirectiondujardin,tudécouvriraiscommentNivritiaétécapabledefairecequ'elleafait,ettumeledirais.

—Sijefaisaiscela,jedeviendraispartieprenantedansvotreguerrepersonnelle.CeladéplairaitàRaphaël.

—Fais-tutoujourscequiplairaitàRaphaël?Jason savait que la questionmalicieuse était censéepiquer sa fierté,mais il servaitRaphaël par

choixetnonparcontrainte.—Jequitteraivotreterritoirecesoir,répondit-ild'untonneutre.LesailesdeNehasedéployèrent;leursfilamentsindigoattrapèrentlalumièreavantqu'elleneles

replieparfaitementcontresondosquandellesetournapoursoutenirsonregard.—Dis-moi,quandas-tuacquislacapacitéd'utiliserlesombresd'unetellemanière?Ilneréponditrien.Etellen'attendaitpasréellementderéponsedetoutefaçon.Maiscequ'ilavait

faitcesoir-làétaitseulementunefacettedesapuissance,ilpouvaitutiliserl'éclairnoiràdesfinsbienplusviolentes.

—Souhaitez-vousquejetransmetteunmessageàRaphaël?Unsoupir,unsourireléger.—Dis-luiqueleserviceirréprochabledesonmaîtreespionm'afaitreconsidérernotrequerelle.

JedéclarequeRaphaëln'estdorénavantplusmonennemi.(Ellepermitàlavipèredeglisserlelongdesonbras,des'entortillersursapeau.)Faisbonvoyage,Jason.J'essaieraidenepasblesserMahiyatropgrièvementlorsquejelatrouverai.—J'essaieraidenepasblesserMahiyatropgrièvementlorsquejelatrouverai.Jason savait que Neha avait déclaré cela pour le torturer. Ce n'était pas la première fois que

quelqu'un tentait une chose pareille, mais c'était la première fois que le coup atteignait sa cible.Qu'importâtsadécisionde laisseràMahiyadu tempsavecsamère, ilsavaitquecen'étaitpascelaqu'ilallaitfaire,mêmesiunepartiedeluiadmettaitqu'ilutilisaitlamenacedeNehacommeexcuse.

Volanthautetvite,ils'assuraquepersonnenelesuivaitdepuislefort.Cenefutquelorsqu'ilfutabsolumentcertaind'êtreseuldanslescieuxqu'ilallaseposersurlesherbesmouilléesparlaroséeausommetd'unemontagneescarpée.Lesventsmordantstentaientd'arrachersescheveuxàsaqueue-de-cheval.Ilignoralefouetglacédel'airetpritsontéléphonepourappelerRaphaël.

CederniersemontraplusperspicacequeNeha,peut-êtreparcequ'ilavaitétédirectementtouchéparlesévénementsdeceprintemps-là.

—LemondeétaitenpleinchaoslorsqueCalianes'estcomplètementéveillée,dit-ilàl'instantoùilentenditparlerdelacapacitédeNivritiàblesserNeha.Cechaosaétéimputéàlaperturbationcauséepar son réveil, mais peut-être qu'il ne s'agissait là que de la confluence de deux événements, laréapparitiond'unAnciendissimulantl'émergenced'unnouvelArchange?

—J'aipensélamêmechose,ditJason,sesouvenantdesviolentestempêtesquiavaientfrappélemonde, de la mer en furie, des tremblements de terre, des glaces qui se reformaient quand ellesauraientdû fondredepuis longtemps.Mais jen'aipas senti lamêmeprofondeurdepuissancechezNivritiquechezunArchange.

Jasonavaitl'intuitionqu'ilavaitétéenprésencedequelquechosed'autre.— Et Neha le saurait si sa sœur était devenue Cadre, dit Raphaël. Un Archange en reconnaît

toujours un autre -mais d'après ce que tu dis, il semble qu'elle soit dans le flou total en ce quiconcernel'originedestalentsdeNivriti.

—Oui.Peut-êtrequ'entantquejumelledeNeha,Nivritiaunecapacitéàlablesserqu'aucunautreange ne possède - allant de pair avec une certaine résistance aux pouvoirs deNeha. (Les jumeauxétaientplusqueraresauseindugenreangélique,etNehaétaitlepremierArchangequ'ilconnaissaitàêtredanscecas.)Nousn'avonspasdepointdecomparaisonpourévaluerlelienquilesunit.

Unecourtepause.—SiNivritipensequ'elleestArchange,ellechercheraàjoindrenosrangsbienasseztôt,ajouta

Raphaël pensivement. Contrairement à Neha, nous ne sommes pas désavantagés par un lien deparenté, cela ne nous demandera qu'une rencontre pour évaluer sa force. Pour l'instant, continue àfaireensortequetesgensmaintiennentleursurveillancesurcesdeux-là.

—Sire.Mettantfinàl'appel,Jasontenditl'oreilleauventpourcapterleséchosdeplusenpluslointainsde

laretraited'unearmée...etl'espoirbuté,scintillant,d'uneprincessequinequittaitpassespensées.

Mahiyanesavaitpasàquois'attendreaumomentdedécouvrirlecampdebasedesamère,mais

ellen'avaitcertainementpasimaginéuntelpalaisfortifié,cachéaucreuxd'unevalléesituéeàquatreheures de vol à peine du Fort de l'Archange. Pour autant, cela faisait parfaitement sens - Nivritin'aurait pas pu faire voler toute une flotte de nuit sur une distance plus grande. L'infanterievampirique, dont le déploiement était plus lent, avait avancé plus tôt jusqu'à la ville à bord devéhiculesdiscretssurlesroutes,etelleeffectuaitmaintenantsaretraitedelamêmemanière.

Lescombattantsemportaientaveceuxlesmortsetlesblesséslesmoinstouchés.RhysetlegénéralenchefdeNivritiavaientnégociéunefenêtreétroitedurantlaquelleceuxquiétaienttombésaufrontpourraient être récupérés. Nivriti avait dû quitter la ville sur-le-champ, mais elle avait envoyé lamoitiédesonbataillonausol-souslasupervisiondeshommesdeRhys—poursecouriretramenerchez eux les blessés graves, qu'ils soient angesouvampires.Cette unité était approximativement àdeuxheuresderrièreeux,etlesvéhiculesausolàunedemi-journéededistance.

CecomplexeavaitautrefoisappartenuàNivriti,commeellel'expliquaàMahiyaunefoisqu'ellessefurentposéesdanslagrisaillequiprécédaitl'aubesousleregardattentifdupetitescadronqu'elleavaitlaissésurplace.Aprèstoutescesannées,elleenavaitreprispossession.

—Nehal'alaissétomberenruine.(Unedéclarationsatisfaite.)Levillagequil'entouraits'estvidésanslaclientèledufort,etrésultat,lelieuestdevenuunterrainabandonné,enfricheetboisé.1

—L'endroitparfaitpourcacherunearmée.En entrant dans le palais, Mahiya remarqua les tapisseries anciennes, ainsi que les peintures

murales qui représentaient des éléphants et des chevaux montés par des guerriers vampiresbrandissantdesépées,ouencoredejeunesangesfémininsausouriretimidemaisavecdesarmesàlamain.

Lescouleursautrefoisbrillantess'étaientaffadies;lesbijouxportésparlesguerrierscommeparles vierges n'étaient plus que des pierres ternes. De toute évidence, les tapisseries et les tapis quicouvraientlesolenpierreétaientaussivieuxquelesfresques,maislespiècesquiavaientsurvécuautempsavaient été secouéesde leurpoussièrepour révélerun travaild'une splendeurévanouie.Lesmurset lessolsavaientégalementétérécurés jusqu'àcequelebâtimentauxsculpturesraffinéesetauxnombreusesfenêtresàcroisillonsneretrouvetoutesabeauté.L'ajoutdumoindreornementauraitétésuperflu.

—La plus grande faiblesse deNeha a toujours été l'arrogance, ditNivriti après s'être servi unverre d'eau à un pichet. Elle n'a jamais cru que je pourrais être son égale et elle n'a pas cru bond'installerdesgardesniautourdemoiniautourdeslieuxquiontétéetseronttoujoursmiens.(Desmotsaussidursquelapierredesaforteresse.)Maintenant,ellearetenulaleçon.

Unangedontl'ailegauchetraînaitpiteusement,àcaused'unebrûlure,fitalorssonentrée.—Madame,dit-il,jesuisdésolédevousinterrompre,maisavectouscesblessésdansnosrangs,

nousdevonsredéfinirnosstratégiesdéfensives.Acquiesçantdanssadirection,ellecongédiaMahiyad'ungestedelamain.—Trouveunendroitoù te reposer,monenfant. (Sesyeux tombèrent sur l'arbalèteque la jeune

femmetenaitencore.)Tun'enauraspasbesoinici,maisjesuisheureusequemafillenesoitpasunsimpleornement.

Surcesmots,ellepartit.Mahiya saisit sa chance de visiter le palais. Elle découvrit qu'il s'agissait là d'une forteresse

quasimentimpénétrablequiservaitaussidefoyeràNivritietsesgens.Dehautsmursd'enceinte,mais

dedouxtapisausol.Desarmespartoutoùelleposaitlesyeux,maisaussiunecuisinedontlesodeursalléchantess'infiltraientdanslespièces.

Lorsqu'elleserenditsurunbalconàl'arrièredupalais,ellevitdespotagersetdesvergersbienentretenusàl'intérieurdel'enceintedelaforteresse.Lescieuxétaientencoregris,maisunvampireavaitdéjàcommencéàytravailler,etilluiexpliquaquel'eaudupuitsavaitpoursourceunréservoirsouterrain.

—Aucunmoyenpourquiquecesoitdel'empoisonner.De telles précautions ne protégeraient pas les lieux contre une attaque venue du ciel, mais les

montagnes autourde la vallée abritaient des armes antiaériennesdontMahiya avait devinéqu'ellesétaientrestéescachéesjusqu'àl'assautcontreNeha.Ausol,iln'yavaitqu'uneseuleroutepourarriverjusqu'aupalais.C'étaitunendroitcapabledesoutenirunsiège,pensa-t-elleenrentrant.

Bienquepersonnenesemblâtluiprêterattention,desgardessortisdenullepartredirigèrentsespasquandelleessayad'emprunteruncertaincouloir.Ilsluiprirentaussisonarbalèteendisantqu'ilslaferaientnettoyerpourelle.

Présentantsonplusbeausouriredeprincesse,elleobtempéra,ets'éloignasansdiscuter.Une heure d'observation et d'attente fut nécessaire,mais les gardes qui s'attardaient furent enfin

appelésàuneautretâche.Celaneluipritpasplusdedixsecondespours'approcherdesportesetlesfranchir.Lespiècesquisetrouvaientderrièreellesétaientferméesàl'aidedevieillesserruresetdecadenas,etilyavaitdesbarreauxdeferauxpetitesfenêtresdesportes.

Unfrissonluiglaçalesos.Elleregardaàtraverslapremièred'entreelles.Unangeensanglantéet inconscientgisaità l'intérieur, sesailesclouéesausolpardespieuxqui

traversaient ses plumes, ses tendons, ses muscles. La poitrine oppressée par tant d'horreur, elles'obligeaàavancerjusqu'àlaportesuivante,pourydécouvrirunvampirependuparlespoignetsàdelourdeschaînes,battuetsanguinolent,latêtebaissée.EllelesreconnuttousdeuxcommeétantduFortde l'Archange. Aucun n'était assez puissant pour que leur absence soit immédiatement remarquée,maistousdeuxétaientenrevanchesuffisammentâgéspouravoirconnaissancedesrouagesinternesdufort.

—Mahiya.AyantentendulebruitdesbottesdeNivriti,ellenesursautapas.—Tuasbriséceshommes.—Nehaauraitfaitlamêmechoseauxmiens.(Untonglacé,impitoyable.)Ellem'afaitbienpire.Acetinstant,Mahiyas'aperçutqu'elleavaitsecrètementespéré,dansunrecoindesoncœur,queles

meurtres d'Eris et d'Audrey, de Shabnam et d'Arav, avaient été une aberration et que sa mère nerecelaitpascetteignoblecruautédanssachair.

—Lesrelâcheras-tumaintenant?—Non.Nivritifitpassersamainentrelesbarreauxpourenroulercettetoiled'araignéeverteautourdela

gorgeduvampire.—Mère,arrête.ElleagrippalamaindeNivriti, tiradetoutessesforces,maisilétait troptard, lasubstanceétait

déjàsurleprisonnier.AlorsqueMahiya,horrifiée,leregardait,lapeau,lesmusclesetlesosduvampiresedissolvaient

dansunbouillonnementblancjusqu'àcequesatêtesedétachedesoncorps.Laseulemiséricordefutquel'hommenerepritjamaisconscience.

—C'est...—BienplusclémentquecequeNehaluiauraitinfligés'ilétaitrentréenrampantjusquechezlui.— Ton pouvoir était lié aux oiseaux avant. (C'était la prière d'une enfant qui désespérait de

retrouverchezNivritiquelquechosedelamèredontelleavaitrêvé.)Auxchosesvivantes.Pasàcette

mortsadique.LesourirequiéclairalesyeuxdeNivritiétaitteintéd'unvertacide.—Cette compétence a disparu, dit-elle platement.Mais sous terre, j'ai trouvé réconfort auprès

d'autres créatures. (Elle se tourna vers la cellule où se trouvait l'ange.) Elles ont sacrifié leur viequandj'aieubesoindesubsistanceetontpartagéleurforceavecmoi.

—Non!S'ilteplaît!Denouveau,Mahiyatentad'arrêtersamèrequand-presquedésinvolte-ellejetasatoilemortelle

surl'ange.MaisNivritiavaitplusdetroismilleansetsapuissanceétait indiscutable,mêmeàlasuited'une

bataille.C'étaitunelutteinégale,queMahiyanepouvaitgagner.Tremblante,elles'obligeaàregarder,à se souvenir de la mort de l'ange, jusqu'à ce qu'il soit complètement dissous. Le vampire et luiméritaientdesépitaphes,méritaientdenepasêtresimplementrayésdumonde.

En soupirant, Nivriti vint toucher Mahiya et secoua la tête quand cette dernière recula entrébuchant.

—Commentas-tupurestersidoucesouslapoigneaimantedemasœur,hein?Parcequejenevoulaispasfinircommeelle...commetoi.Son cœur se brisa de nouveau, quand elle se rendit compte que certains de ses rêves d'enfant

n'avaientaucunechancedeseréaliser.—Qu'importe. Je suis là pour prendre soin de toi maintenant. (Nivriti regarda par-dessus son

épaule.)Escortezmafilleàsachambre.Elleabesoindesereposer.Mahiyase laissaconduireà sachambre,propreet, selon lesnormesdupalais, luxueuse. Ilétait

évidentqu'onluiréservaittousleshonneursentantqu'enfantdeNivriti.—Jesuislàpourprendresoindetoimaintenant.Assisesur le litàbaldaquin,unnœuddechagrinen traversde lagorge,elleenroulasesdoigts

autourdel'undespiliersdeboissculptésdulit,polisàenbriller,etellesemitàréfléchir.Àquielleétait,àcequ'ellevoulaitfairedesonexistenceimmortellequis'étiraitàl'infinidevantelle.

EndépitdecequepensaitNivriti,ellen'étaitpasuneenfant.ElleavaitluttécontreuneArchangepoursaliberté.Jasonl'avaitaidéeàobtenircetteliberté,etpeut-êtrenel'aurait-ellepasgagnéeseule,maismêmefaceàdesdifficultésquisemblaientinsurmontables,mêmeaprèsuneviepasséeauprèsd'uneArchangequivoulaitl'écraser,elleavaitrefusédeserendre.Etavecsonmaîtreespionaussi,elleavaitmenéladansealorsqu'ellen'avaitqu'uneseulecartefragileenmain.—Tudoismedonnerquelquechoseenretour.Jenepeuxtecéderl'informationlaplusprécieuseen

mapossessionsansobtenirquelquechosed'aussiprécieuxenretour.Elleavaitprononcécesmots,exigéqu'iltraiteavecrespectsasoifdeliberté.Mais maintenant, une fois encore, elle se retrouvait en prison. Il n'y avait pas de verrous aux

portes,etpasderancœurchezNivriti,maissamèreavaitclairementmontréqu'ellelavoyaitcommeunbébé.Quelqu'unquiseraitgardéàl'abridanscepalais,quelqu'undontonbrideraitlesailes,quiseraitrenvoyéouàquiondiraitdesetairequandlesadultesparleraient.Unenfantqu'onprotégeraitdesduresréalitésdelavie.—Escortezmafilleàsachambre.Mahiyapouvaitdéjàéprouverunsentimentdesuffocationentresescôtes.—C'esttroptard,mère,chuchota-t-elle.(Elledevaitprendrecettedécisionafindepouvoirallerde

l'avantetvivresapropreexistence.)Jenesuisplusunbébédepuislongtemps.La tristesse déchira ses veines à l'idée de tout ce qu'elles avaient perdu, du temps qu'elles ne

rattraperaientjamaistouteslesdeux.Maiselleseraitsoulagéedepartir.Laculpabilitéquil'accablaitàl'idéed'abandonnerNivritiétaitallégéeparlacertitudequepourconstruireunerelationavecsamère,elledevaitlaquitter.C'étaitlaseulemanièredeforcerNivritiàlavoircommeunefemmeadulte.Unefemmequiaimaitunmaîtreespionauxailesnoires.

Jasonavait-ilsu?Quesielles'étaitéloignéeenvolantdeNivritisurlechampdebataille,elleseserait toujours demandé à quoi aurait ressemblé la vie à ses côtés ? Que la culpabilité d'avoirabandonnéunefemmequiavaitsurvécuaucauchemar,quiavaitregardéMahiyaavecpleind'amourdansleregard,auraitétéunedouleurpermanentedanssapoitrine?

Ses lèvres s'entrouvrirent en un sourire.Bien sûr, qu'il l'avait su. Jason avait toujours un tempsd'avance.L'espoir s'épanouit en elle,mais lesdoigts serrés contre lepilier, elle s'efforçade resterrationnelle,deserappelerqu'ils'étaitséparéd'ellesansluidires'ilavaitl'intentiondelaretrouver.Etmêmes'ilcomptait lefaire, ilnepouvaitsedouterqu'elleavaitprissadécisionetqu'elleétaitdéjàprêteàpartir,seulementquelquesheuresaprèssonarrivée.Loyalcommeill'étaitenversRaphaël,ilavaitplusqueprobablementdéjàquittécecontinentpourallerluifairesonrapport.

CequivoulaitdirequeMahiyaétaitseule.Prenantuneprofondeboufféed'air,elleselevaets'examina.Elleétaitunpeufatiguéeparlevol

jusqu'au palais,mais pas épuisée, comme l'armée avait avancé à une allure plus lente pour ne pasdistancerlesblessés.Malgrétout,ilauraitétéplussagedesereposer,derécupérertoutessesforces-saufqu'ellevoulaitpartirmaintenant.

Mêmelesplusdoucesdescontraintesétaientdeschaînesquicherchaientàl'entraver.Partirmaintenant lui donnerait un petit avantage - la deuxième unité angélique, avec son lot de

blessés,étaitarrivéependantqu'onmenaitMahiyaàsachambre.Sonoffred'aideavaitétédéclinée,etd'après leurs sourires condescendants, elle était presque certaine que c'était parce que les gardespensaientqu'elleallaits'évanouirenvoyantlesdégâts.IlsétaientloindesoupçonnercedontelleavaitététémoinàlacourdeNeha.

Tousceuxdontonpouvaitsepassersurlesrempartss'activaientauprèsdesblessés.Lesdéfensesdu palais étaient plus fragiles qu'elles ne le seraient jamais. C'était sameilleure opportunité de seglisserhorsdeceslieux-parcequ'ellenepensaitpasquesamèrelalaisseraitpartircommecela.PasquandNivriticroyaitsafilleincapabledeprendresoind'elle-même.LesyeuxdeMahiyalabrûlèrent,etellesedemandasi l'aveuglementdesamèreétaitvolontaire,sielleessayaitderetrouverlebébéqu'onluiavaitvoléilyavaitsilongtemps.

Refoulant une vague d'émotion pure, Mahiya repoussa sur le côté les rideaux des fenêtres dubalconetvitquelalumièredupetitmatinétaitcristalline.Elleseraitrepéréesurlecielbleu...maispersonneneluiavaitinterditdeprendresonenvol.Sadécisionprise,ellealladanslasalledebainsselaverlevisage,s'attachalescheveuxenunchignonserré,puisouvritlesportesdubalconetsortit.

Denombreuxangesétaientdehors,etl'und'euxvolaimmédiatementverselle.Sesailesteintesennoirluiindiquaientqu'ilavaitprispartàl'assaut.

—Princesse,dit-ilaveclacourtoisiebrusquedequelqu'unquiavaitdeschosesplusimportantesàfaire.Enquoipuis-jevousservir?

— J'aimerais juste étirer un peumes ailes avant deme reposer. (Elle écarquilla les yeux et luioffritunsourirehésitant.)Jesupposequelesenvironsdupalaissontsûrs?

Commeellel'avaitsouhaité,ilseconcentrasurladeuxièmequestionetnesepréoccupanullementdelaraisonpourlaquelleellevoulaitsedégourdirlesailesaprèsquatreheuresdevol.

—Aussi sûrs quepossible. (Fronçant les sourcils, il dirigeaun trio d'anges avecdes signesdemainscomplexes.)

Quoiqu'ilensoit,jesuiscertainqueDameNivritipréféreraitquevousrestiezensécuritédansvosquartiers.

C'étaitungenredegénéral,pensa-t-elle.Sontonétaittropautoritairepourunsubalterne.Aulieudeluiobéir,commeils'yattendaitvisiblement,elleraiditledosetdit:

— M'ordonnez-vous de rester dans ma chambre ? dit-elle en singeant la regrettée Anoushkalorsqu'elleétaitausommetdesonattitudepourriegâtée.Peut-êtreaimeriez-vousmemettreenlaisseetmepromenercommeunanimaldecompagnieaussi?

Lalassitudepassasurlevisagedugénéraletelledutlutterpourretenirunegrimacedesympathie- ellenonplusn'aimerait pas avoir affaire à cetteversiond'elle-même,particulièrement aprèsunebataillequiluiavaitcoûtétantd'hommes.Maissiellenes'enallaitpasmaintenant,ellepourraitêtrecoincéedanscepurgatoirependantdessemaines,desmoismême,étoufféeparcetamourmaternelquis'obstinaitànepasvoiràquoiMahiyaavaitsurvécu.

—Attendez, je vous prie, dit-il. (Il ne lâcha pas prise face à l'insulte - ce qui voulait dire qu'iln'étaitpasungénéral,maisprobablementlegénéral.)Jevaisvoustrouveruneescorte.

Ilsetournaets'éloignaverslagauche.Ehbiença,c'étaitstupide.S'esclaffant face à cette confiance aveugle, elle fit un pas dans le vide au-delà du balcon sans

rambarde,survolalacour,etaulieudefairedescercles,s'élevadirectementverslehautcommeelleavait vu Jason le faire si souvent. Si elle parvenait à atteindre la fine couche de nuages avant quequelqu'un ne remarque son petit manège, elle pourrait embrouiller et peut-être semer sespoursuivants.

Cette poursuite commença bien plus tôt qu'elle ne s'y était attendue quand une voix rude luiordonna de descendre. Plus âgé et bien plus fort qu'elle, le général la rattraperait en quelquessecondes,ellelesavait,maiselleserralesdentsetcontinuadebattredesailesverslehaut.Sonvolforcené tirait tant sur les muscles de ses épaules et de son dos qu'elle avait l'impression que sestendonsétaientprêtsàclaquer.Luilaisserpenserqu'ellen'étaitqu'unesalegossegâtéeluidonneraituneidéefaussed'elle,cequipermettraitpeut-êtreàMahiyaderetentersachanceplustard,lorsque...

Unbalayagedenoirdevantelle.Jason!Elleétaitsisurprisequ'elleledépassa.—Prêteaudépart?demanda-t-il lorsqu'ilvintlarejoindrecommesielles'absentaitunmoment

pourunevisitedecourtoisie.Tuvasbien,princesse?Ellefonditpresqueenlarmesàlatendressedésarmantedesaquestionmentale.—Oui et oui, dit-elle avec un sourire tremblant, se demandant si elle comprendrait jamais cet

hommequ'elleadorait.Maisj'aipeurdem'êtreattiréunproblème.—Jevoisça.Est-cequetupeuxresterenvolstationnaire?Oui.Soncorpsprotesta,maiselleavaitconnupire.Jasonvintseplaceràcôtéd'elle,tenditlamaindans

son dos et dégaina son épée, la brandissant négligemment alors que le général les rejoignait. Lesyeuxdel'angepassèrentrapidementdeMahiyaàJasonetàlacalmemenacequereprésentaitsonépéenoire.Ilsembladéciderquelesilenceétaitlameilleureoption.Ilsseregardèrentdoncpolimentlesunslesautresjusqu'àcequeNivritiarrive.

—Mahiya!(Unéclatdecolèredirigécontreunefilleégarée.)J'attendsdemonenfantqu'ellesetienneàmescôtés.

—Mère,ditMahiyaaveclaplusgrandegentillesse,nesouhaitantpasblesserNivriti,maissachantqu'elle devait la contraindre à voir la vérité en face si jamais elles voulaient construire une vraierelation,jenesuisplusuneenfantdepuisdessiècles.Jen'aijamaisvraimentétéautoriséeàenêtreune.Tusaiscela.

Malgrélagentillesseduton,Nivritisursauta.—Jelatueraipourcequ'ellet'afait.Mahiyalevalamain.—Non.Nepensepasm'utilisercommeexcusedanstaguerrecontreNeha.Jeneveuxpasyêtre

impliquée.(Soncœursetorditlorsqu'ellesoutintceregardsifamilieretsiétrangeràlafois.)Troiscentseptans,dit-elledansunmurmurequicontenaituneviederêvesperdusetdedouleurécrasante.C'estletempsquej'aisurvécu-jeneveuxplussurvivre,mère.Jeveuxvolerdemespropresailes.

UnmomentdesilencecompletavantqueNivritineplantesonregarddansceluideJason.—Situnet'occupespasbiend'elle,maîtreespion,jetepoursuivraijusqu'auxconfinsdumonde.Surcettemenaceexplicite,songénéraletelleredescendirentverslepalais.Rengainantsonépée,JasonsetournaversMahiya.Ellet'aimed'unamoursincère.Asamanière.Suffisammentpourmerendremaliberté.

QuatrejoursaprèsavoirplacéHonordansunsommeilartificiel,Dmitril'ensortitpeuàpeu.—Dmitri?C'était une question posée d'une voix endormie pendant qu'il la berçait sur ses genoux,mais il

détectalapaniquequis'ycachait.—Tuesensécurité,dit-il.Ilestl'heuredupremierbaiserdesang.Tutesouviens?Illuiavaitexpliquéchaqueétapeduprocessusafinqu'ellenesoitpaseffrayéelorsqu'elleouvrirait

les yeux sans avoir le contrôle total de ses facultés, son Honor qui avait été autrefois retenueprisonnièrepardesmonstres.

Lesdoigtsde la jeune femmese serrèrent sur lapoitrinede sonépoux.Lapeur flottait sur sonvisage.

—Jenepeuxpasbouger.—Honor,moncœur,jenepeuxcomplètementtesortirdusommeil.(Sadétresseledéchirait.)S'il

teplaît,rappelle-toi.(Ilfrottasonnezcontresonvisage,l'embrassa,cettefemmequidonnaitunsensàunevieéternelle.Il la tenaitaussiserréequ'il l'osait,carsapeauétaitplussensiblemaintenant,etrisquaitd'êtremarquée.)Jeneferaisjamaisrienquipuisseteblesser.

Unsoupircontresoncou.L'angoisses'estompa,mêmesilesdroguescontinuaientàrendresavoixpâteuse.

—Jet'aime.Soulagéaupointdepouvoiràpeinerespirer,ils'autorisatroisprécieusesminutesavecelleavant

d'utiliserl'undesesproprescrocspourperforersonpoignetetleporteràlabouched'Honor.—Jesaisqueçan'apasbongoûtmaintenant(celaneseraitlecasquelorsquelaTransformation

aurait euplusde tempspourprendre lecontrôlede soncorps)mais tun'aspasàenboireplusdequelquesgouttes.

Honorplissadunezmaisnerésistapas.—Pastrèssexy,marmonna-t-elleaprès.Ilrit,etlatensiondanssoncorpss'évanouit.—Fais-moiconfiance,çaledevient.(Ill'embrassa,puiss'obligeaàlarallonger.)Prête?—Jeveuxqueçasetermine.(Elleselovacontrelui.)Veuxêtreavectoi.Iltenditlamainpourréactiverladroguequil'endormiraitunefoisencore.—Jeserailà,attendantquetuteréveillesànouveau.(Ilavaitdéjàattenduprèsdemilleans,rienne

l'éloigneraitd'elle.)Dors,jeveillesurtoi.

Mahiyaétaitassisesurletoitdelamaisondel'Enclavedesangesoùvivaientl'ArchangeRaphaël

etsonaffiliée.Elleavaitdumalàcroirequ'elleavaitquittélepalaisdesamèredepuisseulementunesemaine. La ville de métal et de verre scintillant qu'elle pouvait voir de l'autre côté du fleuve lafascinait,pratiquementautantquel'angeauxcheveuxpresqueblancsquivolaitversletoit.

ElenaseposaprèsdeMahiyaavecunejoiemanifestequifitsourirecettedernière.— Dix sur dix, dit-elle, relançant le jeu auquel elle s'était livrée avec Elena plus tôt dans la

semaine.—Tuesgénéreuse!J'aidûfaireunpassupplémentairepouréquilibrermonatterrissage.—9,3alors.—Adjugé,mêmesi tu es encoregénéreuse. (Repliant ces ailes envoûtantesdeminuit etd'aube,

Elenapritunsiège.)TuattendsJason?—Ilestàl'intérieur,entraindediscuteravecRaphaël.(Pouravoirgrandidansl'entourageproche

d'une Archange, Mahiya n'avait pas la même fascination pour eux qu'un autre ange de son âgepourrait ressentir,mais elle n'oubliait jamais qu'ils étaientautreset devaient donc être traités aveccirconspection.)Jesuisvenueicipouradmirervotreville,sianiméeetlumineuse,etpourécouterlebruitdel'eau.

Lefleuvecoulaitjustesouslafalaise,etnonloin,ellepouvaitvoirdeuxhors-bordfoncersurlesflots.

Relevantungenouetl'entourantdesonbras,Elenademanda:—Tuvasrester?Mahiyas'étaitposélaquestion,etavaittranché:NewYorkétaitunevillesuperbe,étonnante,mais

auxdimensionstropétouffantes.—Jecroisquej'aimeraisyvenirenvisite.(Ladécouvrirparpetitsmorceaux.)Maiscen'estpas

unevilleoùjesouhaiteraisvivre.Elenaacquiesça.—Ellen'estpasfaitepourtoutlemonde,maville,maisjel'adore.Détachantunelégèrearbalètedesacuissegauche,ellelaposaàcôtéd'ellesurletoit.—Tuétaissurunechasse?Mahiyaétaitsurprisequel'affiliéed'unArchangeselivreàunetelleactivité,toutcommeelleétait

surprisedelamanièredontRaphaëletElenaseregardaient.Ellenes'étaitpasattendueàunerelationsifusionnelle,mêmesielleavaitbeaucoupentenduparlerdelaforcedeleurlien.

—Non,jesupervisaisuneséanced'entraînementàl'AcadémiedelaGuilde.C'étaitmontoursurletableaudeservice.

Elle leva levisagepour l'offrir auvent, et elles restèrent assises en silencependantprèsdedixminutesavantqu'ElenanesetourneversMahiya.

—Jason,dit-elled'unevoixdouce,tuveillerassurlui,n'est-cepas?Surprise,Mahiyarépondit:—Iln'estpashommeàavoirbesoindelaprotectiondequiconque.—Mais,rétorquaElenaenposantsurellesesyeuxd'argentgrispénétrants,jepensequ'ilabesoin

detoi.Oui.Laquestionétait:Jasonluipermettrait-ildeluidonnercedontilavaitbesoin,oureculerait-

il, comme le ferait un animal sauvage ? Ce n'était pas la meilleure des analogies, car Jasonconnaissait les codes du raffinement et de la civilisation comme tout homme de cour. Pourtant, iln'étaitpasl'und'entreeux,unepartdeluiétaitrestéecepetitgarçonseulaumilieudel'océan.

—J'éprouvedetelssentimentspourlui,murmura-t-elle,quecelameterrifie.—Bien,ditElenaenluidonnantunpetitcoupd'épaule.Tun'auraisjamaispurejoindrenotreclub

sinon.Ellecillaenentendantcecommentaireétonnant.—Quoi?—Celuidesfillesasseztimbréespourtomberamoureusesdesmauvaisgarçonsquelesfemmes

les plus sensées fuient en hurlant.Tu asmaintenant remplacéHonor en tant que petite nouvelle auclub.(Elenaluiadressaungrandsourire.)Jet'apprendrailapoignéedemainsecrète.

Mahiyarit,etc'étaitunrirepartagéavecuneamie.Elenaétaitl'affiliéed'unArchange,avaitaccèsà un pouvoir qui dépassait l'entendement. Elle n'avait aucun besoin de cultiver une amitié avecMahiya, et pourtant cettedernière savait pourquoi elle le faisait.Pasuniquementparcequ'elle étaitintrinsèquementgentille,cequiavaitimmédiatementmisMahiyaàl'aise,maisparcequeJasonétaitl'undes«leurs».

Mahiyanevoyaitpasd'objectionàêtreadoptéeparunetellefamille.Ilyavaitdelajoie,là,delaloyauté,etpardessustout,personnenesouhaitaitl'utilisercommeunpiondansquelquejeupolitique.Oh, elle savait bien quel rôle jouaitRaphaël dans l'équilibre dumonde,mais elle savait aussi quel'Archangelatraiteraitavectoutlerespectdûàl'amantedel'undesesSept.

Misàpartqu'ellen'étaitpascertained'êtrecetteamante,pascertainequesonmaîtreespionnesoitpastoutsimplemententraind'attendrequ'elleprennesonenvol.Neparspas,Jason.Desmotsqu'ellen'avait jamais prononcés, des chaînes dont elle ne l'avait jamais entouré,mais oh, combien il étaitdouloureux d'imaginer ne plus sentir la chaleur intense de son toucher, ne plus voir ce feu noirplongerdanssesyeuxdumarronleplusprofond.

SortantdesonbureauetavançantsurlapelouseavecJasonàsescôtés,Raphaelpritladirectiondusommetdelafalaise.Salut,Archange.Ses lèvres s'incurvèrent. Salut, hbeebti. Jetant un coup d'œil par-dessus son épaule, il vit son

affiliéeassisesurletoitauxcôtésdelaprincessequeJasonavaitramenéeaveclui.Lesdeuxfemmessefaisaientface,lescheveuxd'Elenauneflammeblanche,ceuxdeMahiyaunesoieébène,rassemblésenunchignonàlabasedesanuque.

Il n'aurait jamais cru que la femme qui franchirait les boucliers de Jason ressemblerait à cetteéléganteprincessevenueduterritoiredeNeha,avecsapolitesseirréprochable,etsapersonnalitéquisemblaitêtreunesurface lisse,sansaucuneprofondeur.Etpourtant... Jasonétaitsonmaîtreespion,entraîné à voir par-delà les cuirasses et les défenses. Que penses-tu de la princesse de Jason ?demanda-t-ilàsonaffiliée.Qu'elle a une volonté de fer, qu'elle aime Jason de tout son cœur, et qu'il y a bien plus en elle

qu'aucund'entrenousneledécouvrirajamais,dit-elle.Riend'étrangeàcela.Seultoiconnaistoutesmesfacettes.

ToutcommeElena leconnaissait,pensa-t-il. Ils s'arrêtèrentavecJasonaubordde la falaisequisurplombait l'Hudson.Ilavaitsisouventdiscutéàcetendroitmêmeavecsonmaîtreespion-Jasonn'aimaitpasêtreentrequatremursquandilpouvaitêtresousleciel.

—Laprincesse,dit-il,peutprofiterdel'asileiciaussilongtempsqu'ellelevoudra.—Merci,Sire,mais jepensequ'ellepeutvivresansdangern'importeoùdans lemonde. (Jason

arrangeasesailes.)Elledevrafaireattention,maisj'inclineàcroirequemalgrésesmenaces,Nehaesttropfièrepourbrisersaparole.

QuantàlamèredeMahiya,c'étaitunerelationqu'elleseuleapprivoiser.Raphaël était d'accord avec Jason au sujet de Neha. L'Archange n'était pas lunatique comme

Michaela,l'honneursignifiaitbeaucouppourelleetelleyétaittrèsattachée.—Est-cequelaprincesseaquelquepartoùaller?

—Oui.Raphaëllaissalabriseluicaresserlevisage,passalesdoigtsdanssescheveuxetattendit,sachant

queJasonavaitquelquechosed'autreàluidire.—Sire.(Jasoncontinuaitderegarderauloin,versManhattan.Sontonétaitposé.)Jevousrelève

devotrepromesse.Raphaëlavaitvécuunmillénaireetdemi,avaitdessouvenirsvifsetd'autresunpeueffacés.Ilse

rappelaitdujourexactoùchacundesSeptavaitjuréfidélité-Jasonétaitsijeune,etpourtantilyavaituneforcecontenueenluiquiavaitinterpelléRaphaël.Ilavaitsuquelegarçondeviendraitunhommeautempéramentd'acier.Toutcommeilsavaitquecetacierprésentaitundéfautfatal.—Jenevousdemandequ'unepromesseenéchangedemonservice.Desmots que Jason avait alors prononcés, sa peau douce et encore vierge desmarques qui s'y

inscriraientdansuneautredécennie.Je n'ai pas été... formé correctement. Une partie de moi est abîmée et peut un jour se briser.

Lorsque cela arrivera, je vous demande de m’exécuter proprement plutôt que de permettre que jem'érodedel'intérieur.

Raphaël n'avait jamais questionné Jason sur son passé,mais il avait assemblé lesmorceaux dupuzzle,comprisquesonmaîtreespionavaitsurvécuàuneenfancequienauraitterrasséplusd'unetqu'il avaitdescicatricesquipourraientne jamais s'effacer.Descicatrices... etdes fractures. Il avaitdoncpromisenespérantn'avoirjamaisàtenircetengagement.

Maintenant, un vent frais embrassait sa peau, son sang, et il se sentit libéré du poids de cettepromesse.

—J'ensuisheureux,Jason.Sonregardcontinuaàerrerau-delàdufleuve,et,quandRaphaëlpensaitqueJasonallaitpeut-être

reprendrelaparole,cederniereutunmouvementpresqueimperceptibledelatêteetrestasilencieux.RaphaëlnesavaitpassiJasonavaitenfintrouvéunsemblantdepaix,ousicettepaixn'étaitencorequ'unefaiblelueuràl'horizon,maisilespéraitquel'angeauxailesnoiresn'auraitjamaisderaisondesolliciterànouveauunetellepromesse.

CarmêmeunArchangepouvaitpleurerquelqu'un.Mahiyaétaitdanslaserred'Elena,àcontempleravecémerveillementlesluxuriantesfleursjaunes

d'une plante aux feuilles d'un vert printanier quand la porte s'ouvrit. Elle n'eut pas besoin de seretournerpourvoirquisetenaitsurleseuil.Sapeautoutentièresemblaitsoupireràsaprésence.Sonbesoindeluiétaitcommeunepulsationsourde,carilnel'avaitpastouchéedepuislabataille.

—Jepensequec'estmonlieupréférédetousceuxquej'aidéjàvussurceterritoire.Toutfleurissaitdevieici,etiln'yavaitriendecaché,pasdepolitiquessubtiles.—Tupeuxavoirtonproprejardinmaintenantsitulesouhaites.Unsourireilluminasonvisage.—Oui,jepeux,n'est-cepas?(C'étaitunepenséemerveilleuse,etqu'ellemettraitàexécutiondès

qu'elleauraittrouvéunendroitqu'ellepourraitappelersonfoyer.)Est-cequetonoffredeprêttienttoujours?Mêmes'ilavaitévité toutcontactphysiqueavecelledepuis leurarrivéeàNewYork,ellen'avait

pas perdu espoir, car pas une fois il ne lui avait fermé son esprit depuis le jour où il lui en avaitautorisél'accès.Biensûr.— J'ai une maison qui pourrait te convenir jusqu'à ce que tu décides autre chose, ajouta-t-il

immédiatementaprèslaconfirmationdonnéementalement.Elleseretournaetappuyasondoscontrelebancsurlequelsetrouvaitlaplanteauxfleursjaunes

quiattendaitd'être transplantéedansunpotplusgrandà l'extérieur. Jasonse tenait sur le seuil, sesailes caressées par le vert grimpant d'un lierre qui débordait d'un panier suspendu. Il aurait dû

semblertropféroce,tropsombrepourcetendroit,maispouruneraisonétrange,iln'yjuraitpas.Sauvage,pensa-t-elle, il est aussi sauvage que ces plantes. Elles n'étaient domestiquées que de

manièretemporaireparlaserre-laisséeslibres,ellesramperaientetsedéploieraientjusqu'àcequelesmursdeverresoientunocéandeverdure.Jason,luiaussi,n'étaitdomptéques'illesouhaitait.Unetempêtetenueviolemmentsouscontrôle.

—Est-cequelamaisonestlibre?demanda-t-elleaumystèrequ'étaitcethommeattirantquiavaitun jour prêté un serment de sang avec elle. (Mais d'ailleurs...) Jason, qui peutmettre un terme ausermentdesang?

SatâcheétaitàremplirenversNeha,maisc'étaitaveclesangdeMahiyaquel'engagementavaitétéscellé.

Ilsefigea,aupointqu'ellepouvaitpresquecroirequ'iln'étaitpaslà.—Lapartieavecquiilaétécontracté.—Oh,jenesavaispas.Alors,jet'enlibère.(Ellenevoulaitpasqu'ilsoitattachéàelleparunlien

forcédequelquenaturequecesoit.)Est-celàtoutcequej'aibesoindedire?—Oui.(Ildemeuraparfaitementimmobile.)Seulslesgardienssontprésentsdanslapropriété,dit-

il, répondant à sa question précédente. Des vampires de confiance recommandés par Dmitri - ilsserontcontentsdevoirlamaisonreveniràlavie.Ilspréfèrentvivredansunbâtimentséparé,maisc'estàpeineàquelquessecondesàpied.

—Cettepropriété,elleestloind'ici?Lavillescintillantedel'autrecôtédel'Enclaven'étaitpascequ'illuifallait,maisellenevoulaitpas

trop s'en éloigner afin de pouvoir entretenir les amitiés qu'elle avait commencé à y nouer - avecElena, avecunvampire appeléMiri qui travaillait à laTour,mais qui s'était rendu à lamaisondel'Enclave à plusieurs occasions cette semaine passée. Pour une femme qui n'avait jamais été libred'avoirdesamis,ilsétaientdescadeauxàchérir.

—Trois heures de vol à une alluremoyenne, quatre-vingt-dixminutes si tu forces l'allure, luirépondit Jason.C'est une grande propriété, assez grande pour que personne ne puisse t'y cherchersans seheurter au systèmede sécurité,maispas isolée aupoint d'y être seule si tu souhaitesde lacompagnie.

Cela semblait parfait,mais ellene s'était attendueà riendemoinsde lapartdumeilleurmaîtreespionduCadre,de l'hommequiconnaissait lesgensmieuxqu'ilsneseconnaissaienteux-mêmes.Mais Jason se connaissait-il lui-même ? Ses lèvres s'incurvèrent en un sourire et elle franchit ladistance qui les séparait, posa ses mains sur sa poitrine, peu sûre d'elle et de lui dans ce nouvelendroit,maisn'ayantaucuneintentionderenonceraudroitqu'ellerevendiquaitsurlui.

LebrasdeJasonl'enlaçasanshésitation.Sesmainss'étendirentsursesreins.—Souhaites-tuvoirlamaison?—Oui.(C'étaitsibond'êtredenouveauprèsdelui.)Jetesuisencoreplusredevable.—Ilnes'agitpasd'unedette,Mahiya.(Samaindessinaitdoucementdescerclessursondos.)Pas

entrenous.Soncœurruadanssapoitrine.Ellevoulaits'emparerdesesmots,l'obligeràs'expliquer,maisde

tellesexigencesnefonctionneraientjamaisaveccethomme.—Non,dit-elle, tudoismepermettrede te rembourserd'unemanièreoud'uneautre lorsque je

seraienmesuredelefaire.(EllerepoussaletorsedeJasonjusteassezpourpouvoirleregarderenface.)Mamaisonseratienne,aussilongtempsquetulesouhaiteras.

Uneétincelledanssesyeux,maispour touteréponse, ilsecontentad'inclinersilencieusement latête.Ilacceptait.

La malice en elle, née de la même volonté qui lui avait permis de conserver sa personnalitépendanttoutescesannées,seréveillaens'étirantaprèsunevieentièredecontraintes.

—Commejen'auraipasassezd'argentpourterembourseravantdesannées,peut-êtresolliciterai-

jetonindulgencepardesservicessensuels.L'obscuritéassombritsonvisageetilretirasamaindudosdeMahiya.—Jenetedemanderaisjamaisunetellechose.Enriant,ellepritsonvisageentresesmains.— Jason, je te taquine. (Elle n'avait jamais pris l'initiative d'un baiser, mais encouragée par la

manièredontilavaitréagiàsoncontact,elleosa,goûtantsesbelleslèvresfermesjusqu'àcequ'illatiennecontre luidenouveau.)Toutesensualitéquejepartageavec toiestconsentieetdésirée,et leseratoujours.

Lamain qu'il avait reposée sur ses reins la pressa plus près de lui, l'autre inclina sonmentonexactementcommeil l'aimait; ilpritalorscontrôledeleurbaiser,caressantsalanguedelasienned'unefaçonquifitrecroquevillersesorteils.Lefeunoirdesonmaîtreespionétaitunechosesombre,superbe.Tunedevraispasmetaquinercommeça,Mahiya.Quelqu'undoitbienlefaire.Son cœur s'emballait devant sa perfection scandaleuse.Elle poussa ses pieds entre les bottes de

Jasonpourserapprocherencoreetposaunequestionqu'ellesesentaittroptimidepourexprimeràvoixhaute.Est-cequelapropriétéestsuffisammentisoléepourquenouspuissionsdanser?UnlégertremblementtraversalecorpspuissantdeJason.Non,maisjeconnaisunlieuquil'est.Bien.Parcequ'ellevoulaitmeneravecluiladansesensuelleetérotiquedesamantsangéliques.Une

dansequiétaitenpartiecour,enpartietestdeforceetdecompétenceset-sielleétaitbienmenée-unpurplaisir.Ellen'avaitjamaisfaitsuffisammentconfianceàquelqu'unpours'ylivrer.Jesuisimpatientequenousmêlionsnosailes,Jason.Mettantuntermeàleurbaiser,unetouchedecouleursurlespommettes,ilrépondit:—J'aiouvertdescomptesàtonnomettransférélesfondsdonttuaurasbesoinpourretombersur

tes pieds. (Son ton était dénué de tendresse... mais il continuait de l'appuyer contre lui, ses ailescourbéesdemanièreprotectriceautourd'ellejusqu'àcequ'ellenevoieplusqu'unnoirluxuriant.)Ladetten'estpasdueavantquetunetesentescapabledelarembourser,àunintérêtàzéropourcent.

—Jason!(Enriant,elleposasespoingscontresapoitrine.)C'estleprêtleplusterribledontj'aijamaisentenduparler.Tuperdrassurtouslesplans.

L'expressiondeJasonétaitsolennelle.—Non.Parcequeaussilongtempsquetuserasmadébitrice,j'auraisunfoyer.Toutenellesefitsilencieux,mêmesonpouls.Letempslui-mêmesemblas'arrêter.— Alors, murmura-t-elle d'une voix remplie d'amour, c'est une dette que je ne rembourserai

jamais.Avantqu'iln'aitparlé,avantqu'ellen'aitcompris laprofondeurdesonbesoin,elleaurait insisté

pour rembourser leprêt jusqu'auderniercentimepouraffirmerson indépendance.Maintenant,ellesavaitqu'il ne s'agissaitpasd'unequestiond'argentoudecontrôle. Jasonavait eudes sièclespouraccumulerdesbiens.Celasignifiaitpeupourluiau-delàdel'aspectpratique.

Maisunfoyer?C'était quelque chosequ'il n'avait pas eudepuis qu'il avait enterré samère.Mahiya, elle, n'avait

jamaisconnucela,carlefortn'avaitpasétéunhavredepaixpourelle.Alors,ellecomprenaitcequecelasignifiaitpourluiqued'enavoirun,etcomprenait,aussi,qu'ilavaitbesoindulienambigucrééparceprêt.

Un jour, pensa-t-elle, il n'aurait plus besoin de ce dernier pour lui servir de prétexte et il enviendraitàaccepterd'êtretoujoursbienvenudansunlieuquiseraitleurfoyer.Ilsriraientalorsdesadetteauremboursementsi longtempsretardé,etpeut-être taquinerait-ellesonangeauxailesnoires

d'avoirpermisàuneprincesseinexpérimentéed'accepterunmarchésipeuéquitable.Jusque-là,ellel'aimerait,toutsimplement.—Allonsàlamaison.

Lapropriétéoùl'emmenaJasonétaitaumilieud'unevasteétenduedevégétationquedestouches

decouleurvenaientnuancer.Lamaisondepierregrises'élevaitaucœurd'unemultitudedejardins,depuis longtemps laissésà l'étatsauvage, lesgardiensayantautrechoseà fairequedesequerelleraveclesplantes.

—Oh ! (Ravie, elle toucha du bout des doigts une rose ambrée couverte de rosée et en pleinefloraison malgré la saison.) C'est merveilleux ! (Déjà, elle pouvait commencer à imaginer leurnouvellevieici.)Oh,Jason,lamaisonestparfaite.

Nipalaismassifnichâteau,justeunbâtimentàunétage,idéalpourfonderunfoyer.Lespierrestiédissaientlentementsouslesoleilparesseuxdelafind'après-midi.

La résidence des gardiens, faite de la même pierre, se dressait à angle droit de la demeureprincipale.

—J'aienviedetoutvoir!Jasonnesouritpas,dumoinspasostensiblement,maisellepouvaitsentirsajoiedanslamanière

qu'ilavaitdelasuivre,calmementetsansprécipitation,pendantqu'elleexploraitlesjardins.Jusqu'àprésent,ellenesavaitpasexactementcequ'ellevoulaitfairedesaliberté,mêmesielleavaitquelquesidées,biensûr.L'excitationbouillaitdanssesveinesdevantlespossibilitésinfinies.

SetournantversJason,elleluiavouaunsecret.—J'aitoujoursaiméleschevauxquegardaitNeha.Bienquelesangesnesoientpascapablesdemonteràchevalconfortablement,ilspouvaient-etne

s'en privaient pas - admirer ces animaux forts, beaux, et les gardaient non seulement pour lesvampires sous leurs ordres, mais aussi en tant qu'animaux de compagnie et pour les faire courircontrelesécuriesd'autresImmortels.Mahiyaavaitétudiélesujetpendantdenombreusesannées,carmêmesiNehaluiavaitretirésajument,laseulechosequel'Archangeneluiavaitpasreprochéeétaitsonérudition.

—Peut-êtrequ'unefoisquejeseraiinstallée,jepourraismonteruneécurie.(Elleverraitpetitpourcommencer, redeviendrait une étudiante.) Lorsque j'en saurai plus, mais pas avant, je pourraiproposerdem'occuperdeschevauxpourlesquelslesvampiresetlesangesn'ontpasdeplacedanslesvilles environnantes. (Les Immortels se montraient parfois méfiants lorsqu'il s'agissait de confierleurschevauxauxhumains,siinjustequecelapuissesembler.)Connais-tuquiquecesoitquioffrelesmêmesservices?

—Non.—Bien.(Garderdesanimauxneseraitpasvucommeunepositionglorieuseparmiceuxdeson

espèce,maisquelbesoinavait-elledecegenredevanités?Non,ellevoulaitseulementavoiruneviepleinedejoie.ElleserralebrasdeJason.)Celaferaunmagnifiquedébutàuneéternitéquej'aihâtedevivre.

Aveccethommequifaisaitbattresoncœur,lefutursemblaitunepromesseéblouissante.Jasonlapritparlamainpourluifairefaireletourdelamaison,etluifittraverseràl'arrièreun

jardin à l'herbe relativement entretenue... vers les écuries. Des écuries qui avaient été nettoyées etremisesenétat,n'attendantplusqued'êtreutilisées.Deslarmesluimontèrentauxyeux.Ilmefaudratravaillertrèsdurpourtesurprendre,maîtreespion.Tumesurprendstouslesjours.D'unemanièreoud'uneautre,ellesavaitquec'était sonamourpour luiqui lesurprenait. Il s'en

étonnaitencore,nepouvaitpascomplètementlecomprendre.

Refoulantseslarmes,ellelevaleursmainsjointesetfrottasajouecontrelasienne.Resteras-tu?Oui.Lesgardiens, tousdeuxdesvampiresâgésdesixcentsans,n'étaientpas trèsdémonstratifspour

manifesterleurjoie,maisc'étaitavecunplaisirévidentqu'ilsvoyaientlamaisonredevenirunfoyer.JasonobservaitMahiyaentraindegagnerleurloyautéavecsagénérositéetsonouvertured'esprit,etilsutquecesvampires-entraînésàdestechniquesdecombatdehautniveau-prendraientsoind'ellelorsqu'ilauraitàs'éloigner.Carunmaîtreespionnepouvaitpastoujoursresteraumêmeendroit,etilsedemandaitsiMahiyacomprendraitça.

Mais ils auraient le temps d'en discuter plus tard. Ce soir-là, il dînait avec une princesse quisemblaitnevoiraucunmanqueenluietquicomprenaitlesmotsqu'ilneprononçaitpas,nepouvaitprononcer.Commeilsavaientaccordéleursoiréeauxgardiens,luietMahiyajouèrentdanslacuisinecommedesenfants...jusqu'àcequeJasonembrasselanuquedecettefemmequileregardaitavecunamoursilumineuxdanslesyeuxqu'ilcommençaitpresqueàcroirequecelafiniraitdansladouleur.Ellefrissonna.Soncorpssefonditcontreceluidel'espion.

CommeilsedoutaitqueMahiyaneseraitpasàl'aisehorsdesportesclosesdeleurchambre-elleavait faitclairementcomprendrequ'il s'agissaitde la leurenydéposant le léger sacdevoyagedeJason,qu'ilavaitmisdansuneautresuite- il l'embrassadenouveauavantdelaguider le longdesescalierspuisdanslapièce.Lesgardiensenavaienttirélesrideauxavantdepartir,maislesétoilesbrillaientàtraversleVelux.

Fermantlesportesderrièrelui,Jasonrestalàoùilsetrouvait.Tupermets?Elle rougit et baissa la tête avant d'avancer vers la coiffeuse et de faire glisser de ses bras les

braceletsenverrecouleurdejadeégayésd'orqu'illuiavaitachetésàlamêmeboutiqueoùelleavaitchoisiplusieursensemblesdevêtements,carelleétait arrivéeàNewYorksans riend'autrequecequ'elleavaitsurledos.IlavaitoubliédeprendrelesacdeMahiyaautempleoùellel'avaitlaissé,danssonempressementpourlaretrouverets'assurerqu'elleétaitensécurité.Lesbraceletscliquetèrentsurla coiffeuse.Elle retira les simples créoles enorqu'elleportait auxoreilles. Inspirant lentement etprofondémentavantdes'éloignerdumiroiret,dosàJason,ellelevalamainpourdéfairelesboutonsenhautdesesailesquifermaientsatuniquesimple,desoienoire,ornéedebroderiesvertetargentlelong de son colMao.Alors qu'il l'observait avec une calme possessivité qui croissait en lui pourdevenirundésiranimal,elleôtasatuniqueetdéfitsescheveuxquitombèrentenunrideaud'ébène.

Ilappréciad'unregardfiévreuxsesjambesfinesetgracieuseslorsqu'ellelesdévêtitdeleurétroitfuseau d'un vert foncé. Elle se redressa et rassembla ses cheveux sur son épaule gauche dans unmouvement qui fit rougir tout son corps... et il vit qu'elle avait enlevé le dernier rempart de sonintimitéenmêmetempsquesonpantalon.Labeautéévocatricedesesailesn'étaitplusquesaseuleprotection.

Larespirationhaletanteetlecorpstendu,ilréduisitladistanceentreeuxpourallerfairecourirsamain le long de son dos, puis autour de sa hanche avant d'en écarter les doigts au-dessus de sonnombril. Lorsqu'elle murmura son nom, il lui prodigua un baiser sur sa gorge qui battaitfurieusement.Merci,princesse.Illapritdanssesbras,laportajusqu'aulitetl'allongeasurledos,lesailesdelajeunefemmese

déployant avec magnificence. Son regard s'égara sur le côté ; un rouge brûlant envahit sespommettes.Elletenaitlesdrapsserrésdanssespoings,maisnetentapasdes'encouvrirlecorps.Etlorsqu'il commença àdéboutonner sapropre chemise, le regarddeMahiya revint se poser sur luiavecuneanticipationlangoureusequiétaitunecaressesurlessensdel'espion.

Quandsoncorpscouvritenfinceluidesamaîtresse,lebesoinenluiétaitundésirimpérieuxqui

puisaitparchaqueporedesapeau.Luiouvrantlesjambesd'unepoussée,ils'installaentresescuissessoyeuses,prisondouceetchaudedontiln'avaitaucuneenviedes'échapper.Illasentaithumidecontresonsexequandellesetenditverslui,etilserralesdentscontrelebesoinpressantdeplongerenelle.Qu'importait à quel point il voulait sceller leur union dans ce nouvel environnement par un acteintimeetsincère,ilneluiferaitpasmal.Mahiya?Jesuisprête.Elles'ouvritsanshésiteràsonbaiser.Viensenmoi,Jason.Tumemanques.Frémissantd'une faimsiprofondequ'elle en était douloureuse, il laprit aumot et commençaà

glisserlentement,délicieusement,enelle.Ledosdelajeunefemmesecambra.Sonplaisirélectrisantfaisaitnaîtredessensationsbrûlantessurchaquecentimètrede lapeaudesonamant.LesmainsdeMahiyaagrippèrentsesbras,sesjambesl'emprisonnèrent.Oh!Ils'enfouitenellejusqu'àlagardependantquesoncripassionnérésonnaitàtraverssoncorps.Sa

boucheexigeanteseposasurcelledeMahiya.Elle luidonnatoutcequ'ildemandait,et imposasespropresdemandesenretour-desdemandessubtiles,féminines,auxquellesunhommedevaitprêteruneoreilleattentivepourlesentendreetlesdeviner,etqueJasonavaitgrandplaisiràexaucer.

Ilfitcourirsamainlelongdescourbesdelajeunefemme,soulevaunedesescuissesélancéesetsebalançacontreelle,seretirantàpeinedequelquescentimètresavantdes'enfoncerdenouveaudetoutsonlong.Elleinterrompitleurbaiserpourreprendresonsouffle.Satêtesetordaitsurl'oreillerpendant que son corps ondulait en un rythme parfaitement accordé à celui de Jason, comme s'ilsétaientnéspourêtreamants.

Lorsqu'ilempoignasescheveuxetrepritsabouche,lesmainsdeMahiyavinrentglisserlelongducoudeJasonpoursefermersurl'arcsensibledesesailesdansunecaressequilefitgronder,tandisque leurs languesmenaient un duel délicieux.Les coups de reins de Jason prenaient toujours plusd'ampleuretdeforce;lesseinsdelajeunefemmefrottaientcontresapoitrineenunedoucetentation.

Interrompantleurbaiser,ilserelevasuruncoudeetpritentresesdoigtsunmontsensible.Tuesplusqu'adorable.—J'étaisjustemententraindepenserquecen'étaitpasmoiquiétaisbelledanscelit,monamant

sauvage.Desmotsrauques,prononcésentredeuxsoufflescourts.Ilsoutintsonregarddechat,frottasontéton,goûtaunefoisdeplusàseslèvresquiprononçaient

desmotssidoux.Desmotsquil'emportaient,lemarquaient,leréclamaient.EtJasonlepermit.Pourlapremière foisde saviedepuisqu'il avait enterré samèreetdétruit cequi restaitde sonpère, ils'autorisaàapparteniràquelqu'un.

Puisill'aima.—Jenepeuxcréerlalumière,dit-ilàMahiyaunpeuplustard.(Ilétaitallongésurledos,lajeune

femmesurlui,possessive.Ilavaitlamainposéesursesreins.)Seulementdufeunoir.Fronçantlessourcils,elleappuyasurlasoiemuscléedelapoitrinedesonamantpourleregarder.—Biensûrquetulepeux,tuaséclairélestunnels.Unregardlong,posé.Lamâchoireluientomba.—Quoi?C'étaitmoi?—Tuestrèspuissante,MahiyaGeet,etcettepuissanceneferaquegrandir.Tudoistravailleràen

découvrirchaqueaspect.Surpriseetravie,elles'assitjambescroiséesàcôtédelui,sescheveuxvenantcouvrirsesseins.—M'yaideras-tu?C'était si facile de le lui demander, elle savait qu'il ne chercherait jamais à la blesser ou à

l'humilier.

—Oui, répondit-il,posantdenouveausamain, forteetchaude,contreses reins.Etquand jeneserai pas là, je demanderai aux autres Sept de passer aussi souvent que possible, afin que tondéveloppementn'ensouffrepas.Raphaëlaussipourraprendreunpeudesontempspourvérifiertesprogrès.

Ça,ellenes'yétaitpasattendue,maisRaphaëletJasonpartageaientunlienqu'ellen'avaitjamaisvuentreNehaetsescourtisansouconseillers.

—Jesupposequ'ilmefaudram'habitueràrecevoirlepluspuissantdesvisiteurs.Laperspectivedecemomentfaisaitnaîtredespapillonsdanssonventre.—Quandj'auraieuletempsdem'installer,dit-elle,etqueDmitrietsafemmeserontrevenus,nous

devrions tous les inviter à dîner. (Elle avait plutôt l'impression qu'elle aimerait faire des chosescommecelles-là,avoir leurmaisonempliedesriresde leursamisquiétaientunpeu leurnouvellefamille.)Elenaaimeralesjardins.

Jason déplaça sa main pour jouer avec les mèches de cheveux de la princesse, ses phalangeseffleurantlapointedesesseinsàchaquepassage.

— Nous devrons organiser deux dîners, alors, murmura-t-il tout en poursuivant ses caressesparesseusesquifaisaientvoyagerunplaisirindolentàtraverslesveinesdeMahiya.Ilsnepeuventpasêtretoushorsdelavilleenmêmetemps.

—Jesaiscela,dit-elleavecunrire,parcequ'ilssavaienttousdeuxqu'ellen'yavaitpaspensé.J'aitantdechosesàapprendreetàexplorer,Jason.

L'excitationfaisaitnaîtrecommedesbullesdeChampagnedanssonsang.Venantsurellequandellese laissaretombersur le lit,Jasonrepoussadoucement ledrapsursa

taille,sesdoigtsdessinantdescirconvolutionssursahanchequilafirentfrissonner.—Sijamaistudécides,dit-iltranquillement,quetusouhaitesexplorerd'autres...Elleappuyasesdoigtssurlabouchedesonamant,soutintsonregardsombrecommelatempête.—J'étaispeut-êtrecoincéeaufort,maisjen'étaispascoupéedumondepourautant.Desmilliers

devampiresetd'angesdetousâgesetdeforcesvariéesysontpasséspendantlesannéesoùj'yvivais.Aucunn'aparlé àmoncœur. (Elledéplaça samainpourprendre sonvisageencoupe.) Je connaisl'homme avec lequel je veux grandir, explorer lemonde. Toi. Seulement toi. (Il n'y aurait pas demalentendusurcepoint.)Etjeprévoisdeteséduiresiprofondémentquetudeviendrasmonesclavedévoué.

LeslèvresdeJasons'incurvèrentdansunsouriredesplussubtils,etcefutcommeuncoupaucœurpourelle,untrésorquin'avaitpasdeprix.Qui a dit que je n'étais pas déjà ton esclave, princesse ?Un tendre amusement dans son esprit.

Aprèstout,jegislà,lecorpsravagéparl'expressiondetapassion.Elleritdoucementdeplaisir,carsonmaîtreespionluirendaitsataquinerie,etelletenditlamain

poursuivredudoigtlescontoursnoirsd'untatouagequiévoquaitlesableblancetlesmersd'unbleupur, les feuilles de palmiers se balançant dans la brise douce pendant que lesmouettes s'ébattaientdanslesairsetquelespoissonsauxcouleursdebijouxfilaientdansleshauts-fonds.

—Meraconteras-tusonhistoireunjour?demanda-t-elledansunmurmureintimededeuxamantspendantqu'ils'installaitunefoisdeplusentresescuisses,appuyésursesavant-bras.

—C'étaitpourmerappelerquej'étaisvivant,dit-ild'unevoixdure.J'avaissipeulesentimentdefairepartiedumondeparfois,quejen'étaispassûrdenepasêtrevraimentuneombre,unfantômeinvisibleaumonde, sansplaceni attache.Ladouleurdecettemarque indélébilem'aprouvéque jevivais,quej'étaisunepersonne.

Unetristesseempreintedecolèreremuaenelle,maisplutôtquecetteobscurité,elleluioffritunsourire.

—Ehbien,dit-elleencaressant lemolletdeJasondesonpied, laprochainefoisque tuveuxtesentir vivant, rentre à lamaison et entraîne-moi au lit. (Elle frotta sonnez contre la gorgede son

amantenrougissant.)Jenepeuxpascroirequejeviensdedireunechosepareille.Vraiment,jedevienseffrontéeavectoi.

C'estassezperturbant.Ilpenchalatête.Sescheveuxtombantsursonvisagealorsqu'ilentraitenelle,JasonréponditJene

le répéterai pas, et partit d'un doux rire plus précieux pour elle que des gemmes auxmillions defacettes.

ÉpilogueMahiyaavaittoujourssuqueJasonauraitàpartir-unmaîtreespionnepouvaitresterindéfiniment

aumêmeendroit.Bienqu'ileûttrèsbienréussiàavoirdesinformationsdepremièremaindurantlesdeuxsemainesqu'ilsavaientpasséescollésl'unàl'autreens'installantdansleurmaison.

—NehaetNivritisemblentmaintenirleurtrêvepourlemoment,avait-ilditàMahiyaunesemaineplus tôt. Il est impossible de prédire ce que l'une ou l'autre fera - leur comportement n'est pasrationnel.

—Oui.(Mahiyaavaitvul'amourderrièrelahaine,lebesoindetoucherderrièreceluid'annihiler.)Je me demande si, au plus profond d'elles-mêmes, elles ne voulaient pas éviter de tuer leuradversaire,etsic'estpourcelaqu'ellesonttoutesdeuxfiniblessées,maisvivantes.

—Oui.Sept jours après cette conversation, samaîtresse était face à lui, attendant qu'il lui fasse ses au

revoir,alorsqu'ilpartaitversdeslieuxinconnuspouruntempsindéterminé.—Ilsepeutquejenepuissetecontactertouslesjours,dit-il.(L'hommequil'avaitréveilléed'un

baiserlematinmêmeavaitdisparusousl'acierd'obsidiennedumaîtreespion.)Maisjeleferaiaussisouventquepossible,etsijesuisinjoignable,appelleRaphaëloun'importelequeldesSept.Ousitutesensplusà l'aisedeparleravecdesfemmes,ElenaouJessamyseront toutesdeuxcapablesdeterenseigner.

Cet homme, pensait-elle pendant qu'il parlait, ne lui dirait jamais qu'il l'aimait, ne lui ferait pasvivreune romancedecontede fées. Ilpourraitbienmêmene jamais s'avouerqu'elle lui importaitd'unemanièrequidépassaitlargementleurrelationsensuelle,maisilsétaientliésparlecœur,ellelesavait.Etc'étaitcelienquirendaitsapoitrinedouloureuseàcetinstant.

Maisquelbesoinavait-elledemotsetdecompliments?Elleavaitgrandientouréedemensongesetd'illusions,demurmuresetd'insinuations,bercéeparlesmilliersd'intriguesetderomancesd'unecouranimée.ErisavaitditàNehaqu'ill'aimait,encoreetencore,etilavaitdéclarélamêmechoseàNivriti.

Non,lesmotsnecomptaientpaspourMahiyaetnecompteraientjamais.—Jesais,répondit-elleauxinstructionsdeJason, j'ai lesnumérosdetout lemonde.(Sesmains

surlesépaulesdel'homme,ellesedressasurlapointedespiedspourréclamerunbaiseràgarderjusqu'àsonretour.)Tuvasmemanquerquandtuserasparti,murmura-t-elleensuitecontreseslèvres.Etsituneprendspassoindetoi,jeseraitrèsfâchée.

JasondéployasesdoigtscontrelesreinsdeMahiya,satêtepenchéesurcelledelajeunefemme.—Jereviendraiàlamaisonaussivitequepossible.Elle sentit les larmes luimonter auxyeux envoyant qu'il considérait désormais ce lieu comme

leurrefuge,leurchez-eux.—Jet'accompagnejusqu'ausommetdemacolline.C'était une plaisanterie entre eux ; la butte de terreméritait à peine ce nom,maisMahiya avait

insistépourl'appelerainsi,jusqu'àcequ'elleseréveilledeuxjoursplustôtpourytrouverunpanneaudeboisméticuleusementgravé,proclamantqueletalusétait«LacollinedeMahiya».

Cela la faisait sourire et la rendait encore plus amoureuse de Jason à chaque fois qu'elle lisaitl'inscription.

L'ailedumaîtreespioneffleuralasiennealorsqu'ils traversaientlesjardins.Lesrosessauvagesparfumaient l'aird'unesenteurvoluptueuse;Mahiyasentait lechaudsoleilsursonvisage.Samèreétait bien vivante, elle était une créature mortellement dangereuse qu'elle ne comprenait pas

entièrement.Nehapouvait encoreplonger son territoiredans laguerre.Lijuanétait denouveauentraindemanigancerquelquechoseetlemalobscurcissaitdéjàl'horizon.

Etpourtant,cemoment-làétaitparfait.Bien trop tôt, ils atteignirent le sommet de cette ridicule petite colline, et les doigts de Jason

glissèrenthorsdessiens.Aucund'entreeuxneparlaquandildéployasesailesetpritsonenvol,sesailesd'unjaisscintillantdanslalumièredusoleil,saforcesublime.Aulieudes'éleverdirectementau-dessus de la couche de nuages, comme il le faisait habituellement, il effectua un balayagespectaculaireau-dessusd'elle...etalors,ellel'entendit.

Unevoixsipurequ'ellen'avaitpasd'égale.Siclaireetdélicieuseque lesoiseauxse turentpourl'écouteretqueleventsoupira,tenuenrespect.Soncœursefendillaetsebrisa,puissereforma.Lebouleversementqueluicausaitcechantétaitsiprofondqu'ilsemblaitn'avoirnidébutnifin.Ellen'eutmêmepasconsciencedes'être retrouvéeàgenoux,pleurant, jusqu'àceque leseldeses larmesnes'infiltredanssabouche.—LesseuleschansonsdansmoncœurfaisaientfondreleRefugeenlarmes.C'estpourcelaquej'ai

arrêté.Cette chanson n'était pas destinée auRefuge.Mais àMahiya. Et les larmes que la jeune femme

versaitn'exprimaientaucunetristesse.Parcequ'elles'étaittrompée.Satempêtesauvagevenaitjustedeluidirequ'il l'aimait.La joieéclatantedesonchant lamarquaitdemanière indélébilecommeétantsienne.Jeseraibientôtderetour,princesse.

LeFortdel'ArchangeetleFortProtecteurontétéinspirésparlesincroyablesplacesfortifiéesdu

Rajasthan,enInde,etplusparticulièrementparlaforteressed'AmberetcelledeJaigarh.LePalaisdesJoyauxn'existepas(pourautantquejesache!)maisleSheeshMahalouPalaisdesGlaces,oui.Ilfaitpartiedelaforteressed'Amberetcomptedesmilliersdepetitsmorceauxdemiroirsincrustésdanssesmurs.Onditqu'ils'agitd'unevisionmagiqueàlalueurdesbougies,carilreflèteleursflammesdans chacun de ses fragments. Je l'ai vu à la lumière du jour et c'est un tableau étonnant que jen'oublieraijamais.

PourlesphotosdemonvoyageauRajasthan,dontcellesàlaforteressed'Amber,rendez-voussurmonsiteInternetàl'adressedemoncarnetdevoyagewww.nalinisingh.com/diary.php.